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Sylvain Matton

Vie et œuvre de David Laigneau,


alchimiste et médecin du roi *

David Laigneau (dont le nom est aussi orthographié l’Aigneau, l’Agneau ou


Lagneau) vit le jour à Aix-en Provence, ou du moins dans le diocèse de cette ville. On
peut fixer la date de sa naissance vers 1564, puisque dans la dédicace, rédigée en 1645,
de la troisième version de son traité contre l’abus de la saignée, il écrit : « Je n’attens plus
que le son de la Trompette pour m’appeller hors du monde, auquel j’ay desja demeuré
quatre vingts un an. » 1
Dans ses Historiettes, Tallemant des Réaux nous apprend incidemment que
Laigneau était protestant. En effet, à propos d’un certain Falgueras, commis de
Guillaume Menant, secrétaire du Roi, Tallemant explique que ledit Falgueras était
« marié avec la sœur d’un petit médecin huguenot, nommé Lagneau, qui est une espece
de medecin empirique », et il ajoute que ce commis faillit empoisonner la fille d’un
pâtissier avec « une pilule de Lagneau qu’il avoit sur luy » en revenant du Languedoc 2.
Laigneau résida peut-être un temps à Montélimar, car d’une observation qu’il fait
sur l’ithyphallisme cadavérique il ressort qu’il assista au moins à la reconquête de la cité
en août 1587 par les protestants :
« Sur le coït », note-t-il, « on esmeut vne question, qui est d’où vient qu’à
plusieurs estants morts, le membre viril s’enfle & roidit si fort qu’il est impossible
de le déroidir, ce que j’ay veu estre aduenu à tous les soldats tués à la reprise du
Mont-limar ville du Daufiné. Le nombre est de sept à huict cents, sur le membre
desquels, estants tous nuds au milieu des ruës, les femmes mettoient quelque
chose dessus pour ne paroistre ainsi tendu. » 3
En 1590, il s’inscrivit à l’Université de médecine de Montpellier, choisissant pour
patron et lecteur Jean Saporta, fils d’Antoine Saporta, l’ami de Rabelais, que ce dernier
mentionne dans son Pantagruel 4. Il eut également pour maîtres le futur premier médecin

* Préface à la réédition anastatique de : David L’Agneau, Harmonie mystique (1636), Paris : Gutenberg

Reprints, 1986, pp. 7-38. Version revue et mise à jour.


1 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, Paris, 1650, f. a iiijr. Voir

f. a iijv : « en ceste troisieme Edition mil six cens quarante cinq ».


2 Voir Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. A. Adam, Paris, 1961, (Pléiade), II, pp. 710-711.
3 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 233.
4 Voir M. Gouron, Matricules de l’Université de Médecine de Montpellier (1503-1599), Genève, 1957,

p. 191 : année 1590, folio 78, n. 2975, « David Lagneus, dioc. Aquensis (Saporta), 16 avril. » Voir aussi J.
Astruc, Mémoires pour servir à l’histoire de la Faculté de Médecine de Montpellier, Paris, 1767, pp. 301 et
356. Laigneau a été oublié par A. Leenhardt, Montpelliérains médecins des rois, Largentière, 1941.
Sur J. Saporta (?-1605), qui fut régent en 1574, voir L. Dulieu, La Médecine à Montpellier, II, pp. 32
sqq., et « Une famille médicale à l’époque de la Renaissance, les Saporta », Le Languedoc médical, II (1963).
Portrait de David Laigneau par Jean Boulanger
(Traité pour la conservation de la santé, Paris : J. Piot, 1657)

2
d’Henri IV, André Du Laurens (1558-1609) 5 et Jean Hucher (?-1603), chancelier de la
faculté en 1583 et auteur d’un De sterilitate utriusque sexus, dont le livre IV tout entier
traite des maléfices 6. Nous ignorons quand exactement Laigneau prit ses degrés et quels
furent les sujets de ses thèses. Il resta en tout cas fort attaché à l’enseignement
montpelliérain, qu’il évoqua avec nostalgie dans sa vieillesse en louant son caractère
pratique :
« I’estime », observe-t-il, « deuoir monstrer l’ordre qu’on tient à Montpellier aux
consultes & visites des malades, qui est la cause qu’il n’en peut sortir aucun
ignorant en prattique, qui y ira estudier, & s’y rendre capable, lesquelles sont
profitables, non seulement pour les malades : mais aussi pour les Escholiers en
medecine & chirurgie. Si c’est matiere chirurgicale, que les maistres Chirurgiens
y soient appellez, iceux y parlent chacun à son tour (& sans contestation) du mal,
de la cause, du lieu d’iceluy, du prognostiq, de la curation par dicte Chirurgie, &
Pharmacie, parlans selon la qualité & intelligence des assistans, ou Latin, ou
François : la conclusion prise, le Medecin ordinaire du malade dit tout haut, & vn
des Escholiers escript, & tous les Escholiers, tant en medecine, que chirurgie qui
y veulent assister, y viennent, & puis tous les consultans signent à leur ordre :
L’Apoticaire ayant dispensé le tout (si ce sont drogues d’importance) les met en
veuë d’vn chacun, qui dit son aduis sur la bonté, mauuestie, & preparation
d’iceux remedes. Si c’est vne operation chirurgicale, ceux qui y veulent estudier,
y sont les biens receus ; & sur les douttes proposées, il est satisfait amiablement,
par authoritez & raison, & les Escholiers en medecine, & chirurgie, suyuent (s’ils
veulent) les Medecins qui vont visiter leurs malades, entrant avec eux, entendent
leurs demandes aux malades, & à ceux qui les assistent, la response d’iceux,
voyent ce qu’il faut voir, demandent ce qui leur plaist touchant la maladie, à quoy
leur est respondu iusques au moindre doute & interrogat, mesmes ayant escript
l’ordonnance au detail du Medecin, & tant plus l’Escholier se monstre curieux en
ses interrogats, & reparties faites par iugement, & tant plus est-il aymé & estimé.
Pour le jour du Me‹r›credy, qu’il n’y a point de leçons, vn des Professeurs va à la
campagne avec les Escholiers, tant en medecine, chirurgie, que Pharmacie, qui y
veulent aller, tantost à Peraux, Ville-neufue, Chasteau-neuf, Boutonnet, ou entre
la Mer, & l’estang pour y voir & cognoistre les plantes, où plusieurs profitables

5 Voir Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 223 : « Et Du Laurens en

son Livre Anatomique 1. 8 de formatione foetus, question 9 a observé, & moy avec luy à Montpellier, plusieurs
enfants... ». Sur Du Laurens, nommé premier médecin de Henri IV en 1606, voir Dictionaire de biographie
française, XII, Paris, 1970, p. 67 ; E. Turner, Bibliographie d’André Du Laurens […] remarques sur sa
biographie, Paris, s.d. ; Évelyne Berriot-Salvadore, « Les œuvres françaises d’André Dulaurens »,
dans Esculape et Dionysos. Mélanges en l'honneur de Jean Céard, Genève, 2008, pp. 243-254 ; voir aussi
R. Semelaigné, Les Pionniers de la psychiatrie française, I, Paris, 1930, pp. 38-42.
6 Voir Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 660 : Hucher « mon

maistre », et aussi p. 255. Le De sterilitate fut publié à Genève en 1609 ; le livre IV, « De Maleficiis », occupe
les pages 628-746. L’intérêt de Hucher pour la sorcellerie dut passer dans son enseignement, puisqu’il inclut
dans ce traité une thèse qu’il fit soutenir en 1588 : Sitne in morbis humanis aliquid divini, vel an ulli sint supra
naturam hominum morbi a dæmonibus oriundi. Sur Hucher, voir L. Dulieu, La Médecine à Montpellier, II,
pp. 163-165 et passim, et « Le chancelier Jean Hucher », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XXXIII
(1971), pp. 167-176.

3
questions se proposent, en tout ce qui consiste la Medecine : bref tout y est
tellement policé, qu’il est impossible que celuy qui y estudie (y voulant bien
proffiter) ne s’y rende bon Pratticien :aussi n’y reçoit-on aucun Professeur, que
par la theorique, & prattique, laquelle se cognoist par l’examen, & dispute
publique, & vn d’iceux estant mort, billets sont enuoyez par tout où on croit y
auoir des Docteurs de Montpellier, les inuitans à la dispute pour la Chaire […]. » 7
À l’université, il eut pour camarade le fameux Turquet de Mayerne, lequel suivit les
cours de la faculté de médecine de 1592 a 1597 8. En effet, évoquant les médisances que
colportent sur lui ses adversaires, les médecins adulateurs de la saignée, Laigneau se
console en observant :
« Ces mauuais, vulgaires & Rabauds Medecins Cochomistes, me calomnient,
dénigrent, noircissent, & m’eschaffaudent plus qu’ils n’ont jamais fait aucun, &
autant que Cardan pour le moins a esté, & Majerne mon compagnon d’estude à
Montpellier, à présent premier medecin du Roy d’Angleterre, & de feu Iacques
son pere, pource seulement que ie ne veux suiure ny m’accommoder à leur
sanglante façon. Ie suis (disent-ils) sorcier, magicien, charlatan, empyrique,
distilateur, (sans qu’aucun m’ait jamais veu ‹au› fourneau,) Appothiquaire, (sans
boutique, boettes, ny drogues,) Barbier, (sans sçavoir faire la barbe,) ignorant,
affronteur, & seul en mes opinions. » 9
Parmi ses autres condisciples, on relève plusieurs noms intéressants qu’il convient
de signaler, même si Laigneau lui-même ne les mentionne pas dans ses écrits : François
de Monginot (1569-1637), qui deviendra médecin du prince de Condé et dédiera à
Richelieu un Traitté de la conservation et prolongation de la santé (Paris, 1635), dont le
chapitre III est consacré à la pierre des philosophes ou médecine universelle, et le
chapitre IV à la liqueur d’or 10 ; Marcellin Bompart (?-1648 ?), qui dédiera au marquis
d’Effiat sa Conference et entrevue d’Hippocrate et Democrite (Paris, 1632), où il donne
un sens alchimique à cette « langue des oiseaux » que, selon la « lettre du Sénat & peuple

7 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, pp. 250-251.


8 Voir Gouron, Matricules de l’Université de Médecine de Montpellier (1503-1599), p. 197, n. 3067. Sur
Turquet de Mayern, voir Th. Gibson, « A sketch of the career of Theodore Turquet de Mayern », Annals of
Medical History, V (1933), pp. 315-326 ; W.B. Ober, « Sir Theodore Turquet de Mayerne », New York State
Journal of Medicine, LXX (1970), pp. 449-458 ; L. Thorndike, A History of Magic and Experimental Science,
New York, 1958, VIII, pp. 259-260.
9 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 199 ; voir aussi Traicté de la

saignee, Paris, 1630, p. 4. Ces passages ont été signalés par F. Secret dans « Réforme et alchimie », Bulletin de
la Société de l’histoire du Protestantisme français, CXXIV (1978), p. 186, et « Situation de la littérature
alchimique en Europe à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle », XVIIe siècle, CXX (1978), p. 137.
10 Voir pp. 23-24, à propos de la médecine universelle : « Certes par sa vigueur tres-puissante, elle porte

la santé au-delà de nostre Nature pour la preserver de toute langueur, & luy procurer une longue vie & joviale.
De quoy elle a donné des preuves suffisantes pour l’experience, mere tutrice de choses, dont l’essence & la
cause sont cachees & ignorees : le tesmoignage de plusieurs autheurs les fortifie qui ont possedé & pratiqué
ceste teincture invincible. » Monginot ne croit cependant pas que cette dernière puisse conférer l’immortalité.
Comme Laigneau, il s’inscrivit à la Faculté de médecine en 1590, et fut recu bachelier et docteur en 1592 ; voir
Gouron, Matricules de l’Université de Médecine de Montpellier (1503-1599), p. 191, n. 2976 : « Franciscus
Monginotius (Hucher), 3 mai. Lingonenses. B. 20 mars 1502. D. 16 juin 1592. ». Voir aussi Michaud,
Biographie universelle, XXVIII, pp. 622-623 ; Haag, La France protestante, t. VII, Paris, 1857, pp. 441-442 ;
Leenhardt, Montpelliérains médecins des rois, p. 115.

4
abdéritain à Hippocrate », Démocrite disait comprendre 11 ; Jean Taxil (ca 1570 - ca.
1640), qui dédiera à Guillaume Du Vair son Astrologie et Physiognomie en leur
splendeur (Tournon, 1614) 12 ; enfin, Jean Aubery (1569-1622), futur médecin du duc de
Montpensier, qui dédiera à Du Laurens son Antidote d’Amour (Paris, 1599) 13. Peut-être
Laigneau a-t-il pu aussi rencontrer à Montpellier le poète alchimique Christophle de

11 Voir pp. 8-11 : « Il n’entend pas icy le jargon naturel des oiseaux, ains les hieroglyphes des Egyptiens

sur tout de la Chimie, de laquelle ils sont inventeurs, comme de toutes les sciences ; C’est pourquoy Moyse par
un subtil Enigme devant que de sortir d’Egypte commanda au peuple d’lsrael d’emporter les vaisseaux d’or et
d’argent, c’est-à-dire les thresors des sciences, Exod. 2. Or est-il que Democrite avoit long-temps conversé
avec les Egyptiens, & tiré du tombeau de Dardanus Egyptien beaucoup de livres qui monstroient les secrets de
la Chimie, come dit Josephe lib. 8 cap. 2 & Plinius Veronensis lib. 30 cap. 1, de sorte que Democrite voulant
parler par Enigmes, & par Hierogliphes comme ses precepteurs Egyptiens, il entend par le ramage des oiseaux,
les mysteres de la Chimie, qui sont assez familiers aujourd’huy dans ces termes, Aves Hermetis, Aquila, parlant
du Mercure .
Si fixum solvas, faciasque volatile fixum,
Et volucrem figas, faciet te vivere tunum.
Mercure trimegiste dans sa table d’Esmeraude appelle le Mercure oiseau. Augurellus, en sa Chrisopee
parle d’un oiseau noir dissolvant le corps. Le Corbeau ou le Faucon d’Hermes qui se tient tousjours avec le
Trevisan au bout des montagnes, c’est à dire sur la superficie du metail, quando est spiritus niger non urens
[…] Democrite fit un livre intitulé De Avium colloquiis, lequel Pline second a leu, & creu qu’il estoit plein de
magie n’estant rien que des secrets de la nature, enseignez par hierogliphes : le bon Galien qui n’estoit pas
instruit à l’Egyptienne, ayant veu un livre de herbis triginta sex horoscoporum, souz le nom de Mercure trois
fois grand, il se mocque, n’entendant pas ce mot ἄετος i. Aquila qui est un terme assez cogneu comme j’ay dit
parmy les spagiriques. Pamphilus a voulu faire l’entendu à l’explication de cét Aigle, & la prise pour une herbe
incogneue aux Grecs, mais il a choppé aussi bien que Galien et en cela : medicinam vanitatibus defœdavit. J’ay
trouvé à propos pour la plus grande cognoissance du jargon des oyseaux, duquel parle Democrite, de mettre la
peinture d’Henricus Kudorferus, anno Salvatoris nanti 1421 qui comprend les mysteres de la pierre
philosophale, vous y verrez un Aigle, et un Corbeau. »
Voir également p. 49 : « Democrite parle aussi de ceux qui se rompent la teste apres la Chrysopee par le
soulphre et le marcure, car encore qu’il fust grand spagyrique, comme Psellus remarque, il fit comme Arnauld
de Villeneuve, qui dit au livre de regimine senum, perscrutatus sum viscera terræ, et in eis reperi vanitatem &
temporis perditionem. »
Bompart s’inscrivit à la Faculté de médecine en 1591 (voir Gouron, Matricules de l’Université de
Médecine de Montpellier (1503-1599), p. 194, n. 3021 : « Marcellin Bompar, Ebredunensis, m.a. (Hucher), 12
octobre. »). Il exerça à Clermont-Ferrand, fut médecin principal de l’Hotel-Dieu en 1628 et emmené à Paris par
le marquis d’Effiat en 1631 : voir Michaud, Biographie universelle, IV, p. 653 ; Revue d’Auvergne, I (1884),
pp. 240-241, Dictionnaire de biographie française, Vl, 1954, col. 896. Il ne peut être né à Clermont-Ferrand en
1594, comme le veulent ces notices (ou faut-il supposer qu’il s’agit de deux personnages différents ?). Il publia
également un Nouveau chasse Peste (Paris, 1630), où il se réfère à Isaac Hollandus, Penot, M. Ruland et
Libavius, ainsi qu’un Miser homo, Paris, 1648, dédié à Nicolas Piètre, Jean Riolan, Jean Merlet et Guu Patin,
où il écrit (p. 11) : « & revera rationi consona magis puritas olei, quam spectantes Hermetici philosophi, ex
auro liquorem parare student quo perennet humanæ vitæ lampas, comprobantes exemplo aeternarum
lampadum, auri liquore nutritarum. Olibius insignis chemicus duas ampullas, argenteam unam, alteram auream
liquore purissimo plenas urna fictili clausit, quæ per multa sæcula lucem dederunt, effossæ in agro Patavino. »
12 Né aux Saintes-Maries, Taxil s’inscrivit à la Faculté de médecine en 1592 ; voir Gouron, Matricules de

l’Université de Médecine de Montpellier (1503-1599), p. 196, n. 3061 : « Johannes Taxil, Trimariensis, dioc.
Arelatensis (Hucher), 17 septembre. A Villa maris. B. 8 mars 1593. D. 24 février 1594. » Il exerça à Arles ;
voir E. Fassin, « Un oublié : Jean Taxil », Bulletin de la Société des amis du vieil Arles, janvier 1940 ; S. Nelly,
« Jean Taxil, un médecin astrologue du début du XVIe siècle », Les Cahiers astrologiques, LXVI bis (sept.-oct.
1958), pp. 235-239.
13 Aubery s’inscrivit à la Faculté de médecine en 1590 ; voir Gouron, Matricules de l’Université de

Médecine de Montpellier (1503-1599), p. 191, n. 2972 : « Ioannes Aubery, Molinensis, dioc. Heduensis
(Saporta), 11 mars. B. 16 novembre 1591. D. 17 mars 1593. » Voir également Dictionnaire de biographie
française, V, 1951, coll. 106-107 (art. de Ph. Tiersonnier) ; Ch. Ansillon, Mémoires concernant les vies et les
ouvrages de plusieurs modernes célèbres dans la république des lettres, Amsterdam, 1709, pp. 378-379.

5
Gamon, qui se formait alors à la pratique du commerce chez l’apothicaire Maignol 14. À
cette époque Laigneau connaissait déjà Henri de Rochas, qui devait consigner ses
observations sur les mines et ses doctrines chimiques dans sa Physique demonstrative
(Paris, 1642), dont le livre II traite « de l’esprit universel, & des principes
spagyriques » 15. À propos des diverses appellations que l’on a données à la peste, “Playe
de Dieu”, “Air mortel”, “Contagion”, “Verges de Dieu”, “Maladie contagieuse et
mortelle”, Laigneau avertit en effet que
« desquels noms le livret qui porte le nom de Rochas, imprimé à Paris 1619 se
mocque tresmal à propos ; hors cela, j’en estime l’autheur habile & docte, & je
croy qu’il peut faire mieux, ayant jetté à la censure du public ce livret soubs le
nom d’autruy, comme cet excellent peintre son tableau, & prie ce docte homme
nous donner de ses œuvres sous autre nom : car Rochas (que je cognois y a
quarante ans, quoy que gentilhomme d’ancienne & bonne famille, homme doux
et paisible, & qui a de beaux secrets en la chymie, en laquelle il s’est exercé
depuis sa jeunesse, ayant conduit les fourneaux d’un Conseiller de Parlement, &
mon amy, grand amateur & sectateur de Paracelse) ne peut supporter l’esclat des
rayons reverberez à sa face, ou il auroit une science infuse, ou acquise par
l’espuration de son esprit esclairé & monté jusques au cercle des sciences
obstruses par l’usage de la quintessence astralisée. » 16
Coiffé du bonnet de docteur, Laigneau alla exercer son art à Crest, la patrie d’un
autre célèbre adepte, traducteur de Lambsprinck et commentateur de l’épitaphe de
Bologne, Nicolas Barnaud (ca 1539 - ca 1607) 17. C’est là que débuta sa carrière offi-
cielle, avec sa nomination au poste d’inspecteur des hôpitaux, charge qu’il conserva
apparemment jusqu’à sa mort. Sur son obtention, il se plaît à nous fournir tous les
détails :
« Ayant esté auparauant, année 1598. comme i’exerçois la Medecine à Crest, ville
de Dauphiné, choisi, nommé & deputé, sur la requeste de Monsieur le Procureur
du Roy, par Messieurs Desdiguieres [sic 18], Lieutenant general de ladite Prouince
pour le Roy, & d’Ilins, premier President au Parlement d’icelle Prouince, & de
Vic, Maistre des Requestes de sa Majesté, Deputez pour l’establissement de
l’Edict de Nantes, pour regler les abus & maluersations des Hospitaux, voir,

14 Voir notre introduction à la réédition anastatique du traité de Linthaut, Commentaire sur le Tresor des

tresors de Christophle de Gamon, Paris, 1985, p. 10.


15 Rochas est également l’auteur d’un Examen ou raisonnement sur l’usage de la saignée (Paris, 1644),

qui est suivi de La Philosophie Hermétique, ou confection d’une medecine corrective, conforme, et generale,
dédiée à Adrien de Montluc. Une version latine de son traité sur les eaux minérales, le Tractatus de
observationibus et vera cogninone aquarum mineralium a été insérée dans le tome VI du Theatrum Chemicum,
Strasbourg, 1661, pp. 716-772. Sur Rochas, voir Haag, La France protestante, VIII, p. 455 ; Colonel de
Rochas d’Aiglun, Notice biographique sur Henry de Rochas, sieur d’Ayglun, ingenieur des Mines, conseiller
et médecin ordinaire du roi Louis XIII, Grenoble, 1907.
16 Traicté de la saignee, p. 298 ; ce passage ne se retrouve pas dans le Traicté pour la conservation de la

santé, et sur la saignée de ce temps.


17 Sur Barnaud, voir L. Foisneau (dir.), Dictionnaire des philosophes français du XVIIe siècle, pp. 212-

215 (art. de Didier Kahn).


18 Il faut lire Lesdiguières (François de Bonne de, 1543-1626).

6
visiter & separer les lepreux d’auec les sains aux Seneschaussées dudit Crest,
Montlimar & Bailliage du Buys : & du depuis par toute ladite Prouince, par le
Parlement d’icelle, en l’année 1606, confirmée & amplifiée par sadite Majesté,
des Prouinces de Languedoc, Prouence, Bourgongne, & autres en l’an 1609. &
encores en l’an 1626. par tout ce Royaume ; & du depuis en l’an 1631 par
l’Archihospitalier de toute la Chrestienté, pour premier Medecin & Agent general
de tout son Ordre en tout ce royaume ; & auparauant, en l’année 1608. par Lettres
Patentes du feu Roy Henry le Grand, i’ay veu, visité & examiné ceux qui se
meslent de l’exercice de la Medecine. Tous lesquels emplois, charges & exercices
i’ay exercez autant de temps que l’occasion & ma disposition m’ont permis. Tout
cecy pourra seruir en temps calme à mes enuieux & detracteurs, que ie suis
d’autre nature, & plus considerable qu’ils ne me disent. A Dieu seul la gloire. » 19
Laigneau résidait encore à Crest en 1599, puisqu’il figure parmi « tous les manants
et habitants de Crest » convoqués le 10 novembre de cette année par les commissaires du
roi pour leur donner connaissance de l’édit de Nantes & leur en faire jurer l’obser-
vation 20. Mais l’année suivante il était à Grenoble, où il fut fait médecin du roi :
« Ie suis », explique-t-il, « par la grace de Dieu ce que ie suis […] & par l’ordre de
feuz Messieurs de la Riviere 21 & Dulaurens, premiers Medecins du feu Roy
Henry IIII. surnommé le Grand, lors qu’il vint à Grenoble, (moy y demeurant, &
exerçant la Medecine,) pour la guerre de Piedmont. Ie fus mis au rang des
Medecins de sa Majesté, sans aucune mienne demande, ny priere, ny argent, où
i’ay esté maintenu par feu Monsieur Heroüard, premier Medecin du feu Roy
Louis XIII. » 22
Or, le roi séjourna à Grenoble du 13 mai au 17 août 1600. Dans ces conditions,
lorsqu’il habitait à Crest, Laigneau n’a pu y fréquenter Nicolas Barnaud, car ce dernier,
exilé dès 1566 pour des raisons politico-religieuses, ne revint en France qu’en 1602, et à
Crest vers 1603 ou 1604. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, alors qu’il
pratiquait à Grenoble, Laigneau se rendit à Crest pour discuter avec Barnaud d’alchimie,
ainsi qu’à Yverdon, en Suisse, pour y conférer avec un non moins célèbre alchimiste, le
paracelsiste Bernard Georges Penot (?-1620) 23.
Encore que l’on ait récemment attiré l’attention sur le goût d’Henri IV pour la
philosophie hermétique, ce ne fut certainement pas à ses travaux alchimiques que
Laigneau dut son titre de médecin du roi, mais peut-être à ses qualités professionnelles et
à l’estime que nourrissait Du Laurens pour son ancien élève. Du Laurens n’approuvait

19 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, pp. 199-200.


20 Cf. E. Arnaud, Histoire des protestants de Crest en Dauphiné pendant les trois derniers siècles, Paris,
1893, p. 23.
21 Jean Ribit de la Rivière (ca 1546-1605), sur lequel voir Hugh Trevor-Roper, « The Sieur de la Rivière,

paracelsian physician of Henri IV », dans H. Trevor-Roper, Lord Dacre, Renaissance Essays, Londres, 1985,
pp. 200-222.
22 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 199. Laigneau n’est pas

mentionné par A. Bordier, La Médecine à Grenoble, Grenoble, 1896.


23 Sur Penot, voir Eug. Olivier, « Bernard G[illes] Penot (Du Port), médecin et alchimiste (1519-1617) »,

éd. D. Kahn, Chrysopœia, V (1992-1996), pp. 571-668 ; D. Kahn, Alchimie et paracelsisme en France à la fin
de la Renaissance (1567-1625), Genève, 2007, spéc. pp. 108-110, 340-348, 356-357.

7
guère en effet la quête de la chrysopée, si nous en croyons Nicolas Guibert dont il aurait
loué le De alchymia (1603), violemment anti-alchimique 24.
À Grenoble, Laigneau fréquenta l’entourage de Soffrey de Calignon (1550-1606),
chancelier de Navarre et poète 25. Mais il paraît aussi avoir tâté des geôles de cette ville :
on possède en effet des « lettres de grâce accordées par le roi Henri IV a Gaspard de
Bérenger, sieur de Guâ, & Lagneau, docteur en médecine, emprisonnés pour avoir
colporté “un pasquil et discours en vers” injurieux pour les femmes des conseillers au
parlement de Grenoble », lettres données à Rouen, le 28 août 1603 26. Ses démêlés avec
la justice ne s’arrêtèrent pas là, puisqu’il intenta quelque temps plus tard un procès à la
municipalité pour l’exemption de la taille 27.
En septembre 1610, il s’installa définitivement à Paris, où il fut appelé par Gilles de
Souvré (ca 1542-1626) et Jean Héroard (1551-1627) :
« Estant à Lyon », écrit-il, « en l’année mil six cens dix, y executant la
Commission […] de sadite Majesté, qui m’ordonnoit pour la visite des Boutiques
des Chirurgiens & Appothicaires, & de leur examen, où il n’y auoit encores esté
pourueu ; A quoy i’avois tres-soigneusement trauaillé, avec tout contentement,
ayant vuidé les leproseries des mal-viuans qui les possedoient, sans autre marque
de lepre que les claquettes. Mais ayant acheué le Lyonnois, & tout mon travail, en
presence des Magistrats, plus apparens, Medecins & Chirurgiens de chaque lieu,
& deliberant de m’en retourner à Grenoble, lieu de ma demeure, & où i’exerçois
la Medecine auec contentement ; Ie fus exhorté & prié par le seigneur d’Alincour,
Gouuerneur du Lyonnois, suiuant les lettres qu’il auoit en main, & qu’il me fit
lire, à luy escrites par Messieurs de Souuré, lors Gouuerneur du Roy Louis XIII.
d’heureuse memoire, de Villeroy son pere, Secretaire d’Estat, de Nerestan,
Capitaine des Gardes du corps de sa Maiesté, & Heroard, premier Medecin de
sadite Maiesté, de venir en ceste ville de Paris pour affaires d’importance. A quoy
ie satisfis, portant lettres à tous lesdits Seigneurs de la part dudit Seigneur
d’Alincourt, & y arrivay au mois de Septembre mil six cens dix […]. » 28
Ayant à peine rejoint la capitale, Laigneau y soigna avec succès, affirme-t-il,
Turquet de Mayerne. Ce dernier
« auoit ia eu huict acces de fievre quarte, & le dernier plus fort que les autres, sans
qu’aucun de ses acces medicaux luy profitat, lequel en fut totalement quitte ayant
creu mon conseil le quatriesme jour de mon arriuée en cette ville, au mois de
Septembre 1610. par le passage que ie luy monstray dans Hyppocrate, l. de

24 Voir De interitu alchimiæ, Toul, 1614, pp. 29 et 86.


25 Cf. Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 492 (sur la sœur de
Calignon). Sur Calignon, voir Cte Douglas, Vie et poésies de Soffrey de Calignon, Grenoble, 1874.
26 Voir Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, VII, 1889, p. 634, ms.

2025, n. 5127.
27 Voir Inventaire sommaire des archives communales antérieures à 1790, Grenoble, CC 27 et CC 735

(Comptes du 19 déc. 1608 au 16 fév. 1610).


28 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, Dédicace, f. a ijr-v. Ce passage

a été utilisé par J. B. F. Carrère pour la notice « Aigneau (David 1’) » de sa Bibliothèque littéraire historique et
critique de la médecine ancienne et moderne, Paris, 1785, I, pp. 52-53.

8
affectionibus, §.17 pag. 298, lequel ayant suiuy, fut entierement guery, & s’en
alla en Angleterre. » 29
En 1611 il publia à Paris, chez Claude Morel, son premier ouvrage, l’Harmonia seu
consensus philosophorum chemicorum 30, et le dédia à Jean Héroard 31. Dans l’épître à ce
dernier, Laigneau nous apprend que son intérêt pour l’alchimie est fort ancien, remontant
à peu près à son inscription en faculté de médecine. Il confie en effet :
« Ayant soigneusement recherché et recueilli de tous côtés tous les ouvrages
qui ont été écrits sur cette matière [i.e. l’alchimie], tant édités que manuscrits,
même ceux qui étaient rongés par les blattes et les mites, ayant, dis-je, lu avec
toute l’attention et l’assiduité dont j’ai été capable les auteurs anciens et
modernes, pendant vingt-deux ans, la nuit comme le jour, je les ai feuilletés,
notés, annotés, j’ai transcrit ce que j’avais annoté, j’ai classé mes transcriptions
dans un ordre que personne n’avait jusqu’ici observé. » 32
On trouve dans l’Harmonia trois poèmes latins signés Urbanus, Buetus et Quadratus
« consil. et Medicus Regius », celui-ci étant sans nul doute ce « Monsieur Carré Medecin
du Roy » avec lequel Laigneau avait guéri un « gentilhomme que l’on jugeoit possédé »
et que deux cordeliers tentaient d’exorciser 33.
La même année il visita à Paris le médecin Jacques Fontaine, professeur à la faculté
d’Aix-en-Provence, adversaire du paracelsiste Nicolas Coningo de Castelmont34 et
expert dans l’affaire Gaufridi 35. Combattant le recours à la saignée lors des accès de
fièvre, Laigneau remarque en effet :
« Cette opinion n’a jamais, que j’aye veu, reussi qu’en pis : car Fontaine
mesme estant attaqué d’une fiévre tierce en cette ville, année 1611, y estant venu

29 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 410.


30 Le titre complet est Harmonia seu consensus philosophorum chemicorum, maximo cum labore et
diligentia in ordinem digestus, et a nemine alio hac methodo distributus. Auctore Davide Lagneo, Consiliano
et Medico Regis clarissimi. Cum Indice rerum et verborum copiosissimo. P. Borel, Bibliotheca chimica, Paris,
1654, p. 132, éd. Heidelberg, 1656, p. 125, donne par erreur 1601 pour date d’édition, erreur reprise par
nombre de bibliographes postérieurs. Ce traité de Laigneau a été inséré dans le Theatrum Chemicum,
Strasbourg, IV, 1659, pp. 705-808. Voir J. Ferguson, Bibliotheca chemica, Glasgow, 1906, II, p. 4 ; D. I.
Duveen, Bibliotheca alchemica et chemica, Londres, 1949, p. 334.
31 Sur J. Héroard ou Hérouard, qui fut aussi surintendant du Jardin royal, voir L. Flattet, Le Pays des

Trancrèdes : Hatteville-la-Guichard, Saint-Lô, 1938, pp. 214-218 ; Henry Guerlac, « Guy de la Brosse and the
French Paracelsians », dans : A. G. Debus (ed.), Science, Medicine and Society in the Renaissance, I, pp. 177-
199, spéc. pp. 191-192. r
32 Harmonia seu consensus philosophorum chemicorum, Paris, 1611, f. ã iij : « Conquisitos igitur ac

vndiquaque corrasos, quotquot hac de re scripserant, tam editos quam manuscriptos, blattis & tineis etiamnum
exesos, veteres, inquam, & neotericos auctores qua potui diligentia & assiduitate perlectos nocturna diurnaque
manu per viginti duos annos, versaui, notaui, annotaui, annotata excripsi, exscripta in ordinem a nullo hactenus
obersuatum digessi […] ». Voir également la préface au lecteur, f. ??? : « Hæc eadem est Harmonia, quæ
exactis assiduo labore sedulaque vigilantia duobus annis supra vigenti, tandem victrix emergit, oculis tactuque
propediem exhibitura, quod vos tam anxie ac tanta cum difficultate anquiritis. »
33 Cf. Traicté de la saignee, p. 247-49.
34 Sur Coningo de Castelmont, voir D. Kahn, Alchimie et paracelsisme en France à la fin de la

Renaissance (1567-1625), pp. 387-388.


35 Sur Fontaine, voir Dictionnaire de biographie française, XIV, 1979, col. 291 (art. de St Le Tourneur) ;

H. Pensa, Les Mœurs du temps jadis d’après les sentences de justice, Paris, 1937, pp. 47 sqq. ; D. Kahn, loc.
cit. ci-dessus n. 34.

9
offrir à la Royne Marguerite son traicté de la Physiognomie, se fit saigner en
l’acces mesme, lequel s’en rendit plus violent […] & tomba en une fiévre
continuë, qui luy dura quelques-jours, & sans le grand soin qu’on en eut, son mal
estoit pour durer long-temps. Je le vis & luy en dis mon advis, & avant & apres
cette saignée. » 36
Laigneau avait peut-être déjà rencontré Fontaine, dont il cite à plusieurs reprises les
œuvres. Ainsi cette note intéressante à propos de la durée de la grossesse :
« Fontanus, Medecin d’Aix en Provence, en la premiere partie de son
Vniversæ artis Medicæ, c. 16 p. 130 où il marque une Damoiselle fort sage &
vertueuse, en Aramon prés du Rhosne, en Languedoc, nommé de Carde, laquelle
accoucha, ayant porté une fille trois ans dans son ventre en bonne santé, mariée
en Aulbinas en Vivarets, au Juge de la ville, nommé Fournier, mien amy, avec
lesquels, estant au dit lieu, j’ay disné, & du depuis ladite Damoiselle de Carde fut
enceinte par vingt-quatre mois, & non encore accouchée l’an 1607 & le tout
attesté par ledit Fontaine, Hucher, Varandel, Dortomin, & Vincent, Medecins de
Montpellier. » 37
Par ailleurs, de sa relation du traitement d’un jeune homme souffrant d’ischurie, à
qui il avait fait expulser une vingtaine de pierres, dont l’une pesait une once, il ressort
qu’il était en relation avec Guillaume Du Vair (1556-1621) ; voici le passage :
« Cette cure arrivée, plusieurs Medecins ne pouvans comprendre cette œuvre,
publierent que j’avois supposé les pierres, les faisant tomber de mes mains dans le
pot de chambre que je tenois au malade lors que je le pressois de pisser, à quoy il
ne vouloit que difficilement obeyr ; à cause, disent-ils, qu’il estoit hypocon-
driaque : mais convaincus d’imposture & calomnie par les parents & autres qui
l’assistoient chez luy, où je n’avois jamais esté, six ou sept d’entr’eux
s’assemblerent, & dirent à feu Monsieur du Vair Garde des Sceaux (qui parloit
fort à mon advantage, & de cette cure et d’autres que Dieu avoit faites et faisoit
souvent par mes mains) que ce que j’avois fait & faisois, c’estoit par magie, que
j’estois un grand Magicien ; de quoy ce sage Seigneur se mocqua, & par raisons
evidentes leur monstra leur grande ignorance & extreme envie. Il leur fit cette
demande, si l’uretaire ne se pouvoit pas aussi bien dilater, comme une veine lors
qu’elle se rend variqueuse ? Surquoy s’estans trouvez contraires en opinions, il
les congedia avec honte. » 38
En 1612 il eut à nouveau des démêlés avec la justice, ainsi que le rapporte Pierre
Bonnet-Bourdelot dans sa Bibliothèque de médecine, restée manuscrite :

36 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 311.


37 Id., p. 49. Laigneau cite l’Universæ artis medicæ dans l’édition de 1613 des Opera de Fontaine. Nous
avons corrigé la coquille du Traicté de la saignee, qui donne « Aranion » au lieu de Aramon.
38 Traicté de la saignee, p. 290. L’épisode se trouve déjà dans La Conservation de la santé, p. 98 ;

Laigneau le reprendra encore, en le développant, dans le Traicté pour la conservation de la santé, et sur la
saignée de ce temps, pp. 581-582.

10
« David Lagneus ou Laigneau d’Aix en provence cons. et medecin ordinaire
du Roy au moins soy disant tel, condamné à faire amand honorable et banny à
perpetuité par arret du parlement du 20 decembre 1612 pour supposition de sceau
en lettres de repit. Il est mort à paris agé de prés de cent ans. »
En marge : « Registres de la faculté Tom. pag. 319. » 39
En 1624, habitant place Maubert 40, il fait paraître, toujours à Paris, chez J. Moreau,
La Conservation du thresor de la santé, ou Advis salutaire sur la saignée, suivant la
doctrine des plus Doctes Medecins, tant anciens que modernes, qui comprend une
« coppie de la response de l’Autheur, à la lettre d’un sien amy Medecin des plus
doctes » 41. Dans l’épître de cet ouvrage également dédié à Héroard, Laigneau affirme
s’être « enhardy de donner aussi au public un eschantillon d’une grosse piece Latine,
qu[‘ il a] dressee contre l’abus desja envieilli de saigner en toutes maladies, en tous
aages et en toutes saisons ». Ce petit livre contient un acrostiche latin composé par son
fils aîné, Juste Laigneau, à qui l’on doit aussi une traduction du traité attribué à Galien
De l’alitement des malades, traduction insérée dans la troisième version du traité sur la
saignée. Également médecin, loué par Pierre Borel 42, Juste Laigneau fut comme son père
nommé inspecteur des hôpitaux 43 et en 1630 « occupé pour Medecin aupres de Monsieur
le Duc de Candale, et aux armées de la Republique de Venise, commandées par [le]dit
seigneur Duc » 44.
Ce que Laigneau critique, c’est moins la saignée elle-même que l’emploi exagéré et
systématique qu’on en fait : « la saignée », résume-t-il, « est un excellent remede,
meurement et judicieusement ordonnée ; mais un acheminement, et comme un pont à
mille incommoditez, lors que temerairement et inconsidérement on la fait » 45. On sait
que l’usage de la fréquente saignée avait été remis en honneur par le fameux Leonardo
Botallo, ou Botal (ca 1519-1587/ 88), médecin de Charles IX puis de Henri III. Botallo
voyait en elle une manière de panacée. Après avoir suscité bien des résistances et même
été censuré par la faculté de Paris, son sentiment finit par être partagé par un grand
nombre de médecins qui pratiquèrent sans aucune retenue la saignée : Laigneau raconte
comment ces « maistres saigneurs » se succédaient auprès d’un même malade, chacun le

39 Bourdelot, Bibliothèque de médecine, V, Bibliothèque nationale de France, ms Lat. 17855, f. 79r.


40 Voir La Conservation de la santé, p. 98 et aussi Traicté de la saignee, p. 288, où Laigneau précise
« vis-à-vis l’image de sainct François ».
41 Pp. 97-114.
42 P. Borel mentionne Juste Laigneau « Medicus non obscurus » dans ses Historiarum et observationum

medicophysicarum centuriæ IV, 2e éd., Paris, 1657, p. 257. À la page 352 du même ouvrage, il parle également
d’un Laigneau, sans que l’on puisse savoir exactement s’il s’agit de David ou de Juste : « Pilulæ optimæ.
Observatio XCVIII. - Acc. aloës hepatici & cum succo rosarum, ad solem extractum ab illo para, evapora
deinde & da ad grana decem par dies quindecim circa vesperam ante caenam, mane vero capienda sunt tria
grana extracti iuniperi. Hisce pilulis cholagogis utitur felicissime illustrissima Domina de Rohan mater, & a
D. Lagneo, & Vignaveto feliciter a longo tempore (inter arcana illas habentes) usi sunt, venit autem illud
secretum a Fabricio ab Aquapendente. »
43 Voir H. Brabant, Médecins, malades et maladies de la Renaissance, Bruxelles, 1966, p. 62 : « Au

XVIIe siècle, la lèpre se fit de moins en moins fréquente et Louis XIII, en 1626, chargea deux médecins, David
et Juste Laigneau, de visiter toutes les maladreries encore existantes (visite qui, entre autres, leur apprit à bien
distinguer la véritable lèpre de celle qui était factice). » L’auteur n’indique pas sa source d’information, mais
celle-ci est certainement l’Histoire de la médecine de Kurt Sprengel, trad. Jourdan, Paris, 1815, III, p. 63.
44 Voir Traicté de la saignee, p. 372.
45 Id., pp. 269-270. Voir aussi pp. 477, 500, 520, 525.

11
saignant à son tour, au point de lui tirer un nombre effrayant de palettes et de le conduire
ainsi sûrement à la mort. Contre ces botallistes acharnés, qu’il surnomme les « Escu-
happes », Laigneau en appelle aux jugements des « doctes Medecins de Paris, comme ont
esté, Fernel, Hollier, Riolan, Perdulcis, Acakia, de Gorry, du Port, Duret, Sylvius,
Liebaud, Simon Pietre » 46. Selon lui, il convient de prescrire la saignée essentiellement
chez les « pléthoriques », les « frénétiques » et les prétendus possédés.
Laigneau témoigne en effet d’un assez grand scepticisme sur le chapitre des
possessions, celles-ci se ramenant le plus souvent à de simples maladies parfaitement
naturelles. Ainsi à propos d’un de ces soi-disant démoniaques, il se moque : « ce Maistre
Diable estoit bien foible, & peut-estre c’estoit quelque petit marmiton qui faisoit son
apprentissage, puis qu’il ne peût resister aux linges, desquels ie luy fis lier les mains &
les pieds » 47. Il ne va cependant pas jusqu’à rejeter la réalité de toute possession :
« Il ne faut pas croire pourtant que ces possessions, obcessions, &
assiegements de Diables soi‹en›t sans quelque fondement, veu que plusieurs
doctes, comme Beniuenius en ses Obseruations medicales c. 8. Vvier en ses
impostures des Diables. Paré l. 25 c. 31 & plusieurs autres tiennent, qu’il se
trouue au corps certaines dispositions que le diable appete, tellement que pour en
iouyr, il entre à la personne qui les a : mais estant ostez par remedes propres, il en
sort ; tels humeurs sont ordinairement noirs, pourris, puants, & souuent
l’harmonie des instruments & la musique les chasse ; tesmoin le Prophete Samuel
c. 16. v. 23. pource que le Diable est ennemy de tout accord, tant interieurement
qu’exterieurement. » 48
Il admet même que certaines maladies ont pour origine des maléfices, affirmant par
exemple que certaines pestes
« sont causées par les supposts & Anges du Diable, qu’on nomme Engraisseurs,
comme a esté veu en Prouence par vn Espagnol Cordelier l’an 1580. ou enuiron,
qu’on nommoit le Sainct Hermite, qui fut brûlé tout vif (apres auoir fait mourir
des millions de personnes en icelle Prouince) à Aix par Arrest du Parlement,
comme empoisonneur & engraisseur, en mettant la peste, & tres-bien conuaincu,
tant par témoins, que par sa propre confession le pourtraict duquel en taille-douce,
n’y auoit que fort peu de personnes qui ne portast aupres du cœur […]. » 49
Par-delà le problème spécifique de la saignée, ce que Laigneau stigmatise, c’est
d’abord l’asservissement des médecins à la coutume : alléguant Pindare, il rappelle que
cette dernière « est vn puissant tyran qui regne absolument sur l’homme, l’arrestant plus
à ce qui se fait, qu’à ce qui se doit faire, & à l’vsage, qu’à la raison, & laquelle ne
pouuant respondre à la verité, vse de calomnie pour ses armes » 50. Le médecin, refusant

46 Id., p. 502. Sur le débat sur la saignée, voir J. Lévy-Valensi, La Médecine et les médecins français au

XVIIe siècle, Paris, 1933, pp. 157 sqq. Sur Botallo, voir Dictionary of Scientific Biography, New York, II,
pp. 336-337 (art. de C. D. O’Malley).
47 Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 480.
48 Id., p. 481.
49 Id., p. 604.
50 Id., p. 71.

12
la facilité de l’habitude, doit fonder sa science avant toute chose sur la raison et
l’expérience :
« Ferrier », explique-t-il, « l. 1, c. 2. p. 11. Method. curand. dit, il y a deux
instrumens ny plus, ny moins entre toutes sortes d’hommes, & qui font foy, que
ces moyens sont l’experience, & la raison : cette-cy donne l’inuention, la cognois-
sance, & l’vsage salubre des remedes, & n’y faut vn troisiesme instrument,
l’experience n’a besoin que d’vn long vsage, par lequel il se puisse maintenir :
mais cette experience est double, l’vne est totalement rude, fortuite, & sans raison
precedente, comme inconstante, imparfaicte, & sans art, laquelle Galien reiette au
liure des Sectes, & souuent en la methode : L’autre va par raison, & laquelle il
recommande au liure de la bonne Secte à Trasibule disant, qu’on ne peut pas faire
vne bonne obseruation sans raison, monstrant que l’obseruation, & l’experience
sont mesme chose […]. » 51
C’est ce recours à l’expérience qui fait que les chirurgiens se révèlent plus savants
que bien des médecins : « dans Paris », s’exclame-t-il, « ie n’en ay veu ou cogneu aucun
ignorant, & pleust à Dieu que ie peusse dire veritablement de mesme de ceux qui se
couurent du manteau de Medecin. » 52 La vraie science est celle qui ne méconnaît pas ses
limites, et « les doctes confessent leur ignorance » 53. Elle aime aussi la clarté, et en
premier lieu celle du langage : préfigurant Molière, Laigneau observe que
« ce qui est remarquable aux ignorans, est de se cacher souz quelque voile ou
cachette que ce soit, principalement souz vn langage incogneu aux malades, ou à
ceux qui y ont interest, ou qui les assistent, deuant lesquels ils ne veulent
discourir en leurs consultes qu’en langage estrange, qu’ils nomment medical,
nommant vne simple toux Asthma, Dyspnea, Orthompnea, vn simple esuanouis-
sement Lypothimie, Symptome, vne simple colique venteuse Nefrite, & ainsi de
plusieurs autres. » 54
Ce même souci de pondération conduit Laigneau, pourtant partisan de l’usage de
médicaments chimiques, à condamner également les excès des spagyriques :
« les remedes ramenants la santé », écrit-il, « n’agissent pas en la maladie, mais au
subjet, ou cause de la maladie, ce à quoy plusieurs ne prenent pas garde : car
comme dict Aristote Physic. 1. tex. 57. vn contraire n’agit pas à son contraire,
mais bien au subjet de son contraire, à sçauoir à la matiere premiere ; Cette
ignorance estant cause que les Spagyriques se trompent pour la plus grande
partie, dautant qu’ils baillent leurs remedes violents, qui agissent contre le mal, &
ruinent la partie malade, & par suite, ou tuent ou empirent le malade […]. » 55
L’astrologie, quant à elle, constitue une branche essentielle de la médecine : le
monde inférieur étant régi par le supérieur et l’homme sympathisant avec les douze

51 Id., p. 269.
52 Id., p. 230.
53 Id., p. 314.
54 Id., p. 13.
55 Id., p. 230.

13
signes du zodiaque, d’une part les maladies seront étroitement dépendantes des
influences astrales et d’autre part les médications se trouveront fortifiées ou affaiblies
par ces mêmes influences. Aussi Laigneau s’attarde-t-il longuement à exposer les effets
pathogènes ou curatifs des planètes, en particulier des esprits qui « president en chaque
station de la Lune », assurant que le médecin, « s’il sçait la propriété d’iceux. descouurira
plusieurs beaux secrets » 56, beaux secrets dans lesquels Laigneau mettait sans doute les
talismans, si nous en croyons Jacques Gaffarel, qui, dans ses Curiositez inouyes, sur la
sculpture talismanique des Persans, horoscope des Patriarches, et lecture des estoilles
(Paris, 1629), note à propos de la peste:
« Et sans aller plus loin, on m’a asseuré que M. Laneau preseruoit de ceste
maladie tous ceux auxquels il donnoit vn de ces Talismans, qu’il faisoit suiuant
ceux qu’a d’escrit [sic] Marsile Ficin. » 57
Enfin, tout à la fois spagyriste et astrologue, le médecin doit aussi être philosophe.
Car la “sœur et compagne de la médecine, c’est la sagesse, “laquelle oste la saleté de
l’ême comme la Medine celle du corps » 58. En philosophie, Laigneau penche vers le
platonisme, même si sa physique reste aristotélicienne. Il explique notamment
qu’ « Aristote calomnioit Platon pour deux causes. La première est l’envie, de laquelle
faussement et méchamment il poursuit son Maistre, l’autre est pource, qu’encores qu’il
ait esté bon Philosophe, toutesfois il a esté mauvais Metaphysicien, & mesme il n’a pas
esté inventeur de la Physique ; ains l’a seulement recueillie, s’attribuant l’invention des
Elenches » 59. Plutôt qu’aux péripatéticiens, Laigneau se réfère donc aux grandes figures
de la tradition hermético-platonicienne : le Trismégiste, Alcinous, Psellos, Marsile Ficin,
Léon l’Hébreu, Georges de Venise, Robert Fludd, ainsi qu’aux « caballistes » 60
En 1624 paraissait à Paris, chez Jérémie et Christophle Périer, une traduction
française des Douze clefs de Basile Valentin, suivie par celle de l’Azoth. Or dans
l’édition de ces mêmes traités donnée en 1650 par Pierre Moet (édition, qui, hormis la
dédicace de J. Périer au Baron du Pont 61, remplacée par une dédicace de P. Moet au
chevalier Digby « Chancelier de la Reine de la Grande Bretagne », suit presque
exactement, jusque dans la composition, celle de 1624), la page de titre de l’Azoth
précise « reveu, corrigé et augmenté par Mr. l’Agneau Medecin ». Si cela est exact, et
comme il ne pourrait guère s’agir d’un autre médecin que le nôtre, encore qu’Eloy en ait

56 Voir id., p. 146-186. Laigneau donne, p. 162, une table de domination des esprits pour chaque heure

du jour et de la nuit.
57 Curiositez inouyes, sur la sculpture talismanique des Persans, horoscope des Patriarches, et lecture

des estoilles, éd s. l. 1650, p. 121.


58 Traicté de la saignee, p. 102.
59 Id., pp. 499-500.
60 Voir id., pp. 2, 128, 224, 480, 602, 610 (Ficin) ; 122 (Léon l’Hébreu) 122 149 158, 179- 184- 247,

335, 499 (Georges de Venise) ; 149, 157, 181, 335, 337, 481, 632, 681 (Robert Fludd) ; p. 250, où il est traité
des « destituez d’ame et de raison, n’ayant que celle que les Caballistes nomment Nephech et la nommee
Ruach, mais non la Nessemach. » Laigneau cite encore le Miroir des Pierres (Speculum lapidum, 1502) de
Camillo Leonardi (p. 17), Lemnius (p. 76), le Vellus aureum (pp. 184, 214), le Cœlum philosophorum (1528)
de Ph. Ulstad (p. 396), Crollius (p. 455), Libavius (p. 498).
61 Sur ce Baron du Pont, voir F. Secret, « Situation de la littérature alchimique en Europe à la fin du XVIe

et au début du XVIIe siècle », p. 139-140.

14
douté 62, Laigneau serait responsable de la première traduction de l’Azoth, et peut-être
également des Douze clefs, au moins de la version latin-français, J. Périer nous
avertissant qu’il les a fait traduire « d’Allemand en Latin et de Latin en Francois ».
Cependant quelques bibliographes ont attribué la traduction des Douze clefs à Jean
Gobille, qui grava les planches de cet ouvrage 63. Les renseignements nous manquent
pour nous permettre de trancher cette question.
À cette époque Laigneau ne s’intéressait pas seulement à l’alchimie et à la
médecine, mais aussi aux machines à moudre. Les Insinuations du Châtelet de Paris nous
révèlent en effet que le 27 janvier 1624 « Jean Brunel, bourgeois de la ville d’Anduze en
Languedoc, auteur de la machine et moulin à blé et à tan, à fouler draps, toiles et autres
effets, » fit « donation à David Laigneau, Conseiller et medecin ordinaire du Roi de cent
privilèges à tous usages de son invention » 64, et que le 3 octobre de la même année
« François de La Garde, écuyer, sieur de Haute Clocque, se portant garant pour Philippe
Taunay et pour Pierre de La Garde, écuyer, demeurant à Paris dans l’enclos du Temple,
auteur d’une machine à moudre le blé par la force d’un cheval dont le Roi lui a accordé
le privilège » fit donation « à David Laigneau, écuyer, conseiller et médecin ordinaire du
Roi, demeurant à Paris sur le quai de la Tournelle de deux cents privilèges de ladite
invention à exploiter dans tout le Royaume, l’île de France et le pays de Champagne
exceptés. » 65
En 1630, alors qu’il habitait rue des Bernardins 66, Laigneau donna une nouvelle
édition, remaniée, de la Conservation de la santé, sous le titre de Traicté de la saignee.
Contre le vieil erreur d’Erasistrate, et nouveau de Botal, utile à toutes sortes de
personnes, principalement doctes, et amateurs de leur santé 67. L’ouvrage est cette fois
dédié à Gilles de Champhuon, sieur du Ruisseau, « Conseiller & Advocat du Roy aux
requestes de l’Hostel & Chancelerie de France ». Dans cette version très augmentée, la
« coppie de la response de l’Autheur... » devient une « Response apologetique à un Amy
Medecin, contre un Calomniateur » (pp. 282-327), laquelle est suivie d’un Examen du
livret intitulé Le Medecin Charitable (ce dernier ouvrage publié pour la première fois en
1627, étant dû à Philibert Guibert) 68 ainsi que d’un Traicté de la Physiognomie (pp. 368-

62 Voir Dictionnaire historique de la médecine, Mons, 1778, III, p. 4 : il « s’épuisa en recherches sur l’Or

Philosophique, mais elles n’aboutirent qu’à lui faire perdre fortune, & gâter son jugement. Ce fut cette passion
qui l’engagea à traduire & à augmenter le Livre de Basil Valentin, qui avoit paru sous le titre de Douze clefs de
Philosophie. La Version de Lagneau fut imprimée à Paris en 1659, in-8, & ne tarda pas à être recherchée par
les fous qui lui ressembloient. »
63 Voir Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale, t. LXXXVI, Paris, 1925,

col. 273. Voir aussi l’introduction d’E. Canseliet à sa traduction des Douze clefs de la Philosophie, Paris, 1956,
pp. 12-13 et 25.
64 Cf. Insinuations du Châtelet, 1615 (y 164), VI, 4835 (f. 167v). Sur cette invention, on possède une

brochure intitulée Discours sur l’admirable invention de la Machine du sieur Brunel, pour Moulins à Bled, à
Tan, à fouler draps et toiles, eskver les eaues, scier bois, battre et applatir cuivre, faire huiles, faire papier,
piler et rompre les mineraux, arroser les campagnes, tirer les eaues des mines, et autres divers effets, s.l.n.d., 7
pp. (les lettres patentes sont datées du 19 mai 1618).
65 Insinuations du Châtelet, 5192 (f. 391v).
66 Voir Traicté de la saignee, p. 371.
67 Une seconde édition, identique à celle-ci, fut donnée chez Claude Collet, Paris, 1635.
68 Cet ouvrage connu de nombreuses rééditions, dont certaines (par ex. Lyon, 1649) comprennent La

Conservation du thresor de la santé de Laigneau. Voir Traicté pour la conservation de la santé, et sur la
saignée de ce temps, p. 630 : « y ayant encores adjousté dans celuy [i. e. Le Medecin charitable] imprimé chez

15
422) dédié au promoteur de la Bible polyglotte de Paris (1645), Guy Michel le Jay, dont
Laigneau fut le médecin 69.
En 1636 parut ce qui se présente comme une traduction de l’Harmonia seu
consensus philosophorum chemicorum, sous le titre d’Harmonie mystique, ce qui est
manifestement une coquille pour Harmonie chymique, comme l’indique le titre-
courant 70.
Cette “traduction” pose de nombreuses questions. En premier lieu celle de son
auteur, le sieur Veillutil, sur lequel on ne possède d’autres renseignements que ceux qu’il
fournit lui-même dans sa dédicace à l’énigmatique R.S.D.L. : à savoir qu’il avait en 1636
« soixante & dix ans » (ce qui est à un ou deux ans près l’âge de Laigneau à cette date) et
qu’il avait fait « divers voyages en Suisse, en Allemagne, parcouru toute la France, &
plusieurs autres contrees » pour trouver quelque adepte avec lequel il pût conférer du
grand œuvre. En second lieu, son caractère même de traduction, étant loin d’être une
simple traduction de l’Harmonia seu consensus philosophorum chemicorum. En effet,
elle ne reproduit ni la dédicace à Héroard ni l’adresse au lecteur de Laigneau, et ne
donne que les dix-sept premiers chapitres sur les vingt que compte l’original 71. En
revanche, elle offre de nombreux aphorismes nouveaux, d’aucuns tirés d’ouvrages
postérieurs à l’édition de l’Harmonia seu consensus philosophorum chemicorum, telle
l’Atalanta fugiens de Michel Maier. Surtout, elle présente d’importantes scolies que la
page de titre attribue à Laigneau (« Le tout par le sr l’Agneau »), tandis que dans sa
dédicace au mystérieux « R.S.D.L. » Veillutil affirme avoir non seulement traduit
l’Harmonia, mais encore « esclaircy les passages les plus obscurs », ce que confirme son
adresse au lecteur où il se présente comme le « traducteur scholiaste ». Devant cette
contradiction, à qui revient la paternité de ces scolies ? Le texte est en lui-même assez
ambigu. On incline ainsi à penser que leur auteur est effectivement Laigneau quand on y
lit : « ie dis en bonne conscience ne sçauoir rien en cette science, que par la lecture des
liures, à laquelle nous avons ioint l’experience, à quoy cest amas, ou harmonie nous
seruira de tesmoin irreprochable » (p. 85) ; ou bien : « Si quelqu’vn trouue que i’aye trop
amené d’autheurs » (p. 92) ; ou encore « rien ne me faict mettre ces escripts au iour que
la charité & la compassion que i’ay de voir tant de bonnes personnes abusees » (p. 119) ;
mais les extraits réunis étant, avons-nous dit, en plus grand nombre que dans l’édition
latine, le « traducteur scoliaste » pourrait fort bien être responsable de cette
augmentation, ce qui expliquerait qu’il puisse se poser comme auteur. Par ailleurs, il est
fait allusion, page 109, à « Estrato » qui « logeant l’âme rationnelle aux sourcils, disoit

Estienne Saucie au mont sainct Hilaire, rue des sept-Portes, à l’enseigne sainct Hylaire, f. 101. Conservation
du Thresor de la Santé ou Advis Salutaire sur la saigné, qui est mon premier Traicté, ou premiere edition,
coppié mot à mot de celuy imprimé à Paris par Jean Moreau rue sainct Jacques, à la Croix Blanche, 1624, sans
y mettre mon nom : mais se parant de mon travail, comme la corneille d’Esope, des plumes d’autruy. » Sur
Guybert, voir Biographisches Lexikon der hervorragenden Arzte aller Zeiten und Volker, II, p. 921.
69 Voir p. 368 : « La continuation que vous avez faite de m’employer à chasser les maladies qui ont

attaqué vostre maison depuis l’honneur que j’ay eu d’estre cogneu de vous ». Voir aussi F. Secret, « Situation
de la littérature alchimique en Europe à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle », p. 137.
70 C’est ce titre correct d’Harmonie chymique que donnent l’auteur anonyme du Filet d’Ariadne dans le

« Memoire de livres chymiques » inséré dans cet ouvrage, ainsi que Gabriel Naudé dans le texte cité ci-après.
71 Ces chapitres sont les suivants : XVIII Aenigmata Philosophorum an omnia intelligi possint. / XIX

Vires seu facultates Lapidi physico vulgo adscriptæ. / XX Hæc Ars divina quomodo acquiratur, & qualis
debeat esse Artifex.

16
que si les poils estoient droicts, l’on estoit mol, s’ils panchoient sur le nez, bouffon, si
vers les tempes moqueurs, si du tout abbatus, envieux » ; Or ce passage se retrouve
presque mot pour mot dans l’édition de 1650 du traité de physiognomonie de
Laigneau 72 ; de même, page 4, on rencontre une citation de l’Harmonia mundi de
Georges de Venise dans la traduction de Guy Le Fèvre de La Boderie, laquelle se
retrouve exactement page 584 de l’édition de 1650 du traité contre la saignée de
Laigneau ; mais il pourrait s’agir d’une coïncidence, ou même Laigneau aurait aussi bien
pu tirer ces textes de la traduction de Veillutil, qu’il n’a pu ignorer. Cependant il existe
un passage nous permettant de trancher et d’attribuer, au moins pour partie, les scolies à
Laigneau Page 327 de l’Harmonie mystique on lit en effet :
« Nous auions proposé discourir en ce lieu d’vne infinité de questions qui
s’esmeuuent touchant ce feu, mais pour ce qu’il en est parlé sur nostre œuure du
Sabbath, nous nous contenterons de dire que […]. »
Or dès 1624, Laigneau écrivait à un ami médecin :
« ceste response est plus longue peut-estre que ne croyez : sa longueur aussi
m’empesche de respondre aux autres demandes & questions proposees dans la
vostre, desquelles vous trouverez l’esclaircissement dans mes Commentaires sur
mon harmonie : mais pour celle du mouvement perpetuel, je l’ay traitté
amplement dedans mon Sabbath, qui verra le jour, Dieu aydant, ayant achevé
quelques questions que j’y descouvre, et de quoy toutefois nous discourrons à
vostre premier retour si le temps le permet » 73.
Il est donc clair que Laigneau a bien commenté les textes réunis dans l’Harmonia seu
consensus philosophorum chemicorum, et que ses commentaires se retrouvent dans
l’Harmonie mystique, puisque l’auteur des scolies est celui du Sabbath. Il paraît en outre
probable que ces commentaires ont été écrites par Laigneau directement en français, et
non traduites du latin par Veillutil, ce que semblent indiquer les textes que nous avons
cités plus haut, et que confirmerait sans doute une analyse stylistique. Cependant au
moins certains passages des scolies de l’Harmonie mystique se présentent comme étant
dues au traducteur, tel celui de la page 303 qui explique : « Cest Autheur [Libavius …] a
vsé du mot de consectarium […] qu’auons retourné par ce mot maxime » ; ou celui de la
page 451 où on lit : « l’intelligence de ces deux articles a peu estre plus facile à quelques
autres esprits plus espurez qu’à Dauid Laigneau qui a employé 22. ans en cette recherche
auant qu’estre medecin du Roy » — à moins que Laigneau ne parle de lui-même à la
troisième personne, ce dont il n’est pas coutumier.
En réalité toutes les difficultés s’évanouissent dès lors qu’on admet, que derrière le
soi-disant Veillutil se cache Laigneau lui-même. C’est ce que beaucoup ont supposé,
notamment François Secret comme aussi Eugène Canseliet qui pensait, sans doute avec

72 Voir p. 745 : « Erastrato disoit que l’ame est logée aux sourcils, & que si les poils d’iceux sont droicts,

on est mol, si panchants sur le nez, sont bouffons, si vers les tampes, moqueurs, si du tout abbatus, sont
envieux. »
73 La Conservation du thresor de la santé, p. 112-113.

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raison, qu’il fallait lire Veillutil comme « Veille utile » 74. Et c’est bien ce que confirme
un passage signalé par Didier Kahn 75 de Gabriel Naudé dans son Instruction à la France
sur la verité de l’histoire des Freres de la Roze-Croix :
« les plus grands Cabalistes d’entre eux seront peut-estre bien ayses d’apprendre
de l’Autheur de l’Harmonie chymique, lequel en la traduction Françoise qu’il en
a faicte, augmentee de tres-doctes Annotations, & non encore imprimees, a inseré
en l’vne d’icelles ces paroles : Si quelqu’vn desire remporter du fruict de
l’Amphitheatre de Kunrad Lipse, [qu’il] lise les neuf chapitres isagogiques : en
premier lieu, l’Epilogue, & les sept degrez, auec l’exposition, à quoy il adaptera
les figures, la premiere desquelles monstre les trauaux pour auoir la matiere; la
seconde la proprieté d’icelle, & sa nature; la troisiesme les vrayes operations
comprises dans sept bastions, & les fausses à l’entour ; la quatriesme les effects
durant lesdites operations; la cinquiesme les trauerses & patiences durant le
trauail; la sixiesme, que ie mettrois la premiere, la preparation de soy & de
toutes choses ; les sept, huict, & neufiesme sont meditations; & la dixiesme
monstre que le seul docte & vray Artiste entend le contenu audit Liure: » 76
Nous n’avons pas retrouvé ces lignes dans l’édition de l’Harmonie mystique, mais il
est probable que Laigneau les aura supprimées par suite de la censure en 1625 de
l’Amphitreatrum sapientæ æternæ par la Faculté de théologie de Paris 77. Quoi qu’il en
soit, restituée en son intégralité à Laigneau, l’Harmonie mystique nous apprend, comme
nous l’avons signalé plus haut, que Laigneau connut personnellement Barnaud et Penot,
à l’époque où il exerçait à Grenoble. Il explique :
« nous disons par prealable qu’augurer [sic pour Augurel] ne vaut rien, & n’a sceu
autre chose que iergonner, Paracelse n’y a rien entendu, Barnaud, Gaston Claueus
ou du Cloud, ny Penot son maistre n’y ont entendu, comme on dict
communement, que le haut Allemand, nous en parlons, comme le sçachant bien
pour auoir conferé fort particulierement auec lesdits [sic] Barnaud à Crest en
Dauphiné, & avec ledit Penot à Yverdun en Suisse où nous nous sommes
acheminez exprez pour y ouyr l’vn son Epistre Patris ad filium, au
commencement de laquelle y a vn grand F & vn grand I, auquel ayant demandé si
c’estoit vn I, pour dire fiat, ou vn L, pour dit flat, il eut la bouche close : & sur
l’intelligence du fiat & du flat il n’eut de quoy respondre aussi peu que sur
l’exposition de son quadriga, Penot aussi n’eut dequoy respondre sur
l’intelligence de ses questions & axiomes philosophiques, aussi peu que dessus
son apologie, l’un & l’autre me respondans qu’ils auoient tiré ce qu’ils auoient

74 Voir E. Canseliet, Alchimie. Études diverses de symbolisme hermétique et de pratique Philosophale,

Paris, 1964, pp. 166-168.


75 Voir D. Kahn, Alchimie et paracelsisme en France à la fin de la Renaissance (1567-1625), p. 587.
76 G. Naudé, Instruction à la France sur la verité de l’histoire des Freres de la Roze-Croix, Paris, 1623,

pp. 102-103.
77 Sur cette condamnation, voir D. Kahn, Alchimie et paracelsisme en France à la fin de la Renaissance

(1567-1625), pp. 569 sqq.

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fait imprimer de quelques vieux brouillards escrips à la main qu’ils auoient
recouuerts courants & rodants parmy le monde. » 78
En 1641 Laigneau maria sa fille, les Insinuations du Châtelet nous apprenant que le
21 mars « Jean Le Banier, écuyer, sieur de la Haye Sugonnière et Blanche Laigneau, fille
de David Laigneau, conseiller et médecin ordinaire du roi, demeurant à Paris, île Notre
Dame en la Grande rue et paroisse Saint Louis », passèrent contrat de mariage « en
présence de Juste Laigneau, conseiller et médecin ordinaire du Roi, frère de la future
épouse. » 79
En 1650, il donna à Paris, chez Mathurin Henault, la dernière version, à nouveau fort
augmentée, de son ouvrage contre la saignée sous le titre de Traicté pour la conservation
de la santé, et sur la saignée de ce temps, Et moyen de remedier aux maladies sans
craincte de leur recheute 80. La « Response apologetique » y devient une « Apologie
contre Jean Terud, fils de Louys, Medecin de Paris », Terud étant évidemment une
anagramme de Jean Duret (1563-1629), surtout célèbre pour sa vigoureuse dénonciation
des médecins charlatans, au nombre desquels il comptait sans doute Laigneau : il fut en
tout cas l’un des médecins qui le calomnièrent auprès de Guillaume Du Vair 81. Outre des
planches illustrant le « Traicté de la Physiognomie », cette édition comprend un portrait
de Laigneau par Thomas de Leu, gendre d’Antoine Caron, qui, comme l’a rappelé
François Secret, représenta François d’Alençon, Charles de Gonsague, Blaise de
Vigenère, et dessina le frontispice de l’édition du Songe de Poliphile (1600) donnée par
Béroalde de Verville 82.
Laigneau mourut à un âge fort avancé : dans ses Historiarum et observationum
medicophysicarum centuriæ IV, publiées à Paris en 1656, Pierre Borel assure qu’il vécut
108 ans 83, ce qui ne se peut puisqu’il faudrait repousser sa date de naissance avant 1548 !
Il laissait dans ses papiers des écrits qui ne furent jamais publiés et paraissent perdus :
outre l’Œuvre du Sabbath, une Pratique, ouvrage de médecine annoncé tant dans la
première que dans la dernière édition du traité contre la saignée 84, et, selon une scolie de
l’Harmonie, un Indice expurgatoire ou Index expurgatorius, dans lequel Laigneau
distinguait les bons des mauvais auteurs alchimiques 85.

78 Harmonie mystique, p. 195-196. Passage cité par F. Secret dans « Réforme et alchimie », p. 186, et

« Situation de la littérature alchimique en Europe à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle », p. 137.
79 Insinuations, VIII bis (y 181), 2191 (f. 134).
80 Il existe une seconde édition de cette version, Paris, Jean Piot, 1657, qui n’est qu’une remise en vente

de celle de 1650 avec une nouvelle page de titre.


81 Cf. Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, p. 581. Sur J. Duret, voir

N. F. J. Eloy, Dictionnaire historique de la médecine, II, p. 114 : « Jean succéda à la charge de Medecin du Roi
que son perc avoit occupée, ainsi qu’à sa Chaire au Collegc Royal. Il fut reçu Docteur de la Faculté de Paris en
1584 ct mourut le 31 août 1620, âgé de 66 ans. » Outre un Advis sur la maladie (1619), on lui doit un Discours
sur l’origine des mœurs, fraudes et impostures des ciarlatans (1622).
82 Voir « Réforme et alchimie », loc. cit.
83 voir P. Borel, Historiarum et observationum medicophysicarum centuriæ IV (Paris, 1656), Cent. II,

Observ. XXXIX (« Longævi »), éd. Francfort, 1670, p. 143 : « D. L’Agneau Medicus Chymicus, vixit etiam
108. annos ».
84 Voir Traicté pour la conservation de la santé, et sur la saignée de ce temps, f. iiijv : « Que si Dieu me

permet de vivre encore quelque temps, je donneray au peuple ma Pratique ja fort advancee en mesme langage,
où je marqueray tout l’ordre que j’ay tenu en la curation de toutes les maladies que j’ay traictees » ; et La
Conservation du thresor de la santé, p. 113 : « pour ma pratique, elle n’a encores tout ce que j’y souhaitte ».
85 Voir Harmonie mystique, pp. 195 et 451.

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