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Inter
Art actuel

Résistance
Chocs et résilience
Guy Sioui Durand

Numéro 102, printemps 2009

URI : https://id.erudit.org/iderudit/45460ac

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Éditeur(s)
Les Éditions Intervention

ISSN
0825-8708 (imprimé)
1923-2764 (numérique)

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Citer cet article


Sioui Durand, G. (2009). Résistance : chocs et résilience. Inter, (102), 22–25.

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GUY SIOUI D U R A N D
m& \ ^ 1
Résistance :
chocs et resilience
L'éthique dans l'esthétique l'œuvre. Dès lors, le part
J'ai s p o n t a n é m e n t pensé à Albert Camus. pris de résistance aux forces
Camus se considérait avant tout comme un écrivain dominantes se veut un choix
à l'œuvre traversé par une exigence éthique : ne pas différent. Il a affaire à des affi
se tenir à l'écart de l'histoire de son époque ni de la nités, à des attachements/arra-
communauté vivante. Pour lui, tout artiste se doit chements et à des réseautages
d'accepter, « autant qu'il le peut, les deux charges parallèles ou d'infiltration des circuits
qui font la grandeur de son métier : le service de la officiels où couve une constante velléité
vérité et celui de la liberté pour ceux qui subissent d'autodétermination communautaire à la base,
l'histoire en opposition à ceux qui la font »'. Il ajoute et ce, non pas uniquement comme pratiques de
Hommage à sa gracieuse majesté
à ce sujet : « Je fus placé à mi-distance de la misère révolte, de contestation, mais encore comme ruses
(Martin Bureau)
et du soleil. La misère m'empêcha de croire que de survie et de transformation de l'art engagé en
tout est bien sous le soleil et dans l'histoire. Le soleil contexte réel. Cette sculpture, sous la forme
m'apprit que l'histoire n'est pas tout [...]. Il y a la À la fin des années soixante-dix, l'horizon d'un couvercle de bouche d'égout
beauté et il y a les humiliés... je ne voulais n'être utopique de la révolution globale (économique, de rue (communément appelé
infidèle ni à l'une ni aux autres'. » politique, culturelle, urbaine et artistique) s'est
trou d'homme/man hole) a été
Voilà une vision humaniste de l'idée de résis- estompé. En cette première décennie du XXIe siècle,
initialement créée dans le cadre du
tance à laquelle j'adhère. Mais de l'écrivain et le phénomène social total qu'est la mondialisation
projet urbain Regards Fous mis sur
critique en son temps révolté, militant dans la des échanges a pris le relais. Une nouvelle dialec-
pied par le groupe Folie/Culture.
résistance, qu'en serait-il aujourd'hui, en pleine tique géopolitique entre les tenants de la globali-
« hypermodernité » capitaliste des années deux sation néolibérale et ceux d'une « glocalisation »
L'œuvre, qui devait être installée
mille, d'une telle éthique dans l'esthétique, de cette - penser global, agir local - altermondialiste est à rue De Saint-Vallier, à l'angle de la
attitude qui lie résistance et espoir pour, avec et redéfinir le contexte des rapports plus généraux rue Du Pont, sous les bretelles de
par les minoritaires, les dominés, les marginaux ? entre la société et l'art, dont le sous-ensemble de l'autoroute Dufferin-Montmorency,
Voyons-y un mode de liaison spécifique de l'enga- ceux entre l'art et la politique. a été censurée parce qu'elle se fait
gement artistique au contexte societal global de L'artiste militant pour la cause, contre les repré- iconoclaste de la figure de la Reine
la réalité en cours. sentants et les symboles des pouvoirs dominants, d'Angleterre, du Commonwealth et
a cédé la place au foisonnement des « activistes ». du Canada. L'artiste y fusionne les
Le c o n t e x t e a c t u e l d e l ' a r t e n g a g é L'art engagé se décline en un continuum de prati- deux faces de la monnaie de 25 cent
Dans l'actuelle reconfiguration de l'univers des ques, telle une mosaïque aux mobilisations multi- — « un quart de piasse », comme
arts visuels, interdisciplinaires et multimédiatiques, ples. À une extrémité, on peut observer l'esthétique
disaient les colons. La reine se trouve
interrelationnels et interactifs, de manière indis- macropolitique « manifestive » s'adjoignant aux
ornée d'un panache de wapiti, tandis
sociable l'artiste et le critique doivent prendre en affrontements lors des grands rassemblements,
que les dates 1759-2009 rappellent la
compte son contexte d'existence en s'y engageant, comme ce fut le cas au Sommet des Amériques
Conquête de la Nouvelle-France par
en prenant parti, ce qui est tout le contraire de la et au Sommet des peuples à Québec (2001),
position nihiliste ou de l'individualisme narcissique, jusqu'aux attaques des sites par les cyberhackers
les Anglais et par là du « Kwébec »,
pour non seulement comprendre et expliquer les et à la résurgence des documentaires. À l'autre comme l'écrit l'artiste. Ironie du sort,
chocs, la resilience et les formes de résistance qui se bout du continuum se condensent, davantage à Hommage à sa gracieuse majesté va
veulent non pas réactionnaires mais émancipatoires l'échelle micropolitique, une panoplie d'interven- se retrouver en grande pompe dans
pour notre temps, mais encore pour y participer 3 . tions socioartistiques in situ dites citoyennes et, la grande exposition C'est arrivé près
Alors que la dualité c o n t e n a n t / c o n t e n u (ou bien sûr, diverses œuvres à messages exposées. de chez vous. L'art actuel à Québec,
forme/message) restreint l'analyse à l'art, l'ajout L'engagement des artistes s'est donc élargi, présentée au Musée National des
du contexte introduit les dimensions de pertinence, débordant la seule sphère des rapports de pouvoirs Beaux-Arts du Québec quelques mois
de stratégie et d'impact de l'art mises en pratique pour des ramifications repérables dans tous les plus tard !
dans les milieux, les communautés et les sites en aspects de la vie quotidienne. Art politique et art
tant qu'actions, interventions, bref art actuel à social s'y fusionnent. Photo > Martin Bureau, 2008.

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Des pratiques d'art engagé par des artistes québécois
encouragent, voire peuvent éclairer les réflexions
sur la nature de la résistance investies du côté des identités
minoritaires, francophone et amérindienne, à partir
du Québec, mais dont on retrouve des parentés et
des échos tantôt à Cuba, tantôt au Mexique, en Bolivie,
au Chili, en Argentine ou au Brésil.
> Mathieu Beauséjour, Survival Virus de Survie.

Dans une c o n t r é e sociale-démocrate de Québécois qui séjournent chaque hiver dans l'île Cuba - et avec les enjeux continentaux des Indiens
l'économie de marché urbaine, industrielle, de crocodile une fois que celle-ci, et vous ne le savez des trois Amériques qui subsistent à 500 ans de
c o n s o m m a t i o n de masse c o m m e le Québec, que trop bien, ait « résisté » à la saison des oura- colonialisme.
pauvreté, misère, injustices sociales et périls gans*. Mais il y a encore l'Histoire et l'Art. En effet,
environnementaux causés par le productivisme depuis très longtemps des liens historiques et artis- Art
demeurent. C'est pourquoi la révolte, dans le sens tiques unissent les peuples de Cuba et du Québec Outre l'histoire p o l i t i q u e , un espace-temps
où l'entend Camus, persiste. au Canada, les villes de Québec et de La Havane en c o m m u n s'est progressivement esquissé ces
C'est là le contexte de l'art engagé des années particulier. Prenant l'année 2008 comme repère, il dernières décennies entre le Québec et Cuba
deux mille. Il s'agit d'un art vivant rebelle, oscillant importe de noter certains faits qui méritent mention dans le champ de l'art actuel. Aussi n'est-il guère
entre les grandes manifestations de contestation dans la mesure où ils resserrent dans l'axe améri- surprenant d'observer dès les premières éditions
macropolitiques jusqu'aux pratiques micropoliti- cain nord-sud le contexte d'examen de certaines de la Biennale de La Havane, au début des années
ques, à la frontière du privé et de l'intime, davantage pratiques artistiques porteuses de résistance dans quatre-vingt-dix, la présence d'artistes québécois
de l'ordre de ruses mais toutes inscrites sur le même l'actuelle dynamique de la globalisation. et d'Indiens du Nord. Ces contacts ne cesseront de
continuum des rapports entre société et art à l'ère se tisser, notamment au fil de participations aux
de la mondialisation/altermondialisation. C'est dans Histoire forums théoriques des éditions subséquentes de la
cette perspective que la notion de résistance quitte En 2008 à l'occasion des fêtes du 400 e anniver- Biennale, pour résulter au milieu des années deux
sa connotation conservatrice, souvent associée à la saire de la fondation de la ville de Québec, celle-ci mille en diverses manifestations communes, dont
droite, pour s'allier aux luttes altermondialistes. a inauguré un parc de l'Amérique latine dans lequel la magnifique et substantielle exposition Cuba :art
A cet égard, que ce soient les récents séminaires a pris place un buste de José Marti - écrivain, poète et histoire. De 1868 à nos jours au Musée des beaux-
centrés autour de thématiques sociétales et média- et chantre de l'indépendance cubaine au XIXe siècle arts de Montréal en collaboration avec le Museo
tiques tenus cette année au Steddeljick Museum (153-1895), Marti est certes le résistant et le révo- national de bellas artes et la Fototeca de Cuba. La
d'Amsterdam, tel « Now Is the Time : Art & Theory in lutionnaire le plus glorifié par le peuple cubain - le Havane est certes du calibre des grands circuits
the 21st Century », ou les thématiques découpant long de la rivière Saint-Charles qui traverse la ville. de l'art contemporain, mais elle exploite aussi un
le système de l'art du présent forum théorique de Cette installation venait compléter un échange réseautage ayant permis l'exceptionnel échange
cette dixième Biennale de La Havane, « Résistance et de monuments entre le Québec et Cuba. En effet, d'artistes entre elle et Québec en 2007-2208, Haba-
intégration à l'ère de la globalisation », en fonction en 1999 le maire d'alors de la ville de Québec nart à Québec: art cubain actuel (automne 2007) et
des régions géographiques du globe, partout, des était venu inaugurer dans la ville de La Havane le Arte de Québec en La Habana (printemps 2008), une
notions de « macro » (globalisation/glocalisation, monument à la gloire de Pierre Lemoyne d'Iber- collaboration entre Le Lieu, centre en art actuel à
mondialisation/altermondialisation) surgissent ville - héros de l'histoire québécoise, vaillant capi- Québec et le Centro Wilfredo Lam de La Havane.
pour décrire la complexité de l'art du nouveau taine de navire et défenseur de la Nouvelle-France, C'est dire que des « échos » d'imaginaire et
millénaire. pourchassant les équipages anglais de la Baie de d'engagement par l'art circulent dans cet axe nord-
C'est l'ère du temps, le contexte actuel de l'art James jusque dans les Caraïbes, il mourut de fortes sud et participent à la dynamique plus large de la
engagé. Loin d'unidimensionnaliser l'imaginaire, cet fièvres à La Havane en 1706 - en face de la Fortal- globalisation/glocalisation.
embrassement à nouveau « d'un tout dont la somme leza de la Punta à l'occasion du 375 e anniversaire
de ses parties lui serait supérieure », pour peu que l'on de la Vieja Habana. Depuis, le long du Malecon qui E s t h é t i s e r la r é s i s t a n c e
tienne compte des processus et des nouvelles territo- donne sur la Fortaleza, les promeneurs rencontrent Des pratiques d'art engagé par des artistes
rialités virtuelles, on peut y retracer des zones élargies la statue de Pierre Lemoyne d'Iberville, alias Almi- québécois encouragent, voire peuvent éclairer les
de solidarité, d'agir communicationnel commun et rante Berbila pour les Cubains. Aujourd'hui, ce rêve réflexions sur la nature de la résistance investies
d'engagement affinitaire par l'art. brisé d'une Amérique française subsiste comme du côté des identités minoritaires, francophone et
C'est avec cet horizon que l'on peut établir un résistance dans une Amérique nord-américaine amérindienne, à partir du Québec, mais dont on
lien entre le Nord de l'Amérique et l'Amérique latine anglo-saxonne sous forme de société distincte au retrouve des parentés et des échos tantôt à Cuba,
et les Caraïbes de même que, plus précisément, Québec. Des artistes s'y activent à combattre l'uni- tantôt au Mexique, en Bolivie, au Chili, en Argentine
entre Québec et La Havane comme contextes d'ins- dimensionnalité et l'apolitisme donnant priorité ou au Brésil.
cription et d'analyse de certaines pratiques artisti- aux industries culturelles du divertissement. Il en

ques de résistance, tantôt en réseau à microéchelle, va de même des fouilles archéologiques entre-
Une société distincte, le Québec
tantôt s'infiltrant dans les grands circuits entre les prises ces dernières années dans l'île qui ramènent
Le rêve d'une Amérique française du Groenland
nations de l'art, comme la présente édition de la à l'ordre du jour l'ancienne présence autochtone
au golfe du Mexique et des côtes Atlantique aux
Biennale de La Havane. des Indiens taïnos, reconnectant symboliquement
montagnes Rocheuses au XVIIIe siècle s'est replié
avec ces premiers résistants - j e pense ici à la très
jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle face à la
belle peinture d'Augusto Garcia Manocal Je ne veux
L'axe n o r d / s u d des A m é r i q u e s survivance de la « race » canadienne-française dans
pas aller au ciel (1930) qui représente le cacique
llya bien sûr la nordicité du Québec et le soleil de la province de Québec pour, à la faveur des luttes
taïno Hatuey, considéré comme le premier héros de
Cuba qui sont d'importance pour quelque 700 000 de décolonisation des années soixante, devenir

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un projet nationaliste d'indépendance faisant Survival Virus de Survie De la r e s i l i e n c e a u t o c h t o n e ,
du Québec un pays, noyé dans une Amérique (Mathieu Beauséjour) l'Amérique
du Nord anglo-saxonne (Canada et États-Unis). Mathieu Beauséjour, anec ses installations, ses De grands rêves ont balayé les conquérants des
Souvent appelés les Latinos del Norte, les Québé- infiltrations médiatiques et ses manœuvres, crée Amériques et leurs descendants depuis 500 ans :
cois participent grandement des luttes de mouve- la « persistance » sur les deux fronts de l'art « à découvrir la route pour les Indes, retracer la cité
ments sociaux et des utopies alternatives ancrées propos » du politique. Par exemple, Survival Virus d'or, fonder un Nouveau Monde, conquérir l'Ouest
en Amérique centrale et en Amérique du Sud où de Survie (1991-1999) est une manœuvre de détour- sauvage, être le phare du monde libre, etc. Pour les
ils établissent de nombreux échanges. Quelques nement, stigmatisant de manière iconoclaste les Indiens des trois Amériques, à l'opposé, de grandes
artistes par leur art reflètent ce type de résistance. symboles de pouvoir du capitalisme en rendant tragédies s'y sont jouées : conquêtes, génocides,
inutilisables les billets de banque, qui a duré une acculturation et assimilation. Après une longue
Kwébec 1759-2009 : q u a r t de piasse décennie. Son art maintient vivace la notion de période de misère, il y a eu resilience et résurgence
(Martin Bureau) conscience historique collective en se référant sous politiques et culturelles à partir de la fin des années
Martin Bureau est un peintre et un artiste de multiples formes aux icônes et aux slogans des soixante. La présence autochtone aux commémo-
multimédia dont les œuvres critiques mettent en luttes révolutionnaires (Monument, 2007), tout en rations de la fondation de la première ville forti-
évidence les enjeux et les conséquences sociales et assumant une créativité artistique expérimentale. fiée d'Amérique par les Français, Québec, aura été
environnementales des « machinations d'exploita- l'occasion pour bien des artistes amérindiens de
tion » de l'environnement et des «jeux » sur la vie Engraisser les étoiles rappeler non seulement 10 000 ans de présence
quotidienne en temps de guerre (Panique au village, (Claudine Cotton) aborigène, mais encore 400 ans de « résistance » et
2006), que ce soit en peinture, en documentaire Claudine Cotton inocule, depuis 1995, de façon de solidarité entre nations continentales, alors que
ou en installation vidéo - tel Terrains contraires magnifique et géniale la lucidité de subversion aux le Canada demeure l'un des quatre pays du monde
abordant les territoires nordiques du Québec où halos poétiques des manœuvres, installations et à refuser de signer la convention de l'ONU sur les
spéculateurs, Indiens et population résidente se autres interventions d'esthétique relationnelle. À droits des peuples autochtones. Commissaire de
superposent. En 2008, en marge des festivités de l'échelle micropolitique, son engagement passe l'exposition d'arts visuels autochtones Zacharie
la fondation de Québec (1608-2008), sa sculpture par la délicatesse de manipulation des symboles Vincent et ses amis à l'Espace 400 e de Québec en
de rue Kwébec 1759-2009 : quart de piasse, créée compréhensibles par le plus grand nombre. Ainsi, 2008, j'ai réuni sous le thème de la rencontre des
pour l'organisme Folie/Culture de Québec - dont le en ces temps où les pays riches du Nord pren- œuvres d'artistes amérindiens engagés par leur
mandat fait le pont entre art et marginalité - , a été nent conscience de leur double obésité, comme art à maintenir conscience historique, resilience et
censurée, créant la controverse. L'artiste ridiculisait nations opulentes et comme individus dodus, et enjeux planétaires. C'est particulièrement le cas de
la conquête anglaise en trafiquant la tête de la reine où bien des contrées de l'hémisphère Sud subissent la sculpture environnementale Wampum du duo
Elizabeth II, reine d'Angleterre, du Commonwealth famines et misères, son installation Engraisser les Domingo Cisnéros-Sonia Robertson et de la grande
et par là du Canada, qui était affublée d'un panache étoiles (Le Lieu, 2006) redonnait avec étonnement bannière photographique Buvez-moilDrink me de
de wapiti, en plus d'ajouter une phrase rappelant et excitation ses lettres de noblesse à l'« attitude » l'artiste métis-saulteux Edward Poitras.
les 400 ans de conquête anglaise d'un Québec à d'engraisser. Dans l'installation, elle opposait un
majorité francophone ! hamac aux couleurs du Québec - l'artiste avait Wampum
d'ailleurs utilisé à nouveau ce hamac dans son ( D o m i n g o Cisnéros, Sonia Robertson)
État d'urgence œuvre Grand corps à l'air libre à La Havane lors Les mains expertes des créateurs autochtones
(Action Terroriste Socialement Acceptable) d'Arte de Québec en La Habana (printemps 2008) - Sonia Robertson (Mastheuiatsh) et D o m i n g o
L'ATSA est un collectif qui crée des situations comme dénonciation du laisser-faire québécois et Cisnéros (Haute-Matawinie) ont créé sous la forme
événementielles d'art social chocs « esthétisant la en opposition aux 50 étoiles cousues de peaux de d'un jardin-sculpture amérindien, parmi la dizaine
révolte ». Elles dénoncent les injustices et inéga- porc se référant aux États-Unis, qui se veulent les de projets internationaux créés à l'Espace 400 e de
lités de la société néolibérale nord-américaine. maîtres du monde. Cotton en appelait subtilement Québec, le plus grand wampum végétal au monde
Le collectif fait impact dans les médias et dans la au courage de résister identitairement et géopoli- avec ses 24 mètres de déploiement à l'horizontale.
rue. L'événement phare de l'ATSA, État d'urgence tiquement, y glissant même une fable paternelle : Que ce soit sous la forme de grandes ceintures, de
(1998-2008), établit chaque automne pendant une « Si nous prenons la peine de cueillir un à un chaque colliers ou d'autres matériaux, ce que l'on appelle
semaine au cœur du centre-ville de Montréal un trésor de notre culture, nous n'aurons plus le cœur wampum symbolise depuis toujours les alliances
camp festif pour les itinérants et les sans-abris en à gaspiller ce que nous sommes. » géopolitiques entre les nations chez les Indiens.
reproduisant les tentes des camps militaires pour Émouvante de beauté parce que signifiante par
réfugiés. L'ATSA participe à la présente édition de son engagement politique radical, l'expertise de
la Biennale de La Havane. savoirs et de savoir-faire en équipe de cette œuvre
e n v i r o n n e m e n t a l e s'est déployée, c o n j u g u a n t
les territorialités culturelles amérindiennes en un
ensemble qui transpose et transgresse à la fois les

"Ttagr—^*— n ^
disciplines et les genres pour reformuler le para-
digme nature-culture au regard de et selon la sensi-
bilité mnémonique, historico-politique, autochtone.
Composé de dix segments aux formes géométri-
ques variées et harmonieuses nattés ensemble,
agrandissant la référence aux fameuses ceintures
faites de coquillages puis de porcelaines, le tres-
sage du grand wampum assurait la « liaison » et la
« déliaison » entre le « fait main » sans que ce soit de

> Claudine Cotton, Engraisser les étoiles, 2006.

24
• Domingo Cisnéros, Sonia Robertson, Wampum, 2008. Photos : Guy Sioui-Durand

l'artisanat et son dépassement In situ comme jardin corbeau/coyote/carcajou - qui inspire depuis l'envol imminent, réfléchir à la tension inhérente à
paysager de création. Devant ce wampum gisaient toujours l'imaginaire amérindien, Zacharie Teha- toute attitude de résistance.
au sol onze grands troncs d'arbre coupés, portant riolin Vincent, humble au quotidien (comme le Dans le contexte d'aujourd'hui, ces noyaux
les traces de haches, entourant par un grand quadri- montre cette photographie) mais fabuleux artiste de « résistance révoltée » québécois et québéco-
latère de clôture de dix pieds (trois mètres) de haut, en son temps, et Edward Poitras aujourd'hui, insai- amérindiens contre les efforts d'amnésie de la
tel un enclos, lejardin. Cet environnement évoquait sissable à tous les jours mais percutant par ses conscience collective me semblent porteurs d'une
le sort historique de la Conquête (les réductions, les créations qui l'ont propulsé sur les scènes interna- d'un espoir alternatif. Repositionnés dans la problé-
réserves, comme autant de misères, d'embûches, tionales comme la Biennale de Venise, interrogent matique de l'intégration et de la résistance à la
mais aussi le sort des forêts et rivières boréales) tous les deux de manière critique leur époque. globalisation, de tels faits d'art témoignent de ces
qu'ont vécu les dix « Premières nations » (Mi'g Buvez-moilDrink me de Poitras déploie une nouvelles zones de solidarité, entre les nations de
Maq, Wolustuk [Malécites], AbitibiWinni [Algon- flamboyante danseuse autochtone originaire l'axe nord-sud, qui se mettent en place dans les
quins], Waban Aki [Abénaquis], Kanienke'ha Kha du Guatemala qui, avec l'image de Vincent à ses années deux mille. Même s'ils sont de l'ordre de
[Mohawks], Atikamekw, Wendat [Hurons], Innus pieds, manipule ironiquement des épis de mais. ce que j'appelle les « territorialités imaginaires »,
[Montagnais], Cris, Naskapis) qui vivent au Québec Elle devient symboliquement une sorte d'envers ne concourent-ils pas à développer un parti pris
ainsi que les Inuits du Nunavik. Symbole d'espoir, alarmant vis-à-vis de ses nouvelles multinationales pour la croissance commune des communautés
des plantes vivaces y poussent. Non seulement de l'éthanol qui sont rendues à exploiter la récolte civiles hors des seuls modèles de la globalisation
assument-elles une responsabilité écologique face du maïs pour abreuver d'un nouveau carburant les néolibérale ?
aux ressources naturelles de la Terre-Mère, mais voitures. Mais, les récentes révoltes le montrent, C'est dans cet esprit insulaire du lieu qu'est Cuba
encore, à mesure qu'elles poussent et dynamisent cela se fait au détriment de la nourriture essentielle avec sa Biennale que, quelque part, cet essai, méta-
l'œuvre qui change subtilement, comprend-on la pour bien des peuples qui, comme les Iroquoïens, morphosé en conférence-performance appuyée
résistance des cultures autochtones qui prévaut à se réclament de « la civilisation du maïs ». Ce jume- d'images, se sera voulu une métaphorique « salsa
l'échelle de l'Amérique. lage donne à réfléchir sur le sort des humains par des Taïnos » en hommage aux premiers résistants
l'art actuel, comme art actuel et, ainsi, comme ruse des Caraïbes...®
Buvez-movOrink me visuelle en appelant à résister ensemble.
(Edward Poitras) Notes

L'exposition dehors, sur les quais de la place Conclusion : le grand défi de 1 Albert Camus, Jacqueline Levi-Valensi, Antoine
Garapon et Denis Salas, Réflexions sur le terrorisme,
publique de l'Espace 400e, entre les marées et les l'« Occupant » Paris, Nicolas Philippe, 2002, p. 9.
vents, jumelle recto-verso sur de grandes bannières, « Dans une des grandes salles à l'étage du Centro 2 Albert Camus, Essais, Paris, Gallimard, 1965, p. 6 et 875,
rappelant des toiles de tentes, des œuvres du Desarrollo de las Artes Visuales dans le quartier « Bibliothèque de la Pléiade ».
peintre huron-wendat Zacharie Vincent dit Teha- historique de La Havane, se tient en équilibre, sur 3 J'ai argumenté de manière plus approfondie la
problématique dite « des trois C » ou « des C/C/C »
riolin, lequel a marqué par son engagement la vie une harpe de fils tendus à la hauteur des genoux,
(contexte/contenant/contenu) dans mon essai L'art
culturelle tant de sa communauté que de celle de l'Occupant », titre la très belle et énigmatique comme alternative : réseaux et pratiques d'art parallèle
la ville de Québec au XIXe siècle, à celles de huit installation de l'artiste québécoise Caroline Gagné au Québec, Québec, Intervention, 1997. Cette approche
a assurément une parenté avec les approches de la
artistes contemporains autochtones et québécois. dans le cadre de l'exposition Arte de Québec en La sculpture sociale (Beuys), de l'art sociologique (Fischer,
Parmi celles-ci, le duo du portrait de l'artiste wendat Habana. Le dessin au mur esquissant la silhouette Forrest), de l'art rhizomatique (Deleuze et Guattari),
de l'art contextuel (Swidzinski, Ardenne) et de l'art
Zacharie Vincent et de celui d'une jeune femme d'un homme dont la tête laisse échapper un oiseau,
politiquement engagé (Baqué, Rochlig, Sioui Durand).
autochtone « respirait » puissamment cette idée l'immobilisme photographique calme des autres 4 Au moment de l'écriture de ce texte, les Caraïbes et
de résistance autochtone ancrée dans 1 o 000 ans moineaux le long desfilset la grande porte-fenêtre le golfe du Mexique peinaient après le passage des
de présence et pas seulement dans 400 ans de tempêtes et ouragans en série, dont Ike qui venait de
ouverte par laquelle les bruissements d'oiseaux
frapper.
colonialisme. réels entendus depuis la place publique me firent
Dans la lignée de la figure du filou (Trickster) envisager l'impensable: un instant au passage
- représentée dans les récits par les figures du de cet équilibre précaire, un instant au regard de

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