collection Histoire contemporaine Histoire contemporaine - 29

dirigée par Pascale Goetschel et Pierre Singaravélou université Paris I Panthéon-Sorbonne

L P Goetschel, IJost, M.Tsikounas (dir:), Lire, voir, entendre,20lO
2. C. Chevandieç lnfumières pdflstennes, I 900- I 9 50, 20 I I

3. P Srngaravélou,Professer l'Empire,TOl I

4. 14. Dreyfus, M. Pigenet (dir:), Les meuniers du sociol,ZOl I

5. F Bourillon, A. Fourcaut (dic), Agrondk Poris, I 860- I 97 O, 20 I 2

6 J.-l'4. Guieu, C. Sanderson (dir), Lhlstorien et ies relotlons inte rnotionoles : outour de RobeÆ Fronk,2012
7. E Blum (dir:), Des rodios de lutte ù Internet,TOl}
8. J.Verlaine, Les goleries d'ortcontemporoin à Poris,2Ol2
9 A Fléchet, P Goetschel, P Hidiroglou, S. Jacotot, C. lYoine, J.Verlaine (din), Une hlstolre des festrvo/s, rf-
| 0.
xxf slèc/e, 20 I 3
C. Moine, Clnémo et guerre froide,2O I 4
Dictionnaire historique
I l. A, lYarès, lY.-P Rey (dir), Mérnoires et émotjons,2Ol4
|

I
2.
P Goetschel, J.-C.Yon (dir), Au théôtre !, Z0 I 4
3.
A. Fléchet, Yl.-F. Lé\y, Litrérotures et muslgues dons Io mondiolisotio4 x>f-xxf siècies, 20 I 5
de la comparaison
14. VVoisin, L'UR55 contre ses troîtres, 20 | 5
5. lY,-C. Bianc-Chaléard, En ftnir ovec les bidonvilles,2}l6
Mélanges en I'honneur de Christophe Charle
|

| 6. F. Blum, P Guidi, O. Rillon (dir), Étudro nts ofricoins en mouvemenrs, 20 I 6

I 7, C. Gauthier; L. lYartin, J.Verlaine, D.Vezyroglou (dir), Hisroires d'O,2O17

I 8. l. Backouche, N. Lyon-Caen, N. Montel,vrheis, L.vadelorge, C.Vorms (din), Lo vil/e est à nous /, 20 I g
I 9. L Surun, Dévoiier l'Afrique ? Lieux et protiques de I'exploroaon,ZOl1
20, lY. de Rugy, Aux conftns des empires, 20 I 9
2 L M.Jestin, So/onique ( I 78 I, I 9 I 3),20 tB
22. j.Verlaine, Les goleries d'oft contemporain à poris,7. éd.)019
23. ï David, A, Heiniger; Fotre société,2)19
24. lY.-P Rey (din), Les Russes en Fronce,TOlg
15. l'1. Coher, Des lomllies invisib/es,2020 sous la direction de
26. S. lYomzrkoff-l'4arkoft, Les hommes de Gabotchev,2O}O
27. N. Lempereu4 Atthur Adomov, ici et mointenont,2O2O
Nicolas Delalande, Béatrice Joyeux-Prunel;
28. A, Hugon, Étre mère en situdtion coloniote,TO2O Pierre Singaravélou et Marie-BénédicteVincent

lllustration de couverture :

Gustave Caillebotte, Les roboteurs de parquet, 1875, musée d'Orsay (détail)

ouvrage publié avec le soutien de la commission de la recherche

de I'université Paris I Panthéon-Sorbonne

@ Éditions de la Sorbonne, 2020

212, rue Saint-jacques, 75005 Paris
www.editions-sorbon ne,fr

lsBN 979- I 0-35 I -0559-4

lssN 2 r 05-5s0s Éditions de la Sorbonne
2020
JÔ
RANSNATIONAT
T
Le concept de transnational
Le terme < transnational > est devenu
assez courant après la Seconde Guerre
mondiale pour désigner des phéno-
mènes empiriques qui débordent les
frontières des Etats-nations : institutions
politiques et administratives. associa-
tions, groupes, entreprises, individus.
Dans ce sens (réferé à des propriétés de
I'objet), il est souvent employé par des
juristes, des politologues et aussi par des
historiens, notamment àpropos de réali-
tés perçues comme < transnationales > : dans nos habitudes de pensée lorsque
capitalisme, colonialisme, migrations,
feminisme et autres (< mouvements >,
crime organisé, etc.
Mais l'on ne peut parler d'un tour-
nant théorique que depuis le début des
années 1990, Iorsque le label < histoire
transnationale )) commence à désigner
la mise en cause du cadre national
comme catégorie analytique, en fai-
sant émerger les flux, les réactions et
les échanges à travers lesquels se sont
façonnées les frontières géopolitiques
et culturelles des États-nations. Ainsi
ce n'est pas un paradoxe si les premiers
exemples significatifs d'histoire trans-
nationale se sont attachés à réécrire
I'histoire nationale de deux pays, les
États-Unis et l'Allemagne, caractérisés
par Ie mythe de I'exceptionnalité, en
reconstituant le rôle que les rapports
avec d'autres réalités ontjoué dans le
processus de constmction de ces nations.
< Bien loin que l'objetprécède lc point
de lue, on dirait que c'est Ie point de r,r.re
qui créc I'objct > (Saussure, p. 23) : I'his-
toire transnationalc cst une conversion
Dictionnaire historique de la comparaison
du regard s'inscrivant dans la révolution
épistémologique que Saussure a accom-
plie en introduisant dans les sciences
humaines Ie mode de pensée relation-
nel propre aux sciences modernes. En
effet, le concept d'histoire transnatio-
nale demande à I'historien de mettre en
cause de manière programmatique non
seulement le < nationalisme méthodo-
Iogique >> mais, plus généralement, Ies
formes d'essentialisme qui survivent
nous traitons les configurations territo-
riales et ethniques comme des entités
stables et autonomes.
Les promoteurs de l'histoire trans-
nationale ne I'ont pas perçue comme
un < paradigme nouveau >> et n'ont
publié aucun manifeste, conscients qu'ils
ont été précédés par un ensemble de
recherches qui ont contribué à déna-
tionaliser le regard, notamment les
cultural studies, les postcolonial studi.es, les
analyses consacrées aux processus de
construction nationale etlou identi-
taire, Ies transkLtion studies,les études des
transferts, lz woild historl,la global historlt.
Les directeurs du Palgraue Dictionnary of
Tiansnational Historltt,paru en 2009, ont
rassemblé la plupart dc ceux qui, sous
des dénominations diverscs, partagent
leur perspective, et leur attitude fédé-
ratrice est sans doutc pour beaucoup
dans le succès du label. Par rapport à
d'autres, ce dernier présente l'avantage
de désigner expiicitement la mise en
cause du cadre national et, en même
temps, il s'applique à tout objet, alors
Epistémologies
que I'histoire < globale > ou <( mon-
diale > semble impliquer des visées
planétaires qui peuvent intimider.
Comme I'avaient fait quelques tenants
de Ia connected history et de l'< histoire
croisée >>, certains auteurs associés à
l'approche transnationale ont mis en
cause I'histoire comparée et la notion
même de comparaison, en prétendant
qu'elle implique une vision essentia-
liste et statique. En fait la comparai-
son, comme le rappelait Durkheim,
est Ia condition même de I'accès à une
connaissance plus générale, et plusieurs
comparatistes ont contribué à ouvrir
Ia voie à I'histoire transnationale, en
reconnaissant dans leurs objets des
états de processus historiques connec-
tés etconstamment en évolution. Leurs
recherches permettent de constater que
la démarche comparative et l'analyse
des connexions, loin d'être inconci-
liables, sont complémenraires.
La diffusion du label < histoire trans-
nationale > ne saurait autoriser aucun
triomphalisme. D'une part, Ie nationa-
lisme méthodoiogique a encore pourlui,
dans tous les pays, la plupart des agents
et des institutions qui, dans I'enseigne-
ment, les champs culturels, les médias
et Ia politique concourent à forger et
à transmettre Ia manière de penser et
d'écrire I'histoire nationale. De l'autre,
le concept de transnational risque d'être
discrédité par la qualité très inégale des
recherches qui s'en réclament. Nombre
de ces travaux s'inscrivent dans le dis-
cours optimiste sur la globalisation
comme histoire de progrès, en privilé-
giant l'étude de formes de connedon
bienfaisantes et vertueuses : mouve-
ments d'émancipation, organisations
de défense des droits humains, échanges
culturels et scientifiques. La plupart de
il,t
ces recherches ne s'occupent pas des
mauvais côtés des flux et des échanges
humains, et omettent de prendre en
compte les obstacles, les échecs, les
luttes, les conflits, les hiérarchies, Ies
contraintes, Ies mécanismes d'exclusion,
Ies rapports de pouvoiq d'inégalité et
de violence. En outre, elles tendent à
négliger une tâche fondamentale : la
reconstitution des effets des flux et des
transferts.
Des lacunes et points aveugles sont
certes inévitables, étant donné la nou-
veauté, l'ampleur et Ia complexité de
la tâche qu'implique la perspective
transnationale. Le flou théorique, s'il
a favorisé le dialogue entre positions
diverses, constitue par ailleurs une fai-
blesse, comme le reconnaissent plusieurs
bilans, qui ont entamé une réfledon
critique (par exemple, Saunieq Haupt,
Patel). Pierre-Yves Saunier a résumé ses
propositions en deux << leçons >. La pre-
mière récuse la conception territoriale
qui pense en termes de niveaux Ie local,
le national et Ie global : les connexions
entre les réalités sociales ne suivent
aucune progression spatiale, comme
I'ont montré des recherches pionnières
sur les capitales culturelles (Charle). La
deuxième souligne I'exigence de ne pas
ignorer les contraintes structurales qui
peuvent contrôler et orienter les flux et
les échanges, les favoriser ou les rendre
difficiles. Ces contraintes sont Ie produit
de l'histoire et peuvent être remises en
cause par des dynamiques historiques,
mais il ne suffit pas de les ignorer pour
Au contraire, il faut connaître
Ies abolir.
les déterminations qui s'exercent sur le
monde social, et d'abord sur les catégo-
ries cognitives, pour cerner les condi-
tions qui favorisent les connexions et
les échanses.
40t Dictionnaire historique de la comparaison

Les travaux de Christophe Charle, des universités, de I'enseignement, des

Pascale Casanova, Gisèle Sapiro et de
maints autres chercheurs montrent que
I'histoire transnationale peut intégrer
de manière heuristique les suggestions
théoriques d'auteurs comme Immanuel
Wallerstein et Pierre Bourdieu, fondées
sur une image du monde social comme
structure de positions concurrentes, hié-
rarchisées par la distribution inégale de
formes difiérentes de capital. La théorie
des champs aide à préciser et à affiner
I'analyse, en ce qu'elle prend en compte
I'enchevêtrement de l'économique, du
politique et du symbolique, ainsi que la
difiérenciation historique des univers
sociaux, les oppositions et les logiques
qui les structurent, les propriétés des
produits, des agents et des institutions
concernées. C'est un mode de pensée
réflexil qui demande d'objectiver les
conditions du travail d'objectivation, y
compris Ies limites mentales qui tiennent
aux traditions disciplinaires nationales
et au fait que tout < point de r,rre > est
historiquement et socialement situé.
Parmi les principaux terrains explo-
rés par ces recherches, notons I'his-
toire transnationale des intellectuels,
disciplines, des concepts, notamment
le rôle des traductions et des échanges
dans la construction des identités et des
littératures nationales, ainsi que dans
I'historiographie littéraire et dans la
critique. Plusieurs travaux ont recours
à l'analyse quantitative des flux et au
travail prosopographique sur les agents
pour asseoir la recherche de tendances
générales.
Grâce à la posture ouverte et
< modeste > de ses promoteurs, la pers-
pective transnationale rompt avec la
logique distinctive dont procèdent les I
^
gueffes des étiquettes. Elle pourrait sans BOITE A OUTILS
doute contribuer à une véritable révo-
lution: l'émergence de quelque chose
comme une communauté de recherche
transnationale et transdisciplinaire dans
le domaine des sciences sociales et des
humanités, des disciplines quijusqueJà,
à la diffërence des sciences de la nature,
n'ontjamais réussi à fonctionner coûtrne
un champ unitaire, permettant le pro-
grès de la connaissance, grâce au dia-
logue rationnel et au cumul des acquis.
ANNA BOSCHETTI

lndications bibl rques

Christophe (harle (dir.), Capitaks européennes et ralonnement culturel, xvlf-xf siècle,

Paris, Editions rue d'U|m,2004.

Heinz-Gerhard Haupt, rt Une nouvelle sensibilité : la perspective transnationale n,ftociété

d'étudu jauresiennes, 70017, 20 I I, p. I i3- I 80.
Kiran Klaus Patel,r< An Emperor without Clothesl The Debate about Transnational
History Ïwenty-five Years 0n n, Histoire@Politique,26, mai-août 2015, en
ligne :http://ww.histoire-politique.frlindex.php?numer0=26&rub=pistes&it
em=32.
Pierre-Yves Saunier, Iransnational History, Basingstoke, Palgrave l,lacl'lillan, 2013.

*.Till^o:"li'illlc,Tii de tinguistique générate, édition aitique par Tuilio de