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-< Chezelle

en 1981.

( m DAVlO MONTGOMERY/GETTY IMAGES L'OBS/N'2884-13/02/2020 69


ette fois, la boite agifles estrefennée. Pour
toujours. Claire Bretécher, la créatrice des
« Frustrés » et d'« Agrippine », est morte
le mardi 11février, a l'heure ou nous bou-
clions ce numéro. Pendant quatre décen-
nies, elle avait été « la » dessinatrice du
« Nouvel Observ ateur ». Dans cet univers
de plumes, c'étaitnotre crayon. Un crayon
sauvage, rapide , d'une effrayante effica-
cité, qui tenait presque du croquis, mais
dont le « jeté » campait en quelques traits les humeurs les plus
belliqueuses et les hypocrisies les plus soumoises. De 1973 jusqu'a
la fin des années 2000, sa cruauté hilaran te était devenue l'assai-
sonnement indispensable de notre menu hebdomadaire.
Claire Bretécher estmorte et cela va faire bizarrea tous ceux qui
ont été des lecteurs de BD dans les années 1970. Car, parnriles révo-
lutions qui se superposerent alors, celle qui transforma les« petits
Mickey » en art majeur fut l'une des plus accomplies, et Claire
Bretécher en fut l'une des icones. Comme les autres, elle avait com-
mencé au début des années 1960 en faisant des illustrations pour
enfants dans la presse catholique. Puis elle avait intégré « Pilote »,
fondé par Goscinny , avant de se lancer avec Gotlib et Mandryka
dans !'aventure (que l'on qualifierait aujourd'hui de disruptive) de
« l'Echo des savanes ». Mais, en 1973, elle prend une voie inédite :
ala demande de Claude Perdriel et de Jean Daniel, elle commence
apublieruneplancheparsemainedans«leNouvelObservateur».
Ce sera« les Frustrés », chronique sociale etpremiere BD « adulte »
a obtenir son rond de serviette dans un joumal « sérieux ».
Bretécher n'était pas seulement la premiere femme a se faire un
nom dans le monde de la BD. Elle excellait surtout dans l'art de
saisir l'air du temps. Elle attrapait un tic de langage, un geste, et
l'épinglait sur sa table a dessin, comme un entomologiste, sans la
moindre pitié. Successivement elle a crucifié les gauchistes de
salon, les pubards dépressifs, les intellos vautrés, les branchés snobs
(qui n'étaient pas encore les bobos), les adolescents mal élevés, les
meres en panique, les peres fuy a nts... Apres« les Frustrés », il y eut
« la Vie passionnée de Thérese d½.vila », « les Meres », « Agrip-
pine », et bon nombre d'illustrations pour nos dossiers de une.
Claire n'étaitpas tres causante: elle apportaitson dessin a larédac-
tion, déjeunait parfois avec Jean DanieL mais n'assistait pas a la
conférence de rédaction : «Pour quoifaire ?» Elle n'aimait pas la
politique, meme st mariée au constitutionnaliste GuyCarcassonne ,
elle était bien obligée d'en fréquenter quelques représentants...
Bien sur,ce regard vachard étaitune fac; on de contenir le déses-
poir. Ses personnages (beaucoup plus de femmes que d'hommes)
étaient souvent en colere, méchants, teig n eux, s'étripant mutuel-
lement Elle disait que son pere était «un sale con», avant d'ajou-
ter : « Parler de mes parents m'emmerde. » Le désespoir a fini par
avoir le dessus quand Guy est mort, en 2013. En 2015, a l'occasion
d'une exposition sur son reuvre a Beaubourg (et notamment ses
toiles, tres fortes), elle nous avait ouvert son appartement lumi-
neux, au sommetd'un parking a Montmartre. Sur la table a encrer,
il y avait le carnet de notes du dernier « Agrippine », une paire de
lun ettes et des crayons, plumes, feutres, gommes, dont elle ne se
servait plus. Le temps s'était arreté.
Claire est partie, mais ses vacheries ont de quoi produire lo n g -
temps leur effet miroir. Faites l'expérience. Ressortez l'un de ses
albums, ouvrez-le a n'importe quelle page. Ces personnages qui
pérorent et gesticulent pour se donner l'impression d'etre libres,
vous ne trouvez pas que c'est nous? ÉRICAESCHIMANN
PORTFDLID

--< Autoportrait
dans « les Frustrés ».

L'OBS/N ° 2884·13/02/2020 en
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DARGAUD (tXTRAIT DES• FRUSTRts •l L'OBS/N"2884-13/02/2020 63


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