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nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin Chapitre 3 Passages, échanges «TOUTE ETUDE DE LIPTERATURE COMPAREE a pour but de décrire un passage », eeri- vait Paul Van Tieghem en 1931", objet littéraire y est donc moins abordé en soi que dans la perspective de sa réception, elle-méme considérée d'un point de vue interna- tional, visanta comprendre les transformations qui sopérent au grés de ce passage, par les relations quill suppose avec son contexte littéraire. Les passages comportent par ailleurs souvent une part de réciprocité, et cest alors vers l'étude des échanges quest porté le comparatiste. L assertion de Paul Van Tieghem a ainsi pour consequence de definir le comparatiste comme une sorte de citoyen du monde selon lidéal de Kant, dans sa relecture de Platon, ou encore comme le citoyen dela Republique des Lettres qu’évoquait Voltaire. Avec son Peter Schlemihl qui, chaussé de bottes de sept lieues, arpentait le monde et franchissait toutes les frontiéres, compensant la perte de son ombre qui était peut-étre celle de son identité, Chamisso n’avait-il pas tracé un portrait du comparatiste? La position du comparatiste, qui observe les traversées des frontiéres, est alors celle del'entre-deux, raison pour laquelle Enzo Caramaschi envisage « la silhouette du com- paratiste comme de celui qui nest jamais tout a fait /ic ni jamais tout a fait nunc, dans la mesure oii se sent aussi vivement concerné par les temps autres que le présent, par les espaces autres que lici ». Et cette silhouette se confond rapidement avec celle de Peter Schlemihl : « Non point pour vendre son ombre, mais pour prendre aisément le large quand il fait bon regarder de plus loin — par rapport & espace comme au temps? ».On. songe ici, bien stir, aux théories de Franco Moretti sur le « distant reading», quill oppose aka vogue anglo-saxonne pour le « clase reading »,& Lattention portée aux « vagues » plutot qua I arbre’ ». Car lexamen des frontieres et l'étude des passages suppose cette position surplombante, cette vue de loin sensible aux vagues plutot qu'a Farbre La littérature comparée est sans doute ainsi e fruit d'un cosmopolitisme littéraire, dune conscience particuligrement aigué de ce que la littérature existe essentiellement 1. Paul Van Tieghem, La Littérature comparée, op. cit, 1931, p. 68 2. « Histoire de la critique, sociologie du public et théorie de la réception », in : Rien T. Segers (dir), Etudes de réception/ Reception Studies, vol. 8 des Actes du XI" Congrés de IAILC, 20-24 aot 1985, Bern-Berlin-Frankfurt a. M.-New York-Paris-Wien, Peter Lang, 1995, p. 31-39 ; citations p. 38. 3. Franco Moretti, « Conjectures on World Literature », loc. cit. 5 réf.p. 48 ec p. 59-60. Larticle a été repris dans Distant Reading, London/ New York, Verso, 2013, nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 128 A La Littérature comparée sous la forme d'une circulation entre les peuples et les cultures. Cette circulation méme va ainsi se constituer en objet d’étude, la littérature comparée placant au centre de ses preoccupations d'une part les différentes formes de ces échanges, d’autre part le role des médiateurs, quils prennent la forme de passeurs ou dinstitutions. Ce caeur de la discipline renvoie lui-méme a ses origines historiques a la fin du xvi s Michael Werner! rappelle, a titre d’exemple, deux des conditions historiques qui ont favorisé les échanges culturels entre France et Allemagne a cette époque : Temigr tion des Juifs allemands en France au cours du xvitl' siécle et migration des nobles francais dans les états allemands pendant la Révolution, L'approche comparatiste réside donc aussi dans la prise en compte du réseau de relations qui place leeuvre litteraire au coeur d'un contexte et considere le texte lui-méme dans ses relations avec son milieu récepteur, avec ensemble des données sociales affectant la lecture et 'élaboration du sens. Lattention portée aux passages, mais aussi aux frontiéres ou aux échanges, conduit donc a faire porter Faccent sur Ie milicu récepteur et les processus dassimilation de Voeuvre plutot que sur les conditions de sa production. Michel Espagne en fait le constat «Un transfert culturel n’est pas déterminé principalement par un souci d’exportation. Au contraire c’est la conjoncture du contexte d'accueil qui définit largement ce qui peut étre importé ou encore ce qui, déja présente dans une mémoire nationale latente, doit étre réactivé pour servir dans les débats de l'heure’. » Cette position critique comporte des implications méthodologiques. Ainsi, sila notion d'« influence » a paru, aux belles heures de histoire littéraire lansonienne, for- mer un noyau pour les recherches comparatistes, elle suscite aujourd hui la défiance, et ce n'est pas seulement en raison de la hiérarchie qu’elle suggére entre lceuvre-source et Fouvre-cible. Car l'influence suppose un point de départ qui forme le socle de analyse, tandis que les phénoménes de circulation auxquels la critique compara- tiste moderne est sensible se manifestent essentiellement dans la réception, qu'elle soit critique ou poetique. Les implications touchent les connotations, car influence conduit & envisager les déformations tandlis que étude des passages et des échanges est sensible A la dimension poétique des transformations. Schématiquement, ces passages peuvent prendre plusieurs formes. La premiere maniére de déplacer un texte dans un autre contexte culturel et linguistique est bien sir de le traduire, et cest ailleurs la traduction dont Goethe avait fait le moyen d'une circulation vaste des ceuvres dans son idéal de « littérature mondiale ». Elle est le point de départ de la réception d'une littérature dans un autre contexte que celui représenté par le « premier public » de leuvre, selon la terminologie de Hans Robert Jauss. Celui-ci définit une « esthétique de la réception », qui peut prendre la forme de la critique, mais aussi de la création. Le décalage entre les deux milieux récepteurs 1. Les Transfers culturelsfranco-allemands, Paris, PUF (« Perspectives germaniques »), 2010 [1999], p. 24.25. 2. tbid., p. 23. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin » Armand Colin ~ Tote verodicton non autre st in dt, Passages, échanges Y 129 manifeste les liens indissociables entre lceuvre et un ensemble de données cultu- relles qui ont présidé a son élaboration. Au-dela du simple déplacement de lceuvre, accompagné de ses éventuelles transformations, et a Foccasion de ce déplacement, st un véritable transfert culturel qui s'opere, dont la littérature ne forme qu'une manifestation, mais sans doute la manifestation la plus importante. Les différentes formes des passages, la tension, a 'ceuvre dans toute démarche com- paratiste, entre frontieres et passages, ont donc suivi une évolution dans [histoire de la critique comparatiste et font apparaitre un intéret commun. Les études de récep- tion et, plus généralement, l'étude des transferts culturels représentent aujourd hui des méthodes qui se trouvent au fondement de la discipline. Quant a la pratique de la traduction et aux études de traductologie, elles ont été a ce point renouvelées les réflexions des romantiques allemands, de Walter Benjamin et d! Antoine Berman et trouvent de tels développements aujourd hui qu'elles semblent méme sautonomiser dans la discipline dont elles représentent en tout cas un avenir Formes des passages : la littérature comparée et les frontiéres « Cosmopolites malgré eux !» Ce mote Mallet du Pan, dans une lettre du 6 décembre 1797, caractérise bien ce que Fernand Baldensperger a pu appeler un « mouvement didees », celui des intellectuels émigrés de la Revolution qui se sont ouverts a la culture et a la littérature allemandes. Il s‘agissait d’'un premier contact direct avec Iétranger concu comme modéle, en dehors des modeles poétiques provenant de ’An- tiquité grecque et latine. Cela explique que l'action des émigrés, leurs commentaires et la remise en question du dogme classique a laquelle ce « mouvement didées » a souvent abouti, aient participé & la genése dune approche comparatiste de la littéra- ture en France. Littérature et culture Cet exemple, qui a aussi une dimension fondatrice dans ouverture du public frangais d'autres littératures, et donc a des formes nouvelles, permet de comprendre la fois les implications d'un passage dune littérature vers un milieu récepteur étranger et le sens meme de la critique comparatiste. Sous la Révolution francaise, !émigration a enseigné.a la critique francaise le contact avec l'étranger, a introduit le cosmopolitisme dansla vision de la littérature, mais ka genése du comparatisme sest accompagnée dun autre facteur: la prise en compte convergente dune multitude de parametres qui pou- vaient éclairer les textes littéraires. La littérature ne se concoit plus ainsi que dans ses rapports avec la politique, la religion, ka morale, si bien quielle ne peut s appréhender, dans cette perspective, que sous des points de vue multiples, faisant intervenir ce que nous appelons aujourd hui interdisciplinarité. La critique des revues témoigne de ce 1. Le Mouvement des idées dans I'émigration francaise, 1798-1815, Paris, Plon, 1924, 2vol. ,t.1,p. 111. 130 A La Littérature comparée lien entre histoire, philosophie et critique littéraire, qui se manifeste par la prise en compte conjointe de la littérature, de la morale et de la politique. Le sous-titre de la revue d'émigrés Le Spectateur du Nord, publiée de 1797 4 1802 & Hambourg (ville que 'on surnommait « Paris du Nord » ou « eapitale de la France extérieure! »), est a cet égard programmatique : Journal politique, littéraire et ntoral. Ce projet et cette ambition sont deja affiches a la fin de 1796, dans le « Prospectus » dela revue: « Cest en réunissant trois branches ¢ instruction presque habituellement séparées parlesjournalistes, la politique, la morale ct lalittérature, que nous comptons donner & notre journal un caractere dutilite® », affirme Baudus, son fondateur, pour justifier le choix du sous-titre. Le Couservateur, dans son sous-titre, propose un paral- lele analogue : « Journal politique, philosophique et lttéraire® » ; plus tard, en 1831, paraitra également un Conservateur des bonnes doctrines politiques, morales et litté- raires, En 1814, dans favant-propos de la premiere édition frangaise du De Allemagne de Mme de Staél, Charles de Villers présente fouvrage comme un « tableau politique, moral et littéraire de Allemagne! ». Ce faisant, il definit Ie projet qu’il avait lui-méme conduit dans ses ouvrages antérieurs, tout comme il s'attribue ce compliment adressé 4 Mme de Staél: « Cest [...] bien meériter de la cause générale de 'esprit humain que de réveler aux Francais les trésors de Allemagne intellectuelle, sa nature, ses points de vue, ses méthodes, sa maniére de sentir et de penser’ ». En effet, les quatre parties qui construisent le De [Allemagne de Mme de Staél témoignent du lien quelle établit entre organisation sociale, philosophie, spiritualite et création littéraire. Dans cette lignée critique oit sinscrit la perspective comparatiste, le li culture et littérature est dominant. Il explique la nécessaire ouverture aux cultures étrangeres, en relation étroite avec l'étude de la littérature. Il fonde également une approche interdisciplinaire, dans laquelle les relations entre histoire et esthétique, entre philosophie et littérature, sont indissociables des éclairages comparatistes. Examinant les criteres définitoires de la discipline, Yves Chevrel place la rencontre avec Fautre au coeur de sa définition de la littérature comparée, Elle est la condition nécessaire, mais, certains égards aussi, suffisante, de approche comparatiste entre Au point de départ il y a cette question, fondamentale, qui distingue sans doute la littérature comparée des autres disciplines « comparées» : que se passe-t-il quand une conscience humaine, intégrée dans une culture (dans sa culture), est confrontée a une ceuvre expression et partie prenante d'une autre culture? Autrement dit, la rencontre, 1. oir Louis Wittmer, Charles de Villers — 1765-1815. Un intermédiaire entre la France et V’Alle ‘magne et un précurscur de Mme de Stael, Geneve, Georg et Cie et Paris, Hachette et Cie, 1908, p. 20. Urappelle, p. 21, que le journal a écé fondé au débuc de 1797 par Jean-Louis-Amable de Baudus, qui, apres avoir émigré en Hollande en 1792, s’estinstallé & Hambourg. Il publia en 1795 et 1796 un Tableau de Europe, fonda une premiere revue, la Gazette d’Altona, avant de donner naissance au Spectateur du Nord. 2, « Prospectus », p. 1 3. Le journal a été publié du 1" septembre 1797 au 20 juillet 1798 par Garat, Daunow et Ché- nicer, et 2 compté 323 numéros. 4. Cette « Introduction a Pouvrage de Mme de Stal sur Allemagne » a été republiée dans la seconde édition frangaise, tome premier, Paris, F.A. Brockhaus, 1823 ; voir p. LXVIL 5. Ibid, p. LX. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 131 provoquée ou non, avec Pétranger, avec celui ou celle qui ne parle pas la méme langue, quin’a pas la méme culture [...], la rencontre avec Fautre est au coeur de la démarche comparatiste, et on peut dire qu’elle suffita la légitimer’. Cette notion de rencontre, certes, ne semble pas distinguer le comparatiste des autres spécialistes des langues, lttératures et civilisations étrangeres. La différence entre la recherche d'un angliciste frangais sur la littérature anglaise et celle d'un uni versitaire anglais sur sa propre littérature réside certainement dans cette confront tion de deux cultures qui est le point de départ de toute démarche comparatiste. De fait, il n’est par exemple pas innocent que tout un renouvellement des études sur Mallarmé soit issu de la recherche anglo-saxonne, qui pouvait poser comme extérieur le matériau postique par excellence, la langue. Et 'apport d'un Gardner Davies & la compréhension méme de la syntaxe mallarméenne® siinscrit dans la perspective du projet postique d’Oscar Wilde qui, en écrivant sa Saloré (1891) en francais, souhaitait mettre a distance le matériau esthétique que constitue la langue La définition d'Yves Chevrel, qui touche & une expérience comparatiste, rejoint donca bien des égards le titre trés suggestif de fouvrage d Antoine Berman, L Epreuve de létrauger (1984), oi il est question de conceptions de la traduction. De meme qu'une conscience observe autre culture en fonction de la sienne, le traducteur qui, e transposant un texte, doit linscrire dans un univers culturel différent, fait 'expérience de cette confrontation des cultures. Il manifeste ~ en héritier de la philologie — qu'une littérature ne peut se comprendre indépendamment dea langue et dela culture dont elle est issue. La traduction est ainsi a premiere maniere d envisager les passages d'une liteératurea une autre, et souleve ensemble des problémes apportés par ces passage: lelien indissociable entre lceuvre littéraire et le matériau linguistique dans lequel elle a été forgée, la relation tout aussi étroite entre la pratique de la langue et le recours & des références culturelles, la présence dans leuvre de ce que Jauss appelle I horizon dattente » du premier public, intransposable dans un autre contexte, et cela parr bien dautres problemes. Traduction, adaptation, critique Dans a propre pratique de la littérature comparée, Yves Chevrel a essentiellement dev loppé deux voies: es cludes de traduction et les études de véception. La notion de récep- tion peut elle-méme senvisager dans une perspective plus large que ce que désignent les « études de réception » stricto sensu. Elle désigne par ailleurs deux phénoménes certes lies, mais que Ton doit distinguer : la reception critique, qui touche a ka maniere dont tun auteur est apprécié et compris dans un cadre chronologique et culturel différent du sien ; et la réception poétique, qui rejoint ce qu'une certaine période de la littérature 1. La Litténature comparée, op. cit, p. 8. 2. Voir les nombreuses exégises qu'il a entreprises : Les Tombeaux de Mallarmé : essai d’exégdse raisonnée (1950) ; Vers une explication rationnelle du Coup de dés: essai dexégese mallarméenne (1953) ; Mallarmé et te drame solace : essai d’exégese raisonnde (1959) ; Mallarmé et la « couche suffisante dintell gbilté » (1988), nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 132 A La Littérature comparée ‘comparée a pu appeler les études d'« influence » oul étude de la « fortune » des auteurs, et qui peut, dans une certaine mesure, recouper le sens de la notion plus récente - mais aussi plus neutre et plus générale ~ d'« intertextualité », Jargen von Stackelberg parle méme de « formes lttéraires dela réception » et montre que certaines formes ltteraires se constituent entigrement par des phénomenes de réception. Il abordea cette lumiére la traduction, le « supplément » romanesque et la parodie’. Pour Gerard Genette, quia defini la notion, Fintertextualite porte utopie « d'une lit- térature en transfusion perpetuelle — perfusion transtextuelle®», Par Timage vitaliste de la transfusion, Gérard Genette change le regard porté sur les phénoménes de reprise ou dimitation qui, loin de renvoyer aux formes stériles dela copie, deviennent un principe de création et méme la matiére vivante de Teeuvre littéraire. A certains égards, il ne fait, parle recours. ce terme, que formaliser une conception mallarméenne de la littérature et reprendre lidée, exprimée dans Crise de vers (1897), selon laquelle « tous les livres contiennent la fasion de quelques redites comptées? ». Ce sont en effet les implications. poetiques deT'intertextualité que Gerard Genette expose dans Palinpsestes. La notion peut par ailleurs s'étendre a celle de « transfert culturel », qui est voisine et intégre plus explicitement la réflexion que 'ceuvre entretient avec la culture-source dans cette operation de passage. Car les transformations poétiques, a lecuvre dans le processus, dintertextualité, sont en partie déterminées par des données culturelles. Les études de traductions représentent par ailleurs une voie de la recherche qui peut prendre des formes comparatistes différentes. L'acte meme de traduire, ainsi que font souligné les romantiquesallemands, etait a la fois de nature critique, engageant un rap- port herméneutique au texte, et de nature postique, étant plus une recréation du texte dans un autre contexte que sa simple transposition. II serait aisé de montrer par exemple les liens entre les traductions poétiques d’'Yves Bonnefoy et sa propre pratique de la poe- sie. La traduction romantique, celle de Shakespeare et de Calderon par Schlegel et Tieck en Allemagne, celle de Goethe par Nerval en France, a fait merger dans la traduction une lecture de lceuvre, mais aussi une nouvelle création. Contemporaine de lémergence dela littérature comparée, elle associe traduction et interprétation, et il n’est pas anodin que Tinventeur de Therméneutique littéraire avant Dilthey, Schleiermacher, soit aussi un théoricien dela traduction, envisagée comme acte herméneutique. Les romantiques allemands, et plus particulierement les freres Schlegel, ont approfondi cette perspective en situant la traduction au point de convergence dela critique et de la création, A cette lumiere, factivite de traduction peut donc en soi représenter une position comparatiste, lle représente méme l'acte comparatiste premier, Dans une position plus surplombante, l'étude de traduction, qui envisage le rapport anta éclairer les, entree texte et sa traduction, senracine dans analyse stylistique, v choix du traducteur, et montrant comment peuvent étre transposés les effets poé tiques de sens. Car la traduction reléve d'une esthetique, elle aussi porteuse de sens, et 1. Jurgen von Stackelberg, Literarische Rezeptionsformen. Ubersetzung. Supplement, Parodie, Frankfurt, ‘Athendum, 1972. 2. Palinpsestes, la hittérature au second degré. Paris, Seuil (col. « Poétique »), 1982, p. 453 3. « Crise de vers », in: (Eaves complétes, ¢d. Henri Mondor et G, Jean-Aubry, Paris Gallimard («Bibliotheque de la Pleiade »), p. 367. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 133 les études de traduction font apparaitre la complexité de I'élaboration du sens dans le texte. Ore sens, qui procéde autant des effets poetiques que du sens dénotatif, impose { latraduction des choix, qui pour une part sont aussi conditionnés par le milieu récep- teur. exemple trés connu de la premiére traduction complete d' Hamlet en francais, celle de La Place en 1749, montre a quel point [horizon d'attente du public entre dans la traduction, texte original et traduction ne relevant pas de la meme esthetique. Au moment dela mort, avec le seul public pour temoin, Laértes, chez Shakespeare, cede au dépit dans une langue rekichée oitil se traite de « bécasse » Why, as a woodcock to mine own springe, Osric. am justly killed with mine own treachery (V, 2) La scene francaise a plus de mal a isoler le discours des personages et la réplique de Laértes exhibe la morale tragique : « Je péris par mes propres armes ; et je tombe avec justice dans le piege que javais tendu pour un autre! !» La traduction n'est pas, comme le sera celle de Ducis, en alexandrins classiques, mais La Place conserve par ailleurs, du systeme tragique francais, la structure binaire qui offre a la réplique une bien plus grande solennité. Car le public francais du xvii sigcle aurait eu du mal a accucillir rupture de ton propre au style tragique de Shakespeare. Avec des moyens poétiques différents, Schlegel, dans sa traduction du Songe dune muit d’été, propose une traduction d'un vers de lacte II, une réplique de Puck Ido wander everywhere, Quiest traduit par Wandl’ich, schlupf? ich uberall. Bien siur la traduction semble littérale, si ce n’est quelle recourt a deux verbes de mouvement la ot Shakespeare n’en emploie qu'un. C'est une facon dinsister sur le rythme associé a un personnage virevoltant, et le rythme est aussi imprimé par le recours a deux spondées qui produisent un effet different du iambe de Shakespeare. Limpression de légereté, voire d'immatérialité propre 4 ce monde de fées fait aussi partie du sens, et trouve a étre traduite par d'autres voies que les mots. Ainsi, étude de traduction conduit rapidement, et nécessairement, a intégrer la réflexion sur la transposition des références culturelles, embrassant donc une perspective compar tiste bien plus large quiil n'y parait au premier abord. Modéles poétiques et culturels La comparaison peut aussi résider dans le croisement des traductions, et cela & plu- sicurs niveau. Ainsi, une aeuvre de traduction peut étre considerée de manie 1. Pierre-Antoine de La Place, Le Théatre anglais, Londres, [s.n.], 1749, 8 vol.,¢. Il, p. 404 nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 134 A La Littérature comparée comparatiste, si on envisage les différents auteurs embrassés par le traducteur. L’examen des traductions de Shakespeare et de Calderon par A. W. Schlegel, par exemple, peut permettre de faire émerger un modele romantique, et donner al'étude de traduction un prolongement esthétique. Mais le schema inverse, sans doute plus évident, adopte une autre perspective comparatiste, en proposant une étude compa- rée des traductions d'une méme ceuvre. On a pu ainsi faire histoire des traductions de Shakespeare au xvint siécle, de Voltaire a Letourneur, en passant par La Place et Ducis. L’exemple montre a quel point les différents phénomenes de réception ne peuvent étre disjoints. Car la fameuse traduction du monologue « To be or not to be » par Voltaire, dans la dixieme Lettre philosophique, prend place a intérieur d'un dis cours critique ;et par ailleurs les traductions de La Place ou de Ducis,a la différence de celle de Letourneur — et de Guizot apres lui — tiennent plus de adaptation. Discours critique, traduction et adaptation ne présentent donc pas de frontiére claire et re- présentent des formes différentes — et parfois contigués — d'opérations de réception. On pourrait aller plus loin, comparer ce phénoméne francais de la traduction de Shakespeare a celui qui se produit dans le contexte allemand, et envisager le débat entre les traductions de Biirger et de Schlegel a la lumiere de la comparaison entre les traductions de Ducis et de Letourneur: dans le domaine allemand, par exemple, cest le retour au vers qui définit le rapport plus moderne ala traduction, alors que Letourneur a voulu, comme Schlegel. faire connaitre & son public le « vrai » Shakespeare, mais au contraire parle moyen de la prose. Cependant, tandis que l'un a forme son projet par réaction contre les traductions si approximatives qui ont précédé, ‘autre a voulu, par levers, rejoindte le projet postique de Shakespeare. Enfin, !étude comparée de tradue tions peut aussi conduire a envisager I'élaboration de modéles poetiques et culturels, Ainsi, une analyse systématique des transpositions ou adaptations de Calderén peut conduire a montrer comment les orientations qui se dessinent dans les traductions, leslectures qui s'en dégagent, se retrouvent aussi dans des adaptations, dans des pieces inspirées d auvdos sacramentales, ou encore dans de simples phénoménes dintertextua- lite. La pice de Schlegel, Alarcos, peut etre analysée a la lumiére de ces jeux dinte textualité. L’étude comparée de traductions peut étre centrée sur un corpus de textes lui-méme tres circonscrit, L'exemple du monologue « To be or not to be », dans les traductions frangaises du xvur siécle et a partir des Letires philosophiques,a pu etre largement étudié : entre la tentation du suicide (« Etre ou cesser d’étre ») et la réflexion métaphysique (la vie, comme le suppose Calderdn, est-elle un songe ?), fa traduction, correspond. une lecture du personnage comme modele littéraire. De méme, l'étude des traductions et des adaptations du fantome d’Havnlet conduit a faire sortie Tanalyse traductologique de la seule interprétation de la piece de Shakespeare. Car aborder le jeu des traductionsa travers le seul prisme représenté par la figure du fantome permet de faire apparaitre des inflexions prises par la dramaturgie de l'¢poque du traducteur. Diun point de vue methodologique, étude de traduction peut ainsi devenir, dans notre exemple, le socle dune analyse de la dramaturgie, tout comme elle peut intégrer des enjeux esthétiques. Lorsque le corpus est limité, et que le nombre de tracuctions envisageées est important, c'est que le texte-source représente un modéle a différents egards. Tel est le sens de la these de doctorat de Claire Placial, consacrée a ensemble Passages, échanges Y 135 des traductions frangaises du Carttique des cantiques'. La chronologic trés vaste cou- verte par ce travail de recherche fait apparaitre de maniere plus nette l'ensemble des variations de sens qui accompagnent les différentes lectures d'un méme texte. Les différentes traductions sont d'une part rapportées aux sources hébraiques et latines, diautre part envisagées selon ce qu Antoine Berman a puappeler le « projet de traduc- tion » et I'« horizon du traducteur ». Par la, 'étude de traduction s'inscrit egalement dans une histoire culturelle, faisant intervenir, parmi autres perspectives, l'histoire de la théologie, a caté de l'histoire de la traduction. Vabandon de la notion d’« influence » Un phénoméne de réception n'est ainsi jamais isolé. II engage avec lui un ensemble de données esthétiques et culturelles qui déterminent le choix du corpusa introduire autant que les opérations de transformations accomplies dans le transfert. Telle est la raison pour laquelle les études d’« influence » qui, selon Paul Van Tieghem dans son ouyrage de 1931 sur la littérature comparée, devaient former lavenir de la dis- cipline, ont été totalement abandonnées, Cette rupture méthodologique s'est faite au profit des études de réception ou de transferts culturels, notions plus neutres, et qui écartent le présupposé d'une position de supériorité du texte-source a légard du milieu récepteur second, Gerard Genette a montré dans Patliripsestes que la relation de référentialité ou de représentation est moins fondamentale, dansle texte littéraire, que celle dintertextualite, toute littérature étant issue de sources littéraires bien plus que des modéles de la nature. Cette reprise de références littéraires, plus sources que modéles, n'implique pas, contrairement a ce qu’affirmait Paul Van Tieghem, une posi- tion ancillaire. Lorsque celui-ci affirme que la littérature comparée « a pour but de déctire un passage », il évoque les études d’influence comme étant un avenir pour la discipline, mais sa formulation semble désigner plutot un transfert. Le passage d'une littérature dans un autre contexte s'opére d'abord par la traduction, le discours critique, mais conduit aussi 4 un renouvellement des formes littéraires du milieu récepteur, et cela en opérant une transposition qui résulte de l operation de transfert. L'objet de ce pas- sage suscite lui-meme Finteret, car il ne désigne que de fagon trés indirecte le texte source, et constitue plutot un objet construit en fonction du milieu récepteur et d'un. certain « horizon dattente », différent de celui du premier public. Le passage ne se pose donc pas, comme le suggérait Paul Van Tieghem, en termes de hiérarchie de valeur : « cest toujours lémetteur qui conserve une position supérieure, affirmait-il, seul le chemin que doit parcourir le chercheur est inverse ». En 1827, Villemain, que Ton peut considérer conime l'un des premiers comparatistes, était déja conscient du caractere schématique de la notion dinfluence ‘earmundcatin 1. Claire Placial, Pour une histoire napprochée des traductions. Etude bibliographique, historique et linguis- tique des traductions du Cantique des cantiques publiées en langue francaise depuis la Renaissance. These de doctorat préparée sous la direction de Jean-Yves Masson, université Paris-Sorbonne, décembre 2011 2, Paul Van Tieghem, La Litténsture comparée, op. cit., p. 68. ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 136 A La Littérature comparée On voit que chacun des deux pays recoit alternativement influence de ’autre ; on voit que presque toujours, lorsqu’une influence commence a faiblir dans le pays qui V’a vue naitre, elle est encore et générale et puissante dans le pays qui I’a recue par contrecoup et par imitation’. Contre la notion d'« influence » sest done constituée, dans la critique comparatiste comme chez les historiens de la culture, celle, plus neutre, de « transfert culturel », dont Michel Grimberg précise bien la signification ; « La démarche de la recherche fondée sur les transferts culturels |...) s‘insere dans un mouvement quia vu, entre autre nombre de comparatistes francais ct allemands rompre avec le concept d influence et adopter celui de réception ». Envisageant le lien de la théorie des transferts culturels avec le « terme-clé de réception », apparu seulement « au début des années soixante- dix? », et pris au sens de « fortune » oud’« accueil », il la met en relation avec certaines des conclusions de Hans Robert Jauss dans Pour une esthetique de la réception®. Trois mpératifs décrits par Jauss rapprochent les deux concepts : reconstituer I'« horizon d'attente » du premier public dune auyre ; envisager I« écart esthétique », defini comme la distance entre [horizon dattente et toute ceuvre nouvelle dont la réception peut entrainer une modification horizon j enfin replacer chaque ceuvre dans la « série littéraire » dont elle fait partie, afin de déterminer sa situation historique et d’évaluer son importance dans le contexte!. A cet égard, les déformations, ou transformations opérées par le milieu récepteur, non seulement dans la perception des eeuvres mais aussi dans la représentativité clu corpus choisi, témoignent du décalage des horizons diattente des deux milieux récepteurs, explicable en partie par un contexte historique ct par des héritages culturels. Michael Werner et Michel Espagne, dans leur essai de définition de la notion de « transfert culturel », insistent en effet sur ces deux points : «La fonction d'un transfert culturel vue a travers une théorie des conjectures peut étre ramenée a deux cas de figure : une fonction de légitimation et une fonction de sub- version’ ». La subversion du systéme esthétique auquel se rapportait le texte-source, ainsi que de tout lenvironnementala fois esthétique et politique quil'accompagne, se trouve par la au coeur de operation de transfert. Comme peut le montrer la confron- 1. Villemain, Cours de littérature frangaise. — Tableau de la littérature frangaise au xv siécle,t. LIV, Paris, Librairie Académique Didier et Cie, 1868 ; Genéve, Slatkine Reprints, 1974, 4 vol., tI 26" legon, p. 312 (186). Ce cours a été donné de 1827 a 1929. 2. Michel Grimberg, La Reception de a comeédie francaise dans les pays de langue allemande (1694-1799), Bern, Peter Lang, 1995, p. 13 (voir plus généralement « La notion de transfert culturel et les études de réception », p. 11-15) 3. Ibid, p. 14. 4. Voir Hans-Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception [1975], traduit de V'allemand par Claude Maillard, préface de Jean Starobinski, Paris, Gallimard (coll. « Tel »), 1978, p. $3 ec p. 63. 5S. Michel Espagne et Michael Werner, « La construction d'une référence culturelle allemande en France, Genése et histoire (1750-1914) », ANNALES Economies. Sciétés. Civilisation c ILI, n® 4, juil.-aodt 1987, p. 969-992, p. 978. Cf. Michel Espagne et Michael Werner, « Deutsch-franzésischer Kulturcransfer im 18. und 19. Jahrhundert, Zu einem neuen interdisziplindren Forschungsprogramm. des C.N. R.S.», in : Karl Ferdinand Wemer (dir.), Francia. Forschungen zur westeuropaischen Geschichte, Munchen, Jan Thorbecke Verlag Sigmaringen, 1986, p. 502-510 ; et Michel Espagne et Michael Weer, (dir.), Transfert. Les relations intercultuelles dans Fespace francoraleryand (sf etx siecle), Paris, Editions Recherche sur les civilisations, 1988, en particulier leur article « Deutsch-franzosischer kKulturtransfer als Forschungsgegenstand. Eine Problemskizze », p. 11-34. ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 137 tation de la critique du milieu émetteur et du milieu récepteur, Fanalyse des mémes ceuvres ne remplit pas la meme fonction, et n’obeit pas aux memes parametres dans les deux systemes de reception : Les transferts culturels n'ont certainement jamais pour finalité premiére Penrichisse- ment des connaissances de la culture d'accueil. IIs assument une fonction al'intérieur du systéme de réception dont les besoins spécifiques sont souvent différents de ceux de la culture d'origine. Ces besoins, soumis & des conjonctures changeantes, revétent généralement un double aspect : il faut, vis-a-vis de lextérieur, affirmer son identité culturelle et, & Pintérieur de la culture nationale, utiliser les éléments exogénes! Telle est la raison pour laquelle analyse d’un transfert culture! ne peut se com- prendre en dehors du contexte historique qui le met en place : histoire littéraire, au sens oit la définissait Gustave Lanson’, renvoyant, par opposition a histoire de la littérature, ala vie culturelle eta 'activite des récepteurs, rejoint dans cette perspective thistoire des idées, voire fhistoire politique. Milieu-source et milieu-cible En dehors de la hiérarchie implicite contenue dans l'idée d'influence, le rejet de cette notion par la méthodologie comparatiste provient donc du constat que Vinterét de Tetude comparatiste reposait essentiellement sur les opérations de transformation accomplies sur le texte-source, transformations qui font pleinement partie du pro- cessus créateur, Le coeur de investigation est donc forme par le texte-cible, contr: ment a la prevalence que l'idée d'influence accorde au texte-source, percu comme modéle, et dont les échos sont envisages comme des copies, sous forme d'imitations ow de transpositions. Llouvrage de Philippe Van Tieghem, fils de Paul Van Tieghem, intitulé Les Influences ctrangéres sur la littérature francaise (1550-1880), et publié aux Presses universitaires de France en 1961, puis réédité en 1967, est représentatif de plusieurs aspects de la methodologie comparatiste traditionnelle aujourd'hui abandonnés. Car, tout d'abord, la perspective, dominée par un francocentrisme autour duquel s'articulent, succes- sivement, les différentes litteratures abordées, s‘inscrit dans lhistoire littéraire tra- ditionnelle, issue du lansonisme, et qui oriente l'analyse du coté des conditions de production du texte plutot que de sa réception. Les différents chapitres de l'ouvrage 1. Michel Grimberg, La Reception de la comédie faneaise dans les pays de langue alemande, op. cit, p.12-413 2. Gustave Lanson, Essais de méthode de critique et d'histoire littéraire, ap. cit, p. 87. Cet article (« Programmme d'études sur histoire provinciale de la vie litséraire en France », p. 81-87) a écé publié en 1903 dans la Revue d'Histoire moderne et contemporaine, IV, p. 445-464, puis en 1929 dans les Etudes d'histoire litéraire, editées chez Honoré Champion. Lanson y distingue Mhistoire litwraire, qui désigne la vie culturelle et activite des récepteurs, de histoire de la litcérature, qui se rapporte aux azuvres et & leur production. Voir Ves Chevrel, « Champs des études comparatistes de récep- tion. Etat des recherches », Euvres et entiques, Revue internationale dhétude de la réception citique des ceuvreshitéraires de langue franzaise, 1986, XI, 2: Ywes Chevrel (dir.), Méthodologe des études de réception perspectives comparatstes, p. 147-160, p. 148 138 A La Littérature comparée slorganisent selon des périodes de Vhistoire littéraire, mais auxquelles Philippe Van Tieghem associe une « influence ». Ainsi, les xviF et xvi! siecles correspondent aux influences italiennes, celle de Pétrarque, I Arioste, le Tasse, Machiavel. La période de 1600 a 1720 est consacrée aux influences espagnoles, Cervantes, Gongora et Gracin, Lope de Vega, puisque la progres- sion fonctionne aussi par genres. Le xvint siecle est consacré aux influences anglaises, représentées par Addison, Defoe, Swift, Fielding, Pope, et ensuite Sterne, Thomson, Goldsmith, Richardson, Young, Aprés Fossianisme vient le temps de Goethe et de Schiller. Puis le romantisme est le temps d« influences diverses », mélant Birger, Jean- Paul, Lavater; Hoffmann a Byron, Shelley, Walter Scott, mais aussi Shakespeare. Louvrage sacheve sur Faprés-romantisme et les influences de Poe ou de la litterature russe. Une premitre objection concerne aspect un peu artificiel d'une approche qui asso- cie une période a influence d'une littérature, Mais surtout, comme chez son pére Paul Van Tieghem dans son ouvrage sur Le Romuantisme dans la littérature européenne', la démarche aborde parallelement les différentes litt¢ratures européennes, au lieu dentrer dans la complexiteé d'échanges internationaux multiples, Enfin et surtout, ce nest pas le processus postique de réassimilation qui se trouve au coeur de lanalyse, mais la dette a l'egard d'une source. Les deux perspectives s‘opposent ici : celle de attention portée plutot au texte. source, comme dans la démarche de Philippe Van Tieghem, et celle de lintéret accord plutot au texte-cible, qui prévaut dans la perspective de la réception. Theo Hermans le souligne a propos des études de traduction, Peu importe le texte original ; ce qui compte, ce sont les transformations et les transpositions que la traduction lui fait connaitre : « les traductions ne relevent que d'un systéme : le systéme-cible’ » Evoquant louvrage publié par Brigitte Schultze, Die literarische LIbersetzung Fallstudien 2u ihrer Kulturgeschiclue (La Traduction littéraire. Etude de cas pour une histoire culturelle®), Yves Chevrel pose la question de Véquilibre entre les deux. poles et commente la position du « groupe Manipulation », qui défend au contraire importance, dans l'étude de traduction, du point de départ que constitue lorigi nal : « Foriginal, le texte-source, est, pour les chercheurs de Gottingen, une référence essentielle, & partir de laquelle la recherche s ‘organise |... En face de la lecture d'une traduction comme interprétation est ainsi dressée interpretation d'une lecture du traductologue'. » Dans le rapport a la traduction, deux attitudes s‘opposent done, et Yves Chevrel souligne que, dans son intéret porté aux opérations de transposition et done de trans- formation, le groupe de Gottingen est sensible a léquilibre du milieu-source et du milieu-cible 1. Paris, Albin Michel, 1948, rééd. 1969. 2. «Rationale for Descriptive Translation Studies », in : Theo Hermans (dir.), The Manipulation of Literature, Studies in Literary Translation, Londres-Sydney, Croom Helm, 1985, p. 16-41, p. 19 ; cing par Yes Chevrel, « Traductions, traducteurs, traductologues : a propos de quelques publications récentes », loc it, p. 262. 3. Berlin, E. Schmidt, 1987. 4. « Traductions, traducteurs, traductologues : & propos de quelques publications récentes », loc it, p. 264 nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 139 « Le groupe de Géttingen, quant & lui, préfére insister sur la notion de transfert, qui représenterait un certain équilibre entre deux priorités (ou primautés) : celle du texte- source, celle du texce-cible [...] deux autres notions-clefs, enfin, sont retenues : la traduction en tant qu’interprétation, la notions de “kulturschaffende Differenz" (“dif- férence porteuse de valeurs culturelles”) qui est en germe dans toute traduction’. » Critique et création Laréception, le transfert et la traduction sont donc des formes dintertextualité impli quant le déplacement d'un milieu culturel ou linguistique vers un autre. Abordant, & titre d'exemple, le cas du transfert culturel franco-allemand, Michel Espagne insiste sur cette importance de 'arriére-plan culturel ou linguistique. II souligne un phé- noméne caracteristique du transfert d'un modéle allemand en France : lintroduc- tion du modele dans le discours critique, qui précede sa prégnance — phutot que son «influence » — dans les ceuvres. D/un point de vue méthodologique, Fintroduction du modéle allemand par le tn chement de la critique souleve des questions : Yves Chevrel montre « la spécificité de ce genre de discours pat rapport a celui que la méme critique tient sur sa propre littérature?, » Elle est due, en premier lieu, au décalage chronologique de introduc tion de feuvre étrangere, qui explique pourquoi, par exemple, le mouvement d'idées. visant a un renouvellement des modéles tragiques en France, dans les premieres années du xix" siecle, est postérieur au méme débat en Allemagne. Yves Chevrel présente cette difficulte, renforcée par la dependance de la critique a Végard de la traduction :« sila critique est faite a partir de la traduction, et indépendamment des problémes théoriques posés par une telle pratique, une question au moins se pose : celle du déla? |..] ». Mais la spécificité du discours critique sur des oeuvres étrangeres tient surtouta ce que «objet discuté est a la fois tres éloigné (tellement qu'a la limite on peut lignorer) et trés proche (parce qu'il menace une tradition qui n‘aime pas se voir remettre en cause’), » Ainsi, sil’on prend a nouveau en consideration exemple de la reférenceallemande a [aube du romantisme francais, on pourra montrer que la critique de la dramaturgie en France se fonde essenticllement, durant cette période, sur les traductions tres libres de pieces elles-mémes peu représentatives et, surtout, sur le discours déformant de regards critiques comme celui de Mme de Staél dont la lecture des pieces allemandes conforme la dramaturgie a ce qu’elle pense étre le goitt francais. Un exemple, dans les analyses qu'elle développe, est représentatif d'une autre maniére : il s‘agit du commentaire qu'elle propose d’Actila de Werner, oi elle insere une critique de Napoléon bien étrangére, bien sir, a intention de son auteur. Attila, 1. Ibid, p. 262-263. 2. Yves Chevrel, « Le Discours dela critique sur les oeuvres étrangéres: littérature comparée, esthé- tique de la réception et histoire lttéraire nationale », Romanistische Zeitschrift fir Literaturgeschichte Cahiers d'Histoire des Ltténatures romanes,t. (1977), n® 3, p. 336-352, p. 336. 3, Ibid, p. 338. 4. bid, p. 345 nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 140 A La Littérature comparée selon Mme de Staél, « ne sait que la guerre et cependant le luxe et les Beaux Arts lui plaisent comme ses conquetes' ». L'énormite de cette déformation révéle clairement Fallusion. I existe trois versions de ce celebre portrait: celle des editions imprimées, celle du manuscrit conserve. Coppet, et une troisi¢me, qui figure dans une brochure publiée par Aimé Martin en 1814, oi les allusions sont plus explicites encore. Or, le texte du manuscrit présente des expressions rayées, car trop compromettantes « chargé des vengeances », « II ne sait que la guerre », ou encore « il ne voit pas le bien pour faire le pire », et révéle ainsi intention de Mme de Staél, ainsi que le choix d'une rhetorique destinée & échapper & la censure. Le texte d Aimé Martin accentue encore cette dépréciation du personnage. Le texte édité le décrit comme «un barbare genéreux », celui d'Aimé Martin comme « un barbare qui veut paraitre généreux ». Et surtout, il présente un passage supprimé dans I’édition de De /Allemagne: « L’histoire du fléau de Diew ne présente quun trait :la destruction. Un seul homme multiplié par ceux qui lui obéissent, remplit d’épouvante I Asie et I Europe ». Enfin, au cas oit elle n'aurait pas été claire, allusion est explicitée par Aimé Martin : « Tel est le portrait @ Attila dans lequel le tyran de la France crut se reconnaitre et fit supprimer tous les exemplaires du bel ouvrage sur I'Allernagne de Mme de Staél Holstein? ». Parailleurs, le rejet de la référence allemande dans le contexte de la France impériale tient pour lessentiel ce refuus de remettre en cause le modele national :« La littérature étrangére permet une réévaluation de sa propre littérature », affirme Yves Chevrel’. Etde fait, le modele allemand sera souvent le prétexte & une sévére critique de la tra- dition nationale et une invitation a la renouveler. Enfin, le discours sur les litératures étrangéres est révélateur d'un contexte qui ne peut se comprendre que dans le cadre dune histoire des idées : « impact d'un texte étranger dans un pays donné engage & repérer des éléments constitutifs d'une réalité de la vie lttéraire qui, jusqu/alors, pas- saient souvent inapercus' ». De fait, comme fa remarqué Pierre Bourdieu, « le sens et la fonction d'une oeuvre étrangére est céterminé au moins autant par le champ daccuel quepar le champ dorigine. » Etcela est lié la nature des opérations qui conditionnent «le transfert d'un champ national i un autre », sélection, marquage et lecture’, Leur analyse fait apparaitre dans quelle mesure un transfert informe finalement plus sur le milieu récepteur que sur le milieu émetteur. Crest peut-étre particuliérement vrai pour le théatre, dont Mme de Staal disait quelle était « la partie de la litérature qui, dans tous les pays, est la plus nationale* Ainsi par exemple, introduction d'une référence allemande dans le domaine fran- 1._ Del'Allemagne, éd. Comtesse de Pange, Paris, Hachette, 1958-60, 5 vol.,t Ill, p. 144, manus: crit C. 2. Toutes ces citations sont tirées de Pauline de Pange, Mme de Stel et fe découverte de Allemagne, Paris, Malfére, 1929, p. 108-112. 3. 'Yues Chewel, < Le Discours de la critique sur les oeuvres étrangeres: liteérature comparée, esthétique dela réception et histoire litteraire nationale », loc. cit, p. 34 4. (bid, p. 337. 5. Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de a circulation des idées », Romanistische Zeit- schrift fir Literturgeschichte ~ Cahier d histoire des ittératures romanes, 14, 1990, p. 3. Cité par Michel Grimberg, La Réception de la comeidie francaise dans ls pays de langue allemand, op. it, p. 1. 6. Journal ur VAlleragne, Weimar, déc. 1803-jany. 1804, in : Simone Balayé, Les Carnets de voyage cde Madame de Stael, Contribution @ la genése de ses curres, Geneve, Droz, 1971, p. 72 nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 141 cais au début du x1x* sigcle, par le biais du discours critique d'abord ~ au départ essentiellement celui de Mme de Staél -, mais aussi de maniere plus directe, par la traduction ou la representation de pieces dans des salles comme le Theatre des Variétés étrangeres, permet d'apporter un éclairage au renouvellement de la dra- maturgie francaise a faube du romantisme. L'objet de ce passage suscite lui-méme Tinteret, car il ne designe que de facon tres indirecte la réalité littéraire allemande, et constitue plutot un objet construit en fonction du public frangais et d'un certain « horizon diattente ». La comparaison contre les passages : les études de paralléles Si Paul Van Tieghem tenait l'étude des passages pour le coeur de la littérature compa- rée, Cest aussi parce que sa perspective exclusive était celle de Thistoire littéraire. Bien sir les passages présentent quelques-uns des enjeux méthodologiques propres a la discipline et étude de leurs modalités spécifiques peut présenter le risque de masquer d'autres voies pour elle. Car, a coté des passages, la littérature comparée présente une autre méthode pour la mise en relation des textes, celle de la comparaison, qui touche ala nature méme de Tacte de lecture, et peut-etre dinterprétation. C'est de maniére suggestive que Frédérique Toudoire-Surlapierre fait figurer en épigraphe de son essai intitulé Notre besoin de comparaisont, publié en 2013, cette phrase de George Steiner, tirée d’Aprés Babel: « Lire, Cest comparer ». Car tout acte de lecture fonctionne pi associations, ne serait-ce que par la position d'une ceuvre a lintéricur d’un genre lit- téraire, qui suppose la comparaison ; et toute lecture critique est nécessairement his- torique, ce qui suppose aussi une série de mises en relations de l'ceuvre avec dautres. De fait, la comparaison est aussi une construction intellectuelle, ce sur quoi insiste Marcel Détienne, dans Comparer lincomparable, lorsquil engage a « construire des comparables', » « II n'y a rien que l'esprit humain fasse si souvent que ces comparai- sons’ » ; Cest sur cette citation de Bernardin de Saint-Pierre qu’ll ouvre son ouvrage, ramenant 'acte de comparaison 4 une activité naturelle et spontanée de lespr humain ; elle est alors a comprendre comme un mode d’appréhension du mond: d'accés & la comprehension et & la connaissance. Jean-Louis Haquette débute son propre ouvrage Lectures européennes par une citation de Rousseau, qui donne a la comparaison « un réle central dans la connaissance® » : « La réflexion nait des idées comparées, et cest la pluralité des idées qui porte a les comparer* ». La comparai son est donc le résultat d'un processus intellectuel, mais elle engage aussi une opéra- tion intellectuelle, d'une double nature, a la fois comme analyse et comme synthése, 1. Marcel Détienne, Comparer Pincomparable, Paris, Le Seuil, 2000, quatri#me de couverture. Voir Frangoise Lavocat, « Le comparatisme comme herméneutique de la défamiliarisation », loc cit, P. 11, qui commente la phrase en ces termes: « Pobjet comparatiste est nécessairement construic» 2, Marcel Détienne, Comparer incomparable, op. cit, p. 9. 3. Jean-Louis Haquette, Lectures européennes. Introduction 4 la pratique de la littérature comparée, Rosny-sous-Bois, Bréal, 2005. 4. Jean-Jacques Rousseau, Essai sur origine des langues [1781], Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 84 142 A La Littérature comparée sion suit Musil, selon qui « toute comparaison est une analyse involontaire. |...] Naturellement, on peut aussi bien affirmer que toute comparaison est une synthése, comme tout acte de comprehension’ ans ‘activité de mise en relation, operée par lacte de lecture, d'une ceuvre avec autres, la comparaison peut étre de deux types: le premier est analyse historique des rapports a Fétranger, que fon peut envisager a travers le paradigme des « orientations étrangeres », pour paraphraser le titre des theses de doctorat de Fernand Baldensperger, Orientations étrangeres chez Balzac (1927), ou de Pierre Brunel, 1 ‘Orientation britan- nique chtez Claudel (1970) ;le second type, plus directement tourné vers la comparaison, concerne analyse des paralleles, envisagée d'un point de vue comparatiste, Cest-a-dire radicalement different de celui des anciennes rhetoriques. Abien des égards, la forme ultime de activité comparante en littérature comparée est étude des parallétes, qui consiste a mettre face a face deux azuvres ou deux auteurs. La notion, ancienne, semble avoir été réactivee récemment dans histoire de la discipline, et Jurgen Siess souligne qu'elle ne figure pas « dans les concepts opératoires retenus par Didier Souiller et Wladimir Troubetzkoy, qui prennent bien en considération “récep- tion’ et “intertextualité’, mais ne relevent ni ‘comparaison’, ni “parallele’ » il remarque we Francis Claudon et Karen Haddad Wotling, sils consacrent un bref chapitre aux deux notions, ne les retiennent qu‘au titre de « figures? », Pourtant, le terme est ancien en poetique, et fon cite souvent les exemples des Vies paralleles de Plutarque ow du Paralléle des Anciens et des Modernes de Perrault, qui ne construit pas une opposi- tion, pas plus que les deux versions du Racine et Shakespeare de Stendhal, lequel choisit, par le ef, d’associer les auteurs, alors que le ow les aurait opposés, De meme, Gerald Gillespie remarque que les premiéres approches comparatistes ont pris la forme de ces comparaisons entre deux ceuvres : ainsi en va-t-il de la Comparaison entre la Phédre de Racine et celle d Euripide WA. W’. Schlegel, en 1807 ; de VFssai d'un paralléle entre Oreste de Sophoele et le Hamlet de Shakespeare | Versuch einer Parallel ischen dent Soplhiocleischen Orestes uid deni Shakespearischen Hantlet, 1857) d Albert Heintze ;oude Sur l'« CEdipe Roi » de Sophocle et « La Fiancée de Messine » de Schiller (Liber Sophokles’ « Konig Odipus » und Schillers « Braut von Messina », 1887), de Wilhelm Wittich’. Cette position critique, comme le soulignent Pierre Brunel et Daniel-Henri Pageaux, n'est pas exclusivement propre a la littérature comparée, ainsi qu’en témoignent les ‘exemples de la poetique classique, mais elle entre dans le champ de la discipline des lors que les ceux ceuvres mises en paralléle n’appartiennent pas au meme domaine littéraire ; « aprés le temps des paralleles entre Racine et Corneille, entre Voltaire et 1. Robert Musil, « Analyse e synthdse » [1913], in : Eisas, rad. Ph. Jaccottet, Paris, Le Seuil, 1984, p. 60, 2. Jirgen Siess, « “Paralléle”, un concept opéracoire en Littérature comparte ? », Rewe de Litté ature Comparée, n° 298, UXXY, 2, awil-juin 2001, p. 225-230 ; citation p. 226-227. Les ouvrages auxquels il faicrétérence sont : Didier Souiller et Wiadimir Trouberzkoy (dir), La Littéature comparée, Paris, PUF, 1997, et Francis Claudon et Karen Haddad-Wotling, Preis de Littature comparée, Théories et méthodes de 'approche comparatiste, Paris, Nathan université, 1992. 3. Voir Gerald Gillespie, « The Internationalization of Comparative Literature in the Second Half ofthe Twentieth Century », in: Virgil Nemoianu (dir. Multicomparative Theory, Definitions, Realities, Whitestone, Council of National Literatures World Report, 1996, p. 192. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 143 Rousseau, viendrait celui des Proust et James, des Sartre et Dos Passos, des Brecht et Ionesco'.» Pierre Brunel cite exemple récent de « la thése de Guillaume Métayer sur Voltaire et Nietzsche, publiée en 2010 avec une preface de Marc Fumaroli et justement saluée par la critique », qui est « tout autre chose » qu'une « reprise des paralléles des anciennes rhétoriques », « tout autre chose aussi qulune étude classique dinfluence la démarche y est « une maniére, bien plutot, de dépasser un apparent rejet pour aller a larecherche d'un dialogue plus souterrain, ou sous-textuel, que constamment expli- cite® ». Mais immédiatement se pose la question : comment choisir les deux auteurs a mettre en paralléle, et quelle doit étre la nature du lien qui les rapproche ? La question conduit a une interrogation sur la definition meme du paralléle Comme le remarque Jean Bessiere : « Les dictionnaires définissent le parallele comme une comparaison' ». Unc telle définition est une maniere, bien stir, de placer la méthode des paralléles au cceur de la discipline, mais en méme temps de lui oter toute specificité a lintérieur de celle-ci: « discuter des paralleles n'est peut-étre qu'une maniére dhabiller de quelque ornement rhetorique la notion méme de comparaison et d éviter de revenir aux conditions strictes de la discipline’ ». Mais Jean Bessitre nuance ensuite son point de vueet, se référant au sens de l'adjectif dans les Vies paral- léles de Phutarque, qui n’ont nécessairement rien a voir avec la discipline, il sou que Tutilité d'une telle pratique critique consiste essentiellement & « revenir & une des possibilités de la discipline : la seule comparaison », 8 un moment oit l'adiectif de « comparée », dans « Littérature comparée », « ne fait plus aujourd'hui entendre nécessairement la notion de comparaison, comprise de maniére stricte®. » Le parallele permet donc de dégager deux pratiques comparatistes, celle qui, selon les termes de Daniel-Henri Pageaux, touche aux « sources », aux « rapports de fait », aux « liens de causalité entre deux textes ou séries de textes », et celle qui repose sur des « affinites Alectives », « des confluences et non plus des influences, des rapprochements et non plus des regroupements, des confrontations qui ne sont ni juxtapositions ni superpo- sitions, mais plutét des mises en regard, en consonance' ». Le risque du parallele établi entre deux auteurs qui ne se connaissent pas, ne se doivent rien et ne partagent aucune source commune ni n’appartiennent @ aucun mouvement commun, est bien sir celui de larbitraire. Les rapprochements opérés par les paralléles doivent se faire, selon Daniel-Henti Pageaux, « entre des textes qui doivent étre différents sans étre trop éloignés ». Le principe semble étre celui du juste milieu : « Ni principe identitaire absolu, ni écart absolu’ ». Le parallale se situerait donc entre lidentité, qui dte toute possibilité de comparaison, et incomparable, qui 1. Pierre Brunel et Daniel-Henri Pageau, « Avant-propos », Rewe de Littérature Comparée, n® 298, op.cit, p. 197-8 ; citation p. 198. 2, Pierre Brunel, « Préface. Discours de la méthode comparatiste », in : Frédérique Toudoire- Surlapierre, Notre besoin de comparaison, op. cit, p. 9-10. 3. Jean Bessiéve, « Pour une lecture symptomale du discours des comparatistes francais. Notes de conclusion », Reve de Litérature Comparée, n° 298, op. cit., p. 325-336 ; citation p. 325 4. tid, S. Ibid, p. 328. 6. Daniel-Henri Pageaux, « Perspectives liminaires », Rewe de Littérsture Comparée, n® 298, XV, op.dit, p. 199-203 ; citation p. 200. 7. Ibid., p. 202. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 144 A La Littérature comparée rendrait la comparaison arbitraire, réduisant méme les singularités de chaque auteur, et oubliant ce qui se joue dans la création, cest-adire l'individualite, voire l'unicité. La comparaison des cultures et la « théorie de la variation » Cet idéal de comparaison appelle deux remarques. D'une part, Marcel Détienne, qui élabore le portrait d'un comparatiste situé entre histoire ct !anthropologie pour abor- der les cultures humaines, va plus loin et refuse la notion d incomparable, issue, selon lui, d'une pensée de la nation tracant partout des frontiéres. Le comparatiste doit, pense-til, «construire des comparables! » pour comprendre les traits communs a la diversité des cultures Le comparatiste qui veut construire ses objets doit pouvoir se déplacer sans passeport entre les Constituants de la Révolution frangaise, les habitants des hauts plateaux en Ethiopie du Sud, la Commission européenne de Bruxelles, les premigres cités minus- cules de la Gréce, en s'arrétant, s'il le juge bon, en terre de Sienne ou a Vérone pour voir, par exemple, comment fonctionnent les assemblées entre le ni et le» siécle®. Diautre part, la juste mesure défendue par Daniel-Henti Pageaux semble laissée a Tappréciation du critique, et soumise a un certain subjectivisme. Car les auteurs mis en parallele ne présentent qu'une analogie telle qu'elle est percue par le critique, lien que Jean-Marie Grassin appelle « parallélité », et quill définit comme « une sorte de gemellite, autant dire ; une cornmunauté de semblables disjoints, une reconnaissance de soi-méme dans Fautre, de Tautre dans soi-méme’ ». Une fois dépass¢ée objection de arbitraire ou de la démarche impressionniste de la comparaison, la mise en paral- {ele apporte ainsi, par le truchement de l'autre, un éclairage sur le moi, et son utilité est dordre interprétatif: explorer, par le biais de la comparaison, un aspect encore méconnu de leeuyre d'un auteur, faire surgir le sens. Daniel-Henri Pageaux souligne es « perspectives séduisantes », parfois trop séduisantes, d’une telle pratique, laquelle « permet par exemple de remonter vers un principe créateur, de prendre conscience des limites de l'ecriture, d’ouvrir, mais avec prudence, sur un mouvement inevitable dinterprétation' ». La critique des paralléles développe ainsi un tout autre aspect de la littérature com- parée que l'étude des passages, que ceux-ci soient envisages sous un angle historique, comme dans les études de réception ou de transferts, ou sous un angle stylistique, comme dansles études de traductologie, Deux voies se dessinent alors et donnent sens au terme de « littérature comparée » : celle des passages, qui intéare aussi l'étude des dettes, des sources et de paradigmes communs ; et celle qui touche a la comparaison 1. Marcel Détienne, Comparer incomparable, ap. cit, p. 3 2. ibid 3. Jean-Marie Grassin, « Pour une théorie du parallele », Rewe de Liténsture Compare, n° 298, LOY, avr-juin 2001, p, 231-234, citation p. 233. 4. Daniel-Henri Pageaux, « Perspectives liminaires », loc. cit, p. 202. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin » Armand Colin ~ Tote verodicton non autre st in dt, Passages, échanges Y 145 pure, permettant, par le jeu des rapprochements, de faire apparaitre des éléments de sens demeurés cachés, et cette pratique permet de saisir ka valeur heuristique de la démarche comparative. Letude des paralléles, fondée sur une démarche postique, présentait favantage, par rapport aux « études dinfluence », de replacer au coeur de lanalyse la part littéraire de oeuvre. Mais elle suscite en méme temps les critiques, car, contrairement aux études influence, elle n'a aucune limite et laisse place Farbitraire. Cao Shunging renvoie dos-A-dos les deux approches, Tune fondée sur fhomologie des deux phénomenes mis en relation, [autre sur leur resemblance ; une sur une approche poétique, fautre sur une approche historique. Il evoque 'hypothese d'une troisieme voie, la « théorie de la variation », qui cor~ respond a un déplacement du point de vue, de celui des « études interculturelles » vers celui des « études transcivilisationnelles!. » La théorie de la variation est fondée sur la comparaison de civilisations hetérogenes et part du constat que les éléments litteraires nouveaux résultent dun processus de communication sous la forme d'une collision entre les systémes littéraires de différentes civilisations. Cao Shunging la définit comme « l'étude des variations subies par des phénoménes littéraires issus de differents pays, avec ou sans contact factuel, en meme temps que étude comparative de Thétérogéncité et de la variabilite de différentes expressions litteraires dans le meme domaine’ ». La théorie de la variation semble ainsi une voie intermédiaire, envisageant, comme l'étude des paralleles, une absence de lien factuel entre les cultures compa- aussi la possibilité de rencontres entre elles, comme dans les approches, historiques. Cette hypothése esquisse une nouvelle orientation et montre la multiplicité des passerelles possibles que la littérature comparée établit entre domaines linguistiques et culturels différents rées, mai Etudes de réception et transferts culturels En passant de influence a la réception, la littérature comparée a déplacé son centre diintérét de la question de la valeur, qui érigeait le texte-source en modéle, & une approche sociologique de la littérature. Faisant intervenir les paramétres culturels qui conditionnent la lecture, lévaluation et fappropriation d'une ceuvre, elle introduit une part dinterdisciplinarité dans sa méthode. La méthode sociologique intervient bien sir dans les études quantitatives. Mais les études de réception ne se limitent pas & cette perspective et font intervenir une distinction entre deux volets de la réception : la « réception critique », qui montre quel corpus est retenu par le milieu récepteur, comment il est jugé et comment ill est interpréte, se nourrit du discours critique et de son support privilégié, les revues ; 1. Voir Shunging Cao, « Cross-civilization Study of Comparative Literature - The Turn and Construction of the Discipline Theory of Comparative Literature », West, printemps 2004, vol. 6, Comparative Literature Research Institute, Sichuan University, p. 1-14. 2, Shunqing Cao, The Variation Theory of Comparative Literature, Heidelberg, Springer, 2013, p. 32. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 146 A La Littérature comparée mais la « réception poétique », elle, entreprend de montrer et de mesurer limpact sur la création de la pénétration, dans un milieu récepteur, d'une référence littéraire, lei encore, la notion dintertextualite telle que Ta definie Gerarel Genette joue son réle. Car elle part du postulat que la création littéraire est avant tout assimilation d'une activité de lecteur, et construit lidée d’une herméneutique littéraire insérée non pas seulement dans 'acte de lecture mais aussi dans les pratiques d'écriture. Enfin, lorsque l'étude de réception s élargit pour analyser un transfert culturel, la littérature devient un élément — déterminant dun ensemble de données culturelles, le transfert étant éclairé par la mise en relation de I étude des formes litéraires et de ces données. La question des transferts culturels se trouve done a Tintersection des études littéraires et historiques, et linterdisciplinarite de la méthode comparatiste consiste cette fois dans son lien avec l approche historique L’Ecole de Constance et l’esthétique de la réception Ona désigné sous le terme générique d'« Ecole de Constance » un mouvement critique quisest développé dans les années 1970 autour de deux professeurs de Tuniversité de Constance, Hans Robert Jauss et Wolfgang Iser, eta défini ce que on a appelé '« esthé- tique de la réception ». Son présuppos¢ est que le texte ne vaut pas en soi, comme avait proclamé la « Nouvelle Critique », sous lnfluence du structuralisme, mais dans sa ituation relation avecson public et qu'elle nait en tant qu’euvre précisement de cette de communication. Une telle position est riche dimplications, Elle definit la littérature hon comme une production ou un produit, mais précisément comme une activité de communication. L’esthétique de la réception entreprend de dépasser le clivage schéma- tique entre la critique marxiste, qui voit dans la ltterature une image ou une projection de la société, et fapproche formaliste qui au contraire coupe Feeuvre littéraire de tout contexte et 'envisage comme un systéme clos et refermé sur lui-méme. Dans la pers- pective de 'esthétique de la réception, lceuvre établit une relation avec le monde, mais non pas en tant que représentation, cest-a-dire du point de vue de Tauteur, maisen tant que matiére destinée a étre assimilée, abordée done du point de vue du lecteur. Telle quelle est produite par son auteur, l'ceuvre n'est alors qu'une virtualité et ne trouve sa realisation que dans sa réception. Dans ce courant critique, deux textes émergent particuliérement : Pour une esthétique de la réception, qui rassemble un ensemble de textes de Jauss publiés entre 1967 et 1975, et L'Acte de lecture diser, La question que pose Jauss, de savoir comment nous, lecteurs, pouvons penser notre rapport aux textes du passé, souléve plusieurs difficultés propres a la récep- tion, La premiere, qui est objet en particulier du premier essai, concerne lhistoricité de tout rapport a la littérature. Contre la théorie qui a conduit a 'éviction de lhis- toire littéraire, Jauss propose donc la rehabilitation de cette derniére, sous la forme cependant d'une histoire littéraire réinvestie, au statut renouvelé, non plus circonscrite aux conditions de production d'un texte, mais envisageant le texte au fil de l'histoire de sa réception, a travers un éclairage historique. Tel est le sujet de ce premier essai de Fouvrage, « L’histoire de la littérature : un défi a la théorie littéraire ». Derrigre cette historicité de la littérature, Jauss aborde l'ceuvre du point de vue du systeme Passages, échanges Y 147 de relations quielle engage. Et, comme la remarqué Jean Starobinki dans sa préface ala traduction francaise, [histoire de la littérature et de Tart « a été trop longtemps une histoire des auteurs et des ceuyres. Ellea opprimé ou passé sous silence son “tiers état”, le lecteur, Jauditeur, ou le spectateur contemplatif’. » Jauss rappelle qu Aristote et Kant ont & peu prés été les seuls & prendre en compte leffet de Foeuvre sur son contemplateur ; il évoque aussi ses dettes a legard de Gaetan Picon, d Arthur Nisin ou de Michaél Riffaterre, et Jean Starobinski rappelleaussi'apport de Michel Charles, dans la Rhétorique de la lecture (1977) et, bien plus tot, d'Albert Thibaudet (Le Liseuer de romans, 1925). Liactualisation du sens d'un texte dans une experience de lecture, qui est la pers- pective deThermeneutique, suppose la variabilite de la lecture. Telle est la perspective des études de réception, qui tracent une sorte dhistoire des lectures d'un texte, Mais cette variabilité n'est pas seulement un effet collectif, elle tient aussi a lexpérience personnelle et aux contingences de lexpérience de lecture. Pour earactériser cette variabilité, Bérengere Voisin propose la notion de « lisibilite » et réfléchit aux diffi- cultés méthodologiques qu'elle pose, lige & la ditficulté & « “localiser’ a lisibilité ». De tels travaux, qui figurent parmi les nombreux prolongements possibles de esthetique de la réception, consisteraient a « s‘attacher a décrire les mécanismes en jeu dans la notion et le fonctionnement du processus’. » Sur un plan plus structurel, la relation que Jauss révéle entre le texte et le lecteur est complexe. Car si le texte ne trouve son existence que dans 'acte de lecture, dans sa reception, la figure du lecteur, la réception méme de lceuvre se trouvent inscrites en elle, par les normes quelle a intériorisées, provenant des paradigmes que 'auteura retenus comme modéles. Hannelore Link examine méme les relations entre ces deux lecteurs que sont le lecteur « réel » et le lecteur « implicite’ ». Umberto Eco sinscrit lui aussi dans le sillage de lesthetique de la reception. ILaffirme avoir appris aprés-coup quil faisait « de la pragmatique du texte sans le savoir, du moins ce que lon appelle aujourd hui la pragmatique du texte ou esthetique de la réception. » La notion quil met en avant est celle de la « coopération interprétative » : son angle dattaque est « Laspect de activité coopérative qui amene le destinataire a tirer du texte ce que le texte ne dit pas mais qu'il suppose ». Il abandonne, au cours de analyse, la notion de destinataire au profit de celle de lecteur, parle meme de « lecteur modele » et sou- ligne comment le texte est lui-meme « le garant de la coopération textuelle face (aux) possibilités dinterprétation plus ou mois “aberrantes" Chez Jauss, la notion d’« horizon d'attente » trouve alors toute sa signification, puisquielle esta lceuvre dans le processus de création lui-meme, associge au « premier ‘earmundcatin 1. Jean Starobinski, « Préface », in : Hans Robert Jauss, Pour une esthétique dela reception, op. cit, p. 7-21 ; citation p. 12. 2. Bérengére Voisin, « La notion de lisibilité entre théories de effet et théories de la réception », in: Lucile Amoux-Farnoux et Anne-Rachel Hermetet (dir.), Questions de réception, Paris, SFLGC/ Lucie, 2009, p. 19-39 ; citations p. 26. 3. Hannelore Link, Rezeptionsforschung. Eine infihrung in Methoden und Probleme, Stuttgart, Berlin, K6In, Mainz, Kohlhammer, 1976, p. 36-38 4. Umberto Eco, Lectorin fabula, Le rbledu lecteur ou la Copératin interprétaive dans les testes nara [1979], trad, Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 1985, p. 5 et p. 65. ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 148 A La Littérature comparée public » qui se dessine dans l'esprit de Fauteur. Cependant a travers l'histoire inter- nationale de sa réception, 'ceuvre trouve dautres publics, donnant lieu a d'autres réceptions, d'autres lectures, et révélant toute la pluralité de sens quelle contient Au coour de cette approche critique se trouve donc la figure du lecteur, plutot que de lauteur. ouvrage d'Iser est consacré a l'acte de lecture qui sert de point de départ a une « théorie de effet esthétique ». Iser part de Pévidence qu'un texte ne peut agir avant d’avoir été lu et que par conséquent, pour en décrire Feflet, il faut soumettre a l'analyse le processus de sa lecture. II observe trois étapes dialectiques dans l'effet esthétique : le texte, le lecteur, et leur interaction. Et surtout, il distingue entre la théorie de leffet, lige au texte, et la théorie de la réception, qui met en jeu les jugements du lecteur. Or Festhetique de Feffet aborde le texte comme processus, car Tinterprétation qui découle de Facte de lecture participe a la formation du sens de Yoeuvre, mais comme un événement, dans ce qu'il a de contingent, conditionne par des parametres culturels ou personnels, événement éventuellement non réitérable. Le concept de « conerétisation », employé a tort, selon Iser, comme un concept de communication, est révélateur de ce fonctionnement de llaboration du sens, moins & appréhender dans'intention d'auteur que dans l'acte de lecture. Car la concrétisation «ne désigne pas l'interaction entre le texte et le lecteur, mais bien Vactualisation des schémas présentés par le texte! » L'« esthétique de la réception », théorisée par Hans Robert Jauss et Wolfgang Iser, sest immeédiatement vue appliquée a la méthodologie comparatiste moderne, sous la forme d’« études de réception », Yves Chevrel ayant été lun de ses premiers intro- ducteurs dans le comparatisme frangais. Celles-ci consistent & décrire une activite de réception non pas auprés du « premier public », mais dans un déplacement de Teeuvre auprés d’un public étranger, dans un contexte historique et culturel porteur de significations pour Feeuvre en question. Daniel Mortier rappelle que les études comparatistes ont ainsi retenu de lesthétique de la réception « que Fart est une com- munication au sens plein du terme ». Or ce principe a conduit a réévaluer lapproche comparatiste habituelle, illustrée en particulier par Paul Van Tieghem, qui consistait a « identifier émetteur et message ». Daniel Mortier en tire ainsi une definition des études comparatistes de réception : « Nous entendons par étude de réception une étude qui considére lceuvre littéraire comme un processus de communication et non pas seulement comme un processus de creation et d’expression®, » Outre cedéplacement methodologique, l'étude de réception présente Favantage, par rapport aux methodologies précédentes, de se préter a un traitement scientifique et, sous cette forme, de se substituer favorablement aux notions désuetes d’« influence » ou d’« image » (du moins dans Tusage qu’en faisait Jean-Marie Carré), souvent utilisées de facon impressionniste, Les approches se croisent néanmoins parfois, et Manfred Fischer fait par exemple intervenir limagologie dans son étude de la réception du Roi 1. Wolfgang Iser, L’Acte de lecture. Théorie de Veet esthetique [1976], trad, Evelyne Sznycer, Bruxelles, Liege, Mardaga, 1985, p. 304 2. « Réception n’est pas raison ou les objectifs des études de réception en littérature comparée », (Ewes & critiques, XI, 2, 1986 : Méthodologie des éudes de réception : perspectives comparatistes, sous la direction d'Yves Chevrel, p. 135-141, citations p. 140, p. 138 et p. 135. ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 149 des Aulnes de Michel Tournier dans les contextes allemand et frangais!. Les études de traduction forment aussi un champ a part. Mais une analyse comme celle de Jean- Pierre Lefebvre a montré comment la traduction a pu, comme phénomene editorial autant que poétique, jouer un role fondamental dans introduction de la philosophie allemande dans la France du xix" sidcle’. La traduction devient partie prenante de la réception, qui peut etre élargie & la notion de « transfert culturel » dans la mesure it elle déborde les media concrets de la réception, Celle-ci peut done avoir tn sens relativement ouvert, mais les études de réception élaborées, & partir des années 1970 at de lapport de Ecole de Constance, représentent une pratique bien spécifique dela érature comparée qui introduit une approche sociologique de la littérature. Etudes de réception et approche sociologique de la littérature Cette part sociologique est affirmée par Anne-Rachel Hermetet qui attire | sur importance des revues dans ce type d'études ‘attention Toute étude de réception s'appuyant sur les revues littéraires ne peut faire l'économie dune sociologie des périodiques et de leurs collaborateurs, car les uns et les autres sont directement impliqués dans des jeux de pouvoirs et des relations dont le discours litcéraire ne peut s’abstraire complétement’. Daniel Mortier montre une des limites de l'étude de réception dans son analyse sociologique de la réception d'une couvre : «la sociologie littéraire, illustrée par Robert Escarpit, est fortement déterministe ». Ainsi, Fétude de reception va laisser de c6té les eléments de contingence présidant 4 une lecture et considerer « le récepteur d'une ceuvre littéraire non pas comme un étre libre [...], mais comme un étre soumis a des contraintes socio-psychologiques! » Sylvia Gerritsen et Tariq Ragi proposent une étude de la réception ~ plus pré cisément de la lecture, qui en est une manifestation - de Camus en Flandre et aux Pays-Bas. Significativement, le titre qu’ils choisissent pour leur ouvrage est Pour ute sociologie de la réception, soulignant la part qu’y tient fapproche sociologique. Toute la premiere partie de 'ouvrage, qui porte sur les relations entre réception et traduction, est consacrée aux « bases théoriques » et envisage successivement les différentes tradi- tions ~ allemande, américaine, francaise, néerlandaise — de la theorie de la réception. 1. Manfred S. Fischer, Probleme internationaler Litensturrezeption. Michel Tourniers« Le ei des Aulnes » im deutsch feanzosschen Kontext, Bonn, Bouvier (Aachener Beitrige zur Komparatistik, Bd. 2), 1977. Voir notamment p. 40-45, 2. « Lintroduction de la philosophie allemande en France au xx siecle. La question des tra- ductions », in : Michel Espagne et Michael Werner, Trunsferts. Les relations interculturelles dans espace Fanco-allerand (xv siéle), Paris, Editions Recherche sur les Civilisations, 1988, p. 465-476. 3, Anne-Rachel Hermetet, « Revues littéraire et études comparatistes de réception », VEsprit Créateur, vol. IL, n° 1, printemps 2009, Les Etudes de réception en France/ Reception Studies in France, dirigé par Anne-Rachel Hermetet et Régis Salado, p. 23-37 ; citation p. 23. 4. Daniel Mortier, « Réception n'est pas raison ou les objectifs des écudes de réception en lit- térature comparée », loc cit., p. 139, nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 150 A La Littérature comparée Un développement est consacré a un avatar de la version américaine, le « Reader- response criticism » dont ils montrent que la pénétration en France, du fait d’un retard dans la traduction des travaux, a été faible, Le premier constat porte sur la diversité des approches contenues dans le Reader response criticisnt : « Le terme de “reader-response criticism’ regroupe des systémes aussi divers que le « transactive criticism » de Norman Holland, les “structuralist poe- tics” de Jonathan Culler, le “subjective criticism” de David Bleich, ou les “affective sty listics” de Stanley Fish', » Stanley Fish et Norman Holland s‘accordent pour centrer leur programme sur la perception du lecteur et prennent pour objet de leur recherche non le texte, mais « la réaction du lecteur. Ils sont persuades que la perception est un acte constructif, Cest-a-dire que nous interprétons en percevant, ou plutot, la per- ception est une interpretation ». Ce qui singularise la position de Stanley Fish est la determination de |'activité de lecture par une « convention de communauté » ; le texte ne procede en réalité pas tant de Tauteur ou du lecteur que de la communauté, qui dégage des « stratégies interprétatives communes ». La position de Jonathan Culler est centrée sur une relation entre auteur et lecteur definissant « un systeme de conven- tions de lecture que ensemble des lecteurs approuvent? ». Ce qui domine est que, dans lactivite de communication établie par |'ceuvre entre auteur et lecteur et dans la production du sens dans acte de lecture, la prise en charge de la réception de Teeuvre par une communauté est déterminante. Centrée sur le lecteur, 'esthétique de la réception a donc opéré un déplacement, et manifeste un clivage fondamental qui sépare les différents courants critiques. Tandis que l'histoire littéraire lansonienne, attentive aux conditions de production des ceuvres, était centrée sur auteur, la « Nouvelle Critique » a déclaré la mort de !auteur et s'est attachée exclusivement au texte. L’esthétique de la réception, pour sa part, a opéré un nouveau décalage, faisant porter le cavur du sens de Feuvre sur le lecteur Enzo Caramaschi dénonce ce que ces clivages ont de schématique et propose — mais n'ya+t-il pas plutot succession dapproches que conflit? — une utopique réconciliation. Texprime «Tinterét et la fecondité possible d'une convergence entre des recherches qui ont abordé le plus souvent objet littéraire séparément, dans des optiques secto- rielles : la sociologie du public, 'histoire de la fortune d'un auteur ou d'une oeuvre, histoire de la critique littéraire », Pour lui, « la Rezeptionsforsclung a crw un instant pouvoir les relayer ou les remplacer, elle a recharge en tout cas dactualité leurs taches traditionnelles. Et avec la théorie de la communication, elle a contribue a la mise en valeur spectaculaire, au cours des derniéres décennies, de la fonction réceptrice en littérature? ». Car Testhetique de la réception a vu dans la littérature une activité de communication et 'a envisagée non en tant que texte, mais dans sa relation avec le public, Erlud Ibsch souligne cette propriété de lesthétique de la réception qui ne définit pas la littérarite « sur la base de caractéristiques textuelles, mais seulement 1. Sylvia Gerritsen et Tariq Ragi, Pour une saciologie de la réception : Lecteurs et lectures de Veuve ’Abert Camus en Flandre et aux Pays-Bas, Paris, U'Harmattan, 1998, p. 41 2. Voir ibid , p. 42. 3. Enzo Caramaschi, « Histoire de a critique, sociologie du public ec théorie de la réception », foe. cit, p. 31 nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 151 comme résultant d'une action qui attribue de la littérarité ». Son étude entreprend de réfléchir au clivage, qui s'est fait notamment jour dans la critique allemande des années 1970, au sein de Festhétique de la réception, entre les approches herméneu- tique et empirique. Mais elle montre comment lesthétique de la réception réintroduit Thistoricité du texte, non pas dans lexamen de sa création, mais de sa réception : « Le concept de comprehension ne peut étre séparé du concept dhistoricité, prenant la forme de la distance chronologique entre le moment de la production d'un texte et sa réception plus tardive’. » Or précisément en introduisant, dans le rapport leuvre, la distinction entre deux poles, la création et la réception, la fonction réceptrice ne rend pas compte des inte- ractions — « le mot du jour est interdépendance », affirme Enzo Caramaschi. Hexprime le voeu daller plus loin, de « réver a une “résurrection intégrale” du passé dans la conscience critique et historique du lecteur d/aujourd'hui », et cela en invo- quant « la rencontre de recherches qui se sont longtemps voulues indépendantes » : celles, traditionnelles, liges a Vhistoire littéraire et done centrées sur activité pro- ductrice, consacrées a la « fortune » d'une ceuvre ; et celles, lies & la lecture et & la critique d'une ceuvre, centrées sur sa réception. Cette rencontre consiste 2 « faire converger sociologie et critique littéraire », de maniére a mettre fin aux traditionnels clivages dans lappréhension de lceuvre :« La vieille terminologie, en disant “création et “contemplation”, accusait une sorte de dichotomie entre deux cotés quid nos yeux simbriquent et simpliquent de plus en plus étroitement, suivant une relation dialec- tique ouverte ». Ce nouveau rapport a fecuvre littéraire doit aussi mettre fin, selon lu aux clivages critiques: « Assez parlé de “nouvelle” ou dancienne’ critique. Pourquoi opposer les esthétiques de la “réception’ a celles de la “production’” ? » Lexemple quil choisit, celui du roman francais du x1x*siecle, lui parait représentatif du fait du « statut sociologique du genre’, » qui rend compte de la vie sociale. Mais il Vest aussi parce que, au cours de la période charniere de 1830 a 1880, le roman cesse de nétre « qu'un moyen dévasion » et exprime des « ambitions dart’ », changeant ainsi de position dans la hiérarchie des genres. Or, cette évolution rapide introduit un retard de la critique sur la création!, ce que manifeste la réception scandaleuse des quatre romans qu'il donne en exemples, Le Rouge et le Noir, Madame Bovary, Salamnibé ou A rebours. Dans la recherche comparatiste, les études de réception représentent une méthode particuliérement féconde qui, derriére le positivisme propre 4 sa démarche, permet de révéler importants aspects dans la compréhension d'une aeuvre ou dans les rela- tions que sa diffusion a pu entretenir avec Thistoire, Quelques exemples de travaux permettent d’éclairer certains de ses enjeux. La these d'Yves Chevrel, surla réception duroman et dela nouvelle naturaliste francais en Allemagne a la fin du xix" siécle ~ partir du moment oit Allemagne existe comme pays — permet dintroduire lidée duu 1. Elrud Ibsch, « Reception Aesthetics versus Empirical Research of Reader’s Response », in Rien T. Segers (dir.), Etudes de réception/ Reception Studies, op. cit, p. 41-52 ; citations p. 41 2. Whid., p. 37-38. 3. bid, p. 34. 4. Voir ibid, p. 33. 152 A La Littérature comparée naturalisme comme mouvement européen. Yves Chevrel a développé cette approche du naturalisme sous une forme plus systématique dans un ouvrage ultérieur, apportant une vision ensemble sur le naturalisme!, La these d’Anne-Rachel Hermetet, qui porte sur la réception de la littérature francaise dans les revues entre 1919 et 1943, envisage directement la relation entre réception et politique, puisque le fascisme devient un élément determinant dans le phénoméne quelle étudie’. Enfin, surle plan dela métho- dologie ~ et en dehors des enjeux spécifiques du sujet — la these d’Anne Debrosse présente un cas different II sagit tout d'abord d'une étude de réception comparée, et cela & deux niveaux:: parce que la reception porte sur deux périodes (I’Antiquité dune part, les xvr' et xvnt sigcles d'autre part) ; parce qu’elle est envisagée, pour ka période moderne, dans les contextes francais et italien. Parailleurs, elle ne vise pas éclairer, travers le milieu récepteur, un contexte historique circonscrit, mais applique son étude 4 une diachronie large. La réception permet de comprendre ainsi un mouvement litteraire, la part du litteraire dans un systeme politique, la constitution dune figure feminine comme modele de poésie, autant daspects différents, mais dont chacun, touche a une identité du fait littéraire. Histoire et poétique : la question des transferts culturels Sila littérature comparée s'est immeédiatement emparée des esthétique de la récep- tion » pour définir, dés les années 1970, des « études de réception », la notion de « transferts culturels » ne Ta penétrée que plus tardivement, alors que, dans une certaine mesure, elle forme l’essence méme de la discipline. C'est que le champ était occupé par les études de réception, cette notion paraissant plus spécifique et directement orientée vers l'activité de lecture. L’étude des transferts, au contraire, semblait noyer le phénoméne littéraire dans un contexte culture! plus général et peut-étre ne pas lui accorder d’attention spécifique. A mi-chemin entre histoire et études littéraires, la notion plus récente de transferts présente donc aussi une plus grande ambiguité. La notion a au départ été introduite pour caractériser des travaux dhistoriens, mais sest trouvée appliquée immeédiatement au cas de la littérature, tenue pour l'aspect central dela culture. approche est moins poetique qu'historique. Carla littérature est dabord abordée par les aspects matériels intervenant dans sa diffusion. De sorte que 1. Wes Chevrel, Le Roman et la nouvelle naturalistes francais en Allemagne : 1870-1893, these de doctorat d’Etat sous la direction de Charles Dédéyan, université de Paris-Sorbonne, 1979 ; Le Naturalisme + étude d'un mowement international, Paris, PUF, 2* éd., 1993. Cf « Réception de textes naturalistes : France/Allemagne 1868-1893 », in :H. Van Gorp, & Ghesquigre ec R.T. Segers (dir.), Receptie-onderzaek moeglikheden en grenzen ~ Rezeptionsforschung, Moglichkeiten und Grenzen, Leuven, ‘Acco, 1981, p. 65-80 ; p. 66 : Le naturalisme, en tant que mouvement littéraire, n’était alors guere étudié, surtout en France » 2. La Littérature rangaise contemporsine dans les reves itallennes: ude de ception (1919-1943), these de doctorat de Littérature comparée sous la direction d'Yves Chevrel, université de Paris-Sorbonne, 1995, 3. «La Sowvenance et le désr ». La réception des postesses grecques dans Antique et au avt et wnt siéles (France et ltalie), chese de doccorat de Litcéracure comparée sous la direction de Frangois Lecercle, Université Paris-Sorbonne, 29 juin 2012 nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 153 étude des transferts demeure proche des autres méthodologies analysant les passages, et Michel Espagne reconnait sa parenté avec l'étude des traductions : « Un transfert culturel est une sorte de traduction puisquil correspond au passage d’un code a un nouveau code. » Quant ala traduction elle-meme, elle est un élément concret permet- tant le transfert et se trouve donc nécessairement au coeur de ces études : « L’histoire des traductions, aussi bien au sens propre qu’au sens figuré, est donc un élément important des enquétes sur les passages entre cultures ». Mais Ie livre lui-meme, en tant qu’objet et que support matériel a la littérature, est le médium le plus général de la circulation de la littérature. Le livre « circule entre les aires culturelles et transmet les codes étrangers au contexte d'accueil », de sorte que la recherche sur les transferts culturels recourt aussi «a certains aspects de histoire du livre! ». Ce point lui parait, un renouvellement nécessaire aux études comparatistes, et ily revient dans une autre contribution : « Alors que les relations entre le comparatisme et [histoire du livre sont souvent assez ténues, elle sont essentielles entre histoire du livre et les recherches sur les transferts culturels®. » La perspective est donc transnationale : il ‘agit d observer le déplacement d’une référence culturelle d'un domaine a un autre. Mais cela signifie que la nation est le socle de ces études. Dans ses Transferts culturels franco-allemands, Michel Espagne montre que la est peut-étre la raison du fait que le xix° siecle a été le terrain pri vilegié d'études de transfert : il s'agit de lage d'or d’une notion, née vraiment au xvur' siécle et qui, désignant une autre identité que celle, politique, représentée par l'état, placait la culture en son centre. Le siecle suivant, déchiré par les deux guerres mondiales, a vu la dégradation dune notion associée aux nationalismes et Al'idée de cloisonnement. Or, etude des transferts manifeste, selon lui, que la construction d'une identite ou d'un espace national est en fait « transnationale » : « La recherche sur les transferts culturels remet nécessairement en cause les limites des espaces nationaux, mais elle permet aussi d'en étudier la genése, en montrant que les identités nationales résultent largement de fragments empruntés, » Cette construction transnationale d'identité culturelle s‘applique bien sar a la littérature, et étude des transferts culturels est un moyen de repenser les méthodes de l'histoire litteraire : elle « tend plutot 4 montrer que Ihistoire littéraire européenne n'est pas une juxtaposition Chistoires littéraires nationales*. » Tel est le cas par exemple du Romantisme dans la littérature euro- ‘péeme (1948) de Paul Van Tieghem, qui aborde de facon cloisonnée les expressions du romantisme propres a chaque littérature nationale. Fondée donc sur la prise en compte de cette identité qu’est la nation, elle appelle a son dépassement en montrant que, de maniére dialectique, celle-ci ne sest constituée que par sa négation, Elle inserit par ailleurs son objet littéraire dans une approche historique qui renowvelle l'histoire littéraire en lui donnant une coloration véritablement comparatiste. 1. Michel Espagne, Les Tamsferts cultures franco-allemands, op. cit, p. 8-9. 2. Michel Espagne, « Quelques aspects actuels de la recherche Sur les transferts culturels », in Lucile Arnoux-Famoux et Anne-Rachel Hermetet (dir), Questions de reception, op. cit, p. 163-190, p. 168. 3. tid, p. 172-173, nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin 154 A La Littérature comparée Transferts culturels ou littéraires La notion de « transfert culturel », souléve néanmoins un probleme : ne risque- elle pas de dissoudre l'objet litteraire dans une notion vague, celle de culture, q fait intervenir des composantes de tous ordres, ot se perdrait méme ensemble des formes artistiques ? Dans ce type d’approche serait perdue non seulement la spé- cificité de lceuvre littéraire, mais aussi de tout ce qui touche au Beau, de tout abjet cesthétique, dilué dans un univers qui se rapporterait de fagon tres généralea histoire des civilisations. C'est en partie cette objection qui a conduit Danielle Risterucci- Roudnicky a parler de « transfert littéraire » plutot que de « transfert culturel! », Dans leur tentative pour définir le transfert culture! franco-allemand comme « objet de recherche », Michel Espagne et Michael Werner ne fuient pas cet écueil, qui touche a la definition méme de la notion de culture : « Une définition de la culture, qui ne met pas laccent sur la dynamique des transformations sociales et spirituelles, se heurte rapidement a ses limites* ». Mais ici réside le sens méme de la notion de « transfert culturel ». Cest par son lien avec les « institutions sociales », comme le dit Mme de Staél dans De la Littérature’, par son lien avec la spiritualité, que la littérature existe comme concept et se distingue, par exemple, de la « poésie » (en son sens général) Dans son émergence au xvii siecle, depuis les Flénents de littérature de Marmontel (1787) jusqu’au De la littérature de Mme de Staél (1800), qui s‘inserit dans sa lignée, la notion meme de littérature implique déja celle de culture. L/approche comparatiste, qui vise a rattacher I'ceuvre a son contexte culturel pour examiner les conditions de son passage vers d'autres cultures, ou sa provenance dautres cultures, ne fait que radicaliser ce lien indissociable entre littérature et culture. La culture, pour pouvoir étre un objet détude définissable et qui rende compte de la littérature, doit étre examinée, comme le disent Michel Espagne et Michael Werner, sous un angle dyn: mique, celui de l'étude de ses transformations. Cest en cela qu’elle peut montrer, par le role des passages et des frontiéres traversées, les transformations d'une littérature oule processus de la création d'une ceuvre La notion de « littérature » suppose done la présence de données culturelles dans expression esthétique formée par lceuvre. Ete « transfert littéraire » peut devenir une voie du « transfert culture! », qui insiste plus sur une démarche historique que poetique. Sous le titre « Traduit de lallemand (Autriche) ». Etude d'un transfert lit- téraire, Valérie de Daran propose une étude des écrivains autrichiens du xx siecle traduits en francais. Elle s'interroge sur l'identité des écrivains autrichiens qui ont connu le succes en France, sur ceux qui, traduits, sont néanmoins demeurés dans Tombre, sur les raisons, enfin pour lesquelles d'autres n‘ont pas été traduits. Valérie de Daran situe sa « déambulation hors des strictes limites de la germanistique ou des au sens traditionnel ». Car elle s'intéresse moins au corpus dceuvres 1, France RDA anatomiecl’un transfert lttéaire, 1949-1990, Bem, Berlin, Frankfurt a.M., New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 1999. 2. « Deutsch-franzésischer Kulturtransfer als Forschungsgegenstand », in : Transfers [..], op. ip. 11-34 j citation p. 21 3. Le titre complet de son essai est : De la littérature considérée dans ses relations avec les institutions sociales (1800) nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 155 autrichiennes qu'aux conditions de leur passage dans le domaine francais. Son essai, cetttre, « releve des études comparatistes qui integrent aussi 'examen des transferts et des traductions' », La démarche, complexe, souleve plusieurs questions. La premiére touche a la méthode, que Valérie de Daran situe « a la croisée d'une sociologie de la traduction et des études de réception’ ». Car son point de départ consiste & emprunter a Pierre Bourdieu « les notions de champ littéraire et Chabitus (auteur, d'editeur, de traducteur) », et celle « d horizon dattente et de modernite » a Hans Robert Jauss, retournant, dans cette seconde approche, « aux textes, AUX @UNTES, leur lecture et a leur public’ ». La question du genre littéraire interfére avec cette perspective et Valerie de Daran fait le choix den rester a la prose, la poésie comme le theatre fonctionnant, dans un transfert, selon des modalités différentes, La seconde particularité de la méthode réside dans le fait quelle illustre le ien étroit que peuvent entretenir études de traduction et de transferts culturels. D'une part, les traducteurs paraissent le plus souvent éloignés de la traductologie et Valérie de Dai exprime sa surprise devant le « peu de renseignements concrets que fournissent les traducteurs tant sur eux-mémes, sur leur situation (entre auteur et éditeur, a la fois pourvoyeur et serviteur du texte...) quesur leurapproche duttexte a traduire ». D'autre part, la traduction, si elle correspond a des choix éditoriaux qui integrent aussi des parameétres commerciaux et sont a ce titre révélateurs d'un horizon dattente, jette surtout un éclairage sur les enjeux politiques et culturels de cet échange « Dans leurs contextes de production et de réception, quel réle jouent les traductions et les acteurs du transfert culturel, institutions et individus ? Comment les traductions s’inscrivent-elles dans les relations politico-culturelles au sein du pays d’arrivée (la France) ou du pays de départ (I’Autriche), et entre ces deux pays! ? » Enfin a troisieme remarque sur les concepts employés tient au choix de expression «transfert littéraire », au lieu de ka notion habituelle de « transfert culture! ». Avant Valérie de Daran, Danielle Risterucci-Roudnicky avait déja fait ce choix terminologique, dans son ouvrage France-RDA. Anatomie d ut transfert litteraire 1949-1990. Louvrage porte sur la réception de la littérature francaise du xx" siecle dans le demi-siécle quia forméla totalité de histoire de la République Démocratique Allemande. Une telle déf nition du milieu récepteur place, bien sir, les conditions politiques au coeur du processus de réception, et Fessai, en analysant « ka morphologie, les modes et les implications » de ce transfert, eflechit aux « formes de résistance a [étranger », mais aussi aux « voies de son intégration », afin de définir une véritable « Poétique de létranger* » Le premier présupposé méthodologique concerne le lien entre les notions de récep- tion et de transfert. Louvrage débute sur une definition de la réception, empruntée a Yves Chevrel qui insiste sur Taspect dynamique — et non passif— d'un tel processus. La 1. « Traduit de Fallemand (Autrche) ». Etude d'un transfert litérare, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt a.M., New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 2010, p. 6. (bid., quatriéme de couverture. (bid. pS Ibid ,respectivement p. 4 et p. 5. France-RDA, Anatomie d'un transfert littérire 1949-1990, op. cit, quatrigme de couverture. 156 A La Littérature comparée notion est renvoyée a son origine allemande (Danielle Risterucci-Roudnicky rappelle que ces études sinscrivent dans la perspective des recherches conduites par «Ecole de Constance » et en particulier des travaux de Hans Robert Jauss et de Wolfgang Iser la fin des années 1960), et Yves Chevrel affirme que « ‘Rezeption’ connote [...] une volonté de s'emparer de quelque chose, de le prendre (conformement a létymologie ‘capere’) ». Danielle Risterucci-Roudnicky situe approche parmi différents rapports que le discours critique entretient avec « le fait esthetique ». Le premier est centré «sur la production de laeuvre dart » et « analyse les rapports entre un auteur, son ceuvre et les conditions sociales de la création » ; la biographie, histoire littéraire en général illustrent cette approche, Le second est orienté « versles rapports que oeuvre entretient avec la réalité et s‘affirme comme une esthétique de la representation ». Enfin, le troisiéme « prend pour objet d’étude la réception d'une acuvre par le public et se nomme esthétique de la réception! ». Danielle Risterucci-Roudnicky et Valerie de Daran sont ici proches, en ce que I'« esthetique de la réception », qui prend en compte le public, fait intervenir pour une part une dimension sociologique. Mais, dans exposé de sa méthode, Danielle Risterucci-Roudnicky analyse une seconde notion importante, celle de « littérature », a laquelle recourt aussi Valérie de Daran, a la place de celle de « culture ». La raison du choix de Danielle Risterucci- Roudnicky, cependant, tient moins a la méthode en général qu’ des raisons spéci- fiques liées 4 son sujet :est quien RDA, le concept de « littérature » n'est pas restreint une « visée esthetique » ; il intégre aussi « des ouvrages portant sur la littérature, et le transfert litteraire a éte lié aux problematiques de Tart en général ». La notion de « transfert littéraire » n’est donc pas seulement, dans cette perspective, la limitation d'un transfert aux données proposées par la littérature. Elle se comprend surtout & la lumiere de ce sens ¢largi du concept de littérature, qui integre des ouvrages comme le Moncada de Robert Merle, portant surla premiere bataille de Fidel Castro, comme Derriére la vitre, du méme auteur, consacré a mai 1968, ou comme Mai 68 en France de Jean Thibaudeau’, Transferts culturels et point de vue esthétique Silétude de transfert éclaire Teeuvre dans un réseau de relations avec le contexte histo- rique et cultural, elle souleve la question de son orientation possible vers une approche esthétique du fait litteraire. Or une telle perspective esthétique peut aussi apparaitre comme un prolongement naturel de la démarche historique, surtout compte tenu de [historicité des canons esthetiques prise en compte par la literature comparée. Un. point de vue esthétique sur un transfert culturel, qui peut aussi interroger farticulation entre littérature et philosophie, se trouverait, dans la démarche, dans une situation opposée a la « poétique comparée », dont Jean-Louis Backés souligne la perspective anhistorique et extéricure a la prise en compte d'un contexte cultureP. La postique 1, Yes Chevrel, « Champs des éuudes comparatistes de réception. Erat des recherches », loc. cts citation p. 147. Voir Danielle Risterucci-Roudnicky, op. cit, p. 5 2. Voir ibid, p. 28-29, 3. Jean-Louis Backes, « Poétique comparée », loc cit, en particulier p. 85-86. nfo - Universe de Strasbourg -1P19079.4.340- 00420221030 Document chargé depus wor ca ‘earmundcatin ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd, Passages, échanges Y 157 compatée, en effet, s‘en tient aux formes, En outre Jean-Louis Backés rappelle que la notion de poétique caractérise au départ une « science normative », dont les fonde- ments sont récusés par la critique romantique : « La belle epoque de cette discipline est [ge classique ; le romantisme Ia conduite a la déchéance ». Car la critique roman- tique repose sur explication des formes esthétiques par un contexte culturel. Or la poétique se caractérise par le refus de prendre en compte les relativismes culturels, alors que toute la critique romantique, comme la critique comparatiste a ses debuts, n'envisage I'ceuvre que dans ce relativisme. Plus important, la poétique repose sur lidée d'un absolu, consistant, comme le dit a nouveau Jean-Louis Backes, a« érigeren principe universel les particularités d'une littérature ». Ainsi en va-t-il du modele de la tragédie classique, qui se legitime, aux yeux de la critique classique, parTidée d'un Beau universel justement remis en question par la critique romantique. C'est au nom de ce Beau universel que Nodier, en 1814, condamne les analyses dA. W. Schlegel sur la tragédie francaise dans une recension du Cours de littérature draratique publiée dar le Journal de (Empire, La relativité culturelle du Beau, remarque encore Jean-Louis Backés, forme la base de toute critique romantique dans la mesure ott le romantisme est linventeur du comparatisme : « Apparue précisément a 'époque romantique, la littérature comparée se donne d’emblée pour tache de faire apparaitre les differences entre littératures nationales et de critiquer toute tentative de synthése qui ne tiendrait pas compte de ces différences ». Or selon lui, lapparition de la « littérature générale » doit conduire dans une cer- taine mesure a la rehabilitation de la poctique. Elle doit méme permettre une po tique comparée, qui se dresserait contre les simplifications de la critique romantique comparatiste : ‘Ona beau faire, certaine vision trés simple du génie des peuples n’a pas encore disparu, etil arrive trop souvent qu’une monographie comparative se termine par une conclu- sion toute faite, formée dés avant le début de la recherche : les différences observées s’expliquent par des oppositions éternelles entre cultures ; il est naturel, pense-t-on, que ’Amphitryon de Kleist soit plus sérieux, plus développé et un peu plus lourd que ceux de Moligre ou de Giraudoux. Certesla pratique dela « conclusion toute faite »affecte hélasla recherche de toute discipline relevant des sciences humaines, lorsque fait défaut 'honnéteté intellec- tuelle. En revanche, le point de vue de Jean-Louis Backés semble forcer le trait dans sa description de Fapproche comparatiste « romantique », en ramenant la prise en compte d'un contexte culturel a utilisation de cliches, étrangers a toute démarche scientifique. Peut-on en effet faire du stéréotype de la lourdeur germanique, dont se moque deja Lessing dans Mina von Barnheii (1767), un des criteres de la critique comparatiste, y compris sicelle-ci est conduite avec mauvaise foi ou schématisme? Michael Werner, égitimant, au contraire,Tétude des transferts culturels parla prise en compte du lien entre littérature et culture, introduit une nuance en distinguant deux données dans ka littérature : celle qui, par dela les distinctions d'époques ou de cultures, fait delle une activité générale, et celle qui reléve d'un contexte: 158 A La Littérature comparée La liteérature est & la fois une activité culturelle générale commune 4 un ensemble de civilisations humaines ; mais sa place au sein des différentes hiérarchies de valeurs culturelles peut varier d’un systéme a l'autre, de sorte que, pour étre pertinente, une comparaison doit non seulement faire intervenir l'activité littéraire proprement dite, mais aussi le territoire méme de cette activité au sein de la culture, puis, in fine et A une plus grande échelle, le réle de la culture dans le champ social’ Pour éviter, dans un sens ou dans fautre, tout risque de schématisme, lapproche comparatiste doit donc suivre deux voies, en fonction de cette double nature de la littérature : celle qui, rapportée & sa dimension « générale », renvoie a une approche podtique ou esthétique et celle qui, faisant intervenir histoire culturelle, la rapporte & son contexte, Cest ce qui rend possible leglissement de étude d'un transfert culture! vers un point de vue esthétique. Une telle approche comparatiste se trouve, du point de vue de la méthode, aux antipodes de la poetique comparée, toutes deux formant des voies possibles pour un regard comparatiste sur Teeuvre littéraire. Les conditions du transfert et les médiateurs La littérature comparée sintéresse done aux transformations qui accompagnent les passages, et vise un équilibre entre le milieu-source et le milieu-cible afin de pouvoir les mesurer, Mais les causes et les agents des passages, autant que leurs modalites, apportent des éclairages. Les transferts culturels résultent en partie, par exemple, de apport des voyageurs, et la traduction des Mille et une mits par Antoine Galland naurait sans doute pas été possible si le lectorat n’avait été ouvert a.un certain exo- Lisme par les récits de voyage et certains motifs passés dans la littérature. A propos des acteurs de ces transterts, on a longtemps parlé de « précurseurs », avant de revenir sur cette notion qui, d'un point de vue logique, n'a guére plus de validité que celle de « pré-romantisme », par exemple. On peut en effet difficilement aborder une figure ou définir un mouvement en fonction de ce qui n’a pas encore existé, Diautres notions ont pu étre employées, sans doute plus intéressantes, telles qu « intermédiaires » ou « médiateurs ». A propos durdle de Villers dans introduction en France d'une référence allemande, Louis Wittmer, au debut du xx* siecle, recourait déja.a ces notions®. Dans une perspective plus moderne et dans le cadre d/une méthode plus rigoureuse, a propos du transfert culturel de la France vers Allemagne, Michel Espagne et Werner Greiling parlent de « Mittler »* (« intermédiaires », « médiatewrs »).. 1. « La place relative du champ littéraire dans les cultures nationales. Quelques remarques & propos de!'exemple franco-allemand », in : Michel Espagne ec Michael Werner (dir), Philologiques I? Ou'estce quiune littérature nationale? Approches pour une théorie interculturelle du champ littéraire, Paris, Editions de la Maison des Sciences de I’Homme, 1994, p. 15-30 ; citation p. 16. 2. Charles de Villers ~1765-1815.Unintermédiaire entre la France et Allemagne et un précurseur de Mme de Stael, Geneve, Georg et Cie et Paris, Hachette et Cie, 1908 3. Michel Espagne et Werner Greiling (dir.), Frankreichfreunde: Mittler des framzosisch-deutschen Kulturiransfers (1750-1850), Leipziger Universitatsverl, 1996. Cf Michel Espagne, « Die Rolle der Mittler im Kulturtransfer », in: Hans-lurgen Lusebrink et Rolf Reichardt (dir., en collaboration avec Annette Keilhauer et René Rohr), Kulturtransfir im Epochenumbruch Frankreich Deutschland 1770 bis 1815, Leipziger Universitatsverlag, 1997, 2 vol.,t. |, p. 309-329 Passages, échanges Y 159 Dans étude du transfert culturel, la démarche comparatiste s'efforce de développer de tels éclairages. Elle le fait par 'examen des conditions historiques (les émigrations dans les deux sens), du rdle des intermédiaires et de leurs parcours personnels (Humboldt, AN Schlegel, Villers, Mme de Staél, Bonstetten, ou encore Chamisso, par exemple, pour le transfert culturel franco-allemand), mais aussi des formes institutionnelles de ces médiations, Ceux que Michel Grimberg appelle « les siédiateurs directs de la réception » integrent « les traducteurs, préfaciers et éditeurs de traductions! » mais, bien sir, débordent aussi ce cadre. Les formes institutionnelles, pour leur part, sont diverses et peuvent intégrer le role de theatres le Theditre des Variétés étrangeres, fermé en 1808 par Napoléon parce quill ne représentait que des pidces étrangéres, a joué un role important pour la dit- fusion des pices de Shakespeare, de Schiller ou de Goldoni. Le théatre de Weimar, quia permis la traduction et la mise en scéne de piéces classiques francaises, a joue un réle dans l'autre sens. Mais les conditions institutionnelles des transferts peuvent étre de natures trés diverses : le « Cabinet de littérature allemande », crée par Pierre- Louis Moline et Adrien-Chrétien Friedel, ou encore les anthologies, comme celles du ‘Theatre allemand, par Junker et Li¢bault (1772, rééd. 1785), ou du Nouveau Thédtre allemand, par Bonneville et Friedel (1782-85, 12 vol.), les traductions, comme celle de Shakespeare par Letourneur, les innombrables traductions de Schiller, le projet des « Chefs-d'ceuvres des theatres étrangers », lancé par l'éditeur Ladvocat en 1821, ne représentent que quelques exemples. Les revues ont également contribué a faire connaitre les littératures : ainsi par exemple la Bibliotheque germanique, concue sur le modéle de sa devanciere, la Bibliotheque britannique ; mais aussi les Archives littéraires de 'Europe. Les revues représentent une source encore insuffisamment explorée par la recherche, meme si elles sont devenues un objet central pour les études de réception. Sur la période consi- dérée, on dispose en particulier de deux theses sur La Décade philosophique?, ainsi que d'une autre, celle de Jean-lacques Goblot, sur Le Globe. Leur apport est indiscutable. Philippe Regnier, a son tour, étudie les premieres « Revues germaniques? », a partir de 1826, Pour une période plus récente, les prix littéraires jouent également un réle important. Si Pascale Casanova, dans sa République mondiale des lettres, montre que le prix Nobel, attribué frequemment a des auteurs occidentaux, véhicule une certaine norme littéraire qui n’a rien d'absolu, attribution récente du prix a deux ect chinois, Gao Xingjian en 2000 et Mo Yan en 2012, a ouvert le monde occidental a la littérature chinoise et en a permis une importante diffusion. Llexamen du transfert doit bien sars'appuyer sur celui de ses conditions historiques. ‘earmundcatin ins A propos delexemple du transfert culturel entre Allemagne et France au tournant du 1. La Réception de la comédie francaise dans les pays de langue allemande, op. cit, p. 15. 2. Celle de joanna Kitchin, Un fournal philosophique: La Decade (1794-1807), Pari, Lettres Modernes (Minard}, 1966 ; ec celle de Mare Regaldo, Un Mifew ntllectuel : a Décade philosophique (1794-1807). “These présentée devant l'Université de Paris IV le 24 janvier 1976, Atelier de reproduction des theses, Université de Lille 3, Paris, Honoré Champion, 1976, 5 vol. 3. « Une germanistique pré-universitaire: les premieres “Revues germaniques” (1826-1865) », in: Michel Espagne et Michael Werner, Les Etudes germaniques en France (1900-1970) », Paris, CNRS Editions, 1994, p. 63-86 ‘Armand Colin ~ Tout eproduction non nto est nd,

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