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LES REPRÉSENTATIONS DES DIFFICULTÉS D'APPRENTISSAGE CHEZ

LES PROFESSEURS DES ÉCOLES

Laurent Talbot

Érès | « Empan »

2006/3 no 63 | pages 49 à 56
ISSN 1152-3336
ISBN 9782749206301
DOI 10.3917/empa.063.0049
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Dossier
Les représentations DU CÔTÉ
DE L’ÉCOLE

des difficultés
d’apprentissage
chez les professeurs
des écoles
Laurent Talbot

L’école d’aujourd’hui est confrontée à une complexité croissante du


monde. Le contexte de la formation des enseignants, les publics
accueillis, le tissu et les conditions socio-économiques se sont
considérablement modifiés ces dernières années. M. Tardif et
C. Lessard (1999) ont montré combien le travail enseignant subit
cette complexification de plein fouet. Elle n’est pas sans répercus-
sions sur les métiers de l’éducation scolaire directement liés aux
transformations sociétales : ils évoluent bien sûr, leurs contours
sont de plus en plus flous et incertains, ils sont exposés à de nou-
veaux dilemmes, ils subissent des injonctions qui peuvent se révé-
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ler contradictoires.
Notre contribution s’attache à analyser les représentations que se
font les professeurs des écoles des élèves en difficultés scolaires.
Après une approche historique, nous verrons que la prise en compte
des difficultés d’apprentissage dans le discours des enseignants se
modifie peu à peu pour correspondre à une nouvelle demande
sociale et institutionnelle.

Une préoccupation relativement nouvelle pour l’école


Au cours de l’histoire de l’éducation, le thème des difficultés d’ap-
prentissage a été abordé essentiellement sous deux angles diffé-
rents : l’élève et le contexte familial. Plus récemment, certains
travaux ont mis en évidence l’importance en ce domaine de l’envi-
ronnement scolaire lui-même.
Laurent Talbot, département des
Avant les années 1960, les écrits sur ce thème (Avanzini, 1991 par sciences de l’éducation, univer-
sité Toulouse II-Le Mirail, 5, allée
exemple) laissent penser que les instituteurs interprétaient les diffi- A. Machado, 31058 Toulouse
cultés d’apprentissage comme étant essentiellement inhérentes aux cedex 9.

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élèves eux-mêmes. Les représentations des maîtres étaient centrées
sur l’idée du manque ou du déficit endogène chez l’élève. Le terme
d’« échec » pour caractériser les difficultés des élèves était souvent
employé. Cette notion revêt une dimension définitive, conclusive,
sanctionnante et clôturante par rapport à celle de « difficultés » sco-
laires. Notons l’apparition du pluriel dans « difficultés », qui s’op-
pose au singulier d’« échec » : les acteurs savent aujourd’hui que ce
processus est complexe, qu’il peut se manifester de manière diffé-
rente, s’expliquer par de multiples facteurs, bien souvent corrélés.
La notion de « difficultés » considère le phénomène comme pou-
vant être passager et l’élève comme éducable au sens large, ce qui
nous semble être une évidence pour des enfants fréquentant l’école
primaire.
Raisonner en termes d’échec scolaire supposait également que cet
échec soit attribué à un défaut de type moral. L’élève en difficultés
était souvent stigmatisé. Le « cancre » était alors décrit comme un
enfant paresseux manifestant peu de volonté au travail, se désinté-
ressant du monde scolaire. L’autre principal défaut avancé était plu-
tôt de type biologique. C’est à la suite des recherches en
psychologie expérimentale de Binet et de ses travaux sur les tests
de niveau intellectuel, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, que
l’on décrit le « débile » ou « l’arriéré » en l’opposant au « bien
doué » ou au « surnormal ». Il s’agissait alors d’une interprétation
« psychométrique » qui invoquait une infériorité du niveau intel-
lectuel de l’enfant, des problèmes d’ordre neurologique occasion-
nellement. D’autres défauts étaient parfois décrits, ils relevaient
toujours de causalités relatives à l’élève : défaut de type psycholo-
gique, sociologique, voire ethnographique pour reprendre les pro-
pos de G. Avanzini.
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Comme le précise G. De Landsheere (1986), ce déterminisme
annoncé par l’intelligence mesurée va parfois offrir aux enseignants
une excellente excuse pour expliquer l’échec répété de leurs élèves.
Ils trouvaient ainsi, en quelque sorte, une explication « scienti-
fique » aux difficultés d’apprentissage.
À partir des années 1960, se développe une nouvelle prolongation
de l’obligation scolaire (de 14 à 16 ans). Peu à peu, l’accès à l’en-
seignement du second degré se démocratise (réformes Berthoin en
1959, Fouchet en 1963 et Haby en 1975 notamment). De manière
concomitante à cet effet de « démographisation », la sociologie de
l’éducation interroge de manière frontale le système éducatif avec
On sait la théorie de la reproduction (Bourdieu et Passeron, 1970 ; Baudelot
et Establet, 1972). Cette théorie explique les réussites ou les diffi-
aujourd’hui cultés dans les apprentissages par le capital scolaire familial pos-
sédé. Elle permet ainsi de remettre en cause l’« idéologie du don »,
qu’il existe un développée au cours des années précédentes, en mettant en évi-
dence les phénomènes d’héritages culturels reproduits à et par
effet-maître. l’école. La centration s’exerce alors sur le milieu familial. Dans

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cette optique, la sociologie de l’éducation s’at- taines classes, les écarts d’acquis scolaires entre
tache à montrer les effets du contexte familial et les bons élèves et les plus faibles se creusent
socioculturel sur les performances cognitives tandis que dans d’autres, ces écarts ont tendance
des élèves : les enfants sont soumis à des à se réduire. On note une corrélation entre ces
apprentissages implicites et différents selon deux dimensions : les classes les plus efficaces
leurs origines sociales (habitus). On comprend tendent également à être les plus équitables.
peu à peu que les déterminismes sociaux, éco- Cela signifie que les classes où l’on progresse le
nomiques et culturel influent sur le destin sco- plus sont, avant tout, celles où les élèves faibles
laire des élèves. Suite à ces travaux d’obédience progressent beaucoup. Tout se passe donc
sociologique, les enseignants ont parfois été comme si les classes avaient davantage de prise
amenés à mobiliser des représentations et des sur les élèves faibles que sur les élèves forts.
attitudes de fatalisme, voire de démission. À La question principale reste de savoir ce qui fait
quoi bon se battre si l’environnement social de la différence d’efficacité entre les enseignants.
l’élève est l’unique facteur explicatif de son Force est de constater qu’en l’état actuel des
faible rendement scolaire ? recherches, peu de données permettent de savoir
Plus tard, avec notamment l’essor des sciences à quoi tient véritablement cet effet.
de l’éducation en France (à partir de 1967), un Longtemps, on a pensé qu’il s’agissait d’un pro-
certain nombre d’études montreront que les blème de personnalité des enseignants et de
taux de réussite des élèves ne s’expliquent pas méthodes pédagogiques.
uniquement par leur origine sociale et que, prise
isolément, cette variable ne joue pas toujours de Un certain nombre de recherches ont consisté à
manière décisive pour rendre compte de l’en- mener des études sur les caractéristiques per-
semble des performances scolaires. Outre les sonnelles des enseignants en s’inspirant notam-
travaux de R. Boudon (1973), qui consistent à ment des travaux princeps menés par K. Lewin
étudier des faits sociaux en reconnaissant a (1959) aux États-Unis dans le champ de la psy-
priori à l’individu un rôle d’acteur et le pouvoir chologie sociale. Le secret espoir de ces
d’agir rationnellement, les recherches portant approches était de trouver les traits psycholo-
sur l’école elle-même et ses liens avec la réus- giques ou les caractéristiques personnelles sus-
site des élèves se sont peu à peu développées. ceptibles de définir le « bon enseignant »,
capable de faire face à l’échec des apprenants,
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On sait aujourd’hui qu’il existe un effet-maître. et, par là même, de mettre en place des proces-
Toutes les pratiques d’enseignement ne se sus adaptés de sélection, de formations initiale
valent pas et le traitement des difficultés sco- et continue des maîtres.
laires par les professeurs des écoles n’est pas
identique. Les travaux sur cet effet montrent Ces démarches ont été confrontées à nombre de
que les connaissances construites par les élèves difficultés. Impossible de trouver les traits per-
dépendent certes de leurs caractéristiques indi- sonnels ou les critères psychologiques du bon
viduelles et familiales, mais que leur progres- maître (Safty, 1993 ; Felouzis, 1997). Les carac-
sion (de l’ordre de 15 à 20 %) est liée aussi à téristiques individuelles des enseignants n’ont
leur classe et à l’enseignant avec lequel ils pas d’effet direct sur les acquisitions des
apprennent. L’efficacité des enseignants peut élèves : le « bon professeur » type n’existe pas
être définie comme leur capacité à élever le de ce point de vue. L’âge, le sexe, l’origine
sociale ou le statut par exemple n’ont pas d’ef-
niveau moyen d’une classe. Une deuxième
fet sur le rendement scolaire.
dimension est d’importance : celle de l’équité,
entendue comme la capacité à égaliser le niveau Les investigations ont plus particulièrement
des élèves. Les résultats de ces recherches porté alors sur les méthodes d’enseignement,
(Bressoux, 1994) révèlent là encore des diffé- sur les stratégies et les techniques pédagogiques
rences d’une classe à l’autre. En effet, dans cer- susceptibles de correspondre positivement aux

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performances des élèves. Suite au courant de la pédagogie expéri-
mentale développé en France par A. Binet, au début du XXe siècle,
de la pédagogie active ou nouvelle et des travaux d’inspiration
behavioriste, un certain nombre de « méthodes » d’enseignement
ont vu le jour. Leur objectif essentiel était de se détacher des
approches « traditionnelles » d’éducation scolaire. L’idée était de
dépasser la démarche magistrale, trop centrée sur les contenus d’en-
seignement, l’approche déductive, les processus de mémorisation,
d’autorité, d’émulation et de compétition entre pairs. De fait, les
critiques ultérieures provenant des perspectives constructiviste et
socio-constructiviste, mettront l’accent sur l’idée selon laquelle les
« méthodes traditionnelles » n’accordent pas assez de place à l’ac-
tivité de l’apprenant et aux relations maître-élève(s). La pédagogie
par objectifs, la pédagogie institutionnelle, la pédagogie du projet,
les méthodes d’éducabilité cognitive, pour ne citer qu’elles,
voyaient alors peu à peu le jour. Leur principale ambition était de
lutter contre les difficultés d’apprentissage.
Les mêmes
Là encore, les résultats se montrèrent peu concluants, parfois déce-
pratiques vants. Il est difficile de déterminer aujourd’hui une méthode d’en-
seignement qui permettrait de faire face à l’ensemble des difficultés
d’enseignement, des élèves. À partir des années 1980, on comprit peu à peu qu’il n’y
a pas une bonne ou une mauvaise méthode en soi qui puisse être
les mêmes confrontée de manière unilatérale aux problèmes d’apprentissage.
La lutte contre les difficultés scolaires ne relève sans doute guère
manières d’être d’un problème de méthode au sens étroit du mot, ni même d’un type
de pédagogie, pour la simple et bonne raison qu’enseigner et
des professeurs apprendre sont deux processus qui dépendent étroitement des
contextes dans lesquels ils s’opèrent. Le terme de « méthode »
ne sont pas induit une cohérence que n’a pas forcément et en permanence l’acte
obligatoirement d’enseigner. Lorsque les maîtres adoptent une démarche générale,
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ils l’adaptent. Les pratiques enseignantes sont ajustées, transfor-
efficaces avec mées et transformatrices en fonction des contraintes situationnelles
rencontrées. Les mêmes pratiques d’enseignement, les mêmes
tous les types manières d’être des professeurs ne sont pas obligatoirement effi-
caces avec tous les types d’élèves, dans toutes les disciplines, dans
d’élèves… tous les contextes (Bru, 1999 ; Felouzis, 1997). Elles ne peuvent
être réductibles à l’application d’une méthode ou à la réalisation
d’un plan d’enseignement, puisque l’acte d’enseignement s’exerce
en contextes.
Il semble donc difficile d’expliquer aujourd’hui l’effet-maître par
des éléments liés exclusivement à des problèmes de personnalité et
d’application de méthodes d’enseignement.

Les représentations des professeurs des écoles aujourd’hui


La description du travail enseignant, notamment lorsqu’il est
confronté aux difficultés scolaires, ne peut faire l’économie de cette
réalité composite, c’est-à-dire de la présence simultanée d’aspects

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codifiés et flous, formels et informels, avec les maîtres attribuent les difficultés des élèves
tensions que cela provoque chez les enseignants essentiellement à des causes exogènes à l’école
eux-mêmes. Cette dimension composite (famille).
découle des conditions et des contraintes quoti-
De même, J. Beckers (1994) a étudié les repré-
diennes qui marquent, sur divers plans, le tra-
sentations de l’échec scolaire chez les jeunes
vail des enseignants aussi bien à l’école que
normaliens en formation initiale en Belgique.
dans la classe. Les 109 questionnaires recueillis montrent une
Toutefois, des travaux de recherche ont été surestimation des élèves en difficultés.
menés sur le thème, un certain nombre de pra- Concomitamment, ils jugent le redoublement
tiques ont pu être dégagées sans que l’on puisse peu efficace. Là encore, les difficultés sont pour
évaluer encore de manière précise leur effica- grande partie attribuées à des causes externes à
cité, nous l’avons vu. Concernant les aspects l’école : à l’enfant et à la famille majoritaire-
socio-cognitifs, quelques points ont été dégagés ment. Ni le fonctionnement du système scolaire
chez les maîtres « performants ». Il s’agit de et encore moins les pratiques propres des ensei-
« macro » variables peu précises mais qui peu- gnants ne sont considérés comme pouvant être
vent donner des indications. Ces professeurs en lien avec les difficultés des élèves. L’étude
entretiennent de grandes espérances dans la révèle enfin peu ou pas de modifications entre
réussite de leurs élèves, notamment auprès des le prétest et le post-test (après la formation ini-
plus faibles ; ils conçoivent leurs pratiques non tiale et les stages en classe).
exclusivement centrées sur les disciplines d’en- Une étude originale menée par X. Chrysso-
seignement mais surtout sur l’élève ; ils accor- choou, M. Picard et M. Pronine (2001) montre
dent une priorité à l’apprentissage des que les explications des enseignants face à une
compétences de base ; ils considèrent qu’il est même situation d’échec dépendent de leur
important de créer une ambiance de classe cha- attentes, elles-mêmes liées aux appartenances
leureuse, positive et démocratique… (Safty, catégorielles des élèves (profession et origine
1993 ; Felouzis, 1997). Bref, ils considèrent que culturelle des parents). Cette recherche expéri-
l’école au sens large et qu’eux-mêmes tout par- mentale indique l’importance de l’origine
ticulièrement peuvent jouer un rôle positif dans sociale des élèves dans les représentations des
la lutte contre les difficultés scolaires, ils ne se enseignants concernant les difficultés d’appren-
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focalisent pas uniquement sur les causes exo- tissage. Quand une élève française de milieu
gènes à l’école. Ils déploient, au moins dans aisé échoue, c’est qu’elle passe un moment dif-
leur discours, une motivation et une énergie ficile, considéré comme normal et passager
toute particulière. Ce discours est relativement (préadolescence, parents peu disponibles, pro-
nouveau au regard de l’histoire de l’école. blèmes relationnels dans la fratrie). De la même
Il n’est pas cependant encore partagé par tous. façon, mais pour des raisons différentes, une
Par exemple Ch. Dréano et B. Gaillard (2002) élève d’origine maghrébine et de milieu défavo-
consacrent une étude aux représentations des risé dans une situation identique bénéficiera
enseignants à l’égard des psychologues sco- d’une certaine forme d’indulgence de la part des
laires et de leurs interventions auprès des élèves professeurs. L’école n’est pas adaptée à ses
en difficulté. Le constat est sévère : les profes- besoins, ses problèmes de langue et les repré-
seurs des écoles en général développent des atti- sentations de sa famille constituent des obs-
tacles à sa réussite.
tudes négatives à l’égard de leurs collègues des
RASED, expriment des sentiments de rivalité, de B. Gossot et Ph. Dubreuil (2003), dans une
compétition face aux psychologues, manifestent autre recherche, confirment deux types de
très peu de confiance envers eux. Cette même représentations mobilisées chez les professeurs
recherche, qui porte sur un nombre limité de des écoles. L’une porte sur les difficultés
professeurs (une quinzaine), montre que les propres à l’élève, difficultés liées aux capacités

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Dossier
d’apprentissage ou au comportement, l’autre sur les difficultés liées
à « l’environnement » : manque d’ambition scolaire, résignation,
manque d’attention des parents, violence et tension de l’entourage
de l’élève, milieu environnant général de l’enfant fragilisé et fragi-
lisant.
On pourrait multiplier les exemples. Comme les précédents,
nombre d’entre eux insistent sur le fait que les difficultés des élèves
ainsi que leur traitement sont principalement attribués par les ensei-
gnants à des modalités exogènes à l’école. Peu de recherches font
état de représentations mettant en valeur les pratiques d’enseigne-
ment dans la lutte contre le phénomène. Pourtant, nous l’avons vu,
elles seraient au cœur d’une partie de l’explication de l’effet-maître
positif.
Nos travaux récents (Talbot, 1997, 2004, 2005, 2006 ; Talbot,
Marcel et Bru, 2005 ; Bru et Talbot, 2006) ont souligné l’impor-
tance aujourd’hui de la demande sociale et institutionnelle dans la
prise en compte et la gestion des difficultés des élèves : loi d’orien-
tation de 1989, référentiel des compétences des professeurs des
écoles de 1994, représentations sociales de l’ensemble des acteurs
Outre les de la communauté éducative.
compétences Concernant plus particulièrement les professeurs des écoles, ces
mêmes travaux montrent une certaine évolution des représenta-
de l’ordre tions. Si nous nous référons par exemple à notre dernière étude réa-
lisée en ZEP (Talbot, Marcel et Bru, 2005), on s’aperçoit que
des savoirs certains maîtres n’hésitent pas à interroger le rôle de l’école ainsi
que leurs propres pratiques professionnelles pour analyser les
didactiques causes, le repérage et la gestion des difficultés d’apprentissage qui
ne sont plus perçues uniquement comme exogènes à la classe. Nous
[…] celles avons interrogé par questionnaire 101 professeurs travaillant à
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relevant de l’école primaire. Cinq familles de discours ont été dégagées grâce à
des questions ouvertes.
l’action auprès Le premier type de discours (22 % des interviewés) révèle une cen-
tration sur la personne élève. Sont ici d’abord mises en avant les
des élèves en caractéristiques de la relation de l’enseignant à l’élève en difficul-
tés, relation basée sur l’écoute, la patience et la disponibilité. La
difficulté mise en œuvre de cette relation requiert une connaissance fine et
d’apprentissage une prise en compte qui va au-delà de l’élève pour concerner sa per-
sonne, ses difficultés, son agressivité, sa souffrance, ses manques
sont fortement ainsi que sa situation familiale.
La deuxième famille dégagée (14 %) se centre sur le rôle effectif de
plébiscitées… l’école. Cette catégorie de discours insiste sur le rôle et la respon-
sabilité de l’école dans la prise en charge de la difficulté scolaire. Il
lui incombe de permettre la maîtrise d’un certain nombre de savoirs
(parmi lesquels seuls ceux relatifs au domaine de la langue sont
caractéristiques de cette catégorie) ou plus généralement de la réus-
site scolaire. Notons que dans cette perspective, le principe du

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« lien » est mis en avant : le lien entre l’ensei- classe et des pratiques d’enseignement a été nié
gnant et les autres enseignants du cycle et de dans la prise en compte du phénomène. Les pro-
l’école, le lien avec le RASED, le lien avec les fesseurs tendaient à préférer les théories exo-
parents, le lien avec toutes les ressources dispo- gènes, qui expliquent les difficultés de leurs
nibles. élèves et les leurs par des causes extérieures au
monde scolaire, plutôt que les théories endo-
La troisième famille de discours (9 %) insiste,
gènes, qui situent davantage les causes dans les
comme ce fut le cas dans les études citées plus
pratiques scolaires.
haut, sur les difficultés propres aux élèves qui
sont ici « explicitées ». Celles relatives au com- La situation semble se modifier aujourd’hui. On
portement, au langage, à la compréhension (son peut faire l’hypothèse que ceci n’est pas sans
corollaire), à la construction des apprentissages incidence sur les progrès des prises en charge
sont précisées. Ces difficultés sont mises en rela- des élèves faibles au sein même des classes. Les
tion avec le milieu familial ou l’environnement difficultés scolaires, contrairement à ce qui est
social en général. On sent toutefois dans le dis- dit, ici ou là, ne sont pas en progression. Il
cours de ces professeurs des écoles une perspec- convient effectivement de réfuter la vieille lita-
tive sinon d’amélioration tout au moins de nie sur la « baisse du niveau », ces considéra-
non-résignation face à un constat somme toute tions ne sont pas nouvelles, elles font partie
relativement fréquent à propos du « public ZEP ». d’un discours convenu (Baudelot et Establet,
1989 ; Thélot, 1993). L’amélioration des perfor-
La plus grande partie des maîtres (46 %)
mances générales du système est vérifiée à l’op-
concentrent leur analyse sur les apprentissages
posé des images catastrophiques qui font
de base. Cette catégorie semble revendiquer un
parfois la une des médias. Cette amélioration est
niveau d’exigence non négociable. Au lire,
compter, écrire semblent s’ajouter des savoirs due en grande partie à un investissement des
plus transversaux relatifs à l’apprentissage de la enseignants croissant même si la querelle qui
citoyenneté et du métier d’élève (gestion du agite le système scolaire et qui oppose les
temps). Les verbes « donner », « vivre », « républicains » (centration sur les contenus
« faire », fréquemment utilisés, pourraient lais- d’enseignement) aux « pédagogues » (centra-
ser penser à une démarche inspirée des pédago- tion sur l’élève) n’est toutefois pas terminée.
gies actives d’autant qu’apparaissent les notions Nos travaux cités précédemment montrent
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d’envie et de motivation. qu’outre les compétences de l’ordre des savoirs
didactiques, notamment dans le champ du fran-
Enfin, la cinquième famille (9 %) met l’accent çais et des mathématiques, celles relevant de
sur les pratiques enseignantes de prise en charge l’action auprès des élèves en difficulté d’ap-
des difficultés scolaires. Elle insiste en particu- prentissage sont fortement plébiscitées quand
lier sur les ressources permettant de nourrir cet on recueille le discours des maîtres de l’école
exercice professionnel, en tout premier lieu la primaire, caractéristique des enseignants effi-
formation continue et l’équipe pédagogique caces (Felouzis, 1997).
(niveau cycle ou niveau école), pour que puis-
sent être traitées les questions à la fois pédago- Bibliographie
giques et psychologiques.
AVANZINI, G. 1991. L’échec à l’école : probléma-
tique, Lyon, Voies Livres.
En guise de conclusion BAUDELOT, C. ; ESTABLET, R. 1972. L’école capita-
Les représentations des professeurs des écoles liste en France, Paris, Maspero.
BAUDELOT, C. ; ESTABLET, R. 1989. Le niveau monte,
dans le domaine des difficultés scolaires intè- Paris, Le Seuil.
grent des valeurs, des convictions et des prin- BECKERS, J. 1994. « Modifier les représentations de
cipes personnels qui semblent évoluer. l’échec à l’École normale », dans Recherche en
Longtemps le rôle effectif de l’école, de la éducation : théorie et pratique, n° 17, p. 3-13.

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EMPAN N° 63
Dossier
BOUDON, R. 1973. L’inégalité des chances, Paris, Armand Colin.
BOURDIEU, P. ; PASSERON, J.-C. 1970. La reproduction : éléments pour une
théorie du système d’enseignement, Paris, Éd. de Minuit.
BRESSOUX, P. 1994. « Les recherches sur les effets-école et les effets-
maîtres », Revue française de pédagogie, n° 108, p. 91-137.
BRU, M. 1999. « Mieux connaître les pratiques enseignantes et chercher en
quoi consiste l’effet-maître », dans J. Bourdon, C. Thélot, Éducation et
formation, l’apport des recherches aux politiques éducatives, Paris, CNRS
Éditions.
BRU, M. ; TALBOT, L. (sous la direction de). 2006. Des compétences pour
enseigner, entre objets sociaux et objets de recherches, Paris, PUR.
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