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L'école à la lumière de la psychologie sociale

Article  in  Carrefours de l'Education · September 2006


DOI: 10.3917/cdle.022.0111

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Jennifer Kerzil Olivier Codou


Catholic University of the West Université de Rouen
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L'ÉCOLE À LA LUMIÈRE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE
Première partie : stéréotypes et relations intergroupes
Jennifer Kerzil et Olivier Codou

Université de Picardie | Carrefours de l'éducation

2006/2 - n° 22
pages 111 à 135

ISSN 1262-3490
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http://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2006-2-page-111.htm
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Pour citer cet article :


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Kerzil Jennifer et Codou Olivier , « L'école à la lumière de la psychologie sociale » Première partie : stéréotypes et
relations intergroupes,
Carrefours de l'éducation, 2006/2 n° 22, p. 111-135. DOI : 10.3917/cdle.022.0111
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L’école à la lumière
■ Note de synthèse

de la psychologie sociale
Première partie : stéréotypes
et relations intergroupes

▲ Jennifer Kerzil * et Olivier Codou **


* université de Bourgogne ** université de Nice
jenniferkerzil@yahoo.fr
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olivier.CODOU@unice.fr

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e sujet dont nous allons traiter ici demande un certain nom-

L
bre de précautions linguistiques liées à la déontologie. Dans
un souci de clarté, nous souhaitons préciser plusieurs points
de vocabulaire, étant entendu que ce choix relève d’un parti
pris contestable et assumé par les auteurs. Depuis plusieurs
années, un courant de recherche en psychologie intercul-
turelle aborde les questions liées aux différences culturelles
par le biais de ce que certains chercheurs appellent l’« eth-
nicité ». Ainsi, les cas d’insultes raciales dans les lycées sont-ils, par exem-
ple, imputés aux différences « ethniques » supposées entre élèves. Notre
réflexion ne s’inscrit pas dans ce champ et nous refusons de plaquer une
prétendue appartenance « ethnique » sur des enfants et des jeunes nés en
France, sous le prétexte que leurs parents, voire leurs grands-parents, ont
immigré il y a de cela plusieurs décennies. C’est pourquoi nous avons décidé
d’employer les termes «traits ethnicisés» que nous définissons comme des traits
identitaires auxquels l’observateur extérieur attribue un sens « ethnique ». Il
peut s’agir, par exemple, de caractéristiques physiques (couleur de peau, traits
du visage, cheveux, etc.), de la langue parlée (accent, langue maternelle, etc.),
ou encore de signes extérieurs d’appartenance religieuse (foulard, kippa, etc.).
Rappelons que l’ethnicité est «un aspect des relations sociales entre des acteurs
sociaux qui se considèrent et qui sont considérés par les autres comme étant
culturellement distincts des membres d’autres groupes avec lesquels ils ont
un minimum d’interactions régulières » (Martiniello, 1995, p. 18 et 19). Pour
notre part, nous considérons que la situation décrite dans cette définition ne
correspond pas à la réalité des relations entre élèves à l’école en France.
Concernant la description des études antérieures, et notamment anglo-saxon-
nes, nous avons choisi de conserver la terminologie utilisée initialement par
les auteurs afin de mieux rendre compte de l’évolution de la recherche dans le

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


112 Note de synthèse

domaine qui nous préoccupe. Aussi nous n’avons pas souhaité substituer le mot
« race » par un autre lorsqu’il a été utilisé dans le texte original. Toutefois, nous
tenons à réaffirmer que le mot « race » est inapproprié pour décrire des êtres
humains. De même, lorsque les auteurs ne précisent pas ce qu’ils entendent par
« groupe ethnique », nous avons dû conserver cette terminologie.

L’école est un lieu d’observation privilégié pour l’étude des stéréotypes, de leurs
développements et de leurs répercussions, aussi bien dans les relations sociales
entre enfants que sur leurs apprentissages. Les relations sociales sont le théâtre
de deux types de rapports : les relations groupales, qui mettent en jeu les carac-
téristiques des groupes auxquels appartiennent les personnes en présence, et les
relations interpersonnelles, qui concernent les individus et leurs caractéristiques
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personnelles (Tajfel & Turner, 1986). Les relations intergroupes sont caractéri-
sées par le fait que les personnes qui interagissent sont identifiées par les acteurs
présents comme appartenant à des groupes différents. Ainsi, la problématique du
traitement de l’altérité par les enfants varie selon que l’on s’intéresse aux relations
intergroupes ou aux relations interpersonnelles. Les relations intergroupes mettent
en jeu les stéréotypes, les discriminations, les préjugés, c’est-à-dire les idées véhi-
culées par le groupe. Les relations interpersonnelles interrogent le rapport à
l’autre dans ce qui le définit comme un individu unique, avec sa propre identité,
irréductible à son appartenance à un groupe. Les questions liées à la diversité et
au rapport à la différence doivent être appréhendées différemment selon que l’on
considère les relations entre individus ou entre groupes. De nombreuses recher-
ches ont été menées jusqu’ici sur la différence et se sont intéressées aux relations
intergroupes : l’objet de la première partie de cet article est d’en faire un bilan.
Par ailleurs, lorsqu’une personne se sait membre d’un groupe discriminé et
qu’elle a conscience des stéréotypes véhiculés à l’égard de ce groupe, tout échec dans
le domaine concerné par ces stéréotypes sera potentiellement interprétable comme
une confirmation du stéréotype : la cause de l’échec sera imputable à l’apparte-
nance au groupe stigmatisé. La peur de confirmer un stéréotype attribué à leur
groupe peut amener les individus à commettre plus d’erreurs qu’ils n’en auraient
commis si leur potentiel avait pu s’exprimer dans sa globalité. Autrement dit, plus
on essaie d’infirmer le stéréotype, plus on risque de le confirmer. Ce phénomène,
que Steele & Aronson (1995) ont nommé « menace du stéréotype », fera l’objet de
la seconde partie de cet article. Celle-ci visera à éclairer la notion de stéréotype
dans le cadre de l’école.

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 113

Relations intergroupes à l’école


Les attitudes raciales et les préférences ethniques

Les attitudes raciales englobent les stéréotypes, les préjugés et les discriminations.
Les stéréotypes peuvent être définis comme des raccourcis cognitifs relativement
rigides que partagent des individus appartenant à un groupe au sujet des mem-
bres d’autres groupes et de leur propre groupe (Leyens, 1983). Le préjugé est une
attitude consistant à porter un jugement anticipé, positif ou négatif, sur une per-
sonne. En tant qu’attitude, le préjugé est une disposition interne durable qui
génère des réponses favorables ou défavorables de la part d’un individu envers
un objet ou une classe d’objets du monde social. Les préjugés raciaux sont géné-
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ralement définis comme une prédisposition à répondre défavorablement aux mem-
bres d’un groupe racial donné. Les discriminations peuvent être des conséquen-
ces des préjugés et stéréotypes. Elles se manifestent par l’adoption d’attitudes
différenciées envers des individus du seul fait de leur appartenance à un groupe.
Aux Etats-Unis, un courant d’étude sur les attitudes raciales des enfants s’est
développé dès la fin des années trente. K. et M. Clark (1939) se sont penchés sur
les conséquences de la situation infériorisée et discriminée des groupes minoritaires
et sur la personnalité des enfants de ces groupes. Ils se sont intéressés plus parti-
culièrement au développement de la conscience de soi et de son appartenance
raciale, définie comme la conscience d’appartenir à un groupe spécifique diffé-
rencié des autres par des caractéristiques physiques évidentes. Dans le contexte
actuel, les termes d’« appartenance ethnique » sont le plus souvent substitués aux
termes d’« appartenance raciale », ajoutant une dimension culturelle à cette défi-
nition. La procédure expérimentale mise en place par K. et M. Clark était basée sur
trois séries de quatre photographies présentées successivement aux enfants. La
première série comprenait un garçon blanc, un garçon noir, un lion et un chien ;
la deuxième, un garçon blanc, deux garçons noirs et un clown et la troisième deux
garçons blancs, un garçon noir et une poule. L’expérience concernait 150 enfants
de genre différents, de couleur de peau noire, âgés de trois, quatre et cinq ans et
scolarisés dans des écoles maternelles accueillant uniquement des enfants noirs.
Pour chaque série présentée, l’expérimentateur demandait à l’enfant : « Montre-
moi lequel est toi ? Lequel est [nom du sujet] ? ». Cette étude a permis de découvrir
que la conscience de son appartenance raciale commence très tôt, dès l’âge de
trois ou quatre ans, chez les enfants noirs. À partir de ce constat, l’appartenance
à un groupe a été traitée comme une dimension forte de l’identité. Elle a été étu-
diée comme permettant de mesurer les effets de la mise en présence de groupes
dominants et de groupes dominés sur les membres de ces groupes. Suite aux tra-
vaux de K. et M. Clark, de nombreuses études ont été menées sur les préférences
raciales des enfants noirs.
À travers une revue très détaillée de la littérature scientifique, Banks (1976) a tenté

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de mettre au jour la véracité des observations prétendant que les sujets noirs mon-
traient des préférences pour les Blancs dans les tests projectifs. Au final, il a trouvé
soixante-neuf pour cent d’études ne montrant aucune préférence, vingt-cinq pour
cent montrant une préférence pour les Noirs et six pour cent montrant une pré-
férence pour les Blancs chez les sujets Noirs. A minima, cela nuance l’idée selon
laquelle les enfants noirs préféraient les Bancs. Cela ne veut pas dire non plus
qu’ils préfèrent les Noirs, cela nous amène à envisager l’hypothèse sur la perti-
nence de ce trait chez les jeunes enfants.
A. Clark, Hocevar et Dembo (1980) se sont intéressés à la compréhension de l’ori-
gine des races chez les enfants et à l’aspect développemental relatif aux préféren-
ces raciales. Leur objectif principal était d’éclairer les prérequis cognitifs qui condi-
tionnent, chez les enfants, la compréhension des origines de la couleur de peau.
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Pour cela, ils ont mené une étude sur 72 enfants californiens blancs âgés de deux
ans et demi à dix ans et demi. Afin de cerner le stade de développement des
enfants, quatre tests leur ont été proposés : des épreuves de conservation (Piaget,
1929), un questionnaire sur l’origine de la nuit (Laurendeau & Pinard, 1962), un
test de compréhension de la stabilité de l’identité (construit à partir de photos
montrant une famille sur plusieurs années, Lemke, 1971) et un questionnaire sur
la compréhension de la couleur de peau (A. Clark, 1980). Enfin, une épreuve pro-
jective était proposée aux sujets (PRAM II – Preschool Racial Attitude Measure II de
Williams, Best, Boswell, Mattson & Graves, 1975). Elle permettait de mesurer les
attitudes raciales des jeunes enfants à partir de photographies présentant des per-
sonnes blanches et des personnes noires. Les résultats montrent que la compré-
hension par l’enfant de son origine et la perception de la couleur de peau suivent
une hiérarchie développementale. Elles nécessitent l’acquisition de certaines capa-
cités cognitives comme, par exemple, la causalité et le principe de conservation qui
vont être utilisés par l’enfant pour construire son identité sociale et catégoriser le
monde environnant. Outre l’aspect évolutif de la compréhension de l’ethnicité,
l’étude menée par A. Clark et al. montre l’influence de la désirabilité sociale sur les
réponses des enfants les plus âgés de l’échantillon (10,5 ans) et qui n’apparaît pas
chez les plus jeunes (2,5 ans). Les plus âgés répondent en conformité avec ce
qu’ils pensent être moralement et socialement correct. Cette étude montre qu’un
enfant soucieux de répondre conformément à la désirabilité sociale a acquis la
conception cognitive de la couleur de peau et l’impact social de celle-ci.
En France, Lemaine, Ben Brika et Bonnet (1988) ont souhaité vérifier les résul-
tats obtenus précédemment par des chercheurs comme K. et M. Clark et mettre
en évidence les mécanismes à l’œuvre dans la conscience des différences eth-
niques, les préférences ethniques et la reconnaissance de soi. À cette fin, ils ont uti-
lisé un matériel de type projectif composé de dessins. Les dessins utilisés étaient
calibrés pour les critères de taille et d’expression faciale et variaient sur sept fac-
teurs de différenciation (couleur de peau, texture et couleur des cheveux, forme
et couleur des yeux, forme du nez et des lèvres). Au total, cela représentait vingt

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L’école à la lumière de la psychologie sociale 115

modalités, soit 960 combinaisons possibles sur lesquelles quinze dessins mascu-
lins et leurs équivalents féminins ont été retenus pour leur ressemblance avec les
sujets de l’expérience. Les auteurs ont ainsi pu analyser la distance sujet-stimulus.
Les épreuves projectives ont été passées par 317 enfants âgés de cinq ans et demi
à dix ans et demi. En demandant à l’enfant quel dessin lui ressemble le plus, les
chercheurs mettent en évidence la reconnaissance de soi. La préférence esthétique
puis la préférence d’un partenaire pour le jeu sont ensuite mesurées en demandant
au sujet de choisir le plus beau dessin et celui représentant un enfant avec lequel
il aimerait bien jouer. Les résultats attestent de l’existence d’une relation entre le
développement des compétences en matière de catégorisation sociale et la per-
ception de l’identité ethnique. Avant sept ans, le rejet esthétique est souvent motivé
par la couleur de peau. Les enfants commencent à s’intéresser à des critères esthé-
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tiques globaux plus tardivement. Le choix d’un camarade de jeu semble influencé
par les qualités personnelles et non par les caractéristiques physiques de ce der-
nier et « les critères changent avec l’âge, se référant manifestement aux contextes
de vie réelle des enfants » (p. 222). Il semble donc intéressant d’étudier les choix
amicaux en contexte réel et non pas à l’aide d’épreuves projectives. Les critères
esthétiques dominants dans le pays concerné (ici, la France) semblent transpa-
raître dans les réponses des enfants puisque « sauf pour le jeu, les traits négroïdes
et la peau très foncée sont dévalorisés par tous les enfants » (p. 222). Les auteurs
précisent que, si « le rejet esthétique est souvent justifié par la couleur de peau »
(p. 221), à partir de sept ans le rejet esthétique commence à être plutôt fondé sur
les cheveux et les traits du visage.
Les travaux sur les attitudes raciales chez les enfants sont nombreux et Bennett,
Dewberry et Yeeles (1991) en ont dressé un inventaire. Leur analyse met en avant
le fait que, dans la plupart des études de ce domaine, les auteurs confondent
acceptation d’un groupe et rejet d’un autre car ils emploient la technique du «choix
forcé ». Cela consiste à demander à l’enfant de choisir, dans la liste de noms des
enfants de la classe, celui qu’il considère comme son ami. Une autre faiblesse de
ces études est le présupposé selon lequel la catégorisation serait un signe du déve-
loppement de préjugés. Pourtant, rien ne permet de dire que la catégorisation sur
le critère de la couleur de peau de personnages photographiés (ou autres stimuli
tels que poupées et dessins) soit le reflet d’une focalisation des sujets sur la « race ».
En effet, lors de tâches de catégorisation d’objets, la couleur des stimuli est égale-
ment un critère de classement largement utilisé. Bennett et al. ont renouvelé ce
paradigme expérimental de type projectif afin de mettre en évidence le type de
catégorisation sociale utilisé préférentiellement par les enfants. Ils ont demandé à
des enfants âgés de huit et onze ans de faire des tas avec seize photographies repré-
sentant des garçons et filles de différentes couleurs de peau et arborant une expres-
sion faciale de joie ou de colère. La consigne précisait qu’il était possible de ran-
ger les photographies en autant ou aussi peu de groupes qu’il plaisait à l’enfant et
qu’il n’était pas nécessaire que ces groupes soient de taille identique. Au moyen de

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116 Note de synthèse

ces stimuli projectifs non standardisés, les expérimentateurs permettaient aux


enfants de baser leurs jugements sur des caractéristiques individuelles (expres-
sions faciales) ou sur des caractéristiques de groupe (ethnicité et genre). Les résul-
tats de la première expérience, réalisée sur un groupe de 60 enfants blancs de la
banlieue de Hampshire en Angleterre, montrent que les enfants utilisent peu le cri-
tère « couleur de peau » pour catégoriser les stimuli et qu’ils s’attachent davantage
aux critères individuels (comme l’expression du visage) qu’aux critères de groupe
pour exprimer leur préférence. Le jugement préférentiel des enfants s’exprime par
des impressions faisant référence aux théories implicites de la personnalité de l’au-
tre (« il a l’air gentil »). La deuxième expérience a été réalisée sur un groupe de 38
enfants blancs et 22 enfants de noirs résidant à Londres. Les résultats mettent en
évidence une préférence pour les photographies représentant des Blancs mais en
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aucun cas un rejet de celles représentant des Noirs, puisque soixante pour cent des
sujets choisissent à la fois des photographies de personnes blanches et de per-
sonnes noires lorsqu’on leur demande lesquelles ils trouvent « jolies ». Concernant
la catégorisation des items, les enfants, à partir de l’âge de sept ou huit ans, sem-
blent utiliser les différences psychologiques (expression du visage) plus volon-
tiers que les différences ethniques (couleur de peau). Un biais méthodologique
serait à l’origine des conclusions admettant les traits ethnicisés comme critères
déterminants dans la catégorisation d’autrui. Toutefois, les auteurs émettent une
réserve intéressante concernant leurs résultats. En effet, la deuxième étude a été réali-
sée dans une école où les enfants de groupes minoritaires constituent quarante
pour cent de la population scolaire. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer
que ces enfants se sentent réellement minoritaires et même qu’ils soient considé-
rés comme minoritaires par les autres. Par ailleurs, Bennett et al. insistent sur l’im-
portance de l’environnement socioculturel dans lequel évoluent les enfants : s’ils
ne sont pas confrontés à la catégorisation selon des critères ethniques dans leur quo-
tidien, ils ne la reproduiront pas.
Un colloque de l’Unicef (1986), ayant pour thème « l’étranger vu par l’enfant »,
présentait les résultats d’une recherche menée dans quarante pays d’Asie, d’Afrique,
d’Amérique Latine et d’Europe, auprès d’enfants scolarisés, âgés de sept à qua-
torze ans. La procédure expérimentale reposait sur la réalisation par les enfants du
dessin d’un « étranger » complété par leurs réponses à un questionnaire. Cette
étude internationale montre que les enfants définissent fréquemment l’autre comme
« ce qui n’est pas moi » et, en général, nulle trace de rejet n’apparaît. Pour l’en-
fant, l’étranger est caractérisé d’abord par sa langue ou son accent. Dès dix ou
douze ans, l’image de l’étranger perçue par les adolescents ne diffère plus fonda-
mentalement de celle perçue par des adultes dans un même environnement phy-
sique et culturel. C’est à cet âge qu’apparaît un recours majoritaire à des inféren-
ces de type social et économique. Nous pouvons voir là l’influence de
l’environnement (famille, éducation, contexte sociopolitique) sur la perception
de l’autre comme le soulignaient A. Clark et al. (1980) au sujet des réponses allant

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L’école à la lumière de la psychologie sociale 117

dans le sens d’une désirabilité sociale. Les enfants interrogés ont principalement
dessiné un étranger adulte, décrit comme quelqu’un qui vient d’ailleurs, qu’il soit
de passage (touriste) ou résidant (immigré). Si l’image de l’étranger évolue avec l’âge,
des différences liées au genre des répondants apparaissent également : les filles
semblent plus sensibles aux besoins des individus, à leur façon de vivre et de s’or-
ganiser humainement. En outre, cette recherche met en évidence l’influence de
la littérature de jeunesse, de la télévision, des médias ou encore du territoire d’ori-
gine du sujet sur l’image qu’il se fait d’un étranger : il y a une grande cohésion des
réponses intragroupes (entre enfants du même âge et de même culture) et de gran-
des disparités intergroupes. Elle démontre ainsi que les résultats de ce type d’étude
sont à manipuler avec beaucoup de précautions, le contexte géographique et his-
torique les influençant fortement.
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Les différentes études menées sur les attitudes raciales des enfants montrent
que celles-ci suivent une hiérarchie développementale : avec l’avancée en âge, les
critères de catégorisation deviennent plus fins. De plus, s’ils ont le choix, les enfants
délaissent les catégorisations fondées sur des caractéristiques physiques au profit
de caractéristiques psychologiques. Enfin, les modes de catégorisation utilisés par
les enfants sont le reflet de leur environnement socioculturel : par exemple, un
enfant grandissant dans un environnement où le niveau économique est un critère
de classement social (les riches versus les pauvres) reproduira cette classification.
De la même manière, un enfant dont les parents valorisent la réussite aura tendance
à catégoriser ses camarades en isolant les bons élèves valorisés par les valeurs fami-
liales, des autres, les mauvais. Il est donc important de se garder de tout a priori
concernant la catégorisation, les attitudes raciales ou encore les discriminations
chez les enfants. Il semble intéressant d’élargir la problématique plutôt que de se
focaliser sur la seule couleur de peau, au risque de passer à côté du véritable pro-
blème. De plus, aussi intéressantes et utiles que soient les conclusions tirées de ces
recherches, elles ne peuvent s’appliquer directement au contexte français actuel,
bien que certains constats semblent suffisamment larges et convaincants pour être
tenus pour vrais également en ce qui concerne les enfants des écoles primaires en
France. Ainsi, nous pouvons retenir que le fait d’être en contact avec un grand
nombre d’enfants issus de minorités ne modifie pas les préjugés à l’encontre des
groupes minoritaires. Les préjugés sont le produit de l’environnement (famille,
enseignants, médias) : sans une modification de l’influence de l’environnement,
nous ne pouvons pas espérer les transformer. Par exemple, un climat familial favo-
rable à la diversité sera plus bénéfique que le contact répété avec un ami différent
puisque cet ami est perçu comme un être singulier et non pas comme un mem-
bre représentatif de son groupe.
Des études de type ethnographique, comme celle menée dans une école pri-
maire de la région parisienne par Xavier De Brito et Vasquez (1994), se sont éga-
lement penchées sur la question des attitudes raciales chez les enfants. Ces auteurs
ont observé des enfants dans la cour d’école et en classe et ils ont associé leurs

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118 Note de synthèse

observations au passage d’un sociogramme. D’après les résultats, l’interaction quo-


tidienne entre enfants culturellement différents au sein d’une classe ferait naître des
images de l’étranger très éloignées des stéréotypes habituellement véhiculés par
l’actualité : elles s’avéreraient influencées par la personnalité de chaque enfant, les
relations entre pairs et les valeurs véhiculées par l’enseignant. L’image de l’étran-
ger serait alors présente positivement dans l’imaginaire des enfants et elle entraî-
nerait même parfois l’imitation. Dans ces circonstances, les enfants pourraient
avoir un attrait pour l’exotisme, une curiosité pour l’autre, détenteur de richesses
méconnues. Par exemple, les enfants pourraient se montrer désireux de passer
leurs vacances à l’étranger, comme le fait le camarade qui part visiter sa famille. Parler
une autre langue serait aussi valorisé et ne susciterait pas le rejet. Le choix des
camarades obéirait à d’autres critères que celui de l’appartenance nationale, ce qui
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est rassurant étant donné le rôle fondamental joué par le groupe de pairs dans le
processus de socialisation. Cependant, cette étude a été réalisée dans une seule
école, les résultats sont donc difficilement généralisables. Par ailleurs, les enfants
scolarisés dans cette école ne peuvent pas être considérés comme étrangers les
uns aux autres puisqu’ils se côtoient au quotidien. Néanmoins, cette étude mon-
tre, comme le soulignaient Lemaine, Santolini, Bonnet et Ben Brika. (1985), que
lorsqu’il s’agit de choisir un camarade pour le jeu, les différences en termes de
traits ethnicisés n’ont plus d’influence sur le choix. Ces auteurs précisent qu’il
« reste à étudier de manière plus approfondie comment les enfants manipulent
des critères et les pondèrent pour composer le(s) type(s) acceptable(s) » (p. 147).
Une étude menée par Kerzil et Gonin (2005) tente de répondre à cette question.
Les auteurs proposent à des enfants, scolarisés en classe de CM2 en France, de
dire s’ils seraient contents de l’arrivée dans leur classe d’un nouvel élève dont les
caractéristiques physiques, d’origine, de langue et de religion varient. Les résultats
montrent que ni la couleur de peau ni la religion n’ont d’influence sur les répon-
ses des enfants. Par contre, un élève présenté comme étant né en France entraîne
des réponses plus positives que les élèves nés ailleurs. En outre, un élève qui parle
français engendre un degré de satisfaction élevé, tandis qu’un élève que l’on ne
comprend pas engendre un degré de satisfaction faible. Enfin, l’étude montre des
différences de réponse entre garçons et filles : le plus fort degré de satisfaction est
provoqué par l’arrivée d’un camarade à la peau noire chez les sujets de sexe mas-
culin et par l’arrivée d’un camarade présentant une altérité minimale chez les sujets
de sexe. Le même protocole (résultats non publiés), faisant varier cette fois le
niveau économique des parents, l’habillement et l’alimentation en plus des traits
ethnicisés déjà cités, a de nouveau montré que les enfants ne se basent pas sur la
couleur de peau et la religion pour émettre un avis sur leur nouveau camarade. Par
contre, le fait qu’il vienne d’une famille riche ou qu’il ne mange pas comme eux
entraîne un degré de satisfaction moindre. Chez les filles, l’habillement est égale-
ment un critère de moindre acceptation dès lors que cela signifie une différencia-
tion avec le groupe majoritaire (habillement typique). Ces deux études montrent

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 119

l’intérêt qu’il peut y avoir à rechercher les critères de jugement provoquant un


rejet de l’autre ailleurs que dans les traits ethnicisés habituellement mis en exer-
gue dans les recherches en psychologie sociale du développement.
Il semble donc particulièrement important d’éclairer les critères de différencia-
tion sur lesquels se fondent les attitudes de rejet de l’Autre. Pour cela, une facette
primordiale de la problématique des relations intergroupes est à prendre en compte:
celle de la catégorisation et de son aspect développemental.

Intragroupe et intergroupe, questions de catégorisation

La catégorisation est un concept clé en psychologie sociale mis en évidence par


Tajfel (1978). Il s’agit d’un processus cognitif de simplification de l’environne-
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ment conduisant notamment à minimaliser les différences intragroupes et à accen-
tuer les différences intergroupes. Ce processus correspond à une division artificielle
du monde en « eux » et « nous ». Il aboutit souvent à ce qu’il est convenu d’appe-
ler un biais pro endogroupe ou biais de positivité envers l’endogroupe et à un
biais de négativité vis-à-vis du ou des autres groupes (exogroupe). Qu’en est-il de
son développement chez les enfants ?
D’après Martin et Halverson (rapporté par Doyle, Beaudet & Aboud, 1988), le
biais de positivité envers l’endogroupe interviendrait dès que les sujets sont capa-
bles de faire la distinction entre l’endogroupe et l’exogroupe et aurait pour objec-
tif le rehaussement de l’estime de soi. Au stade pré opératoire, soit de deux à sept
ans, les enfants décrivent les autres sur la base d’attributs externes comme l’appa-
rence physique et les activités plutôt qu’en fonction de traits internes de person-
nalité. Les différences ethnicisées, basées sur des différences physiques ou lin-
guistiques directement perceptibles, sont donc particulièrement saillantes pour
les jeunes enfants. Au stade opératoire, qui commence vers l’âge de sept ans, les
enfants sont capables de classifications multicritères et commencent à concevoir
que des personnes appartenant à des groupes ethnicisés différents puissent se res-
sembler sur d’autres caractéristiques, par exemple des préférences pour les jeux.
À ce stade, les enfants focalisent sur des traits psychologiques et de personnalité
et non plus sur des traits physiques. Comparant les attitudes « ethniques » d’en-
fants âgés de six à quatorze ans, Lambert et Klineberg (1967, rapporté par Doyle
& al.) ont trouvé que les groupes «ethniques» étaient perçus, avec l’avancée en âge,
comme de plus en plus similaires au groupe d’appartenance de l’enfant et qu’ils
étaient jugés de moins en moins négativement. Doyle et al. (1988) ont étudié
l’aspect développemental des attitudes ethniques chez des enfants issus de deux
groupes ethniques définis par une langue et un passé culturel : les Canadiens fran-
çais et les Canadiens anglais. Cette étude a un objet original puisque, pour une fois,
il ne s’agit pas d’étudier des différences « raciales ». Les chercheurs ont évalué les
préjugés concernant l’autre groupe et la tendance à attribuer des traits identiques
aux enfants de son propre groupe et de l’autre groupe, en lien avec la maîtrise de

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


120 Note de synthèse

la conservation des quantités et la désirabilité sociale. À cette fin, 232 enfants âgés
de cinq à douze ans ont passé différents tests. L’attribution évaluative était étu-
diée au moyen d’un protocole similaire au Sex Role Learning Inventory (Edelbrock
& Sugawara, 1978). Il s’agissait pour l’enfant d’attribuer des traits positifs et néga-
tifs à des items correspondant, soit à un enfant parlant français, soit à un enfant
parlant anglais. La désirabilité sociale était évaluée en demandant à l’enfant de
recommencer l’exercice précédent, mais en faisant comme l’examinateur l’aurait fait.
Les chercheurs ont également mesuré, au moyen d’un test de conservation, si les
enfants avaient atteint le stade des opérations concrètes. Enfin, la conscience du
caractère immuable de l’appartenance « ethnique » était mesurée grâce à l’Ethnic
Constant Task (Aboud, 1984), qui consiste à présenter au sujet des photographies
d’enfants appartenant à différents groupes « ethniques » et habillés comme les
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membres d’un autre groupe « ethnique ». Avec l’avancée en âge, les auteurs
observent une baisse des attributions positives envers son propre groupe et une
baisse simultanée des attributions négatives envers les autres groupes. Ce phéno-
mène pourrait s’expliquer par l’augmentation de la perception des similitudes
intergroupes. Ces patterns développementaux semblent liés, non pas à la désira-
bilité sociale, mais à des facteurs cognitifs.
Aux Pays-Bas, Verkuyten, Masson et Elfers (1995) se sont intéressés à l’emploi
de traits raciaux par des enfants dans la catégorisation et l’évaluation de photos repré-
sentant des personnes. Le matériel expérimental était composé de huit photogra-
phies représentant des élèves d’écoles primaires, âgés de dix à douze ans. Les per-
sonnages photographiés variaient par le sexe, l’expression du visage (souriant,
neutre) et la couleur de peau. Les auteurs précisent que les photographies compre-
naient « quatre enfants blancs et quatre enfants de couleur originaires de l’an-
cienne colonie néerlandaise du Surinam » 1, ce qui n’est pas sans poser de pro-
blème d’interprétation puisque la population du Surinam est composée de
nombreux groupes ethnicisés parmi lesquels on compte des Indiens, des Créoles
ou encore des Javanais. Les 272 enfants participant à cette recherche étaient âgés
de dix à douze ans, scolarisés dans des écoles primaires à Rotterdam (Pays-Bas) et
se considéraient soit comme néerlandais, soit comme appartenant à une minorité
ethnique. La tâche demandée comprenait la catégorisation des photographies (d’a-
bord en un nombre de groupes laissé au choix de l’enfant puis en deux groupes)
et leur classement selon l’ordre de préférence pour une activité ludique puis pour
travailler. La dernière épreuve consistait à ordonner les items de manière à dési-
gner les personnages photographiés qui étaient les moins susceptibles d’avoir volé
une bille. D’après les résultats, bien que la « race » et l’ethnicité soient utilisées
pour décrire des différences ou des similitudes entre camarades de classe, les traits
et caractéristiques personnelles prédominent lorsqu’il s’agit de choisir un camarade
de jeu. Parler de « race » n’est pas socialement acceptable, les chercheurs font donc
1. «four white children and four coloured children originally from the former Dutch colony of Surinam»
(p. 643) traduit par l’auteur.

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 121

l’hypothèse que la conformité aux conventions sociales influence les enfants dans
leur décision de ne pas mentionner la « race » comme critère de choix. L’étude de
Verkuyten et al. montre que les enfants utilisent de nombreux traits et une pro-
cédure compliquée pour catégoriser des items. La catégorisation qu’ils opèrent
n’est pas le résultat d’une focalisation sur les seuls critères de « race » ou d’« eth-
nie ». Lorsque l’on demande aux enfants de choisir avec qui ils préfèrent jouer ou
travailler en classe, le critère du genre prime sur celui de la « race ». Pour le choix
de compagnons de jeux ou de travail, la couleur de peau n’apparaît absolument
pas comme un critère à prendre en compte. De plus, face à une tâche de catégo-
risation concernant un comportement jugé négativement (ici, le vol d’une bille),
les enfants s’appuient essentiellement sur l’expression du visage, censée refléter
la personnalité du sujet. Là encore, la couleur de peau n’est pas utilisée pour caté-
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goriser les individus. Cette étude apporte des informations qui vont dans le sens
d’une absence de préjugés raciaux chez les enfants aux Pays-Bas. Les auteurs en
concluent que l’utilisation de la « race » pour catégoriser les personnes ne semble
pas pertinente chez les enfants.
Pour aller plus loin dans l’analyse de la perception de l’autre par l’enfant,
Verkuyten et Kinket (1999) ont demandé à des enfants d’imaginer qu’un nou-
veau camarade, à propos duquel ils ne savaient rien, allait arriver le lendemain
dans leur classe. Les enfants apprenaient ensuite successivement les informations
suivantes sur leur camarade hypothétique : 1) son origine ethnique, 2) son genre,
3) le fait qu’il rie beaucoup puis 4) le fait qu’il soit intelligent. Pour chacune de ces
informations, les enfants devaient indiquer si elle leur apprenait beaucoup ou peu
sur leur nouveau camarade. L’étude portait sur un total de 515 enfants néerlan-
dais et immigrés d’origine turque, âgés de 10 à 12 ans et scolarisés dans différen-
tes écoles primaires des Pays-Bas. Les résultats montrent que les informations
concernant des caractéristiques psychologiques (i.e. rire et être intelligent) étaient
estimées comme beaucoup plus informatives que celles sur l’« ethnicité ». Encore
une fois, les auteurs sont parvenus à démontrer que l’« ethnicité » n’est pas un cri-
tère pertinent de catégorisation et de connaissance pour les enfants.
Sani, Bennett, Agostini, Malucchi et Ferguson (2000) se sont intéressés plus
particulièrement au développement de la catégorisation sociale chez les enfants
en fonction de leurs perceptions d’autrui. Lors d’une première étude, ils ont inter-
viewé 89 enfants âgés de six, neuf et douze ans, Catholiques et Protestants d’Irlande
du Nord. Le questionnaire semi-directif portait sur les relations entre Catholiques
et Protestants en Irlande du Nord et il comprenait trois questions : « Penses-tu
qu’il y ait des problèmes entre les catholiques et les protestants dans ce pays ? »,
« S’il y a des problèmes, à quoi penses-tu qu’ils soient dus ? » et « Peux-tu me dire
pour quelles raisons tu penses cela?». La deuxième étude menée par Sani et al. por-
tait sur 84 enfants italiens âgés de huit, dix et douze ans. Cette fois, la situation de
conflit proposée aux enfants était une fiction, présentée à l’aide d’un dessin animé
mettant en scène deux groupes opposés décrits par leurs caractéristiques phy-

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


122 Note de synthèse

siques, psychologiques et comportementales. La question posée était : « À ton avis,


pourquoi le peuple des montagnes a-t-il envahi le territoire du peuple de la val-
lée ? ». Les résultats de ces deux études montrent que, pour expliquer un conflit,
les enfants les plus jeunes (cinq ou six ans) s’arrêtent aux traits extérieurs prédo-
minants: poids, couleur des cheveux, habillement. Dès sept ou huit ans, les enfants
parviennent à déceler les désirs, les émotions et les humeurs d’autrui. Cependant,
ces conceptions restent individualisantes jusque vers douze ou treize ans, âge
auquel les adolescents commencent à considérer le groupe en tant qu’agrégat d’in-
dividualités se construisant par la communication et l’interaction sociale, les mem-
bres d’une même catégorie partageant des valeurs et des croyances. Ainsi, lors-
qu’il est demandé aux enfants d’expliquer des conflits intergroupes à propos de
dimensions religieuses, les enfants âgés de six ans émettent des explications indi-
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vidualisantes. Dès l’âge de douze ans, les sujets parviennent à attribuer des traits
supra individuels aux membres d’un groupe, comme le partage d’une croyance
par exemple. Les enfants de neuf ans sont dans une phase de transition entre ces
deux types d’explications.
La composition « ethnique » de l’endogroupe a-t-elle des répercussions sur la
satisfaction d’appartenir à ce groupe ? Pour le savoir, Nesdale, Maass, Griffiths et
Durkin (2003) ont mené une étude sur l’effet de l’« ethnicité » de l’endogroupe et
du groupe extérieur sur les attitudes des enfants à l’égard des membres de ces
groupes. Manipulant expérimentalement les facteurs d’appartenance groupale par
la constitution d’équipes, les auteurs ont reproduit le paradigme du « groupe mini-
mal » avec 159 enfants anglo-australiens âgés de cinq, sept et neuf ans. La procé-
dure comprenait trois phases distinctes. Dans la première phase, les expérimen-
tateurs ont demandé à des enfants de reconnaître le sexe, l’âge et l’ethnie d’autres
enfants à partir de leurs photographies. Ainsi, soixante photographies représentant
des garçons et filles, âgés de cinq, sept et neuf ans et respectivement issus d’un
groupe anglo-australien et des îles du Pacifique ont été sélectionnées. Au cours
de la deuxième phase, tous les enfants participant à l’expérimentation devaient
réaliser un dessin. Dans la phase trois, les enfants étaient eux-mêmes photographiés
et informés de leur participation à un concours de dessin en groupe. Les groupes
étaient composés de deux autres enfants du même âge et du même genre, mais qui
pouvaient provenir soit du même groupe «ethnique», soit de groupes «ethniques»
différents. Chaque groupe (endogroupe et groupe contre lequel il était mis en
compétition) était matérialisé par les photographies des trois enfants affichées sur
un tableau. L’appartenance « ethnique » du groupe externe était également mani-
pulée. Les résultats de cette expérience ont démontré que la composition ethnique
de l’endogroupe n’affecte pas l’attachement de l’enfant à son propre groupe. Dans
tous les cas de figure, les membres de l’endogroupe sont préférés à ceux du groupe
externe. Le groupe externe est systématiquement déprécié, surtout lorsque sa
composition « ethnique » diffère de celle de l’intragroupe et a fortiori lorsqu’il est
composé uniquement d’enfants appartenant au même groupe « ethnique » que le

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 123

sujet (groupe dominant). Le phénomène de biais de positivité envers l’endogroupe


est ici démontré : il existe bien un phénomène de favoritisme envers l’endogroupe
et une volonté de marquer un écart qui soit le plus grand possible entre intra-
groupe et groupe externe, écart qui aboutit à une discrimination intergroupes.
Cette étude est intéressante car elle montre que l’appartenance à un groupe ainsi
que le statut de ce groupe priment sur l’« ethnicité ».
En étudiant des groupes fictifs constitués pour l’expérimentation, Leonardelli et
Brewer (2001) ont recherché quelles pouvaient être les causes de l’apparition des
discriminations. Selon eux, l’identification au groupe d’appartenance est la condi-
tion minimale nécessaire, mais non suffisante, à l’apparition de comportements
discriminants envers les membres d’autres groupes. Partant de la Théorie de la
Distinction Optimum (Optimal Distinctiveness Theory, Brewer, 1991), ces auteurs
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postulent que l’appartenance à un groupe minoritaire favoriserait une identité
sociale positive. Selon cette théorie, l’appartenance à un groupe minoritaire génère
une identification et une satisfaction accrues, ce qui pousserait les membres du
groupe minoritaire à souhaiter accentuer la différenciation au regard du groupe
majoritaire, ceci afin de conserver intacte cette identité groupale satisfaisante. La
discrimination est une manière d’affirmer l’identification à son groupe d’apparte-
nance. Quand l’identification et la satisfaction sont élevées, la discrimination per-
met d’affirmer son identité groupale. Quand l’identification et la satisfaction sont
faibles, la discrimination n’a aucune raison d’être. Quand l’identification est éle-
vée et la satisfaction faible, les discriminations permettent d’accroître la différen-
ciation entre endogroupe et exogroupe. Chez les membres de groupes minoritai-
res, les discriminations, expression de l’identification groupale, seraient motivées
par le désir d’affirmer son identité. Chez les membres de groupes majoritaires, les
discriminations seraient par contre une tentative pour améliorer l’identification
groupale mais aussi pour maintenir une position qui est souvent dominante. Afin
de vérifier ces hypothèses, ces auteurs ont construit une série de trois expéri-
mentations utilisant le paradigme du groupe minimal (Tajfel, Billig, Bundy, &
Flament, 1971) sur un échantillon de 267 étudiants de l’Université d’Etat de l’Ohio.
Dans la première expérience, sur la base d’une épreuve factice, les étudiants étaient
classés arbitrairement dans un groupe désigné comme correspondant soit à la
«majorité des personnes», soit à la «minorité». L’identité induite par ce classement
et l’identification à l’endoroupe étaient ensuite mesurées au moyen d’un ques-
tionnaire. Enfin, les étudiants devaient réaliser une tâche consistant à déterminer
des principes d’attribution d’argent : ils pouvaient décider d’allouer une somme à
un membre de leur propre groupe, à un membre de l’autre groupe ou aux deux
(Allocation matrices, adaptées de celles utilisées par Tajfel, 1971). La seconde
expérimentation comprenait en plus un questionnaire visant à évaluer la satisfac-
tion à faire partie d’un groupe ; la troisième avait pour objectif d’évaluer les motifs
qui poussent à la discrimination, respectivement chez les membres des groupes
minoritaire et majoritaire. En plus des différentes phases décrites pour les expé-

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


124 Note de synthèse

riences une et deux, les sujets devaient compléter les Matrices d’Attribution de
Tajfel et al. (1971). Ensemble, ces trois expériences montrent que les individus
réagissent positivement et ne se sentent pas menacés lorsqu’ils sont classés dans
un groupe minoritaire. L’identification groupale est un facteur important mais
non suffisant pour prédire les discriminations à l’égard des membres de l’exo-
groupe. Du fait de la distinction qu’ils offrent par rapport aux autres groupes, les
groupes minoritaires sont à même de satisfaire les besoins d’inclusion et de diffé-
renciation des individus. La discrimination ne semble pas tout à fait liée à une
estime de soi élevée ou faible : si elle a un rapport quelconque avec cette problé-
matique, il faut plutôt le chercher du côté d’un attachement fort et positif à l’endo-
groupe. Bien entendu, cette expérience renseigne uniquement à propos de l’effet
de la taille de l’endogroupe. Elle ne prend pas en compte les désavantages en ter-
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mes de statut, pouvoir ou ressources associés aux groupes minoritaires dans le
monde réel.
Afin de cerner les aspects développementaux du biais de favoritisme envers
l’endogroupe, Nesdale (1999) a mené une étude visant à déterminer si des chan-
gements sociocognitifs concernant les attitudes de favoritisme pour l’endogroupe
surviennent chez les enfants du groupe dominant entre huit et douze ans.
L’échantillon de population étudiée était composé de 270 enfants anglo-austra-
liens âgés de huit, dix et douze ans. Les sujets provenaient d’écoles à forte ou à fai-
ble mixité ethnique. Le protocole expérimental était basé sur l’utilisation d’une
histoire mettant en scène un garçon vietnamien et un garçon australien lors d’une
visite au zoo avec leur classe. Le récit comportait quatre caractéristiques en concor-
dance avec les stéréotypes sur les personnes des deux groupes et quatre caracté-
ristiques en opposition avec ces stéréotypes. Les enfants devaient ensuite répon-
dre à un questionnaire portant sur la mémorisation des stéréotypes relatés dans
l’histoire, leur préférence pour l’un ou l’autre personnage et l’attribution causale
de différents comportements à l’enfant vietnamien ou à l’enfant australien. Plusieurs
aspects se dégagent de cette recherche. L’analyse des effets de l’âge révèle l’in-
fluence conjointe de l’habileté croissante des sujets à traiter et se remémorer des
informations et de leur motivation à faire partie d’un groupe dont les membres
ont de la valeur. Bien que des enfants de trois ou quatre ans puissent avoir une cons-
cience et une préférence ethniques, cela s’exprime de manière variable selon leur
niveau de développement cognitif, sociocognitif et linguistique. Les résultats révè-
lent que la focalisation des enfants, même très jeunes, sur leur groupe d’apparte-
nance, ne s’accompagne pas forcément du rejet des membres d’autres groupes.
Mais le résultat sans doute le plus intéressant de cette recherche est l’absence de
différence significative entre les réponses des enfants provenant d’écoles à forte
ou à faible mixité « ethnique » : le facteur « mixité ethnique » n’a pas de valeur pré-
dictive sur l’attitude « ethnique » des enfants.
Il est important de noter ici l’amalgame qui est fait dans de nombreuses recher-
ches. Les termes d’« in group » opposé à « out group », qui renvoient à des notions

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 125

de manipulation expérimentale des effets d’appartenance groupale, sont très sou-


vent employés en lieu et place des groupes ethniques réels. Ainsi, par exemple,
Nesdale semble s’étonner que les enfants les plus âgés de son étude expriment
une préférence pour le personnage de l’out group 2. Pourtant, les conditions de
l’expérience sont telles qu’elles ne permettent pas d’affirmer que le personnage
décrit dans l’histoire et désigné comme « anglo-australien » soit considéré par les
sujets interrogés comme un membre de leur groupe. Dans la plupart des études
rapportées ici, les notions d’endogroupe et d’exogroupe (in group opposé à out
group) sont contrôlées expérimentalement au moyen d’une catégorisation sur la
base de critères fictifs. En situation de contact réel, rien ne permet d’affirmer, a priori,
que les enfants considèrent spontanément les membres du même groupe ethnique
comme étant leur endogroupe. Ainsi, dans une école donnée, le fait d’être scola-
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risé dans une même classe pourrait constituer pour les enfants l’intragroupe par
contraste avec les élèves des autres classes, représentant le groupe extérieur. L’idée
que l’intragroupe soit systématiquement et automatiquement défini par la cou-
leur de peau, comme cela est trop souvent affirmé dans la plupart des études sur
les attitudes raciales des enfants, n’est pas démontrée. Rappelons que ces études
ont été, pour la plupart, menées aux Etats-Unis où le contexte de la ségrégation
raciale a fortement orienté et influencé les perceptions et la catégorisation des
enfants. Nous pensons que ce schéma n’est pas applicable en France où le contexte
est très différent. Premièrement, l’identité « ethnique » et « raciale » ainsi que l’ori-
gine géographique et culturelle des enfants n’y sont pas questionnées ouverte-
ment par l’institution. Deuxièmement, historiquement, cette propension à éti-
queter les groupes ethniques n’est pas conforme à la tradition républicaine.
Néanmoins, il semblerait que, depuis quelques années, une tendance au com-
munautarisme se développe.

Aspects développementaux des attitudes raciales

E. L. Horowitz (1936), tout d’abord, s’est intéressé au développement des atti-


tudes « racistes » et des préjugés chez les enfants blancs. Il a comparé les proces-
sus développementaux des préjugés raciaux à l’encontre des Noirs chez plusieurs
centaines de garçons d’âges différents. Les sujets de cette étude étaient de couleur
blanche, de l’âge du jardin d’enfant jusqu’à la classe de huitième (correspondant
à la fin du collège en France) et vivaient à New York ou dans le Sud des Etats-
Unis. Il pensait trouver des différences entre les enfants du Nord et ceux du Sud,
entre ceux vivant en milieux urbains et ceux vivant en milieux ruraux. Le proto-
cole expérimental imaginé par Horowitz comprenait trois tests : classement, choix
et désignation en fonction de la situation sociale. Les deux premiers étaient basés
sur une série de douze photographies de garçons de couleur blanche ou noire. Le
2. « the older children in the present study actually expressed more liking for the out-group than the
in-group story character » (p. 16) traduit par l’auteur.

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


126 Note de synthèse

sujet devait d’abord choisir parmi les photographies celle qu’il aimait le mieux,
jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule. Puis il devait désigner le compagnon de
son choix en fonction de différentes situations (faire un trajet en voiture, avoir un
camarade de classe, jouer à la balle, aller à une fête, etc.). Le troisième test permettait
de découvrir si les enfants refuseraient de participer à une activité du seul fait de
la présence d’un enfant noir. Le matériel utilisé était composé de quinze photo-
graphies présentant les mêmes situations deux fois : avec ou sans la présence d’un
enfant noir. Pour chacune, le sujet devait dire s’il souhaiterait se joindre aux enfants
présents sur la photographie. Les résultats montrent que les préjugés commen-
cent très tôt, dès le jardin d’enfant, et augmentent graduellement avec l’âge.
Horowitz a également démontré que les préjugés sont le résultat de divers fac-
teurs environnementaux, et qu’ils ne sont pas liés à une expérience personnelle de
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contact avec des enfants d’une autre « race ». Ainsi, les enfants blancs dévelop-
pent des préjugés à l’égard des enfants noirs parce que leur environnement leur
transmet ces préjugés ; autrement dit, le contexte dans lequel ils vivent est favo-
rable au développement de ces préjugés négatifs. Le préjugé n’est donc pas une atti-
tude innée mais le résultat de l’impact de l’environnement social et le contact avec
des enfants noirs ne suffit pas pour le réduire. Le plus surprenant est que ces pré-
jugés négatifs envers les Noirs semblent s’étendre à la communauté noire elle-
même, les enfants noirs affichant, en situation expérimentale, une préférence pour
leurs camarades de peau blanche.
Selon Allport (1954), les préjugés peuvent prendre corps dès l’âge de six ans, mais
ils apparaissent surtout à l’adolescence, entre douze et seize ans. Les attitudes
raciales chez les enfants découleraient de ce qu’ils entendent au sujet des « races »
associé à un ressenti particulier. L’enfant peut entendre parler de «races» différentes
en termes positifs et valorisants ou en termes négatifs et dépréciatifs. Son attitude
à l’égard des personnes de « race » différente sera, au départ, plus influencée par
ses premiers contacts avec une certaine idée des différences raciales que par le
contact avec des personnes de « race » différente. Les contacts fortuits avec des
membres de groupes minoritaires ne diminuent pas les préjugés d’une manière
aussi nette que les relations plus intimes. Seule une connaissance assez appro-
fondie des groupes minoritaires peut réduire la tendance d’une personne à employer
des stéréotypes à l’égard des membres de ce groupe. Selon l’hypothèse du contact
développée par Allport (1954), le contact entre les groupes doit respecter certai-
nes conditions afin de se révéler favorable à une baisse des préjugés. La première
condition est le soutien et l’approbation sociale et institutionnelle vis-à-vis du
contact (par exemple la politique de déségrégation aux Etats-Unis). La seconde
condition est que le contact entre les groupes doit être de fréquence et de durée
suffisante. Troisièmement, ce contact doit avoir lieu entre des groupes de statuts
égaux. Cette troisième condition est celle qui pose le plus de problème puisque la
discrimination a justement lieu entre groupes de statuts différents. Enfin, le contact
doit avoir lieu dans un contexte de coopération visant à atteindre un but commun,

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 127

condition qui par contre peut tout à fait être manipulée en situation réelle. D’après
Allport, les enfants apprennent à développer certaines attitudes « ethniques » au
contact de leur entourage social (famille, groupe de pairs…) de la même façon
qu’ils y apprennent tout un ensemble de comportements sociaux. Les enfants sco-
larisés en France dans des écoles accueillant de nombreux élèves issus de l’immi-
gration pourraient ne pas développer de stéréotypes ou de préjugés à l’égard des
membres de ces différents groupes minoritaires et s’appuyer plutôt sur leurs expé-
riences vécues afin d’élaborer une compréhension fine des différences interindi-
viduelles mais ceci n’a pas vraiment été démontré.
Le travail d’enquête considérable conduit par Allport et Kramer (1946) auprès
de 437 étudiants des universités de Dartmouth, Harvard et Radcliffe aux Etats-
Unis apporte des informations importantes sur les personnes qui développent des
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préjugés. Cette enquête comportait une première partie sur les expériences vécues
avec des personnes appartenant à des groupes minoritaires et sur les opinions
concernant ces personnes, et une seconde partie permettant d’évaluer le niveau de
préjugé du sujet. Les informations recueillies grâce à cette enquête portaient sur :
la conscience raciale, les souvenirs d’enfance, l’influence des parents et de l’école,
l’âge d’apparition des premiers préjugés, le degré de contact avec des personnes
appartenant à des groupes minoritaires, l’influence de la religion, le phénomène
de victimisation, la philosophie de la vie et enfin la conscience de son propre fonc-
tionnement mental. Allport et Kramer font par exemple le constat que les indivi-
dus ayant beaucoup de préjugés sont plus enclins à reconnaître des personnes
appartenant à tel ou tel groupe racial d’après leur phénotype. De plus, ces indivi-
dus font état de souvenirs d’enfance désagréables, réels ou inventés, mettant en scène
des membres du groupe minoritaire envers lequel ils ont des préjugés. Ce fait
peut refléter soit des expériences précoces nombreuses avec des minorités, soit
une tendance à justifier les préjugés actuels par des références au passé, qu’elles
soient ou non réelles. Les personnes qui considèrent le monde comme une jun-
gle dans laquelle il faut constamment se défendre et qui ont une conception auto-
ritaire et disciplinaire de la vie développent de nombreux préjugés. Ces personnes
considèrent leur hostilité à l’égard des minorités comme naturelle et normale, jus-
tifiée par le mauvais comportement des membres de ces groupes.

Le développement des préjugés ethniques et raciaux chez les enfants a fait


l’objet de nombreuses recherches. Dans cette perspective développementale, deux
théories s’opposent. La théorie sociocognitive, défendue par Aboud (1988), sou-
tient l’idée qu’il y aurait une baisse du biais de favoritisme vis-à-vis de l’endo-
groupe à partir du milieu de l’enfance grâce à l’acquisition d’habilités cognitives.
Ainsi, les réactions d’un enfant vis-à-vis d’un de ses pairs dépendraient du stade
de développement que cet enfant a atteint, en relation avec deux phénomènes.
Le premier concernerait le développement affectif du sujet ; la peur de l’inconnu
et l’attachement au familier étant prédominant chez les plus jeunes. Le second

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


128 Note de synthèse

serait en lien avec le développement cognitif du sujet et l’avènement du stade des


opérations concrètes. À partir de l’âge de sept ans, l’enfant est de plus en plus
capable de comprendre les qualités individuelles d’une personne. Parallèlement son
attention cesse de se focaliser sur lui-même, ses préférences et perceptions. Il com-
mence à analyser le monde et, pour ce faire, à élaborer une catégorisation. Ainsi
voit-il de plus en plus les individus comme faisant partie d’ensembles plus larges.
En se basant sur ces développements sociocognitifs, Aboud avance l’idée que le biais
de positivité à l’égard de l’endogroupe et son corollaire, le rejet du groupe extérieur,
atteindraient un pic à l’âge de sept ans puis déclineraient au moment même où les
enfants deviennent capables de différencier finement les individus entre eux. De
son côté, Nesdale (1999) propose de se référer à la Théorie de l’Identité Sociale déve-
loppée par Tajfel et Turner (1979) afin d’expliquer les changements concernant les
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attitudes ethniques qui apparaissent chez les enfants. Selon Nesdale, la préférence
ethnique ne déclinerait pas grâce aux acquisitions cognitives puisqu’elle serait
essentiellement le résultat d’un acte motivé. Ainsi la baisse du favoritisme vis-à-vis
de l’endogroupe refléterait-elle une réponse de l’ordre de la désirabilité sociale.
La baisse du biais favorisant l’intragroupe, constatée dans différentes études, serait
due en grande partie au fait que les protocoles employés sont transparents quant
aux intentions des expérimentateurs. L’application de la Théorie de l’Identité
Sociale en psychologie du développement ferait pencher plutôt pour une absence
de baisse du biais de positivité, un tel biais étant considéré comme inhérent aux
processus d’identification sociale. Nesdale suggère une progression en quatre pha-
ses: indifférenciation ethnique, prise de conscience de l’appartenance groupale, pré-
férence ethnique puis préjugé. Cette théorie postule qu’au lieu de diminuer à par-
tir de l’âge de sept ans, les préjugés ethniques auraient plutôt tendance à augmenter
et à se cristalliser. De plus, l’enfant adopterait l’attitude prédominante de son
groupe d’appartenance et conserverait donc des préjugés quand cela est sociale-
ment admis par les membres de son groupe. A contrario, certains enfants pourraient
ne jamais utiliser de préjugés ethniques si le groupe auquel ils appartiennent n’en
utilisait pas non plus.
Chacune de ces théories, pourtant opposées, a été confirmée par un grand nom-
bre de recherches scientifiques. Nous ne chercherons pas ici à arbitrer cette ques-
tion concernant l’aspect développemental des préjugés, néanmoins, il semblerait
qu’aucune ne soit tout à fait apte à expliquer le développement des préjugés chez
les enfants. En effet, si nous nous penchons sur ce phénomène chez les adultes,
nous pouvons nous apercevoir qu’il existe des personnes ayant peu de préjugés
comme des personnes en ayant beaucoup. Comme il est peu vraisemblable que les
personnes ayant peu de préjugés répondent uniquement à de la désirabilité sociale,
nous devrions admettre que les adultes qui ont beaucoup de préjugés n’ont pas
atteint une maturation cognitive suffisante pour reconnaître les ressemblances
entre personnes appartenant à des groupes différents. Aussi séduisante que soit cette
hypothèse, nous devons convenir qu’elle semble peu réaliste.

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 129

Verkuyten (2002) a étudié la perception des discriminations ethniques par des


préadolescents issus, soit de groupes minoritaires, soit du groupe majoritaire.
Cette étude portait sur un grand nombre d’enfants (plus de trois mille) âgés de 10
à 12 ans et scolarisés dans des écoles primaires aux Pays-Bas. Différents ques-
tionnaires exploratoires visaient l’étude de l’allocentrisme familial, de l’identité
ethnique du sujet et des expériences de discrimination personnelle et groupale
vécues par le sujet. Reprenant les conclusions de Coll et al. (1996), Verkuyten
affirme que la compréhension des enfants de groupes minoritaires nécessite la
prise en compte de l’existence d’un environnement social hostile susceptible de véhi-
culer des idées racistes et discriminatoires. Ceci étant posé, il reste à savoir com-
ment cet environnement est perçu par les enfants. Il semblerait que la perception
des discriminations soit atténuée, entre autres, par l’identification groupale et le sta-
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tut social. Des études montrent en outre que la perception des discriminations
envers le groupe d’appartenance est plus forte que celle des discriminations envers
l’individu lui-même. S’appuyant sur les travaux de Hutnik (1991), Verkuyten
défend l’idée que les enfants appartenant à des groupes minoritaires auraient une
identité ethnique plus forte en raison de leur histoire riche de traditions et
de culture. Cette identité ethnique forte serait source de fierté et de satisfaction et
constituerait un rempart contre les effets néfastes des discriminations.
McKown et Weinstein (2003) ont étudié le développement de la conscience des
stéréotypes véhiculés par autrui et les conséquences de ce développement. Les
auteurs font une distinction très nette entre les stéréotypes propres aux enfants, qui
relèvent de leurs convictions personnelles, et les stéréotypes dont les enfants ont
conscience mais auxquels ils n’adhèrent pas personnellement. Des études ont
démontré que les enfants étaient capables de mettre en œuvre des catégorisations
ethniques et de développer des stéréotypes dès l’âge de trois ou quatre ans. À par-
tir de six ans, ils deviendraient capables d’attribuer à autrui des convictions per-
sonnelles ainsi que des traits de personnalité. Mais c’est seulement aux environs
de la dixième année que les enfants commencent à faire référence régulièrement
aux stéréotypes et aux préjugés pour expliquer pourquoi quelqu’un n’apprécie
pas une personne appartenant à leur groupe ethnique. Cependant, les études ayant
mis au jour ces résultats considéraient que les enfants étaient conscients des sté-
réotypes les plus courants seulement à partir du moment où ils employaient les ter-
mes « stéréotype », « préjugé » ou encore « racisme ». McKown et Weinstein défen-
dent l’idée selon laquelle les enfants acquièrent une conscience de l’existence des
stéréotypes avant de connaître le vocabulaire afférent aux relations intergroupes.
Pour le démontrer, ils ont mené une recherche auprès de 202 enfants, âgés de six
à dix ans, scolarisés dans des écoles primaires à San Francisco et appartenant à
différents groupes ethniques (Afro-américains, Latinos, Blancs et Américains d’ori-
gine asiatique). Dans une première expérience, le développement de la conscience
des stéréotypes chez les sujets était mesuré à l’aide d’une procédure utilisant des
vignettes de bande dessinée et représentant trois personnages de deux couleurs dif-

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


130 Note de synthèse

férentes. Les sujets devaient expliquer pourquoi le personnage principal choisis-


sait un partenaire de même couleur que lui. Une seconde question visait à mettre
en relation cette situation fictive et la réalité. La seconde expérience visait à démon-
trer que la conscience des stéréotypes chez les enfants appartenant à des groupes
minoritaires affecte leurs performances lors de tâches cognitives. Les enfants pas-
saient d’abord un test de performance, puis ils répondaient à un questionnaire
sur les dimensions cognitives, physiologiques et affectives de l’anxiété (adapté à par-
tir de questionnaire de Sarason, 1973). Cette recherche montre qu’à partir de l’âge
de 6 ans, la proportion d’enfants capables d’inférer l’existence de stéréotypes chez
autrui augmente progressivement pour atteindre quatre-vingt-treize pour cent
chez les enfants âgés de dix ans. Les enfants de groupes ethniques stigmatisés
prennent conscience des stéréotypes universels plus tôt que les autres et leurs per-
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formances scolaires en sont affectées. Nous développerons cet aspect de l’impact
des stéréotypes sur les performances scolaires dans une deuxième partie. Les dif-
férentes études sur les conséquences des préjugés et stéréotypes nous amènent à
interroger les moyens de remédier à ce type d’environnement défavorable.
Aboud et Doyle (2003) ont notamment mis en place une étude sur la manière
dont des enfants noirs et des enfants blancs expriment verbalement leurs attitudes
raciales. Ayant évalué le niveau de préjugés de plusieurs enfants d’une même
classe, les expérimentateurs ont invité des enfants de deux niveaux opposés (fai-
ble préjugé versus fort préjugé) à discuter ensemble afin de voir lequel allait être
le plus fortement influencé par l’autre : la discussion va-t-elle aboutir à plus de
tolérance ou à plus de préjugés de part et d’autre ? Les résultats montrent que les
enfants sont tous assez explicites lorsqu’ils jugent des races différentes. Les simi-
litudes interraciales sont fréquemment utilisées par les enfants ayant peu de pré-
jugés afin d’expliquer pour quelles raisons ils attribuent à chaque race à la fois
des traits positifs et des traits négatifs. Les deux types d’enfants emploient des
exemples afin d’appuyer leurs assertions. Après la discussion, le changement dans
les attitudes raciales est plus prononcé chez les enfants qui avaient au départ un
fort taux de préjugés. Le meilleur moyen de faire évoluer favorablement les atti-
tudes raciales semble donc être la multiplication des assertions positives concer-
nant les Noirs plutôt que les assertions négatives concernant les Blancs. Cette
étude montre que l’incitation aux échanges entre enfants ayant beaucoup de pré-
jugés raciaux d’une part, et ceux en ayant peu d’autre part, permet d’améliorer la
tolérance des premiers.
Les différentes recherches menées dans le domaine des relations intergroupes chez
les enfants se sont intéressées jusqu’à présent à quatre grands axes : les préféren-
ces ethniques, la catégorisation sociale, le développement des préjugés et des sté-
réotypes chez les enfants et les répercussions de ces attitudes chez les enfants des
groupes minoritaires. Parallèlement à cette question, il nous semble important
d’étudier les relations interpersonnelles car elles ont un rôle important à jouer
dans le développement psychoaffectif des enfants.

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 131

Les enfants et l’altérité : rejet de l’autre ou affinités


électives ?

Le milieu scolaire est un lieu privilégié pour étudier les différentes relations qui
peuvent se nouer entre enfants. Ces relations peuvent aller du choix amical réci-
proque à l’évitement ou au rejet de certains camarades de classe, en passant par dif-
férents degrés de rapprochement : à l’occasion d’activités précises comme le jeu ou
la coopération en vue de réaliser une tâche scolaire. Des recherches ont tenté de
mieux cerner les relations des enfants avec leurs pairs à l’école.
Sullivan (1953) a souligné qu’à l’âge de dix ans les enfants commencent à se
soucier de ce qui peut arriver à une autre personne, ils deviennent bienveillants et
souhaitent apporter un certain bien-être aux camarades choisis comme copains.
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Ainsi, la prise en compte du point de vue d’autrui peut-elle contribuer à dimi-
nuer les risques de rejet et de mise à l’écart de certains enfants. Les tests socio-
métriques montrent la disparition quasi-totale des cas d’isolement d’enfants après
huit ou neuf ans. Le constat selon lequel un clivage racial apparaît à partir de neuf
ou dix ans semble contradictoire avec cette dernière affirmation. Imaginons une
classe composée entièrement d’enfants blancs à l’exception d’un seul enfant de
couleur noire. En partant du principe que les préadolescents ne laissent pas un de
leurs camarades seul, l’enfant n’appartenant pas au groupe majoritaire devrait être
intégré au groupe et trouver au moins un copain dans cette classe. Bien entendu,
cet exemple fictif a pour seul objet d’inciter à relativiser certains propos affirmant
le rejet des enfants du fait de leur couleur de peau ou de leur appartenance sup-
posée à un groupe ethnique et il montre la nécessité de recherches empiriques
approfondies.
Les dyades amicales qui se forment à la préadolescence sont-elles forcément
similaires sur les critères de genre et de caractéristiques raciales ? Pour le savoir, M.
L. Clark et Ayers (1991) ont mené une étude auprès de 136 préadolescents (dési-
gnés comme étant de type caucasien ou Noirs), scolarisés dans une école des Etats-
Unis. Cinq types de mesures ont été effectués afin d’obtenir des éléments sur la per-
sonnalité des préadolescents, leur niveau scolaire et leurs relations avec les pairs.
Un questionnaire sociométrique a servi à mettre en évidence les choix amicaux réci-
proques et des questions ont été posées afin de mesurer la proximité au sein des
dyades amicales. La satisfaction apportée par la relation amicale a été mesurée à l’aide
de l’échelle de satisfaction et d’engagement de Solano et Ayers (1984) qui pro-
pose vingt énoncés sur le vécu de la relation amicale. L’attirance physique a été
mesurée en demandant aux sujets de désigner les trois plus beaux élèves de leur
classe. Enfin, les sujets ont passé un test de compréhension de vocabulaire (Word
Understanding Test de Hoepfner, Hendricks & Silverman, 1969) et un test de
personnalité (High School Personality Questionnaire de R. & M. Cattell, 1975). Les
résultats montrent que les amis réciproques se choisissent à partir de certaines
dimensions de similitude comme la race ou le genre mais aussi des traits de per-

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


132 Note de synthèse

sonnalités se manifestant par exemple dans l’attitude face au monde scolaire. La


première dimension pourrait d’ailleurs s’expliquer par le contexte scolaire dans
le cas des écoles qui accueillent essentiellement des enfants de même origine eth-
nique, les enfants choisissant leurs amis dans leur entourage proche. L’étude de M.
L. Clark et Ayers semblent montrer que, globalement, les dyades amicales for-
mées par des élèves caucasiens ou afro-américains se ressemblent plus sur le cri-
tère de « race » et de genre que sur des traits de personnalité. La moitié des dya-
des amicales comportant des Afro-américains contre un quart seulement des dyades
amicales comportant des Caucasiens était interethnique. Reprenant les conclu-
sions d’une étude de Hallinan et Teixeira (1987), les auteurs indiquent que des élè-
ves afro-américains, s’ils se trouvent dans une classe à majorité de Blancs, peu-
vent choisir des amis dans ce groupe majoritaire tout simplement parce que les
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membres de ce groupe peuvent constituer des amis plus satisfaisants que les mem-
bres de leur propre groupe ethnique, dans la mesure où les possibilités de choix
sont plus larges. Mais ils peuvent tout aussi bien décider de limiter leur choix aux
membres de leur groupe ethnique en dépit du fait que le choix est très restreint.
Cette observation soulève la question des motivations qui poussent les préado-
lescents à choisir un copain plutôt qu’un autre.
Connoly (2001) a mis en évidence le fait que certains instruments standards de
recherche, en particulier les questionnaires, mènent à étudier la problématique
raciale hors de tout contexte réel. Selon lui cette pratique conduit à négliger les atti-
tudes contradictoires qui existent chez toute personne confrontée à la notion de
« race ». De même, chez les enfants, la « race » et l’ethnicité ne sont pas des compo-
santes fixes de l’identité mais sont liées au contexte et plus ou moins activées en
fonction de celui-ci. Connoly attire également l’attention sur le biais consistant à
transférer directement des conceptions et problématiques d’adultes sur des popu-
lations enfantines. Utilisant l’observation et le questionnement directs, il démon-
tre l’intérêt de combiner les méthodes qualitatives et quantitatives dans l’étude de
l’identité et des attitudes raciales chez les enfants afin de les étudier de manière plus
fine. La « race » et l’ethnicité étant des phénomènes sociaux et non biologiques, ils
sont amenés à varier en fonction du contexte. Pour les décrire, Connoly s’appuie
sur une approche de type ethnographique. La scène suivante, qui se déroule dans
une école anglaise, en est un bon exemple. Deux enfants blancs déclarent ne pas
aimer les Pakistanais, alors même que l’un de leurs proches copains, présent lors
de l’entretien, est originaire du Pakistan. Lorsque l’interviewer pointe cette contra-
diction, les deux élèves blancs tentent de nier l’appartenance ethnique de leur
copain, afin de gommer la contradiction qui existe entre leurs préjugés raciaux et
leur lien amical. Connoly montre ainsi la fluidité de l’identité et de l’attribution
raciale et leur saillance variable en fonction des contextes. L’intérêt de cette étude
réside également dans la démonstration du fait que les relations interpersonnelles
amicales et les préjugés envers un groupe (qui se jouent à un niveau intergroupes)
ne se réduisent pas les uns aux autres. Cette remarque est très importante dans le

• • • • • • • • • • • • • • • Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006


L’école à la lumière de la psychologie sociale 133

cadre de la problématique qui nous intéresse, la plupart des études antérieures


s’étant intéressées aux relations groupales.
Afin de démontrer s’il existe un lien entre les attitudes raciales et le fait de se lier
d’amitié ou d’éviter certains camarades de classe, Aboud, Mendelson et Purdy
(2003) ont mis en place une recherche auprès de jeunes canadiens. Cette étude avait
pour objectifs d’examiner différents types de relations entre pairs (compagnons
de jeux et amis réciproques) et de comparer la qualité et la durée des amitiés entre
enfants selon qu’ils sont de même « race » ou de « race » différente. Il s’agissait
également de tester le lien existant entre ces relations et les attitudes raciales. Cette
recherche a été menée sur 240 élèves canadiens de couleur de peau blanche ou
noire, scolarisés en primaire. La méthodologie utilisée a combiné plusieurs mesu-
res permettant de dresser un bilan complet sur les relations amicales entre enfants
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de même couleur ou de couleurs différentes. En plus des techniques sociomé-
triques classiques, consistant à demander aux enfants de désigner les camarades
avec lesquels ils interagissent et ceux qu’ils évitent, l’étude s’est appuyée sur deux
questionnaires. Le premier, le Mc Gill Friendship Questionnaire (Mendelson &
Aboud, 1999), permet de mesurer la qualité de l’amitié. Il est composé de cinq items
pour chacune des six fonctions de l’amitié : rapport de confiance (reliable alliance),
camaraderie stimulante (exciting companionship), aide (help), intimité (intimacy),
sécurité émotionnelle (emotional security) et estime de soi (self-validation). Le second
est le Multi-response Racial Attitude measure, mis au point par Doyle et Aboud
(1995). Il propose une série de vingt items, dix à connotation positive et dix à
connotation négative. Les enfants doivent désigner le groupe racial (blanc, noir, chi-
nois) auquel chaque item correspond le mieux d’après lui. Cette échelle permet de
calculer un score de préjugé. Concernant la qualité du lien amical, la seule diffé-
rence significative concerne un degré d’intimité un peu plus élevé entre amis de
race identique comparativement aux amis de race différente. Concernant les pré-
jugés, les enfants ayant un degré de préjugé plus élevé que les autres ont tendance
à exclure plus facilement les enfants de races différentes. Pour autant, ils n’ont
pas moins de relations amicales avec des enfants d’autres races. Chez les enfants
blancs, la présence dans le groupe classe d’un enfant d’une autre race qu’ils n’ai-
ment pas peut renforcer leurs préjugés alors que l’amitié pour un camarade d’une
autre race sera sans effet sur les préjugés. Ainsi, le fait d’avoir un ami de race dif-
férente n’incite pas les enfants à diminuer leurs préjugés envers le groupe racial
auquel appartient cet enfant. Cette observation confirme l’absence de lien de cau-
salité entre relations amicales et préjugés. Par ailleurs, reprenant les conclusions
de Werner et Parmelee (1979), Aboud et al. soulignent le fait que les enfants font
appel à de nombreux critères pour choisir leurs amis et que les préférences pour
certaines activités priment sur l’attitude globale.
De nombreuses recherches mettent en exergue l’impact des différences eth-
niques et raciales dans les relations intergroupes et les relations interpersonnelles
chez les enfants. La plupart des recherches concernant les relations intergroupes

Carrefours de l’éducation • 22 • Juillet-décembre 2006 • • • • • • • • • • • • • • •


134 Note de synthèse

se sont intéressées aux questions de discrimination, de préjugés et de biais favo-


risant l’endogroupe. D’un point de vue méthodologique, ces recherches s’appuient
essentiellement sur deux techniques : les tests projectifs et l’observation (clinique
ou ethnographique). Les relations amicales interethniques, bien que moins étudiées,
ont fait l’objet de recherches s’appuyant sur des questionnaires et cherchant à
démontrer l’origine des choix amicaux en termes de similitudes de races ou de
genres.
Dans le monde des adultes, la couleur de la peau est considérée comme un des
principaux facteurs d’exclusion. Or, certaines études nous ont montré que ce type
de discrimination n’est pas forcément le plus fréquent chez les enfants. Pour autant,
la plupart des recherches ont visé la mise en exergue des discriminations basées
sur des traits ethnicisés. De la même manière que la dérive anthropomorphique
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a menacé à une époque des disciplines comme l’éthologie, il conviendrait à l’ave-
nir d’explorer une voie où nos préoccupations d’adultes ne viendraient pas para-
siter notre objectivité dans l’étude des discriminations lors de l’enfance. Ceci nous
permettrait de mettre en évidence d’autres types de discriminations auxquelles
nous pensons moins mais qui font pourtant bien partie du quotidien de certains
enfants.

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