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PLATON / THEETETE

PROLOGUE (142a-143c)
(Euclide / Terpsion) Euclide a croisé Théétète a demi-vivant, qui s’est illustré dans une
bataille mais meurt de dysenterie. Euclide se remémore le sens divinatoire de Socrate qui,
discutant avec Théétète, a admiré la nature de ce dernier et présagé qu’il s’illustrerait.
Terpsion demande a Euclide le récit de l’entretient entre Socrate et Théétète, encore
adolescent. Socrate l’avait raconté à Euclide, qui ne s’en souvient plus, mais l’avait noté par
écrit, puis avait demandé à Socrate d’en combler les lacunes. L’esclave d’Euclide va leur faire
la lecture de cet écrit.

PRESENTATION DE THEETETE ET POSITION DU PROBLEME (143c-151d)

143c-146c : Le portrait de Théétète


Socrate rencontre Théodore, qui est géomètre. De ce fait, beaucoup de jeunes gens qui
ont un naturel philosophe (qui se soucient de savoir, cf. République) vont vers lui. Socrate
veut savoir s’il y a parmi eux des jeunes gens qui se distinguent. Théodore a justement trouvé
un bon naturel : Théétète, qui a le même faciès que Socrate (Ressemblance), et qui a les
qualités de l’apprenti philosophe : intelligence, capacité à apprendre, mémoire, courage,
modestie (douceur). Il a également une bonne ousia, un bon patrimoine, mais ses tuteurs l’ont
réduite à néant.
Socrate examine Théétète. Théodore a prétendu qu’il lui ressemblait, mais sur ce point
il ne faut pas l’écouter, car il n’est pas spécialiste de peinture. Par contre, c’est un spécialiste
en science, et il a loué la compétence de Théétète. Il faut donc examiner, mettre à l’épreuve
cette compétence, et poser à Théétète la question : qu’est-ce que la science ? (Socrate
interroge souvent les jeunes gens sur ce qu’ils possèdent selon le témoignage des adultes :
l’amitié pour Lysis ou la sagesse pour Charmide).
Le dialogue va pouvoir commencer ; son but est de rendre ami les uns des autres.
146c-148d : Première tentative de Théétète et mise au point de Socrate
Qu’est-ce que la science ? Théétète commence par énumérer les sciences qu’enseigne
Théodore (les sciences propédeutiques de Répu., VII) et les diverses techniques artisanales.
Mais Socrate ne demande ni combien sont les sciences, ni quels sont les objets dont il y a
science, mais bien ce que peut être la science, considérée en soi. La réponse ne convient pas
car : (a) on ne peut pas comprendre ce qu’est par exemple la « science des chaussures » si on
ne sait pas ce qu’est la science (b) on prend une « route sans fin » si on s’éparpille dans la
multiplicité des aspects des sciences. Il faut donc laisser de côté l’énumération des objets, des
disciplines et des savants.
Théétète comprend : ce sur quoi on l’interroge est « semblable » à ce qu’il a cherché à
dégager avec son camarade Socrate (le jeune, Homonymie) à propos des puissances : les
voyant multiples et infinies, ils les ont rassemblées dans une unité. Socrate enjoint donc
Théétète à faire la même chose pour les sciences, à enclore la multiplicité dans une unique
forme et une unique formule. Or, Théétète a déjà réfléchi à la question, mais se trouve entre-
deux : il a l’impression de toucher quelque chose, sans pour autant trouver suffisamment
bonnes ses définitions. Socrate fait alors un diagnostique : Théétète est enceint d’un savoir, il
ressent les affres de la grossesse, il faut le faire accoucher.
148e-151d : Intermède : la maïeutique
C’est Socrate qui est le mieux placé pour procéder à l’accouchement. L’opinion
publique ne voit que la face négative de l’activité socratique : c’est un questionneur
intempestif qui plonge dans l’embarras. Mais le véritable métier de Socrate, c’est le même
que celui de Phénarète, sa mère : il est accoucheur. Socrate compare alors son activité et celle
de sa mère : (a) comme Artémis a donné aux femmes qui n’ont pas eues d’enfant l’art
d’accoucher, Apollon a donné à Socrate l’art dialectique, mais il ne met pas lui-même au
monde de savoir. (b) Les accoucheuses oeuvrent sur le corps des femmes, Socrate sur l’âme
des hommes. (c) Les femmes enceintes éprouvent des affres dans leur corps, les hommes dans
leurs âmes (la douleur de l’âme, c’est d’avoir « quelque chose qui ne trouve pas d’issue », une
aporie). Comme les médicaments et les chants des accoucheuses peuvent éveiller ou calmer
les douleurs, les paroles de Socrate peuvent éveiller ou calmer l’aporie. (d) Les accoucheuses
reconnaissent les femmes enceintes, Socrate les hommes porteurs d’un savoir. (e) 1ere
différence : alors que les femmes mettent toujours au monde quelque chose de réel, les
hommes peuvent mettre au monde des êtres réels, vrais (fruits de la conception) ou des êtres
imaginaires, faux (fruits de l’imagination). Il y a donc un acte de plus dans l’activité
socratique : trier le vrai du faux. (f) Les accoucheuses sont aussi de bonnes entremetteuses, de
même, Socrate sait envoyer les âmes vides aux savants qui leur convient.

PREMIERE DEFINITION DU SAVOIR PAR THEETETE : LA SENSATION (151d-


187a)

151d-161c : la définition de Théétète et son exégèse par Socrate


Théétète énonce sa première définition : « la science n’est pas autre chose que la
sensation ». Est-ce une conception véritable ou un fruit de l’imagination ?
Pour Socrate, cette définition peut être ramenée à la thèse de Protagoras : « L’homme
est mesure de toutes choses, de celles qui sont, au sens où elles sont, de celles qui ne sont pas,
au sens où elles ne sont pas ». En quel sens peut-on assimiler les deux affirmations ? Il faut
pour répondre comprendre le sens de l’affirmation de Protagoras : L’homme est mesure de
l’être et du non-être des choses signifie (a) que l’individu particulier mesure l’être des choses
selon la façon dont elles lui apparaissent, en sachant (b) que l’apparaître des choses à un
individu se réduit à la sensation qu’il en a. On peut donc dire que pour Protagoras la science
des choses se réduit à la sensation que chacun en a.
Quelles sont les conséquences de cette thèse ? Si les choses sont telles que chacun les
sent, rien n’est en soi et par soi, il n’y a ni unité, ni qualité, ni identité des choses. Les choses
ne sont pas mais viennent à être, tout naît du mouvement. De cette « théorie de la
connaissance » naît donc une « ontologie » mobiliste, qui remonte en fait à Héraclite et
Empédocle : Le mouvement est source de ce qui est, il procure l’être alors que le repos fait
glisser dans le non-être. Ainsi, c’est l’exercice qui maintient l’être du corps, et l’activité
intellectuelle qui maintient l’âme. Le mouvement est ce qui donne l’être et le préserve, car les
choses immobiles croupissent ou tombent dans l’oubli.
Il ne faut donc pas poser de choses ayant un être et un lieu propre, mais seulement des
genèses. La couleur n’est ainsi que le produit d’un mouvement de rencontre entre une
translation et le heurt qu’elle produit sur les yeux. Mais s’agit-il d’une rencontre entre deux
choses qui restent identiques à elles-mêmes ? Théétète serait tenté de dire oui, alors Socrate
expose un argument sophistique : si on prend si osselets, et qu’on les compare à quatre, ils
sont « plus nombreux » ; si on les compare à douze, ils sont « moins nombreux » : on peut
donc dire qu’une chose ne reste pas semblable à elle-même selon ce avec quoi elle est mise en
relation. C’est là quelque chose qui choque notre pensée habituelle, qui veulent que (1) rien ne
grandit ou diminue tant qu’il reste égal à lui-même, c’est-à-dire (2) ne subit ni diminution ni
accroissement, ni addition ni soustraction ; et que(3) ce qui n’est pas ne peut être sans venir à
l’être. Or, dans le cas des osselets, les six osselets deviennent plus grands ou plus petits sans
qu’aucun ne soit additionné ou soustrait (contre 1&2), quelque chose qui n’était pas (la
grandeur de l’osselet) se trouve être sans qu’il y ait eue aucune venue à l’être (contre 3).
(Ce sont là des paradoxes qui étonnent Théétète. Dans ce cas, il a un vraiment un bon
naturel, car c’est bien d’un philosophe que vient ce sentiment : l’étonnement. Iris, messagère
des dieux dont le nom est rattaché en Crat. 408b à l’activité dialectique, est en effet fille de
Thaumas, l’étonnement.)
Pour comprendre la façon dont la doctrine de Protagoras engendre ces paradoxes, il
faut explorer sa pensée en son fond, reprendre l’exposé sur le mobilisme : il faut s’opposer à
ceux qui croient qu’il n’y a de réel que ce que l’on touche, et qu’ « agir », « devenir » ne font
pas partie de la réalité, et dire au contraire que le tout est mouvement, et qu’en dehors de cela
il n’y a rien. Qu’en est-il dans le détail ? (1) Il y a deux sortes de mouvements : actions et
passions. (2) De la friction d’action et passion s’engendre les sensations et le senti (ex. :
vision / couleur). (3) Les mouvements ont rapidité et lenteur, les mouvements lents étant les
mouvements initiaux qui ont lieu sur place, les mouvements rapides étant des translations,
engendrées par les mouvements initiaux. De ces analyses du mouvement, on peut conclure
que rien n’est en soi et par soi, et que les choses naissent de leur interaction, que l’être d’une
chose ne se décide qu’en fonction de sa relation à autre chose. On arrive ainsi au paradoxe,
exploité plus tard par Aristote, que la seule chose immuable est la négation de l’être de la
chose. Le langage doit être réformé en conséquence, il faut éliminer l’être, le ceci, le quelque
chose, l’attribution. On s’enfonce alors dans l’actualité des générations et des relations sans
jamais les surplomber.
L’analyse des perceptions déviantes (rêve, maladie, folie), va permettre de mettre à
l’épreuve cette conception. Il semble en effet que dans ce cas, nous avons des sensations
fausses, que l’être n’est pas ce qui vient dans l’apparaître. Mais on peut y opposer un contre-
argument. En effet, il est impossible de donner une preuve concluante que ce sont ces
perceptions qui sont déviantes : ainsi, on ne peut pas prouver que ce n’est pas à présent que
nous sommes en train de rêver, ou que nous sommes fou. Tant qu’on n’a aucun argument
pour démontrer que l’éveil est ici et pas dans le rêve, que le vrai est ici et pas dans la folie, on
doit se ranger à l’opinion de Protagoras : que les opinions sont vraies pour qui en est le siège.
C’est donc une conception relativiste/relationnelle de l’être qui s’impose : Socrate ne
peut être « en soi » sentant, il est nécessairement sentant pour un senti, et le senti est senti
pour un sentant. Rien ne subsiste hors de la relation. Je fais les affections qui me font tel que
je suis. Être, c’est toujours être lié, être pour, être avec, être en rapport à. Si l’être s’absorbe
ainsi dans la relation, alors c’est toujours l’ousia que je perçois, puisqu’il n’y a pas d’ousia
indépendante de ma perception, puisque quelqu’un qui percevrait la chose autrement
percevrait en fait autre chose. (On voit donc que ce qui est éliminé, c’est la potentialité ; en
éliminant l’être, on a éliminé la possibilité que les choses soient autrement que dans leur
donation immédiate, on a éliminé la possibilité de l’erreur). Dès lors, toute sensation est vrai,
est sensation du réel qui est mien, et qu’étant ainsi libre d’erreur, j’ai la science des choses
dont j’ai sensation. On peut établir ainsi un continuum vertueux entre Héraclite (« tout est
mouvement »), Protagoras (« L’homme est mesure de toutes choses ») et Théétète (« La
science, c’est la sensation »).
Théétète a donc accouché de sa définition. Les questions n’étaient pas encore des
tentatives de réfutation, mais simplement une manière de déployer toutes les implications de
la thèse. Il faut à présent la mettre à l’épreuve.
160e-163a : Une première réfutation manquée
On pourra objecter à Protagoras que si « chacun, dans sa solitude, n’a pour opinion
que les choses qui lui sont propres, mais, celles-là, toutes justes et vraies », alors il est
plausible que tous les hommes se valent, et même ne soient pas plus savants que le premier
babouin venu. Dans ce cas, on se demande de quel droit Protagoras se déclare un sage et un
maître, et demande salaire en échange de son enseignement, puisque chacun est mesure de
son propre savoir. Mais après cette accusation, Socrate imagine que si Protagoras était là, il
les accuserait de parler comme au tribunal, de ne pas user de démonstration et de nécessité,
mais de persuasion et d’arguments plausibles, bref, de faire les sophistes, d’user des armes de
la dérision plutôt que de l’argumentation ! Il faut donc mener l’examen par un autre biais.
163b-165e : Deuxième objection sophistique
Celui qui a une sensation a un savoir de ce dont il a sensation, voir, c’est savoir. Mais
se remémorer ce que l’on a vu, c’est aussi savoir. Supposons donc quelqu’un qui voit un
objet, puis ferme les yeux. Si il ne voit plus, il n’a plus de sensation, il n’a plus de savoir.
Supposons alors qu’il se remémore la sensation, il en aura le savoir. Il faudra donc dire à la
fois qu’il sait et qu’il ne sait pas, ce qui est contradictoire.
C’est là, plus encore que précédemment, une véritable argumentation sophistique, et
Socrate se blâme lui-même d’user ainsi d’antilogie alors qu’il se prétend philosophe. Il est
facile en effet d’enchaîner des arguments de ce type, en prenant l’adversaire au piège des
mots : on pourra dire aussi bien que si tu fermes un œil, d’un œil tu es savant, de l’autre non,
tu es donc savant et non-savant, etc. Qui plus est, c’est en l’absence du père du logos que l’on
réalise cette attaque verbale ; si Protagoras était là, il se défendrait mieux, réfuterait ces
argumentations, et en plus passerait à l’offensive. En l’absence de Protagoras, c’est…Socrate
qui va se charger de sa défense. Socrate va donc parler à la place de Protagoras contre les
argumentations sophistiques de Socrate.
165e-168c : L’apologie de Protagoras
Protagoras n’aurait ainsi jamais concédé que le souvenir et la sensation, ce soit la
même chose. Par contre, il n’aurait pas craint de dire que le même puisse à la fois savoir et ne
pas savoir, en vertu de sa conception relativiste. Pour le réfuter véritablement, il faut montrer
(1) qu’il n’est pas vrai que ce qui vient à être, ce sont des sensations propres à chacun, et que
chacun en est mesure, (2) que toutes ces sensations diffèrent à l’infini, et font différer de lui-
même celui qui sent, (3) enfin, le plus important, qu’au sein de cette conception, il reste
possible de distinguer les babouins des hommes savants. L’homme savant est en effet celui
qui est capable de faire changer l’apparaître, d’un apparaître mauvais à un apparaître bon. Car
si les critères du vrai et du faux sont évanouis, les critères du bon et du mauvais restent, et
même s’y substituent. Ainsi, ce que le médecin fait par des drogues pour le corps (amener du
pire au meilleur), le sophiste le fait par des paroles pour les âmes, sans que le critère de la
vérité intervienne : on peut faire passer d’une opinion malsaine à une opinion salubre, mais
pas d’une fausse à une vraie. Ainsi, pour la cité, l’orateur vaut mieux qu’un babouin, car il est
capable de faire paraître juste ce qui est bénéfique, de même, pour l’éducation, le sophiste.
168c-172c : Première objection philosophique
Socrate va donc commencer l’examen véritable, il demande à Théodore de lui donner
le répondant. Théodore, qui avait décliné deux fois l’invitation (161b&165a), sous prétexte
qu’il ne voulait pas contredire Protagoras, puis qu’il avait depuis longtemps abandonné la
philosophie pour une activité géométrique sérieuse, accepte cette fois.
Le premier point examiné est l’évanouissement du critère de vérité : La thèse de
Protagoras pousse à dire que toutes les opinions sont vraies. Or, en disant que « toute opinion
est vraie », Protagoras oublie que, par la fonction d’auto-avèrement contenue dans tout
discours, ce qu’il dit prétend à la vérité. Si toute opinion est vraie, alors l’opinion « dire que
« toute opinion est vraie » est faux » est vraie, et donc « toute opinion est vraie » est faux. Le
discours de Protagoras se contredit donc lui-même, et il est nécessaire d’affirmer qu’il y a des
gens plus compétents que d’autres en matière de vérité.
Socrate s’apprête à examiner le deuxième point, savoir qu’une cité ne produit pas ses
institutions en fonction du juste et du pieux, mais de l’utile et du nuisible, car il n’y a pas
d’ousia du juste et de l’injuste, mais le juste et l’injuste, c’est ce qui apparaît tel à la cité.
Socrate s’inquiète de tous ces nouveaux arguments à examiner, comme si cela n’avait pas de
fin. Théodore lui rappel qu’ils ont du temps et du loisir, ce qui donne occasion à Socrate,
avant d’examiner le nouvel argument, de faire une digression sur le loisir dont disposent les
philosophes.
172c-177c : Digression : les philosophes et les tribuns
Socrate oppose dans cette digression deux manières d’être : (1) Celle des philosophes,
hommes libres, qui ont pour parler tout leur loisir, qui ne sont pas soumis à l’objet dont ils
débattent (ils peuvent, comme ici, faire des digressions), qui peuvent faire de longs discours
ou des dialogues. (2) Celle des hommes qui hantent les tribunaux, esclaves, dont la parole est
contrainte, dans le temps par la clepsydre, et dans le choix de ses objets (doit seulement dire si
l’accusé est coupable ou non). Leurs logoi sont leurs compagnons d’esclavage devant leur
maître : l’auditoire.
Ceux qui philosophent sont des étrangers dans la cité, seul leur corps y réside, leur
pensée explore la nature des êtres dans le ciel et sur la terre. Ils peuvent donc avoir l’air
ridicules, comme Thalès faisant rire sa servante en tombant dans le puit. Ainsi dans un
tribunal, le philosophe tombe dans tous les puits, dans toutes les difficultés qu’on lui tend.
C’est qu’il porte sa vue au loin, et ne voit pas ce qui est à ses pieds. Mais lorsque c’est le
philosophe qui tire quelqu’un vers les hauteurs, lui demandant d’examiner l’essence, c’est
l’autre qui prête à rire.
Il y a deux lieux : « ici » et « là-bas », qui sont autant de modèles, « l’un, divin et
bienheureux, l’autre, vide de dieu, plein de misère ». Il faut, autant que faire se peut, se rendre
semblable au modèle divin, afin de se purifier afin de se rendre réellement là-bas.
177c-179c : Retour vers la thèse de Protagoras : le problème de la prévision correcte
Pour Protagoras, donc, « ce qu’une cité institue parce que c’est ce qui lui a semblé,
c’est cela qui est juste en effet pour celle qui l’a instituée, aussi longtemps que c’est la loi
établie » (conception conventionaliste du juste et de l’injuste). Or, l’utile englobe le temps à
venir ; si on fixe une loi utile, c’est aussi dans l’idée quelle le sera à l’avenir. Or, un savoir sur
ce qui va venir implique nécessairement plus que la sensation, il a nécessairement une autre
origine. Et c’est bien ce qui distingue le savant, le technicien, que de savoir ce que la chose
dans laquelle il est spécialisé va devenir. Ainsi, sur ce qui est ou a été, il n’y a rien à opposer à
Protagoras, « mais, sur ce qui va, à chacun, et apparaître, et donc être, est-ce que chacun est
lui-même pour soi le meilleur juge » ? Evidemment non, mais bien le spécialiste.
179c-184b : Réfutation définitive du mobilisme
Protagoras est réfuté pour ce qui concerne la science de l’avenir. Mais si on s’en tient à
la sensation présente, ne sera-t-il pas possible de continuer à dire que la science, c’est la
sensation ? Il est donc temps de s’attaquer au fond de la doctrine de Protagoras : le mobilisme
universel, la conception héraclitéenne du « tout s’écoule ».
La doctrine du mobilisme universel est difficile à examiner car : (1) Ceux qui en parle
sont toujours en translation, faisant dans leur propre langage la guerre à la fixité. (2) Il n’y a
pas un moment où ils discutent en paix avec leurs amis, car ils ne sont pris dans aucune
filiation pédagogique, mais naissent par génération spontanée, sous le coup d’une inspiration.
Il est néanmoins possible de résumer leur enseignement. Lorsqu’on dit que « tout se
meut », parle-t-on d’un mouvement unique ? Non, comme on l’a déjà vu, il y a deux
mouvements, altération et translation ; de plus, les sensations et les qualités naissent sans
cesse de la rencontre de l’agent et du patient. Du coup, toute attribution, toute nomination est
incorrecte, « à chaque fois qu’on parle, l’objet se dérobe sous le mot, étant donné qu’il est en
train de s’écouler ». La parole fige, il faudrait instituer une autre langue ; la seule chose que
l’on puisse dire, dans la langue actuelle, au sujet de la chose, est « pas même ainsi ».
A nouveau, la thèse se renverse, car si tout change, toute réponse est pareillement
correcte et incorrecte. La conséquence ontologique de « la science est sensation », c’est que
« tout se meut ». Mais si tout se meut, il n’est plus même possible de parler, et on s’ôte la
possibilité de dire « la science est sensation ».
La réfutation a été menée à son terme, Théodore est libéré, et Socrate va recommencer
à interroger Théétète. Ce dernier aimerait que l’on examine la conception opposée, celle de
Parménide, mais Socrate refuse, car ce serait trop retarder l’examen de la question principale.
184b-186e : Examen final et transition vers la deuxième définition
La science implique donc nécessairement plus que la sensation, comme l’a bien
montré l’examen de la prévision. Socrate va commencer par montrer qu’il y a plus dans la
perception que la simple sensation.
Ce par quoi on perçoit, ce sont les organes des sens. Mais il faut en fait être plus
précis : les organes des sens sont bien« ce au moyen de quoi » on perçoit, mais pas « ce par
quoi » on perçoit. En effet, les sens sont cloisonnés : on ne peut par ex. entendre un goût. Or,
dans la perception, on met les sensations en rapport, on établit entre elles des relations :
toutes, nous disons qu’elles sont, et qu’elles sont identiques et différentes, on les nombre, on
les pose comme identiques ou dissemblables. Or, au moyen de quoi établit-on ces relations ?
la langue, sans doute, mais elle n’est qu’un instrument, aussi faudra-t-il dire que c’est « l’âme
elle-même qui, au seul moyen d’elle-même, examine, au sujet de toutes choses, les éléments
communs ». Les sens ne nous donnent donc que la qualité des choses, et ces qualités sont
hétérogènes, alors que l’âme vise des « notions », si on peut employer ce terme, qui sont
communes à ces sensations diverses, qui permettent de les penser ensembles, donc
littéralement d’en faire la synthèse, dans un jugement ou un raisonnement immanent à la
perception. Etablir un tel rapport entre sensations et jugements, cela demande de l’expérience
et de l’éducation.
Par la sensation, on ne rencontre donc pas l’ousia des choses, mais seulement leur
qualité, alors que c’est l’âme qui atteint l’ousia, et donc la science des choses. Quel est le nom
de cet état de l’âme dans lequel on trouvera la science ? On s’attendrait à voir ici apparaître le
nous, comme en Répu.VI, 511a, ou au moins la phronesis, cette faculté de prévision dont il a
été question plus haut, mais Théétète pense qu’il s’agit de la doxa. Il va donc falloir examiner
cette deuxième proposition : la science, c’est l’opinion.

DEUXIEME DEFINITION : L’OPINION VRAIE (187a-201c)

Fort de la critique de Protagoras, qui en posant la vérité de toute opinion s’exposait à


l’autocontradiction, Théétète différencie l’opinion vraie et l’opinion fausse, et pose que la
science, c’est l’opinion vraie. Mais quelque chose met Socrate dans l’embarras : quel est ce
trouble qui a lieu en nous lorsque nous avons des opinions fausses, quelle est la nature de
cette opinion, comment est-elle possible ?
188a-191c : l’opinion fausse
En laissant de côté le cas de l’apprentissage et de l’oubli, il est possible d’avoir une
opinion sur ce qu’on sait ou sur ce qu’on ne sait pas. Mais on ne peut pas savoir ce qu’on ne
sait pas, ou ne pas savoir ce que l’on sait. En vertu de cette hypothèse, il est impossible
d’avoir une opinion fausse, car cela reviendrait à : croire que ce que l’on sait est autre chose
que l’on sait, que ce que l’on ne sait pas est autre chose que l’on ne sait pas, que ce que l’on
sait est ce que l’on ne sait pas, ou ce que l’on ne sait pas ce que l’on sait.
Si on ne trouve pas la possibilité de l’opinion fausse à partir du savoir et du non savoir
du sujet, il faut la comprendre à partir de l’être et du non-être de l’objet. Nouvelle hypothèse :
avoir une opinion fausse, c’est avoir pour opinion ce qui n’est pas. Est-ce possible ? Il faut
remarquer que toute perception est perception d’un - quelque chose. Ainsi, toute opinion porte
en elle cette structure : elle est opinion de quelque chose, quelque chose de numériquement
défini, et quelque chose qui est. Du coup, n’avoir rien pour opinion revient à n’avoir pas
d’opinion du tout, et il faut chercher ailleurs l’opinion fausse.
La troisième possibilité envisagée est la suivante : avoir une opinion fausse, c’est
formuler une allodoxia, permuter en pensée une chose et l’autre, ou prendre une chose pour
une autre. L’opinion fausse a alors lieu dans la pensée. Mais qu’appelle-t-on penser ? « Une
discussion que l’âme elle-même poursuit tout du long avec elle-même » ; L’âme qui pense ne
fait « rien d’autre que dialoguer, s’interrogeant elle-même et répondant, affirmant et niant. Et
quant, ayant tranché, […] elle parle d’une seule voix, sans être partagée, nous posons que
c’est là son opinion ». L’opinion n’est donc pas autre chose qu’un logos, mais prononcé en
silence à soi-même, et non pas à l’intention d’autrui par la voix. Une fois l’opinion ainsi
définie, on s’aperçoit qu’il est impossible de permuter en pensée une chose et l’autre, puisque
cela reviendrait à se dire sérieusement à soi-même que, par ex., le beau est laid. Il est
également impossible de prendre une chose que l’on pense pour une autre que l’on ne pense
pas, « car on serait forcé d’être en contact avec ce que l’on ne pense pas. (on voit bien que
dans ces possibilités envisagées, on est encore dans l’alternative rigide être/non-être de la
pensée sophistique -cf. Euthydème- qui, comme dans le cas de la perception, rend impossible
à penser la virtualité ou la puissance. Avec « apprendre » et « oublier », il sagira de
réintroduire ces virtualités).
On est donc arrivé à une impasse. Il faut donc revenir au point de départ, à
l’impossibilité supposée d’un mélange entre « savoir » et « non-savoir », et à l’élimination d’
« apprendre » et « oublier ». Car il est au moins un cas où il est possible de ne pas savoir ce
qu’on sait : Lorsque je vois quelqu’un au loin, je peux croire que c’est Socrate, alors que c’est
quelqu’un d’autre (on voit l’articulation avec le problème de la perception).
191c-195e : L’opinion fausse, entre sensation et pensée
Socrate commence donc par réintroduire les notions d’apprentissage et d’oubli, qui
sont autant de passage possible du non-savoir au savoir, et du savoir au non-savoir. Il est
possible de passer de l’ignorance au savoir, car ce que l’on ne sait pas, on peut l’apprendre. Il
est possible de passer du savoir à l’ignorance, car ce que l’on sait, on peut l’oublier. Socrate
compare alors l’âme à un bloc de cire, plus ou moins malléable. Ce qui est senti ou pensé
s’imprime sur ce bloc, sous forme d’image. Savoir, c’est se rappeler, ne pas savoir, c’est
oublier, que la chose soit effacée ou non imprimée.
On peut, à partir de là, expliquer :
- Les cas ou l’opinion fausse est impossible (pour le détail des combinaisons, cf. fiche
manuelle)
- Les cas ou l’opinion fausse et possible (idem)
Socrate explique ensuite ses combinaisons, à partir de la perception et du souvenir de
Théétète et de Théodore. D’abord, les cas ou l’opinion fausse est impossible, puis les cas où
elle est possible, à savoir : (a) Une chose que je sais et que je perçois, je peux la prendre pour
une autre chose que je sais et que je perçois : j’aperçois Théétète et Théodore au loin, et je
prends l’un pour l’autre (b) Une chose que je sais, je peux la prendre pour une autre chose que
je sais et que je perçois : je connais Théétète, mais je ne l’associe pas au Théétète que je
perçois actuellement, etc. (d’autres combinaisons sont possibles). Dans tous les cas, c’est dans
la non coïncidence entre ce que nous savons et ce que nous percevons que réside l’opinion
fausse.
C’est donc à partir d’un motif « psychologique » que l’on expliquera l’émergence de
l’opinion fausse. L’opinion fausse est une laideur de l’âme, on en formera plus ou moins selon
la qualité de son âme. Socrate reprend ici la comparaison de l’âme à un bloc de cire, et
distingue (a) les sagaces, ceux dont la cire est lisse, et de bonne qualité : les sensations
s’impriment bien, et restent longtemps ; ils apprennent vite et ont bonne mémoire. (b) les sots,
dont la cire est de mauvaise qualité, trop velue, trop dure ou trop molle ; ils sont lents, et
rapportent de travers les marques et les sensations.
L’opinion fausse a été découverte au lieu de croisement des sensations et des pensées.
Or, il se produit aussi des erreurs dans la pensée seule, qu’il va falloir à présent examiner. Or,
cela risque de poser problème, puisqu’on ne peut pas à la fois savoir et ne pas savoir dans la
pensée.
195e-200d : L’opinion fausse dans la pensée seule
Il faudrait pour commencer définir le savoir. Mais Socrate met à jour un vrai
problème : depuis le début, on cherche ce que peut être la science, aussi comment définir le
savoir si on ne sait ce qu’est la science ? De plus, n’est-il pas ridicule de chercher à définir la
science en employant, comme on le fait depuis le début, les termes de « savoir »,
« connaissance », « ignorance », « comprendre ». Cette difficulté se rencontre à chaque fois
que l’on tente de définir un terme souche, il faut en prendre son parti, et rester dans une
discussion « impure ».
Socrate commence par une définition classique de « savoir » : savoir, c’est « avoir la
science ». Il faut distinguer deux sens d’ « avoir » : avoir au sens d’une possession actuelle,
présente, et avoir au sens d’une acquisition dont on ne se sert pas forcément actuellement.
Savoir, c’est avoir la science au sens dune acquisition. On peut comparer celui qui a acquis la
science a celui qui a acquis un colombier. Il a chassé des oiseaux, les a attrapés, et les
conserve dans son colombier ; ces oiseaux attrapés, il peut alors les reprendre ou les
conserver. Dans la volière, certains oiseaux sont seuls, d’autres groupés, d’autres encore
circulent entre les groupes. On peut dire que (a) savoir, c’est avoir acquis (appris ou trouvé)
une science, et l’enfermer dans l’âme. (b) l’art, c’est ce qui permet de faire la chasse aux
sciences.(c) donner la science, c’est enseigner, la recevoir, c’est apprendre (d) quand on
possède une science, on peut l’acquérir à nouveau en se servant dans son colombier.
Il est impossible, on l’a vu, de savoir et de ne pas savoir, mais il est possible d’avoir
une connaissance qui n’est pas la bonne, de se tromper en attrapant la mauvaise science parmi
les sciences qu’on a acquises.
Le problème, c’est qu’on va alors devoir admettre que c’est parce qu’on possède la
science qu’on est ignorant. On ne peut donc pas connaître l’opinion fausse avant d’avoir saisi
l’être de la science. « Reprenons donc encore une fois au début ».
200e-201d : La science est-elle l’opinion vraie ?
Théétète ne veut pas changer sa définition : même si on ne sait ce qu’est l’opinion
fausse, reste que l’opinion vraie est science. Socrate va brièvement exterminer cette
conception : Il y a un art qui montre que l’opinion vraie n’est pas la science, c’est l’art des
habiles, des hommes qui hantent les tribunaux. C’est par persuasion que les orateurs, qui n’ont
pas vu le larcin et qui disposent de peu de temps pour l’examen, produisent chez les juges
l’opinion qu’ils veulent. Si les juges ont bien jugé, ils ont eue une opinion vraie, sans pour
autant avoir de science, puisqu’ils ont rendu leur verdict en ayant été persuadés. Donc la
science se distingue de l’opinion vraie.

TROISIEME DEFINITION : L’OPINION VRAIE ACCOMPAGNEE DE LOGOS


(201d-210b)

Théétète se rappel de quelque chose qu’il a entendu : la science est l’opinion vraie
accompagnée de définition, de logos. Ce qui est alogos ne peut pas être objet de science, n’est
pas epistêta.
Comment départager le « sachable », pourvu d’un logos, et le non « sachable », qui est
alogos. Socrate va expliciter l’opposition logos / alogos en une opposition entre les choses
composées et leurs éléments : Les premiers éléments des choses sont alogos, ils ne possèdent
qu’un nom, et d’eux, on ne peut rien dire de plus. Les éléments s’entrelacent pour former des
choses, comme les mots s’entrelacent pour former un logos. Les éléments ne sont pas connus
mais sentis, les composés sont connus, et objets d’une opinion vraie. L’âme qui saisit
l’opinion vraie au sujet de la chose est dans le vrai, mais elle ne connaît la chose, elle n’en a la
science, que quand elle est capable d’en donner ou d’en accueillir le logos.
Mais quelque chose chagrine Socrate : que les éléments ne soient pas connus, alors
que les composés le sont à partir d’eux.
202e-206c : Critique de la théorie des éléments
La théorie est examinée en utilisant un modèle : celui des lettres et des syllabes.
Apparemment, ça colle : les syllabes, composées de lettres, sont définies à partir de leurs
éléments (« SO » = S+O), mais les lettres, elles, sont alogos, seul un son leur appartient.
Mais celui qui connaît les syllabes ignore-t-il ce qui les compose ? Cela semble
impossible, et qui connaît un composé devra nécessairement en connaître les éléments (nous
considérons ici le composé comme la somme des éléments, et pas « une forme douée d’unité
qui s’est constituée quand les éléments se sont groupés »). Mais nous avons dit que les
éléments étaient inconnaissables, nous sommes donc dans l’impasse. Peut être fallait-il donc
dire que le composé est différent de la somme des éléments, qu’il possède un aspect propre,
bien qu’il soit formé de la somme des éléments.
Socrate se livre à un ensemble de distinction. Il faut distinguer le tout (to holon),
l’ensemble (ta panta), et la somme (to pan). L’ensemble et la somme ne sont que deux aspects
d’une même chose, ainsi par exemple dans une numération, 1+1+1+1+1+1, c’est un ensemble
d’éléments, et cet ensemble ne se distingue pas de la somme, 6. Mais il faut les distinguer du
tout qui est une forme douée d’unité différente de l’ensemble des parties, sans quoi on
retombera dans l’impasse précédente, avec des parties inconnaissables, et une somme
connaissable. Mais comment cela serait-il possible ? Soit le composé ne se confond pas avec
les éléments, qui ne sont pas ses parties, mais dans ce cas il est lui-même comme un élément
premier, et il sera alogos. Soit il se confond avec ces éléments, mais dans ce cas, il n’est rien
d’autre qu’une somme.
Alors, il ne reste plus qu’une seule possibilité : dire qu’une connaissance des éléments
est possible, et que c’est elle qui est décisive (ex. de l’apprentissage des lettres ou des notes,
dans lesquelles on commence par les éléments pour arriver aux composés).
206c-210b : Les trois sens du logos
Il faut donc revenir sur la définition de la science : qu’indique le mot logos ? Trois
possibilités : (a) User de logos, c’est rendre apparente sa pensée par la voix, c’est se figurer
une image de sa doxa « comme en un miroir ou dans de l’eau ». Mais dans ce cas, le logos ne
se distingue en rien de l’opinion, et la définition s’expose aux critiques précédentes. (b)
Donner le logos, c’est être capable de détailler tous les éléments d’une chose, d’en restituer le
compte exact. En ayant une opinion droite, on se contente d’énumérer les parties principales,
mais quand on donne le logos, on donne le compte exact. Mais dans ce cas, le logos n’est pas
la science, car on peut faire le compte exact des éléments d’une chose sans en avoir la science,
comme l’enfant qui connaît toute les lettres et se trompe en écrivant « Théodore »
« Téodore ». (c) Donner le logos, c’est donner le signe distinctif par lequel l’objet diffère de
tout le reste. Mais nous sommes en fait encore dans le domaine de l’opinion, car celui qui a
l’opinion droite est capable de donner le signe distinctif d’un objet.
En fait, c’est la définition qui est mauvaise, qui suppose ce qu’elle doit définir : dire
que la science est opinion+logos, cela revient à dire que la science est opinion+science.
210b-d : Epilogue
On n’a donc trouvé « que du vent et rien qui vaille ». Mais Théétète a au moins été
purifié de ses opinions fausses, et il ne peut à présent qu’accoucher de quelque chose de
meilleur, et même s’il n’accouche de rien, la philosophie l’a rendu plus doux, car il ne croit
pas savoir ce qu’il ne sait pas.

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