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Numéro 3 1" Semestre 1967 REVUE DE L’OCCIDENT MUSULMAN ET DE LA MEDITERRANEE EXTRAIT ae See eo as oe Be ‘ a SAINT VINCENT DE PAUL ET LA BARBARIE EN 1657-1658 Les Annales de la Congrégation de Mission (Lazaristes) ont réédité en 1938 (p. 825-828) un opuscule oublié des bibliographes de VAfrique du Nord... et de saint Vincent de Paul: Réeit du mauraia traitement arrivé aw consul de France @ Algers, et des bescing des 4p. dont trois imprimées, hauteur du texte : pauores eaclaves, vl.n.d 181 mm. Bibliothéque Maza ww: A, 11141, piéee 31. Ce récit se rattache étroitement A Vépisode bien ca subie, au début de juin 1657, par Jean Barrean, clere de la Mission et consul de France & Alger. Rendu responsable de la banqueroute d'un Marseillais d’Alger, nommé Rapiot, Jean Barrean supporta stoique- — classique en Barbarie — qui consistait & «ficher deg canes pointues le long des doigts, entre la chair et les ongles », [1 s’engagea pour une somme importante! et dépécha en France son « chapelain », Philippe Le Vacher. Emu de piti¢ par Jes malheurs de son «frére » (IV, 322), mais, au fond , assez mécontent?, M. Vineent, alerté le 21 juin, ment la bastonnade; mais non la menace d'un supplit wemploya ausitét A réunir largent. I] tacha de fair seille et A Livourne les ¢ effets > du sieur Rapiot ®; puis, il chargea 1. 4000 piastres selon le Récét, qui parle d'une banqueroute de 40 000 livres; 2500 seulement selon la Correspondance (IV, 322), oft le découvert de Ry) de 12000 écus, Le désaceord me porte done que sur le chiffre de Ia transaction ‘t trouve certainement son explication dans l'extraordinaire complexité des comptes de Jean Barreau, & qui Jean/Vacher, de Tunis, avait envoyé anssitét, ‘ans Paecard de M, Vincent, 1100 piastres, ete. Crest a Médition Gaste de Ia Carrespondance que renvaient, dans le corps de Farticle, les références chiffrées entre parenthises, aux yeux d'un saint. 3, Corr, VI, 162, 393, 698-699, nm de lavanie 11 se plaint & plusieurs reprises de son imprudence et — c'est plus grave — de sa «désobélssance» : VI, 105, 117, ele. J. Harreau avait en effet recu Vordre formel de «ne s'engager pour qu! que ce soll. sous aucun prétexte » Il est évident que tes ccanes pointues» m’avaient rien d'une raison suffisante, he dat G. TURBET-DELOP Ph, Le Vacher et les dames de charité d'organizer une quéte spéciale *, Le prospectus de cette quéte prit la forme du Réeit de la Mazarine. Sa publication cst antérieure au 30 novembre 1657, date & laquelle M, Vincent, dans une lettre a Edme Jolly, parlait du succes remporté en France par «un petit récit qu'on a publié de ce qui est arrivé an consul @’Alger » (VI, 627). Cependant, les bours: \ nt si ¢ resserrées + (VI, 468) quan bout de quatre mois on Gtait fort « pen avaneé » *, Lidée germe alors une « quéte générale dans les paroisses de Paris » (VII, 90). On y travaille « incessamment >» (VI, «ya 9 se faire (VIT, 98), Vantorisation de F point @étre délivrée. Selon une lettre, non datée, de mars, la ¢ quéte générale » est en tr: — mais, hélas } avec « plus de bruit que de fruit» (VII, 90). (C'est alors qu'on réimprima — non sans quelques modifications — le Récit de Vantomne 1637, Nous avons trouvé cette « deuxiéme ed tion» & la Bibliothéque Nationale de Paris, perdue entre six mille titves se rapportant a lv politique intéricure de Mazarin et de Louis XIV, sous la cote Lb“, 4658, Anonyme elle aussi, et s.ln.4., elle est de 4 p. ehiffrées, sant la premiére, et ln hauteur de la partie imprimée ext de mm Par rapport A ce texte, reproduit ei-aprés®, voici lea principales variantes de Védition de 1657. (Sont régligées les trés nombreuses variantes ovthorraphiques, typographiques, daccent, de ponetuation.} Page 1, ligne 2: manqne en Barburic, Ligne 5: Algers en Barba- rie, Ligne 10: du Consul, qui est Prestre Missionnaire de sainct Lazare; lequel pow eatee plus ctil aun pauures Captifs, a esté obligé Waccepicr fe Cousulat pow joindre Vanthorité dw Roy a aon zele & a ae char Et comme s'il eust esté responsable de tous les desordres 4, Comme il appert du deenicr paragraphe du Mécit reproduit ciaprés, In a'Aiguillon désigna M=* de Traversuy et Madeleine de Lamoignon. Cl. 401. ort, VI, 620; VII, 21, 35, 40, n tous. poi i qui est signalé & la note 1, le Récit ext am plement reeoupé par & laquelle il est alsé de se reporter, I serait inléressant de lui comparer trols pages du chapitre d*Abelly intitulé Persécition par le consul d’Alger(La Vie du vénérable (...) Vincent de Pant, 1 re Il, pp. 105-107) : tomt au long de sa narration, et parfois mot & mot, le biographe ce M. Vincent paraphrase le Mécif, Exemple 4 pauures Esclaues Crestiens ayant seeu In violence qu'on Iuy falsoit, & réme danger of fl estoit d'estre mis & mort, en furent tellement touchez, quily aceoururent tous pour le secourir selon leur petit pouvoir, & luy por- torent, qui vingt, qui trente, qui cent, qui deux cents gens 2, ele, SAINT VINCENT DH PAUL ET LA BARBARIE 155 dea particuliors & de la fuitte du Ranqueroutier, le nirent... Ligne 22 + ves bastonnades, Ligne 82: liy obbatirent s Ind firent. Page 2, ligne 6 : pour les contenter, Ligne 15 : ec qu’tls en auotent. Ligne 18 + pour en estre protégé. Ligne 21 : en hon Preatre aussi Pere Missiouncire qui estoit aupres luy, Ligne 25: qu'ils ly ont prestées. Ligne 27 : pour Iny. Page ¢ 10: parce que cest un homme de ten, Ligne 17 luy ont fait dinerses aduaaces, Ligne 30 : Pere Missionnaire. Ligne f manque patienment, Page 4, ligne 1: ceur qui perdent courage & qui sont en estat de succomber a la tentation, Lign & ils se retrouneront. Ligne confesse ny d la Messe. Ligne 12; manque ou quasi cwtréme. Ligne 1G: le danger de roxtre prochein, Ligne 17: cause de aa mort, Lignes 18-26 ; manquent, insi, selon In 1” édition, le consul de France était prétre. La 2° rétallit la vérité sur ce point. J Barr Wétait que clere, Quant au dernier paragraphe de l'imprimé de 1658, il mangne complétement dans celui de 1447. On notera, dans celni-la, quelques vetouches desti- nées a adoneir le ton de celui-ci : p. 4, 1. 1,9, 18, 16-1 Mousiewr Vineent ete. i la fin du dernier pa en 1658, peut-il @tre considéré comme une signature ? raphe ajouté Que ce Réeit soit de la propre main de M. Vincent, c'est, de toute fagon, peu probable, puisque [«instituteur des Lazaristes avait Vhahitude de «dicters A grands traits, quitte A revoir de prés la ré- daction de son seerétaire, et & la corriger ou annoter lui-méme. Les modifications de I édition sontelles son fait ? C'est assex vraisem- blable. Qu’on trouve dans ce texte un reflet pi ement fidéle de la pensée de M, Vincent, voila qui est, par contre, incontestable, A prenve cette idée, qui lui était chére is que les prétres esclaves en étaient fort « dér ‘ares les sacrements distribnés par eux, et doutense lou validité — il importait qu'il y efit A Alger nn prétre ¢libre >, seul capable de pouvoir efficacement A lassistance spirituelle des chrétiens eselaves et, partant, de diminuer le nombre dea cenx qui hranlent dans le manche de la Religion » (lisez + les re- négats), Pour cela, un unique moyen; qne le consul fit prétre Ini- + on, dn moins, exigedt un chapelain attaché & sa personne. TL fallait done que les consulates de Tunis et dAlges priété de la Mission. Telle est Vidée développée dans la lettre du 5 restassent In pro- 7. Voir 4 ec sujet Introduction de I'd, Coste de 1a Correspondance, p. XII. 156 G. TURRET-DELOP avril 1658 (VII, 117), Pamiliére, encore une fois, 4 M. Vineent (V, 83). On la retronve, trés exactement, dans les avant-derniers paragraphes de notre Récit. A quelles présccupations répond 1a diffusion de ce texte ? Un souci financier, d’abord : M. Vincent n’admettait pas que des is destinés A ses @uvres servissent 4 rembourser Jes dettes d'un failli indélicat. Deuxiémement, le souci de convainere la Congrégation de la Pro- pagande — qui répugnait 4 renonveler les « facultés » des Péres J. et Ph. Le Vacher — que la prétrise n'était pas incompatible avee lexer- cice de fonctions consulaires en Barbarie. Tel est le théme de plu. sieurs lettres adressées, notamment, 4 Edme Jolly, surtout celle dn 30 novembre 1657, déja citée, od il est justement question du « petit récit s (1" éd.). Enfin, un sonci de polémique — ou du moins de mise au point. Si Von consulte une liste chronologique des ouvrages pu en France sur la Barbarie, on remarque, entre 1648 et 1663, me période: anormalement creuse, On pent méme parler d'une véritable lacune bibliographique entre 1055 et 1650. Rien en 1656, Rien em 1658, sauf la 2 édition du Réeit qui nous oceupe. En 1657, outre la 1” édition dudit récit, wa livre — mais quel livre, et de quel retentissement ! Crest ln Relation de la captivité du siewr Kmmanuel d'Aranda®, Or, Je pense que le Récit de Vavanie subie par Jean Barreau lui est une réponse imp! is directe. Que trouve-t-on, en effet, dans la Rela 1) Des portraits de « Tures > et de « Mores » affables, humains, pienx, sobres, instruits, « lions dans lenrs combats, agneaux dans leurs vietoires » (p. 11, 52, 87, B4, 213 2) Des portraits de renégats aimables, «justess, «sages >, «pleins de vertus morales » (p. 7, 45, 60, 221); Prencere id., Brun ley, 1656 & Paris, G, Clousierd Je me véfére & fee Aa, Berea TOR Ly une #, Paris, 1665, et une §, Leyde, 1671. Le succés de ce livre — d'un intérét documentaire exceptionnel bien reconna des historiens d'Alger — se justifinit par sea seules qualités littéraires, dont on pourra juger par ce début de la dixitme crelation pa litres : «Dans In ville de Nantes en Bretagne, en Van 16H1, étalt un eapitaine d'un navire qui n'attendait que le vent propre pour faire voile vers Canada; et comme il altendait le vent, il ft l'amour & la fille d'un marehand, qui [...] ne voulut en aucune fagon consentir & ce mariage, considérant que ee capitaine devait parti we Ie premier bon. vent l'empor- terait avec son mavire, et SAINT VINCENT DE PAUL ET LA BARBARIE 157 3) Une critique de certains aspects du catholicisme ; a) tendances fétichistes du culte marial chez les Espagnols "; b) fansse dévotion © ; 4) Un portrait de « grand seigneur méchant homme » parfaite- ment athée ; le richissime renégat Ali Bitehnin, qui, sans étre montré. tant s’en fant, sous un jour sympathique (p. 289), est cependant repré- senté comme un homme de parole et @honneur(p. 248, 382), et assez bean joueur, on tolérant, pour accepter de belle humeur qu'un saint homme de prétre Ini dise ses quatre vérités (p. 239); 5) Enfin, et surtout, on tableau, dans l'ensemble, rassurant, par- fois méme riant, de la condition des captifs chrétiens de Barbarie; a) Ecole de débrouillardise, de camaraderie, lesclavage 4 Al- ger a, certes, des cOtés fort sombres, mais il offre aussi des moments de joie, de douce émotion, de franche gaité, Rien de plus distrayant, de plus instructif, que le monde coxmo- polite qu’on y cétoie (p. 73, 220, ete.), Bref, «il n’est point de meillenre université que le bagne d’Alger pour apprendre le monde 4 vivre » (p. 239). Et e’est en terre d'Afrique (une fois rachetés, il est vrai), que d’Aranda et ses trois amis connurent «les plus grands contentements et les plus grands plaisirs » de leur vie (p. 108). Loin dy perdre leur Ame, les bons chrétiens fortifient dans amour du Christ et la dévotion 4 la Sainte Vierge {p. 115). Tous les dimanches, la chapelle de trois cents places dn bagne d’Ali Bitehnin est pleine & craquer (p. 30) et d'Aranda regoit de sa patronne la permission d’aller Ja messe chaque matin (p. 57). Qui done a jamais pré- tendu que les bagnes d’Alger manquaient de prétres et de saints prétres ? Et le Pére Angeli, carme déchanssé de Génes ? Il n’était pas d’homme plus pieux, plus docte, plus charitable; et son prestige sur les chrétiens, voire les mu- sulmans, était immense (p. 239, 880). Or, iL était esclave... b En voila assez, ce semble, pour affirmer que le livre de d'Aranda — en tonte innocence : ce citoyen de Bruges écrivait, vingt-six ans §, Voir a ce sujet Vanecdote doquente et, quand A In doctrine, impeccable, qui fail Fobjet de la relation particuli¢re » n* 13. 10. A propos de Ia déprayation des musulmanes, qui, sous «pritexte » de evisiteur un tel marabouts, échappent & la surveillance maritale pour se donner aux premiers coquins venus, D'Aranda fait cette remarque: «Gelte invention est assez connue aussi en Europe» (p. 225). Tartuffe est de 1664. 158 URRET-DELOP apres sa captivité, ponr Vamusement, Vinstruction et lédification de mis — prenait exacte- ment le contre-pied des thémes barbaresques de la Réforme catholique, tels que le Péve Dan, maints autres Trinitaires, on encore des Capn- eius, les avaient fixés ", Le suceés de d’Aranda fut tel ™ que les Mer- cédaires crurent bon, en 1683, de lui opposer un onvrage dont Ja pré- sentation, la forme littéraire et le titre méme sont une réplique de sa Rela eat, la Relution de la captivité du sieur Monétte, Paris, J. Cochart, était en fait une répliqne @ d'Aranda ™, Celle de saint Vincent, plus suecinte, fut. immédiate. N'étaitil pas fondé de réagir ? Ouv sympathique, optimiste — et, 4 certains égards, en avance de trois siécles — le catholicisme de d'Avanda était celui d'un honnéte laie, non dun prétre 4 cheval sur le dogme et la morale, Si d’Aranda disait vrai, la mission lazariste de Barbarie reposait sur un énorme songe, En fait, personne née mentait, 11 Sagissait d'une réalité mouvante, qui pouvait étre, selon les situa- tions, les points de vue et les hasards, diversement jugée. Chacun sa é, Il fallait bien que M. Vineent, qui avait la sienne, la fit connai- sa famille (il eut qnatorze enfants) et de sex ions On congoit , dans ces conditior quelle put étre sa contrariété quand il apprit, quelques mois plus tard, que ses lettres a M. de Comet avaient été retrouyées : celle du 24 juillet 1607 et celle du 28 février 1608, of, jeune prétre encore indécis sur sa voeation véritable, il racontait son eselavage & Tunis, Je wai pas niroversé, un dos déminents historiens ai gaseo) tention de rouvrir ici, 2 propos de cet épisode vieux, déja, de quarante années, Quoique nt vu, ou entrevu, dans cette captivité, une ade“, mon impression est qt’aucun argument sérienx n’a été 11. Du Pére Pierre Dax, Histoire de ta Barbarie, 1637. Du Pére Lucien Hi- Les larmes ef les clameurs des ehrétiens, 1643. Du Pere Frangeis @Axonns, LiHistoire de In miasion des Pires Capucins, 1640; ete., ete. 12. Voir la note & 13. De la méme fagon, la Relation du Mathurin JB. de La Fave (Paris, Sevestre, 1726) est une réfutition en régle de U'Histotre du royaume d'Alger de Lavaten me Taser. 14. Ch.-A, Juums, Histoire de PAfrique du Nord, 2 6d. (1961), t. Ul, p. 281. André Doms, Saint Vincent de Pout et la charété, B., éd. du Seuil, 1960, pp. 15- 18 ot 144-148, SAINT VID ET LA BARBARL 159 prodnit qui permette de révoquer en donte la parole de ¥ Paul, neent de Quoi quvil en soit, pour expliquer les tentatives qu'il fit, en aott 1658, et six mois encore avant sa mort, pour reconvrer ces fameuses lettres, et les détruire, point n'est besoin d'invoquer sa vertu d'humi- lité, comme Va fait Jean Guichard, ni, comme tant de biographes, & la suite de P. Coste, sa erainte de l'Inquisition |. Nous avons vu que le Récit du mauccis traitement était, en quel- que sorte, un anti-d’Aranda. On nous accordera, tout anu moins, q ne pouvait pas ne pus passer pour tel. Or, ces lettres de jeunesse, elles lui donnaient raison, au sieny d’Aranda ! Non que les «Tures » y fussent ce qui s‘appelle encensés; mais enfin, ils étaient loin d'y étre dépeints comme des brutes ignorantes et des tigres altérés de sang... Vineent, & Tunis, fut-il malheureux ? Certes, dans un moment de mal du pays (on eroirait lire du Chateaubriand), il entonne en pleurant Super flumina Rabylonis : mais aucun de ses patrons ne le tourmenta, et il en eut quatre, Le second était méme fort «humain >». Quant quatriéme, un renégat de Nice, il fut si traitable que Vineent le ramena au Christ et se fit ramener par Imi en chrétienté. Ce récit est, en somme, au dossier barbaresque, une « piéce rose ». En contra: diction avee toutes les « piéees noires + que le méme Vineent versera, plus tard, an méme dossier. La condition des chrétiens captifs en Barbarie avaitelle a ce point changé ? Ce n’est pas impossible. En 1606-1607, époque oft la course barharesqne était dans tonte sa Henr, les esclaves étaient si nombreux, anx rivages d'Afrique, qu‘ils y faisaient um peu la loi — Ja vieille tolérance musulmane aidant. Tl en va sans doute différem- Le livre, par endroits un peu trop apologétique de J. Guicuann (Saint Vieont de Paul eselave 4 Tunis, P. Deselée de Brouwer, 1987) abonde cependant em remarques judicicuses. Sur un point J. Guichard s'avouait ineapuble de refuter Je systéme de J. Grandchamp (La Prétendue captivité de saint Vincent de Paul @ Tuatis, 1928), Dans sa lettre du 24 juillet 1607, le jeune Vincent affir- malt, en effet, que les corsaines un navire, au lieu de le «prendre», est attes- te dans plus d'un texte : Les Amours de Cloriarque et d'Ilis, Paris, G, Clousicr, 1639, et In Relation d’Em, d'Aranda (voir Ia note 8), respectivement aux pp. 370- STL el 210 et .; ete. Les corsaires chrétiens en usaient de méme avec les sniques turques (Gazette de France, 1678, p. 25), voire avec leurs cordligionnaires (G. de F., 1662, p. 142). 16. A cause des experiences d'alchimie qu'il aurait faites & Tunis chez son second patron, Mais J, Guicuanp indique bien qu'il s‘agissait d’innocentes expé- rienecs de magie blanche et de physique naturelle. 160 G, TURBET-DELOF ment, cinquante ans plus tard. Les succés de la contre-course chré- e ont raidi les attitudes. D'antre part, Espagne cesse d’étre, face A l'Islam d'Occident, le grand champion dy nom ehrétien. La France prend la reléve. La ¢ cote d'amonr» dont les Francais — méme eselaves — bénéficiaient traditionnellement en Barbarie s’en trouvait-elle affectée ? Mais il y a surtout ceci, que la ¢ ligne» a changé, Le Paria de Mgr de Péréfixe s‘annonce sous les prélats de la maison de Gondi, Le temps n'est plus, n'est pas encore, of I'on pourra, comme Voltaire, of on pouvait, comme Brantome, plaisanter sur les bonnes fortunes et les amours faciles qu’offrait la Barbarie 4 sex esclayes — ses « heu- reux esclayes 2, lit-on tonjours dans les épisodes barbaresques de plus din roman — et 4 ses résidents chrétiens. Il convient maintenant de dénonver, en se yoilant la face, les dangers que courent li-bas tant Wimes (vingt mille dans la seule Alger) si mal secourues parmi tant de pidges, et si diaboliques. Ce ne sont plus que bourreaux atroces, parangons de méchanceté, d'un cOté; de Vautre, dragons de yertn ou péchenrs repentis : bref, la littérature frangaise sur la Barbarie est devenne ddifiante. Sous Henri IV, a I'époque du «grand dessein >, qui nécessitait alliance barbaresque contre Espagne, i] était recommandé, pour étre bien vu au Louvre, de ne pas exagérer les méfaits des pirates de Barbarie, et de blimer sévérement le fanatisme antimnsulman (et antihuguenot...) des sujets espagnols et des parti- sans frangais du Roi Catholique", Cinquante ans plns tard, cleat étre suspect de tiédenr religieuse et patriotique que de ne pas vitu- pérer les Barbaresques, Qu’on relise, pour sen convainere, le panégy- rique de saint Pierre Nolasque préché par Bossuet le 29 janvier 1665, an temps des grandes opérations navales dn due de Beaufort contre Alger; et, du méme, Poraison funébre de Marie-Thérése d'Antriche, prononeée Je 1 septembre 1688, quand Paris retentit encore des nou- velles dn bombardement d’Alger par Duquesne, et du supplice infligé, par représailles, A vingt Francais habitant cette ville, dont le consul — Jean Le Vacher, prétre de la Mission, Bossnet demandait qu'on traquat cette nouvelle Tyr dans sex murailles, comme un rapace dans ses rochers. Son ainég, son ami Vincent ne parle pas autrement, Dans une lettre du 8 février 1658, il va jusqu’A se dire fier de porter le méme nom qu'un fameux corsaire de Marseille, evalier Paul, 17. P, Homrucn, L'Afiiance franea-algérienne, Lyon, Mougin-Fusand, 1898, Pr 174-175 ot passim, Ete. 18. G. Tunsey-Detor, Histoire tres-veritables. Autour d'un pamphiet hu- uenot (1598-1635), Bull. de la Soc, des Bibliophiles de Guyenne, janvier-Juin 1965. Voir pp. 17-24. SAINT VINCENT DE PAUL ET LA BARBARIE 161 et souliaiter que ce dernier aille an plus vite tirer justice «des. in- sultes de ces Barbares ». Comet, était, pour M, Vincent, contredire un ée approuvé par lui — tout & fait récent : le Réeit, Pouv: de cour, s‘infliger A Iniméme et infliger, du méme coup, & Vopinion publique, un tel démenti ™ ? Guy TURBET-DELOF Faculté des Lettres et Sciences humaines de Bordeaua PLS, — Les Cahiers de Tunisie, dans leur n* 49-82 (1963), ont fort opportuné- ment rendu hommage 4 Pierre Grandebamp en réimprimant quelques-wnes des études de cet érndit : en particulier, les trols qu'il a consacrées & «La prétendue captivité de saint Vincen! de Paul & Tunis». Décidément tous les arguments de Grandchamp me paraissent dénués de portéa — sans par- Jer, naturellement, de ceux qu'il a lui-méme retirés. Paimerais pouvoir un jour reprendre la question de A A Z. 19. Encore une fois, je ne prétends nullement faire ici le tour du probléme. Je me contenterai dune remarque, que je crois nouvelle : i ressort des denx lettres & M. de Comet que Vincent, eselave & Tumis, a caché qu'il était prétre. Suns doute eut-il honte de cette dissimulation — non pas tout de suite, mais uprés sa conversion » des années 1610 : Imi qui ne eessera d’exhorter tes Iaza~ ristes de ‘Tunis ct d’Alger @ Gtre jusqu’au hout des témoins du Christ (Abelly, op. eit., livre 1, pp. 103, 108, cte.). Ainst s‘expliquerait son silence sur I"épisode barkaresque de sa jeunesse : expli ble méme ef surtout si cet épisade a #1é intventé. Car, s'il est véridique (du moins sur V'essentiel, comme Je penche 4 le evolre), les raisons me manquaient pas, pour un eaptif, méme ef surtout prétre, de cacher son Identité et sa condition, La pratique en était constante, par soucl d'obtenir une évaluation avantageuse du prix du rachat. Autre rai son, Irop pen connue : au xvi? el xvii" siéeles, on était Join de considérer comme honorable la servitude en Barbaric. (uvre d'un Pére mereédaire et publié avec toutes Jes approbations ccrlésinstiques requises, le Miroir de la charité chré- tiene (1663) admet, page 88, Vopinion, alors courante, selon laquelle on était exclave portr sex péchés, et tiehe seulement d’expliquer pourquol la Providence permet que de saints prétres soient aussi esclaves : préeisément, pour assis- tance spirituelle de ces pécheurs, " 162 @, TURBET-DELOP [Page 1] [Ligne 1] RECIT DU MAVVAIS TRAITTEMENT [2] arri- vé au Consul de France 4 Alger en Barbarie, et des [3] hesoins des Pauures Esclanes. [Espacement] [4] Vn Marchand de Marseille nom- mé Rappiot qui trafl- [5] qnoit en la ville @Alger ayant mal retissi ses affai- [6] xes, y fit banqueroute le mois de Iuin de Pannée 1657, [7] @enuiron quarante mil linres, & se sauua par mer, auec deux [8] Eslanes Chrestions, & deux Renegats, [Alinéa] [9] Les Tures qui perdoient en céte banqueroute, se saisirent de [10] la personne du Consul, voulant le vendre responsable de la fui- [11] te du hanque- routier, & le mirent entre les mains du Bicha, [12] pour le contrain- dve au payement des sommes qne ledit Bap- [1] piot leur empor- toit. [Alinéa] [14] Le Bacha traita d’abord le Consul d'iniures & de menaces : & [15] sur ce qwil luy representa, qu'il n’estoit pas inste qne Vinnocent [16] payast pour le coupable, ce barbare s'emporta de eolere, & [17] commanda qu’on Iny donnast des coups de baston sur la plante [18] des pieds : Aussi tost denx Chaoux prirent le pauure Consul, le [19] coucherent par terre, attacherent ve corde 4 ses pieds, qu‘ils [20] guinderét & attacherent en haut, & I'yn de ces Sergens cémen- [21] en a frapper ce panure patient de toute sa force, ce qni le mit [22] aux hauts cris; & l'autre Chaowx redoublant les bastonnades & [23] tour de bras, ils le firent tomber en sineope par In riguenr de [24] quarante ou cinquante coups; ce que voyant le Bicha, il ft [25] eesser ce rude traitement eraignant que ee panure homme [26] mowrnst sous le baston : mais estant reuenu de sa pas- moison, [27] le Bacha luy demanda s'il dounenoit de Pargent, & le trounant [28] ferme dans le refus; pour Iuy faire changer de reso- Tution, il fit [29] venir le Bourreau, & Iny commanda de luy ficher des canes [80] pointiles ie long des doigts, entre la chair & les ongles : Liappre: [31] hension de ce tommment & la douleur de ce qu'il venoit de [82] sonffrir, Iny abbatant le courage, le fire condescendre & [33] la volonté de son Tyran, & composer A quatre mille piastres [83] A [Page] 2 [Ligne 1] on enuiron; au moyen dequoy il le fit porter chez Iny, of i] a [2] esté longten ey fut-il arriué, que voi [3] la cing ou six Chaonx autour de son liet, qui lny dirent, qu'ils [4] anoient ordre de lenr Maistre de recevoir Vargent qu'il auoit [5] promis, on de le ramener deuant Iuy, & le presserrent si vi- [6] nement, que mayant que trois cens liures pour leur conter, SAINT VINCENT DE PAUL RT LA BARBARIE 163 ain- [7] si qu'il leur fit voir par Youuerture de son coffre; il leur dit, les [8] larmes aux yeux, qu’ils executassent done Ja volonté du Bicha [9] puis que n'ayant point d'argent, on ne Iny dounoit pas vu mo- [10] ment pour en trowuer; ce qui adoucit yn peu ces Chaoux, [Alinéa] [11] Peu apres les pauures Chrestiens Exclanes, tant Fran- gois, [12] Italiens, Espagnols, Portugais, que d’autres nations, ayans [18] sceu Vestat pitoyable dudit Consul, & qu’on Iny resernoit Wau- [14] tres tourmens, sil ne trouucit de Vargent; ils luy appor- terent [15] le pen qu'ils ancient, qui dix, qui vingt, qui cinquante eseus; en [16] sorte qu’ils Iny fournirent douze mille liures, pour satisfaire Je [17] Tyran, & les Officiers, ansquels il anoit promis quelque present [18] pour en esire soulagé en ce rencontre. [Alinéa] [19] Le Consul, seachant l’extreme besoin que ces pauuvres Escla- [20] nes ont de leur argent, les vns pour se racheter, & les antres [21] pour se subuenir a leurs miseres, a enuoyé en France, Le Pre- [22] stre, qui estoit auprés de Iny, & que la pure charité a occuppé [23] depuis six ou sept ans a assistance spirituelle & corporelle [24] des Captifs, pour leur procurer le rembourcement des som- [25] mes qui luy ont prestées, [Alinéa] [26] C'est done ce Prestre, ou pour mieux dire, Nostre Seigneur [27] par luy, qui demande que les bonnes ames cha- titables, qui [28] entendront parler de cette histoire tragique, assis- tent ledit [29] Consnl de leurs aumosnes, pour rendre A ces pauures: Esclanes [80] ce qui leur appartient. [Alinéa] [81] Voicy les motifs qui pressent Ja charité des gens de bien de [82] remedier prompte- ment ace besoin extréme, [Alinéa] [83] Il y a suiet de craindre que ees panutes Mscliues s'emportent [84] de fureur & de rage contre le panure Consul, & que portans [85] leurs plaintes 4 lenrs patrons, quekqnes ns des plus cruels le [86] tourmente derechef; pretendans, selon leur maxime, que le [37] bien des Esclanes leur appartient, & quwenfin ils le fassent [page] 3 (Ligne 1] mourir, s‘ils le voyent aban- donné, [Alinéa] [2] Que plusieurs desdits Esclaues se tuent par desespoir, ou re- [3] no[n]cent au Christianisme pour se faire Tures, comme il nar [4] rive que trop souuent & ceux qui perdent Tespe- tance (estve [5] iamais delinres. Lion a nonuelle qu'il y en a qua- tante qui ont [6] pris le Turban depuis le depart dudit Prestre; & il est 4 erain- [7] dre que ce soit pour ce q ont reconnu Fimpnissance dudit [8] Cousul, de payer ce qu'il leur doit. [Alinéa] [9] Qu'il y a grande raison de degager ledit Consul, selon Dien [10] pource que eat yn fort homme de bien, qui na pas pris eét [11] employ pour y profiter temporellement, mais purement & [12] simplement 4 dessein Wassister pour Vamour de Dien tant de [18] pauures Chrestiens qui gemissent sous la eaptiuité de ces bar-[14] bares, [Alinéa] [18] 1G G. TURRET-DELOP Qu’outre ce qwil a xouffert en son corps en vette dernidre [16] oven: sion, ils Vout tenu deux autres fois assez long-temps en [17] prison les fers aux pieds, & Iuy ont fait faire dinerses auanies [18] tresinius- tement, qui Iny coustent quing: on seize mil linres, [19] qu'il a aussi empruntées, & qwil doit encore, sans que ces [20] Tures ayent ef égard an Roy, de la part duquel il exerce le [21] Consulat, [Ali néa) [22] Quil ne faut pas espérer qn’il se troume personne qui aille [23] prandre sa place & Alger, of on a touiours mal traitté les Con- [24] sul; & sur tont qui y aille par principe de charité comme ce: [25] luicy ny par consequent qui veuille gonifrir auprés de Juy vn [26] Prestre pour ie salut & Je sowlagement des Captits; non plus [27] que les Tues n’en souffriront iamais aneun qui soit libre s'il [28] n’y a vn Consul qui le reconnoissent pour son Chape- lain. [Alinéa] [29] De sorte que toutes ces bonnes wnures établies par le sus- [30] dit Prestre, cesseront entierement; seauoir, les ins: tructions, [31] & les predieations qui se font 4 ces panures gens pour les en-[32]courager & porter patiemment les incomparables tourmens [33] qwils ont & souffrir, L'Office Dinin qui se faict dans les Chap- [34] pelles des Baignes auee la mesme deuotion & les cere- ] dui se pratiqnent dans les Paroisses de Paris ; Ladmi- nistra- [86] tion des saints Sacrements : La visite & le soulagement des [57] malades, & la vigilance que le Prestre & le Consul ont pour [Page] 4 [Ligne 1] courir a ceux qui branlent au manche de la Reli- gion, pour les [2] fortifier par quelque aumosne considerable, [ Ali- néa] [3] Tout cela done eessant; ccs pauures affliger, qui sont au nom- [4] bre de vingt mille, seront prinez de ces consolations, & des [5] moyens de viure Chrestiennement au milien des Tnfidelles, & [6] de leurs oppressions, comme ils ont fait depuis dix on douze ang [T] que ledit Consul est en charge, & qu'ils retomberont en Vesiat [8] qu’lls estoient auparauant, of il s'est trouué de panyres Chre- [9] stiens qui n'auoient esté & confesse depuis vingt & trente ans; & [10] & c'est de ce defant d’assistance que sont venus tant de Rene- [10] [g] ats, qui ont abandonné IESVS-CHRIST. [Alinéa] [12] Or cela posé, il semble que ceux qui seront informes de cette [13] ne- cessité extréme, ou quasi extréme du salut de tant de Chre- [14] stiens abandomnez, seront coupables de la perte de lenrs ames, [15] s'ils ne les assistent de lenrs aumosnes, selon la Regle d'vn [16] Saint, dit, Vous auex vew te danger extréme du sulut de vostre (17) pro- chain, ot ne Paues pas socourn, vous estes cause de sa perte. [Espa- cement] [18] Cow qui voudront faire guetques awmosnes pourroné tes mettre, [19] si leur pluivt, entre ies maine de Mussinves tas Cvnez pes [20] Parorsszs pe Pants, ou de ceuw ou celles quiits auront SAINT VINCENT DE PAUL BL LA BARBARIE 165 com: [21] mis & cet effet, ow de Mowsteur ux Conte Dreecterr pe [22] iHosret-Drev, ow de Mavame Travonzh dans la Rud [28] 8. Martin proche lw Rué Briboucher, ow de Mapexorsenen pe [24] LawoiGxon dans ladite Rué Briboucher proche Sednt fosse ou de [25] Monsieur Winces? Svrerinve bes Peesrees pe [26] ta Massrox a Samncr Lazare.

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