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SPÉCIFICITÉ DISCIPLINAIRE
Hubert Fondin
2001/2 - Vol. 38
pages 112 à 122
ISSN 0012-4508
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Pour citer cet article :
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Fondin Hubert , « La science de l'information : posture épistémologique et spécificité disciplinaire » ,
Documentaliste-Sciences de l'Information, 2001/2 Vol. 38, p. 112-122. DOI : 10.3917/docsi.382.0112
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ÉTUDE
La Science de l’information :
posture épistémologique
et spécificité disciplinaire
LES CHERCHEURS EN SCIENCE DE L’IN-
FORMATION ont du mal à expliquer ce que
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recouvre leur champ de recherche, soit aux yeux
des chercheurs d’autres disciplines, soit encore aux
yeux des chercheurs normalement proches d’eux
comme ceux de la Science de la communication –
mais que faut-il alors penser de cette « proxi-
mité » ? –, soit même dans leur propre groupe. Ils
n’arrivent pas à le définir incontestablement. Ils
n’ont guère de cadre théorique. Ils sont en quête de
problématiques pertinentes. En revanche ils ont
des outils, des techniques – qu’ils tentent constam-
ment d’améliorer –, et des lieux – qu’ils regardent
fonctionner : mais est-ce bien là l’objet des
recherches en Science de l’information ?
De ce constat et de ce doute découlent des ques-
tions qui nous interpellent fortement en tant que
chercheur en Science de l’information : quel phé-
nomène voulons-nous comprendre ? Quelle est la
place et quel est l’objet de cette science ? Quelle est
la posture épistémologique des chercheurs qui,
implicitement ou explicitement, revendiquent leur
appartenance à cette science ?
Nous allons essayer de répondre à ces ques-
tions, en considérant successivement les points
suivants : quelle posture épistémologique adop-
ter, c’est-à-dire quel cadre de réflexion se fixent les
chercheurs en Science de l’information ? Quelle
1 Quelle posture
épistémologique ?
Jacques Rouault et moi-même avons rédigé en
doit être reconnu par le lecteur de la façon la plus
objective possible puisqu’il ne peut y avoir qu’une
seule lecture d’un même énoncé informationnel.
C’est le rôle des professionnels de l’information et
de la documentation de bien faire cette lecture.
1997 un texte sur la place de l’information dans - Le message (« texte/contenu ») est un
l’interdiscipline des Sciences de l’information et ensemble de signes, un « objet »
de la communication (SIC). Ce texte [1], mani- réel qui existe en dehors du
festement, n’a été compris – et encore ! – que de récepteur. C’est une réalité Hubert Fondin est professeur
ceux qui faisaient déjà partie du monde de la SI. Il objective qu’il faut transmettre en science de l’information à l’Univer-
n’est pas sorti du cercle des initiés de cette disci- sans la trahir ni dans la forme ni sité Michel de Montaigne - Bordeaux-
pline. Il est vrai que nous avons été pris au piège dans le fond. Dès lors un texte, 3, UFR de lettres, département Docu-
d’un projet fédérateur. Nous avions procédé à un en tant que réalité ou phéno- mentation (Domaine universitaire,
inventaire ouvert pour montrer la diversité des mène physique, peut faire l’objet
F-33405 Talence Cedex, courriel
thématiques qui nous intéressaient, ce qui aboutit d’un traitement mécanique sur
fondin@montaigne.u-bordeaux.fr).
à l’établissement d’une liste de thèmes de ses formes graphiques et lin-
recherche susceptibles d’être revendiqués par la guistiques. C’est ce que font les
SI, mais qui n’étaient pas justifiés scientifiquement. informaticiens spécialisés dans l’analyse automa-
Nous n’avions pas amorcé une réflexion théorique tique du texte.
sur la place et l’objet de la SI. - La communication-transmission est justifiée par
Les chercheurs en Science de la communica- le concept de besoin (désir) qu’il convient de satis-
tion ne l’ont pas bien lu. Leur regard sur la SI n’a faire. L’homme a besoin de savoir pour... La SI s’in-
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pas évolué1. Notre texte n’a pas répondu à leur téresse à un type de communication à finalité, de
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attente, et n’a donc pas atteint son but. C’est pour- nature persuasive (à l’instar du marketing et de la
quoi il importe en premier lieu d’examiner le publicité)2. Ainsi la documentation est typique-
regard que porte la SC sur notre « activité ». ment une activité qui doit permettre de satisfaire
un besoin informationnel chez le récepteur, selon
Le regard « communicationnel » le principe qu’une information « utile » existe
Si l’on en croit la démonstration faite par Alex quelque part3.
Mucchielli dans un ouvrage récent, La nouvelle - Le modèle E-R, de l’émetteur (généralement
communication [2], on a le choix entre, d’une part, l’auteur) vers le récepteur (normalement le lec-
une approche « positiviste » qui s’intéresse aux teur), permet d’identifier tous les éléments du
faits physiques et, d’autre part, une approche « circuit » (cf. le circuit du livre), et donc de déter-
« compréhensive » qui considère en empathie les miner le lieu ou l’objet sur lequel intervenir
faits humains et sociaux. À lire ce livre (intéressant
comme trace écrite, expression d’un regard) et à
discuter avec nos collègues de la SC, il apparaît
que la SI, à leurs yeux, est nettement une science
1 Cf., entre autres exemples, le regard que pose Alex
positiviste par la théorie, le modèle et les méthodes Mucchielli dans son dernier livre [2].
qui la caractérisent. 2 « Information science [...] is that body of knowledge,
Fondamentalement, la Science de l’information, consisting of descriptions, theories and techniques
souvent confondue avec la documentation, privi- which provides understanding of the means through
légie l’approche « communication-transmission ». which society’s information needs are met and which
Les caractéristiques de cette approche, confirmées provides understanding required to improve capabilities
par une analyse des thèmes traités dans les articles to define and meet such needs. » (Alexander G.
Hoshovsky, Robert J. Massey) [3].
« recherche » d’une revue « professionnelle » (voir 3 Selon Éric de Grolier, la fonction essentielle du
encadré p. 114), seraient les suivantes. documentaliste « est de mettre en contact ceux qui ont
- Le fondement théorique est la théorie de l’in- besoin de savoir et ceux qui savent » en organisant non
formation de Claude E. Shannon. Pour faire court, pas les connaissances mais les mémoires [4].
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donc améliorer la qualité de la communication. Cette posture est naturellement le cadre expli-
Mieux communiquer, c’est mieux connecter l’offre catif d’activités comme la documentation ou la
à la demande, c’est rendre les signes compatibles bibliothéconomie. Aux yeux de beaucoup, celles-
dans le cadre d’une grande (universelle ?) inter- ci sont des activités de nature technique4. Elles
opérabilité (du fait de l’existence des machines requièrent un savoir-faire à base de recettes dont il
et/ou de systèmes de télécommunications et de faut apprendre le catalogue aux futurs profession-
traitement), c’est assurer une compréhension uni- nels : « voilà ce qu’il faut faire pour... », « voilà com-
voque du message. ment il faut faire pour... ». D’où le caractère pres-
La problématique classique des recherches en SI criptif souvent perçu dans les formations
est donc celle du codage et du décodage de l’in- professionnelles, voire universitaires, car ce qui
importe c’est la finalité pratique, c’est la réussite de
la communication-transmission5.
Largement admise par tous, voire hégémonique
Relevé des thèmes traités dans une revue professionnelle dans les années soixante-dix6, cette posture est
Les thèmes traités dans les articles « recherche » publiés durant les années aujourd’hui incomprise par les chercheurs de la
1997, 1998 et 1999 (à l’exception des numéros 1 à 3 de l’année 1999) dans une SC. Pour nombre d’entre eux, l’approche positi-
revue « professionnelle », Documentaliste - Sciences de l’information, soit viste est largement inappropriée pour comprendre
12 numéros et 30 articles, se répartissent ainsi :
• les outils et techniques de traitement en vue de ... 11
• la profession et les professionnels 8 4 Cf l’intitulé des ressources proposées aux professionnels de
• autres (société et culture de l’information) 6 la bibliothèque sur le site de l’ENSSIB (www.enssib.fr).
• le lieu de conservation de l’information et sa gestion 3 5 On constate une conception identique chez les gens des
• les usagers et les services 2 médias, même si ceux-ci s’intéressent plutôt aux effets qu’au
Parmi ces 30 articles, 4 évoquent explicitement la théorie de C. E. Shannon contenu.
6 Cf la Théorie générale de l’information et de la
(modèle E-R), et 22 ont une approche « réaliste » sur un objet. communication, de Robert Escarpit, dont la première
édition date de 1976 [5].
de retenir les points suivants (développés ci- sexuel ou alimentaire), mais nette-
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contre) : ment de l’ordre de l’humain car de ☛ La recherche d’information
- l’homme produit des connaissances qu’il nature « informationnelle », quel- est la rencontre « virtuelle » d’ac-
cherche à communiquer aux autres ; le qu’en soit la raison (désir de teurs. Au moins deux, l’auteur et le
- il a besoin d’information ; connaître plus, désir d’agir effica- lecteur final, et dans ce cas le carac-
- la communication informationnelle est une cement, désir de faire connaître). tère virtuel interdit toute observa-
communication finalisée ; Cette démarche est parfaitement tion directe. Et parfois trois avec
- cette communication a une composante consciente, autrement dit le besoin l’intermédiaire, bibliothécaire ou
« transmission » ; est nettement affiché, il n’est pas à documentaliste, et dans ce cas c’est
- la recherche d’information est la rencontre dévoiler. Sur le plan « communica- l’intermédiation qui est observée.
« virtuelle » d’acteurs ; tionnel », cela détermine une La rencontre de ces deux mondes
- le texte, inscrit sur un support, n’existe que action inverse (« recherche d’infor- qui ne se connaissent pas est un
par le lecteur ; mation ») de celle réalisée par l’au- échange communicationnel avec
- le document n’est qu’un moyen de communi- teur (« diffusion-édition ») mais toute sa richesse et sa complexité,
cation ; complémentaire. L’ordre des avec ses représentations et ses
- le recours à des mémoires est indispensable ; actions permet de les qualifier de moyens d’expression. En outre,
- la description documentaire est le résultat « primaire/secondaire ». cette rencontre est à chaque fois
d’une négociation. une nouvelle rencontre. Elle néces-
L’on comprend ainsi que la réalité qui intéresse ☛ La communication informa- site chaque fois une nouvelle
les chercheurs en SI est en fait une série de réali- tionnelle est une communication « mise en situation », car le contex-
tés (le texte, le code-langue, la lecture-réécriture, que l’on qualifiera de finalisée, te et le cadre de la recherche ne
l’espace documentaire, etc.) construites collecti- d’intentionnelle, mais qui n’est, sont jamais exactement les mêmes.
vement par les acteurs, aussi vraies et légitimes les pour autant, ni « persuasive », ni D’où la difficulté, voire l’impossibi-
unes que les autres (ce qui explique la mise en « d’influence ». Certains disent lité de toute modélisation de cette
cause du modèle universel). En outre elles sont qu’elle est « scientifique » – à opération (ce qui justifie la mise en
toutes liées dans le cadre de systèmes, en fait plus condition qu’on entende bien qu’el- cause d’une technique de recherche
sociaux que techniques parce que les hommes le s’applique à toutes les sciences : comme le push).
☛ Bien qu’il soit couché sur un D’où la notion de service, ici infor- y ont – ou devraient avoir – une place plus
support et qu’il acquière par là mationnel, et l’intérêt collectif de importante que les techniques, à multiples causa-
même une matérialité, une trace, le systèmes - qualifiés par Jean Mey- lités circulaires (ce qui explique la mise en cause
texte n’est pas pour autant une réa- riat de « techno-sociaux » du fait de du modèle de la chaîne). Si l’on admet que
lité en soi. Car le texte n’existe que l’importance prise par deux de leurs « chaque segment de communication est inséré dans
par le lecteur, d’où la légitimité de éléments, les techniques et les un système de communications, qu’il prend son sens
toute lecture. Dans cette logique, on hommes [6] – qui ont été conçus dans le système, qu’il est lié par des causalités circu-
n’explique pas un texte, on le com- autour de cette raison. laires aux autres communications faites par les autres
prend. acteurs » [2, p. 46], cette réalité s’inscrit dans une
☛ Contrairement à ce qu’implique communication-participation avec pour référence
☛ Objet matériel à la fois conte- la loi classique de la bibliothécono- possible la théorie systémique de la communica-
nant et contenu, le document n’est mie (le même livre – objet – doit être tion. La Science de l’information est une des
qu’un moyen de communication, un au même endroit quel que soit le sciences de l’homme et de la société.
média. Le contenant a des caracté- lieu où il est conservé), la descrip- Les phénomènes empiriques que l’on peut
ristiques propres qui peuvent tion documentaire (opération par observer dans la recherche d’information sont ainsi
influer sur les acteurs dans le pro- laquelle on choisit les éléments, vus comme les facettes d’une participation à une
cessus d’échange, et cela n’est pas dans un texte et dans son document- structure de communication, construite par des
indifférent (cf. l’écrit sur papier vs support, constitutifs de la mémoire) acteurs, avec son cadre institué et ses règles
sur écran) ; mais « le message n’est n’est pas une activité « normative ». d’échange, pour faire face à une situation particu-
pas le médium » pour autant. Ce qui La description documentaire est le lière. Il existe naturellement des documents-
importe, c’est le contenu (la résultat d’une négociation entre informations, des outils et des techniques, mais ce
connaissance communiquée), humains, une négociation « inter- ne sont que des moyens, des éléments dans un jeu
concept qui englobe l’énoncé lui- subjective » qui s’appuie sur la de rôle.
même et le contexte de l’énoncia- notion d’« intercompréhension » L’objet d’étude de la SI est le système d’échange
tion (la mise en signe et la mise en selon laquelle (postulat ?) il existe entre différents acteurs autour d’une recherche
forme spatiale, graphique ou autre). un stock de connaissances commun d’information (pour nous : le système secondaire)
La focalisation est donc sur le conte- à tous les lecteurs, celui qui permet dont on veut comprendre le fonctionnement et
nu, sur le message, mais aussi et à tous d’interpréter de la même surtout le rôle qu’y joue chaque acteur (d’où l’as-
nécessairement sur les conditions manière la situation créée7. similation à un jeu de rôle), pour éventuellement
éditoriales de sa communication. intervenir dessus. La méthodologie repose sur le
D’où la recherche d’une théorie recueil de données concernant les interrelations
☛ Le recours à la mémoire est de l’analyse documentaire (nous dans le cadre dudit système. Les concepts sont :
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normal pour retrouver quelque préférons l’expression « énoncia- cadrage, interaction, construction collective,
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chose. La mémoire de l’homme a tion documentaire »), qui rejette logique du jeu, circularité ou causalité circulaire,
longtemps joué ce rôle tant que le une approche purement mécanique système social, etc.
nombre d’objets était limité (cf. le du « codage-décodage », met l’ac- Le modèle est soit « interactionniste-systé-
rôle du bibliothécaire jusqu’au cent sur le « partage », l’empathie, mique »8 pour analyser les lieux et les hommes,
XVIIIe siècle). Le recours à des l’intersubjectif, et s’intéresse à l’écri- soit « orchestre » pour analyser les lieux et les
mémoires artificielles, prolonge- ture et à la réécriture comme modes hommes dans leur singularité et dans une pers-
ment du cerveau de l’homme, d’expression (et non pas à l’alpha- pective de cohérence globale.
comme dirait McLuhan, devient bet, aux mots ou à la syntaxe). D’où Il apparaît ainsi évident que, pour saisir une
indispensable face à l’augmentation les difficultés humaines de sa réa- telle « réalité », l’approche déterministe est inap-
spectaculaire du nombre des objets lisation, d’où son irréductibilité à la propriée, car elle ne permet pas de comprendre les
informationnels. mécanisation. facteurs humains. Elle les constate, les regrette, et
On peut donc considérer tous les L’énonciation (description) do- veut les réduire dans un « universel » autour de
lieux où les choses sont conservées, cumentaire est fondamentalement l’objet. Il est vrai que cet objet (le livre d’abord, la
les choses qui y sont conservées, et un « acte de mettre en commun des revue ensuite, et tous les documents quels qu’ils
la façon dont elles sont conservées. significations » [2, p. 9] et de créer soient maintenant) a longtemps été l’unique consi-
Ce regard est plein de la raison des cohérences entre les acteurs. dération des praticiens et des chercheurs en SI.
même de ces mémoires : assurer la Que les praticiens aient des préoccupations à
récupération pour l’homme des 7 Cf. la notion d’espace social et eux, pourquoi pas ? Même si l’on peut s’interroger
objets qu’elles conservent. L’hom- d’espace normatif. Ainsi, pour nous,
me, avec ses préoccupations, ses la lecture documentaire ne consiste
représentations, ses moyens de pas à dégager – extraire – le contenu
8 La signification d’une situation ne peut se comprendre
communication, est pleinement objectif d’un texte-objet, mais à
qu’intégrée dans un ensemble plus large (système) et en
rechercher un accord collectif sur une
présent. D’où les problèmes regardant les échanges entre les éléments de cet ensemble
proposition de lecture, lequel accord
de temps (obsolescence), d’usage (interactions).
s’apprécie à la cohérence créée
(support, conservation), d’échange- 9 Définition des SIC par le Conseil national des universités
collectivement (voir la notion
(CNU), 71e section (Sciences de l’Information et de la
partage (contexte-compréhension). d’« intersubjectivité scientifique »).
Communication.
2 Quel objet
scientifique ?
Les chercheurs en Sciences de l’information et
cevic (cités par Jesse H. Shera), la SI « emprunte sa
substance, ses méthodes et ses techniques à diverses
disciplines, [...] elle s’intéresse aux sujets suivants :
analyse des systèmes, aspects mésologiques de l’in-
formation et de la communication, moyens d’infor-
de la communication (SIC) tentent de comprendre mation, analyse linguistique, organisation des infor-
des phénomènes communicationnels, à élucider mations, relations homme-système et questions
les « processus d’information et de communication analogues... » [13]. C’est l’acception large du terme
relevant d’actions organisées, finalisées, prenant ou information science proposée par les Nord-Améri-
non appui sur des techniques, et participant des cains dans la décennie soixante, avec comme réfé-
médiations sociales et culturelles »9. Si l’on consi- rences des auteurs comme Bertram C. Brookes
dère plus particulièrement les chercheurs de la SC, [14] ou Jesse H. Shera [15].
ils veulent étudier les comportements / attitudes / Suivant cette conception, l’objet scientifique est
messages / discours / énoncés de toutes sortes, pris l’information – à travers le message, sa forme, ses
n’importe où, pour, à travers le regard porté sur codes, etc. –, entité réelle dont on veut analyser,
les acteurs, les modalités de production, les inten- autrement dit décrire pour expliquer les caracté-
tions cachées ou affichées, etc., essayer d’en com- ristiques, toutes les caractéristiques. Celles-ci doi-
prendre le sens pour les hommes. vent être extraites, quel que soit le cadre dans
Quel serait alors l’objet scientifique de la SI ? lequel l’information est :
Quelle serait sa spécificité ? En tant que chercheur - produite (systèmes primaire et secondaire :
en SI, que devrions-nous regarder et pour quel acteurs, supports et circuits)11,
questionnement ? - transformée (sélection, description, analyse,
Deux, voire trois visions coexistent actuelle- réécriture),
ment. L’une, et sa forme réduite, considère un objet - distribuée (circulation ou diffusion par des
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réel, l’information. L’autre considère un processus, structures adéquates comme les sociétés de radio
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celui de recherche de l’information10. ou de télévision ou des réseaux plus ou moins
organisés : réseau commercial comme la librairie,
L’information ? la maison de presse, le courtage, etc., réseau ins-
Selon ce premier point de vue, la SI est la science titutionnel comme le réseau câblé, le réseau docu-
qui étudie la façon dont on crée, diffuse, stocke et mentaire, etc., ou réseau informel comme le col-
retrouve une information (connaissance communi- lège invisible),
quée) quelle qu’elle soit : information scientifique et - retrouvée (recherche, récupération),
technique (IST), information journalistique ou - conservée (archivage, mise en mémoire),
toute autre. C’est la vision que défend l’Américain - et utilisée par ceux qui la demandent ou la
Robert Taylor, dans la lettre de création de l’Ame- façonnent (usagers, intermédiaires).
rican Society for Information Science en 1967 : Mais l’information est-elle un objet d’étude
« Information science investigates the properties and pour une science de l’homme ou de la société ?
behavior of information, the forces governing the Cela est d’autant plus difficile à défendre que les
transfer process, and the technology necessary to pro- épistémologues contestent la vision d’une telle
cess information for optimum accessibility and use. » science comme activité ayant un objet extérieur à
Ou William Goffman dans un article publié en observer.
1970 [8]. Ou encore Pranas Zunde : « Information
science studies the nature of information as it mani- 10 Nous ne retenons pas l’objet proposé par Jean-Michel
fests itself in phenomena related to information gene- Saläun : « l’activité de lecture et les médiations qu’elle
ration, transmission, transformation, accumulation induit », car cette proposition nous paraît trop isolée et non
and storage. » [9] Il la définit comme une science fondée scientifiquement [7].
« empirique » qui cherche à établir des principes 11 Une de ses branches serait la médiologie dont le projet est
l’étude des supports et des moyens techniques de diffusion de
généraux afin d’expliquer, de quantifier et de pré- l’information ; cf. le message de Daniel Bougnoux pour
dire des phénomènes. rappeler la tenue du colloque de Cerisy dont le thème était :
C’est cette vision que reprend Yves Le Coadic « Communiquer/transmettre » autour de la médiologie et de
dans un article publié en 1984 [10], dans un autre Régis Debray, du mardi 13 au mardi 20 juin 2000.
Cette vision est la même que celle développée En outre les actions de l’homme sont orientées
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précédemment, mais l’objet est limité à un type vers un devenir, un avenir. C’est l’objectif qui les
d’information, l’IST, entité réelle, avec ses acteurs sous-tend. La SI s’intéresse alors à une activité
(auteurs et lecteurs), ses moyens de communica- humaine finalisée. Cette discipline apparaît ainsi
tion (les revues scientifiques en particulier), ses bien d’ordre communicationnel.
institutions (en France, l’INIST ou le serveur La SI est une science qui peut avoir une finalité
Questel.Orbit, par exemple), ses groupes de pres- pratique. Pour autant elle ne se confond pas avec
sions (généralement des associations profession- la documentation ou la bibliothéconomie car son
nelles, en France l’ADBS ou le GFII, Groupement objet – répétons-le – n’est ni le document porteur
français de l’industrie de l’information), ses porte- d’information, ni l’information elle-même, ni non
parole convaincus (en France, et entre autres, plus le système technique (documentaire ou
Serge Chambaud et Denis Varloot12), ses lieux de bibliothécaire ou archivistique), mais le proces-
défense (la MIDIST, la DBMIST, supprimée en sus d’un échange-partage finalisé. Selon cette
1989, la DISTNB du ministère de l’Éducation approche, les associations professionnelles (de
nationale, supprimée en décembre 1997), etc. documentalistes ou de bibliothécaires) et les cher-
Mais, en plus des remarques faites plus haut, cheurs en SI n’ont ni les mêmes intérêts, ni les
on peut se demander s’il est possible de retenir mêmes enjeux.
uniquement l’IST comme objet scientifique. Une On le voit d’ailleurs bien à travers les formules.
science peut-elle se limiter à un seul type d’infor- Les unes défendent l’« objet-document » et/ou
mation ? La surface et l’intérêt de cette IST en tant s’intéressent au « système technique » (spécifiques
qu’objet apparaissent réduits. On percevrait d’un métier), alors que les autres prônent le « dis-
davantage cet objet comme une spécialité dans positif personne » ou le « système social » (cadre
l’optique précédente. de recherche). D’où les divergences de points de
vue sur la formation universitaire. D’où les incom-
préhensions réciproques sur la certification. D’où
12 Cf. leur point de vue dans Le Monde du 11 novembre l’incompatibilité de contenu entre revue profes-
1997 [16]. sionnelle et revue scientifique. Autant de points
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est nettement tiraillée entre deux approches for- avant de repartir « promu » vers leur discipline
tement divergentes, voire inconciliables. On d’origine ! Cette SI court après une visibilité et
observera d’abord que la différence entre les objets une reconnaissance scientifiques depuis plus de
n’est pas mince. Et qu’en outre les conséquences trente ans en France, et il est peu probable qu’elle
du choix de l’objet sur l’appartenance ou non de y parvienne jamais...
la SI à la SIC se posent en termes opposés. Dans le dernier cas évoqué (processus de
Enfin ces divergences expliquent peut-être que recherche d’information), et paradoxalement car
certains d’entre nous utilisent l’expression « les elle affiche ici une réelle spécificité, la SI ne peut
Sciences de l’information » – entérinant ainsi cette prendre son autonomie. Les chercheurs en SI ten-
double approche sans prendre parti. Les autres, tent de comprendre des phénomènes communi-
dont nous sommes, revendiquent tout simplement cationnels, cherchent eux aussi à élucider les « pro-
une, et une seule « Science de l’information », cessus d’information et de communication relevant
celle qui veut comprendre le processus commu- d’actions organisées, finalisées, prenant ou non appui
nicationnel spécifique de la recherche informa- sur des techniques, et participant des médiations
tionnelle. sociales et culturelles »9. Simplement ils étudient
un processus de communication très particulier
du fait des modalités retenues, mais un processus
tout de même (comme les gens des médias). Ils
étudient une communication intentionnelle à
objectif conscient. Dans cette perspective, la SI
appartient bien aux SIC dont elle constitue une
partie, une branche. Et elle en fait d’autant plus
partie que la communication est « essentielle au
processus même de construction de l’information »
[17].
La SI n’est pas une interdiscipline du fait
de l’origine de ses chercheurs. Elle est certes Dès lors un objet scientifique ne se définit qu’en
interdisciplinaire du fait des emprunts qu’elle fait fonction de l’ensemble paradigmatique dans lequel
– encore et toujours – aux autres disciplines plus on veut l’étudier et par rapport à lui. Son étude est
anciennes et mieux constituées. Mais elle paraît étroitement liée à la posture épistémologique rete-
pouvoir revendiquer le statut de « discipline », à nue (théorie, concept) et à la méthode. Enfin on
tout le moins de « branche disciplinaire »13, du fait convient que la pertinence du paradigme retenu
de la spécificité de son objet scientifique. doit être évaluée en fonction de ses retombées pra-
Nous défendons fortement cette dernière tiques par rapport aux buts que s’est fixés le cher-
approche. Nous revendiquons notre appartenance cheur. Autrement dit de son « utilité « pour com-
aux SIC et, à l’intérieur des Sciences de l’informa- prendre en situation.
tion et de la communication, nous voulons affi- Quel peut être le paradigme scientifique de réfé-
cher la spécificité et l’intérêt de la Science de l’in- rence en SI ? Malgré sa forte prévention – car pour
formation. lui les sciences humaines et sociales sont des
Reste à considérer quel peut être le cadre théo- sciences du « sens », de la signification des expres-
rique de référence pour une telle science, lequel sions ou attitudes ou comportements humains et
doit avoir une certaine cohérence avec celui des des phénomènes sociaux –, Alex Mucchielli
SIC. Ce qui conduit à se demander comment la SI convient que l’on peut adopter aussi légitimement
peut se situer par rapport aux SIC ? Doit-elle les approches « positiviste » et « subjectiviste »
emprunter des concepts, des modèles, et les façon- dans les sciences sociales [2, p. 51]. Cependant à
ner à sa manière en fonction de leur efficacité chacune de ces approches sont associés des
scientifique pour comprendre son propre objet ? modèles. À chacune sont associées une vision du
monde et une certaine efficacité d’action sur les
objets ou sur les hommes.
4 Quel cadre
théorique ?
« La connaissance [est] apparue comme un pro-
Le paradigme positiviste
Un premier paradigme serait de nature positi-
viste, avec pour référence la théorie « linéaire » de
l’information, le modèle E-R, etc.
Cette approche déterministe caractériserait les
blème exigeant des théories », écrit J.-M. Besnier chercheurs qui veulent donner toute son efficacité
[18, p. 7]. On retrouve la position forte d’Auguste à la recherche d’information vue comme un simple
Comte : pas d’observation sans une théorie impli- échange d’information, quelle qu’elle soit, où que
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cite. Alex Mucchielli élargit le propos en écrivant cela soit. La vision mécaniste – car le problème et
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que « les connaissances sont contingentes au para- la solution sont dans la sélection-transmission d’un
digme de référence pris » [2, p. 80]. message adéquat, et donc dans la proposition d’ou-
Classiquement, une science est une relation tils performants, de produits ciblés et de lieux bien
entre un sujet et un objet qui existerait par lui- organisés – du phénomène les rapproche mani-
même, et qu’elle cherche à expliquer ou à com- festement des informaticiens, des ingénieurs des
prendre par son vocabulaire, ses concepts, ses lois, télécommunications, des ergonomistes et autres
ses théories. Actuellement, on tend de plus en plus manageurs. D’où le souci de tout quantifier, de
à penser la science comme une relation entre un tout mesurer, car c’est la « caractéristique d’une
sujet et une proposition qui ne se comprend que scientifisation avancée du secteur de l’information »
par rapport à un certain paradigme scientifique et [19]. D’où aussi la tentation de se rapprocher des
en fonction de celui-ci – un paradigme scientifique sciences exactes14.
étant l’ensemble cohérent d’éléments auquel un
chercheur se réfère pour expliquer ou comprendre
quelque chose
Selon cette approche, tout mot est pensé dans
une théorie ou en référence à un modèle plus ou
moins explicite. Il a dès lors des propriétés parti-
culières. Parler « communication », c’est, pour être
compris, indiquer d’abord la théorie de la com- 13 La distinction entre discipline et branche disciplinaire est
munication dans laquelle on se situe [2, p. 28-33]. fonction du degré d’autonomie que l’on reconnaît à la SI par
Il en est de même pour « information ». Un spé- rapport à la SIC.
cialiste ne peut en parler sans faire référence à une 14 Le CNRS a depuis toujours placé la « Documentation-
sciences de l’information « avec les sciences exactes dans la
théorie sous-jacente. À tout le moins, il doit sys- banque de données documentaire Pascal. Dans la
tématiquement utiliser « information » avec un présentation d’un colloque sur le « virtuel » (Paris-X, 2001),
qualificatif ou un explicatif afin de se faire com- on utilise même l’expression de « sciences de l’information et
prendre des autres spécialistes. de la télécommunication » !
emplois en 71e section du CNU. Mais il est beau- chercheurs. Il y a là, sans doute, le risque d’un
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coup plus spécifique de cet objet scientifique qu’est mélange des genres, préjudiciable à un affichage
le processus de recherche d’information. scientifique de la Science de l’information.
En fait le problème du chercheur est moins de
Peut-on conjuguer des paradigmes différents ? retenir une posture que de savoir qu’on en a auto-
Le problème de la posture épistémologique des matiquement une, et que la lecture que l’on fait
chercheurs en SI aurait ainsi sa solution en l’ab- de quoi que ce soit est fonction de la posture épis-
sence de théories englobantes en SI. Les nombreux témologique adoptée, déterministe ou subjecti-
chercheurs qui focalisent leur recherche sur un viste. Et que ce choix n’est donc pas scientifique-
élément du processus utiliseraient des paradigmes ment neutre.
différents selon qu’ils veulent analyser ou com-
prendre. Ainsi pour analyser le processus de dif-
fusion d’une production écrite, ils s’appuieront sur
la « théorie de l’information » ; pour comprendre
le jeu de rôle dans un système documentaire, ils
prendront la « théorie systémique des communi-
cations « ; pour comprendre comment est saisi le
contenu informationnel d’un texte, ils utiliseront
5 La Science de
l’information, une partie
des Sciences de l’information
« la communication-processus de transforma-
tion », etc. et de la communication
Reste enfin que nombre de chercheurs en SI
situent leur travail dans le cadre des systèmes Au terme de ce parcours, que conclure ? Le
techno-sociaux de recherche d’information. Ils chercheur en Science de l’information se trouve
face à deux possibilités, et cette alternative, répé-
15 Les intitulés des emplois ouverts à la candidature en 71e tons-le, n’est pas neutre scientifiquement : soit on
section du CNU en 2001, en particulier en « maître de définit la SI en recherchant un objet et ensuite une
conférences », illustrent dangereusement cette tendance. théorie ; soit on choisit une posture épisté-
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vol. 26, n° 2
SI, comme d’ailleurs dans les SIC. Le choix se fera
[12] La Science de l’information, Yves-François Le Coadic.
entre le déterminisme à causalité linéaire (cause-
Paris, PUF, 1994. (Que sais-je ?)
conséquence) et le subjectivisme à causalité cir-
[13] Bibliothéconomie, documentation et science de l’infor-
culaire (interaction). En fait la posture dépend de
mation, Jesse H. Shera. Bulletin de l’Unesco à l’intention des
la place que l’on attribue à l’homme « rechercheur
bibliothèques, 1968, vol. 22, n° 2
d’information », et donc de l’attitude (prévisible,
[14] The Foundations of information science: part 1, philoso-
semi-prévisible ou imprévisible) qu’on lui recon-
phical aspects, Bertram C. Brookes. Journal of Information
naît comme acteur.
Science, 1980, vol. 2, n° 6
À moins que ce ne soit tout simplement la pos-
[15] Documentation and the organization of knowledge, Jesse
ture du chercheur en Science de l’information :
H. Shera. Lockwood, 1965
pense-t-il être capable d’expliquer, pour les corri-
[16] France, ton « IST » fout le camp ! Serge Chambaud, Denis
ger, tous les processus de recherche d’information,
Varloot. Le Monde, 11 novembre 1997
ou aimerait-il simplement pouvoir les com-
[17] Science de la communication, Jean-François Tétu. In : Dic-
prendre ?
tionnaire encyclopédique de l’information et de la documen-
MARS 2001
tation, sous la dir. de Serge Cacaly. Paris, Nathan, 1997
[18] Les théories de la connaissance, J.-M. Besnier. Paris, Flam-
marion, 1996. (Dominos)
[19] Science de l’information, Yves Le Coadic. In : Dictionnaire
encyclopédique de l’information et de la documentation, sous
la dir. de Serge Cacaly. Paris, Nathan, 1997