Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
net/publication/237986866
CITATIONS READS
15 1,381
1 author:
Marc Zabalia
Université de Caen Normandie
76 PUBLICATIONS 378 CITATIONS
SEE PROFILE
Some of the authors of this publication are also working on these related projects:
All content following this page was uploaded by Marc Zabalia on 16 November 2017.
http://france.elsevier.com/direct/PEDPUE/
ARTICLE ORIGINAL
Abstract Many studies have shown that the expression and the understanding of pain in
children follow the sequence of the developmental levels of intelligence defined by Jean
KEYWORDS
Pain;
Piaget. However, the Piaget’s theory is not a good interpretative framework because of
Children; its epistemological aim and because pain is not a concept for the child who talks about it.
Intersubjectivity; Psychology and psychoanalysis of child development argue that the affects expressed by
Dialog emotions are early shared in a complex intersubjective dynamic. This complexity could be
understood by the study of the dialog between the adult and the child during the
assessment of pain. This method gives us an access to psychological signs of the
0987-7983/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.jpp.2005.03.002
Autoévaluation de la douleur 177
préciser par rapport à quel contenu spécifique il y a alors dominé par les états, l’apparence des phéno-
égocentrisme ou décentration, soit par rapport à mènes, c’est-à-dire commandé par les propriétés
l’organisation mentale de ses activités sensori- figurales (par ce que le réel lui donne à percevoir),
motrices (de zéro à 18 mois), soit à l’organisation comme on le voit à travers l’étude de l’image
représentative de ses pensées ou raisonnements mentale [21].
concrets (de 18 mois à 10–11 ans), soit à l’organisa-
tion représentative ou raisonnement abstrait (de
10–11 ans à 16–18 ans). Le sujet épistémique
À propos de la douleur, pour McGrath par exem-
ple qui cite Piaget [18], l’enfant ne serait pas L’enfant, objet d’étude de Piaget, est un sujet
capable de se distancier de son environnement épistémique, c’est-à-dire conçu comme l’ensemble
avant l’âge de sept ans. L’égocentrisme auquel il des mécanismes communs à tous les sujets de
est fait référence est, dans l’esprit piagétien, une même niveau. Il s’agit d’un sujet reconstruit, éla-
impossibilité de tenir compte de points de vue boré à partir de l’observation de groupes d’enfants.
différents du sien et particulièrement dans des L’exercice de l’examen psychologique à l’aide des
situations spatiales. À cet âge, l’égocentrisme puis épreuves piagétiennes a vite confronté les prati-
la décentration sont « logiques », c’est-à-dire qu’ils ciens à une grande variabilité intra-individuelle.
concernent le système conceptuel de l’enfant. On Cette variabilité observée fut considérée comme
ne peut donc pas penser que ce n’est qu’à sept ans dysharmonique puisque la norme épistémique était
que l’enfant est en mesure de « tenir compte de son de rigueur [22]. Le travail du praticien consistait
environnement ». alors à évaluer, pour chaque épreuve, l’écart entre
Dès que l’enfant entretient des rapports affectifs le développement cognitif du sujet examiné et
avec son entourage fondés sur des mimiques ex- celui du sujet épistémique dont le synchronisme
pressives (deux-trois mois), il y a distinction entre des acquisitions était censé refléter la normalité.
subjectif et objectif, entre le soi et l’Autre. En- Évaluer la position d’un sujet quant au dévelop-
suite, vient la parole, qui par définition s’adresse à pement de ses opérations mentales, le situer dans
quelqu’un. Le moment le plus tardif de cette prise un stade en référence au sujet épistémique sup-
d’indépendance psychique peut être situé dans la pose que l’on possède des normes développemen-
troisième année et se traduit par une opposition à tales qui permettent la comparaison avec une po-
ce qui vient d’autrui, l’utilisation du « je » et la pulation de référence. Or, le sujet épistémique,
marque de la possession témoignant d’une prise de point de référence, découle de recherches faites
conscience de l’intégrité psychique [19]. sur des groupes différents pour étudier la genèse de
notions différentes (la logique du nombre, l’es-
Le problème des stades pace, le temps, ...). Puisque les sujets montraient
l’acquisition des notions opératoires au même âge
Un autre malentendu concerne le découpage du moyen, on concluait que tous les enfants acqué-
modèle piagétien en stades. Piaget a plusieurs fois raient les mêmes structures opératoires en même
modifié son point de vue (six paliers d’abord, puis temps. En fait, le recours à la norme épistémique
trois, correspondant au fonctionnement sensori- exige que ce soit au moins les mêmes sujets qui
moteur, opératoire concret, opératoire formel, soient examinés dans les différents domaines [23].
c’est-à-dire à l’élaboration de trois structures in- Les chercheurs qui ont respecté cette exigence ont
tellectuelles). La période qui va de la fin du stade constaté que la variabilité intra-individuelle était
sensori-moteur (24 mois) au début de la période la norme chez le sujet tout-venant [24]. Étant
d’élaboration des opérations concrètes (sept-huit donné les écarts potentiels de niveau opératoire
ans) pose souvent problème. Elle est réduite à un entre les diverses épreuves chez un même sujet, il
préopératoire qui n’est caractérisé que de façon n’est donc plus possible de parler au singulier du
négative [20]. Or, entre la mise en place de la niveau opératoire d’un sujet. Et de fait, il n’est pas
fonction symbolique qui correspond à un dépasse- possible de considérer un enfant comme manipu-
ment de la simple sensori-motricité, et l’apparition lant une pensée de type opératoire concrète en se
du fonctionnement opératoire concret, il existe un basant simplement sur son âge.
type de fonctionnement qui est défini négative-
ment par l’absence de l’opération, mais qui est
positivement (intrinsèquement) défini par la domi- Illustration empirique
nance des propriétés des instruments figuratifs. Le
sujet qui dispose d’une possibilité nouvelle corres- Dans ce cadre, nous avons conduit une étude afin
pondant à la mise en jeu de la représentation est de mettre en évidence, en fonction du contexte,
Autoévaluation de la douleur 179
les caractéristiques de la conception de la douleur porter ici une précision quant à la distinction
chez 66 enfants âgés de cinq à 11 ans [25]. Nous entre douleur et souffrance. Cette dernière est
avons fait varier le contexte d’un entretien portant en effet un concept plus large, un état mental
sur des douleurs rapportées. Un groupe d’enfants a défini par Ricoeur [26] comme ouvert sur la
participé à l’entretien dans la salle d’attente d’une réflexivité, le langage, le rapport à soi, à autrui,
consultation de pédiatrie libérale, l’autre groupe au sens et au questionnement. Au-delà de la
dans la salle d’attente d’un service de chirurgie conviction d’une indivisibilité psyché–soma, la
infantile lors d’une consultation pré- ou postopéra- clinique de la douleur a montré leur interdépen-
toire. Nous avons pu observer la présence de tous dance et la nécessité d’une perspective pluridis-
les registres d’expression de la douleur. Ils évoluent ciplinaire.
selon l’âge des sujets depuis le registre concret Le modèle théorique de Piaget décrit l’émer-
(« ça saigne », « ça tape »), le registre « métapho- gence puis l’organisation des structures intellec-
rique concret » (« ça fait comme des coups de tuelles permettant l’élaboration de conduites
poings ») jusqu’au registre abstrait dans lequel les adaptées. L’intelligence définie par Piaget est une
enfants évoquent la souffrance plutôt que la dou- adaptation qui trouve son expression la plus évo-
leur (« c’est pénible »). Mais le résultat le plus luée dans le cadre de la pensée scientifique. Il
important de notre étude est que cette répartition étudie donc la manière dont l’enfant s’approprie le
piagétienne de la conception de la douleur n’est raisonnement rationnel fondant la démarche hypo-
observée qu’en consultation libérale et pas dans le théticodéductive. Pour l’enfant, la douleur n’est
contexte hospitalier. En effet, chez les enfants pas un objet conceptuel définissable de manière
dont le vécu douloureux est proche du moment de logique et rationnelle, c’est une expérience senso-
l’entretien, ce n’est pas le niveau d’élaboration rielle, affective et émotionnelle. Son expression
conceptuel de la pensée qui influence l’expression n’est donc pas uniquement soumise aux effets de
de la douleur, mais plutôt les aspects sensoriels et l’élaboration progressive du système cognitif.
affectifs liés à l’événement douloureux. Dans cette D’ailleurs, Goodenough [27] a suggéré que les éva-
condition, l’ensemble des registres d’expression de luations d’enfants de moins de huit ans reflètent
la douleur est employé quel que soit le groupe une combinaison de l’évaluation des aspects senso-
d’âge considéré. riels et affectifs alors que les enfants plus âgés sont
en mesure de coter indépendamment ces aspects
de la douleur.
Dire la douleur, une expression
sensorielle et émotionnelle Perspectives pour comprendre
La douleur est un phénomène dont on distingue
l’expression de la douleur chez l’enfant
habituellement quatre composantes interdépen-
C’est dans la relation à l’Autre que se construit
dantes :
l’organisation psychique. C’est aussi dans le dis-
• la composante sensori-discriminative corres-
cours de l’Autre qu’émerge la vie psychique du
pond aux mécanismes neurophysiologiques qui
bébé. L’expression émotionnelle est produite par la
sous-tendent « les douleurs par excès de noci-
grande immaturité du petit humain qui rend indis-
ception » ;
pensable son inscription dans un environnement
• la composante cognitive correspond à l’ensem-
social assurant sa survie. Le sujet humain se cons-
ble des processus modulant la perception de la
truit dans le cadre d’une relation singulière avec les
douleur ;
humains de son entourage, il n’en est pas moins
• la composante comportementale concerne l’en-
soumis aux effets des facteurs sociaux et culturels.
semble des manifestations verbales et non ver-
bales mais aussi les modifications de comporte- L’expression émotionnelle n’existe donc que
ment relevées dans certaines situations dans la relation, et c’est la prise en compte de la
douloureuses (atonie psychomotrice du nourris- dynamique de celle-ci qui seule peut nous permet-
son par exemple) ; tre d’en saisir les caractéristiques dans le domaine
• enfin, la composante affective qui confère à la de la douleur. Pour aborder cette complexité chez
sensation douloureuse sa tonalité désagréable, l’enfant d’âge scolaire, nous avons choisi de nous
pénible, insupportable est produite par le sti- orienter d’abord vers l’étude pragmatique du dia-
mulus nociceptif lui-même, cela par l’activation logue entre l’enfant qui exprime sa douleur et
des structures limbiques, notamment le com- l’adulte qui cherche à le comprendre, en objecti-
plexe amygdalien qui intervient dans les com- vant la dynamique de cet échange. Cet axe de
portements affectifs et émotionnels. Il faut ap- recherche s’intéresse particulièrement à ce que
180 M. Zabalia
[9] Twycross A, Moriarty A, Betts T. Prise en charge de la [23] Lautrey J. Diversité comportementale et développement
douleur : une approche multidisciplinaire. Paris: Masson; cognitif. Psychol française 1984;29(1):16–22.
2002. [24] Rieben L, de Ribaupierre A, Lautrey J. Le développement
[10] Piaget J. Psychologie de l’intelligence. Paris: Armand opératoire de l’enfant entre six et 12 ans. Élaboration d’un
Colin; 1947. instrument d’évaluation. Monographies françaises de psy-
[11] Lécuyer R. Bébés astronomes, bébés psychologues. chologie. Paris: CNRS; 1983.
Bruxelles: Mardaga; 1989. [25] Zabalia M, Jacquet D. Effet du contexte sur la conception
[12] Stern D. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris: de la douleur chez l’enfant. Douleurs 2004;5(4):203–7.
PUF; 1989. [26] Ricoeur P. Soi-même comme un autre. Paris: Le Seuil;
[13] Vygosty LS. Pensée et langage. Paris: Éditions sociales; 1990.
1985 (1re édition 1934). [27] Goodenough B, Thomas W, Champion GD, Perrott D, Tap-
[14] Bruner J. Le développement de l’enfant. Savoir faire, lin JE, von Baeyer CL, et al. Unravelling age effects and sex
savoir dire. Paris: Presses universitaires de France; 1983. differences in needle pain: ratings of sensory intensity and
[15] Inhelder B, Cellérier G. Le cheminement des découvertes unpleasantness of venipuncture pain by children and their
de l’enfant : recherches sur les micro genèses cognitives. parents. Pain 1990;80:179–90.
Neuchâtel: Delachaux et Niestlé; 1992.
[28] Stern DN. Une manière de construire un nourrisson clin-
[16] In: Demetriou A, editor. The neo-piagetian theories of
iquement pertinent. Rev Med Psychosom 1994;37(38):
cognitive development. Amsterdam: Elsevier; 1988.
15–38.
[17] Mounoud P. Coordination des points de vue et attribution
[29] Dornes M. Psychanalyse et psychologie du premier âge.
de croyances : de la théorie de Piaget aux théories
Paris: Presses universitaires de France; 2002.
« naïves » de l’esprit. Psychol fr 1997;42(1):31–43.
[18] McGrath PA. Pain in children: nature, assessment and [30] Clark H, Murphy GH. La visée vers l’auditoire dans la
treatment. New-York: The Guildford Press; 1990. signification et la référence. Bull psychol 1982;25(356):
[19] Wallon H. L’évolution psychologique de l’enfant. Paris: 767–77.
Armand Colin; 1941. [31] Vivier J. Coopération entre psychologie et intelligence
[20] Vermersch P. Peut-on utiliser les données de la psychologie artificielle dans une expérimentation sur le dialogue
génétique pour analyser le fonctionnement cognitif de homme-machine. Intellectica 1996;22:145–68.
l’adulte? Théorie opératoire de l’intelligence et registre [32] Vivier J. Pour une psychologie du dialogue homme-
de fonctionnement. Cah psychol 1979;22(1–2):59–74. machine. In: Sabagh G, Vivier J, Vinlat A, Pierrel JM,
[21] Piaget J, Inhelder I. Les images mentales chez l’enfant. Romary L, Nicolle A, editors. Machine, langage et dialogue.
Paris: Presses universitaires de France; 1966. Paris: L’Harmattan; 1997.
[22] Larivée S. Grandeurs et illusions de l’approche fonction- [33] Vivier J. La psycholinguistique au secours de
nelle. Annee Psychol 1993;93(4):527–42. l’informatique. Lang 2001;144:3–19.