Vous êtes sur la page 1sur 3

‘Les meilleurs tragédies sont celles où des personnages sont introduits, qui ne sont ni tout à fait bons,

ni tout à fait méchants… Aussi, faut-il s’efforcer, autant que possible, d’y présenter des héros, ni
entièrement bons, ni entièrement méchants, et qui tombent dans le malheur plutôt par une erreur
humaine qu’à cause d’un crime […] à moins qu’ils n’agissent en criminels, mais poussés par la
nécessité, ou par une raison supérieure […] Encore ne faut-il pas croire que cette règle soit
inviolable : Egisthe et Clytemnestre sont tout à fait méchants ; Electre, toute bonne, est héroïne de
tragédie ; Oreste est plutôt bon que mauvais. Agamemnon ne peut être dit mauvais, car s’il sacrifie en
Aulide sa fille Iphigénie, il ne le fait que sur l’ordre d’un oracle, et tout à fait malgré lui. On aurait
tort, de même, de placer Hercule à mi-chemin du bien et du mal : la vertu en lui l’emporte. Ainsi ne
pensons pas que soient fautives les tragédies où l’on procède autrement qu’Aristote ne l’a prescrit  ;
mais estimons qu’il n’a défini que le meilleure type de tragédie.’ – Gérard Jean Vossius, Poétique,
Livre II, chap. XIII.
‘A perfect tragedy should, as we have seen, be arranged not on the simple but on the complex plan. It
should, moreover, imitate actions which excite pity and fear, this being the distinctive mark of tragic
imitation. It follows plainly, in the first place, that the change of fortune presented must not be the
spectacle of a virtuous man brought from prosperity to adversity: for this moves neither pity nor fear;
it merely shocks us. Nor, again, that of a bad man passing from adversity to prosperity: for nothing
can be more alien to the spirit of Tragedy; it possesses no single tragic quality; it neither satisfies the
moral sense nor calls forth pity or fear. Nor, again, should the downfall of the utter villain be
exhibited. A plot of this kind would, doubtless, satisfy the moral sense, but it would inspire neither
pity nor fear; for pity is aroused by unmerited misfortune, fear by the misfortune of a man like
ourselves. Such an event, therefore, will be neither pitiful nor terrible. There remains, then, the
character between these two extremes- that of a man who is not eminently good and just, yet whose
misfortune is brought about not by vice or depravity, but by some error or frailty. He must be one who
is highly renowned and prosperous- a personage like Oedipus, Thyestes, or other illustrious men of
such families.’ Aristotle, Poetics, Part XIII.
‘Je puis dire donc que j'ai été très heureux de trouver dans les Anciens cette autre Iphigénie, que j'ai
pu représenter telle qu'il m'a plu, et qui tombant dans le malheur où cette Amante jalouse voulait
précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant tout-à-fait indigne de
compassion […] Mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le
plus savant peuple de la Grèce, et qui ont fait dire, qu'entre les poètes, Euripide était extrêmement
tragique, c'est à dire qu'il savait merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les
véritables effets de la tragédie.’ – Racine, Préface d’Iphigénie
‘On peut voir […] un conscient défi au goût nouveau, et la volonté […] de renouer avec la véritable
tradition tragique, contre la galanterie et le romanesque […] s’il n’entend pas sacrifier la vérité
historique aux facilités des intrigues de roman, il n’entend pas davantage renoncer à la vérité humaine
pour se jeter dans « l’extraordinaire » : dès 1668, dans la Préface d’Andromaque, il renvoie les
cornéliens épris de perfection héroïque aux exigences d’Aristote, qui veut que les héros de la tragédie
ne soient, « ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. »’ – Jacques Morel, La Tragédie, p. 61
‘You, that write, either follow tradition, or invent such fables as are congruous to themselves. If as
poet you have to represent the renowned Achilles; let him be indefatigable, wrathful, inexorable,
courageous, let him deny that laws were made for him, let him arrogate everything to force of arms
Let Medea be fierce and ‘un-tractable,’ Ino an object of pity, Ixion perfidious, Io wandering, Orestes
in distress. If you offer to the stage anything un-attempted, and venture to form a new character; let it
be preserved to the last1 such as it set out at the beginning, and be consistent with itself. It is difficult
to write with propriety2 on subjects to which all writers have a common claim; and you with more
prudence will reduce the Iliad into acts, than if you first introduce arguments unknown and never
treated of before. [Horace, the Art of Poetry, Lines 119-130]
‘Ajoutons aussi que, si les dieux des tragédies raciniennes sont des idoles païennes, c’est qu’au XVIIe
siècle, le chrétien Racine ne pouvait plus, ou ne pouvait pas encore, représenter le Dieu chrétien et
janséniste sur les planches, de même que si, à l’exception de Titus, les personnages tragiques de ses
pièces sont des femmes, c’est que la passion est un élément important de leur humanité, ce que le
XVIIe siècle aurait difficilement accepté d’un personnage masculin.’ – Goldman, Le Dieu Caché, p.
352
‘Or, c’est ici que la pièce, qui avait commencé comme tragédie, tourne au drame. La réponse
d’Andromaque, tout en ayant à première vue la véracité absolue qui caractérise le personnage
tragique, nous semble déjà contenir en germe sa « faute » future. Elle oppose à Pyrrhus les exigences
de l’éthique et de la grandeur humaine […] [Seigneur, que faites-vous … Achille] Sans doute
Andromaque pense-t-elle réellement tout ce qu’elle dit. Ce sont ses propres valeurs, son essence
même qu’elle exprime. C’est ainsi qu’elle agirait si elle était à la place de Pyrrhus. Mais elle n’a et ne
peut avoir aucune illusion sur la possibilité de lui faire comprendre ses paroles. Le monde des vérités
absolues est pour lui un monde fermé. Pourtant, elle feint de lui parler réellement et en toute bonne
foi. Il y a dans ces paroles d’Andromaque lorsqu’elles s’adressent à Pyrrhus quelque chose qui tient
de l’ironie ou de la ruse, car elle parle au fauve comme si elle parlait à un homme. […] Pour le
personnage tragique, il y a sans doute ici faute, mais faute à peine esquissé et qui restera telle, même
dans le mariage avec Pyrrhus. Andromaque annonce Phèdre, mais l’annonce seulement car elle n’est
jamais prise elle-même par l’illusion de pouvoir vivre dans le monde et de se réconcilier avec lui […]
C’est pourquoi Andromaque, tout en approchant de très près l’univers tragique, n’y est cependant pas
entrée […] Si Andromaque devait rester une tragédie, il fallait, à partir de la scène 4, la traiter en
coupable qui finit comme Phèdre par reconnaitre sa faute.’ – Goldman, Le Dieu Caché, pp. 357-358
‘Mais à réflexion, la mort d’Eriphile est-elle vraiment un signe de la justice des dieux ? […] L’oracle
qui condamne Eriphile a été prononcé plus d’un mois avant le début de la journée où elle essaye de
livrer Iphigénie à Calchas […] Eriphile est-elle donc punie pour le crime d’Hélène ? […] Mais en fait
Eriphile se range parmi les personnages raciniens qui se détruisent par leurs propres passions, et elle
est sans doute être maudit en tant qu’être passionné. La langue de Racine nous révèle à quel point
passion et destin se confondent chez elle. […sa noire destinée/ Et ses propres fureurs.] Mais en fait le
dilemme d’Agamemnon est un faux dilemme puisque le destin est un faux destin, et l’angoisse qu’a
provoquée l’oracle tournait à vide pour lui comme pour tous les autres personnages […] Racine a joué
avec le spectateur comme il a joué avec les personnages de la pièce. C’est uniquement parce que la fin
correspond à « l’accomplissement de désir », « Wunscherfüllung » selon le terme de Freud, qu’ils ne
poseront pas de questions sur le sens du caprice des dieux ni sur leur existence.’ – Zimmerman, La
Liberté et le destin : Racine, p. 81
‘L’exécution de « l’impie étrangère », comme celle d’Eriphile, est un acte de purification qui restaure
la vie normale des persécutés, en l’enrichissant […] Athalie est inapte à l’univers de la grâce, à la
cérémonie inscrite dans le temps ; son exclusion, son « extermination » au sens étymologique et en
partie racinien du mot, permet enfin au jeune héros évincé du pouvoir de prendre son royaume […]
L’exclusion d’Athalie devient encore plus radicale, et ironique, du fait des ressemblances qui existent
entre son univers et celui qui la rejette. Les correspondances les plus évidentes, souvent remarquées,
percent dans les rapports avec la mort et la pitié […] Normalement le héros racinien déchaîne les
forces de la mort, ou risque de le faire ; c’est à travers lui que la mort envahit, ou s’apprête à envahir,
le monde tragique […] Athalie diffère d’eux ; elle n’est pas plus meurtrière que les serviteurs de Dieu.
[Les spectateurs doivent néanmoins être satisfaits de sa mort [haine, maternité antinaturelle]’ –
Edwards, La Tragédie Racinienne, pp. 314-315
‘C’est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer, et ma tragédie n’est pas moins la disgrâce
d’Agrippine que la mort de Britannicus. Cette mort fut un coup de foudre pour elle.’ – Racine, Préface
de Britannicus
Britannicus – ‘Le seul nom de Junie échappe … sur ses jours.’
‘Are we then to follow Jasinki’s lead and see the play as an attempt by Racine to inspire pity for
Néron? In his book: Vers le Vrai Racine (1958), Jasinki argued that Néron was not depraved, but
merely weak. He is, we are told a ‘poignant’ character: ‘Le fond de son coeur est resté pur.’ To accept
this would be, for me, not merely to dismiss Racine’s own evidence in the Preface, but also to dismiss
my own experience of the play.’ – Nurse, p. 216
‘One major conclusion which I could draw from this is that we can go hopelessly wrong by seeking to
imprison Racine’s concept of the tragic in a narrow formula, and more especially, by building such
formulae exclusively upon an aesthetic of pity […] and this brings me to a second conclusion, namely
that the total effect of the play is not to be limited in terms of our response to any specific characters,
but rather to the global movement of the action […] the ‘pity’ is not necessarily for one character or
another; it is a reaction, inseparable from the ‘shudder,’ essentially born of an intellectual perception
of the structure of events.’ – Nurse, p. 216-217
Aristotle, character as being subordinate to action, ‘without seeing anything, the fable ought to have
been plotted that, if one hears the bare facts, the chain of circumstances would make one shudder and
pity.’ – Poetics
‘Quand il se croyait un héros, le fils d’Achille n’était qu’un tueur […] Sa mort, Pyrrhus la cherche  ;
mais ce n’est pas pour se punir […] de sa rébellion. Ni même pour en esquiver les conséquences.
Pyrrhus meurt pour Andromaque ; et pour Troie. Sa mort annule enfin tous ses crimes.’ – pp. 50-51
‘Nous savons en effet que la veuve d’Hector, en succédant à Pyrrhus, redevenait violente, et retombait
dans le monde des hommes. Junie ne connait jamais cette chute. Sa vertu est sans faille, et vraiment
divine […] Ce personnage nous indique plusieurs vérités. Que la vertu et le monde sont
inconciliables. Que la sainteté ne peut vivre que dans l’ombre ou près des autels sacrés. Enfin, que
Dieu reconnaît toujours les siens.’ – pp. 71-72
‘Dans cette journée, les rois héroïques et les reines vertueuses sont esclaves de leur passion et de leurs
nerfs. Instables, agités, violents parfois, prompts à s’aveugler, lents à se ressaisir, ils se ressemblent
tous trois dans leur égarement. L’action est vraisemblable. Les personnages se troublent et se
contredisent comme des hommes passionnés.’ (p. 82)
[Titus, pompe] ‘Au fond, ce sont deux formes de gloire qui s’opposent en lui. Il est déshonorant de
trahir la princesse Atalide, à laquelle sa mère l’a unie, et qui l’a si fidèlement aimé. Mais il est
déshonorant aussi de continuer traîner dans le sérail cette existence molle et stérile, alors que le trône
et l’action lui sont enfin permis.’
‘Ce personnage doit être purifie des pieuses légendes de la critique ancienne. Atalide n’est pas une
sainte. Elle ne ment pas seulement à la sultane. Elle ment à Acomat, qui doit l’épouser, et auquel elle
n’a jamais révélé sa liaison avec Bajazet. Elle ne voit d’autre solution que le compromis et le
mensonge. […] Atalide devrait être une autre Junie. Sa fausse pureté ne lui interdit pas de mentir, ni
de se compromettre ; plutôt qu’à l’amour, elle obéit à des craintes nerveuses.’ – pp. 98-99

Vous aimerez peut-être aussi