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LA THÉORIE DES OPÉRATIONS ENONCIATIVES 

Depuis que l’attention a été attirée en linguistique sur les phénomènes relatifs à l’énonciation, deux
grandes écoles se « disputent », d’une certaine manière, ce champ : la pragmatique et la linguistique de
l’énonciation. Si la première a une origine anglo-saxonne, la seconde est plus spécifiquement européenne, et
particulièrement française.

1) L’énonciation dans la langue :

-A) Origine de la linguistique énonciative :

 Alors que la pragmatique s’inspire des théories logiques et philosophiques anglo-saxonnes, le courant
énonciatif s’inscrit dans le prolongement de la grammaire néo-structuraliste en vogue en France dans
les années 60 et 70 et inspirée par Ferdinand de Saussure. L’idée de départ en était à corriger une
attention excessive portée à l’identité de l’énoncé. Le concept fondamental de la pragmatique est celui
d’acte de langage, celui de la linguistique énonciative est celui de catégorie énonciative.

 De manière générale, on peut dire que le courant énonciatif en France approfondit des concepts mis
en place dans les années 50 et 60 par le linguiste Emile Benveniste. Selon ce dernier, il s’agissait de
reconnaître la spécificité de certains termes dans la langue, voire dans certaines classes grammaticales
de mots, qui ne prennent véritablement toute leur signification que lorsqu’ils renvoient au moment
particulier où l’énoncé est produit. Ainsi, le pronom je ou le pronom tu, par exemple, ne renvoient ni
à un concept, ni à un individu. Comment définir le pronom je dans la langue ?

-B) Quelques exemples de catégories énonciatives :

 Ce qu’a montré Benveniste, et ce que montreront après lui les linguistes de l’énonciation, c’est qu’il
existe dans le discours une série de termes par lesquels un locuteur se définit comme sujet. Ces
termes s’organisent de façon cohérente entre eux, On peut citer bien évidemment les pronoms
personnels, mais aussi des repérages temporels ou spatiaux comme ici, maintenant, etc. Tous ces
termes sont difficilement analysables en dehors de la prise en compte de l’énonciation. Que veut dire
ceci en dehors de toute situation précise ?

 Cette première catégorie de termes peut être complétée par ce que l’on appelle les modalités de la
phrase. Il paraît banal de dire que, selon qu’il pose une question, qu’il s’exclame avec étonnement,
qu’il ordonne ou qu’il affirme, l’énonciateur d’une phrase donnée ne prend pas position de la même
manière à l’égard de son énoncé. Il oriente de façon décisive la communication avec son
interlocuteur. De même notre emploi des temps peut être interprété en fonction de la position de
l’énonciateur dans le récit. Pour Benveniste, si j’utilise le passé simple, par exemple, cela donnera à
mon récit une valeur plus objective, tandis que, si j’utilise le passé composé, cela aura pour effet de
m’impliquer davantage en tant qu’énonciateur dans le récit.

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2) La théorie des opérations énonciatives :

-A) Au premier plan, l’énonciation :

 A partir des travaux de Benveniste, la linguistique de l’énonciation s’est efforcée de prendre toujours
plus en compte la position de l’énonciateur dans la production d’un énoncé donné. Elle trouve
sans doute son développement le plus abouti dans la théorie élaborée dans les années 70 par Antoine
Culioli. Pour celui-ci, la linguistique a souvent trop considéré la langue comme un code neutre doté
d’une syntaxe très réglée à l’intérieur de laquelle les mots, c’est-à-dire le lexique, pouvaient servir de
variables. Pour Culioli, l’usage du langage qui correspond à une transmission d’information à propos
d’une référence externe n’est qu’un cas tout à fait marginal de la communication. Il est rare que nous
fassions usage du langage dans le seul but de transmettre une information. La plupart du temps, les
repérages énonciatifs sont déterminants dans la production et la reconnaissance des énoncés,
mais ces derniers sont susceptibles de varier sans cesse selon la situation. C’est pourquoi, selon
Culioli, le malentendu, l’ambiguité, les « ratés » de la communication, sont constitutifs du
langage (d’où les phénomènes d’ajustement, de régulation…).

 Ainsi, contre l’étude dans l’abstrait des énoncés, étude qui se fonde souvent sur une séparation du
plan syntaxique et du plan sémantique, la linguistique de l’énonciation se fixe comme objectif
d’étudier la signification où elle est accessible, c’est-à-dire dans la situation d’énonciation.

-B) Une théorie des repères énonciatifs :

 L’originalité de la théorie de Culioli est d’essayer de décrire de façon cohérente les opérations par
lesquelles un énonciateur donné est censé passer avant de produire un énoncé. Ces opérations sont
appelées par Culioli opérations d’instanciation.

 Ces opérations sont déterminantes dans la formation de l’énoncé (ex : Le guidon du vélo de mon frère
déconne) car ce sont elles qui commandent, par exemple, le choix d’un terme de départ sur lequel
peut intervenir une focalisation, ou l’enchaînement de repères constitutifs (Moi, mon frère, son vélo,
il a le guidon qui déconne.). Ces opérations montrent qu’aucun terme ne peut être considéré de façon
isolée, et il en est de même pour les énoncés : ces derniers doivent être saisis au sein de tout un
ensemble d’énoncés possibles, appelés famille paraphrastique.

Ccl : La TOE s’efforce de ne pas considérer le langage comme un tout achevé, stable, mais de s’intéresser au
contraire aux opérations qui conduisent à la production d’un énoncé.

3) Quelques citations de Culioli et quelques concepts de la TOE:

 La linguistique est l’étude du langage appréhendée à travers la diversité des langues naturelles et
des textes (écrits, oraux, etc…).

 L’énonciation peut se définir comme : une suite d’opérations de déterminations progressives par


lesquelles sont produits (ou reconnus) les énoncés. Plus précisément, les énoncés potentiels
prennent des valeurs référentielles à travers des systèmes de repérages par rapport aux points

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d’ancrage que constitue la situation d’énonciation (les sujets énonciateurs, le moment d’énonciation,
etc.

 Concepts-clés = repérage (identification, différentiation, rupture / décrochage), repère et repéré,


notion (faisceau de propriétés physico-culturelles, domaine des représentations de : être p), domaine
notionnel (intérieur = vraiment p, extérieur = vraiment pas p, frontière = pas vraiment p), haut degré,
type, attracteur, fléchage (reprise avec identification), frayage (éléments contextuels qui amènent un
énoncé), énonciateur (origine des calculs sur les paramètres S et T), co-énonciateur, construction de
l’altérité, stabilité référentielle, détermination quantitative (QNT = tout ce qui est lié à la
construction d’une occurrence de p dans le temps et dans l’espace = ancrage situationnel, dimension
existentielle), détermination qualitative (QLT = tri des occurrences par identification /
différentiation, lié au paramètre subjectif S), situation d’énonciation, système de la modalité (rang 1
= assertion stricte, modalité du certain, rang 2 = épistémique (évaluation des chances de réalisation
d’un événement), visée (projection), rang 3 = modalités appréciatives (valuation négative ou positive,
jugement de normalité ou d’anormalité), rang 4 = modalités subjectives et inter-subjectives
(propriétés du sujet, contrainte, nécessité, etc.)

 Les niveaux du langage selon Culioli : La TOE repose sur un système à trois niveaux de
représentations. Le niveau I est celui de nos activités cognitives, affectives, sensori-motrices ; ce
sont des représentations physico-culturelles issues de notre expérience du monde (représentations
mentales). Le linguiste n’y a pas accès. Le niveau II est celui des traces textuelles de l’activité de
représentation du niveau I ; il s’agit d’agencements de marqueurs sous forme d’énoncés. Il n’y a pas
de relation terme à terme entre les relations de niveau I et celles du niveau II. Enfin, le niveau III est
celui de la construction métalinguistique, c’est-à-dire le système théorique construit à partir des
phénomènes observés en II (théorie des observables), qui sont eux-mêmes des représentants du
niveau I. En d’autres termes, les représentants du niveau III sont explicitement présentés comme des
représentants de représentants et non comme des représentants des opérations cognitives de niveau
I.

Niveau I = Représentations mentales inaccesibles

Niveau II = Traces textuelles (marqueurs)

Niveau III = Métalangue

4) Quelques références:

CULIOLI, A. Pour une linguistique de l’énonciation : tome 1, 2 et 3. Paris : Ophrys. (recueils d’articles)
CULIOLI, A. Variations sur la linguistique. Paris : Klincksieck. (série d’entretiens)
COTTE, P. Les théories de la grammaire en France. Paris : Hachette supérieur. (chapitre sur la TOE)
GROUSSIER, M-L et RIVIERE, C. (1996) Les mots de la linguistique. Lexique de linguistique énonciative.
Paris : Ophrys. (glossaire)

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