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à l’époque ottomane
I.
MONNAIES, PRIX ET REVENUS
1520 - 1830
ISBN:2-912946-31-X
©EdItIoNS BouchENE,Paris,2002.
LEmNouar mErouchE
EdItIoNS BouchENE
Introduction
cevolumefaitpartied’unprojetderecherchesurl’histoireéconomique
etsocialedel’algérieàl’époqueottomane.
Partidesgrandesorientationsméthodologiquesd’ErnestLabrousseetde
PierreVilar,jemesuisappuyésurlesapportspionniersdeclaudecahen
etdemaximerodinson 1.mesinvestigationsm’ontamenéàprocéderà
desremaniementsetàdesajustementsenfonctiondessourcesdisponibles
etdelasingularitédusujet.
SousletitregénéraldeRecherches sur l’Algérie à l’époque ottomane,ma
recherchecomportequatrevolumes.chacund’euxestàlafoisautonome
etreliéauxautresparcequ’intégréàunevisiond’ensemble.Lechoixde
fondermaprospectionsurdessourcesdepremièremainm’acontraintà
écarterdemonchampd’étudedessecteursimportantsencoreàdéfricher.
onnes’étonnerapasdoncqu’ilyaitdesdiscontinuités.
LeprésentvolumeapourtitreMonnaies, prix et revenus.L’intitulérenvoie
ensigned’hommageaupremiergrandlivredeLabroussequiabouleversé
lesméthodesd’histoireéconomiqueetsociale,enanalysantladynamique
desstructuresdelasociétéàpartirdel’observationdesmouvementsdes
prixetdesrevenussurunelonguedurée.SelonLabrousse:«Lesfluctuations
économiquesnechangentpasseulementensoilasituationmatérielled’un
grouped’hommesoud’uneclasse.Ellesmodifientlespositionsrespectives
desclasses :ellesréduisentouaggraventlesécartssociaux,ellesapaisent
ouexaspèrentlesantagonismes.detellesconséquencespeuventêtreà
l’originedegrandschangementsinstitutionnels.» 2
Pourpermettreaulecteurdejugersurpièce,chaquechapitreousection
dechapitres’ouvresuruneprésentationdessourcesetdelamanièredont
lesdonnéessontconstruitesàpartirdecessources.
Préalableàl’étudedesprixetdesrevenus,lapartieconsacréeàlamonnaie,
renouvelleentièrementlesujetsanspourtantarriveràdesconclusions
définitives.Laconfrontationdesourcesdirectesetvariéesmetenlumière
ladiversitédestypesdemonnaieetlesmutationsqu’ilsontsubiesaucours
detroissiècles.
àpartirdecesindicationsprécisessurl’évolutionmonétaire,uneétude
desmouvementsdesprixdevenaitpossible.celle-ci,nousditPierreVilar 1,
n’estpasunbutensoi,maisunmoyendepréparerl’étudedesrevenuset
deleurdistribution,etdereconstituerainsilemouvementdesstructures
sociales.
LemodèledeLabrousserecèleenluidesélémentspertinentspournotre
sujet.Ilconvientàl’étuded’uneéconomied’ancientypeàdominante
agricoleetàl’approchedescrisesdesubsistancequirythmaientlaviede
cessociétés.appliquésansmimétisme,ilfaitressortirlesconvergenceset
lesdifférencesdansleséconomiesoùlaproductiondesdenréesalimentaires
étaitl’élémentdominantetoùunepartiesignificativedecetteproduction
faisaitl’objetd’échangesentrevillesetcampagnes,entreproducteursetnon
producteurs,entrerégionsspécialiséesdansdesproduitsdenaturedifférente,
etavecl’extérieur.
Larichevariétédesdonnéessurlesprixs’inscritenfauxcontrelesclichés
de «l’économie fermée» et montre avec pertinence que les «crises de
subsistance»dansl’algériedel’époqueottomanecorrespondentauschéma
classiquesystématiséparLabrousse:manquederécoltesdesgrains,hausse
croissantedesprixdescéréalesdanslesvillesetparfoisfamineaccompagnée
ousuivied’épidémiesmeurtrièresetdemouvementsderévoltesimputant
aupolitiqueetaux«accapareurs»lacausedeschertésetdelafamine.ce
phénomènegénéralquiseproduitdansdesconditionsspécifiques,revêt
desformesparticulièresliéesautypedeconjonctureéconomique,àla
spécificitédesstructuressociales,desreprésentationscollectivesetdu
systèmepolitiquedumoment.
onvoitparlàquel’étuded’unsecteurdonnéestenvisagée,nonpas
danslecadred’unehistoire«exhaustive»oùl’onadditionnearbitrairement
l’économique,lesocialetlepolitique,selonlaconceptiond’une«histoire
àtiroirs»vigoureusementcombattueparLucienFebvre 2.Elleestenvisagée
dansuneoptiqued’histoiretotaleoùlesdomainesétudiéss’articulenten
fonctiond’interconnexionscontinues.
L’analysedesmouvementsdesrevenusneseréduitpasàlaprésentation
statiquedesrichessesetdespauvretés,commeonlefaittropsouvent,mais
s’intéresseàladynamiquedesenrichissementsetdesappauvrissements.
dynamique,mouvements,changements,cesmotsrapportésàlasociété
algériennedel’époqueottomane,peuventsusciterdesréserves,voiredes
objections fondamentales.rappelons à ce sujet cette leçon d’Ernest
Labrousse :«Voulez-vousmaconfession,présentéedéjàpubliquement ?
souligne-t-il.Ehbien,c’estquenousavonsfaitjusqu’icil’histoiredes
mouvementsetquenousn’avonspasfaitassezl’histoiredesrésistances.
L’accélérationdel’histoirenedoitpasnousfairetropsous-estimerla
lenteurdel’histoire.Larésistancedelamentalitéenplaceestundesgrands
facteursdel’histoirelente.Ellebloqueoususpendlesprisesdeconscience.
Elleestlachanceprodiguéedescontre-révolutions». 1
Lespesanteursquiagissaientsurlasociétéalgériennedel’époquenesont
passous-estimées.Bienaucontraire,c’estdansleurcadrecontraignantque
sontexaminéslesmouvementsdesprixetdesrevenusetcequilesaccompagne
commeperturbationsoumutationsdansl’ordresocialetpolitique.
depuisplusd’unsiècle,lesétudes,àquelquesexceptionsprès,quiont
traitédelasociétéalgérienneàl’époqueottomane,l’ontenvisagéedansune
optiqued’immobilisme.Lamonnaieelle-mêmeétaitabordéeselondes
formulesdutype:«àl’époqueottomaneleboujouvalaittantdefrancs».un
mouton,unsacdeblé,etc.,valaienttoujourslemêmeprix.Etainsidesuite.
Pourtant,ilsuffisaitd’unexamenrapidedesdocumentsd’époquepour
voiràquelpointcettevisionmillefoisressasséeétaitsansfondement.La
documentationinvitaitàsaisirlechangement.Ellepermettaitderendre
visibleslessecteursmarchands,urbainsetpolitiquesmaislaissaithélas
despansentiersdelasociétédansl’obscuritéoulesilencedel’histoire.
Problèmes de vocabulaire
d’autresmalentendussurgissentàproposduvocabulaire.Larigueur
exigequelesensdesmotsquiprêtentàcontroversesoitdéfiniaupréalable.
Ilnes’agitpasdedonnerdesdéfinitionsgénéralescoupéesducontextemais
d’indiquerlesensdanslequelletermeconcernéestemployé.
d’abord,pourquoi«l’algérie»etpourquoi«ottomane» ?
L’Algérie :Lepointdedépartdel’algériedestempsmodernes,soncentre,
c’estalger,enarabeal-jazâ’ir (lesîles),appeléeainsienraisondesîlotset
rochersquibordaientleportetquifurentrattachésàlaterrefermepar
Khayral-dînen1529-1530.SelonunetraditiondontontrouvetracechezIbn
Khaldoun,ondésigneuneprovinceouleterritoired’unEtatparlenomde
sacapitale.marocvientdemarrakech,commetunisiedetunisetalgérie
d’alger.IbnKhaldoun 2 cite«bilâd al-jazâ’ir»(lepaysd’alger),c’est-à-dire,
à son époque, la région contrôlée par le pouvoir d’alger ou la zone
géographiqueétroitementliéeàlavilled’alger.aveclerenforcementdu
rôlepolitiqueetéconomiqued’alger,commevillemarchandeetcorsaire
à la fois, au cours du XVe siècle et à la veille de l’arrivée des frères
Barberousse,le«paysd’alger»,qued’unseulmotenfrançaisonappellerait
«algérie»,s’étaitsansdoutepluslargementétenducommecirconscription
administrativeautonomemaisdépendantselonlesmomentsdeBougie
oudetlemcen.
Est-ceàdirequelesfrèresBarberoussen’ontpas«créél’algérie»,mais
l’ontseulementélargie?defait,«bilâd al-jazâ’ir»d’IbnKhaldounnerecouvre
paslamêmeréalitéque«bilâd al-jazâ’ir»utiliséauXVIIe siècleouparlasuite.
Lanouvelleentitépolitiqueottomaneconstitueuneruptureaveclepassé
surplusieurspoints.Ils’agitd’abordd'unétatnouveauintégréàungrand
empire,un«étatd’empire» 1,ayantàlafoistouslesattributsd’unEtatau
sensd’alorsmaisquiparailleursconstituaituneprovincelargement
autonomeauseindel’empireottoman.L’évolutiondustatutdelaprovince
versuneindépendancedefaitnechangepaslecaractèrefondamentalement
ottomandel’Etatdontlesdirigeantssedisentofficiellementles«humbles
serviteurs»,les«esclaves»desa«majestéImpériale»,le«Sultansuprême».
«Al-jazâ’ir»,lenomquepritcettenouvelleentitépolitique,recouvrepour
l’essentielcequ’onentendaitauparavantpar«al-maghrib al-’awsat»qui,
selonIbnKhaldoun,vadelamuluyajusqu’àl’estdeBôneoùcommence
«Ifrîqiya».Enquelquesdécenniesensuite,lenouveaupouvoirinstalléà
algerparvientàrassemblersoussonautoritéunterritoiredontlesfrontières
orientalesetoccidentalesn’ontpratiquementpaschangéjusqu’àl’heure
actuelle.Verslesud,lecontrôleduSaharas’exerçaitsoitdirectementpar
l’intermédiairedesgarnisonsétabliesdanslesoasis,soitsouslaforme
d’unedépendancetributaireouéconomiquequiliaitcespopulationsau
pouvoird’alger.
Leterritoireétaitappeléàl’époqueqotr al-jazâ’ir (qotr :territoire,province),
watan al-jazâ’ir (watan :patrie,pays)etal-jazâ’ir toutcourt.d’al-jazâ’ir
dériventdansleslangueseuropéennes,Alger, Argel, Algiers, Algeria,etc.
chezlesauteursanglaisdel’époque,unedistinctionsefitprogressivement
entrealgiersquidésignegénéralementlavilleetparfoislepaysetalgeria
quifinitpardésignerexclusivementlepays.Enfrançais,algerdésignaitla
villeetlepaysappeléaussi«royaumed’alger»ou«républiqued’alger».
«algérien»estattestéparécritenfrançaisdès1613etsesemploissont
constantsdepuiscettedate,constateg.turbet-delofquiajoute:«ainsile
témoignagedelalexicologieestindubitable.auxXVIIe etXVIIIe siècles,
algérienn’étaitpassynonymed’algérois(quin’existaitpas)etserapportait
àl’entitépolitiquequ’étaitlafuturealgérie». 2 uncurieuxdocumentfrançais
datantde1751parlede«patriotesoualgériensproprementdits»etnote«que
leroydeFranceneseplaintnullementdelanationalgériennemais
seulementdudeycommeinfracteurdestraités» 1.«Patriotesalgériens»,
«nationalgérienne».unminimumd’attentionauxusagesetaucontextede
l’époquemontrequ’onentendpar«patriotes»leshabitants«proprement
dits»dupays.ondiraitaujourd’huiindigènesouautochtones.«Nation
algérienne»renvoieàuneterminologiefrançaiseduXVIIIe siècle,quin’a
pasd’équivalentexactdanslelangageutiliséenalgérieaumêmemoment.
mêmesi,enfait,«nationalgérienne»désignaitseulementl’ensembledes
habitantsdupaysquelerapportfrançaisvoulaitdissocierdesdirigeants
turcs,ilyalàunexempleintéressantd’anachronisme,nonpasparrapport
autemps,maisparrapportàundécalagehistoriqueentreunenotionetce
qu’elledésignedeloindefaçoninadéquate.
Enfrançais«algérien»existaitmaispas«algérie».Enarabeparlé,pour
distinguerentrealgeretalgérie,ondisaitDzâyer pouralgeretal-jazâ’ir pour
algérie.quoiqu’ilensoit,l’équivalentenarabedumotfrançais«algérie»
existaitmais«jazâ’irî»signifiaitavantleXIXe siècle«algérois»etjamais
«algérien».cetteabsencelimitefondamentalementlesens«national»qu’on
peutattribueràdesexpressionscomme«watan al-jazâ’ir»utiliséeen1631
ou«watanunâ»(notrepatrie)qu’onrencontrechezal-Wartilânî(milieudu
XVIIIe siècle)etd’autresauteursdel’époque. 2 mohammedharbinoteàce
sujet :«laconscienceterritoriale,lesentimentd’appartenanceàunmême
paysseretrouventcheznombredelettrésmaisilfautsavoirdistinguerles
idéesdeslettrésdelaréalitéquis’imposeàunpeuple». 3
c’estdansceslimitesqu’onutiliseraicilemot«algérie»,certesinconnu
enfrançaisàl’époqueottomane,maisquiavaitsonéquivalentenarabeet
dansd’autreslangueseuropéennes.
«Ottoman» :Parlerd’algérieottomane,c’estàpremièrevuequalifierun
paysetunesociétéparunaspectpurementpolitiqueetmêmeétroitement
dynastique.Enfait,«ottoman»réfèreàunempiremusulmanquiaenglobé
pendantplusdetroissiècleslapresquetotalitédumondearabe.Lechefde
l’empirequirecouvraitl’essentieldumondemusulmansunnite,eten
particuliersondomainecentralturco-arabe,étaitparédestitreslesplus
majestueux,saufceluidecalife.dansl’espritdesessujetsmusulmans,ilétait
lesultandel’Islam,leconquérantdesterreschrétiennesenEurope,le
combattantdelafoi,enunmotledignesuccesseurdesgrandscalifesde
l’Islam.Ilyavaitun«espritottoman»,une«communautéd’empire»au
sensqueluidonnem.rodinson 4.
1.aN,Paris,aE223mi1,vol.13,f°210.
2.Lemnouarmerouche,«L’émergencedelanotiondepatrieenalgérie»,inTravaux de
l’IAORT,alger,1979,p.1-28.
3.mohammedharbi,1954. La Guerre commence en Algérie,complexe,Bruxelles,1984,p.100.
4.maximerodinson,L’Islam, politique et croyance,Paris,1993,pp.32-33.
12 rEchErchES Sur L’aLgérIE à L’éPoquE ottomaNE
Lesmanifestationsdecet«ottomanisme»sontnetteschezdesauteurs
arabesaussidiversquel’algérienBûrâsduXVIIIe siècle,letunisienIbn
abîdhyâfduXIXe siècleetmêmeunnationalisteégyptienduXXe siècle,
mohammed Farîd, dont L’histoire de l’Etat sublime est un monument
hagiographiqueàlagloiredessultansottomans.Ilestsignificatifqu’en
pleinXXe siècle,lagrandeuniversitéislamiqued’al-azharconfectionnait
desmodèlesdeprônesduvendrediaunomdu«califedel’Islam»,ledernier
sultanottomancabdal-majîd.danslesdouarsreculésdelarégiondeSétif,
enalgérie,desimamslocauxcontinuaientàlesutiliserjusqu’aumilieudu
sièclecommejel’aiconstatépersonnellement.L’ottomanismedenationalistes
contemporainscommem.Farîd,fondateuretdirigeantdupartinational
égyptien,etahmedtewfiqal-madanî,grandidéologuedunationalisme
algérien,illustres’ilenétaitbesoinlesmultiplesfacettesdetoutsentiment
d’appartenance.onserévoltaitcontreles«turcs»,maisonpriaitpourle
«sultandel’Islam».c’estenréférenceàl’espritdel’époquequ’unhistorien
égyptienmoderne,laïcetprogressiste,monmaîtreetami,leregretté
mohammedanîs,adonnéàl’undeseslivresd’histoireletitreenarabede
Misr al-cuthmânîya (L’Egypteottomane).aumaghrebetenparticulieren
algérie, on préfère utiliser «à l’époque ottomane» pour relativiser
l’appartenanceàl’empire.Pourtant,unecommunautéd’empireexistait
chezlessujetsmusulmansou,toutaumoins,danslesmilieuxdel’élite
qu’exprimentlesdifférentsauteurs.Ladiversitédesétats,provinceset
régionsquiformentl’empire,etlavariétédessentimentsd’appartenance,
ethniques,confessionnels,tribaux,régionaux,etautres,coloraitlesmotifs
d’untableauimmensemaisquin’enconstituaitpasmoinsunensemble
structuré.«algérieottomane»serautiliséequelquesfoisdanscevolume,
commeempruntethommageàl’historienégyptiendisparu,etpourse
démarquerdel’espritquiprésideàlacensureimplicitequifrappecette
expressionenalgérieetdanslemaghreb.
«République» :Pourparlerdupouvoiràalgeràl’époqueottomane,les
documentsfrançaisdel’époqueutilisaientla«républiqued’alger»,le
«royaumed’alger»oula«régenced’alger».«républiqued’alger»asuscité
l’enthousiasmedecertainspublicistesalgériensquiyonttrouvélapreuve
del’existencedela«nationalgérienne»confondueavecl’existenced’unétat.
Ilss’exaltaientàdécouvrirquela«républiquealgérienne»avaitdevancéla
républiquefrançaiseetlesautresrépubliquesmodernes.Ilsignoraientque
danslesécritsfrançaisdesXVIIe etXVIIIe siècles,«république»signifiait
seulement,commeroyaumed’ailleurs,état,gouvernement,oupays.on
utilisait aussi plus spécialement «république» pour désigner un
gouvernementnonmonarchique,ungouvernementdeplusieurspersonnes,
cequiétaitlecasdupouvoird’alger.
Est-ilbesoinderappeler,contrecetteillusionsémantique,quelepouvoir
enquestionnes’estjamaisappelé«république».Iln’existaitpasdemot
moNNaIES, PrIX Et rEVENuS 13
équivalentenarabe.Lemotarabe«jumhurîya»aétéforgéauXIXe sièclepour
rendrelanotionderépublique.
restelemot«régence».Ilcorrespondàlasituationmaisilaétépresque
toujours rattaché à «barbaresque» qui a une connotation péjorative.
«régence»ouEtatdanslesens«d’Etatd’empire»sontinterchangeableset
serontutilisésicidansleslimitesindiquéesplushaut.
Lesensdestermessocio-économiquess’inscritdanslecontextedeleur
utilisation.danslamesuredupossible,onaévitél’emploidemotsempruntés
àdescontextestropdifférentsoudontonfaitaujourd’huiunusagede
caractèrepolémique.ainsi,«renégat»désignaittoutchrétienconvertià
l’Islam.onutilisera«converti»,motplusneutre.Lemot«caste»supposeune
certaine fermeture du groupe concerné, ce qui est contredit par les
développementsquivontsuivre.«classesociale»,comme«nation»,renvoie
àdesconceptsmodernesquiimpliquentuntyped’organisationcohérente
etdeconsciencecollectivequ’onnerencontrepasdanslasociétéalgérienne
del’époque.Sionévoquequelquefoislemot«bourgeoisie»,c’estpour
rendreunclimatculturel,unmodedevied’ungroupedecitadinsaiséset
particulièrementsensiblesàtoutcequitoucheàleurstatutetnondansle
sensmodernedeceterme.Sonemploidansuneacceptionsocio-économique 1
permetdespécifiercegroupedel’ensemblequelesauteursetlesdocuments
del’époquedésignaientparlesmots«élite»,«notables»,etc.
d’or»répondaux«sièclesobscurs».Les«exploitshéroïquesdescombattants
maritimesdelafoi»fontéchoau«niddepirates».histoireréactivemais
surtoutconstructiond’unemémoirenationaleautourdes«grandesgloires
dupassé»surlemodedel’épopéeetduculteduhéros.En1934,paraissait
enarabeGhazawât cArrûj wa Khayr al-dîn.ainsiles«frèresBarberousse»,
fondateursdel’Etatottomand’algereurentlaprimautéchronologique
danslasériedeshérosretrouvés.Ilsfurentsuivisdehannibal,Jugurtha,
etabdel-Kader.L’originedes«héros»misenœuvreoumisenscènemontre
quecesconstructeursdemémoiren’avaientpasdesectarismeethnique
oureligieux.
cettelittératurehistorisantevisaità«décoloniserl’histoire»comme
l’indiqueletitred’unlivredemohammed-chérifSahliparuen1965.Elle
aimprégnéunegrandepartiedelaproductionhistoriquealgérienneaprès
l’indépendance.Encouragéeetlargementencadréeparlesinstitutions
officielles,cettehistoirecommémorativen’hésitaitpasàaffirmerqu’elle
«étaitinspiréeparladirectionrévolutionnairedupays».onpourraitciter
plusieurstextesdelamêmeveine,maiscelan’auraitd’intérêtqu’anecdo-
tique.cetypedeprofessiondefoireflétaitd’ailleursleclimatgénérald’une
culturepolitiqueoùl’impératifd’uniténationaleoud’espritdepartilaissait
peudeplaceàlapenséecritique.Lepasséétaitutilisépourfairevaloirle
présent.Lescasd’identificationrétrospectivesituaientclairementleurs
auteurs.ceuxquisereconnaissaientdansla«république»desjanissaires
observaientl’histoiredupointdevuedela«républiquealgérienne»des
militairesd’aujourd’hui,incapablesqu’ilsétaientdecomprendrequela
rupturefondamentalequeconstituelarépubliquesetrouvedanslavolonté
souverainedupeuple,expriméeparlesuffrageuniversellibreettransparent.
au-delàducontextequifaisaitdespremiershistoriensanticolonialistes
despionniers,ilfautreleverl’étroitessed’espritetl’autoritarismerégressif
deleursépigonesd’aujourd’huietl’ouvertured’esprit,lamodestieet
l’honnêtetédespremiers.cetteappréciationviseàanalyserlesconditions
globalesd’unehistoirequin’arrivepasàs’émanciperdescontraintesextra-
scientifiquesetnonpasàjugerdespersonnes.
onnes’attarderapassurlalégitimitédesmobilespatriotiquesbien
connusdeceuxquiontinitiécecombatpourdonnerfiertéetespoiràune
populationécraséeetméprisée,combatquiparsurcroît,comportaitrisques
etprivations.onpeutaussiadmettrequecertainescritiquesdecette
historiographienationalistepartentdeprésupposésidéologiques.onne
discuterapasnonpluslebien-fondédesinterprétationsanthropologiques
quiprésententdesmythescommedesélémentsconstitutifsdel’identité.
observonsseulementqueles«mythes»modernesdecaractèrepolitico-
idéologique,sontfondamentalementdifférentsdesmythesàlabasede
certainescroyancesreligieuses,combienmêmeinvoqueraient-ilsunehistoire
ancienne.
moNNaIES, PrIX Et rEVENuS 15
Les«hérosmythiques»modernesnegardentpasuneplacedéfinitivedans
lespanthéonsnationaux.Forgéspourdesluttescirconstancielles,ilssubissent
commeelles,lesvicissitudesdel’histoire.Ilssontl’expressiond’enjeux
immédiatsmettantauxprisesdestendancesparmid’autres.ainsis’explique
laviolenceinouïecontretouterecherchedestinéeàdonnerunéclairage
historiquesérieuxetdémystificateur.L’évolutionrécentedel’algérietémoigne
d’unemanièreéloquentedel’usuredecesmythes.Ilyaunedizained’années,
contesterlechiffremythiquedumilliondemortspourl’indépendance
constituaitunetransgressioninadmissible.L’approchecritiquedesappareils
duFLNoudumessalismecontrevenaitàdestabousquivaudraientàdes
historienscommem.harbiinsultesetdénigrement.aujourd’hui,ledébat
estdevenupossiblemêmes’ilrestepassionnel.Iln’yapasdevictoirefacile
danscesdomaines.maiscesontdesbrèchesouvertesdansl’enceintede
cette«prisondelonguedurée»pourreprendreuneexpressiondeF.Braudel
surlepoidsdesstructuresmentales.commelesoulignem.harbi :«La
difficultédelaconnaissancehistoriquevientdeceque,pourl’algérie,le
rapportàsonhistoireancienneoumoderneestfortementmarquéparla
mythologieislamiqueetleromantismepolitique...Fortementimprégnée
parl’hagiographieetl’apologétiquereligieuse,elleatendanceàignorerle
problèmedelatemporalité.cetraitestcommunàl’ensembledumonde
arabe». 1 ceconstatvautpourlapresquetotalitédumondemusulmanqui
enestencoreàl’interprétationlittéraleetdogmatiquedestextesreligieuxde
base.destabousabsolusrègnentdanscedomaineetinterdisenttoute
recherchehistoriquedignedecenom.deshistoriensetdespenseursarabes
ontpayédeleurvieleuraudacepouravoiressayéd’éclairerlecontexte
historiquedelanaissancedel’Islamoudeprésenteruneinterprétationdes
textesreligieux,indépendammentdel’orthodoxieétablie.
onpeutcontinueràincriminercommefacteurdecesblocageslesméfaits
indéniables du colonialisme et son immense responsabilité dans la
dépossessionculturelledelasociétéalgérienne.danslemêmeordred’idées,
l’analysecritiquedesouvragesd’auteursoccidentauxreprésentantsdel’ère
impérialeestindispensabledansleclimatintellectuelactuelderestauration
conservatrice. «L’impérialisme universel, dit P.Bourdieu, n’est qu’un
nationalismequiinvoquel’universelpours’imposer» 2.maisellenedispensera
pasd’unregardcritiquesurlessociétésanciennementcoloniséesetsurles
préjugésetlesaprioriquimarquentleurproductionintellectuelled’hieret
d’aujourd’hui.onsaitquedanslemondearabe,lesécritsquicritiquentles
principauxreprésentantsdecetteculturededominationimpériale,d’un
pointdevuerigoureusementuniversaliste,commelefaitEdwardSaïd 3,
sontuneinfimeminorité.L’essentieldelalittératurededénonciation
stigmatiseglobalementl’occidentets’attaquesurtoutauxreprésentantsdes
Lumièresetàl’intelligentsiaprogressiste.ceculturalismeetcettexénophobie
empêchenttoutregardsurlesconditionsdenotreservituded’hieret
d’aujourd’hui.Ilsalimententl’enfermementetl’hostilitéàl’apprentissage
destechniquesderecherchescientifique,sousprétextequelesnouveaux
concepts,lesnouvellesméthodesetlesnouveauxchantiersdel’histoireet
des sciences sociales seraient des vecteurs de «l’invasion culturelle
occidentale».Si cette terrible vague d'obscurantisme, nourrie de
ressentimentsanciensetdecolèresocialenouvelle,doitrefluer,c’estgrâce
aucombatdetousceuxquiontcontinuéàenseignerque«lascienceest
lumière»,commeditunvieiladagearabe.
c’estàeuxetàceuxquiontsacrifiéleurvieencroisantleferavecles
obscurantistesquejedédiecetouvrage.
moNNaIES, PrIX Et rEVENuS 17
Piècesdemonnaiesdel’époqueottomane.Enhaut,unsultânî frappépendantlerègnede
Solimanlemagnifique.Suiten-dessous,unziyânî datéde995h.(déc.1586-nov.1587)qui
perpétuelesformesayantprécédélesottomans.danslesautrespièces,lestyleottoman,
notamment,latughra estdominant.(PhotosBNParis).
18 rEchErchES Sur L’aLgérIE à L’éPoquE ottomaNE
‘(hamza):«occlusiveglottale»,onnelanoterapasaudébutdumot.
c
(cayn):«fricativelaryngale».
ç(sâd):semphatique.
d(dâd):demphatique
dh(dhâl):seprononcecommelethanglaisdansthis.
gh(ghayn):seprononcecommelerparisiengrasseyé.
h(hâ):haspirécommedansallah.
h(hâ):hfortcommedansmahmoud.
kh(khâ):commelajotaespagnole.
q(qâf):sortedekfort.
sh(shîn):chfrançaiscommedanschat.
t(tâ):temphatique.
th(thâ):seprononcecommelethanglaisdansthing.
u:rendlavoyelleosouventprononcéeou
w(wâw):seprononcecommelewanglaisdanswatt.
z(zâ):zemphatiquesouventprononcécommeundhemphatique.
â,û,î:voyelleslongues.
moNNaIES, PrIX Et rEVENuS 19
ABRÉVIATIONS
L’étude des mouvements des prix et des revenus dans l’Algérie ottomane
implique de connaître au préalable les instruments qui les mesurent.
Sur les poids et les mesures 1, en raison de leur grande stabilité, quelques
indications peuvent être suffisantes. Il n’en est pas de même pour la monnaie
qui, en trois siècles de présence ottomane en Algérie, a connu des
changements non seulement de poids, de titre, de valeur, mais aussi de
dénomination.
Une étude attentive de l’évolution de la monnaie s’impose d’autant plus
qu’il n’existe sur le sujet que des indications qui concernent généralement
les dernières années qui ont précédé l’occupation française et qui ont été
prises imprudemment par certains auteurs d’hier et d’aujourd’hui, comme
valables pour toute la période ottomane.
Il n’est peut-être pas superflu de rappeler ici que les pays du Maghreb
connaissent l’usage de la monnaie métallique depuis l’Antiquité
carthaginoise. Cet usage ne cessa jamais au Moyen Age. Bien au contraire,
il connut une grande extension à partir du IXe siècle, avec l’afflux massif de
l’or soudanais auquel certains historiens modernes attribuent une importance
essentielle dans la prospérité et le développement urbain du Maghreb
médiéval 2. Explication dont les implications théoriques ne seront pas
discutées ici 3. On notera seulement que M. Lombard qui a beaucoup
contribué à développer cette thèse a en même temps insisté sur le facteur
démographique dans la croissance urbaine du Maghreb.
Il est impossible d’évaluer, même approximativement, les quantités d’or
arrivant du Soudan dans les villes du Maghreb en général, et du Maghreb
1. V. Annexe I.
2. Cf. F. Gautier, L’or du Soudan dans l’histoire, A.H.E.S., mars 1935, p. 114 sq. F. Braudel,
Monnaies et civilisations: De l’or du Soudan à l’argent d’Amérique, A.E.S.C., janv. 1946, p. 9 sq.
M. Lombard, Les bases monétaires d’une suprématie économique: l’or musulman du VIIe au XIe
siècle, A.E.S.C., avr. 1947, pp. 143-160. M. Lombard, L’Islam dans sa première grandeur, Paris,
Flammarion, 1971, pp. 125-136. Y. Lacoste, A. Nouschi, A. Prenant, L’Algérie, passé et présent,
Paris, Ed. Sociales, 1960, pp. 105-108. Y. Lacoste, Ibn Khaldoun: naissance de l’histoire, passé du
Tiers-Monde, Paris, Maspéro, 1966, pp. 109-122.
3. Pour les problèmes théoriques que pose l’histoire de la monnaie, cf. P. Vilar, Or et monnaie
dans l’histoire, Paris, Flammarion, 1974.
22 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
1. Ibn Hawqal, Çûrat al-ard, Beyrouth, Maktabat al-hayât, 1979, pp. 96-98.
2. El-Bekri, Description de l’Afrique septentrionale, trad. M.G. de Slane, Paris, Maisonneuve,
1965, p. 331.
3. Id. p.156.
4. F. Braudel, «De l’or du Soudan», op. cit., p. 11.
5. El Idrisi, Description de l’Afrique et de l’Espagne, trad. de Goeje, Leyde, 1866, p. 141.
6. Y. Lacoste, Ibn Khaldoun, op. cit., pp. 87-122.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 23
débuts des temps modernes. Notons seulement qu’il est difficile de mesurer
le degré de ralentissement des arrivées d’or soudanais au Maghreb.
La relation que fait Ibn Battûta de son voyage au Soudan en 1352, montre
que le trafic de l’or entre le Maghreb et le Soudan garde une certaine
importance malgré les catastrophes démographiques et les troubles
politiques que connaissent les pays du Maghreb au milieu du XIVe siècle.
Le célèbre voyageur suit l’itinéraire occidental classique. Il passe dix jours
à taghâza, où l’on extrait le sel saharien qu’on échange contre l’or. Il dit de
taghâza : «malgré son insignifiance, taghâza est un bourg où on traite de
quintaux et de quintaux d’or tiberi»1.
1. Ibn Battûta, Voyages, texte arabe et traduction,t. I., Paris, Anthropos, 1979, p. 378 (passage
retraduit par nous).
2. R.Brunschvig, «Esquisse d’histoire monétaire almohadohafside», in Etudes d’Islamologie,
t.I, Paris, Maisonneuve, 1976, p. 93.
3. Id. pp. 93-94.
4. Id. pp. 94-96.
5. Id. pp. 96.
6. Id. p. 82.
24 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
1. C. Cipolla, «Sans Mahomet, Charlemagne est inconcevable», A.E.S.C., janvier 1962, pp.
133-135.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 25
1. E.W. Bowill, The Golden Trade of the Moors, London, Oxf. Univ. Pr., 1958, pp. 180-181.
2. P. Vilar, Or..., op. cit., p. 67.
3. J. Heers, Gênes auXVe siècle, Paris, Flammarion, 1971, p. 77.
4. Id. p. 69.
5. V.M. Godinho, L’économie de l’Empire portugais aux XVe et XVIe siècles, Paris, S.E.V.P.E.N,
1969, p. 39.
6. C. de La Véronne, Relations entre Oran et Tlemcen dans la première moitié du XVIe siècle, thèse
Lettres, Paris IV, 1981, pp. 37-38.
7. F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et Capitalisme, XVe-XVIIIe siècles, t. I, Paris, 1979,
pp. 102-103.
26 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
Sans prendre à la lettre les prix donnés par les voyageurs et géographes,
il semble bien que l’intensification des échanges avait tendance, à long
terme, à amoindrir de façon significative le décalage considérable qui
existait au départ, entre les termes de l’échange. L’échange inégal semble
caractériser les premiers rapports entre l’Afrique soudanaise et l’Afrique du
Nord. Au XIe siècle, nous dit al-Bikrî 1 «le sel se vend au poids de l’or». Au
XIVe siècle Ibn Battûta rapporte de son voyage 2 qu’une charge de chameau
(de sel) se vend à Ioualaten 8 à 10 mithqâl et que dans la ville de Mâlî, elle
vaut 20 à 30 mithqâl et parfois 40 (le mithqâl contient 4,40 g. d’or fin et la charge
de chameau est d’environ 150 kg).
tendance générale d’un mouvement qui ne manque pas de zigzags. J. Léon
l’Africain 3 affirme qu’à son passage à tombouctou, une charge de sel valait
80 ducats. Au tournant du XVe-XVIe siècle, le sel serait-il plus cher au
Soudan qu’au milieu du XIVe siècle ? On sait, et cela a été relevé par différents
auteurs, que les précieux témoignages de l’Africain, renferment, hélas,
beaucoup d’invraisemblances et de contradictions. Dans tous les cas, on est
loin de l’équivalence sel-or du XIe siècle, dans la mesure où l’affirmation d’al-
Bikrî serait exacte.
Il faut rappeler que le sel était extrait en plein Sahara dans une région
éloignée de tombouctou d’environ 800 km, soit autour de vingt jours de
marche dans le désert. Aux difficultés d’extraction et de transport,
s’ajoutaient, à certaines périodes, de graves problèmes d’insécurité. Mais
l’enjeu était considérable pour les deux partenaires.
4. à l’arrivée des Ottomans, et tout au long du XVIe siècle, le Maghreb
semble disposer encore de quantités d’or dont les indications suivantes
montrent l’importance :
a. Après la prise des ports marocains Safi et Azemour, les Portugais
retirent du premier, rien que pour les caisses royales, 41 500 doblas par an
pendant neuf ans (1491-1500) et du second 6 200 doblas annuellement
pendant quinze ans (1486-1500). Cela fait, à 4,4 g. par dobla, autour de 2 000
kg d’or retirés de ces ports 4.
b. En 1543 le roi de tlemcen offre aux Espagnols 400 000 ducats s’ils
renoncent à marcher sur cette ville 5.
c. Selon Haëdo 6, le «Roi d’Alger» Salah Raïs ramène de l’expédition de
Ouargla en 1552, 200 000 écus d’or. Le même Salah Raïs, ramène de la prise
de Fez 600 000 doblas 7. Une nouvelle expédition contre Fez en 1576, rapporte
aux gouvernants d’Alger 920 000 mithqâl d’or 1 selon al-Zayyânî, somme que
Haëdo réduit à 300 000 mithqâl. C.-A. Julien 2, sans citer de source, donne
le chiffre de 500 000 onces d’or ramenés à Alger en paiement de la campagne
de Fez.
d. En 1590, le pacha d’Alger soumet la petite ville kabyle de Beni-Abbas
et l’oblige à payer 30 000 écus d’or 3.
e. cAlî tamgharûtî, envoyé officiel du Sultan du Maroc à Istanbul en 1589-
1590, raconte4 qu’à son retour, il s’arrêta à Alger. Les deux vaisseaux turcs
qui l’avaient ramené dans cette ville repartirent chargés d’or, de cadeaux
officiels pour les dignitaires ottomans, de riches marchandises et de
nombreux esclaves chrétiens. En cours de route, les esclaves et les galériens
se soulevèrent et s’emparèrent des deux vaisseaux. «quelqu’un qui a
connaissance des affaires du Pacha gouverneur du pays (d’Alger), dit
tamgharûtî, nous a affirmé que celui-ci a perdu dans les deux vaisseaux un
million de mithqâl d’or, sans les perles, les velours et autres marchandises» 5.
Malgré le caractère officiel et les qualités personnelles de l’auteur, ses chiffres
témoignent seulement de l’importance de la prise.
5. On aura remarqué dans les exemples cités, l’importance des sources
extra-économiques d’approvisionnement en métaux précieux. Les butins,
les pillages, les contributions forcées, et surtout la course, sont des sources
abondantes mais pas toujours à sens unique. Nous avons par ailleurs étudié
le rôle économique de la course et les fluctuations du commerce extérieur
de l’Algérie ottomane. Par ces deux domaines d’échange, l’un violent,
l’autre pacifique, l’Algérie ottomane se rattachait aux grands mouvements
de la conjoncture méditerranéenne. C’est, probablement, ce qui explique,
en partie, le parallélisme frappant des fluctuations monétaires aux XVIIe et
XVIIIe siècles entre l’Algérie et les principaux pays d’Europe occidentale.
C’est une banalité de dire que la monnaie a changé au cours des trois siècles
ottomans de l’Algérie.
Nous allons essayer de suivre les fluctuations de cette monnaie au plus
près possible, de les préciser et de les dater dans la mesure que permettent
les lacunes et les imprécisions de la documentation.
C’est surtout concernant le XVIe siècle que les informations sont rares et
parfois contradictoires. Nous avons essayé d’y mettre un peu d’ordre en
1. Extraits d’al-turjumân al-mucrib, publiés par R. Letourneau, R.O.M.M., sept. 1977, p. 31.
2. C.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, 2e éd., vol. II, Paris, Payot, 1956, p. 273.
3. D. Haëdo, Histoire... op. cit., p. 208.
4. cAlî tamgharûtî, al-nafha al-miskiya fî-l-sifâra al-turkiya, in Belhamisi: al-jazâ’ir min khilâl rahalât
al-maghâriba fî-l-cahd al-cuthmânî, Alger, Sned, 1979, pp. 57-61.
5. Id. p. 59.
28 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
1. H. Lavoix, Catalogue des monnaies musulmanes de la B.N., Paris, 1891, t. III, p. 420 sq.
2. K. Ben Romdane, Les monnaies al-mohades, aspects idéologiques et économiques, th. 3e c.,
Paris IV, 1978, t. I, p. 176.
3. R. Brunschvig, Esquisse..., op. cit., t. I, p. 84.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 29
Plus que les modifications officielles, l’usure, les rognages, les falsifications
courantes et la maladresse fréquente des fabricants expliquent cette variété
des poids. Le ziyânî, comme le dinar hafside, avait des sous-multiples en or
(des demis, des quarts et des huitièmes).
à la différence des dinars dont la stabilité est remarquable, la monnaie
d’argent a connu des situations très variables. à côté du dirham en argent
et de ses sous-multiples, on se servait de monnaies locales faites souvent en
cuivre ou en fer. Le dirham, pesant au départ environ 1,50 g. avait tendance
à se détériorer en poids et surtout en titre, ce qui nécessitait périodiquement
des réformes visant à le rétablir dans ses normes traditionnelles pour une
période plus ou moins longue 1. L’une des réformes hafsides, faite sous le
règne de cUthmân (1435-1488) a créé comme monnaie d’argent, le «dirham
nâsrî» dont 32 valaient un dinar hafside en 1488 2.
C’est ce taux de change qui sera encore en vigueur aux débuts de la période
ottomane. J. Léon l’Africain le constate lors de son passage dans les régions
hafsides en 1515 et 1516 : «le ducat que fait frapper le roi de tunis pèse 24
carats, ce qui équivaut à un ducat et un tiers de ceux qui ont cours en Europe.
Il fait frapper aussi une monnaie en argent qui est carrée et pèse 6 carats ; 30
ou 32 de ces pièces valent un ducat» 3. C’est la même constatation que fait à
Bône en 1535 le commandant espagnol de la ville. D. Alvar Gomez écrit : «Les
Arabes ne se servent que d’une monnaie d’argent qu’ils appellent nazarinès
et qui est la 32e partie d’un ducat. Les bœufs nous ont coûté de 3 à 4 doblas,
et les poules 3 nazarinès, à peu près 1 réal»4. Donc, en 1535, le dinar hafside
de 32 nazarinès équivaut à 10,667 réaux. à la même époque, la «dobla zîyânia»
appelée aussi «dobla morisca» valait 340 maravédis, soit 10 réaux 5. D’autres
documents espagnols de 1524 parlent de doblas en or de 17 carats 6. Mais
quand les Ottomans prennent tlemcen en 1545, le titre des ziyânî était
généralement de 22 carats 7. Par la suite, les ziyânî frappés à tlemcen au nom
du Sultan ottoman, avaient tendance à se détériorer de plus en plus.8
Les documents d’Alger et de Constantine de la fin du XVe et du début du
XVIe siècles, mentionnent des 1/6, des 1/3, des 1/2, des 2/3 et des 5/6 de
dirham. Cette petite monnaie, généralement en cuivre mélangé à d’autres
métaux, servait pour les petits échanges de la vie quotidienne.9
1. R.Brunschvig, La Berbérie orientale sous les hafsides des origines à la fin du XVe siècle, t. I, Paris,
1940, p. 279 sq.
2. R. Brunschvig, Esquisse..., op. cit., p. 95.
3. J. Léon l’Africain, Description..., op. cit., t. II, p. 388.
4. Lettre de D. Alvar Gomez à Sa Majesté, Bône le 13 sept. 1535, in E. de La Primaudaie,
Documents inédits sur l’occupation espagnole en Afrique (1506-1574), R.A., 1876, pp. 243-244.
5. Ch. de La Véronne, Relations..., op. cit., p. 30.
6. Id., p. 29.
7. Id., p. 214.
8. Cf. M. Bates, «the Ottoman Coinage of tilimsân», ANSMN, 1981, p. 203 sq.
9. Sur les monnaies en cuivre à Alger, cf. W. H. Valentine, Modern Copper Coins of Muhammadan
States, London, 1911, pp. 46-47.
30 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
La monnaie ottomane
Les témoignages sur les débuts de la monnaie ottomane à Alger sont
concordants. J. Léon l’Africain, présent à Alger en 1516, rapporte que «après
le meurtre de Sélim, Barberousse se fit proclamer roi et fit battre monnaie» 1.
Haëdo précise que dès 1516, cArroudj fit battre des sultânî en or, des
dirhams en argent et des pièces de cuivre2.
Parmi les sultânî d’Alger conservés au musée d’Istanbul, deux datent de
1520 et pèsent 3,40 g. et 3,50 g. Aux XVIe et XVIIe siècles, la monnaie
ottomane portait, avec le nom du sultan, la date de son avènement et non
la date de la frappe. Mais, dans le Maghreb ottoman, certaines pièces portent
des dates autres que celles de l’avènement d’un sultan (date effective de la
frappe, erreur de datation ou, concernant surtout les ziyânî, pièce forgée
ultérieurement par des faussaires ?). A partir du XVIIIe siècle, c’est la date
de la frappe qui est le plus souvent mentionnée sur les monnaies d’Alger.
D’autres sultânî vont de 1529 à 1830 et pèsent de 3,40 à 3,45 g. En plus de
la date et du lieu de frappe, ils portent les mêmes inscriptions que les sultânî
d’Istanbul et, comme ceux-ci, ils ont une teneur en or très élevée pour les
anciens et légèrement diminuée par la suite3. Plus légers que les ziyânî, ils
ont eu toujours plus de valeur en raison de leur titre élevé et de leur plus
grande régularité de frappe. Il y avait des demis et des quarts de sultânî.
Le dirham, que nous appellerons désormais aspre, comme le désignent
couramment les auteurs européens, a été à la base de la monnaie de compte
utilisée dans les différents documents ottomans. Au départ, c’était une
petite pièce d’argent qui devait remplacer et prolonger le dirham hafside
d’Alger et de Bougie. S. Lane Poole 4 signale sans les décrire deux pièces
d’argent et une pièce de cuivre frappées à Alger sous le règne de Soliman
le Magnifique (1520-1566). Une aspre frappée à Alger sous le règne de
Selim 1er (1512-1520) et une autre sous celui de Murad III (1574-1595),
conservées dans les musées d’Istanbul pèsent respectivement 0,65 g et
0,40g.5 Comme l’ancien dirham, l’aspre avait comme sous-multiples des 1/2,
des 1/3 et des 1/6. Le 1/6 de l’aspre correspondait à une pièce en cuivre
appelée kharrûba (caroube) qui a donné la bourbe des auteurs européens. Par
la suite, après de fortes dépréciations de l’aspre, le mot kharrûba correspondra
à 14 aspres et demi. On suivra l’évolution de la valeur de l’aspre à travers
les équivalences des monnaies de compte.
six pour faire une aspre. L’aspre est d’argent, grand comme le quart d’une
Blanqua et de figure carrée ; dix font un réal d’Espagne, et quand ceux-ci
manquent, il en faut quelquefois onze et douze. On fabrique les aspres et
les Bourbes à Alger seulement.
«Ensuite vient la rubia, monnaie d’or mêlée de beaucoup de cuivre, ce qui
la met à un titre très bas ; elle vaut 25 aspres, est de figure ronde, et de la
grandeur d’un bien petit réal simple.
«Après vient la demie ziana qui est aussi d’or avec alliage de cuivre, elle
vaut deux rubia ou 50 aspres et la ziana qui en vaut 100, c’est-à-dire environ
deux doblas. Les rubias et ziana se fabriquent uniquement à tlemcen, et
portent en caractères arabes, le nom du souverain qui les a fait frapper. Elles
ont cours dans toutes les provinces jusqu’à Biskari, et la Zahara, contrée
voisine du pays des nègres, et aussi dans la direction du Levant jusqu’à
tunis. Elles circulent encore dans les royaumes de Kouko et du Labès.
«Il y a aussi des soltani d’or fin, dont chacun vaut 140 aspres, et que l’on
fabrique à Alger seulement.
«L’écu d’Espagne valait ordinairement 125 aspres et Djacfar Pacha,
souverain d’Alger en 1580, l’a fait monter à 130. quand on achète ces écus
à des marchands, ils valent davantage, suivant leur abondance ou leur
rareté sur la place. Les écus de France au soleil et ceux d’Italie ont à peu près
la même valeur, cependant on préfère toujours ceux d’Espagne.
«Le sequin ou soltani de Constantinople vaut 150 aspres et le metkal de
Fez 175 ; mais Djacfar Pacha, en 1580, fit monter le soltani à 175 aspres, et
le metkal à 225 parce qu’il y avait alors très peu de cette monnaie.
«En somme, toutes ces pièces, réaux, écus, soltani, etc., ont une valeur
incertaine, parce que les Pachas d’Alger la font monter ou descendre,
suivant les exigences du moment».1
De cette longue citation, on peut dégager quelques précisions :
L’apparente stabilité du ziyânî par rapport à la piastre espagnole, malgré
la diminution du titre du ziyânî, reflète sans doute l’évolution en hausse de
l’or par rapport à l’argent, dans le même sens qu’en Europe occidentale, mais
avec un certain retard.
L’aspre en 1580 a perdu environ un tiers de sa valeur par rapport à 1559-
1560. L’écu-soleil valait alors 85 aspres. Il en vaut 130. L’aspre va continuer
à chuter jusqu’à une période se situant entre 1612 et 1620 où commence une
longue période de stabilité monétaire dominée par la piastre espagnole.
D’après Haëdo 2, l’écu d’or valait 4 doblas en 1595-1596. Mais à cette date,
il n’était plus témoin direct et ses informations pour les années postérieures
à 1580 sont généralement moins sûres. Un écu d’or vaut en gros un sultânî
et nous avons pour 1596 un document notarié d’Alger daté de fin çafar
1005 (octobre 1596) qui précise que «1800 sultânî d’Alger valent 14400 dinars
de 50 aspres change du moment» 3, soit un sultânî pour 8 dinars.
quelles sont les raisons de cette forte dépréciation de l’aspre ? Haëdo
raconte que Hasan Veneziano, pacha d’Alger de 1577 à 1580, faisait ramasser
les aspres d’Alger, les transformait et les envoyait massivement à Istanbul
où l’argent était plus cher et qu’il fit avec le reste de nouveaux aspres
mélangés avec beaucoup d’alliage 4.
Cette dépréciation concerne aussi, quoique dans une moindre mesure, les
zyânî dont les nouvelles frappes contenaient de moins en moins d’or pur,
à tel point qu’au début du XVIIe siècle, un zyânî valait moins qu’une piastre
de 8 réaux.
Un autre indice signale la rapide détérioration de l’aspre dans les années
1590. Pratiquement tous les prix en dobla de 50 aspres au cours de ces
années sont en forte hausse.
F. Braudel désigne les années 1580-1620 comme celles de «la seconde et
toujours prodigieuse fortune d’Alger» 5. C’est en effet la période où la course
algéroise a été la plus active et la plus fructueuse, la période où Alger était
«a marvellous strong city... In this country, there is a great store of gold and rich
merchants» 6.
C’est aussi, comme l’a noté F. Braudel, la période où Alger était une ville
cosmopolite formée en grande partie de «renégats et d’esclaves d’origine
européenne». L’évolution des prix fonciers, étudiée plus loin, montre que
dans la ville et ses environs, les terres et les terrains sont, à cette époque,
l’objet d’une véritable spéculation foncière, signe de développement de
certaines activités économiques et, peut-être, de croissance démographique.
Nous reprendrons ces questions plus loin. Nous voulions seulement faire
remarquer ici que les perturbations monétaires n’étaient pas nécessairement
liées à un marasme économique. quant à la fuite massive de l’argent vers
la turquie, elle peut s’expliquer par l’importation de produits du Levant
(café, épices, tissus de luxe, etc.), autant que par le système politique qui
faisait du poste de pacha un objet de spéculation. Les pachas nommés pour
trois ans par Istanbul payaient cher leur poste et pour se rembourser,
utilisaient leur bref exercice du pouvoir à amasser des fortunes qu’ils
expédiaient chez eux en turquie. Cette forme de spéculation financière
comportait des risques politiques car la détérioration de la dobla touchait
directement le pouvoir d’achat de la paie des janissaires.
des piastres espagnoles en Algérie, mais on peut estimer qu’elle a pris une
certaine ampleur au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle.
De Gomez en 1535 à Suarez qui vécut à Oran de 1577 à 1604, en passant
par Haëdo, Hakluyt, etc., les témoins européens sont nombreux à signaler
cette présence grandissante favorisée par la course, le rachat des captifs et
le commerce. La course et les rachats rapportent entre 1580 et 1620 des
sommes considérables dont une partie en monnaie espagnole.
On sait que comme monnaie internationale, la pièce de 8 réaux, frappée
au Mexique ou en Espagne, va garder sa teneur en argent du XVIe au XIXe
siècle sans changement notable. Cette grande stabilité permet de l’utiliser
comme repère des fluctuations de la monnaie algérienne à partir de la
deuxième décennie du XVIIe siècle.
Si on classe les documents ottomans du XVIIe siècle selon le type de
monnaie qu’ils mentionnent le plus fréquemment, on peut avoir
schématiquement ceci :
– dans les actes notariaux et judiciaires, la dobla de 50 aspres continue à
être utilisée largement au début, puis laisse une place croissante et finalement
dominante au ryâl de 8, puis à différents types de ryâl.
– dans les registres du Beylik, des habous, etc., on compte pour les petites
dépenses en aspres et en çâyma, autre nom de la dobla ; mais pour de plus
fortes sommes, on utilise généralement le ryâl.
– dans certains cas concernant des sommes importantes ou des opérations
de type commercial, on a recours aux sultânî et aux ziyânî.
– jusqu’en 1685, le rapport entre le ryâl et l’aspre est constant : 1 ryâl vaut
4,64 doblas ou 232 aspres. Les petites variations pouvant aller jusqu’à un
rapport d’1 ryâl pour 5 doblas sont rares et semblent dues à des erreurs de
calcul.
1. H. de Grammont, Relations entre la France et la Régence d’Alger au XVIIe siècle, R.A., 1879,
pp. 154-155.
2. J. Pignon, Gênes et Tabarca au XVIIe siècle, C.t., 3e-4e trim. 1979, pp.89-90.
3. Le Père Dan, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, Paris,1637, pp.106-107.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 37
1. F. Knight, A Relation of Seven Years Slavery under the Turcs of Algier Suffered by an English
Captive Merchant, in t. Osborne, A Collection ..., op. cit., t. II, pp. 466 sq.
2. J. Morgan, A Complete History of Algiers, London, 1731, p. 650.
3. Du Chastelet des Bois, L’Odyssée..., R.A., 1868, pp. 352 sq.
4. Le Père D’Avity, Description générale de l’Afrique, deuxième partie du monde, avec ses empires,
royaumes, estats et républiques..., Paris, 1637, p. 178.
5. A.N., Alger, Z 114-115.
6. A.O.M., 15 Mi 35 vol. 238.
7. A.N., Paris, 228 Mi 45 vol. 325.
8. A.O.M., Aix 1 Mi 30 Z 61.
38 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
1. Id.,Aix 1 Mi 24 Z 46.
2. A.N., Paris, 228 Mi 19 vol. 70.
3. Id., vol.70 et 71.
4. A.O.M., Aix 1 Mi 30 Z 62.
5. Le Sieur de Rocqueville, Relation des mœurs et du gouvernement des Turcs d’Alger, Paris, 1675,
p. 101.
6. Le Père L. Hérault, Les Victoires de la charité, Paris, s.d., p. 49.
7. A.N., Paris, 369 Mi 1, art.1351. Correspondance Le Vacher (1675-1683).
8. The Adventures of Mr T.S., English Merchant, London,1670, p. 132.
9. A.O.M., Aix 1 Mi 30 Z 60.
10. A.N.,Paris, 223 Mi 1, F°232, Mémoire sur le royaume d’Alger (1686).
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 39
1. Tachrifat, recueil de notes historiques sur l’administration de l’ancienne Régence d’Alger, trad.
A. Devoulx, Alger, s.d., p. 81.
2. A.N., Paris, 223 Mi1, vol. 12, Mémoire sur le Royaume d’Alger, 1687.
3. Ibid.
4. A.N., Paris, A.E., BIII 130; A.E., BI 117; 369 Mi 1, art.1354 sq., correspondance des consuls
de France d’Alger avec le Secrétariat d’état à la marine et avec la C.C.M.
5. Id.
6. A.N., Paris, A.E., B.III; 228 Mi 1 et 2, vol.1 à 5 ; 228 Mi 46 vol. 346 ; A.E.,BI 117, 118, 119 ;
228 MI 26 vol. 112 et 113; 228 30 vol. 164 ; 228 Mi 33 vol. 196.
40 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
1. A.N., Paris, A.E., BIII 303, Mémoire instructif... sur la côte de Barbarie, 1718.
2. A.N., Paris, 223 Mi 1 vol. 13, F° 82, et G7 1659, p. n° 351.
3. A.N., Paris, G 7 1648.
4. Volume à paraître.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 41
La piastre courante
Les débuts de cette nouvelle pièce restent entourés d’obscurité. Les
documents algériens la désignent d’une façon qui peut la faire confondre
avec la piastre sévillane : «ryâl effectif frappe des infidèles» ou des «Rûm».
La seule différence étant que la même expression était accompagnée pour
la piastre sévillane de thamâniya ou muthammana, (de 8) ou (en 8). Sa valeur
est de 3 pataques. Shaw l’appelle le dollar algérien de 696 aspres, valant 3
shillings 6 pences 2. Les sources européennes l’appellent aussi piastre gourde
ou gorda et la présentent comme une pièce frappée à Alger. Certains
documents algériens portent à l’identifier comme faisant partie des pièces
importées de Marseille. Une lettre du Dey d’Alger au Comte de Maurepas,
secrétaire d’Etat français à la marine, datée du 1er août 1728, apporte quelque
éclairage à la question : «Ce même Commandant vous a écrit qu’on lui
avait demandé des réaux au lieu de pièces de quarante pour le payement
de la lisme. La paye qui se distribue ici aux troupes se fait avec des pièces
de quarante et ce sont les pièces que nous lui avons demandées, d’autant
que la paye ne se fait point avec des réaux. Des personnes de mauvaise foi,
ayant rogné les deniers et les quarts, les ont rendus si petits que l’argent qui
a cours dans notre pays est devenu défectueux ; ce qui nous a engagé à
donner de bon argent à tous ceux qui auraient des pièces rognées pour les
ramasser toutes et les mettre dans le trésor ; présentement les pièces rognées
ne passent plus dans nos états. Lorsque le Commandant du Bastion vient
payer la lisme, il apporte des pièces qui sont nouvellement rognées. Nous
ne les avons point reçues, et nous avons demandé des pièces de quarante
qui ont cours dans nos états. Si cela se peut faire, qu’il en apporte, et si cela
ne se peut faire, du moins que les piastres de poids qu’il apportera ne soient
point rognées ! Nous les recevrons sur le pied de leur valeur et elles passeront
dans le pays, pourvu qu’elles ne soient point rognées; c’est ce dont vous
devez être informé» 3.
Dans son commentaire, E. Plantet 4 confond cette «pièce de quarante»
avec la çâyma dont la valeur, dit-il, varie de 40 à 50 aspres. Or la çâyma est
une monnaie de compte de 50 aspres qui a été remplacée par la pataque. La
«pièce de quarante» en question semble désigner une piastre connue au
Levant comme équivalant à 40 paras. C’est ce que suggère la correspondance
du consul français à Alger. En 1722, il proteste qu’on lui compte la pataque
(d. pour denier et gr. pour grains, pour ces unités de mesure, voir Annexe)
la piastre de La Calle (18 d. 16 gr.) v.i . 4 £ 12 s., fixée à 5 £.
” Bône (16 d. 19 gr.) v.i. 4 £ 2 s. 4 £ 2 s.
” Collo (16 d. 4 gr.) v.i. 3 £ 18 s. 4£ 5s.
” Constantine v.i. 3 £ 6 s. 3 £ 18 s. 9 d.
” grand poids d’Alger 16 d. 7 gr.
” petit poids d’Alger 12 d. 18 gr.
1. F. Rebuffat, «Les piastres de la C.R.A.», in C.M., Actes des Journées d’Etudes de Bendor, 25-
26 avr. 1975: Commerce de gros, commerce de détail dans les pays méditerranéens (16e-19e s.), pp. 21-34.
2. Id.
3. Venture de Paradis, Alger au XVIIIe siècle, tunis, Ed. Bouslama, s.d., p. 64.
4. W. Shaler, Sketches of Algiers, Boston, 1826.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 45
Le ryâl bûjû, de l’espagnol peso, désigne une pièce d’argent dont les
origines restent obscures. La première mention du boujou remonte à 1735,
si l’on exclut les extraits de Tachrifat 1 traduits par Devoulx de façon très
approximative, où il est fait état de dépôts de ryâls boujoux au trésor en 1691-
1692. Jusqu’à la frappe du boujou de 10 g. au XIXe siècle, le terme semble
désigner la piastre d’Alger rencontrée plus haut, valant 3 pataques et donc
d’une teneur en argent d’environ 14 g., ramenée à environ 8,5 g. d’argent
fin après 1817. Le fait est que le terme boujou ne commence à être
fréquemment utilisé qu’à partir du XIXe siècle.
Dans les années 1768-1769, la Compagnie Royale d’Afrique multiplia les
démarches auprès du Dey d’Alger pour remplacer les piastres sévillanes par
des pièces équivalentes en poids et en titre frappées à Aix-en-Provence.
Elle rencontra un refus obstiné parce que, selon l’agent de la Compagnie à
Alger, le Dey craignait les faux-monnayeurs qui avaient parfaitement imité
les pièces de 6 mouzounes frappées par son prédécesseur, et jugeait que les
janissaires refuseraient certainement la nouvelle monnaie française pour leur
paie, de même que les gens des campagnes qui n’aiment pas changer
d’habitudes 2.
Probablement à cause de l’habile industrie des faux-monnayeurs (la
mauvaise monnaie chassant toujours la bonne), les pièces d’argent d’1/4 et
d’1/8 de boujou se sont raréfiées sans disparaître complètement, puisque
le consul américain à Alger signale leur existence en 1804 3.
C’est au tournant des XVIIIe-XIXe siècles qu’apparaît le douro d’Alger,
pièce d’argent valant 6 pataques, soit le double du boujou. Les autres pièces
d’argent qui circulaient au XIXe siècle sont la demi-pataque et le quart de
pataque.
Les pièces de cuivre étaient l’aspre et les pièces de 2, de 5 et de 14,5 aspres,
la dernière appelée kharrûba.
Dans une sorte de journal sur les événements importants, mêlé à d’autres
papiers d’une famille constantinoise 1 il y a cette note : «En muharram 1232
(21 novembre-20 décembre 1816) la monnaie fut modifiée. De 3 «quarts» elle
passa à 4 «quarts».
Par ailleurs, un texte officiel du 27 shawwâl 1232 (9 septembre 1817)
ordonne de revenir au change précédent, à savoir le sultânî à 9 pataques, le
mahbûb à 6,75 pataques, le douro à 5 pataques et le ryâl bûjû à 3 pataques.
Un nouvel ordre officiel du 14 hijja 1232 (26 octobre 1817) ordonne de
changer le douro à 6 pataques 2. Cette brève tentative dictée par les intérêts
de l’Oudjâq est commentée par les consuls français 3 et américain 4 à Alger
qui lui donnent la même signification : rétablir la situation antérieure et donc
ramener la piastre sévillane de 7,5 pataques à 5 pataques, par voie purement
administrative. De fait, la chute de la pataque va s’accélérer. En 1818, le sultânî
ancien passe à 15 pataques et le nouveau à 13,5 ; le sequin vénitien à 18. La
correspondance de l’Agence d’Afrique, en date du 10 mai 1818, évalue la
pataque à 18 sous et en juin 1819 à 15 sous 5. De nouvelles modifications
interviennent en 1820. Elles sont décrites par A. Zahhâr, syndic des chérifs
d’Alger, dans un livre écrit après 1830 6 et qui reste un témoignage important
sur la période qui a immédiatement précédé l’occupation française. Il situe
à cette date l’apparition du demi-douro, appelé boujou, des 1/2 et 1/4 de
boujou ainsi que des pièces de cuivre qui ont remplacé les aspres. Or,
comme on l’a vu, le terme boujou est utilisé depuis longtemps.
Les crises monétaires entre 1817 et 1830 s’accordent avec une situation de
crise générale dont nous verrons plus loin les différents aspects. On peut
en résumer ici les éléments principaux. Une chute démographique dont le
point de départ a été la peste de 1786-1787, suivie d’épidémies endémiques
dans les années 1790, et de la grave famine de 1804-1806. Celle-ci intervient
à un moment où des insurrections touchent la majeure partie du territoire,
phénomène sans précédent depuis l’arrivée des Ottomans. La répression
brutale des révoltes (massacres, destructions, incendie des récoltes et des
champs de céréales, pillages, etc.) relayait ainsi les dégâts des forces
naturelles.
Mais c’est surtout en 1817-1818 que les catastrophes culminent. à la grave
famine de 1817 s’ajoute la peste qui ravage tout le territoire et, selon certains
témoignages, dépeuple des régions entières. De nouvelles flambées de
révoltes affaiblissent à la fois les forces dominantes et la société dominée.
Cette grave crise démographique s’est accompagnée d’une régression de
la production agricole, qui a beaucoup frappé les observateurs
contemporains, et qui a été à l’origine de l’arrêt presque total des exportations
de grains de 1817 à 1830.
Ces malheurs conjugués à la faiblesse grandissante de l’empire ottoman
ont été à la base d’une crise qui a ébranlé la domination ottomane en Algérie.
1. M.E. tocchi, Notice sur les poids et mesures et sur les monnaies d’Alger. Marseille, Imp. Dufort
Cadet, 1830; et du même: Notice sur la collection de médailles et monnaies musulmanes recueillies
par M.E. Tocchi, suivie de son catalogue, Marseille, 1855.
48 RECHERCHES SUR L’ALGéRIE à L’éPOqUE OttOMANE
réguliers. Mais entre les pièces d’argent, il y avait des différences de taille
et de poids allant de 2,5 % à 6% ; leur titre était de 0,750 à 0,860. D’autres
défauts liés à des insuffisances techniques sont signalés par l’étude de tocchi.
Cette situation compliquait les problèmes de change et rendait nécessaire
la présence de changeurs professionnels qui étaient, selon les descriptions
de l’époque, nombreux, habiles, présents à tous les coins de rue.
Nous savons peu de choses sur les quantités des différentes monnaies qui
circulaient à Alger. On a seulement quelques ordres de grandeur sur les
monnaies étrangères introduites en Algérie. Entre 1786 et 1830, les négociants
espagnols ont apporté environ deux millions de piastres sévillanes 1. Les
exportations, la course, les «tributs et cadeaux» et autres revenus extérieurs
ont rapporté pendant les guerres révolutionnaires et napoléonniennes
l’équivalent de quelques autres millions de piastres sévillanes dont une
partie importante payait les marchandises importées ou était exportée en
fraude surtout au Levant.
La frappe du douro algérien, pièce d’argent d’environ 20 g., au titre de
0,860, était probablement destinée à enrayer cette fuite des piastres sévillanes
particulièrement appréciées au Levant. La lutte officielle contre la fuite des
devises est attestée par cette lettre du chancelier du consulat français à
Alger au Directeur des concessions africaines à Marseille en date du 5
décembre 1819 : «Le Dey, averti de l’arrivée, par la caravane de Constantine,
de fortes sommes en espèces d’or et d’argent, et en lingots destinés à être
expédiés à Livourne par un brick anglais, a fait défendre sous peine de
mort l’exportation des sequins ou piécettes d’Alger, des mokos et des
matières d’or et d’argent non monnayées» 2.
Dans le même sens va cette indication du «journal» du consul anglais à
Alger en 1828 : «Le Dey a prohibé l’exportation de toutes les monnaies d’or
ou d’argent. Il se propose d’autoriser seulement l’exportation du produit brut
des mines, et, comme il peut seul acheter le minerai, il établit ainsi un
monopole absolu en sa faveur».3
La diminution du poids et du titre du sultânî au début du XIXe siècle
avait peut-être la même motivation, ainsi que cette procédure apparemment
étrange qui consistait à accepter des piastres coupées et délibérément
surévaluées.
Cette politique «mercantiliste» avait des incohérences. En particulier, elle
ne s’appliquait pas à certaines opérations de commerce international menées
par des négociants algériens en étroite association financière avec les plus
hauts dirigeants du pays.
1. L. Cara Del Aguila, Les Espagnols en Afrique, les relations commerciales avec la Régence d’Alger
de 1786 à 1830. Université de Bordeaux III, thèse de 3e cycle, 1974, p. 298.
2. Cité in E. Picard, La Monnaie..., op. cit., p. 52.
3. R.-L. Playfair, «Episodes de l’histoire des relations de la Grande-Bretagne avec les Etats
barbaresques», R. A., 1880, p. 193.
MONNAIES, PRIX Et REVENUS 49
En avril 1823, al-Barbrî 2, grand négociant algérois, envoie, avec thabet ben
tubbî, négociant juif algérois, des quantités de cuir et de laine à vendre en
Italie et une somme d’argent comportant 117 mahbûb comptés à 9,25 pataques
chacun; 3 528 sultânî anciens à 14,125 pataques ; 310 dablûns à 124 pataques
et 112 «piécettes» à 1,5 pataques.
Sommes mises en dépôt par les pèlerins, en 1823,
dans les coffres du navire qui les transportait à La Mecque 3
(P.S. pour piastre sévillane, S. pour sultânî, M. pour mahbûb, B. pour boujou)
Le trésor de la Qasbah
Il remonte au XVIIe siècle. Dans les années 1630, on y déposait
annuellement 500 000 doubles 1. Dans Tachrifat 2 sont enregistrés certains
dépôts faits au trésor par les Deys d’Alger :
– en 1103 (24 septembre 1691-11 septembre 1692), le Dey Hâjj Shacbân
dépose des sultânî, des ryâls entiers et des «petits ryâls».
– en shacabân 1191 (septembre 1777) Muhammad ben cUthmân Pacha
dépose une caisse de 2 000 pièces d’or .
– le 6 shawwâl 1191 (7 novembre 1777) le même dépose 25 sacs de 1000
sultânî chacun et 2 caisses de 20 000 sultânî chacune.
– le 23 shawwâl 1201 (8 août 1787) il dépose 60 000 boujoux, puis 40 000
sultânî, puis 30 000 sultânî, puis 112 000 sultânî et enfin 82 500 mahbûb.
Les estimations les plus modérées faites par des consuls à Alger à la fin
du XVIIIe et au début du XIXe siècle, situaient ce trésor entre 100 et 150
millions de francs. Shaler parle de 250 millions. Il constate «une grande
accumulation de richesses à Alger» qui est «une des villes du monde la
plus riche en numéraire»3.
Depuis l’étude solidement documentée de M. Emerit 4, on sait que le
trésor de la qasbah renfermait en 1830 la valeur d’au moins 100 millions de
francs. C.-A. Julien résume ainsi le dernier épisode du scandale public lié
au pillage du trésor de la qasbah : «Après le coup d’état du 2 décembre, le
préfet de police Pietri reprit l’enquête sur des bases solides, c’est-à-dire
auprès des organismes et des techniciens qui avaient à connaître des lingots:
la Monnaie, les essayeurs et la caisse centrale du trésor. Plus de 100 millions
étaient parvenus à Paris dont 42 562 768 entrèrent effectivement au trésor,
après l’exécution de certaines charges. 52 millions disparurent dont Pietri
affirme qu’ils entrèrent dans la cassette de Louis Philippe. quinze jours
après le dépôt du rapport Pietri, Achille Fould, qui avait été un des
intermédiaires, devint ministre d’état.
Dès lors, les démarches de Flandrin se brisèrent contre le mur d’argent» 5.
(J. B. Flandrin, rapporteur de la commission d’enquête de 1830. Il continua
pendant 18 ans à dénoncer les coupables du pillage).
En 1930 le mur d’argent continuait encore à sévir. En effet, il est intéressant
de noter comment un livre faisant partie de la «Collection du Centenaire de
l’Algérie», monument à la gloire de l’œuvre coloniale française, traitait ce
problème. E. Picard, directeur général de la Banque d’Algérie, a réuni de
1. C. Cahen, c.r. du livre d’Ashtor, Histoire des prix..., in R. H., janvier-mars 1972, p. 191 sq.
2. E. Ashtor, Histoire des prix et des salaires dans l’Orient médiéval, Paris, SEVPEN, 1969.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 63
la résistance locale encouragée puis canalisée par les Turcs d’Alger, les
Espagnols vivaient de fait dans des forteresses assiégées. Des problèmes de
ravitaillement se posaient à eux. or les régions des plaines oranaises, très
fertiles, étaient traditionnellement exportatrices de grains.
Ni les guerres, ni les conflits politiques n’excluent, à certains moments, des
relations commerciales locales ou plus larges. Parfois l’Espagne faisait appel
aux présides oranais pour importer des grains. Il en fut ainsi en 1529 quand
le corregidor Lebrija opéra à oran la vérification des prix des grains pratiqués
par les marchands de la ville et obtint une baisse. La fanègue de blé passa
alors de 6 ou 5,5 réaux à 5 réaux, celle d’orge de 3 ou 2,5 à 2 réaux1. Pourtant,
en 1529, la récolte était mauvaise à cause de la sécheresse. Par ailleurs, le
corregidor obtint du roi de Tlemcen l’achat de 40 000 fanègues de blé et
60 000 fanègues d’orge, pour la somme de 30 000 doblas2. Avec les frais
généraux, la fanègue de blé revenait à 6 réaux et l’orge à 2. un autre accord
avec le roi de Tlemcen, conclu en 1530, permit l’achat de 5 à 6 000 fanègues
de blé à un demi ducat la fanègue (environ 5 réaux)3.
Il faut noter qu’il s’agit ici de prix à l’exportation. Les transactions
espagnoles avec le roi de Tlemcen avaient un caractère politique lié aux
rapports de force. Ainsi le roi de Tlemcen, impressionné par la victoire de
Khayr al-dîn qui venait de chasser les Espagnols du Peñon d’Alger, prit
contact secrètement avec lui. Tout en cherchant à gagner du temps, il prenait
à l’égard des Espagnols une attitude plus ferme. La disette dans le sud de
l’Espagne donnait du poids à ses exigences quant au prix de vente des
grains. En fin de compte, il ne tint que partiellement ses engagements vis-
à-vis des Espagnols. Il ne s’agissait pas seulement de problèmes de prix
locaux plus chers à Tlemcen qu’à oran, comme l’a pensé Ch. de La Véronne 4,
mais de l’intervention de facteurs politiques qui se sont ajoutés à la mauvaise
récolte oranaise et à la disette espagnole pour provoquer, d’abord une forte
hausse des prix, ensuite le refus de vente des Tlemcéniens.
Au reste, Tlemcen n’était que le lieu d’une transaction globale concernant
des livraisons de grains venant de différentes régions oranaises et destinés
aux ports traditionnels d’exportation des grains, comme Mostaganem et
Archgoul. La fixation des prix à l’exportation n’intervenait pas seulement
en fonction des données du marché local. une tradition, attestée à l’époque
zayyânîde et qui va durer pendant toute l’époque ottomane, distingue
entre «prix du prince» à l’exportation et tous les autres prix de marché:
prix de vente à la production, prix de gros et prix de détail. Cette distinction
entre prix du prince et prix du marché est à retenir pour la suite, car elle peut
avoir quelque importance.
2. prix divers dans la deuxième moitié du xvie siècle dans la région de Bône
Le milieu du XVIe siècle constitue un tournant dans les échanges entre
Marseille et les ports de l’Est algérien. En 1552, la «grande Compagnie du
corail des mers de Bône» créée par Thomas Lenche 2, obtint d’Alger
l’autorisation de pêcher du corail dans la région bônoise et d’y construire
une maison assez grande pour abriter les corailleurs et leurs marchandises,
et résister éventuellement aux attaques des maraudeurs. on l’appela «Bastion
de France». La Compagnie avait en outre le privilège de l’achat des cuirs,
des laines, de la cire, et du suif. L’exportation des grains était en principe
soumise à de fortes limitations. La Compagnie ne pouvait exporter que les
quantités nécessaires à la nourriture des familles des corailleurs, et qui ne
devaient pas dépasser 2 000 qafîz. Dans les faits, elle a toujours pu exporter
des céréales, même dans les années où les récoltes de la région étaient
mauvaises. Pour cela, il suffisait de quelques «cadeaux» aux responsables
locaux intéressés à l’exportation, car ils achetaient à des «prix de prince» des
produits qu’ils revendaient avantageusement à la Compagnie. on a parfois
interprété cette situation comme un monopole d’Etat du commerce extérieur
des produits agricoles. Il s’agissait plutôt d’accaparement de ce commerce
par les responsables aux différents échelons, depuis le chef de tribu ou le
caïd local, jusqu’au pacha d’Alger.
Les transactions avec les compagnies étrangères étaient particulièrement
fructueuses à cause de l’écart entre les prix locaux et les prix internationaux.
Avec la course, la corruption et le pillage, ces opérations étaient parmi les
principaux moyens d’enrichissement parfois rapide et colossal de ces
responsables dont les traitements officiels étaient relativement modestes.
grâce à ce système, la Compagnie Lenche pouvait acheter aux chefs
locaux à des prix élevés en contrepartie de la liberté de faire ses autres
achats au prix du marché. En 1559-1560, elle payait aux notables de Bône
le qafîz de blé à 6 doblas en moyenne, alors qu’elle l’achetait à 4 doblas au
marché. Dans les années 1580, le prix moyen du qafîz de blé était de 4 écus-
soleil au marché. Elle le payait 6 et 7 écus au Caïd de Bône et à d’autres
responsables 1. Ceux-ci, généralement bien informés de l’évolution des prix
dans les grands ports méditerranéens, modulaient leurs exigences en
fonction des situations locales et méditerranéennes. Pendant son premier
triennat (1589-1591) Khidr Pacha se mit d’accord avec la Compagnie du corail
sur un prix de 7 écus le qafîz puis, informé des besoins urgents de la Provence,
il en exigea 12 2. Cette envolée des prix du prince concernant l’exportation,
ne signifie pas nécessairement une hausse parallèle des prix internes.
Les données réunies par P. Masson 3 sur les prix d’achat des grains par les
négociants marseillais dans la région de Bône, montrent que ces prix ont
augmenté régulièrement de 1567 à 1594. Situation à rapprocher du phénomène
général de hausse des prix en Europe occidentale à la même époque.
Les comptes de Lenche, publiés par P. giraud 4 donnent les prix d’achat
du blé en 1559-1560 en doblas. Nous les avons converti en écus de France
et intégré à ceux établis par P. Masson pour former les tableaux suivants:
1. Prix du qafîz de blé à Bône(en écus de France):
1559-1560 2,65 à 3,5
1576 4,00
1578 4,88
1583 5,36
1584 3,84
1585 3,28
1586 4,00
1587 4,20
2. Prix du qafîz d’orge à Bône:
1583 2,40
1584 1,92
1585 1,44
1586 1,77
1587 2,04
1588 2,10
1590 2,08
3. Prix du quintal de cire:
1559-1560 9,41
1592 22,67
1595 16,34
4. Prix d’un cheval:
1559-1560 7,54 à 10,59
1598-1599 20,00
1. g. Delphin, «Histoire des pachas d’Alger de 1515 à 1745», Journal Asiatique, avril-juin
1922, p. 170.
2. BN, Alger, ms n° 1378 (n° anc. 670).
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 71
Alger 1,5 dobla. D’après Haëdo 1, dans les années 1578-1581, un âne coûtait
2 ducats à Alger. De Brèves rapporte en 1605 que les Janissaires ont «quatre
pains par jour à 2 deniers qu’ils vendent 16 deniers, et ce en toute saison,
quelque cherté du grain qu’il y ait» 2.
un état dressé 3 par la Compagnie du Bastion en 1636 mentionne quelques
prix de la région de Bône dont des bœufs à 9 £ pièce, du fromage à 10 £ le
quintal, des moutons à 2 £, des volailles à 5 sous, du savon à 12 £ le quintal,
des fèves à 12 £ le quintal, des pois à 6 £ le quintal, une charge d’orge à 5£,
une charge de blé à 12 £. Le Père Dan4 cite quelques prix : une livre de
mouton pour 5 aspres, soit «environ 1 sou de notre monnaie», une livre de
bœuf à 8 deniers, une poule à 2 sous, une perdrix à 6 deniers au plus et un
levreau pour 3 ou 4 sous. «quant au pain, il est à si bon compte qu’on n’en
saurait manger pour plus de 8 deniers par jour».
Dans un autre acte de janvier 1649 1, des prix à l’unité (en D.):
des plats en cuivre 1,95 2,17 3,50 4,25
des coffres 4,10 18,00 40,00
des matelas 28,00 31,00
des marmites 17,00 5,00
une chaise 8,00
une aiguière 3,30
Voici quelques prix tirés de différents documents notariaux et présentés
par ordre chronologique 2 (en D.):
Prix d’un cafetan :
1558 6
1590 18
1645 107
1649 29
1649 300
Prix d’une marmite en cuivre :
1580 1,10 4
1611 15,00
1615 15,00
1649 17,00
Prix d’un cheval:
1580 3
1642 61
Prix d’un mulet :
1590 52 90
1599 100
1609 140
1624 157
Prix d’un bovin :
1585 6,50
Début XVIIe 28,00 à 38,50
1637-1638 23,20
1642 30,00 40
Prix d’une qulla d’huile d’olive :
déc. 1611 17,00
1624-1625 6,50
début 1634 6,50
juill. 1655 7,00
En 1609-1610 :
1 pic de drap 5,75
1 pic de taffetas en soie 42,00
1 pièce de drap 108,00
1 livre de soie 18,00
1618 : des draps et des velours reviennent à 1,75 ziyânî le pic.
1. Id., Z 75.
2. Id., Z 28, Z 34, Z 38, Z 73-74, Z 75.
74 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
moderne. Dans des conditions aussi différentes, c’est plus l’esprit que la lettre
de la méthode qui a inspiré notre travail. En particulier pour la restitution
des cotes manquantes, notre souci a été de refléter le mieux possible les
conditions réelles qu’exprime une moyenne annuelle, avec un écart plus
réduit que celui qu’on aurait sans les restitutions de cotes. Mais l’interpolation
reste très approximative dans la mesure où elle ne s’appuie que sur l’examen
comparatif des variations mensuelles et saisonnières de l’année envisagée
et des années les plus proches qui la précèdent ou la suivent. Pour permettre
d’apprécier la fiabilité de nos séries, nous avons précisé chaque cas de
restitution dans les notes qui précédent nos tableaux. Sauf exception autorisée
par la stabilité des prix, le maximum de cotes restituées ne dépasse pas
trois cotes mensuelles par an.
Prix d’une qulla d’huile d’olive à Alger de 1659 à 1668 (en D.) 1
date prix date prix
avril-mai 1659 6,00 octobre 1666 8,26
avril-mai 1660 7,00 février 1667 8,25
septembre 1660 7,00 juin 1667 6,00
avril 1661 12,00 mars 1668 7,80
août-septembre1661 12,00 septembre 1668 7,28
novembre 1662 10,00 décembre 1668 7,66
septembre 1666 9,20
Dans les limites que trace le caractère clairsemé de ces indications, on peut
faire quelques constatations:
Dans la décennie 1659-1668, le prix le plus courant va de 7 à 8,25 D. Il ne
peut cependant être considéré comme un prix typique, vu le caractère isolé
de ces prix.
Il n’est pas sans intérêt de noter que l’écart entre le prix minimum et le
prix maximum (6 et 12 D.), est de l’ordre du simple au double. Variation
faible, comparée à la série suivante où les écarts absolus pour un nombre
d’années équivalent peuvent atteindre 300%. on peut donc présumer d’une
relative stabilité des prix de l’huile d’olive pendant cette décennie, sous
réserve du caractère limité des indications la concernant.
Il faut aussi souligner les bas prix de 1659-1660, du deuxième semestre 1667
et de 1668, et les hauts prix de 1661-1662, du dernier trimestre 1666 et du
premier trimestre 1667.
La série d’années complètes examinée au chapitre suivant commence en
1669. Elle est précédée de sept mois de cotes continues qui débutent en
juin 1668. Leur examen nous servira ici d’exemple pour situer les éléments
de base que recèle la source d’où sont tirées nos séries de prix.
Il s’agit d’un registre du Beylik contenant les divers frais et dépenses
pour l’entretien des fontaines et adductions d’eau d’Alger 2.
Les dépenses sont indiquées semaine par semaine à partir de la première
semaine de muharram 1079 (11 juin-17 juin 1668). Elles comportent les
salaires des maîtres et des ouvriers et l’achat de chaux, de briques et autres
matériaux de construction, d’huile d’olive, d’orge et divers autres articles.
Pour la même année, mais sans indication de mois, une autre source 4
fournit les prix suivants en ryâl de 4,64 D. : 2,50 ; 2 ; 2,60 ; 2 ; 4 ; soit succes-
sivement (en D.) : 11,60 ; 9,28 ; 12,06 ; 9,28 ; 18,56.
1. Id, 25/108.
2. Id, 29/148.
3. Id, 33/196.
4. Id, 31/171.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 83
une nouvelle phase de baisse dure près de trois ans, suivie des fortes
hausses de 1699-1700 qui correspondent au début de la crise alimentaire des
années 1700-1702.
Les lacunes de la période 1699-1707 empêchent de constituer une série
suffisamment suivie. Cependant des éléments concordants permettent d’y
discerner le sens du mouvement des prix pour une grande partie.
une phase de hausse sensible se dessine dans le deuxième semestre 1698,
continue en 1699 et se termine vers la fin de cette année. Les pointes en sont
indiquées par les prix-témoins de Hâdhâ Qânûn cités plus haut. Rappelons-
en l’essentiel: avant juin 1699, les prix étaient de 19,72 D. Ils passent à 23,20
en août, puis à 26,68 en décembre de la même année, pour descendre en mai-
juin 1700 à 18,56 et en mai-juin 1701 à 17,40.
De leur côté, les registres du Beylik 1 fournissent pour cette période
quelques prix dont les moyennes mensuelles sont (en D.) :
janvier 1700 17,00 mai-juin 1703 11,87
avril-mai 1700 15,89 septembre 1704 11,60
mai-juin 1700 17,50
1 et 2. 228 Mi 18/68.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 87
L’écart entre prix extrêmes est de 196%, au lieu de 137% entre les moyennes
mensuelles et de 54% entre les moyennes annuelles de la même période. C’est
sans doute un cas exceptionnel. Mais par son amplitude même, il pose le
problème des méthodes applicables à l’étude des prix dans des conditions
qui ne satisfont pas les critères statistiques classiques.
Dans cette perspective, le calcul des écarts entre la moyenne mensuelle
la plus basse et la moyenne mensuelle la plus haute de chaque année de nos
séries complètes apporte quelques indications intéressantes. De 1669 à
1698: 16 années ont un écart de plus de 50%; 27 années ont un écart de plus
de 20%; 2 années seulement ont un écart de moins de 20%.
Les variations mensuelles et saisonnières du prix de l’huile d’olive ne
suivent pas la périodicité assez régulière constatée pour les prix des céréales.
Cependant, le phénomène de cherté des mois de soudure existe d’une certaine
façon pour les prix de l’huile aussi. on constate, en effet, une prédominance
de hausse saisonnière en automne avant l’arrivée de l’huile de la nouvelle
récolte et de baisse saisonnière au printemps et au début de l’été. Mais cette
périodicité est contrariée par d’autres facteurs. D’une part, les mouvements
de consommation de l’huile d’olive sont liées au calendrier hégirien (forte
consommation pendant le ramadân et les fêtes religieuses). D’autre part,
l’arrivée de l’huile d’olive livrée par la Tunisie comme partie du tribut annuel,
les prises de la course, l’abondance des produits de substitution (graisse,
beurre) qui ne coïncide pas nécessairement avec le mouvement des récoltes
de l’huile d’olive, ou, à l’inverse, la rupture de ces approvisionnements,
peuvent influer sur les mouvements saisonniers. Ces interférences ont
généralement une incidence à court terme et deviennent tout à fait secondaires
dans la détermination des fluctuations annuelles et cycliques.
88 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
1. Id, 18/67 ; 19/70-71; 25/108; 27/121; 28/130; 29/146-149; 31/179; 33/190 et les microfilms
40; 44; 45; 48 et 49.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 89
observations :
1. Pour les années 1735-1741, le type de ryâl n’est pas précisé, mais il s’agit de pataque.
2. Pendant les années de fortes hausses des prix des céréales, ici, les années 1762-1764 ;
1777-1779 ; 1806-1807 et 1816-1817, liées à de graves pénuries, l’huile est souvent en hausse.
hausse des prix au XVIIIe siècle, constaté non seulement en Europe, mais
aussi en égypte, en Tunisie et en Turquie, etc.
Il faut cependant apporter quelques compléments à cette observation.
D’une part, il n’est pas possible, avec de telles lacunes, de mesurer, ni de
dater rigoureusement, le mouvement de hausse, dont la constatation reste
au plan d’une simple approximation.
D’autre part, les plus fortes périodes de hausse des prix de l’huile d’olive
coïncident avec les grands cycles de baisse de la production agricole. En effet,
les pointes extrêmes de hausse du prix de l’huile recoupent, généralement
avec un décalage souvent léger (de l’ordre de quelques mois, parfois un an
ou plus) les moments de crise agraire aiguë. C’est le cas en particulier de
la grave crise de 1804-1807, elle-même maillon d’une longue période de recul
de la production agricole qui a commencé vers la fin du XVIIIe siècle et a
culminé dans la nouvelle crise de 1816-1817 dont les conséquences furent
irréparables. Cette intervention d’un cycle climatique à caractère conjoncturel
ne doit pas être négligée, si l’on veut que la portée structurelle du mouvement
de longue durée ne soit pas faussée.
2. Par ce qui précède, nous n’entendions nullement séparer les causes
naturelles des autres facteurs qui agissent sur les prix, mais seulement
différencier les éléments conjoncturels de ceux dont l’action a une
signification structurelle dans les mouvements de longue durée.
S’agissant des fluctuations cycliques de courte et moyenne durée, il y a
intérêt, dans la mesure permise par la documentation, à examiner leur lien
avec les crises agraires.
Pour la période envisagée, voici le mouvement du prix de l’huile d’olive
(en pataques) pendant les crises agraires les plus importantes par rapport
aux années qui les précèdent:
4. Encore une fois, on enregistre la stabilité relative des prix dans les
phases de baisse. Aussi bien les variations saisonnières que les fluctuations
annuelles ont tendance à rester dans des limites assez étroites. à cet égard,
notons un phénomène unique dans nos séries, un prix fixe enregistré
pendant toute l’année 1736. S’agit-il d’une forme d’achat contractuel ou
d’une sorte de «prix forcé» comme on en rencontre parfois à des moments
exceptionnels et en général très courts?
Nous reprendrons plus loin, dans un cadre plus large, la phase de baisse
des prix de l’huile d’olive qui commence en 1827 et se maintient jusqu’en
juillet 1830, événement de rupture et en même temps point de départ d’une
flambée de prix sans précédent, mais qui se déroule dans un contexte
radicalement différent de celui qui fait l’objet de notre étude.
Comme pour les prix de l’huile d’olive, le manuscrit Hâdhâ Qânûn nous
livre des prix-témoins sur une période limitée.
Les archives consulaires et celles des compagnies commerciales
européennes concernent pour l’essentiel les prix à l’exportation, mais,
épisodiquement, elles fournissent des indications sur les prix internes.
se poursuit en 1666-1667. La mauvaise récolte qui suit, fait passer les prix
à 11,60 D., soit 2,50 piastres sévillanes le sâc.
– Le rapprochement avec les périodes précédentes et suivantes montre que
les années 1660-1665 se situent dans une phase de cherté particulièrement
dure. C’est aussi une période d’épidémies. Al-cAyyâshî 1 rencontre dans la
plupart des oasis algériennes qu’il traverse en 1662 et 1663, sécheresse,
disettes, invasion de sauterelles, insécurité généralisée et surtout la peste qui
dure depuis 1660 et semble toucher tout le territoire. un mémoire français
de 1664 2 affirme qu’Alger n’avait plus que «environ 4 000 feux et 25 à 30000
habitants au plus pour le présent, la peste ayant fait mourir l’an passé plus
de 60 000 et beaucoup davantage aux environs de la ville, en telle sorte
que le pays en est demeuré comme un désert.»
Dans Hâdhâ Qânûn 3, la peste de 1663, appelée hbûbâ qwîyya (peste forte),
est considérée comme l’un des événements majeurs de l’époque.
Notons qu’en 1683, dont les prix relevés concernent toutes les saisons de
l’année et permettent donc de conclure qu’il s’agit d’une année relativement
pas chère, les prix extrêmes varient de 2,40 D. en fév. à 1,32 D. en oct.-nov.
L’écart est de 82%. Pour l’année-récolte (sept. 1682-août 1683), les prix
extrêmes sont de 2,40 et 1,75, soit un écart de 37%. L’écart dans l’année-récolte
suivante est de 52%, mais les données sont insuffisamment étalées sur
l’année, ce qui réduit leur signification.
De nouveau un vide de plusieurs années dans notre source. La série
reprend au dernier trimestre de 1689 et s’arrête à la fin du troisième trimestre
de 1695. groupés en moyennes trimestrielles qui permettent d’entrevoir les
variations saisonnières, voici les prix de l’orge (sâc d’Alger en D.; les chiffres
entre parenthèses sont des restitutions):
Année I II III IV
1689 3,55
1690 4,12
1691 2,37 2,10
1692 2,66 (2,65) 2,63 2,92
1693 2,92 3,70 3,08 4,08
1694 3,71 (3,70) 2,30 2,53
1695 2,10 2,00 1,75
Avec les restitutions nous avons les moyennes annuelles suivantes:
1692 2,71
1693 3,45
1694 3,06
La crise de 1700-1702
De 1700 à 1703 l’ensemble du Maghreb connaît une famine généralisée.
Elle est aggravée par la dureté des guerres intermaghrébines. Les victoires
du Dey Mustafâ sur les armées conjointes de Tunis et de Tripoli en octobre
1700, puis sur le Roi du Maroc en avril 1701 n’ont pas empêché ses
contemporains de le juger sévèrement. D’après les extraits traduits par
Delphin2, d’une chronique algéroise écrite vers le milieu du XVIIIe siècle,
Alger connut d’abord une période d’abondance et de bas prix, puis à
l’avènement d’Atchi Mustafâ en juin 1700, «il se mit à dépouiller les habitants
et combien furent exilés pieds nus et sans vêtement. Le prix des denrées à
cette époque atteignit des niveaux excessifs. Le blé se vendit jusqu’à 12
ryâls le sâc d’Alger.» Situation confirmée par une lettre du consul français
à Alger, du 12 juillet 1702 3 : «le commerce est entièrement anéanti en cette
ville par les grandes exactions du Dey pour subvenir à la païe de la milice,
et la famine demeure» et une lettre du même en décembre 1702 4 : «le blé est
à un prix exorbitant pour le pays, et la république est très pauvre par les
dépenses extraordinaires que les guerres ont causées et le peu de secours
de la mer et de la terre.»
Calamités aggravées par la sécheresse qui sévit pendant trois années
consécutives, les dégâts causés par les sauterelles en 1700, la répression
brutale des populations révoltées de la Mitidja pendant les années qui ont
précédé la crise alimentaire, et le retour saisonnier de la peste qui semble
installée de façon endémique pendant les dernières années du XVIIe et les
premières années du XVIIIe siècle.
Il faut remarquer qu’en cette période de crise alimentaire, on continuait
à exporter des grains à La Calle. 12 752 charges de blé exportés en France
en 1700, année où les sauterelles ont fait des dégâts importants, et 4 450
charges en 1701, année de sécheresse généralisée en Algérie et en Tunisie 5.
1. Id.
98 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
La liste continue ainsi avec parfois cette précision : achat pour deux
semaines. on ne peut donc apprécier très approximativement la tendance
générale du prix de l’orge qu’à partir des montants minimaux d’achat, car
pour le reste rien n’empêche qu’il puisse s’agir de quantités supérieures. Il
convient de rappeler ici qu’en dehors de la récolte passée ou à venir, certains
facteurs comme la situation démographique, les quantités stockées,
l’intensification des échanges interrégionaux ou avec l’extérieur, etc., influent
sur les prix des céréales. à partir de la récolte de 1716, on rencontre des achats
d’orge à 6 D. et de paille à 4 D. En avril-mai 1717 on a des achats d’orge ou
de paille à 3 D., et par la suite on inscrit orge et paille ensemble pour 6 D.
et pour 7 D. Si l’on juge par ces indices, la récolte de 1715 serait mauvaise,
celle de 1716 plutôt moyenne, la récolte de 1717 excellente, suivie d’une année
encore mauvaise que compensera l’année-récolte 1719-1720 assez bonne. Si,
tout en tenant compte du caractère très approximatif de l’extrapolation
tentée ici, l’on cherche à visualiser la tendance générale du mouvement
des prix exprimé par une moyenne pondérée des montants hebdomadaires
100 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
1. M. H. Cherif, Le pouvoir... op. cit., t. II, p. 640, et L. Valensi, Fellahs... op. cit., p. 300.
2. A.N., Paris, 228 Mi 26 vol. 113.
3. A.N., Paris, 369 Mi 2, art. 1363, Lettre du 24 février 1724.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 101
même année, il demande qu’on lui permette de quitter Alger «où tout coûte
sans contredit quatre fois plus cher qu’avant».
Sur la suite de ces années de crise agraire en Algérie, Peyssonnel et Shaw
apportent quelques lumières1.
Peyssonnel traverse, en juin 1725, les plaines céréalières du Constantinois,
ravagées par les sauterelles, dont il donne une description qui mérite d’être
citée2:
«Le pays est encore fertile ; mais depuis quelques années, les récoltes
sont dévorées par les sauterelles. C’était pitié de voir les moissons bien
accrues, la paille et l’épi d’une belle venue, mais pas un seul grain de blé;
les sauterelles l’avaient mangé. Il y a neuf années, nous dit-on, que ces
insectes dévorent toutes les semences du pays. Elles viennent des déserts
du Sahara, et dans un ou deux jours elles mangent tout le grain d’une
campagne, où elles se reposent ensuite. Elles font leurs œufs et meurent après
dans un même endroit... Lorsque les œufs sont éclos et que les sauterelles
ont la force de voler, elles suivent le vent qui les mène selon qu’il souffle;
mais l’on observe que si un vent du sud, par exemple, les chasse d’un lieu
et qu’un vent du nord les y ramène, elles n’en sortent plus qu’elles n’aient
leurs œufs ; alors elles dévorent les moissons et tout ce qu’il y a de végétaux
sur la terre. L’on a vu à Alger qu’elles dévoraient les oliviers et tous les
arbres fruitiers, les pins même. Elles vont en si grand nombre qu’elles
couvrent la terre et obscurcissent le soleil. J’eus un jour le chagrin de les voir
arriver dans un champ qu’elles dévorèrent en moins de douze heures...
on a beau y courir, crier pour les chasser, rien ne les détourne.»
Peyssonnel fit une partie de son voyage en compagnie du bey de
Constantine qui menait une expédition contre des tribus révoltées du sud-
est constantinois. Dès leur arrivée dans ces régions, «le bey fit lâcher tous les
chevaux et les chameaux dans le blé, et le soir, il y fit mettre le feu. Ainsi nous
achevions de détruire les moissons du pays. Dans des endroits, la sécheresse
avait empêché le grain de germer; dans d’autres et dans presque tout le
royaume, les sauterelles avaient tout dévoré et nous gâtions le peu qui restait.
Les Maures, de leur côté, mettaient le feu aux endroits par où nous devions
passer: telle est la politique de ce pays, de tout détruire et tout abîmer»3.
Pour sa part, le Dr Shaw 4 se contente de relever qu’il pleut communément
à Alger de 27 à 28 pouces par an et que pendant les années de sécheresse
1723-1724 et 1724-1725, il est tombé seulement environ 24 pouces. Par contre
en 1730-1731, la pluie a dépassé 30 pouces et elle a été encore plus abondante
en 1732-1733 où elle a atteint 40 pouces. C’était, dit-il, une année tout à fait
1. A.N., Paris, 223 Mi 1 vol. 13, f° 31 sq. Détail de ce qui s’est passé à l’arrivée de l’escadre
du Roy commandée par Mr de grand Pré à la Rade d’Alger, 1724.
2. A.N., Paris, 228 Mi 19 vol. 71 et 228 Mi 26 vol. 113.
3. Id.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 103
La crise passée, les prix semblent s’effondrer, si l’on en juge par cette
curieuse proposition faite par le Dey aux Français, en août 1755 de leur
vendre du blé à 22 sous tournois, soit 1 pataque, le sâc, alors qu’habituellement
le Dey le vendait aux négociants étrangers trois fois plus cher, et dans tous
les cas à un prix beaucoup plus élevé que les prix internes même de détail 3.
Prix de mévente lié, en ces années d’abondance, à la forte concurrence du
blé du Levant. Avec les réserves développées dans le volume consacré au
commerce extérieur, notamment le fait que le mouvement des exportations
ne suit pas nécessairement dans toutes ses variations le mouvement des
récoltes, on peut utiliser les fortes baisses d’exportation comme repères
des périodes de faible production agricole. Voici, dans leurs grandes lignes,
les mouvements d’exportation des céréales constantinoises4 vers Marseille:
1721-1725 pas d’exportations
1726-1729 environ 10 000 charges annuellement
1731-1736 40 000 ” ”(60 000 en 1732)
1737-1741 forte baisse des exportations
1742-1746 forte hausse ”
1747-1749 forte baisse ”
1750-1753 reprise ”
1754-1758 baisse ”
1760-1761 forte reprise ”
1762-1764 interdiction ”
1. A.N., Paris, AE, B III 303, L. aux directeurs de la Compagnie, 30 septembre 1742.
2. AoM, Aix, 15 Mi 51.
3. V. le volume consacré au commerce extérieur.
4. Id.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 105
pataques le sâc de blé. La baisse des prix des céréales va continuer pendant
les années fastes qui vont suivre. Avant de les aborder, concluons de quelques
mots sur cette crise. Elle nous a semblé d’amplitude moyenne malgré son
caractère général à toute l’Algérie et à la Tunisie, pour les raisons suivantes:
– Elle n’a pas frappé les chroniqueurs algériens qui ont l’habitude de
signaler les crises graves.
– Mentionner comme «événement inouï» la succession de trois mauvaises
récoltes qui n’empêchent pas quelques exportations, est un repère intéressant
sur la situation qui a prévalu pendant les années précédantes, moins
mauvaises tout compte fait, et s’insérant probablement dans une longue
phase de prospérité relative coupée de crises mineures ou moyennes, si on
les compare aux graves crises alimentaires et démographiques de la fin du
XVIIIe et du XIXe siècles.
– Elle est surtout suivie d’une décennie de prospérité exceptionnelle
même pour ce XVIIIe siècle finalement plus clément que les deux siècles qui
l’encadrent.
Cette forte stabilité à un niveau relativement bas des prix des céréales est
caractéristique des périodes d’abondance. Elle favorise les salariés en
général. on peut dire que pratiquement toute la société a gagné dans cette
2. Prix du blé et de l’orge dans les environs d’Alger (en pataques pour un
sâc non précisé, mais probablement celui de Bnî-Khlîl, soit environ le double
du sâc d’Alger):
date blé orge
mars-avr. 1782 17 8,50
” 24
fin décembre 1782 9 4,00
(Source: A.N., Alger, actes judiciaires, Z 14 et Z 28)
Les circonstances du dernier prix méritent d’être signalées. Il est tiré d’un
acte d’inventaire après décès, fait fin décembre 1782, concernant la succession
d’un caïd des environs d’Alger. L’ensemble de la succession est évalué à 2525
pataques. Elle comporte entre autres, 48 sâc d’orge, 36 sâc de blé, 40 moutons
évalués à 2,25 pataques chacun, 20 sâc de graines de lin, 10 araires, 5 chevaux,
etc. on notera avec intérêt qu’en période de disette, et en plein hiver, la
famille de ce caïd ne risquait pas d’avoir faim. on notera aussi la chute
vertigineuse du prix des moutons. un sâc de blé a la valeur de quatre
moutons ! C’est un indice de la gravité de la sécheresse qui pousse les
éleveurs à se débarrasser de leurs troupeaux quand les fourrages deviennent
inaccessibles. Donc sécheresse et disette en 1782 dans l’Algérois. Mais dans
le Constantinois, la crise semble passée, d’après les informations de la
Compagnie Royale d’Afrique 1. Le prix d’exportation du qafîz de blé à Bône
était de 19,50 piastres de Bône en 1780-1781. Il tombe à 12 piastres pendant
l’été 1782, moment que le Bey de Constantine choisit pour exiger de la
Compagnie de remplir ses engagements d’achats de grains dans la région.
Pendant ces années creuses 1778-1782, le Bey cherche à vendre des céréales
à un haut prix en jouant de la concurrence entre divers acheteurs européens
et de la pénurie de grains à Alger, ce qui lui permet d’argumenter auprès
de la Compagnie que ses stocks de Bône ne sont pas destinés à l’exportation,
mais à approvisionner la capitale 2.
De fait, à ce moment, la Compagnie était limitée dans ses retraits de
grains constantinois par les mouvements de la flotte anglaise et de ses
corsaires qui gênaient sérieusement les liaisons maritimes françaises avec
les ports constantinois. Ces limitations pouvaient sans doute réduire les
recettes beylicales et les profits des intermédiaires et des grands producteurs
de céréales pour l’exportation. Mais dans ces conditions de disette plus ou
moins générale en Algérie, elles étaient relativement bénéfiques pour les
populations locales qui pouvaient s’approvisionner en «grains de mévente»,
à des prix, sans doute élevés, mais moins catastrophiques que dans les
régions plus touchées par la sécheresse et la disette.
Il faut rappeler ici le rôle joué par l’état général du niveau technique et
des structures économiques et sociales de l’Algérie ottomane, examinées
1. A.N., Paris, B III 175, lettre du 13 septembre 1782.
2. BN Alger, ms n° 1641, recueil de lettres des beys de Constantine au Bastion, lettres de 1779
à 1782.
112 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
européens. Plus de 200 000 charges de grains (soit plus de 300 000 hl)
achetés par la Compagnie dans le Constantinois en 1786-1787, au lendemain
d’une peste qu’un voyageur français décrivait dans ces termes: «les ravages
de la peste sont si considérables dans tout le pays, qu’au milieu de ces
solitudes, je ne rencontre que des tombeaux»1. Ce genre de témoignage
n’est jamais à prendre à la lettre, surtout, comme c’est le cas ici, quand une
qualité littéraire moyenne cherche à pallier les défauts d’écriture ou
d’observation par l’amplification réthorique. Nous avons donné ailleurs, des
indications sur l’ordre de grandeur des pertes occasionnées par cette peste
à Alger. on sait aussi que Bône et sa plaine ont été fortement touchées par
l’épidémie qui a par ailleurs épargné La Calle et sa région. Dans son
extension spatiale, l’épidémie ne couvre pas tout un territoire, comme on
le voit par cet exemple d’une région qui, pourtant, est tout sauf une zone
isolée. Verticalement aussi, l’épidémie ne frappe pas avec la même ampleur
les différentes couches sociales. Les groupes dominants cherchent à échapper
à l’épidémie et y parviennent au moins en partie. on sait aussi qu’ils sont
les grands bénéficiaires des exportations. qu’ils parviennent à maintenir et
surtout à augmenter considérablement les exportations de grains en pleine
période de peste généralisée, pose des problèmes sur les degrés de
propagation et d’intensité de l’épidémie en fonction des endroits, des
groupes sociaux, des âges, etc. L’épidémie, ou celle-ci en particulier, réduit-
elle plus de bouches à nourrir que de force de travail ? une partie de la
réponse se trouve probablement dans une étude systématique des quelques
milliers d’actes de succession concernant Alger et ses environs, étude que
nous avions projetée dans le cadre de ce travail 2 et réalisée en grande partie,
mais la perte de la documentation rassemblée et des parties rédigées nous
a obligé à la reporter ultérieurement.
Si l’on ne peut évaluer de façon précise dans quelle mesure le mouvement
des prix a subi l’influence d’une action différentielle de l’épidémie sur les
bouches à nourrir et la force de travail, on peut, par contre, constater qu’à
côté du facteur climatique, ce phénomène a pu jouer un rôle dans le fait que
les prix des grains sont restés relativement bas malgré l’augmentation
considérable des exportations et la flambée des prix à l’exportation qui,
bénéficiant de la pénurie généralisée en Europe, atteignaient des niveaux
sans précédent.
Prix moyen d’un sâc de blé à Alger (en P.)
1784 3,75 1788 2,25
1785 2,15 1791 2,00
1786 2,80 1795 2,00
1787 2,13 1800 2,38
(Source: 228 MI 48 vol. 377 ; 228 MI 49 vol. 384).
1794, 1795, puis une année moyenne et même médiocre à certains endroits,
suivie d’une bonne année, puis 1798 fut une année de rareté de grains
«dans tout le royaume». quoique la suite ne fut pas une période faste, le cycle
de l’abondance ne se ferme vraiment qu’à partir de 1803.
qui font 5 douros. Les gens n’ont pas considéré cela comme cherté, et
personne n’en est mort à cause de l’abondance de l’argent». à Alger, il y avait
en 1805 le boujou qui valait 3 pataques et la piastre sévillane qui en valait
5. Il y a donc une certaine confusion des taux de change chez notre auteur
à des dizaines d’années de distance. quant à l’abondance d’argent, elle ne
semble pas combler toutes les poches. Pour prendre un exemple dans les
milieux populaires, le salaire d’un ouvrier du bâtiment était resté en 1805-
1806 le même qu’avant : 0,5 pataque la journée. 5 à 6 journées de travail pour
acheter un sâc de blé avant la crise ; 60 à 70 journées en 1805-1806. Au
sommet de la crise, la journée de l’ouvrier rapportait de quoi acheter entre
0,86 litre et un litre de blé, soit de 0,66 à 0, 77 kg. on peut imaginer les
conséquences quand l’ouvrier a cinq ou six bouches à nourrir. Il en est de
même pour les autres catégories aux revenus monétaires modestes qui se
rabattaient sur l’orge, provoquant la hausse de cette céréale inférieure.
Situation dure pour les couches populaires. Mais apparemment situation
de cherté et non de famine meurtrière. Si les gens mouraient de faim, les
consuls et les agents de la Compagnie Royale d’Afrique l’auraient signalé
dans leur correspondance qui reste la source principale sur cette crise. Elle
décrit, en effet, certains aspects de la crise alimentaire, de l’action du pouvoir
pour l’enrayer et des réactions populaires face à cette situation.
Après une récolte médiocre en 1803, les pluies de l’automne et de l’hiver
sont insuffisantes. La prochaine récolte s’annonce mauvaise. «L’effet sur les
prix des grains est considérable à Alger» 1, écrit, le 31 janvier 1804, le vice-
consul américain qui croit savoir que la situation est meilleure dans l’oranie
et le Constantinois. à Alger, on importe des céréales et des pommes de
terre. La même année, un propriétaire des environs d’Alger, enregistre dans
son carnet de comptes, la vente de 100 quintaux de pommes de terre,
produit de son jardin et note : 500 P. reste du prix des patates 2. on avait vu
plus haut qu’une charge de pommes de terres valait 3 pataques en 1781.
En mai 1804, les Américains apportent 6 763 mesures de blé, à raison de
3 $ la mesure, prix plafond fixé par le Dey pour l’importation.
La récolte de 1804 est mauvaise. Le prix des grains monte encore. Le
pouvoir établit des contrôles sur les marchés des grains à l’intérieur du
pays et cherche à en drainer une partie vers Alger. Mais la situation est
aggravée à l’intérieur du pays par les désordres généralisés. à l’Est, la
victoire des insurgés sur le bey de Constantine qui périt avec une partie de
son armée à la bataille de oued Zhûr, donne une grande extension à la
révolte paysanne. Celle-ci prit, comme c’est souvent le cas pour les grands
mouvements insurrectionnels au Maghreb, un caractère confrérique.
croyables. Mais ils sont sûrs, corroborés par différentes sources directes,
non douteuses, convergentes. Le commandant français Boutin, observateur
perspicace, envoyé, en 1808, par Napoléon en Algérie pour y étudier les
meilleures possibilités de débarquement en cas d’une éventuelle attaque
contre Alger, en donne une explication valable : «tous ces prix ont triplé
depuis 1790, à cause de la paix avec l’Espagne en 1785 qui jeta beaucoup d’ar-
gent dans le pays, à cause de la mauvaise administration qui a beaucoup
découragé l’agriculture et de la mauvaise récolte des trois dernières années.
Celle-ci s’annonce avantageuse»1. on peut ajouter l’argent des exportations
de grains, les immenses rentrées provenant de la course depuis le début
des guerres révolutionnaires en Europe, etc. Il reste que cette nouveauté
qui se présente d’abord comme un phénomène d’enrichissement tout au
moins en termes de monnaie et de métaux précieux, s’accompagne de graves
perturbations dans différents domaines essentiels que nous examinerons
plus loin. Ces perturbations font que les années 1808-1814 ne furent qu’une
courte parenthèse, un répit, dans une chaîne de crises.
Pour cette période, les prix du blé relevés dans les registres du Beylik et
les actes judiciaires sont peu nombreux2. Ils se situent entre 6 et 8 pataques
le sâc d’Alger. Mais Devoulx3 mentionne dans les registres maritimes la
vente en janvier 1813 de blé à 15 pataques le sâc, alors que quelques mois
plus tard, en mars 1814, le blé est à 6 pataques, d’après les registres de Bayt
al-mâl 4. on sait que Devoulx, bon arabisant et sans doute l’archiviste le plus
familiarisé avec les sources ottomanes de l’Algérie en langue arabe, ne
connaissait pas le turc ottoman et s’était fait aider par des khodjas algérois
pour la traduction des registres maritimes. Nous ne disposons pas d’autres
prix qui puissent infirmer ou confirmer cette indication. Mais quelques
éléments d’information peuvent aider à éclaircir la situation.
Il y a d’abord le niveau des exportations vers l’Espagne étudié par Aguila 5.
Ainsi, au moment où les autorités d’Alger cherchaient par tous les moyens
à faire face à la famine qui sévissait dans la capitale, le Bey de Constantine
avait, dans ses magasins à Bône, 5000 qafîz de blé (environ 30 000 hl), prêts
à l’exportation1. Ne trouvant pas d’acheteur au prix élevé qu’il demandait,
il continua néanmoins, en vue de l’exportation, à stocker du blé «où il est
entassé jusqu’au plafond», ce qui risquait de le détériorer par échauffement,
disait le responsable local de l’Agence d’Afrique qui poussait ainsi à une
stratégie de baisse des prix des grains, favorisée par ailleurs, par l’arrivée
massive du blé de la Mer Noire sur les marchés méditerranéens. à odessa
et à Istanbul, le blé était à 17,75 F l’hl. A la rahba de Bône, il était à 28 P.F. le
qafîz, soit environ 19,25 F l’hl. Mais à Alger un hl de blé valait 40 F, d’après
la même correspondance, ce qui fait 24 F le sâc, soit au change du moment,
32,64 pataques. Il semble que le mouvement des prix à Alger se complique
par l’étendue et la gravité de l’épidémie. Habituellement, en une année de
mauvaise récolte, le prix du mouton évolue à l’inverse du prix des grains.
Mais, d’après la correspondance consulaire américaine, la peste a fait au
moins doubler le prix des denrées apportées de l’intérieur du pays. Le
charbon est passé de 2,50 pataques à 8; le mouton à 2,50 et à 3 $, et tous les
autres produits ont augmenté dans les mêmes proportions. Des bateaux
envoyés chercher des grains dans les différents ports constantinois et oranais
sont retardés par le développement de l’épidémie dans ces régions. Le
résultat immédiat, malgré la baisse importante de la consommation liée à
chute de la population, est donc une hausse des prix dont la cause principale
semble être l’épidémie plus que la mauvaise récolte qui, en 1817, ne fut
pas générale.
Il est vrai que les indications dont nous disposons sur les prix à Alger dans
les années 1814-1819 proviennent souvent de sources autres que celle qui
nous a permis de constituer nos séries. Nous les avons regroupées dans le
tableau suivant, malgré leur hétérogénéité, afin de permettre, avec les
réserves nécessaires, une vue aussi fragmentaire et approximative soit-elle,
des fluctuations des prix en un moment de crise particulier.
(Sources: 228 MI 2 Vol.5; Devoulx, Registre des prises, op. cit., p. 101 ; Z 65 ;
Z 67; 253 MI 4 Vol. 9; A.E., BIII 300 et 302; 228 MI 49 Vol. 378).
1. Id., AE, B III 302. Lettre du Dr des concessions au Ministre des Affaires étrangères, 13 août
1817.
122 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
(Sources: 228 MI 49 vol. 377 et 378; 228 MI 3 vol. 9 et 228 MI 5 vol.12 ; Z 46 ; Z59; Z 65-67)
1. Procès verbaux et rapports de la commission nommée par le Roi le 7 juillet 1833, Paris,
Imprimerie Royale, 1834, p. 459 sq.
2. g. de Bussy, L’Établissement..., t. II, p. 214-215.
3. L. de Baudicour, La Colonisation de l’Algérie, Paris, 1856, p. 22.
4. AoM, F80 933, 2e rapport sur les ressources financières de Constantine (de M. Fabre, 26
mai 1838).
5. Aucapitaine et H. Federman, «Notices sur l’histoire de l’administration du Titeri», RA, 1867,
p. 217.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 125
1. avant 1765:
à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, les prix à l’exportation
n’ont pas connu de bouleversements importants malgré les fortes expor-
tations des années 1698-1699 et 1708-1711.
Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, la Compagnie marseillaise
pouvait acheter, au prix qu’elle fixait en fonction des fluctuations du marché,
126 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
2. après 1765:
Avec des fluctuations inévitables, les trois types de prix ont tendance à
monter à des paliers irréversibles. Les tableaux suivants donnent une idée
générale de cette montée des prix à l’exportation.
a. prix rahba à Bône (en P.S. le qafîz):
années prix indice
1769-1773 8,86 100
1790-1794 17 192
1795-1798* 18,72 211
* Pour l’année 1799, les données sont trop incertaines donc non intégrées à la moyenne
quinquennale.
années prix (en P.S. la fanègue) années prix (en P.S. la fanègue)
1789-1792 1,50 1809 2,50
1793 1,80 1811 4,00
1794 2,40
Le prix moyen à Alger de 100 kg de blé dans les années 1825-1829 était
de 49,34 g. d’argent fin. quoique simple ordre de grandeur, la moyenne quin-
quennale de 1825-1829 est plus représentative des prix à Alger que les prix
isolés de 1825. Rappelons la pauvreté de nos données en comparaison avec
les statistiques européennes utilisées par Abel pour ces années. Le rappro-
chement des prix est donné ici comme simple hypothèse pour des recherches
à venir.
pieuses, des saisies, etc. De là vient, en partie, la rareté d’indications sur les
prix du bétail. Les données relatives à des transactions privées, contenues
dans les actes notariaux, les carnets des marchands et les registres de Bayt
al-mâl, fournissent un complément important d’informations.
à la rareté des données qui ne commencent à devenir relativement
nombreuses qu’à partir de 1760, s’ajoute une autre difficulté qui complique
l’établissement de séries significatives sur une longue période : la grande
diversité des prix du bétail et l’absence d’indications précises sur l’âge, la
taille, la force ou sur d’autres qualités pouvant intervenir dans la
détermination des prix. La seule indication fréquemment donnée concerne
la couleur du pelage qui semble servir comme moyen d’identification.
Parfois des défauts sont indiqués, sans doute en raison de leur gravité, les
plus courants étant borgne, boiteux, poussif, vieux.
Notre étude sera, ici, axée sur la période 1760-1830, où la qualité et
l’abondance relatives des informations permettent une analyse plus poussée
du mouvement des prix du bétail.
La période précédente (1660-1759) servira seulement, à titre introductif,
comme élément de présentation et d’illustration de certains problèmes
caractéristiques de ce domaine, afin de tracer clairement les limites et les
réserves qui s’imposent dans l’étude de ce secteur.
1. 1660-1759 :
Le tableau qui suit est consacré aux années de monnaie stable, où 4,64 D.
valent toujours une piastre sévillane :
des facteurs qui influencent sur les écarts parfois considérables entre prix
d’animaux de même espèce.
Le rôle du Beylik
– En 1700, le dey ordonne aux responsables de la ville d’Alger d’acheter, aux
frais des habitants de la ville, au moins un millier de chevaux, comme parti-
cipation financière à la campagne contre Tunis. Voici quelques éléments des
comptes des achats dressés par le chef des syndics des corporations d’Alger 1 :
460 chevaux achetés à 9 567 pataques (soit 20,79 pataques chacun),
73 chevaux achetés à 1 623 pataques (soit 22,23 pataques chacun).
une nouvelle totalisation faite en assemblée générale des responsables de
la ville dénombre :
– 618 chevaux achetés en ville aux frais des corporations pour 17 731
pataques, soit 28,69 pataques l’unité,
– 151 chevaux achetés à l’extérieur de la ville pour 3 473 pataques, soit 23
pataques l’unité.
Le compte final, dressé en avril-mai 1701, totalise d’une part l’achat de 764
chevaux dont le prix n’est pas indiqué, aux frais des musulmans de la ville
(corporations des métiers et portefaix), et détermine, d’autre part, que la
participation des Juifs d’Alger évaluée au quart du coût total, est de 254
chevaux coûtant 7 398 pataques, soit une moyenne de 29,13 pataques par
cheval. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans les détails de ces comptes.
on peut seulement en retenir que les prix moyens de chevaux achetés pour
la cavalerie d’Alger, en vue d’une longue expédition, varient de 20 à 30
pataques le cheval.
– En 1111 H (29 juin 1699-17 juin 1700) Bayt al-mâl procède à la vente de
chevaux provenant de la «maison princière»2. Voici leurs prix, par ordre
croissant (en pataques): 36 ; 40 ; 50 ; 50 ; 50 ; 56 ; 56 ; 65 ; 70. La moyenne est
de 52,88 pataques par cheval, soit 26,44 piastres sévillanes. Le même registre
contient par ailleurs des prix de vente de chevaux (en pataques), sans autre
indication que, parfois, la couleur de leur pelage. La variété de ces prix est
très grande : 8 ; 11 ; 14 ; 18; 20 ; 21 ; 22 ; 25 (quatre fois) ; 27, 63 ; 30 ; 40 ; 45 ; 46,98 ;
50 ; 55 ; 62. Pour ces 20 chevaux, l’écart entre les prix extrêmes est de 1 à 8,75
et la moyenne est de 33,45 pataques. Peut-on en conclure que le Beylik
achète moins cher et vend plus cher en moyenne parce que dans les deux
cas il procède à des prix forcés ? Il ne semble pas que ce soit le cas ici,
quoique ces procédés soient attestés, du moins à la campagne, comme on
le verra plus loin.
prix et qualité
Les différences de prix peuvent s’expliquer ici par les différences de
qualité. Il est normal que des chevaux appartenant, ou ayant appartenu à
la «maison princière» soient de bonne qualité et donc de haut prix. Ceux
destinés à la cavalerie se situent dans une bonne moyenne allant de 20 à 30
pataques. C’est dans ce même éventail que se situent 9 sur les 20 prix relatifs
à des transactions privées. quant aux prix en dessous de 15 pataques, il peut
s’agir de bêtes malades ou vieilles, si l’on en juge par comparaison avec des
indications relevées par ailleurs. observons tout de même que l’écart entre
les prix extrêmes des chevaux dans la même année (rapport de 1 à 8,75), est
trop fort et se rencontre rarement dans nos sources.
Ces prix exceptionnels expriment d’un côté la valeur d’une vieille rosse
efflanquée, et de l’autre, celle de coursiers ou, en tous cas, de chevaux de
haute qualité. Il n’y a là rien d’anormal dans un contexte où l’appropriation
de chevaux de race noble «anoblit», presque par identification, tellement les
rapports affectifs et de valorisation sont forts, ancrés par une tradition
millénaire de rapport au cheval de qualité.
En revanche, l’écart très élevé entre prix extrêmes concernant les mulets
pose problème. Dans le même document et pour la même année 1111 H, sont
enregistrés des prix de vente de mulets, dont voici la liste (en pataques): 6;
11,50 ; 12,50 ; 16 ; 16 ; 24,50 ; 25 ; 25 ; 29,50 ; 43.
6 et 43 pataques : un rapport de 1 à 7,16.
Nous avons des indications sur le prix de vente de 11,50. C’est le prix d’une
mule «de petite taille et essoufflée». Dans quel état doit être la bête vendue
à 6 pataques !
D’autre part, la somme de 43 pataques est un haut prix pour un mulet.
Rappelons qu’en 1699-1700 une pataque vaut 0,50 piastre sévillane. un
mulet à 21,50 piastres sévillanes, c’est bien au-dessus du prix courant d’un
mulet de qualité moyenne. Mais nous allons rencontrer par la suite des
prix de mulets plus élevés que, par exemple, les prix moyens des chevaux.
Cela semble concerner une race de mulets particulièrement appréciée à
Alger, sans doute parce que plus adaptée au terrain accidenté des alen-
tours de la ville où beaucoup de citadins aisés possèdent des maisons de
campagne, des jardins et des fermes.
Du même ordre semble relever l’extrême valorisation d’une race
particulière d’ânes de grande taille dont les meilleurs étalons servent à la
reproduction des mulets de qualité.
Alors que les vaches vendues en groupe ou à l’unité ont un prix moyen
de 8 à 11 pataques et les bœufs de 7,17 à 16,67, les bovins grands et petits
ensemble descendent à une moyenne de 3,89 à 6,5.
C’est seulement sur les années 1661-1662 qu’existe une possibilité de voir
les fluctuations des prix pendant et après une sécheresse. Mais l’analyse
comparative reste fragile en raison de la pauvreté des informations et de
l’intervention du facteur vu précédemment, à savoir la différence du niveau
des prix en fonction des ventes groupées ou à l’unité.
un regard rapide sur les chiffres qui vont suivre, montre l’imbrication de
ces influences. Les prix sont exprimés en dinars :
2. en août 1694:
12 moutons pour 43 £ 4 sous, soit 23,67 pataques, ce qui revient à 1,97
pataque le mouton. évidemment, il faut ici tenir compte des différences
régionales entre Alger et l’Est constantinois.
Toujours dans le Constantinois, en 1725, Peyssonnel 2 estimait à une
trentaine de piastres la valeur d’un mulet ou d’un cheval. A Alger, les prix
courants notés par le Docteur Shaw 3 vers 1730 étaient de 3 shillings 6 pence,
soit exactement 1 piastre sévillane, pour un mouton et d’une guinée pour
une vache (environ 4,50 piastres sévillanes).
2. 1760-1830
quoique relativement plus nombreuses, les indications relatives à cette
période n’atteignent pas toujours le niveau qu’exige la grande diversité
des prix du bétail pour établir des séries fondées sur des moyennes
satisfaisantes. De plus, il y a l’irrégularité des informations où, parfois, sur
de nombreuses années, on ne rencontre aucune mention de prix pour telle
ou telle espèce. Cela crée un vide et une discontinuité qui limitent
sérieusement les possibilités de mesure du mouvement des prix sur le long
terme. Ce sont ces lacunes qui imposent de commencer la nouvelle série en
1760 et non en 1740, par exemple. Plus encore, les séries plus ou moins
continues sur un nombre suffisant d’années ne démarrent pas toutes au
même moment. Seules les séries des prix des mulets, des bœufs et des
moutons démarrent dans les années 1760. Les débuts de celles concernant
les vaches et les ânes se situent au milieu des années 1780, tandis que pour
les chevaux, il n’existe de série continue sur un certain nombre d’années qu’à
partir de la fin du siècle.
L’épuration adoptée ici tend surtout à écarter du calcul des moyennes des
prix des mulets ceux d’une race particulièrement chère d’un côté et de
l’autre les prix trop bas qui concernent généralement des bêtes vieilles
et/ou handicapées. Les prix extrêmement élevés de mulets d’une race
hautement appréciée à Alger, se rencontrent surtout dans les années 1810-
1819. on peut se demander s’il s’agit d’une phase particulière où les achats
des couches aisées s’intensifient, ou bien de l’une des conséquences sociales
de cette époque troublée. En effet, cette décennie, et surtout 1814, est
marquée par la fréquence des exécutions et des expropriations de très hauts
responsables et donc de vente massive, par Bayt al-mâl, de produits
expropriés.
138 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
quelle que soit la méthode suivie (élimination ou non des prix extrêmes,
calcul des moyennes annuelles ou de la moyenne de tous les prix de chacun
des cinq groupes d’années choisis, le résultat, avec des variations qui ne
modifient pas l’essentiel, reste dans la même direction suivante:
1. 1762-1778 : les prix sont très bas par rapport aux périodes suivantes. Il
faut cependant rappeler que ce groupe d’années est encadré par les deux
graves crises agraires de 1762-1764 et 1778-1779.
2. 1783-1793 : les prix montent. quelle que soit la méthode suivie, ils
restent toujours au-dessus de deux fois et demie plus élevés que ceux des
années 1762-1778 (par exemple, la moyenne de tous les prix de la série,
sans éliminations des chiffres extrêmes est de 293 ; la moyenne des moyennes
annuelles est de 257). Bien sûr, l’ampleur réelle n’est pas mesurable avec
exactitude, mais la force approximative du mouvement dans le sens de la
hausse, est une certitude.
3. Cette hausse continue pendant les années 1799-1810. Il nous semble
légitime de lier ce mouvement de hausse de longue durée qui s’étend
pratiquement sur un demi-siècle, au puissant mouvement d’exportation de
céréales, générateur d’abondance monétaire, qui couvre en gros la même
époque.
4. Cela est confirmé par le mouvement de baisse qui suit la fin de l’époque
des exportations. En effet à partir des années 1810 s’ouvre un mouvement
de baisse qui continue jusqu’en 1830. D’abord la baisse est sensible en prix
constants pour la période 1811-1819, même si les prix montent relativement
en prix courants.
5. Ensuite, pendant les années 1820-1830, le phénomène de baisse
s’accentue en prix exprimés en monnaie constante, et, malgré la dépréciation
continuelle de la pataque, les prix courants baissent aussi si l’on tient compte
de l’ensemble des prix sans aucune élimination, ce qui montre l’ampleur de
la crise agraire.
Ce mouvement, dans ses oscillations essentielles, est confirmé par les
séries concernant les bœufs, où l’écart entre les prix de la même année est
relativement plus réduit, ce qui donne plus de solidité à ces séries.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 139
moutons et béliers
Le contraste est ici très fort entre l’importance considérable des moutons
dans la vie économique de l’époque et la modestie de la place qu’ils tiennent
dans notre documentation. Cette situation tient surtout au fait que l’essentiel
de cette documentation se rapporte à une catégorie de la population citadine,
certes grande consommatrice de viande de mouton, mais plus concernée par
le «produit final» de boucherie que par les différentes opérations qui le
précèdent.
Les lacunes et la discontinuité des chiffres présentés ici réduisent la
portée que l’on peut attribuer aux résultats présentés par nos deux tableaux.
Le premier tableau présente les prix des moutons, grands et petits
confondus, vendus en groupe. Il s’agit de ventes pouvant concerner plusieurs
centaines de moutons par groupe, mais quelques fois, le nombre est de
quelques dizaines ou même de quelques unités seulement. Il faut préciser
aussi que c’est surtout la première période (1767-1778) qui ne comporte
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 141
Le tableau relatif aux prix des béliers est donné ici à titre indicatif. Sans
entrer dans des détails fastidieux, disons pourquoi il n’est pas possible
d’en tirer de conclusions satisfaisantes. D’abord, pour chaque période, il y
a très peu d’années avec des données, et pour chaque année présente, le
nombre de béliers mentionné est très réduit.
Le pain de munition de soldat se vend dans les rues pour les gens de la
campagne ; on en donne 10 pour un sol. Beaucoup en nourrissent les
volailles, les vaches et les cochons (sic).» Lapsus ou mauvaise lecture de
Fagnan qui a édité le manuscrit.V. de Paradis voulait sans doute dire «les
moutons». Hâdhâ Qânûn1 donne sur ces deux types de pain des précisions
dont certaines semblent concerner plus particulièrement la période de la fin
du XVIIe et du début du XVIIIe siècles. à cette époque, le prix du pain
buzai était fixé par les autorités de la ville d’Alger, généralement pour une
longue période. En fonction des variations du prix du blé, ces autorités
faisaient diminuer ou augmenter le poids de ce pain taxé, comme on l’a vu
plus haut. Par exemple, ce pain a été fixé à 9 onces de pain cuit ou 10 onces
avant cuisson en muharram 1106 H (août-septembre 1695) et à 13 onces après
cuisson en muharram 1109 H (juillet-août 1697). une autre sorte de pain est
appelée khubz al-rdûm, qui semble différent de celui que V. de Paradis
appelle «pain de munition». Son poids était fixé définitivement par un
règlement datant de 1606 à 7 onces d’Alger, soit environ 240 grammes. à
toutes les époques, le Beylik et les habous en achetaient pour la nourriture
des ouvriers et des esclaves qui travaillaient dans leurs chantiers ou sur leurs
terres. Les bourgeois d’Alger en faisaient de même pour les ouvriers qu’ils
engageaient à divers travaux en ville ou dans les champs.
un troisième type de pain, fait à la maison et vendu dans les rues d’Alger,
était laissé, selon les propres termes du règlement Hâdhâ Qânûn, «au
marchandage entre les boulangères des rues et les clients».2
D’autre part, le bashmât, pain déshydraté ou «biscuit», était principalement
destiné aux soldats en expédition et aux marins de la course ; mais du
moins dans certaines circonstances, il servait aussi à nourrir les esclaves et
les ouvriers berranis. Soldats et marins, esclaves et ouvriers berranis, autres
passagers ou résidents temporaires constituaient une clientèle importante
pour les boulangers professionnels et les «boulangères des rues». Le reste
de le population fabriquait son propre pain qu’on faisait cuire généralement
chez les fourniers.
Enfin, dernière précision qui a son importance : les livres de compte privés
ou publics ne précisent pas toujours le type de pain acheté, mais certains
recoupements permettent souvent de discerner de quel type de pain il
s’agit, ou, tout au moins, de suivre une même série d’achats effectués dans
les mêmes conditions et à des moments où les variations des prix des
céréales restent limitées et suffisamment claires pour aider à une telle
reconstitution. Cependant, le peu d’éléments dont nous disposons et
l’imprécision fréquente sur le type de pain en question, interdisent toute
recherche de moyennes représentatives d’un moment donné, et par
conséquent, nous ne pouvons livrer ici que des données brutes sur le prix
du pain à diverses époques à Alger.
1725-1750:
Février-mars 1727, le consulat français3 achète le pain à 1,29 pataques la
centaine, soit 3 aspres l’unité et le quintal de biscuits à 6,12 pataques, soit
2,04 piastres sévillanes.
Le Dr Shaw 4 affirme qu’avec une aspre, on pouvait avoir de quoi se
nourrir: «We can have a large piece of Bread, a Bundle of turnps, a small
Basket of fruit, etc.»
En 1750, achat par le consulat français 5 de 4,50 quintaux de biscuits pour
51 pataques, soit 11,33 pataques (2,27 piastres sévillanes) le quintal.
1780-1787 :
Pour l’ensemble de la période, nous avons deux prix différents pour le
pain 6, l’un va de 2 à 3,50 aspres et concerne le pain rdûm; l’autre va de 5 à
8 aspres. La liste de ces prix provient du même compte d’un marchand qui
nourrissait des ouvriers travaillant sur ses terres comme laboureurs,
moissonneurs ou jardiniers. Dans ce document les mentions d’achats de pain
sont nombreuses. Nous donnons quelques exemples de prix classés par
année (en aspres le pain):
1782 8,70 1786 3,50 ; 6,96 ; 7 et 8
1784 3 1788 2 ; 3 ; 7 et 8
1785 5 ; 6 et 7,73
1810-1830:
Les achats 2 faits par le Beylik, Bayt al-mâl ou des privés semblent relever
de la même catégorie de pain cher. En tout 8 achats dont le total fait 617 pains.
Les prix nominaux suivent naturellement la dépréciation de l’aspre et
semblent liés aussi à la situation climatique.
Le premier prix est difficilement lisible, la date est de 1226 H (1812) ou 1229
(1814). L’achat concerne 50 pains payés 3 pataques et un quart ou 3 pataques
et trois quarts; ce qui fait 15 ou 18 aspres le pain. Les autres prix sont (en
aspres l’unité):
1820 : 11 1827-1828 : 20
1824-1825 : 20
La viande
D’après Peyssonnel 3, les Turcs avaient le droit d’acheter la viande, un tiers
au-dessous de la taxe publique. Affirmation que répètent différents auteurs
européens dont V. de Paradis. L’existence de ce privilège n’est confirmé
par aucun document officiel. Pour pouvoir comparer les prix de la viande
à différents moments, il faudrait donc les classer en fonction de l’acheteur
(Beylik, soldats turcs, autochtones). Mais il ne s’agit ici que de quelques prix
glanés de sources diverses et présentés chronologiquement de façon à fixer
en gros les idées.
Rappelons d’abord qu’entre 1667 et 1675, le prix moyen d’un quintal de
viande acheté par le Beylik, calculé d’après 12 prix différents allant de 10
à 19,60 dinars le quintal 4, était de 14,45 dinars, soit 3,12 piastres sévillanes.
à la même époque, le prix d’un quartier de viande de mouton valait autour
d’1 dinar. Donc, grosso modo, un quintal de viande équivaut à 14,45 quartiers
de viande de mouton.
En 1741 à La Calle, la Compagnie Royale d’Afrique 5 achetait la viande à
16 deniers la livre poids de table.
En 1788, d’après V. de Paradis 6, un quintal de viande de bœuf valait à Alger
de 12 à 14 £, soit 2,18 à 2,55 piastres sévillanes et un quartier de mouton entre
20 et 24 sous, soit 1,60 à 2,92 pataques ou 0,32 à 0,38 piastre sévillane. Nous
avons donc un rapport de 1 à 12,50 ou 15 entre un quartier de mouton et
un quintal de viande.
1. V. de Paradis, op. cit., p. 26.
2. A.N., Paris, 228 Mi 29/146.
3. Peyssonnel, op. cit., p. 372.
4. A.N., Paris, 228 Mi 18/67-68.
5. P. Masson, op. cit., p. 438.
6. V. de Paradis, op. cit., p. 23-26
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 147
Œufs et volaille
Ce sont aussi quelques prix isolés donnés à titre indicatif.
En 1700, divers achats de volailles 4, parmi lesquelles nous avons : des
poules dont les prix vont de 0,22 à 0,35 pataque l’unité, soit 0,11 à 0,18 P.S.;
des pigeons de 0,15 pataque, soit 0,075 P.S. ; des canards de 0,24 à 0,29
pataque ; des oies de 0,47 à 0,52 pataque ; un dindon à 3,58 pataques et un
paon à 3,02 pataques.
Les prix donnés pour la volaille en 1730 par le Dr Shaw5 semblent
largement plus bas que ceux de source ottomane: «Fowls frequently bought
for three half-pence a piece».
Parmi les achats du consulat français 6 à Alger en 1752, on trouve deux
dindons et deux oies, l’ensemble coûte 15 pataques; douze poulardes et dix
paires de pigeons à 9,50 pataques. Deux gros poulets valent en 1788 de 12
à 14 sous, soit de 0,107 à 0,124 piastres sévillanes la paire. une paire de
pigeons vaut 9 sous (0,08 P.S.) et une centaine d’œufs 36 sous (0,32 P.S.) 7.
En 1794-1795, une paire de poulets est achetée à 1,125 pataque (0,226 P.S.),
une autre à 1,25 pataque (0,25 P.S.) et 100 œufs à 1,50 pataque (0,30 P.S.) 8.
on sait que tous les prix ont augmenté après 1805. une paire de pigeons
valait en 1808 10 sous, une volaille 1,40 £ et un œuf 1,5 sou 9.
En février 1827, une paire de poules est achetée à 2 pataques (0,239 P.S.)
et une autre à 3 pataques (0,359 P.S.) 1. à comparer avec les témoignages
recueillis par g. de Bussy 2 sur les prix avant 1830 (en francs de l’époque):
2. produits importés
Trois produits de large consommation à Alger sont présentés ici : le café,
le sucre et le poivre. Malgré la stabilité relative des prix de ces produits en
monnaie constante, il nous a semblé préférable de les présenter, accompagnés
de quelques observations sur le type de produit ou de transaction pouvant
influencer la variation des prix.
Café : boisson très populaire, sa consommation semble se développer avec
la montée des rentrées de devises liées au «siècle du blé» et à la course
pendant les guerres européennes, suite à la Révolution française. Les carnets
de négociants et les correspondances consulaires signalent la diffusion
massive de ce produit que certains observateurs étrangers considèrent
comme le seul luxe des masses pauvres d’Alger.
1. Z 53 et Z 59.
2. Ibid.
3. A.N., Paris, 228 Mi 1/1; 48/375; 49/382; 14/11; 3/7 et 369 Mi 2, art. 1376.
150 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
Sucre : Il n’est pas toujours spécifié s’il s’agit de sucre raffiné ou pas.
Parfois, la quantité n’est pas indiquée, mais le prix est donné au quintal ou
à la livre, ce qui permet de distinguer prix de gros et prix de détail. Sauf autre
indication, le prix est donné en pataques, puis en piastre sévillane, pour une
livre, poids d’Alger :
Epices :
quelques prix qui concernent surtout le poivre entre 1815 et 1827. Le
prix de gros est de 63 pataques le quintal, soit 0,63 la livre. Au détail, le prix
va du simple au double, de 1,50 à 3 pataques, soit de 0,19 à 0,38 piastres
sévillanes Les prix des autres épices (cumin, cannelle, carvi) se situent en
gros dans cette même échelle. A comparer avec 0,34 piastres sévillanes la
livre de poivre en 1671-1672.
En 1762, ces comptes indiquent l’achat de 4 bœufs à 142 pataques (soit 35,50
chacun) «pour donner à manger aux chrétiens du bagne pendant les
réjouissances». En juillet de la même année, la nourriture des hommes d’un
bateau français fixé à Alger, revenait à 0,38 pataques quotidiennement par
personne. C’est le moment d’une grave disette qui a fait monter le prix du
blé à 5 pataques la mesure; tandis que le prix d’un mouton baissait à 2,25
pataques parce que «les gens s’en débarrassaient à cause de la sécheresse».
Sans donner d’autre explication, la même source indique, en 1769, qu’à
Alger, «les bœufs sont rares et chers».
V. de Paradis 2 note pour 1788: «le quartier d’un gros mouton vaut 20 et
24 sols, en hiver 30, et il vaut toujours moins pour un soldat; un mouton en
été vaut 5 ou 6 £, en hiver 10 à 12 £... une livre de viande de 16 onces, 3 sous;
deux gros poulets 12 à 14 sous; ... une paire de pigeons 9 sous... Il n’y a que
les juifs et les chrétiens qui mangent de la viande de bœuf: il revient à 12
ou 14 £ le quintal de 133 lb.»
En oranie, les Espagnols 3 achetaient en 1792, en gros, des bœufs de
boucherie, de différents poids, à raison de 6,50 piastres sévillanes (32,50
pataques) l’unité et les moutons à 1,80 piastres sévillanes (9 pataques). En
1795-1796, les Français de La Calle achetaient au cheikh de la Mazoule,
«presque tous les bœufs pour notre consommation à 8 piastres l’un dans
l’autre depuis vingt ans, prix double de ce qu’il en avait tiré jusqu’alors».
Rappelons que la piastre de La Calle est une piastre sévillane rognée à
Marseille selon des proportions convenues et valait officiellement 5 £ ou 5
francs-germinal, et intrinsèquement 4 £ 12 s.
D’après le consulat américain 4, les prix des produits agricoles ont triplé
entre 1803 et 1807, le prix d’un mouton passant de 80 cents à 3,10 $ et celui
d’une livre de viande de bœuf, de 2,5 cents à 8. Pour sa part, Boutin5
confirme que les prix ont triplé en 1807-1808, la livre de viande atteignant
8 à 10 s. Hausse de conjoncture où la sécheresse est accompagnée de révoltes
paysannes qui empêchent l’entrée de denrées à Alger.
1. A. Devoulx, Les Archives du Consulat général de France à Alger, Alger, 1865, p. 57.
2. V. de Paradis, op. cit., p. 26.
3. Aguila, op. cit., p. 67.
4. A.N., Paris, 253 Mi 3 vol. VII, part. II, 6 av. 1807.
5. Boutin, op. cit., p. 8.
152 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
Par la suite, les prix baissent pendant quelques années, puis retrouvent,
en 1817, année de sécheresse suivie de peste, le niveau de 1807 1. Les enquêtes
françaises des premières années de la conquête, qui ont servi à l’étude de
M. Emerit 2 sur la situation économique de l’Algérie à la veille de 1830,
montrent une baisse importante des prix des produits agricoles, qui, tout
en étant généralement plus forte, sans doute amplifiée par la mémoire
déformante des témoins utilisés, va dans le même sens que celui indiqué
par nos sources ottomanes.
«Industriels» est utilisé ici au sens ancien qui désigne les produits des
activités manuelles non agricoles. Il ne prête pas à équivoque puisque la
société étudiée se situe à un âge préindustriel.
Les lacunes documentaires et les exigences liées aux objectifs de notre étude
font que peu de produits industriels peuvent être étudiés dans cette partie.
Par souci d’homogénéité, ces produits ont été choisis en fonction de la
fréquence des mentions d’achats les concernant sur les mêmes registres
que ceux utilisés pour l’étude des prix des produits agricoles.
une autre raison déterminante de ce choix, a été l’uniformité ou, tout au
moins, une relative régularité de la qualité du produit qui enserre l’éventail
des prix à un moment donné, dans des limites acceptables pour une
comparaison valable de période à période.
Deux types de produits sont présentés ici:
a. les matériaux de construction
b. les textiles.
Ces produits, comme en général l’ensemble des produits industriels, ne
subissent pas les fortes fluctuations saisonnières et cycliques que connaissent
les produits agricoles et, en particulier, les céréales.
Cette relative stabilité des prix industriels devrait, en principe, faciliter et
rendre plus sûre l’étude des mouvements à long terme qui les affectent, dès
lors que pour chaque groupe d’années à prix fixe ou peu variable, il y a un
nombre de données suffisamment représentatif de tel ou tel niveau de prix.
Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Le hasard de la conservation
des archives et l’inégalité de rigueur et de précision des khodjas qui président
à la tenue des registres font que cette partie comporte des limites qui seront
précisées chaque fois qu’il est nécessaire.
1. V. de Paradis, op. cit., RA, 1895, p. 271, dit qu’on blanchissait Alger au moins une fois l’an.
Des auteurs du XVIIe siècle prétendent même qu’on le faisait plusieurs fois par an.
2. V. Première partie, Mouvements de la monnaie.
154 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
Dans le mouvement des prix des briques, tel qu’il apparaît dans ce tableau,
ce qui frappe au premier abord, c’est l’existence de longues périodes de
stabilité des prix exprimés en monnaie intrinsèque. 12% seulement d’écart
entre le prix moyen de la période 1656-1671 et celui de 1682-1694. Les
variations des prix en monnaie intrinsèque sont presque nulles de 1724 à
1796 et de 1803 à 1825.
à toutes les époques, l’écart entre les prix extrêmes est moins fort que celui
qu’on constate dans le mouvement des prix de la chaux. L’écart le plus fort
(du simple au double) concerne la période très perturbée, à tous points de
vue, de 1803-1812. Comme pour la chaux, mais sans que les deux
mouvements suivent exactement le même rythme, il y a, après des prix
élevés qui couvrent pratiquement la deuxième moitié du XVIIe, une relative
stabilité des prix au XVIIIe siècle, puis une remontée au XIXe qui, en monnaie
intrinsèque, n’atteint pas cependant, les hauts prix de la deuxième moitié
du XVIIe siècle.
Néanmoins il faut nuancer et rappeler les réserves qu’impose le nombre
extrêmement réduit de ces indications chiffrées. Pour prendre un exemple,
il y a, entre 1730 et 1790, deux prix différents de briques, qu’on rencontre
parfois sur le même compte, donc dans le même mois ou la même semaine
où les briques sont comptées, soit à 6 ou à 7 mouzounes (six huitièmes ou
sept huitièmes de pataque). Il est vrai que l’écart n’est que de 17%. Mais vu
son caractère récurrent, on peut se demander s’il ne s’agit pas en fait de types
différents de briques. L’imprécision des sources ne permet pas de répondre
de façon certaine et ajoute donc un nouveau motif d’incertitude en l’absence
d’un plus grand nombre de données venant compléter ces séries lacunaires.
156 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
Encore plus fragiles sont les quelques indications recueillies sur les prix
du fer et des clous que nous présentons à titre indicatif, sans accorder de
grand crédit au parallélisme de leur mouvement:
1. A.N., Paris, 228 Mi 1/1; 1/2; 1/3; 3/8; 5/13; 7/26; 7/27; 7/28; et Aix 1 Mi 68.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 157
Rappelons que la livre utilisée pour la soie à Alger, était d’environ 500 g.
Pour les tissus, on utilisait deux types de pic. Le grand pic (environ 0,64 cm)
pour la laine, le coton, le lin, etc., et le petit pic pour les tissus de soie.
Les tableaux suivants, constitués uniquement à partir des sources
ottomanes, seront confrontés aux informations d’origine européenne, pour
voir dans quelle mesure il y a convergence ou divergence et quelle en est
la signification. L’indice-argent est établi à partir de l’équivalence entre la
piastre sévillane et l’aspre.
1. Pour les sources européennes : AE, B I 115; B III 129; 253 Mi 1 et 2, vol. 1 à 7 et V. de
Paradis, op. cit.
MoNNAIES, PRIX ET REVENuS 159
concLusIon
à partir des résultats chiffrés que nous avons présentés, il est possible de
retenir les éléments suivants:
Hausse de longue durée des prix nominaux
La série des prix de l’huile d’olive étant relativement la plus solide et la
plus continue, peut nous servir de ligne directrice, traduisant à grands
traits le mouvement général des prix nominaux.
Par rapport au point de départ de cette série, à savoir les années 1669-1682,
les prix doublent dans les années 1720-1725, triplent à partir de la décennie
1790 et sont multipliés par cinq pendant la décennie 1802-1819.
La hausse des prix nominaux est un phénomène général qui touche
l’ensemble des prix. Mais dans le cadre de ce mouvement global, il y a des
nuances et des différences notables :
– Fortes fluctuations des prix des céréales en liaison avec les variations des
cycles agraires. Rappelons que ces prix, comme ceux de l’huile d’olive,
passent souvent avec chaque crise agraire, à un nouveau palier d’où ils ne
redescendent plus. Comme les revenus fixes (en particulier les salaires) ne
suivent pas automatiquement ces hausses, le mouvement ascendant des prix
nominaux a une grande influence sur le niveau de vie de couches
importantes de citadins.
160 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
Acte de vente d’un jnân, fin shawwâl 1236 (fin juillet 1821),
après partage de la succession de Ben Wannîsh.
162 RECHERCHES SuR L’ALgéRIE à L’éPoquE oTToMANE
1. Un cas cité par G. Coubert in L’Histoire sociale, sources et méthodes, Paris, 1967, p. 100,
s’applique parfaitement à la situation. Il s’agit d’un document attestant le partage des biens
d’une famille noble bretonne du XVIIIe siècle : ce partage conservé dans les archives familiales
porte en titre cette précision : «Ceci est le véritable partage, celui qui est chez le notaire n’est
que pour l’apparence».
166 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
par des morts ou des absents, sont des registres de Bayt al-mâl. Or, pour des
raisons qui tiennent à son rôle de sauvegarde, cet office a tendance à
consigner dans l’urgence, des biens meubles appartenant à la personne
concernée, sans préciser toujours s’il s’agit ou non de premières constatations
provisoires. Ainsi, la tacrîya (littéralement déshabillement), c’est l’enregis-
trement de ce que la personne décédée portait sur elle (vêtements, armes,
bijoux, argent, etc.). S’agissant de jeunes janissaires, ouvriers ou autres
personnes démunies, la ta crîya correspondait probablement à l’inventaire
de tout ce qu’ils possédaient, mais ce n’était pas toujours le cas.
Une autre difficulté vient compliquer les choses. Lorsqu’on a microfilmé
ces archives en France avant de rendre les originaux à l’Algérie, on n’a pas
associé des arabisants à la mise en œuvre du microfilmage. Le résultat est
catastrophique. Certaines parties des registres, ou des actes judiciaires, ont
été filmées de gauche à droite, parfois sens dessus dessous, et surtout dans
un désordre qui rend difficile l’établissement de séries chronologiques. Un
exemple frappant concerne l’inventaire après décès du fameux raïs hamidou.
On a une première liste qui remplit une page avec, comme d’habitude, le
total en bas de page. On est étonné par la dérisoire fortune laissée par le grand
qubtân. On continue à dérouler le film. Des successions d’autres personnes
suivent ainsi que divers enregistrements. Puis, de nouveau, une deuxième
liste de l’héritage de hamidou suivie d’autres inventaires. Plus loin apparaît
encore une troisième liste non close de l’inventaire de la succession hamidou.
La suite est introuvable. Dans ces listes, aucune mention de biens
immobiliers. Or, d’autres parties des mêmes archives enregistrent l’achat
d’une boutique par hamidou et la mise en habous d’une boutique au profit
de ses sœurs et de leurs enfants. Des sources européennes citées par des
auteurs français signalent que hamidou possédait une maison fastueuse,
une grande résidence secondaire (jnân) dans les environs d’Alger, etc.
La même chose se répète avec l’inventaire après décès de sa mère. Une
liste de biens inscrite sur une feuille, suivie de documents traitant d’autres
successions, puis une nouvelle liste apparaît toujours incomplète, suivie
d’éléments épars concernant des bijoux ou des placements faits par cette
mère, etc.
travailler sur les documents originaux à Alger aurait dû être plus
commode et plus sûr. Vérification faite, nous avons découvert qu’une partie
des documents a disparu entre Aix et Alger. Un exemple parmi d’autres:
nous avons été frappé par le fait que dans un acte de vente établi à miliana
en 1596, le prix était stipulé en ryâl drâhm. Or, il n’y a nulle part ailleurs de
mention de ryâl drâhm avant 1684-85. Il nous a semblé qu’il s’agissait d’un
faux fabriqué tardivement. Le seul moyen de vérification consistait dans
l’examen de l’original. Il ne se trouvait ni dans le carton correspondant au
microfilm ni dans les autres.
D’autres problèmes rendent difficile et complexe un travail qui ambitionne
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 167
1. témoignages étrangers
Les fortunes accumulées par cArroudj et Khayr al-dîn ont été relatées de
façon souvent romanesque par les multiples «vies des frères Barberousse»
qui continuent jusqu’à nos jours à inspirer les vocations «littéraires
d’historiens» qui écrivent dans le style romans de gare.
On sait par des sources plus sérieuses et parfois directes 1 que les biens
personnels de Khayr al-dîn à Istanbul étaient immenses : palais, caravan-
sérail, hammam, jardins, etc. Il possédait personnellement des dizaines de
galères avec leurs centaines de rameurs esclaves. Ses trésors en or ou en
argent et en objets précieux étaient estimés à des centaines de milliers de
sultânî.
Alger n’est pas Istanbul. tout y est «provincial» et «petit», comparé à la
grande capitale impériale, mais Khayr al-dîn à Alger en était le chef absolu.
C’est à partir d’Alger qu’il a conquis un royaume, brisé l’expansion espagnole
au maghreb et s’est fait une gloire retentissante qui l’a porté à la tête de la
flotte ottomane. Alger a fait de Khayr al-dîn le grand amiral ottoman et Khayr
al-dîn a fait d’Alger «l’invincible dâr al-jihâd» pour les uns, et le fameux «nid
des corsaires» pour les autres.
toutes proportions gardées, les biens que possédait à Alger ce grand
homme, épris de pouvoir, de grandeur et de richesse, devaient être aussi
d’une certaine ampleur en raison des grands pillages qu’il a dirigés sur
terre et sur mer. Les aspects anecdotiques liés aux «fabuleux trésors» du
«corsaire légendaire» peuvent intéresser l’historien de l’imaginaire social ou
éclairer pour le biographe certaines dimensions du personnage étudié.
1. Corresp. des ambassades de France (E. Charrière, Négociations de la France daans le Levant,
Paris, 1848-1860, 4 vol.).
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 169
Palais et jardins
Un «mémoire espagnol sur les affaires d’Alger»1, daté de 1533, note que
parmi les préparatifs faits à Alger en prévision d’une attaque espagnole,
«toutes les semaines, de nouveaux convois de chameaux et de mulets
entrent dans cette ville, et le biscuit qu’ils apportent est déposé dans certaines
maisons appartenant à Barberousse».
Des maisons appartenant à Barberousse une est restée connue, celle que
les Algérois appellent dâr Khayr al-dîn, située sur les hauteurs de la Qasbah
et qui survécut aux tremblements de terre et aux bombardements qui
frappèrent Alger à différents moments. Elle faisait partie des habous des
Lieux Saints et était louée à 86 pataques par an pendant la première moitié
du XVIIIe siècle. haëdo affirme que les biens de Khayr al-dîn échurent à son
fils hasan pacha qui acheva de construire en 1550 un «bain somptueux, orné
de marbre, hasan imite en cela son père Khayr al-dîn qui avait bâti un bain
semblable à Constantinople ; en quittant le gouvernement d’Alger, il le
légua à ses successeurs»2.
Parmi «les établissements dignes d’être cités» à Alger, haëdo énumère le
hammam construit par mehmet pacha et «les maisons de Ramdan pacha,
renégat sarde, de hedji mourad, renégat esclavon, du kaïd turc Daoud, du
kaïd mami, renégat espagnol, du kaïd hamida, maure, du kaïd turc mostafer,
du kaïd hassan, renégat grec, du kaïd mohammed, renégat juif, etc., etc.»
Citons encore haëdo : Yahia pacha mort en 1570 «ne laisse qu’une fille pour
héritière de ses grandes richesses ; il l’avait eue d’Axa, fille d’hadj Pacha...
Cette fille est encore vivante aujourd’hui, s’appelle Leïla Axa et est mariée
au Caïd Daout, un des principaux d’Alger. Ce Caïd Daout fut le plus riche
et le plus renommé des caïds de son temps». 3
Les pachas, les amiraux et certains grands raïs possédaient des palais, des
jnân (ces fameuses maisons de plaisance entourées de jardins dans les
environs d’Alger), des fermes où travaillaient leurs esclaves. Ils investissaient
surtout dans la construction et l’entretien de la flotte de course. Le pacha
Arab Ahmed possédait en 1574 trois galères. Son fils qui hérita de ses
1. Id., p. 270.
2. haëdo, Histoire..., R.A., 1880, p. 417.
3. Id., R.A., 1881, p. 18.
4. Id., R.A., 1880, p. 430.
5. Id., R.A., 1881, p. 31.
6. Rapport envoyé au gouvernement espagnol en 1587, publié in R.A., 1925, p. 540 sq.
7. haëdo, Histoire..., R.A., 1881, p. 25.
8. Bennassar, Les Chrétiens d’Allah, Paris, 1989, p. 385.
9. A. Benmansour, Alger au XVIIe siècle, 1999, p. 359.
10. Description de l'Afrique, p. 179.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 171
1792 : Salah Bey révoqué et exécuté. D’après le Journal d’un ancien haut
fonctionnaire algérien, la valeur des monnaies d’or et d’argent et des objets
précieux saisis et ramenés à Alger atteignait respectivement l’équivalent d’un
million de piastres et de 650.000 sequins. 1
1792-93 : mohammed b. Kushk Alî, arrêté après la mort de Salah Bey. Le
nouveau bey saisit chez lui 100.000 mahbûb et 60.000 ryâls. 2
1798 : Le Bey de Constantine a fait arrêter son khalifa et lui a fait payer
une amende de 220.000 ryâls. 3
1796-98 : Les objets précieux déposés par le dey hasan dans son
appartement sont estimés à 200.000 sequins. 4
1801 : hasan, bey du titteri, arrêté. Valeur des objets précieux récupérés
chez lui : 102.000 sequins. 5
1805-20 : La veuve d’Ahmed Pacha a laissé des biens estimés à plusieurs
millions de dollars. Les héritiers de mustapha Pacha ont une fortune de
500.000 $. 6
1820-30 : D’après le consulat américain, hussein Dey a emporté avec lui
la valeur de 2.000.000 francs. Quant à Clauzel, il estime les revenus de
celui-ci à 1.600.000 francs et la fortune de hamdan b. Osman Khodja à
plusieurs millions de francs. 7
Quant au dernier bey d’Oran, dans une lettre adressée à Berthezène, non
datée, mais vraisemblablement de 1831, il énumère des biens lui appartenant,
laissés sous la main du général Bourmont, et représentant une valeur de
plusieurs millions de francs. «En outre, ajoute-t-il, j’ai prêté au général
Bourmont 4.000 boujoux et j’ai dépensé pour les soldats français 120.000
boujoux». 8
La valeur de ces chiffres est inégale. Certains sont tirés de documents
officiels ou de témoignages sérieux. D’autres, tels ceux rapportés par Féraud
sont sujets à caution. mais que des deys, des khaznajî, des beys et autres
grands dignitaires aient pu acquérir des fortunes de plusieurs millions de
francs de l’époque, cela est hors de doute. Il est significatif que dans les
archives ottomanes d’Alger, ces grandeurs ne soient jamais atteintes.
Voici par ordre dégressif les plus grandes fortunes relevées dans les
registres de Bayt al-mâl au XIXe siècle (en pataque-chiques) :
1828-29 : héritage de Aysha, fille de hasan Pacha 730.428
1828-29 : Biens mobiliers de husayn Pacha, venant de turquie
mort à tunis 591.159
1820-21 : Biens mobiliers de A.R. Çâyjî, exécuté 166.820
1803-1804 : Biens mobiliers de Slimân Krîtlî 150.440
1803-1804 : Biens mobiliers de tall hussein 145.962
1821 : Biens mobiliers de h. hussein trâbulsî 143.069
1805 : Succession de l’agha des spahis 130.000
1822-23 : Succession de hussein Bayt al-mâljî 106.510
toutes ces fortunes qui dépassent 100.000 pataques ne concernent que des
hauts dignitaires à l’exception de celle de trâbulsî, négociant levantin, mort
lors d’un passage à Alger.
2. sources d’enrichissement
La pauvreté de la documentation et l’occultation officielle des grandes
fortunes rendent difficiles une périodisation fondée sur l’évolution des
modes de formation des hauts revenus.
Cependant, certaines différences entre périodes, sont liées aux transfor-
mations qui ont touché l’une ou l’autre des sources d’enrichissement.
Schématiquement, on peut dessiner, d’un côté, deux grandes périodes
sinon de prospérité générale, du moins, à coup sûr, d’accumulation des
richesses entre les mains des grands, et d’un autre côté, divers moments de
stagnation ou d’appauvrissement qui touchent aussi les groupes dominants.
On appellera la première grande période de prospérité le «Siècle de la
Course» et la seconde «le Siècle du Blé».
Il est plus facile de fixer les dates précises du développement des
exportations de céréales. mis à part deux courts moments de fortes
exportations (1698-1701 et 1709-1712), celles-ci commencent leur grand
essor en 1766 et culminent pendant les guerres révolutionnaires et
napoléoniennes. Elles se conjuguent avec l’essor aussi exceptionnel de
reprise de la course, qui débute en 1792 avec le déclenchement de ces
guerres européennes et se termine avec leur fin en 1815.
Au Siècle de la Course
En fait, le Siècle de la Course est formé de deux périodes différentes, plus
ou moins extensibles selon les critères adoptés.
La première commence avec l’arrivée des «frères Barberousse» à Alger.
C’est une période de fondation et de conquêtes, de guerres internes et
externes souvent mêlées.
Dès les années 1520, la guerre maritime, d’une grande envergure, entre
Ottomans et Espagnols, dont la course était des deux côtés un élément
constitutif, s’intégrait dans le gigantesque affrontement entre les deux
174 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
viande, etc.). Il avait 2.000 pataques de rente annuelle sur ses propriétés
foncières. Le mémoire ajoute que son gendre qui exerçait le pouvoir effectif
était immensément riche.
Dans une lettre au secrétaire d’état français à la marine, datée d’Alger,
décembre 1691, mehmet el Emin, «secrétaire d’état d’Alger», déclare :
«Présentement, je suis employé aux affaires des registres du Divan... une
charge de 10.000 écus par an» 1. La plus haute «paie» annuelle que ce khodja
pouvait toucher directement comme membre de l’oudjaq était de 106 P.
Comment arrivait-il à multiplier son revenu annuel par cent ?
Certaines zones d’ombre sont restées permanentes. S’agissant de
responsables avides de richesses – c’était sans doute le cas le plus fréquent
– les marges de manœuvre pour contourner les règles établies ou créer de
nouvelles règles plus profitables, étaient multiples.
En dehors des prétentions doctrinales à référence religieuse, les frontières
entre le licite et l’illicite en ce domaine étaient floues, changeantes, aisément
maniables.
Prenons le cas des «présents» et autres sommes que les consuls et les
émissaires étrangers donnaient, à l’occasion de la conclusion d’un accord
de paix ou de commerce avec Alger ou dans les démarches pour l’obtenir.
Pratiquement, dans sa forme, la démarche est semblable dans tous les cas.
Elle était dans l’esprit du temps et fonctionnait un peu comme les
«commissions» qui accompagnent certaines grandes transactions interna-
tionales aujourd’hui.
mais certaines initiatives, à certains moments, relèvent plutôt de la
corruption. D’autres, comme par exemple l’immense somme versée au
moment de la signature de l’accord de paix avec Alger, par les Espagnols,
au dey muhammad b. cUthmân, qui l’a déposée au trésor Public,
s’inscrivaient normalement dans les usages diplomatiques établis à Alger,
à cette époque.
Voici, souvent sans ambiguïté, une liste qu’on pourrait facilement compléter
à partir, notamment, des correspondances consulaires et commerciales :
1594-95 : th. Lenche avait fait embarquer de la région de Bône, des chevaux
barbes, ce qui était strictement interdit. mami Raïs, amiral de la flotte, fit saisir
cette embarcation de contrebande. Pour arranger l’affaire, th. Lenche paya
4.000 écus au pacha d’Alger et put récupérer sa marchandise.2
1628 : S. napollon, gouverneur du Bastion de France, distribua des présents
aux hommes influents de la milice pour qu’ils agissent en faveur d’un
accord avec la France. Parmi ceux-ci, le premier secrétaire du Divan reçut
11.000 pataques et hamet Agha 2.000 pataques.3
1682 : «Pour gagner Alger à la France contre les Anglais, il faut 15.000
pataques au dey, des présents à sa femme, à mohammed Khodja, second
du gouvernement...»1
1695 : Le consul français, Le maire, autorisé à promettre au dey un présent
de 6.000 pataques, au Grand Ecrivain 1.000 pataques et 1.000 pataques à
chacun des officiers les plus influents du Divan.2
1728 : Pour arriver à un accord de paix, les Suédois distribuent des cadeaux
au dey, aux grands et à tous les raïs. La valeur totale de ces cadeaux est
estimée entre 25.000 et 30.000 pataques.3
1738 : Présents des états-Généraux (hollande) de la valeur de plusieurs
milliers de piastres à chacun des hauts responsables, très satisfaits des
cadeaux, sauf l’Ecrivain des Chevaux qui trouvait que les 5.215 pataques
n’étaient pas une somme suffisante.4
1739 : Un chebek anglais retenu à Alger, est libéré grâce à 12.000 pataques
de présents, versés aux grands responsables.5
Des faits de détournements de biens publics imputés à des responsables
sont attestés par des documents officiels que nous citerons plus loin. Ces
agissements semblent plus fréquents et surtout plus faciles à réaliser, au XVIe
et au début du XVIIe siècle. Cela est lié à l’évolution du système politique,
des mécanismes de décision au sommet et des instances de contrôle dont
ils dépendaient.
Il fut une époque où les beylerbeys et même certains pachas «triennaux»
n’avaient, sur place, de compte à rendre à personne. De loin, et en fonction
des intrigues de Palais, Istanbul intervenait, avec des chances de succès très
inégales. Une correspondance officielle de 1576 entre Istanbul et les Régences
maghrébines résume bien la situation. Informée que pendant l’exercice de
son mandat, Ramdan, ex-pacha d’Alger, avait détourné des biens publics de
la valeur de plusieurs milliers de sultânî, la Sublime Porte ordonnait à ses
agents en turquie et au maghreb de récupérer ces sommes «en évitant tout
conflit et discorde et en informant la Sublime Porte s’il y en avait».6
Le pouvoir des pachas commençait à perdre son caractère quasi absolu
au début du XVIIe siècle, avec la montée du Divan et de l’assemblée générale
des janissaires. Cette évolution culmine au milieu du XVIIe siècle, avec la
prise de pouvoir par les aghas de la milice. Le changement de système est
expliqué ainsi par un lettré algérois : «Je vais raconter maintenant pourquoi
on enleva au Bacha la prérogative de faire la paie parce qu’il en profitait pour
piller sans retenue les fonds apportés au Palais.»7
Le système des aghas fut de courte durée parce qu’il était marqué par les
luttes de factions et l’intervention permanente de groupes de soldats dans
la marche du pouvoir.
toutes proportions gardées, cette période de putchs successifs et sanglants,
évoque par certains aspects les juntes militaires dans les moments de crise
du tiers-monde d’aujourd’hui. Lassés de tant de conflits sanglants, les
militaires remirent le pouvoir à un vieux corsaire, longtemps amiral, mais
retiré des affaires depuis des années. On mit en place un nouveau système
politique sensé apporter une certaine stabilité.
L’évolution du système des deys, puis des deys-pachas, vers une
concentration du pouvoir entre les mains de l’Exécutif, fut marquée par des
mesures successives tendant à organiser sur des bases durables le
fonctionnement du pouvoir.
En conséquence de ces mesures, le trésor Public devenait – du moins
dans les principes – hors d’atteinte des tentatives de détournement.
V. de Paradis résume bien cette situation :
«tant qu’Alger a eu des pachas, les redevances et les profits de la course
couvraient à peine les dépenses, parce que le pacha avait des droits
considérables ; il s’enrichissait et il emportait l’argent du pays. Les droits du
pacha, le Beylik en a hérité. Ce ne serait pas une exagération de dire que le
khasné a peut-être cent millions, soit en argent comptant soit en bijoux,
soit en armes précieuses, soit en corail».1
Cent millions de francs, c’est effectivement la valeur du trésor d’Alger,
comme l’a prouvé m. Emerit, cité plus haut.
Au Siècle du Blé
Les exportations de céréales n’étaient pas une nouveauté dans l’Algérie
ottomane. Des volumes considérables de céréales étaient exportés à différents
moments depuis l’Antiquité. C’était le cas, comme on l’a vu plus haut, de
la fin du XVIe siècle et de la première décennie du XVIIe siècle. Ce qui était
nouveau et caractéristique du «Siècle du Blé» (1741-1815 et en particulier
de 1766 à 1803), c’était, à une exception près (1777-1779) la montée régulière
des profits engrangés par le sommet du pouvoir, ses intermédiaires et sa
clientèle politico-sociale, grâce à ces exportations.
Ce phénomène que nous traitons en détail ailleurs, n’est pas assez connu.
Il a eu pourtant des conséquences importantes sur certains secteurs de la
population. Ses implications politiques étaient parfois décisives.
a. Faits politiques
Rappelons quelques faits politiques favorisés ou influencés par le
commerce du blé :
b. Intérêts financiers
On peut mesurer l’importance des intérêts financiers liés aux exportations
de grains par les faits suivants :
– En 1751, la Compagnie Royale d’Afrique, se prévalant des accords
conclus avec Alger, se plaint au dey de l’attitude du bey de Constantine qui
favorise d’autres acheteurs de grains à ses dépens. Le dey répond que le bey
de Constantine a fait beaucoup de dépenses dans des défrichements de
terres incultes et qu’il est donc obligé de vendre à ceux qui font les meilleures
offres d’achat. Il ajoute que la Compagnie n’a droit qu’à deux chargements
de blé à Bône, d’après les accords. 3
– 1766 : Le directeur de la Compagnie Royale d’Afrique autorise son
1. Zahhâr qui raconte l'épisode est confirmé par un document, le Journal des recettes et des
dépenses à Alger, An, Paris, AE, B III, 307.
2. An, Paris, 253 mi 3, vol. 7, Part. II, corresp. consulaire, 4 mai 1806.
3. An, Paris, AE, B III 303, Lettre du 17 août 1751.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 179
représentant à La Calle à acheter les grains au prix payé par les autres
acheteurs européens et à donner au bey de Constantine une «gratification»
d’une piastre par charge de blé achetée et d’une demie-piastre par charge
d’orge. 1
– 1767 : L’agent du bey à Bône travaille avec l’aide d’un Génois converti
à l’Islam à se passer d’intermédiaires en exportant lui-même des grains en
Italie. 2
– juin 1768 : Le bey tient ses promesses envers la Compagnie Royale
d’Afrique grâce au versement de la gratification décidée en 1766. Cette
gratification est à titre privé et intéresse le bey en personne. Elle est en sus
des lazma dues au trésor et des divers droits versés au bey, à son khalifa,
au caïd de Bône, etc. Grâce à cette gratification, le bey de Constantine a dû
toucher au bas mot 200.000 piastres entre 1766 et 1771. En effet, pendant cette
période, les achats français avaient dépassé largement 200.000 charges de
blé.
Des «gratifications» étaient aussi versées à des proches du bey et aux
potentats locaux.
En voici deux cas significatifs.
Hadj cOmar
Pendant l’hiver 1768-69, hadj cOmar, beau-père du bey de Constantine,
Ahmed Bey, entreprend un voyage en France et en Italie. Il est «extrêmement
sensible au grand accueil» que lui fait la Compagnie Royale d’Afrique en
France. Dans une lettre adressée au ministre français de la marine, en
janvier 1769, le Directeur de la Compagnie dit textuellement «nous le
corrompons», en lui versant une piastre par qafîz de blé et une demie-piastre
par qafîz d’orge achetés, pour qu’il intervienne auprès du bey. hadj cOmar
demande le plus grand secret sur ces versements. En particulier l’argent doit
être versé de main à main, sans écritures, et sans en informer l’agent de la
Compagnie à Bône. Ce qui laisse supposer que l’homme de confiance du
bey fait quelques infidélités à son protecteur. 3
Ce comportement semble assez courant dans ces milieux. Une lettre de
l’agent commercial du bey à Bône au premier secrétaire du bey à Constantine
propose à celui-ci une somme d’argent en «gratification» s’il intervient
auprès du bey pour autoriser un membre de l’illustre famille des Boucakkaz
à retourner chez lui. Il ajoute que cette proposition doit rester secrète et
demande que la lettre soit immédiatement détruite après lecture. Le premier
secrétaire en question est muhammad b. Kushk cAlî, dont on a vu plus
haut les fortes sommes qu’on lui a saisies après la mort de Salah Bey. 4
Cheikh cAbdallah
Dans les années 1760, Cheikh cAbdallah régnait depuis quelques dizaines
d’années sur la «mazoule»3, région frontalière de l’Est de l’Algérie, où la
Compagnie avait implanté son principal comptoir dans la presqu’île de La Calle.
Il est décrit par l’abbé Poiret 4 comme un personnage cruel, sans scrupules,
3 janvier 1792 : le nouveau dey nous vend le blé de son tribut à 30 piastres
le qafîz. Il a engagé le bey de Constantine à nous vendre 20.000 charges à 31
piastres le qafîz.
19 mars 1793 : le dey et le bey ne tiennent pas leurs engagements sur les
32.000 charges promises. Ils préfèrent les Juifs et les Espagnols.
29 septembre 1793 : Blé à Bône à 40 piastres le qafîz. 2.000 qafîz ont été payés
d’avance par les Espagnols. Le bey a déjà des engagements pour 11.000
qafîz. Il l’achète à la Rabe de Bône à 16 piastres. Pour remplir ses engage-
ments, il sera obligé de le monter à 20 piastres et même à 24.
1er nivose an V (21 décembre 1796) : Prix Rabe à Bône à 24 piastres. Les
Arabes ne l’apportent pas parce que le bey l’achète chez eux à 28 piastres. 1
Ainsi, cette hausse exceptionnelle profite aussi aux producteurs. Comme
le montre la correspondance du bey de Constantine, de la Compagnie
Royale d’Afrique et de l’Agence d’Afrique qui lui a succédé après 1793, une
partie de ces producteurs marchands était formée de grands notables, en
particulier des chefs de tribus et des marchands et négociants citadins
souvent directement liés au pouvoir politique.
En 1795, l’Agence d’Afrique a envoyé 584.000 piastres pour faire des
achats en Algérie. La somme s’est révélée insuffisante. L’Agence emprunta
auprès du dey et des deux grandes maisons juives. La dette envers le dey
s’élevait en 1796 à 200.000 P.S. Les sommes prêtées par Bacri et Boudjenah
étaient encore plus importantes. En 1797, un simple particulier algérien de
Bône a prêté à l’Agence 4.000 sequins vénitiens et 2.000 piastres de
Constantine à un taux d’intérêt annuel de 3%.
D’après P. masson 2 les Français auraient acheté au dey et aux intermé-
diaires juifs 100.000 charges de blé à 100 francs la charge en 1795 et 100.000
charges à 120 francs la charge en 1796. Si ces chiffres sont exacts, cela porte
le prix d’une charge de blé à près de dix fois son prix à La Calle et à Bône
dans les années 1760. Ces prix, rappelons-le, sont exprimés en monnaie
constante, celle du franc germinal et de la livre tournois.
Les chiffres relevés par nous dans la comptabilité et la correspondance de
la Compagnie puis de l’Agence d’Afrique et ceux des achats espagnols
minutieusement étudiés par Aguila sont, certes, moins faramineux, mais ils
montrent clairement que les prix des décennies 1790 et 1800 étaient plus que
doublés et parfois plus que triplés par rapport aux prix antérieurs.
La montée de la production marchande a suivi la hausse des prix. Un
phénomène extraordinaire est venu renforcer et amplifier la prospérité du
moment. C’est le développement inouï de la course algéroise entre 1792 et
1815. Les audacieux corsaires dirigés par le fameux Raïs hamidou profitaient
de la mêlée européenne pour s’ouvrir une voie vers les maillons les plus
faibles et redonner à une course stagnante ou en régression depuis près d’un
n’est pas souvent qu’un masque. Pour avancer un peu vers la réponse, il faut
peut-être multiplier les angles de vue.
Le non-dit du système
Rien n’illustre mieux le décalage entre les pratiques réelles des gouvernants
et leur expression officielle que le système de spoliation qui a fonctionné en
Algérie pendant toute l’époque ottomane. Les témoignages sont
innombrables chez les auteurs européens comme chez les chroniqueurs
maghrébins, sur les pillages des trésors des hauts dirigeants déchus ou
morts, par leurs successeurs, ou supérieurs. Le système est pratiqué avec
une telle fréquence que sa répétition régulière sur une longue durée lui a
donné l’aspect banal de la chose qui se fait ordinairement et devient en
quelque sorte un «usage établi», consacré par la force de l’habitude. mais,
comme l’adultère et autres actes jugés honteux, cette pratique courante est
bannie des registres officiels. Si par hasard elle y figure, c’est comme un
lapsus calami d’un khodja qui contrôle mal ce qu’il inscrit.
Ainsi, en août 1805, au milieu d’une longue liste de biens meubles
appartenant à d’anciens responsables et vendus aux enchères pour le compte
de l’état, on signale qu’un des parents par alliance de mustapha Pacha,
parti en turquie «avait des boutiques prises par Ahmed Pacha». 1
Il est certain que cette information exceptionnelle a échappé à la vigilance
du khodja, car elle n’a pratiquement pas d’équivalent. On est, en effet,
frappé par ce fait significatif : les confiscations, justifiées ou non, sont
enregistrées et détaillées scrupuleusement lorsqu’elles se font au profit de
Bayt al-mâl, du trésor, pour la paie de l’oudjaq ou pour autre «utilité
publique». En revanche, quand les biens confisqués sont appropriés par les
détenteurs du pouvoir, toute trace écrite officielle de ces agissements
disparaît. On serait naturellement porté à mettre en doute les différents
témoignages accumulés sur ces spoliations. On en a vu plus haut quelques
cas cités par des auteurs européens. Examinons quelques cas relatés par trois
chroniqueurs maghrébins contemporains des faits, connaisseurs directs du
milieu dirigeant mais non engagés dans les luttes de clan qui le déchirent.
Ils rapportent des faits ponctuels, précis qu’ils ne jugent pas en eux-mêmes,
mais les citent dans un contexte donné, soit parmi les malheurs qui ont
frappé telle personne ou telle famille, soit pour caractériser un dirigeant ou
une situation. La neutralité froide que montrent ces chroniqueurs face à de
telles pratiques est en elle-même significative.
1. 228 mi 1 vol. 3.
190 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
1. Cité par A. Sacdallah, «min akhbâr Shacbân», Majallat al-târîkh, 1er s. 1985, pp. 107-119.
2. Le vicaire apostolique, cité par h. de Grammont, Histoire..., p. 265.
3. al-Zayyânî, in Rahalât..., op. cit., pp. 179-180.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 191
Ahmed Pacha comme un tyran et un scélérat, mais que des hommes comme
c
Alî Khodja et hussein Dey aient ordonné ou toléré ce genre de pratiques,
montre qu’elles étaient intégrées dans les mœurs du temps.
Ambiguïtés
Au non-dit, s’ajoute, toutes proportions gardées, une façon de dire qui
rappelle la langue de bois bureaucratique moderne. Les ambiguïtés du
langage administratif poussent à poser des questions qui restent sans réponses
satisfaisantes. Il en est ainsi de ces masses d’argent qui vont directement à
Dâr al-‘imârah (Palais du gouvernement). Revenons aux confiscations décidées
par Ahmed Pacha (1805-1808) à la suite de l’assassinat de mustapha Pacha.
Elles touchent une liste impressionnante de hauts responsables : le khaznadjî,
le khodja l-khayl, l’agha des spahis, le khaznadâr, le mûqatacjî, le kâtib du dey,
les beys de l’Est et de l’Ouest, le caïd des Arabes, le hakem de miliana, cAlî
Raïs, etc., tous exécutés. L’acharnement contre la plupart des hauts
responsables semble indiquer que le pouvoir a basculé définitivement des
mains d’un clan fortement et durablement installé (le clan de Smyrne) à une
nouvelle coalition hétérogène dont les déchirements vont ouvrir une sanglante
période de guerre de clans (1805-1817). tous ces aspects sont traités
longuement dans le volume consacré à l’évolution du système politique.
Dans le domaine qui intéresse notre propos ici, nous avons l’impression
que pendant ces années de troubles, s’est ouverte aussi une période juridico-
politique sans précédent. C’est pour la première fois que nous constatons
que le produit des ventes publiques des biens confisqués n’est pas versé à
Bayt al-mâl qui est, pourtant, chargé de toute la procédure en conformité
avec des règlements séculaires, ni à la «paie des soldats». Les sommes
recueillies par Bayt al-mâl sont donc dirigées à Dâr al-‘imâra à partir de
1805.
Une première liste fait état des rentrées à Dâr al-‘imâra du produit des
ventes des biens de arbâb al-dawla (littéralement : les maîtres du pouvoir):
une somme de 170.625 pataques. D’autres listes suivent. L’ensemble,
provisoire, dépasse 300 000 pataques. 1
Comme d’habitude, un précédent ouvre la voie à un usage désormais régu-
lièrement répété. Les saisies des biens des équipes éliminées se suivent au
rythme accéléré des putschs réussis. Les produits de vente de ces saisies
continuent à suivre le chemin de Dâr al-‘imâra.
Après trois années de pouvoir, Ahmed Pacha subit le sort qu’il a réservé
à son prédécesseur. Assassiné, ses biens sont saisis 2 ainsi que ceux,
considérables, de ses parents par alliance, la famille Barbrî établie dans le
grand négoce international d’Alger depuis des générations et la famille al-
turjumân.
une stabilité durable. Il va de soi qu’au cours de ces deux périodes, les
successeurs ne dévalisaient pas les biens de leurs prédécesseurs. C’est
seulement pendant les périodes d’instabilité que les prédateurs déchus
devenaient la proie de leurs remplaçants, mais à toutes les époques certains
responsables subalternes destitués ou exécutés étaient victimes de spoliations
au profit de leurs supérieurs directs, ou d’expropriations «légales», c’est-
à-dire officiellement effectuées et enregistrées selon des procédures régulières,
et dont le produit allait à Bayt al-mâl ou à la paie des janissaires, ou à Dâr
al-‘imâra comme on vient de le voir.
Les chiffres cités par différents témoins sur ces grands transferts de
fortunes, même s’ils sont parfois démesurément exagérés, indiquent qu’il
s’agit là d’une des principales sources d’enrichissement rapide des hommes
à la tête du pouvoir. Pour accéder à cette source d’abondance, il faut être
au plus haut niveau opérationnel de l’instance exécutive concernée, à Alger:
pacha, dey, agha ou quelquefois khaznadjî dominent ; bey dans les provinces,
hakem ou caïd d’une ville ou d’un watan (canton), grand cheikh d’un
territoire ou d’une tribu, etc. Etre responsable d’un secteur (armée, marine,
impôts, ravitaillement, etc.) procure aussi des moyens d’enrichissement
qui, dans certaines circonstances, peuvent égaler ceux du sommet du
pouvoir.
gens du pays subissent la famine et n’ont aucun désir d’acheter. Ils veulent
plutôt vendre pour survivre.» 1
– Une lettre envoyée de Blida au bayt al-mâljî d’Alger en 1822-23 relate
comment le dépôt fait au bureau de Bayt al-mâl à Blida par Ben l’agha al-
Qalc î, a été décacheté après la mort de celui-ci devant le hakem et le cadi de
Blida. Le hakem a pris pour lui 60 douros, 33 dînârs d’or anciens et 9 dînârs
nouveaux, 1 mahbûb et 17 boujoux. Le correspondant ajoute : «Il vous
appartient soit de valider leur action, soit de récupérer l’argent de Bayt al-
mâl des musulmans».
– Une deuxième lettre au bayt al-mâljî d’Alger, en date de la première
décade 1244/5-14 mai 1828, dénonce les agissements du hakem de Blida qui
s’est emparé d’une partie de la succession d’un homme mort à tunis. Le
correspondant qui signe «serviteur de la justice à Blida» demande la
discrétion sur sa lettre et la protection du bayt al-mâljî.
nous ne savons pas quelle a été la réaction de celui-ci. En revanche, un
problème de même type a été traité, en appel, par le haut Conseil juridique
d’Alger. Les bénéficiaires d’un habous à miliana se plaignaient de l’annu-
lation de ce habous par le cadi de miliana. Convoqué à Alger, le cadi
reconnaît qu’il a agi non pas selon les règles canoniques mais sous la
contrainte des hauts responsables et par crainte pour sa vie et pour ses
biens. Son jugement est invalidé et le habous rendu aux bénéficiaires par
la haute juridiction algéroise en 1746. 2
Dans l’exercice de leurs fonctions, ces magistrats subissaient des inter-
ventions et des contrôles divers qu’il n’est pas toujours facile d’interpréter
parce qu’ils ne sont pas systématiques et peuvent être liés à des conditions
particulières. Citons quelques cas :
– Ainsi, en général, l’intendant des habous des Lieux Saints, gère son
domaine en toute autonomie, mais, par exemple, en février 1815, il décide
de réparer une maison, sans doute assez détériorée puisque les travaux
coûtent 1.440 pataques. Il note : «Dépense autorisée par hadj cAlî Pacha». 3
– Un bayt al-mâljî est installé en avril 1817. Il fait compter et enregistrer les
sommes d’argent qu’il y a dans son bureau en présence du khaznadjî.
– Une tradition orale raconte un épisode significatif de corvée locale vers
la fin de l’époque ottomane. Le cadi du watan désigne un groupe d’hommes
pour porter une poutre centrale jusqu’au lieu où il se faisait construire une
nouvelle maison. à mi-chemin, les hommes désignés pour cette corvée
apprennent que le cadi venait d’être destitué par le caïd. Ils laissent la
poutre au bord du sentier et rentrent chez eux.
Le consul Chaix signale le 20 juillet 1620 «la prise d’une barque française
par un bateau de Pisixino» 1. Une autre correspondance consulaire fran-
çaise du 7 mai 1630 informe de la prise d’un navire français par «la galère
de Chilibi Pichinin». 2
Ce Alî Peccinino est rendu célèbre par les écrits de divers auteurs
européens. Dan en parle longuement dans la deuxième édition de son
ouvrage publiée en 1647. D’Aranda et F. Khnight l’ont connu de près et
témoignent de son immense richesse. Les «Pères rédempteurs» qui, trop
souvent, mêlent le romanesque et les histoires édifiantes au strict témoignage,
ont beaucoup écrit sur la puissance politico-militaire et la fortune fabuleuse
de ce «général des galères».
Comme on l’a vu, les traces trouvées dans les archives d’Alger ne
permettent pas d’affirmer de façon sûre si ce corsaire mort en 1645 était notre
très honorable négociant, déjà marié en 1599.
Ce cas n’est pas isolé. Plusieurs cas semblables peuvent être cités à la
même époque, comme par la suite. Sous-estimation délibérée quand des
périodes politiquement difficiles poussent à la prudence et à la discrétion?
Comme pour le tableau précédent, il arrive que les propriétés foncières n’y
soient pas inclues ou que la liste reste incomplète. Ces cas sont signalés lorsque
l’information disponible le permet. mais en raison de l’importance des biens
fonciers dans la composition des grandes fortunes, le tableau représente
200 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Pour suivre une ligne commode quoiqu’imparfaite, les fortunes sont clas-
sées dans le tableau par ordre décroissant d’après les sommes relevées
dans les registres de Bayt al-mâl et les actes judiciaires.
En fait, l’importance des plus grandes fortunes est parfois d’un tout autre
ordre, mais il est présentement impossible d’en donner un chiffre même
approximatif.
Pour illustrer cette situation, on peut citer quelques exemples parmi les
plus frappants. Commençons par le plus illustre des noms cités dans le
tableau qui suit : Yahya Agha. Les actes judiciaires inscrivent parmi ses
propriétés mises en habous au profit de ses descendants sa demeure à
Alger, un palais plutôt qu’une maison. Il avait aussi des maisons à Blida,
dont une qu’il a occupée jusqu’à sa mort, des jnâns et des fermes dont la
fameuse maison Carrée qui a donné son nom en français à al-harrach,
banlieue d’Alger. C’était une ferme modèle avec ses diverses plantations,
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 201
5. déplacements de positions
Avant de les aborder, jetons un coup d’œil sur les changements, en termes
de positions de fortunes, qui ont pu intervenir au sein des couches dirigeantes.
La rareté des données, leur dispersion sur de longues périodes et, parfois,
l’imprécision et la sous-estimation des fortunes, évoquées plus haut,
empêchent de procéder à des analyses statistiques rigoureuses. mais en
combinant les données chiffrées établies avec les autres informations
recueillies par ailleurs, on pourrait dégager très schématiquement quelques
tendances.
Au sein de l’élite du pouvoir, les plus hauts revenus et les plus grandes
fortunes restent comme tendance dominante et durable, aux mains des
détenteurs d’un commandement politique ou militaire, et des directeurs, à
l’échelon central, d’un des grands services administratifs. Cette suprématie
incontestable n’a pas empêché certains déplacements dans les positions
tenues au sommet du pouvoir :
– Au Siècle de la Course, et en particulier dans sa première moitié, on est
frappé par la prépondérance des convertis et des Andalous :
Sur 42 inventaires des successions les plus riches d’Alger à cette époque,
16 sont des convertis (culûj) et 15 sont d’origine andalouse. Parmi les 16
c
ulûj, 9 sont caïds et 3 négociants (notons au passage une évolution signi-
ficative du mot «caïd». Au XVIe siècle et pendant la première moitié du XVIIe,
ce titre précédait le nom de celui qui le détenait quel que soit par ailleurs
le rôle présent de cette personne (pacha, amiral, intendant des finances ou
de Bayt al-mâl, etc. Cet usage disparaît pratiquement par la suite ou laisse
place à un emploi beaucoup plus fonctionnel et plus modeste – caïd d’un
watan ou d’une ville. Dans le premier usage, on était caïd d’une armée, d’une
province, ou d’une grande métropole. Le titre d’agha, introduit par les
turcs, quoique désignant particulièrement divers commandements militaires,
est progressivement devenu, à l’instar du titre de caïd utilisé auparavant,
et en le supplantant, quelque chose d’honorifique qu’on garde à vie tout en
occupant d’autres fonctions y compris les plus hautes).
Le passage du «caïd» à «l’agha» traduit à sa façon un des aspects de l’évo-
lution générale, à savoir l’imprégnation ottomane des formes du pouvoir.
D’autres changements ont marqué cette évolution. Le Siècle du blé voit
monter de nouveaux groupes dans l’ensemble de la société, comme le
montrent les développements qui vont suivre.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 203
Les convertis
Dans la littérature historique européenne, on a beaucoup écrit sur ces
hommes qualifiés de «renégats», terme partisan, chargé d’esprit polémique,
y compris dans sa connotation moderne. nous lui préférons le mot
«converti», plus neutre. En arabe, on les appelait culûj. Ce n’est pas l'origine
européenne, mais leur origine religieuse qui distingue les culûj. Les Albanais,
Bosniaques, et autres originaires des Balkans font partie des «turcs» d'Alger
quand ils sont d’origine musulmane, mais ils sont appelés culûj (pl. de cilj)
s’ils sont d'origine chrétienne.
De façon romancée ou non, les exploits de Euldj Alî, mourad Raïs, hasan
Veneziano ou cAlî Bitchnîn, ont servi à illustrer l’extraordinaire aventure de
ces émigrés d’un genre nouveau, parfois volontaires, trop souvent forcés,
qui finissaient rois d’Alger, Grands Amiraux de la flotte ottomane et même
premiers ministres de l’Empire. Cela est bien connu et ne sera pas repris ici.
nous mettrons plutôt l’accent sur un aspect peu étudié que nos sources
permettent d’entrevoir. Il s’agit de l’immense effort d’adaptation
qu’impliquait leur intégration réussie dans une société musulmane.
Dans un acte de habous établi par Khayr al-dîn au profit de la mosquée
construite par son affranchi, le caïd Çafîr, celui-ci est qualifié de «talî kitâb
Allah» (récitant du Coran) 1. Dans d’autres actes on décerne à Euldj Alî le
titre de «hâfidh» (celui qui connaît tout le Coran par cœur). Au-delà de la
flatterie courtisane des scribes à l’égard d’hommes tout puissants, l’indication
est précieuse, car elle ne peut être inventée dans ce type de document
notarial. Elle montre l’effort sérieux que ces hommes ont accompli sur eux-
mêmes pour réussir leur reconversion, au sens le plus fort du terme, quels
que soient par ailleurs leurs sentiments profonds et le type de croyance ou
d’incroyance qu’ils ont gardé ou adopté au fond de leur âme.
à cet égard, divers témoignages européens et ottomans 2 qui méritent
d’être étudiés de plus près, suggèrent que hasan Agha était hésitant face
à l’expédition de Charles Quint contre Alger en 1541. D’autres laissent
entendre que Euldj Alî aurait gardé (ou retrouvé à la fin de sa vie) sa foi
chrétienne. Quant à Alî Pechinino, les auteurs européens 3 qui l’ont connu
décrivent son indifférence religieuse avec beaucoup de vraisemblance. En
revanche, des convertis repris par des navires chrétiens et présentés à
l’Inquisition espagnole avaient manifesté fermement leur attachement à
leur nouvelle foi musulmane face à l’immense capacité de pression de cette
terrible machine.4
1. A. Devoulx traduit littéralement «le lecteur du livre de Dieu», in R.A., 1870, «Les édifices...»,
p. 189.
2. Sur hasan Agha, cf. Ch. de La Véronne, Oran..., pp. 193-196 ; P. P., «L’expédition espagnole
de 1541 contre Alger», R.A., 1891, pp. 177-206 ; A. temimi, «Une lettre des morisques de
Grenade au Sultan Sulayman al-Qânûnî», Rhm, janvier 1975, pp. 105-106.
3. Cf. en particulier E. d’Aranda, Les Captifs d’Alger, op. cit., pp. 153-155.
4. Plusieurs exemples sont donnés par Bennassar, Les Chrétiens..., op. cit.
204 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Les Andalous
Cette période favorable aux convertis, l’a été tout autant aux Andalous.
mais ceux-ci ont duré plus longtemps alors que les convertis se réduisaient
rapidement dans la deuxième moitié du XVIIe siècle et que leurs descendants
étaient complètement absorbés par le groupe des kouloughlis. Le peuplement
andalous d’Alger est plus ancien. Il a précédé l’arrivée des turcs et a été leur
principal soutien, à côté des différents mouvements «maraboutiques»
mobilisés par le jihâd contre les Espagnols. Il s’est renforcé lors des expulsions
massives des moriscos décidées par les Espagnols à la fin du XVIe siècle et
autour des années 1609-1611. C’est en groupes compacts, organisés,
solidaires, fortement motivés contre l’oppresseur espagnol, qu’ils arrivaient
dans les villes du maghreb.
La réussite des Andalous à Alger a fait dire au marchand auteur anglais
F. Knight qu’à Alger, dans les années 1630 où il était esclave pendant sept
ans, les turcs n’avaient de pouvoir qu’en imagination. Selon lui, la propriété
des terres et des navires appartenait aux «mores» et aux «tagarins». Les
Andalous avaient développé à Alger les techniques de construction,
d’hygiène, de plantations industrielles (lin, mûrier, coton, etc.), embelli et
fortifié la ville, intensifié les réseaux d’hydraulique et d’évacuation des
eaux usées, etc.
Effectivement, en ces années, les grands mcallim (maîtres artisans et
architectes) cités dans nos sources comme dirigeants des grands travaux
d’urbanisme à Alger étaient Andalous. Comme l’étaient de riches fabricants
et marchands de soieries, de chéchias et d’étoffes de luxe.
Parmi les quinze plus riches Andalous cités plus haut, cinq étaient oulémas-
négociants et deux étaient raïs.
Les Andalous trouvaient dans la société d’accueil des disponibilités
favorables, liées à de vieilles et solides affinités culturelles. Cela n’excluait
pas les conflits de pouvoir ou d’intérêt et toutes sortes de rivalités.
Il y a au moins un groupe à Alger, où des liens très étroits unissaient
Andalous et Baldi dès le XVIe siècle. C’est celui des grandes familles
d’oulémas et de chérifs où régnait une espèce d’endogamie de caste qui ne
s’ouvrait parfois, à son corps défendant, qu’aux puissants du moment. Les
familles Fahri, Ben Assakhri, Ben Wadheh, Grawish, et autres descendants
de thâclibî, Zahhâr al-Shrîf, etc. finirent par former une large parentèle
206 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Au siècle suivant, sur 1081 actes enregistrés entre 1688 et 1785, les turcs
restent en tête avec 41%, les non déterminés tiennent la deuxième place
avec 31%, viennent ensuite les Baldi 23%, et les Andalous 5%. Il n’y a dans
cet ensemble que six convertis. Précisons que les non déterminés couvrent
un large éventail de citadins dont les sources ne précisent pas l’origine. Il
est intéressant de noter que ce sont eux qui occupent la première place
entre 1785 et 1830. Sur 276 inventaires, les non déterminés sont 136 (49%),
les turcs sont 92 (33%) et les Baldis 51 (18%) ; les convertis et les Andalous
sont pratiquement absorbés par les non déterminés.
Le même phénomène se retrouve dans la répartition des actes de tran-
sactions foncières de la dernière période : 55% non déterminés, 24 % de turcs,
21% de Baldi.
La deuxième remarque est relative aux frontières ethniques. En effet,
voilà des «ethnies» qui s’éteignent après une seule génération. Les enfants
des turcs et des convertis ne font plus partie de ces deux catégories. Ils
forment un groupe à part, appelé les Kouloughlis, non pas seulement
comme on le dit généralement parce que leur mère est autochtone. En effet,
qu’est-ce qu’une autochtone dans cette ville dont les émigrés de toutes
origines forment l’ossature, et peut être du moins entre 1580 et 1640, la
majorité de la population. En vérité, parmi les Andalous, les turcs et les
convertis qui peuplaient Alger, la présence de femmes de ces mêmes origines
était massive. Aucun des groupements d’origine n’avait un caractère de caste
fermée. Ils échangeaient les femmes avec tous les autres groupes. Seuls les
«chérifs» et des groupes maraboutiques qui leur sont assimilés avaient
comme principe de ne pas donner leurs filles en dehors de leur «noble
lignée religieuse».
En fait, l’endogamie chérifienne et maraboutique est toute relative. Les
dérogations à ce principe touchent même les plus célèbres familles de cette
catégorie. Dans les registres de habous et les Actes notariés figurent des
soldats et des officiers d’origine turque, comme descendants par leurs
mères de Sidi cAbd al-Rahmân thacâlibî, Sidi mohammed al-Shrîf Zahhâr,
Sidi cAlî b. mbarek, al-Shaykh mohammed b. cAlî trabulsî, etc. 1
De surcroît, cette «noble origine» est dépréciée par de multiples prétentions.
Parmi les «chérifs» d’Alger, il y avait des Berbères, des Andalous, des turcs
et parfois des Arabes ! Au moins trois deys d’Alger prétendaient avoir une
origine chérifienne. husayn Khodja al-Sharîf, Bakdâsh Khodja et hadj cAlî
Khodja. husayn et hadj Alî étaient d’origine arabe d’après des sources
sérieuses qui reconnaissaient la probable authenticité chérifienne du dey hadj
c
Alî Khodja.2 Quant à l’Anatolien Bakdâsh, c’est sans doute sa réputation
de grand orateur et prédicateur en arabe classique qui lui permit de prétendre
au titre de chérif.
Les actes notariés nous renseignent partiellement sur des relations d’affaires
entre négociants juifs et musulmans et entre ces deux groupes et les hauts
responsables. Aussi bien les contrats de commandite que des associations
dans des parts de navires de course, et des actes de transactions immobilières
sont conclus entre des négociants juifs et des pachas, khaznadjîs, capitaines
du port, amiraux, secrétaires du gouvernement, etc. mais la masse des Juifs
non fortunés apparaît rarement dans cette documentation. On peut relever
que, par exemple, les uniformes des janissaires étaient confectionnés par des
tailleurs juifs à tel prix la pièce.
En revanche, les liens entre le sommet du pouvoir et les grandes maisons
juives de négoce ne dataient pas des fameux liens tissés à partir de 1792, et
avaient nécessairement des implications diplomatiques.
t. Deloff 1 avait relevé dans La Gazette de 1680, que Pompeo Pas, Juif
d’Alger, faisait profiter les hollandais de son crédit auprès de trîk et Baba
hasan, et sans doute vice-versa.
En 1762, un marchand juif d’Alger, Jacob Bouchara, sert d’intermédiaire
pour la paix avec Venise.2
Une correspondance du consul français à Alger en date du 20 août 1799
informe Paris que les diplomates français ont été convoqués par le khaznadjî
«pour leur dire qu’il était informé qu’à Paris et à marseille, on continuait
à traiter avec rigueur les Bacri et Busnah... qu’il était surpris de cette partialité
qui ne correspondait nullement à la manière, dont lui, khaznadjî, s’était
comporté à notre égard en faisant mettre en toute liberté tous les Français
qui s’étaient trouvés sur le pays au moment de la rupture... il les chargeait
d’écrire, chacun de son côté pour qu’on usât du réciproque envers les dits
Bacri et Busnah». 3
Une autre correspondance du 26 janvier 1801 écrit que «Bacri et Busnach,
négociants algériens, ayant demandé le paiement de ce qui leur est dû...
Bonaparte met en note de leur demande : «Renvoyé au ministre des relations
extérieures pour me présenter ce Juif dans mon appartement, en lui faisant
sentir que je veux par là donner au Dey une marque de ma considération.» 4
Ce type de relations étroites en haut lieu, à certains moments, n’empêche
pas les exécutions, les massacres et les pillages à d’autres moments. mais
ces zigzags dans la fortune et l’infortune auprès des princes n’étaient pas
non plus une exclusivité juive.
Dans une lettre à son oncle, datée du 6 août 1700, J.B. de la Faye écrit: «Le
nombre des esclaves est beaucoup diminué depuis votre voyage, ce qui
les a rendus plus chers. On n’en comptait alors que 8 à 10.000 de toutes les
nations chrétiennes, au lieu de 30 à 40.000 que vous y trouvâtes.»1
Diminution sans doute, mais surtout, sens des chiffres plus précis chez
le jeune neveu.
L’évolution du nombre des esclaves au XVIIIe siècle ne suit pas une pente
continue, mais la diminution en zigzags est considérable.
Shaw 2 les estime à environ 2.000 dans les années 1727-1732. D’autres
parlent de 9 à 10.000 pour la même période. D’après des documents non cités,
S. Bono pense qu’il y en avait 7.000 en 1749, 2.662 en 1767 et environ 2.000
vingt ans plus tard.3
malgré la forte reprise de la course entre 1791 et 1815, le nombre des
esclaves à Alger ne semble pas avoir suivi une hausse importante. Il y avait,
il est vrai, l’action des épidémies qui fauchaient massivement les hommes
démunis et celle des rachats proportionnellement plus importants que dans
le passé. Il faut seulement exclure les chiffres «immobiles» du genre «2.000
esclaves environ au XVIIIe comme au XIXe siècle». Voici en accéléré une
image parlante sur la vérité de l’évolution des chiffres tirée de V. de Paradis
et des correspondances consulaires : 2.000 en 1786, 920 en avril 1787, tout au
plus 500 fin 1788, 1.200 en 1802, plus du double un an après, 1.642 en 1816. 4
CouChes IntermédIaIres
Entre les couches intermédiaires et les autres groupes sociaux, les frontières
ne sont pas toujours étanches et les passerelles sont multiples. Parmi les
particularités du système politique, il y a le fait que le personnel dirigeant
se renouvelait sans cesse, ouvrant dans les deux sens les portes de la fortune.
à cela s’ajoutait le rôle économique et social de la course, ouverte à tous et
offrant parfois des chances extraordinaires aux plus entreprenants.
Du point de vue du mouvement des revenus à Alger, trois catégories
étaient particulièrement exposées aux risques, comme elles pouvaient béné-
ficier de chances exceptionnelles : les raïs, les militaires et les oulémas
fonctionnaires.
nouvelles d’un commodore américain avec qui il s’était lié d’amitié pendant
leur voyage commun d’Alger à Istanbul. Le raïs faisait partie de la délégation
officielle voyageant sur un navire américain pour apporter à Istanbul le
cadeau traditionnel offert par Alger au Sultan et au gouvernement ottoman.
Le vieux raïs fit bonne impression sur le consul. à la fin, il lui avoua qu’il
était sans emploi, sans argent et lui demanda de lui prêter de l’argent. Le
consul le réconforta et lui promit de l’aider en cas de besoin. Il continua à
le voir, y compris dans les occasions officielles où le vieux raïs se tenait
modestement loin des grands dirigeants.
Quelques années plus tard, ce vieux raïs fut nommé khaznadjî, poste qui,
ajoute Shaler, lui procurait 50.000 $ par an. L’homme en question était Ahmed
Raïs al-Zmîrlî. Le registre des prises maritimes le mentionne commandant
un chebek ayant fait diverses prises en 1793, 1795 et 1796. En 1816, il est
nommé amiral par cOmar Pacha. En juillet 1818, hussein Pacha le nomma
khaznadjî, poste qu’il occupa, malgré son âge avancé, jusqu’en 1826.
En trois décennies, cet homme a fait l’expérience de la mobilité de l’échelle
sociale dans les deux sens. Richesse relative mais certaine, grâce aux prises
faites dans les années 1790. Pauvreté discrète mais réelle dans la décennie
suivante. Puis d’un coup, au sommet de l’échelle avec des revenus annuels
de 50.000 $. ne discutons pas les chiffres qui sont seulement symboliques
d’une situation. Son cas n’est pas isolé en cette époque qui a connu des
flambées puis des effondrements.
Il n’est pas nécessaire de rappeler ici les exploits très rémunérateurs et
l’itinéraire significatif du raïs hamidou, fils d’un artisan algérois, devenu
le glorieux et richissime amiral de la flotte jusqu’à sa mort au combat en 1815.
Sa montée comme sa mort ont symbolisé une époque. Par son courage et
son intelligence, il a su profiter des grandes possibilités offertes à la course
par les guerres européennes de l’époque révolutionnaire et napoléonienne.
Ses exploits et ces possibilités générales ont suscité beaucoup de vocations
parmi ses compatriotes. Ce fut une véritable ruée vers l’or qu’offraient la
mer et l’océan. mais comme toujours dans ce cas, il y avait beaucoup de
candidats et peu d’élus. De plus, la paix européenne de 1815 et le climat
politique qui en a résulté en méditerranée et dans le monde, ont eu des
retombées qui touchaient directement les activités corsaires d’Alger. malgré
les avertissements répétés d’Istanbul, les dirigeants d’Alger n’arrivaient
pas à comprendre que l’ère de la course était vraiment terminée. Aux
injonctions et aux menaces d’Istanbul, ils répondaient que depuis trois
siècles, la course a été la principale source de revenus de l’état et que sans
les produits de la course, ils ne seraient plus en mesure d’assurer la paie des
janissaires. Le vrai problème n’était pas du tout la paie des janissaires,
solidement assurée par les rentrées fiscales et largement garantie par un
trésor dont les richesses accumulées étaient suffisantes pour des dizaines
d’années.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 217
1. Z 24.
2. 228 mi 27 vol. 121 et 228 mi 29 vol. 159.
3. An, Paris, 228 mi 20/73 et 22/82.
4. Plantet, Corresp. II, p. 80.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 219
loin d’être parfaite. nous avons déjà cité le cas du Raïs hamidou. D’autres
successions sont du même type. Un inventaire des biens laissés par le Raïs
Ahmed Krîtlî est explicitement désigné comme ne comportant que des
effets ramenés de son culwî, ce qui indique clairement qu’au moins sa
demeure lui appartenait, car elle n’était pas incluse dans l’inventaire. De
même, la liste des biens appartenant au Raïs Qaddûr ne mentionne pas de
propriétés. On sait seulement par d’autres actes qu’il avait des propriétés
mises en habous. Des contrats de commandite et des associations chiffrées
avec des négociants nous révèlent que tel ou tel raïs était beaucoup plus riche
que ne le laissent supposer les inventaires après décès.
Entre 1790 et 1830, sur la liste de 65 raïs, figurant sur les inventaires après
décès, des recherches rapides dans les registres des habous ont montré que
16 avaient des propriétés habous. Il faut donc prendre ces inventaires
comme un indicateur très partiel.
Voici d’abord une première constatation sur ces 65 raïs :
successions de plus de 5.000 pataques 9
successions de 3.000 à 4.999 8
successions de 1.000 à 2.999 25
successions de moins de 1000 pataques 24
Deuxième constatation :
En dehors du Raïs hamidou (mort en 1815) et du Qubtân hasan (mort
en 1816), il n’y a qu’une seule succession après 1816 qui dépasse 3.000
pataques. C’est celle du Raïs Qaddûr mort en 1821.
23 des 24 successions de moins de 1000 pataques se situent après 1815.
tout en gardant à l’esprit la représentativité toute relative de nos listes,
le phénomène observé ici ne semble pas dû au hasard.
De la splendeur à la misère
Après la destruction de la flotte algérienne en 1816, la course n’est plus
qu’une affaire mineure exercée par des acteurs qui étaient eux-mêmes très
souvent de petite envergure.
Parmi les indices d’un modeste train de vie de ces nouveaux raïs au rabais,
on peut noter le fait qu’ils ne sont pas propriétaires de leurs logements. En
effet, les actes d’inventaire enregistrent qu’ils louaient une chambre dans un
fondouk, ou dormaient au café comme les ouvriers berranis. D’autres, sans
doute un peu plus favorisés et ayant femme et enfants louaient un
appartement à l’étage (culwî) ou parfois une petite maison (dwîra). Les plus
riches louaient une maison, ou, fait rare en cette période de fin de course,
possédaient une dwîra, un culwî ou une chambre dans un fondouk.
Il est à peine besoin de signaler que même s’agissant seulement des effets
personnels et des objets de la vie quotidienne, qu’on garde dans l’endroit
où on loge, lorsque la valeur totale d’un inventaire après décès s’élève à 66
pataques (Qâcim al-cAnnâbî Raïs, mort en 1818) et même à 46,83 pataques
220 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
(hammûd Raïs, pêcheur mort en 1825), on est là au plus bas de l’échelle des
revenus et des richesses. On peut mettre dans cette tranche inférieure tous
ceux qui n’atteignent pas les 300 pataques. Ils sont 10 sur les 23 cités.
On est loin du titre prestigieux de «Raïs» des époques où le «corso»
s’affirmait par l’étalage de sa richesse et les démonstrations de puissance,
quand les demeures princières des grands corsaires (mûrad Raïs, Bitchnîn,
Qâra cAlî, etc.) étaient les repères des quartiers et aussi les symboles d’une
splendeur.
Au-delà des mutations internationales qui ont complètement transformé
le rôle, la place et le niveau de l’entreprise corsaire, il s’agit peut être aussi,
dans le cas d’Alger, d’une évolution de l’emploi du mot «raïs». Ces petits
capitaines de barques de cabotage ou de pêche, si nombreux à porter le titre
de raïs au XIXe siècle, semblent un phénomène nouveau, même si aupara-
vant il y avait à côté de la grande course des petits coups de rôdeurs des
côtes. En tout cas, jamais aux XVIe et XVIIe siècles, le titre de raïs n’était
accompagné dans nos documents d’une aussi grande pauvreté. Jamais,
non plus, les raïs n’exerçaient, quand ils n’étaient pas en mer, des métiers
aussi modestes que ceux des raïs du XIXe siècle : coiffeur, pêcheur, coutu-
rier, forgeron, charretier, muezzin, cordonnier, mais quelques uns étaient
cafetiers, fabricants ou marchands de soie, janissaires, khodjas et même
réparateurs de montres, métier nouveau à Alger et qui requiert sans doute
des qualités d’astuce et d’ouverture d’esprit pour maîtriser des techniques
aussi nouvelles.
En 1830, les Français recensent à Alger plus de 300 raïs. Beaucoup
continuaient à faire du cabotage ou de la pêche. Certains exerçaient des
métiers du type que nous avons relevé dans les listes de 1790-1830.
Une dernière observation qui confirme les précédentes : les prénoms des
raïs et les patronymes d’origine (hamidou, Qwîder, Qaddûr, hamdân,
Dahmân, cAlwâsh, Qadcûsh, Bathûsh, al-mostghânmi, al-Cherchali, al-Delsi,
al-cAnnâbi, al-Bjâwi, al-Jîjli, al-nadrûmi, al-Blîdi, al-Qsantîni, al-tlemçâni,
etc.) montrent l’occupation grandissante, par les autochtones, de ce champ
désormais peu attirant pour les plus favorisés.
a. 1580-1684
Voici d’après des sources diverses le tableau présentant le montant mensuel
de la solde des janissaires, suivi des observations.
On distribuait aux soldats célibataires quatre pains par jour et huit pains
quotidiens aux gradés d’après la majorité des auteurs. D’après d’autres
sources, la distribution allait de huit à douze ou de huit à seize pains selon
les échelons concernés.
Observations :
On est d’abord frappé par la modicité de la somme. Sa quasi uniformité
séculaire pose le problème de la fiabilité des sources. Les auteurs cités sont
de qualité inégale. La valeur réputée des uns ne les met pas au-dessus de
la critique. La médiocrité et les invraisemblances colportées par d’autres
n’enlèvent pas a priori tout crédit à certains de leurs témoignages.
Commençons par Gramaye. Grâce à la rigoureuse traduction de m.h.
Benmansour, voilà enfin cette source de grande valeur devenue accessible.
Sur la course en 1619-20, les informations quasi quotidiennes de Gramaye
sont impressionnantes. Elles déroulent devant nos yeux l’état détaillé des
prises, comme s’il s’agissait d’un procès verbal consigné dans un registre
officiel. mais cette rigueur dans la transcription des données directement
constatées et les grandes qualités intellectuelles et morales qu’on reconnaît
généralement à Gramaye, ne l’empêchent pas de reprendre sans aucune
modification les informations données par haëdo, quarante ans plus tôt sur
la paie des janissaires.
Est-il possible que le montant de la paie, exprimée en doblas, n’ait pas
changé, alors que la valeur de la dobla était passée de 0,63 PS en 1580 à 0,22
PS en 1620 ?
même question pour la mensualisation de la paie, reprise par presque tous
les auteurs du XVIIe siècle. Il est fort possible que dans certains cas,
224 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
b. 1725-1830
Les données du XVIIIe siècle sont distinctes de celles du XIXe siècle. En
effet, sur certains points, les deux périodes sont nettement différenciées.
La distribution de 4 pains par jour aux soldats est mentionnée par presque
tous les auteurs. En revanche, seul Vallière échelonne cette distribution de
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 225
Augmentations et extras :
La situation des débuts ne dure pas longtemps. La solde initiale est au
moins doublée au bout d’un an. En plus de l’augmentation d’une çâyma à
chaque fin de ramadan, les occasions d’augmentation sont multiples (avène-
ment d’un nouveau sultan, naissance d’un garçon du sultan, arrivée à Alger
du caftan de pacha pour le dey, changement à la tête du pouvoir à Alger,
victoires sur l’ennemi, actes de bravoure, etc.).
La solde augmente aussi avec la promotion à un grade supérieur. Selon
haëdo elle suivrait ces échelons :
yoldach 3 à 4 D.
odabachi 6
bulukbachi 10
kahya de l’agha 15
agha 25
Avec la solde de l’agha, le plafond est atteint. C’est la haute paie ou la «paie
serrée» indépassable. 25 D. en 1580, cela fait 10 écus.
Comme on l’a vu, d’après Venture de Paradis, la haute paie était en 1788
de 80 çâyma, soit selon ses propres équivalences un peu plus de 25 pataques,
ce qui fait 3,56 écus.
Solde misérable pour le plus haut gradé de l’armée. En fait, on est devant
un cas flagrant de l’écart entre le salaire officiel et le revenu réel. La solde,
malgré l’importance symbolique qui lui était attachée n’était qu’un
complément. Les avantages en nature dépassaient largement la valeur de
la solde. En plus du logement, de l’uniforme et des armes qui lui étaient
fournis par l’état, le janissaire avait droit en sus du pain à divers
approvisionnements et services gratuits ou à prix réduits.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 227
l’ambiguïté des matrûk (biens laissés). C’est rarement qu’on précise qu’il s’agit
de tacriya (littéralement : déshabillement). Quand c’est précisé, nous ne les
avons pas intégré dans notre liste, puisque la tacriya ne comporte pas
nécessairement la totalité de la succession. Elle est cependant significative
si elle est traitée à part car ce qu’on porte sur soi est un signe de richesse
ou de pauvreté.
Sur 12 tacrîya de janissaires, 8 valaient moins de 20 pataques, 2 entre 20 et
40 pataques, et 2 plus de 40 pataques.
Les informations complémentaires laissent entrevoir des fortunes parfois
importantes de janissaires et indiquent éventuellement l’origine de cette
fortune.
Quelques cas vont illustrer la variété des sources d’enrichissement de
ces janissaires.
– un acte judiciaire daté de juin 1782 cite un objet de litige entre héritiers,
à savoir un salon de coiffure laissé par le janissaire et raïs mohammed b.
mohammed.
– fin novembre 1786, le janissaire hamida Bûgandûra achète deux fermes
pour le prix de 7.200 pataques.
– le janissaire hadj hasan al-Qazzâz b. mohammed, fabricant de tissus
de soie, mort en août 1790, laisse une succession évaluée à 27.045 pataques.
– le janissaire mohammed b. cAlî Pacha vend en juillet 1792 un hawsh au
prix de 800 S. (soit environ 8.000 pataques).
Voilà quatre origines différentes et voies d’accès à la richesse, l’un est
raïs, l’autre appartenait à la famille Bûgandûra, l’une des plus importantes
richesses foncières de la mitidja jusqu’en 1830 et au-delà. Le troisième
exerce un métier lucratif qui, d’ailleurs, exige, au départ, des investissements
importants. Le quatrième est fils de pacha.
Parmi les propriétés mises en habous par des janissaires, on peut relever
des hawsh, des jnân, des maisons, des appartements, des chambres de
fondouk et des boutiques.
Les bulukbâshî :
toutes proportions gardées, les bulukbâshî qui le restent à vie, sont
comparables aux officiers sortis du rang. Leur niveau d’instruction, médiocre
ou nul, leur ferme les grandes voies d’ascension professionnelle et sociale.
Cependant, leur situation est nettement meilleure que celles des odabâshî et
des janissaires.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 231
On peut relever dans les actes judiciaires et les registres de habous des
fortunes de bulukbâshî d’une autre importance, mais elles ne découlent pas
directement de leur fonction militaire.
Postes d’autorité :
En dessous du sommet du pouvoir, il y a une pluralité de postes d’autorité,
occupés par des hommes issus ou non de l’Oudjaq : caïds territoriaux ou
responsables de divers services, aghas des mehallas, des nûbas ou délégués
dans les administrations, enfin et surtout, khodjas (le premier sens de
khodja est lettré, maître d’enseignement, le second qu’il a pris de façon
durable en Algérie est scribe, secrétaire) qui, par leur niveau d’instruction,
jouent un rôle important à tous les niveaux de l’administration. Il est
frappant de constater que l’exercice d’une responsabilité bénéficiant d’une
quelconque autonomie est en soi une source importante d’enrichissement.
Dans le tableau suivant ne sont inclus que des successions de responsables
ayant occupé un poste d’autorité entre 1787 et 1830, ce qui exclut ceux qui
portent un titre sans avoir de poste. On peut être agha ou manzûl agha sans
avoir jamais occupé un poste de responsabilité sauf celui symbolique et
de courte durée auquel on accède par ancienneté pendant les deux mois qui
précèdent la retraite. On l’appelle l’agha des deux lunes.
Il y a aussi une grande différence entre un artisan qui porte le titre de
khodja sans avoir jamais occupé un des postes réservés aux khodjas et un
khodja secrétaire ou directeur d’un des grands services de l’administration.
Pour l’essentiel l’écart entre les niveaux de fortunes des responsables
moyens peut être attribué au type de poste occupé, mais les inégalités de
richesse peuvent avoir d’autres origines.
232 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Prestige et fortune
Pour compléter l’observation d’Ibn Khaldoun et l’adapter aux siècles
ottomans, on dirait : la religion n’enrichit pas son homme, mais l’action
politique, le prestige, le négoce et les hautes fonctions enrichissent l’homme
de religion.
234 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
la valeur de ses ouvrages qui ont résisté au temps. Sa fortune était aussi
immense que son savoir. Il est vrai qu’il a fait fructifier son argent dans le
négoce et les bons placements d’armateur de course. n’est pas non plus
usurpé le titre de «savantissime» accordé par les actes notariés au négociant
et homme politique hamdan b. Osmân Khodja. Il était millionnaire, grand
propriétaire foncier, possédant l’une des plus belles demeures d’Alger,
négociant international en relation d’affaires avec le dey d’Alger et le bey
de Constantine. Il était surtout un homme de culture d’une envergure
incomparable dans l’Algérie de la première moitié du XIXe siècle.
Connaissant le monde européen et ouvert à ses idées modernes, il fut
comme le disait m. Lacheraf 1, un précurseur du patriotisme bourgeois.
à l’exemple de l’illustre câlim Sacîd Qaddûra, les riches oulémas du XVIIe
siècle plaçaient leur argent dans le négoce et dans l’achat de parts dans les
navires de course. Cela explique, sans doute, leur très haut niveau de
fortune qui n’a pas d’équivalent dans les siècles suivants, si l’on en juge à
partir d’une documentation hélas trop partielle.
Quatre des onze plus grandes fortunes du XVIIe siècle concernent des
oulémas et leurs familles. La moyenne des successions de ces fuqahâ dépasse
68.000 D. C’est pourquoi nous les avons intégrés plus haut dans la partie
consacrée aux grandes fortunes. Il fallait le rappeler ici pour nuancer
l’appréciation tout à fait juste comme dominante concernant la «pauvreté»
des oulémas.
Des recherches plus poussées expliqueront peut-être pourquoi, mis à
part le hasard de conservation des documents, les successions moyennes
des oulémas du XVIIe siècle étaient aussi relativement plus élevées que
celles de leurs collègues ultérieurs.
Quinze de ces successions dépassaient 10.000 D., sans tenir compte des
habous et autres propriétés indivises non incluses.
Ceux qui se maintiennent plus ou moins, au XVIIIe et au XIXe siècle,
appartiennent généralement aux dynasties établies de la haute fonction
religieuse et judiciaire, les Qaddûra, les Agûjîl, les descendants de thacâlibî,
de Ahmed b. Yusuf et de Sidi m’hammed al-Shrîf Zahhâr, autre saint patron
d’Alger avec thacâlibî.
En plus de la gestion des habous, parfois immenses, liés aux institutions
portant le nom de leurs ancêtres, ils occupaient des charges quasi héréditaires
de mufti, cadi, khatîb, imam, etc. De même les Shuwayhit, descendants du
grand corsaire andalou al-Shuwayhid, étaient, avec quelques interruptions,
pendant près de deux siècles amîn des amîn (chefs des syndics des métiers
d’Alger) de père en fils.
Il est intéressant de noter que toutes ces familles entretenaient des alliances
matrimoniales, aussi bien entre elles qu’avec les deys, les beys, les khaznadji
et aussi, cela maintient le niveau de tout le monde, avec les plus riches
négociants.
malgré ces facteurs favorables, leur présence comme partenaires directs
dans les mouvements de fortune est faible et le niveau que cette présence
reflète, reste dans une moyenne décente pas plus. Il est vrai qu’au début du
XVIIIe siècle, le grand domaine d’Usta Wâli (Staouéli) fut acquis par le
descendant (et wakîl de mausolée) de thacâlibî, qui ne le garda pas longtemps.
à la même époque, le descendant de Sidi Ahmed b. Youssef met en
habous de nouvelles acquisitions immobilières significatives : huit maisons
à Alger et à miliana, un domaine, un jnân, un hammam, une boutique et de
grandes étendues de terres.1
Un descendant de Sidi mohammed Shrîf laisse en succession le quart
d’une maison en indivision, un culwî (appartement en hauteur), un four à
chaux et deux hawsh. La vente des animaux d’une des deux fermes rapporte
1.615 pataques.2
même si les assises foncières indivises et en habous restent de quelque
importance, les successions chiffrées traduisent peut-être un certain
appauvrissement de ces vieilles «maisons de science» :
– en 1709, le savant mohammed Agujîl laisse une maison, deux jardins et
beaucoup de livres. La valeur totale de la succession est de 6.822,50
pataques. 3
– hadj mohammed b. mohammed, descendant de thacâlibî, wakîl du
mausolée et des habous de son ancêtre, exerce aussi le métier de relieur. Sa
succession consiste surtout en livres, du mobilier et un jardin, le tout évalué
à 8.595,50 pataques.4
Sauf un cas unique, du début du XVIIIe siècle, les oulémas dont l’inventaire
après décès dépasse 5.000 pataques, sont soit des «héritiers», soit détenteurs
de hautes fonctions (mufti, cadi, intendant des habous, dirigeant d’un
grand service administratif, etc.).
Richesse et fonction
à notre connaissance, il n’y a pas de succession d’un cadi ou d’un mufti
à Alger en dessous de 4.000 pataques. Rappelons cependant que ces hautes
fonctions religieuses et judiciaires sont occupées presque en permanence par
des «héritiers» bénéficiant généralement d’un solide patrimoine familial.
Comme il y a de tout petits raïs et de très grands raïs, l’univers des agents
du culte, de la justice et de l’enseignement est d’une variété extrême. L’élite
de ce monde très inégal constitue une petite minorité. Le personnel des
mahkama, des mosquées, des médersas, des zaouïas et des habous est formé
de milliers de petites gens, vivant parfois dans la misère. La justice et les
habous étaient des administrations «semi-nationales», en ce sens qu’elles
couvraient tout le territoire et que tous les agents locaux et subalternes
dépendaient de l’administration centrale. Cela était surtout vrai des
directions des habous qui relevaient directement de l’intendant central
d’Alger et lui rendaient compte annuellement de leurs recettes et dépenses.
C’était le cas aussi de Bayt al-mâl. Ses employés locaux étaient contrôlés par
le bureau central d’Alger. La justice fonctionnait de façon autonome et sous
l’autorité des caïds et autres grands cheikhs de circonscriptions, mais ses
jugements pouvaient faire l’objet d’une révision par le haut conseil juridique
d’Alger. Dans chacune de ces institutions, il y avait une minorité moyen-
nement riche et occupant les hautes places, et une masse souvent pauvre.
Il est pratiquement impossible de préciser exactement le revenu annuel
de ceux qui se situent en haut. En tant que mufti, on avait une mensualité,
on touchait des émoluments comme prédicateur de la Grande mosquée et
une indemnité mensuelle pour la présence de contrôle dans les réunions des
administrations des habous. D’autres rétributions lui étaient allouées comme
professeur, ainsi que des cawâ’id (coutumes) à l’occasion des fêtes religieuses
sous forme de numéraire ou en nature.
Le cadi percevait en général 10% de la valeur d’une succession ou de la
transaction dont il a établi les actes. Il avait aussi divers émoluments
mensuels liés à sa présence réglementaire dans l’accomplissement de
certaines tâches administratives surtout de caractère municipal.
L’addition des diverses rétributions faisait dans les 200 à 250 pataques
par mois à la veille de l’intervention française. C’était dix fois le salaire
d’un manœuvre du bâtiment. mais s’il s’agissait vraiment de tout ce que
gagnait un personnage aussi important qu’un mufti, alors on pourrait dire
avec Ibn Khaldoun «la religion n’enrichit pas son homme». Les quelques
centaines de personnes, disons autour d’un millier, qui vivaient à Alger
des métiers du culte, de l’enseignement et de la justice, avaient des revenus
qui allaient du niveau du salaire ouvrier à un niveau situé à mi-chemin entre
celui-ci et celui de mufti.
On a par exemple de toutes petites successions (entre 100 et 300 pataques)
qui concernent des talebs et des membres de zaouïas. Entre 300 et 1000
pataques, des successions de greffiers (cudûl, littéralement : témoins instru-
mentaires), des wakîl de petites chapelles et des cheikhs.
Entre 1000 et 2000 pataques, on rencontre surtout des cheikhs, des imams
et beaucoup de khodjas exerçant divers métiers hors de leur compétence
initiale. Comme ces khodjas, certains hommes de l’écrit et des sciences
religieuses, préféraient exercer des métiers profanes plus rémunérateurs. Ils
étaient parfois marchands de soie, raïs ou négociants, plus souvent artisans
(relieurs, cordonniers, selliers, cafetiers, teinturiers, etc.).
238 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Ainsi, de haut en bas de l’échelle sociale, les frontières étaient aussi des
passerelles entre diverses activités.
Les corporations
à la tête de l’ensemble des métiers, il y avait une organisation complexe qui
faisait office d’administration municipale, contrôlant les organisations profes-
sionnelles. L’homme qui tenait les registres et toute la documentation s’appelle
amîn al-umanâ, amîn des amîns, soit en quelque sorte le syndic des syndics
des professions. C’est lui qui entreprenait les demandes en compagnie de
l’amîn du métier concerné, auprès des autres autorités. mais son caractère
représentatif peut être discuté. Il n’est pas élu par les organisations de métiers
et son rôle est surtout administratif et fiscal. tout son travail se fait en colla-
boration avec chaykh al-balad (littéralement : chaykh ou administrateur de la
cité), al-muhtassib (responsable chargé de la police des marchés) et les délégués
du pouvoir central. Leurs réunions se faisaient chez le cadi qui présidait et
supervisait les décisions. Il est significatif aussi que la charge d’amîn al-umanâ
était occupée presque continuellement de père en fils depuis la deuxième
moitié du XVIIe siècle jusqu’en 1830. Les actes notariaux permettent de
remonter l’arbre généalogique de cette famille andalouse jusqu’au grand
raïs Sacîd al-Shuwayhîd dans la première moitié du XVIIe siècle. Son fils
Sulaymân était armateur et grand négociant. Son petit-fils Yusuf, grand
négociant aussi, occupait la fonction d’amîn al-umanâ qui resta dans les
membres de la famille. C’était donc une fonction élitaire et non élective. La
famille Shuwayhîd, transcrite par la suite Shuwayhit, était apparentée aux
descendants de thacâlibî et à des turcs et Kulughlis de la haute administration.
D’autres aspects qu’il serait trop long de développer ici, incitent à suivre
le grand maître de l’histoire médiévale arabe, Claude Cahen, dans les
réserves qu’il a émises à propos de l’application du terme «corporation» aux
organisations de métiers du monde arabe. En effet, il n’y a pas dans l’Algérie
ottomane, l’équivalent des corporations de métier, représentatives, élues par
la base, avec l’élaboration de chartes et de statuts et faisant partie de la
«révolution communale» des cités européennes de la fin du moyen Âge et
des débuts des temps modernes.
Il semble, cependant, que dans l’usage commun d’aujourd’hui, le mot
corporation n’ait plus seulement le sens spécifique que le grand historien
avait en vue. Il désigne aussi l’ensemble des personnes qui exercent le
même métier. Il peut, d’une certaine façon, traduire, par ailleurs, l’aspect
organisationnel et communautaire que renferme le mot jamâca (groupe,
communauté, corporation).
Paradoxalement, la «corporation» la plus agissante, la plus consciente
de son statut, de son rang et de ses intérêts solidaires, est la seule qui n’a
aucun type d’organisation, n’a pas d’amîn à sa tête : c’est la corporation
informelle des oulémas.
240 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
1. m. Amine, «Commerçants à Alger à la veille de 1830», RHM, mai 1995, pp. 11-59, a relevé
dans les archives du consulat de France à Alger et dans les sources algériennes une longue liste
comportant «aussi bien les commerçants à part entière (grands et petits commerçants) que ceux
qui s'adonnaient au commerce occasionnellement». Son étude montre de façon précise et
détaillée les liens familiaux entre grands négociants et la place importante qu'ils avaient parmi
les groupes dominants.
242 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
de fortune des tujjâr du XVIIe siècle et celui plutôt moyen des époques
ultérieures. Il est vrai que les deux catégories englobées par le terme de
tujjâr font le même métier commercial. La différence qui les sépare est plus
de degré que de nature, si l’on considère le type d’activité. mais tout les
sépare quant à la position sociale, la richesse, le prestige, le niveau
d’instruction et de connaissance du monde extérieur, l’enracinement dans
les couches supérieures de la cité et l’intégration quasi organique au sommet
du pouvoir.
Comment rendre compte de la complexité du réel sans classer, c’est-à-dire,
simplifier. Dans les plus grandes familles dynastiques, d’oulémas, hauts
dignitaires, négociants, parents par alliance des pachas et des beys, il y a
souvent des parents pauvres exerçant des fonctions subalternes ou des
métiers très moyens. Dans les zones frontalières entre tujjâr-négociants et
tujjâr-marchands, il y a des gradations où les niveaux des deux catégories
se rapprochent ou se confondent.
Il y avait effectivement des marchands qui, à l’occasion, faisaient du
négoce international. Le pèlerinage à La mecque, les voyages en tunisie, au
maroc, au Proche-Orient et, parfois, dans les ports européens de la
méditerranée, étaient des opportunités d’affaires profitables. mais on ne
devenait pas pour autant un Bouderbah ou un hamdan Khodja. Ces deux
hommes bien connus pour leur rôle politique en 1830, illustrent bien les
caractéristiques du négociant international. Ils avaient un niveau
d’instruction élevé, connaissaient des langues étrangères et l’esprit nouveau
de l’Europe capitaliste. Ils étaient l’un et l’autre issus de familles de la haute
administration, fréquentaient les pachas et les beys en amis intimes, en
conseillers avisés et en partenaires dans de grandes affaires.
Les carnets de négociants : Qaddûr b. mansûr, hasan al-Barbrî, cAlî al-
Bahhâr, Ibn Shaykh al-Balad, etc. 1 montrent que ces hommes étaient aussi
instruits, bien informés des réalités internationales et des procédés utilisés
dans le commerce méditerranéen.
Ils étaient par ailleurs comme les Krîtlî, les Amîn al-Sakka et les Ben
mrâbit, liés en affaires et en alliances matrimoniales aux vieilles dynasties
religieuses et aux détenteurs du pouvoir du moment.
Les harrâr
Dans le tableau précédent, il y a des harrâr (littéralement : soyeux), mot
ambivalent. On est ou marchand de soie, ou fabricant de tissus de soie, ou
les deux à la fois. Dans certains cas, le détail des biens laissés permet de
distinguer si l’on est l’un ou l’autre.
Dans la grande majorité des cas précisés, il s’agissait de marchands de soie
qui, en fait, vendaient différents produits souvent importés. Parmi les objets
les plus fréquents de leurs marchandises figuraient en dehors des tissus, du
café, du poivre, des objets en cuivre, des montres et des joailleries. Est-ce
pour les distinguer des grands tujjâr qu’on les appelait harrâr ? Dans tous
les cas, ils se situaient à un niveau élevé parmi les marchands non négociants
comme parmi les artisans.
huit harrâr ont une succession de plus de 5.000 pataques. Certains sont
propriétaires de leur logement et/ou de leur boutique. Parfois, ils possèdent
aussi une esclave domestique noire, comme c’est la tradition, à cette époque,
dans la bourgeoisie d’Alger.
Le niveau moyen typique des successions de cette profession se situe
entre 2000 et 4000 pataques. mais il y a aussi des harrâr dont la succession
est en dessous de 500 pataques, voire en dessous de 300 pataques.
Variété aussi des origines sociales et ethniques. Des aghas, des khodjas,
des raïs turcs, albanais, autochtones, exercent ce métier. Fils de marchands
ou d’artisans, spécialisés dans les objets de luxe pour une riche clientèle ou
dans l’épicerie courante, ils peuvent être classés en divers niveaux de ce qu’on
appellerait aujourd’hui la petite bourgeoisie.
Ils sont comparables à d’autres métiers appréciés pour diverses raisons
(reliure, bijouterie, parfumerie, tissus et cuirs brodés, etc.). mais est-ce un
hasard s’ils sont les seuls représentants d’artisans à figurer dans une liste
de notables à côté des oulémas, des fonctionnaires et des négociants ? En effet,
figure dans cette liste celui qui est jugé notable, par les notables eux-mêmes.
Il s’agit d’une «requête faite à la demande des oulémas et de tous les
musulmans, du chérif et de tous les notables de la ville d’Alger» adressée
aux autorités françaises le 28 juillet 1831. Elle comporte 24 signatures dont
10 oulémas, 7 négociants et un amîn des harrarîn que la traduction française
de la requête présente comme le «chef des fabricants d’étoffes de soie».
En vérité, les signataires (muftis, cadis, directeurs des Domaines, de Bayt al-
mâl, de la monnaie, aghas, caïds, négociants, etc.) qui ont choisi Bouderbah pour
les représenter, se désignent non pas comme de simples notables mais comme
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 245
Métiers et richesses
Cela explique en partie la grande disparité des fortunes au sein des
métiers, comme d’un métier à l’autre.
Il y a effectivement des métiers quasi héréditaires ou largement mono-
polisés par des gens originaires d’une même région. Sur le sujet, on a
beaucoup écrit avec, très souvent, une inclination à reprendre telles quelles
des classifications parfois trop schématiques établies par l’administration
française après 1830.
Il est vrai, par exemple, que les hammams étaient généralement aux
mains des mozabites. mais Hâdha Qânun a enregistré une décision officielle
prise après délibération avec les représentants de ce métier, à savoir que les
mozabites n’avaient pas le droit de chercher par des moyens détournés à
empêcher un non mozabite d’être patron de hammam.
246 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Patrons et ouvriers
On peut être patron ou simple employé d’un bain, d’un café, etc., et porter
le même nom de métier. Il est vrai que parfois l’adjonction du mot «mcallim»
(maître) permet de faire la différence. mais elle était rarement accolée aux noms
de ceux qui professaient des métiers regardés comme modestes, ordinaires.
Une recension plus systématique compléterait sans doute ces données
partielles, mais voici quelques différences frappantes des successions au
début du XIXe siècle 1 :
Successions de cafetiers:
plus de 1000 pataques 9
moins de 1000 pataques 4
moyenne de l’ensemble 2439 pataques.
Successions de marchands de tabac :
plus de 1000 pataques 8
moins de 1000 pataques 17
moyenne de l’ensemble 1040 pataques.
Successions de marchands de poissons :
plus de 1000 pataques 1
moins de 1000 pataques 11
moyenne de l’ensemble 322.
Successions de gargotiers :
plus de 1000 pataques 3
moins de 1000 pataques 16
moyenne de l’ensemble 536 pataques.
1. Bayt al-mâl, vol. cit., Beylik, vol. 61 et 62 et Actes judiciaires, AOm, Aix1 mi 68.
248 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Métiers de femmes
L’immense majorité des successions relatives à des femmes concerne des
femmes au foyer. Les disparités vont de quelques pataques à des dizaines
de milliers, voire des centaines de milliers de pataques. Le hasard de
conservation des documents a fait que la plus riche succession jamais
inscrite dans nos registres était celle d’une femme : cAysha, la fille de hasan
Pacha, citée plus haut.
Il n’est pas nécessaire de rappeler que dans la société citadine de l’époque,
la place normale de la femme était au foyer. Il fallait des conditions
particulières exceptionnelles, sinon dramatiques pour que des femmes se
trouvent à travailler «dans la rue».
On peut répartir les métiers des femmes en des catégories bien différenciées:
– des métiers que l’esprit de l’époque réservait strictement aux femmes
et qui n’étaient pas l’objet d’une réprobation générale (accoucheuse, coiffeuse
pour dames, travail en hammam des dames, etc.)
– des métiers d’homme que la nécessité poussait des femmes généralement
vieilles à exercer (boulangerie, gargoterie, lingerie, etc.)
– les situations héritées, en particulier dans le cadre maraboutique et
confrérique. Certaines femmes géraient en l’absence d’un héritier mâle, les
habous légués à leur ancêtre, pour un mausolée, une zaouïa, etc.
– les métiers du plaisir, dont les hommes profitent et que la société réprouve
(prostituées, musiciennes, chanteuses, danseuses).
Le nombre de cas rencontrés dans les inventaires après décès est réduit.
Il montre cependant une grande disparité de fortunes entre ces femmes :
accoucheuses : 300; 335; 5285.
maîtresses ou ouvrières de hammam : 177 ; 1742
gargotière : 519.
professions maraboutiques : 487; 932; 1590.
fabrication et ventes de bougies : 2387; 2404.
prostituées : 121 (le document précise : vieille prostituée); 2103; 6342.
6342 pataques, c’est la succession de la concubine du mazwâr. Elle n’est
pas la seule, de son métier, à être l’intime des grands.
250 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
1. problèmes et repères
Les séries des salaires et traitements sont tirées des mêmes sources que
celles des prix. Elles commencent de façon relativement suivie à partir de
1655, avec des lacunes en général moins importantes et surtout moins
gênantes en raison de la grande stabilité des salaires.
L’essentiel des données provient de sources parfois liées : les registres du
Beylik et des habous. Dans les registres du Beylik, on a généralement affaire
à des chantiers dont la direction des travaux est assurée par des offices de
l’état pour ses propres besoins : construction ou réfection de forts, de
batteries, de fonderies, de navires, d’arsenaux, de palais, de prisons, de
routes, de casernes, etc.
Dans certains cas, ces travaux d’utilité publique sont réalisés sous la
direction de caïds, de khodjas et de militaires relevant de l’état mais aux frais
des habous dont le donateur avait destiné les produits à tel ou tel service
public utile (conduites d’eau, fontaines, mosquées, etc.). Les données les plus
régulières et les plus abondantes, et donc les plus fiables, concernent en
particulier les salaires des ouvriers du bâtiment et des travaux publics. La
stabilité de ces salaires sur de longues périodes permet d’établir des séries
sur des bases relativement solides qui, comparées aux séries des prix les
mieux établies, nous donnent pour telle année, ou tel groupe d’années, un
type de «salaire réel» élaboré à partir des quantités de produits qu’il permet
d’obtenir. On a ainsi un budget-type qui servira de repère dans l’analyse des
niveaux de revenus et de richesses des autres catégories sociales.
Au préalable seront traitées quelques questions qui aideront à mieux
situer les problèmes posés.
Ainsi en 1668, une partie importante des salaires était versée chaque
semaine aux «chrétiens de Sulaymân Pacha» qui travaillaient dans le port 1.
C’est surtout à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle que la majorité
des manœuvres journaliers d’Alger étaient des berranis qui venaient
principalement des montagnes environnantes et des régions du Sud. Les
ouvriers qualifiés étaient dans des proportions diverses selon les époques,
soit des citadins de souche, soit des berranis de vieille implantation dans
la ville et rarement des immigrés récents.
Une autre source de confusion réside dans l’usage fait, après 1830, par
l’administration française, du mot «berrani». On a englobé sous ce terme
à la fois les «ouvriers flottants», particulièrement surveillés pour diverses
raisons, et les «vieilles corporations d’origine». Celles-ci, fruits de circons-
tances particulières dans lesquelles est née chacune d’elles, découlaient de
la logique même du système administratif ottoman.
C’est autour de «chartes» octroyant des privilèges spéciaux, en particulier
le monopole de l’exercice de certains métiers que se sont constituées les
corporations de Djidjeliens, mozabites, Biskri, Laghouati et, contrairement
aux affirmations de l’administration française, de Kabyles. On trouve en effet
dans les documents du XVIIIe siècle, la mention d'«amîn des Kabyles»,
«khodja des Kabyles», etc. «Kabyles» était entendu dans le sens de gens des
montagnes et pas spécialement de Kabylie. De même Biskri désignait les
sahariens de l’Est et Laghouati les sahariens de l’Ouest.
L’organisation des Andalous «jamâcat al-andalous» existait avant l’arrivée
des turcs. Elle a perdu de sa consistance au XIXe siècle en raison de
l’assimilation presque totale de cette population par la vieille citadinité. C’est
pourquoi les Français ne les ont pas classés parmi les corporations de berranis.
nous n’allons pas nous étendre ici sur un problème largement traité par
ailleurs. On peut retenir seulement, en ce qui concerne les ouvriers berranis,
que pour une large part, ils avaient une double affiliation : celle de leur
corporation d’origine et celle de leur corporation de métier. Comme certains
métiers étaient monopolisés par telle ou telle région, cela donne parfois
des corporations du genre «les Kabyles charbonniers», les «Biskri
colporteurs», etc. Ce type d’organisation, à la fois professionnelle et commu-
nautaire, avait pour objectifs officiels d’assurer le bon ordre du métier et les
rentrées fiscales. Il avait aussi un rôle de défense des intérêts des membres
de la corporation, comme le montrent les multiples interventions des repré-
sentants de ces organisations auprès des autorités, enregistrées dans Hâdhâ
Qânûn. Sans que cela soit explicité dans nos sources, elles pouvaient éven-
tuellement servir de cadre d’entraide et de secours mutuel entre ses membres.
notons enfin que certains manœuvres journaliers étaient inscrits sur les
registres de décès de Bayt al-mâl avec cette simple mention «khaddâm
mât» (manœuvre mort) ou, un peu plus précisément, «un Kabyle mort», «un
1. An, Paris, 228 mi 18 vol. 67.
252 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Biskri mort», «un noir mort». Ainsi quand on est ouvrier, on vit et on meurt
parfois dans l’anonymat total, sans nom, ni famille, ni résidence connue, ni
métier apprécié, ni collègues, ni amis, ni voisins. Cette solitude extrême
semble concerner surtout les immigrés de fraîche date.
Le temps de travail
Les ouvriers des chantiers ne travaillent pas le vendredi et les jours fériés.
Quand par nécessité, un ouvrier travaille le vendredi ou un jour férié, il
touche en général le double de sa jornata habituelle. mais, parfois, il est
payé par exemple 1 D. seulement alors que le double du salaire quotidien
du moment équivaut à 1,30 D. Les jours chômés, fériés ou pas, ne sont pas
payés. Les jours fériés et chômés sont ceux de cîd al-fitr (fête qui suit la fin
du ramadan) et de cîd al-adha (fête du sacrifice du mouton). A l’instar des
deux aïds, la fête du mouloud (anniversaire de la naissance du Prophète)
est l’occasion de distribution de «cawa’îd» (présents d’usage pour les fêtes).
Le mouloud, c’est aussi à Alger, la fête annuelle du saint patron de la ville,
Sidi cAbd al-rahmân al-thacâlibî.
c
Ashûra, dixième jour du premier mois de l’année lunaire hégirienne,
commémore plusieurs faits d’ordre religieux, y compris la mort tragique de
husayn le petit-fils du Prophète. Suivant de quelques jours le nouvel An
musulman, les congés scolaires et autres vacances, découlant de ces deux
fêtes religieuses liées, ont donné au maghreb le nom de cwâchir (pl. de
c
achûra) aux vacances scolaires.
On appelait zîna, toute fête ordonnée par le pouvoir pour célébrer, avec
des manifestations publiques de réjouissance obligatoires, certains événe-
ments officiels (avènement d’un nouveau sultan ottoman, naissance de son
premier garçon, etc.). Les fêtes coutumières et certaines fêtes organisées
par les corporations et les confréries qui leur étaient souvent liées, pouvaient
entraîner dans certains cas, une suspension partielle ou totale du travail
pendant la journée concernée.
L’origine de certaines fêtes traditionnelles non religieuses remonte sans
doute à des époques très anciennes. Râs al-cam, premier jour de l’année
solaire est fêté le 13 janvier, la fête du printemps est célébrée début mars et
«al-ançla» correspond à Alger aux alentours du solstice d’été, d’après m. Ben
Cheneb. Selon d’autres traditions locales du Constantinois et des régions
du Sud du maghreb, al-ançla est fêtée pendant les Pâques chrétiennes, ce qui
a entraîné sa réprobation par les fuqaha.
Pendant les fêtes chrétiennes, des bovins et des moutons sont abattus au profit
des travailleurs chrétiens des chantiers. Divers témoignages décrivent comment
se déroulent les cérémonies religieuses chrétiennes dans les lieux qui leur
sont consacrés où assistent les esclaves libérés de leur travail pour l’occasion.
En dehors des deux aïds, du mouloud et des zîna, nos sources ne permettent
pas de déterminer lesquelles de ces nombreuses fêtes religieuses et profanes
sont chômées de façon régulière. Joly 1 avait noté pour le monde artisanal de
Constantine 43 journées chômées dans l’année. En ajoutant le jour de repos
hebdomadaire on obtient quelques 270 jours ouvrables dans l’année.
Rozet 2 note qu’on ne travaille pas le vendredi et pendant les grandes
fêtes religieuses qui durent quatre jours pour chacun des deux aïds et deux
jours pour le mouloud comme pour l’cAshûra. haëdo 3 décrit les réjouissances
publiques qui durent trois jours pendant les fêtes de l’aïd al-sghir et du
mouloud et de trois à huit jours pour le grand aïd. mais il ajoute qu’ils ne
cessent pas le travail complètement le vendredi ni pendant les grandes
fêtes sauf les trois premiers jours des deux aïds. D’autres raisons (intempé-
ries, maladies, etc.) obligent les journaliers à interrompre leur travail. Ce qui
réduit encore le nombre de journées réellement travaillées dans l’année. C’est
probablement l’une des raisons de leur forte tendance à économiser le
maximum d’argent possible malgré le peu qu’ils gagnaient.
1. A. Joly, «La tannerie indigène à Constantine avant la conquête», Rmm, 1909, pp. 213-231.
2.Voyage dans la Régence d'Alger, Paris, 1833, vol. II, pp. 83-90.
3. haëdo, Topographie..., R.A., 1871, p. 216.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 257
Salaires mixtes
En règle générale, quels que soient la période, l’endroit, le type d’emploi
et d’employeur, l’ouvrier payé à la journée, à la semaine, au mois ou à la
tâche, est toujours nourri pendant la journée de travail aux frais de
l’employeur.
à notre connaissance, à Alger, il n’y a pas d’exception à cette règle. Il
existe d’autres types de salaire mixte ou de salaire en nature chez les artisans
comme dans le monde rural, ce qui est hors de notre sujet actuel.
Peut-on déterminer la proportion du prix de la nourriture par rapport au
salaire total ?
La diversité des cas ne permet pas de dessiner un type modal valable pour
diverses époques. Le cas qui, sur le papier est le plus favorable aux
travailleurs pose quelques problèmes difficiles à élucider bien que les
registres concernés détaillent avec précision, semaine après semaine, les
différentes dépenses engagées, y compris les salaires en numéraire et les
montants d’achats de nourriture. En effet, la nourriture que nous suggère
ces registres semble trop bonne pour être honnête. à certains moments des
années 1668-1671, le seul prix de la viande équivalait ou dépassait le montant
des salaires versés. Pourtant en cette période post-épidémique, les prix des
denrées alimentaires étaient au plus bas. Les registres nous livrent une
diversité de vivres achetées pour la nourriture des travailleurs du chantier:
pain, viande, huile, sel, riz, légumes frais et secs, olives.
à d’autres moments, l’accompagnement du pain se réduisait à un seul
élément : pain et bouillie, pain et huile, pain et petit-lait, pain et raisin, pain
et figues.
La disproportion constatée entre montants d’achat de nourriture et de
salaires versés dans les années 1668-1671 et autres, peut provenir – en
dehors de possibles manipulations de comptes – d’un fait non inscrit dans
les registres mais qui revenait dans divers témoignages, à savoir qu’une
partie des travailleurs ne touchaient pas de salaire (corvée, travail forcé
des détenus, esclaves du Beylik, etc.).
Des sommes étaient allouées à l’achat de vêtements, de chaussures, de
chéchias pour les travailleurs chrétiens, ce qui n’entrait généralement pas
dans la partie en nature du salaire des ouvriers. On a eu besoin de louer une
shaytiya (saëte) pour transporter le bashmât (pain bis) à la carrière de pierre
du Chenoua. Des tonnes de pain bis pour les ouvriers d’une seule des
carrières exploitées en ces années. Cela fait probablement des milliers
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 259
d’ouvriers, alors que les montants des salaires versés variaient d’une semaine
à l’autre entre 300 et 500 D., soit la paie de quelques centaines d’ouvriers.
Voici à titre de comparaison ce que représente en pourcentage du salaire
total le salaire en numéraire et le prix de la nourriture :
Les derniers salaires concernent des moissonneurs sur les terres d’un
grand marchand d’Alger. Le prix du pain était particulièrement élevé.
notons enfin l’écart disproportionné entre la part du prix du pain dans
le coût total de la nourriture des ouvriers des chantiers publics en 1668-1669
et des ouvriers travaillant chez des privés au XIXe siècle.
Prix du pain en % du prix total de la nourriture :
1668-1669 22,78
1806-1807 61,49
1819-1820 78,95.
Il est vrai qu’en 1668-69 le Beylik offrait à ses ouvriers comme
accompagnement du pain, de la viande et des légumes cuisinés alors qu’en
1806-1807 on leur donne un peu d’huile et en 1819-1820 du petit-lait.
Sans doute, la soupe officielle est toujours trop bonne pour paraphraser
Braudel, mais la raison fondamentale est ailleurs : les années 1668-1669 se
situent dans une période d’exceptionnels bas prix des céréales tandis que les
années 1806-1807 et 1819-1820 sont des moments de graves crises alimentaires.
Salaires à la campagne
à ceux qui croient encore aujourd’hui aux idées reçues de «l’économie
fermée» et à l’inexistence de travail salarié à la campagne, on recomman-
dera de faire une visite au Louvre. Ils y trouveront une «épitaphe du
moissonneur de macta», datant d’environ 250 après J.-C. dont le texte
traduit en français est le suivant :
«Lorsque revenait l’époque de l’année où les moissons étaient mûres,
j’étais le premier à couper mes chaumes, lorsque paraissaient dans les
campagnes les groupes de moissonneurs qui vont se louer autour de Cirta,
la capitale des numides, ou dans les plaines que domine la montagne de
Jupiter, alors j’étais le premier à moissonner mon champ. Puis quittant mon
pays, j’ai moissonné pour autrui, sous un soleil de feu. Pendant onze ans,
j’ai commandé une équipe de moissonneurs et j’ai fauché le blé dans les
260 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
3. Salaires en nature
Un acte dressé par le substitut du cadi (nâ’ib al-qâdî) dans la région de Flissa
concernant le partage de l’héritage d’un certain cAlî al-Chargui (AOm, Aix,
1 mi 2 Z 3, date illisible) donne les détails de la récolte d’une parcelle et les
dépenses en nature qu’elle a occasionnées.
La récolte du blé a donné 19 sâc 3 huitièmes (mesure locale), le loyer d’un
taureau pour le battage a coûté 1 sâc, le moissonneur (appelé ici mqâtic,
«travailleur à forfait») a coûté 2 sâc, et le salaire du forgeron 3 huitièmes de
sâc. Les frais de la récolte ont donc coûté 18,98 % du total de celle-ci.
L’orge a donné 14 sâc 3 huitièmes.
On a donné : 1 sâc pour le loyer du taureau
1 sâc 2 huitièmes pour le moissonneur
3 huitièmes de sâc pour le forgeron.
soit 21,42% de la récolte.
En gros, ici, les frais de la récolte tournent autour du cinquième du
produit, ce qui dénote un rendement agricole assez médiocre.
La Twîza
Dans les comptes d’un hawsh, à côté de salaires versés aux ouvriers et autres
dépenses, sont consignés des frais de nourriture pour des moissonneurs
employés dans le cadre d’une twîza. Il s’agissait d’une corvée de moisson
à laquelle les autorités ont contraint les populations locales. Comme un
hommage du vice à la vertu, pour nommer ce travail forcé, les hommes du
pouvoir ont utilisé le mot «twîza», ce beau nom d’une vieille tradition
d’entraide et de solidarité de groupe, exercée généralement comme échange
de services plus ou moins équivalents, mais aussi comme aide désintéressée
en travail, fournie gratuitement au profit des plus démunis.
et de la course. Faisaient exception à cette règle, d’une part les marins qui
étaient souvent des berranis d’origine modeste et qu’on étudiera ailleurs,
et les jardiniers d’autre part.
à la différence des journaliers des chantiers publics ou privés, la nature
du travail des jardiniers les fixe en quelque sorte au sol, à l’emploi et à
l’employeur pour une durée relativement longue. C’est pourquoi lorsqu’ils
étaient salariés, et non pas métayers ou fermiers, ils étaient payés non pas
à la journée, mais au mois dans la région d’Alger et à l’année dans le
Constantinois. Les indications sur la région d’Alger traduisent une similitude
de situations. Elles sont tirées des registres de Bayt al-mâl et concernent des
inventaires après décès de jardiniers morts dans la propriété de l’employeur.
Quelle que soit la durée de leur travail, leur salaire compté sur une base
mensuelle, n’est pas perçu mais gardé par le propriétaire qui se charge
d’effectuer sur cette somme les dépenses qui leur sont nécessaires (achats
d’habits, règlement de dettes, etc.). Ils n’ont ni loyer ni nourriture à payer,
ce qui compense largement leur manque à gagner en espèces par
comparaison avec les manœuvres journaliers. De même, la présence
permanente sur le terrain et les autres servitudes de ce type de travail
semblent compensées par les rapports de confiance et de proximité de type
patriarcal avec le propriétaire.
Comme on l’a vu plus haut, le mouvement des prix n’est pas seulement
déterminé par les fluctuations de la monnaie, mais la stabilité de la monnaie
a toujours eu de l’importance pour les salariés. Ce sentiment mille fois
exprimé par les chroniqueurs, jurisconsultes, voyageurs, etc., trouve sa
justification dans les larges coïncidences entre périodes de stabilité monétaire
et périodes relativement favorables aux salariés comme le montrent les
tableaux qui vont suivre.
On a cherché à établir, année par année, le pouvoir d’achat du salaire quoti-
dien d’un manœuvre du bâtiment. Celui-ci consacrait une partie importante
266 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Les années de monnaie stable sont massivement situées dans des périodes
favorables aux travailleurs et les années défavorables aux salariés se trouvent
principalement dans les périodes de monnaie instable.
On peut aussi relever que chaque période faste est suivie de temps plus durs
pour les travailleurs. Il serait cependant hâtif d’en conclure qu’il s’agit des
fameuses phases A et B d’un cycle long quasi centenaire dans certains cas.
D’abord parce que les années présentes sur le tableau représentent moins
de la moitié de l’ensemble des années de l’époque envisagée et sont parfois
dispersées de façon qui ne permet pas des conclusions de ce type.
Ensuite, les situations favorables ou défavorables aux salariés en termes
de rapports prix du blé/taux de salaires ont des origines diverses. Comme
on l’a vu plus haut, une révolte qui bloque le ravitaillement de la ville peut
entraîner une forte hausse des denrées alimentaires. Une épidémie qui
ravage les classes populaires raréfie la main d’œuvre et augmente son prix.
Les années fastes pour les ouvriers ne sont pas donc nécessairement signes
de prospérité générale. mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt, le phénomène
général de fluctuation des prix des denrées alimentaires est en corrélation
directe et systématique avec la situation des récoltes.
Enfin chacune de ces quatre périodes a des traits particuliers qui entrent
dans la formation de sa physionomie globale. Un découpage de caractère
plus général ne coïnciderait pas forcément avec une périodisation en termes
de pouvoir d’achat du salaire des ouvriers.
Ces réserves étant faites, arrêtons-nous un peu plus longuement sur la
période 1655-1701.
Vaches maigres :
Par ailleurs, on sait que les dégâts causés à la population par les épidémies
sont d’autant plus forts que celles-ci sont accompagnées ou précédées de
pénuries alimentaires. C’est le cas des années 1660-1667 qui enregistrent de
fortes hausses des prix des céréales. Il est vrai que les séries relativement
solides des prix de l’huile et des céréales commencent en 1669. Cependant,
malgré leur caractère isolé, les prix des années qui les ont précédées se
confirment les uns les autres par leur convergence alors qu’ils sont tirés de
documents différents.
Prix de l’huile et du blé en jornata de manœuvre
année qulla d’huile sâc de blé année qulla d’huile sâc de blé
1655 11,67 1675 7,43
1659 12,00 1680 11,50 6,40
1660 14,00 1682 11,37 5,00
1661 24,00 1683 14,83 5,94
1662 20,00 1684 13,93 3,74
1665 15,50 1689 10,14
1666 17,40 10,00 1690 13,08 10,28
1667 14,20 15,00 1691 24,88 5,58
1668 13,00 3,33 1692 15,95 6,77
1669 13,20 3,33 1693 20,12 8,63
1670 13,08 1694 24,52 7,65
1671 17,13 1696 12,96 8,70
1672 20,21 3,20 1697 18,19 6,58
1673 12,13 1698 21,44 8,00
1674 14,00 6,80 1699 21,46 5,00
268 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Et vaches grasses :
Les années 1668-1672 n’ont pas d’équivalent dans toute la période étudiée.
Un sâc de blé ne coûte que 3,30 jornata de manœuvre. trois journées de
travail pour payer la consommation en céréales d’un mois pour un
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 269
célibataire. Cela laisse une confortable base pour une nourriture plus variée.
Un litre d’huile d’olive coûte une journée de travail. Deux autres jornata pour
10 livres de viande (soit un peu plus de cinq kilos). Le loyer mensuel d’une
chambre dans un fondouk revient à un peu moins de deux jornata. C’est
aussi, en comptant large, la dépense mensuelle pour les vêtements. Les
autres dépenses, en tenant compte du mode de vie ouvrier qui ressort des
témoignages de divers auteurs et des inventaires après décès, doivent
encore nécessiter trois à quatre jornata. Dans cette situation, l’ouvrier
célibataire peut économiser environ la moitié de ses gains. Les années
particulièrement difficiles peuvent réduire considérablement ces économies.
mais comme le montre le tableau, les années dures sont rares ou inexistantes
entre 1668 et la fin du siècle.
Un chef de famille composée de quatre ou cinq personnes ne peut pas faire
beaucoup d’économies même si d’autres membres de la famille contribuent
par leurs apports divers à l’entretien de l’ensemble. Il faut ici rappeler d’un
mot que les résultats partiels du dépouillement des inventaires après décès
indiquent une dominante assez nette, à savoir que les ouvriers berranis
étaient massivement célibataires. Ceux parmi eux qui étaient mariés avaient
très rarement au moment de leur mort deux enfants ou plus. Les parents
proches qui se trouvaient au même moment en ville étaient généralement
des frères ou des cousins, parfois des ascendants, très rarement des conjoints
et encore plus rarement des enfants. On ne peut pas cependant généraliser
ces indications à toute l’époque ottomane, l’essentiel des données sur les
décès étant concentré comme on l’a dit plus haut dans les trois premières
décennies du XIXe siècle.
On ne peut pas non plus généraliser les conditions de vie des ouvriers,
exceptionnellement favorables des années 1668-1672 à l’ensemble de la
période 1668-1701. Les années 1680-1684 s’en rapprochent. Le blé était plus
cher avec une moyenne de 5 jornata pour 1 sâc, mais l’huile d’olive était
beaucoup moins chère avec une dominante de 12 jornata pour une qulla
contre 18 pour les années 1668-1672. Pour l’ensemble des années 1668-1701,
la situation la plus fréquente (10 années sur 18 présentes dans le tableau)
allait de 5 à 7 jornata de manœuvre pour un sâc de blé. Si l’on reprend les
éléments du budget-type qu’on vient d’aborder et qu’on se reporte à
l’ensemble des prix pratiqués pendant ces années, la conclusion que l’on peut
en tirer est que la deuxième moitié du XVIIe siècle est moyennement
favorable aux ouvriers.
Ce n’est pas le cas des années 1702-1764.
270 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Un regard rapide sur le tableau montre les grandes lacunes qu’il comporte.
Seulement 23 années y sont présentes sur une durée qui en compte 63.
Aucune donnée sur la décennie 1740 ni sur 7 années de la décennie suivante.
En particulier, nous n’avons rien de précis pour les années de cherté de
1739-1742 qui furent à la fois une période de famine et d’épidémies dans tout
le maghreb. toutes ces insuffisances rendent la représentativité de nos
informations toute relative. Ce qui incite à la prudence mais n’empêche
pas d’étudier au mieux possible les éléments d’informations disponibles.
En comparant les premières années de ce tableau avec les dernières années
du tableau précédent, on est frappé par les discordances des mouvements
des prix des céréales et de ceux de l’huile d’olive. Alors que le prix d’un sâc
de blé revient en 1702 à près de 3 fois le nombre de jornata qu’il coûtait en
1699 (14,5 au lieu de 5), le prix de l’huile d’olive exprimé en nombre de jornata
est en baisse dans les années 1703-1704 par rapport à 1698-1699 (près de 15
jornata au lieu de 21). Cette évolution tient au fait que les deux denrées
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 271
Vingt et une années sont présentes dans le tableau sur une période qui en
compte 39, soit un peu plus de la moitié. Quoique réparties de façon inégale
sur les différentes décennies, les années de crise (1777-1782) y sont présentes,
ce qui donne un certain équilibre à l’ensemble. En effet, la crise agricole de
1777-1782 est la seule crise grave de toute cette période. La décennie 1790
est peu représentée dans le tableau. mais les indications relevées dans la
correspondance de la Compagnie Royale d’Afrique montrent une décennie
où dominent les bonnes récoltes sauf les années 1792 et 1796 plutôt moyennes
et surtout 1798 où «la récolte fut mauvaise dans tout le royaume».
Comme le montre le tableau, pendant deux décennies les années
particulièrement favorables aux bas salaires se suivent sans discontinuité.
De 1783 à 1795, un sâc de blé revient six fois sur huit à un peu plus ou un
peu moins de cinq jornata de manœuvre. En cette période de facilité pour
le petit peuple, l’abondance d’argent liée aux fortes exportations de céréales
et à d’autres facteurs extra-économiques, attire en grande quantité des
produits jusqu’ici réservés aux gens plus aisés (café, sucre, tissus, montres
et autres produits importés d’Europe ou du moyen-Orient).
En comparaison avec la phase faste de la deuxième moitié du XVIIe siècle,
la période 1765-1803 présente quelques traits particulièrement intéressants:
grande continuité des phases de bas prix comparés aux salaires : 1765-1772;
1783-1795. Cet enrichissement du salaire réel est accompagné d’une séculaire
stabilité monétaire et du développement de la production agricole encouragé
par l’essor des exportations et par la stabilité politique qui couvre toute la
période. Cette stabilité politique a sans doute profité des conditions
économiques et sociales favorables. mais elle n’est pas étrangère à l’instauration
d’un climat de sécurité et de confiance qui a influencé les autres facteurs.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 273
1. Cf. m. Eisenbeth, op. cit., p. 377 : «suivant une complainte judéo-arabe, les morts
auraient été de quarante-deux».
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 275
Les années 1820 sont des années de convalescence après les grandes
épreuves. Le prix du blé baisse. malheureusement, les indications sur les
salaires des ouvriers s’arrêtent en 1823. Les comptes des divers chantiers
donnent des précisions sur les prix et non sur les salaires dont on donne
seulement le montant global. Vu la grande stabilité des salaires en période
normale, nous avons supposé qu’ils ont été maintenus en l’état dans les
276 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Relevés de salaires
D’après les documents des compagnies du corail étudiés par P. masson 1,
les Algériens employés au Bastion de France et à Bône par ces compagnies
étaient payés, dans les deux dernières décennies du XVIe siècle, deux écus
soleil par mois.
à La Calle en 1629, les mêmes compagnies payaient ainsi leurs employés
par mois (en livres tournois) :
le capitaine 30
les soldats 9
les hommes qui chargent le blé 6à9
maître d’hôtel, cuisinier 9
serviteurs 6
gardiens du bétail 7
à cette époque, une livre tournois valait 2,32 doblas.2
Selon l’«état des dépenses de bouche à Collo en avril 1732» 3 la compagnie
payait le trucheman (l’interprète) 4 piastres et le «domestique maure» 1
piastre par mois.
La même compagnie payait à Bône en 1753, le «domestique maure» 2
piastres par mois, le cuisinier touchait 3 piastres et l’interprète 4,17 piastres.
valait entre deux aspres et trois aspres et demie, soit 10 pour 1,89 à 2,83 sous.
Les chiffres mentionnés par Boutin 1 sont très proches de nos relevés, tout
en étant un peu plus élevés. D’après lui, en 1808, les maîtres ouvriers étaient
payés 30 à 35 sous et les manœuvres 15 à 18 sous. Les chiffres de nos relevés,
convertis en sous donnent 13,75 à 16,50 sous pour les manœuvres et le
double pour les maîtres ouvriers.
Shaler 2 note qu’ordinairement un domestique kabyle était payé chez les
consuls et autres résidents étrangers dans les années 1820, 2,5 dollars par
mois. Il ajoute que le salaire quotidien des manœuvres était de 0,60 à 0,70F;
les macallim touchaient selon lui 1 ryâl boujou, soit dans les années 1820
autour de 1,80 F.
D’après les comptes établis au consulat américain à Alger 3, un serviteur
italien était payé 5 dollars par mois.
Comme on l’a vu plus haut, les jardiniers kabyles qui travaillaient dans
les djnân publics ou privés étaient payés 5 boujoux par mois, ce qui
correspond dans les années 1820 à un peu plus ou un peu moins d’1,67 dollar.
On sait que parmi les auteurs français des années 1830, Rozet est l’un des
plus cités. Auteur réputé sérieux à bon droit et dont l’ouvrage (Voyages, 3 vol.)
est plein d’informations utiles. Quand Rozet décrit de visu ou rapporte des
témoignages directs ou proches dans le temps, ses indications sont souvent
sérieuses. Par contre, lorsqu’il traite de l’époque ottomane, il peut condenser
en une seule phrase des données chiffrées tirées par exemple de Venture de
Paradis, de Boutin et de Shaler confondant ainsi des situations très différentes
s’étalant sur près d’un demi siècle. Or en matière de prix et de revenus, une
périodisation fine s’impose. On cite ici Rozet. On pourrait aussi bien citer
Baudicour ou Genty de Bussy ou Juchereau de Saint Denis où on trouve le
même type d’informations. Dans Voyages, II, p. 26-27, Rozet note : «sous le
règne du Dey, les Berbères qui venaient travailler à Alger et dans les
campagnes de cette ville, étaient payés quatre mouzounes ou cinq sous par
jour et quatre pains noirs qui valaient deux sous les quatre... ils ne mettaient
pas six mois sans retourner au pays». La dernière phrase est tirée de Shaler
qui décrivait la situation à Alger à un moment de grande insécurité pour les
ouvriers kabyles soupçonnés et maltraités en raison des révoltes qui éclataient
dans leur région d’origine. Les autorités turques d’Alger appliquaient en effet
le sinistre principe de «responsabilité collective» que les autorités coloniales
françaises ont intégré au fameux «code de l’indigénat».
Les cinq sous sont de Venture de Paradis. En 1830, et quelques années
auparavant, 4 mouzounes valaient 6 sous, mais les manœuvres n’étaient plus
payés 4 mouzounes mais 6 ou 7 et on leur donnait toujours cinq pains et du
«jwâz» (aliment d’accompagnement).
1. Reconnaissance..., p. 8.
2. Esquisse..., p. 122.
3. A.N., Paris, 253 mi 4 vol. 9, corresp. Bruell, A. 16 nov. 1818.
mOnnAIES, PRIX Et REVEnUS 279
La conquête d’Alger
L’ouvrier qualifié (çâni c, maître ouvrier comme on disait jadis) et le macllim
(maître artisan) sont des artisans (maçons, menuisiers, charpentiers, calfats,
forgerons, peintres en bâtiment, tailleurs de pierre, etc.) payés à la journée
ou à la semaine, touchant deux ou trois fois, ou plus, le salaire d’un
manœuvre. Entre celui-ci et eux, il n’y a pas de barrière infranchissable.
Avec du soutien, du temps et de l’effort, certains manœuvres deviennent
maîtres ouvriers. Quoiqu’il en soit de l’influence des différents facteurs qui
ont favorisé la promotion sociale à Alger, un fait majeur marque à partir de
la deuxième moitié du XVIIIe siècle la morphologie ethno-sociale de la ville.
C’est la montée en puissance des autochtones et l’assimilation largement
avancée des allogènes y compris les enfants de turcs appelés Kouloughlis,
ayant leur particularisme mais de plus en plus en voie d’assimilation. Le
travail manuel, salarié ou indépendant, est dans une large mesure désormais
assuré par les enfants du pays. L’esclavage devient un phénomène marginal
ainsi que son corollaire, le rôle des convertis. Le nombre des janissaires
tombe au tiers, sinon au quart de ce qu’il était à certains moments du XVIIe
siècle. De nouveaux paliers s’ouvrent à la promotion sociale de la partie la
plus dynamique des émigrés berranis. Leur masse reste bien sûr cantonnée
dans le travail manuel et autres petits emplois précaires et mal rétribués. mais
dans beaucoup de secteurs, on voit percer des hommes d’origine modeste,
venus de l’intérieur du pays. On peut multiplier les exemples. Au XVIIe
siècle, l’amîn des maçons était généralement andalou. Fin XVIIIe et début XIXe,
il s’appelle muhammed cArab. Il est de Kabylie. Un autre amîn est de
Zemmoura, etc. Comme on l’a vu plus haut à propos de jardiniers kabyles
partis avec les corsaires, de simples ouvriers berranis choisissent l’aventure
maritime. Certains ouvriers ou artisans devenus marins, gravissent tous les
échelons et atteignent parfois le niveau le plus élevé comme l’amiral de la
flotte, le raïs hamidou. D’autres deviennent capitaines de navires corsaires
comme les raïs Qaddûr, Dahmân, hamdân et cAmrûsh, pour ne citer que ceux
dont les noms indiquent clairement l’origine. Ben cIssa qui commandait la
défense de Constantine, contre l’armée française, était inconcevable un siècle
plus tôt. Les réussites exceptionnelles de berranis existaient dans le passé.
Le nouveau, dans les dernières décennies de l’époque ottomane, c’est leur
multiplication à un rythme sans précédent. C’est surtout pendant la période
faste qui couvre une grande partie de la deuxième moitié du XVIIIe siècle,
la possibilité pour de simples ouvriers, qualifiés ou non au départ, de faire
des économies substantielles qui leur permettent de s’installer à leur compte.
On aurait aimé trouver dans nos registres de quoi tracer la stratégie et le
parcours suivis par un ouvrier berrani qui aurait fini par constituer une
fortune et occuper une place enviable. malheureusement, il n’y a pas
l’équivalent des registres de janissaires, étudiés par Jean Deny, où l’on peut
suivre la carrière d’un soldat depuis son recrutement jusqu’à sa mort. Les
280 REChERChES SUR L’ALGéRIE à L’éPOQUE OttOmAnE
Il n’est pas indispensable de résumer les résultats dégagés dans chaque
partie du présent volume. Nous insisterons ici sur ceux qui contribuent à
dessiner une situation globale.
La première partie a montré la variété des facteurs qui agissent sur le
plan monétaire et qui sont illustrés par les données suivantes :
– la période 1580-1620 est marquée par de graves perturbations monétaires:
effondrement de la valeur de l’aspre, monnaie de base de l’époque,
accompagné d’une hausse explosive des prix, notamment dans le domaine
de l’immobilier et du foncier. Cette période a pourtant connu une prospérité
exceptionnelle liée à la course. F. Braudel la décrit comme la «seconde
fortune d’Alger... aussi éclatante que la première, sûrement d’une ampleur
accrue». 1
– malgré la stabilité remarquable de la monnaie d’Alger entre 1630 et
1685, cette époque a connu des famines et des épidémies parmi les plus
terribles et une instabilité politique sans précédent.
– à l’inverse, la stabilité monétaire peut coïncider avec un équilibre
politique et une prospérité économique de longue durée, comme ce fut le
cas dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Prospérité indéniable qu’il faut
quelque peu relativiser. Elle touche surtout Alger et les régions exportatrices
du Constantinois et de l’Oranais et bénéficie spécialement aux groupes
dominants et à leurs clientèles.
– comme on peut le constater entre 1795 et 1805, la stabilité de la monnaie
s’accompagne d’une hausse des prix des produits agricoles. Dans certaines
régions, cette hausse s’amplifie du fait de l’intervention du pouvoir soucieux
d’exploiter à son profit le boom des exportations.
– à d’autres moments, le pouvoir cherche, par des mesures parfois
inefficaces, à juguler les prix des grains et à stabiliser la monnaie, de crainte
des rebellions populaires et militaires.
Ces éclairages partiels demandent à être développés sur des bases plus
larges. Ils ne servent qu’à illustrer l’idée, somme toute banale, que la monnaie
n’est pas le démiurge de la vie économique, mais un moyen parmi d’autres
dont se servent les hommes dans des situations déterminées.
L’analyse des mouvements des prix et des revenus confirme la pertinence
du modèle labroussien appliqué aux crises de subsistance qui ont jalonné
1. Fernand Braudel, La Méditerranée..., t. 2, p. 205.
282 REChERChES SuR L’ALgÉRIE à L’ÉPOquE OTTOMANE
l’histoire de l’Algérie à l’époque ottomane. Des études 1 sur les pays arabes
et sur la Turquie de la même époque, décrivent des situations similaires sans
se référer à ce modèle, dont la portée universelle se trouve illustrée par la
multiplicité des cas observés à travers le monde. La reproduction du même
phénomène résulte du même type de conditions générales d’une économie
à dominante agricole et en partie marchande, et non d’un quelconque
placage mécanique du modèle théorique.
Examinons de près l’adéquation du modèle à la situation étudiée.
Commençons par rappeler le cas saisissant de la crise de 1805 où les faits
s’enchaînent ainsi : mauvaises récoltes, révoltes, assassinat du dey et de
ses ministres, suivi de règlements de comptes en série au sommet et de
l’extension des révoltes populaires.
Avant de connaître un sort tragique, le dey Mustafa Pacha et ses
collaborateurs s’étaient immensément enrichis par l’exportation des céréales
vers l’Europe en guerre à des prix de plus en plus élevés. Exportation qui
a continué alors que la famine sévissait à Alger. On est là devant le
phénomène classique des crises agraires d’ancien type qui frappent
violemment les classes populaires mais profitent amplement à certains
groupes privilégiés.
La crise de 1805 n’est pas exceptionnelle. Rappelons à ce propos que c’est
à la suite des famines qui ont sévi à Alger que la destruction du «Bastion
de France» a été décidée en 1604 et en 1637 pour apaiser les groupes qui le
rendaient responsable du manque de grains du fait de ses achats massifs.
La Calle a failli connaître le même sort en 1763.
Pour prévenir de telles situations et les révoltes qu’elles engendrent, le
besoin d’assurer le pain quotidien des populations des villes à des prix
accessibles, était devenu une préoccupation prioritaire des hommes au
pouvoir. C’est, en particulier, le cas lors de la famine de 1817. La
correspondance du consul américain, les Mémoires de Zahhâr et Tachrifat nous
décrivent dans le détail les mesures gouvernementales prises pour faire
face à la situation : importation et distribution massive de blé aux
boulangeries, fixation de leur marge de bénéfice et du prix du pain, etc. On
assiste là à une prise en compte des tendances manifestées dans la société.
Elle signale une des formes de l’exercice du pouvoir à l’époque.
Interrogeons-nous maintenant sur quelques constats et dégageons-en la
signification :
– L’étude des revenus montre que le moyen le plus rapide d’accumuler
des richesses est lié à la détention d’un commandement politico-militaire.
1. Cf. les auteurs cités plus haut sur les pays du Maghreb. Sur l’Égypte, André Raymond,
Artisans et commerçants du Caire, Damas, 1973-1974, 2 vol. ; sur la Syrie, A. Abdel Nour,
Introduction à l’histoire urbaine de la Syrie ottomane (XVIe-XVIIIe siècles), Beyrouth, 1982, et A. Rafeq,
The Province of Damascus, 1723-1783, Beyrouth, 1966 ; rappelons surtout les travaux pionniers
d’O. L. Barkan, et de ses élèves sur la Turquie.
MONNAIES, PRIX ET REVENuS 283
Il advient qu’un tel avantage s’étend aux hommes de confiance du dey, du
khaznadji, du bey, de l’agha, etc. Ce lien intrinsèque entre pouvoir et grande
fortune est un fait massif qui saute aux yeux et ne se dément jamais tout au
long de la période étudiée. On est immensément riche à Alger, à Constantine,
à Mascara, à Mostaganem, à Bône, dans certaines villes de moindre
importance et dans les régions rurales si on est «roi dans son royaume».
quant aux râyis, leur enrichissement est certes moins dû à une position
de pouvoir qu’à l’étendue de leurs prises maritimes. Mais leur position
dans la Marine les assimile aux dirigeants en place.
– Les rapports avec le monde extérieur sont à l’origine de formes
particulières de dépendance. Se pose par exemple la question de savoir
pourquoi la monnaie d’Alger est dominée pendant plus d’un demi-siècle
par une monnaie étrangère, la piastre sévillane qui, de plus, provenait d’un
pays en guerre permanente avec l’État d’Alger. Cette même piastre, coupée
par la suite à Marseille dans des formes convenues avec Alger, va continuer
à jouer un rôle prépondérant. Elle donnera à la monnaie d’argent d’Alger
ses dénominations officielles, ryâl, dûro et bûjû.
– Cette dépendance couvre aussi le «siècle du blé» (1745-1815), siècle de
prospérité qui acquiert une ampleur croissante à partir de 1765. On peut
envisager son action et ses effets de diverses façons. un exemple : divers
auteurs et témoins occidentaux constatent l’abondance de monnaie à Alger
et la rendent responsable de la montée des prix à partir des années 1790.
Or elle résulte, comme on l’a vu, des apports conjugués de la course, du
commerce extérieur et du haut prix en piastres, payé par l’Espagne lors
des accords de paix et de commerce entre les deux pays. Le cumul de tous
ces apports pendant le quart de siècle le plus fructueux en termes de
«rentrées de devises fortes» (1792-1815) donne, selon notre évaluation,
moins d’un million de piastres fortes par an. Cette somme bouleverse la
situation monétaire, affecte le mouvement des prix, améliore les conditions
sociales des citadins et enrichit de façon extraordinaire les groupes
dominants. Des conséquences aussi importantes résultent d’une somme
aussi limitée, comparée par exemple à la valeur du volume du commerce
extérieur de Marseille, sans parler de l’Angleterre ou de la hollande de la
même époque. Cela donne la mesure de la pauvreté du pays.
– En d’autres termes, le secteur marchand qui joue pourtant un rôle
moteur dans les changements, reste relativement marginal. Dans sa partie
la plus dynamique et aussi la plus visible, orientée vers l’extérieur, ce secteur
dépend essentiellement de facteurs qui échappent aux autochtones. Par sa
capacité d’enrichir momentanément les groupes prépondérants et
d’améliorer les conditions de vie d’autres groupes, il apparaît comme un
élément de reclassements sociaux à l’intérieur de la société algérienne.
D’autre part, il renforce la dépendance à l’égard de l’Europe. L’engrenage
est à la fois complexe et multiforme. L’enrichissement suscite des besoins
284 REChERChES SuR L’ALgÉRIE à L’ÉPOquE OTTOMANE
et des goûts nouveaux. La demande d’objets de luxe et de confort domestique
en provenance de l’Europe s’accroît. Les draps anglais, les tissus de luxe
italiens, les horloges, les montres, les meubles et d’autres objets précieux et
signes de distinction envahissent les demeures aristocratiques et bourgeoises.
L’appel de «modernité» dans ce qu’il peut avoir de plus légitime et de plus
indispensable est aussi dans ces conditions un facteur de dépendance. Née
d’un décalage historique, par rapport aux pays du Nord, celle-ci se manifeste
également dans les «innovations» techniques introduites dans le pays. Pour
fondre l’acier et fabriquer des canons, on fait désormais appel à des
ingénieurs européens. Pour obtenir de meilleurs résultats dans la production
de céréales, on demande aux compagnies européennes clientes de livrer des
socs performants. On n’envisage pas de former les médecins, ingénieurs,
etc. On les demande aux Européens. La pratique de la technicité moderne
ne touche que le secteur militaire et d’une manière restreinte.
Les emprunts à la modernité restent confinés au domaine de la
consommation. L’effet du boom des exportations et de la course, lié aux
guerres européennes de 1792-1815 les amplifie et leur donne une allure
fiévreuse. Mais au terme de ces guerres, les vecteurs de l’abondance
s’effondrent entièrement. On entre alors dans un engrenage. Plus on cherche
à éviter la dépendance, comme l’a fait le dey hussein, plus elle devient
inévitable.
– En juillet 1830, lorsque le dernier dey quitte Alger suivi de quelques
quatre mille janissaires, il laisse derrière lui un pays en ruines. Déclin
démographique, effondrement de la production agricole, révoltes en séries
et répressions sanglantes traduisent à leur façon la crise d’un système et celle
d’une société.
D’accord sur le diagnostic, les témoignages contemporains divergent sur
les causes. «L’imputation au politique» découle d’une profonde logique
d’époque. On la retrouve dans les explications savantes et dans les réactions
populaires spontanées ou manipulées par des candidats au pouvoir. Or on
sait aujourd’hui que dans les crises économiques et sociales d’ancien type
qui débouchent sur des révoltes ou des changements de régime politique,
la part du politique apparaît fortement à la surface, mais les facteurs
fondamentaux qui n’agissent pas directement sur le même plan, sont à
chercher ailleurs.
Dans le cas algérien, la crise du système politique fait partie du déclin
irrémédiable qui frappait l’empire ottoman confronté au poids grandissant
des puissances occidentales sur la scène mondiale. Elle a été aggravée par
les règlements de comptes entre clans politico-militaires suite à l’assassinat
de Mustafa Pacha en 1805. Elle a ouvert la voie aux religieux comme groupe
candidat au pouvoir.
une crise plus profonde frappait durablement la société algérienne. Divers
travaux l’ont expliquée par des causes naturelles. En effet, les mauvaises
MONNAIES, PRIX ET REVENuS 285
récoltes et les épidémies se succédaient à un rythme effroyable, comme si
un cycle de mort se substituait à un cycle de vie. Mais la responsabilité des
hommes n’était pas négligeable. Les groupes privilégiés se protégeaient
des fléaux mais se souciaient peu du reste de la population. De plus, les
révoltes et leur répression désorganisaient la vie économique et sociale et
prenaient leur part dans la généralisation du désastre. Le déclin
démographique amorcé à la fin du XVIIIe siècle sera aggravé après 1830 par
les guerres coloniales et la politique de pillage et de destructuration de la
société, pratiquées par les nouveaux occupants. Ce déclin va se poursuivre
pendant près d’un demi siècle. Il avait atteint dans les années 1870 un tel
degré que certains auteurs français 1 du moment prévoyaient l’extinction
définitive de la «race indigène» en Algérie et élaboraient une théorie générale
selon laquelle le contact entre «civilisations supérieures» et «populations
primitives» menait nécessairement à la disparition de celles-ci.
La suite a montré que ces spécialistes étaient de mauvais théoriciens du
contact entre civilisations et surtout de piètres observateurs sociologiques,
car au moment où ils prédisaient la disparition des indigènes en Algérie,
ceux-ci commençaient un redressement démographique spectaculaire et
durable.
à en juger par le déroulement du dernier siècle ottoman en Algérie, le
«contact» entre le Nord et le Sud de la Méditerranée a eu des effets complexes
et contradictoires. Il a joué un rôle dans la prospérité du XVIIIe siècle comme
dans l’effondrement qui s’en est suivi. Il a révélé des blocages structurels
qui font que les emprunts non assimilés de modernité agissaient non pas
comme des déclencheurs de progrès mais comme facteurs de perturbation
et de déséquilibre. La longue nuit coloniale a été préparée, comme la grave
crise de société qui l’a précédée, par les liens de dépendance tissés pendant
les belles éclaircies du XVIIIe siècle.
PoIds et mesures
Pour diverses raisons, il n’y a pas de solution entièrement satisfaisante au problème
des équivalences des poids et mesures utilisés en Algérie à l’époque ottomane.
Les registres du Beylik et autres documents à la base de nos séries des prix donnent
seulement les noms des mesures utilisées sans indiquer leur grandeur. Les textes de
références (Tachrîfât, Hâdhâ Qânûn, etc.) où on trouve quelques indications sur ces
grandeurs ne sont pas d’une précision suffisante pour établir une évaluation rigoureuse.
À partir de juillet 1830, l’administration française a pris des mesures en vue
d’arriver à des équivalences officielles. mais les rapports et notices qui traitent du
sujet, reflètent, dans leurs divergences, les différences existant sur place, en l’absence
d’étalons officiels ou plus exactement, en raison des pratiques non respectueuses de
ces normes. Cependant, il ne faudrait pas exagérer l’importance de ces variations,
ni se laisser impressionner par les procédés sophistiqués de la nouvelle bureaucratie
coloniale. L’obsession de la haute précision des chiffres cache mal le fait que cette
technocratie scientiste n’arrivait pas à cerner des réalités trop étrangères à son esprit
et trop complexes pour ses tendances à la simplification rationalisante. Ce trait
n’est pas spécifique à l’administration coloniale. Il semble caractériser largement
l’esprit nouveau de la culture post-révolutionnaire. Les auteurs, comme les
administrations répugnent à l’approximation et au chiffre rond. Avant d’arriver en
Algérie, ils y avaient dénombré 2.714.000 habitants. un peu plus tard, ils y compteront
exactement 124.946 chevaux, 825.868 bœufs et 5.928.687 moutons.
Naturellement, les poids et mesures n’échappaient pas à ce phénomène. un litre
de blé, c’est 0,7733 kg. on oubliait seulement qu’en fonction de la qualité et de la
pureté des grains, le poids d’un litre de blé pouvait aller en gros de 0,65 à 0,85 kg.
Comme on avait oublié que même les recensements très poussés de la population
au XIXe siècle restaient très approximatifs.
Prenons le cas de la coudée courante d’Alger, utilisée pour mesurer les tissus de
coton, les toiles, etc. Les Français l’ont appelé «le pic arabe» non sans raison,
puisqu’elle était d’usage général chez les «Arabes» avant l’arrivée des turcs. L’étalon
officiel de cette coudée date de l’époque zayyânide. A. Bel l’a examiné au musée de
tlemcen et en a donné la mesure exacte : 0,4873 m. Quant à la mesure officielle du
«pic arabe» d’Alger en 1830, elle était de 0,476 m selon les uns et de 0,500 m d’après
les autres. dire que cette coudée mesurait environ un demi-mètre est un degré de
précision qui suffirait largement pour notre objet d'étude. Cependant, nous prendrons
comme repères les équivalences établies par l’administration coloniale après 1830
et présentées par «l’intendant civil de la régence d’Alger», Genty de Bussy1.
Nous les présentons telles quelles avec leur excès de précision au millième près
et les commenterons par la suite.
1. Genty de Bussy, De l’État des Français dans la Régence d’Alger et des moyens d’en assurer la
prospérité, Alger, Imprimerie du Gouvernement, 1834, IIe partie, tableau n° 97.
288 reCherChes sur L’ALGérIe À L’éPoQue ottomANe
1. Poids
dénomination poids en grammes emploi
Qîrât (4 grains imaginaires) 0,207 g pierres précieuses
Mithqâl (24 grains de caroube) 4,669 g or ouvragé, perles fines,
essences, etc.
Ratl fidî (livre d’orfèvrerie) 497,435 g or et argent en barres,
monnaies
Ratl cattarî (livre d’épicerie) 546 g poids le plus usuel, pour
épices, droguerie, etc.
Ratl khaddârî (livre des légumes) 614,340 g légumes, fruits frais, herbages.
Ratl kbîr (grande livre) 921,510 g miel, beurre, fruits secs.
Les ratl se subdivisent en ûqîyah (onces) de poids variables selon les types de
produits. Leur multiple, al qintâr (le quintal) varie aussi de 100 livres à 150 livres.
2. mesures de capacités
dénomination volume en litres emploi
sâc d’Alger 60 litres grains, sel, légumes secs
qulla d’Alger 16 litres huile, vinaigre
sâc de Bône 100 litres grains
fanègue d’oran 102 litres grains.
3. mesures de longueur
dénomination longueur en mètres emploi
pic arabe 0,476 m toiles, tissus de coton
pic turc 0,636 m draps, étoffes de soie, etc.
4. mesures de superficie
La mesure principale est la zwîjah (littéralement paire de bœufs). selon le sol et
les régions, elle mesure entre 8 et 10 hectares. La demie zwîjah s’appelle fard
(bœuf). Pour les jardins, on utilise le feddan, corde valant tant de coudées, etc.
Commentaire :
toutes les mesures du tableau se subdivisent selon le système dichotomique
(moitié, quart, huitième, etc.)
Les céréales posent un problème particulier qui n’est pas spécifique à l’Algérie de
l’époque ottomane. on rencontrait les mêmes difficultés en europe dans l’utilisation
des mesures de capacité pour ces produits, car il ne suffisait pas d’avoir des grandeurs
étalonnées et de savoir les procédés de mesurage (ras, comble, grains sur bord,
etc.) pour aboutir à des résultats incontestables.
dans le cas d’Alger, le sâc coutumier, appelé sâc al-rahbah (sâc de la place des grains),
était mesuré comble. La différence entre ras et comble est relativement importante.
mais dans tous les cas, la mesure reste approximative et dépend de la vigilance et
de l’expérience des partenaires. en règle générale, l’opposition d’intérêts entre
vendeurs et acheteurs tend, tout de même, à établir une certaine régularité et un
certain équilibre relativement respectueux de l’usage courant.
dans la situation transitoire qui suivit la prise d’Alger en 1830, l’administration
française prit des mesures pour réduire l’arbitraire de la mesure comble. «un sâc de
58 à 60 litres ras (est) imposé par les Français car les Arabes l’emplissaient comble
moNNAIes, PrIX et reveNus 289
en y ajoutant du grain jusqu’à ce qu’il se verse de toutes parts, hors de la mesure (en
bois) au-dessus de laquelle il forme un cône ou une pyramide qu’on appelle kemla.»1
ras ou comble, tassé ou léger, pur ou mélangé de toutes sortes de grains, y
compris du sable et des cailloux, ces problèmes de mesurage et de qualité reviennent
souvent dans la correspondance des compagnies commerciales spécialisées dans
l’exportation des grains d’Algérie. Cela explique les difficultés d’attribuer une
contenance fixe à ces mesures. Le qafîz, mesure comble de Bône, était censé contenir
l’équivalent de 4,5 charges de marseille. dans les faits, cela dépassait parfois 5
charges ou descendait en-dessous de 4. Le qafîz comble était celui de la rahbah,
marché des grains de Bône. Les grains du Beylik étaient mesurés en qafîz ras qui
faisaient généralement autour de 3,5 charges de marseille et avaient relativement
une plus grande régularité.
Au comptoir de La Calle, la mesure (appelée en arabe mizûra) faisait un peu
moins de la charge de marseille (entre 155 et 160 litres) mais, dans les circonstances
favorables à la compagnie et avec la complicité des chefs locaux, les mesureurs du
comptoir se permettaient des mesures combles très généreuses qui augmentaient
sensiblement les bénéfices du comptoir et les primes des employés.
une question très importante est de savoir si les équivalences établies par
l’administration française étaient valables pour toute la période couverte par nos
séries de prix. Pour certaines mesures, la réponse est positive sans hésitation. on vient
de le voir pour le «pic arabe», multiséculaire. Il en est de même des poids (livre,
quintal, etc.) dont on trouve des équivalences dans les registres consulaires depuis
la fin du XvIe siècle.
Il reste à éclaircir les problèmes relatifs au sâc et à la qulla utilisés dans nos séries.
Les documents qui les mentionnent ne laissent aucune ambiguïté sur la continuité
de ces mesures depuis le milieu du XvIIe siècle jusqu’aux années 1820. Il est vrai que
sous le règne du dernier dey, apparaît dans certains documents la mention d’un sâc
jdîd (sâc nouveau). Il concernait des usages qui n’entraient pas dans les comptes
utilisés dans nos séries. mais le problème reste posé de savoir s’il s’agissait d’une
mesure destinée à être généralisée ou si elle visait des situations particulières.
d’autre part, l’affirmation selon laquelle la capacité de la qulla n’a été définie
qu’au XIXe siècle est démentie par Hâdhâ Qanûn (p. 13 et 14) qui indique pour
l’année 1040 de l’hégire (1630-1631) les grandeurs des différents poids et mesures,
y compris celle de la qulla. Il est vrai que ces grandeurs sont données en nombre de
livres, d’onces, etc., d’une façon tronquée et parfois confuse qui ne permet pas, en
l’absence d’autres indications, de les déchiffrer avec certitude. Il faut rappeler que
ces obscurités sont dues au fait qu’il s’agit d’une copie fautive et partielle du registre
officiel dont on ne connaît pas aujourd’hui la destinée. Cependant, même sous cette
forme, le recueil témoigne de l’ancienneté de la fixation officielle des poids et
mesures. on en trouve aussi quelques éléments dans Tachrifat qui enregistre par
exemple qu’en 1815, au moment de la disette, le pacha a distribué 10.000 sâc de blé
aux boulangers à 2,5 boujoux le sâc et qu’après expertise, on a déterminé qu’un sâc
de blé donnait 120 pains de 12 onces.2 de même, les comptes des registres du Beylik
et des habous et ceux des carnets de marchands se réfèrent continuellement à la qulla,
comme au sâc, en tant que mesures bien définies.
Bayt al-mâl : comme l’a montré M. H. Chérif pour la Tunisie 1, Bayt al-mâl
a connu dans l’Algérie ottomane, une évolution qu’il faut signaler. Jusqu’au
début du XVIIe siècle, on appelait à Alger «mawârîth makhzanîya»
(littéralement, héritages domaniaux) l’institution chargée d’administrer les
biens tombés en déshérence ou dont les ayants droit sont en état d’incapacité.
Cette institution est appelée Bayt al-mâl à partir du XVIIe siècle. Est-ce pour
justifier le glissement progressif de la gestion du fonds au profit d’œuvres
charitables et canoniques vers son utilisation de plus en plus marquée pour
les besoins propres de l’Etat qu’on a changé son nom ? On sait que Bayt al-
mâl désignait aux époques précédentes le «Trésor Public».
Beylik : est utilisé ici d’après l’usage courant en Algérie depuis l’époque
ottomane, à savoir dans le sens d’administration publique, pouvoir public,
chose publique, etc., et non dans celui de division administrative ou province
soumise à l’autorité du bey. Les registres du Beylik sont des registres de
l’administration centrale d’Alger, ou des administrations locales qui ne
sont pas nécessairement beylicales.
Habous : il n’y a pas à l’époque ottomane d’administration générale des
Habous mais des services par branches qui couvrent tout le territoire et
qui sont dirigés par un intendant (Habous de La Mecque et Médine, Habous
de la grande mosquée, subul al-khayrât, Andalous, etc.). On se demanderait
pourquoi les registres du Beylik et des Habous forment un seul groupe. En
fait, ils sont tellement imbriqués que ce regroupement paraît logique.
Documents des tribunaux judiciaires : Les archives ainsi nommées (en
arabe wathâ’iq al-mahâkim al-sharcîya) comportent en réalité, à côté des actes
notariés et judiciaires proprement dits, un grand nombre de documents
relevant de Bayt al-mâl, du Beylik et des Habous. De fait, toutes les catégories
de documents du fonds ottoman se recoupent souvent, comme on le verra
par la suite.
1. M. H. Chérif, «Les documents de Bayt al-mâl dans les Archives de la Direction des
Habous», in A. Temimi ed., La vie économique dans les provinces arabes et leurs sources documentaires
à l’époque ottomane, Zaghouan 1986, t. 3, pp. 209-212.
MONNAIEs, PRIX ET REVENUs 295
A. Sources manuscrites
I. FonDS ottomAn
sont classés ailleurs, aussi, des documents de successions vacantes qui dépendent
de Bayt al-mâl :
— Les registres du Beylik, n° 61 et 62 (228 Mi 17 vol. 61 et 62), concernent
entièrement ou en grande partie des listes de successions de la fin du XVIIIe siècle
et des débuts du XIXe siècle.
— Il en est de même du registre des tribunaux judiciaires dont une copie de
microfilm se trouve à l’AOMA sous la cote Aix 1 Mi 68.
— C’est le cas aussi du microfilm 15 Mi 52 qui comprend des listes de successions
des combattants morts dans les batailles navales et terrestres pour la libération
d’Oran. Ces listes vont de 1707 à 1709 et complètent utilement les listes des
combattants morts entre 1699 et 1701 consignées dans le premier registre de Bayt
al-mâl.
- 228 Mi 14 vol. 11. Carnet du négociant Ali al-Bahhâr. ses activités vont
de Tunis à smyrne en passant par Malte, l’égypte, Tripoli
de syrie, etc. La période va de 1795 au milieu des années
1830.
- 228 Mi 14 vol. 12. Concerne surtout des impôts ruraux. Nous avons
utilisé plus particulièrement les enregistrements de vente
de l’orge du Beylik dans les années 1137-1139 H./1724-
1727.
- 228 Mi 15 vol. 22 à Ces registres se rapportent à l’exploitation des hawsh
vol. 29. du Beylik dans la Mitidja, essentiellement dans les années
1820. A l’exception du volume 26 bis qui relève des
Habous, cette source forme un ensemble homogène d’une
grande richesse d’information sur le mode d’exploitation
des fermes du Beylik, gérées par des intendants qui avaient
sous leurs ordres des employés, des ouvriers agricoles,
des khammès (métayers au cinquième de la récolte), etc.
Beaucoup de renseignements sur les récoltes par zwîja,
par ferme, les salaires des ouvriers et des employés et les
liens avec les autorités locales et centrales. Ces
renseignements sont complétés par une sorte de «journal»
qui détaille l’activité de la mehalla dirigée par Yahya Agha
dans les années 1821-1823.
298 RECHERCHEs sUR L’ALgéRIE À L’éPOQUE OTTOMANE
3. Documents judiciaires
Le classement et la reproduction des documents judiciaires sous forme de
microfiches aux ANA fait que les nouvelles cotes ne correspondent plus à celles
utilisées pour les 70 bobines de microfilms des AOMA. Dans celles-ci le numéro qui
suit Z (par exemple, Aix 1 Mi 1 Z 1) correspond au numéro du carton. On indiquera
ici les numéros des cartons utilisés et leur contenu essentiel.
— Z 1 : succession du Caïd Radwân b. A. A. en 1603-1604. saisie et vente aux
enchères de biens d’anciens dirigeants (1670 à 1680) et deux documents de saisie en
1818. Conflits juridiques entre le pouvoir représenté par Bayt al-mâl et des particuliers
(même période). Actes de mise en habous en 1635.
— Z 2 à Z 5 : Transactions foncières faites par des hommes du pouvoir à Alger et
ses environs entre 1640 et 1794.
— Z 6 et Z 7 : Vente de boutiques, de jardins et de terres de labour à Alger, dans
le sahel d’Alger et dans la Mitidja (1747-1764). Ventes immobilières et successions
à Alger (1670, 1677 et 1734). Mises en faillite pour dettes (1796).
— Z 9 : succession d’un amiral en 1677-1678. Biens habous des descendants de sidi
Ahmed b. Yusuf.
300 RECHERCHEs sUR L’ALgéRIE À L’éPOQUE OTTOMANE
marine
B7 49 : Instructions au sieur Napollon, 14 février 1626.
microfilms utilisés
— 18 Mi 17 : Berthezène, Dix-huit mois à Alger et Lettres de Fougeroux.
— 18 Mi 25 : Rapports de l’Intendant Civil (1833).
— 18 Mi 30 : Contribution de la laine, 1830-1831, et ses critiques.
— 223 Mi 1 vol. 12 : Mémoires sur le royaume d’Alger, 1686 et 1687.
— 223 Mi 1 vol. 13 : Relation de ce qui s’est passé à Alger en juin 1731. Détail...sur...
l’arrivée de l’escadre française à la rade d’Alger en 1724. état des prises des Algériens
en 1749.
— 369 Mi 1 art. 1351 : Correspondance Le Vacher (1675-1683).
MONNAIEs, PRIX ET REVENUs 303
Les photocopies des documents judiciaires (série Z) que nous avons utilisées
proviennent en grande partie des 70 bobines de microfilms des AOMA cotées de Aix
1 Mi 1 à Aix 1 Mi 70.
De même, nous avons consulté les 4 bobines cotées aux AOMA de 15 Mi 50 à 15
Mi 53 dont il n’existe pas de copies à Paris. Elles font partie de la série Beylik mais
renferment aussi de longues séries de successions vacantes se rapportant à Bayt al-
mâl.
Beaucoup d’informations sur les corporations de Berranis sont tirées de deux
cartons de la série F80 : F80 556 et F80 557.
304 RECHERCHEs sUR L’ALgéRIE À L’éPOQUE OTTOMANE
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C
Introduction 7
I. MOUVEMENTS DE LA MONNAIE
CONCLUSION
281
Annexe : poids et mesures 287
sOURCes eT BiBLiOgRAPHie 291
collection
Bibliothèque d’Histoire du Maghreb
DiégO De HAëDO
Topographie et Histoire générale d’Alger
présentation de jocelyne Dakhlia
DiégO De HAëDO
Histoire des Rois d’Alger
présentation de jocelyne Dakhlia
PAUL RUff
La domination espagnole à Oran
sous le gouvernement du comte d’Alcaudete (1534-1558)
présentation de Chantal de La véronne
niCOLe s. seRfATy
Les courtisans juifs des sultans marocains, XIIIe-XVIIIe s.
Hommes politiques et hauts dignitaires
préface de Haïm zafrani
CLeMens LAMPing
Souvenirs d’Algérie [1840-1842]
Erinnerungen aus Algerien
traduction et présentation d’Allain Carré
ALAin MAHé
Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles
Anthropologie historique du lien social
dans les communautés villageoises
LAURenT-CHARLes féRAUD
Histoire de Bougie
présentation de nedjma Abdelfettah Lalmi