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BELLA

ANDRE

LES SULLIVAN – 7

D’une seule caresse

Traduit de l’anglais (États-Unis)


par Arnold Petit
ANDRE Bella

D’une seule caresse


LES SULLIVAN – 7
Collection : Passion Intense
M aison d’édition : J’ai Lu

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Arnold Petit

© Bella Andre, 2015


Pour la traduction française
© Éditions J’ai lu, 2017
Dépôt légal : décembre 2016

ISBN numérique : 9782290126011


ISBN du pdf web : 9782290126035

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 9782290126004

Composition numérique réalisée par Facompo


Présentation de l’éditeur :
Valentina s’est juré de ne jamais sortir avec une star de cinéma. Rivaliser avec les groupies déchaînées, échapper aux objectifs des paparazzis… très peu pour elle ! Elle ne
partagera de ce milieu avec l’homme de sa vie que du pop-corn devant un film, et encore, ce n’est pas au goût du jour. Pour le moment, elle veille sur sa petite sœur qui
s’apprête à incarner le rôle principal de Gravity, du célèbre Smith Sullivan. Sauf que le réalisateur a jeté son dévolu sur Valentina et espère bien l’attirer dans son lit…

Biographie de l’auteur :
Bella Andre a été saluée par la critique pour ses romances d’une grande sensualité. Ses livres figurent parmi les meilleures ventes du New York Times, et sa saga Les
Sullivan est célèbre dans le monde entier.

Couverture : © bart78 / Shutterstock

© Bella Andre, 2015

Pour la traduction française


© Éditions J’ai lu, 2017
Du même auteur
aux Éditions J’ai lu

LES S ULLIVAN
1 – La passion dans tes yeux
NO 10422

2 – Une nuit et puis…
NO 10702

3 – Comme une évidence
NO 10871

4 – Toi, et toi seule
NO 10919

5 – Si tu m’appartenais
NO 11286

6 – Elle m’a envoûté
NO 11291
Sommaire
Titre
Copyright

Biographie de l’auteur

Du même auteur aux Éditions J’ai lu

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15
Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Épilogue
Depuis le début de la série des Sullivan, je rêve d’écrire l’histoire de Smith, star de l’écran en
apparence intouchable mais qui n’en demeure pas moins un frère et un fils aimant. La question
demeurait : qu’allait-il advenir de cet homme le jour où il tomberait amoureux, lui qui jusqu’ici a
littéralement volé la vedette aux autres personnages à chacune de ses apparitions ? Et surtout, avec
toutes les caméras et tous les journalistes qui font son quotidien, comment pourrait-il avoir une vie de
couple « normale » ?
J’ai passé un moment absolument délicieux en compagnie de Smith et de Valentina. Car un homme
aussi imposant que Smith aura toujours besoin d’une femme au caractère bien trempé. J’ai hâte que
vous découvriez cette belle – et sexy – histoire d’amour.
J’aimerais également en profiter pour vous remercier toutes pour votre fidélité envers mes livres,
vous qui comme moi êtes tombées amoureuses des Sullivan. Je ne saurais vous dire combien cela
représente à mes yeux ! Merci d’avoir fait passer le mot autour de vous, à vos familles et à vos amies ;
merci également pour vos e-mails, tweets, partages Facebook et Goodreads qui ont rendu mon travail
sur le livre suivant bien plus doux.
Je suis impatiente de recevoir vos avis sur cette histoire – en particulier concernant une scène…
Mais je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la découverte.

Bonne lecture,

Bella Andre
1

Comme Smith Sullivan aimait ses fans ! Et ils le lui rendaient bien. Grâce à eux, à leur soutien sans
faille depuis le début de sa carrière, sa filmographie complète avait atteint les deux milliards de dollars
de recette au box-office international. Sans eux, Smith ne serait pas à San Francisco, en train de tourner le
film le plus important de toute sa carrière.
Aussi, bien qu’il eût une multitude de choses importantes à régler avant de débuter les premières
prises de vues du jour, Smith prit le temps de se rendre auprès des quelques admiratrices en train de faire
le pied de grue derrière les barrières entourant Union Square – lieu de tournage des scènes à venir. Ses
groupies formaient un ensemble hétéroclite : des mamans accompagnées de leurs enfants en bas âge, mais
aussi de nombreuses jeunes femmes célibataires.
— Bonjour à toutes, déclara-t-il, tout sourire, tandis que la foule se pressait davantage pour
l’approcher.
Il n’en fallait jamais plus pour s’attirer une poignée de main ou les faveurs d’une jeune femme. L’une
d’entre elles, très attirante, fourra un morceau de papier dans sa main tendue, avec son nom et son numéro
de téléphone. Malgré l’humidité et le brouillard, elle ne portait guère plus qu’une minijupe et un décolleté
plongeant.
— Je suis tout excitée à l’idée de découvrir votre nouveau film, Smith, minauda-t-elle, caressant son
bras de haut en bas, comme s’il était un vieil ami.
— Merci beaucoup. Et vous êtes… ?
— Britanny, précisa-t-elle.
— Eh bien, Britanny, j’ai hâte que vous le découvriez aussi, conclut-il avec un sourire charmeur.
— Je suis si impatiente, lâcha-t-elle d’une voix suave. Et je tiens à ce que vous sachiez que je suis
disponible durant tout le tournage si vous souhaitez en parler. (Elle se lécha les lèvres.) Ou pour toute
autre chose que vous souhaiteriez.
Les propositions de ce genre fusèrent de toute part. « J’ai vu tous vos films, Smith. » Ou « Vous êtes
mon acteur favori ! ». Tant et si bien qu’à la fin de la séance d’autographes, le comédien se retrouva la
main pleine de numéros de téléphone en tout genre. Smith se prêtait à ce manège depuis bientôt quinze ans
et s’il avait eu la vingtaine, il n’aurait pas hésité à choisir une jeune femme parmi la foule et à profiter de
sa compagnie pour la nuit – et plus si affinités.
Mais l’acteur avait aujourd’hui trente-six ans et ces belles années de folie étaient loin derrière lui. Il
n’en pouvait plus de s’éveiller chaque matin auprès d’une fille dont il se rappelait à peine le nom,
quelqu’un qui n’avait aucun humour ou dont il ne rencontrerait jamais la famille. Tout le contraire de ses
frères et sœurs qui, au fil des mois, étaient tombés amoureux les uns après les autres. Certains avaient
même des enfants ! Chaque semaine, une nouvelle photo d’Emma, sa petite nièce, venait orner son fond
d’écran de portable. Bientôt, ce serait au tour de Sophie, sa sœur, d’accoucher de jumeaux. Smith avait
hâte de pouvoir prendre ce beau petit tableau familial en photo !
Mais bien qu’il ait assisté aux miracles de l’amour véritable, Smith avait du mal à briser le cercle de
son existence de star. Force était de constater que, sans groupie pour réchauffer son lit, l’acteur était un
homme bien seul.
De ville en ville, d’hôtel en hôtel, de pays en pays, loin de sa famille et de ses amis, Smith passait
son temps entouré de gens soit intéressés, soit trop occupés à le vénérer pour remarquer sa solitude.
Bien sûr, la solitude, ça se trompe et n’importe laquelle de ses groupies pourrait l’aider, mais il
savait très bien ce qu’elles voulaient : sortir avec une célébrité. Le temps passait inexorablement et Smith
en était venu à se demander si un jour une femme pourrait s’intéresser à lui en tant qu’homme et non en
tant qu’acteur.
Car derrière les apparences Smith demeurait un homme – beau, séduisant, et avec un amour dévorant
pour toutes les femmes. Quelques nuits torrides ne signifient rien mais au final, pourquoi s’en priver ? Il
avait toujours eu un faible pour les femmes.
Une en particulier : Valentina Landon. Cette dernière passa à côté de lui tandis qu’il signait ses
derniers autographes à une basse-cour de fans.
— Valentina ? appela-t-il, dans l’espoir de la retenir.
Vêtue d’un long manteau de laine la protégeant du froid, la jeune femme arqua un sourcil circonspect
devant ce spectacle navrant.
— Oui ? fit-elle d’un air hostile et froid.
— Est-ce que vous et Tatiana avez besoin de quoi que ce soit avant qu’on tourne ?
— Nous avons tout ce qu’il nous faut, merci, répondit-elle sèchement. Et vous ? Besoin de quelque
chose ? (Elle consulta sa montre.) Les prises de vues débutent dans une heure…
— Tenez-moi juste au courant si vous ou votre sœur avez besoin de quoi que ce soit.
Valentina opina du chef, son expression légèrement adoucie.
— Nous n’y manquerons pas, lui assura-t-elle.
Puis son regard s’attarda sur la main du comédien enserrant une pleine poignée de numéros de
téléphone. La jeune femme prit un air écœuré.
Elle fit volte-face et s’éloigna, les lèvres pincées. Même habitée par la colère, Valentina restait belle
à en mourir.
Après d’ultimes remerciements pour ses fans, Smith se rendit à la caravane qui lui faisait office de
bureau personnel. Sans y regarder à deux fois, il balança les numéros de téléphone sur son bureau, prit
son script, son ordinateur portable, et se rendit sur le plateau. À peine assis sur la chaise du stand
maquillage, l’acteur sentit son portable vibrer dans sa poche, l’informant d’un souci d’éclairage.
La journée s’annonçait longue et chargée. Sauf que cette fois-ci c’était lui le responsable de plateau
et, malgré les obstacles qui allaient se présenter à lui, il n’aurait échangé sa place pour rien au monde. Ni
les vignes de Marcus, ni les matchs de Ryan, ni les courses de voitures de Zach ne valaient son excitant
quotidien.
Le tournage de Gravity allait enfin pouvoir débuter.
Malgré sa beauté et les mèches roses dont s’ornait sa chevelure, la jeune femme ne pouvait
dissimuler ses origines provinciales, ni son épuisement – les cernes sombres sous ses yeux, sa tenue et
sa façon de se mouvoir trahissaient les premiers jours dans une grande ville d’une jeune femme peu
habituée aux espaces citadins. Ses grands yeux observaient San Francisco ; ses immeubles, son trafic,
sa population grouillante de gens actifs l’entouraient de toute part, tel le brouillard environnant qui
montait de la Baie. Une ébauche de sourire s’afficha sur ses lèvres, bien vite remplacée par une
expression de peur.
Un chien errant se frotta contre ses bottes de caoutchouc rouge et c’est l’air penaud qu’elle se
pencha pour le caresser. Au lieu de répondre à son geste, le pauvre animal affamé fit volte-face et
s’enfuit à toutes pattes.
Dans ses yeux verts, les larmes menacèrent, mais elles furent balayées en un battement de
paupières. On ne pouvait que sympathiser avec elle, lui souhaiter le bonheur, l’amour et tout ce
qu’elle espérait trouver dans la ville de San Francisco.
Plus bas, dans la même rue et marchant à vive allure sans regarder devant lui, un homme
d’affaires en costume noir hors de prix parlait au téléphone. Happé par la conversation, il enchaînait
les directives, l’air renfermé, exhalant l’influence, le pouvoir – et la froideur.
Le ton monta et la colère marqua ses traits. Rien n’existait pour lui, son monde se résumait à ce
seul coup de fil. C’est à peine s’il remarqua la jeune fille qu’il bouscula, cette nouvelle venue en ville
encore attristée de n’avoir pu gagner la confiance d’un chien.
Ses chaussures italiennes fraîchement cirées heurtèrent le ventre de la jeune femme, dont le cri de
douleur perçant interrompit sa course et ses jurons. C’est là qu’il la vit, vautrée sur le trottoir, dans la
saleté.
Elle n’aurait pu tomber plus bas. Pourtant, en cet instant où elle aurait pu hurler son désespoir, la
jeune femme ravala sa peur pour n’être plus que colère.
Le souffle coupé, elle se redressa, jeune et forte, prête à affronter le regard de cet homme.
Peu importait qu’il soit grand et que sa tenue à elle seule vaille plus que toutes ses heures de
service à la boutique de crèmes glacées. Et au diable les badauds, interdits face à la scène.
— Pour qui vous vous prenez ? Le centre du monde ? Ça vous amuse de piétiner ceux qui sont sur
votre chemin ? hurla-t-elle.
L’homme demeura interdit et la jeune femme enfonça son index dans son torse.
— J’ai le droit d’exister, moi aussi ! reprit-elle, la voix tremblante de colère, tentant de ne pas
perdre le contrôle d’elle-même. J’ai le droit !
Le téléphone collé à l’oreille, l’homme avait observé la jeune femme tout le long de sa tirade sans
dire un mot. Son regard n’exprimait rien d’autre que la surprise.
Il n’était pas surpris de sa soudaine colère. Non, plutôt de sa fougue et de son extraordinaire
beauté, rendue d’autant plus exquise par le feu qui lui brûlait les joues.
Autour d’eux, le monde se fit silence et la jeune femme attendit une réaction qui ne vint jamais.
Elle poussa une plainte exaspérée et poussa son assaillant pour continuer sa route.
Mais une main forte la saisit par le poignet avant qu’elle ne puisse disparaître dans la foule.
— Lâchez-m…
— Je suis désolé, l’interrompit-il.
Il s’était exprimé avec un regret troublant de sincérité. Aucun de ses collaborateurs ne l’avait
jamais entendu parler ainsi. Lui-même en fut surpris.
Seule sa bravade avait permis à la jeune fille de tenir et, face à cet homme qui ne s’était jamais
excusé de sa vie, elle sentit sa hargne se liquéfier petit à petit.
Sentant une larme couler sur sa joue, elle se dégagea de son étreinte et s’enfuit sur le trottoir, loin
de cet homme dont la soudaine sincérité l’avait troublée au plus profond de son être.
Jouant des coudes, il se lança à sa poursuite, l’appelant à travers la foule. Mais elle était petite et
si vive qu’elle disparut en un rien de temps à la grande intersection de Union Square.
Le monde reprit soudain ses droits et, au milieu de toute cette agitation, l’homme au complet noir
demeura immobile.
Plus seul que jamais.
Ce n’est qu’après avoir entendu le mot « Coupez ! » que Valentina s’autorisa à reprendre son souffle.
Tout autour d’elle, l’équipe se perdit en hourras et en applaudissements, sous le charme de la scène.
Valentina manifesta elle aussi un semblant d’enthousiasme, mais l’émotion lui serrait encore la gorge.
Et dire que ce n’était que le premier jour de tournage ! Dès la première ligne du scénario, elle s’était
sentie si touchée par l’histoire et par les personnages qu’elle avait fiévreusement dévoré le reste. Smith
Sullivan était incroyable. Il était non seulement scénariste mais aussi producteur, interprète et réalisateur
du projet.
Tatiana Landon, la petite sœur de Valentina, jouait face à lui. C’était une jeune et talentueuse actrice,
avec déjà dix ans de carrière derrière elle. Après avoir figuré dans quelques séries télé et participé à des
pilotes de sitcoms, Tatiana avait récemment été à l’affiche de deux films dans des seconds rôles. Gravity
serait le premier film où elle tiendrait le haut de l’affiche.
Valentina avait toujours été très fière de sa sœur, mais ce à quoi elle venait d’assister lui avait tout
bonnement scié les jambes. Et rien d’étonnant à cela.
Car Smith Sullivan avait su tirer de Tatiana toute la magie dont elle était capable.
Sous les applaudissements, la jeune actrice remonta le trottoir en direction de Smith. Valentina put
lire en elle comme dans un livre ouvert. Bien qu’ouvertement touchée par les vivats de l’équipe, elle
voulait avoir l’avis de Smith en priorité.
À l’instar du personnage qu’il incarnait, le comédien demeura indéchiffrable jusqu’à ce qu’il prenne
Tatiana par les épaules.
— Tu as été parfaite ! lança-t-il à la cantonade, pour que toute l’équipe l’entende, avant de sourire et
de planter un baiser sur son front.
Tatiana leva les yeux sur son metteur en scène, fière et souriante, tandis qu’un sourire éclatant se
dessinait sur le visage de Valentina.
Mais la joie fut de courte durée et la jeune femme sentit le sol se dérober sous ses pieds. Cette
soudaine proximité entre sa sœur et la star mettait tous ses sens en alerte.
Les images de la matinée lui revinrent en tête, celles d’un Smith Sullivan face à un parterre de fans en
furie, jouant de son charme – le cliché total de la star de Hollywood. Smith s’en était régalé, sans nul
doute. Les numéros de téléphone qu’il avait obtenus de toutes ces femmes en pâmoison parlaient pour lui,
et chacune d’entre elles devait être en ce moment même folle d’impatience de savoir laquelle d’entre
elles serait l’élue du soir, celle qui aurait le privilège de venir réchauffer son lit.
Ce ne sera certainement pas ma sœur, en tout cas !
Smith se dirigea vers la caméra pour voir la scène et Valentina n’y réfléchit pas à deux fois. Oubliant
toute logique ou tout bon sens, elle fendit la foule de techniciens droit dans sa direction et s’adressa à
lui :
— Il faut qu’on parle, déclara-t-elle entre ses dents. Tout de suite. Et en privé.
Ce soudain éclat allait délier les langues, c’était certain. Après tout, qu’est-ce que cette intruse
pouvait bien avoir à dire à l’intouchable Smith Sullivan ? En privé, par-dessus le marché.
Valentina marcha droit vers la caravane privée de Smith sur Union Square, sentant dans son dos la
présence imposante et bouillante du metteur en scène qui la suivait pas à pas.
2

Gravity était le film dont Smith avait rêvé depuis le début de sa carrière. Ni un blockbuster aux effets
spéciaux époustouflants, ni un film d’époque aux costumes et aux accents raffinés, mais une histoire
simple sur l’amour, la famille et les choses qui importent vraiment.
Une histoire sans prétention sur laquelle toute sa réputation reposait.
Durant les huit semaines que durerait le tournage, Smith serait totalement concentré et investi dans ce
projet, et rien – ni personne – ne devait se mettre en travers de sa volonté de réaliser le meilleur film
possible.
Mais en suivant Valentina Landon jusque dans sa caravane, le regard rivé sur les hanches affolantes
de la jeune femme et sur ses longues jambes dansant dans sa jupe crayon, le comédien comprit que sa
détermination allait être mise à rude épreuve.
Avec ses airs exotiques dissimulés sous un professionnalisme à toute épreuve, son parfum entêtant et
sa voix pleine de charme, la jeune femme l’avait immédiatement séduit. La sœur de Tatiana avait beau
porter ses cheveux blonds en queue de cheval stricte et des lunettes à monture épaisse pour relire les
clauses des contrats de sa cadette, elle ne trompait personne.
Ce genre d’artifices avait de quoi rendre un homme tel que Smith fou de curiosité. Elle se donnait tant
de mal pour cacher ses charmes les plus enfouis. La jeune femme n’était pas prête à les divulguer, c’était
évident.
Durant les répétitions, Valentina avait passé son temps près de sa sœur et fuyait les plateaux à la
seconde où Smith y pénétrait. La façon dont elle veillait sur sa sœur et gérait pour elle les aspects les
plus ardus de sa carrière était en tout point admirable. Sans être envahissante, Valentina était toujours
présente au moindre souci.
Smith était le second d’une fratrie de huit et il savait combien il pouvait être difficile de prendre soin
des plus jeunes sans les étouffer et les empêcher de s’accomplir. Dans sa vie, rien ne comptait plus que sa
famille, mais son indépendance et son travail venaient ensuite. L’équilibre entre les deux demandait
parfois quelques compromis mais le bonheur qu’il en retirait valait bien toute la tranquillité du monde.
Dès la fin de ses études, Smith s’était employé à construire sa carrière à partir de rien. Autour de lui,
beaucoup disaient qu’on la lui avait donnée clé en main et que sa belle gueule avait suffi à lui ouvrir
toutes les portes. Mais en vérité, ces extérieurs avantageux avaient été un véritable enfer pour lui, au
point que, après des années d’auditions, Smith en était presque venu à accepter les douzaines d’offres de
pubs pour sous-vêtements qu’on ne cessait de lui proposer. Jusqu’à ce qu’un jour un acteur d’expérience
lui offre la possibilité de faire ses preuves face caméra, pour montrer au monde qu’il n’était pas qu’un
joli minois. Smith avait saisi cette chance, et le succès du film au box-office lui avait finalement ouvert de
nouvelles portes.
Il avait vu quelque chose de similaire chez Tatiana Landon. Certes, elle était très belle et, d’une
manière ou d’une autre, elle deviendrait une grande star un jour. Mais il voyait dans son jeu et dans son
parcours certaines choses qui lui rappelaient son propre vécu, ainsi que des qualités qu’il admirait –
détermination, concentration et enthousiasme.
Valentina ouvrit d’elle-même la porte de sa caravane et y pénétra sans son consentement. Décidément,
les Landon ne manquaient pas d’un admirable culot ! Smith avait rencontré la grande sœur de Tatiana lors
des auditions préliminaires deux mois auparavant et depuis, impossible de se la sortir de la tête.
Plus déterminée et concentrée, tu meurs ! Clairement, Tatiana tenait ça de sa grande sœur. Et quand
les deux jeunes femmes étaient ensemble, complices comme le sont des sœurs, l’enthousiasme fusait en
tous sens.
Smith monta dans la caravane et ferma la porte derrière eux. Valentina fit volte-face pour le toiser.
— Sachez que ma sœur ne sera jamais l’une de vos poupées, Sullivan ! lâcha-t-elle.
— Une de mes poupées ? s’étonna le comédien.
Valentina n’était pas dotée de la beauté conventionnelle de sa petite sœur, mais aux yeux de Smith
elle n’en était que plus attirante. Avec une femme comme Valentina, il ne fallait pas se fier au premier
coup d’œil et Smith étant du genre attentif, il avait été hautement comblé par ses pommettes hautes, ses
cils interminables, ses yeux très légèrement bridés et ses lèvres charnues et pousse-au-crime malgré la
moue agacée de leur propriétaire.
— Tatiana et moi-même sommes dans le business du cinéma depuis bientôt dix ans, l’informa-t-elle
d’un ton glacial. Je sais très bien comment ce monde fonctionne, monsieur Sullivan.
Smith dut interrompre son plaidoyer. Personne, pas même sur le plateau, ne l’appelait « monsieur » et
il ne laisserait certainement pas Valentina faire usage de ce dénominatif pour creuser une sorte de fossé
entre eux.
— Je vous en prie, appelez-moi Smith, corrigea-t-il.
Les lèvres de la jeune femme se pincèrent davantage et ses yeux lancèrent des éclairs.
— Smith, reprit-elle, avec tout le calme dont elle pouvait faire preuve, les mains crispées. Vous avez
plus d’expérience qu’elle, vous êtes plus âgé et très bel hom…
Bien qu’elle se fût interrompue, cette assertion arracha un rictus suffisant au comédien.
— Merci, Valentina. C’est grandement apprécié.
À la mention de son nom, Valentina écarquilla des yeux pleins d’une chaleur nouvelle. N’importe
quelle femme cherchant à s’attirer ses faveurs aurait réagi de même. Or, ce n’était absolument pas le cas
de Valentina qui, en réalité, cherchait tout bonnement à éviter sa présence autant que faire se pouvait.
Elle n’avait rien à voir avec les autres femmes que Smith fréquentait à Hollywood. Elle ne cherchait
jamais à attirer l’attention sur elle. Mais l’acteur avait incarné tant de personnages à l’écran qu’il savait
qu’il ne suffirait que d’un peu de maquillage et d’accessoires pour faire passer Valentina du stade de
froide à engageante.
De plus, elle était d’une intelligence rare. Mais pas assez pour se rendre compte du délicieux mystère
qu’elle entretenait bien malgré elle sur sa personne, et ô combien cela attirait Smith. Pourquoi vouloir à
ce point rejeter l’attention des hommes – la sienne, en particulier ?
Pour une fois qu’une femme ne se jetait pas à ses pieds, aveuglée par sa célébrité ! Lui qui avait
cherché une personne qui puisse s’intéresser à lui en tant qu’homme et non en tant que star, avec tout le
faste que cela impliquait…
À la voir contenir sa colère, il pensa que Valentina aurait pu être bonne actrice. L’expression de ses
yeux, l’immobilité de ses traits, la moue de sa bouche, tout respirait un calme olympien qui aurait trompé
jusqu’au plus attentif. Un don de la comédie que sa jeune sœur partageait mais que Valentina utilisait au
quotidien et non face à une caméra.
Les sœurs Landon : l’une ouverte comme une fleur et l’autre fermée comme une huître.
Valentina se serait-elle volontairement renfermée sur elle-même afin d’accorder tout l’espace à sa
cadette ?
D’un geste dédaigneux, la lèvre supérieure légèrement en avant, Valentina désigna les numéros de
téléphone froissés que Smith avait balancés sur son bureau.
— Vous avez de quoi faire, non ? Bien plus qu’aucun homme ne pourrait en rêver pour toute sa vie,
même.
Dans la précipitation, Smith avait négligé de jeter tout ça à la corbeille – c’est du moins l’explication
qu’il aurait fournie. Mais il ne devait aucune explication à Valentina, d’autant qu’il n’avait strictement
rien à se reprocher.
— Vous savez, quand je vous ai proposé mon aide si vous aviez besoin de quoi que ce soit ?
commença-t-il, d’une voix calme. C’était sincère. Et je suis ravi que vous vous sentiez assez à l’aise sur
ce plateau pour me demander de discuter, mais franchement, je ne vois vraiment pas ce qui vous tracasse.
— Eh bien, je vais vous le dire : votre pouvoir, voilà ce qui me tracasse. Nous savons tous les deux
combien vous êtes influent, tout comme nous savons combien ma sœur est parfaite pour ce rôle.
— Ce sont mes mots exacts, confirma l’acteur en opinant du chef.
— Des mots capitaux pour elle. (L’inquiétude marqua ses traits.) Tatiana vous admire. Jamais
auparavant elle ne s’était autant impliquée sur un projet. Elle veut vous éblouir et elle se donnera à cent
pour cent de ses capacités pour y parvenir.
Elle le toisa droit dans les yeux et ajouta :
— Je veux que vous me promettiez de ne franchir aucune barrière et de vous en tenir à une relation
professionnelle.
Bon Dieu… Bien sûr qu’il avait engagé Tatiana pour des raisons professionnelles, pas pour la
séduire. C’était une grande actrice, il en était persuadé, et de grandes choses l’attendaient.
En d’autres circonstances, Smith se serait patiemment défendu. Mais deux accusations si graves en si
peu de temps, c’était trop. Malgré sa discrétion, Valentina avait mis son honneur en doute à la seconde où
elle l’avait rencontré.
Personne ne pouvait bafouer son honneur. Smith se sentait comme un gros ours des cavernes qu’on
aurait tiré de son hibernation à coups de bâton répétés, prêt à montrer les dents. En connaissance de
cause, il lui répondit sèchement par une pique qui, il le savait par avance, allait aggraver les choses entre
eux.
— Je vous rappelle que votre sœur a déjà signé son contrat.
Au lieu de se braquer à cet avertissement, Valentina s’approcha de lui à pas feutrés – si près qu’il put
sentir le parfum de lavande de son shampoing.
— Vous savez, avant de signer, je me suis renseignée sur vous. Tout le monde m’a assuré que vous
étiez différent. (Son regard bifurqua à nouveau vers le bureau de Smith et revint à lui.) Mais vous ne
valez pas mieux que tous les autres.
L’incendie dans son regard s’amplifia et elle poursuivit :
— Je me fiche bien de ce que ma sœur a signé. Si vous tentez quoi que ce soit avec elle, si vous la
blessez d’une quelconque manière, alors je vous jure que…
— Mais bon sang, Valentina ! explosa Smith. Je n’ai aucune intention de séduire votre sœur ! (Il
reprit son calme.) Elle est jeune, belle et pleine de talent. Et je vais tout mettre en œuvre pour qu’elle
aille jusqu’aux Oscars et en remporte un pour sa performance. Mais il n’est nullement question de
séduction !
Je veux vous séduire, vous, songea-t-il, malgré ses mots rassurants.
Il pensait avoir réglé le problème, mais Valentina rétorqua tout de go :
— Je vous ai vu l’embrasser sur le front, tout à l’heure. Et j’ai vu comment elle vous regardait,
comme si vous étiez le gardien des secrets sacrés de l’univers tout entier.
Smith pensa à sa mère et à ses deux sœurs adorées. Il avait mal jaugé l’inquiétude de la jeune femme.
Elle avait besoin d’être rassurée, de comprendre qu’il n’était pas une de ces stars perverses qu’on se
plaît à dépeindre dans les soirées mondaines. Le coup du contrat, c’était mal joué, Sullivan.
— Votre sœur a été tellement bonne dès la première prise que je me suis laissé emporter, se défendit-
il. Je voulais juste qu’elle sache combien je trouve grisant de pouvoir travailler avec elle. Mais très
sincèrement, je doute qu’elle ait interprété mon geste de la même manière que vous.
Valentina demeura prudente puis, après un long soupir, elle laissa redescendre la pression.
— J’espère bien que non, en tout cas.
Au départ, Smith avait cru les yeux de la jeune femme du même vert que ceux de Tatiana. Mais
maintenant qu’il la voyait de plus près, il découvrait qu’ils étaient noisette, légèrement verts au centre et
cerclés de brun. Smith n’avait jamais cru à la perfection et des années passées à Hollywood n’avaient en
rien diminué sa certitude. Il n’avait fréquenté que trop de gens repliés sur l’apparence, passant si souvent
sur le billard des chirurgiens esthétiques qu’ils finissaient par ressembler trait pour trait aux poupées en
plastique chéries par ses sœurs durant leur enfance.
Le visage de Valentina lui apparut également sous un autre jour, en particulier les cernes sous ses
yeux.
— Faire le chien de garde pour votre sœur ne doit pas toujours être de tout repos, fit-il.
— Je ne fais pas le chien de garde. C’est ma sœur et je l’aime. Je dois… (Elle s’interrompit et
poussa un long soupir chargé de lassitude.) Je dois m’assurer qu’elle aille bien, et ce à tout moment.
— Et elle a bien de la chance de vous avoir. Mais Valentina, qui veille sur vous en attendant ?
À nouveau, elle plongea son regard surpris dans le sien. À en juger par la façon dont ses beaux yeux
se dilataient à cette question, son désir ne faisait plus aucun doute.
D’un air de défi, elle leva le menton, ce qui ne fit qu’accentuer le propre désir de Smith.
— Je n’ai pas besoin qu’on me protège, moi.
Sans le moindre regard en arrière, Valentina sortit en trombe de la caravane.


— Val ! Te voilà enfin !
Tatiana semblait radieuse, manifestement encore en joie d’avoir suscité l’admiration de Smith.
Toutefois, elle ne paraissait pas moins inquiète de la soudaine disparition de sa sœur et manager dans la
loge personnelle de ce dernier, sans la moindre explication et dès la première prise.
Valentina la prit dans ses bras.
— Tu as été fabuleuse, la complimenta-t-elle.
Si Valentina était mince et élancée, sa jeune sœur était tout en courbes et menue. Tatiana était une
véritable beauté mais son aînée ne l’avait jamais enviée. Une grande beauté implique de grandes
responsabilités, ainsi que la pression constante qu’exerçaient sur elle les projecteurs.
— As-tu besoin de quoi que ce soit avant de passer aux gros plans ? poursuivit-elle.
— Non, tout va à merveille. (Elle marqua une pause.) Et toi ?
— Tout va pour le mieux, la rassura son aînée.
Ce qui était bien le cas – du moins en ce qui concernait Smith et ses vues sur Tatiana. Plutôt mourir
que de voir sa jeune sœur se lancer dans une relation avec un acteur ! Mais par miracle, Tatiana avait
jusque-là évité ce piège. Elle avait déjà partagé l’écran avec de nombreux partenaires masculins, mais
aucun qui soit doté du charisme de Smith Sullivan.
Pourtant, Valentina l’avait cru lorsqu’il lui avait assuré ne rien vouloir de sa sœur. Certes, il était
plein de charme, influent et sacré bon acteur, mais l’instinct de la jeune femme lui hurlait de le croire.
Hélas, son instinct l’encourageait également à croire en d’autres choses, comme la façon dont son
cœur s’était emballé lors de leur entrevue, comme s’il s’était agi d’un rendez-vous entre deux
adolescents.
Et cette façon dont il avait sensuellement prononcé son nom. Valentina. Tout le monde autour d’elle
l’appelait Val. Entendre son nom complet de cette manière lui avait donné une soudaine envie de réitérer
l’expérience, entre deux baisers au creux de sa nuque.
Alors, pourquoi lui en vouloir ? Au fond, c’était à elle-même que Valentina en voulait, de se montrer
aussi faible en sa présence – ce qu’elle n’aurait jamais cru possible. Plus tôt, sous l’influence de son
regard, la jeune femme s’était sentie si emplie de désir qu’elle en aurait perdu le souffle.
À l’écran, Smith Sullivan était déjà très impressionnant, mais il l’était encore plus en personne. Il
dégageait une aura telle qu’elle aurait pu déceler sa présence dans une pièce les yeux fermés.
Chaque mouvement, chaque regard de sa part n’exprimait que sensualité pure. Non pas qu’il cherche
absolument à attirer l’attention. C’était un magnétisme tout ce qu’il y avait de plus naturel. De sa
mâchoire carrée et volontaire aux tendons prononcés de sa nuque, tout chez lui n’était que masculinité.
Bien sûr, le comédien n’était pas qu’un beau minois. Il était aussi un acteur brillant. Personne ne
pourrait le contester. Pourtant, malgré un don inné pour la comédie, il répétait inlassablement chaque
scène, chaque réplique, jusqu’à les maîtriser sur le bout des doigts. Une rigueur à laquelle Valentina avait
assisté plus d’une fois avec force admiration.
Rassurée par sa réponse, Tatiana prit sa sœur par le bras et elles retournèrent sur le plateau où Smith
discutait mise en place avec son directeur de la photographie.
— Au fait, fit Tatiana, je ne t’ai pas dit ? Ce matin, avant le tournage, il m’a à nouveau répété
combien il était heureux de travailler avec moi et que si quoi que ce soit m’embarrassait, je devais le lui
dire sur-le-champ !
— C’est génial.
Et bien plus courtois que ce que la plupart des collaborateurs de sa sœur lui avaient réservé jusque-là
dans sa jeune carrière.
Des années durant, Valentina avait tenté de comprendre pourquoi Tatiana tenait tant à être actrice, lui
posant très souvent la question. Sa jeune sœur avait toujours fourni la même explication : elle aimait
rendre les gens heureux, elle voulait leur faire oublier les tracas du quotidien rien qu’un instant. C’était
une raison sensée et louable, mais Valentina ne comprenait pas pourquoi il fallait absolument placer sa
vie sous un microscope pour en arriver là. Un jour, Tatiana deviendrait une grande star – peut-être aussi
connue que Smith – et alors, sa vie serait réduite à cela. Chacun de ses faits et gestes serait analysé, passé
au crible des médias et offert en pâture aux gens via la télé, les magazines et les blogs sur Internet.
Rien qu’à y songer, Valentina fut parcourue d’un frisson d’horreur.
Tatiana poussa un soupir où se devinait une admiration proche de la vénération.
— Il est incroyable, pas vrai ? Je n’en reviens toujours pas de la chance que j’ai de pouvoir
travailler sur un de ses films !
Valentina n’aurait su dire si ces mots allaient au-delà de la simple appréciation professionnelle. Et au
crédit de sa sœur, il y avait de quoi s’extasier. Smith était talentueux, gentil, beau comme un…
Dieu, songea-t-elle. Reconnaître ses talents d’acteur était une chose, mais chanter ses louanges alors
qu’elle le connaissait pour ainsi dire à peine ? C’en était une autre.
Par chance, Tatiana fut appelée sur le plateau, ce qui dispensa son aînée de lui faire part de son
assentiment – ou non – à propos du comédien star.
Valentina passa les heures qui suivirent à observer sa sœur face caméra, de la fierté plein le cœur. En
tant que manager, la jeune femme avait toujours veillé à ce qu’on respecte Tatiana en tant qu’actrice,
qu’on ne la traite pas comme une jolie petite chose écervelée. Toutes deux privilégiaient la qualité des
rôles aux offres financières.
À Hollywood, tout n’était qu’affaire de perception, et personne ne pourrait, à aucun moment,
prétendre que les sœurs Landon étaient un duo facile à embobiner.
Du moins, pas cette génération de cinéastes, songea-t-elle tandis que son portable vibrait contre sa
hanche. La jeune femme jeta un œil au nom de l’interlocuteur. C’était un appel de sa mère, un coup de fil
qu’elle avait anticipé. Que ne ferait pas Ava Landon pour se faire inviter sur un plateau de tournage ?
Surtout s’il était fréquenté par Smith Sullivan.
Valentina soupira et remit le téléphone dans la poche de sa veste, sans répondre. Sa mère était loin
d’être une mauvaise personne, mais elle nourrissait un intérêt un peu trop prononcé pour les jeunes et
beaux acteurs – surtout s’ils étaient célèbres.
Mère et fille avaient de nombreux intérêts communs – la crème glacée, les couchers de soleil et les
chanteurs des années 1950… Mais en matière d’hommes, la jeune femme était fermement décidée à ne
pas se laisser guider par les mêmes tares génétiques qu’Ava.
Un jour, Tatiana pourrait voler de ses propres ailes et, à ce moment-là, Valentina s’autoriserait une
rencontre – un homme beau, intelligent, aux mains puissantes et au sourire engageant, si possible.
Et sans aucun lien avec le milieu du cinéma ! Pop-corn et vin rouge devant un film serait le strict
maximum qu’elle s’autoriserait à partager de cette vie-là avec lui.
3

Une semaine plus tard, Valentina se trouvait sur le seuil de la maison de Smith, enivrée par l’agréable
parfum floral – des lis des vallées, difficiles à faire pousser mais qui décoraient pourtant toute la
devanture de son jardin. Une touche de douceur inattendue dans l’habitat d’un homme aussi viril.
Cela faisait dix ans que Valentina se prêtait à ce genre de rituel. Les stars du cinéma adorent exhiber
le faste de leurs maisons. C’était la routine, alors aucune raison de paniquer. De plus, Tatiana les
rejoindrait sous peu, évitant tout contact prolongé en solitaire avec son partenaire à l’écran.
Depuis leur altercation dans la caravane, Valentina définissait plus volontiers Smith par ce terme.
Partenaire à l’écran. Une manière de lui faire perdre en personnification, comme on parlerait d’un
simple accessoire de plateau.
La jeune manager n’avait que trop songé à lui, ces derniers jours, et il était primordial pour elle de se
rappeler sa fonction avant son sexe. Deux jours plus tôt, Smith avait tourné une scène torse nu et, si elle
l’avait su, Valentina se serait abstenue de se présenter sur le plateau ce jour-là. Ses abdos en béton, ses
épaules massives et ses bras en acier l’avaient laissée pantoise d’admiration. Difficile de s’arracher à la
contemplation d’un tel morceau ! Si difficile, en vérité, qu’elle avait bien vite renoncé à essayer.
Malheureusement, cela n’était guère passé inaperçu. Smith lui avait jeté un regard des plus
équivoques en se rendant à la caméra pour se repasser la scène.
Son sac à main en cuir serré contre sa poitrine comme une protection, Valentina sonna à la porte.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’une jolie fille de petite taille lui ouvrit la porte.
— Salut ! fit-elle, un sourire éclatant aux lèvres. Moi, c’est Nicola ! Smith m’a prévenue de votre
arrivée. Les garçons sont à la cuisine pour préparer les margaritas, expliqua-t-elle tout en lui serrant la
main.
Il fallut quelques instants à Valentina pour réaliser qu’elle venait d’être accueillie par la chanteuse
Nico, dont les tubes inondaient les ondes en permanence.
Mais que faisait-elle ici ?
De quels garçons parle-t-elle ?
Smith aurait-il changé l’horaire de leur réunion au dernier moment ? Dans quel genre d’orgie allait-
elle mettre les pieds ?
Toutefois, tandis qu’elle suivait Nico – ou Nicola, comme elle s’était présentée –, Valentina remarqua
sa tenue, totalement inadaptée pour le genre de réjouissance à laquelle elle s’était mise à songer. Qui se
lancerait dans une orgie en jean et sweat-shirt en laine ?
Une fois dans la cuisine, Smith lui adressa un regard radieux par-dessus le plan de travail. Le pouls
de la jeune femme s’emballa devant autant de chaleur humaine.
— Valentina ! s’extasia-t-il d’une manière qui ne fit que trop plaisir à la jeune femme. Vous êtes pile
à l’heure ! Je vois que vous avez fait la connaissance de Nicola. Laissez-moi vous présenter mon frère,
Marcus.
Si elle n’avait pas déjà eu d’yeux que pour Smith, l’homme à son côté ne l’aurait clairement pas
laissée indifférente. Bien qu’un peu plus vieux que l’acteur, il n’en demeurait pas moins extrêmement
agréable à l’œil. Nicola se glissa sous son bras musclé et il lui caressa tendrement la joue avec une
attention démesurée.
Bien malgré elle, Valentina s’en trouva soudain épouvantablement envieuse. Elle voulut détourner
pudiquement le regard, mais comment ignorer un amour aussi passionné ?
Elle se sentit soudain très mal à l’aise dans le costume strict qu’elle avait porté toute la journée, au
milieu de cette réunion de famille aux atours décontractés.
— Ravie de vous rencontrer, parvint-elle à articuler.
Smith se baladait pieds nus et Valentina eut honte de les trouver aussi sexy que le reste de sa
personne. Mais ce n’était rien en comparaison de l’aperçu qu’il offrit de ses muscles tandis qu’il se
dressait sur la pointe des pieds.
Les roulements de ses biceps et le bref aperçu de sa peau bronzée par le soleil faillirent bien la faire
fondre sur place.
Franchement, des bras aussi bien faits, cela devrait être interdit.
Valentina se sentit soudain ridicule, comme une femme qui aurait grandi dans les règles d’un
pensionnat strict sans jamais avoir vu un bras musclé de sa vie.
— Ravi de vous rencontrer également, sourit Marcus.
Les joues rougies par la gêne, la jeune femme se rendit compte que Smith lui offrait une margarita.
Elle n’avait pas prévu de boire car il lui fallait garder la tête froide, mais il aurait été très malpoli de
gâcher la petite fête de famille – quoi qu’ils aient à célébrer.
Prenant place près d’elle, Smith s’adressa à son frère et à sa compagne.
— Un toast, déclara-t-il. À vos fiançailles. Je suis très heureux pour vous deux !
Valentina écarquilla les yeux. Ainsi, ce n’était pas une orgie. L’amour entre Marcus et Nicola
s’expliqua soudain : c’était leur union qu’on fêtait.
— Merci à toi, Smith, fit Nicola, tout sourire. Après tout, c’est grâce à toi que nous avons passé notre
première nuit ensemble ! (Elle jeta un regard en biais vers son compagnon.) Même s’il s’est contenté de
petits bisous, alors que j’aurais été prête à tout, de mon côté !
Valentina ne put dissimuler son étonnement grandissant. Quel homme résisterait aux attraits d’une
femme aussi charmante que Nicola ?
— Oh, vraiment ? fit un Smith curieux, avant de se pencher vers sa future belle-sœur. Dis-m’en plus !
Soudain, Marcus posa ses lèvres sur celles de la jeune femme.
— Une chance que mes petits bisous fassent leur office avec toi, souligna le frère de Smith d’un
murmure sensuel.
Ils devaient, en effet, car le baiser sembla réduire instantanément la chanteuse au silence. Depuis
l’autre côté du comptoir, on pouvait presque sentir les étincelles jaillir entre ces deux-là. Ils s’aimaient
d’un amour vivace et sincère.
Ils avaient de la chance de s’être trouvés.
— Mes félicitations, lança Valentina. À vous deux !
Les yeux dans le vague, Nicola leva son verre, vite imitée par les trois autres. Valentina fut surprise
de se sentir aussi à l’aise, d’autant que deux des convives étaient des célébrités internationales.
C’est d’ailleurs le plus naturellement du monde qu’elle complimenta la jeune chanteuse sur le
magnifique bijou qui brillait à son doigt.
— Votre bague est magnifique !
Nicola ne se fit guère prier et contourna le comptoir pour la lui montrer. Pas un diamant standard,
mais un patchwork de différentes pierres sur une monture en or.
Les Sullivan ne font pas les choses à moitié, on dirait !
Quel plaisir cela doit être de faire partie d’un tel clan, se surprit-elle à songer. Être sous la
protection d’un Sullivan, voilà qui devait être particulièrement rassurant.
Tout en chassant ces pensées de son esprit, Valentina suivit Nicola de l’autre côté du comptoir pour
rejoindre les deux frères en cuisine. Elle porta son verre à ses lèvres, dans l’espoir que quelques gorgées
de plus lui faciliteraient la tâche.
Mais avec le regard sombre de Smith posé sur elle, c’était peine perdue.
L’alcool n’y changerait rien. Lui seul avait le pouvoir de lui faire tourner la tête.
Dans l’espoir de se préserver, Valentina s’apprêta à poser son verre et à s’excuser auprès d’eux pour
son intrusion.
— Comment trouvez-vous San Francisco ? lui demanda Nicola, lui coupant toute possibilité de
retraite.
Une question simple pour une réponse simple. Mais le regard aussi insistant qu’impatient de Smith
rendait la chose extrêmement difficile à formuler.
Du creux de son cou jusqu’à la base de son poignet, elle sentit son pouls s’accélérer et, comme
chaque fois qu’elle se trouvait en la présence de l’acteur, le rouge lui monta aux joues.
Pourtant, loin d’elle l’envie ou l’idée d’éveiller ainsi son intérêt, mais depuis leur conversation dans
sa caravane et vu l’intensité de chacun de ses regards sur le plateau de tournage, la jeune femme ne
pouvait nier davantage l’attirance qu’elle exerçait sur lui. C’était comme si le comédien, par son seul
regard, pouvait voir à travers ses atours stricts et sa coiffure sobrement tirée en arrière, lui dévoilant sans
le vouloir ce qu’elle avait toujours pris soin de dissimuler.
— J’adore, répondit-elle. Mais je dois reconnaître qu’il y fait plus chaud que je ne m’y attendais.
Le soleil était couché mais Smith faisait naître en elle des bouffées de chaleur. Elle déboutonna sa
veste et la fit glisser de ses épaules.
— Il semble que vous et votre sœur ayez amené le soleil dans vos bagages, fit Nicola. Il n’y a pas
deux semaines, il fallait enfiler une tenue de ski pour aller chercher le courrier dans le brouillard !
ajouta-t-elle, son sourire la rendant plus radieuse encore.
Talentueuse et adorable, songea Valentina. Rien d’étonnant à ce que Marcus soit tout doux avec elle.
— J’aime le brouillard, moi, fit Marcus en lui embrassant la joue. Tant que je peux te réchauffer
après, en tout cas.
Valentina ne connaissait que peu de choses du monde de la musique, mais au stade où en était la jeune
chanteuse, cela ne devait pas être bien différent du milieu du cinéma. Pourtant, toute star qu’elle fût,
Nicola filait le parfait amour avec un homme qui l’acceptait pour elle-même et ne semblait pas attendre
autre chose de sa part.
Une chance que sa mère n’avait jamais partagée. Si un seul des hommes qu’elle avait fréquentés avait
eu un cœur d’or comme Marcus, les choses auraient été bien différentes et leurs vies auraient été
meilleures.
Mais pour les sœurs Landon, seul le silence avait été d’or. Vers la vingtaine, Valentina avait appris à
se débrouiller seule, à éviter les coups, et finalement elle était devenue assez forte pour prendre soin
d’elle-même et de Tatiana.
— Qu’avez-vous visité jusque-là ? s’enquit Marcus.
La jeune femme chercha une réponse appropriée.
— Un plateau de tournage, sourit-elle. Le plus beau du monde.
— Smith connaît la ville comme sa poche, souligna Marcus. Il vous ferait une bonne visite guidée.
— Oui, dites-moi ce que vous souhaiteriez voir, Valentina.
L’intéressé avait réagi de façon si naturelle que la jeune femme se demanda si tout ce petit scénario
n’avait pas été agencé par avance.
Les Sullivan avaient une telle propension à mettre les gens à l’aise que pendant ces quelques instants
elle avait relâché sa vigilance. Valentina réagissait souvent de la même manière en présence de sa sœur.
Par chance, la jeune manager s’était prémunie contre le baratin des acteurs depuis un sacré bout de
temps. L’image d’une prison de haute sécurité s’imposa à elle.
— Alcatraz, répondit-elle.
Cela n’eut pas l’effet escompté, car Smith se mit à rire aux éclats et, malgré quelques petites toux
polies, Marcus et Nicola ne purent dissimuler plus longtemps leur propre hilarité.
Leurs rires étaient si communicatifs que Valentina elle-même se surprit à s’y abandonner.
Il fallait qu’elle parte d’ici, et vite. La sympathie qu’elle éprouvait pour ces gens allait finir par lui
attirer des ennuis. Toute cette bonne humeur, ce lâcher-prise, ne présageait rien de bon.
— Merci encore pour le toast, les remercia-t-elle, adressant un chaleureux sourire aux jeunes fiancés.
Mais il faut vraiment que j’y aille. Smith ? Je dirai à Tatiana que notre réunion aura lieu un autre jour.
— Ne vous tracassez pas, la retint Marcus avant même qu’elle ait pu reprendre son sac à main. Nous
ne faisions que passer pour partager la bonne nouvelle. Ma mère nous attend pour dîner.
En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, Valentina serra la main des amoureux, Marcus prit
son frère dans ses bras et Smith les raccompagna à la porte, laissant la jeune femme seule au milieu de la
cuisine. Le bruit de la porte d’entrée se fermant sur les visiteurs lui fit l’effet d’une poussée d’adrénaline
et son cœur se mit à battre la chamade.
Ils se retrouvaient seuls, certes, mais aucune raison de paniquer. Qu’elle se soit laissé charmer par
leur gentillesse n’était pas un drame et Valentina pouvait tout à fait gérer la suite des événements.
N’est-ce pas ?
4

À la suite de leur première entrevue tendue à propos de sa sœur, Smith avait remarqué le soin avec
lequel Valentina évitait sa présence, ne collaborant poliment avec lui que le temps de retoucher un
costume ou de mettre à plat l’emploi du temps de Tatiana, sur laquelle elle gardait un œil avisé à chaque
prise tournée.
La discrétion incarnée.
Mais si c’était là son plan pour s’effacer aux yeux de Smith, c’était un échec.
L’acteur avait bien d’autres chats à fouetter sur ce film et pourtant, impossible de se sortir Valentina
de la tête.
Bien sûr, ses longues jambes galbées et sa beauté originale n’aidaient en rien. À Hollywood, les
apparences prévalaient mais, en la voyant auprès de Nicola, s’extasiant devant sa bague et ses futures
noces, l’essentiel était revenu au galop. Pour Valentina, la famille prévalait. Sur le plateau, rien ne
transparaissait de cette femme, si ce n’était son pur professionnalisme. Mais au moindre signe de Tatiana,
Valentina la manager s’effaçait immédiatement au profit de ce qu’elle était avant tout : une grande sœur.
— Mon frère est très heureux, ça, c’est certain, s’exclama Smith, de retour à la cuisine, tombant sur
Valentina qui, verre à la main, observait les lumières de la ville par la fenêtre.
Elle se tourna vers son hôte.
— Ils le sont tous les deux, assura-t-elle. Ils sont adorables.
— Au début, je dois vous avouer que je n’étais pas très chaud quant à leur relation, admit Smith, se
rappelant les houleux débuts de son frère avec Nicola. Mais malgré la différence d’âge et leurs emplois
du temps chargés, ils ont fini par se trouver.
— Est-ce que Marcus est dans le divertissement, lui aussi ?
— Pas du tout. Il est le propriétaire des Vignobles Sullivan.
— Eh bien ! s’extasia la jeune femme. Mon cabernet favori provient de chez lui. J’aurais voulu le
remercier pour le plaisir qu’il m’a apporté !
Découvrir la profession de Marcus l’avait clairement surprise et Smith en fut heureux. Contrairement
aux autres gens qu’il fréquentait, Valentina ne connaissait absolument rien de lui. Dire que certaines de
ses fans pouvaient réciter les noms de ses frères et sœurs par cœur ! Et cette histoire de plaisir… quel
bonheur à entendre. Même s’il fallait en remercier Marcus.
— Je comprends maintenant ce que vous entendiez par « emplois du temps chargés », souligna la
jeune femme. Ils vivent vraiment dans deux mondes différents.
Smith emplit leurs verres et se rendit au salon.
— Il est assez difficile de jongler entre les tournées et les saisons des cépages, fit Smith. Mais ils se
donnent les moyens d’y arriver et ça fonctionne vraiment.
Smith déposa les verres sur la table basse et Valentina fut surprise d’y trouver un puzzle à moitié
achevé.
— J’adore les puzzles ! s’exclama-t-elle. Avec Tatiana, nous en faisions à la pelle, autrefois.
Sans attendre, elle s’installa sur le divan, s’empara d’une pièce et la plaça sur la fresque déjà
entamée. Dans son dos, Smith compléta l’oreille d’un chien, tandis qu’elle surenchérissait avec le bout de
la truffe d’un autre. Enfin, elle se détendait un peu, songea Smith.
D’ailleurs, il ne l’avait pas menée au salon par hasard, comptant bien sur le puzzle pour briser la
glace. Bénie soit la petite Summer pour le lui avoir offert ! La future belle-fille de Gabe, son jeune frère
pompier, avait eu l’idée de customiser en puzzle une photo des trois chiens de la famille, oreilles et
truffes au vent. À huit ans, elle lui rappelait ses sœurs au même âge. Sophie – la Gentille – et Lori – la
Vilaine – avaient été deux merveilleuses petites sœurs et, bien que la seconde soit plus insupportable
d’année en année, il ne l’aurait troquée pour rien au monde.
— Sacré tableau, pas vrai ?
Le rire de Valentina lui mit du baume au cœur.
— Ce n’est rien de le dire ! Où l’avez-vous trouvé ?
— Deux des chiens appartiennent à mon frère et à sa petite amie, expliqua-t-il. Le gros, c’est Atlas, le
danois d’Enter. Quant à la petite, c’est son amoureuse. Heather et Zach n’ont pas tardé à les imiter.
— Et le caniche ?
— C’est celui de ma future nièce. Elle a seulement huit ans et a réussi à jouer les entremetteuses entre
sa mère et mon frère Gabe. Ils se marieront au Nouvel An à Tahoe. Ils s’y sont rencontrés, il y a un an
seulement.
Valentina poussa un soupir attendri.
— C’est si mignon, fit-elle, les traits chargés d’émotion.
Smith et Valentina complétèrent le puzzle devant un bon feu de cheminée. Jamais auparavant le
comédien n’avait partagé de moment aussi agréable avec une femme. Il n’était pas parvenu à terminer ce
puzzle. La dernière fois qu’il avait essayé, la fille qu’il avait ramenée chez lui avait jugé bon de tout
bazarder par terre pour que Smith la prenne sur la table basse. Une fois partie, après sa toilette, Smith
avait tout ramassé et s’était remis à l’ouvrage.
Ramasser une starlette et lui faire l’amour sur une table basse, c’était monnaie courante à Hollywood.
Par contre, faire un puzzle au salon, c’était totalement inédit. Seuls les couples jouaient à ce genre de
choses.
Valentina trouva une nouvelle pièce à placer.
— Votre famille a l’air vraiment incroyable, lança-t-elle avec enthousiasme. J’imagine que vos
parents ont dû vivre un mariage des plus heureux.
— Plutôt, oui, reconnut Smith. Encore qu’à entendre certaines histoires que nous raconte ma mère,
mon père était loin d’être parfait.
Songer à Jack Sullivan lui arracha une grimace. Sa perte remontait à longtemps et Smith avait depuis
fait son deuil, mais son simple souvenir pouvait parfois peser lourd sur son cœur et lui rappeler combien
il lui manquait.
— Il est mort quand j’avais treize ans, confia-t-il.
La surprise manifeste de la jeune femme confirma ce que Smith avait déjà deviné. De toute évidence,
Valentina ne savait rien de lui et les potins des magazines lui étaient inconnus.
— Désolée, je l’ignorais.
Soudain, la possibilité de se rapprocher d’une personne et de construire sa vie avec elle effleura le
comédien. Deux êtres pouvaient-ils se rencontrer, découvrir leurs histoires respectives, se rapprocher,
puis construire une histoire commune ?
Valentina ferma les yeux et parla alors d’une voix si basse et étouffée qu’il dut tendre l’oreille pour
saisir ses mots.
— Mon père est mort, lui aussi.
D’un geste naturel, Smith posa une main réconfortante sur celle de la jeune femme.
— Quel âge aviez-vous ?
— Vingt-deux ans, répondit-elle, la voix chevrotante. Je sais que je devrais m’en être remise depuis,
mais…
Smith lui entoura les épaules d’un bras protecteur. Sa silhouette élancée épousa la sienne à merveille.
— J’ai souvent pensé la même chose, fit-il. Qu’un jour je me réveillerais et que ma peine serait
atténuée pour de bon. (Il posa sa main sur son cœur.) Mais je pense encore à lui avec douleur.
Valentina couvrit à son tour la main de Smith avec la sienne, et ce simple geste de sympathie lui
donna des ailes.
— Mon père me manque tant, confia-t-elle. Depuis sa mort, tout a changé.
— Je vous comprends.
Et Smith était sincère. Certes, sa mère s’était occupée d’eux tous et s’était montrée extraordinaire,
mais même si les Sullivan avaient tous pris soin les uns des autres, la perte de leur patriarche avait été
des plus difficiles à compenser.
— Nous étions neuf, raconta-t-il. Et nous étions livrés à nous-mêmes, tâchant de vivre une vie
normale. Mais à quoi bon, alors que plus rien ne serait jamais normal ?
— Normal, répéta la jeune femme d’une voix neutre. Qu’est-ce que je n’aurais pas donné pour vivre
une vie normale… Surtout pour Tatiana.
— Comment votre sœur a-t-elle géré cette perte ?
— Tatiana est très jolie, mais elle est aussi très forte et pleine de résilience. En fait, le personnage du
film lui ressemble beaucoup. Fragile en apparence, mais un vrai roc sous la surface.
Valentina avait tout à fait cerné le personnage et Smith en fut surpris.
— Vous savez, ma jeune sœur travaille dans une bibliothèque…
Il s’interrompit et secoua la tête, pensant au nombre de fois où les gens avaient sous-estimé Sophie au
prétexte qu’elle était trop gentille – surtout Jake, son futur mari qui, il y avait peu, n’aurait pas su faire
face à son caractère.
— C’est une vraie guerrière, reprit-il. Beaucoup lui envieraient son courage. D’ailleurs, elle m’a
fortement inspiré pour le personnage que joue Tatiana. Elle est enceinte, elle aussi.
Au fur et à mesure de son récit, Valentina s’était détendue davantage, écoutant Smith avec attention.
Sans vouloir profiter de sa vulnérabilité momentanée, le comédien ne fit pas mine de récupérer sa main,
toujours recouverte par celle de la jeune femme.
— Avez-vous d’autres frères et sœurs ? s’enquit-il.
— Non. (Elle marqua une pause.) Rien que nous deux.
Aucun sous-entendu, bien sûr.
— Et votre mère ? poursuivit Smith. La perte de votre père a dû être difficile pour elle aussi,
j’imagine.
Sans crier gare, comme sous le coup d’une soudaine brûlure, Valentina se recula sur le canapé. On
aurait dit qu’elle venait d’être tirée d’un cauchemar aussi désagréable qu’inattendu.
D’abord tenté de reprendre le contact, Smith se résigna. Ç’aurait été le meilleur moyen de la faire
fuir. Or, ce n’était pas ce qu’il souhaitait. À contrecœur, il focalisa son attention sur le puzzle encore
incomplet.
Toute sa vie durant, Smith n’avait eu qu’à prendre ce qu’il désirait. Dans la plupart des cas, tout lui
tombait tout cru dans le bec sans qu’il ait à fournir le moindre effort. Mais avec Valentina, les choses
étaient différentes. Ce n’était pas elle qu’il voulait, mais sa confiance, et c’était là le genre de choses que
l’on n’obtient qu’à force de persévérance et de doigté.
— Tout le monde a toujours complimenté ma mère sur la façon dont elle a géré son deuil, déclara-t-il.
Et c’est mérité, car elle a été incroyable.
Il inséra une nouvelle pièce dans le puzzle et poursuivit :
— Elle ne s’est jamais remariée. Même après toutes ces années. Pour autant que je sache, elle n’a
même pas fréquenté quelqu’un d’autre.
À son grand étonnement, il vit Valentina vider son verre d’un seul trait.
— C’est amusant, avança-t-elle. Tout le contraire de ma mère. Au moindre petit compliment d’un
homme ou d’un acteur, elle finit au lit avec.
La jeune femme ne dissimulait plus sa peine et toisa le comédien droit dans les yeux.
— Mais le plus drôle dans l’histoire, c’est qu’elle n’a jamais eu le moindre sentiment réel pour aucun
d’entre eux.
Tant de souffrance dans son si beau regard lui était insupportable et Smith se risqua à s’approcher à
nouveau.
Mais on sonna soudain à la porte et Valentina, surprise, bondit sur ses pieds, regardant
alternativement le comédien et son verre vide d’un air coupable.
— Je suis désolée, s’excusa-t-elle. Jamais je n’aurais dû vous dire toutes ces choses. Ça ne vous
regarde pas. Surtout ma mère, je… S’il vous plaît, ne dites rien à Tatiana.
Dernière chance. Smith prit ses mains suppliantes entre les siennes d’un geste apaisant.
— Jamais je ne ferai le moindre tort à votre sœur… Ni à vous.
Les pupilles de la jeune femme étaient si dilatées que ses yeux paraissaient plus verts encore. Lui
faisait-elle confiance ? Difficile à dire. En fait, Smith comprenait largement ses scrupules. Dans son
milieu, les hommes étaient souvent des profiteurs. Mais cela n’empêchait pas ses fantasmes de
vagabonder dans son esprit. Des images de lui en train de la porter à l’étage du dessus, pour passer toute
la nuit à explorer son corps et ses désirs, hantaient ses pensées. Comme il aurait voulu pouvoir parcourir
chacune de ses courbes jusqu’à trouver la clé d’un bonheur ultime qu’elle ne cesserait de lui réclamer.
Nouveau coup de sonnette. Smith fit appel à toute sa volonté pour aller ouvrir à Tatiana. Tous trois
passèrent le reste de la soirée à revoir les plannings de promotion du film et à répondre aux incessantes
demandes d’interviews. Tout le long de la réunion, Valentina évita soigneusement son regard, sans
éveiller les soupçons de sa jeune sœur. Mais Smith se sentit habité d’un désir de plus en plus ardent,
attisé par le souvenir de leur étreinte face au feu de cheminée.
5

Valentina regardait par la fenêtre de sa caravane, écoutant la tonalité du portable contre son oreille.
Au-dehors, le soleil réchauffait les environs brumeux de la ville. Elle qui s’était attendue à subir les
froidures de l’hiver vit se lever un temps et une température des plus cléments.
La jeune femme eut soudain des envies d’évasion, de kayak et de trekking dans les montagnes afin de
profiter des paysages environnants. Grâce aux contrats de Tatiana, les deux sœurs avaient eu la chance de
voyager dans de nombreux endroits, mais aucun dont elle se soit suffisamment entichée pour envisager
d’y déménager. Jusqu’à San Francisco, en tout cas. Les deux sœurs louaient une adorable petite maison
dans Noe Valley. Quelle que soit l’heure à laquelle on passait dans les environs, on y trouvait toujours un
promeneur avec son chien ou un cycliste de passage. San Francisco constituait un parfait compromis entre
le confort d’une grande ville et la tranquillité d’un petit patelin.
George Kauffman, l’agent de Tatiana, décrocha enfin.
— Val ! Ravi d’avoir de tes nouvelles ! Je t’en prie, dis-moi tout – et n’omets pas le moindre détail
sur ce cher Smith Sullivan. Grands dieux, s’il est aussi beau que la dernière fois que je l’ai vu, aucun
membre de l’équipe ne doit avoir la tête à ce qu’il fait !
Valentina avait énormément d’affection pour George. Bien que futé et passé maître dans l’art de la
négociation, il n’était pas du genre à porter sa casquette d’imprésario H24. La jeune femme ne comptait
plus le nombre de fois où ils avaient célébré le succès de sa sœur avec un brin trop d’enthousiasme et de
vin. Le fait qu’il soit gay facilitait d’ailleurs grandement leur relation – au moins, elle n’aurait jamais à
s’inquiéter des intentions de l’agent envers Tatiana et elle-même pouvait se détendre en sa présence sans
craindre pour sa vertu.
Contrairement à Smith Sullivan, songea-t-elle, les commissures des lèvres relevées.
Valentina n’avait rien contre une coucherie de temps à autre, pour peu qu’elle tombe sur un homme
qui en vaille la peine. Mais jamais, au grand jamais, dans le cadre du travail. Pourtant, il devenait de plus
en plus difficile d’ignorer l’attraction qu’exerçait Smith sur sa personne. Il suffisait qu’il prononce son
nom et, qu’importe sa concentration, la jeune femme se sentait fondre de l’intérieur, chaque cellule de son
corps conquise une par une, de son cœur emballé jusqu’à ses orteils, contractés par le désir.
— Le tournage se passe à merveille, confia-t-elle à George. Tatiana rêvait depuis si longtemps de
travailler avec Smith !
L’agent émit un son appréciatif.
— Tu m’étonnes ! lâcha-t-il. Cet homme est un rêve à lui tout seul. D’ailleurs, il ferait tout à fait
l’affaire pour toi, ajouta-t-il d’une voix songeuse.
— Pour faire quoi, exactement ?
— Pour te faire le coup de la Belle au bois dormant, voyons.
Valentina faillit en lâcher son téléphone.
— Tu es dingue.
Un reproche trop vif et forcé. Plus on se plaint…, disait l’adage.
George reprit la parole et la jeune femme imagina très bien son petit air narquois.
— Il a toujours eu du goût en matière de femmes, souligna-t-il. À mon grand dam, d’ailleurs. Mais
c’est bon pour toi, ça. De plus, je crois me souvenir qu’aux castings il te dévorait des yeux !
— Ne sois pas ridicule, fit-elle du ton le plus calme possible, comme s’il s’agissait d’une
plaisanterie.
Après un long silence gênant, George reprit :
— Voyons. Si ce fieffé richard se permet de glisser la main sous tes jupons, tu es bonne pour passer à
la casserole.
Son ami et collègue avait bien évidemment raison et ça n’était pas pour lui plaire. La jeune femme
s’empara d’une pile de notes sur son bureau et prit son ton le plus professionnel, bien décidée à mettre fin
à ces absurdités.
— Si tu as fini de spéculer sur les mains baladeuses de Smith Sullivan et mes capacités surhumaines
à lui tenir tête, peut-être pourrions-nous revenir aux affaires concernant ma sœur ? Il y a une offre
commerciale que je souhaiterais te soumettre.
Soudain, le grincement de la porte de sa caravane lui fit lever le nez de ses paperasses vers un
inattendu et amusé visiteur.
Smith.
Oh, mon Dieu, non.
Avait-il écouté aux portes ? Les mots lui revinrent comme un soufflet au visage. Ses mains…
baladeuses…
Valentina sentit comme une brique lui tomber droit au fond de l’estomac. Bien évidemment, Smith
n’avait pas raté la moindre bribe de conversation. Sinon, pourquoi cet air si narquois ?
— George ? fit-elle au téléphone. Je vais devoir te rappeler d’ici quelques minutes.
— Oh, tu m’as l’air bien tendue, tout à coup. On manque d’air ? fit l’agent d’une voix amusée et
ravie. Je suis prêt à parier qu’un bel acteur vient de s’inviter en douce dans ton antre. Tiens, mets-nous
donc sur haut-parleur, juste au cas où il nous servirait une de ses tirades coquines dont lui seul a le secret.
Valentina raccrocha vivement et se redressa afin d’être sur un pied d’égalité avec son visiteur. Du
moins, autant que possible car, malgré ses talons hauts, Smith la toisait au moins d’une bonne tête.
— Vous pouviez poursuivre votre conversation, vous savez, lui assura le comédien d’une voix
involontairement charmeuse.
— Non, je sais que vous avez un agenda très chargé.
Si chargé, en vérité, qu’il était difficile d’imaginer Smith avoir le temps de dormir plus que quelques
heures par nuit. Porter autant de casquettes sur un tournage n’était pas chose aisée. Pourtant, il ne semblait
pas le moins du monde fatigué – il paraissait même plus beau que d’ordinaire, si cela était humainement
possible.
De plus, la vantardise lui allait bien au teint. Car qui n’irait pas se vanter après avoir entendu une
telle conversation ?
La jeune manager sentit ses joues brûler et, dans l’espoir de distraire Smith de cette gêne inopinée,
frappa dans ses mains et les maintint paume contre paume dans une posture professionnelle.
— Dites-moi tout, fit-elle. Que puis-je pour vous ?
Que n’aurait-elle pas donné pour quitter cette position stricte et aller caresser cette adorable barbe de
trois jours qu’il arborait ! Elle gardait les mains si serrées l’une contre l’autre qu’elle sentit la circulation
de son sang se couper.
Smith quitta l’embrasure de la porte et pénétra dans la caravane, soudain trop exiguë. Valentina ne put
s’empêcher d’imaginer le comédien s’approcher, la plaquer sur le bureau, relever sa jupe…
— … votre numéro pour vous remercier, conclut Smith, dont elle avait à moitié entendu la réponse.
Arrachée à son fantasme, Valentina cligna les yeux, médusée.
Quand s’était-il approché, au fait ?
La jeune femme inspira profondément pour calmer ses palpitations, mais le parfum enivrant de Smith
lui emplissait les poumons. Si pur, précis et viril que son pouls s’accéléra davantage, manifeste à travers
le fin épiderme de sa nuque.
Sa nuque que Smith détaillait avec une attention toute masculine.
L’esprit de la jeune femme s’embruma d’un brouillard aussi épais que les volutes montant de la Baie.
Il fallait absolument qu’elle dise quelque chose, n’importe quoi, ou l’odeur musquée et mâle de cet
homme n’allait pas tarder à lui faire perdre ses mots au profit d’une autre activité.
— Vous disiez ? fit-elle de la voix la moins tendue possible.
Valentina avait toujours perçu sa voix comme une malédiction – bien que certaines femmes auraient
tué pour en avoir une aussi suave et sexy, apte à attiser les ardeurs de n’importe quel homme en dépit de
son apparence stricte. Des heures durant, à l’école, elle avait tenté de se débarrasser de cet accent,
comme le font les acteurs lorsqu’ils doivent adopter une autre origine. Mais il suffisait qu’elle se montre
un peu trop nerveuse pour que le naturel revienne au galop.
— Nicola a appelé, répéta-t-il. Elle m’a dit qu’ils avaient bien reçu les tulipes que vous leur avez
fait parvenir. Elle souhaiterait vous remercier en personne. Donc, puis-je lui donner votre numéro de
téléphone ?
— Bien sûr.
Smith continua de la toiser avec une expression indéchiffrable.
— Connaissez-vous la signification de la tulipe ? la questionna-t-il, le regard si ardent que la
caravane aurait tout aussi bien pu prendre feu. Elle symbolise l’amour éternel.
— Cela me semble tout à fait approprié, acquiesça-t-elle, tâchant de faire taire les battements
assourdissants de son cœur.
— Ça l’est, assura-t-il, s’appuyant d’une épaule contre le mur, les pieds croisés, image même de la
décontraction absolue. J’ai été très surpris d’apprendre que vous leur aviez fait un présent, d’ailleurs.
— Tout amour sincère se doit d’être récompensé et célébré.
Mais d’où sors-tu ça, ma pauvre fille ! Discuter d’amour avec un type comme Smith Sullivan. Et
puis quoi encore ? C’était tout à fait le genre d’homme à profiter de la moindre information qu’elle
laisserait par mégarde échapper.
— Je suis tout à fait d’accord avec vous, fit-il. Dans notre métier, la sincérité se faire rare, et l’amour
aussi. C’est une des raisons pour lesquelles je tiens tant à réaliser ce film, même si beaucoup n’y verront
qu’une comédie romantique de plus.
À sa grande surprise, Valentina abondait dans son sens. Mais la simple perspective d’avoir plus que
cela en commun avec lui l’effrayait par avance.
Bien que la jeune femme ait des idées bien arrêtées au sujet de l’amour, elle ne put s’empêcher de
surenchérir.
— Je ne comprends pas pourquoi les gens tiennent tant à se compliquer la vie. L’amour devrait être
une chose simple, non ? Deux personnes devraient pouvoir se trouver et comprendre qu’ils ne peuvent
vivre l’un sans l’autre.
À chaque mot qu’elle prononçait, le regard de Smith se faisait plus intense.
— Vous savez, vous venez de définir ce que j’ai passé des mois à tenter d’écrire pour Gravity,
déclara-t-il. Cette idée que l’amour devrait être naturel, sans lutte. C’est très éloquent. Il suffit de voir les
relations qu’entretiennent mes frères et sœurs avec leurs conjoints. À les voir, passion et sécurité vont de
pair.
Malgré la distance qui les séparait, la jeune femme se sentit aussi réchauffée par ses mots que s’il
l’avait prise dans ses bras pour la blottir tout contre lui.
— Je fais aussi ce film en partie pour Marcus et Nicola, reprit l’acteur. Vous avez raison. L’amour
sincère mérite d’être célébré. (Son petit sourire manqua d’attirer la jeune femme comme un aimant.) Vous
leur avez fait forte impression, Valentina. Je l’ai vu au premier coup d’œil, bien sûr, mais Nicola a tenu à
me le confirmer. (Son sourire se chargea d’une sensualité supplémentaire.) J’ai bien des défauts, mais je
ne suis pas stupide. Sortons ensemble, Valentina. Juste vous et moi.
La panique submergea la jeune femme telle une vague. Des visions d’elle-même avec Smith Sullivan
défilèrent dans ses pensées, comme autant de gros titres, similaires à ceux qu’elle avait lus dans les
journaux quelques heures plus tôt. Si elle acceptait un rendez-vous avec lui, Valentina savait très bien où
cela finirait – au lit. Il faudrait être bien stupide pour s’imaginer que cela évoluerait autrement.
Qu’importe sa haine des projecteurs, elle tomberait à pieds joints dans le piège, perdant la tête pour les
belles promesses de Smith, qu’il oublierait dès les premières scènes de son film suivant, tournées avec
une autre partenaire qui aurait l’audace de lui résister.
Autant se montrer directe.
— Non.
N’importe quel homme aurait pris cette réponse pour ce qu’elle était, à savoir un refus catégorique.
Mais bien sûr, Smith n’était pas n’importe quel homme. Aussi, au lieu de prendre un air blessé et de
sortir de la caravane penaud, il ne se laissa pas démonter et fit un pas dans sa direction, de telle sorte que
Valentina se trouva presque plaquée contre le mur opposé.
— Vous ne pouvez pas nier que depuis notre rencontre, quelque chose nous lie, tous les deux, fit-il.
Une attirance mutuelle qu’il aurait été bête de démentir. C’était l’évidence même… Autant essayer
d’éviter des feux d’artifice. Mais tout feu a son étincelle et celle-ci avait toutes les chances de réduire
son cœur à l’état de cendres.
— Vous êtes un homme très séduisant, Smith. Mais il y a au moins dix millions d’autres femmes de
par le monde qui n’en pensent pas moins.
— Dix millions ? C’est tout ?
Qu’il soit ironique ou prétentieux, Valentina n’aurait su le dire. En tout cas, pas question de filer
ventre à terre entre ses bras.
Pourquoi ne pouvait-il pas tout simplement laisser tomber ? Ou s’emporter, tout du moins ?
— Très bien, cent millions, rétorqua-t-elle sur le ton de l’humour. Mais ça ne change rien à l’affaire.
Elle marqua une pause dramatique dans l’espoir d’appuyer son refus catégorique.
— Jamais je ne sortirai avec vous, conclut-elle.
— Pourquoi cela ?
— Tout simplement parce que je ne sors pas avec des acteurs.
Il hocha la tête, comme pour signifier que c’était un bon choix.
— Eh bien, moi non plus, ça tombe bien.
Cette réponse surprit la jeune femme et elle eut du mal à le cacher. C’était même carrément un choc,
si on avait cru les potins des magazines.
Depuis le temps, elle aurait pourtant dû savoir que les journaux étaient spécialisés dans les fausses
vérités sur la vie amoureuse des stars.
— Voilà ce que je vous propose, fit Smith, soudain trop raisonnable pour être honnête. Ne voyez en
moi qu’un réalisateur. Un producteur. Ou même un scénariste, si ça vous fait plaisir.
Malgré elle, la jeune femme partit d’un rire franc. Smith Sullivan était bien plus qu’un simple acteur
et elle le savait.
Mais pas de quoi changer son fusil d’épaule.
— Je ne fréquente personne du milieu, c’est tout, établit-elle d’un ton aussi raisonnable que lui.
Voilà qui devrait refroidir tes ardeurs, mon gaillard !
Mais sa résolution ne flancha pas d’un pouce et la jeune femme sentit son estomac se tordre
d’angoisse. À moins que cela ne soit sous le coup d’un désir brûlant, attisé par les étincelles qui
pétillaient entre eux depuis leur rencontre ?
— Je ne suis pas que quelqu’un du milieu, déclara-t-il. Je suis aussi un frère. (Il fit un pas dans sa
direction.) Un fils. (Il s’approcha encore, son souffle presque distinct.) Un ami…
Ses yeux bleus hypnotisants virèrent lentement au noir.
— Et j’espère qu’un jour prochain, je serai père, conclut-il.
Leurs deux corps se frôlaient. L’excès de confiance, la prétention, la séduction, tout cela, Valentina
pouvait y résister.
Mais la famille ? C’était un véritable point faible chez elle. Elle se sentait perdue.
— Pourquoi moi ? demanda-t-elle, sans chercher de compliment facile de sa part. Vous n’avez qu’à
aller sur le plateau, dans la rue, n’importe où ! Toutes les femmes sont à vos pieds.
— Parce que vous êtes belle, intelligente, professionnelle et dévouée à votre sœur – sans parler de
votre passion pour les puzzles. Je vous aime bien, Valentina, voilà tout… J’ai envie de vous.
Énormément.
À nouveau, la jeune femme fut submergée par tant de franchise. Trop d’acteurs avaient tenu le même
discours sirupeux à sa propre mère et en avaient tiré profit, laissant la malheureuse dans le désarroi le
plus complet, son cœur meurtri et dévasté.
— Mais vous ne pouvez pas m’avoir, rétorqua-t-elle avec une égale franchise.
Sortir avec Smith, s’abandonner à lui, c’était signer son irrémédiable destruction émotionnelle.
Et pour noircir un peu plus le tableau, Smith et Tatiana allaient tourner une scène d’amour intense
dans quelques semaines. Valentina attendait cet instant avec appréhension. Une nuit passée avec l’acteur
rendrait la vision de cette scène – des caresses et des baisers accordés sous son nez à une autre qu’elle –
purement insoutenable. Encore plus s’il s’agissait de sa propre sœur ! Alors que la chaste étreinte chez
lui devant le feu de cheminée la hantait encore.
Un frisson lui parcourut l’échine et elle s’écarta. Après avoir mis assez de distance entre elle et
Smith afin de garder la tête froide, Valentina clarifia les choses.
— Écoutez, Smith, nous allons travailler ensemble pendant plusieurs mois. Si ma sœur soupçonne une
quelconque tension entre nous, elle risque d’être troublée et je ne le souhaite pour rien au monde. Pas
plus que je ne veux embarrasser quiconque de l’équipe, d’ailleurs. Ne pouvons-nous pas être de simples
amis ? ajouta-t-elle, sans défi ni moquerie.
Enfin, l’homme en face d’elle manifesta un peu de frustration – une colère sourde à faire trembler les
murs. Le magnat du contrôle s’agaçait enfin.
Mais Valentina n’en tira aucun triomphe. En fait, Smith lui parut encore plus attirant, la rendant
impatiente d’un futur – et plus intime – face-à-face.
Smith parla d’une voix aussi douce que toutes les caresses du monde.
— Bien sûr, nous serons amis. En fait, nous le sommes déjà.
Cette déclaration la submergea d’une vague de soulagement – ainsi que d’une pointe de déception de
le voir renoncer aussi tôt. Au fond d’elle-même, la jeune femme aurait souhaité qu’il se démène pour elle.
Rien que pour elle.
Toutefois, le regard sombre de l’acteur ne perdit rien de son intensité et Valentina sut qu’elle n’était
pas sortie de l’auberge.
— Mais j’ai quand même envie de vous, lâcha-t-il.
Smith sortit de la caravane comme un lauréat aux Oscars et la terrible vérité frappa la jeune femme.
Elle aussi avait envie de lui.
Elle s’affala dans son siège, se rendant compte de l’étendue de son erreur.
Pourquoi n’avait-elle pas saisi cette opportunité ?
Il n’était question que de son corps, de rapports entre adultes consentants, après tout. Pas de quoi en
faire tout un flan.
Mais c’était incompatible avec l’amitié.
Désemparée, la jeune femme enfouit son visage dans ses mains.
Tu n’aurais pas pu accepter son offre, non ? Tu es vraiment trop bête, Valentina !
6

Jour après jour, le rythme de tournage s’accentua et les journées de travail devinrent de plus en plus
chargées pour toute l’équipe. Pourtant, il n’y avait pas d’effets spéciaux à gérer, pas de scène d’action à
chorégraphier ni d’heures de maquillage à supporter.
Simplement de l’émotion. Beaucoup.
Tatiana et Smith incarnaient deux personnages perdus, sans amour, qui tombaient amoureux et
devaient apprendre à aimer à nouveau dans les bras l’un de l’autre. Des séquences à répétition dont la
simple vision épuisait émotionnellement Valentina.
Mais comment font-ils cela ?
Une question qu’elle s’était posée au moins un millier de fois. Mais qui ne l’empêchait pas d’envier
les deux comédiens d’avoir la chance de rire, de pleurer et de s’émouvoir à loisir à longueur de journée.
Des émotions dont Tatiana se débarrassait comme d’une mue à la seconde où le réalisateur lançait
« Coupez ! ». Jouer semblait agir sur sa sœur comme une thérapie.
Depuis plusieurs semaines, Valentina travaillait sur son projet personnel, un scénario qui lui
permettait de canaliser ses énergies négatives. Seule Tatiana était au courant. L’histoire parlait d’une
femme écrivain qui se réveillait un jour au cœur de son propre récit, tombant au passage amoureuse du
héros.
Sa sœur avait plusieurs fois tenté de la convaincre de faire lire cette histoire à leurs contacts du
milieu. Valentina aimait raconter des histoires, pas la lumière des projecteurs. Profiter de leur carnet
d’adresses était pourtant l’étape logique à suivre pour poursuivre une carrière à Hollywood. Mais
Valentina sentait que son script devait être peaufiné, ce qu’elle avait compris en lisant et relisant le
scénario de Gravity. Les derniers changements effectués étaient bons – très bons, même. Et elle le devait
à Smith, qui savait comment créer un impact émotionnel fort au cœur d’un film.
Assise avec l’équipe, elle observa Smith jouer son rôle d’homme d’affaires rongé par la culpabilité,
et son cœur se serra dans sa poitrine. Sans nul doute possible, le film ferait un tabac à sa sortie tant le
comédien semblait habité, chaque trait de son visage jouant une nouvelle émotion. Les spectateurs
comprendraient instinctivement que la jeune fille qu’il avait bousculée dans la rue le hantait jour après
jour.


Inlassablement, il revenait à Union Square, à l’endroit où il l’avait bousculée, dans l’espoir de la
revoir, de la croiser. De nombreuses fois, il s’était tenu immobile au cœur des passants en furie, tandis
que son téléphone sonnait – un frère, une sœur, sa mère. Mais jamais il ne répondait.
Jamais auparavant il n’avait autant pensé à quelqu’un.
Des mois s’étaient écoulés et l’homme demeurait beau, les épaules larges et les affaires
fructueuses. Mais en lui, tout semblait vide, à l’image de sa vie. Des histoires sans lendemain et des
soirées arrosées avec des collègues et des collaborateurs dont il n’avait cure. Durant les heures qui le
séparaient d’une femme insignifiante et d’un travail sans intérêt, il oubliait à grand renfort de jogging
matinal et de bains de minuit.
Pourtant, les yeux de cette fille le hantaient encore.
Tout comme les mots qu’elle lui avait crachés au visage.
Jusqu’à ce qu’enfin il découvre son lieu de travail. Un petit café. Il l’avait reconnue grâce aux
stries roses de ses cheveux, ternies par le temps passé, et par son visage qui, lui, n’avait rien perdu de
sa beauté.
Tout un panel d’émotions contradictoires s’afficha sur les traits de l’homme. Soulagement. Espoir.
Désir incontrôlable.
Il la vit aider un client indécis. Ses cheveux brillaient sous les néons et son visage, si pâle,
s’illumina. L’homme se mit à sourire. Le premier sourire depuis une éternité.
Puis la fille se déplaça vers la caisse enregistreuse. Et il vit son ventre arrondi.
Enceinte jusqu’aux yeux.
L’homme pâlit à son tour, se rattrapant de justesse au dossier d’une chaise. Ce qui attira sur lui
l’attention de tous les clients alentour.
Elle était donc enceinte quand il l’avait bousculée. Quand il lui avait marché dessus !
La bile lui monta à la gorge.
Il porta la main à ses yeux et pressa ses paupières pendant quelques secondes. Dire qu’elle aurait
pu perdre son enfant à cause de lui !
Nombreux étaient celles et ceux auprès desquels il devait faire amende honorable. Mais elle était
sa priorité.
Oui, il se rattraperait.
Il veillerait sur elle et sur son enfant.
Et plus rien ni personne ne lui ferait jamais de mal.
Il s’approcha au moment où un collègue la fit rire – un rire qui lui fit l’effet d’un direct à
l’estomac.
Ou d’un coup de foudre.
Soudain, leurs regards se croisèrent et la jeune fille pâlit à nouveau. Le gobelet qu’elle tenait à la
main chancela et le plateau lui glissa des mains, répandant du lait et de la crème sur ses chaussures.
Le contact du liquide chaud sembla la ramener sur terre. Elle eut un sourire de façade afin de
rassurer ses collègues, alertés par le bruit du bris de verre et qui s’affairaient à nettoyer les dégâts.
Elle-même s’empara d’un chiffon et se mit à l’ouvrage. L’homme s’approcha du comptoir et resta
immobile. Avec des gestes calmes, la jeune fille ramassa les bris de verre et les jeta dans l’évier le
plus proche.
Puis elle fit volte-face et le toisa, le regard fermé et le menton fier.
— Que puis-je vous servir, monsieur ?
Lui qui gardait le souvenir d’une petite chose fragile constata la force de la jeune fille. Son air
téméraire et son maintien sans faille malgré sa grossesse parlaient pour elle.
Il fallait les aider – tous les deux.
— J’aimerais vous parler.
Les yeux de la jeune fille lancèrent des éclairs furieux. Le même regard que lors de leur rencontre.
— Nous avons un café spécial de Jamaïque, répondit-elle, éludant sa demande. Je vous le
recommande.
— Fort bien.
Puis, sans attendre que le soulagement la gagne, il reprit :
— J’attendrai votre pause.
Lors de la demi-heure qui suivit, la jeune fille ne fit rien pour dissimuler son agacement.
Lorsqu’elle défit enfin son tablier, ses vêtements larges lui donnèrent l’air plus jeune encore.
Elle savait que l’homme l’attendait, mais il était hors de question de lui adresser la parole.
Pourtant, elle était curieuse de ce qu’il pouvait bien avoir à lui dire. D’autant plus curieuse qu’il était
encore plus beau que dans son souvenir.
Mais elle ne lui devait rien.
Elle se détourna et pénétra dans l’espace réservé aux employés. Quelle ne fut pas sa surprise
lorsque l’homme l’y suivit !
Le cœur battant la chamade, elle se tourna vers lui.
— C’est réservé au personnel, l’apostropha-t-elle.
— Joe fera une exception pour moi.
Devant son air incrédule, il ajouta :
— Ma compagnie finance une partie de ce café.
— Fort bien, fit-elle, imitant le ton qu’il avait employé pour commander son café – qu’il n’avait
d’ailleurs pas consommé.
Bien décidée à ne pas se démonter, la jeune fille le questionna :
— Que me voulez-vous ?
Pour seule réponse, il détailla son ventre arrondi. Ce seul regard donna envie à la jeune femme de
le couvrir de ses mains.
— Vous êtes enceinte, finit-il par lâcher.
— Et vous êtes très observateur, se moqua-t-elle.
Une grimace fugace traversa les traits de l’homme – si vite qu’elle pensa l’avoir imaginée.
— Êtes-vous…
L’homme s’interrompit et la jeune fille fut surprise de constater son hésitation.
— Le bébé va bien ? termina-t-il.
— À merveille, oui.
— Où habitez-vous ?
Elle le regarda comme s’il était fou.
— Je ne vous ai déjà pas dit mon nom, alors n’escomptez pas que je vous donne mon adresse !
— Vous vous appelez Jo. (Elle écarquilla des yeux surpris.) Votre nom est inscrit sur votre tablier.
Je m’appelle Graham.
Sans relever, la jeune fille consulta sa montre à deux sous.
— C’est bientôt la fin de ma pause. Mon bébé m’appuie sur la vessie et je n’ai que trente secondes
pour passer aux toilettes et pour me remettre au travail, alors si ça ne vous fait rien…
En entrant dans les détails de ses besoins naturels, elle avait espéré qu’il se décourage. Mais rien
à faire. Sans attendre son bon vouloir, elle se rendit aux toilettes, se lava les mains et se regarda dans
le miroir, cherchant désespérément quoi dire à cet homme – Graham.
Elle inspira profondément pour se donner du courage et retourna dans l’espace du personnel où,
sans surprise, il l’attendait toujours.
Graham occupait presque tout l’espace à lui tout seul.
Quel charme ténébreux il dégageait !
— Je vais bien, lui assura-t-elle, en écartant les mains pour lui montrer son ventre. Ce qui est
arrivé dans la rue, c’était un accident.
Un accident qui l’avait mise dans un état de fureur implacable.
— Je n’aurais pas dû vous hurler dessus comme ça. (Pas un mot.) Bon, si nous en avons terminé,
je dois retourner travailler.
Elle tenta de le contourner et il parla enfin :
— Vous savez, j’ai un appartement à deux chambres que je ne suis pas parvenu à louer, l’informa-
t-il. C’est très calme et une des résidentes de l’immeuble tient une garderie située au rez-de-chaussée.
Si elle s’était attendue à ça !
— J’ai déjà un appartement, souligna-t-elle avec emphase.
Un taudis dans lequel elle ne se voyait pas élever un enfant.
— Laissez-moi vous aider, Jo. Je vous en prie.
Malgré sa politesse, la jeune fille sentit bien qu’il n’accepterait aucun refus de sa part.
Mais Jo n’était pas dépourvue de volonté.
— Merci de votre offre, mais vous devrez vous trouver un autre locataire.
Elle sortit et reprit son travail. Elle avait gagné une bataille, mais pas la guerre. Car les hommes
comme Graham n’ont pas l’habitude qu’on leur dise non.


On éteignit les caméras et Valentina s’aperçut que ses joues étaient trempées de larmes. Toute cette
fiction lui avait semblé si réelle.
Elle se pencha discrètement et balaya ses larmes d’un doigt appliqué, dans l’espoir de ne pas se
ridiculiser devant toute l’équipe. Il y avait peu de chances que cela arrive. Avec une si belle histoire à
filmer, personne sur le plateau ne faisait attention à elle.
Mais lorsqu’elle leva la tête, Valentina comprit l’étendue de son erreur.
Smith avait les yeux rivés sur elle. Ce seul regard fit naître en elle une réponse instantanée.
Leur entrevue dans la caravane remontait à une semaine et, durant tout ce temps, la jeune femme
s’était tenue sur ses gardes, à l’affût de la moindre tentative de l’acteur envers elle.
Mais Smith n’avait rien tenté et Valentina s’était crue à l’abri, persuadée qu’elle était parvenue à lui
faire entendre raison.
Une telle perspective aurait dû la réjouir, car elle allait enfin pouvoir focaliser son entière attention
sur sa sœur, sur ses besoins, et pas sur les dangereux charmes du comédien trop empressé de sortir avec
elle.
Une heure plus tard, Valentina avait fini de préparer une future session photo de Tatiana avec le
magazine Elle et, dissimulant un bâillement, retournait sur le plateau pour y récupérer son ordinateur
portable, savourant la perspective d’une soirée tranquille à écrire. Une chance qu’elle n’ait pas à être
devant l’objectif, se dit-elle. Les cernes la rendraient absolument infréquentable.
Elle ouvrit la porte de sa caravane et un doux parfum l’enivra.
Un lis des vallées était posé sur son ordinateur. Les petites fleurs blanches courant le long de la tige
étaient à couper le souffle.
Aucun mot ne l’accompagnait mais, sans nul doute, ce lis provenait du jardin de Smith.
Et à en juger par la coupure nette en bas de la tige et par les quelques boutons abîmés, l’acteur l’avait
lui-même cueilli.
Dans Gravity, la jeune Jo rêvait d’ouvrir son propre magasin de fleurs, un motif récurrent dans tout le
film, d’ailleurs. Il n’était guère difficile de faire le rapprochement avec ce que cette fleur pouvait bien
signifier pour Smith Sullivan.
De la douceur.
Il n’avait pas choisi de lui offrir cette fleur au hasard, elle en était certaine. Elle aurait aimé se
convaincre du contraire mais elle était bien trop épuisée pour se mentir à elle-même.
Smith savait pertinemment ce qu’il faisait et cette simple certitude lui mit du baume au cœur. Il aurait
pu faire passer n’importe quel message grâce aux fleurs – rose jaune pour amitié, rose simple pour
passion. Et peut-être une rose rouge pour lui signifier son impatience grandissante.
Mais il avait choisi une tout autre fleur, et donc un tout autre message. Il exprimait des rêves, des
espoirs qu’elle n’aurait même pas pu se permettre d’imaginer devenir réalité.
La prudence aurait voulu qu’elle jette cette fleur à la corbeille et que l’équipe de nuit vienne l’en
débarrasser une bonne fois pour toutes. Avec des gestes délicats, Valentina prit la fleur entre ses doigts et
en inhala la douce fragrance. Personne ne lui avait jamais offert de fleurs. Dès lors, comment pouvait-elle
se résoudre à jeter une chose aussi belle ?
7

Le jour suivant, une fois la séance photo terminée, Valentina prit l’avion pour Los Angeles pour y
organiser, avec l’aide de George, le futur voyage de Tatiana au Japon pour une publicité de parfum.
Bien sûr, l’agent de sa sœur voulut en savoir plus sur ses déboires avec Smith, mais l’état de fatigue
manifeste de la jeune femme l’en dissuada bien vite et ils se focalisèrent sur le travail. Quatre heures plus
tard, Valentina rassembla ses papiers et tous deux sortirent prendre leur limousine.
— Les retours du plateau sont fantastiques, fit George, un bras autour de ses épaules.
— Tatiana est incroyable. Ce rôle va lui ouvrir toutes les portes, sourit-elle. Tiens-toi prêt, tu vas
avoir du pain sur la planche.
— Toi, en revanche, tu m’as l’air d’avoir déjà travaillé pour deux…
— Manque de sommeil, c’est tout.
L’agent arqua un sourcil curieux.
— Serait-ce en rapport avec une certaine star de l’écran, par hasard ?
— Oh, non, pas du tout ! protesta-t-elle, le rouge aux joues.
— Val, tu mens comme tu respires.
— Je fais de mon mieux pour ne pas l’encourager, mais il…
Elle regretta bien vite d’avoir trop parlé. Ces mots allaient confirmer les soupçons de George.
— Si tu me demandes mon avis, je te dirai de l’encourager, fit-il. C’est ce que je ferais, moi !
Valentina était résolue à ne pas en dire plus, de peur de laisser filtrer une information capitale qui la
mettrait dans l’embarras. George, très au courant de leurs ennuis familiaux, reprit la conversation d’un ton
doux :
— Tu as brillamment élevé ta sœur, tu sais. Pour une future star de l’écran, elle a la tête drôlement
bien ancrée sur les épaules. Mais il ne faut pas te négliger. Tu dois prendre soin de toi aussi.
Elle n’osa pas lui dire qu’il était à côté de la plaque. Valentina n’avait jamais regretté son choix et
elle ne l’avait jamais envisagé comme un sacrifice. De plus, rencontrer Smith et le voir travailler lui
avait étrangement mis un certain baume au cœur. Son sourire, sa droiture, sa sympathie envers son équipe
jusqu’au moindre concierge étaient admirables.
— En fait, je me suis pas mal occupée de moi, ces derniers temps, l’assura-t-elle. J’écris un scénario
et…
Comme c’était difficile à avouer. Elle qui n’avait jamais eu peur du rejet, voilà qu’elle n’en était plus
aussi sûre.
— Et ? répéta l’agent, soudain terriblement enthousiaste.
Valentina sourit.
— J’aimerais beaucoup que tu y jettes un œil.
— Ah, enfin ! lâcha-t-il en tapant dans ses mains d’un geste théâtral.
— Comment ça, enfin ? fit-elle, le sourcil arqué.
— Tatiana m’a fait jurer de garder le secret. (Il la toisa avec des yeux de chiot battu.) Pitié, ne lui dis
pas que j’ai vendu la mèche ! Elle va me tuer, sinon. Je t’assure qu’elle ne l’a fait que par amour pour toi
et crois-moi, elle ne tarit pas d’éloges sur ton script ! D’ailleurs, tu l’as avec toi ?
À la seconde où elle donnerait son script, les choses seraient lancées, et cette éventualité lui donna le
tournis.
Mais si elle ne l’avait pas estimé présentable, jamais elle ne se serait permis d’en parler à George.
— Je te l’envoie dès que je suis rentrée, c’est promis. (Elle ferma son sac à main, embrassa George
sur la joue et glissa sur la banquette pour sortir.) Merci, George. Tu es un véritable ami.
Durant le vol, Valentina s’abandonna à son épuisement, trop fatiguée pour que Smith ou les futures
retombées de son script la taraudent trop. Elle arriva chez elle le regard voilé et les pensées embrumées.
Elle se dévêtit et usa de ses dernières forces pour envoyer l’e-mail promis à George avant de s’écrouler,
corps et âme, dans son lit.
Le matin suivant, elle se présenta sur le plateau, complètement ragaillardie. La faim la tenaillait mais
sa petite escapade de la veille lui avait fait perdre un temps précieux, et certaines choses devaient avoir
la priorité sur sa dose matinale de sucre.
Ce jour-là, elle n’eut guère l’occasion de prendre son petit déjeuner tant les messages et les e-mails
s’étaient amoncelés. Le contrat avec les Japonais devait absolument être finalisé et la matinée s’annonçait
bien longue. La liste de choses à faire s’était tellement allongée que la jeune femme ne remarqua pas tout
de suite l’assiette verte posée sur son bureau.
Valentina se perdit dans la contemplation du délicieux beignet gonflé de cannelle et saupoudré de
sucre glace. Aucune personne sur terre n’avait le pouvoir de résister à de tels attraits, surtout si bien
présentés. Sans plus attendre, elle arracha un morceau et l’engloutit.
Sous le coup de ce plaisir sucré, la jeune femme ferma les yeux et émit un long gémissement satisfait.
Tout ce sucre et ces calories étaient purement indécents.
Tout ce dont elle avait besoin.
Une tasse de café avait également été posée sur le bureau – frais, encore chaud. Elle porta le doux
liquide à ses lèvres et but avec avidité tout en jetant un œil admiratif vers le lis qu’elle avait pris soin de
mettre dans un vase.
Ce ne fut qu’en posant la tasse qu’elle vit le mot.
Valentina,
La couleur de l’assiette m’a fait penser à vos yeux. Ils m’ont manqué hier – et vous aussi.
Bon petit déjeuner,
Smith

Valentina relut la note plusieurs fois, puis la plia soigneusement avant de la ranger dans son sac à
main. Enfin, elle avala le reste du beignet avec un plaisir tel qu’elle n’en avait pas ressenti depuis une
éternité.


Ce fut aussi frustrée que soulagée que Valentina quitta son bureau. En effet, elle avait eu l’intention de
remercier Smith pour ses attentions mais elle s’était rappelé dans la foulée qu’il était en réunion avec des
investisseurs. Bien qu’il n’en ait pas l’obligation, Smith informait toujours son équipe de ses
déplacements. Une attention qui le démarquait encore davantage des autres acteurs.
— Chérie !
Valentina fit volte-face vers sa mère, les bras grands ouverts et toujours aussi belle. La jeune femme
dominait Ava Landon d’une bonne tête mais, bien qu’elle ne soit plus une enfant depuis longtemps, elle
s’abandonna à l’étreinte de sa mère dont le parfum hors de prix la ramena vingt ans en arrière.
— Je suis si contente ! s’extasia Ava Landon. J’adore venir sur les plateaux !
Valentina aimait suffisamment sa mère pour éviter de penser à ce qui motivait cette visite
impromptue.
— Tu as l’air en forme, lui dit-elle.
Le visage de sa mère s’illumina à ce compliment – une habitude chez elle.
— Toi, en revanche, tu as maigri, remarqua Ava. Tu as pourtant bien meilleure mine avec des joues
pleines.
Valentina poussa un soupir pincé.
— Tatiana est encore en pause, souligna-t-elle. Je vais aller voir si elle n’a besoin de rien. Je
t’emmène à sa caravane.
Mais Ava ne l’écoutait pas et regardait quelqu’un par-dessus son épaule.
— Chéri, je suis là ! appela-t-elle.
Un beau jeune homme à peine plus âgé que Valentina s’approcha et Ava se pencha discrètement vers
sa fille.
— N’est-il pas magnifique ? Je suis si amoureuse.
La question était purement rhétorique mais l’idée que sa mère se faisait de l’amour tira une grimace à
Valentina, qui serra poliment la main du nouvel arrivant.
— David, je te présente ma fille, Val.
La différence entre les deux femmes sembla surprendre le jeune homme.
— Val, David est un acteur fabuleux !
Valentina se remit instantanément sur ses gardes. Les acteurs fabuleux dont Ava était tombée si
amoureuse étaient légion.
Comment diable sa mère pouvait-elle à ce point tomber dans le panneau ? Pire, comment pouvait-elle
être assez bête pour confondre le désir avec l’amour ?
— Génial, fit Valentina d’un ton neutre.
Ce David briserait le cœur de sa mère, sans nul doute. Et le chagrin de sa mère briserait le sien.
C’était toujours la même rengaine, mais Valentina avait depuis longtemps renoncé à mettre Ava en garde
contre ses divers prétendants, tous plus intéressés les uns que les autres. Au moins, David ne semblait pas
avoir les dehors habituels du vicelard narcissique.
Valentina tâcha de s’en montrer reconnaissante.
Malheureusement, Ava et David s’ajoutaient à une longue liste de choses à gérer et il fallait s’assurer
qu’ils ne seraient une gêne pour personne – surtout si David espérait de grandes choses en se trouvant sur
le tournage d’un film. Une chance que Smith soit absent.
— Bonjour, Valentina.
La voix grave et suave de Smith Sullivan l’empêcha de grogner devant cette accumulation de
malheurs. Submergée par un désir soudain, elle se rendit compte que l’acteur balayait toujours
naturellement ses autres soucis.
— Smith, prononça-t-elle avec un délice non assumé. Puis-je vous présenter ma mère ?
L’acteur sourit et fit un baisemain à l’intéressée, qui faillit vaciller de joie.
— Vos filles sont absolument remarquables, madame Landon.
— Je vous en prie, appelez-moi Ava, fit-elle de cette voix légèrement essoufflée dont elle usait avec
les hommes. Votre mère a fait du bon travail aussi, monsieur Sullivan.
— Smith, je vous en prie.
Valentina grinça des dents. Ava lança un regard discret en direction de David.
— Et voici David, céda la jeune femme. Il est acteur.
Smith conserva son air amical et serra la main de David.
— Ravi de vous rencontrer.
— Je suis un grand fan ! s’extasia le jeune homme avec une sincérité aussi désarmante que
surprenante.
— Merci, répondit Smith avec une égale franchise. Valentina ? Puis-je vous accompagner jusqu’à la
loge de Tatiana ?
Comme si quiconque refuserait une telle compagnie ! Bien sûr, sa mère s’empressa de le prendre par
le bras, ses ongles roses parfaitement manucurés contrastant avec le bronzage du comédien.
— Comme c’est charmant, Smith ! J’aime connaître les gens avec qui ma fille travaille. C’est si
amusant ! Dites-moi tout sur vous !
Ils prirent la tête de leur petite troupe et Valentina se sentit à la fois soulagée et mortifiée de se voir
enlever le poids de sa mère – seule personne au monde à laquelle le destin semblait vouloir la connecter,
qu’elle le veuille ou non.


Plus tard, après le départ d’Ava et de David, Valentina s’adressa à Smith :
— Toutes mes excuses pour ma mère. Elle n’est pas méchante, vous savez. Mais quand elle est avec
un de ses mignons, c’est comme si le reste du monde n’existait pas. Ça fait un petit moment que c’est
comme ça.
Un euphémisme que Smith comprit immédiatement comme étant de la gentillesse d’une fille pour sa
mère. Ava semblait être une femme très sympathique et pleine d’amour pour ses filles, mais le mal
qu’elle leur avait fait ne passait pas inaperçu – surtout chez Valentina.
L’envie de la réconforter était si intense qu’il ne put s’empêcher de lui caresser la joue et de la
prendre par le menton.
Sa peau était si douce. Il était rare que Smith ait autant envie d’une femme.
L’acteur était quelqu’un de raisonnable, et jamais il ne se laissait distraire lors d’un tournage, encore
moins par le sexe opposé. Des limites encore plus importantes maintenant qu’il dirigeait son propre film.
Ne t’occupe pas d’elle, le travail d’abord ! ne cessait-il de se répéter. Mais un simple regard, un sourire
ou une caresse, et toute sa volonté partait à vau-l’eau.
— Vous l’aimez, conclut-il. Et elle vous aime aussi, c’est évident. Vos relations sont peut-être tendues
mais votre affection mutuelle saute aux yeux.
Son pouce caressait encore sa mâchoire, à moitié entrouverte de surprise.
— Vous aviez raison à propos de l’amour, reprit-il. Ça n’a pas à être un combat. Si on est avec la
bonne personne, les choses sont simples. Très simples et parfaites.
Comme il voulait l’embrasser ! C’était un désir irrépressible, tel qu’il n’en avait jamais connu. Un
simple baiser suffirait à balayer de ses pensées la visite de sa mère. Le prétexte idéal !
Mais il n’avait encore jamais vu tant de vulnérabilité chez la jeune femme. C’était à croire que
l’armure dont elle se revêtait chaque matin avait été mise en pièces par la simple présence de sa mère.
Une faille dont il aurait été stupide de ne pas profiter.
Si simple… mais si mal.
Smith savait pertinemment que si un baiser pouvait très bien balayer les ennuis, le travail bien fait et
l’activité professionnelle le pouvaient tout autant.
— Auriez-vous cinq minutes pour que nous discutions d’une séance photo ? proposa-t-il. Il s’agirait
de Tatiana et de moi-même.
Incrédule, elle cligna les yeux comme au sortir d’un rêve, puis reprit bien vite ses dehors de femme
d’affaires responsable qu’il avait rencontrée lors des premières réunions.
— Absolument. Dites-m’en plus.
Dans son empressement à la distraire, il n’avait pas songé au fait que la séance photo n’était peut-être
pas le sujet idéal pour discuter avec elle. Mais peut-être qu’en observant ses réactions il pourrait mieux
la cerner ?
— Il s’agirait de nous prendre en photo dans les mêmes vêtements que nos personnages, avec peut-
être quelques accessoires en plus.
— Cela me semble très bien, fit-elle, encore quelque peu désarmée par la soudaineté de la
conversation. D’autres détails ?
— Le magazine veut vraiment se focaliser sur nous deux.
— Comment cela ? fit-elle d’une voix peu rassurée.
— Comme des photos de couple dans l’intimité.
Soudain, Valentina fit halte en plein milieu du parking, arborant un air retors de protectrice qu’il
connaissait si bien.
— Tatiana ne posera pas comme une de ces nymphettes nubiles, lâcha-t-elle.
Smith aurait volontiers apaisé cette moue crispée avec un long baiser salvateur.
Ça sera pour bientôt, se promit-il. Autrement, il perdrait la raison sous peu.
— Je n’y tiens pas non plus, l’assura-t-il. Si j’ai bien compris, ils souhaitent mettre l’accent sur
l’aspect romantique de la relation et j’ai bien insisté pour que ce soit le cas, sans aucun plan explicite ou
sexuel. On voit ce genre de choses tout le temps à la télé ou dans les magazines. La romance, c’est ça qui
importe.
Valentina déglutit avec force en entendant ce mot, le répétant d’un air rêveur et envieux :
— La romance… Ça m’a l’air…
Toujours aussi peu rassurée, elle s’interrompit. Peut-être était-elle inquiète de savoir sa sœur dévêtue
devant la caméra. À moins que cela ne soit de la jalousie – une option que Smith espérait en secret être la
bonne.
Valentina inspira et reprit :
— Vous serez époustouflants, tous les deux. J’en suis certaine.
L’acteur se sentit quelque peu déchiré. Bien qu’heureux de savoir qu’il comptait plus à ses yeux
qu’elle ne voulait bien l’admettre, l’idée de l’avoir blessée lui répugnait.
— Valentina, si vous avez des réserves quant à ce projet, vous devez absolument m’en faire part.
Mais la jeune femme avait déjà étouffé ses sentiments au profit de la femme d’affaires implacable.
— Non, cela me semble une idée formidable. Ces photos seront sûrement une parfaite vitrine pour le
film et les gens se rueront dans les salles pour voir votre amour se concrétiser à l’écran. Ils ne seront pas
déçus !
Puis elle tourna les talons et se dirigea vers sa caravane.
— Au fait, fit-elle en se retournant. Merci encore d’avoir été si gentil avec ma mère et son ami.
Bourré de frustration, Smith regarda la jeune femme disparaître dans son bureau. C’était la première
fois depuis longtemps qu’il n’avait pas ce qu’il désirait quand il le désirait.
Ce n’était pas tant son métier ou son argent qui le lui permettaient. C’était tout simplement dans sa
nature d’obtenir ce qu’il voulait en un claquement de doigts.
Lui qui avait toujours fait montre d’un professionnalisme à toute épreuve et d’une capacité innée à
focaliser son énergie sur le travail, voilà qu’il envisageait d’aller contre ses principes et de se consacrer
à séduire une femme.
Mais qui crois-tu donc tromper ? se morigéna-t-il. Tout cela n’avait aucune logique, ce n’était pas
une décision, c’était juste une question d’hormones. Le désir qu’il éprouvait pour Valentina était en train
de le déchirer de l’intérieur. Un déchirement d’autant plus intense qu’il savait de source sûre qu’il aurait
déjà largement pu profiter de son charme pour la prendre sans ménagement dans son bureau.
Autrefois, Smith se serait contenté de son corps. Plus jeune, le comédien ne se serait pas fait prier
pour draguer honteusement la jeune femme pour une simple aventure de tournage.
Mais l’homme qu’il était devenu ne s’en contenterait pas. Passé le cap du sexe, il voudrait en savoir
plus sur elle, découvrir son jardin secret… De plus, une simple aventure lui couperait toutes ses chances
de la séduire pour de bon.
Mais qu’est-ce qui m’arrive, bordel ?
Smith passa la main dans ses cheveux, sortit son portable et appela le premier numéro de sa liste de
contacts. La voix de sa mère le rassura instantanément.
— Salut, maman.
— Smith, mon chéri ! Comment vas-tu ?
— Bien. Le tournage se passe bien.
— Ravie de l’entendre.
Un silence s’ensuivit. Smith avait beau s’être montré rassurant, sa mère n’était pas dupe.
— Et comment se passe le reste ? s’enquit-elle.
Mary Sullivan avait toujours eu un véritable radar pour détecter les ennuis de ses enfants. Elle ne se
montrait jamais indiscrète d’aucune manière, mais les assurait de son soutien indéfectible. Smith ne
pouvait plus se mentir à lui-même et c’était exactement pour cela qu’il appelait sa mère à la rescousse.
— Eh bien, il y a une femme…
— C’est ce que j’ai entendu dire. D’après Marcus et Nicola, Valentina est des plus charmantes… et
douce.
Smith repensa soudain aux larmes dans les yeux de la jeune femme lors de la dernière scène qu’ils
avaient tournée. Qu’elle réagisse ainsi à une histoire qu’il avait lui-même écrite ne faisait que renforcer
l’affection qu’il lui portait. La fleur, le beignet… Ces choses qu’il lui avait offertes lui rappelaient sa
douceur.
— C’est quelqu’un de doux, c’est vrai, fit Smith. Et très belle, forte et intelligente. (Il soupira avec
emphase.) Mais elle refuse de sortir avec moi.
Smith se sentit comme l’adolescent de quinze ans qu’il avait été autrefois, celui qui pleurait sur les
cookies maison de sa mère en se confiant sur ses déboires amoureux. Le comédien adorait ses frères et
sœurs mais seule sa mère pouvait le consoler. Il n’y avait qu’à elle qu’il pouvait confier la solitude
qu’engendraient son travail, le harcèlement perpétuel et le poids de la célébrité. Smith se sentait parfois
comme une bête curieuse, exposé aux yeux de tous. Il lui avait fallu des années pour trouver le juste
équilibre et pour vivre son existence de star selon ses désirs, tout en concédant une place aux fans et aux
médias.
— Et t’a-t-elle dit pourquoi ?
— Elle ne fait pas confiance aux acteurs. Et franchement, je la comprends. Le milieu est un vrai nid
de vipères.
— Pourtant, elle devrait t’avoir suffisamment fréquenté, maintenant, pour savoir que tu n’es pas
comme eux. Mais il est parfois plus difficile d’admettre l’amour dans sa vie que de s’en priver.
Soudain, Smith fut frappé par la similitude entre l’histoire de Gravity et celle qu’il vivait en ce
moment. Lui et Valentina étaient en réalité très proches de Graham et de Jo, tous deux persuadés que
l’amour était une chose complexe alors qu’il était en réalité fort simple.
Dire qu’il avait écrit ce film, et que c’était sa propre mère qui lui mettait les yeux en face des trous !
S’il ne pouvait vaincre la gravité – cette force qui l’attirait sans cesse vers la jeune femme –, alors il
allait falloir se battre pour elle.
— Est-ce que je t’ai déjà dit combien tu es futée ? demanda-t-il à sa mère.
— Tu tiens ça de moi, rétorqua-t-elle, un sourire dans la voix. Tu es l’un des hommes les plus futés
que je connaisse, chéri. Assez futé pour saisir les opportunités au moment propice et ne pas les laisser
filer.
Puis elle ajouta, d’un ton plus sérieux :
— Si tu penses que c’est la bonne personne, tu dois faire tout ce qui est en ton pouvoir pour elle,
même si ce n’est pas réciproque.
Sept décennies avaient mûri la sagesse de Mary Sullivan. Elle avait partagé deux d’entre elles avec
leur père, fondant ainsi un clan solide et chaleureux. Smith lui devait tout et, après avoir vu les sœurs
Landon avec leur propre mère, il était encore plus décidé à ne jamais la considérer comme un acquis.
— Je t’aime, maman. Tu le sais, n’est-ce pas ?
— Mais oui, mon chéri. Mais c’est toujours agréable à entendre.
8

Le lendemain, Valentina s’éveilla avec la même hantise que la veille. Même s’il ne s’agissait que
d’une mascarade, cette histoire de séance photo la perturbait, et la visite inopinée de sa mère était
la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.
La jeune femme s’installa au bord du lit et se prit la tête entre les mains. Pourquoi ses sentiments
étaient-ils si compliqués à chasser de son esprit ? Jusqu’ici, ce genre de trouble ne lui avait jamais posé
problème.
Une seule réponse lui revenait sans arrêt : Smith. Pourquoi ?
Pire encore : la jeune femme commençait à envisager le comédien comme la solution, le remède à son
mal et à ses émotions contradictoires.
Avec des gestes mécaniques, Valentina se doucha, se brossa les dents, se sécha les cheveux, se
maquilla et enfila l’un de ses nombreux tailleurs. Quoi que la journée lui réserve, elle se montrerait sous
son jour le plus professionnel, sans manifester la moindre émotion à l’égard de Smith Sullivan.
Une fois sur le plateau, elle se rendit à sa caravane, posa son sac et tourna les talons, bien décidée à
au moins remercier le comédien pour ses récentes et délicates attentions. Mais son élan fut interrompu par
la présence d’un nouveau cadeau sur son bureau.
Elle aurait dû s’en douter. C’était la troisième fois que Smith lui faisait le coup.
Mais rien n’aurait pu la préparer à ça.
D’une main tremblante, elle s’empara du petit cadre de bois encerclant une photo en noir et blanc
d’elle et de Tatiana, en train de rire sur le plateau.
Tatiana la tenait par la taille et Valentina avait un bras posé sur les épaules de sa cadette. Les deux
sœurs avaient toujours été très tactiles. Petites, elles se blottissaient sous les couvertures pour regarder
des films et se consoler l’une l’autre de leurs chagrins. Cette affection naturelle et partagée lui sauta aux
yeux tandis qu’elle fixait ce témoignage de leur complicité.
La voir sous cet angle nouveau lui offrait une nouvelle perspective de leur relation.
Encore une fois, Smith s’était arrangé pour que le cadeau soit placé sur le mot qui l’accompagnait. Le
cadre dans une main, elle prit la lettre de l’autre.
Chère Valentina,
Cette photo a été prise sur le vif par Larry pendant le tournage. Vous et Tatiana semblez si douces et parfaitement complices.
Votre bonheur me donne le sourire.
Smith

Comme elle l’avait fait la veille, Valentina relut plusieurs fois le mot jusqu’à en mémoriser chaque
lettre.
Rien d’étonnant à ce que le scénario de Smith soit si touchant. C’était un homme de peu de mots, mais
chacun d’entre eux était terriblement émouvant et respirait l’amour sincère. Vivre sans amour, Tatiana
comme elle-même s’en étaient accommodées.
Mais leur amour mutuel… Lui était naturel et d’autant plus précieux que Valentina nourrissait la plus
grande certitude que jamais personne ne pourrait les séparer.
L’œil humide et les mains peu assurées, elle posa ses lèvres sur la photo et fut surprise de découvrir
qu’un enivrant parfum émanait de la lettre. Celui de Smith. Une odeur de propreté et de séduction.
Bien sûr, les acteurs agissaient souvent de la sorte. Combien avaient couvert sa mère de cadeaux ?
Bracelets, voyages, et même une voiture, une fois. Un simple coup de fil à leur assistant et ils pleuvaient
de partout, à la grande joie d’Ava Landon.
Mais ces présents – une fleur, une photo, un petit déjeuner – étaient à des lieues des bijoux de luxe et
autres babioles habituelles.
Smith portait de nombreuses casquettes pour ce film et toutes pesaient lourd sur ses épaules. Souvent,
elle l’avait surpris en train de passer un coup de fil à un membre de sa famille. Le plus souvent, il parlait
avec Sophie, sa sœur enceinte de jumeaux pour laquelle il semblait nourrir beaucoup d’inquiétude.
Et malgré les responsabilités et les obligations familiales, voilà qu’il prenait le temps d’avoir des
attentions pour elle ? D’ordinaire, Valentina arrivait plus tôt que le reste de l’équipe de tournage et était
déjà épuisée. Les horaires que s’imposait Smith frôlaient la folie pure.
Où trouvait-il le loisir de s’inquiéter pour elle ? C’était une perte de temps, pure et simple.
Elle pourrait lui céder et coucher avec lui. Rien de plus simple, et cela réglerait le problème. La
seule pensée d’une nuit dans ses bras lui donna des bouffées de chaleur.
Mais même harassée par son fantasme, une petite voix dans sa tête lui susurrait qu’une nuit avec lui
serait bien plus qu’une simple aventure. Il y aurait de la tendresse entre eux.
De la complicité.


Bien que la porte soit entrouverte, Valentina toqua à l’entrée de la loge de Smith. La jeune femme
tenait bien trop à son intimité pour violer celle des autres.
— Entrez, dit-il.
Sa voix suave lui envoya un frisson le long de la moelle épinière.
Ce qu’il est beau, s’extasia-t-elle, comme à chacune de leurs entrevues.
Et tellement sexy.
Oh, je le veux…
Dieu, que je suis fatiguée…
Le tournage avait débuté depuis plusieurs semaines et jamais Smith n’avait manifesté le moindre
signe de fatigue. Même pas la moindre plainte. Mais aujourd’hui, le comédien semblait au bout du
rouleau.
— Tout va bien ? s’enquit-elle, son instinct protecteur en alerte.
Smith se leva et lui servit une tasse de café.
— Mieux maintenant que vous êtes là.
Rejeter ce qu’elle ressentait pour cet homme était une vraie torture. Valentina l’appréciait
sincèrement et le désirait jour après jour, qu’il se trouve en sa présence ou pas.
— Je sais que vous êtes très occupé, commença-t-elle.
Valentina s’était toujours targuée d’être une personne directe et elle commençait à en avoir assez de
devoir prendre la star avec des pincettes. Ce qui ne l’empêchait pas de prôner la gentillesse, comme elle
l’avait appris à sa sœur et comme leur mère le leur avait appris.
Avec prudence, la jeune femme s’avança.
— Je tenais à vous remercier pour la fleur et le petit déjeuner. Mais surtout pour la photo. Vous
n’étiez pas obligé de faire ça, dit-elle en souriant. Je dois admettre que je suis heureuse que vous l’ayez
fait.
Il lui renvoya son sourire, ce qui balaya les quelques marques de fatigue de son visage.
— Tout le plaisir est pour moi.
Il lui tendit la tasse et, lorsqu’elle s’en empara, leurs doigts se frôlèrent.
Soudain, la jeune femme n’eut plus envie d’un café pour se calmer les nerfs… mais de quelque chose
de plus sensuel.
— Comment faites-vous ? ne put-elle s’empêcher de demander. Vous avez tant à faire, mais malgré
toutes les responsabilités que vous vous imposez, rien ne semble pouvoir vous atteindre.
— Rien ne m’atteint ? fit-il avec un rire ironique. Regardez-moi donc, Valentina ! Je suis épuisé, au
contraire.
— Jouer, produire, réaliser… ce n’est pas une mince affaire.
— Ça, je peux le gérer, fit-il d’une voix sombre.
Valentina se sentit comme happée par des sables mouvants, s’enfonçant davantage à chaque mot
échangé avec lui. La jeune femme était prise au piège, incapable de se mouvoir hors de sa vue.
Elle passa la langue sur ses lèvres desséchées et reprit :
— En ce cas, qu’est-ce qui vous épuise ?
Smith détailla la bouche de la jeune femme, poussa un grognement et planta son regard dans le sien.
— De me retenir de faire ça.
Leurs lèvres se scellèrent en une fraction de seconde. Un baiser absolument pas prévu au programme,
et pourtant ! elle le lui rendait avec entrain, comme à un soldat enfin de retour du front après des années
d’absence.
Tant de chaleur, de désir… Jamais personne ne l’avait embrassée de la sorte.
Tout ce qu’on disait sur le sang qui bout dans les veines et la sensation de tête qui tourne, tout était
vrai. Entre eux, la passion s’intensifia davantage et leur étreinte fut de plus en plus torride à chaque
exploration de leurs langues.
Jamais elle n’avait ressenti autant de désir pour un homme. Ni ne s’était sentie aussi désirée.
Pourtant, même sous le coup de tant de sensualité, Valentina était encore en train de construire un puzzle,
comme dans le salon du comédien. Ce baiser n’était qu’une pièce parmi tant d’autres, connectées les unes
aux autres et porteuses d’autant de messages et de sentiments qui les unissaient : la famille, les rires et
une complicité qu’elle ne pouvait même pas rêver de partager avec sa propre sœur.
Oui. Pour la première fois de sa vie, Valentina s’abandonnait entièrement à un homme. Pas seulement
parce que Smith l’exigeait, mais aussi parce qu’elle ne demandait que ça.
Ressentir. Tout.
Vivre tous ses rêves.
Tous ces fantasmes auxquels elle ne s’ouvrait qu’à la nuit tombée, dans son lit.
Son baiser de plus en plus pressant, Smith prit la jeune femme par les hanches et commença une lente
progression le long de son dos jusqu’à la naissance de sa chevelure. Enfin, Valentina s’abandonna à sa
liberté d’être désirée et de désirer en retour.
Et pour quelques éphémères instants, elle parvint à se convaincre qu’il n’y aurait aucune conséquence
à ses actes.


Smith s’était imaginé ce baiser si souvent qu’il en avait presque inventé la saveur des lèvres de
Valentina.
Sucrée, teintée d’un goût d’épices exotiques.
Grand connaisseur des femmes, il fut ravi de découvrir qu’il n’était pas si loin que ça de la vérité.
À ceci près que le baiser de Valentina était plus doux, plus délectable que n’importe quelle friandise
qu’il avait pu goûter.
Bien plus délectable. D’une main sur sa nuque, le comédien rendit son baiser plus insistant encore. Il
lécha la commissure de ses lèvres, lui arrachant une plainte désespérée lorsqu’il mordilla sa lèvre
inférieure.
Que cela soit pour un rôle ou en charmante compagnie, Smith avait toujours su conserver le contrôle
de lui-même et de ses émotions. Depuis qu’il était habitué à la célébrité, il agissait envers les médias et
envers ses fans avec un discernement à toute épreuve.
Mais ce baiser, ses caresses sur les courbes parfaites de la jeune femme, le plongèrent dans une
spirale de désir infernale dans laquelle il n’avait plus le moindre contrôle sur quoi que ce soit.
Cette simple étreinte réveilla la passion enfouie de Valentina. Comme Smith l’avait compris le
premier, la gravité entre eux ne pouvait être domptée.
Lorsque leur étreinte s’acheva enfin, la jeune femme, pantelante, détailla le comédien, les yeux
embrumés par le désir.
Bien sûr, Smith ne comprenait pas toujours les femmes, mais les émotions contradictoires de
Valentina étaient manifestes.
S’il ne comptait pas la laisser passer ce baiser sous silence, il ne voulait pas non plus qu’elle s’en
fasse une montagne.
La main à plat sur le torse du comédien, la jeune femme sembla lentement redescendre sur terre, le
regard soudain alerte.
Avec calme, elle le repoussa.
— Smith, je… Nous ne devons…
— J’ai un autre cadeau pour vous, l’interrompit-il.
Luttant contre ses penchants de Cro-Magnon, Smith relâcha sa prise sur elle. Cela faisait vingt ans
que l’acteur reléguait ses aventures au second plan, même les plus sérieuses. Il était capable de sacrifier
les plus solides relations amoureuses. Le genre de choses à laquelle aucun membre de sa famille ne se
serait résolu.
Mais l’alchimie entre deux êtres, Smith connaissait. Après tout, c’était la base de son travail à
l’écran. Valentina n’était peut-être pas encore prête à accepter cette réalité, mais il existait entre eux une
alchimie unique, inévitable.
Avec elle, pas question de jouer. Il se força pourtant à sourire.
— Je voulais vous l’offrir demain, mais le moment semble approprié.
La jeune femme semblait réfléchir. Quoi de plus naturel ! Smith n’était pas du genre à refuser de
prolonger un baiser.
— Je ne peux plus rien accepter de votre part, le mit-elle en garde avec une sensualité nouvelle.
Malgré le désir insoutenable que cela lui inspirait, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer cette femme
offerte, dans ses bras, ses beaux cheveux épars sur l’oreiller.
La pression sanguine s’accentua en lui tandis qu’il imaginait la jeune femme, étendue sur un lit, sa
peau irradiant, haletante, décoiffée, encore sous le coup d’un orgasme et dans l’attente fiévreuse du
suivant.
Smith prit une enveloppe sur son bureau et la lui offrit.
— Accordez-moi au moins celui-ci.
La jeune femme haleta comme s’il venait de lui demander une faveur sexuelle. Elle s’empara de
l’enveloppe, comme si de deux maux – ce présent ou ses lèvres sur les siennes –, elle avait choisi le
moindre.
Valentina ouvrit l’enveloppe. D’abord surprise, elle ne dissimula pas son plaisir d’y découvrir deux
billets.
— Alcatraz ? fit-elle. Mais je croyais les visites complètes pour les deux prochains mois. (Elle
parcourut les caractères d’imprimerie du bout des doigts.) C’est pour demain soir.
— Je ne me souviens pas bien d’Alcatraz, expliqua Smith. Je n’y suis allé qu’une fois, en sortie
scolaire.
Le regard incertain, la jeune femme resserra sa main sur son présent.
— Une sortie scolaire, répéta-t-elle. Cela remonte à longtemps, dites donc.
— Assez, oui. Je n’en garde que peu de souvenirs.
Smith ne comptait pas s’imposer auprès d’elle pour la visite, mais cela n’aurait pas été bien
gentleman de sa part de la laisser y aller seule, tout de même.
Radieuse au-delà de toute espérance, la jeune femme prit la parole :
— Voudriez-vous y retourner ?
— Très certainement.
Valentina émit un petit soupir résigné.
— Fort bien. Joignez-vous à moi, dans ce cas.
Cette fois, son sourire ne fut pas forcé.
— Avec joie !
— Écoutez, je dois retourner travailler, s’excusa-t-elle. Quant à ce qu’il vient de se passer…
— C’était bien, non ?
Elle rougit mais ne protesta pas.
— Oui, confirma-t-elle de sa voix pousse-au-crime. Vous embrassez très bien, mais…
— Et je veux vous embrasser encore.
Elle émit une plainte frustrée qui ne calma en rien les ardeurs du comédien.
— Que nous y ayons pris du plaisir n’a aucune importance. Je ne peux pas recommencer, c’est tout.
Ces mots ne diminueraient en rien leur attirance mutuelle et ils le savaient tous les deux.
— Et vous savez très bien pourquoi, insista Valentina. Nous en avons déjà parlé.
— C’est vrai. Mais rappelez-moi encore vos raisons, je vous prie.
— Vous êtes acteur.
Smith avait été au service d’assez d’histoires dans sa vie pour en connaître un rayon sur les questions
de rythme. Le baiser était arrivé à point nommé. L’invitation à Alcatraz était elle aussi parfaitement
calculée dans leur échange. Encore un petit effort, se dit-il.
— Vu ce que nous venons de vivre, vous conviendrez que je suis en droit d’attendre plus d’arguments
de votre part. Et si possible, autres que celui de vouloir me réduire au même rang qu’un tas de salauds
notoires du milieu.
— Vous êtes une star internationale et nombreuses sont les personnes qui voudraient tout savoir de
vous – y compris sur vos conquêtes. (Elle secoua la tête.) Rien que l’idée d’être sous le feu des
projecteurs me fait horreur. Et c’est exactement ce qui m’attend si je me résous à sortir avec vous.
Depuis toutes ces années que Smith cherchait la compagne idéale, ce genre de souci ne lui était
jamais venu à l’esprit, car les femmes qui fréquentaient son monde, son milieu, appelaient les projecteurs
de leurs vœux. D’ailleurs, l’acteur en était venu à se demander si on ne le fréquentait pas uniquement
pour cette raison.
Mais la sincérité et la véhémence de Valentina ne faisaient pas le moindre doute. « Rien que l’idée
d’être sous le feu des projecteurs me fait horreur », avait-elle dit.
Elle reprit d’un ton doux :
— Écoutez, Smith. De nombreuses semaines de travail en commun nous attendent, vous et moi. Si
nous allons ensemble à Alcatraz demain, mieux vaut que vous ne vous fassiez pas d’idée sur… (Elle les
désigna à tour de rôle.) Enfin, sur ce qu’il y a entre nous.
L’acteur de trente-six ans avait la fortune et la célébrité. Il avait voyagé à travers le monde entier et
fait la fête à ne plus en pouvoir pendant vingt ans. Il se sentait prêt pour l’étape suivante : vivre une
relation avec une femme qu’il aurait choisie, qu’il désirerait et avec laquelle il partagerait tout.
Quelqu’un avec qui vieillir, avec qui avoir des enfants qu’ils emmèneraient à la plage pour le week-end
ou au parc pour jouer au ballon avec leurs cousins.
Il comprenait les scrupules de Valentina. Mais pas question de renoncer. Car il en était certain :
Valentina pouvait tout à fait être l’élue de son cœur, la personne idéale pour partager ses rêves. S’il ne
donnait pas toute son énergie à la conquérir, il s’en voudrait jusqu’à la fin de sa vie.
— Je vous propose un marché, fit-il. Je ne vous embrasserai que si vous en faites la demande.
— Ça n’arrivera pas, rétorqua-t-elle du tac au tac.
— Croyez-moi, ça viendra tôt ou tard.
Incrédule, la jeune femme battit plusieurs fois des paupières.
— Je ne vous comprends pas. Pourquoi insistez-vous ? Je vous ai pourtant donné toutes les raisons de
ne pas le faire.
Certes, Smith avait promis de ne pas l’embrasser mais un contact physique n’était pas interdit. Il
s’approcha lentement et glissa ses doigts agiles dans sa longue et soyeuse chevelure.
— Dites-moi de vous embrasser à nouveau et vous comprendrez en partie.
Loin d’être dupe, la jeune femme lui jeta une œillade pleine d’ironie.
— Des baisers, vous avez dû en recevoir une multitude, déjà.
— Pas aussi incroyables que le vôtre. Loin s’en faut.
Il fit glisser ses doigts le long du col ouvert de sa veste et lui arracha un frisson.
— Et c’est pareil pour vous, je le sais.
9

Jamais Valentina n’avait été aussi contente de l’emploi du temps de Smith ou de la surexposition de
sa sœur. Ainsi, les prétextes pour fuir ne manquaient pas et elle put se rendre en trombe dans l’abri de sa
loge avant de céder davantage à ses pulsions. Se plonger dans le travail sans – trop – penser à Smith était
une bénédiction.
L’intense baiser qu’ils avaient échangé avait au moins eu le mérite de permettre à la jeune femme de
jauger le degré de patience du comédien.
Et c’est avec un frisson d’anticipation et d’interdit qu’elle déduisit que Smith n’allait pas tarder à
perdre le contrôle de sa libido.
Elle non plus, d’ailleurs.
Malgré toutes ses tentatives, Valentina et lui se rapprochaient inexorablement l’un de l’autre.
Chaque mot qu’il prononçait lui faisait un peu plus baisser sa garde. Valentina n’aurait pas dû
s’encombrer de scrupules et s’abandonner à lui, comme il l’avait si intensément poussée à le faire dans
son bureau, sans peur des conséquences.
En lutte entre ses principes et le cuisant souvenir des mains de Smith sur elle, Valentina entendit à
peine sa sœur entrer.
— Hé ! Tu as une minute ? demanda cette dernière.
Surprise, la jeune femme bondit de derrière son écran.
— Pour toi ? Toujours ! (Elle prit sa sœur dans ses bras.) Quoi de neuf ?
— Eh bien, je voulais surtout savoir comment tu allais, répondit Tatiana en scrutant la jeune femme.
— Moi ?
— Tout va bien ?
Tout un panel de réponses défila dans sa tête : Smith m’a embrassée ; J’ai embrassé Smith ; Je ne
comprends pas ce qui m’a pris ; C’était bien ; Trop bien, même.
Sa sœur était aussi sa meilleure amie et elle aurait plus que tout voulu se confier à elle, mais elle
n’osait pas. Tatiana travaillait avec Smith et, en tant que tête d’affiche du film, elle avait déjà bien assez
de pression sur les épaules. Pas question de l’inquiéter outre mesure.
— J’ai eu droit à la même question de la part de George, fit Valentina. Je crois que je suis trop vieille
maintenant pour me permettre de manquer autant d’heures de sommeil sans le payer.
Tatiana leva les yeux au ciel.
— Enfin, tu n’es pas vieille ! Tu travailles trop, c’est tout. C’est ma faute, je le sais. Pour me
rattraper, je nous emmène au spa ce samedi !
La seule idée d’un jacuzzi et d’un massage tira un gémissement de plaisir à Valentina.
— Tu sais combien j’aime mon travail mais je me vois mal refuser une journée au spa avec ma petite
sœur favorite !
Le téléphone de Valentina vibra. Un message de George.
— Ton estimé agent voudrait savoir quand tu serais disponible pour discuter avec lui de cette
campagne de pub japonaise, lui apprit-elle.
— Demain ? J’ai encore quelques répliques à travailler, aujourd’hui.
— Je transmets. Tu veux que je t’aide à répéter ?
— Non, fit Tatiana en secouant la tête. Je veux dire, je les connais. Ce n’est pas le souci.
Depuis toute petite, Tatiana avait une excellente mémoire et jamais elle ne s’était trompée dans son
texte.
— Je crois que la scène de demain me stresse un peu, confia la jeune fille. Faire semblant d’être
amoureuse, d’avoir peur ou d’être heureuse, je sais faire mais… accoucher ? C’est nouveau pour moi.
— Encore heureux ! se moqua son aînée. Inutile de te mettre la pression.
— Je sais, mais je veux vraiment faire justice aux mères qui ont subi tant de souffrance pour mettre
leur enfant au monde. (Tatiana hésita un instant.) J’en ai parlé avec maman.
Valentina fut peinée de cette révélation mais n’en laissa rien paraître.
— Pas bête. Et que t’a-t-elle dit ?
— Elle m’a donné quelques bonnes pistes.
— Oh, des pistes, vraiment ? fit son aînée d’un ton mordant.
— Elle m’a parlé de ses dix-huit heures de travail et elle m’a dit que papa ne lui avait pas lâché la
main une seconde jusqu’à ce qu’il puisse enfin nous tenir dans ses bras, rétorqua Tatiana d’une voix
calme.
Touchée, Valentina soupira et prit les mains de sa sœur entre les siennes.
— Je pense souvent à lui, fit-elle. Il me manque.
— À moi aussi.
Mais c’était à leur mère qu’il devait le plus manquer.
Tatiana s’apprêtait à partir lorsqu’elle vit la photo encadrée.
— Oh, j’adore cette photo ! D’où est-ce qu’elle vient ?
— Smith me l’a donnée ce matin. C’est Larry qui l’a prise sur le plateau entre deux prises.
— C’est gentil de sa part, ça, fit Tatiana en lui jetant un regard en biais.
Valentina acquiesça.
— C’est sûr que ton prochain partenaire à l’écran a peu de chances d’être à sa hauteur.
Tatiana contempla la photo pendant encore quelques secondes puis reposa le cadre.
— Tu sais, je songeais à me commander une pizza, suivie d’une généreuse quantité de glace. Histoire
de me mettre en condition pour jouer la femme enceinte. Tu te joins à moi ?
Au diable le travail ! Il pouvait attendre. Mais un après-midi avec sa sœur ? Voilà qui était trop
précieux. Elle s’empara de son sac à main.
— Tu plaisantes ? La pizza et la glace, ça vaut au moins un spa ! Ajoutes-y un visionnage de Pretty
Woman et je serai comblée au-delà de toute espérance !
— Il faudra qu’un jour on m’explique ce que l’histoire d’un millionnaire et d’une prostituée tombant
amoureux a de romantique !
— Va savoir, lâcha Valentina, à des lieues de se préoccuper de l’amour – fictionnel ou pas. Certaines
choses tombent tout simplement sous le sens, ajouta-t-elle, songeant à Smith.
En revanche, certaines choses resteraient toujours dénuées de sens. Comme la relation que la jeune
femme entretenait avec sa mère, par exemple.


Rassérénée par l’après-midi passé avec Tatiana, Valentina se présenta sur le plateau le lendemain
matin. Elle s’installa à la table où Tatiana et Smith relisaient ensemble les scènes du jour afin d’en tirer
toutes les nuances possibles.
Le film était tourné dans l’ordre chronologique. Ce n’était pas courant, mais Valentina préférait cela.
Plus sensé, songeait-elle souvent. Le sens, voilà quelque chose qui avait son absolue préférence.
La veille, l’équipe avait filmé un ensemble de scènes de drague entre les deux personnages – en
particulier celles de Graham.


Au début, Graham ne lui avait offert que quelques vêtements roses pour le bébé. C’était si mignon
que Jo ne s’était pas senti la force de les refuser.
— Ça pourrait être un garçon, avait-elle souligné. Je n’ai pas demandé à connaître le sexe.
— C’est une fille, croyez-moi, avait-il répondu, avant de tourner les talons et de s’en aller.
La fois suivante, il s’était présenté au café avec un sac empli d’autres vêtements de la même
couleur, faisant s’exclamer tous ses collègues. Mais il n’était pas resté. Sans attendre, elle avait couru
dans la rue à sa poursuite. D’abord, elle l’avait remercié, puis elle l’avait sommé de ne plus lui faire
de cadeaux. Sans se démonter, Graham lui avait rappelé qu’il était imprudent de courir dans sa
condition, et était parti.
Le lendemain après-midi, ce fut un landau flambant neuf et une chaise pour bébé qu’elle trouva
dans son appartement en rentrant du travail. Malgré la beauté du matériel, c’en était trop pour la
jeune femme. Premièrement, l’homme d’affaires s’était bien renseigné afin d’obtenir le meilleur
matériel possible, et donc le plus cher, ce qui était particulièrement gênant. Mais pire que tout : il
s’était invité chez elle sans son consentement et pendant son absence.
Avec Internet, on trouve les gens rapidement, et il fut facile pour Jo d’obtenir l’adresse de son
travail, un immeuble qu’il possédait dans le quartier des affaires.
Dans les rues bondées d’hommes et femmes en costume et équipés d’oreillettes, la jeune femme
détonnait, avec son ventre rond et ses mèches roses. Cinq mois plus tôt, Jo aurait été choquée de la
manière dont tout le monde la dévisageait, comme un parasite. Mais Graham avait beau être riche à
millions, il allait en prendre pour son grade et rien au monde n’aurait pu la détourner de ce but.
La façade en verre de l’immeuble était si propre que la jeune femme s’imagina sans peine les gens
s’y cogner par accident. Une fois à l’intérieur, elle se perdit dans la contemplation du haut plafond, du
sol en granit poli, et écouta le silence religieux qu’on observait en ces lieux en l’honneur du dieu
dollar.
Agacée par sa facilité à être impressionnée, la jeune femme se présenta au bureau de la sécurité.
— Nom, je vous prie.
Le gardien ne releva ni sa tenue, ni sa coiffure, ni son ventre proéminent. Surprise, Jo pointa son
menton d’un air de défi.
— Jo. Et je n’ai pas de rendez-vous. Je viens voir Graham. Il sait qui je suis, il me recevra.
Le garde l’étudia intensément et elle lui rendit son regard. Au bout d’un long moment, il décrocha
son téléphone.
— Angie ? Une certaine Jo est ici. Elle demande à voir M. Hughes.
Quelle que soit la réponse qu’il reçut, le gardien eut l’air surpris.
Il raccrocha et se leva.
— Laissez-moi vous escorter, Jo.
Tout en tâchant de garder son calme, la jeune femme suivit le garde jusqu’à un ascenseur qui les
mena jusqu’au dernier étage.
— Mes félicitations, fit l’homme, en jetant un œil furtif vers ses formes arrondies.
Jo entoura son ventre d’un geste protecteur. Sa colère contre Graham était telle qu’elle en avait la
nausée. Plutôt des élancements dans le bas du dos, d’ailleurs.
Raison de plus pour éconduire Graham. Son bébé seul comptait.
Et l’homme d’affaires, aussi millionnaire soit-il, demeurait une trop importante distraction.
— Merci, répondit-elle avant que les portes s’ouvrent et qu’elle pose le pied sur la moquette la
plus épaisse et la plus moelleuse qu’elle ait jamais foulée – aussi douce qu’un échantillon neuf !
La jeune femme aurait volontiers ôté ses ballerines pour prolonger ce délicieux contact, mais une
paire de chaussures en cuir ciré vint se présenter devant elle.
— Jo.
Chaque fois que Graham prononçait son nom, un frisson lui parcourait l’échine. Un tremblement
que la jeune femme aurait volontiers mis sur le compte de la colère – mais ç’aurait été se mentir à
elle-même.
— Je vous avais demandé d’arrêter, avec vos cadeaux, lança-t-elle.
Elle s’était attendue à ce qu’il la mène dans son bureau pour avoir cette conversation en privé,
mais il ne fit pas le moindre geste.
— Vous en avez besoin, fit-il.
Comme elle voulait hurler ! Mais elle se surprit à baisser d’un ton.
— Vous vous êtes introduit chez moi, siffla-t-elle entre ses dents.
— Si je les avais laissés dehors, ils auraient été volés, rétorqua-t-il. Et je ne vous voyais pas
trimballer tout ça vous-même depuis votre travail.
Il avait raison, bien sûr, et ça n’était pas pour lui plaire.
Jo prit sa voix la plus patiente possible.
— Écoutez. Vous vous sentez coupable, je comprends, mais…
Une douleur soudaine vint interrompre son plaidoyer et elle se mit à pleurer.
Pliée par la souffrance, Jo agrippa le bras de l’homme d’affaires et, pour la première fois depuis
leur douloureuse rencontre, Graham et Jo se touchèrent.
La jeune femme, les yeux fermés à cause des contractions, ne vit pas la peur panique qu’il
affichait.
— Dites à Ellis d’être en bas avec la voiture dans une minute maximum, ordonna-t-il à l’une de
ses assistantes, sans jamais quitter Jo des yeux. Et appelez le Centre médical de California Pacific,
ajouta-t-il à l’attention de sa seconde assistante. Dites-leur qu’ils ont un quart d’heure pour préparer
la salle d’accouchement !
La douleur s’atténua légèrement et Jo comprit qu’ils marchaient vers l’ascenseur, la main de
Graham posée au creux de ses reins.
— Mais qu’est-ce que vous faites ?
— Votre fille arrive, je vous emmène.
Elle pouvait se passer de son aide et allait lui en faire part lorsqu’une autre contraction, plus
violente encore, se manifesta.
Graham parla d’une voix calme et incroyablement rassurante :
— Respirez, Jo. Doucement.
Elle y parvint à grand-peine, comme si toute sa silhouette s’était tordue, recroquevillée sur elle-
même.
— Très bien. Maintenant, expirez très lentement. (Elle s’exécuta.) Bravo, vous vous en sortez
bien !
Ils arrivèrent au rez-de-chaussée et Jo fut soudain heureuse que l’homme d’affaires lui apporte
son soutien.
— Ma voiture est toute proche, fit ce dernier. Vous allez pouvoir vous allonger.
L’idée d’aller où que ce soit avec lui lui répugnait mais les contractions n’iraient pas en
s’arrangeant, elle le savait. Chacune l’affaiblissait davantage.
Avec des gestes délicats, Graham fit glisser la jeune femme sur la banquette au moment où une
intense douleur la frappait. La souffrance était telle que lorsqu’elle lui étreignit la main, elle entendit
ses doigts craquer.
Graham l’encouragea jusqu’à ce qu’elle s’écroule à l’arrière de la voiture, au bord de
l’évanouissement.
— Comment saviez-vous ? demanda-t-elle. Ce qu’il fallait faire ?
Sa mâchoire d’ordinaire si solide se mit à trembler.
— Ma sœur, répondit-il.
Son chagrin disparut aussi soudainement qu’il s’était manifesté.
Jo voulut lui poser plus de questions à ce sujet mais une nouvelle vague de douleur mit un terme à
sa curiosité. Ses cris se répercutèrent sur les parois de la voiture et Graham la prit tout contre lui,
comme pour absorber sa souffrance.
La sueur trempait les vêtements de grossesse de la jeune femme.
— Plus vite ! ordonna Graham à son chauffeur. Il nous faut atteindre l’hôpital le plus vite
possible !
— Bien, monsieur.
Une fois devant le grand bâtiment en pierre des urgences, Graham prit la jeune femme dans ses
bras comme s’il ne s’agissait que d’une plume et se précipita à l’intérieur, sans même se présenter aux
admissions.
Ils furent accueillis dans une salle privée par deux infirmières et une obstétricienne qui
commencèrent à relever ses constantes. Le médecin demanda gentiment à la jeune femme si elle
pouvait l’examiner.
Tout le long, Graham lui tint la main.
Sans jamais la lâcher.


La séquence fut tournée sous plusieurs angles et, chaque fois, Valentina garda les yeux rivés sur les
mains enlacées de Smith et de Tatiana. Mais c’étaient celles de ses propres parents qu’elle s’imaginait,
tous deux pleins d’espoir pour la famille qu’ils s’apprêtaient à fonder.
Les lumières se tamisèrent enfin et c’est la gorge serrée qu’elle vit Tatiana et Smith rompre leur
étreinte. Sa sœur rit de bon cœur et secoua ses membres engourdis un à un tandis que Smith quittait le
plateau pour se rendre au vestiaire. Au bout d’un moment, Valentina se leva et respira profondément afin
de se libérer de la tension accumulée.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle se trouva nez à nez avec Smith, dans ses vêtements de ville.
— Prête pour le Rocher ?
10

Smith était si fringant qu’on aurait eu peine à imaginer qu’il venait de tourner huit heures d’affilée.
Valentina, elle, avait autant d’énergie qu’une nouille trop cuite, épuisée qu’elle était par l’intensité des
émotions dégagées par l’acteur et Tatiana. La visite d’Alcatraz lui était complètement sortie de la tête et
ses scrupules à se retrouver seule en compagnie de Smith la reprirent.
— Je dois d’abord voir Tatiana, expliqua-t-elle.
Elle se tourna pour apercevoir sa sœur, déjà en pleine discussion avec Jayden, l’un des techniciens
du plateau. Inutile de la déranger, d’autant que Valentina l’avait déjà mise au courant pour Alcatraz. La
jeune femme lui fit un rapide baiser sur la joue et l’informa qu’elle la verrait le lendemain matin.
— Il vous manque quelque chose ? s’enquit Smith.
— Ma veste, fit Valentina, déjà vêtue d’un pantalon épais et d’un pull en laine pour affronter le froid
sur le navire.
Ils marchèrent côte à côte vers son bureau pour récupérer son manteau et personne sur le plateau ne
fut surpris de les voir s’engouffrer dans la voiture du comédien. Ils passaient tellement de temps à
discuter de choses et d’autres que les voir ensemble était devenu habituel. De plus, Smith se montrait
suffisamment distant, ce qu’elle appréciait.
Ce n’est pas un rencard, se rappela-t-elle. Ils n’étaient que deux amis en goguette, qui allaient faire
un tour dans San Francisco, rien de plus. Bien sûr, Smith, grande star qu’il était, aurait pu engager une
équipe pour faire la visite à sa place. Le tourisme ne s’en porterait que mieux !
Ce n’est qu’une fois à bord de la Jaguar du comédien que la jeune femme réalisa leur nouvelle
proximité. Sur le siège passager, les vibrations du moteur faisaient battre son cœur à toute vitesse. À
moins que cela ne soit dû au petit sourire que Smith lui adressa avant d’engager son véhicule à toute
vitesse dans les rues bondées de la ville.
Tout le long du chemin, ses pensées revinrent sans arrêt au baiser qu’ils avaient échangé, au point
qu’elle sentit presque ses lèvres picoter.
— Valentina, fit-il d’une voix si sensuelle qu’elle en frissonna. Regardez, la lune.
Elle quitta des yeux ses mains contractées de panique et se figea en voyant l’astre plein et brillant au-
dessus des flots bleuâtres de la Baie.
— C’est magnifique !
Tellement magnifique que Valentina se sentit bête d’être nerveuse. Autant profiter de cette escapade.
Si elle laissait Smith la distraire de toute cette beauté, elle ne se le pardonnerait jamais.
De plus, il avait juré qu’il ne l’embrasserait pas – à moins qu’elle n’en fasse la demande. Comme
elle n’en ferait rien, il ne s’agissait que d’une sortie entre amis, et rien de plus.
Du moins l’espérait-elle.
— Vous avez été brillant, aujourd’hui, le complimenta-t-elle.
Les yeux rivés sur la route, l’acteur sourit.
— Merci, ça me fait plaisir que vous le pensiez. Votre sœur m’a facilité la tâche.
— Vous l’auriez vue quand elle avait dix ans ! Elle tournait une pub avec des acteurs professionnels.
À la fin de la journée, ils tenaient tous le même discours que vous.
Smith se gara sur un parking longeant un port. Quand Valentina sortit, le vent soufflait tellement fort
qu’elle ne se fit pas prier pour enfiler son manteau.
— Permettez-moi, fit Smith en l’aidant à le passer.
La chaleur qui l’envahit alors n’était pas due qu’à l’épaisseur de l’étoffe. Smith ne l’avait pas
touchée mais, même à distance, il irradiait de lui une chaleur surhumaine.
Comme on devait être bien tout contre lui, entre ses bras.
Difficile de ne pas y penser, en tout cas. Une chance que la fraîcheur de la brise l’aide à redescendre
sur terre. Son désir, le vent l’emporterait. Valentina porta la main à sa poche pour y piocher ses gants
mais ne les trouva pas.
— Vous avez assez chaud ? s’enquit Smith, enfilant son propre manteau.
— Sauf aux mains. J’ai oublié mes gants.
Sans attendre, Smith s’empara des mains de la jeune femme.
— Est-ce que ça aide ?
Elle hésita à se dégager. Dieu que ses mains étaient chaudes ! Elle avait toujours si froid aux mains…
Son « oui » mourut sur ses lèvres. Elle se força à lever les yeux vers lui. Le regard de Smith, lui
aussi, n’exprimait qu’envie, mais il se contenta de porter ses mains à ses lèvres.
Il les garda jointes ainsi, sans les embrasser.
— Et si nous allions voir la lune depuis le pont du bateau ? proposa-t-il.


Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que le bateau en question n’était autre qu’un yacht privatif !
— Mais je croyais qu’il fallait prendre le ferry pour aller sur l’île ?
— D’ordinaire, oui. Mais ils ont fait une exception pour vous.
— Pour vous, vous voulez dire. (Elle le toisa en fronçant les sourcils.) Laissez-moi deviner : nous ne
passons pas par l’itinéraire classique, n’est-ce pas ?
Le vent souffla une mèche de ses cheveux entre ses lèvres et Smith s’empressa de la balayer d’un
doigt complice avant de lui caresser la joue.
— En effet.
Le capitaine du navire, un certain Billy, se présenta sur le ponton à leur rencontre. Les présentations
faites, Smith vit que la beauté de Valentina l’impressionnait. Le marin aida la jeune femme à monter à
bord, et même si le luxueux intérieur lui fit écarquiller les yeux, elle n’en fit pas mention. L’argent et les
possessions matérielles ne l’impressionnaient manifestement pas. De plus, elle et Tatiana avaient visité
de plus gros bateaux que celui-ci lors de fêtes avec le gratin de Hollywood.
Smith était ravi de ne pas avoir à lui raconter sa vie. Dans le milieu, les gens sortaient souvent entre
eux car ils comprenaient ce qu’impliquait leur train de vie. La jeune femme lui avait bien fait part de son
peu de goût pour les projecteurs, mais le fait qu’elle ait accompagné sa sœur jusque-là dans sa carrière
prouvait aussi qu’elle était passée maîtresse dans l’art de les éviter ou, dans le pire des cas, savait
comment s’y plier pour une heure ou deux.
Smith désigna un bar bien fourni à leur disposition.
— Que puis-je vous servir ?
— Une eau gazeuse, merci.
L’acteur leur servit un verre à chacun et la rejoignit à la barre, d’où la jeune femme observait
l’obscurité naissante. Billy enclencha les manettes et un léger soubresaut fit tanguer Valentina tout contre
le torse puissant de son compagnon du soir. Loin d’être pris au dépourvu, l’acteur se délecta du doux
contact des courbes généreuses de la jeune femme.
— Vous tenez sur vos pieds ? demanda-t-il.
Elle garda longuement le silence, puis opina du chef.
— Je crois que oui.
— Vous n’avez pas trop froid ?
— Ça va, merci.
Il aurait tant voulu s’imprégner de son parfum, l’embrasser au creux du cou, mais il se contenta de
maintenir sa main dans son dos pour lui éviter une chute. S’il devait y avoir plus, elle lui ferait signe.
Ils demeurèrent ainsi tout le long du trajet menant à la prison de sinistre mémoire.

Sur le ponton d’arrivée, un garde du National Park les accueillit.
— Bienvenue à Alcatraz.
L’homme aux cheveux gris, dont la voix autoritaire apportait une terrifiante authenticité à la visite des
lieux, se présenta comme un certain Sam Maines. Robuste et grave, il semblait autant à sa place sur le
Rocher que l’aurait été un garde au siècle dernier.
Tandis qu’il aidait Valentina à débarquer, Smith se jura de contacter le vieil homme si un rôle de
figurant de ce type venait à manquer. C’était à peine s’il avait cillé en reconnaissant le comédien.
Sous l’impulsion du vent, Valentina se blottit contre lui pour se réchauffer. Décidément, la nuit
s’annonçait des plus palpitantes. De plus, la jeune femme n’avait pas lâché sa main depuis leur arrivée
sur l’îlot. Main dans la main, ils suivirent leur guide jusqu’à l’entrée sud, dépassant le quartier des
officiers.
— Il faisait très froid sur Alcatraz, leur expliqua Sam. C’était un endroit rude et sans pitié, mais aussi
le foyer des gardes et de leurs familles entières.
L’histoire avait toujours passionné le comédien, surtout les récits aussi hauts en couleur que celui-ci.
Mais ce soir, Smith n’avait d’yeux que pour Valentina et pour la façon dont elle demeurait pendue aux
lèvres du vieil homme tandis qu’il leur contait les aventures d’Al Capone et ses tentatives de corruption
envers les gardes. Bien sûr, tous ses privilèges lui avaient été refusés entre les murs de la vieille prison.
Elle ne s’en rendait pas compte mais, à chaque détail passionnant, la jeune femme lui serrait
davantage la main.
Après une demi-heure de visite, Sam les mena dans le quartier des détenus. Tous trois arrivèrent au
milieu des cellules – le lieu qu’on nommait Broadway – et demeurèrent silencieux au cœur du vieux
bâtiment de ciment et de barreaux.
— Je vous laisse explorer quelques minutes par vous-mêmes, déclara Sam.
Smith et Valentina descendirent l’allée dans un respectueux silence.
— Vous les entendez ? fit soudain la jeune femme.
Les échos. Oui, Smith les entendait, lui aussi.
— C’est à croire que la prison n’est vide que depuis hier, reconnut-il.
Ils firent halte devant une cellule marquée d’une plaque.
— Ici, trois hommes tentèrent une évasion, lut Valentina.
Elle lâcha la main de Smith et pénétra dans la cellule ouverte afin de mieux apercevoir le trou béant
dans le mur de ciment.
— Dire qu’ils ont passé des mois entiers à creuser cette sortie, alors que tout le monde croyait cela
impossible, rêvassa-t-elle. Vous imaginez ? (Smith se plaça juste derrière elle.) Vous croyez qu’ils ont
réussi ?
— L’eau est très froide. Qu’est-ce que vous en dites ?
— Qu’ils étaient des criminels et qu’ils avaient très certainement leur place ici, mais je ne peux
m’empêcher de rêver qu’ils ont pu s’en tirer vivants. (Elle se tourna vers lui et sourit.) Et qu’ils ont fini
par rendre au centuple les années qu’ils n’avaient consacrées qu’à eux.
Qui aurait cru que Valentina puisse être si romantique ? Probablement très peu de gens. Lui, en
revanche, l’avait très vite décelé. Dès la première scène qu’il avait tournée avec Tatiana. Même
longtemps après l’arrêt de la caméra, Smith avait vu l’émotion que cela avait provoquée chez Valentina.
Soudain, une alarme retentit et la porte de la cellule se ferma sur eux. Prise de panique, Valentina
bondit dans les bras de l’acteur.
— Vous saviez qu’il ferait ça ? demanda-t-elle, peu rassurée.
— Non.
Je lui ai juste fourni le plus gros pourboire de sa carrière pour qu’il mette le plan en place, c’est
tout.
— On voit les choses sous un autre angle, d’un coup, n’est-ce pas ? fit Smith.
Les beaux yeux de Valentina se posèrent sur lui, brillant dans l’obscurité.
— Oui. C’est… différent.
Smith n’était pas du genre à rompre une promesse mais il ne put s’empêcher de pencher son visage
vers le sien. Que ses joues étaient douces. Lorsqu’elle passa ses bras autour de son cou, l’acteur réprima
un grognement.
— Combien de temps va-t-il nous garder enfermés ici, selon vous ? hasarda la jeune femme à son
oreille.
Le souffle léger de Valentina provoqua chez lui une érection telle qu’il n’en avait jamais connu. L’air
de rien, il fit glisser ses mains jusqu’à la naissance de ses reins.
— Trop peu de temps, fit-il en toute honnêteté.
La jeune femme leva vers lui un regard chargé de désir. À couper le souffle !
Bon Dieu, ce qu’il aurait voulu pouvoir l’embrasser, ici et maintenant ! Valentina lui donnait de telles
bouffées de chaleur que le petit espace exigu de la cellule se réchauffait lentement. Elle était à deux
doigts d’exiger un baiser, comme il l’avait longtemps escompté, mais un bruit de pas vint rompre le
sensuel silence qui régnait entre eux.
Avant que l’on ne vienne les libérer, Smith approcha ses lèvres des siennes et, les frôlant à peine,
déclara :
— Trop peu de temps, c’était un euphémisme…
11

Une fois sortie de la prison, Valentina eut le souffle coupé par la vision aussi romantique
qu’inattendue qui s’offrit à elle à la faveur de la lune. Une table pour deux avait été dressée juste au-
dessus des rochers battus par les vagues. Quatre chauffe-plats avaient été disposés sur une nappe d’une
blancheur immaculée.
Au centre, une belle rose dans un vase.
Désir et passion.
— Vous avez faim ? s’enquit Smith.
Pas que de nourriture, se dit la jeune femme. Si Smith avait profité de la lune, il aurait aperçu ses
traits, tendus par le désir. Le jeune homme l’aida à s’asseoir et s’installa à son tour. La table n’était pas
bien grande et leurs genoux se touchaient, un contact qui, malgré sa gêne, lui arracha un sourire. Le
comédien leur servit un verre de vin – un cabernet issu des vendanges de Marcus – et souleva les cloches
de leurs assiettes.
L’estomac de la jeune femme se fit entendre lorsqu’elle vit le plat de crabes et de homards qui
s’offrait à elle. Comment Smith était-il parvenu à faire venir de tels mets sur Alcatraz, elle n’en avait pas
la moindre idée. Sam s’était éclipsé et il n’y avait aucun serveur ou cuisinier en vue. Valentina et Smith
étaient seuls.
— Votre estomac est fin gourmet, on dirait, se moqua le comédien en s’emparant d’une fourchette.
Valentina ne se fit pas prier et l’imita.
— C’est délicieux, gémit-elle dès la première bouchée.
Smith, pris de court par cette déclaration, interrompit sa dégustation, les yeux brûlants d’un désir
grandissant.
— Ravi que ça vous plaise, fit-il d’une voix suave.
À quand remontait son dernier vrai repas ? Avec le rythme acharné du tournage, elle peinait à s’en
souvenir.
Elle prit une nouvelle bouchée et ferma les yeux sous le coup du plaisir gustatif.
— J’avais oublié le bien-être qu’apporte un bon repas, déclara-t-elle, tâchant de tempérer la voracité
de son appétit. C’est incroyable. Le bateau, le repas, tout. (Elle tendit la main à travers la table et la posa
sur la sienne.) Merci, Smith.
— Merci à vous de m’avoir proposé de venir, fit-il, entremêlant ses doigts avec ceux de la jeune
femme.
Valentina ne put réprimer un nouveau sourire. Smith s’était donné tant de mal pour lui faire plaisir.
Cette soirée était absolument magique.
— Eh bien, vous aviez l’air de vouloir revoir Alcatraz, souligna-t-elle. Cette visite vous a-t-elle
inspiré ?
— Peut-être bien. Et vous ?
La question la surprit.
— Je dois avouer que je me demande comment vivaient les femmes sur cette île.
— Il me semble qu’elles étaient toutes mariées aux gardes.
— En effet, mais qui parle de mariages heureux ? (Smith arqua un sourcil curieux.) Et si l’une d’entre
elles était amoureuse d’un autre homme que son mari ?
— Un prisonnier, vous voulez dire ? demanda-t-il, les yeux brillants.
— Absolument, fit-elle, excitée par cette perspective de fiction. Et admettons qu’il tombe amoureux à
son tour, mais que leur amour soit impossible !
Pendant un long moment, Smith ne dit rien, ce qui convenait très bien à la jeune femme.
— J’adore cette idée, Valentina, finit-il par déclarer, enthousiaste, caressant le dos de sa main avec
son pouce. Vous savez, Tatiana m’a parlé du script que vous avez écrit.
— Non ? Je vais la tuer !
Valentina s’était confiée à George car c’était un ami de longue date. Smith n’était qu’une
connaissance et, bien que la distance entre eux se réduise de jour en jour, un secret restait un secret.
— Vous savez comment sont les petites sœurs, fit-il, en connaissance de cause, visiblement amusé et
ravi à la fois. J’aimerais beaucoup le lire, en fait.
— Mon script, vous voulez dire ?
— Oui. Tatiana m’en a touché deux mots et j’ai dans l’idée que ça va me plaire. Beaucoup.
Valentina retira vivement sa main et secoua la tête.
— Pas question.
— C’est une marotte chez vous !
Il avait parlé sur le ton de la plaisanterie mais on pouvait sentir toute sa frustration.
— Répondez sincèrement, reprit-il. Pensez-vous que je fasse du bon travail sur Gravity ?
— Bien sûr que oui. Travailler avec vous est notre meilleure expérience, à Tatiana et à moi.
— Alors, pourquoi ne pas me laisser lire votre script ?
— Parce que je ne veux pas que vous pensiez que c’est la raison de ma présence ici, ce soir.
Smith se pencha pour lui caresser délicatement la joue.
— Jamais je ne penserais ça de vous, Valentina.
Oh, Dieu, ce qu’elle aurait aimé se blottir contre lui !
Mais non.
Pas de baiser. Compte là-dessus.
Bien décidée à changer de conversation – et à s’interdire toute tentation supplémentaire –, Valentina
se détourna des lèvres charnues de son compagnon.
— Et qu’est-ce que ma petite sœur adorée vous a dit d’autre ?
— Vous voulez vraiment le savoir ?
Son pouls s’accéléra. Même dans ses plus gros moments de faiblesse, Valentina ne s’était pas confiée
sur ses sentiments à l’égard de Smith.
— Vous êtes toujours si inquiète de tout. Tatiana vous adore et jamais elle ne vous ferait de mal
volontairement.
Valentina le savait bien. Mais sa famille lui avait déjà causé du tort, autrefois. Elle avait été blessée
par sa propre mère qui, après la mort de leur père, s’était désintéressée de ses filles au moment où elles
en avaient le plus besoin et s’était muée en une tout autre personne.
— Vous ne devez pas blâmer votre sœur, poursuivit-il. Elle n’a vendu la mèche qu’à cause de mon
insistance. Je voulais en savoir le plus possible sur vous.
— Et qu’a-t-elle dit d’autre ?
— Elle m’a avoué, entre autres, qu’adolescente vous étiez une vraie fan de Bon Jovi.
Valentina partit d’un rire franc.
— J’avoue, mais si vous écoutez bien leurs paroles, elles sont à la fois intelligentes et pleines de
poésie.
— Je suis d’accord avec vous. Je le ferai savoir à Jon à l’occasion. De la part d’une aussi jolie fan,
il sera ravi.
— Vous connaissez Jon Bon Jovi ? s’exclama-t-elle. Qu’est-ce que je raconte ? Bien sûr que vous le
connaissez, marmonna-t-elle. Pour info, je vais étouffer ma sœur avec son oreiller dès demain ! Navrée,
mais vous allez devoir vous trouver une autre vedette pour votre film.
D’abord hilare, Smith reprit très vite son sérieux.
— Elle m’a aussi dit que vous aviez abandonné vos études pour vous consacrer à sa carrière.
— Un choix que je n’ai jamais regretté, affirma-t-elle, bien décidée à ce que Smith ne prenne pas ça
pour un sacrifice.
— J’en suis persuadé. C’est d’ailleurs pour cela que vous formez une si bonne équipe, toutes les
deux. Vous êtes chacune totalement dévouée à ce que vous faites.
Valentina prit sa fourchette, déterminée à festoyer.
— Maintenant que vous connaissez tous ces embarrassants détails sur ma vie, à votre tour de vous
ridiculiser, fit-elle en pointant sa fourchette sur lui. Et pas de tricherie ! Je veux savoir des choses qui ne
sont pas dans vos interviews.
Il la dévisagea avec l’innocence du nouveau-né et s’empara de sa fourchette.
— C’est promis. Mais je ne suis pas du genre à traîner des casseroles derrière moi, vous savez.
— Vous êtes l’homme parfait, alors ?
— Vous en doutiez ?
Nouvel éclat de rire.
— Non. (Elle enfourna une bouchée de pommes de terre sautées et but une généreuse gorgée de vin.)
Pas le moins du monde.
Le silence qui s’ensuivit devint gênant. S’était-il senti insulté d’une quelconque manière ? Si c’était
le cas, il n’en laissa rien paraître.
Au contraire, il semblait ravi.
— Vous ne voyez pas en moi qu’une star, n’est-ce pas ?
La question avait été posée le plus sérieusement du monde et, visiblement, il espérait une réponse du
même acabit. Une semaine plus tôt, Valentina aurait eu une réplique toute faite pour lui clouer le bec, mais
son respect pour lui avait évolué depuis lors.
— Dès notre rencontre, je dois reconnaître que vous m’avez épatée. (Elle titilla son verre à pied,
cherchant la formulation adéquate.) J’ai rencontré toute une brochette d’acteurs durant ma carrière. Ceux
qui ont travaillé avec ma sœur… et ceux qui sont sortis avec ma mère. (Elle balaya cette désagréable
pensée.) Je n’attendais pas grand-chose de vous. D’autant qu’en comparaison vous êtes infiniment plus
connu.
Valentina secoua la tête, se souvenant de leur première entrevue. Un simple coup d’œil de cet homme
ténébreux avait suffi à la mettre dans tous ses états. Même avec Tatiana et George dans la pièce, leur
attraction mutuelle était prégnante.
— Vous avez reçu un coup de fil, ce jour-là, se rappela-t-elle. Quand vous avez vu qui vous appelait,
vous avez eu un sourire radieux et vous êtes sorti pour répondre. D’abord, je vous ai pris pour une de ces
divas qui pensent pouvoir tout se permettre. (Elle leva la tête et croisa son regard.) Mais j’ai compris
qu’il s’agissait de votre sœur enceinte. Vous sembliez si inquiet.
Valentina avait définitivement craqué pour lui ce jour-là.
Mais il était encore temps de sauver les meubles.
Son métier, se rappela-t-elle. Il fallait insister sur son métier.
— Vous avez raison : j’ai vu au-delà de votre célébrité, commença-t-elle. Et ce dès le premier jour.
Mais tout ça… (Elle désigna les restes de nourriture et la Baie). Disons que ce n’est pas un monde à la
portée du premier venu. Mais je vous remercie pour ce conte de fées. Je ne suis pas près de l’oublier.
— Moi non plus.
Pendant un quart de seconde, Smith s’attarda sur les lèvres de la jeune femme, comme s’il n’avait tout
à coup plus l’intention d’attendre son bon vouloir pour un baiser. Mais il ne tenta rien.
— Que diriez-vous d’un dessert ? offrit-il.
Que ne dirais-je pas d’un baiser, plutôt.
— Avec joie, merci.
Smith fit paraître une boîte en carton rose dont la jeune femme souleva le couvercle avec une
appréhension fiévreuse.
Joie et désir s’entremêlèrent à la vue de deux ravissants cupcakes. L’un d’entre eux arborait un
glaçage représentant l’adorable visage de Smith derrière des barreaux de prison.
Sur l’autre était dessinée au sucre glace la silhouette facétieuse de Valentina, une petite clé pendant au
bout de son index.
La jeune femme ne fit aucune demande, n’exigea rien. Sans plus attendre, elle se redressa, se pencha
par-dessus la table, saisit Smith par la nuque… et l’embrassa.
12

Ce baiser nourrit l’enthousiasme de Smith, soudain dévoré par une envie primale de découvrir tous
les charmes de Valentina, chaque courbe dissimulée par l’étoffe de ses éternels tailleurs. Mais Sam et
Billy attendaient de pouvoir les ramener sur la côte. S’ils n’avaient pas été là, Smith ne se serait pas fait
prier pour la prendre ici, sur les rochers et sans ménagement.
— Couchez avec moi, fit-il. Cette nuit.
— J’en ai envie…
Enfin, Smith se sentit récompensé pour ses efforts.
Enflammé, l’acteur prit la jeune femme par la main et la poussa à se lever de table, bien décidé à
rentrer au plus vite pour assouvir ses désirs, mais la jeune femme résista et s’empara de la boîte de
cupcakes.
— Vous m’aviez promis un dessert, se plaignit-elle.
Doux Jésus. Ce mot – dessert – était si sensuel prononcé par cette femme ! Smith en aurait volontiers
oublié tous ses principes de gentleman. Le visage giflé par les vents de la Baie, il l’embrassa de plus
belle, avec une avidité renouvelée. Valentina trembla de froid et Smith se força à rompre leur étreinte.
Sur le pont, leur guide les attendait.
— Merci encore pour cette superbe visite, monsieur Maines, remercia chaleureusement Valentina.
Jamais je ne l’oublierai !
— Tout le plaisir était pour moi, fit Sam, la rudesse de ses traits contrebalancée par sa joie manifeste
d’être complimenté par une aussi belle femme.
Smith lui serra la main et aida Valentina à grimper à bord du navire, mais cette fois-ci, il ne la mena
pas sur le pont, préférant l’intimité du petit salon privatif. Il y avait également une suite de luxe et Smith
fut très tenté de l’y emmener. S’il avait été lui-même aux commandes, l’acteur aurait jeté l’ancre dans la
Baie et aurait honteusement profité de sa compagne en pleine mer.
Billy était un gars des plus discrets, mais pas question d’avoir le moindre quidam dans les environs
quand lui et Valentina feraient enfin l’amour. Personne en dehors de lui n’entendrait ses gémissements de
plaisir tandis qu’il la posséderait avec toute la passion qui le caractérisait, l’embrassant des pieds à la
tête et capturant sa bouche de la sienne.
Le moteur du bateau vrombit sous leurs pieds tandis qu’ils prenaient place sur le divan. Toutefois,
Smith demeura très sage et garda Valentina au creux de ses bras. Le moindre baiser lui ferait perdre tout
contrôle de lui-même et ce n’était pas ce qu’il souhaitait.
Mais la jeune femme ne lui facilita guère la tâche avec ses petits baisers dans le cou et ses courbes
pressées contre lui. Smith caressa son visage avec douceur, de ses joues jusqu’à la naissance de son
corsage. La jeune femme haleta au creux de sa nuque.
Dieu, ce qu’elle était réactive. Il en avait déjà eu un aperçu lors de leur premier baiser mais là,
c’était au-dessus de tout. À croire que jamais aucun homme n’avait jusqu’ici eu le privilège de caresser
cette peau de lait.
Mais tout excité qu’il fût, Smith ne devait pas oublier la présence de Billy, quelques marches au-
dessus d’eux, sur le pont. Ce fut avec un énorme effort de volonté qu’il renonça à ses caresses et lui prit
la main.
Rien à faire. Son désir était bien trop impératif. Le comédien bouillait intérieurement. Lui prendre la
main, masser gentiment sa paume moite avec son pouce, voilà qui était aussi excitant que n’importe quel
préliminaire.
Le regard avide qu’elle lui accorda faillit bien avoir raison de son self-control. D’un pouce taquin, il
caressa la lèvre de la jeune femme.
Les yeux clos, Valentina laissa échapper un délicieux gémissement, aussi sincère que quand elle
s’était délectée de leur repas exquis – la distance en moins.
Cette femme n’était plus que pur désir, la sensualité incarnée.
Et quand elle enroula sa langue avide autour de son doigt, Smith se joignit à ce concerto des délices,
si excité que la jeune femme ne résista pas à le chevaucher.
Smith les enveloppa d’une couverture et emprisonna les hanches de Valentina entre ses mains
puissantes. Sa silhouette était totalement adaptée à ses paumes, comme il l’avait imaginé. Sa partenaire
prit une de ses mains dans la sienne et, de l’autre, s’appuya contre son torse puissant, dans lequel son
cœur battait avec impatience.
— Nous sommes bientôt arrivés, fit-il, autant pour elle que pour lui.
Jamais il n’avait eu aussi hâte qu’une balade en bateau s’achève. C’était comme tenir une longue
apnée.
— Très bien, fit la jeune femme, toujours aussi haletante. Cela nous laisse le temps de parler.
— Parler, c’est bien, oui, reconnut-il, incapable de la balayer de ses pensées.
— Parle-moi de ta famille. J’ai rencontré Marcus et Nicola, et tu m’as déjà parlé de Sophie. Mais les
autres ?
Pendant quelques instants, Smith vit défiler les visages de ses frères et sœurs, incapable de se
rappeler qui était qui. Concentre-toi. Comment s’appellent-ils, déjà ?
— Chase, parvint-il enfin à articuler. Il est photographe. Marié. Sa femme s’appelle Chloé. Ils ont un
bébé. Emma, elle s’appelle.
On aurait dit un robot récitant mécaniquement des informations. Mais c’était tout ce dont il se sentait
capable, trop enivré par la présence toute proche de la jeune femme, trop impatient de pouvoir explorer
son corps plus avant.
— Quel âge a-t-elle ? demanda Valentina.
— Trois mois.
— Oh, elle doit être adorable ! s’extasia la jeune femme.
Si Smith n’avait pas déjà craqué devant la beauté et physique et mentale de cette femme, cette
réaction à la mention de sa nièce lui aurait définitivement fait perdre pied.
— Elle l’est, fit-il. Nous sommes tous gâteux.
La jeune femme s’attarda un instant sur ses lèvres entrouvertes puis revint vers ses yeux.
— Dis-moi tout sur les autres.
Elle avait raison de faire la conversation. Cela les distrairait suffisamment pour ne pas péter les
plombs.
— Sophie, ma sœur dont je t’ai parlé, tu sais ? Eh bien, elle est bibliothécaire. Elle m’a été d’une
aide très précieuse lors de l’écriture de Gravity. C’est elle aussi qui me conseille pour mes rôles depuis
plus de dix ans.
— On dirait bien qu’elle aime t’aider.
— Et il y a Zach. Il est propriétaire d’un garage. Il vient de se fiancer à Heather. Elle est dresseuse de
chiens.
— Les chiens du puzzle sont les siens, alors ?
— Pas le caniche, précisa-t-il. Lui, il est à Summer. C’est la fille de Megan, la future femme de Gabe,
mon frère qui est pompier. Ils se marient au Nouvel An.
— Vous avez tous des vies et des métiers si différents. Je discute un peu avec Vicki chaque fois
qu’elle passe déposer une sculpture sur le plateau. Elle sort avec ton frère qui fait du base-ball, c’est ça ?
— Ryan, oui. En fait, ils se sont fiancés aussi.
Incapable de se retenir, Smith replaça une mèche de cheveux derrière l’oreille de Valentina.
— Alors, tu es le seul homme libre de la famille ? s’enquit-elle.
Libre ? À dire vrai, Smith ne se considérait plus comme célibataire depuis sa rencontre avec
Valentina – sans parler de leurs récents échanges passionnés.
— Il y a ma sœur Lori, la jumelle de Sophie, expliqua-t-il. Elle est chorégraphe. On la surnomme la
Vilaine et Sophie, la Gentille.
— Vilaine, hein ? rit Valentina. Et elle aime ce surnom ?
— Disons qu’elle aime semer la discorde et qu’elle espère bien faire ça toute sa vie, ricana-t-il en
retour.
— En voilà une que je vais jalouser, fit la jeune femme, la main toujours à plat contre son torse. Être
vilaine sans peur des conséquences doit être très libérateur.
Oh, bon sang ! Smith avait bien senti tout ce que Valentina dissimulait sous ses dehors pleins de
discipline, mais l’entendre dire ces mots le mettait en émoi.
Le bateau se mit à l’arrêt, provoquant une secousse qui rapprocha dangereusement les lèvres de
Valentina des siennes.
— Il faut que je monte aider Billy, dit-il d’une voix éraillée par un désir qu’il tentait tant bien que
mal de garder sous contrôle.
Pourtant, le comédien ne fit pas mine de bouger ne serait-ce que le petit doigt.
— Je t’accompagne, lâcha Valentina, le regard plein d’une sensualité renouvelée. Tu me diras ce que
je dois faire.
Prendre les commandes, Smith avait toujours adoré ça. Qu’est-ce que cela serait, se demanda-t-il, si
elle lui intimait la même chose au lit ? Il lui accorda un bref mais intense baiser.
— Je n’imaginais pas que tu étais du genre à accepter qu’on te donne des ordres, fit-il d’un air
moqueur.
Elle lui mordilla la lèvre inférieure et murmura :
— C’est que personne n’a encore osé.
Ce défi fit naître en lui un délicieux frisson tandis qu’elle le dépassait pour se ruer sur le pont.
La dextérité dont faisait preuve la jeune femme avec les nœuds troubla Smith, dont les doigts
glissèrent sur la corde à plusieurs reprises. Tous trois réussirent toutefois à arrimer le navire au ponton,
puis Smith et Valentina souhaitèrent bonne nuit à Billy et retournèrent à la Jaguar.
— Avant d’aller chez toi, je voudrais que l’on établisse ensemble certaines règles, déclara la jeune
femme.
Malgré ce ton sensuel dont elle ne s’était pas départie depuis leur baiser, la jeune femme était on ne
peut plus sérieuse. Smith n’aimait pas les règles. Elles l’entravaient. Bien sûr, il savait quand s’y plier si
la situation l’exigeait. Mais il savait aussi parfaitement quand les enfreindre.
Toujours tiraillé par son désir, Smith se gara dans une rue sombre et coupa le contact de la voiture.
— Tout ce que je veux, c’est te donner du plaisir, Valentina. Plus que tu n’en as jamais connu.
C’est insuffisant. Il faut te montrer plus convaincant.
— Je te promets que je ne ferai rien dont tu n’auras pas envie. Rien du tout. Uniquement ce que tu
voudras.
Elle lui adressa un regard à la fois prudent et impatient qui le toucha au plus profond de son être.
— Je sais, je te crois, fit-elle.
— Quoi qu’il se passe chez moi… (Il fit une pause, pour bien lui laisser le temps d’accepter cette
information.)… sache que je mettrai tout en œuvre pour que ni toi ni moi ne regrettions la nuit que nous
allons passer ensemble.
Ou plutôt les nuits, car il n’y en aura pas qu’une, tu peux me croire.
Un long silence s’ensuivit et Valentina reprit la parole.
— Je ne regretterai rien. (Elle posa la main sur la sienne.) Cette nuit ensemble, j’en ai autant envie
que toi… mais ce sera la seule.
Du bout du pouce, elle caressa le dos de la main de Smith, comme pour faire passer en douceur la
règle claire qu’elle venait d’établir. Une nuit et pas plus, qu’il le veuille ou non.
L’acteur porta alors la main de la jeune femme à ses lèvres et y déposa un baiser – le seul qu’il
s’accorderait jusqu’à ce qu’ils soient enfin seuls, à l’abri de son foyer. Aller plus loin au volant signerait
leur arrestation pour attentat à la pudeur.
De toute façon, Valentina pouvait penser ce qu’elle voulait. Elle et lui, ce serait plus que pour une
nuit. Tout comme ses frères et sœurs ou sa mère et son père, ce serait définitif.
13

Aussitôt la voiture rentrée au garage, Smith bondit du véhicule, ouvrit la portière côté passager et
souleva Valentina dans ses bras.
— N’oublie pas les cupcakes, insista-t-elle, reprenant assez conscience pour ne pas oublier ce détail.
Dès que je les ai vus, je nous ai imaginés les manger après l’amour…
La jeune femme se pencha pour les récupérer. Bon Dieu ! Ils n’étaient même pas encore dans sa
chambre et toujours habillés, mais Smith ne tenait déjà plus en place.
Il la reprit dans ses bras et céda à un baiser salvateur. Depuis le temps qu’il avait envie de Valentina !
C’était comme accéder à un vieux rêve. Le désir impatient qui couvait dans son regard allait de pair avec
le feu qui colorait ses pommettes hautes et ses lèvres naturellement cramoisies.
Debout au milieu du salon, Smith et Valentina échangèrent un baiser – plus un frôlement de lèvres, en
réalité. Du bout de la langue, il dégusta les saveurs légèrement épicées de sa lèvre inférieure. La passion
lui tordit les entrailles tandis qu’elle gémissait de plaisir et qu’il réaffirmait sa prise sur elle, contre elle.
Et quand, enfin, leurs langues s’entremêlèrent, ce fut au tour de Smith de gronder son contentement.
La tenir dans ses bras, l’embrasser… Combien il avait attendu cet instant ! Valentina posa ses mains
sur sa mâchoire, réclamant ainsi plus de baisers et de passion débridée. La jeune femme était décidément
encore plus sexy qu’il ne l’avait imaginé.
Smith explora chaque recoin de ses lèvres, de l’arc de Cupidon jusqu’aux commissures, mordillant la
chair pleine et sensuelle qu’il apaisa avec de petits coups de langue appliqués.
— Oh, Smith ! susurra la jeune femme, haletante. Tu me fais tourner la tête !
Nouveau baiser.
— Parfait, se félicita-t-il. Comme ça, on est quittes.
Soudain, les baisers de la jeune femme gagnèrent en voracité. C’en était fini de la douceur, entre eux.
Ne restait que l’envie, pure et sauvage. Celle qui transforme le désir en besoin de posséder
complètement.
— Je t’en prie, Smith, haleta-t-elle, hors d’haleine entre deux fougueuses étreintes.
— Oui ? Dis-moi. Tout ce que tu veux.
— Encore. J’en veux encore !
Cette demande enflamma ses sens. Et ils n’en étaient même pas au stade des préliminaires. Emporté
comme il l’était par cette danse sensuelle de baisers et de caresses qu’ils partageaient, comment lui
refuser quoi que ce soit ?
— Très bien, fit-il, s’emparant à nouveau de ses lèvres avec une extrême douceur. Je pourrais faire
ça toute ma vie.
Les pupilles noisette de la jeune femme s’étaient à ce point dilatées qu’elles en viraient au vert.
— Et partout, ajouta-t-elle.
Ce simple mot, la sensualité avec laquelle la jeune femme l’avait prononcé, provoqua chez Smith un
afflux sanguin immédiat.
— Je veux que tu m’embrasses partout, Smith.
L’acteur ne se fit pas prier et couvrit son visage de baisers, des contours de sa mâchoire jusqu’au
lobe de son oreille qu’il captura entre ses lèvres, envoyant un délicieux et continu frisson le long de
l’échine de sa partenaire. Comment parvenait-elle à dissimuler autant de sensualité au jour le jour ? Elle
qui était si réceptive à chacune de ses attentions.
À deux doigts de se perdre dans le plaisir sur la moquette du salon, Smith se ressaisit et gravit
l’escalier menant à sa chambre à coucher. D’un bras autour de sa nuque, Valentina s’accrocha à lui, tout
en gardant les cupcakes dans sa main libre.
Dans ses fantasmes, Valentina perdait toujours tout contrôle d’elle-même sous ses assauts. Mais il
avait eu tout faux. C’était à elle que revenait l’honneur de lui infliger ce doux traitement. Et elle n’avait eu
besoin que de quelques baisers pour cela.
Tandis qu’il se tenait au pied du lit, la jeune femme de ses rêves dans ses bras, Smith voulut céder lui
aussi. Perdre le contrôle. S’abandonner.
Valentina posa la boîte en carton sur les draps et Smith s’empara de ses doigts. Les deux amants se
dévisagèrent longuement et Smith, à la faveur du silence, aurait pu jurer qu’il décelait les battements
emballés de leurs deux cœurs.
Une pulsation rapide.
Dangereuse.
Mais délicieuse.
Enfin, le comédien s’étendit sur la jeune femme et l’embrassa avec une fougue renouvelée, chaque
baiser plus intense que le précédent. Généreuse en tout point, la jeune femme lui rendit chaque attention et
enserra son bassin entre ses jambes moulées dans son jean.
Tant de passion.
De douceur !
Valentina pressa davantage ses voluptueuses courbes contre lui. Encore, songea-t-il. J’en veux
encore plus.
Le visage enfoui au creux de sa nuque, Smith murmura :
— Tu es trop vêtue à mon goût.
Il s’empara du bas du sweat-shirt de la jeune femme, ses doigts frôlant son ventre à travers son tee-
shirt.
De son côté, Valentina s’immisça sous celui de Smith, trouvant un jeu d’abdominaux en béton qui se
contractèrent à son contact.
— Tu as raison, fit-elle en lui mordillant le lobe. Toi aussi, tu es trop habillé.
Enhardi, Smith lui retira son sweat-shirt et son tee-shirt en même temps. Mise en valeur par un
soutien-gorge noir digne d’un mannequin, sa poitrine se souleva avec arrogance. Sans plus attendre,
l’acteur explora chacun de ses seins avec une avidité contrôlée.
— Dieu merci, te voilà enfin tout à moi.
Chaque effleurement la fit frémir et s’abandonner davantage. Caresse par caresse, Smith gagnait du
terrain. L’acteur se serait volontiers abandonné à ses pulsions, lui aussi, mais cela devrait attendre, car
cette voluptueuse poitrine à la peau si douce requérait toutes ses attentions.
Toutefois, l’envie de céder était forte. Smith aurait bien oublié tous ses principes et arraché chaque
vêtement de sa partenaire pour donner libre cours à la violence de son désir. Sois un peu raisonnable.
Peut-être serait-il préférable qu’elle domine, du moins au début.
Smith fit pivoter son amante et en un rien de temps, elle le chevaucha, les mains plaquées sur ses
robustes épaules. Ses cheveux couleur miel encadrèrent son visage, ses seins débordant presque de
l’étoffe de sa lingerie.
La position idéale pour savourer ta beauté.
Mais quelle erreur n’avait-il pas commise, là ! Ce sourire sensuel… L’effet qu’elle lui faisait… Il
aurait fallu l’enfermer à double tour derrière une cage inviolable pour l’empêcher d’aller trop vite avec
Valentina. La jeune femme faisait tant monter sa température interne qu’il ne tiendrait pas longtemps dans
cette position, qui lui accordait un libre accès à sa plastique irréprochable.
Mais l’étendue de sa bêtise ne lui sauta aux yeux que lorsqu’il vit la jeune femme commencer à
dégrafer son soutien-gorge.
Bon sang de bon sang de… !
Quelle beauté !
Jamais il n’avait vu de poitrine aussi parfaite. Ces seins de rêve étaient complètement adaptés à ses
mains. Smith les prit entre ses doigts et les soupesa. Et réactifs, avec ça, conclut-il en titillant ses tétons
dardés par le désir. Sans réfléchir, Smith se redressa et les goûta avec avidité.
— Dieu, ce que c’est bon, râla-t-elle sous les assauts de son partenaire, qui léchait ses seins avec
avidité et enthousiasme, la mordillant par à-coups. Si bon, Smith !
— Si tu savais depuis combien de temps j’attends ça, fit-il, pris de délicieux vertiges.
Valentina ne répondit que par des gémissements extatiques, bien plus qu’il n’en fallait au comédien
pour être ivre de désir et de cette saveur tout exotique qui s’offrait à lui.
— J’aime ton goût, Valentina. Tellement !
Chacun de ses mots était plus chargé de désir que le précédent. Depuis vingt ans qu’il séduisait des
femmes et les menait jusqu’à l’orgasme, jamais il n’avait connu une chose pareille. La douceur de la peau
de la jeune femme balayait toutes ses expériences passées.
— Tout le monde me croit obsédé par mon film, commença-t-il. Mais en vérité, je ne pense qu’à toi,
depuis le début. (Il enfouit son visage au creux de son cou.) Tu sens tellement bon, fit-il en lui massant le
cuir chevelu. Tes cheveux me coulent littéralement entre les doigts.
D’une pression du bassin, il força la jeune femme à se cambrer davantage.
— J’ai hâte de t’entendre jouir, conclut-il d’une voix rauque.
— Oh oui ! gémit-elle, plaquant le visage de son amant contre sa poitrine. Fais-moi jouir !
Doux Jésus ! Smith ne s’était vraiment pas trompé. Cette femme, c’était quelque chose. Hypnotisante,
enchanteresse, et aussi audacieuse au lit qu’au travail… Tout ce dont il rêvait depuis des années.
Tâchant de contrôler ses tremblements extatiques, Smith entreprit de défaire la fermeture Éclair du
jean de sa partenaire. La jeune femme se redressa et se débarrassa elle-même de son pantalon et, au
passage, de sa petite culotte. Elle défit ses chaussures, se dénuda complètement et, en un battement de
cils, fut de retour contre les hanches de son amant.
Smith parcourut lentement et avec précision chaque courbe nue offerte à lui, se délectant jusqu’à la
lie de la plus belle vision qu’il lui ait été donné de voir.
— Je crois que je n’ai jamais été aussi heureux, déclara-t-il.
Valentina ondula du bassin, ronronnant tel un chat et sans aucune gêne vis-à-vis de son corps. Sa
partenaire s’offrait complètement à lui.
— Moi non plus, fit-elle à son tour, s’emparant de son visage pour lui accorder un baiser d’une
indécente sensualité.
Soudain, la douceur céda à la fougue et Smith inversa les rôles, faisant basculer la jeune femme sur le
dos. Leurs deux corps nus avaient défait les draps et le comédien, en appui sur les mains, se gorgea de la
sublime beauté qu’il dominait.
Une peau légèrement dorée, rosie par endroits ; une prodigieuse poitrine ; des hanches à se damner.
Smith eut du mal à parler ou même à penser quoi que ce soit.
— Je… Donne-moi une seconde. (Il reprit son souffle une fois, puis deux fois.) Tu es si belle,
Valentina…
Il se reprit bien vite et la couvrit de baisers de la tête aux pieds, de ses seins arrogants jusqu’à la plus
infime parcelle de peau offerte. Ses caresses allaient de pair avec ses lèvres, explorant chaque détail de
son anatomie avec une lenteur et un sens du détail des plus appliqués.
Chaque pression de ses lèvres sur son ventre plat et musclé tirait des frissons à la jeune femme. Fou
de désir, Smith conserva un rythme soutenu tandis qu’il descendait plus bas, vers la toison tant convoitée.
Le comédien s’empara de ses hanches, se délectant de sa peau chaude et humide. Dorénavant, Smith
connaîtrait tout, chaque goût que recelait son épiderme.
Mais il en voulait plus.
Avec un râle, il posa ses lèvres entre ses jambes, lui octroyant de longs et généreux coups de langue.
Une fois, deux fois… trois fois. Il sentit qu’elle s’emparait de sa chevelure, forçant le visage de son
amant plus avant contre son intimité. Soudain, les gémissements de la jeune femme retentirent et
ricochèrent contre les murs de la chambre, une extase qui à elle seule contenta le comédien au-delà de
toute espérance.
Même après ce délicieux orgasme, Smith ne put se résoudre à se défaire de tant de douceur, Valentina
tremblant encore entre ses mains, ses muscles intimes enfin relâchés. Tandis qu’il quittait son intimité
gorgée de plaisir pour remonter vers son nombril trempé de sueur, Smith comprit une chose : il ne se
lasserait jamais d’elle. Jamais.
Le plus dur restait à faire. Comment convaincre Valentina de recommencer d’autres nuits – toutes les
nuits ?
Une question qui devrait trouver sa réponse plus tard. Car pour l’heure, le plaisir était de mise.
Et sur ce point au moins, Valentina lui appartenait.
14

Valentina observa Smith, plus ténébreux que jamais. Il la toisait avec une intensité telle que son cœur
rata un battement.
Les deux amants se désiraient avec une égale intensité et pourtant, un autre sentiment tordait les
entrailles de la jeune femme – un besoin réclamant plus qu’un échange physique. Cette sensation, la jeune
femme avait pendant bien longtemps essayé d’en faire abstraction.
C’était un besoin de réconfort lors de longues soirées d’hiver.
Un besoin de confiance absolue, de pouvoir se confier quand tout allait mal.
Un besoin de se tenir la main sur des chaises longues en regardant ses enfants – et petits-enfants –
jouer ensemble.
En elle, la tendresse égala la passion et elle attira Smith à elle, lui accordant un baiser encore plus
doux que tout ce qu’ils avaient déjà partagé – mais pas autant que ses mains et sa langue explorant
habilement chacune de ses courbes et chaque repli de son intimité. En l’embrassant, elle sentit son propre
goût sur ses lèvres et frémit au souvenir de son visage enfoui entre ses cuisses.
Smith était si désirable. Rien d’anormal à être aussi réactive. Mais cet attachement soudain, cette
envie irrépressible et grandissante… Voilà qui était inédit.
Une envie de plus en plus dévorante.
Soudain, son amant s’empara d’un de ses seins et immisça son autre main entre ses jambes, et ce fut
le plus naturellement du monde que Valentina, à peine remise de son précédent orgasme, écarta les
cuisses et se livra aux délicieux plaisirs de ses caresses.
— Bon Dieu, Valentina, jura-t-il en mordillant le creux de son cou. Tu es si excitée… Toute prête
pour moi…
Chaque pénétration de ses doigts, chaque caresse de sa paume, provoquait une éruption en elle. Smith
la menait vers des sommets dont elle craignait de ne jamais redescendre.
— Oh, Smith !
Était-ce une supplique ? Valentina n’aurait su le dire. Les yeux écarquillés par le plaisir, elle plongea
son regard dans le sien, avide et plein d’intenses émotions. Des sentiments ô combien partagés.
— Je suis là, l’assura-t-il d’un ton doux, tandis qu’il la menait vers de nouvelles hauteurs et des
territoires inconnus. Jouis, Valentina. Jouis encore pour moi.
Comme elle le voulait ! Ne serait-ce que pour cette nuit, ne pouvait-elle n’être rien qu’à lui ?
Soudain, la jeune femme baissa ses défenses si patiemment érigées. Sa bouche, ses caresses et sa
langue en elle, sa tendresse, en avaient dissous chaque barreau. Tandis que les vagues successives de
plaisir engloutissaient sa volonté, la jeune femme réalisa qu’elle n’était plus que besoin physique et désir
sexuel… et qu’elle n’en ressentait aucune gêne.
Smith continua son exquise exploration, se délectant du résultat de ses habiles caresses. Il l’embrassa
sur tout le corps, de ses seins offerts jusqu’à l’intérieur de ses cuisses. Ses mains ne la quittèrent jamais,
malaxant les muscles tendus de ses bras, de son dos et de ses jambes afin de les relaxer.
Tout cela était terriblement excitant – elle nue et lui toujours habillé. Mais le petit jeu avait assez
duré et ce fut avec une impatience folle qu’elle défit sèchement la chemise de son amant, sans se soucier
une seule seconde des boutons qui volèrent en tous sens autour d’eux ni de l’étoffe déchirée.
De leurs quatre mains, ils entreprirent de dévêtir le jeune homme, la beauté de sa peau bronzée
contrastant avec la pâleur de Valentina. En sa présence, la jeune femme se sentait plus féminine et plus
sensuelle qu’avec n’importe qui d’autre.
Mais ce n’était guère volontaire. Valentina ne se livrait pas à lui. Smith n’avait qu’à exiger et il
recevait.
Valentina avait beau émettre des réserves vis-à-vis des hommes, elle n’avait pas vécu une vie chaste
pour autant. Mais être avec Smith, c’était comme faire l’amour à nouveau pour la première fois. C’était
plus qu’une attirance physique qui les rapprochait : c’était un véritable miracle.
Du moins, l’était-il, lui.
Jamais je n’ai connu d’homme aussi beau, songea-t-elle tandis que Smith, enfin nu, s’emparait d’un
préservatif.
Depuis leur rencontre, Valentina avait bien profité de la beauté de ses traits, mais enfin, le reste de
son corps s’offrait à ses yeux – épaules larges, abdomen et bras aux muscles noués, hanches et cuisses
puissantes, le tout tendu sous une peau tannée par le soleil.
— Laisse-moi une seconde, fit-elle. Enfin, je peux te regarder…
D’une main tremblante, elle fit courir son doigt le long de la ligne bien définie de ses abdos en acier,
ne s’arrachant à sa contemplation que pour lui accorder un baiser des plus coquins.
— Prends ton temps, déclara Smith d’une voix rendue rauque par le désir.
Valentina n’était pas peu fière d’avoir cet effet sur lui. Certes, sur le plan physique, la jeune femme ne
pouvait l’égaler – et franchement, qui le pourrait ? – mais elle avait le pouvoir de lui rendre chaque
attention avec autant de passion que nécessaire.
Tandis qu’elle parcourait ses pectoraux, la jeune femme réalisa que son attirance pour lui était encore
plus forte qu’elle ne voulait bien l’admettre. D’un geste brusque, elle tira sur le boxer de son amant et –
oh, mon Dieu – en un rien de temps, sa proéminente virilité fut couverte de latex. Son amant s’étendit
tout contre elle, les mains posées de part et d’autre de son visage.
Aucune pénétration. Aucun baiser. Smith se contenta de regarder intensément sa partenaire dans les
yeux, comme si en les fixant assez longtemps, il y découvrirait la réponse à une question qu’il s’était trop
longuement posée.
— Valentina, murmura-t-il.
La sensualité avec laquelle il avait prononcé son nom était telle que Valentina serra les doigts de son
partenaire et leva la tête pour plaquer un baiser sur ses lèvres, un échange brutal et avide qui les fit
presque s’entre-dévorer.
Tout en lui la subjuguait. Sa musculature, la toison drue de son torse, la chaleur incroyable qu’il
dégageait. Tous les fantasmes secrets qu’elle nourrissait depuis leur rencontre prenaient vie sous ses
yeux.
Enfin, il la pénétra. Jamais la jeune femme ne s’était sentie aussi vivante. Ses muscles intimes
enserrèrent son membre viril et, sous le coup du plaisir, Valentina ferma les yeux et intensifia les
mouvements de son bassin contre ses hanches, enfonçant plus profondément la virilité de son partenaire
en elle.
Les deux amants étaient comme connectés, au point qu’elle pouvait presque sentir le cœur de Smith
battre dans sa propre poitrine. D’un baiser fougueux, il étouffa le gémissement qu’elle laissait échapper à
l’approche de l’orgasme qui allait secouer son corps entier. Avec des gestes attentionnés, Smith saisit les
chevilles de la jeune femme, qu’il plaça autour de ses hanches. Puis il se laissa diriger par son désir.
Lorsque leurs lèvres se séparèrent, Valentina sentit immédiatement un manque insupportable.
Cela faisait des semaines qu’elle gardait Smith à distance, dissimulant le secret de ses sentiments
pour lui à tout le monde – y compris à elle-même.
Mais le secret se dévoilait enfin, vaincu par l’incessant désir de son partenaire.
S’emparant de ses cheveux, la jeune femme attira l’acteur à elle. Une seule nuit ensemble ? Non,
impossible. Elle le voulait entièrement, qu’il prenne tout ce qu’il désirait. Une telle voracité sexuelle ne
lui ressemblait pourtant pas.
Enfin, tandis que les deux amants s’offraient mutuellement un plaisir parfaitement cadencé, la danse
sensuelle se mua en une tornade coquine et chacun jouit avec délice dans les bras de l’autre.


Malgré le poids massif de Smith sur elle, Valentina ne s’était jamais sentie aussi bien, aussi comblée
de toute sa vie.
— Je crois que tes draps sont fichus, commenta-t-elle en constatant le désordre ambiant. Regarde-moi
ce saccage, le titilla-t-elle, goûtant la saveur salée de sa nuque.
— C’est tant mieux.
Smith semblait terriblement satisfait d’avoir mis sa literie en l’air, et le vrombissement de sa poitrine
contre son oreille raviva le désir de la jeune femme.
La nuit était encore jeune et Valentina comptait bien profiter de chaque heure qu’il leur restait.
— Je suis prête à manger mon dessert, fit-elle d’une voix complice.
Smith se redressa sur un coude et lui sourit d’un air charmeur.
— Moi qui croyais qu’on venait justement de le consommer.
Elle lui accorda un baiser à faire tourner la tête.
— C’était juste un amuse-bouche, rétorqua-t-elle.
Smith parti d’un franc éclat de rire. Un son des plus agréables à son oreille, presque autant que le
plaisir qu’il lui avait octroyé – et ce n’était pas peu dire. Chaque caresse, chaque baiser, chaque muscle
frôlant son corps avait été un bonheur de tous les instants.
Nimbé de sa glorieuse nudité, Smith se leva et traversa la chambre jusqu’à son armoire, d’où il sortit
quelque chose qu’elle ne put voir.
— Les cupcakes sont de l’autre côté, lui rappela-t-elle, soudain inquiète de ce que l’acteur avait en
tête.
— Ferme les yeux, lui intima-t-il.
— Pourquoi ?
— Fais-moi confiance, fit-il avec un sourire. Tu vas aimer.
Le mot confiance prenant un tout autre sens dans la bouche de cet homme, Valentina acquiesça et ce
fut avec une pointe d’inquiétude qu’elle prit place au bord du lit. Confier son corps à un homme était une
chose, mais sa confiance ? Rien n’était joué d’avance sur ce point-là.
Mais tandis qu’elle le regardait droit dans les yeux, Valentina fut surprise – voire presque choquée –
de découvrir qu’elle lui accordait en réalité plus de confiance qu’à n’importe qui d’autre. Mais encore
une fois, c’était une nuit particulière et rien, absolument rien, ne pouvait rompre le charme qui les
unissait.
Valentina expira avec force et ferma les yeux. Elle sentit soudain qu’on recouvrait ses yeux d’un tissu
soyeux. Elle n’eut guère le temps de protester car une délicieuse odeur chocolatée lui monta aux narines.
— Vas-y, mords, intima Smith.
La jeune femme obéit et toute une gamme de saveurs lui emplit la bouche.
— Mmm !
Elle lécha ses lèvres couvertes de glaçage, bien vite imitée par Smith.
— Délicieux, râla-t-il.
Valentina prit une nouvelle bouchée. Jamais dessert ne lui avait paru si exquis. Elle s’attendait à un
nouvel assaut de Smith sur ses lèvres mais ce fut sur le bout d’un sein, puis de l’autre, qu’elle sentit le
moelleux de la pâtisserie.
— Ils sont fourrés, fit Smith d’un air appréciateur. Tu le savais ?
Dans l’expectative de ce qui allait advenir, Valentina ne répondit rien.
— Je ne reconnais pas ce goût, reprit l’acteur. Peut-être que tu pourrais m’aider…
— Oh, Smith, je t’en prie !
La voilà qui quémandait à nouveau. Mais peu lui importait dès lors que la langue délicieuse de son
amant parcourait son corps. Toutes ses craintes et sa fierté initiale s’envolaient aussitôt. Impatiente,
Valentina saisit l’épaule de Smith tandis que ce dernier léchait avidement les dernières traces de crème
pâtissière sur son second sein.
Ce ne fut qu’une fois la dernière miette disparue qu’il lui accorda un nouveau baiser.
— Alors, fit-il. De quel goût s’agit-il ?
De l’amour, se dit-elle.
C’est le goût de l’amour fou !
Le mot interdit avait fait irruption dans ses pensées sans y être invité et la brusque vérité qu’il
recélait la crispa entre les bras de son partenaire.
Inquiet, Smith défit immédiatement la cravate dont il s’était servi pour l’aveugler et lui caressa les
bras d’un geste rassurant.
— Je t’avais promis de ne rien faire sans ton accord, rappela-t-il. C’est le bandeau ? Je n’aurais pas
dû ?
Non, ce n’est pas cela. J’ai adoré.
Valentina entoura la nuque de son amant de ses bras.
— Tu n’as rien fait de mal, crois-moi, le rassura-t-elle.
Au matin, la jeune femme aurait fort à faire pour réinstaurer ses barrières. Cette petite crise
d’angoisse était là pour lui rappeler que, quoi qu’elle fasse avec son corps, son cœur, lui, se devait de
rester protégé.
— Je suis toute collante, fit-elle sur un ton plus léger et joueur.
Smith l’observa intensément pendant un long moment puis, obéissant au fantasme secret de sa belle,
prit la jeune femme dans ses bras et la porta jusqu’à la salle de bains.
Tandis que l’eau coulait dans la baignoire, Smith explora la peau de la jeune femme, mordillant
l’espace entre son épaule et sa nuque. La jeune femme se cambra immédiatement dans l’eau.
— J’ai encore envie de toi, lâcha Smith.
— Oh, oui, moi aussi !
Smith sortit un préservatif – d’où provenait-il ? Qu’importe –, l’enfila et s’invita avec elle dans la
baignoire, rendant encore plus spéciale leur seconde fois ensemble.
Et tandis que Smith la prenait, sauvagement, passionnément, Valentina comprit que, quel que soit le
nombre de fois où ils feraient l’amour, leurs étreintes seraient toujours spéciales.
Même après des années passées ensemble.
Quelques instants plus tard, Valentina, lavée et séchée, se sentit exténuée. Smith la prit dans ses bras
et la coucha avant de se lover contre elle pour la nuit.
La jeune femme avait toujours préféré dormir seule et ne s’était jamais sentie bien en partageant son
lit – même avec Tatiana, lorsqu’elles étaient enfants. Cette unique nuit avec Smith n’incluait pas l’option
sommeil.
Mais la chaleur des bras de son partenaire autour d’elle et celle de ses mains tout contre son cœur ne
lui laissaient guère d’autre choix que s’abandonner à sa nocturne compagnie, chassant les ténèbres de ses
pensées avec la douceur toute naturelle qui le caractérisait.
15

Le lendemain matin, Valentina s’étira, encore engluée dans le sommeil, et soupira d’aise en constatant
la proximité de son amant de la veille. Il fallut de nombreux baisers et autres douces attentions de ce
dernier pour que la belle daigne enfin s’éveiller pour de bon.
Elle se raidit soudainement.
Oh, mon Dieu ! Qu’ai-je fait ?
Oui, ils avaient couché ensemble, et oui, c’était de son plein gré. La jeune femme avait passé les
heures le plus agréables, les plus sensuelles de toute sa vie et jamais elle n’en éprouverait le moindre
regret. Mais à travers les rideaux de la chambre, le soleil lui rappela qu’elle avait enfreint une de ses
règles d’or, la plus importante : Ne pas passer la nuit avec un amant.
En tant que femme de chair et de sang – et d’hormones –, quoi de plus naturel que de céder à l’appel
du sexe ? D’autant que la nuit avait été de qualité et avait vu chacun de ses fantasmes devenir réalité.
Mais elle n’en demeurait pas moins une personne vulnérable, et se retrouver au petit matin avec
Smith pour le petit déjeuner ne l’enchantait guère.
Il fallait trouver un moyen de prendre la poudre d’escampette, et au plus vite.
Mais lorsque l’acteur fit courir de nouveaux baisers sur son visage, le long de son nez, sur ses joues
et enfin sur son menton, toute sa volonté fondit comme neige au soleil et le désir, plus ardent encore que
la veille, refit surface en elle. La tentation de prolonger la nuit passée était grande – très grande.
Combien de règles de conduite avait-elle enfreintes pour ce seul homme… ? Combien en
enfreindrait-elle encore ? Cette pensée en tête, elle se lova dans les bras de son partenaire et se cambra
tout contre lui.
Soudain, la désagréable vibration d’un téléphone portable vint la sortir de sa sensuelle torpeur.
Les yeux écarquillés, elle se redressa en s’appuyant contre son torse.
— Ton téléphone, il…
— Ça peut attendre, l’interrompit-il.
Même plongée dans le stupre, Valentina n’avait jamais tourné le dos à un emploi du temps chargé –
des années au service de sa sœur lui avaient bien appris à gérer l’urgence. Cette nuit passée avec Smith
lui avait clairement embrouillé l’esprit.
— Tu as une interview téléphonique avec Tatiana, Smith ! Entertainment Magazine !
L’info n’avait pas encore fait son chemin dans la tête de Smith que la sonnerie du téléphone de
Valentina vint se joindre à la sérénade – certainement Tatiana. Sa jeune sœur avait passé la soirée à Los
Angeles – une soirée pour actrices montantes. Elle ne soupçonnerait jamais leur idylle de cette nuit mais,
sans nouvelles du comédien, pas étonnant qu’elle tente de la joindre pour savoir où il se trouvait.
Smith pouvait peut-être se permettre d’ignorer ses coups de fil, mais pas elle. Se détachant du corps
massif de son amant, elle déambula, nue, jusqu’à son sac à main d’où elle extirpa son portable.
— Hé, Tat’ ! Salut.
Pas de questions, pas de questions, je t’en prie !
La jeune femme se glissa à nouveau sous la couette, couvée par le regard avide de Smith.
— J’ai Beth d’Entertainment Magazine en ligne, lui apprit sa sœur. Elle attend encore que Smith
l’appelle. Est-ce qu’il t’a parlé d’une annulation quelconque, hier soir ?
— Non, il n’a rien dit de tel. Peut-être qu’il est juste en retard ? Il ne voudrait pas te mettre dans
l’embarras.
Smith, visiblement loin de se sentir concerné, saisit la jeune femme par la taille, l’attira contre son
corps – déjà paré à l’action – et lui octroya un baiser fugace et inattendu.
Valentina laissa échapper une plainte mi-amusée, mi-agacée.
— Val ? fit Tatiana. Tout va bien ?
— Je vais voir si j’arrive à le joindre, fit-elle.
Et pour la première fois, Valentina lui raccrocha au nez.
Pleine de frustration – et de désir –, la jeune femme se tourna vers Smith qui s’était déjà emparé de
son propre portable.
— Beth ? fit-il. C’est Smith. Désolé d’appeler si tard.
Loin de se déconcentrer, l’acteur reprit sa partenaire par la hanche et la garda tout contre lui, une de
ses jambes bloquant les siennes.
— Comment va votre fils ? Le football le passionne toujours autant ?
Muette comme une carpe, Valentina tendit l’oreille et devina le ton ravi de son interlocutrice. Pourvu
que je passe inaperçue.
Bien sûr, les caresses de Smith ne lui facilitèrent guère la tâche et il fallut à Valentina un gigantesque
effort de volonté pour ne pas gémir de plaisir – surtout après une nuit où tous les excès avaient été
permis.
Comment aurait-elle pu ne pas céder, d’ailleurs !
À l’origine, ce ne devait être que pour une nuit. Et ces caresses, cette douceur… Rien de tout ça ne
changerait quoi que ce soit à la seule et unique vérité :
Il était Smith Sullivan, la grande star de l’écran.
Elle l’avait oublié et c’était impardonnable.
Mais le mal était fait. Et il ne fallait plus jamais qu’elle se laisse aller à ce point.
Sur le plateau de tournage, Smith était un acteur, un réalisateur et un producteur. Mais en famille, à
Alcatraz, sur le bateau, partout ailleurs, il était un homme. Un homme merveilleux.
Et charmant. Et positivement borné.
Pendant qu’elle se morigénait et que Smith parlait au téléphone, la jeune femme eut de plus en plus
chaud. À aucun moment l’acteur ne fit mine de s’intéresser aux parties les plus intimes de son corps, ce
qui était d’autant plus frustrant. Elle n’en finira donc jamais, cette interview !
Pourtant, au fond d’elle-même, Valentina aurait souhaité qu’elle n’en finisse jamais, cette interview.
Car cela signerait la fin des délicieuses caresses que Smith lui octroyait et elle ne le voulait pour rien au
monde.
Enfin, après un temps qui lui avait semblé durer des heures, Smith posa son téléphone et focalisa son
entière attention sur son amante.
— Désolé, fit-il, faisant courir ses doigts le long de ses bras et de ses épaules. Où en étions-nous ?
Valentina inspira avec force.
— Je dois m’en aller.
La plupart des hommes auraient été on ne peut plus ravis de voir leur plan d’un soir s’éclipser sans
faire de vague. Certains lui auraient même demandé de ne pas trop claquer la porte en sortant… et
n’importe quelle femme aurait supplié Smith pour avoir l’insigne honneur de rester.
Mais peut-être était-ce justement ce non-conformisme dans leurs réactions qui les rapprochait ? La
jeune femme balaya cette idée.
— Je ne veux pas que tu partes, déclara Smith d’une voix qui la fit frissonner, sans jamais cesser ses
douces caresses.
— Nous étions d’accord, Smith, lui rappela-t-elle.
— Je sais. Mais ça, c’était avant.
Avant. Un mot qui induisait un après. Un après sensuel.
Ce qu’elle avait été bête. Comment avait-elle pu penser qu’elle pourrait se contenter d’une aventure
d’un soir ? Toute cette perfection qui caractérisait Smith était un véritable piège et elle était tombée en
plein dedans.
Le plus volontairement du monde.
Entre les liens professionnels et le dîner en tête à tête, Valentina commença à entrevoir l’amitié réelle
qui la liait au comédien. Et en tant qu’amant… Il battait toutes ses espérances.
Mais l’amitié était une chose. L’amour, une tout autre.
De plus, quelle que soit l’intensité des moments d’intimité qu’ils avaient partagés ici ou ailleurs,
Smith demeurait un acteur – le métier des sentiments éphémères. Des sentiments si prisés par sa propre
mère, et pour quoi au final ? Du vent. Si croire aux fées les rendait réelles, cela se saurait.
Pire encore, une relation avec lui impliquerait de voir leur vie privée étalée partout dans les
magazines, dans toute la presse, aux yeux de tous.
— Cette nuit était absolument magique, commença-t-elle, avec sincérité. Mais ça ne change rien à qui
tu es. Ni à qui je suis, d’ailleurs.
Même devant cette logique implacable, Smith ne fit pas mine de la lâcher. Au contraire, il maintint de
plus belle la jeune femme tout contre lui.
— Tu aurais dû me laisser filer pendant ton interview, reprit-elle, plus frustrée que jamais. Tu n’avais
pas le droit de me retenir. C’est injuste.
Soudain, aussi vif que l’éclair, Smith la prit par les poignets et les plaqua au-dessus de sa tête.
— Injuste ? répéta-t-il. Parce que tu trouves que quoi que ce soit entre nous est juste ? (Son regard
s’assombrit et il plaqua avec virulence sa bouche contre la sienne.) J’ai envie d’être avec une femme
mais elle me rejette à cause de mon travail. Parle-moi encore de justice !
Il mordilla sa lèvre inférieure et l’embrassa à nouveau. Sauf que, cette fois-ci, Valentina lui rendit
toute la passion de ce douloureux assaut. Smith se délestait de sa frustration sur elle et la jeune femme
aurait dû s’en trouver effrayée, mais elle se livra totalement à lui, se cambrant sous la pression de sa main
contre son sein.
Impossible d’avoir peur de lui. Il était si doux, si attentionné. Lorsqu’elle avait parlé de son père, il
l’avait tenue dans ses bras ; il traitait Tatiana comme la prunelle de ses yeux ; et il s’était conduit avec
elle en gentleman. Inutile de se mentir. Cette nuit n’avait pas été qu’une simple aventure : ils avaient
réellement fait l’amour.
Lentement mais sûrement, la main de Smith descendit vers son bas-ventre, encore et encore plus bas.
Il rompit leur étreinte et la toisa d’un air à la fois frustré et avide.
— Je travaille en ce moment sur le film le plus important de ma carrière, fit-il. Et pourtant, je passe
mon temps à penser à toi. Dis-moi, en quoi est-ce juste ?
Si elle avait été libre de ses mouvements, la jeune femme aurait caressé son visage pour le consoler.
Mais elle se contenta de secouer la tête.
La gorge et l’estomac noués, elle déglutit avec force tout en dévisageant ses magnifiques traits.
— Non. Ce n’est pas juste, conclut-elle.
Quoi qu’il veuille, Valentina ne pouvait pas le lui accorder. Sa vie, sa carrière… Tout était bien trop
compliqué, chez cet homme.
Au mieux pouvait-elle lui accorder d’ultimes instants de plaisir partagé.
Smith était plus fort, plus résilient qu’elle ne l’était. Mais l’idée de lui avoir fait de la peine la
meurtrissait. Toutefois, poussée par la passion qu’il lui inspirait, la jeune femme repoussa son amant et,
les poignets toujours prisonniers, le chevaucha.
Le cœur de Smith battait la chamade. Valentina ondula des hanches contre son membre dressé, sans
jamais aller jusqu’à la pénétration, jusqu’à ce que les deux amants soient pantelants d’excitation. D’une
main, Smith conserva les poignets de sa partenaire contre son torse et de l’autre, il s’empara de sa
hanche, l’aidant à atteindre un orgasme inattendu qui lui arracha un cri de plaisir et un frisson continu et
délicieux.
Elle redescendit sur terre et constata qu’elle était étendue sur le dos et que son amant la dominait à
nouveau. Encore agitée de soubresauts, elle entendit le bruit d’un tiroir qu’on ouvre, un emballage
plastique qu’on déchire, et se prépara à recevoir une nouvelle salve de plaisirs infinis et débridés.


Smith s’arrêta à deux doigts du coït.
Bon Dieu, qu’ai-je fait ?
— Pardonne-moi, Valentina.
— Te pardonner ? fit-elle d’une voix des plus séduisantes. Mais de quoi ?
La vérité le frappa comme un uppercut en pleine mâchoire. Il venait de passer ses nerfs sur la jeune
femme et elle n’avait pas réagi. Quel genre d’homme ferait cela ?
Smith prit l’un des poignets de son amante. Il était couvert de marques rouges.
— Je t’ai fait mal, se morigéna-t-il, embrassant le poignet meurtri. Je ne voulais pas, je m’excuse.
À sa grande surprise, la jeune femme posa sa main à plat sur sa joue.
— Tu ne m’as pas fait mal, le rassura-t-elle. C’est moi qui t’ai blessé et j’en suis désolée. (Elle
l’embrassa sur la joue et s’empara de son visage.) C’est pour ça qu’il valait mieux que je parte. Pour
nous épargner de la peine à tous les deux.
Nouveau baiser.
— Mais je ne veux pas partir, conclut-elle. Embrasse-moi encore.
Smith se rappela leur baiser à Alcatraz. C’était elle qui avait fait le premier pas, pas lui. D’ailleurs,
il avait grandement apprécié.
Mais cette nouvelle demande de baisers… Était-ce un signe de sa part, pour bien faire comprendre
qu’elle n’était pas blessée ? Tout était-il pardonné ?
Quoi qu’il en soit, il la désirait bien trop pour réellement s’en soucier. Des deux mains, il s’empara
de son visage et lui accorda le baiser demandé, qui se mua bientôt en long échange chaud et humide,
langue contre langue. Un baiser tourmenté, faisant naître une lumière nouvelle sur eux deux.
— Prends-moi, l’implora-t-elle en l’entourant de ses jambes. Je t’en prie, vite.
Smith enfouit son visage au creux de son cou. Était-elle bien réelle ? Ou n’était-ce qu’un rêve ? La
méritait-il après ce qu’il venait de faire ?
— Fais-moi l’amour une dernière fois, Smith.
Ta bouche, mon Dieu ! Jamais je ne m’en lasserai ! Perdant tout contrôle de lui-même, Smith la
pénétra et la jeune femme se cambra sous son assaut, le suppliant de la prendre encore plus vite, plus fort.
Smith avait toujours aimé le sexe, mais faire l’amour à Valentina était une tout autre expérience – plus
forte, plus intense que tout ce qu’il avait connu jusque-là. Les mots échangés se muèrent au fur et à mesure
en de longues plaintes enfiévrées.
Il voulait séduire plus que son corps. Tout son être, si c’était encore possible.
Après avoir joui de concert, les deux amants se dévisagèrent. Smith aurait pu rester ainsi des heures
durant pour la garder avec lui, mais son poids devait être étouffant pour la jeune femme. Il pivota, se mit
sur le flanc et caressa les cheveux de Valentina avec des gestes doux et attentionnés.
Mais cet instant fugace de bonheur ne dura pas.
— Je dois voir Tatiana, fit la jeune femme. Nous passons une journée entre filles. Cela fait une
éternité qu’on ne s’est pas retrouvées toutes les deux.
On aurait dit qu’elle essayait de se justifier. Smith fut rassuré. Valentina avait beau ne pas vouloir
sortir avec lui, elle tenait suffisamment à lui pour le ménager.
— Je dois vraiment filer, reprit-elle. Mieux vaut que je sois à la maison avant qu’elle revienne de
l’aéroport. Sinon, elle va se poser des questions.
Smith eut l’impression qu’on lui écrasait la poitrine avec un parpaing.
— Tu ne vas donc rien lui dire ?
Valentina s’arracha à ses bras et s’assit au bord du lit, couvrant sa nudité à l’aide du drap.
— Non, fit-elle. Je ne vais rien lui dire. Écoute, je n’ai aucun regret sur ce que nous avons fait, toi et
moi. (Elle le toisa de ses beaux yeux noisette et il sentit son cœur se serrer.) Mais nous savions très bien
comment cela finirait.
Smith tâcha de paraître impassible.
— Non, je t’avoue que je ne le sais pas. Éclaire donc ma lanterne.
Agacée, la jeune femme croisa les jambes et se tourna vers lui, le drap laissant apparaître les
délicieuses courbes de ses hanches.
— Nous allons reprendre le cours normal de nos vies, voilà tout. Tu as d’autres conquêtes qui
t’attendent et c’est très bien comme ça.
Puis sa voix monta d’un cran.
— On a fait l’amour, ça y est ! Tu peux passer à autre chose, Smith !
Là-dessus, elle glissa hors du lit et s’enferma dans la salle de bains.
Autre chose ? songea-t-il en enfilant son jean. Certainement pas.
Dix minutes plus tard, Valentina le rejoignit dans la cuisine où il leur servit du café. Les cheveux
encore mouillés, la jeune femme s’était habillée à la va-vite, tenant ses chaussures à la main.
— Reste donc encore un peu, proposa-t-il. J’ai des beignets à la cannelle.
La jeune femme parut surprise de cette offre, et encore plus en avisant les pâtisseries posées au centre
de la table. Son estomac se mit à gargouiller.
— Tu me compliques vraiment la tâche, tu sais.
— Qui a dit que ça devait être compliqué ?
Pour Valentina, l’amour n’a pas à être compliqué, se dit-il. Autant jouer sur cette corde sensible.
Puis il repensa aux dires de sa mère : « Il est parfois plus difficile d’admettre l’amour dans sa vie que de
s’en priver. »
Ce sage conseil en tête, Smith s’empara du sac de la jeune femme et lui présenta une chaise pour
s’asseoir. D’abord contrariée, elle soupira et céda à son insistante invitation.
— Ce n’est pas juste et tu le sais, le morigéna-t-elle, avant d’engloutir un morceau de beignet avec un
gémissement satisfait. Mmm ! Je ne connais rien de meilleur ! Bien sucré, comme je les aime, en plus.
Smith, tout sourire, se servit à son tour. Il se pencha par-dessus la table et lécha le sucre qui perlait au
bord des lèvres de Valentina. Cette dernière lui lança un regard sévère.
— Smith…
— Valentina ? fit-il avec un sourire.
La jeune femme tâcha de dissimuler son propre sourire, puis se cacha derrière ses cheveux.
Elle termina son petit déjeuner, fit sa vaisselle et s’apprêta à lui dire au revoir le plus poliment
possible, mais Smith la prit dans ses bras.
— Merci de m’avoir laissé t’aimer, cette nuit, déclara-t-il.
Il l’embrassa, dévorant les dernières traces de sucre qui parsemaient ses lèvres. Lorsqu’il recula, il
constata le feu qui lui dévorait les joues, ainsi que le désir naissant qui embrumait son regard. La jeune
femme luttait de toutes ses forces pour lui résister, il le voyait bien.
Smith était un adulte, maintenant. Assez en tout cas pour savoir que le sexe, aussi agréable soit-il,
n’était pas tout. Si lui et Valentina avaient vécu de si délicieux instants ensemble, c’était justement parce
qu’elle n’était pas qu’une simple conquête ou un mystère à résoudre qui lui aurait échappé.
Contrairement aux autres, cette femme comptait réellement pour lui.
Se pouvait-il qu’elle soit l’élue absolue de son cœur ?
La réponse lui parut totalement évidente.
— Nous ne pouvons pas continuer comme ça, Smith, déclara-t-elle d’un ton résolu. Cette situation est
bien trop compliquée. Et si ma sœur le découvre…
— Elle sera très heureuse pour nous deux, j’en suis sûr, conclut-il à sa place.
Valentina tendit le menton en avant.
— Tant qu’elle n’aura pas à prendre parti pour l’un ou l’autre, oui. Nous sommes sœurs et nous
sommes prioritaires l’une pour l’autre. Devoir renoncer à ton amitié lui briserait le cœur. Tu ne veux pas
ça et moi non plus.
— Sois franche : si je n’avais pas été acteur et que nous n’avions pas travaillé ensemble sur ce
projet, serais-tu restée avec moi plus d’une nuit ?
Surprise par la question, la jeune femme s’arma de courage et répondit :
— Oui, Smith.
Puis elle s’arracha à ses bras, prit son sac et son manteau et fonça droit vers la porte.
— Mais je ne vais pas jouer à faire comme si, fit-elle par-dessus son épaule. Alors à quoi sert de se
poser la question ?
L’expression de Valentina, forte et déterminée, hanta le comédien pour le reste de la journée.
Pourtant, malgré son air bravache, Smith avait décelé ce qu’elle dissimulait sous la surface : son envie de
croire à un vrai conte de fées… et de le vivre.
Et il pouvait exister, ce conte de fées. Smith était plus que prêt à le lui prouver. Et il serait plus beau,
plus intense que toutes les paillettes que Hollywood avait à offrir.
16

Valentina était à peine changée qu’elle entendit frapper à la porte.


Vêtu d’un legging et d’un sweat-shirt, la jeune femme alla ouvrir à sa sœur, tâchant de dissimuler au
mieux l’émotion sur son visage. Certes, elle n’avait pas hérité du gène de l’actrice, mais aucune raison
que Tatiana décèle quoi que ce soit, n’est-ce pas ?
— Désolée pour le retard, Val, s’excusa cette dernière en entrant. Mon vol a été retardé. Mais j’ai
appelé le spa pour les prévenir que nous serions un peu en retard.
— Super, s’extasia la jeune femme avec un brin trop d’enthousiasme. J’ai hâte d’y être !
Tatiana s’éclipsa dans la chambre pour déposer son sac de voyage. Mentir, même par omission,
mettait Valentina mal à l’aise. Elle avait tellement honte qu’elle avait l’impression d’être suivie par un
panneau avec écrit « Menteuse » dessus.
Quelques minutes plus tard, les deux jeunes femmes étaient en route pour le spa au volant de la Mini
Cooper de Tatiana.
— Alors, comment était L. A. ? s’enquit Valentina.
— Plutôt bien. C’est fou ! Travailler avec Smith change énormément de choses ! D’après les gens que
j’ai rencontrés, c’est une veine inespérée qu’il m’ait personnellement choisie pour le rôle. Tu te rends
compte ? Le film n’est même pas encore sorti qu’on parle déjà d’Oscars !
— Ce n’est pas rien, en effet ! Et crois-moi, vu comme il ne tarit pas d’éloges à ton sujet, il ne
regrette absolument pas son choix.
Tatiana sourit d’aise.
— Je sais que tout le monde le vénère et que nous avons un bon contact, mais je me sens assez
nerveuse, parfois, confia-t-elle. Mais c’est sûrement à cause de… ce qu’on dit.
Tatiana jeta un rapide coup d’œil à sa sœur et n’en dit pas plus.
— Qu’est-ce qui se dit exactement ? s’enquit Valentina de la voix la plus posée possible.
— Des trucs. Enfin, tu sais comment c’est, à Hollywood. Tout le monde est supposé coucher avec tout
le monde. Mais je leur ai assuré que Smith et moi n’étions que de bons amis.
Les mains de Valentina se crispèrent sur ses genoux.
— Désolée que tu aies à affronter ce genre de choses. Avec tout le travail que tu abats, tu n’as pas
besoin de ça en plus.
— On savait dès le départ que ce genre de rumeurs était presque inévitable dans le milieu,
philosopha la jeune actrice. Mais ce ne sont que des rumeurs, alors je ne m’en fais pas. C’est juste que, si
Smith fréquente quelqu’un, je ne voudrais pas qu’elle soit blessée en pensant qu’il lui fait des infidélités.
Si seulement elles pouvaient parler d’autre chose ! Valentina aurait tué pour pouvoir changer de sujet
mais sa sœur avait besoin d’être rassurée.
Ce qu’elle aurait aimé pouvoir se confier à elle. Mais que dire ? Au fait, j’ai couché avec Smith,
hier. Et quand j’ai voulu filer au petit matin, il m’a retenue de force… et tu sais quoi, petite sœur ?
J’ai aimé ça.
Impossible. Cela gâcherait tout dans leurs relations professionnelles. De plus, que dire exactement ?
Ça avait été une nuit fantastique, parfaite, voilà tout.
Et il n’y en aurait pas d’autres, c’était certain.
— Si une femme sort avec un homme comme Smith Sullivan, elle doit bien s’être résolue à lui faire
confiance… autrement, il y aurait de quoi perdre la tête !
À moins que le constant harcèlement de la presse ne s’en charge.
— Tiens, au fait ! Et Alcatraz ? C’était comment ?
— Super ! répondit Valentina avec un peu trop d’enthousiasme, avant de lui faire le récit de sa soirée
avec Smith et Sam.
Un récit qui laissait de côté toute possibilité de questions indiscrètes.


— Tatiana ! Merci infiniment de nous avoir invitées !
Valentina signa le registre du spa et se tourna. Quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à
Vicki Bennet, accessoiriste du tournage – et accessoirement petite amie du frère de Smith –, accompagnée
de deux femmes à la troublante ressemblance. Au seul détail près que l’une des deux était enceinte
jusqu’aux yeux.
C’est étrange, se dit-elle. Elles ont comme un air de…
— Salut ! Je suis Lori. Lori Sullivan ! fit l’une des jumelles en lui serrant la main. Voici ma sœur,
Sophie, ajouta-t-elle en désignant son binôme enceinte.
Comme si garder le secret de sa relation avec Smith n’était déjà pas un calvaire, voilà qu’elle se
retrouvait avec un quart du clan Sullivan sur le dos ! La jeune femme tâcha de ne pas paniquer.
— Ravie de vous rencontrer. Ça fait plaisir de te voir, Vicki.
Les deux jeunes femmes n’avaient pas passé énormément de temps ensemble sur le plateau, mais
Valentina trouvait le travail de sculpture de Vicki admirable.
Hier encore, ç’aurait été un plaisir pour Valentina de rencontrer les membres du clan Sullivan. Mais
maintenant, les prochaines heures allaient être un véritable calvaire.
Si elles savaient.
— Allez ! fit Lori avec enthousiasme. Le bain minéral, d’abord ! Soph’, tu n’auras qu’à tremper les
pieds. Sinon, ton ventre va se transformer en cocotte-minute pour bébés.
L’intéressée leva les yeux au ciel.
— Charmante, n’est-ce pas ? fit-elle à l’intention de Valentina.
La jeune femme sourit. Ces deux-là étaient manifestement très proches. Pas étonnant que Smith les
adore. Certes, comme toutes les familles, la fratrie devait parfois être à couteaux tirés mais les deux
sœurs semblaient s’adorer.
Une fois en tenue de bain, la petite troupe prit place dans l’eau chaude. Tatiana fut appelée pour un
massage du visage et Valentina se retrouva seule avec les Sullivan. Malgré leur sympathie, la jeune
femme se sentit gagnée par la nervosité.
Après tout, pourquoi devrait-on parler de Smith ? Ce n’est pas comme si elles étaient au courant.
Rien que de penser à cette nuit passée avec Smith lui donnait des bouffées de chaleur – qui n’avaient
rien à voir avec l’eau du spa.
Grâce aux infos qu’elle avait soutirées à Smith sur ses frères et sœurs, la jeune femme allait pouvoir
alimenter la conversation pour détendre l’atmosphère.
— Alors, Lori, commença-t-elle. Ton frère m’a dit que tu étais chorégraphe. J’adorerais voir ton
travail. (Elle se tourna vers Sophie.) Il m’a aussi dit que tu l’avais beaucoup aidé pour ses rôles. J’ai
moi-même été tentée de visiter la bibliothèque mais j’ai eu tellement de travail que je n’ai pas eu une
minute à moi, ces derniers temps. Je pourrais passer des heures à lire.
— Je passe la plupart de mon temps en maternité, en ce moment, expliqua la jeune femme, les mains à
plat sur son ventre rond. Mais si j’ai un peu de temps, je t’y accompagnerai avec le plus grand des
plaisirs.
Passer du temps avec la famille de Smith, voilà qui ne risque pas de m’aider à tourner la page !
Pourtant, l’offre était alléchante et les deux jeunes femmes très sociables.
— Et le travail avec Smith se passe bien ? s’enquit Vicki.
Valentina tâcha de déceler un sous-entendu quelconque dans ses propos. Leur proximité sur le plateau
s’était-elle remarquée ? Mais la jeune femme semblait tout simplement curieuse.
Cesse ta paranoïa, Valentina.
Ça ne te va pas du tout au teint.
— Tatiana et moi nous amusons beaucoup, répondit-elle. Il y a beaucoup de travail mais l’ambiance
est détendue. Tatiana a travaillé dans de bien pires conditions, en tout cas.
— Smith est génial, fit Lori, comme de bien entendu.
C’est pas faux, songea Valentina avec un soupir résigné.
Oui, Smith était génial. Abordable, amical et polyvalent. Une vraie source d’inspiration pour son
équipe. Sans parler de ses talents de comédien.
— Lui et moi sommes les deux seuls célibataires de la famille, expliqua Lori, avant de désigner Vicki
et Sophie du menton. Tous les autres sont si heureux en couple que c’en est à vomir.
— Eh bien, eh bien ! fit sa jumelle d’un air moqueur. Si ça c’est pas de l’amertume !
En réprimande, Lori éclaboussa Sophie, puis tourna toute son attention vers Valentina.
— Si tu savais comme c’est fatigant d’être entourée de couples ! J’ai l’impression d’avoir cette
stupide chanson de Taylor Swift dans la tête, qui tourne en boucle ! Tu sais, celle où elle dit qu’il ne faut
jamais retourner avec son ex… mais qu’on le fait quand même, conclut-elle en soupirant.
Sophie fronça soudain les sourcils.
— Attends, tu veux dire que…
— Et toi ? l’interrompit Lori en s’adressant à Valentina. Es-tu aussi atteinte par la folie amoureuse
qui contamine les Sullivan ? Y aurait-il une personne si spéciale pour toi que tu ne peux pas te passer de
lui une seule minute de ta vie ?
Pour Valentina, le temps ralentit soudain. C’était comme si l’eau s’était mise à couler goutte après
goutte dans leur bassin.
Mens ! Et tâche d’être convaincante !
— Eh bien, il y a bien un homme, lâcha-t-elle, incapable de contrôler ses paroles. Mais ça ne collera
pas, alors j’essaye de ne pas trop l’encourager.
L’écho de ses paroles résonna à ses oreilles plusieurs secondes après les avoir prononcées. Une
chance que Tatiana ne soit pas là, autrement elle m’aurait harcelée de questions ! « C’est qui, ce
garçon ? », « Pourquoi tu ne m’as rien dit ? », etc.
— Oooh, fit Lori en se penchant en avant, soudain terriblement curieuse. Et il est mignon ?
— Oui, répondit-elle, rouge comme une pivoine.
Mais mignon est un euphémisme.
« Complètement canon » conviendrait mieux pour décrire la sombre beauté virile de Smith Sullivan.
— Par contre, il…
— Tu couches avec lui, c’est ça ? s’extasia Lori en l’interrompant.
Valentina ouvrit des yeux grands comme des soucoupes devant le manque de tact de la jeune femme.
Frappée de honte, Sophie éclaboussa sa sœur jumelle.
— Ne réponds pas, intima la jeune bibliothécaire à Valentina.
— C’est vrai, ne te donne pas cette peine, fit Lori, hilare, en se séchant le visage. Je le vois rien qu’à
ton expression. Tu as beau ne pas vouloir l’encourager, il m’a l’air d’être un sacré bon coup !
Sophie leva la main en guise de menace et Lori se protégea le visage.
— C’est bon, j’arrête ! Promis !
Une promesse vaine. En quelques instants, le pugilat entre sœurs dégénéra en bataille d’eau générale,
Vicki et Sophie aspergeant la jeune curieuse tandis que Valentina l’aidait à se défendre. Lorsque Tatiana
revint, elle les trouva toutes les quatre, trempées et hilares, telles de vieilles copines en train de
s’amuser. La jeune actrice les rejoignit et la bataille reprit de plus belle dans la bonne humeur.
17

Le lundi après-midi suivant, Smith intercepta Valentina sur le parking, juste avant qu’elle monte en
voiture.
— Tu tombes bien, je te cherchais, dit-il, s’engouffrant sur le siège passager sans y avoir été invité.
Tatiana m’a dit que tu te rendais à Union Square et j’aurais vraiment besoin d’un coup de main pour
choisir les cadeaux pour la fête de mi-tournage.
Dieu, ce qu’elle est belle, songea-t-il. La jeune femme n’était pas dupe, il le savait. Mais leur soirée
passée ensemble semblait remonter à une éternité et le comédien ne put s’empêcher de faire courir ses
doigts le long de sa queue de cheval.
Valentina parla d’une voix dénuée de toute forme de joie.
— Je t’aiderai avec plaisir. Mais n’espère rien entre nous, précisa-t-elle en les désignant à tour de
rôle. On en a déjà parlé et ce n’est pas une bonne idée.
Smith décela de la gêne dans ses paroles. Sa présence la troublait.
Elle a raison, ce n’est pas une bonne idée. C’est une excellente idée ! songea-t-il en lui caressant le
bras, puis la main, lui arrachant des frissons – ce qui le conforta dans cette certitude. Il lui prit la main.
— Tu m’as manqué, ces deux dernières nuits, fit-il. Terriblement manqué.
Dormir sans elle avait été une torture de tous les instants. Il ne pouvait même pas lui prendre la main
sur le plateau. Smith avait grandi dans une famille où on montrait son affection et devoir se contenir
n’était pas dans sa nature – surtout quand ses sentiments étaient si intenses et sincères.
Valentina soupira. Par chance, sa volonté de lui résister céda face à son désir. Au lieu de lui dire de
sortir, la jeune femme récupéra sa main et fit démarrer la voiture, sans un mot.
Ravi de sa seule présence, Smith étendit les jambes et s’affala dans le cuir du fauteuil. Tout chez cette
femme attirait son regard et intensifiait sa passion : le pouls au creux de son cou, son parfum délicat, la
chaleur de sa peau, témoignage du désir vivace qu’elle entretenait pour lui malgré ses apparentes
réticences.
Une fois la voiture garée au parking souterrain, les deux comparses s’engagèrent dans Union Square.
Autour d’eux, les immeubles et les arbres étaient couverts de décorations hivernales. Depuis le tournage,
le quartier avait bien changé. Au centre de la place, une patinoire avait été installée et des patineurs s’en
donnaient à cœur joie.
Valentina observa un couple en train de danser sur la glace, main dans la main.
— Une vraie féerie d’hiver, fit-elle, avec une envie si évidente que, en dépit des avertissements de la
jeune femme, Smith eut une envie folle de l’embrasser.
Du moins, c’est ce qu’il aurait fait si un petit groupe d’adolescentes ne l’avait pas reconnu pile au
même moment.
— Oh, mon Dieu ! C’est Smith Sullivan !
Leurs cris extatiques attirèrent l’attention d’une dizaine d’autres personnes sur la place, qui se mirent
à sortir leurs téléphones pour prendre des photos et prévenir leurs amis. Naturellement, Valentina s’écarta
de la liesse et des appareils photo, mais elle proposa de prendre des photos de Smith avec ses fans, ce
qui le surprit. Elle devait très certainement avoir l’habitude de ce genre de choses avec Tatiana. Au final,
ce monde dont elle se méfiait tant ne lui était pas complètement inconnu.
Si quelqu’un pouvait supporter cette pression particulière, c’était bien elle. Pourquoi ne le voyait-
elle donc pas ? Cette sortie était le test parfait pour qu’elle puisse s’en convaincre et qu’elle accepte –
enfin – de sortir avec lui pour de bon.
Une fois la foule contentée et dissipée, l’acteur se tourna vers elle.
— As-tu déjà été à Gump’s ?
— Ça veut dire quoi, être agumps ? fit-elle d’un air si adorable qu’il ne résista pas à l’envie de
caresser sa joue rosie.
De froid ou de gêne ? se demanda-t-il.
Il eut un sourire et Valentina le lui rendit.
— C’est par là, indiqua-t-il avant de se mettre en marche. Dépêchons-nous avant d’avoir un autre
attroupement sur le dos.
— J’avoue que j’aurais dû réfléchir à deux fois avant de venir en ville avec toi, fit-elle, une pointe de
culpabilité dans la voix. J’aurais dû m’y attendre, ajouta-t-elle en faisant la moue.
— Les fans les plus enthousiastes sont souvent en ville, expliqua-t-il. Il y a quelques mois, je suis
allé dans le Kansas. C’est à peine si on m’a reconnu.
La jeune femme eut du mal à y croire.
— Tu es adorable avec tes fans. J’espère que Tatiana saura aussi bien gérer sa célébrité que toi.
Smith savait très bien ce qu’elle essayait de faire : lui rappeler l’obstacle que formait sa célébrité à
une quelconque relation entre eux. La jeune femme concentra son attention sur un jongleur de rue et, tandis
qu’elle l’observait tenir en équilibre sur une planche à roulettes, Smith se pencha à son oreille.
— La célébrité, c’est par petites doses, tu sais. Le reste du temps, que ce soit en tournage ou chez
moi, je suis quelqu’un de tout à fait ordinaire.
Valentina le regarda avec des yeux pleins de désir, mais aussi de regret.
— Non, tu as tort, rétorqua-t-elle de la même voix basse. Quoi que tu fasses, tu ne seras jamais
ordinaire.
Croyant entendre son nom prononcé dans la rue, Smith poussa délicatement Valentina à l’intérieur du
magasin. La directrice était une vieille copine de lycée et il adorait cet endroit car son équipe se
démenait toujours pour lui laisser toute la latitude nécessaire à un agréable moment de shopping. De plus,
le côté bazar et désorganisé des lieux lui plaisait fortement.
Entre les figurines chinoises, les sculptures en verre, les sapins de Noël au rabais, les gamelles faites
main et les chaises à ornements, Valentina ne savait clairement plus où donner de la tête.
— Cet endroit doit avoir une histoire bien particulière, s’amusa-t-elle.
— Et elle remonte à la ruée vers l’or, expliqua Smith. Les frères Gump ont fait fortune en scrutant les
rivières et tu as le résultat de leur patrimoine devant les yeux.
— Il n’y a aucune logique dans ce qu’ils vendent, mais en même temps, ça coule de source. Y a-t-il
une chose qu’ils n’aient pas ?
— Il n’y a qu’une seule façon de le savoir.
Ils explorèrent chaque rayonnage du magasin, d’étage en étage, et il ne fallut pas longtemps à
Valentina pour dégotter un cadeau pour chaque membre de l’équipe de tournage. La jeune femme avait un
don inné pour faire plaisir. Smith mettait toujours un point d’honneur à connaître les membres de ses
équipes sur le bout des doigts, même les plus discrets. Mais il fallait se rendre à l’évidence : Valentina
connaissait bien mieux l’équipe de Gravity que lui.
Dans la vie, cette femme semblait tout anticiper jusqu’au moindre détail. D’où son professionnalisme
certain. Mais le soin qu’elle y apportait ne lui avait jamais autant sauté aux yeux.
Ils avaient déjà entassé un bon nombre de présents sur le comptoir lorsqu’ils atteignirent le cinquième
étage du magasin – son préféré. Ici, la musique était plus douce, l’agencement plus élégant et les couleurs
moins éclatantes afin de mettre toute la lingerie disponible en valeur.
Les joues de la jeune femme rosirent.
— Je ne vois rien qu’on puisse trouver à cet étage-ci.
— Moi, si, fit Smith, se régalant de sa gêne apparente et frôlant subrepticement sa paume. Ma chère
Valentina, je compte bien, la prochaine fois que je te verrai en lingerie fine, être le seul et unique homme
à te l’enlever.


Ce simple contact – et ces mots – suffirent à lui déclencher des bouffées de chaleur.
Parcourue de picotements, Valentina se remémora on ne peut plus clairement les événements du
vendredi et du samedi précédents, souvenir aussi vivace dans son esprit que si cela s’était déroulé la
veille. En sa présence, elle était un véritable livre ouvert, elle le savait. Avant lui, aucun homme n’avait
éveillé à ce point sa féminité, son envie innée de paraître sensuelle.
Elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Si elle avait pu mettre cet instant de faiblesse sur le
compte de la simple attirance physique qu’elle éprouvait pour lui, il aurait été plus simple de l’ignorer.
Mais il y avait plus, beaucoup plus que cela. La silencieuse promesse de Smith, ses caresses si
attentionnées, ses regards… Tout éveillait en elle des émotions si incroyables qu’elle en perdait
systématiquement toute capacité à répliquer ou à se protéger.
Impossible pour elle de fuir. Était-ce par lâcheté ? Cela n’avait pourtant jamais été son genre. Il lui
aurait suffi de dévaler les cinq étages quatre à quatre et de sortir d’ici en trombe. Seule son inertie
actuelle l’empêchait de fuir cet endroit merveilleux entre tous – même cet étage des plus inappropriés où
Smith l’avait traînée.
De toutes les femmes du monde qu’il aurait pu séduire avec une idée aussi sexy et saugrenue, c’était
elle qu’il avait choisie. C’était absolument stupéfiant.
Aussi stupéfiant que cette débauche d’ensembles affriolants qui s’offraient à son regard. Valentina
avait toujours eu un faible pour la lingerie.
Un faible aussi irrésistible que ceux qu’elle entretenait pour les petits déjeuners sucrés et pour
l’homme qui l’accompagnait.
Par chance, Smith ne la poussa pas dans une cabine d’essayage.
— Est-ce que tu avais un chien quand tu étais petite ? demanda-t-il.
— Non, mais nous avions un chat énorme – aussi gros qu’un chien et au moins deux fois plus
dissuasif !
— À l’école, quelle était ta matière favorite ?
— La physique.
— Tu me surprendras toujours, s’étonna-t-il. J’aime ça ! Pourquoi la physique ? Pourquoi pas les
maths ou l’histoire, par exemple ?
Elle haussa les épaules, se sentant soudain un peu bête.
— Tu sais, les trajectoires, l’accélération des particules, toutes ces choses… Cela n’a souvent aucun
sens jusqu’à ce qu’un jour on comprenne comment ça fonctionne. Je crois qu’en comprenant la physique,
je me suis sentie invincible. Comme si plus rien ne me serait jamais impossible si j’y mettais tout mon
cœur.
La jeune femme eut soudain une envie folle d’en savoir plus sur lui, elle aussi.
— Et toi, alors ?
— Franchement, je crois que j’aimais tout ce qui me permettait de me mettre en scène : théâtre, danse,
improvisation. Le reste du temps, c’était plus les cours de sport – foot, base-ball, basket, etc. Mais s’il y
avait eu une fille comme toi en classe de physique, je serais devenu très assidu, sois-en sûre !
Ils étaient au centre du magasin, à l’abri des regards, et Valentina avait beau craindre tout ce que
Smith représentait, la gravité entre eux était difficile à ignorer.
Elle ne désirait qu’une chose : sentir ses mains sur elle, sur ses hanches, ses doigts sur ses lèvres.
Valentina allait céder à ce sensuel appel lorsque soudain la sonnerie du téléphone de Smith retentit – la
sonnerie qui indiquait que sa présence était requise sur le plateau.
Smith jura, sortit son portable et répondit en s’éloignant. De ce qu’elle put saisir de la conversation,
un jeu de spots avait subi un court-circuit.
— Je te ramène, offrit-elle lorsqu’il revint vers elle.
— Non, non, finis tes courses. Je vais prendre un taxi.
Si seulement il avait pu filer sans demander son reste. Mais non. Ce n’était pas le genre de Smith
Sullivan de s’en aller sans la mettre dans tous ses états.
— C’était un après-midi très agréable, Valentina, fit-il de sa voix la plus suave. Tu vas encore plus
me manquer, cette nuit.
L’idée qu’il souffre par sa faute lui était insupportable. Ils voulaient tous les deux la même chose,
mais c’était impossible.
— Oublie-moi, Smith, s’il te plaît.
— Serais-tu rassurée de savoir que j’attends que tu viennes vers moi ?
M’attendre ? Que pouvait-elle répondre à ça ?
— Mais je te préviens : je ne suis pas patient. Surtout quand il s’agit d’attendre pour une personne à
qui j’appartiens déjà.
Puis il fit une sortie remarquée, la laissant seule avec elle-même, sans aucun espoir de réplique, une
épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Une épée extrêmement lourde.
La tête lui tourna et elle fut grandement tentée de se retirer dans le travail pour ne plus y penser – ou,
à défaut, dans un bon bain.
Mais à quoi bon gâcher un après-midi shopping ? L’occasion ne se représenterait peut-être pas de
sitôt. Aussi profita-t-elle des merveilles qui s’offraient à elle dans les étages suivants.
De retour au comptoir, elle s’apprêtait à régler ses achats lorsque soudain, elle l’aperçut : un puzzle
géant de l’île d’Alcatraz.
Elle n’avait encore envisagé aucun cadeau pour Smith. C’était une idée toute trouvée ! Tandis que la
vendeuse l’emballait, une question obséda la jeune femme. Et si, telle la gravité, le premier coup de
foudre durait pour toujours ?
Plus tard, de retour chez elle, Valentina eut la surprise, en défaisant ses paquets, d’y trouver plusieurs
magnifiques ensembles de lingerie, de toute évidence glissés là à son insu par la vendeuse à la demande
de Smith.


Le lendemain, Valentina se rendit sur le plateau. Éviter Smith aurait été un jeu d’enfant. Il aurait suffi
de rester collée à Tatiana, qui tournait des scènes d’accouchement – grâce à des triplés recrutés
spécialement pour le film et qu’on alternait selon les prises pour ne pas leur en faire trop subir. Ou alors
se plonger dans ses e-mails, pourquoi pas ! Il était même possible de rentrer travailler à domicile, à
l’abri de son foyer.
Mais elle n’était pas lâche. Pas question de laisser Smith dépérir en pensant qu’il se doit de
m’attendre.
Elle le trouva assis dans la salle de projection, seul dans le noir, toute son attention rivée sur l’écran.
L’avait-il seulement entendue entrer ? Elle n’en fut pas certaine jusqu’à ce que, l’air de rien, il tende la
main et s’empare de la sienne.
Smith était en train de visualiser la première scène qu’il avait tournée pour le film. Dire qu’à
l’époque, ils n’étaient encore que deux étrangers l’un pour l’autre. Il n’avait fallu qu’un coup de sang de
la part de Valentina pour que cela change.
Smith était devenu quelqu’un de si important pour elle. C’était comme si elle l’avait toujours connu.
Chaque jour, sa présence lui était vitale… et la nuit aussi. Bon sang, la seule qu’ils avaient passée
ensemble demeurait absolument inoubliable !
Ses pensées se perdirent au fur et à mesure que la scène défilait sur l’écran. Lorsqu’elle s’acheva et
que l’écran devint noir, elle se tourna vers lui.
— C’est encore meilleur que dans mon souvenir. Vous allez vraiment bien ensemble, tous les deux.
— Nos personnages vont bien ensemble, corrigea-t-il. Tout ça n’est pas réel. (Il fit rouler sa chaise et
attira la jeune femme à lui.) Mais toi et moi, nous le sommes. Combien de temps vais-je encore devoir
attendre, dis-moi ?
Leur nuit torride ne remontait qu’à trois jours et pourtant, la jeune femme comprenait fort bien sa
frustration.
Chaque parcelle de sa peau quémandait ses caresses et chaque matin, au réveil, lorsqu’elle
comprenait qu’il n’était pas avec elle, son cœur se serrait de déception.
Valentina parla d’une voix mal assurée. Sa faiblesse était si perceptible qu’elle s’en détestait.
— C’est pour ça que je suis là, lâcha-t-elle.
Le désir entre eux devint si intense qu’il était de plus en plus difficile pour la jeune femme de
contrôler ses pulsions.
— J’adore la lingerie que tu as choisie, fit-elle. Je ne le nie pas et je ne vais pas la rapporter. Mais
aussi belle soit-elle, ça ne change rien entre nous.
Pendant un temps, Smith sembla privé d’air. Puis, s’arrachant de la tempête d’hormones qui bouillait
entre eux, il s’exprima enfin.
— Est-ce que tu en portes, en ce moment ?
Moi et ma grande bouche ! Qu’est-ce que je n’ai pas été lui dire ! Je n’étais pas censée
l’encourager !
Enfin, je crois…
18

Ni l’un ni l’autre ne purent s’empêcher de se regarder. Le lien qui les unissait était fort et impossible
à briser, les poussant à renoncer à leurs beaux principes.
Lequel des deux fit le premier pas ? Smith n’aurait su le dire. L’avait-il prise le premier par la taille,
ou avait-elle glissé la première les doigts dans ses cheveux ? Qu’importe.
Valentina était avec lui.
Ses lèvres, toujours aussi douces, étaient empreintes d’un goût de sucre qui la rendait encore plus
séduisante que dans son souvenir. Le comédien ne s’encombra pas de délicatesse et prit la jeune femme
sur ses genoux. Elle fit remonter sa jupe le long de ses superbes cuisses galbées, révélant le bas d’un
porte-jarretelles.
Smith aurait encore pu garder un semblant de sang-froid, mais cette vision lui arracha un juron étouffé
et, d’un geste fiévreux, il fit courir ses doigts sur le bord de la fine étoffe. La peau de Valentina était
chaude, douce, et chacune de ses caresses lui arrachait un gémissement.
À bout de patience, Smith releva brusquement sa jupe au-dessus de sa taille de guêpe.
Oh, bon sang !
Valentina portait également un des superbes ensembles qu’il avait choisis pour elle – bas et culotte
assortis. Si l’acteur ne s’était pas astreint à de l’exercice au quotidien, cette vision aurait eu raison de son
cœur.
— Bon Dieu, ce que tu es belle !
Ses mains progressèrent du porte-jarretelles jusqu’à l’intérieur de ses cuisses et il constata combien
la jeune femme était excitée, prête à le recevoir.
Il fallait qu’elle abrège ses souffrances, et vite. Enfouissant son visage au creux de son cou, il susurra
d’une voix étouffée :
— Je veux en voir plus. Montre-moi, Valentina, je t’en prie.
— Tout cela est dingue, murmura-t-elle, ses beaux et grands yeux noisette écarquillés. C’est fou… Je
te veux et je ne peux pas m’en empêcher.
Smith était tellement soulagé. Malgré toutes les réticences de sa partenaire, elle s’offrait d’elle-
même, défaisant sensuellement son chemisier, bouton par bouton, le mettant au supplice par chaque
parcelle de peau crémeuse qu’elle lui révélait. Elle se méfiait des acteurs, des projecteurs et de tout ce
que représentait sa vie, mais le comédien était bien déterminé à lui faire comprendre qu’ils
s’appartenaient, elle et lui, et que cet amour méritait au moins ce sacrifice.
Son amante dénuda une épaule. Il voulut la goûter sans attendre, mais il lui fallait tenir jusqu’à ce
que…
— Oh, Valentina, oui !
La jeune femme avait ouvert son chemisier en grand et, tandis qu’il explorait la chaleur de son
intimité d’une main, il employa la seconde à malaxer l’un de ses seins enserrés dans un soutien-gorge ne
laissant que peu de place à l’imagination. Sa bouche avide de douceur s’empara du téton durci, léchant
sans distinction peau et dentelle.
Mais Smith n’en fut pas rassasié pour autant. En émoi, il continua à caresser l’intimité humide
d’excitation de son amante, ne s’interrompant que pour y faire pénétrer ses doigts taquins.
Et par ces simples gestes, il la fit jouir, la jeune femme crispant son étreinte sur ses épaules massives
et se cambrant jusqu’à plaquer sa prodigieuse poitrine contre son visage.
Il ne se lasserait jamais d’un aussi savoureux spectacle, il aurait pu la regarder perdre la tête ainsi
pendant des heures entières. Mais leur nuit de folie remontait déjà à trois jours et comme il le lui avait
bien précisé chez Gump’s, la patience n’était pas son fort.
Tirant un préservatif de sa poche arrière – qu’il avait patiemment conservé jusqu’au moment
opportun –, Smith se redressa pour défaire son pantalon et enfiler le précieux latex. Valentina trouva ses
lèvres et Smith lui maintint les hanches. En un battement de cils, la jeune femme s’empala sur sa virilité.
Leurs deux corps se murent de concert avec leurs baisers frénétiques. Les ongles enfoncés dans ses
épaules, la jeune femme suivit le rythme effréné des reins de son amant, se plaquant toujours plus contre
son bassin. Délaissant ses hanches, Smith s’empara de ses seins et les dénuda brusquement pour les
couvrir de baisers.
Ses lèvres, sa langue puis ses dents titillèrent ses tétons et la jeune femme se cambra de plus belle.
Smith la pénétra si profondément qu’il ne tarda pas à jouir, se perdant complètement et irrémédiablement
au creux de ses bras.


Ce fut les genoux tremblants que Valentina retourna à son bureau pour prendre ses affaires avant de
rentrer chez elle.
C’était bien beau de dire qu’elle ne voulait pas être en couple avec Smith, mais à quoi bon, si elle lui
cédait à la moindre pulsion ?
Sans parler de cette manière de s’offrir à lui. Jamais elle n’avait fait de telles folies.
Certes, le plateau était plutôt désert mais la porte était tout de même restée ouverte et n’importe qui
aurait pu entrer et les surprendre dans une – des ? – position plus que compromettante.
Oh, mon Dieu, mais à quoi est-ce que je pensais ! se morigéna-t-elle.
Elle se gara devant chez elle et posa le front contre le volant.
Une seule fois. Elle n’était censée s’accorder qu’un seul écart en ce qui concernait Smith.
Pendant toutes ces années, la jeune femme ne s’était pas fiée aux acteurs.
Mais à qui se fier, vraiment, quand on n’est pas fiable soi-même ?


La journée suivante se partagea entre tournages, réunions, répétitions… et incroyables parties de
jambes en l’air.
Valentina avait beau essayer de se convaincre du contraire, faire l’amour avec Smith était devenu une
nécessité en soi. Était-ce cela que ressentait sa mère en couchant avec tous ces acteurs ? Seraient-ils trop
irrésistibles ?
Dès que Smith l’approchait, lui prodiguait caresses et délicieuses attentions, toutes les bonnes
résolutions de la jeune femme s’envolaient comme un fétu de paille.
À un moment, Tatiana demanda à sa sœur de l’accompagner pour récupérer une tenue pour des scènes
avec le bébé, dont le tournage était prévu dans l’après-midi. Arrivée au département des costumes,
Valentina ne fut pas surprise d’y trouver Smith, qui l’attendait. Une fois sa sœur et la costumière, Kayla,
isolées dans l’atelier de cette dernière, ce fut avec le plus grand naturel que Smith verrouilla la porte de
la remise et que Valentina se laissa aller à un nouvel instant de fugace extase en sa compagnie.
Le lendemain, elle se rendit tôt sur le plateau afin de rattraper le retard accumulé dans son travail. Et
malgré l’heure matinale, Smith était là, en train de se préparer du café. Même manège : porte verrouillée,
rideaux fermés, et ils firent l’amour sur le comptoir de la cuisine commune, elle se cambrant, lui donnant
encore et encore ses généreux coups de reins dont elle raffolait. Bien sûr, elle aurait pu refuser mais il
possédait un tel doigté, un tel savoir-faire, que sa volonté vacillait systématiquement, la rendant esclave
de ses pulsions.
Dans ces moments-là, ni l’un ni l’autre ne s’attardaient pour parler – certainement dans l’espoir de ne
pas avoir à essayer de se convaincre mutuellement. Mais le langage du corps a ses limites et ils ne
pourraient pas continuer ainsi éternellement.
Bientôt, très bientôt, ils devraient discuter.
Et mettre un terme à leur relation.
Le vendredi matin s’éveilla avec la brume, un temps morose à l’image des pensées de Valentina. La
jeune femme avait du mal à gérer ses moments d’intimité avec Smith qui, sitôt achevés, se changeaient en
silences gênés. Une vraie douche écossaise. Smith ne désirait pas qu’il en soit ainsi. Au contraire, il
aurait aimé partager sa joie avec toute l’équipe s’il l’avait pu. Mais la souffrance qu’elle ressentait en cet
instant ne serait rien comparée à celle qu’elle endurerait en devenant sa petite amie officielle. Valentina
avait été témoin de trop nombreuses vies détruites – et pas seulement celle de sa mère – à cause des
acteurs et de leur ego. La jeune femme s’était interdit une relation telle que celle-ci, et que Dieu lui
vienne en aide pour qu’elle ne soit jamais la cible d’une caméra de télévision en compagnie de Smith.
Jamais elle ne supporterait de se retrouver en première page des tabloïds.
Elle se rendit sur le plateau, les bras chargés de cadeaux divers pour les membres de l’équipe, et se
jura fermement que, quoi qu’il advienne, jamais plus elle ne coucherait avec Smith Sullivan.


À Hollywood, le professionnalisme de Smith était connu de tous. Sa pugnacité était un exemple pour
beaucoup de gens du milieu. Mais jamais il n’aurait pu imaginer devoir un jour s’investir de la sorte.
Gravity était son projet le plus important.
Son secret ? Il n’était connu que de lui seul.
Valentina. Dix minutes dans ses bras et le comédien repartait comme en quarante ; mais dès qu’il se
retrouvait seul, la jeune femme lui manquait instantanément et le stress le regagnait aussitôt. Il se
plongeait alors dans le travail, ne s’accordant quelques heures de sommeil qu’une fois son parfum
évaporé et le souvenir de ses caresses effacé de sa mémoire.
L’équipe avait loué un grand entrepôt pour filmer certaines scènes. L’endroit rêvé pour organiser la
fête. Tout le monde se régalait de boissons et de hors-d’œuvre lorsque Valentina arriva à son tour. Malgré
la passionnante conversation que Smith entretenait avec deux techniciens à propos du Super Bowl, il
capta immédiatement sa présence parmi les invités, comme s’il était équipé d’un radar.
L’acteur s’excusa et glissa jusqu’à elle à travers la foule.
— Content que tu sois venue.
Son teint rosit légèrement et Tatiana la rejoignit, passant son bras autour de sa taille.
— Te voilà ! J’étais à deux doigts de venir t’arracher à la solitude de ton bureau, lança la jeune
actrice. Tu travailles trop, en ce moment. Je vais finir par me demander si tu ne t’occupes pas d’un autre
acteur !
Toujours plus cramoisie, Valentina tenta une pirouette, tout en évitant très adroitement de croiser le
regard de son amant :
— Tu me vois vraiment te cacher un truc pareil ?
Smith n’avait jamais été le secret honteux de qui que ce soit. Dès ses premiers pas, toutes les femmes
de sa vie avaient été on ne peut plus fières de se pendre à son bras.
La situation lui déplaisait à un point tel que, s’il n’y prenait pas garde, son impatience risquait de lui
faire faire une bêtise en public. Les événements de la semaine étaient loin de l’avoir satisfait.
Valentina finira par craquer. Nous sommes faits l’un pour l’autre, c’est évident.
Pour s’épargner un scandale public, Smith tourna les talons et partit prendre un bain de foule, se
laissant distraire par la bonhomie de son équipe. Il adorait les tournages pour cette raison. Après des
jours et des jours de travail commun, de parfaits inconnus pouvaient former une véritable famille.
Lorsque les premiers taxis arrivèrent au studio, la plupart des convives étaient soûls comme des cochons.
La journée sera rude, demain, pensa Smith avec amusement.
Mais tandis qu’il saluait les invités, les félicitant du bon travail accompli jusque-là, Smith songeait
encore et toujours à Valentina. Cette femme l’obsédait et jamais il n’avait ressenti ce genre de choses
avant.
Soudain, au milieu de la foule agitée par la musique, la jeune femme s’avança vers lui et lui tendit un
paquet.
— Cadeau pour toi, déclara-t-elle.
Tu es le seul cadeau que je veuille, se dit-il tout en acceptant le présent à contrecœur. Lui qui adorait
les cadeaux, celui-ci le rendait particulièrement amer. Il déchira le papier et fut positivement surpris de
ce qu’il dissimulait. Un puzzle représentant Alcatraz.
Ce lieu qui avait tout changé entre eux.
— J’adore, déclara-t-il avec sincérité.
Je t’aime, pensa-t-il.
Mais il n’eut pas le temps de le lui dire, car la jeune femme disparut aussitôt au cœur des danseurs et
des danseuses. Mais plus de doute possible, maintenant. Valentina comprendrait très bientôt, et ce jour-là,
Smith partagerait avec elle le fond de ses pensées les plus intimes.
19

Le lendemain, Lori vint rendre visite à son frère sur le plateau.


— Oh, Valentina, tu es là ! fit-elle en prenant place à côté de la jeune femme.
— Tiens, salut ! Contente de te voir.
Au spa, les deux jeunes femmes s’étaient entendues à merveille et Valentina était ravie de cette visite.
La jeune sœur de Smith avait les yeux brillants de malice.
— Contente aussi ! J’avais hâte d’entendre la suite de tes aventures. Tu sais ? Avec ce beau mec
dont-on-n’est-pas-censé-prononcer-le-nom ? Est-ce qu’il te harcèle toujours de ses avances ?
Valentina n’eut ni le temps de répondre ni de la faire taire, car Smith se présenta pile au même
moment. Il avait l’air d’avoir tout entendu. L’acteur prit sa sœur dans ses bras, mais ce fut sur Valentina
qu’il posa les yeux, comme pour la mettre au défi de faire le moindre mouvement.
— Salut, la Vilaine ! Content que tu sois là.
— Tout pareil ! fit la jeune femme en adoration devant sa star de frère.
Ces deux-là étaient si beaux. Regards chaleureux, sourires enjôleurs… Le frère et la sœur
partageaient de nombreux traits communs au clan Sullivan.
Tatiana rejoignit le petit groupe et se lança dans une discussion avec la jeune sœur de Smith, poussant
ce dernier à focaliser toute son attention sur Valentina.
Je lui expliquerai plus tard, quand nous serons seuls. Pitié, ne va pas faire quelque chose de
stupide, Smith !
L’acteur n’exprimait que frustration et désir refoulé. Le lendemain de leur première fois, il avait eu le
même regard impatient.
Le seul souvenir de cette nuit passée ensemble la mettait dans tous ses états. La jeune femme eut
l’impression de se mentir à elle-même. Ne faisait-elle que le fuir pour qu’il la poursuive ?
— Au fait, Valentina, commença-t-il d’une voix tendue. Les dossiers que tu voulais sont dans mon
bureau, en ce moment même.
— Génial, fit-elle de la voix la plus calme possible. Je viendrai les chercher dans…
— Tout de suite.
Bien sûr, de tels dossiers n’existaient pas. Et même s’ils avaient existé, cela aurait pu attendre la fin
de la prochaine séquence à tourner. Mais son instinct lui disait que si elle ne suivait pas Smith comme il
l’ordonnait, il allait se passer quelque chose d’atroce – du genre scandale public.
De toute évidence, la patience du comédien ne tenait plus qu’à un fil.
— On revient tout de suite, fit-elle aux filles avant de prendre le chemin du bureau de Smith.
Ce dernier la couva des yeux tout le long du chemin et elle sentit son regard s’appesantir sur le
balancement de ses hanches. Cela suffit à l’émouvoir.
Elle pénétra dans le bureau et Smith ferma immédiatement la porte derrière eux. Valentina fit volte-
face pour l’affronter.
— Smith, commença-t-elle. Pour Lori, sache que je ne lui ai rien dit.
Il la toisa en silence, le sourcil levé. Quoi qu’elle dise, cela ne ferait qu’empirer la situation.
Ce qu’ils vivaient allait au-delà du sexe, inutile de le nier. Même si elle avait tâché en vain de se
convaincre du contraire.
— J’ignore ce qui nous prend, à tous les deux, reprit-elle. D’ailleurs, je t’ai cherché toute la matinée
pour qu’on en parle.
Dieu, comme elle détestait avoir à faire ça. Mais il le fallait.
— Tout cela va trop vite et je ne peux pas suivre, tu comprends ? J’essaye de me motiver à y mettre
un terme, tous les jours, mais je…
— Déshabille-toi.
Interrompue, la jeune femme resta coite devant cet ordre.
Elle avait l’habitude de voir l’acteur commander ses troupes sur le plateau et il se montrait toujours
doux avec eux. Même ce matin, au lit, il avait été particulièrement attentionné avec elle.
Mais là…
— Déshabille-toi, j’ai dit.
Valentina aurait dû se sentir offusquée d’un tel comportement. Chaque fois qu’elle voulait discuter, il
trouvait toujours le moyen de changer de sujet.
Alors pourquoi se sentait-elle on ne peut plus à l’aise et excitée d’être commandée ainsi ? Valentina
comptait non seulement obéir… mais aussi en profiter le plus possible. Ce qui était contraire à sa
personnalité.
Impatient, Smith se dévêtit le premier. La veste tomba, puis sa chemise suivit. Bouton après bouton,
l’excitation de la jeune femme augmentait. Clairement, il ne la connaissait que trop bien.
Smith défit sa ceinture et la jeune femme déglutit avec force.
— Ils vont te chercher partout sur le plateau, avança-t-elle.
— Alors, j’imagine qu’on va devoir faire ça vite…
Le reste des vêtements de Smith suivit, jusqu’à ce qu’il ne soit plus vêtu que d’un boxer simple qui ne
laissait pas grand-chose à l’imagination.
— Si tu ne te dépêches pas, menaça-t-il, nos sœurs risquent de se demander pourquoi tes fringues ont
été toutes déchirées, tu ne crois pas ?
Soit tu fuis, soit tu te déshabilles. Sous le coup d’un désir si puissant qu’il aurait soulevé des
montagnes, la jeune femme entreprit de défaire son chemisier, les doigts tremblants d’excitation. Sans
attendre, Smith s’avança, la prit par les cheveux et l’embrassa avec fougue.
Valentina s’empara de ses épaules massives et l’attira à elle, oubliant toute sa fierté. Smith défit lui-
même les derniers boutons de son chemisier et s’attaqua au reste de sa tenue avec autant d’empressement
que pour la sienne.
Valentina se retrouva nue face à lui – à l’exception de ses talons hauts et d’un bel ensemble de
lingerie qui coupa le souffle à son insistant partenaire.
— Je pourrais te regarder pendant des heures, murmura-t-il, caressant le creux entre son épaule et sa
nuque. Mais on n’a pas le temps…
L’info n’avait pas atteint son cerveau que la jeune femme se retrouvait plaquée contre le bureau,
renversant dossiers et matériel.
— Jamais je n’ai désiré quelqu’un autant que toi, déclara-t-il. Je vais à l’encontre de tous mes
principes et de tous mes devoirs. Je te veux à un point tel que ça me tue !
Comment se retenir d’exprimer elle aussi son transport devant de telles paroles ? Impossible. Dans
ces moments-là, la jeune femme oubliait aussi tous ses devoirs et ses obligations. Entre eux, c’était
définitivement plus que du sexe.
Elle avait besoin de lui.
Qu’il la désire, qu’il la réclame.
De la façon la plus intime.
Toutes ces choses ressenties par ses parents, avant la mort de son père.
Impossible de refuser un tel désir… ni d’ignorer le sien.
— Je te veux aussi.
Smith poussa un râle et s’empara de ses lèvres, s’immisçant entre ses jambes.
— Soulève tes fesses, lui intima-t-il, afin de lui arracher sa culotte.
Son caleçon suivit et il enfila un préservatif le long de son membre turgescent.
Sur le plateau, tout le monde les attendait pour tourner – Lori, Tatiana, l’équipe. Leur comportement
était complètement irresponsable. Mais ici, dans ses bras, ses jambes enserrant son bassin tandis qu’il la
pénétrait dans un râle satisfait, rien n’aurait pu moins lui importer.
S’ils n’avaient que dix minutes, autant les mettre à profit. Smith s’en chargea avec une grande
diligence, la prenant comme jamais, mettant toute son âme et toute son énergie dans chaque caresse,
chaque coup de reins et chaque baiser.
Qu’importe le nombre de fois où ils faisaient l’amour, le plaisir et la complicité demeuraient intacts,
pleins de vie et de passion débridée. De la manière la plus parfaite qui soit, Smith fit jouir sa partenaire
et la rejoignit presque aussitôt, pris d’un orgasme fou qui fit grincer les pieds du bureau sur le sol.
Dire que tout était parti d’une innocente remarque de sa sœur, se dit-elle en reprenant son souffle.
Après un ultime baiser, Smith se retira et commença à se rhabiller.
Comment pouvait-il passer ainsi d’un extrême à l’autre ? Sûrement de la même manière qu’il sortait
d’un personnage après une scène. La jeune femme se sentait comme une simple page de scénario qu’on
venait de tourner. Et il se demande pourquoi je refuse de sortir avec un acteur !
Mais ce regard qu’il avait, ce n’était pas celui d’un personnage. Ce n’était pas l’acteur, le
millionnaire ou le frère aimant. Mais Smith Sullivan.
Son Smith.
— Au fait, fit-il. Ma sœur ne va pas te lâcher avec ses questions, alors sois sincère avec elle : le mec
te poursuit encore de ses avances. Tu peux lui dire ça.
Il l’embrassa et quitta le bureau, la laissant assise, nue et abasourdie sur le bord du meuble en
désordre.
Malgré ses incessantes mises en garde, Smith ne cédait pas.
Le cœur battant la chamade, Valentina se rhabilla et fit un rapide raccord maquillage. Sans brosse ni
séchoir, sa chevelure demeura indisciplinée – un détail qui ne sembla pas échapper à Lori.
Le tournage allait débuter et Valentina concentra toute sa volonté afin d’en suivre chaque réplique. La
séquence était si intense qu’il ne lui fallut pas longtemps pour se retrouver absorbée par l’histoire qui
défilait devant ses yeux.

Assise dans son luxueux nouvel appartement, Jo donnait le sein à Leah, sa petite fille récemment
venue au monde. L’endroit était peint d’une jolie couleur jaune, et des cadres étaient accrochés aux
murs. Elle profitait de cet endroit par la grâce de Graham. Autrefois, la jeune femme aurait été
furieuse qu’un homme prenne ainsi le contrôle de sa vie mais, elle l’avait malheureusement découvert,
la fierté n’avait pas sa place dans la vie d’une mère.
Jamais elle n’aurait pu s’offrir un tel luxe elle-même. Graham leur avait fourni, à elle et à sa fille,
un endroit décent pour vivre, et s’il fallait que Jo passe le reste de sa vie à trimer pour le rembourser,
c’est ce qu’elle ferait, et avec joie.
La sonnette retentit et la jeune mère reboutonna son corsage pour aller ouvrir. C’était forcément
Graham. L’homme d’affaires avait pris l’habitude de s’inviter à n’importe quel moment et si cette
intrusion dans sa vie l’agaçait quelque peu, elle tâchait de ne pas faire montre de trop de sévérité
envers lui. Il avait été si généreux que ça n’aurait pas été très fair-play.
Chaque soir, il lui apportait à dîner – les plats les plus délicieux qu’elle ait jamais mangés. De
toute façon, la jeune femme était bien trop épuisée pour contester ses attentions. De plus, il libérait
énormément de son temps pour elle et le bébé. La politesse exigeait qu’elle l’accueille avec
gentillesse.
Mais le malaise ne résidait pas dans l’appartement ou dans les repas.
Quelque chose de bien plus insidieux inquiétait la jeune femme, qui l’empêchait de fermer l’œil
nuit après nuit.
Elle aurait préféré pouvoir le craindre ou le haïr. Mais la naissance de Leah avait tout changé. Au
fur et à mesure de ses visites, Graham était presque devenu un ami.
Lors de l’accouchement, il était resté avec elle jusqu’au bout, la réconfortant par ses gestes et par
ses mots. Il avait même tenu le bébé dans ses bras. Jamais elle ne l’oublierait.
Il s’était montré si gentil, si doux avec elles. Quelles qu’aient été ses pensées initiales à son égard,
elle avait bien vite changé d’avis. La jeune femme n’était plus sûre de rien.
Elle savait seulement qu’elle se sentait en sécurité avec lui et qu’il était la seule personne au
monde à qui elle confierait la vie de son enfant.
Elle en était venue à attendre ses visites avec une certaine impatience. Et sans la peur qui la
tenaillait, Jo aurait continué à vivre cet agréable quotidien sans sourciller.
Graham l’attirait chaque jour un peu plus. Et inutile d’être médium pour deviner qu’il partageait
ce sentiment, lui aussi.
Il n’était pas son type d’homme, pourtant. Et elle, pas son type de femme. Jo avait toujours préféré
les hommes un peu alternatifs, comme les musiciens de rock, et lui avait le profil même du séducteur
de belles amazones de la jet-set – ce que ses recherches sur Internet avaient confirmé, photos à
l’appui.
Graham se tenait sur le palier, tout sourire et ravi de voir que Leah était éveillée – joie partagée
par la petite, qui émit un gazouillis extatique. Mais jamais il ne prenait Leah dans ses bras sans
l’autorisation expresse de Jo. Il posa les courses et la jeune mère, à la grande joie générale, déposa
son petit fardeau dans les bras de son bienfaiteur.
Attendrie par les jeux auxquels l’homme d’affaires se prêtait avec Leah, la jeune femme se rendit
en cuisine pour y dîner, l’esprit tranquille. Elle lui servit une bière et se versa un verre de lait. La
petite s’était déjà endormie dans ses bras.
Elle voulut la reprendre mais Graham protesta.
— Mangez, d’abord, lui intima-t-il. Je vais la coucher.
Jo avait besoin de lier des liens plus forts avec sa fille, mais l’homme d’affaires était en adoration
absolue devant la petite et elle n’aurait su lui refuser quoi que ce soit la concernant.
Tout en mangeant, elle l’interrogea sur sa journée et Graham la régala d’anecdotes concernant
ses collègues et ses investisseurs. Puis elle lui raconta sa balade de la journée et comment Leah
s’était extasiée devant les enfants plus âgés qui jouaient au bac à sable du parc. À son tour, il s’enquit
des cours d’horticulture qu’elle suivait par correspondance. Ils ne parlaient jamais de choses trop
personnelles, comme la famille ou les amis.
À la fin du repas, les paupières de la jeune femme s’alourdirent. Elle voulut aider Graham à
débarrasser la table mais celui-ci l’en empêcha en lui offrant un présent inattendu – une encyclopédie
des fleurs. Jo ne se fit pas prier pour filer se coucher sur le canapé afin de dévorer les images du livre,
s’enivrant de rêves de jardins, qu’elle décorerait un jour à sa guise, qui la menèrent vers le sommeil
du juste.
Graham observa sa frêle silhouette recroquevillée, le cœur débordant d’affection. Le bébé se mit
soudain à pleurer et il se précipita vers le réfrigérateur, prépara un biberon et retourna dans la
chambre d’enfant.
L’homme d’affaires gazouilla pour la faire rire, caressant sa petite touffe de cheveux sombres – les
mêmes que sa mère. Il la prit dans ses bras et l’amena à la cuisine pour la nourrir.
Leah but son repas avec avidité, dévisageant Graham de ses grands yeux bleus, et il lui confia ce
qu’il n’arriverait jamais à avouer à sa jeune mère.
— Je t’aime. (La petite main de Leah se referma sur son index.) Je ne laisserai jamais personne te
faire du mal.
Il berça le bébé dans ses bras, chantonnant une berceuse jusqu’à ce qu’elle s’endorme.
Il revint dans le salon. Jo s’était éveillée et, encore enveloppée dans sa douce torpeur, elle
découvrit ce touchant tableau. Elle avait en partie simulé son sommeil et n’avait pas raté une miette
de la scène.
Quel choc. Que n’aurait-elle pas donné pour que Graham lui murmure les mêmes mots ?
Au fond d’elle-même, la jeune femme s’avoua ses sentiments pour cet homme, cet étranger qui
avait tant d’affection à donner à l’être qu’elle aimait le plus au monde. Qui pourrait résister à tant
d’amour ?
Il était plus que temps de partager ses sentiments avec lui.
Graham l’avait tant aidée… et il dissimulait de plus en plus mal son propre vécu. Il fallait qu’elle
lui vienne en aide à son tour. Les peurs enfouies, les blessures, Jo connaissait bien. Internet lui
avait appris ce qui était arrivé à sa sœur, dont il avait parlé une fois.
Elle était morte deux ans auparavant – mort accidentelle, disait-on. Mais le chagrin de Graham en
disait plus long.
La jeune mère se redressa et s’approcha de lui. Il lui tendit Leah mais elle refusa en secouant la
tête, posant sa main sur la sienne.
Son regard s’assombrit. Jo s’approcha encore davantage. Leurs bouches se frôlaient presque. Le
silence nocturne les engloba tous les trois et enfin, leurs lèvres se scellèrent, promesse d’amour plus
forte qu’aucun mot n’aurait pu l’être.
20

Se remettre de l’émotion qu’éveillaient en elle les scènes auxquelles elle assistait prenait de plus en
plus de temps à Valentina. Smith et Tatiana étaient de plus en plus stupéfiants. Depuis qu’elle avait fait
parvenir son script à George, Valentina n’avait plus aucune autre histoire dans laquelle se plonger et
tenter de s’accomplir. De plus, sa romance à Alcatraz commençait à lui inspirer une autre histoire, qu’elle
comptait bien coucher sur papier sous peu.
Heureusement, grâce à Lori, aussi bon public qu’elle, Valentina se sentait moins seule à subir les
torpeurs post-tournage.
— Oh, mon Dieu ! s’exclama la jeune sœur de Smith. J’ai l’impression que mon cœur s’est brisé en
mille morceaux avant de se recoller tout seul.
— Et c’est comme ça tous les jours, déclara Valentina.
— Est-ce que ta sœur se rend compte de la gloire qui l’attend ? Une fois ce film sorti, sa carrière va
décoller !
— Espérons-le. Je ne veux que son bonheur.
Lori hocha la tête.
— Je te comprends. Je ressens la même chose pour Smith. Le pauvre ne peut même pas sortir prendre
un café sans qu’on le reconnaisse. Ça part en vrille, des fois. Mais je ne l’ai jamais entendu se plaindre.
Tout le monde pense qu’être célèbre, c’est glamour et champagne, mais ce n’est que la partie visible de
l’iceberg. Parfois, j’ai le sentiment que sa vie n’est faite que de dur labeur et d’un manque total
d’intimité.
Valentina n’aurait pas dit mieux. Certains acteurs ne se lançaient à Hollywood que pour la gloire,
d’autres parvenaient à vivre une vie décente malgré les pressions de la célébrité. Smith appartenait à
cette seconde catégorie et, à bien y réfléchir, la jeune femme ne l’avait jamais vu chercher à attirer
l’attention sur lui. Lori avait raison. Smith gérait à merveille un genre de vie en apparence quasi
impossible à vivre.
Bien malgré elle, Valentina avait trop exigé de lui et elle se sentit coupable. Elle ne lui avait pas
laissé la moindre chance. Il l’avait emmenée à Alcatraz et elle s’était montrée distante en public de peur
que sa sœur et l’équipe ne découvrent le pot aux roses ; il lui avait prouvé tant de fois sa sincérité, alors
qu’elle n’avait cessé de tout balayer sous le tapis à la moindre occasion. La jeune femme n’avait pas été
juste avec lui. Il comprenait sa décision, elle le savait, mais elle entraînait tout de même leur souffrance à
tous les deux.
Lori la regarda avec des yeux on ne peut plus sérieux.
— Smith est un grand frère magnifique, pour toute la famille. Il nous aime de tout son cœur… Il est
comme ça. Il n’a jamais su faire autrement.
Ce n’était pas un reproche, bien sûr. Pourtant, Valentina voulut implorer son pardon, avouer à Lori
qu’elle n’avait pas l’intention de jouer avec les sentiments de Smith et que, malgré leur irrésistible
attirance, elle n’avait voulu que son amitié.
Lori passa un bras amical sur son épaule.
— Ça m’a fait plaisir de te voir, Val, déclara-t-elle, toujours aussi malicieuse. Je te laisse ! Je dois
aller embêter mon frère chéri !
Par-dessus l’épaule de son amie, elle croisa le regard de Smith. Jamais se plonger dans le travail
n’avait été une telle nécessité.
Au moins aussi nécessaire que de se livrer à lui et d’ouvrir son cœur. Il le méritait bien. Mais cela
signifierait changer, pour l’un comme pour l’autre. Et ils n’y étaient clairement pas préparés.


Lori stoppa Smith sur le chemin de son bureau.
— Alors, c’est toi ! Tu es le mec mystérieux que Valentina cherche à éviter !
Sa sœur était radieuse.
— Tu t’amuses, hein, la Vilaine ?
— Tu rigoles ? Je m’éclate ! C’est surprenant. Valentina n’est pas du tout ton type.
C’était vrai. D’habitude, Smith était plutôt attiré par les femmes du style de Tatiana.
— Rien n’est artificiel chez elle, souligna-t-il, à la fois frustré et enthousiaste. Je n’avais jamais
rencontré quelqu’un comme elle.
Ils entrèrent dans son bureau et Lori constata le désordre qui y régnait. Depuis leur étreinte de ce
matin, Smith n’avait rien eu le temps de ranger. Le bureau était tout de travers et des papiers jonchaient le
sol. Si Lori savait additionner un et un, elle en viendrait forcément à la conclusion qui s’imposait.
— Pour une fois que tu t’intéresses vraiment à quelqu’un, c’est tout ce que tu as à lui offrir ? le
morigéna-t-elle. Un coup vite fait dans ton bureau ? (Elle secoua la tête, l’air dégoûté.) Pas étonnant
qu’elle se méfie encore de toi.
Smith fut d’autant plus agacé par les paroles de sa sœur qu’elle avait parfaitement raison.
Conquérir Valentina s’avérait être une épreuve des plus ardue, – du moins, en dehors du lit. Le défi
n’en était d’ailleurs que plus excitant.
Mais il ne se rendait pas service en entretenant leurs rapports charnels.
Pour ce qui concernait Tatiana, la jeune femme lui faisait confiance. Comment faire en sorte qu’elle
lui fasse confiance en ce qui la concernait, elle ? Vivre sous le feu des projecteurs était absolument
possible, mais encore fallait-il la convaincre.
— J’aime bien Val, fit Lori. En fait, je l’aime beaucoup et je me vois bien l’intégrer à la famille.
(Lori le fusilla du regard et désigna le foutoir ambiant.) Alors, j’espère que tu as un autre plan pour la
convaincre que ça.
Smith ôta la cravate qu’il portait pour jouer Graham et se regarda dans le miroir. Lori avait raison et
il le savait. Mieux valait éviter tout contact physique avec Valentina jusqu’à ce qu’elle soit d’accord pour
vivre en couple.
Mais pendant ces moments d’intimité, Valentina baissait sa garde et se livrait à lui, et l’acteur ne se
sentait pas prêt à y renoncer. Il comptait bien trouver le chemin secret de son cœur, comme il le lui avait
promis.
Lori se glissa contre son dos et le serra dans ses bras.
— Crois-moi, soupira-t-elle. Je te comprends mieux que quiconque. L’amour, ça craint.
— Non. L’amour, c’est génial, au contraire.
C’est le reste qui craint et il va falloir y mettre bon ordre.


Lorsque Smith termina sa dernière réunion de la journée, le temps avait tourné au vinaigre. Son
téléphone avait rendu l’âme quelques heures plus tôt mais il ne prit pas la peine d’aller le recharger et
fila tout droit jusqu’à la maison de location des sœurs Landon.
Les mots de Lori lui avaient tourné dans la tête toute la soirée. Sa jeune sœur avait bien parlé. La
frustration de l’acteur avait atteint des sommets.
Quel idiot tu fais, Sullivan !
Cette femme était forte – très forte – et c’était une des raisons pour lesquelles il avait craqué pour
elle. Il se souvint de sa véhémence à propos du bien-être de Tatiana.
Le sexe avec Valentina se passait à merveille mais il y avait plus que cela à découvrir. Le désir seul
ne dirigerait pas leurs vies.
Il pouvait avoir toutes les femmes du monde… Mais c’était elle qu’il voulait.
Et quel que soit le mal qu’il se donnerait à la conquérir, cela en vaudrait la peine.
Ce fut sous une pluie torrentielle qu’il s’avança jusqu’à la maison. Il sonna et eut du mal à cacher sa
déception lorsque Tatiana lui ouvrit la porte.
— Ah ! Tu as eu mon message ! fit la jeune actrice en s’écartant pour le laisser entrer. Valentina est à
deux doigts de rouler le scénario pour me taper sur la tête avec !
Par-dessus l’épaule de Tatiana, Smith aperçut la jeune femme. Malgré l’éclair de plaisir qui avait
traversé son visage, elle se contenta d’une salutation polie.
— Veux-tu quelque chose à boire ? offrit-elle.
— De l’eau, merci.
Elle le dépassa pour se rendre à la cuisine et Smith concentra toute son énergie afin de ne pas céder à
la tentation. Elle sentait si bon – shampoing à la lavande, parfum inimitable… et sexe. Un cocktail à
rendre fou. L’acteur n’était pas venu boire un verre entre collègues, ni travailler sur un projet commun.
Mais ça, Valentina ne semblait en avoir cure.
— Merci d’être venu, fit-elle. Tatiana a grand besoin de toi. Après tout, la scène de demain va être…
difficile.
Merde ! J’avais oublié ! La scène de la chambre, quand Graham et Jo font l’amour ! Il fallait
absolument rassurer Valentina, lui faire comprendre que ce n’était que du cinéma et rien d’autre.
— Valentina, écoute…
— Je dois me coucher tôt, l’interrompit-elle en lui tendant une bouteille d’eau fraîche.
Profitant que Tatiana avait le dos tourné, il stoppa la fuite de la jeune femme et lui prit la main.
Valentina ravala une plainte et le toisa avec la passion qui la caractérisait toujours en sa présence.
Smith lui caressa tendrement le creux du poignet et parla d’une voix suffisamment sonore pour que
Tatiana l’entende.
— À dire vrai, Marcus et Nicola dorment chez moi ce soir. Il fait plutôt moche dehors et je me suis
dit, si vous êtes d’accord, que je pourrais peut-être coucher chez vous. Histoire de leur accorder un peu
d’intimité.
Valentina écarquilla les yeux devant l’audace de son piège et il eut un sourire.
— Tu es le bienvenu ! fit Tatiana. N’est-ce pas, Val ?
La jeune femme dégagea violemment sa main.
— Bien sûr, répondit-elle, la mâchoire serrée.
Elle se retira vers sa chambre et Smith la suivit du regard.
— Fais de beaux rêves.


Valentina voulut fermer sa porte à clé mais pas question de donner à Smith le moindre indice sonore.
Il serait fichu de se féliciter d’être persona non grata dans sa chambre.
Pourquoi pas une ceinture de chasteté, tant qu’on y est ?
S’il tentait quoi que ce soit, elle devrait faire preuve de volonté et lui dire non. D’autant plus que
Tatiana serait à l’autre bout du couloir, à portée d’oreille de leurs ébats.
La morosité de la météo poussa Valentina à se faire couler un bon bain chaud. Voilà qui lui ferait les
pieds. En tant qu’acteur, il ne manquait pas d’imagination. L’eau qui s’écoule, le savon – et même le
canard en plastique. Autant de détails qui le mettraient en condition pour la scène du lendemain.
Cette scène, Valentina l’attendait avec appréhension. Il ne s’agissait plus de simples baisers ou de
regards cajoleurs. Jo et Graham feraient…
Oh, non !
Pas de quoi en faire un drame ! Après tout, cette scène était prévue de longue date et Tatiana l’avait
même lue et relue à plusieurs reprises. Plus que jamais, Smith devait être tenu à distance… ou demain
serait un jour fatal pour elle.
Valentina trempa son doigt dans l’eau et cilla en la découvrant brûlante. Elle enclencha le robinet
d’eau froide mais la laissa couler trop longtemps.
Elle marmonna un juron dont l’écho résonna entre les murs carrelés de la pièce, et laissa filer un peu
d’eau par le siphon pour rééquilibrer la température de l’eau. Mais tandis qu’elle observait l’eau qui
tourbillonnait, Valentina se vit y plonger, victime de l’infernale spirale et de son inéluctable gravité.
Quoi qu’elle fasse, quelle que soit la force qu’elle investissait à fuir Smith, elle retombait
inéluctablement dans ses bras.
Et si je cessais de fuir ?
Si tomber amoureuse de Smith n’était rien de plus qu’un effet gravitationnel naturel ?
Pouvait-elle laisser Smith l’aimer, comme elle l’avait toujours rêvé ? Se pourrait-il qu’ils puissent
trouver un moyen de vivre leur amour librement malgré son quotidien si particulier de star mondiale ?
Harassée de questions, la jeune femme s’agenouilla près de la baignoire et se perdit dans la
contemplation de l’eau. La succion du siphon la sortit de sa torpeur et elle se redressa pour se mettre au
lit.
Elle se glissa sous les draps, complètement nue, et fut menée dans les bras de Morphée par la voix
rassurante de Smith discutant avec Tatiana dans le salon. Valentina rêva, non de peines de cœur mais de
grands bras forts, la protégeant contre les intempéries qui au-dehors faisaient rage.


Une fois leur session de travail terminée, Smith attendit que Tatiana aille se coucher. Il lui sembla que
des heures s’étaient écoulées avant qu’il entende sa porte se fermer. Enfin libre de ses mouvements, il se
rendit à la chambre de Valentina et, à la faveur du noir, ferma la porte derrière lui.
Ses yeux s’habituèrent à l’obscurité et il devina bientôt les courbes affriolantes de la jeune femme,
allongée dans son lit. Elle était si belle, si apaisée. Rêve-t-elle de moi ?
Enivré par son parfum, il se glissa près d’elle, sous les draps. Ils avaient tous les deux besoin de
repos et il s’en serait voulu de la réveiller. Mais comment résister à ne serait-ce qu’un câlin ? Cela
n’engageait à rien.
— Tu es venu, fit Valentina d’une voix endormie et sensuelle.
Chaque parcelle de son corps qui ne brûlait pas encore de désir s’enflamma soudain.
Dieu merci, elle ne m’en veut pas. Rassuré, Smith se permit d’explorer les courbes offertes de la
belle. Il avait envie d’elle au point qu’il en souffrait, mais ce simple contact était si plaisant qu’il pouvait
très bien se passer de lui faire l’amour – au moins pour cette nuit.
Pour Smith, les femmes n’avaient toujours été qu’une distraction, dont il pouvait jouir à loisir sans
jamais en souffrir.
Mais Valentina était tout le contraire. Et comme il lui en était reconnaissant.
L’acteur était indéniablement amoureux et, si sa famille lui avait bien appris une leçon, c’était que
l’amour méritait que l’on se batte pour lui, quel qu’en soit le prix.
Il déposa un baiser sur son épaule nue, puis au creux de son cou. La jeune femme pivota et l’entoura
de ses bras, immisçant une jambe entre les siennes, murmurant son nom.
— Chut, chuchota-t-il d’une voix rassurante avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Je suis là.
Et je le serai toujours, si tu le souhaites.
21

De retour sur le plateau, Valentina se réjouit que la tempête ait cédé la place à de beaux nuages bleus
et à une légère brise. Une fois dans son bureau, elle sortit son ordinateur et l’alluma, le corps encore sous
le coup des délices que Smith lui avait fait goûter le matin même.
La veille, le comédien s’était contenté de la prendre dans ses bras et jamais la jeune femme n’avait
aussi bien dormi – ni ne s’était éveillée avec un besoin aussi impérieux de faire l’amour.
Lors de leurs étreintes précédentes, les deux amants s’étaient découverts et s’étaient apporté du
plaisir mutuellement, mais ce matin, les choses s’étaient faites de façon naturelle. Un besoin que ni l’un ni
l’autre ne pouvaient se refuser.
La jeune femme s’était crue dans un rêve. Ils avaient joui dans le calme et le silence – la perfection
absolue pour deux amants qu’on aurait dit faits l’un pour l’autre.
Valentina posa sa paume contre sa gorge, là où Smith avait déposé de nombreux baisers, et y
découvrit le même pouls que ce matin – un battement progressif et chaud qu’il avait également partagé.
Plus aucune matinée ne pourrait avoir la même saveur, désormais. L’idée de s’éveiller sans Smith était
insupportable.
Les deux amants avaient joui de concert à la faveur de l’aube naissante, la bouche de Smith étouffant
ses gémissements et sa langue renforçant son orgasme.
Valentina voulait oublier le monde extérieur, et que toute la vie soit pareille à ce matin – un paradis.
Mais ils avaient du travail et des responsabilités, et une longue journée les attendait – le tournage de
la scène la plus difficile de tout le film.
Par chance, Tatiana s’était rendue tôt sur le plateau. Sinon, Valentina aurait très certainement eu une
ou deux choses à lui expliquer.
En voyant Smith débarquer chez elles, la jeune femme avait eu peur qu’il ne fasse une scène, mais il
ne lui avait mis aucune pression et au matin il avait tenté de la rassurer sur les événements de la journée.
Valentina avait embrassé son front, lui affirmant qu’elle comprenait. Les scènes de sexe au cinéma
étaient monnaie courante et tout y était simulé. Du moins, c’était ce dont la jeune femme tâchait de se
convaincre.
Avant de partir, Smith avait souri et l’avait embrassée avec passion.
— Tu me rends très heureux, Valentina, avait-il dit, avant de filer récupérer des affaires dans la
chambre d’amis et de prendre la poudre d’escampette.
Les mains figées au-dessus du clavier, Valentina redescendit sur terre. Travailler ? Tu parles. Elle
sortit sur le parking et se rendit à la loge personnelle de sa sœur, travaillant son plus beau sourire avant
de frapper à la porte.
Tatiana lui ouvrit, habillée d’une superbe robe de soie bleue. Sa jeune sœur était à couper le souffle.
Les maquilleuses et les costumières l’avaient rendue aussi sensuelle que douce et innocente.
— Tat’ ! Tu es magnifique !
La jeune femme se mordit la lèvre.
— Tout va bien se passer, hein ?
Valentina n’eut pas d’autre choix que de passer un bras réconfortant autour de ses épaules.
— Bien sûr que oui, fit-elle en s’encourageant au passage. Vous êtes deux pros et vous faites tout
simplement ce pour quoi vous êtes payés, d’accord ? Tu sais, on dit souvent qu’une scène d’amour, ce
n’est pas bien différent d’une scène de combat. Un bras ici, une jambe là, et le tour est joué.
— Mais tu seras présente, n’est-ce pas ?
Si elle avait eu le choix, la jeune femme ne serait pas restée sur le plateau. Rien que penser aux mains
de Smith sur sa sœur lui soulevait le cœur. C’était une scène intimiste, tournée dans un petit espace, et
seuls les membres essentiels de l’équipe seraient présents.
— Bien sûr que je serai là, promit-elle. Je resterai jusqu’au bout. (Tatiana n’eut pas l’air plus
rassurée.) Et souviens-toi de ce que t’a dit Smith : c’est comme jouer à Twister ! Et il ignore que c’est
notre jeu favori, chez les Landon, pas vrai ?
Tatiana rit de bon cœur et se remit à potasser son script. Discrètement, Valentina émit un long soupir
soulagé.
À Twister. C’est comme jouer à Twister. La jeune femme savait que ce jour viendrait mais, quoi
qu’elle en ait pensé, elle ne s’y était absolument pas préparée. S’enfoncer la tête dans le sable n’était
jamais la solution.
Avant que Tatiana commence sa carrière d’actrice, Valentina lui avait fait promettre une chose :
aucune scène dénudée tant qu’elle ne serait pas majeure et ce quelles que soient les pressions des
producteurs. Pas question qu’une équipe de tournage et des millions de spectateurs se mettent à baver sur
Tatiana alors qu’elle n’était même pas en âge de boire.
Mais sa petite sœur ne serait pas éternellement une enfant, Valentina le savait. Elle admirait la beauté
qu’elle était devenue malgré les pressions incessantes des studios pour en faire un énième clone d’actrice
fadasse de Hollywood.
Mais grandir impliquait des changements. Tatiana pouvait dorénavant boire du vin à table… et
tourner nue si elle le souhaitait.
Heureusement, cette scène était loin d’être racoleuse ou gratuite. Tout le monde s’entendait là-
dessus : il s’agissait d’une séquence cruciale pour le développement des personnages, qui passeraient
ainsi d’amis à amants.
Pour la première fois de sa vie, Valentina allait certainement faire passer ses sentiments avant ceux
de sa sœur, pourtant tout aussi terrifiée qu’elle à l’idée de tourner cette scène. Comment pourrait-elle
jamais se le pardonner ?
Lorsque l’assistant de production se présenta pour emmener Tatiana sur le plateau, la jeune actrice
semblait toutefois aussi détendue que si elle était sur le point de tourner une pub pour dentifrice.
Valentina, elle, avait plutôt l’impression de se rendre chez le dentiste pour une extraction sans
anesthésie.


Smith se souvenait très bien de sa première scène de sexe. À l’époque, il incarnait un fils en froid
avec son père, qui couchait avec sa belle-mère pour se venger de lui. L’idée de tourner cette séquence
l’avait rendu très nerveux, d’autant plus que sa partenaire à l’écran était une femme plus âgée que lui
d’une dizaine d’années. Une femme adorable, très belle, et mariée, qui plus est.
Grâce à elle, l’expérience s’était déroulée à merveille et, avec les années, Smith avait pu transmettre
ce même sentiment de confort à de nombreuses partenaires à l’écran, certaines s’étant muées en véritables
conquêtes une fois la caméra éteinte.
Mais Tatiana était très différente. Leurs personnages respectifs éprouvaient peut-être une grande
attirance l’un pour l’autre mais dans la vraie vie il n’en était absolument pas de même. Entre eux, tout
serait simulé et il n’y aurait aucun malaise une fois la caméra coupée.
Du point de vue scénaristique, une scène de sexe n’était jamais qu’un pan d’intrigue supplémentaire.
Toutefois, Smith comprenait très bien que pour les acteurs et les actrices qui s’y prêtaient, l’expérience
pouvait être très intimidante, surtout en public.
Il avait beaucoup travaillé cette scène, au cours des semaines passées. Chaque angle, chaque
mouvement avait été disséqué et étudié dans les moindres détails. Cette séquence ne signifiait pas la fin
de quelque chose pour Jo et Graham mais le début d’une nouvelle ère, où ils pourraient renaître et sourire
à la vie ensemble.
Tourner cette séquence était un défi technique et il l’avait écrite pour lui, comme pour Tatiana.
Ce genre de scène n’avait jamais été un problème pour lui, car faire l’amour avait jusque-là été
quelque chose de mécanique… Puis Valentina était entrée dans sa vie.
Lorsqu’il était avec elle, la caressait et l’embrassait, elle emplissait son âme jusque dans ses
moindres recoins ; avec elle, faire l’amour était devenu une nouvelle expérience qui dépassait de loin la
notion de simple orgasme.
Tatiana arriva sur le plateau et Smith leva le nez de ses notes. Valentina suivait sa sœur comme son
ombre et le comédien n’eut d’yeux que pour elle, celle qui avait changé sa perception des sentiments
humains. Mais pour l’heure, c’était la seconde sœur Landon qui requérait toute son attention.
— Alors, Tatiana. Prête pour un Twister ? fit-il en souriant.
Elle lui rendit son sourire.
— Carrément ! Allez, on s’y met !
La jeune actrice prit place et Smith sentit Valentina le prendre par le bras.
— Je sais que tu ne peux pas te permettre de la ménager et que tu dois filmer ta vision des choses,
mais…
— Ne t’inquiète pas, l’interrompit Smith. Je ferai en sorte que ça soit le moins pénible possible pour
nous tous.
Mais Valentina ne le regardait pas, trop accaparée par sa sœur qu’elle dévisageait avec une
inquiétude lugubre. Smith eut envie de la prendre dans ses bras, de lui assurer que rien de ce qui se
passerait ce jour-là sur le plateau n’aurait la moindre incidence sur eux tous.
Au diable, tes principes, Valentina, songea-t-il, à deux doigts de rendre leur relation publique aux
yeux de tous.
— J’ai confiance en toi, déclara la jeune femme, hochant la tête avec énergie comme pour se
convaincre elle-même. Vraiment.
Tatiana comptait tellement pour elle que Smith se sentit honoré par ses paroles de confiance.
Mais lui faisait-elle confiance pour qu’il ne la blesse pas, elle ? Rien n’était moins sûr.


Le temps que l’équipe s’installe, Valentina avait tellement serré les poings que ses paumes en étaient
meurtries. Tatiana et Smith prirent place à leur tour et la jeune femme retint sa respiration, insensible aux
ongles qui pénétraient sa peau.
Smith glissa une petite blague à l’oreille de Tatiana qui se mit à glousser. Les caméras
s’enclenchèrent soudain et sa sœur se retrouva immédiatement dans les bras du comédien, ses lèvres
scellées aux siennes. Valentina fut prise d’un violent haut-le-cœur et se couvrit la bouche des deux mains
pour ne pas vomir devant toute l’équipe.
Le baiser fatal fut filmé à plusieurs reprises sous différents angles, renforçant le malaise de la jeune
femme prise après prise, Tatiana perdant de plus en plus la tête dans les bras de son amant à elle. C’était
du cinéma, rien d’autre. Mais peu importait le nombre de fois que Valentina se répétait cette information,
sa souffrance n’en diminuait pas pour autant.
Le baiser se répéta encore et encore mais le pire était à venir. Les deux acteurs progressèrent de
concert vers le lit et ôtèrent un à un leurs vêtements.
Impossible de fuir, elle avait promis à Tatiana de rester et d’assister à ce qui était pour elle une
désagréable et on ne peut plus crédible séance de voyeurisme.
Impuissante, elle regarda Smith (Graham) coucher Tatiana (Jo) sur le lit, lui ôtant sa robe et la
regardant comme si sa beauté lui sautait aux yeux pour la toute première fois.
Valentina eut l’impression d’être poignardée par tout un jeu de couteaux. Tatiana se cambra sous les
caresses de Smith et, mouvement après mouvement, le malaise s’accentua.
Lorsque Smith se redressa pour crier « Coupez ! », la jeune femme avait des points noirs qui
dansaient devant ses yeux. Encore un peu et elle se serait évanouie.
Depuis le lit, à seulement quelques pas du siège de Valentina, les deux acteurs observaient la scène,
diffusée sur un moniteur.
Même sans montage, la séquence était la plus belle scène d’amour qu’elle ait pu voir de sa vie. Smith
était aussi bon amant à l’écran – avec sa sœur – que dans la vie – avec elle. Cette pensée lui brisa le
cœur. Elle tendit l’oreille et les écouta discuter de la scène.
— Je devrais garder les yeux ouverts, non ? suggéra Tatiana. Sinon, ça risque de faire grimace, tu ne
penses pas ?
Smith opina du chef.
— Nos mains ne sont pas en place sur ce plan, indiqua-t-il.
Il plaça les mains de la jeune femme sur ses épaules et la prit par la taille.
— On devrait essayer comme ça, qu’en dis-tu ?
Valentina eut du mal à respirer.
— Et mes jambes ? fit Tatiana. J’ai l’impression qu’elles pendent au bord du lit.
Le directeur de la photographie intervint pour clarifier les plans à retoucher et Valentina eut comme
une épiphanie. Des scènes de sexe au cinéma, elle en avait vu des centaines mais c’était la première fois
qu’elle se rendait vraiment compte du travail qu’elles requéraient. Elle n’y avait jamais vraiment prêté
attention.
Sauf que, cette fois-ci, la jeune femme convoitait réellement l’un des acteurs qui se prêtaient à ce jeu
sensuel.
22

Quelle que soit l’intensité de son épiphanie, elle ne suffit pas à balayer le trop long spectacle auquel
Valentina avait assisté.
Tous les mots que Smith lui avait murmurés pendant leurs moments d’intimité, il les avait répétés à sa
propre sœur pendant des heures et sous ses yeux.
C’est un acteur, bon sang ! Un très bon acteur au service du cinéma et rien d’autre ! Smith aurait
pu convaincre n’importe quelle femme du bien-fondé de ses sentiments, laissant des myriades de fans
éplorées dans son sillage.
Malgré tous ses beaux discours, comment lui faire confiance ? Comment ?
Seule une idiote croirait aux paroles d’un tel filou.
Une idiote désespérée, prête à tout pour un peu d’affection et d’amour.
À la fin de la journée de tournage, la jeune femme se sentait fourbue, chaque muscle de son corps
frappé de douleur. Elle était telle une poupée sans vie, sans sourire, et incapable de se mouvoir sans
vaciller.
Inerte et pathétique, comme son cœur.
Pleine de jalousie et de dégoût, Valentina émergea des ténèbres de ses pensées. Impuissante, elle
avait regardé Smith et Tatiana échanger des blagues complices avant de tout bonnement s’arracher leurs
vêtements. Hors caméra, ils affichaient la même complicité, le couple glamour par excellence, se
complétant à merveille devant et derrière la caméra.
À aucun moment Smith n’avait eu le moindre regard pour elle et c’était tant mieux. Vu la scène, cela
aurait été la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase.
Être mise de côté était ce qui pouvait lui arriver de mieux.
Du moins était-ce ce dont elle avait tâché de se convaincre tout le long de la séquence, durant
laquelle chaque baiser et chaque caresse avaient été autant de poignards enfoncés dans sa chair à vif, la
laissant exsangue face au spectacle.
Enfin, Smith se détourna de Tatiana et pivota vers elle, un pli soucieux sur le front.
Qu’allait-elle bien pouvoir lui dire ? S’épancher ? S’il tentait ne serait-ce que de l’approcher, la
jeune femme exploserait en public et le scandale éclaterait aux yeux de tous, car elle ne se sentait
absolument plus la force d’encaisser.
Les gens diraient partout quelle idiote elle avait été de faire confiance à un acteur, qu’elle avait été
bête de croire qu’il pouvait y avoir autre chose entre eux que quelques galipettes dans le foin. Mais ses
émotions étaient trop fortes, incontrôlables.
Si elle le gardait éloigné, elle pourrait peut-être encore s’en tirer sans trop de dommages. Mais à la
lumière des événements du jour, une chose était claire : Valentina n’avait jamais été en mesure de se
protéger… Pas plus qu’elle ne pouvait renoncer à lui.
Quelles que soient les barrières qu’elle avait érigées autour de son cœur, Smith avait tout balayé sur
son passage.
Le jeune homme s’avança pas à pas et elle sentit son sang battre à ses tympans. On y est : c’est la
fin… La fin de quelque chose qui n’a jamais réellement débuté. Mais, c’était pour le mieux, n’est-ce
pas ? Smith jouait dans une autre cour que la sienne, une cour où les séquences de ce genre étaient légion,
et Valentina ne pourrait jamais en supporter ne serait-ce qu’une de plus.
La jeune femme s’apprêtait à couper chaque lien qui la liait à cet homme, le seul et unique à avoir
jamais réussi à voir au-delà de ses apparences et à avoir touché son cœur aussi profondément.
— Oncle Smith ! Oncle Smith ! appela une petite fille en courant droit vers le comédien –
certainement Summer, dont il lui avait parlé. Je voulais venir te voir avant mais on m’a dit que tu filmais
des trucs de grands. On n’a pas voulu me dire ce que c’était… C’était quoi, dis ?
Les poumons comprimés par l’angoisse, la jeune femme serra les accoudoirs de sa chaise.
Verre d’eau à la main, Tatiana apparut soudain devant elle.
— Val ? Tu n’as pas l’air bien.
La jeune femme vida le gobelet avec autant d’avidité que si elle venait de passer une semaine dans le
désert.
Inquiète, sa sœur prit Valentina par la taille et l’aida à se lever.
— On dirait que tu as besoin de t’allonger. Allons à ma caravane !
Une fois sur place, Tatiana allongea son aînée sur le divan et la couvrit d’une couverture. Jamais sa
sœur n’avait pris soin d’elle de cette manière. Même malade, Valentina avait toujours veillé à ne pas être
un fardeau pour sa cadette.
Toujours aussi inquiète, Tatiana s’assit près d’elle sur le divan.
— Quelqu’un a passé une mauvaise nuit, on dirait.
Au contraire. Et grâce à Smith, en plus.
Et comme elle aurait aimé rester dans ses bras – pour toujours, si possible. Valentina n’avait déjà que
trop menti à sa sœur par omission. Elle secoua la tête.
— La nuit dernière, non. Mais les dernières semaines ont été atroces.
Aujourd’hui… Il fallait qu’elle craque aujourd’hui, au moment où sa sœur avait le plus besoin de sa
présence.
— Comment tu te sens ? se ressaisit-elle. C’était pas facile, hein ?
— Eh bien, figure-toi que ça va plutôt bien, fit Tatiana d’une voix douce qui rassura la jeune femme,
encore sous le coup d’une stupide jalousie. C’est plutôt toi qui m’inquiètes, si tu veux tout savoir…
Valentina voulut balayer son angoisse d’une pirouette ou d’un sourire mais elle n’y parvint pas. Elle
regarda sa paume, encore meurtrie par l’angoisse et striée de petites griffures rougeâtres.
— Oh, Val, c’est ma faute ! se morigéna la jeune actrice. J’étais si préoccupée par cette scène que je
n’ai pas pensé à ce que tu allais ressentir en la regardant ! (Elle lui prit la main.) Smith est un type génial
mais il est comme un frère pour moi, tu sais. Tout ce que tu as vu était simulé, je te le jure !
Pantoise, la jeune femme ne sut quoi répondre, secouant la tête pour chasser les sentiments
grandissants qu’elle éprouvait pour le comédien.
— Je ne peux… Il n’a… balbutia-t-elle.
Tatiana sourit et serra davantage sa main, image même du calme olympien.
— Je sais ce que tu ressens pour lui. (Valentina ouvrit des yeux grands comme des soucoupes.) Je
suis ta sœur, Val. Je sais voir ce qu’il y a à voir et tu n’as jamais regardé quelqu’un comme tu le regardes
lui.
— Je le regarde comme tout le monde.
— Non, Val. Tout le monde le regarde comme une star. Ils ne voient qu’un fantasme, pas l’homme.
Mais toi, tu l’as vu dès le départ.
Qu’est-ce qui était pire ? Que Tatiana ait raison ou qu’elle-même n’ait pas su dissimuler ses
sentiments ? Et si Tatiana l’avait remarqué, qui d’autre ?
Envolées, les belles excuses !
— J’ai essayé de résister, fit-elle. Mais j’ai échoué.
— Val, ne vois-tu pas qu’il ressent la même chose pour toi ? Il te regarde et il voit qui tu es. Dès que
vous êtes dans la même pièce, il est incapable de travailler.
— Ne dis pas de bêtises. Ce film est trop important pour lui.
— Important, oui. Mais ce n’est pas le centre du monde.
Après des heures à se contenir, la jeune femme laissa enfin une larme couler sur sa joue.
Elle la balaya d’un revers de la main.
— Dire que toutes ces années je t’ai mise en garde contre les acteurs et que c’est moi qui tombe
amoureuse de l’un d’entre eux, se morigéna-t-elle. Excuse-moi, je suis complètement ridicule.
Tatiana émit un soupir à la fois déterminé et agacé.
— Je n’ai plus dix ans, tu sais ? Tu as été là pour moi quand c’était nécessaire mais c’est mon tour,
maintenant.
Les rôles s’inversaient et ce n’était pas pour plaire à Valentina. Les paroles de Smith lui revinrent en
tête. « Qui veille sur vous ? »
Elle pensait s’être résignée à voir sa sœur grandir. Elle pouvait boire, ou tourner une scène de nu si
elle le voulait. Mais pour autant, l’avait-elle traitée en adulte à part entière ? Se confier à Tatiana, être un
fardeau… Jamais elle n’aurait pu l’envisager.
Mais elles formaient un duo, une équipe. Tatiana n’avait-elle donc pas le droit de la soulager de sa
peine, elle aussi ?
— Je ne sais pas quoi faire, admit-elle, au trente-sixième dessous. Je devrais m’éloigner de lui.
Tatiana fronça les sourcils.
— Mais pourquoi ? Qu’est-ce que ça t’apporterait ?
Répondre lui était une torture mais il fallait que sa sœur comprenne.
— C’est une star mondiale, Tat’. Je ne suis que moi. Ça ne tiendra jamais.
— Tu plaisantes, j’espère ? Vous allez superbement bien ensemble.
— Tu nous as vus ? s’exclama la jeune femme, prise de panique.
— Rassure-toi, je suis la seule, fit Tatiana en souriant. Je vous connais par cœur tous les deux. Même
quand vous pensez être discrets, vous ne l’êtes pas du tout. (Ses yeux s’emplirent de malice.) Et il y a
cette fois où je vous ai surpris en train de vous embrasser.
Les joues de la jeune femme s’empourprèrent.
— Quand ?
— Dans la salle de projection, sourit sa jeune sœur. J’avais oublié mon script alors je suis revenue
discrètement le prendre. (Elle s’éventa du plat de la main.) Dites donc, vous êtes impressionnants quand
vous vous y mettez ! (Elle se pencha vers elle d’un air complice.). Et sur une chaise, carrément !
Dissimulant vainement son embarras devant cette révélation, Valentina toisa sa petite sœur.
— Mais pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ?
La jeune actrice eut l’air quelque peu blessée.
— Je voyais bien que tu n’étais pas à l’aise avec tout ça, alors j’ai préféré attendre que tu te lances la
première.
— J’aurais dû t’en parler… Je suis désolée, Tat’.
Pourquoi ne s’était-elle pas confiée ? Sûrement parce qu’elle avait estimé ce film trop important pour
la carrière de sa sœur et qu’elle voulait éviter à tout prix de la parasiter avec ses propres états d’âme.
Mais ça n’était qu’une demi-vérité. Car Valentina n’avait tout simplement pas voulu accepter le fait que
sa petite sœur avait grandi, en fin de compte. C’est une adulte… Et je l’ai traitée comme on traite une
enfant.
— En fait, je ne voyais pas trop ce qu’il y avait à te confier, tâcha-t-elle de lui expliquer. J’ai cru
qu’il ne me voyait que comme un trophée de plus et qu’il finirait par se lasser.
Mais ça n’était jamais arrivé.
— Il n’est pas près de se lasser, tu peux me croire, souligna la jeune actrice. Et je le comprends !
ajouta-t-elle avec tout l’amour d’une sœur. Tu es belle, intelligente, drôle ! Tu es la meilleure sœur dont
on puisse rêver et je sais qu’il le sait.
Valentina ne s’était pas confiée à sa sœur et il était grand temps de faire amende honorable. Elle
inspira profondément et tâcha de mettre des mots sur les émotions qui la tiraillaient depuis si longtemps.
— C’est juste que… Je ne me reconnais pas quand je suis avec lui. Et ça me fait terriblement peur,
ajouta-t-elle, songeant à ce que la moindre caresse ou le moindre regard de Smith lui faisait faire.
— Je ne comprends pas, fit Tatiana, ce qui n’avait rien de surprenant tant la jeune actrice n’était pas
du genre impressionnable. Comment te vois-tu exactement ?
— Je…
Valentina chercha désespérément une réponse mais rien n’y fit.
Elle avait une bonne carrière professionnelle malgré l’abandon de ses études et travailler sur son
propre scénario la comblait de bonheur.
« Comment te vois-tu ? » Ce n’était pas une question de métier, mais de personnalité et du genre de
vie qu’elle rêvait de mener en tant que femme.
Des années durant, Valentina avait négligé sa féminité. Sans pour autant renoncer au sexe et aux
émotions, la jeune femme avait surtout conservé son énergie intacte pour sa sœur. Elle avait été si
préoccupée par Tatiana, par le souci de l’éloigner de la mauvaise influence de leur mère, qu’elle s’en
était perdue de vue.
Et malgré toutes ses précautions, Tatiana avait tout vu, tout ressenti. Cette dernière lui sourit, du
même sourire éclatant qui illuminerait les vies de millions de spectateurs à travers le monde.
— Val, je t’aime trop pour ne pas te souhaiter tout le meilleur. Imagine que Smith t’accorde le
privilège de t’aimer comme tu le mérites, est-ce que ça n’en vaudrait pas le coup ? Tu devrais t’accorder
cette chance, et peut-être pourrez-vous affronter les épreuves ensemble grâce à votre amour ?
Notre amour…
Oh. Mon. Dieu.
Pour la première fois, Valentina se laissa aller à cette idée. Pas que du plaisir mutuel, mais un amour
commun.
— Et si ça ne marchait pas ? murmura-t-elle, pleine d’appréhension. Si nous n’étions pas assez forts
pour ça ?
Tatiana garda son regard bienveillant fixé sur son aînée.
— Est-ce que tu connais Jayden ? demanda-t-elle.
Valentina tâcha de ne pas paraître surprise par ce changement abrupt de sujet.
— Le technicien ? Oui, il est très gentil.
Les joues de la jeune actrice s’empourprèrent.
— C’est ce que je pense aussi… En fait, j’attends qu’il se décide à me proposer une sortie.
Le jeune technicien serait absolument parfait pour sa sœur. Calme, très professionnel, jeune et à
croquer. De plus, il travaillait dans l’ombre du système et connaissait très certainement les dangers de ce
milieu.
Dire que ça m’est passé sous le nez ! Une bonne grande sœur l’aurait tout de suite remarqué.
— Mais je pense qu’il ne fera jamais le premier pas, regretta la jeune actrice.
— Pourquoi pas ?
Le regard de Tatiana était si intense que Valentina dut se redresser.
— Parce que je suis une célébrité et qu’il est « juste lui », conclut la jeune femme.
Valentina se sentit désolée pour sa sœur, mais n’avait-elle pas mis exactement la même pression sur
Smith ? Et pourtant, n’avait-il pas prouvé à plusieurs reprises qu’il n’était qu’un homme comme un autre ?
La jeune femme avait passé tellement de temps à essayer de se préserver qu’elle n’avait gardé en tête que
ce qui l’arrangeait.
Tu parles d’une idiotie ! jura-t-elle intérieurement, repensant à la scène tournée aujourd’hui et à sa
réaction démesurée.
La jeune femme prit la main de sa cadette et la serra.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ? s’enquit-elle. Si Jayden te propose de sortir, que diras-tu ?
La jeune actrice se lécha les lèvres.
— Je l’emmènerai dans un restaurant avec une petite table pour deux… Et je le séduirai.
Clairement, sa petite sœur n’était plus si petite que ça. C’est une femme accomplie, avec des envies
de femme. Une femme assez accomplie et intelligente pour saisir des opportunités quand elles se
présentent et qui sait faire confiance à son cœur.
Valentina l’entoura de ses bras.
— Je t’aime, Tat’.
— Je t’aime aussi, Val. (On frappa à la porte.) Et crois-moi si je te dis que tu devrais donner une
chance à Smith. Une vraie ! Il te prouvera de quel bois il est fait… Et toi aussi.
Sans lui laisser la moindre chance de répliquer, la jeune actrice alla ouvrir la porte de sa loge pour
laisser apparaître le comédien.
— Elle est là, lui dit Tatiana, avant de se pencher à son oreille. Et si tu lui fais du mal, je te tue.
Puis elle partit, les laissant seuls.
23

Encore hanté par l’expression de Valentina sur le plateau, Smith pénétra dans la caravane.
Conscient de la sensibilité de la jeune femme, le comédien s’était résolu à se concentrer uniquement
sur la scène et sur Tatiana, aussi déchirant que soit son dilemme.
S’il s’était risqué à sortir de son personnage, le regard paniqué de Valentina l’aurait poussé à
interrompre non seulement la scène mais aussi toute la journée de tournage pour lui venir en aide. Et Dieu
savait combien cette scène était capitale pour son histoire, son équipe et ses investisseurs. Mais rien, non
rien, ne l’aurait empêché de prendre Valentina par la main et de l’emmener loin de cet univers où tout
était factice.
Pourtant, même après avoir mis en boîte la séquence la plus difficile à tourner de toute sa carrière,
Smith ne s’était pas préparé à la retrouver aussi pâle et abattue, arborant un masque d’écœurement atroce
à voir.
Me suis-je trompé ?
Ai-je perdu la seule personne au monde que j’aie jamais aimée ?
Gabe et Summer l’avaient retardé. L’acteur avait été ravi de les voir, mais chaque seconde passée
loin de Valentina était un supplice et il avait tant à se faire pardonner auprès d’elle. Par chance, Gabe le
connaissait par cœur et, ressentant son trouble, il s’était éloigné, appâtant la petite fille avec une coupelle
de bonbons.
Smith s’était alors précipité jusqu’à la loge de Tatiana, prêt à bousculer quiconque se mettrait en
travers de sa route. Maintenant qu’il y était, le comédien ne savait pas quoi dire. Il prit Valentina dans ses
bras, priant pour qu’elle ne lui en veuille pas.
— Je suis désolé, déclara-t-il en lui caressant le dos. Je n’ai jamais voulu te blesser, Valentina. Ça
n’arrivera plus jamais, je te le promets.
Il la plaqua contre lui, espérant qu’elle sentirait son cœur battant, témoin de sa gêne et de sa sincérité.
— J’ai eu très mal, confirma-t-elle doucement. Mais ce n’était pas ta faute… Je me suis fait du mal
toute seule.
Smith recula et la toisa droit dans les yeux. Que voulait-elle dire par là ?
— J’ai merdé, fit-il. J’avais bien préparé Tatiana, mais toi…
Quel idiot, tu n’as pas fait assez attention. À dire vrai, Smith avait eu peur que l’idée seule de cette
scène ne la fasse fuir.
— J’ai tourné beaucoup de scènes de ce genre, expliqua-t-il. Mais celle-ci, c’était l’enfer. Je t’en
prie, dis-moi qu’il n’est pas trop tard… Que je peux encore tout arranger.
— C’est ton travail, Smith. Je le comprends et tu n’as pas à te retenir à cause de moi.
Ne voyait-elle donc rien ? Les investisseurs, son équipe… Il y avait accordé tellement d’importance
qu’il avait failli rater l’essentiel : elle.
— Je n’aurais jamais cru qu’une scène puisse être aussi dure à tourner, reprit-il. J’en ai tourné
tellement, avec des femmes mariées, de complètes étrangères et parfois même des amies.
Plein de dégoût pour lui-même, Smith se redressa et recula, la main passée dans ses cheveux.
— Je te jure que tourner avec ta sœur a été la chose la plus dure que j’ai eu à faire de toute ma
carrière.
La morosité de Valentina égalait la sienne. Certes, il n’avait rien fait de répréhensible mais il se
sentait tout de même terriblement mal. Lui qui ne désirait qu’une histoire d’amour toute simple venait
d’offrir un pur calvaire à la seule personne avec laquelle il voulait la partager.
Que pouvait-il bien exiger d’elle après ça ? Rien.
— Je ne vais pas te mentir, Smith. Cette journée a été une horreur…
Il grimaça et Valentina tendit la main vers lui. Il contempla son avant-bras et ses doigts délicats qu’il
finit par entremêler aux siens.
Il n’attendit pas son aval et déposa un baiser sur le dos de sa main.
— Je ne me serais jamais crue aussi jalouse, admit-elle en une parodie de sourire. Je sais pourtant
qu’il n’y a rien entre vous deux, que vous êtes presque comme un frère et une sœur, mais… (Elle secoua
la tête, la poitrine agitée de spasmes.) Non. Je ne veux pas y penser. Ce souvenir est atroce. (Elle
s’approcha si près que Smith ressentit très nettement la chaleur de son corps.) Créons-en un plus beau, tu
veux ?
L’acteur n’aurait pas demandé mieux, mais pas comme ça… Pas dans ces conditions.
— Je n’ai jamais eu autant envie de quelqu’un que de toi, mais je ne veux pas faire l’amour juste pour
chasser un mauvais souvenir. Ça ne marche pas comme ça. Je veux plus.
Il avait bien failli perdre Valentina, aujourd’hui. Il était grand temps d’être honnête.
— Qu’est-ce que tu…
Elle s’interrompit, réfléchissant à ce qu’il venait de dire. L’attente était insupportable mais, aussi
pénible que cela fût, il laissa à la jeune femme le temps de trouver les mots qui lui manquaient.
— Qu’est-ce que tu veux de plus ? finit-elle par demander.
— Toi.
C’était aussi simple que ça. Entre eux, tout devrait l’être. Dès leur rencontre et leur première étreinte,
Smith avait été irrémédiablement attiré par elle, intoxiqué par sa beauté, sa personnalité. Tout.
— Je te veux aussi, reconnut-elle, d’une voix à peine audible – si peu en fait que si Smith n’avait pas
eu autant envie d’entendre ces mots, il ne les aurait pas perçus.
Après tant de souffrances, peut-être était-il temps de s’accorder un remède ?
Du bout du pouce, il caressa ses lèvres pleines, et la jeune femme, toujours aussi réactive, frissonna
de plaisir.
— Je suis à toi et tu le sais, reprit-il. Dis-moi plutôt… ce que tu veux d’autre.
— Je…
Elle s’interrompit et le regarda. Tant de force, de volonté en un seul et sublime regard.
— Je veux essayer, déclara-t-elle. Qu’on se donne une chance. Coucher avec toi, c’était déjà tenter le
diable, fit-elle d’une voix qui lui donna envie de la prendre immédiatement sur le sol. Mais je n’ai jamais
osé espérer plus. (Elle prit un air meurtri.) J’ai été si injuste envers toi… Et envers moi-même.
L’intensité de son regard le mettait au supplice. Sans parler de tout ce qui faisait son charme
physique.
— Veux-tu sortir avec moi ?
Quelle délicieuse question ! se réjouit Smith tandis qu’un sourire s’étirait au coin de sa bouche.
— Rien ne me ferait plus plaisir.
— Vraiment rien ? fit-elle d’une voix sensuelle qui l’excita au plus haut point.
Smith réduisit la distance entre eux et la prit par la taille.
— Eh bien, maintenant que tu le dis… Il y a bien une chose…
Valentina se dressa sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Smith était bien décidé à la laisser
mener la danse. Cette femme lui faisait perdre la tête ! Tandis qu’elle léchait les lèvres de son partenaire,
imitant à la perfection la douceur de ses précédentes caresses, toutes les expériences passées de Smith
disparurent de ses souvenirs. Comme si aucune femme n’avait jamais fréquenté son lit. Valentina tira
avidement sur sa chemise tandis qu’il s’emparait de sa langue.
Les boutons volèrent en tous sens et la chemise du comédien fut jetée sur le sol. Cette frénésie dans
son comportement… Même ses propres amis ne la reconnaîtraient pas ! C’était pour lui, rien que pour
lui, et il adorait ça.
— J’aurais dû être avec toi sur ce lit, pas Tatiana, fit Valentina, déposant un baiser sous sa pomme
d’Adam. Je l’adore mais j’ai bien failli la pousser pour te rejoindre !
La jeune femme rejouait la scène au baiser près, émettant de petits gémissements tout en descendant
jusqu’à son érection.
Oh, bon Dieu ! Heureusement qu’il pouvait s’accrocher à ses hanches, autrement il aurait perdu
l’équilibre.
Valentina ne cessait de le surprendre. Tant d’amour, d’intelligence en une seule personne, voilà qui
était inédit. Smith ne s’ennuierait jamais avec elle. Valentina ne lui dirait jamais ce qu’il voulait entendre
et ne flatterait jamais son ego. Tant de gens étaient si empressés de lui plaire qu’ils en perdaient toute
authenticité. Mais pas elle.
Elle ferait son bonheur, qu’elle lui vole une pièce de puzzle… ou son cœur.
Soudain, la jeune femme le tira sans ménagement sur le divan et le détailla d’un air satisfait. Plaqué
sous elle, torse nu, le comédien – toujours en pantalon – ne dissimulait rien de son excitation.
Valentina se leva, ferma la porte de la loge et dénoua sa chevelure ondoyante avant de se débarrasser
de sa veste cintrée et de son chemisier de soie. Ses seins arrogants dardèrent sous l’étoffe de son soutien-
gorge, l’aveuglant presque de leur beauté. Il cligna les yeux et ne les rouvrit que pour l’apercevoir face à
lui, en talons hauts et ensemble affriolant – un autre de ses cadeaux.
Smith étouffa un juron, ce qui fit sourire Valentina de fierté.
— J’espérais bien que tu dises ça, fit-elle d’une voix suave. C’est un beau cadeau, tu sais.
— C’est toi le plus beau, répliqua-t-il, la voix étouffée par l’émotion.
La jeune femme sembla vaciller un instant sur ses talons, puis elle s’avança, comme dans un rêve,
avant de se mettre à genoux devant lui.
Elle ne fit pas mine de défaire le ceinturon, se contentant d’un ultime baiser avant d’accorder à son
amant le délice qui lui brouillait l’esprit par avance.
Quelqu’un d’autre devrait finir le film à sa place, se dit-il. Car il ne survivrait pas à tant de plaisir.
Valentina plaqua ses mains sur son torse.
— Je sais que tu embrasseras d’autres actrices, à l’avenir. Mais je serai la seule à qui tu penseras
vraiment, conclut-elle, ses ongles griffant légèrement sa peau, de ses pectoraux jusqu’à ses abdominaux,
comme pour le marquer.
— Je ne pense déjà qu’à toi.
À quoi bon dissimuler la vérité ? Elle l’avait toujours obsédé et l’acteur mettrait dorénavant toute son
énergie au service d’une seule et unique cause : la conquête du cœur de sa belle.
Comme si elle ne l’avait pas entendu, Valentina pencha la tête sur son torse, léchant avidement sa
peau griffée. Les poils du comédien se hérissèrent, tandis qu’il jurait et grondait sous le délicat assaut de
sa langue, puis de ses dents.
Sur le plan purement physique, Smith la dominait, et il aurait été extrêmement facile de prendre le
dessus sur elle. Mais après le mal qu’il lui avait fait, la jeune femme méritait amplement de prendre les
rênes. À elle le droit de rejouer la scène – à ceci près que Smith se permit de s’emparer de sa chevelure
de soie.
Difficile d’imaginer que cette superbe femme, à genoux devant lui, était si sérieuse habituellement. Se
rendait-elle compte à quel point elle était sexy ?
Enfin, Valentina se redressa et se lécha les lèvres.
— Voilà qui est mieux, commenta-t-elle, plus pour elle que pour lui, avant de lui ôter chaussures et
chaussettes.
Smith aurait souri d’une telle audace si sa ceinture n’avait pas suivi.
La respiration bloquée par l’émotion, l’acteur regarda son amante défaire le ceinturon de cuir.
Chaque nouveau moment partagé avec elle semblait être le premier – une éternelle redécouverte.
Les yeux plongés dans les siens, la jeune femme ouvrit sa braguette. Le souffle coupé, il observa la
couleur noisette de ses pupilles qui avaient viré au vert – couleur de la passion. D’un geste brusque, elle
baissa son pantalon, puis son boxer, et Smith se redressa, plus excité qu’il ne l’avait jamais été de sa vie.
Valentina courba les lèvres en une moue aussi sensuelle qu’appréciative.
— À moi, souffla-t-elle tout contre sa virilité.
Un râle de plaisir s’échappa de la cage thoracique de Smith. Valentina se lécha les lèvres et – oh, bon
Dieu ! – l’instant d’après, il sentit sa langue semer un chemin d’émerveillement sensuel tout le long de
son membre durci.
Inconsciemment, Smith raffermit sa prise sur sa chevelure, la poussant à le prendre plus avant dans sa
bouche.
Au départ, il crut l’entendre rire. Mais la jeune femme se plia à son impérieuse demande, la chaleur
de sa bouche lui octroyant plus de plaisir qu’il n’aurait pu en rêver.
— Oh, Valentina !
Son nom résonna comme une prière – non, une bénédiction.
Bientôt, il lui rendrait la pareille.
S’il avait été moins égoïste, il l’aurait fait sans attendre. Mais la jeune femme semblait prendre un tel
plaisir, gémissant en goûtant chaque parcelle de sa virilité, qu’il en demeurait paralysé.
Smith avait toujours été un monstre de contrôle, que cela soit en famille, avec la presse ou sur un
plateau. Mais avec elle, il pouvait se laisser complètement aller.
Vivre. Tout simplement.
Soudain, un râle puissant résonna entre les murs de la loge et il jouit au cœur de sa bouche,
s’abandonnant à ses caresses jusqu’à l’extase.
Sous le coup de l’orgasme, il dévisagea la jeune femme, assise sur ses talons, se léchant les lèvres
comme un chat. Ses joues étaient en feu, sa chevelure en désordre et son rouge à lèvres avait disparu.
Je t’aime, voulut-il dire. Mais il était encore trop tôt. Pas de confession post-orgasmique ! Il ne
devait lui laisser aucune chance de mettre sa sincérité en doute.
Mais à défaut de paroles, Smith savait y faire avec les actes. Si les mots ne pouvaient rien ce soir,
son corps prendrait le relais.
Elle venait bien de se livrer, elle. Pourquoi pas lui ?
24

Jamais Valentina ne se serait crue capable de telles choses – des choses aussi folles que
merveilleuses.
Cette façon dont Smith s’était laissé aller en elle, obéissant à son rythme. Quelle perfection !
C’en était presque choquant.
Aussitôt après, il la prit par les hanches et l’allongea sur le divan.
— À toi, maintenant.
Sans qu’elle ait le temps de comprendre, elle se retrouva jambes écartées, le visage de son amant
entre ses cuisses.
Vulnérable à nouveau, elle voulut faire une plaisanterie ou une petite remarque sexy, mais rien ne lui
vint.
— Smith, je viens d’avoir mon tour, enfin !
Le regard sombre, Smith prit son visage entre ses mains et l’embrassa avec une fougue au moins égale
à celle dont elle venait de faire preuve.
— En ce cas, j’imagine que c’est mon tour, fit-il d’une voix si suave qu’un frisson lui parcourut
l’échine.
Valentina déglutit et hocha légèrement la tête.
Mais Smith se contenta de la regarder, dévorant des yeux chaque parcelle de peau offerte à travers
l’audacieux ensemble de lingerie.
Même à genoux, il paraissait très grand et, malgré son orgasme, sa virilité demeurait vaillante. Elle
l’attira à elle et sentit toute la puissance de son membre encore dur contre son intimité.
— Je ne veux pas attendre, Smith ! Je te veux, maintenant !
Quel aveu de sa part, elle ne l’aurait jamais cru !
Plus qu’un vœu, c’était un besoin vital.
Smith l’embrassa à nouveau avec une passion démesurée et, d’une pression sur les hanches, la plaqua
contre le divan.
Il sortit un préservatif, mordilla le creux de son cou et, d’un seul mouvement du bassin, la pénétra.
Son râle extatique se joignit à son gémissement de plaisir. Elle l’entoura de ses jambes et planta les
ongles dans ses épaules. Et soudain, toutes ses peurs, toutes ses inquiétudes, disparurent de son esprit.
Enfin, elle comprenait. Quand ils étaient ensemble, qu’ils faisaient l’amour de cette façon si
débridée, Smith n’était plus la star mondiale admirée de tous.
Mais un homme dont chaque rire et chaque attention la faisaient craquer davantage jour après jour. Et
dont chaque regard assombri et chaque caresse l’emplissaient d’un sentiment qu’elle avait eu trop peur de
nommer et dont elle ne parvenait pas à se défaire.
— Valentina !
La jeune femme ouvrit les yeux et vit Smith qui l’observait, son beau visage embelli par le plaisir et
par cette même émotion qu’elle avait tout d’abord préféré ignorer.
De l’amour.
Ce fut avec ce mot en tête, résonnant à l’infini, et grâce aux douces caresses de son amant, que
Valentina sentit les premiers soubresauts agiter tout son corps.
— Tu es à moi ! cria-t-il.
Oui, elle l’était.
Tout à lui.
Et pour aussi longtemps qu’il le voudrait. Smith n’était plus qu’un simple amant, dorénavant. Il était
devenu bien davantage.
Leur relation était au-delà des mots et défiait toutes les peurs. Seul Smith comptait, seuls ses caresses
et ses généreux coups de reins comptaient, désormais. La jeune femme se laissa entièrement aller et jouit
de toute son âme.
Son âme qu’elle confiait, enfin, à son bel acteur.


Une demi-heure plus tard, Smith et Valentina se tenaient devant un grand golf miniature, tenaillés par
la faim.
— Pour un premier rencard, c’est assez particulier, s’étonna Smith au milieu d’une foule de parents
trop accaparés par leurs enfants pour le reconnaître.
Valentina le regarda d’un air gêné.
— Depuis toutes petites, Tatiana et moi avons un faible pour le minigolf. C’est un endroit très discret.
J’ai pensé que…
— Brillante idée, l’interrompit Smith avec un sourire.
Puis il la poussa à l’intérieur avec à peu près autant d’empressement qu’un enfant devant un stand de
bonbons. Valentina sentit son estomac gronder de plus belle à l’odeur des hot-dogs et des frites – régime
recommandé après une telle dépense d’énergie.
À la caisse, le gamin qui enregistra leur commande ne reconnut pas tout de suite la célébrité qui lui
faisait face.
— Oh, mon Dieu, fit-il. Vous êtes Smith Sullivan !
— En effet, confirma le comédien avant de regarder le badge de l’employé. Ravi de vous rencontrer,
Mark.
— Mes amis vont péter un câble quand je vais leur dire que je vous ai vu ! Notre film préféré, c’est
Les Forces de la destruction !
Le gamin sortit son téléphone portable.
— Dis-moi, Mark. Puis-je te demander un service ?
— Bien sûr, tout ce que vous voulez, m’sieur !
L’acteur se pencha vers lui et lui parla sur le ton de la confidence – mais Valentina entendit tout.
— Eh bien, je sors pour la première fois avec une fille, aujourd’hui. Et j’espérais qu’on puisse la
jouer un peu incognito, tu vois ?
Mark remarqua la jeune femme par-dessus l’épaule de son idole.
— Elle est canon, nota-t-il.
— Oh oui, mon gars, super canon, reconnut Smith. Donc, on est d’accord ? Tu gardes ma présence ici
pour toi ?
— Bien sûr, m’sieur. Pas de souci.
— Merci, Mark. Tiens, donne-moi ton numéro de téléphone. Je t’invite à venir sur le plateau de mon
prochain film, ça te dit ?
— Sérieux ? (Le gosse s’empressa de noter son numéro sur une serviette en papier.) Personne vous
embêtera, m’sieur Sullivan, c’est promis !
Smith prit les plateaux et ils allèrent s’asseoir. Malgré la faim qui la tenaillait, Valentina ne put
manger quoi que ce soit.
— Tu ne laisses rien au hasard, hein ? fit-elle.
— Tu penses que je laisserais notre rendez-vous être gâché ?
Le regard du comédien était aussi intense que lorsqu’il lui faisait l’amour. Comme s’il ne se voyait
pas vivre sans elle.
Autrefois, Valentina aurait menti sur ses sentiments. Mais les choses avaient changé et elle lui devait
la vérité.
— Je n’ai pas totalement confiance… mais je veux avoir confiance. Je te jure.
Ce n’était pas ce qu’il voulait entendre, bien sûr. Mais au lieu de se braquer, Smith se servit en
moutarde et en ketchup et assaisonna le hot-dog de la jeune femme comme elle l’aimait – de toute
évidence, il avait pris note de ce détail lors des pauses déjeuner sur le plateau.
Qui remarquerait ce genre de choses ? se demanda-t-elle. D’un autre côté, rien de ce qui la
concernait ne semblait lui échapper.
La gravité, comprit-elle, se moquait bien des états d’âme de l’un ou de l’autre. Qu’elle préfère
l’ombre et lui la lumière ne pesait guère dans la balance.
Smith mangea une frite et désigna le parcours de golf du menton.
— Alors ? commença-t-il. Qu’est-ce qu’on parie ?
— Parier ? fit-elle en arquant un sourcil. C’est juste un jeu.
Il la regarda d’un air qui ne lui disait rien qui vaille.
— Tu sais comment on est, nous les mecs, rétorqua-t-il avec un sourire.
Elle leva les yeux au ciel.
— Au moins, tu sais que tu es ridicule, c’est déjà ça !
— Ne va pas me faire croire que toi et Tatiana n’avez jamais eu le sens de la compétition. Je suis sûr
que l’une de vous s’est au moins une fois amusée à bloquer les pales du moulin au dix-huitième trou.
Sa remarque la fit rire. Touché !
— Il se peut qu’une fois elle ait placé sa balle pile à l’endroit idéal pour que je la fasse gagner en un
coup, reconnut-elle. Mais c’était accidentel, bien sûr.
Smith secoua la tête.
— Ah, les petites sœurs, c’est fou ce qu’elles sont pénibles, parfois ! Mais je suis certain que tu ne
l’as pas dénoncée.
Valentina le dévisagea d’un air faussement innocent.
— Qui aurait pu deviner qu’un peu de vaseline sur une balle dévierait un coup à ce point, n’est-ce
pas ?
— Ah, c’est comme ça ? Très bien. Maintenant que je sais combien gagner compte pour toi, je vais
devoir effectuer une fouille corporelle intégrale avant de commencer la partie. Simple précaution, au cas
où tu aurais un tube de vaseline planqué quelque part.
Décidément, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient, même dans un minigolf à l’hygiène douteuse,
Valentina avait envie de Smith.
Ce qu’on ne ferait pas, je vous le demande.
Smith s’adressa à elle d’une voix si suave qu’elle en frissonna.
— Si je gagne, tu devras me tenir la main toute la soirée, édicta-t-il.
Surprise, Valentina entendit les conseils de sa sœur lui revenir en tête : « Imagine que Smith
t’accorde le privilège de t’aimer comme tu le mérites, est-ce que ça n’en vaudrait pas le coup ? Tu
devrais t’accorder cette chance, et peut-être pourrez-vous affronter les épreuves ensemble grâce à votre
amour ? »
Sous la table, la main de Valentina se mit à trembler mais elle se força à lui faire quitter son genou et,
le cœur battant la chamade, elle la posa sur celle de Smith qui, surpris, glissa ses doigts entre les siens.
— Pas besoin de pari pour ça, fit-elle.


De retour chez Valentina après leur partie de golf – qui s’était achevée en un parfait ex æquo – le
couple découvrit Tatiana en train de bouquiner sur le divan.
— Alors, Smith ? fit-elle. Nicola et Marcus sont toujours chez toi ?
Le comédien sourit.
— Non.
Valentina n’avait jamais ramené d’homme à la maison. Au début, elle pensait que c’était par respect
pour Tatiana mais, en réalité, la jeune femme n’avait jamais eu assez confiance en un homme pour lui
accorder le privilège de s’éveiller près d’elle.
Mais pour la première fois de sa vie, Valentina se sentait assez forte pour assumer face à sa sœur.
— Aucune objection à ce que mon copain reste dormir, n’est-ce pas, Tat’ ?
— Bien sûr que non, fit Tatiana, ravie de ce qu’elle venait d’entendre. Je vais juste m’assurer d’avoir
mes bouchons d’oreilles à portée de main.
Amusée, Valentina brancha son téléphone à son chargeur et vit que George lui avait laissé un message
dans l’après-midi. Malgré son envie de filer au lit avec son homme, Valentina se plia aux exigences du
métier, d’autant que l’agent de Tatiana avait peut-être d’importantes nouvelles pour elle.
Lorsqu’elle raccrocha, la jeune femme avait les mains tremblantes. Elle retourna au salon et partagea
ce qu’elle venait d’entendre avec les deux personnes les plus importantes de sa vie.
— George m’a laissé un message. Mon script… Il fait fureur et il paraît qu’on se bat pour en obtenir
les droits, dit-elle le plus calmement possible. Et il paraît qu’un très gros studio est en lice et que je ne
vais pas en revenir !
— Oh, mon Dieu ! bondit Tatiana, prenant sa sœur dans ses bras.
À son tour, Smith s’avança et saisit son visage entre ses mains.
— Félicitations, Valentina. (Il l’embrassa puis recula, un sourire aux lèvres.) Dommage que je n’aie
pas eu l’occasion de le lire le premier…
La jeune femme partit d’un rire franc et se mit à danser en rond avec Tatiana, avant d’inviter Smith à
rejoindre la liesse.
— Ne t’inquiète pas, tu auras la primeur du suivant, le rassura-t-elle.
Tatiana alla chercher une bouteille de champagne, et après une coupe, ce fut le plus naturellement du
monde que Valentina se brossa les dents tandis que Smith, debout à côté d’elle devant le lavabo, faisait
de même. Puis ils se déshabillèrent mutuellement et se glissèrent sous les draps.
Tatiana pouvait remiser ses bouchons d’oreilles pour cette nuit. Smith prit Valentina dans ses bras et
ils s’endormirent, tendrement enlacés.
25

Lorsque le couple se décida à se rendre à la cuisine, ils y trouvèrent Tatiana, assise devant un café et
un bol de céréales à moitié consommé. La jeune actrice les accueillit d’un sourire.
— Salut, lança Smith.
Tatiana profita de ce que sa sœur fouillait dans l’armoire à tasses pour articuler un message
silencieux à son ami : « Il faut qu’on parle .»
— Val ? fit-elle. Tu te rappelles les boucles d’oreilles en rubis que je t’ai prêtées la semaine
dernière ? Je ne les trouve plus. Tu pourrais aller voir si tu ne les as pas oubliées dans ta chambre, par
hasard ?
La jeune femme quitta diligemment la pièce et Tatiana en profita pour tirer une feuille de papier
imprimée de sous la table.
— Regarde, fit-elle en la tendant à Smith.
C’était une photo issue du shooting « romantique » que lui et Tatiana avaient fait pour la promotion du
film. Sur le côté, une photo prise sur le vif le montrait main dans la main avec Valentina au minigolf.
Le titre s’étalait en grosses lettres : Smith Sullivan initie une jeune actrice au plaisir tout en
entretenant une relation avec sa sœur aînée ! Vous saurez tout sur le triangle amoureux le plus torride
de Hollywood !
En rage, le comédien chiffonna le papier.
— Il ne faut pas que Valentina voie ça, fit-il. Sinon, c’est la panique assurée !
Un euphémisme, ils le savaient tous les deux.
— Mais si c’est déjà dans le journal, autant dire que toute la sphère Internet a déjà relayé
l’information, reprit-il. On ne pourra pas le lui cacher bien longtemps.
Vingt-quatre heures… C’est tout ce que je voulais… Était-ce trop demander ?
Pour lui, la scène tournée avec Tatiana semblait déjà remonter à longtemps, mais ce souvenir était
encore frais pour Valentina. La jeune femme n’avait pas besoin de ça. Combien de temps lui faudrait-il
pour se remettre d’un tel article ? Elle le lui avait bien dit : être sous les projecteurs lui faisait horreur.
Et si cette simple photo en première page lui rappelait tous ses scrupules ? craignit-il.
Se voulant rassurante, Tatiana prit le comédien par le bras.
— Je sais combien tu comptes pour elle. Bien sûr, elle a ce genre de truc en horreur mais vous formez
un couple génial, tous les deux, je t’assure !
Valentina choisit pile ce moment pour faire irruption dans la cuisine, les boucles d’oreilles de sa
sœur à la main.
— Voilà, elles étaient sur le… (Elle s’interrompit en les découvrant.) Qu’est-ce qui se passe ?
À quoi bon lui dissimuler la vérité ? Elle l’apprendrait tôt ou tard, alors autant que ça vienne de lui.
— Voilà, fit-il en lui tendant l’article chiffonné.
Tout le long de sa lecture, Smith lui tint la main. La jeune femme lut chaque détail du scandale, de sa
propre relation avec l’acteur jusqu’à la prétendue passion qu’il entretenait pour Tatiana.
— Je sais qu’on ne peut pas contrôler ce genre de choses, fit Tatiana d’une voix peu assurée. Ce n’est
pas juste pour toi, Val. Tu n’as pas signé pour ça.
« Juste »… C’est un mot à manier avec précaution à Hollywood.
Tatiana reprit :
— Mais bientôt, tout le monde verra que vous êtes ensemble et cette histoire sera bien vite oubliée, je
te le promets.
Tatiana disait peut-être vrai. Mais quoi qu’il en soit, Valentina serait la cible des caméras, qu’elle le
veuille ou non.
Cette dernière n’avait pas encore desserré les dents et cela l’inquiétait au plus haut point. S’il ne
s’était agi que de l’un d’eux, Valentina aurait pris sur elle et aurait consolé sa sœur comme elle le faisait
si souvent.
Lui qui avait toujours pensé pouvoir contrôler cet aspect de sa vie, voilà qu’il tombait de bien haut.
— Valentina, commença-t-il. Au cinéma ou dans les livres, on raconte des histoires pour divertir. Ces
torchons font la même chose, ce n’est pas si grave, crois-moi.
À ce détail près que les films et les livres n’étaient que des fictions alors que les paparazzis jouaient
sur l’affectif et le réel. Lui et Tatiana en avaient déjà fait les frais.
Et voilà qu’à cause de lui, Valentina se retrouvait exposée à son tour.
Smith savait pourtant que, en se mettant en couple avec lui, la jeune femme finirait par être prise en
photo, mais jamais il n’aurait pensé que cela arriverait si tôt dans leur relation.
Ni de façon aussi laide.
La voix enrouée par une colère contrôlée, la jeune femme prit enfin la parole.
— Je me doutais bien que cela arriverait tôt ou tard et que cela me ferait souffrir. Tout allait si bien…
Cette matinée, nous trois… J’aurais dû me méfier, regretta-t-elle.
Elle s’interrompit et plaqua l’article sur la table. Sa sœur et son amant retinrent leur respiration et,
lorsque la jeune femme se tourna vers Smith, un frisson d’angoisse parcourut ce dernier en voyant
l’expression de son regard.
Il lui prit les mains, plus froides encore que lors de leur soirée à Alcatraz. Smith attendit que la jeune
femme annonce sa sentence – qu’elle regrettait leur relation et ne pouvait pas l’assumer… Que tout était
fini.
Valentina inspira profondément, vida ses poumons, recommença et poursuivit :
— J’avais promis d’essayer… Je veux toujours, mais pas à ce prix. Sortir avec toi, c’est une chose,
Smith. Mais il faut que je sois certaine que tous nos lendemains ne seront pas comme celui-ci.
Tout n’était pas perdu ! Soulagé au plus profond de son cœur, Smith prit l’amour de sa vie dans ses
bras et la serra si fort qu’il aurait bien pu lui casser une côte par accident. Les mots qu’elle venait de
prononcer étaient d’autant plus importants pour lui que Tatiana en avait été témoin.
Valentina venait d’admettre ne plus vouloir se cacher et c’était un pas de géant !
Se peut-il que cette sordide histoire soit en fait une sorte de bénédiction ?


J’ai parlé trop vite, songea Smith, blasé face aux trois paparazzis qui les attendaient sur le trottoir.
Cette saleté est une malédiction.
Sur le chemin du studio, tandis que le trio était harcelé par les flashs d’appareils photo et les
messages de l’assistant-réalisateur, Smith repensa à diverses scènes de sa vie.
Valentina qui, par son simple regard, le mettait au défi de faire subir le moindre mal à sa petite sœur.
L’envie bienveillante qu’elle avait manifestée lors de la soirée de fiançailles de Nicola et Marcus.
La façon dont elle s’était confiée à lui face au feu de cheminée.
Leur premier baiser, si torride ; puis le second, sur l’île d’Alcatraz, à la faveur de la lune.
Ses larmes pendant le tournage d’une scène.
Et surtout son courage. Sa détermination à essayer d’être avec lui malgré les épreuves et ses propres
réticences.
Ces situations chocs, les articles et les paparazzis, voilà quinze ans qu’il les gérait, avec autant de
finesse que de savoir-faire. Il aurait même pu en faire un cours pour acteurs débutants ! Quelles bêtises
avait-il racontées à Valentina ? Des histoires comme au cinéma, tu parles !
Smith avait beau repousser les photographes, leur intimer d’arrêter, essayer de protéger Valentina des
flashs, la vérité était qu’il ne gérait plus rien. L’un des paparazzis y alla de son commentaire :
— Des frangines ! Y en a qui se font plaisir, tiens !
C’est fini. Valentina va me quitter. Pour de bon ! se morigéna-t-il, assommé par ces mots qu’il ne
cessait de se répéter comme pour mieux s’en convaincre.
L’acteur en eut assez de prendre des coups. Son poing se serra, pulvérisa l’objectif d’un appareil
photo et vint s’abattre avec violence contre la mâchoire de son propriétaire.
26

Valentina prit place à l’avant de la voiture et Tatiana sur la banquette arrière.


Oh, mon Dieu ! Cette vie… Je ne peux pas. Je ne pourrai jamais. C’est invivable !
Smith mit les gaz et les éloigna de la troupe de photographes. Quelle douche froide ! Dire que la
jeune femme s’était sentie si heureuse quelques instants plus tôt. Elle ne savait plus quoi penser. Bien
qu’effrayée, elle avait également ressenti une certaine fierté à voir Smith se battre pour elle. Mais son
geste ne resterait pas sans conséquences.
Tatiana appela le chargé de promotion du film afin qu’il prenne les devants et anticipe les pots
cassés. Encore sous le choc, Valentina se sentait à peine concernée, le regard fixé sur les poings
ensanglantés de Smith sur le volant. Il émanait de lui une colère et une frustration qu’elle n’avait jamais
ressenties chez lui.
— Est-ce que ça va ? risqua-t-elle, sans reconnaître sa voix.
Smith ne répondit pas. Devait-elle répéter la question ?
— Tes mains, Smith. Tu saignes. Est-ce que ça va ?
Aucune réponse.
— Smith ? s’inquiéta-t-elle.
Au feu rouge, Smith freina brusquement et se tourna vers elle, le regard plein d’une fureur sourde.
— Tu avais raison, déclara-t-il d’une voix plus rauque, plus sombre que d’habitude.
Ne dis rien ! Je t’en prie, Smith, nous pouvons…
— Nous ne pouvons pas être ensemble, conclut-il. Ma vie, cette folie… Ce n’est pas pour toi.
Elle avait imaginé le pire, mais rien ne pouvait rivaliser avec ce qu’il venait de dire.
Oh, mon Dieu !
Lui qui avait été si sûr de leur couple qu’il avait fini par la convaincre, voilà qu’il renonçait ?
Ses mots la blessaient tellement qu’elle se figea, telle une statue de sel. Seule la main de sa sœur sur
son épaule lui maintenait les pieds sur terre.
Elle voulut l’encourager à penser le contraire, lui montrer qu’ils pouvaient mener une vie commune et
en affronter les épreuves. Mais la jeune femme se retrouvait prisonnière d’une sorte de gigantesque toile
dont elle ne savait pas comment s’extraire. Les projecteurs, les photographes… Pouvait-elle réellement
subir tout ça par amour ? Smith en valait-il vraiment la peine ?
Est-ce fini entre nous ? Est-ce là notre seule issue ?
Cette idée seule lui tordait les entrailles. Les potins et les photographes, ce n’était rien en
comparaison.
L’acteur se gara sur le parking du plateau de tournage et Tatiana posa de nouveau la main sur l’épaule
de sa sœur.
— Je vais prévenir l’équipe de votre arrivée, dit-elle avant de sortir de voiture.
À nouveau, Valentina regarda les poings ensanglantés de Smith. Que dois-je faire ? Que dois-je
dire ? Elle qui jusqu’ici avait toujours su réagir en cas de crise se sentait maintenant complètement
désarmée. L’acteur avait débarqué dans sa vie bien ordonnée et avait tout chamboulé, la privant de tout
repère viable en dehors de lui. Smith lui était devenu vital.
De cela au moins, elle était certaine. Tout comme elle savait qu’il ne pouvait pas rester comme ça,
sans rien dire, et aller travailler comme si de rien n’était. Les mots qu’il avait prononcés résonnaient
encore douloureusement à ses oreilles.
Mais des flashs d’appareils photo interrompirent sa volonté de discussion. Trop choquée par les
événements, la jeune femme n’avait pas immédiatement remarqué que les paparazzis les avaient suivis.
Mais Smith, si. Sans un mot, il saisit la poignée de la portière et s’apprêta à affronter la foule pour la
mettre en lieu sûr, mais Valentina le prit par le bras.
— Smith…
Il la dévisagea sans rien dire. Si seulement elle pouvait trouver les mots ! Qu’il comprenne qu’elle ne
lui en voulait pas et qu’ils pouvaient encore croire au bonheur.
Paralysée par la peur, Valentina sentit sa gorge se serrer.
Et dans les yeux de Smith, toute forme d’espoir se consuma.
— Il faut qu’on t’éloigne des photographes, finit-il par dire.
Il avait raison. Valentina le suivit sans un mot jusqu’à l’entrée du plateau, gardée par des vigiles
supplémentaires. Tous les membres de l’équipe étaient terriblement inquiets, comme le serait une petite
famille. Personne ne fit le moindre commentaire sur leur relation, chacun n’exprimant qu’agacement
envers les paparazzis.
Malheureusement, le tournage impliquait de trop nombreux capitaux pour se permettre une pause, et
tout le monde retourna au travail sous peu.


Malgré les événements de la matinée, toute l’équipe travailla d’arrache-pied durant les six heures qui
suivirent. Valentina observa le caméraman et l’éclaireuse en chef, couple marié, s’embrasser entre deux
prises. Si seulement elle et Smith pouvaient vivre leur amour aussi librement, sans peur du regard des
autres.
Mais le regard des autres n’avait jamais été le problème.
C’était la lâcheté qui l’avait empêchée de croire en leur histoire. Elle essayait de se consoler en se
disant qu’entre elle et le comédien, tout était allé bien trop vite, et qu’elle n’était pas venue sur le
tournage pour chercher l’amour, de toute façon.
— Coupez !
Valentina observa Smith qui parlait au téléphone – probablement de ce qui s’était passé le matin
même. Cette seule pensée fit frissonner la jeune femme. Mais alors, pourquoi donc souriait-il ? Valentina
lut sur ses lèvres et y décela un nom – Sophie. Tout s’expliquait.
La jeune femme devait être en train d’accoucher !
Valentina se leva de son siège au moment où Smith s’approchait d’elle.
— Écoute, commença-t-elle. Je sais que je ne suis pas de la famille, mais…
— Partageons ça ensemble, Valentina ! Le bonheur se partage.
Dieu merci ! Partager cet événement avec lui la comblait de joie. Smith invita toute l’équipe à
prendre sa journée, puis lui et Valentina coururent vers le parking. À peine sortis, ils furent assaillis par
les photographes. Malgré son stress et l’agacement apparent de Smith, la jeune femme fit de son mieux
pour les ignorer.
Valentina avait toujours adoré les bébés. Leur odeur et leur innocence la mettaient toujours en joie.
Même leur bouille renfrognée par la faim ou le sommeil lui paraissait adorable.
Elle se rappela la naissance de Tatiana. Ç’avait été le coup de foudre immédiat ! À peine née, la
petite s’était retrouvée dans les bras de sa grande sœur, lui inspirant l’amour inconditionnel qui avait
forgé sa vie.
— D’après ma mère, Sophie a des contractions depuis ce matin, expliqua Smith. Elle a eu le temps de
tous nous prévenir. Tout le monde sera là.
Elle aimait tellement sa voix. Ne plus l’entendre dicter ses ordres sur le tournage allait être une
véritable torture.
Contrôle-toi un peu, ma fille ! Au moins jusqu’à ce que Sophie accouche, tout de même !
— Est-ce qu’elle a très mal ? s’enquit Valentina, inquiète que la plus gentille des membres de la
famille soit en train de souffrir.
Inquiétude renforcée du fait qu’elle et Smith étaient si proches.
— Elle n’en a pas l’air, mais Sophie est une dure à cuire, lui apprit-il, malgré son inquiétude
manifeste. Lori a peut-être une grande gueule, mais en vrai, c’est une vraie chochotte. La guerrière, c’est
Sophie.
Le stress dans sa voix était palpable, mais l’accouchement de Sophie n’en était que partiellement
responsable.
Smith paraissait distant. Dire qu’ils étaient si proches, ce matin !
Encore sous le choc des événements, Valentina inspira si fort que Smith parut inquiet.
— Parle-moi de son mari, fit-elle. Comment se sont-ils rencontrés ?
Il y eut un long silence, puis Smith répondit :
— Il s’appelle Jake, c’est un ami de la famille. Il traînait tout le temps chez nous. Sophie en est
tombée amoureuse alors qu’elle n’était encore qu’une gamine.
Ce mot – amoureuse – manqua de lui faire perdre les pédales.
— Ils étaient comme le jour et la nuit, poursuivit-il. Si différents l’un de l’autre… Peut-être trop.
(Son ébauche de sourire s’évanouit.) Une bibliothécaire et un barman ; elle vit dans le calme, lui dans le
brouhaha ; elle a grandi protégée et lui roué de coups. Il est même couvert de tatouages…
La gorge de la jeune femme était si nouée que les mots y restèrent prisonniers.
— Mais ça a fini par marcher entre eux, n’est-ce pas ? tenta-t-elle.
Smith se gara sur le parking de l’hôpital et tourna vers elle un regard des plus ténébreux.
— Ouais… Ça a marché.


La salle d’attente de l’hôpital avait des airs de réunions de famille. Tous les Sullivan étaient présents,
prêts à accueillir les deux nouveaux venus d’ici la nuit tombée – sauf leur mère et Jake, probablement en
salle de travail avec Sophie.
Seule l’inquiétude générale entamait leur enthousiasme. Smith n’avait jamais frappé un photographe –
encore moins en public – et sa famille se sentait manifestement très concernée par son éclat.
Marcus et Nicola l’accueillirent les premiers et le prirent dans leurs bras. Dire qu’il n’avait pas cru à
l’amour de ces deux-là ! Il avait même mis Marcus en garde contre la célébrité de Nicola et l’avait averti
des sacrifices que nécessiterait une relation avec elle. Comme il avait eu tort ! Son frère et elle formaient
un couple parfait. Tout comme Sophie et Jake, d’ailleurs. Ce dernier avait pourtant mis sa sœur enceinte
dès le premier soir et, en l’apprenant, l’acteur avait vu rouge.
Lui et Valentina formaient un couple tout aussi parfait, il le savait. Mais leur relation était bien trop
fragile, et son style de vie avait balayé le peu de confiance qui demeurait entre eux.
Nicola enlaça Valentina et Marcus jeta discrètement un regard inquiet vers son frère.
Qu’est-ce qui t’a pris ? disait-il en silence.
Mais Smith secoua la tête. Pas question de parler de ça maintenant. C’était un jour important entre
tous et il n’allait pas le gâcher à cause de son comportement. Il savait que chacun de ses frères aurait été
prêt à retrouver les paparazzis pour leur faire payer leur attitude à leur façon, telle une meute de loups
défendant un des leurs. Mais Smith avait fait un choix de carrière et en assumait toutes les conséquences.
Jamais il ne laisserait le moindre des membres de sa famille se mettre dans l’embarras pour lui.
Voilà pourquoi il devait aussi renoncer à Valentina. Il avait essayé de faire en sorte que tout se passe
bien mais tout était quand même allé de travers.
Vicki et Lori discutaient avec elle et les trois jeunes femmes riaient de bon cœur. Elles lui
changeaient les idées et il les adorait pour ça.
Soudain, une femme passa devant eux en chaise roulante. En souffrance, elle gémissait de douleur et
tenait fermement son ventre arrondi. Smith songea à Sophie. Plus rien d’autre ne comptait.
Il s’était toujours montré lucide mais jusqu’ici il n’avait jamais réellement réfléchi à ce qu’impliquait
la grossesse de sa sœur, ou aux risques que représentait l’accouchement de jumeaux. Bien sûr, Sophie
l’avait rassuré de nombreuses fois – au moins deux fois par jour depuis l’annonce de sa grossesse – mais
l’inquiétude le dévorait de l’intérieur.
Il se mit soudain à haïr Jake pour avoir séduit sa sœur. S’il avait pu l’empêcher, Sophie ne serait pas
en train de…
— Smith ?
Valentina s’était subrepticement approchée de lui.
— Je crois qu’il serait grand temps d’employer tes charmes pour obtenir un laissez-passer auprès
d’une infirmière, non ? avança-t-elle. Voir Sophie te rassurerait, je crois.
Sa voix était comme un phare balayant les volutes de son esprit embrumé par les soucis. Une autre
raison qui faisait d’eux le couple parfait : dès qu’il péterait un plomb – conséquence régulière des affres
de son métier –, Valentina pourrait toujours tempérer ses accès de colère, comme elle le faisait si souvent
avec Tatiana, attentive à la moindre de ses angoisses.
Même si c’était la meilleure chose à faire, Smith ne pouvait décemment pas renoncer à elle.
Soudain, un flash d’appareil photo vint éblouir la salle d’attente à travers la vitre.
— Vous tous, restez calmes, fit Valentina. Je me charge de ça !


— C’est inacceptable, fit la jeune femme aux photographes.
Manifestement, la rumeur s’était répandue et la presse s’était ruée à leur poursuite – à moins qu’ils
n’aient été là depuis le début, à guetter le moment propice ? Là n’était pas l’important. Il fallait qu’ils
s’en aillent, et au plus vite.
— Je sais que c’est une star et que vos photos permettent de vendre des magazines, déclara-t-elle.
Mais ne pouvez-vous pas lui accorder un peu de paix ? Un peu d’intimité avec sa famille, est-ce que c’est
trop demander ?
Les flashs retentirent de plus belle tout autour de la jeune femme et elle comprit ce qu’avait ressenti
Smith avant de péter les plombs.
Valentina ne s’était pas crue capable de sacrifier sa vie privée, de se plier aux besoins de la carrière
de Smith, mais même s’il était trop tard pour eux, elle lui devait au moins ça.
— Je vous en prie, insista-t-elle auprès des photographes et des journalistes. Demandez-moi ce que
vous voulez et je vous répondrai si je le peux, mais laissez les Sullivan en paix, d’accord ?
Elle eut à peine le temps de reprendre son souffle qu’on lui posa une première question.
— Est-il vrai que Smith Sullivan sort avec vous et avec votre sœur en même temps ?
— Non.
— Alors, avec laquelle de vous deux sort-il ?
— Moi. Juste moi.
— Ça fait longtemps ?
— Environ un mois.
— En secret ?
— Oui.
— Et votre sœur était-elle au courant ?
— Non.
— Il vous aime ?
Elle secoua la tête, les yeux embués de larmes.
— Je l’ignore.
— Et vous ?
Les larmes coulèrent librement sur ses joues.
— Oui. Oui, je l’aime !
Ainsi, elle leur livra ce qu’ils désiraient tant obtenir – ses sentiments, ses peurs et son incertitude. Le
tout sur un plateau d’argent.
— Maintenant, partez. Je vous en prie.
À sa grande surprise, les paparazzis obtempérèrent. Valentina ne bougea pas, au cas où ils
changeraient d’avis. Une fois la foule dispersée, elle fit volte-face et s’écrasa sur le torse puissant qu’elle
connaissait si bien.
— Smith ? Tu…
— Je ne te mérite pas.
Il prit son visage entre ses mains et la toisa d’un air sombre. Manifestement, l’acteur avait assisté à
toute la scène.
— Tu ne mérites pas toute cette folie, reprit-il. Mais je suis un idiot égoïste… Je n’arrive pas à te
laisser partir.
Puis il l’embrassa avec une fougue démesurée, même pour lui. Et comme chaque fois, Valentina ne
lutta pas et lui rendit son baiser avec une égale passion.
— Je t’aime, Valentina. J’adore que tu sois ici avec moi et je n’oublierai jamais à quel point tu étais
belle quand je t’ai dit que je t’aimais.
Une infirmière d’âge moyen vint les interrompre.
— Smith Sullivan ? Je vais vous emmener voir votre sœur, si vous le voulez bien.
Smith accorda un dernier baiser à sa belle et suivit l’infirmière jusqu’à la maternité.


Les portes s’étaient à peine refermées sur la massive silhouette de l’acteur que Lori se glissa au côté
de Valentina.
— J’en étais sûre ! lâcha-t-elle.
Valentina, encore sous le choc de la confession de Smith – et de la sienne –, ne trouva aucune
réplique appropriée. Certes, Lori était très entreprenante mais la jeune femme savait que, malgré leur
apparente discrétion, le reste du clan Sullivan était tout aussi attentif au déroulement des événements.
Malgré tout son enthousiasme, Lori n’en était pas moins empathique. Elle s’empara du bras de
Valentina et fit quelques pas avec elle.
— Dans les grandes occasions, je me sers toujours un bon café, déclara-t-elle. Il y a sûrement une
machine dans le coin. Partante ?
Les deux jeunes femmes se retrouvèrent bientôt devant un jus de chaussette à l’aspect bien peu
ragoûtant. Valentina observa le fade breuvage puis se tourna vers Lori.
— Merci.
La jeune femme lui sourit. Valentina avait remarqué que, malgré leur ressemblance, chaque membre
de la famille Sullivan possédait son charme bien à lui. La beauté de Lori sautait aux yeux et lui fit songer
à sa propre famille – Tatiana, Ava, et tout ce qui les opposait, toutes les trois.
Soudain, la tenue de Lori – collants, souliers de danse et jupon – ainsi que sa fatigue manifeste lui
sautèrent aux yeux.
— Veux-tu qu’on s’assoie ? proposa Valentina.
La jeune chorégraphe se laissa choir sur un siège, son expression trahissant plus qu’une simple
fatigue – de la tristesse. Bien sûr, Smith monopolisait ses pensées mais Valentina se sentit soudainement
très inquiète pour la jeune femme.
— Ça va ?
Lori sembla si surprise que Valentina crut un instant que la jeune femme allait s’effondrer. Elle
secoua la tête et répondit :
— Je pensais à Sophie. Tu sais ce qu’on dit sur les jumeaux. Qu’ils sont connectés, d’une certaine
manière, et que quand l’un souffre, l’autre aussi.
L’inquiétude de la jeune femme ne faisait aucun doute, mais de là à croire à la télépathie…
Lori porta son café à ses lèvres et fit la grimace.
— Oh, la vache ! Ce café est tout bonnement immonde ! (Elle se tourna vers Valentina.) Tu sais, Smith
est clairement le prodige de la famille.
Difficile à croire… Vous êtes tous si brillants, songea la jeune femme.
— J’ai toujours cru qu’il voulait atteindre certains objectifs en termes de carrière avant de donner la
priorité à sa vie privée, souligna Lori. Mais je me trompais.
Lori la dévisagea avec une affection telle que Valentina se sentit libérée d’un poids.
— Il attendait juste la femme idéale, conclut la jeune chorégraphe, lui serrant la main. Je suis
heureuse qu’il t’ait trouvée.


Vêtu d’une tenue stérile, Smith pénétra dans la chambre où Sophie et Jake, main dans la main,
affrontaient les contractions. Les dents serrées, la jeune femme avait l’air de tellement souffrir que le
cœur du comédien eut un raté devant ce spectacle. De sa main libre, Jake lui tamponnait le front à l’aide
d’un linge, murmurant sans cesse des paroles d’encouragement.
Mary Sullivan était là, elle aussi, et elle accueillit son fils d’un bras autour des épaules.
— L’anesthésiste vient de sortir, l’informa-t-elle. La douleur va diminuer sous peu.
L’émotion lui serrait la gorge. L’accouchement était une chose naturelle, mais voir sa sœur souffrir
autant lui était insupportable. Lui et Tatiana avaient simulé cette scène à plusieurs reprises, mais le vivre,
c’était autre chose.
Enfin, les contractions diminuèrent et Sophie, l’œil vitreux, sourit en apercevant son grand frère.
— Smith. Tu es venu…
— Bien sûr, mon chou, fit-il en se plaçant à son chevet.
Il lui prit la main et déposa un baiser sur sa joue.
Sept mois auparavant, le quatuor se trouvait également dans un hôpital, suite à une opération subie
par Sophie. Smith avait fait le trajet depuis l’Australie pour s’assurer de son bien-être – et aussi pour
remettre Jake à sa place, cet homme qu’il considérait comme son ami ayant osé séduire sa sœur sans son
consentement.
Il avait fini par accepter leur amour. Sa mère avait bien sûr tout deviné à l’avance, comme
d’habitude. Pas étonnant qu’il se soit immédiatement confié à elle, tant elle soutenait et comprenait les
choix de ses enfants.
Les mots de Valentina lui revinrent en mémoire. « Je l’aime ! », avait-elle dit aux photographes.
Jamais paroles n’avaient semblé plus douces à ses oreilles, même si elles ne lui avaient pas été
directement adressées.
— Comment va Valentina ? s’enquit Sophie, comme si elle pouvait lire dans ses pensées. Tu ne
pensais tout de même pas que Lori ne vendrait pas la mèche, si ? sourit-elle.
Smith repensa à Valentina, dressée face aux photographes, sacrifiant sa vie privée pour garantir la
sécurité de sa famille.
— Elle va bien, répondit-il. Elle est pas croyable !
— Oh, Smith, je suis si…
Une nouvelle contraction vint interrompre sa petite sœur et elle serra sa main si fort qu’il sentit
craquer ses jointures.
De son côté, Jake veillait fiévreusement sur sa femme, affrontant de son mieux chaque spasme avec
elle. La dévotion admirable de son ami lui fit oublier toutes les objections qu’il avait eues à l’idée de
l’avoir comme beau-frère.
La douleur diminua et Sophie relâcha son étreinte.
— Je crois que ça s’arrange un peu, sourit-elle en les regardant à tour de rôle.
— Tu t’en sors comme une chef, lui assura Smith, la voix tremblante d’émotion. Je suis si fier de toi.
Elle lui sourit de toutes ses dents, telle la petite fille qu’elle avait été autrefois et sur laquelle il avait
tant veillé, rabrouant ses frères et sœurs qui en avaient fait leur souffre-douleur.
C’est bien une guerrière, se dit-il, tandis qu’une nouvelle contraction venait la tordre de douleur.
Smith se tourna vers sa mère, elle aussi sous le coup de la souffrance de sa fille. Mais elle tenait le
choc avec un grand courage. Il était clair que Sophie avait de qui tenir ! Au delà de sa beauté gracile et de
son apparente douceur, Mary Sullivan, ancienne star des podiums, avait su inspirer à ses enfants une force
hors du commun.
Sophie enfouit son visage au creux de l’épaule de Jake et haleta avec force pour chasser la douleur.
Smith avait toujours été là pour elle et il le serait à jamais… Mais il fallait se rendre à l’évidence. Son
adorable petite sœur était entre de bonnes mains et pouvait désormais prendre soin d’elle toute seule.
Jake était là et il la protégerait. Ils pouvaient tous lui faire confiance.
Smith se pencha, embrassa sa sœur sur la joue et lui sourit.
— Je t’aime, Soph’. Et j’ai hâte de rencontrer les petits.
Laissant Jake prendre la relève, il lâcha les doigts de Sophie, qu’il laissa en compagnie des deux
seules personnes dont elle avait réellement besoin pour affronter cette épreuve.
Sophie avait trouvé l’amour véritable.
Et Smith aussi.
27

Lorsque Smith revint en salle d’attente, Lori et Valentina bondirent sur leurs pieds.
— Comment va-t-elle ? s’enquit la jeune chorégraphe.
— Très bien, répondit Smith, tout sourire. Mieux que bien, même, assura-t-il en massant ses doigts,
que Sophie avait broyés. Les contractions sont dures, mais les bébés seront là d’une minute à l’autre.
Dans un coin de la pièce, Chloé, la femme de son frère Chase, berçait Emma, sa petite fille.
— Je sens sa douleur d’ici, déclara-t-elle, compatissante.
Emma gazouilla et se mit à tirer sur la queue de cheval de Heather, provoquant l’hilarité générale.
Zach et elle s’emparèrent de leur petite nièce et déposèrent chacun un baiser sur son visage joufflu.
La petite était une véritable attraction mais Smith n’avait d’yeux que pour Valentina. Tout le temps
qu’il avait passé avec Sophie, l’acteur n’avait en réalité pensé qu’à elle. Toute sa famille était là, et
pourtant son monde ne se résumait qu’à eux deux.
Pour la première fois de sa vie, Smith se sentit paralysé par l’amour.
— Tu te sens mieux ? lui demanda-t-elle.
— Bien mieux.
Sophie est entre de bonnes mains… et tu es amoureuse de moi. Tout va pour le mieux, Valentina.
Les conversations allaient bon train mais tenir Valentina dans ses bras suffisait à son bonheur.
Quelques instants plus tard, Mary Sullivan fit irruption dans la salle d’attente, plus souriante qu’ils ne
l’avaient jamais vue.
— Ça y est ! s’exclama-t-elle, le visage couvert de larmes. Une fille et un garçon ! Oh, ils sont si
beaux ! Il faut que vous les rencontriez !
D’ordinaire, il n’y avait pas plus flegmatique que leur mère. Mais en cet instant, elle était si heureuse
qu’on aurait eu du mal à la tenir.
Marcus et Lori se placèrent à ses côtés.
— Ils ont appelé leur fille Jackie, déclara Mary. En l’honneur de papa.
Smith sentit les larmes lui monter aux yeux et, percevant son émotion, Valentina se pressa davantage
contre lui, rendant cet instant de leur vie à tous encore plus inoubliable et unique.
Mary focalisa son attention sur lui.
— Quant au petit, ils l’ont appelé Smith, déclara la matriarche.
Oh, mon Dieu. Cet honneur qui lui était fait… Il n’en revenait pas.
Valentina leva des yeux emplis d’amour vers lui.
— Oh, Smith, comme c’est adorable, tu ne trouves pas ?
Tâchant d’être le plus discret possible, Smith renifla, étouffant ses pleurs tandis que Marnie, le
médecin qui avait déjà accouché Chloé, venait à leur rencontre. Chacun y alla de son remerciement et
l’obstétricienne en fut comblée.
— Sophie et Jake ont fait le gros du travail, précisa-t-elle. Mais je vous avoue qu’un petit verre de
mousseux ne serait pas de refus, fit-elle avec clin d’œil à l’adresse de Marcus.
La remarque déclencha l’hilarité générale et Marnie reprit :
— Les enfants se portent à merveille et ils sont parés pour vous rencontrer ! Trois à la fois maximum,
s’il vous plaît. Notre personnel sera moins débordé.
Marcus, l’aîné, consulta ses frères et sœurs du regard et, devant leur silencieux assentiment, se tourna
vers Smith et Valentina.
— Vous d’abord. Mais rappelez-vous qu’il y en a qui attendent derrière !
Smith poussa la jeune femme vers la porte sans hésitation. Elle voulut protester, lui rappeler qu’elle
n’était pas de la famille, mais l’acteur comptait sur le petit faible qu’elle avait pour les enfants.
Ils se vêtirent de tenues stériles. Smith aida Valentina à accrocher la blouse dans son dos, déposant un
baiser au creux de sa nuque. Elle se lova contre lui quelques instants, le corps parcouru d’agréables
frissons.
Impatients, ils entrèrent dans la chambre où la petite famille de Sophie et de Jake les attendait, au
complet.
Dès le premier regard sur les nourrissons, Valentina poussa une exclamation attendrie. À la
naissance, les bébés se ressemblent tous, mais indubitablement, le petit Smith était déjà aussi masculin
que la petite Jackie était douce.
L’acteur vint au chevet de sa sœur et cette dernière déposa son fils dans ses bras.
— Il est absolument parfait, la complimenta-t-il.
— Voulez-vous tenir Jackie ? proposa Jake à Valentina, qui était restée près de l’entrée.
— Oh, j’adorerais ! s’extasia-t-elle, enchantée par cette offre. Mes félicitations à tous les deux ! Ils
sont adorables !
Smith n’avait d’yeux que pour son neveu, mais voir Valentina tenir sa nièce dans ses bras lui mit du
baume au cœur. Tu as la même expression quand tu es dans mes bras…
Elle leva les yeux vers lui et Smith fut parcouru de frissons.
On dit des stars de cinéma qu’elles ne manquent jamais de rien. Mais c’est faux, car Smith n’avait
rien jusqu’à ce qu’il rencontre Valentina. Il la voulait, corps et âme, et souhaitait avoir un jour le
privilège de fonder une famille avec elle. Il voulait partager chaque instant de sa vie avec cette seule
personne.
Smith n’était qu’amour, et Jake et Sophie s’en amusèrent tandis que lui et Valentina gazouillaient avec
les petits, leur faisant mille compliments.
Marnie frappa délicatement à la porte et passa sa tête dans l’entrebâillement.
— Pour info, votre famille ne va pas tarder à lancer une mutinerie en salle d’attente ! Il va falloir
songer à céder votre place.
À contrecœur, Smith replaça son neveu dans les bras de sa mère.
— Tu as fait un incroyable boulot, Soph’. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi.
Quand vous voudrez !
Se séparer de Jackie fut également un déchirement pour Valentina.
— Au revoir, petite fille, fit-elle en rendant le bébé à son père, qu’elle embrassa avant d’enlacer
Sophie.
Le couple sortit et céda sa place à Lori, Marcus et Nicola. Smith avait beau adorer passer du temps
avec les siens, certaines choses sont parfois plus urgentes.
Un bras passé autour des épaules de Valentina, il pressa le pas vers la sortie.


Un quart d’heure plus tard, le couple se gara devant chez Smith et sortit de voiture, s’embrassant
fougueusement. D’un franc coup de pied, l’acteur ferma la portière puis porta la jeune femme jusqu’à chez
lui.
Les bras passés autour du cou de son amant, Valentina lui rendit chaque baiser avec une égale
passion. Jamais elle n’avait eu autant envie de lui qu’en cet instant.
Elle n’était plus que désir pur.
Et même cette notion n’était pas assez forte pour définir ce qu’elle ressentait pour Smith Sullivan… et
pour sa famille qui lui avait fait partager ce si précieux instant, lui permettant de tenir un miracle dans ses
bras.
Les lèvres scellées aux siennes, Smith allongea la jeune femme sur son lit, trouva la fermeture Éclair
de sa jupe et la retira, avant de déboutonner habilement son chemisier, laissant la jeune femme vêtue
uniquement de bas et de lingerie. Puis il dégrafa son soutien-gorge et, lorsqu’il s’empara de la chair
offerte, Valentina se cambra, gémissant sous le coup du plaisir.
Chaque mouvement, chaque caresse et chaque pression de son corps contre le sien étaient un délice.
L’acteur murmura tout contre sa peau, éveillant en elle des émotions jusque-là inconnues.
— Les bébés, fit-elle, incapable de retenir ses mots. Ils sont si beaux !
— Magnifiques, susurra-t-il d’une voix si suave que Valentina en frissonna. Tout comme toi…
Qui aurait cru que des enfants balaieraient l’horrible matinée qu’ils avaient traversée ?
Bientôt, ils mettraient les choses à plat entre eux et commenceraient une nouvelle vie, pleine de joies
et de bonheur commun.
Valentina fit courir des baisers le long de la mâchoire rugueuse et au creux de la nuque de Smith. Elle
qui n’avait jamais fait confiance aux hommes, la voilà qui se livrait complètement au dernier auquel elle
aurait pensé pouvoir un jour confier son cœur !
Et à quoi bon nier l’évidence ?
Elle n’avait vu Sophie qu’une ou deux fois et, pourtant, ç’avait été comme si Tatiana elle-même avait
accouché. Valentina se sentait terriblement proche du clan Sullivan.
Toujours habillé, Smith la contempla sans discontinuer et sans un mot. À l’exception des battements
simultanés de leurs cœurs, la chambre était plongée dans le silence le plus complet.
Valentina était irrémédiablement amoureuse.
Et ce n’était pas une question de physique, d’argent ou de célébrité. Ni même de prouesses au lit.
L’amour que Smith vouait aux autres, à ses amis et à sa famille, l’avait envoûtée, et rien que pour ça,
la jeune femme ne pouvait résister.
Jusqu’ici, seule leur relation charnelle les avait rapprochés. Mais elle avait tant à lui dire, à partager.
— Smith…
— Je sais. Je t’aime aussi.
Il l’embrassa, exprimant dans son baiser tout le bonheur, tout le désir et la joie auxquels Valentina
aspirait depuis si longtemps. Débordante d’amour et des rêves plein la tête, la jeune femme le dévêtit,
vêtement par vêtement. Smith fit de même et, après avoir enfilé un préservatif, il étendit son corps
athlétique tout contre le sien.
Leurs deux corps s’épousèrent et Valentina pressa son amant tout contre elle tandis que ce dernier la
pénétrait. Plus rien ne les retenait, désormais. Elle savoura chaque coup de reins avec un plaisir inouï, la
tête rabattue contre les oreillers et les hanches prisonnières des mains habiles de Smith.
Ce fut alors qu’il lui accorda un baiser si chargé de passion et d’amour que Valentina laissa libre
court à son bonheur, pleurant tandis que de délicieux spasmes agitaient leurs corps. Smith embrassa ses
paupières, ses joues et son menton – tout son visage mouillé de larmes.
L’orgasme s’apaisa. Jamais la jeune femme ne s’était sentie aussi comblée, aussi aimée, cible de
toutes les plus délicates attentions que Smith lui prodiguait.
Elle se sentit renaître, bénie par ses larmes salvatrices. Personne ne l’avait jamais vue pleurer, pas
même Tatiana.
Seul Smith avait été témoin de la chute de cette barrière qu’elle avait érigée autour d’elle pour se
protéger.
L’acteur balaya ses dernières larmes et se redressa pour la contempler. Il ne dit rien mais son regard
plein d’amour parlait pour lui.
— Je t’aime, finit-il par déclarer.
Enfin !
Radieux, il se pencha vers elle et la couvrit de baisers, répétant ces mots encore et encore. Et ce fut
le plus naturellement du monde qu’elle leur fit écho.
Tout était si parfait entre eux !
Soulagée de s’être confiée, la jeune femme laissa Smith rabattre la couverture sur eux avant de la
prendre tout contre lui.
La tête posée contre son torse, la jeune femme perdit complètement la notion du temps. Depuis quand
étaient-ils ici ? Quand avaient-ils quitté le plateau ? L’hôpital ? Devait-elle revenir à la réalité et
affronter ses responsabilités ? Elle n’en avait aucune envie, pourtant.
Smith l’attira plus près encore et, comme s’il avait lu ses pensées, déclara :
— Le monde peut se passer de nous pour quelque temps.
Il l’embrassa sur le front et la jeune femme se laissa aller au bonheur et au sommeil.
— Je t’aime tant, l’entendit-elle dire avant de plonger définitivement dans les bras de Morphée.
28

Valentina s’éveilla, reniflant une délicieuse odeur de pizza au pepperoni. L’estomac criant famine,
elle se redressa et s’installa contre les oreillers. Au-dehors, la nuit était tombée.
Les lumières étaient tamisées et il lui fallut un petit moment pour déceler la présence de Smith dans la
pièce, assis à la table basse sur laquelle il avait déposé des victuailles.
L’acteur l’observait. Valentina le connaissait assez pour savoir qu’il était en plein travail. Il émanait
de lui un tel professionnalisme qu’elle crut un instant qu’il allait dégainer une caméra pour la filmer. Il
prononça son nom et la jeune femme s’immobilisa, folle de désir, prononçant elle aussi son nom d’une
voix endormie.
— J’adore te voir dans mon lit, déclara Smith.
— Et j’adore y être.
L’acteur se leva et vint à elle. Valentina laissa glisser le drap de son corps nu et se mit à genoux sur le
matelas, enlaçant son amant par la nuque pour qu’il lui accorde un de ces doux et sensuels baisers dont il
avait le secret.
Encore une fois, la jeune femme fut surprise par l’audace dont elle faisait preuve en sa compagnie.
Au contraire des autres hommes, Smith lui inspirait une grande confiance. Des années durant, Valentina
s’était protégée des hommes afin qu’ils ne profitent d’elle d’aucune façon possible. Bien sûr, il émanait
de Smith une certaine dangerosité et pourtant la jeune femme ne pouvait s’empêcher d’y voir un plus
conséquent dans leur relation.
Smith lui offrit sa chemise et la jeune femme l’enfila tout en prenant place à côté de lui sur le canapé.
Elle ne la boutonna pas, se contentant de rouler les manches et de se draper dans le large vêtement.
Smith s’empara de sa main.
— Tu as faim ? demanda-t-il d’une voix grave et rassurante.
Elle hocha la tête, sachant qu’elle ne pourrait rien avaler. Il fallait d’abord qu’ils parlent. Les stars
mangeaient et dormaient comme tout le monde, se dit-elle. Quoi de plus normal. En revanche, ce qui
l’était moins, c’étaient les dommages collatéraux que leurs compagnes devaient subir à cause de leur
célébrité.
Pourtant, leur amour était si fort qu’il pouvait lui inspirer le courage d’affronter son quotidien et la
pression de son existence.
Pendant longtemps, Valentina avait fait rimer force et autopréservation. Mais au final, la plus grande
force n’était-elle pas celle d’aimer ?
Valentina regarda leurs mains enlacées. Smith détenait tout d’elle – sa main, son esprit… son cœur.
Enfin, elle se sentait prête à tout lui offrir.
Elle leva les yeux vers lui et plongea son regard dans le sien, plus intense de seconde en seconde.
— Je ne veux plus rien avoir à te cacher, dit-elle.
Smith caressa sa main avec son pouce, envoyant de petites décharges de plaisir dans tout son corps.
— Je suis et serai toujours là, Valentina. Tu peux tout me dire. Tu n’as qu’à me laisser entrer.
Tout semblait si simple avec lui.
En réalité, tout était simple grâce à Smith. Il l’attira à lui et prit ses mains contre son cœur tandis que
la jeune femme, en confiance, allongeait ses jambes sur ses genoux.
— Quand mon père était encore en vie, ma mère était très différente, commença-t-elle. Elle était si
belle et pleine de vie… Et quand il est parti, j’ai compris que c’était lui qui déclenchait ça chez elle. Ma
mère a lentement dépéri, jusqu’à devenir une sorte d’étrangère pour nous.
— C’était comme perdre tes deux parents, alors ?
Les mots de l’acteur la surprirent par leur justesse.
— Maman était encore là, mais… (Elle inspira et un sanglot lui secoua la poitrine.) Le premier acteur
avec lequel elle est sortie était à peine plus âgé que moi. Un jour, pendant qu’elle se préparait à sortir,
il…
Elle s’interrompit.
— Qu’a-t-il fait ? la pressa Smith. Comment s’appelait-il ?
— Il n’a rien fait. Et son nom n’a aucune importance. C’était juste un type qui se prenait pour ce qu’il
n’était pas. Mais si j’avais voulu, j’aurais…
Elle s’interrompit à nouveau, pleine de dégoût en repensant aux nombreuses fois où les jeunes amants
de sa mère l’avaient draguée dans son dos.
— Et tu en as parlé à ta mère ?
— Non. Je ne savais pas quoi lui dire. Et elle avait déjà tellement de mal à faire son deuil. C’était
plus simple de tout garder pour moi et je me suis focalisée sur Tatiana. Je n’ai jamais regretté d’avoir
quitté l’école pour m’occuper de sa carrière. Et pour info, les amants de ma mère n’ont jamais tenté quoi
que ce soit envers elle. Je crois que je les attirais parce que j’étais plus âgée.
Smith la fixa intensément.
— Ce n’est pas que pour ça, fit-il. Tu te rappelles quand tu m’as dit que je pouvais avoir n’importe
quelle femme ? Eh bien, regarde. C’est toi que je veux et personne d’autre.
— Moi aussi, mais…
Les mots se bloquèrent dans sa gorge. Il aurait été plus simple de ne rien dire mais si son expérience
avec sa mère lui avait bien appris une chose, c’était que la simplicité n’était pas toujours la meilleure
option. Plus vous fuyez votre douleur, plus elle vous rattrape, et les dégâts occasionnés sont parfois
irréparables.
Sa mère s’était perdue, mais Smith était là, avec elle.
— Tu as un don incroyable, Smith. Et je t’aime trop pour t’empêcher de le partager avec le plus grand
nombre. Mais j’ai vu trop de tournages et fréquenté trop d’acteurs qui à force de s’inventer des sentiments
pour un autre finissaient par les ressentir pour de vrai. Et j’ai assisté à trop de ruptures et à des mariages
trop vite célébrés. Tout va si vite dans ce milieu… On y change d’avis comme de chemise.
— Mon travail est très important, là-dessus tu as raison. Mais tu l’es, toi aussi, et à partir de
maintenant, je ne ferai plus le moindre choix de carrière sans que tu aies ton mot à dire.
Bien que rassurée, la jeune femme poursuivit :
— Mais nous nous sommes rencontrés sur un tournage, et tout est allé si vite entre nous. Franchement,
à part Paul Newman et Joanne Woodward, je ne vois aucun couple formé à Hollywood qui ait tenu le
coup.
La confiance n’était plus le problème, pas plus que l’attirance. Si leur couple devait continuer, il
fallait que cela soit en toute connaissance de cause.
— Tu sais, commença Smith, après mon premier gros film, j’ai eu beaucoup de mal à m’adapter à
mon nouveau statut de célébrité. Vraiment beaucoup de mal. J’étais préparé à devenir connu mais pas à
perdre ma vie privée, ni à voir mes amis et ma famille se faire harceler par des journalistes en quête de
potins. Je ne vais pas te mentir, fit-il d’un ton résolu et plein d’affection. Des photographes, il y en aura
toujours, et beaucoup de gens indiscrets mettront le nez dans notre vie. Mais j’ai attendu toute ma vie de
pouvoir rencontrer quelqu’un comme toi, Valentina. Je ne renoncerai à toi pour rien au monde. Avant que
tu entres dans ma vie, je pensais qu’il n’existait personne qui puisse s’intéresser à moi. Le vrai moi.
Il porta ses mains à ses lèvres et y déposa un baiser.
— Dis-moi, reprit-il. Qu’attends-tu de l’amour ?
— Toi, répondit-elle du tac au tac. Je n’attends que toi, Smith.
Ils s’embrassèrent, un baiser aussi long et passionné qu’intense et ferme, un baiser contrasté qu’elle
n’aurait jamais osé espérer recevoir un jour et que seul Smith pouvait prodiguer.
L’acteur parvenait toujours à lui faire voir au-delà de ce qu’elle pensait être en mesure de voir et de
ressentir. Était-ce ça, l’amour véritable ? Ne se révélait-il que lorsqu’on s’ouvrait à lui ?
— J’ai confiance en nous, déclara Smith. Nous pouvons faire en sorte que ça marche. Oui,
Hollywood est un vrai cirque et je sais que j’ai enfreint la règle numéro un en cognant ce photographe,
ajouta-t-il avec un petit sourire suffisant. Mais les barrières ne sont pas un problème pour nous et nous
éviterons les balles à deux.
Soudain, Smith s’agenouilla devant elle.
— Je te veux près de moi. Pas que sur les tapis rouges. Je veux pouvoir savourer la fin d’une dure
journée de travail avec toi, que l’on s’écroule au lit, épuisés, sans avoir la force de faire autre chose que
nous tenir la main ; je veux pouvoir savourer du sucre au coin de tes lèvres après le petit déjeuner ; et je
veux que tu m’attires sous la douche avec toi pour rattraper le temps perdu la veille.
Smith ne lui offrait aucun bijou, ne faisait aucune demande en mariage. Cet homme était
définitivement hors du commun. Par ces simples mots, il venait de briser son image de star, prouvant qu’il
était aussi beau intérieurement qu’extérieurement. Tout comme il prenait soin de sa famille, Smith
prendrait soin d’elle.
Ses propres mots lui revinrent en tête. Pourquoi l’amour ne pouvait-il pas être simple ?
Il l’était enfin pour elle.
Retrouvant sa voix, la jeune femme prit le visage de son amant entre ses mains.
— Tu auras tout ça, lui dit-elle. Et plus encore. Je veux être avec toi, qu’on cuisine le nouveau copain
de Tatiana ensemble, qu’on lise le journal au salon le dimanche et qu’on fasse des puzzles devant un bon
feu de cheminée.
N’y tenant plus, Smith la souleva dans ses bras et l’amena au lit, oubliant leur repas. Les deux amants
avaient un autre appétit à satisfaire.
Celui de l’amour véritable.
29

Trois semaines plus tard…



Valentina sortit de son bureau pour la toute dernière fois et jeta un œil sur le plateau bouillant
d’activité qui avait été pour elle comme un second foyer. Demain, tout serait vidé jusqu’au moindre
accessoire, l’endroit de nouveau libre pour un autre film.
Toute l’équipe se séparerait. Certains, comme Smith, se plongeraient dans la postproduction, tandis
que d’autres prendraient quelques vacances bien méritées. Les comédiens retourneraient passer des
auditions ou s’envoleraient vers d’autres plateaux pour incarner d’autres personnages – à l’instar de
Tatiana qui venait d’être engagée pour un film d’époque dont le tournage aurait lieu à Boston… et pour la
première fois en dix ans, Valentina ne l’accompagnerait pas.
L’idée de ne plus voir sa sœur adorée tous les jours lui faisait mal au cœur, mais c’était pour le
mieux.
Il fallait que Tatiana vole de ses propres ailes. Et tandis qu’elle regardait Smith s’approcher, un
sourire dévastateur sur le visage, la jeune femme sut qu’elle aussi devait s’accorder ce droit.
Quelle ne fut pas sa surprise de voir Ava surgir au côté du comédien – et avec David, son trop jeune
petit ami, en plus !
— Chérie ! s’extasia Ava. Smith nous a invités pour le dernier jour de tournage ! N’est-ce pas
adorable ?
Si adorable que la jeune femme se sentit honteuse de ne pas y avoir songé elle-même. Smith prit
Valentina par la taille et lui accorda un baiser bien trop fougueux pour être donné en public, d’autant que
n’importe qui aurait pu les prendre en photo pour en tirer profit. Mais il était si irrésistible… Comment le
lui refuser ?
De plus, le couple était parvenu à passer la rude épreuve de la presse. Bien sûr, Valentina n’avait pas
été ravie du raz-de-marée que le scandale avait provoqué, ni de voir son visage en première page des
feuilles de choux, mais le phénomène n’avait pas duré longtemps et les paparazzis, incapables d’écorner
l’image du comédien ou sa réputation, s’étaient lassés de les poursuivre. Contre toute attente, Valentina
avait survécu à cette épreuve et c’est le cœur gonflé de confiance qu’elle affrontait maintenant les
événements.
Smith rompit enfin son étreinte, laissant la jeune femme rouge de plaisir.
— Besoin de quelque chose ? demanda-t-il aux deux femmes.
En posant la question, Smith lui avait pressé la main. Je peux te laisser seule avec ta mère ?
demandait-il en silence. Ava et Valentina répondirent que non et il l’embrassa une dernière fois avant de
s’éloigner, entraînant Dave dans son sillage.
Une fois les deux hommes disparus au coin du studio, Ava se tourna vers sa fille.
— Quand je pense qu’une de mes filles sort avec le grand Smith Sullivan ! Mes amis ne me croient
pas !
Valentina tâcha de ne pas relever, mais elle savait très bien pourquoi Smith avait invité sa mère. Il ne
plaisantait pas avec la famille et Valentina ne pouvait pas se dérober plus longtemps.
Elle prit la parole d’une voix calme mais ferme :
— Et pourquoi ne te croient-ils pas, au juste ?
Les beaux yeux bleus de sa mère, qui avaient captivé tant de jeunes acteurs – et son père avant eux –,
se posèrent sur elle et elle lui prit le bras.
— Ne te méprends pas, ma chérie. Tu es très belle, bien sûr. Tu t’es toujours plus démarquée que moi
ou ta sœur, et ça ne m’étonne pas une seconde que Smith soit tombé amoureux au premier regard ! C’est
juste que tu as toujours tellement détesté les acteurs, surtout ceux avec qui je suis sortie, qu’il y avait de
quoi être un peu surprise…
— Alors, tu avais remarqué ?
— Tu dissimules mal tes sentiments, mon ange.
Autrefois, sa mère avait aussi été sa meilleure amie et, s’il fallait se livrer, ce devait être maintenant.
— Mais je ne comprends pas une chose. Après la mort de papa… pourquoi n’être sortie qu’avec des
acteurs ?
— Je n’ai jamais essayé de remplacer ton père, chérie. Il est irremplaçable, ajouta-t-elle, de la
tristesse plein la voix, un sentiment que Valentina ne connaissait que trop bien. Pourquoi des acteurs ?
Parce que même s’ils ne me trouvent ni jeune, ni belle, ni vraiment désirable, eh bien, au moins ils
peuvent faire suffisamment semblant pour que je me sente mieux pour un temps.
— Oh, maman, fit Valentina en s’approchant de sa mère. Tu es belle, voyons. Personne n’a besoin de
faire semblant.
Les yeux d’Ava s’embuèrent de larmes.
— Je sais que je ne te l’ai pas assez dit, mais je suis fière de toi, chérie. Si fière.
Il aurait été très simple de prendre ce compliment pour ce qu’il était et de balayer ses années de
rancœur. Mais si Smith lui avait appris une chose, c’était que l’amour, aussi simple soit-il, méritait
parfois qu’on y consacre du temps et de l’énergie.
Smith ne l’avait pas abandonnée. Il lui avait accordé sa confiance et avait cru en sa force et en celle
de son amour. Je ne dois pas abandonner maman, se dit-elle. Je ne peux plus me permettre de l’éviter.
Il fallait qu’elle l’affronte, qu’elle sache à quoi s’en tenir – tout comme lorsqu’elle avait débuté sa
relation avec Smith.
— Nous étions proches toutes les deux, avant la mort de papa, souligna-t-elle. Alors,
pourquoi ? Pourquoi tu nous as laissées tomber, toi aussi ? demanda-t-elle, une larme coulant sur sa joue.
Nous avions besoin de toi, maman. (Nouvelle larme.) J’avais besoin de toi !
Ava prit sa fille dans ses bras – étonnamment puissants malgré leur relative maigreur.
— Oh, chérie ! Je suis si désolée !
Au lieu de fondre en larmes elle aussi, Ava soutint sa fille, inversant les rôles préétablis entre elles
depuis près de vingt ans.
— Toi et ta sœur étiez si proches, fit-elle. Vous formiez un tel duo ! Votre père et moi savions que
vous veilleriez toujours l’une sur l’autre s’il nous arrivait quelque chose. Puis, quand il est mort… (Elle
s’interrompit et secoua la tête.) Très sincèrement, je ne me souviens pas bien des premiers mois de deuil
mais je me rappelle que vous en êtes sorties plus unies et plus fortes que jamais ! Si fortes que j’ai cru, à
tort, que vous n’aviez pas besoin de moi pour affronter l’avenir. (Elle balaya une larme de sa joue.) Me
pardonneras-tu ?
Valentina n’aurait jamais cru que ses liens avec Tatiana puissent à ce point marquer sa mère. La jeune
femme lui rendit son étreinte, s’enivrant de son odeur maternelle qui l’avait tant rassurée lorsqu’elle était
encore une petite fille.
— Bien sûr que je te pardonne.
Les deux femmes avaient beaucoup de choses à rattraper, mais cela devrait attendre car la scène
finale du film allait être tournée d’une minute à l’autre. Toutefois, Valentina se permit une dernière
question :
— Est-ce que c’est sérieux entre toi et Dave ?
— Si je te dis oui, est-ce que ça serait un problème ? fit-elle, répondant par une autre question. Je
sais combien tu aimais ton père – combien tu l’aimes encore…
Valentina posa la main contre son cœur et réfléchit un instant.
— Ça ne serait pas un problème, l’assura-t-elle.
Les deux femmes partirent vers le plateau bras dessus, bras dessous. Elles croisèrent Smith qui, les
voyant rabibochées, regarda Valentina avec autant d’amour que de fierté.
Les lumières se tamisèrent et Smith et Tatiana prirent leurs marques, chacun allongé d’un côté du lit.
Ava serra fort la main de Valentina et cette dernière lui embrassa discrètement la joue avant de focaliser
toute son attention sur la séquence.


Voilà des semaines que Jo et Graham faisaient l’amour sans cesse. De leur première dispute dans
la rue jusqu’à aujourd’hui, ces deux-là s’étaient aimés – et s’aimeraient encore pour l’éternité.
Pourtant, Jo sentait bien qu’ils ne s’étaient pas encore tout dit, ni tout avoué.
Depuis leur rencontre, Graham avait été un roc en toutes circonstances. Déterminé et intense, cet
homme était une vraie locomotive. Mais toute machinerie a son point de rupture et malgré tout
l’amour qu’il leur apportait, à elle et à Leah, il ne pourrait pas continuer ainsi éternellement.
Lorsqu’elle l’observait durant son sommeil, Jo voyait ses troubles se dessiner sur ses traits
d’ordinaire si magnifiques.
La jeune femme balaya une mèche du front trempé de son amant. Quand laisserait-il enfin ses
démons le quitter ?
Graham murmura son nom et l’attira à lui, plaquant son dos contre son torse. Comme elle aimait
ces instants, lorsqu’ils étaient à demi endormis et qu’elle pouvait se lover dans ses bras.
Elle se sentait en sécurité. Tout comme Graham l’avait promis.
Pleine d’une confiance qu’elle n’avait jamais ressentie pour personne dans sa vie, Jo profita de
cet instant privilégié, entre le sommeil et l’éveil, pour se confier à son sensuel bienfaiteur.
— Je n’ai jamais connu mon père. Juste les amants de ma mère.
Elle sentit les muscles de Graham se tendre tout d’un coup. Ses mots l’avaient réveillé. La jeune
femme regretta sa confession. Trop tôt, se dit-elle. Ce secret aurait dû mourir avec elle.
Mais dans la vie, il fallait savoir prendre des risques… Tout comme il fallait pouvoir s’accorder le
droit d’aimer.
— Il y en avait des sympas, reprit-elle. D’autres me faisaient peur. Et d’autres encore voulaient me
forcer à faire des choses…
Elle serra fort les mains de son amant dans l’espoir de le calmer et poursuivit son récit :
— J’étais petite et rapide. Je savais où me cacher en cas de besoin. J’ai aussi compris qu’il fallait
m’enfuir vite de là…
Graham murmura à nouveau son nom et elle sentit l’urgence de se retourner et de le laisser
l’embrasser pour chasser ses atroces souvenirs. Mais elle devait d’abord terminer sa confession.
Une fois qu’elle se serait mise à nu, il pourrait se livrer à son tour.
— Il s’appelait Bryan. Bon job, doué en informatique ; un type normal, pas flippant, qui ne me
jugeait pas sur mes origines modestes et qui me traitait bien. Quelqu’un à qui confier ma virginité…
Je me suis crue assez adulte pour reconnaître un homme bon quand il se présentait. (Elle soupira au
souvenir de sa propre naïveté.) Je ne suis pas tombée enceinte volontairement. Peut-être que c’est le
préservatif qui s’est percé… Je voulais le lui dire, mais je n’ai pas pu. Pas parce que ça l’aurait forcé
à rester avec moi… Ça m’aurait forcée, moi.
Jo ne réalisa qu’elle pleurait que lorsqu’elle sentit ses larmes sur ses lèvres. Graham prit la jeune
femme dans ses bras et les effaça une à une à l’aide de ses baisers.
— Ça ne pouvait pas s’arrêter là pour moi, pleura-t-elle. La vie pouvait me réserver plus.
Le soleil pointa timidement par la fenêtre et, à la faveur de ses rayons, la jeune femme vit toute
l’intensité des sentiments de Graham à son égard se dessiner sur son visage.
— Je t’aime, murmura-t-il. Et je ne te forcerai jamais à rester avec moi contre ton gré. (Il
repoussa une mèche de cheveux de son front.) Épouse-moi, Jo.
La jeune femme fut agitée de sanglots. Il n’y avait rien au monde qu’elle veuille plus que
d’appartenir à cet homme.
À part qu’il se confie, afin qu’elle puisse lui rendre tout ce qu’il lui avait déjà apporté – et au
centuple.
— Oui, finit-elle par dire. Je le veux.
Le baiser qu’ils partagèrent fut infiniment doux et il aurait bien pu dégénérer en quelque chose de
plus doux encore. Mais les choses devaient être mises au clair. Jo était bien venue à San Francisco
avec seulement cinq cents dollars en poche et enceinte jusqu’aux yeux. De quoi pouvait-elle avoir
peur dorénavant ?
— Mais je ne veux pas de ton argent, Graham.
— Je sais.
Il aurait pu renoncer à tous ses millions en un clin d’œil, Jo serait restée avec lui, il le savait.
— Tu peux continuer à jouer les dominateurs, ajouta-t-elle avec un sourire complice. La seule
chose que je veux vraiment, c’est une famille.
— Et moi je veux être le père de Leah. Officiellement.
Elle porta les mains à son visage baigné par le soleil. Bien qu’il ait balayé sa remarque, Graham
l’avait comprise.
— Nous sommes toutes les deux à toi, fit la jeune femme. Et pour toujours. Je te veux pour époux
et père de ma fille. Nous voulons des grands-mères, des grands-pères, des oncles, des tantes… tout.
Graham s’immobilisa au-dessus d’elle, cette jeune femme belle et forte qui deviendrait sa femme.
Enfin, il prononça les mots qu’elle avait tant attendus – des mots chargés d’une intense douleur.
— Je devais protéger ma sœur… Et j’ai échoué. Leanora… C’était la cadette, notre bébé. Elle
disait que j’étais son héros, que j’étais invincible. Je croyais que nous l’étions tous les deux.
Il s’interrompit et la regarda droit dans les yeux. Mais Jo savait que ce n’était pas elle qu’il
voyait.
— Quand l’appel est arrivé, j’étais au lit avec une femme dont je ne me rappelle même pas le nom,
reprit-il. Je n’ai réalisé que le lendemain qu’elle n’était plus là, qu’on l’avait retrouvée morte, victime
d’overdose, près d’une espèce de connard… Lui était encore vivant, mais elle…
La jeune femme pleura à son tour et l’enlaça, murmurant des mots vides de sens.
Les mains de Graham se posèrent sur son ventre.
— Elle était enceinte, déclara-t-il. J’étais le seul à le savoir et j’étais heureux qu’elle ait décidé
de ne pas se marier avec ce type. J’avais promis de m’occuper du bébé pour elle, et que je serais à ses
côtés quand elle l’annoncerait au reste de la famille. J’ai tout lu sur le sujet : comment être un parent
célibataire, l’accouchement… Nous l’aimions tous et elle n’avait pas besoin de garder tout ça secret…
Je me croyais son héros…
Le regard de Graham changea et il vit Jo, la femme de sa vie.
— J’ignorais pour la drogue… Elle ne m’a jamais rien dit. J’aurais dû le voir mais je ne voulais
pas… J’ai fermé les yeux.
Jo savait. Internet le lui avait appris. Mais elle n’en laissa rien paraître.
Ainsi, ce n’était pas le chagrin seul qui torturait cet homme.
Mais aussi la honte et la culpabilité.
— Ce n’était pas ta faute, finit-elle par dire.
Graham posa la tête tout contre sa poitrine et elle le berça tendrement, tout comme lui avait tant
de fois bercé sa petite fille, qui avait hérité du prénom de sa regrettée sœur.
— J’aurais dû être là pour elle… J’aurais dû la protéger…
— Non, Graham. Tu devais lui apporter ton amour. Et tu l’as toujours fait. Comme tu le feras
toujours.
30

Le tournage de la toute dernière scène se déroula dans un silence religieux. Dans celle-ci, Graham
présentait Jo à sa famille, dont il fuyait la présence depuis deux ans. Lorsque sa mère prit la petite Leah
sur ses genoux, certains membres de l’équipe reniflèrent et sortirent les mouchoirs.
— Merci d’avoir réuni ma famille, fit la nouvelle grand-mère de la petite à l’intention de Jo.
Plusieurs heures plus tard, de retour chez elle, Valentina s’accrochait encore à son self-control pour
ne pas pleurer comme une madeleine. Par chance, les adieux à l’équipe n’auraient lieu qu’à la fête de fin
de tournage, plus tard dans la soirée. L’alcool et la bonne humeur rendraient leur séparation à tous moins
douloureuse.
Voilà plusieurs semaines que la jeune femme s’était habituée à vivre son amour avec Smith au jour le
jour, même si tout n’était pas gagné. Les moments passés chez les Sullivan étaient de vrais délices mais
elle ne s’était pas encore faite aux photos dans les magazines – souvent prises par des étrangers dans la
rue.
Mais ce soir, les choses seraient différentes.
La compagnie d’investissement principale du film, la Maverick, serait présente à la fête. Ils avaient
une qualité innée pour changer tout ce qu’ils touchaient en or et nul doute que Gravity en sortirait gagnant.
De nombreuses invitées profiteraient de l’occasion pour enfiler des robes de haute couture et des
escarpins hors de prix. Mais ce ne serait pas le cas de Valentina qui avait toujours privilégié le sérieux au
tape-à-l’œil – plus branchée livres que pop star, disait-elle.
Une chance que Tatiana la connaisse par cœur. Avant la soirée, la jeune femme lui avait proposé
qu’elles se maquillent ensemble plutôt que de se rendre chez l’esthéticienne pour une interminable séance
de peinturlurage.
Non que Tatiana ait besoin de son aide, bien sûr. Des années passées à se faire maquiller par des
professionnels l’avaient formée à l’art d’être présentable. Au moins, si sa carrière au cinéma ne décollait
pas, la jeune actrice aurait de quoi se reconvertir.
De son côté, Valentina se dévisagea dans le miroir, paniquée.
— Et voilà, fit Tatiana en lui séchant les cheveux. Tu es parfaite !
Puis elle la fit se lever et lui présenta une robe honteusement magnifique.
— La touche finale, déclara-t-elle. Smith a du goût, il faut bien le reconnaître.
Cette robe, Valentina l’avait trouvée sur son bureau plus tôt dans la semaine. Encore un des nombreux
cadeaux de l’acteur qui, décidément, ne cesserait jamais de la surprendre.
Force était de reconnaître qu’effectivement Smith était un homme de goût. La robe était faite d’une
douce étoffe jaune et, bien que très confortable, son adorable corset épousait à merveille chacune de ses
formes. La robe parfaite, à un détail près : la jupe était fendue jusqu’en haut de la cuisse.
Tatiana lui fourra la robe entre les mains et Valentina soupira, résignée. Arrête de faire l’enfant,
enfin. Pendant que sa sœur se coiffait, la jeune femme ôta la chemise qu’elle avait subtilisée à Smith pour
se vêtir et commença à enfiler la robe par les pieds, puis une manche après l’autre. Enfin, elle chaussa
ses talons hauts et Tatiana l’aida à remonter la fermeture Éclair.
Les yeux fermés, Valentina se tourna vers sa sœur.
Cette dernière en demeura baba.
— Val, tu es magnifique ! (Elle lui prit la main et la fit pivoter face à la glace.) Regarde-toi !
La jeune femme obtempéra et fut frappée de surprise. Elle qui s’attendait à voir le reflet d’une
parfaite étrangère, elle ne vit que sa propre personne, ce même visage qu’elle toisait chaque matin dans la
salle de bains en se brossant les dents, Smith à son côté – à ceci près qu’elle était bien plus maquillée et
bien mieux coiffée.
On frappa à la porte et la voix de Smith retentit de l’autre côté, demandant s’il pouvait entrer. Tatiana
lui répondit par l’affirmative – Valentina, encore sous le choc, avait la gorge bien trop sèche.
— Oh, Valentina ! s’exclama-t-il, pantois, tandis que Tatiana s’éclipsait discrètement. Tu es superbe !
À croire que je ne m’y ferai jamais !
Si elle avait des inquiétudes concernant le déroulement de la soirée, les sincères compliments de
Smith la rassurèrent. Aucun acteur, aussi bon fût-il, n’aurait pu simuler une telle surprise.
La jeune femme sourit avec difficulté.
— Merci.
Bien sûr, Valentina avait l’habitude de ce genre de fête. Elle et Tatiana en avaient fréquenté des
dizaines au cours des dernières années. Mais elle n’avait jusqu’ici fait office que de soutien, demeurant
dans l’ombre afin que sa sœur puisse briller en société. Aussi transparente que les statues de glace autour
des buffets végétariens.
Or, ce soir, il lui serait impossible de passer inaperçue – et pas qu’à cause de sa tenue.
Car elle serait au bras de Smith Sullivan, cible de toutes les curiosités. Les magazines, les blogs, elle
avait appris à gérer. Mais cette soirée ? C’était une tout autre paire de manches.
Autrefois, Valentina aurait jugé quiconque fréquentait ce genre de soirée pendu au bras d’un acteur
comme un fou qui s’ignore. Mais aujourd’hui, la jeune femme se livrait à la folie de son plein gré car rien
ne pourrait l’empêcher d’être avec Smith.
Pourtant, son cœur ne cessait de battre la chamade.
Sans qu’elle s’en rende vraiment compte, Smith ferma la porte derrière lui et s’approcha à pas de
loup, prenant ses mains dans les siennes. Il y déposa un baiser puis les plaqua au mur après l’avoir
tournée délicatement.
— Smith ? fit-elle en l’observant par-dessus son épaule. Mais que…
La main sur sa cuisse dénudée lui coupa toute réplique. Bien évidemment, l’acteur avait
principalement choisi la robe pour ce détail qui la faisait se sentir si sexy. Grâce à cela, le couple pouvait
sans gêne faire l’amour où ils le voulaient, quand ils le voulaient – jusqu’à un certain point, bien sûr.
Comment lui résister ? Ses doigts tracèrent un délicieux chemin de plaisir sur sa peau et la jeune
femme remercia intérieurement le concepteur de cette robe. D’un doigt taquin, Smith explora l’extérieur,
puis l’intérieur de sa cuisse.
Son excitation grimpa en flèche lorsqu’il frôla l’étoffe de son string avant de s’intéresser à la chair
délicate de son entrejambe. Réduite au silence, la jeune femme ne put que se cambrer davantage.
L’acteur murmura son nom tout contre sa nuque et la lécha tandis qu’elle écrasait ses fesses contre son
bassin. La pénétrant de ses doigts, il la fit jouir quasi immédiatement, éveillant en elle un véritable feu
d’artifice.
— Tu es si belle, susurra-t-il en lui mordillant le lobe, ses mains explorant toujours plus avant son
intimité pour tirer davantage de frissons de son corps offert. Si belle…
La jeune femme se sentit habitée par une véritable tornade. La tête lui tournait et le sol se dérobait
sous ses pieds.
Smith la prit par les épaules et la retourna. Valentina mordit à pleines dents dans sa lèvre inférieure
avant de l’apaiser d’un sensuel coup de langue.
— Tu étais inquiète, toi, devina-t-il, le regard fixé sur ses lèvres qu’il caressa du bout du pouce. Je
ne saurais le permettre. Chaque fois que tu t’inquiéteras à cause de tout ça, je saurai quoi faire… Et
qu’importe où on se trouvera et nos obligations… Tu passeras avant le reste.
Smith ne disait jamais rien qu’il ne pense vraiment mais, malgré toute la confiance qu’elle avait en
lui, Hollywood et son train de vie infernal seraient toujours une source d’inquiétude pour elle.
Pourtant, la sensuelle promesse de son amant lui fit l’effet d’un délicieux remède à l’angoisse.
Smith l’embrassa et fit un pas en arrière, sans prendre son plaisir. Il ne mentait pas, se dit-elle. Elle
seule comptait à ses yeux.
Valentina redescendit sur terre et lui prit la main.
— Et si mon angoisse ne passe pas ? demanda-t-elle. Que pourras-tu faire ?
L’air inquiet, Smith s’empara de ses hanches et se pencha vers elle.
— Je ferai ça.
Il l’embrassa avec fougue et défit la fermeture Éclair de sa robe, qui chuta à ses pieds. Smith la
ramassa et la déposa délicatement sur un fauteuil tout proche avant de se gorger de sa glorieuse silhouette
parée de lingerie.
Puis il s’empara de sa chevelure, inclina sa tête et s’empara de sa bouche comme on dévore un fruit.
Il couvrit son visage de baisers, du menton jusqu’au front, et descendit jusqu’à ses tétons durcis.
Sa veste glissant langoureusement contre sa peau nue, Smith s’agenouilla et baissa sa petite culotte.
Le désir de la jeune femme était à son paroxysme. Depuis leur première étreinte, il n’avait cessé de
grandir en elle, plus fort chaque fois qu’ils faisaient l’amour ensemble. S’ils avaient eu plus de temps
devant eux, qui sait jusqu’où cela aurait pu aller ce jour-là ?
À contrecœur, Smith se redressa et défit sa cravate et sa chemise. Valentina aurait pu lui venir en aide
mais sa tenue n’y aurait pas survécu. La jeune femme s’allongea sur son lit et serra les poings. Par
chance, son amant était habile et en un rien de temps, il fut nu, un préservatif déroulé le long de son
membre viril.
La seconde d’après, il était en elle, grognant de plaisir tandis qu’il défaisait sa chevelure élaborée et
son maquillage délicatement appliqué.
Les millionnaires, les caméras, le tout Hollywood… Tout cela n’eut plus la moindre importance pour
la jeune femme, qui s’offrit de tout son être à Smith.
Les muscles tendus à l’extrême autour de lui, de sa virilité, Valentina vit l’acteur se redresser au-
dessus d’elle.
— Je t’aime, murmura-t-il.
De simples mots qui l’envoyèrent tout droit au septième ciel. Et comme ce fut bon de se laisser aller,
sachant que Smith serait toujours là pour l’attraper au vol… ou chuter avec elle.
Plus détendue et plus soulagée qu’elle ne l’avait jamais été, Valentina accueillit son amant haletant
contre son sein et caressa son front humide de sueur.
Au bout d’un moment, Smith se leva, débarrassa la jeune femme de sa lingerie et l’emmena prendre
une douche rapide, lui maintenant les cheveux hors de portée du jet d’eau et du savon, chaque caresse
menaçant de relancer l’excitation de Valentina.
Cela n’aurait pas été de refus, mais mieux valait se montrer raisonnable. Smith ne s’était jamais
dérobé à ses devoirs et ça ne serait certainement pas à cause d’elle qu’il commencerait. La jeune femme
ferma le robinet et leur distribua des serviettes.
— Allez, monsieur le feignant ! le taquina-t-elle. Tu as une limousine qui attend !
Elle alla pour récupérer sa robe mais il la retint par la taille.
— Je t’aime, susurra-t-il au creux de sa nuque.
Ces mots ne cesseraient jamais de l’émerveiller ! Dire qu’elle avait trouvé l’amour dans les bras
d’un acteur… Ce n’était pas qu’elle pensait qu’une star ne pourrait pas l’aimer… juste que l’amour en
général ne serait pas pour elle.
Quasi interdite, elle se força à se tourner et pressa son corps nu contre le sien, s’emparant de son
visage à deux mains.
— Je t’aime, moi aussi.
Il aida la jeune femme à se vêtir et renfila son smoking, laissant à Valentina le soin d’ajuster sa
cravate pour lui. Cette dernière renonça à se recoiffer et préféra un maquillage discret. Puis ils se
rendirent au salon où Tatiana, qui les avait patiemment attendus, écarquilla les yeux de surprise.
— Tu étais déjà pas mal, Val, mais là, tu es carrément parfaite, la complimenta-t-elle, avant
d’adresser un rictus complice à son ami Smith. Bien joué, monsieur Sullivan !
Ainsi, le trio sortit prendre leur limousine, les deux acteurs flanquant de part et d’autre une Valentina
radieuse, l’esprit à des lieues de ses soucis.
Elle était heureuse.
Et aimée au-delà de toute attente.
31

Nouvel An, mariage de Gabe et de Megan.



Avec sa forêt de pins environnante et son imposante couche de neige, le lac Tahoe avait tout d’un
décor de Noël.
C’était ici que Gabe et Megan étaient tombés amoureux – grâce aux manigances de Summer – et voilà
que le clan Sullivan au complet, entouré de plus de deux cents amis et invités, célébrait cet amour si
particulier.
Au milieu de l’assemblée réunie dans une église de bois aux larges fenêtres ouvertes sur la forêt,
Smith gardait la main de Valentina prisonnière de la sienne, regardant avec fierté un autre de ses frères
passer la bague au doigt de sa bien-aimée. Debout près de l’autel, Summer souriait de toutes ses dents
tandis que Smith tripotait la bague que Valentina arborait à l’annulaire.
Le bijou en or avait été des plus simples à choisir mais pas à déballer, car Smith avait décidé de faire
durer le plaisir en l’emballant dans au moins une dizaine de boîtes successives, telles des poupées russes.
À chaque boîte ouverte, son cœur avait battu de plus en plus fort.
La jeune femme avait tenu la petite boîte en velours pendant un moment avant de se décider à l’ouvrir
et, dans l’intervalle, le pouls de l’acteur s’était considérablement ralenti. C’était une décision difficile à
prendre, il en avait conscience. Car devenir sa femme imposerait de vivre avec son train de vie.
D’une voix rendue rauque par l’émotion, il avait prononcé ces mots :
— Quoi que tu répondes, je suis à toi. Veux-tu être à moi, toi aussi ?
Le sourire qu’elle lui avait adressé avait parlé pour elle.
— Je serai à toi, avait-elle répondu.
Ce soir-là, le couple avait fait l’amour directement sous les lumières de leur sapin de Noël et, tandis
qu’ils étaient allongés nus sur le tapis, Valentina avait déposé un paquet sur le ventre de Smith. Comme un
gosse, il l’avait secoué en quête d’indices sur ce qu’il contenait et le rire de la jeune femme l’avait
réchauffé comme une bonne couverture. Lorsqu’il avait déchiré le paquet cadeau, Smith avait découvert
un bel album photo contenant des clichés pris lors du tournage de Gravity. Il y en avait de toutes sortes,
en couleurs comme en noir et blanc. Ç’avait vraiment été les sept plus belles semaines de sa vie. Chaque
moment avait été capturé – le travail, la cantine, les rires et les bêtises, sans oublier la photo générale
avec toute l’équipe, et Valentina, plus belle que jamais, à son côté. Des dizaines de clichés pour autant de
souvenirs impérissables.
L’assemblée se leva pour applaudir les jeunes mariés, qui s’embrassèrent avant de soulever Summer
entre eux, déposant chacun un gros bisou sur ses joues, qu’elle leur rendit. Le trio redescendit de l’autel
jusqu’à la grande porte de l’église.
— Quel beau mariage, s’extasia Valentina, son corps voluptueux pressé contre son amant.
La main sur le cœur, elle accepta le tendre baiser qu’il lui accordait.
— Tu voudrais le même genre de cérémonie ? s’enquit-il, sachant qu’ils avaient convenu entre eux
d’un mariage discret en petit comité. Si c’est ce que tu veux, alors tu l’auras.
Bien sûr, au vu de sa célébrité, ce ne serait pas chose facile mais il aurait soulevé des montagnes
pour elle.
— Je ne veux qu’une chose, fit-elle en souriant. Toi !
On est en public, Sullivan, se sermonna-t-il. Un peu de tenue… Oh, après tout ! C’est la famille,
non ?
Décidé, il pencha sa future femme en arrière et lui octroya un long et langoureux baiser qui aurait eu
de quoi rendre les mariés eux-mêmes jaloux.
— Je t’aime ! dirent-ils ensemble.
Qu’importe le type de mariage qu’ils organiseraient. Ils étaient inséparables, sur la même longueur
d’onde, et chaque moment passé dans la famille de l’un ou de l’autre les rapprochait encore davantage.
Main dans la main, ils pénétrèrent dans la grande salle de réception. Les enfants suppliaient leurs
parents de les laisser profiter de la neige avant de passer à table et les lieux débordaient déjà d’activités
et de discussions éparses.
Smith présenta à Valentina ses cousins de Seattle – Rafe, Adam et Dylan. Mia, leur jeune sœur, était
trop occupée à flirter avec un des copains de caserne de Gabe. Malheureusement, Ian, l’aîné de leur
fratrie, avait été retenu en Angleterre et ne serait pas là avant la nuit tombée.
Smith interpella une des charmantes hôtesses et prit une coupe de champagne sur son plateau. Il la
remercia et la jeune femme partit en rougissant.
— Je porte un toast, fit-il à l’intention des jeunes mariés, ignorant les regards moqueurs de ses
cousins. À l’amour !
— Et aux batailles de boules de neige, commenta Rafe Sullivan en observant les enfants qui
bataillaient au-dehors.
Au cœur de la petite mêlée, Smith ne fut pas surpris de voir Summer mener la vie dure aux garçons.
Ses leçons de bataille de boules de neige portaient leurs fruits !
Valentina lui pressa la main.
— Regarde comme c’est mignon, fit-elle en désignant la piste de danse.
La petite Emma était assise par terre et un petit garçon, à peine en âge de marcher, vint à sa rencontre
et lui tapota gentiment le haut de la tête. Puis il se laissa tomber face à elle et ils commencèrent une très
intéressante discussion faite de « ouh » et autres « gah ».
Sans crier gare, le petit garçon leva ses doigts boudinés et poussa la petite Emma qui, après avoir
ouvert de grands yeux surpris, roula sur le dos, déséquilibrée. Battant des pieds en pleurant, la petite
attira l’attention de son papa qui vint à sa rescousse.
— Pauvre petite chose, se désola Valentina, l’air amusé. La drague avait pourtant bien commencé.
S’ils se recroisent, elle risque d’avoir peur qu’il recommence…
— Et toi ? demanda Smith. Quelque chose t’inquiète ?
Smith sentit le pouls de la jeune femme s’accélérer contre sa paume et, arborant son plus beau
sourire, cette dernière se tourna vers lui.
— Je dois dire que je suis un peu inquiète, oui…
Smith s’inclina devant ses cousins.
— Messieurs, si vous voulez bien nous excuser…
Saisissant le message, les cousins Sullivan firent un grand sourire compréhensif – et un peu jaloux.
Ces trois-là étaient pourtant venus accompagnés, mais visiblement aucune de ces demoiselles ne revêtait
d’importance à leurs yeux.
Rien ne valait l’amour. L’argent et la célébrité ne valaient strictement rien. Mais qu’y comprendraient
ses cousins ? Il leur faudrait le découvrir par eux-mêmes.
Après des mois d’amour clandestin durant le tournage, Smith avait désormais le chic pour dégotter de
bonnes cachettes. Ces instants de discrétion et de danger, Valentina les adorait, il le savait. Sans doute
était-ce dû à l’excitation de se faire surprendre par quelqu’un, supposait-il. Savoir qu’eux prenaient du
plaisir quand d’autres vivaient des journées normales les ravissait tous les deux.
Personne ne les surprendrait. Plutôt mourir que de laisser quiconque poser son regard sur les charmes
de Valentina ! Mais pas question non plus de s’empêcher de réaliser tous ses fantasmes.
Lui et Valentina s’étaient rendus à de nombreuses soirées au cours du mois précédent et la nervosité
de la jeune femme allait décroissant. L’acteur se serait bien congratulé de cet état de fait, mais il n’avait
rien à y voir. Valentina était forte, tout simplement, pleine de ressource et de résilience, prête à tout
affronter et à se dépasser au nom de leur amour.
Ils entrèrent dans une pièce inconnue – une buanderie à en croire le doux parfum de linge propre. Un
endroit discret et équipé d’une serrure, en plus ! Valentina pourrait crier tout son soûl !
Nu et enlacé, le jeune couple se laissa porter par sa jouissance. Hollywood était loin et même si
l’acteur n’était plus en charge de rien, Valentina était là, près de lui.
Et elle le serait pour toujours.
Épilogue

Lori observa ses frères, sa sœur et ses cousins, tous enlacés sur la piste de danse. Même Sophie et
Jake, malgré leur encombrante progéniture emballée dans des couvertures rose et bleu, s’y étaient mis. La
jeune femme avait tant de travail qu’elle avait beaucoup négligé ses proches.
Je devrais être sur la piste, moi aussi. Danser avec eux…
Mais pour la première fois de sa vie, la jeune chorégraphe n’avait pas le cœur à la danse.
Sans surprise, sa mère, ayant remarqué sa solitude, vint à sa rencontre et la prit par la taille,
observant avec elle les danseurs.
Mary Sullivan avait toujours eu un don pour déceler le bonheur – ou la tristesse – de ses enfants.
Pour Lori, sa mère était un soutien sans faille. Elle s’était dévouée entièrement à leur bien-être durant
toutes ces années. Mais les choses étaient en train de changer, Lori le savait. La jeune femme se tourna
vers sa mère, dont la gracieuse silhouette de mannequin avait autrefois orné les pages de nombreux
magazines de mode.
La matriarche avait vu chacun de ses enfants trouver l’amour. Heureuse mère et grand-mère, Mary
sembla à Lori plus radieuse que d’habitude.
Se pourrait-il que… un homme ?
Quelle question stupide, se morigéna Lori. Il n’y avait aucun homme. Depuis la mort de leur père, il
n’y en avait pas eu un seul. La jeune femme mit cette pensée sur le compte de sa mélancolie passagère.
Soudain, les deux femmes virent surgir Smith et Valentina d’une porte dérobée. Main dans la main, le
couple, hilare, s’embrassa avec passion.
— Ne sont-ils pas mignons ? fit Lori.
— Oh, oui, soupira la matriarche des Sullivan. Si mignons.
La nouvelle de leurs prochaines fiançailles avait fait grand bruit. Autant que leur prochaine
collaboration : un film se passant sur l’île d’Alcatraz.
— Tu ne danses pas, chérie ? s’enquit Mary.
— Pas tout de suite, non.
Malgré le maquillage, sa mère avait probablement remarqué les cernes qui s’étendaient largement
sous les yeux de sa fille. Une main apaisante sur le dos de Lori, Mary prit la parole :
— Tu sais que quand tu étais petite, tu parlais sans arrêt ? fit-elle. Une vraie pipelette ! Quand j’allais
te chercher à l’école, toutes les mères me regardaient de travers.
Mary s’approcha tellement de Lori que leurs fronts se touchèrent presque.
— Mais j’adorais t’entendre me raconter des histoires, reprit-elle. Tu partageais absolument tout
avec moi.
Dans les yeux de Lori, les larmes menacèrent. Bien sûr, elle pouvait tout lui dire, tout lui confier.
Jamais sa mère ne la jugerait, elle le savait.
Mais il était trop tôt.
— Je t’aime, maman.
— Je t’aime aussi, chérie.
Lori n’eut pas le temps de dire ouf qu’on lui fourra la petite Jackie dans les bras. La jeune
chorégraphe regarda sa petite nièce avec amour.
— Ils veulent que leur tata favorite leur apprenne à danser, déclara Sophie.
Ces pauvres grosses savent à peine parler, ironisa Lori intérieurement. Mais sa jumelle voulait tout
simplement l’empêcher de broyer du noir.
Au son de l’orchestre, Lori et sa mère, chacune un bébé dans les bras, se lancèrent sur la piste. Et
tandis qu’elle observait ses frères et sa sœur, Lori comprit que, bientôt, sa vie sentimentale
s’arrangerait… Et que peut-être, l’amour frapperait sous peu à sa porte.

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