2. CONFESSIONS
Défendre la cause
de la femme moderne
Avant de lire le fragment
1. Qu’est-ce que c’est qu’un préjugé ? Pour pouvoir le définir, servez-
vous du préfixe pré-.
2. Pouvez-vous donner des exemples de préjugés ? Qu’est-ce qu’ils
illustrent ?
3. Est-ce que l’inégalité des chances en raison du sexe est 4 présent
une réalité ?
4. Y a-t-il des différences, quelle qu’en soit la nature entre hommes et
femmes ? Expliquez.
5. Est-ce qu’on peut parler de supériorité ou d’infériorité, pour définir
les rapports entre hommes et femmes? Apportez des arguments pour et
contre.
LES SOUVENIRS D’UNE JEUNE AVOCATE
Je me souviens trés bien des réactions du tribunal quand je m’avangais
a la barre. Avec mes vingt ans, je les intriguais. On me toisait de haut en
bas. Sans hostilité d’ailleurs. «Le charme de ma jeunesse». On
m’accueillait avec un sourire amusé. L’cil des magistrats devenait vague
quand je commengais 4 plaider. Leur pensée aussi... « Qu’est-ce cette jeune
femme peut bien faire ici, a parler de choses qui ne sont ni de son age, ni de
son sexe ? » Tel était 4 peu prés le climat. Eprouvant au point que pendant
un moment, je me suis ingéniée par le vétement, par la coiffure, 4 me
vieillir, 4 m’enlaidir. Pour leur faire oublier que j’étais une femme. Pour
quwils m’écoutent. Pour qu’ils me prennent au sérieux. Au début de chaque
plaidoirie, je comptais dix minutes, un quart d’heure, consacrés uniquement
a forcer l’attention de mes juges. Dix minutes, un quart d’heure perdus parce
que j’étais une femme, et que je voulais, a la barre, n’étre qu’une avocate.
Jai beaucoup travaillé. Des jours et des jours et des nuits entiéres !
Quand, par exemple, dans un procés, |’adversaire faisait état, dans ses
conclusions, d’un ou deux arréts de la Cour de Cassation, j’en cherchais dix18 Liviu Calbures,
contraires. Tous les commentaires doctrinaux, toute la jurisprudence ey,
faveur de ma thése, je les avais. Tout ce qui pouvait jeter un doute, rendre
discutable le point de vue adverse, je le trouvais. Et en plaidant, je lk
développais avec passion. Au fur et 4 mesure que je plaidais, je voyais
Vattitude de mes juges se transformer. Ceux qui s’étaient étonnés de ma
présence — « Mais dans votre robe, vous avez l’air d’une communiante !,
s’était exclamé I’un d’eux — a présent m’écoutaient. Comme ils auraien,
écouté un homme. Une avocate, elle pouvait tout au plus émouvoir oy
séduire. Mais convaincre « a froid » certainement pas.
Mais adversaires utilisaient trés souvent contre moi le fait que j’étais
une femme. Pour nos confréres masculins, trop souvent, les avocates sont
avant tout des femmes qui s’essayent a des jeux d’homme. Or, je ne voulais
pas étre une femme qui plaide, mais une avocate. Comme on dit un avocat
et non un homme qui plaide. Pour le faire admettre, j’ai di prendre quelques
coléres trés saines...
Succés, échecs, tout était prétexte 4 nous ramener a notre condition
inférieure de femme. Si je gagnais une affaire, il m’arrivait d’entendre mon
adversaire expliquer 4 son client (...) :
— Qu’est-ce que vous voulez ! Elle est jeune. Elle a du charme. Elle est
plaisante. Contre la séduction, nous, pauvres hommes, nous sommes bien
peu de chose !
Et quand ils gagnaient :
—C’est une femme. Comment vouliez-vous qu’elle comprenne quoi
que ce soit a cette interprétation de jurisprudence ? Elle a été dépassée. ..
Un jour, lors d’un procés, mon adversaire a été pris au dépourvu par
un argument « coup de poing» découvert dans un arrét récent. Il devait
Pignorer. Désagréablement surpris, arborant cependant un sourire de
commande, il se tourna vers moi:
~Je voudrais dire, devant cette jeunesse, ce charme...
II n’a jamais pu terminer sa phrase. J’ai littéralement explosé:
~— Nous sommes tous des avocats, au méme titre. Nous parlons du
méme droit. Nous traitons les mémes dossiers. Nous avons les mémes
priviléges et les mémes obligations. Alors utiliser l’argument du « jeune et
charmant confrére », c’est tout simplement déloyal. Et, de plus c’est avouer
sa propre incapacité ou le peu de sérieux de sa démonstration !
Bien sar, cela avait jeté un certain froid. Les juges souriaient, génés
sans trés bien comprendre. Pour eux, mon confrére avait été plutét gentil,
galant méme. Je devais me méprendre.
Me méprendre ? II suffisait d’entendre mon adversaire tenter d’expli-
quer a son client que son procés était perdu. Et gagné par une femme ! Plus
ve
gVers la découverte du texte non littésraire 19
que son talent d’avocat, c’est son honneur d’homme qu'il sentait menacé. II
tentait alors de se ménager une porte de sortie honorable:
— Les femmes ont des arguments, on ne sait jamais comment les
prendre ! Je n’aurais pas dai la ménager.
Voila ot menait la galanterie. Pour ma part, javais tres bien compris
dans quelle voie je m’engageais. Et j’entendais qu’il n’y ait pas la moindre
bavure. Pas de complicité par le silence, pas I’acceptation d’un certain
langage. Il est un langage que tiennent les hommes et que les femmes ne
devraient jamais laisser passer. Les mots ne sont pas innocents. Ils
traduisent exactement une idéologie, une mentalité, un état d’esprit. Et de la
tolérance a la complicité, il n’y a qu’un pas. Mes confréres ont pas se faire
une raison. Mais la encore, quel effort ! Quelle attention de tous les instants.
Pendant des années et avant chaque proces, je savais qu’il faudrait me battre
doublement. Pour gagner ma cause, je devais vaincre deux fois mes
adversaires. Parce que j’étais une femme d’abord. Et en tant qu’avocat
ensuite.
Giséle Halimi, La cause des femmes, Grasset, 1973.
Petit vocabulaire
Toiser (ici) = Regarder avec défi, ou plus souvent, avec dédain,
mépris
Communiant,-e = Personne qui communie. Le mot provient du verbe
communier = recevoir le sacrement de leucharistie (a se impartasi).
S’ingénier = Mettre en jeu toutes les ressources de son esprit (pour
parvenir a un but).
Arrét (ici) = Décision d'une cour souveraine ou d'une haute juridiction.
Prendre qgn au dépourvu = Sans qu'il soit préparé, averti (A
l'improviste, de court).
Pour une bonne compréhension du fragment
1. Quelle est la personne verbale qui prévaut dans ce fragment ?
Qu’est-ce que cela illustre ?
2. Si, en général, on accepte qu'une confession représente "l'avew
d'un fait" (Le Petit Larousse illustré), d’autres définitions, reposant sur
Pacception religieuse du terme, ajoutent que "auteur expose avec franchise
les fautes, les erreurs de sa vie” (Le Petit Robert). Quelle est la « faute » de
la jeune avocate ?
3. Est-ce qu’on utilise fréquemment le féminin du nom avocat?
Pourquoi ?20 Liviu CAlburs
4, En utilisant l'imparfait, auteur place Faction dans un pass
indéfini. Pourquoi ? Est-ce que I’état de choses décrit dans ce fragment rest,
actuel ? Apportez des arguments pour et contre
5. Quel est le sens de la distinction entre une femme qui plaide et une
avocate ?
6. Quelle est I’attitude de la femme avocate envers ses confréres
masculins ?
7. « C'est une femme » Qu’est-ce qu’il y a devant cette affirmation
S'agit-il d'une injure ? Pour pouvoir répondre, documentez-vous sur I’éty.
mologie de ce mot.
8. Relevez les phrases exclamatives du texte. Pouvez-vous trouver un
‘dénominateur commun pour en rendre compte ?
9. Dans le fragment, il y a beaucoup de phrases de petite dimension,
caractérisant un style télégraphique: « On me toisait de haut en bas. Sans
hostilité d ailleurs », « Qu'est-ce que vous voulez ! Elle est jeune. Elle a du
charme. Elle est plaisante », etc. Comment est-ce que cela s’explique ?
10. Résumez en 8 ~ 10 lignes le fragment ci-dessus.
II. Ce texte, tout comme le texte précédent, défend une cause,
Laquelle ? Trouvez des resemblances et des différences entre les deux frag-
ments,
12. Analysons deux structures tirées du texte : « L'il des magistrats
devenait vague quand je commencais & plaider. Leur pensée aussi... » et
« On me toisait de haut en bas. Sans hostilité d'ailleurs ». Pour analyser ces
deux contextes, nous devons distinguer deux situations :
a) Deux arguments P et Q, l’argument Q étant co-orienté avec l’argu-
ment P. Dans ce cas, Q ne fait que renforcer P.
b) L’apport d’un élément dans une énumération,
Lequel des deux connecteurs est ranger dans la premigre catégorie et
Iequel dans la seconde ?
Expression personnelle
Y a-til vraiment de nos jours inégalité des chances entre hommes et
femmes ?
Travail supplémentaire
I. Lisez le texte suivant et précisez pourquoi il est intégrable dans la
catégorie des confessions,
2. Quelle la différence entre les deux, du point de vue de la personne
verbale utilisée ?