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Lart Sans Qualites
Lart Sans Qualites
DU MÊME AUTEUR
La Maison de Wittgenstein
PUF, “Perspectives critiques”, 1998
L’Homme exact,
essai sur Robert Musil
Le Seuil, 1997
Lire Rorty
Le pragmatisme et ses conséquences
(sous la direction de Jean-Pierre Cometti)
L’Éclat, “Lire les philosophes”, 1992
farrago
À Guillaume
Franz Erhard Walter, Werksatz, MAC Marseille,
Galeries contemporaines des musées de Marseille.
Avant-propos
Ce livre est consacré à l’art du XXe siècle, ainsi qu’aux théories ou aux
idées qui s’y sont frayé un chemin, d’une façon qui n’est pas toujours
claire, dans le maquis des convictions qu’il a épousées. Ces convictions
sont loin de présenter les contours parfaitement nets qui permettraient de
saisir aisément les éventuelles filiations ou les influences autour desquelles
ont respectivement vu le jour les conceptions qui se sont imposées
dans les milieux artistiques, chez tel ou tel artiste, au sein de tel ou tel
mouvement, ou chez ces professionnels des idées que sont les critiques
et les philosophes.
Par chance, comme on s’en rendra très vite compte, s’il s’agit ici d’idées
et de pratiques, il ne s’agit pas, stricto sensu, d’histoire des idées, et encore
moins d’histoire de l’art. La tentative à laquelle je me suis efforcé relève de
l’essai. Elle comporte, à ce titre, sa part d’incertitude, mais la mise à
l’épreuve qui en est solidaire, pour les conceptions ou les idées qui en font
partie, devrait apporter sa part de récompense, même si ce ne peut être
sous la forme d’une explication ou d’une solution qui permettrait d’aborder
efficacement les problèmes qui en constituent l’enjeu. Sur le terrain où je
m’apprête à m’engager, les problèmes ne manquent pas. Nous en rencon-
trerons quelques-uns. Si je ne m’y suis pas intéressé dans cette optique, en
me proposant d’en entreprendre réellement l’examen, c’est parce que la
situation à laquelle ils renvoient m’a paru significative en elle-même,
et que sans vouloir réhabiliter davantage un « esprit du temps » où les
éléments qui en font partie pourraient se dissoudre ou s’éclairer miracu-
10 L’Art sans qualités
&
&
Ayant parlé de « prix », pour indiquer que l’une des prémisses majeures
de ce livre réside dans le refus d’attribuer aux œuvres d’art des propriétés
objectives intrinsèques, je ne peux totalement ignorer les discussions qui,
12 L’Art sans qualités
un jeu de miroirs dont les axes de symétrie renvoient dos à dos la spiri-
tualité illustrée par Diotime et ses admirateurs et l’abstraction de la vie
qu’Ulrich intègre à la sienne jusqu’à ne plus avoir d’autre « qualité » que
les possibilités indéfinies qui se conjuguent en lui, sans en exclure ou en
retenir aucune en propre.
Des effets liés à cet état de chose, le roman de Musil est abondamment
nourri. Un aspect intéressant de la complémentarité dont les personnages
d’Ulrich et de Diotime permettent de cerner les contours tient à ce que
les deux figures d’apparence rivale qui s’incarnent en eux peuvent signifi-
cativement être rapprochées d’un ensemble de faits qui en sont comme
des variantes dans l’évolution générale de l’art depuis la fin du XIXe siècle.
Prenons-en rapidement un exemple emprunté à l’histoire du modernisme
et aux points de rupture qui marquent la situation de l’art contemporain,
avant d’en étudier plus précisément quelques aspects majeurs dans le
chapitre suivant.
Généralement, lorsqu’on s’attache à retracer le développement de
l’abstraction picturale, on insiste sur les processus et les choix à la faveur
desquels des peintres comme Mondrian, Malevitch ou Kandinsky, pour
ne citer qu’eux, ont abandonné tout souci de « représentation ». La mise
en question de la représentation, et par conséquent de la figuration, est
sans aucun doute liée au développement de l’abstraction picturale, mais
l’un de ses motifs les plus puissants en a été, comme les trois exemples
cités permettent aisément de s’en convaincre, un fort élan spirituel qui
adopte très précisément les formes d’une voie négative, tant sur le plan de
la pensée que sur le plan strictement pictural.
Sans un tel élan, tel qu’on peut en apprécier l’ampleur chez les trois
peintres cités, il n’y aurait probablement pas eu d’abstraction – il me
semble que c’est l’une des choses qui sépare fondamentalement les pion-
niers de l’abstraction des peintres cubistes, par exemple. Mais ce qu’il est
opportun d’en retenir, dans le cas présent, c’est que l’art qui en est issu est
un art dont les ressources spirituelles sont liées à un processus soustractif
et à une quête de la pureté dans laquelle il me semble permis d’apercevoir
la contrepartie d’une indétermination qui est au cœur de l’art ou du moins
de ce qui le constitue historiquement.
24 L’Art sans qualités
peut dire que la figure d’Ulrich, dans L’Homme sans qualités, en constitue
aussi une illustration, du genre de celle que seul le roman est peut-être en
mesure de fournir. Car quelle est, si je puis dire, l’ontologie d’Ulrich ? Il
n’est pas bien difficile de voir que le personnage de Musil est fait de tous
les autres personnages et d’aucun, que sa particularité est de ne pas en
avoir, non pas au sens où il serait à proprement parler privé de qualités,
mais au sens où aucune ne lui appartenant en propre, il les possède
virtuellement toutes. Telles sont aussi ses vertus, et telles me semblent être
celles de ce que l’on continue à appeler « art », et que l’art contemporain,
à sa manière, dans ce qui l’oppose aux orthodoxies des avant-gardes, nous
rappelle opportunément, au même titre que la littérature ou la poésie, de
manière ambiguë, dans ses ambitions ou ses hésitations équivoques entre
l’aspiration à une langue pure et sa fascination pour l’ordinaire.
2 . La nécessité intérieure
sionnelle, et a trouvé chez ces très grands artistes une expression décisive.
Il serait inutile de multiplier les exemples qui en témoignent. Le souci de
la pureté les a conduits à privilégier un type de recherche dont l’aboutis-
sement fut celui d’un art « pur », au sens où ils l’entendaient, ainsi qu’une
conception téléologique de l’histoire de l’art 5.
Sous cet aspect, et de manière très précise, les écrits que Kandinsky a
rassemblés sous le titre Du spirituel dans l’art ou dans « La peinture en tant
qu’art pur », de 1913, sont particulièrement révélateurs 6. L’art y parle le
langage de l’absolu. Dans l’abstraction, le désir de pureté conduit au désir
d’« incorporer l’œuvre d’art dans des formes “non matérielles” » : « les
créations de l’art, au sens le plus pur du mot, sont des êtres spirituels qui
n’ont pas d’usage pratique et qui n’ont donc aucune valeur matérielle 7 ».
De même, pour Mondrian qui récuse la référence à l’extériorité, l’idéal de
pureté épouse un modèle platonicien qui s’illustre dans une forme d’ascè-
se. « Il nous faut maintenant, écrit-il, voir au-delà de la nature ; mieux,
nous devons pour ainsi dire voir à travers la nature. Nous devons nous
efforcer à un regard plus profond, plus abstrait et par-dessus tout universel.
Alors nous pourrons voir la nature comme une relation pure […] Pour
cela, nous devons d’abord nous libérer de l’attachement à l’extériorité, ce
n’est qu’alors qu’il nous sera permis de nous élever au-dessus du tragique
et de contempler consciemment le repos en toute chose ».
« Si tout art a démontré que pour établir la force, la tension et le mou-
vement des formes, ainsi que l’intensité des couleurs de la réalité, il est
nécessaire qu’elles soient purifiées et transformées ; si tout art a purifié et
transformé, purifie et transforme encore ces formes de la réalité et leurs
relations mutuelles ; si tout art est ainsi un constant processus d’appro-
fondissement, pourquoi, dans ce cas, s’arrêter à mi-chemin ? »
Je cite ces textes pour mémoire. L’idée de la pureté qui s’y exprime fait
entendre ici l’écho des paradoxes de l’absence de qualités qui ont été évoqués
en commençant. Un commentaire plus attentif montrerait que le mot
« pureté », ainsi que les expressions qui lui sont sémantiquement associées,
forment un faisceau de notions, une métaphysique, dont l’art de Mondrian
et celui de Kandinsky sont éminemment représentatifs. Cette métaphy-
sique n’est pas un phénomène de surface ; elle a donné à la peinture
30 L’Art sans qualités
Le goût de l’indéfinissable
les formes qui donnent un sens à notre regard, est aussi ce qui retient
invinciblement notre attention dans les esquisses des peintres, souvent
plus belles, à nos yeux, que les œuvres achevées, comme la splendide
esquisse du « Combat de lions » de Delacroix, au musée d’Orsay. Inutile
de multiplier ce genre d’exemple. On en retiendra que la dimension par
laquelle les cas mentionnés participent de l’indéfinissable n’est nullement
contingente, accidentelle, et qu’elle n’est certainement pas davantage un
défaut dont les œuvres ou les artistes concernés se seraient inopportuné-
ment rendus coupables. En fait, selon une seconde hypothèse qui, je crois,
mérite considération, on peut se demander si dans les cas mentionnés
nous n’avons pas déjà affaire à une remise en question – à travers ce qui
se présente comme un processus de dissolution des tracés et des cohérences
qui confèrent à toute image une cohésion qui paraît être la condition de son
sens – du paradigme de la création esthétique et de la mythologie d’un sujet
de la création, présupposé dans l’ordonnance des œuvres et des matériaux
qui en font partie 5.
On peut toujours, à ce sujet, comme l’a fait Heidegger, interroger ce
que l’« être-œuvre » doit à l’« être-produit » et à la tradition métaphysique
aristotélicienne 6. Il suffit cependant de songer au modèle de la création
musicale et à ce qui l’apparente à un paradigme théocentrique de l’engen-
drement des œuvres. On mesure alors beaucoup mieux ce qui subordonne
l’œuvre comme telle, avec ses agencements internes – sa structure –
essentiellement syntaxiques, le sens lui étant donné de surcroît, comme un
effet mystérieux de la grâce, à un acte qui l’arrache au néant, et que l’on
considère généralement comme un acte de la pensée. Ces choses-là sont
suffisamment triviales pour qu’il soit inutile d’y insister. Selon un schéma
traditionnel, la « création », stricto sensu, est associée à l’idée d’une double
relation interne. Une première relation associe l’œuvre à l’intention qui
préside à sa naissance. Une seconde relation, qui est aussi fonction de la
première, intègre les composantes de l’œuvre au sein d’une structure
qui en contient les développements possibles, à la manière des monades
leibniziennes. Ce simple fait en entraîne une foule d’autres, mais ce
modèle d’une double relation interne s’illustre dans les conceptions qui
considèrent l’œuvre comme l’effet d’une composition qui doit d’abord se
Les vertus de l’entre-deux 43
Le vague à l’âme
Il va sans dire que les modifications que cela entraîne au regard des
œuvres, de leur ontologie et de l’expérience esthétique n’est pas seulement
important pour la compréhension des œuvres comme telles, mais pour le
type de réponse que nous pourrions apporter aux questions que pose la
notion même d’« œuvre d’art ». Il ne nous faut peut-être pas seulement
renoncer aux illusions qu’entretient l’idée d’un art autonome, pur ou
désintéressé ; il nous faut aussi réinscrire l’art dans une expérience et
dans des conditions qui débordent l’idée étroite que nous sommes le plus
souvent enclins à adopter. Pour cela, il faut faire le vide : le vide du sujet
50 L’Art sans qualités
Ludwig WITTGENSTEIN
Que l’art soit « sans qualités », au sens où cette notion a été mobilisée
jusqu’ici, cela ne veut pas seulement dire que la possibilité en excède tou-
jours quelque essence ou quelque origine que ce soit ; plus profondément,
peut-être, l’« usage » – en entendant par là ce qui ne saurait être détaché
ni pensé indépendamment de ce que nous faisons – me semble en être la
« règle », l’erreur majeure consistant précisément à imaginer une règle
antérieure à toutes ses applications, et qui en serait ainsi indépendante.
La conception de la règle que j’introduis ici est étroitement liée à l’une
des vues les plus intéressantes de la pensée de Wittgenstein. Elle est aussi
très riche de conséquences pour les questions qu’on a coutume de poser
en esthétique ; en outre, elle est en quelque sorte exemplifiée de façon per-
tinente et éclairante dans le travail de plusieurs artistes contemporains,
comme je voudrais maintenant le montrer en m’arrêtant un moment sur
plusieurs aspects de l’œuvre de Soun-gui Kim.
Soun-Gui Kim, Après la pluie, œuvre photographique, 1998.
Les paradoxes de l’usage 55
L’art et le geste
Le silence et l’ordinaire
quelle autre œuvre exposée. Le rapport entre ces deux volets de l’œuvre,
qui peut se voir ainsi attribuer un double statut, est de même nature que
la réversibilité qui relie l’installation ou l’accumulation à la compression,
le collage au décollage ou aux affiches lacérées, le pli au dépli, à ceci près
que l’espace y reçoit une double qualification : intérieure, et en quelque
sorte privée, dans un cas, liée au retrait de l’œuvre ; pragmatique et tran-
sactionnelle dans l’autre, s’ex-posant au partage dans l’espace commun.
L’absence de qualités s’illustre ici dans deux types d’opérations inverses qui
ne conspirent vers aucun centre et opèrent de façon tantôt conjonctive,
tantôt disjonctive.
Ce qui se manifeste ici pourrait être étayé par des exemples musicaux.
Non pas seulement ceux qui illustrent des processus d’échange entre formes
sonores et modèles naturels destinés à être intégrés ou compris du dedans,
comme on le voit, peut-être, de manière différente, chez Xénakis et chez
Messiaen, mais à la lumière du partage où le hasard entre dans le déroule-
ment temporel de l’œuvre, se prête à un nomadisme qui peut faire penser
aux chants des aborigènes, eux-mêmes comparables à des cartes : « Le chant
qui trace un itinéraire est l’équivalent d’un titre de propriété chez les abo-
rigènes. Cependant, ces lignes ne constituent jamais des frontières. Elles ne
se bouclent pas, ne se referment pas sur elles-mêmes […] La différence est
ici entre s’approprier la terre et s’approprier à la terre. S’approprier la terre,
c’est la considérer comme un territoire clos que l’on domine. S’approprier
à la terre, c’est la considérer comme un site que l’on traverse 12. » Les
musiques nomades ont elles aussi affaire au « vide » de Rauschenberg.
Action !
rience esthétique est constituée valent sans doute mieux – d’un point de
vue pratique et théorique – que les catégories dans lesquelles nous les
enfermons 24. Comme le suggérait Wittgenstein, nos jeux de langage
esthétiques communiquent, en un sens, avec la totalité de nos jeux de
langage, raison pour laquelle l’art est toujours hors de soi 25.
On pourra toujours penser que ces remarques privilégient une dimen-
sion méta-artistique ou méta-esthétique n’ayant pas grand-chose à voir
avec ce que nous admirons dans les œuvres qui ont généralement notre
faveur. Ce n’est pourtant que de manière artificielle, et pour des raisons
qui tiennent à une forme de fétichisme à laquelle notre tradition artis-
tique nous pousse en permanence, que l’on peut tracer une démarcation
entre l’art en théorie et l’art en action. Les œuvres paradoxales, comme
celles de Cage, nous le rappellent ironiquement, et c’est aussi ce que nous
montrent les labyrinthes de Robert Morris, les installations vidéo de
Bruce Nauman ou l’art de Robert Smithson. Pour Smithson, rien, en
effet, n’est jamais « isolé du tout ». Comme il le suggérait dans un texte
de 1970 : « l’homme, en tant qu’objet, chose ou mot pourrait bien être
emporté comme un coquillage échoué sur la plage et alors l’océan se ferait
connaître. Comme les critiques d’art, les artistes ont longtemps considéré
le coquillage sans le contexte de l'océan 26. » C’est même ce que pourrait
suggérer la lecture d’un texte célèbre de Heidegger où il évoque le « rayon
de présence » des œuvres et ce qui les en « arrache 27 ». Heidegger avait
raison de placer les œuvres en relation avec des conditions dont il jugeait
impensable de les détacher, sauf à les livrer à l’industrie artistique. Son
erreur était seulement d’attribuer à ces conditions une signification exclu-
sive et en quelque sorte sacrée. Peut-être appartient-il aux penseurs alle-
mands d’avoir éprouvé cette sorte de nostalgie. Même Benjamin n’y
échappe pas. Mais les artistes n’ont jamais été réellement tentés par ce type
de Schritt zurück. Chemin faisant, on a vu ce que notre expérience de l’art
devait à la tradition historique qui en a institutionnellement consacré
l’autonomie et ce qu’elle doit aussi à nos pratiques, quels qu’en soient les
objets. Il était probablement inévitable que nos conceptions privilégient,
comme elles n’ont cessé de le faire, une vision de l’art que le romantisme
a certainement porté à son comble en faisant du poète ou de l’artiste le
L’expérience extérieure 73
vicaire de l’absolu 27. Comme pour beaucoup d’autres choses, il est temps
de revenir, non pas en arrière, à la faveur de quelque Schritt zurück, mais
ici même : down to earth, comme disait volontiers Dewey. Généralement,
cela ne se fait pas sans mal, comme en témoignent les innombrables
« actions parallèles » ou les « retours » – du Sens, de la Morale, des Valeurs,
du Sacré, que sais-je ? – qui nous sont régulièrement annoncés, au rythme
de chaque année scolaire, comme aurait dit Musil. À ces reculades sans fin,
s’opposent de façon plus intéressante et plus décisive les expérimentations
indifférentes aux frontières ou aux hiérarchies établies entre les genres, les
styles ou les pratiques canonisées. L’art du XXe siècle n’a guère cessé d’en
être le terrain privilégié, même si la part prise aujourd’hui par les institu-
tions et leurs agents, à commencer par l’État, dans des pays comme la
France, tend à en obscurcir les sources et les effets. Le « sens du possible »
dont L’Homme sans qualités, dans le roman de Musil, découvre le prix en
est peut-être la plus juste expression. L’audace qu’il fonde, à l’image des
pratiques les plus fécondes et les plus sincères qui sont en œuvre dans l’art
contemporain, apporte la réponse que réclame l’« absence de qualités » à
partir du moment où l’on a compris que les pertes qui nous menacent,
loin de déboucher sur un cataclysme réputé engloutir toute valeur ou sur
quelque joyeuse apocalypse, lèvent au contraire les hypothèques que nous
n’avons que trop tendance à imposer à l’art, comme à nos idées, et par
conséquent à ce qu’il en adviendra. Il serait vain, à ce sujet, de céder aux
illusions de la fin de l’art ou aux séductions de la post-modernité. Nous
n’aurions guère plus de raison de réhabiliter le genre de vision de l’histoire
que les avant-gardes ont privilégié. Les présupposés auxquels elles font
également appel communiquent en cela qu’ils se montrent indifférents ou
aveugles à ce que nos pratiques ou nos comportements, en particulier sur
le plan artistique, contiennent d’imprévisible, à ce qui les relie à d’autres
pratiques et à d’autres comportements, et surtout à ce qui échappe, en
elles comme en eux, aux seules idées. La part que l’on a tendance à attribuer
au concept, dans l’art moderne et contemporain, quoique juste en son
principe, présente l’inconvénient de nous faire oublier que la dimension
expérimentale de ses œuvres les plus significatives ne peut précisément s’y
réduire, et que c’est probablement sous l’effet d’une illusion, pour ne pas
74 L’Art sans qualités
1. Robert Musil, L’Homme sans qualités, trad. Philippe Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1957.
2. Voir R. Musil, « L’Homme allemand comme symptôme », in Essais, Paris, Le Seuil,
1984, p. 344. L’usage que je fais ici du mot « symptôme » ne doit rien à la psychanalyse.
Il ne vise pas davantage quelque chose qui serait de l’ordre d’une essence, pas plus qu’un
sens qui circulerait, de façon plus ou moins diffuse, dans les coulisses de la culture ou de
l’art. Il se rattache plutôt à la mise en relief de parentés qui me semblent en tant que telles
intéressantes, par le jeu de leurs éclairages respectifs.
3. Cf. R. Musil, « L’Allemand comme symptôme », in Essais, trad. Philippe Jaccottet,
1984.
4. Cf. par exemple, Gérard Genette, L’œuvre de l’art, 2 vol., Paris, Le Seuil, 1994 et 1997.
5. L’art, les pratiques artistiques et les comportements esthétiques définissent un champ
dont l’autonomie présumée entre en fait en relation avec une multitude de conditions et
de facteurs qui font de toute question « esthétique » un problème à faces multiples. En
même temps, les questions qui s’y posent – en partie pour cette raison – possèdent à bien
des égards une signification philosophique cruciale. C’est une chose que Danto a bien vue,
toute autre considération mise à part.
6. Une partie des matériaux destinés au présent ouvrage a été présentée en différentes
occasions, en particulier à Clermont-Ferrand, en 1997, lors du colloque « Poétiques de
l’indéterminé », organisé par Valérie-Angélique Deshoulières, à Rennes, en 1997, lors des
journées organisées par Roger Pouivet autour des questions d’ontologie de l’œuvre d’art,
et à Pau, en 1997 et 1998, dans le cadre des colloques du CICADA organisés par Bertrand
Rougé. Ils ont fait l’objet d’une première publication dans V.-A. Deshoulières, Poétiques
de l’indéterminé, Université Blaise Pascal, 1998, Pratiques, 3/4, automne 1997, Presses
Universitaires de Rennes, et dans Il Particolare, 1, Marseille, 1999.
1. EMBLÈMES DU VIDE
moins une sorte de répétition, de générale, comme au théâtre, de tout ce qu’un monde
qui ne sait plus où donner de la tête peut encore imaginer.
12. L’Homme sans qualités, op. cit., chap. 4 : « L’homme qui en est doué ne dira pas : ici
s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici
pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d’une chose qu’elle
est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre. »
13. Clement Greenberg, Art et culture, trad. Ann Hindry, Paris, Macula, 1998.
14. Cf. Rosalind Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, trad. J.-
P. Criqui, Paris, Macula, 1993.
15. Cf. Harold Rosenberg, parlant d’« objets anxieux » et de « désesthétisation » de l’art :
La dé-définition de l’art, trad. C. Bounay, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1992.
16. L’indétermination qui entre dans l’absence de qualités, le défaut de propre, est au prin-
cipe de liaisons, de passages, qui déjouent les hiérarchies et leur substituent des transitions
nomades
17. Voir l’intéressante correspondance Cage-Boulez éditée par J.-J. Nattiez : Pierre Boulez-
John Cage, Correspondance, Paris, Christian Bourgois, 1991.
18. Cf. Ludwig Wittgenstein, « Leçons sur l’esthétique », in Leçons et conversations, trad.
J. Fauve, Paris, Gallimard, 1971 ; J. Dewey, Art as Experience, Minton, Balch and
Company, 1935, ainsi que les commentaires de R. Shusterman dans Sous l’interprétation,
Combas, L’Éclat, 1996.
19. Cf. Nelson Goodman, L’Art en théorie et en action, trad. et postface,
J.-P. Cometti et R. Pouivet, Combas, L’Éclat, 1997. L’implémentation désigne l’ensemble
des conditions qui demandent à être réunies ou mises en œuvre, en particulier d’un point
de vue matériel et physique, pour qu’un objet fonctionne esthétiquement de façon opti-
male. Voir aussi « L’art en action », in J.-P. Cometti et D. Soutif, « Nelson Goodman et
les langages de l’art », Cahiers du Musée national d’Art moderne, 41, automne 1992.
1. Ce débat prend aujourd’hui assez souvent la forme d’une discussion fondée sur la
distinction de deux pôles : l’esthétique et de l’artistique. On en trouvera une illustration
dans « L’esthétique / Aesthetics », Revue Internationale de Philosophie, déc. 1996. Ce que
réclament la majorité de ceux qui s’intéressent aux questions d’ontologie, c’est un principe
de distinction entre les œuvres d’art et les simples objets ordinaires. Ce type d’intérêt tend
à l’essentialisme, y compris dans ses formes le plus paradoxales, comme le montrerait
l’exemple de Danto. Mais l’essentialisme n’est évidemment pas le dernier mot, ni le mot
d’ordre obligé de toute interrogation ontologique sur les œuvres d’art. Il s’articule, seule-
ment, à l’une de ses orientations caractéristiques. Sur ces questions, et pour une concep-
78 L’Art sans qualités
tion qui s’écarte toutefois de celle qui m’inspire, voir Roger Pouivet, Esthétique et logique,
chap. V, 1 : « Esthétique et ontologie des œuvres d’art », Mardaga, 1996.
2. Ces différents points mériteraient une analyse séparée. Il faudrait leur associer les
éléments d’un plus vaste débat sur la culture, ainsi que les différentes attaques destinées à
faire valoir les droits d’un art de qualité. Au demeurant, ces débats plaident en faveur de
clarifications de type ontologique ; ce n’est toutefois pas ce qui intéresse majoritairement
ceux qui en sont les protagonistes. Cf. Esprit, 7-8, juillet-août 1991, ainsi que 10, octobre
1992. Sur les choix de Jean Clair, délibérément tournés contre l’art et la situation dénoncés
par les collaborateurs d’Esprit, voir le catalogue Identity and Alterity, Marsilio editori,
1995. Pour un peu de clarté dans des débats qui en ont singulièrement manqué, voir la
réponse de Yves Michaud, toujours dans Esprit, déc. 1993 : « Des beaux arts aux bas arts ».
3. Cf. Mark A. Cheetham, The Rhetoric of Purety : Essentialist Theory and the Advent of
Abstract Painting, Cambridge, 1991.
4. Cf. ibid., chapter 1 : « Out of Plato’s Cave : “Abstraction” in Late Nineteenth-Century
France ».
5. Malevitch nous permet d’en entrevoir l’issue lorsqu’il écrit : « La peinture est périmée
depuis longtemps et le peintre lui-même est un préjugé du passé » (« Introduction à
l’album lithographique », 1920), in Malevitch, Écrits, trad. A. Robel, Ivrea, 1996, p. 238.
6. Du spirituel dans l’art, tr. fr., Gonthier-Médiations ; « La peinture en tant qu’art pur »,
in Regards sur le passé, tr. fr., Paris, Hermann.
7. Cité par M. A. Cheemtham, op. cit., p. 75.
8. Clement Greenberg, « The Newer Locoon », in The Collected Essays and Criticism, 1,
Chicago University Press.
9. Schönberg-Kandinsky, « Correspondance », in Contrechamps, 2, 1984, lettre du 6. 2.
1911.
10. Du spirituel dans l’art, op. cit.
11. C. Greenberg, The Collected Essays and Criticism, op. cit., 4.
12. À titre d’exemple, on peut, une fois de plus, citer Kandinsky, à propos de Picasso, cette
fois : « Picasso cherche à l’aide de rapports numériques à atteindre le « constructif ». Dans
ses dernières œuvres (1911) il arrive à force de logique à détruire les éléments « matériels »,
non point par dissolution, mais par une sorte de morcellement des parties isolées et par la
dispersion constructive de ces parties sur la toile ? Chose étonnante, il semble, en procé-
dant ainsi, vouloir quand même conserver l’apparence matérielle. Matisse : couleur,
Picasso : forme. Deux grandes tendances, un grand but ».
13. A. Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation.
14. Maître Eckhart, Sermons, traduits et commentés par R. Schürmann, Denoël, 1972. Le
second texte est celui de la doctrine du « Château dans l’âme », respectivement, p. 36
Notes 79
et 96. La notion de détachement, présente dans ces textes, joue un rôle central dans la pré-
dication eckhartienne, comme l’a bien montré Rainer Schürmann : « La pensée d’Eckhart
oscille en effet entre l’exigence d’une loi, désappropriation et appauvrissement volontaire,
et l’annonce d’un état : la liberté originaire qu’au fond de son âme l’homme n’a jamais per-
due. Le concept de détachement englobe ces deux aspects. Apprendre à tout laisser, et
comprendre la divinité du fond de l’âme, pour Eckhart est tout un » (R. Schürmann,
Maître Eckhart ou la joie errante, Denoël, 1972, p. 13-14). Cette dialectique est exacte-
ment celle qui anime l’entreprise de Mondrian et de Kandinsky. Elle relève d’une onto-
logie « négative », au sens où l’on parle de « théologie négative ».
15. La pensée de Martin Heidegger est significativement très proche, aussi, de Maître
Eckhart. La pensée de l’« Être », chez lui, ainsi que la « différence ontologique » qui lui est
liée, possède certes un sens résolument profane, mais elle n’en est pas moins proche du
sens de ce que Maître Eckhart désigne par néant, à savoir l’Eigenschaft comme « attache-
ment », « propriété ». Rainer Schürmann, op. cit., analyse de manière intéressante ce qui
rapproche les deux auteurs et ce qui les distingue, p. 340-367.
16. J. Hintikka, « La philosophie contemporaine et le problème de la vérité », Jaakko
Hintikka, colloque de l’Institut Finlandais de Paris, avril 1995, Paris, Vrin, 1998 – notre
traduction.
17. À propos de Wittgenstein et de ce qui apparente la conception du langage du
Tractatus à l’apophatisme, voir P. Hadot, Plotin ou la simplicité du regard, nouvelle éd.,
Gallimard, « Folio-essais », 1997. L’ontologie qui s’y manifeste présente des traits tout à
fait comparables à celle que j’ai tenté de décrire à propos de l’abstraction picturale.
18. L. Wittgenstein, Dictées à Waismann, Paris, PUF, 1997.
19. Rosalind Krauss en a étudié divers aspects, en s’attachant notamment à montrer
comment l’art minimaliste, en particulier dans l’œuvre de Robert Morris, en avait remis
en question les présupposés en un sens proche de celui du second Wittgenstein ou de la
pensée de Donald Davidson. Cf. R. Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes
modernistes, trad. Jean-Pierre Criqui, Macula, 1993, ainsi que « La problématique corps-
esprit », in Robert Morris, Éditions du Centre G. Pompidou, 1995.
20. Charles Taylor, Sources of the Self, Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1989.
1. Ces remarques, ainsi que celles qui suivent, peuvent trouver un éclairage particulier,
quoique différent de celui que je propose, dans l’exposition conçue par Yves-Alain Bois et
Rosalind Krauss : « L’informe, mode d’emploi ». Voir le catalogue de l’exposition publié
par le Centre Georges Pompidou en 1996.
2. Voir I. Kant, Critique de la faculté de juger, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, en parti-
80 L’Art sans qualités
comme « intervalle », à entendre Daniel Charles. Cf. « Chair et Lyse », Musique nomades,
Paris, Kimé, 1998.
13. Cf., à ce sujet, les remarques de Rainer Schürman dans son commentaire des Sermons
du maître rhénan : Maître Ecktardt ou la joie errante, Paris, Aubier, 1972, p. 40.
14. Ces problèmes sont notamment ceux de l’incommensurabilité présumée des schèmes
conceptuels, des langues ou des cultures, ou encore des épistémès, au sens de Foucault. Les
Remarques sur le « Rameau d’or » de Frazer sont, à ce sujet, essentielles. Je m’attache à en
commenter l’importance dans Philosopher avec Wittgenstein, op. cit.
15. Pour être un peu plus précis sur ce point, je veux dire que les aspects « déceptifs » de
l’art contemporain doivent être clairement mis en rapport avec l’abandon de ses points
d’ancrage traditionnels, certes, mais aussi, plus positivement, 1) avec un autre mode d’in-
sertion des œuvres dans l’espace, d’autres modes de relations – plus pragmatiques et
ouverts – que ceux de la réception esthétique normalisée ; 2) avec une mise au jour des
conditions même de l’art et de la perception esthétique qui frappe notamment le moder-
nisme, mais peut être étendue à ce que recouvrent ces notions dans notre tradition. En ce
sens, en outre, l’art contemporain se met à l’épreuve de l’altérité, celle des autres traditions,
des autres cultures et de toutes les formes d’émergence imaginables d’« articité ».
16. Italo Calvino, Leçons américaines, trad. Paris, Gallimard.
17. Voir, à ce sujet, mes propres observations dans Robert Musil, de Törless à L’Homme sans
qualités, Liège, Mardaga, 1986.
18. Voir C. S. Peirce, Écrits sur le signe, trad. G. Deledalle, Paris, Le Seuil. Sur la notion
de triangulation, sous un autre angle, voir Robert Morris, « Écrire avec Davidson », dans
Cahiers du Musée National d’Art Moderne, op. cit., ainsi que D. Davidson, « Le troisième
homme » (ibid.). « Le langage n’est pas l’art plastique, mais tous deux sont des formes de
comportement humain, et les structures de l’un peuvent être comparées aux structures de
l’autre » (p. 28). Il faudrait aussi faire intervenir ici, à vouloir aller plus loin, l’usage que
fait Morris de la notion de Gestalt dans sa réflexion et dans son travail.
19. Voir Jacques Derrida, Marges de la philosophie, Paris, Minuit, et Umberto Eco, La
structure absente, Paris, Mercure de France ou, plus récemment, Les limites de l’interpréta-
tion, Paris, Grasset.
20. Voir John Cage, Pour les oiseaux, entretiens avec Daniel Charles, Paris, Belfond, 1976.
21. Pour une définition récente de cette notion, voir Nelson Goodman, L’art en théorie et
en action, op. cit. Voir plus haut : note 19, chap. 1.
22. Cf. Cahiers du Musée National d’Art Moderne, op. cit.
23. L’œuvre de Jean-Luc Godard fournirait un exemple. La relativisation du récit cinéma-
tographique, la décentration des points de vue, le collage et la disqualification du sujet
comme pôle privilégié de structuration y sont poussés à leur comble.
82 L’Art sans qualités
24. De ces arts, on pourrait dire qu’ils remettent tout particulièrement en cause le principe
d’un sujet créateur se reflétant dans l’unité organique de l’œuvre, principe qui fonde his-
toriquement le type de « relation interne » dont j’ai précédemment parlé, conformément
à ce que l’esthétique issue de Kant, de Goethe et de Schiller a légué à notre tradition. À ce
sujet, voir les remarques de A. Beck, L’esthétique française, Paris, Albin Michel, p. 15.
25. Robert Musil, L’Homme sans qualités, op. cit., II, p. 314-315.
26. Jorge Luis Borges, Fictions, trad. P.Verdevoye et Ibarra, Paris, Gallimard.
27. Shitao, Les propos sur la peinture du moine Citrouille-amère, trad. Pierre Riockmans,
Paris, Hermann, 1984, p. 9.
4. PARADOXES DE L’USAGE
1. Cf. Jasper Johns, Writings, Sketchbook Notes, Interviews, The Museum of Modern Art,
1996.
2. Cf. L. Wittgenstein, Philosophische Untersuchungen., § 259.
3. L. Wittgenstein, Vermischte Bemerkungen, p. 26.
5. L’EXPÉRIENCE EXTÉRIEURE
1. D’une certaine manière c’est déjà ce qui oppose les philosophes du goût à l’esthétique
classique. Dans le contexte d’aujourd’hui, à côté des auteurs qui maintiennent l’idée d’un
essentialisme ou celle d’un réalisme objectiviste, on peut voir significativement renaître
des positions de type kantien, voire humien, comme le montrent les positions respectives
de G. Genette, J.-M. Schaeffer et Y. Michaud.
2. Les thèses de Clement Greenberg impliquent cette vision de choses. Cf. C. Greenberg,
op. cit.
3. Cf. D. H. Kahnweiler, Juan Gris, « Folio essais », Gallimard, ainsi que les documents
réunis par V. Sérano dans le catalogue de l’exposition Gris de Marseille : Juan Gris,
Réunion des Musées nationaux, 1998. La conférence, que Gris prononça à la Sorbonne
en 1913, développe des idées de ce genre.
4. Les rapports présumés du cubisme et de l’abstraction sont un lieu commun dont il
n’y a pas lieu de se soucier ici. Le cas de Gris est ambigu, car ses positions théoriques le
rapprochent de l’idéologie de l’abstraction ; en même temps, plusieurs déclarations l’en
éloignent, et son art peut lui-même difficilement être apparenté à l’art abstrait, tel qu’il
s’est développé avec Kandinsky, Malevitch ou Mondrian.
5. Voir l’étude de Florian Rodari, Le collage, Genève, Skira.
6. Cf. William Rubin, « Cézannisme and the Beginnings of Cubism », in Cézanne, The
Last Years, 1895-1906, MoMA, New York, 1978.
Notes 83
7. L’étude de Meyer Shapiro se trouve dans son Mondrian, On the Humanity of Abstract
Painting, G. Braziller, New York, 1995. Shapiro étudie notamment la composition de
Painting I (Composition in White and Black), de 1926, en montrant comment l’asymé-
trie de cette composition possède ses sources historiques dans l’œuvre de Monet, Degas,
Seurat, et non pas chez les cubistes, par exemple. Par exemple, dans At the Milliner’s,
de Degas (1882), le peintre oblige le spectateur à supposer un observateur périphérique,
différemment situé de lui-même (décentration du regard). Cf. p. 36. Deux voir distincts
sont projetés dans cette toile ; l’une de quelqu’un qui est à l’intérieur du tableau, le second,
celui d’un spectateur externe
8. Out of Actions, between Performance and the Object 1949-1979, The Museum of
Contemporary Art, Los Angeles, 1978.
9. L’art du nu au XIXe siècle, le photographe et son modèle, Hazan / Bibliothèque Nationale
de France, 1998. Cf., C.F. Jeandel, « Étude de modèle dans l’atelier », vers 1890 et « Deux
études de modèle dans l’atelier », vers 1880, p. 106 et 107, ainsi que p. 169, « Trois études
d’acrobate », anonyme.
10. Jessica Stockholder, exposition et catalogue, Musée Picasso, Antibes, 1998.
11. L’« en soi » et le « hors de soi », associés au pli et au dépli, pourraient servir de para-
digmes à un grand nombre d’œuvres parmi lesquelles la compilation de masques à gaz
réalisées par Arman ou le Werksatz beaucoup plus paisible, si je puis dire, du MAC de
Marseille. Ce qu’il y a d’intéressant et de significatif dans ces œuvres, c’est qu’elles montrent
la solidarité de deux opérations, ainsi que ce qui les apparente à un « art sans qualités », pour
lequel s’égalent la soustraction et l’addition, le vide et l’accumulation.
12. Voir les remarques de F.-B. Mâche sur « Le modèle en musique », in Musique, mythe,
nature, Paris, Méridiens Klincksieck, 1991 ; P. Boulez/J. Cage, Correspondance, op. cit.,
ainsi que D. Charles, Musiques nomades, qui, dans son dernier chapitre, cite J.-P. Martin
et ses remarques sur les aborigènes.
13. La morale de tout cela rejoint, pour la philosophie, celle que Nathalie Heinich, tire
elle-même pour la sociologie dans Ce que l’art fait à la sociologie, Paris, Minuit, 1998. La
philosophie a probablement beaucoup à apprendre des pratiques les plus communes de
l’art contemporain et de la façon dont elles font jouer en permanence les contextes et les
structures dynamiques d’échange, aussi bien contre l’esthétique que contre l’artistique, au
sens antithétique de ces deux termes.
14. Ce problème, que Danto considère à juste titre comme un problème crucial, partage
les différentes théories, sur la base, toutefois, d’une sorte de consensus qui leur interdit de
réhabiliter la croyance à des propriétés physiques ou perceptuelles, supposées qualifier les
œuvres d’art. La théorie de Danto est intégralement subordonnée à ce postulat, autant que
les théories institutionnelles ou les renaissances du subjectivisme auxquelles on assiste en
France avec Genette et Schaeffer.
84 L’Art sans qualités
15. L’autonomie artistique est un fait historique. Il peut aussi acquérir, chez certains
auteurs, une dimension normative plus ou moins avouée. Cf. par ex. Habermas, et déjà
Adorno.
16. Ce « n’importe où » est une sorte de corrélat du « n’importe quoi » duchampien. Cf.
Thierry de Duve, Kant After Duchamp, op. cit.
17. Sur les pratiques transgressives de l’art contemporain – et les problèmes qui en résultent
pour une définition de l’art – Cf. N. Heinich, Le triple jeu de l’art contemporain, op. cit.,
ainsi que J. Levinson, L’art, la musique et l’histoire, trad. J.-P. Cometti et R. Pouivet,
L’Éclat, 1998.
18. C’est-à-dire autre chose que de simples objets physiques, par exemple, définis en tant
que tels par les propriétés qui peuvent leur être reconnues. Sur ce point, Genette, qui
emprunte un certain nombre d’idées à Goodman, se sépare de celui-ci, en posant la ques-
tion de ce qui fait des objets esthétiques des objets artistiques. Cf. L’œuvre de l’art, vol. 2,
op. cit.
19. Cf. N. Goodman, Langages de l’art, trad. J. Morizot, Jacqueline Chambon, 1990 ;
L’art en théorie et en action, op. cit. Voir plus haut, note 19, chap. 1.
20. Cf. Langages de l’art, op. cit.
21. R. Pouivet, L’Ontologie de l’œuvre d’art, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1999.
22. Il va sans dire que ces « habitudes » sont partie prenante de croyances qui sont les
nôtres, des conditions qui entrent dans la perception esthétique, autant que de celles qui
entrent dans leur production, leur activation, etc. Autrement dit, leur caractère historique
ne les prive pas de réalité.
23. Sur cette question, voir le débat qui oppose, par exemple, Goodman, Wollheim,
Margolis, etc. Cf. N. Goodman, Reconceptions en philosophie, dans les arts et les autres
sciences, trad. J.-P. Cometti & R. Pouivet, PUF, 1996.
24. Ce que je suggère ici trouve un appui dans ce que Dewey suggérait lui-même en ayant
recours au concept d’« expérience » dans Art as Experience, op. cit.
25. Cf. L. Wittgenstein, Leçons et conférences, trad. J. Fauve, Gallimard.
26. Cf. « Art et dialectique », in Robert Smithson, The Collected Writings, University of
California Press, 1986, p. 219. Voir aussi : R. Smithson, Le paysage entropique, Musées de
Marseille/RMN, 1994.
27. M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art », in Chemins, Gallimard.
28. L’Homme sans qualités, op. cit., chap. 61 : « L’idéal des trois traités ou l’utopie de la vie
exacte ».
TABLE
Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 9
1. Emblèmes du vide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 15
2. La nécessité intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 27
3. Les vertus de l’entre-deux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 39
4. Les paradoxes de l’usage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 53
5. L’expérience extérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 63
Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 75
L’Art sans qualités