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© Les Éditions du Volcan, 2 022

ISBN : 979-10-97339-44-9

© Maquette et mise en pages :


Les Éditions du Volcan

Illustration de la couverture
Umberto Boccioni, Dinamismo di un cyclista, 1913.
© Gianni Mattioli Collection, on long-term loan to the Peggy Guggenheim Collection.

Reproduction, même partielle, interdite.


RAPHAËL VERCHÈRE

SPORT ET MÉRITE
HISTOIRE D’UN MYTHE
Philosophie politique
du corps en démocratie
Préface de
Philippe LIOTARD

Les Éditions du Volcan


TOUT LE MONDE EX AEQUO

Préface à Raphaël Verchère

« Les Français aiment les débats sur les idées, même si ce sont des débats un peu
primaires », disait Jankélévitch en mai 1980 à Radio-Canada. Et qu’y a-t-il de plus
primaires que les débats autour du sport, passe-temps futile alimenté d’une passion
partisane ? Ils sont primaires, au sens strict, c’est-à-dire qu’ils sont au commen-
cement de débats plus larges. Par exemple, on discute de ce qui se dit dans une
tribune, des insultes qui y fusent, des slogans qui s’y profèrent et on en vient à
penser comment se construit l’identité, à se demander ce qu’est la masculinité, ce
qu’est l’homosexualité, ce qu’est une femme, ce qu’est la race. On en vient à discuter
des valeurs qui guident les comportements, à convoquer des mots comme respect,
travail, mérite, fierté, inclusion, le terme d’éthique peut même surgir dans la conver-
sation. D’autres mots aussi peuvent apparaître plus discrètement comme violence (y
compris sexuelle), maltraitance, harcèlement, discriminations, inégalités, vulnérabi-
lités. On parle d’arbitre assistant vidéo (VAR pour video assistant referee) et on en
vient à la condition humaine, à l’erreur, à la surveillance de tous par tous, à la société
du contrôle par les machines et les algorithmes.
Il est là le caractère primaire du débat sportif. En parlant de sport, en discutant du
mérite qui s’y attribue, on parle de bien d’autres choses.
Et c’est alors que Raphaël Verchère surgit avec Sport et mérite : histoire d’un
mythe. Le sous-titre – Philosophie politique du corps en démocratie – nous plonge
dans un débat d’idées et les idées, Raphaël Verchère sait les travailler.
Son récit raconte comment se construit un mythe et, le racontant, le détruit. Il ana-
lyse l’ordre sportif, autant dire l’ordre des choses, l’ordre du monde désormais – qui
est aussi l’ordre du discours. Il pose le dispositif sportif comme un formidable outil
à produire du désir. En produisant du désir, le sport inculque un ordre et en montrant
comment cet ordre se constitue, se perpétue, se rationalise et s’apprend, Raphaël
Verchère permet non seulement de comprendre pour comprendre (nous ouvrant à

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une véritable intelligence des logiques, des mécanismes, des fondements philoso-
phiques du sport) mais encore fournit-il des outils autorisant à ne pas conserver cet
ordre, à ne pas s’y soumettre, pour au contraire en produire un nouveau, plus respec-
tueux, plus égalitaire, plus juste, plus inclusif.
La fine pensée critique qu’il déploie tout au long du livre est en effet tout sauf
une soumission à l’ordre établi. Son ouvrage ne sert pas à l’affirmation sportive, ni à
l’apologie de l’Olympisme.
Dire que ce livre sur le mérite sportif mérite d’être lu n’est pas une facilité de
préfacier. Car un livre de philosophie qui s’ouvre par un exergue de Michel Foucault
invitant à « critiquer le jeu des institutions apparemment neutres et indépendantes ;
de les critiquer et de les attaquer de telle manière que la violence politique qui
s’exerçait obscurément en elles soit démasquée et qu’on puisse lutter contre elles »
et se concluant par un autre exergue emprunté cette fois-ci à Tocqueville qui affirme
que « les hommes ne fonderont jamais une égalité qui leur suffise », un tel livre
mérite, assurément d’être lu.
A minima, sa lecture justifie l’exigence d’une pensée critique et annonce la désil-
lusion de l’accès à l’égalité par le sport, pratique dont la structuration institutionnelle
se fonde au contraire sur l’exigence d’inégalité.
Raphaël Verchère a proprement montré comment fonctionne ce dispositif.
Prenant le sport comme objet, il en fait une histoire des idées qui le composent, le
définissent et le régulent, idées qui s’immiscent jusque dans les règles et les codes
les plus absurdement précis. Il a patiemment opéré la généalogie de ce dispositif qui,
aujourd’hui, s’impose comme la seule manière de jouer qui vaille et la seule manière
d’accéder au mérite corporel.
Sa généalogie du dispositif sportif dévoile celle du mérite. La méritocratie spor-
tive, en effet, s’est déplacée du « champion aristocrate bien né », qui ne s’entraînait
ni ne se spécialisait, toujours libre de s’imposer un effort superflu, au « champion
méritant travailleur », qui, au contraire, se soumet aux exigences de comparaison
et de classement et devient très jeune un ou une hyper-spécialiste d’une manière de
jouer, finalisée par la recherche de dépassement d’autrui et dont la motricité se réduit
à une efficacité bio-mécanique qu’il est alors possible de quantifier.
En bon archéologue des idées, Raphaël Verchère a creusé la terre sèche et lézardée
des idées reçues sur les valeurs du sport, jusqu’à atteindre des fondements idéolo-
giques, épistémologiques et politiques du sport contemporain. En cela, son propos
échappe à la superficialité des philosophes qui, dotés de compétences académiques,
se mettent à discourir sur le sport à partir de leur seul engagement émotionnel, de
leur seule passion. Cycliste et triathlète, Raphaël Verchère aurait pu faire de même,
se laisser aller à l’apologie du sport qu’il connaît depuis sa chair. Mais l’analyse

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qu’il fait des textes fondateurs de l’idéologie sportive détaille avec lucidité les pistes
qui permettent de comprendre comment le sport (au même titre que le scoutisme
selon Daniel Denis) constitue une véritable ruse de l’histoire par laquelle des « "jeux
d’enfants", volontiers considérés comme anodins si ce n’est même insignifiants1 »,
ont pu tout à la fois participer à la formation d’une jeunesse acquise tantôt aux
nationalismes, tantôt à la lutte contre le colonialisme, tantôt à la soumission aux
exigences du capitalisme le plus destructeur. Cette analyse critique des textes fonda-
teurs résume bien la soumission à un ordre inégalitaire, rendue possible par le désir
de jouer : « Plutôt que d’éliminer la cause des frustrations, faire faire plutôt du sport
pour que les tensions s’apaisent. »
La valeur de Sport et mérite tient dans ce minutieux travail d’analyse critique,
dans l’étude subtile et approfondie de la naissance du sport contemporain, naissance
qui s’accompagne d’un discours de rationalisation, également décortiqué, concep-
tualisé, et d’une transformation qui a elle-même collé aux transformations sociales,
sinon les a précédées. Sur ce dernier point, toutefois, on ne peut que constater que le
mythe égalitaire alimenté par le discours sportif engendre des résistances à certaines
transformations, ce qui conduit les institutions sportives à inventer des règlements
discriminatoires favorisant l’exclusion de certains (plus précisément de certaines)
athlètes de la pratique tout en la justifiant par l’argument d’égalité, au nom du mérite.
L’incorporation du discours de légitimation du sport se double en effet d’un aveu-
glement sur ce qui constitue le mérite. Et l’on revient au débat primaire du sport
qui démarre toujours par une discussion sur les mérites respectifs des unes et des
autres. Coppi ou Bartali ? Ronaldo ou Messi ? Michael Jordan ou LeBron James ?
Serena Williams ou Martina Navratilova ? L’ASSE ou l’OL ? Et l’on constate que
la mesure et les statistiques, l’objectivation des résultats et des palmarès ne suffisent
pas pour s’accorder sur la ou le meilleur. Ce qui reste, toujours, dans le débat, ce
sont les mérites attribués aux unes et aux autres. Et l’attribution du mérite échappe
à la mesure pour se nicher du côté des émotions, de la passion, c’est-à-dire du côté
des tripes. Le génie du sport est là, dans la manière dont ce dispositif a conduit non
seulement à désirer mais aussi à sentir, à éprouver, à juger sur la base de valeurs qui
ne se discutent plus mais sont considérées comme acquises, évidentes…
Un mot encore, avant de conclure cette préface. Quarante-cinq ans après Jacques
Ulmann2, nous tenons là une nouvelle référence qui prend place dans le champ de
la philosophie du sport. « Le Verchère » fournira aux préparations aux concours
(CAPEPS, agrégation d’EPS, professorat de sport) de quoi nourrir les copies de

1 D. Denis, « 16. Le sport et le scoutisme, ruses de l’Histoire », Nicolas Bancel éd., De l’Indochine à
l’Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962, La Découverte,
2003, p. 195.
2 J. Ulmann, De la gymnastique aux sports modernes, PUF, 1965.

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citations bien senties. Seulement, aucune ne pourra être utilisée dans le but de justi-
fier la soumission au dispositif sportif, au risque de révéler l’incompréhension de la
candidate ou du candidat, les renvoyant ainsi à l’impouvoir de leur propre discours
de révérence.
Au contraire, si on l’a bien compris, arrivé à la fin de la lecture, on ne peut que
conclure que tout le monde mérite de jouer. Et rappeler, avec Jack Black, que per-
sonne ne gagne1.

Philippe Liotard, juin 2022

1 J. Black, Personne ne gagne, Cenon, Monsieur Toussaint Louverture, 2017 [1926].

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13
INTRODUCTION

« Il me semble que, dans une société comme


la nôtre, la vraie tâche politique est de cri-
tiquer le jeu des institutions apparemment
neutres et indépendantes ; de les critiquer et
de les attaquer de telle manière que la violence
politique qui s’exerçait obscurément en elles
soit démasquée et qu’on puisse lutter contre
elles1. »

Michel Foucault

« Le sport, je le disais, c’est un outil d’émancipation, d’apprentissage de la vie2 »,


déclarait Emmanuel Macron le 15 septembre 2017, dans un discours se félicitant
de l’obtention de l’organisation à Paris des Jeux olympiques et paralympiques de
2024, un siècle après la dernière édition sur le sol français. Le sport, un apprentis-
sage de la vie, ce qui justifie pleinement sa place dans la société. Surtout à l’école,
où il « permet dès le plus jeune âge de faire l’expérience concrète des valeurs de
solidarité, d’entraide et de tolérance mais aussi de l’effort ou du dépassement de
soi3 », comme l’énonçait un rapport commandité par le Premier ministre Édouard
Philippe peu après la déclaration du président de la République. Intitulé « Faire
de la France une vraie nation sportive », ce document proposait de faire du sport
un « habitus4 », c’est-à-dire de « créer une véritable habitude comportementale » :
transpirer de façon athlétique doit devenir une seconde nature pour tout un chacun.
Sans doute une manière d’en diffuser plus avant certaines valeurs, dont Emmanuel
1 M. Foucault, « De la nature humaine : justice contre-pouvoir [1974] », dans Dits et Écrits I, Paris,
Gallimard Quarto, 2001, p. 1364.
2 E. Macron, « Discours du président de la République adressé aux acteurs de la candidature de Paris
aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 », 2017.
3 F. Gatel et F. Cormier-Bouligeon, Faire de la France une vraie nation sportive, E. Philippe (éd.),
2019, p. 67.
4 Ibid., p. 33.

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Macron s’inquiète de la disparition. Car « le défi, c’est que notre jeunesse trouve
toute sa place dans et par le travail. Et qu’elle trouve toute sa place par l’engage-
ment, le sens de l’effort. […] On n’a rien dans la vie s’il n’y a pas cet effort. Les
troubles que notre société traverse sont parfois dus au fait que beaucoup trop de
nos concitoyens pensent qu’on peut obtenir "quelque chose" sans que cet effort soit
apporté1 », expliquait-il en 2019 autour de la traditionnelle galette de l’Épiphanie
de l’Élysée, en pleine crise des « Gilets jaunes ». « La pratique sportive, c’est bon
pour la santé ; ça apprend la discipline et le goût de l’effort2 », et sans doute est-ce
pourquoi Emmanuel Macron s’était ému en 2021 du projet immédiatement avorté
d’une Super Ligue européenne de football, qui aurait menacé, selon lui, « le mérite
sportif3 ». La réussite de l’athlète doit se poser comme exemplaire, de par son travail
et ses efforts. Ses entraînements et ses compétitions, ses victoires et ses défaites lui
enseignent des valeurs décisives, proches de celles de l’entreprenariat. D’où cette
idée proposée par le Président d’un « "capital sportif entrepreneur" pour ceux qui
en ont besoin à l’issue de leur carrière, c’est-à-dire un accompagnement et une aide
financière de plusieurs milliers d’euros pour lancer une entreprise, une activité, car
vous avez mille fois prouvé votre rigueur, votre énergie, votre abnégation et votre
capacité à mener à bien vos projets4 ». Le sport : école de la vie, école de l’entreprise,
apprentissage de la méritocratie.
Le sport serait ce système égalitaire, démocratique, méritocratique, ce lieu plus
apte que tout autre à enseigner les valeurs sur lesquelles on pense que se fonde la
société. Lorsqu’il s’agit pour elle de personnifier ces valeurs qui la muent, elle ne
trouve pas de meilleur moyen que d’emprunter au sport. Qui mieux qu’un spor-
tif, une sportive pour incarner le citoyen ? Le champion ne doit, en apparence, ses
succès qu’à son travail acharné et aux litres de sueur versés à l’entraînement. Il ne
les construit qu’à force de volonté et de persévérance dans l’effort. Il respecte ses
adversaires et la froideur quantitative des résultats. Il accepte dignement la défaite
et l’alternance qui fait se succéder les noms dans les palmarès. Quoi d’autre que le
stade, que la compétition, que le podium pour symboliser la société ? La place que
chacun occupe dans ces hiérarchies est, abstraction faite de l’arbitraire et de la triche
que l’on s’efforce de chasser – dopage, corruption, erreurs d’arbitrage –, justement
méritée : on ne la doit pas à sa naissance, au fait que l’on soit né aristocrate ou rotu-

1 France 2, « Emmanuel Macron : le "sens de l’effort" fait polémique », dans l’émission Journal de
13 heures, 11 janvier 2019.
2 R. Pretti, « Faire de la France une nation sportive », L’Équipe, 20 mai 2021, p. 24.
3 « Emmanuel Macron est opposé au projet de Super Ligue européenne », L’Équipe, 18 avril 2021.
4 E. Macron, « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les Jeux
olympiques et paralympiques de Tokyo 2020 et les efforts du gouvernement en faveur du sport, à
Paris le 13 septembre 2021 », 2021.

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rier, bourgeois ou prolétaire, citoyen libre ou esclave, mais aux seules compétences
sportives, indépendamment de toute autre considération discriminante.
Quelle est cette égalité réglant les rapports sportifs entre les êtres humains, si
parfaite que l’on n’en connaît peut-être pas d’équivalent ailleurs dans la société ?
Est-ce simplement une égalité de droit qui imposerait que les humains soient traités
dans le stade de la même manière quant aux règles du jeu, qu’ils soient riches ou
pauvres, puissants ou misérables ? Ou bien s’agit-il d’une égalité de nature quant aux
dispositions et aux conditions qui placerait chacun sur un pied d’égalité sur la ligne
de départ quant aux chances d’arriver au sommet du podium ?
« Le hockey canadien est une méritocratie1 », écrivait Malcolm Gladwell dans
son best-seller consacré à l’explication des grands succès, tant sportifs que sociaux.
Mais quelle est cette méritocratie2 récompensant les meilleurs, si bien huilée que la
société en envie son modèle, au point d’en filer à tout propos la métaphore ? Est-elle
simplement un froid système de sélection impartial et objectif, faisant abstraction
de tout critère extra-sportif pouvant fausser le jeu, permettant à coup sûr « que le
meilleur gagne », et non celui qui ne l’aurait pas été ? Ou bien promet-elle beaucoup
plus : l’assurance, pour qui y met la peine, le labeur, la volonté, pour qui s’emploie à
travailler le plus et le mieux, d’être récompensé de ses efforts, d’en récolter propor-
tionnellement les fruits à la mesure des innombrables gouttes de sueur versées durant
les interminables entraînements ?
Quelle est la nature de ce travail sur lequel paraît se fonder tout le sport, et cela si
sainement que la société rêve de pouvoir se construire pareillement ? Permet-il sim-
plement d’actualiser, d’accomplir pleinement les virtualités et potentialités contenues
en puissance dans le corps et l’âme de chacun, de hâter la germination des graines
du talent en les arrosant de sueur, de fortifier et de rendre encore plus robustes les
feuilles de muscle recouvrant les branches d’os, à la manière d’un engrais ? Ou est-il
quelque chose d’encore supérieur : l’unique solution, le seul recours pour qui sou-
haite progresser, tant dans sa réalisation personnelle que dans la hiérarchie, le seul et
unique outil à la disposition des humains pour combler les inégalités qui les séparent
de quelque nature qu’elles soient, de sorte que la position occupée par chacun dans
la hiérarchie serait très strictement corrélée à la quantité et à la qualité du travail
fourni ?
Autant de problèmes que le discours sportif soulève, mais auxquelles il prend
bien soin de ne pas répondre franchement. Le vague conceptuel, le flou entourant
les réponses appelées par ces questions permet de rendre la représentation méri-

1 M. Gladwell, Outliers, New York, Little, Brown and Company, 2008, p. 16.
2 Sur la genèse du néologisme de méritocratie, qui désigne en premier lieu chez le sociologue Michael
Young un système social « dystopique », voir É. Tenret, L’école et la croyance en la méritocratie,
Thèse de doctorat en sociologie, Université de Bourgogne, 2008, pp. 14-16.

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tocratique élastique et de l’accrocher sans peine sur le dos du sport. Peut-être ne
considérerait-on pas le sport aussi louablement s’il fallait déterminer plus préci-
sément le sens de ces concepts si ambitieux utilisés pour le décrire. Peut-être lui
chanterait-on des odes moins glorieuses si l’on s’attardait sur la question de l’adé-
quation du fait sportif et de sa représentation devenue toujours plus méritocratique
au fur et à mesure des années.

1. QU’EST-CE QUE LE SPORT ?

Le sport ? Hier comme aujourd’hui, il est une activité physique, ludique, compé-
titive, institutionnalisée1. Activité : les individus y sont moins passifs et immobiles
que acteurs à part entière, y compris lorsqu’ils se contentent d’être spectateurs.
Physique : les activités intellectuelles échappent pour la plupart à son empire − mais
pas les échecs ou le bridge − ; cependant, seules certaines prouesses physiques sont
reconnues comme sportives, et le mangeur de choucroute, aussi grand soit son esto-
mac, n’est pas considéré comme l’égal d’un athlète2.⁠ Ludique3 : d’une part en tant
que le sport est un prolongement du jeu sous d’autres modalités −  on verra les-
quelles − possédant sa finalité en lui-même, d’autre part en tant qu’il cultive, comme
l’écrivait Roger Caillois, moins la paidia, qui est cette « puissance primaire d’impro-
visation et d’allégresse4⁠ » poussant à jouer dans une quasi anarchie dionysiaque, que
le ludus, ce « goût de la difficulté gratuite » appelant à la création volontaire de règles
encadrant le jeu et à leur observation scrupuleuse5. Compétitive : des quatre catégo-
ries distinguées par Caillois dans son analyse des jeux que sont le vertige (illynx), le
simulacre (mimicry), la chance (alea) et la compétition (agôn)6⁠, c’est à cette dernière
que le sport emprunte le plus allègrement, lui qui est rivalité, affrontement, duel,
lutte, combat. Institutionnalisée : l’histoire du sport est celle de son institutionnalisa-
tion (création de lois, de structures, de lieux, d’événements), de l’universalisation de
ses pratiques (l’adoption partout des mêmes règles), de son enracinement toujours
plus profond dans le sol des sociétés.
Si bien que les définitions qu’en proposèrent jadis Coubertin – « le sport est le
culte volontaire et habituel de l’exercice musculaire intensif incité par le désir du

1 Caractérisation qui rejoint celle de Guttmann, qui considère les sports comme des jeux organisés,
compétitifs et physiques. A. Guttmann, From Ritual to Record : The Nature of Modern Sports, New
York, Columbia University Press, 1979, pp. 8-9.
2 Y. Vargas, Sur le sport, Paris, PUF, 1992, p. 112.
3 S. Bosselet, Petite philosophie du sport : le sport a-t-il un sens ? Bréal, 2016, p. 141.
4 R. Caillois, Les Jeux et les hommes [1958], Paris, Gallimard Folio, 2006, p. 75.
5 Le ludus et la paidia de Caillois peuvent être rapprochés des principes apollinien et dionysiaque
décrits par Nietzsche. F. Nietzsche, La naissance de la tragédie [1872], Paris, Gallimard Folio, 1989.
6 R. Caillois, Les Jeux et les hommes [1958], op. cit., pp. 50-75.

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TABLE DES MATIÈRES

TOUT LE MONDE EX AEQUO


Préface à Raphaël Verchère..............................................................................................9

INTRODUCTION..................................................................................... 15

NAISSANCE DU SPORT

I. L E SECRET ANGLAIS
1.-La poudre et la démocratie............................................................................................30
2.-Malaise dans la civilisation...........................................................................................34
3.-« La pierre angulaire de l’Empire britannique »...........................................................43
4.-Usages et mésusages de la violence..............................................................................46
5.-Virilité et discipline.......................................................................................................50

II. LE MONOPOLE DE LA GYMNASTIQUE


1.-« Rebronzer la France »................................................................................................57
2.-Les techniques disciplinaires de la gymnastique...........................................................63
3.-Le sport contre la gymnastique.....................................................................................70
4.-Du monde clos de la gymnastique à l’univers infini du sport.......................................73

III. L E LIBÉRALISME DES CORPS SPORTIFS


1.-Athènes contre Rome....................................................................................................76
2.-Morale gymnique a priori et valeurs sportives a posteriori...........................................79
3.-De l’anatomo-politique gymnique à la bio-politique sportive......................................82
4.-L’art de gouverner l’effort.............................................................................................86
5.-Une société de contrôle.................................................................................................94

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IV. LE JEU OLYMPIQUE
1.-L’action politique de Coubertin.....................................................................................99
2.-L’Olympisme et le politique..........................................................................................101
3.-La stratégie olympique..................................................................................................105
4.-Cosmopolitisme olympique et nationalisme.................................................................106

L’ÂME DU SPORT

I. L A THÉORIE DU SPORT DE COUBERTIN


1.-Émergence de la psychologie du sport..........................................................................120
2.-Le sport émancipateur...................................................................................................124
3.-Le sport aliénant............................................................................................................136

II. LE PROBLÈME DE L’ÉGALITARISME


1.-Le revers de la médaille................................................................................................152
2.-Un système aristocratique et égalitariste.......................................................................154
3.-La leçon du sport...........................................................................................................158
4.-Les vies parallèles.........................................................................................................162

III. C RITIQUE DE L’ARISTOCRATIE SPORTIVE


1.-Problèmes conceptuels..................................................................................................165
2.-Le sport, inutile et incertain...........................................................................................169
3.-Le sport contre l’éducation physique............................................................................170
4.-Les monstres physiologiques........................................................................................174
5.-Le taylorisme sportif.....................................................................................................176

GÉNÉALOGIE DE LA MÉRITOCRATIE SPORTIVE

I. H ENRY DE MONTHERLANT : L’ÉLITISME COMME PRINCIPE


DÉMOCRATIQUE
1.-Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les athlètes....................180
2.-L’égalitarisme de 1789..................................................................................................183
3.-Les femmes et le stade..................................................................................................189
4.-Le sens de la hiérarchie sportive...................................................................................191

II. LE FRONT POPULAIRE : L’INVENTION DU SPORT DE MASSE


1.-Assainir les masses........................................................................................................194
2.-Le sport capitaliste........................................................................................................198
3.-Démocratie, ordre et discipline.....................................................................................201

470
4.-Redéfinition de la pyramide de Coubertin.....................................................................204
5.-Deux tactiques complémentaires...................................................................................208

III. L E GAULLISME : LE SPORT COMME ASCENSEUR SOCIAL


1.-L’ordre du mérite...........................................................................................................210
2.-L’Essai de doctrine du sport.........................................................................................214
3.-Les instructions officielles de 1967...............................................................................220
4.-Le champion comme « self-made-man »......................................................................222

IV. LA MÉRITOCRATIE SPORTIVE CONTEMPORAINE


1.-Sport et intégration sociale............................................................................................226
2.-La pureté de la méritocratie sportive.............................................................................228
3.-Le problème du professionnalisme...............................................................................231
4.-Le problème du dopage.................................................................................................233
5.-La « théorie critique du sport ».....................................................................................237

L’ARISTOCRATIE SPORTIVE

I. P ERSISTANCES DE L’ARISTOCRATIE PHYSIOLOGIQUE


1.-Limites physiologiques du capital humain....................................................................244
2.-L’innéité sportive...........................................................................................................250
3.-La capacité de travail.....................................................................................................258

II. PERSISTANCES DE L’ARISTOCRATIE PSYCHOLOGIQUE


1.-Arbitrium sportum, arbitrium brutum...........................................................................263
2.-Tromper l’ennui.............................................................................................................270
3.-La noirceur de la bile du sportif....................................................................................273

III. L E MALIN GÉNIE DU SPORT


1.-L’effet Mars...................................................................................................................280
2.-L’idéologie du don.........................................................................................................284
3.-L’avenir d’une illusion..................................................................................................287
4.-Le mythe des 10 000 heures..........................................................................................293

RÉSISTANCES

I. D ISSIMULATIONS
1.-Astrée contre Mars........................................................................................................300
2.-La fabrique de l’homogénéité.......................................................................................304
3.-La genèse des catégories...............................................................................................310

471
4.-Le podium.....................................................................................................................317
5.-La délégation.................................................................................................................322

II. LA DÉLINQUANCE SPORTIVE


1.-Le génie des dominés contre le talent des dominants...................................................331
2.-S’entraîner autrement....................................................................................................333
3.-Les innovations technologiques....................................................................................338
4.-Les techniques du corps................................................................................................343
5.-L’arbitraire.....................................................................................................................350
6.-Le dopage......................................................................................................................355

LA SOCIÉTÉ SPORTIVE

I. L A MÉRITOCRATIE
1.-L’école de la vie............................................................................................................366
2.-Le méritif et le mérital...................................................................................................369
3.-Le double jeu du mérite.................................................................................................372
4.-La dialectique de l’oxymore..........................................................................................375

II. LA MÉTAPHORE SPORTIVE


1.-Le miroir des sports.......................................................................................................379
2.-De l’obstacle verbal au simulacre.................................................................................385
3.-Management du sport et sport du management.............................................................389

III. L E DISPOSITIF SPORTIF


1.-Sport et société..............................................................................................................394
2.-Les corps efficaces.........................................................................................................398
3.-Les âmes travailleuses...................................................................................................409
4.-Les caractères soumis....................................................................................................419

CONCLUSION......................................................................................... 433
BIBLIOGRAPHIE.................................................................................... 441
REMERCIEMENTS................................................................................. 467
INDEX....................................................................................................... 475

472
Les Éditions du Volcan
3 rue de l’Ancienne Cure
63450 Le Crest

Dépôt légal : septembre 2022


Imprimé dans la zone UE

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