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L’EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES ET LA MISE EN

ŒUVRE D’UN « SACRÉ PÉDAGOGIQUE »


Aspirations et questions contemporaines dans le contexte français

Philippe Greiner

Société Internationale de Droit Canonique | « L'Année canonique »

2008/1 Tome L | pages 149 à 172


ISSN 0570-1953
DOI 10.3917/cano.050.0149
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L’année canonique, 50, 2008, p. 149-172

L’EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES


ET LA MISE EN ŒUVRE D’UN « SACRÉ PÉDAGOGIQUE »

ASPIRATIONS ET QUESTIONS CONTEMPORAINES DANS LE


CONTEXTE FRANÇAIS

Philippe GREINER

Doyen de la Faculté de Droit canonique

En France, les questions relatives à l’usage et la destination des lieux


de culte font, depuis plusieurs années, l’objet d’une réflexion suivie, tant de la
part des autorités ecclésiastiques que de celle des pouvoirs publics. Rappelons
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qu’en 2007, à l’occasion du Xe colloque des Journées juridiques du patrimoine,
Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, invité à répondre à la question :
« L’Église catholique veut-elle encore de ses églises ? », déclarait : « À
l’intérieur de nos églises, l’Église catholique accueille, rassemble et conduit au
mystère de Dieu »1. En juin 2008, le Comité du patrimoine cultuel organisait, à
la demande du ministre de la Culture, Mme Christine Albanel, un colloque sur
le patrimoine cultuel catholique. À cette occasion, Mgr Roland Minnerath,
archevêque de Dijon, insistait sur la nécessité de « faire vivre davantage nos

1
Mgr C. Dagens, « L’Église catholique veut-elle encore de ses églises », intervention au 10e
colloque des Journées juridiques du patrimoine, « La protection du patrimoine cultuel ; un enjeux
universel », tenu le 11 sept. 2007 au Palais du Luxembourg, Paris, dans Documents Épiscopat,
2007, n° 11, p. 4-9.
150 PH. GREINER

églises » en élargissant les activités religieuses dans les lieux de culte, c’est-à-
dire non seulement les célébrations liturgiques mais aussi « toutes les formes de
prière personnelle ou communautaire, les moments de catéchèse, y compris par
la visite guidée à caractère spirituel »2. En novembre de cette même année, c’est
aussi Mgr Minnerath, en tant que président du groupe de travail sur le patri-
moine cultuel mis en place par la Conférence des évêques de France, qui pré-
sentait devant l’Assemblée plénière des évêques de France réunie à Lourdes, un
rapport intitulé « Faire vivre nos églises partout »3. Dans ce rapport,
Mgr Minnerath soulignait que « l’ekklesia est l’assemblée des disciples du
Christ, “pierres vivantes d’un édifice spirituel” (I Pierre 2, 5). L’édifice de
pierre a pris le nom de l’assemblée qu’il accueille. Pour cette raison, il exprime
la relation de l’assemblée avec le Christ »4. Lors de l’achèvement de cette
réunion plénière, le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des
évêques de France, en appelait à la responsabilité des communautés chrétiennes
pour faire vivre les églises : « Quel que soit l’attachement de nos villages et des
municipalités à leurs églises, la signification spécifique et le symbolisme de
celles-ci échappent à beaucoup. Le monument demeure, mais la réalité qu’il
signifie suppose que le peuple qu’il peut accueillir donne vie à son message,
faute de quoi il n’en resterait que le mémorial des artistes anciens. Nos églises,
toutes nos églises seront ouvertes et vivront si nous les habitons de notre vie et
de nos prières. C’est à chaque chrétien, à chaque groupe de chrétiens, de mani-
fester son attachement à son église par l’usage qu’il en fait »5.

Dans le contexte français, et en raison du régime de la propriété des


lieux de culte découlant de la loi de séparation de 1905, ces différentes inter-
ventions épiscopales ont aussi largement porté sur les relations avec l’État et les
collectivités publiques concernées. Mais elles ne s’en sont pas moins référées à
des fondements théologiques pour donner des orientations au sujet de l’identité
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et de l’animation pastorale des lieux sacrés. Dans chacune de ces interventions

2
Mgr R. Minnerath, « Avenir et préservation du patrimoine cultuel », intervention au colloque
« Églises des villes, églises rurales, un héritage en partage », organisé par le Comité du patrimoine
cultuel à la demande du ministre de la Culture, Mme Christine Albanel, tenu les 26 et 27 juin
2008, Paris, dans Documents Épiscopat, 2008, n° 8, p. 3-7.
3
Rapport « Faire vivre nos églises partout » présenté par Mgr Roland Minnerath le 4 nov. 2008
devant l’Assemblée plénière des évêques de France. Voir www.liturgiecatholique.fr/Faire-vivre-
nos-Églises-partout,2148.html.
4
Ibid., p. 11.
5
Cardinal A. Vingt-Trois, Discours de clôture de l’Assemblée plénière des évêques de France,
Lourdes, 9 nov. 2008, dans D.C., CIV, n° 2413, 7 déc. 2008, p. 1060-63.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 151

était présente, de façon sous-jacente, une préoccupation quant aux célébrations


liturgiques, fonction première des lieux sacrés, et au rôle d’accueil et
d’évangélisation que ceux-ci peuvent remplir.
En programmant une session sur « Lieux, mobilier et objets de culte :
aspirations et questions contemporaines », le 27 janvier 2009, la Faculté de
droit canonique de l’Institut catholique de Paris a souhaité contribuer à cette
recherche en abordant notamment la question : « Lieux sacrés et sacramentalité
aux grandes heures de la vie » sous l’angle des aspirations contemporaines.
Si, d’un point de vue canonique, la réflexion sur les lieux et objets
sacrés conduit, le plus souvent, à se reporter spontanément aux can. 1205 à
1239 du Code de droit canonique de 1983, la prise en compte de la sociologie à
laquelle renvoie l’expression « les grandes heures de la vie » et les
interrogations au sujet des aspirations contemporaines nous amènent à explorer
plus largement les diverses sources canoniques et les possibilités qu’elles
offrent, en effectuant une lecture croisée des dispositions6. Cela s’avère
d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit de prévoir un cadre juridique pour
organiser l’accueil de ceux qui fréquentent l’espace sacré sans adhérer
pleinement à la foi de l’Église ou en n’étant pas baptisés.
Dans un premier temps, nous ferons état de certaines questions que
posent à la théologie et aux pratiques pastorales les mutations culturelles dans
la compréhension du sacré et les demandes faites à l’Église par le « tout-
venant » (A). Avec le souci de repérer les éclairages que peut apporter le droit
canonique en ce domaine, ces considérations nous conduiront à privilégier la
voie d’un « sacré pédagogique » visant l’évangélisation des personnes et
l’émergence de « l’homme nouveau » (Col 3, 10) (B). Nous verrons ensuite que
les lieux et objets destinés au culte divin contribuent par le fait même à la
sanctification des personnes. En étant investis d’un caractère sacré, ils peuvent
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également exercer de façon stable une fonction catéchétique (C). Alors que
beaucoup de nos contemporains sont dépourvus d’une réelle connaissance
religieuse, la découverte des lieux et objets sacrés nécessite un
accompagnement. Pour l’Église, la mise en place d’un tel accompagnement à

6
Voir Secrétariat général de la Conférence des évêques de France, « Églises de France »,
Documents Épiscopat, 2009, n° 2, 57 p. ; Ph. Greiner, « Biens sacrés et biens religieux ; le point
de vue du canoniste », dans B. Basdevant-Gaudemet, M. Cornu et J. Fromageau (dirs), Le
patrimoine culturel religieux ; enjeux juridiques et pratiques cultuelles, L’Harmattan, Paris,
2006, coll. Droit du patrimoine culturel et naturel, p. 63-70 ; P. Malecha, Edifici di culto nella
legislazione canonica ; studio sulle chiese-edifici, Editrice pontifice Università Gregoriana,
Rome, 2002, 147 p. ; J. Werckmeister, « L’édifice cultuel en droit canonique catholique », dans
R.D.C., 47/2, 1997, p. 373-82 ; B. David, « Églises, oratoires et chapelles privées selon le Code »,
dans Les cahiers du droit ecclésial, 1986, n° 3, p. 81-104.
152 PH. GREINER

dimension culturelle doit avant tout reposer sur des préoccupations pastorales
(D).

A. MÉTAMORPHOSES CULTURELLES DU SACRÉ ET DEMANDES FAITES À


L’ÉGLISE PAR LE « TOUT-VENANT »

La compréhension de la notion de « sacré » apparaît aujourd’hui variée,


pour ne pas dire diffuse, en raison de déplacements culturels complexes. Ce
phénomène n’est cependant pas récent. En 1962, déjà, Sabino Acquaviva
parlait de L’éclipse du sacré dans la civilisation industrielle7. Si, pour l’homo
religiosus, l’expérience du sacré passe toujours par l’intervention d’une voie
symbolique et donc d’une médiation telle que le langage, les gestes, les objets,
les lieux ou les œuvres d’art religieux, chez beaucoup de nos contemporains qui
se tiennent éloignés de toute foi confessante, l’expérience du sacré, dans les
perceptions qu’ils peuvent en avoir, ne correspond pas toujours à la recherche
d’une altérité transcendante, mais, souvent, plus volontiers, à un processus de
sublimation esthétique qui, par un effet de miroir, n’aboutit en définitive qu’à
placer l’homme en face de sa propre image sublimée8. Depuis quelques
décennies, les sociétés pluralistes occidentales ont également connu
l’émergence d’autres mouvements de sacralisation fondés sur une
consommation de l’objet du désir9. Ont encore vu le jour de nouvelles formes
de religiosité qui, liées notamment au recul de la conscience religieuse et à
l’essor des technologies, peuvent s’expliquer par un manque de sécurité
éprouvé, une expérience de l’absurde ou un avenir ressenti comme menaçant10.
Il convient, certes, de ne pas situer sur un même plan le baptisé – qui,
sans avoir une pratique religieuse régulière, fait une demande d’ordre sacra-
mentel à certains moments significatifs de son existence – et le simple visiteur
d’une église qui n’adhère pas toujours à la foi chrétienne. Pour autant, plusieurs
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rapprochements peuvent être effectués entre ces deux cas de figure. Les muta-

7
S. Acquaviva, L’éclipse du sacré dans la civilisation industrielle, Mame, Tours, 1967, 402 p.
8
Sensiblement à la même période, c.-à-d. en 1965, les Pères du concile Vatican II, dans la
constitution Gaudium et spes, se demandaient comment « reconnaître comme légitime
l’autonomie que la culture revendique pour elle-même, sans que l’on aboutisse à un humanisme
purement terrestre, voire hostile à la religion ? » (G. S., n° 56).
9
Voir M. Meslin, « Symboles et liturgie », dans Les quatre fleuves, 1985, n° 21-22, « La
liturgie », p. 125-36.
10
Voir K. Lehman, « Foi de l’Église et religiosité non chrétienne », dans Communio, V, 1980,
n° 4, p. 21-22 ; G. Defois, « La crise du sacré, problème chrétien ? », dans Documents Épiscopat,
déc. 1995, n° 18, 4 p.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 153

tions culturelles contemporaines relatives à la compréhension et à la réception


du sacré ont souvent des effets prégnants sur chacun. Malgré tout, l’expérience
d’un « passage » d’ordre spirituel est possible. Elle correspondra, dans le
premier cas, à la mise dans un statut sacramentel nouveau, et dans le second, à
l’amorce d’une conversion in via. Notons encore qu’au sein de l’Église de
France, ces questions font l’objet de réflexions croisées, notamment portées par
le Comité national d’art sacré, le Service national de la pastorale liturgique et
sacramentelle (S.N.P.L.S.) et celui de la pastorale des réalités du tourisme et
des loisirs (P.R.T.L.)11.
S’agissant des personnes qui font à l’Église une demande sacramentelle
de façon très ponctuelle, l’approche sociologique attire notre attention sur le
fait que celle-ci est, dans bien des cas, effectuée à l’occasion des grandes
heures de la vie humaine. En nous limitant strictement au for externe, il
apparaît ainsi que – en dépit de la déchristianisation et des ruptures avec la
tradition catholique – se maintient l’attachement d’un certain nombre à ce qui,
au point de départ, peut être considéré comme une demande de ritualité
religieuse étroitement associée à la célébration des grandes étapes de la vie que
constituent la naissance, l’âge de raison, l’entrée dans l’adolescence, le mariage
et la mort. Dans le cadre ecclésial, ces étapes coïncideront respectivement au
baptême des petits enfants, à la première communion et à la profession de foi
des jeunes, au mariage sacramentel et à la célébration chrétienne des
funérailles. Si ces questions relèvent au premier chef d’une réflexion
théologique et pastorale, notre propos, ici, consistera surtout à les rattacher au
domaine plus spécifique des lieux et objets sacrés.
Pour ce qui est du visiteur d’un lieu sacré chrétien qui entretient un lien
distendu avec l’Église ou qui n’est pas baptisé, on peut observer que la fréquen-
tation de cet espace le conduira parfois au franchissement existentiel ou
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spirituel d’un seuil lié à une émotion esthétique, à un sentiment de paix et
parfois à un rapport à la mémoire, tout cela avec sa propre histoire, le plus
intime de lui-même, ses attentes et ses blessures qui n’émergent pas toujours
immédiatement à sa propre conscience12. S’il est fort difficile pour un tel

11
Voir Centre national de pastorale liturgique (France), La notion d’initiation chrétienne ; sa
redécouverte, sa fécondité, Cerf, Paris, 2007, coll. « Les plus belles études de la Maison-Dieu »,
2, 196 p.
12
Pour Mgr Claude Dagens ; « Il y a dans une église ce que des agnostiques et des incroyants
perçoivent parfois mieux que des croyants ; une distance sensible par rapport aux rumeurs du
monde et à ses violences, et aussi la promesse d’un accueil paisible et désintéressé. En même
temps, on peut pressentir que ce lieu est habité et plus précisément qu’il a un centre, un cœur,
qu’il est orienté. D’une manière ou d’une autre, même sans savoir ce qu’est l’Eucharistie, on
devrait pouvoir deviner qu’une présence est là, offerte, donnée gratuite. Il y a une troisième note,
154 PH. GREINER

visiteur d’expliquer en quoi un lieu et des objets qui ont bénéficié de la


dédicace ou de la bénédiction ont été propices à sa démarche, en l’imprégnant
d’une certaine manière, il n’en reste pas moins, qu’une lecture a posteriori
pourra lui faire reconnaître qu’il a vécu une expérience transformante13.
Mais, en reliant les demandes sacramentelles que nous avons
présentées plus haut et cette amorce de rupture ou de passage du visiteur en
quête de sens aux fonctions des symboles liturgiques, on doit néanmoins se
rappeler, comme le souligne Michel Meslin, que « c’est le rôle de tout rituel
liturgique de constituer une sorte de garde-fou contre tout débordement
psychique, contre un surcroît d’affectivité subjective investissant le symbole
d’une signification par trop égotiste »14. Fondamentalement, « la liturgie possè-
de une signification qui va au-delà de toutes les cultures, un sens profond qui se
situe en deçà de celles-ci, parce qu’elle est la mise en œuvre symbolique, sur
l’ordre même du Christ, de l’union de l’homme à Dieu »15.
Cette conception rejoint celle développée par Yves Congar en 1967 au
sujet de la « Situation du sacré en régime chrétien »16. Pour Congar, en effet,
l’économie du salut en régime messianique constitue une caractéristique origi-
nale, spécifique et irréductible du sacré en christianisme. Par des signes et des
symboles, l’homme est invité à percevoir les réalités inhérentes au domaine du
salut. Mais suivant cette orientation de principe, Yves Congar en venait à
distinguer différents niveaux de sacré en régime messianique, sans négliger la
fonction pédagogique des symboles. Congar voyait ainsi dans le « sacré
substantiel » un premier niveau, fondamental, qui correspond au Corps du
Christ tel qu’il est présenté par les textes néo-testamentaires, c’est-à-dire à la
fois temple, prêtre et sacrifice. Directement rattachés à ce premier niveau,
Congar désignait ensuite les signes de type sacramentel qui sont des signes
efficaces du régime messianique dans la mesure où ils créent des situations
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peut-être plus difficile à saisir de façon immédiate [...]. Dans nos églises, il n’y a aucun contrôle,
aucune sélection préalable. Chacun peut trouver sa place, circuler, regarder, s’arrêter, goûter le
silence, la paix, la présence cachée » (loc. cit., p. 8-9).
13
Ce type d’expérience rappelle le témoignage donné par Paul Claudel au sujet de sa conversion,
le soir de Noël 1886, alors qu’il se trouvait près de la statue de la Vierge du Pilier, à N.-D. de
Paris ; « J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, l’éternelle enfance de Dieu,
une révélation ineffable ».
14
M. Meslin, op. cit., p. 135.
15
Ibid., p. 136.
16
Y. Congar, « Situation du sacré en régime chrétien », dans Y Congar (dir.), La liturgie après
Vatican II, Cerf, Paris, 967, coll. Unam Sanctam, n° 66, p. 385-403.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 155

humaines nouvelles, à savoir l’existence chrétienne ; par exemple, partant du


sacrement de l’ordre ou du mariage, celle du prêtre ou des époux chrétiens. Puis
Congar dégageait un troisième niveau qui prend place dans le champ de la
« pédagogie messianique ». Ce « sacré pédagogique » qui, pour notre étude,
retiendra particulièrement notre attention, comporte aussi bien les paroles, les
gestes, les bénédictions, les rites, les coutumes, les règles de vie que les lieux et
temps sacrés, les vêtements, et même le silence. S’appuyant sur ces distinctions
et préoccupé par la nécessité de définir une nouvelle anthropologie du sacré
chrétien, Congar concluait avec nuance : certains « voudraient désacraliser la
liturgie ou la langue liturgique. Leur intention de fond est juste : ils veulent un
culte qui assume la vie terrestre des hommes et où ceux-ci se retrouvent dans
des signes qui leur soient accessibles. Mais une fois de plus, ils oublient que le
christianisme veut une nouvelle naissance, car il est issu d’une série
d’initiatives divines irréductibles à celle de la création naturelle »17.
Nous verrons plus loin comment ces préoccupations théologiques
peuvent être assumées dans le cadre canonique. Pour l’instant, et en écho aux
propos de Michel Meslin et de Yves Congar, relevons que la simple mention du
can. 932 § 1, « la célébration eucharistique se fera en un lieu sacré », peut être
lue à la lumière de considérations données par la Présentation générale du
Missel romain : « Les édifices sacrés et les objets destinés au culte divin seront
dignes et beaux, et capables de signifier et de symboliser les réalités surnatu-
relles »18.

B. PRIMAUTÉ DE LA PERSONNE DANS LA PERSPECTIVE D’UN « SACRÉ


PÉDAGOGIQUE »

Si les livres liturgiques et le CIC de 1983 fournissent des règles rela-


tives à la disposition et à l’ornementation des églises, c’est bien sûr en vue de
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l’accomplissement de l’action sacrée et de la sanctification des personnes
humaines. Cette primauté de la personne sur l’édifice est, à l’origine, affirmée
dans les sources scripturaires. Ainsi, dans l’évangile de Jean, le temple nouveau
et définitif, rebâti en trois jours, est le corps même de Jésus (Jn 2, 19-21). Dans
un prolongement, Paul présente l’Église comme étant le temple de Dieu, édifié
sur le Christ, fondement, tête et pierre angulaire (I Co 3, 10-17 ; II Co 6, 16 ; Ép
2, 20-22). Mais, dans sa Lettre aux Éphésiens, Paul insiste sur l’accueil

17
Ibid., p. 401-02.
18
Commission internationale francophone pour les traductions et la liturgie, L’art de célébrer la
messe. Présentation générale du Missel romain, traduit de Institutio generalis Missalis romani,
3e éd. Typique, 2002, Desclée-Mame, Paris, 2008, n° 288, p. 112.
156 PH. GREINER

ecclésial en indiquant que juifs et païens sont appelés à être « ensemble intégrés
à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit » (Ép 2, 22). À
son tour, chaque chrétien devient lui-même temple de Dieu en tant que membre
du corps du Christ (I Co 6, 15 ; 12, 27), et son corps est le temple de l’Esprit
Saint (I Co 6, 19 ; Rm 8, 11).
Pour autant, la réalité du Christ-Temple nouveau n’exclut pas un
rapport signifiant à l’édifice de pierres. Jésus enseigne le respect pour le lieu
sacré que constitue le temple de Jérusalem et il s’indigne que l’on ait fait de la
maison de son Père un lieu de trafic (Jn 2, 16). Pour lui, le temple est le lieu de
la rencontre avec le Père (Lc 2, 41-49). Tout en laissant aux exégètes le soin
d’interpréter la parole de Jésus dans l’évangile de Luc au sujet des disciples –
« s’ils se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40) –, on peut admettre que, si
l’édifice ou les objets sacrés ne peuvent en aucun cas se substituer à la
confession de foi des Christifideles, ils remplissent, à leur mesure, une fonction
médiatrice en étant investis, de façon spécifique, par une présence de Dieu19.
Dans le CIC de 1983, les dispositions fondamentales relatives au statut
des fidèles reposent à l’évidence sur cet apport néo-testamentaire et les ensei-
gnements du Magistère qui ont suivi, tout spécialement ceux de la constitution
Lumen gentium du concile Vatican II au sujet de l’Église, corps mystique du
Christ et peuple de Dieu. C’est ainsi que le can. 204 § 1 définit les fidèles du
Christ comme étant « ceux qui, en tant qu’incorporés au Christ par le baptême,
sont constitués en peuple de Dieu ». S’appuyant également sur une théologie du
corps, le can. 834 § 1 indique que l’Église remplit sa fonction de sanctification
d’une manière particulière par la sainte liturgie qui correspond au « culte public
intégral de Dieu » célébré par « le Corps mystique de Jésus Christ, Tête et
membres ». Cependant la répartition entre droits et devoirs et les conditions
posées par le législateur pour la réception des sacrements ne doivent pas
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amener à penser que les sources canoniques ne prennent pas en compte le souci
pastoral constant de l’Église pour ceux qui se tiennent plus ou moins éloignés
de la foi chrétienne.
Sur ce point, rappelons que toute la contribution canonique se situe
dans la perspective de la finale du can. 1752 suivant laquelle, il s’agit de ne pas
« perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l’Église la loi su-
prême ». Il convient aussi d’observer que les normes du CIC traitent de la solli-

19
Pour ce qui est des églises dans lesquelles se conserve la sainte eucharistie, le Directoire pour
le ministère pastoral des évêques précise plus encore qu’elles « ne sont pas de simples lieux de
réunion de fidèles, mais la demeure de Dieu et un symbole de l’Église qui se trouve en ce lieu ».
Congrégation pour les évêques, Directoire pour le ministère pastoral des évêques, « Apostolorum
successores », Libreria editrice vaticana, Cité du Vatican, 2004, n° 154, p. 172.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 157

citude des pasteurs sacrés à l’égard des fidèles et des non-baptisés afin que,
suivant les cas, ils progressent dans la foi ou soient mis dans des conditions
favorables pour la découvrir.
En prévoyant que « les pasteurs d’âmes et les autres fidèles, chacun
selon sa fonction ecclésiastique » devront « veiller à ce que les personnes qui
demandent les sacrements soient préparées à les recevoir par l’évangélisation
voulue et la formation catéchétique », le can. 843 § 2 ne fait pas seulement
obligation aux responsables ecclésiaux de s’assurer que les conditions posées
pour la réception des sacrements sont réunies, ils les appellent à une véritable
mise en œuvre catéchétique. Complétant les règles relatives à l’administration
des sacrements, le can. 528 § 2 demande en outre au curé de s’efforcer à « ce
que les fidèles soient conduits et nourris par la pieuse célébration des sacre-
ments » et à ce qu’ils soient à même de « participer consciemment et
activement à la sainte liturgie ». Ces dispositions rejoignent directement
l’appréciation formulée par les Pères de Vatican II dans la constitution sur la
liturgie, Sacrosanctum concilium : « Il est donc de la plus haute importance que
les fidèles comprennent facilement les signes des sacrements et fréquentent
avec un zèle empressé les sacrements qui sont institués pour nourrir la vie
chrétienne » (n° 59). Mais lorsque les fidèles concernés ont abandonné une
pratique régulière ou ont été peu catéchisés, les prescriptions des can. 528 § 2
et 843 § 2 peuvent s’entendre avec une acuité toute particulière. Avec réalisme,
le Directoire sur la piété populaire et la liturgie promulgué en 2001 insiste
d’ailleurs sur la nécessité d’un tel accompagnement catéchétique. Constatant
que les relations entre liturgie et piété populaire se détériorent durant les
périodes où la conscience des valeurs essentielles de la liturgie s’atténue dans
l’esprit des fidèles, ce document indique que « la méconnaissance du langage
propre à la liturgie – c’est-à-dire la langue, les signes, les symboles et les gestes
rituels – a pour conséquence que le sens profond de la célébration échappe en
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grande partie aux fidèles. Cette ignorance peut même produire en eux
l’impression qu’ils sont étrangers à l’action liturgique ; c’est pourquoi ils
marquent volontiers leur préférence pour les exercices de piété dont le langage
correspond mieux à leur formation culturelle, ou encore, ils ont tendance à
opter pour les dévotions particulières qui répondent d’une manière plus
satisfaisante aux exigences et aux situations de la vie quotidienne » (n° 48)20.
Le droit canonique traite aussi de la sollicitude des pasteurs sacrés
envers les non-pratiquants et les non-baptisés. Suivant le can. 383, le souci

20
Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Directoire sur la piété popu-
laire et la liturgie, 17 déc. 2001, Bayard-Fleurus-Mame, Cerf, Paris, 2003, coll. « Documents
d’Église », p. 57-58.
158 PH. GREINER

apostolique de l’évêque diocésain doit s’étendre « même à ceux qui ne peuvent


pas assez bénéficier de l’activité pastorale ordinaire à cause de leurs conditions
de vie, ainsi qu’à ceux qui ont abandonné la pratique religieuse » (§ 1). « Il
considérera comme confiés à lui dans le Seigneur les non-baptisés pour que, à
eux aussi, se manifeste la charité du Christ dont l’évêque doit être le témoin
devant tous » (§ 4). Quant au curé, le can. 528 § 1 précise qu’« il s’efforcera par
tout moyen, en y associant aussi les fidèles, à ce que l’annonce de l’Évangile
parvienne également à ceux qui se sont éloignés de la pratique religieuse ou qui
ne professent pas la vraie foi ». Dans le contexte français, marqué par la né-
cessité d’une nouvelle évangélisation, il est également opportun de se référer à
des normes qui relèvent ordinairement du corpus de droit missionnaire. La pro-
motion d’un « sacré pédagogique » à destination du « tout-venant » nous
renvoie en particulier à la norme du can. 787 § 1 : « Que par le témoignage de
leur vie et de leur parole, les missionnaires instaurent un dialogue sincère avec
ceux qui ne croient pas au Christ, afin que d’une manière adaptée au génie et à
la culture de ces derniers, leurs soient ouvertes des voies qui puissent les
amener à connaître le message évangélique ».
Pour le déploiement de ce « sacré pédagogique » en vue de la prépara-
tion aux sacrements et de l’évangélisation, une place privilégiée doit être accor-
dée au ministère de la parole. Aux termes du can. 836, en effet, « comme le
culte chrétien, dans lequel s’exerce le sacerdoce commun des fidèles, est une
œuvre qui procède de la foi et s’appuie sur elle, les ministres sacrés veilleront
soigneusement à le susciter et à l’éclairer, surtout par le ministère de la parole
par lequel la foi naît et se nourrit ». Cette norme laisse cependant entrevoir qu’à
ce ministère de la parole peuvent être adjoints d’autres moyens aux rangs
desquels, on peut citer à un titre tout particulier, les lieux et objets sacrés et, de
façon complémentaire, les images saintes ou de dévotion.
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C. L’EFFICACITÉ DES LIEUX ET OBJETS SACRÉS
Loin de répondre à une simple nécessité instrumentale, les lieux et
objets sacrés sont dotés d’une réelle efficacité en raison de leur destination au
culte divin et, ce faisant, parce qu’ils contribuent à nourrir la foi à l’occasion
des actions liturgiques (1). Pour autant, la fonction symbolique et catéchétique
des choses sacrées ne se limite pas au temps des célébrations liturgiques (2). Si
les choses sacrées doivent être empreintes de beauté et de dignité, leur finalité
et les caractéristiques du lieu constituent des critères d’appréciation pour tout
projet de création ou d’aménagement. Au plan canonique, c’est à l’Ordinaire
compétent et aux experts que revient le discernement en ce domaine (3).
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 159

1. La destination liturgique.
Dans la constitution Sacrosanctum concilium, les Pères de Vatican II
ont appelé les artistes qui « veulent servir la gloire de Dieu dans la sainte
Église » à « produire des œuvres destinées au culte catholique, à l’édification
des fidèles ainsi qu’à leur piété et à leur formation religieuse » (n° 127). Cette
orientation dont la portée ne se limite pas à exercer le discernement qui
convient dans le domaine de l’art sacré, souligne les fonctions fondamentales
des lieux et objets sacrés. Lorsque ceux-ci ont directement vocation à être
utilisés pour le culte divin, les règles liturgiques déterminent largement la
composition et la symbolique des choses sacrées sans toutefois empêcher une
initiative créatrice de l’artiste21. Mais les normes canoniques et les rubriques
des rituels nous renseignent aussi sur ce que doivent exprimer ces choses
sacrées lors des actions liturgiques. Nous limitant à considérer ici ceux qui,
sans avoir une pratique religieuse régulière, font une demande occasionnelle à
l’Église, relevons que les lieux et choses sacrés peuvent remplir un rôle
catéchétique à un moment où ces fidèles effectuent un « passage » qui coïncide
avec les étapes de l’itinéraire chrétien.
Cette contribution des choses sacrées dans la perspective d’un
« passage » est particulièrement manifestée dans la célébration du baptême (a)
et celle des funérailles (b).
a) Le baptême. Dès le début, les Notes doctrinales et pastorales du
Rituel du baptême des petits enfants rappellent que, par le baptême, les hommes
« passent de la condition humaine dans laquelle ils naissent comme fils d’Adam
à l’état de grâce et d’adoption des fils de Dieu : leur naissance de l’eau et de
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21
Voir J. López Martín, « Principi teologici e norme esecutive per la costruzione delle chiese »,
dans Congregazione per il Culto divino e la Disciplina dei sacramenti, L’arte a servizio della
liturgia. Una sfida liturgica e pastorale, Atti della IV Giornata di studio nell’anniversario della
« Sacrosanctum Concilium », 4 déc. 2007, L.E.V., Cité du Vatican, 2008, coll. Spiritus et sponsa,
n° 3, p. 13-37 ; M. Piacenza, « Gli aspetti liturgici che incidono sull’arte », ibid., p. 39-58 ;
H. Pfeiffer, « Il sacro come fondamento della bellezza. La decorazione delle chiese e della
suppellettile ecclesiastica », ibid., p. 59-69. Voir aussi, Congrégation des Rites, Instruction Inter
Oecumenici, 26 sept. 1964, dans D.C., LXI, n° 1435, 18 oct. 1964, col. 1374-75 ; Commission
épiscopale française de liturgie, Directives pratiques sur le renouveau liturgique et la disposition
des églises, 20 juill. 1965, dans D.C., LXII, n° 1455, 19 sept. 1965, col. 1563-76. Au sujet de
l’autel et de sa fonction liturgique, l’instruction Eucharisticum mysterium de 1967, sur le culte du
mystère eucharistique, précise qu’il importe « de situer et de construire l’autel majeur de telle
façon qu’il apparaisse toujours comme le signe du Christ lui-même, le lieu où s’accomplissent les
mystères du salut, et comme le centre de l’assemblée des fidèles, auquel sont dus les plus grands
égards ». Congrégation des Rites, Instruction Eucharisticum mysterium, 25 mai 1967, dans D.C.,
LXIV, n° 1496, 18 juin 1967, col. 1104-05.
160 PH. GREINER

l’Esprit Saint fait d’eux une création nouvelle » (n° 2)22. Dans le prolongement
de cet enseignement théologique, plusieurs prescriptions du CIC et du Rituel
sont suggestives pour la compréhension de la signification symbolique du lieu
baptismal.
On peut ainsi établir un rapprochement entre la qualification du
baptême de « porte des sacrements » donnée par le can. 849 et l’emplacement
traditionnel du baptistère près de l’entrée de l’église. Tenant compte du souci
de participation des fidèles, maintes fois affirmé par la constitution
Sacrosanctum concilium, l’actuel Rituel du baptême a certes élargi les
possibilités en indiquant que le baptistère peut être situé « dans une chapelle ou
bien dans un autre endroit de l’église », à condition qu’il soit « bien en vue des
fidèles » et que son aménagement soit « adapté à la participation d’un grand
nombre » (n° 25). Mais dans l’esprit conciliaire, le souci de « participation »,
loin d’aller à l’encontre de ce que représente l’image de la « porte », a bien
pour but de favoriser l’adhésion des fidèles au passage baptismal23.
Alors que le can. 858 § 1 indique sobrement que « toute église pa-
roissiale aura les fonts baptismaux », il nous faut interpréter cette disposition à
la lumière du Rituel du baptême qui privilégie l’existence d’une source de vie et
de nouveauté. En effet, si ce rituel admet l’installation d’une simple cuve
baptismale, il préfère avant tout parler du baptistère comme étant le lieu où
« jaillit la fontaine baptismale » (n° 25). À cette conception dynamique est
aussitôt associé un fondement théologique : « car c’est là que les chrétiens
renaissent de l’eau et de l’Esprit Saint » (n° 25).
Notons encore qu’en dehors du temps pascal, la conservation ordinaire
du cierge pascal à l’intérieur du baptistère est destinée à traduire la
participation à la mort et à la résurrection du Christ qui est opérée par le
baptême24. Au moment de la remise de la lumière transmise depuis le cierge
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22
Rituel du Baptême des petits enfants, Mame-Tardy, Paris, 1984, 189 p.
23
Suivant la constitution Sacrosanctum concilium, les sacrements de la foi « confèrent la grâce,
mais, en outre leur célébration dispose au mieux les fidèles à recevoir fructueusement cette grâce
à rendre à Dieu le culte voulu, et à exercer la charité. Il est donc de la plus grande importance que
les fidèles comprennent facilement les signes des sacrements et fréquentent de la façon la plus
assidue les sacrements qui nourrissent la vie chrétienne » (n° 59). Voir P. de Clerck, « Le
baptistère ; quelques présupposés cérémoniels », dans Chroniques d’art sacré, n° 44, 1995,
p. 14-18.
24
« Après le temps pascal, on conservera avec honneur le cierge pascal à l’intérieur du
baptistère ; on l’allumera pendant la célébration des baptêmes afin de pouvoir y allumer
facilement les cierges des nouveaux baptisés » (Notes doctrinales et pastorales, Rituel du
baptême des petits enfants, n° 25).
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 161

pascal, le Rituel du baptême des petits enfants prévoit que le ministre s’appuie
sur le statut sacramentel du nouveau baptisé en priant pour que ce dernier
« illuminé par le Christ, avance dans la vie en enfant de lumière et demeure
fidèle à la foi de son baptême » (n° 25). Au plan symbolique, la liturgie
baptismale établit donc une étroite relation entre la parole, le geste et l’objet
sacré.

b) La célébration des funérailles. À l’autre bout de l’existence terrestre,


la célébration des funérailles correspond, pour les proches du défunt, à
l’expérience du dernier adieu. Le can. 1176 § 2 indique que « les funérailles
ecclésiastiques, par lesquelles l’Église procure aux défunts le secours spirituel
et honore leur corps en même temps qu’elle apporte aux vivants le réconfort de
l’espérance, doivent être célébrées selon les lois liturgiques ». En écho à cette
norme, le Rituel des funérailles sous-entend l’usage de différents objets litur-
giques (notamment, le cierge pascal, l’encensoir et le bénitier) qui contribuent
respectivement à exprimer le sens chrétien des funérailles, c’est-à-dire la prière
de l’Église pour que les défunts devenus membres du Christ mort et ressuscité
par le baptême, « passent avec le Christ de la mort à la vie, soient purifiés dans
leur âme et rejoignent au ciel tous les saints dans l’attente de la résurrection des
morts et la bienheureuse espérance de l’avènement du Christ » (« Notes doctri-
nales et pastorales » du Rituel des funérailles, n° 1)25. Les objets liturgiques
servant aux funérailles s’inscrivent dans la dimension pascale de cette célé-
bration et sont utilisés pour signifier, par anticipation, la liturgie céleste. Ici en-
core, la portée symbolique de l’objet est étroitement liée au geste silencieux ou
à la parole qui accompagnent le rite. Dans le Rituel des funérailles, c’est ainsi
qu’il nous faut lire au moment de la communication de la lumière du cierge
pascal aux cierges qui entourent le corps du défunt : « Ce geste est fait dans le
silence et doit être bien visible » (n° 54) ; puis, lors de l’encensement, le
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ministre peut dire : « En signe de respect pour vous, voici cet encens. Qu’il
monte devant Dieu avec notre prière » (n° 119) ; et enfin, pour l’aspersion :
« Nous espérons et nous croyons que tous, nous ressusciterons ! En signe de
cette foi, je bénis ce corps » (n° 120). Cependant la fonction symbolique des
choses sacrées perdure en dehors des célébrations liturgiques.

2. La stabilité du caractère sacré


De prime abord, il pourrait sembler présomptueux de parler de « voca-
tion à la pérennité » au sujet des lieux et objets sacrés dans la mesure où ceux-

25
La célébration des obsèques ; Rituel des funérailles, adaptation en langue française de l’Ordo
exsequiarum publié à Rome le 15 août 1969, I, Desclée-Mame, Paris, 1997, 79 p.
162 PH. GREINER

ci, comme tout œuvre terrestre, peuvent être soumis aux dégradations produites
par le temps, des événements accidentels ou la volonté humaine26. Mais en
dehors de ces cas, les lieux et objets sacrés restent, d’une certaine manière,
soustraits à la libre disposition des hommes27. Le caractère sacré dont ils sont
investis manifeste que l’interprétation chrétienne de l’histoire oriente à la fois
vers le Royaume déjà advenu et pas encore accompli. De façon significative, le
Directoire pour le ministère pastoral des évêques indique que « les églises,
dans lesquelles se célèbre et se conserve la sainte Eucharistie, ne sont pas de
simples lieux de réunion des fidèles, mais la demeure de Dieu et un symbole de
l’Église qui se trouve en ce lieu »28. Pour sa part, le Rituel de la Dédicace met
expressément la pérennité de la consécration d’une église en rapport avec une
annonce eschatologique : « L’onction de l’église signifie d’abord que celle-ci
est consacrée tout entière et pour toujours, au culte chrétien. On fait douze
onctions pour signifier que l’église est l’image de la cité sainte, Jérusalem »
(Préliminaires, III - 16 a)29. Si la dédicace ou la bénédiction entraînent une
protection durable des lieux ou objets destinés au culte ou à la dévotion, afin
qu’ils ne fassent pas l’objet de profanation ou d’un usage contraire à leur
vocation propre, l’attribution du caractère sacré par un rite pourvu d’efficacité
canonique souligne également que la fonction symbolique des choses
concernées continue à s’exercer en dehors des actions liturgiques. Le lieu
dédicacé est ainsi en permanence la demeure de Dieu et il signifie à tout
moment que « dans la liturgie terrestre, l’Église a un avant-goût de la liturgie
céleste qui se célèbre dans la Cité sainte de Jérusalem vers laquelle tend son
pèlerinage » (Présentation générale du Missel romain, n° 318)30. Cela nous

26
Une église gravement endommagée ne perd pas ipso facto son caractère sacré. Pour ce cas, le
can. 1222 § 1 prévoit la nécessité d’un décret d’exécration en indiquant que « Si une église ne
peut en aucune manière servir au culte divin et qu’il n’est pas possible de la réparer, elle peut être
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réduite par l’évêque diocésain à un usage profane qui ne soit pas inconvenant ».
27
Sur les conceptions antiques de la propriété et de l’affectation des choses sacrées, voir
J. Gaudemet, « Res sacrae », dans A.C., XV, 1971, p. 299-316.
28
Congrégation pour les évêques, Directoire pour le ministère pastoral des évêques, « Aposto-
lorum successores », op. cit., n° 154, p. 172.
29
Pontifical romain ; Rituel de la Dédicace, adaptation française de l’Ordo dedicationis eccle-
siae et altaris publié à Rome le 29 mai 1977, Desclée, Paris, 1988, 125 p. Voir J. Évenou, « Le
nouveau rituel de la dédicace », dans La Maison-Dieu, n° 134, 1978, p. 85-105.
30
La tension eschatologique inhérente au mystère chrétien n’est pas sans conséquences sur la
manière de concevoir les plans d’une église nouvelle ou l’aménagement d’un espace sacré. Voir
J. Doré, « La rencontre de l’acte créateur et du message de la foi », conférence donnée le 14 janv.
2006 dans le cadre du colloque « Ronchamp, l’exigence d’une rencontre », dans Documents
Épiscopat, 2006, n° 9, 14 p. ; B. Klasen, « Principes directeurs pour un lieu de culte catholique »,
conférence donnée en 2004 aux Semaines liturgiques de l’Institut S.-Serge de Paris, dans Unité
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 163

amène à concevoir qu’en visant la protection des objets sacrés par un recours
« au soin ordinaire de conservation et aux moyens appropriés de sécurité », la
norme du can. 1220 § 2 traite bien de la sauvegarde du patrimoine religieux
tout en répondant, plus fondamentalement, à une préoccupation théologique.
D’une manière plus ou moins explicite, diverses prescriptions laissent
d’ailleurs entendre qu’un rapport des fidèles ou du simple visiteur aux lieux et
objets sacrés peut contribuer à leur sanctification et à leur évangélisation. Les
dispositions du can. 1210 qui prévoient que « ne sera admis dans un lieu sacré
que ce qui sert ou favorise le culte, la piété ou la religion », ne doivent pas être
seulement interprétées dans leur dimension restrictive, mais avant tout comme
tendant à « promouvoir » le culte et l’adhésion de foi31. De même, il serait
réducteur de ne voir au can. 1221 relatif à l’entrée libre et gratuite dans l’église,
pendant les célébrations sacrées, qu’une règle d’administration des biens ecclé-
siastiques. La liberté qui peut être celle d’un non-baptisé pénétrant dans l’église
trouve pour corollaire l’obligation formulée au can. 748 § 1 : « Tous les
hommes sont tenus de chercher la vérité en ce qui concerne Dieu et son Église »
et l’interdiction posée au § 2 de ce même canon : « Il n’est jamais permis à
personne d’amener quiconque par contrainte à adhérer à la foi catholique contre
sa conscience ». Quant à la gratuité, elle renvoie aussi à la gratuité du don de
Dieu32.
D’autres dispositions précisent ce que certaines choses sacrées donnent
à voir et à comprendre. À titre d’exemples, relevons que la Présentation géné-

des chrétiens, n° 152, oct. 2008, p. 10 ; C. Andronikof, Le sens de la liturgie. La relation entre
Dieu et l’homme, coll. « Théologies », Cerf, Paris, 1988, p. 78.
31
C’est l’idée de « promouvoir » que retient expressément le Directoire pour le ministère
pastoral des évêques lorsqu’il indique que les concerts organisés dans les églises doivent être
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« programmés et exécutés avec la finalité explicite de promouvoir la piété et le sentiment
religieux et jamais au détriment du premier service pastoral que doit offrir le lieu », Congrégation
pour les évêques, Directoire pour le ministère pastoral des évêques, « Apostolorum
successores », op. cit., n° 154, p. 173.
32
Dans un même esprit, le rapport présenté par Mgr Minnerath devant la Conférence des évêques
de France appelle les communautés chrétiennes locales à « s’efforcer, dans toute la mesure du
possible, d’ouvrir les églises et les rendre accessibles à tous. S’agissant d’une partie du domaine
public affectée au culte, l’église est faite pour être ouverte, y compris en dehors des moments de
culte public. Il s’agit là d’une grande liberté publique, individuelle, collective de proposition, de
conscience. C’est une obligation légale au plan civil et au plan canonique. Des conversions
célèbres se sont produites à l’occasion d’une visite inopinée dans une église. Il est important que
les églises restent ouvertes, pour tous ceux qui peuvent venir y chercher un espace de
recueillement ou qui désirent venir y prier en groupe. La destination première de l’édifice est ainsi
manifestée. L’église n’est ni un musée ni une salle des fêtes, mais un lieu de rencontre avec
Dieu ». Mgr R. Minnerath, « Faire vivre nos églises partout », loc. cit., p. 11.
164 PH. GREINER

rale du Missel romain mentionne « la lampe spéciale alimentée avec de l’huile


ou de la cire » qui « brillera en permanence près du tabernacle, pour signaler et
honorer la présence du Christ » (n° 316). Ce même texte ajoute un peu plus loin
que les images saintes « proposées à la vénération des fidèles dans les édifices
religieux » seront disposées de manière à conduire les fidèles vers les mystères
de la foi qui y sont célébrés » (n° 318). Plus largement, les choses sacrées
doivent avoir pour caractéristiques la beauté et la dignité.

3. La beauté au service de l’art sacré : le discernement à exercer


Le souci de veiller à « la beauté » qui convient à « la maison de Dieu »
dont parle le can. 1220 § 1, soulève la question du discernement nécessaire
pour l’introduction d’œuvres d’art dans les édifices sacrés33. Sur ce point, la
constitution Sacrosanctum concilium rappelle que, tout au long de son histoire,
l’Église a toujours été « amie des beaux-arts », et qu’elle « n’a jamais cessé de
requérir leur noble ministère, principalement afin que les objets servant au culte
soient vraiment dignes, harmonieux et beaux, pour signifier et symboliser les
réalités célestes » (n° 122). Elle indique également que l’Église a toujours eu
soin de discerner « parmi les œuvres des artistes celles qui s’accordaient avec la
foi, la piété et les lois traditionnelles de la religion, et qui seraient susceptibles
d’un usage sacré » (n° 122). Cette formulation concise laisse néanmoins
apparaître la distinction entre un légitime art religieux susceptible d’être
approuvé par l’Église et un art véritablement sacré, c’est-à-dire qui répond aux
exigences d’une destination cultuelle34. Il faut rapprocher ces considérations de
la norme édictée au can. 1216 : « Pour la construction et la réparation des
églises, en recourant à l’avis d’experts, les principes et les règles de la liturgie
et de l’art sacré seront observés ». Se dégage ainsi l’idée que l’art sacré n’est
pas un art autonome. Il n’est, comme le fait observer Aimé-Georges Martimort,
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« qu’un serviteur » du culte divin qui « ne peut être que le reflet ou l’expression
de la foi » et « doit participer à la sollicitude pastorale de l’Église »35.
S’il revient aux autorités ecclésiastiques, et tout particulièrement à
l’Ordinaire compétent (can. 1210), de discerner ce qui peut être admis dans un

33
Il faut relier cette disposition à celle du can. 1254 § 2 qui mentionne en premier l’organisation
du culte public parmi les finalités justifiant que l’Église catholique ait un droit inné à acquérir,
conserver, administrer et aliéner des biens temporels.
34
Sur l’activité artistique dans un esprit chrétien, voir Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avr.
1999, dans D.C., XCVI, n° 2204, 16 mai 1999, p. 451-58.
35
A.-G. Martimort, « Structure et lois de la célébration liturgique », dans A.-G. Martimort (dir.),
L’Église en prière, I, Principes de la liturgie, Desclée, nouv. éd., Paris, 1983, p. 214.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 165

lieu sacré, l’activité de conseil et d’expertise dont parle le can. 1216 revient
ordinairement, dans le cadre diocésain, à la commission d’art sacré présidée par
l’évêque. Suivant les statuts-types des commissions diocésaines d’art sacré
adoptés en 1981 par l’Assemblée plénière des évêques de France, ces commis-
sions ont notamment pour rôle de « veiller à l’aménagement des lieux de culte
en application des normes liturgiques promulguées par la hiérarchie de l’Église
catholique » et de « promouvoir la création artistique » (art. 4)36. Elles ont
« autorité pour intervenir dans tout aménagement, transformation, décoration
d’un lieu de culte affecté au culte catholique » (art. 5).
En 1999, la Commission épiscopale de liturgie et de pastorale sacra-
mentelle, ainsi que le Comité national d’art sacré ont publié des Orientations et
règles de travail qui complètent et actualisent les statuts-types de 198137. Ayant
vocation à s’appliquer dans le contexte français, le document de 1999 établit
une distinction entre les églises anciennes et les églises nouvelles. Dans le
premier cas, « il faut faire en sorte que les réaménagements voulus par le
concile Vatican II puissent s’harmoniser avec l’architecture héritée du passé, et
suscitent aussi des créations d’artistes contemporains ; dans le second, il
convient de prendre en compte le site environnant l’église nouvelle et veiller à
ce que celle-ci soit identifiable en affichant un symbolisme chrétien « aussi
lisible que possible »38. Lorsque les édifices religieux sont la propriété de
collectivités publiques, le rôle des commissions diocésaines d’art sacré n’est
pas de décider à la place de l’affectataire, mais de « conseiller » et « discerner,
en accompagnant la conception des projets, aussi bien du côté des
communautés chrétiennes que du côté des autorités de la société civile »39. Mais
une telle pratique du dialogue ne doit cependant pas faire perdre de vue l’idée
que la construction et l’aménagement d’un lieu de culte doivent toujours faire
appel « à la grande symbolique de la foi chrétienne. Car l’enjeu de ces travaux
de construction ou d’aménagement concerne la visibilité de l’Église et sa place
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36
Assemblée plénière de l’épiscopat français, « Texte relatif à la constitution des Commissions
diocésaines d’art sacré », 3 nov. 1981, dans Espace, église, arts, architecture. Notes et docu-
ments, mars 1982, 11 p. Voir M. Moncault, « L’autorité de la commission diocésaine d’art
sacré », Rubrique juridique, Chroniques d’art sacré, n° 64, 2000, p. 31 ; « Le rôle des
commissions d’art sacré », dans La Maison-Dieu, n° 159, 1984, p. 39-43.
37
Commission épiscopale de liturgie et de pastorale sacramentelle, Comité national d’art sacré,
« Orientations et règles de travail sur la responsabilité des commissions diocésaines d’art sacré »,
dans D.C., XCVII, n° 2217, 2 janv. 2000, p. 25-28.
38
Ibid., p. 26.
39
Ibid.
166 PH. GREINER

dans la société »40. Il ressort de ces dispositions que la création artistique


destinée aux lieux sacrés passe, en principe, par différents préalables, dont celui
d’une étroite collaboration entre les experts et les artistes pressentis ou appelés,
afin que les œuvres produites puissent pleinement correspondre à l’usage
cultuel auquel elles sont destinées.

D. POUR UNE DÉCOUVERTE ACCOMPAGNÉE DES LIEUX ET OBJETS SACRÉS


Comme nous l’avons précédemment souligné en prenant l’exemple du
baptême et celui de la célébration des funérailles, la force d’expression des
lieux et objets sacrés n’est pas appelée à s’exercer de façon purement autonome
mais, avant tout, en rapport avec les actions liturgiques, les paroles et les gestes
que prévoient les rituels. Dans une perspective catéchétique, on peut donc
considérer que la liturgie donne sens aux lieux et objets sacrés en nous éclairant
également sur leur fonction symbolique. Cependant, nous avons vu qu’il y a
bien une pérennité du caractère sacré depuis le moment de la dédicace ou de la
bénédiction. Notre préoccupation au sujet des demandes faites à l’Église par
des fidèles pratiquants irréguliers et des visites touristiques des églises nous
amènent dès lors à considérer qu’une découverte accompagnée des choses
sacrées peut contribuer à guider ceux qui, parmi nos contemporains, sont
désireux de progresser dans l’expérience du mystère chrétien.
Si tous les biens sacrés n’entrent pas nécessairement dans la catégorie
des « objets précieux à cause de leur valeur artistique ou historique » dont parle
le can. 1292 § 2, ou celle des « biens culturels de l’Église », l’attachement de
l’Église à mettre en valeur son patrimoine artistique répond essentiellement à
un souci d’évangélisation41. Nous évoquerons successivement le rôle exercé en
ce domaine par la Commission pontificale pour les biens culturels de l’Église
(1) et par les commissions diocésaines d’art sacré (2). Puis, nous dégagerons
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quelques perspectives réalisables à l’échelon paroissial (3).

40
Ibid.
41
Après que la Commission de révision du Code avait décidé de ne pas donner suite à la
proposition du cardinal Giovanni Colombo de définir les biens culturels ecclésiastiques comme
étant tous ceux qui ont un quelconque lien avec un témoignage de foi, la législation canonique
n’a pas fourni de définition formelle de la notion de « biens culturels ». Cette notion, telle qu’elle
a été dégagée, permet surtout au S.-Siège de s’entendre avec des organisations internationales ou
des États sur la catégorie commune de « biens culturels » traités dans des conventions ou accords.
Voir G. Feliciani, « La notion de bien culturel en droit canonique », dans A.C., XLVII, 2005,
p. 63-74 ; C. Azzimonti, I beni culturali ecclesiali nell’ordinamento canonico e in quello
concordatario italiano, Edizioni Dehoniane, Bologne, 2001.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 167

1. Les orientations données par la Commission pontificale pour les


biens culturels de l’Église. Au sein de la Curie romaine, la Commission
pontificale pour les biens culturels de l’Église avait, à l’origine, été constituée
pour veiller « à la préservation du patrimoine artistique et historique de l’Église
tout entière » (constitution apostolique Pastor Bonus du 28 juin 1988, art. 99)42.
Elle a, par la suite, cherché à sensibiliser les Églises locales sur les enjeux se
rattachant à cette conservation43.
Dans un document de 1999, la Commission pontificale pour les biens
culturels de l’Église a directement abordé cette préoccupation en indiquant que,
« pour accomplir sa mission pastorale, l’Église s’engage à maintenir son propre
patrimoine historico-artistique dans sa fonction originelle, indissolublement liée
à la proclamation de la foi et au service de la formation intégrale de l’homme ».
Et reprenant les termes d’une lettre adressée en 1924 par la Secrétairerie d’État
aux Ordinaires d’Italie, elle conclut que « le trésor d’art hérité par l’Église est à
conserver parce qu’il représente en quelque sorte le vêtement extérieur et
l’empreinte matérielle de la vie surnaturelle de l’Église »44.

42
Mise en place par la constitution apostolique Pastor Bonus du 28 juin 1988 (art. 99 à 104), la
Commission pontificale pour la conservation du patrimoine artistique et historique de l’Église est
devenue par le motu proprio de Jean-Paul II, Inde a pontificatus nostri initis, du 25 mars 1993, la
Commission pontificale pour les biens culturels de l’Église. Au plan statutaire, cette commission
initialement établie auprès de la Congrégation pour le clergé devenait autonome, avec un prési-
dent propre, tout en étant appelée à collaborer avec le Conseil pontifical pour la culture (voir
Jean-Paul II, Inde a pontificatus nostri initis, art. IV, § 3, dans D.C., XC, n° 2074, 20 juin 1993,
p. 551-52).
43
La constitution Pastor Bonus n’attribuait pas expressément à la Commission pontificale pour la
conservation du patrimoine artistique et historique de l’Église la tâche de veiller à l’éveil et à la
formation au sujet de la symbolique des choses sacrées. Cependant, la Congrégation du Clergé,
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par une lettre du 11 avril 1971 adressée aux présidents des conférences épiscopales, avait
demandé aux Ordinaires des lieux de veiller « à ce que les lieux et objets sacrés ayant une valeur
artistique soient de plus en plus rendus visibles à tous, comme des témoignages de la vie et de
l’histoire de l’Église ». Congrégation du Clergé, Lettre aux présidents des conférences
épiscopales sur la protection du patrimoine historique et artistique de l’Église, 11 avr. 1971,
dans D.C., LXVIII, n° 1586, 16 mai 1971, p. 522.
44
Texte original en italien ; « Per adempiere la propria missione pastorale, la Chiesa a impegnata
a mantenere il patrimonio storico-artistico nella sua funzione originaria, indissolubilmente
connessa con la proclamazione della fede e con il servizio della promozione integrale dell’uomo.
Viene cosi sottolineata la dimensione specifica del bene culturale di carattere religioso, anteriore
agli stessi usi ai quali sarà ordinato. Il tesoro d’arte ereditato dalla Chiesa va conservato perché
esso “è come la veste esteriore e l’orma materiale della vita soprannaturale della Chiesa” (Segre-
teria di Stato, lettera circolare agli ordinari d’Italia sulla costituzione della Pontificia Commis-
sione Centrale per l’Arte Sacra in Italia, 1° settembre 1924) ». Commission pontificale pour les
biens culturels de l’Église, « Necessità e urgenza dell’inventariazione e della catalogazione dei
beni culturali della Chiesa », 8 déc. 1999, dans Enchiridion dei beni culturali della Chiesa,
168 PH. GREINER

Le 30 mars 2000, lors de la IIIe assemblée plénière de la Commission


pontificale pour les biens culturels de l’Église qui avait pour thème « Les biens
culturels et la nouvelle évangélisation », Jean-Paul II a appuyé cette orientation
en ces termes : « Vous avez cherché avant tout à cerner le concept de “bien
culturel” selon la mens de l’Église ». Ces biens culturels, en leurs multiples ex-
pressions – des églises aux monuments les plus divers – « sont une composante
loin d’être négligeable dans la mission d’évangélisation et de promotion hu-
maine qui est celle de l’Église. Plus spécialement, l’art chrétien, “bien culturel”
plus que jamais significatif, continue à rendre un service singulier en communi-
quant avec une extraordinaire efficacité, par la beauté des formes sensibles,
l’histoire de l’alliance entre Dieu et les hommes, et la richesse du message
révélé »45.
Dans le prolongement de ce message, Mgr Francesco Marchisano, pré-
sident de la Commission pour les biens culturels de l’Église, a adressé aux pré-
sidents des conférences épiscopales, le 15 juillet 2000, une série de
recommandations pour un usage des biens culturels au service de l’homme et
de l’évangélisation46. Ce document pose d’abord un principe général : dans une
perspective de nouvelle évangélisation, il est nécessaire de « comprendre que la
culture, grâce aux moyens dont elle dispose, est en mesure d’unir tous
ensemble, croyants et incroyants, dans une même communauté de personnes
libres et créatives ». C’est à partir de cette prise de conscience que l’on peut, en
milieu ecclésiastique, établir les critères indispensables à la gestion du
patrimoine historique et artistique aussi bien du passé que du présent.
Parmi les critères mentionnés dans ce texte, figure notamment l’appel à
« tenir compte de l’importance de l’inculturation et de l’acculturation, confor-
mément à l’actuel pluralisme culturel et religieux » ; à « brosser un tableau clair
et précis de références pluridisciplinaires qui permette de prendre les biens
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culturels en considération sous divers aspects, que ce soit au niveau des
sciences humaines, des disciplines théologiques ou de l’organisation ecclé-
siastique ». Cela effectué, il s’agit de « faire prendre conscience de ce tableau

Documenti ufficiali della Pontificia Commissione per i Beni Culturali della Chiesa, Edizioni
Dehoniane, Bologne, 2002, n° 731, p. 417.
45
Jean-Paul II, Discours à la IIIe assemblée plénière de la Commission pontificale pour les biens
culturels de l’Église, 31 mars 2000, dans D.C., XXCVII, n° 2225, 7 mai 2000, p. 415. En 1995,
déjà, Jean-Paul II avait évoqué devant la Ire assemblée plénière de cette même commission le rôle
du patrimoine artistique dans l’expression de la foi et le dialogue avec l’humanité (voir Jean-
Paul II, Discours devant la Ire assemblée plénière de la Commission pontificale pour les biens
culturels de l’Église, 12 oct. 1995, dans D.C., XCII, n° 2126, 19 nov. 1995, p. 969-71).
46
Texte non publié.
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 169

de référence aux fidèles et aussi à ceux qui sont éloignés de la foi, grâce à un
opportun système de communication » ; d’« instituer au sein de l’Église, des
institutions en vue de la protection du bien culturel dans l’usage qui en est fait,
de sa conservation dans le contexte qui est le sien, ainsi que de sa mise en
valeur en conformité avec sa valeur intrinsèque ».
Pour Mgr Marchisano, une telle promotion des biens culturels de
l’Église, éventuellement réalisée en collaboration avec des partenaires, porte en
elle des enjeux pastoraux : « Les nécessités pastorales du moment doivent dé-
terminer la mise en valeur et l’accroissement des biens culturels afin qu’ils
deviennent une expression efficace de la nouvelle évangélisation ». Pour ce
faire, il s’agit notamment de « prendre part aux nouveaux aréopages de la
culture et de l’art afin de rencontrer les masses et les rendre perméables aux
valeurs spirituelles ». Dans ce but, « un contact direct doit être établi avec les
responsables de la gestion des biens culturels (ecclésiastiques et laïcs), avec les
représentants de tous les arts appelés de la sorte à l’accroissement du
patrimoine de l’Église en fonction des nombreuses exigences pastorales et
liturgiques ».

2. La contribution des commissions diocésaines d’art sacré. Le


souci de protection et de conservation qui avait justifié la création de la
Commission pontificale pour les biens culturels de l’Église, était déjà inscrit
dans les statuts-types des commissions diocésaines d’art sacré promulgués par
la Conférence des évêques de France en 1981. Suivant l’art. 8 de ce texte : « La
commission diocésaine d’art sacré intervient, en tant que déléguée de l’évêque,
auprès des prêtres et des fidèles affectataires des lieux de culte pour la
conservation, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine artistique
contenu dans les édifices cultuels “laissés à la disposition du culte
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catholique” ». Les statuts-types traitaient également de la sensibilisation du
clergé et des fidèles pour la restauration et l’aménagement des lieux sacrés,
mais ce n’est qu’avec les Orientations et règles de travail de 1999 qu’a été plus
explicitement introduite la préoccupation de rendre plus accessible au simple
visiteur la compréhension de la symbolique d’une église47. Dans ce document,
en effet, il est spécifié que « la présentation et la mise en valeur des édifices et

47
L’art. 9 des statuts-types des commissions diocésaines d’art sacré de 1981 prévoit que « La
commission diocésaine d’art sacré a également compétence pour mettre à la disposition des
prêtres et des fidèles les moyens de formation pour l’aménagement, l’entretien, la restauration des
édifices, et la conservation des objets d’art. Elle accomplit cette tâche par l’organisation de
conférences, d’expositions, d’aménagement, de musées d’art religieux. Elle porte un soin
particulier à faire participer les fidèles aux projets de transformation, d’aménagement et de
décoration d’un édifice, au moment où elle est saisie de ce projet ».
170 PH. GREINER

des objets du culte doivent permettre aux visiteurs de comprendre que leur
valeur religieuse ne se réfère pas seulement au passé, mais s’inscrit dans la vie
actuelle des croyants »48. Les auteurs de ce texte ajoutent que les commissions
diocésaines d’art sacré doivent élargir leur domaine de compétence, « non pas
en se substituant aux services diocésains de catéchèse et de formation
permanente, mais en collaborant avec eux, pour montrer à quel point la foi
chrétienne a été et demeure créatrice de culture »49. Concrètement, il s’agit pour
les commissions diocésaines d’art sacré de remplir cette fonction d’éducation
en collaboration avec différentes instances ecclésiales et associations car, fait
observer ce document de 1999 : « une véritable initiation à la foi, au langage de
la foi, à l’histoire du salut peut se réaliser à travers la découverte des
monuments et des œuvres artistiques que la foi chrétienne a suscités au long des
siècles »50.

3. À l’échelon paroissial. D’une façon générale, la dimension


pédagogique du sacré concerne toutes les autorités ecclésiastiques qui exercent
librement leurs pouvoirs et leurs fonctions dans les lieux sacrés (can. 1213).
Cette question intervient notamment à l’occasion de demandes sacramentelles
ou en raison de la fréquentation des lieux sacrés par des visiteurs. Au plan
paroissial, et à la vue des développements précédents, nous devons situer la
mise en œuvre de ce « sacré pédagogique » dans le cadre des tria munera dont
est investi le curé51. Cette mise en œuvre fait à la fois appel à l’exercice des

48
Commission épiscopale de liturgie et de pastorale sacramentelle, Comité national d’art sacré,
« Orientations et règles de travail pour les Commissions diocésaines d’art sacré », loc. cit., p. 26.
49
Ibid., p. 27.
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50
Ibid.
51
Une étude plus exhaustive devrait aussi rapporter ce sujet à la situation spécifique des pèle-
rinages et des sanctuaires. Relevons simplement ici, que parmi les devoirs incombant à un recteur
de sanctuaire, le can. 562 prévoit que celui-ci doit « veiller à ce que les fonctions sacrées soient
dignement célébrées dans l’église selon les règles liturgiques et les dispositions canoniques ». Il
doit également s’assurer que « soit pourvu au bon entretien et à la décoration du mobilier et des
bâtiments ». En outre, le Directoire sur la piété populaire et la liturgie reconnaît que « tout en
étant un lieu de culte, il n’est pas rare que le sanctuaire soit aussi par nature un “bien culturel” ;
en effet, dans ses différents éléments, il constitue comme la synthèse des nombreuses
manifestations de la culture locale ; témoignages historiques, œuvres d’art, documents littéraires,
expressions musicales typiques [...]. Il peut se présenter aussi comme une expression privilégiée
de la via pulchritudinis par la contemplation de la beauté de Dieu, du mystère de la Tota pulchra,
et de la merveilleuse aventure des saints ». Dans cette perspective, l’activité culturelle du
sanctuaire peut se présenter « comme un ensemble d’initiatives qui contribuent à la promotion de
la personne humaine ; ce rôle supplémentaire, qui est assumé grâce à l’œuvre d’évangélisation et
à l’exercice de la charité, s’ajoute utilement à la fonction primordiale du sanctuaire, comme lieu
EFFICACITÉ SYMBOLIQUE DES CHOSES SACRÉES 171

fonctions d’enseignement, de sanctification et de gouvernement. Toutefois,


parce que le curé agit « sous l’autorité de l’évêque diocésain » (can. 519), le
curé est évidemment appelé à collaborer étroitement avec la commission
diocésaine d’art sacré, le service diocésain de la pastorale liturgique et
sacramentelle et celui de la pastorale des réalités du tourisme et des loisirs.
Pour la visite de l’église lorsque celle-ci présente un intérêt historique
ou artistique particulier, le curé peut, en outre, admettre un groupe informel de
bénévoles ou déléguer des fidèles paroissiens en s’appuyant sur la norme du
can. 528 § 1 qui prévoit que le curé peut associer des fidèles pour l’annonce de
l’Évangile. Mais le point le plus délicat est sans doute celui de la participation
d’associations ayant parmi ses leurs buts la sauvegarde, l’animation culturelle
ou la visite d’un lieu cultuel et qui, dans le contexte français, ont généralement
adopté le statut de droit commun de la loi de 1901. Sur ce sujet, il faudrait sans
doute établir des distinctions entre le cas où la création de l’association est
d’origine purement civile et celui où elle émane d’une initiative ecclésiale.
Laissant ici de côté les questions relevant du droit civil ecclésiastique,
observons cependant que Jean-Paul II, dans son discours à la IIIe assemblée
plénière de la Commission pontificale pour les biens culturels de l’Église, avait
insisté sur l’utilité d’un « dialogue avec les associations préposées à la
protection, la conservation et la mise en valeur des biens culturels, comme avec
les groupes de volontaires »52. Dans cette même intervention, Jean-Paul II appe-
lait la Commission pontificale pour les biens culturels de l’Église à « solliciter
tous ceux qui sont directement ou indirectement impliqués dans ce domaine à
sentire cum Ecclesia, afin que chacun puisse transformer son œuvre spécifique
en une œuvre précieuse pour la mission d’évangélisation de l’Église »53.

destiné à la célébration du culte divin » (n° 276). Congrégation pour le culte divin et la discipline
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des sacrements, Directoire sur la piété populaire et la liturgie, op. cit., p. 226-27.
52
Jean-Paul II, Discours à la IIIe assemblée plénière de la Commission pontificale pour les biens
culturels de l’Église, loc. cit., p. 416.
53
Ibid. On peut rapprocher cet appel de Jean-Paul II de certaines préoccupations muséales
actuelles quant à la présentation et à la restitution de l’identité du lieu ou de l’objet religieux,
qu’ils demeurent ou non en usage cultuel, et dans ce second cas, qu’ils soient ou non conservés in
situ s’il s’agit de mobilier ou d’objets. Ainsi, M. Jean-Jacques Bertaux, conservateur en chef ho-
noraire du patrimoine, déclarait au colloque tenu à Caen, les 2, 3 et 4 déc. 2004, sur « Le pa-
trimoine culturel religieux », organisé par l’Université de Paris-Sud XI et le CNRS ; « Nul, et les
responsables de la conservation du patrimoine en premier lieu, ne doit ignorer ou négliger ce fait ;
une église est d’abord un lieu de culte et le mobilier et les objets qu’elle abrite ont d’abord une
destination cultuelle. Si donc, et c’est l’un des devoirs du conservateur, l’on veut ouvrir à tous et
pour tous le trésor culturel que constitue ce patrimoine religieux, encore faut-il le présenter pour
ce qu’il est, sans passer sous silence son usage cultuel, ce qu’il peut ou a pu représenter aux yeux
des croyants et, éventuellement, son caractère proprement sacré [...]. Quoi qu’il en soit,
172 PH. GREINER

En ce qui concerne la visite d’une église organisée par une association


à la suite d’une convention passée avec les autorités ecclésiastiques
compétentes, il est souhaitable que cette association, même lorsqu’elle est
uniquement dotée de statuts civils, ait parmi ses buts des dispositions qui soient
en harmonie avec certaines normes du droit canonique associatif, en particulier
celles du can. 225 § 1 qui prévoit que l’engagement associatif des fidèles laïcs
peut leur permettre « de travailler à ce que le message divin du salut soit connu
et reçu par tous les hommes et par toute la terre ; cette obligation est encore
plus pressante lorsque ce n’est que par eux que les hommes peuvent entendre
l’Évangile et connaître le Christ ».

CONCLUSION
L’intention de cette étude n’était pas d’analyser la portée de l’ensemble
des normes canoniques relatives aux lieux et objets sacrés, ni de traiter des im-
plications du droit civil ecclésiastique dans le contexte français. Mais, considé-
rant la réalité de demandes sacramentelles occasionnelles faites par des fidèles
ayant une pratique religieuse irrégulière, ainsi que le phénomène répandu de la
visite touristique des églises, nous avons cherché à montrer que ces questions
ne restent pas hors du champ canonique. En nous appuyant sur des éléments de
sociologie et une réflexion théologique, nous avons dégagé l’idée que si les
biens sacrés sont destinés à la célébration du culte divin, ils peuvent aussi rem-
plir une fonction pédagogique et catéchétique auprès de tous les fidèles et des
simples visiteurs. D’un point de vue canonique, il s’est agi de faire appel à de
multiples sources en opérant de fréquents croisements. Cela a permis de faire
apparaître, si besoin était, qu’il est possible d’appréhender positivement en
droit canonique des préoccupations pastorales très actuelles concernant le
rapport entre foi, culture et art sacré.
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l’introduction de la composante religieuse dans la présentation à tout public des églises – édifice
et mobilier – relève dans l’immédiat d’une concertation, sans doute pas encore pleinement
développée, entre responsables du patrimoine, responsables religieux et acteurs du tourisme » (J.-
J. Bertaux, « Biens sacrés et biens religieux ; le point de vue du conservateur », dans B. Bas-
devant-Gaudemet, M. Cornu et J. Fromageau (dirs), Le patrimoine culturel…, op. cit., p. 56-57).

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