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Autoévaluation de la douleur : la théorie de Jean Piaget comme cadre


interprétatif de l'expression de la douleur chez l'enfant : mise au point et
perspectives

Article  in  Journal de Pédiatrie et de Puériculture · July 2005


DOI: 10.1016/j.jpp.2005.03.002

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Marc Zabalia
Université de Caen Normandie
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Journal de pédiatrie et de puériculture 18 (2005) 176–181

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ARTICLE ORIGINAL

Autoévaluation de la douleur : la théorie de Jean


Piaget comme cadre interprétatif de l’expression
de la douleur chez l’enfant : mise au point
et perspectives
Self-assessment of pain: the Jean Piaget’s theory
as an interpretative framework of the expression
of pain in children: statement and prospects
M. Zabalia
Pôles pluriformations, psychologie et modélisation en sciences cognitives et sociales, université de
Caen-Basse-Normandie, maison de la recherche en sciences humaines, esplanade de la Paix, BP 5186,
14032 Caen cedex, France

MOTS CLÉS Résumé Les recherches concernant le développement de la compréhension de la douleur


Douleur ; et son expression chez l’enfant ont insisté sur le fait que cette évolution suit la succession
Enfant ; des stades du développement cognitif définis par Jean Piaget. Cependant, la théorie de
Intersubjectivité ; Piaget ne convient pas comme cadre interprétatif, pour des raisons liées à son objectif
Dialogue épistémologique, et parce que la douleur n’est pas un objet conceptuel pour l’enfant qui
l’exprime. La psychologie de l’enfant et la psychanalyse du développement ont montré
que les affects exprimés par des émotions se partagent très tôt dans une dynamique
intersubjective complexe. C’est par l’étude du dialogue entre l’adulte qui évalue l’enfant
douloureux et l’enfant lui-même que nous pensons aborder cette complexité. Cette
méthode offre un accès aux indices psychologiques de la coconstruction d’une référence
commune sur une expérience subjective. Nous espérons ainsi améliorer la compréhension
des caractéristiques de l’expression de la douleur chez l’enfant.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Many studies have shown that the expression and the understanding of pain in
children follow the sequence of the developmental levels of intelligence defined by Jean
KEYWORDS
Pain;
Piaget. However, the Piaget’s theory is not a good interpretative framework because of
Children; its epistemological aim and because pain is not a concept for the child who talks about it.
Intersubjectivity; Psychology and psychoanalysis of child development argue that the affects expressed by
Dialog emotions are early shared in a complex intersubjective dynamic. This complexity could be
understood by the study of the dialog between the adult and the child during the
assessment of pain. This method gives us an access to psychological signs of the

Adresse e-mail : zabalia@mrsh.unicaen.fr (M. Zabalia).

0987-7983/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.jpp.2005.03.002
Autoévaluation de la douleur 177

coconstruction of a standard base about a subjective experience. In this way, we hope to


improve the understanding of the properties of the expression of pain in children.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction les de façon logique. Cependant, cette intelli-


gence, dite opératoire, reste dépendante de la
Les recherches concernant les aspects du dévelop- présence dans le champ de la perception des élé-
pement de la compréhension de la douleur chez ments sur lesquels porte la réflexion. C’est une
l’enfant ont insisté sur le fait que cette évolution intelligence opératoire concrète. Entre 11–12 et
suit la succession des stades du développement 16 ans, l’adolescent se dégage de l’ancrage dans le
cognitif définis par Jean Piaget [1–9]. Ces données, réel pour accéder à un raisonnement hypothético-
largement rapportées dans la littérature médicale, déductif qui fonctionne sur le modèle de la pensée
ont constitué un étayage théorique aux travaux sur scientifique. La pensée est alors en mesure de
l’évaluation de la douleur, notamment sur l’autoé- manipuler l’abstraction [10].
valuation chez l’enfant. Dans les années 1980, ce modèle théorique a été
Sans remettre en cause la nécessité de prendre remis en question principalement à cause de son
en compte le niveau de développement psychologi- objectif épistémologique, conduisant à réduire la
que de l’enfant, nous pensons que le modèle piagé- cognition à ses contenus de pensée, normés de
tien ne constitue pas le cadre théorique privilégié manière logique et mathématique. La psychologie
pour aborder la question de la douleur chez celui- du nourrisson a alors mis en évidence la précocité
ci. La théorie piagétienne a été élaborée pour de nombreuses compétences cognitives et relation-
répondre à un objectif très précis : comprendre la nelles [11,12]. Les théories socioconstructivistes,
genèse des outils intellectuels permettant à qui mettent l’accent sur le rôle de l’environnement
l’Homme de s’approprier l’Univers. Pour atteindre social et culturel dans le développement psycholo-
cet objectif, Piaget a choisi de décrire la genèse gique de l’enfant, ont été beaucoup plus largement
des mécanismes cognitifs chez l’enfant qui s’appro- diffusées [13,14]. Enfin, la psychologie du dévelop-
prie le monde qui l’entoure. pement cognitif de l’enfant a évolué vers des mo-
dèles théoriques intégrant un courant fonctionna-
liste postpiagétien [15] et les apports de la
Le point de vue piagétien psychologie cognitive anglo-saxonne. Ce courant
est représenté par cinq auteurs majeurs : Leone,
La théorie piagétienne décrit la genèse des structu- Halford, Case, Fischer et Demetriou [16]. Ces théo-
res de l’intelligence. De zéro à 24 mois, l’enfant ries, qui présentent l’enfant comme un problem
construit une structure intellectuelle de nature solver en référence au cognitivisme, proposent une
sensori-motrice consistant à coordonner des per- typologie plus fine et étendue des représentations
ceptions et des mouvements. Elle est agie, vécue, mentales. Elles prennent en compte les contraintes
mais non pensée. Entre 18 et 24 mois, l’émergence du fonctionnement cognitif (capacités d’attention,
de la fonction symbolique, c’est-à-dire une pensée de mémoire) et mettent l’accent sur les effets du
manipulant des représentations, rend possible l’ac- contexte dans les activités de résolution de problè-
quisition du langage et le développement de la mes que rencontre l’enfant.
pensée pré-conceptuelle entre deux et quatre ans.
Durant la période préscolaire, l’enfant développe
une pensée intuitive, caractérisée par une dimen- Égocentrisme et décentration
sion égocentrique. Cette tendance à comprendre le
monde de façon subjective s’exprime par exemple La question de l’égocentrisme et de la décentration
par l’animisme (considérer les choses comme ani- de l’enfant illustre parfaitement le malentendu.
mées et douées d’intention) ou l’artificialisme Ces concepts ne sont pas des absolus, et ils ne
(considérer le monde et les phénomènes qui s’y qualifient les rapports entre l’enfant et le monde
déroulent comme des créations humaines). La na- environnant que de façon relative, c’est-à-dire en
ture de la pensée avant sept ou huit ans s’oppose au fonction d’une catégorie donnée d’instruments de
raisonnement intellectuel car elle fonctionne de connaissance, un niveau de structuration mentale
manière syncrétique, c’est-à-dire globale et [17]. Chacun des stades définis par Piaget se carac-
confuse. Ce n’est qu’entre sept-huit et 11–12 ans térise par une forme particulière d’égocentrisme et
que l’enfant construit une structure intellectuelle de décentration. L’enfant ne peut pas être qualifié
lui permettant de manipuler des opérations menta- d’égocentrique dans l’absolu. Il est nécessaire de
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préciser par rapport à quel contenu spécifique il y a alors dominé par les états, l’apparence des phéno-
égocentrisme ou décentration, soit par rapport à mènes, c’est-à-dire commandé par les propriétés
l’organisation mentale de ses activités sensori- figurales (par ce que le réel lui donne à percevoir),
motrices (de zéro à 18 mois), soit à l’organisation comme on le voit à travers l’étude de l’image
représentative de ses pensées ou raisonnements mentale [21].
concrets (de 18 mois à 10–11 ans), soit à l’organisa-
tion représentative ou raisonnement abstrait (de
10–11 ans à 16–18 ans). Le sujet épistémique
À propos de la douleur, pour McGrath par exem-
ple qui cite Piaget [18], l’enfant ne serait pas L’enfant, objet d’étude de Piaget, est un sujet
capable de se distancier de son environnement épistémique, c’est-à-dire conçu comme l’ensemble
avant l’âge de sept ans. L’égocentrisme auquel il des mécanismes communs à tous les sujets de
est fait référence est, dans l’esprit piagétien, une même niveau. Il s’agit d’un sujet reconstruit, éla-
impossibilité de tenir compte de points de vue boré à partir de l’observation de groupes d’enfants.
différents du sien et particulièrement dans des L’exercice de l’examen psychologique à l’aide des
situations spatiales. À cet âge, l’égocentrisme puis épreuves piagétiennes a vite confronté les prati-
la décentration sont « logiques », c’est-à-dire qu’ils ciens à une grande variabilité intra-individuelle.
concernent le système conceptuel de l’enfant. On Cette variabilité observée fut considérée comme
ne peut donc pas penser que ce n’est qu’à sept ans dysharmonique puisque la norme épistémique était
que l’enfant est en mesure de « tenir compte de son de rigueur [22]. Le travail du praticien consistait
environnement ». alors à évaluer, pour chaque épreuve, l’écart entre
Dès que l’enfant entretient des rapports affectifs le développement cognitif du sujet examiné et
avec son entourage fondés sur des mimiques ex- celui du sujet épistémique dont le synchronisme
pressives (deux-trois mois), il y a distinction entre des acquisitions était censé refléter la normalité.
subjectif et objectif, entre le soi et l’Autre. En- Évaluer la position d’un sujet quant au dévelop-
suite, vient la parole, qui par définition s’adresse à pement de ses opérations mentales, le situer dans
quelqu’un. Le moment le plus tardif de cette prise un stade en référence au sujet épistémique sup-
d’indépendance psychique peut être situé dans la pose que l’on possède des normes développemen-
troisième année et se traduit par une opposition à tales qui permettent la comparaison avec une po-
ce qui vient d’autrui, l’utilisation du « je » et la pulation de référence. Or, le sujet épistémique,
marque de la possession témoignant d’une prise de point de référence, découle de recherches faites
conscience de l’intégrité psychique [19]. sur des groupes différents pour étudier la genèse de
notions différentes (la logique du nombre, l’es-
Le problème des stades pace, le temps, ...). Puisque les sujets montraient
l’acquisition des notions opératoires au même âge
Un autre malentendu concerne le découpage du moyen, on concluait que tous les enfants acqué-
modèle piagétien en stades. Piaget a plusieurs fois raient les mêmes structures opératoires en même
modifié son point de vue (six paliers d’abord, puis temps. En fait, le recours à la norme épistémique
trois, correspondant au fonctionnement sensori- exige que ce soit au moins les mêmes sujets qui
moteur, opératoire concret, opératoire formel, soient examinés dans les différents domaines [23].
c’est-à-dire à l’élaboration de trois structures in- Les chercheurs qui ont respecté cette exigence ont
tellectuelles). La période qui va de la fin du stade constaté que la variabilité intra-individuelle était
sensori-moteur (24 mois) au début de la période la norme chez le sujet tout-venant [24]. Étant
d’élaboration des opérations concrètes (sept-huit donné les écarts potentiels de niveau opératoire
ans) pose souvent problème. Elle est réduite à un entre les diverses épreuves chez un même sujet, il
préopératoire qui n’est caractérisé que de façon n’est donc plus possible de parler au singulier du
négative [20]. Or, entre la mise en place de la niveau opératoire d’un sujet. Et de fait, il n’est pas
fonction symbolique qui correspond à un dépasse- possible de considérer un enfant comme manipu-
ment de la simple sensori-motricité, et l’apparition lant une pensée de type opératoire concrète en se
du fonctionnement opératoire concret, il existe un basant simplement sur son âge.
type de fonctionnement qui est défini négative-
ment par l’absence de l’opération, mais qui est
positivement (intrinsèquement) défini par la domi- Illustration empirique
nance des propriétés des instruments figuratifs. Le
sujet qui dispose d’une possibilité nouvelle corres- Dans ce cadre, nous avons conduit une étude afin
pondant à la mise en jeu de la représentation est de mettre en évidence, en fonction du contexte,
Autoévaluation de la douleur 179

les caractéristiques de la conception de la douleur porter ici une précision quant à la distinction
chez 66 enfants âgés de cinq à 11 ans [25]. Nous entre douleur et souffrance. Cette dernière est
avons fait varier le contexte d’un entretien portant en effet un concept plus large, un état mental
sur des douleurs rapportées. Un groupe d’enfants a défini par Ricoeur [26] comme ouvert sur la
participé à l’entretien dans la salle d’attente d’une réflexivité, le langage, le rapport à soi, à autrui,
consultation de pédiatrie libérale, l’autre groupe au sens et au questionnement. Au-delà de la
dans la salle d’attente d’un service de chirurgie conviction d’une indivisibilité psyché–soma, la
infantile lors d’une consultation pré- ou postopéra- clinique de la douleur a montré leur interdépen-
toire. Nous avons pu observer la présence de tous dance et la nécessité d’une perspective pluridis-
les registres d’expression de la douleur. Ils évoluent ciplinaire.
selon l’âge des sujets depuis le registre concret Le modèle théorique de Piaget décrit l’émer-
(« ça saigne », « ça tape »), le registre « métapho- gence puis l’organisation des structures intellec-
rique concret » (« ça fait comme des coups de tuelles permettant l’élaboration de conduites
poings ») jusqu’au registre abstrait dans lequel les adaptées. L’intelligence définie par Piaget est une
enfants évoquent la souffrance plutôt que la dou- adaptation qui trouve son expression la plus évo-
leur (« c’est pénible »). Mais le résultat le plus luée dans le cadre de la pensée scientifique. Il
important de notre étude est que cette répartition étudie donc la manière dont l’enfant s’approprie le
piagétienne de la conception de la douleur n’est raisonnement rationnel fondant la démarche hypo-
observée qu’en consultation libérale et pas dans le théticodéductive. Pour l’enfant, la douleur n’est
contexte hospitalier. En effet, chez les enfants pas un objet conceptuel définissable de manière
dont le vécu douloureux est proche du moment de logique et rationnelle, c’est une expérience senso-
l’entretien, ce n’est pas le niveau d’élaboration rielle, affective et émotionnelle. Son expression
conceptuel de la pensée qui influence l’expression n’est donc pas uniquement soumise aux effets de
de la douleur, mais plutôt les aspects sensoriels et l’élaboration progressive du système cognitif.
affectifs liés à l’événement douloureux. Dans cette D’ailleurs, Goodenough [27] a suggéré que les éva-
condition, l’ensemble des registres d’expression de luations d’enfants de moins de huit ans reflètent
la douleur est employé quel que soit le groupe une combinaison de l’évaluation des aspects senso-
d’âge considéré. riels et affectifs alors que les enfants plus âgés sont
en mesure de coter indépendamment ces aspects
de la douleur.
Dire la douleur, une expression
sensorielle et émotionnelle Perspectives pour comprendre
La douleur est un phénomène dont on distingue
l’expression de la douleur chez l’enfant
habituellement quatre composantes interdépen-
C’est dans la relation à l’Autre que se construit
dantes :
l’organisation psychique. C’est aussi dans le dis-
• la composante sensori-discriminative corres-
cours de l’Autre qu’émerge la vie psychique du
pond aux mécanismes neurophysiologiques qui
bébé. L’expression émotionnelle est produite par la
sous-tendent « les douleurs par excès de noci-
grande immaturité du petit humain qui rend indis-
ception » ;
pensable son inscription dans un environnement
• la composante cognitive correspond à l’ensem-
social assurant sa survie. Le sujet humain se cons-
ble des processus modulant la perception de la
truit dans le cadre d’une relation singulière avec les
douleur ;
humains de son entourage, il n’en est pas moins
• la composante comportementale concerne l’en-
soumis aux effets des facteurs sociaux et culturels.
semble des manifestations verbales et non ver-
bales mais aussi les modifications de comporte- L’expression émotionnelle n’existe donc que
ment relevées dans certaines situations dans la relation, et c’est la prise en compte de la
douloureuses (atonie psychomotrice du nourris- dynamique de celle-ci qui seule peut nous permet-
son par exemple) ; tre d’en saisir les caractéristiques dans le domaine
• enfin, la composante affective qui confère à la de la douleur. Pour aborder cette complexité chez
sensation douloureuse sa tonalité désagréable, l’enfant d’âge scolaire, nous avons choisi de nous
pénible, insupportable est produite par le sti- orienter d’abord vers l’étude pragmatique du dia-
mulus nociceptif lui-même, cela par l’activation logue entre l’enfant qui exprime sa douleur et
des structures limbiques, notamment le com- l’adulte qui cherche à le comprendre, en objecti-
plexe amygdalien qui intervient dans les com- vant la dynamique de cet échange. Cet axe de
portements affectifs et émotionnels. Il faut ap- recherche s’intéresse particulièrement à ce que
180 M. Zabalia

ensemble de représentations, qui ne sont pas né-


cessairement identiques mais qui concernent un
La vie émotionnelle du bébé et celle de sa objet commun : la douleur. Cela nécessite une
mère (et de tout adulte proche) s’influencent interprétation de la part de l’adulte de ce que dit
mutuellement au sein des interactions affecti- l’enfant de ce phénomène subjectif. L’enfant, lui
ves. Il semble que la période entre six et neuf aussi, doit interpréter les perspectives et le savoir
mois est celle où émerge et se développe le de l’adulte. La construction de ce « terrain com-
partage d’affect [19], l’accordage affectif [12] mun » implique un ajustement psychologique réci-
qui permet au bébé de se sentir compris et proque dont les étapes se manifestent dans le dia-
accompagné dans ses émotions. L’expression logue.
émotionnelle en général, comme celle de la
douleur en particulier, se construit dans l’inte-
raction. En fin de première année, le bébé Conclusion
cherche la signification des émotions chez un
tiers (sa mère, son père, ...) afin de compren-
La conception de la douleur et son expression chez
dre les situations qui pourraient être ambiguës
l’enfant sont souvent comprises et interprétées
pour lui. Ce phénomène a été décrit par la
dans le cadre théorique piagétien. La théorie de
psychologie de l’enfant en terme de référencia-
Piaget ne convient pas pour des raisons liées à son
tion sociale. Pour la psychanalyse du dévelop-
objectif épistémologique et parce que la douleur
pement, l’intersubjectivité permet le partage
n’est pas un objet conceptuel pour l’enfant qui
de l’expérience vécue dès la naissance. Ces
l’exprime.
expériences subjectives englobent perception,
La psychologie de l’enfant et la psychanalyse du
action, cognition et affect [28], elles jouent un
développement ont montré que les affects expri-
rôle majeur dans l’émergence de la vie psychi-
més par des émotions se partagent très tôt dans une
que [29].
dynamique intersubjective complexe.
Pour aborder cette complexité, nous nous orien-
l’on appelle « la référenciation » dans les situations tons vers l’étude du dialogue entre l’adulte qui
de communication. Il s’agit de l’ensemble des pro- évalue l’enfant douloureux et l’enfant lui-même,
cessus qui relient les mots à la perception de la de façon à relever les indices psychologiques de la
situation ou les mots entre eux, et qui permettent coconstruction d’une référence commune sur une
aux partenaires de construire un sens commun en expérience subjective. Nous espérons ainsi amélio-
s’appuyant sur les mêmes cadres de références et rer la compréhension des caractéristiques de l’ex-
les mêmes schémas implicites. Pour cela, ils utili- pression de la douleur chez l’enfant.
sent les mots mais aussi toutes sortes de procédés
(prosodiques, gestuels, ...) afin de guider l’autre.
Les représentations, les croyances, les rôles pro- Références
pres à chacun des partenaires entrent aussi en
compte. C’est ce fonctionnement dynamique de
[1] Bibace R, Walsh ME. Development of children’s concepts of
représentations qui conduit à la construction d’un illness. Pediatr 1980;66:912–7.
« terrain commun » [30]. Le processus de référen- [2] Perrin EC, Gerrity PS. There’s a demon in your belly :
ciation est donc interactif. En conséquence, pour children’s understanding of illness. Pediatr 1981;67(6):
obtenir un minimum de convergences dans les acti- 841–9.
vités de construction de sens, il est utile de se [3] Ross DM, Ross SA. The importance of type of question,
donner des moyens de contrôle, ce que Vivier psychological climate and subject set in interviewing chil-
dren about pain. Pain 1984;19:71–9.
[31–33] dénomme des « boucles de corrections ».
[4] Thompson KL, Varni JW. A developmental cognitive-
Les différents types de reformulations et de para- biobehavioral approach to pediatric pain assessment. Pain
phrases peuvent en donner une illustration. Grâce à 1986;25:283–96.
ceux-ci, l’auteur du message ne se contente pas de [5] Gaffney A, Dunne EA. Developmental aspects of children’s
répéter : il thématise autrement, il omet, il ajoute, definition of pain. Pain 1986;26:105–17.
il substitue ou encore modifie l’ordre syntaxique de [6] Gaffney J, Dunne EA. Children’s understanding of the
présentation. Ainsi, le processus de référenciation causality of pain. Pain 1987;29:91–104.
fonctionne comme une coréférenciation dynami- [7] Lehmann HP, Bendebba M, De Angelis C. The consistency of
young children’s assessment of remembered painful
que qui peut aboutir à une convergence des parte-
events. J Dev Behav Pediatr 1990;11(3):128–34.
naires vers un même sens.
[8] Harbeck C, Petersen L. Elephant dancing in my head : a
Dans l’évaluation de la douleur, l’enjeu pour les developmental approach to children’s concept of specific
deux partenaires de l’interaction est de partager un pains. Child Dev 1992;63:138–49.
Autoévaluation de la douleur 181

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