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ROME ET LA CONQUÊTE

DU MONDE MÉDITERRANÉEN
2 / Genèse d'un empire
L’ijlISTOi RE ET
SES PROBLÈMES sous la direction de
CLAUDE NICOLET '

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Kahle/Austin Foundation

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ROME ET LA CONQUÊTE
DU MONDE MÉDITERRANÉEN
2 / Genèse d'un empire
Ont contribué à cet ouvrage :

Jean-Marie Bertrand
maître-assistant à l’Université de Paris I.
Jehan Desanges
professeur à l’Université de Nantes.
Jean-Louis Ferrary assistant à l’Université de Paris IV.
Christian Goudineau
maître de conférences à l’Université de Provence.
Jacques Harmand
professeur à l’Université de Clermont-Ferrand.
Claude Nicolet
professeur à l’Université de Paris I, directeur d’études
à 1 Ecole pratique des Hautes Etudes (IVe section).
Daniel Nony
maître-assistant à l’Université de Paris I.
Maurice Sznycer
directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes
Etudes (IVe section).
Pierre Vidal-Naquet
directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales
NOUVELLE CLIO
L'HISTOIRE ET SES PROBLÈMES
Collection fondée par Robert Boutruche et Paul Lemerle
et dirigée par Jean Oe/umeau et Paul Lemerle

8
bis

ROME
ET LA CONQUÊTE
DU MONDE MÉDITERRANÉEN
264-27 avant J.-C.

TOME SECOND
Genèse d'un empire
sous la direction de
CLAUDE NICOLET
avec la collaboration de
J.-M. BERTRAND, J. DESANGES, J.-L. FERRARY
C. GOUDINEAU, J. HARMAND, D. NONY, M. SZNYCER
P. VIDAL-NAQUET

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, boulevard Saint-Germain, Paris
*3^ G? '2-H \
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ILLUSTRATION DE LA COUVERTURE

La bataille de Zama
Tapisserie des Gobelins (1690), détail,
d après un carton de Jules Romain
Musée du Louvre
(d- des Musées Nationaux)

ISBN 2 13 O3585O O
ire édition : 4e trimestre 1978
© Presses Universitaires de France, 1978
108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris
AVERTISSEMENT

Le volume précédent, Les structures de U Italie romaine, était


consacré principalement aux auteurs de la conquête du monde
méditerranéen, Romains et Italiens. Restait à envisager la
conquête elle-même, dans son déroulement et dans ses consé¬
quences. Ce second volume est donc consacré à la Genèse
d’un empire. La conquête romaine est doublement paradoxale.
Le monde ancien, entendu au sens large (méditerranéen et
proche-oriental), avait connu bien des tentatives hégémoniques
que l’on peut qualifier d’« empires ». Les plus impressionnantes,
et les plus durables, celles des Perses ou d’Alexandre, avaient pris
d’emblée la forme monarchique. Les tentatives faites par des cités
— Athènes, Sparte, ailleurs Carthage ou Syracuse — avaient été
beaucoup plus limitées dans l’espace et dans le temps. Seule de
toutes les cités, Rome a réussi à conquérir un empire mondial,
donc extrêmement diversifié et segmentarisé, et à le faire durer.
Il est vrai qu’au bout de deux siècles, en même temps que
s’achevait la phase de conquête, la forme républicaine de l’Etat
romain, à bout de souffle, faisait place a 1 « Empire » (au sens
politique cette fois), que la cité se transformait en monarchie.
D’où l’ambiguïté de l’expression « Empire romain ». L’étude de
cette transformation, largement abordée au volume précédent,
devrait être faite pour elle-même, sous tous ses aspects, en parti¬
culier culturels, et justifierait un livre original. Tel n’est pas
cependant le but de ce volume. Il m’a semblé au contraire que le
romano-centrisme devait provisoirement faire place à un renver¬
sement de perspective. On a fait porter 1 éclairage, en consé¬
quence, sur les peuples divers qui les uns après les autres, pour
leur malheur ou leur bonheur, entraient en contact avec Rome,
470 Rome et la conquête du monde méditerranéen

ses soldats, ses généraux, ses collecteurs d’impôts, ses colons ou


ses usuriers, ses arpenteurs ou ses juges. D’abord, parce que ces
peuples sont souvent les oubliés de l’histoire : il fallait leur faire,
dans cette collection, la place qu’ils méritent. Or, dans chacun
des pays concernés, les efforts des archéologues ou des historiens
ont, ces dernières années, amélioré et parfois bouleversé la
connaissance de cette phase préromaine, qui est bien plus qu’une
pré-ou qu’une protohistoire. C’est en eux-mêmes et pour eux-
mêmes qu’il fallait d’abord considérer ces pays. C’est pourquoi,
faisant éclater la vision prématurée d’un « empire » romain, on a
adopté en principe un plan géographique, qui centre successi¬
vement l’intérêt sur Carthage, l’Afrique, la péninsule Ibérique,
le monde celtique, le monde grec et l’Orient hellénisé, enfin le
monde juif. Dans ces trois derniers cas, cependant, la méthode
d’exposition a été un peu différente. L’étude des peuples occiden¬
taux, en effet, n’avait pas trouvé place dans les volumes précé¬
dents de cette collection. C est pourquoi il a paru nécessaire de
remonter un peu dans le temps, en deçà de la limite chronologique
assignée à ces volumes, pour traiter dans sa continuité une histoire
sans laquelle on ne comprend pas bien les réactions à l’égard de
Rome. Pour la Grèce et l’Orient hellénistique, au contraire, deux
volumes, dus à Claire Préaux (i), leur sont consacrés. Il n’était
pas nécessaire d’y revenir ici. On s’est donc plutôt attaché à
retracer chronologiquement les détails de la conquête et à en
marquer les grandes étapes. La documentation d’ailleurs nous
Y engageait . les sources grecques abondent, si bien que,
pour une fois, la vision des vaincus (qui sont des vainqueurs
sur le plan culturel, comme le savait bien Horace) n’a pas été
effacée.
Dans ces deux inventaires, l’un géographique, l’autre poli¬
tique, on relèvera bien des lacunes, les unes dues à l’état
de la recherche, les autres aux inévitables limites de cette
collection. La Sicile (première contrée rédigée en province), la
Sardaigne et la Corse, la Gaule cisalpine et le monde danubien,
l’Egypte, sauf par allusion, manquent à l’appel. La religion, la

( i ) Claire Préaux, Le monde hellénistique, 2 vol,, « Nouvelle Clio », Paris,


PUF, 1978,
A vertissement 471

littérature, le droit surtout ne sont abordés qu’incidemment :


il fallait se borner, donc se résigner à des choix douloureux (i).
On remarquera enfin que cet ouvrage est collectif. Il est sans
doute impossible de dominer de façon pertinente une histoire
délibérément polycentriste comme celle qu’on présente ici :
chaque domaine exigeait un spécialiste. Néanmoins, les points de
vue comme les méthodes ont été, autant que possible, unifiés, les
conclusions discutées en commun. J’ai bien entendu seul la
responsabilité de la conception générale de ce volume, de ses
lacunes, difficilement évitables d’ailleurs, et de l’image de
l’impérialisme romain qui, je crois, s’en dégage.
C. N.

(i) Trois chapitres, entièrement et excellement rédigés, prévus dans le plan


initial, ont dû, faute de place, et à mon très grand regret, être retranchés de ce
volume. Leur publication est heureusement assurée ailleurs, et le lecteur est
prié de bien vouloir s*y reporter. Il s agit de : Christian Peyre, Les Oaulois
d’Italie du IIIe au IeT siècle avant J.-C., à paraître dans les Fasc. d’Arch. des Presses
de l’E.N.S., 1979 ; John Scheid, La religion romaine à la fin de la République,
à paraître dans Etudes d'Histoire romaine, Publ. de I’ephe, IVe section, 1980;
Pierre Gros, Architecture et Société aux deux derniers siècles de la République, coll,
« Latomus », Bruxelles, 1978.
1

'
BIBLIOGRAPHIE

CHAPITRE PREMIER
CARTHAGE ET LA CIVILISATION PUNIQUE

I / Ouvrages généraux et recueils

[1321] O. Meltzer, Geschichte der Karthager, I-II, Berlin, 1879-1896.


[1322] —, U. Kahrstedt, Geschichte der Karthager, III, Berlin, 1913 (bien que
partiellement vieillis, ces trois volumes méritent encore d’être consultés).
[1323] S. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, I-IV, Paris, 1913-1920,
3e éd., Paris, 1928-1929 (reste toujours fondamental).
[1324] V. Ehrenberg, Karthago, Leipzig, 1927.
[1325] G.-G. Lapeyre, A. Pellegrin, Carthage punique, Paris, 1942.
[1326] Ch.-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, t. I, 2e éd. revue et mise
à jour par Ch. Courtois, Paris, 1951.
[1327] G. Picard, Le monde de Carthage, Paris, 1956.
[1328] G. et G. Charles-Picard, La vie quotidienne à Carthage au temps d’Hannibal,
Paris, 1958.
[1329] B. H. Warmington, Histoire et civilisation de Carthage (trad. de l’anglais),
Paris, 1961.
[1330] D. Harden, The Phoenicians, Londres, 1963 (malgré son titre, l’ouvrage
est consacré en grande partie à Carthage et au monde punique).
[1331] F. Barreca, La Civiltà di Cartagine, Cagliari, 1964.
[1332] Carthage, sa naissance, sa grandeur, Archéologie vivante, numéro spécial,
vol. I, n° 2, décembre 1968 - février 1969 (contient les contributions de
P. Cintas, R. Carpenter, M. Ennaïfer, J.-G. Février, L. Foucher,
M. Fantar,J. Heurgon, J. Leclant, G.-Ch. Picard, M. Sznycer, etc.).
['3331 G.-C. et C. Picard, Vie et mort de Carthage, Paris, 1970.
[1334] M. Fantar, Carthage, la prestigieuse cité d’Elissa, Tunis, 1970.
[1335] P. Cintas, Manuel d’archéologie punique, I-II, Paris, 1970-1976.
[1336] S. Moscati, I Fenici e Cartagine, Turin, 1972 (un gros volume, riche
d’informations sur la vie sociale, l’économie, le commerce, l’industrie,
l’artisanat, la technique, les institutions, l’administration, la vie reli¬
gieuse, etc., des Phéniciens et des Puniques).
(1337] F- Decret, Carthage ou l’empire de la mer, Paris, 1977-
474 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Plus particulièrement sur Rome et Carthage :

[*33^] J- Vogt (éd.), Rom und Karthago, Leipzig, 1943.


[1339] J -P- Brisson, Carthage ou Rome ?, Paris, 1973.
[1340] V. Tusa, La civiltà punica, dans Popoli e civiltà dell’Italia antica, III,
Rome, 1974.
[1341] S. Moscati, I Cartaginesi in Italia, Milan, 1977.

II / Problèmes de méthodes et sources

1) Méthodologie

[1342] S. Moscati, Problematica delta Civiltà Fenicia, Rome, 1974.


[1343] A- Laroui, L’histoire du Maghreb. Un essai de synthèse, Paris, 1970.
[1344] M. Benabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, 1975.
[1345] M. Sznycer, L’expansion phénico-punique dans la Méditerranée occi¬
dentale. Problèmes et méthodes, dans Actes du IIe Congrès d’Etude des
cultures de la Méditerranée occidentale (Malte, juin 1976), t. I, Alger,
1976, 35-48.

2) Les sources

A) Littéraires : grecques et latines

Il n’existe aucun recueil, complet ou partiel. Seuls ont été réunis les
passages d’Hérodote concernant l’Afrique du Nord :

[■346] S. Gsell, Hérodote (textes relatifs à l’histoire de l’Afrique du Nord,


fasc. I), Ager-Paris, 1916 (avec un commentaire très étendu).

Les passages des écrivains grecs et latins concernant Carthage et le


monde punique sont rassemblés et cités (mais utilisés sans discernement
et noyés dans la masse de 2 200 pages) dans :

[1347] F- Mo vers, Die Phônizier, 3 vol., Bonn, Berlin, 1841-1856.

Ces passages sont commodément indiqués dans F. Barreca [1331],


p. 205-206 et, en tête des chapitres, dans l’ouvrage de vulgarisation de :
14348] G. Walter, La destruction de Carthage, Paris, 1947.

B) Epigraphiques

Les inscriptions puniques sont publiées dans :


(1349] Corpus Inscriptionwn Semiticarum (CIS), Pars prima.
[1350] Répertoire d’Epigraphie sémitique (RES).

(Ces deux publications sont editees par l’Academie des Inscriptions


et Belles-Lettres, le Corpus, à partir de 1881, le Répertoire, à partir de 1900).
Bibliographie 475

En outre, les textes puniques ont été rassemblés et commentés dans


divers recueils :

[1351] G. A. Cooke, A Text-Book of North-Semitic Inscriptions, Oxford, 1903.


[1352] J.-B. Chabot, Punica, Paris, 1918.
['353] H. Donner, W. Rollig, Kanaanâische und Aramâische Inschriften (KAI),
3 vol. (2e éd.), Wiesbaden, 1968.
[1354] M. G. Guzzo Amadasi, Le Iscrizioni Fenicie e Puniche delle Colonie in
Occidente, Rome, 1967.

C) Archéologiques

a) Carthage et Afrique punique

C1355] G- T. Falbe, Recherches sur Vemplacement de Carthage, Paris, 1833.


[1356] M. Dureau de La Malle, Recherches sur la topographie de Carthage, Paris,
1835-
[1357] M. Beulé, Fouilles à Carthage, Paris, 1861.
[1358] E. de Sainte-Marie, Mission à Carthage, Paris, 1884.
[1359] P. Delattre, Tombeaux puniques de Carthage, Lyon, 1890.
[1360] —- Nombreux comptes rendus de fouilles, dans Cosmos, BAC, CRAI.
[1361] A. Audollent, Carthage romaine, Paris, 1901.
[1362] A. Merlin et L. Drapier, La nécropole punique d’Ard-el-Kheraïb, Paris,
I909-
[1363] P. Gauckler, Nécropoles puniques, 2 vol., Paris, 1915.
[1364] L. Poinssot et R. Lantier, Un sanctuaire de Tanit à Carthage, dans
Revue de l’Histoire des Religions, 1923, 1-38.
[1365] L. Carton, Sanctuaire punique découvert à Carthage, Paris, 1929.
[1366] F. W. Kelsey, Excavations in Carthage, New York, 1926.
[1367] B. G. Khun de Prorok, Gôttersuche in Afrikas Erde, Leipzig, 1928.
[1368] G. G. Lapeyre, Les fouilles du Musée Lavigerie de 1935 à 1939, dans
CRAI, 1939, 81 et suiv., 294 et suiv.
[1369] D. Harden, The Pottery from the Precinct of Tanit at Salammbô,

Carthage, dans Iraq, 4, 1937, 58-89.


[1370] P. Cintas, Un sanctuaire précarthaginois sur la grève de Salammbô,
dans Revue tunisienne, 1948, 1 -31.
[1371] J. Ferron et M. Pinard, Fouilles de Byrsa, dans Cahiers de Byrsa, V,
1955, 31-8!; ibid., IX, 1960-1961, 77-170.
[1372] H. Hurst, Excavations at Carthage 1974. First intérim Report, dans
The Antiquaries Journal, LV/i, 1975» 11-40<
[1373] S. Lancel, Nouvelles fouilles de la Mission archéologique française à
Carthage sur la colline de Byrsa : campagne de 1974“1975» dans CRAI,
1976, 60-78.
476 Rome et la conquête du monde méditerranéen

[1374] P. Cintas, Le sanctuaire punique de Sousse, dans Revue africaine, XC,


1947, 1-85.
[1375] — Deux campagnes de fouilles à Utique, dans Karthago, II, 1951, 1-88;
et Nouvelles recherches à Utique, ibid., V, 1954, 89-155.
[1376] — Une ville punique au cap Bon, en Tunisie, dans CRAI, 1953, 256-260.
[J377] J--P- Morel, Kerkouane, ville punique du cap Bon. Remarques archéo¬
logiques et historiques, dans MEFR, 81, 1969, 473-518.
C1378] G. Vuillemot, Reconnaissances aux Echelles puniques d'Oranie, Autun-Paris,
1965-
[r379] P- Cintas, Fouilles puniques à Tipasa, dans Revue africaine, XCII, 1949,
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[1380] S. Lancel, Tipasina III : la nécropole préromaine occidentale de Tipasa,
dans Bulletin d'Archéologie algérienne, III, 1968, 85-166.
[1381 ] A. Berthier et R. Charlier, Le sanctuaire punique d'El-Hofra à Constantine,
2 vol., Paris, 1955.
[1382] P.-A. Février, La nécropole orientale de Tiddis, dans Bulletin d'Archéo¬
logie algérienne, IV, 1970, 41-100.
[13^3] R- Berthier, Tiddis antique. Castellum Tidditanorum, Alger, 1972.
C1384] Sid A. Baghli et P.-A. Février, Recherches et travaux en 1968-1969,
dans Bulletin d’Archéologie algérienne, IV, 1970, 9-30.
[1385] M. Bouchenaki, Recherches puniques en Algérie, dans Ricerche puniche
nel Mediterraneo Centrale, Rome, 1970, 59-73.
[1386] M. Fantar, Recherches puniques en Tunisie, dans Ricerche puniche nel
Mediterraneo Centrale, Rome, 1970, 75-89.
[1387] A. di Vita, Les Phéniciens de l’Occident d’après les découvertes
archéologiques de Tripolitaine, dans A. Ward (éd.), The rôle of
the Phoenicians in the interaction of Mediterranean Civilisations, Beyrouth,
1968, 77-112.
[1388] P. Cintas, Contribution à l'étude de Vexpansion carthaginoise au Maroc, Paris,
*954-
I4369] M. Tarradell, Marruecos punico, Tétouan, 1959.
[I39°] M. Ponsich, Recherches archéologiques a Tanger et dans sa région, Paris, 1970
(chap. V : « L’époque punico-mauritanienne à Tanger»),
C1391 ] Fouilles puniques et romaines à Lixus, dans Hespéris-Tamuda, VII,
1966, 17-22.
[1392] L. Galand et M. Sznycer, Une nouvelle inscription punico-libyque de
Lixus, dans Semitica, XX, 1970, 5-16.
[■393] A. Jodin, Mogador, comptoir phénicien du Maroc atlantique, Rabat, 1966, et
Les établissements du roi Juba II aux îles Purpuraires (Mogador) Tanger
1967.
[1394] J--G. Février, Inscriptions puniques et néopuniques, dans Inscriptions
antiques du Maroc, Paris, 1966, 81-132,
Bibliographie 477

b) Sicile, Sardaigne, Malte, Espagne

[1395] L. Pareti, Sicilia antica, Palerme, 1959.


[1396] V. Tusa, Ricerche puniche in Sicilia, dans Ricerche puniche nel Mediter-
raneo Centrale, Rome, 1970, 39-58.
[1397] G- Pottino, Cartaginesi in Sicilia, Palerme, 1976.
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[1399j B- S. J. Isserlin, J. du Plat Taylor, Motya, A Phoenician and Carthaginian
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[1400] M. Cagiano de Azevedo et al., Missione archeologica a Malta, I-X,
10 vol., Rome, 1964-1973.
[1401] G. Pesce, Sardegna Punica, Cagliari, 1961.
[1402] S. Moscati, Fenici e Cartaginesi in Sardegna, Milan, 1968.
[1403] F. Barreca, La Sardegna fenicia e punica, Sassari, 1974.
[1404] M. G. Guzzo Amadasi et al., Monte Sirai, I-IV, Rome, 1964-1967.
[1405] E. Ac^uaro, F. Barreca, S. M. Cecchini, D. et M. Fantar,
M. G. Guzzo Amadasi, S. Moscati, Ricerche puniche ad Antas, Rome, 1969.
[1406] E. Acquaro, S. Moscati, M. L. Uberti, Anecdota Tharrhica, Rome, 1975.
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hasta la conquista cartaginesa, La colonias pünicas, El arte pünico
en Espana, dans Historia de Espana (R. Menéndez Pidal, éd.), t. I,
vol. II, Madrid, 1952, 337-492-
[1408] M. Pellicer Catalan, Excavaciones en la necrôpolis punica « Laurita » del
Cerro de San Cristobal, Almunécar, Granada, Madrid, 1962.
[1409] M. Astruc, La necrôpolis de Villaricos, Madrid, 1951.
[1410] A. Vives y Escudero, Estudio de Arqueologia cartaginesa. La necropôli de

Ibiza, Madrid, 1917.


[ 1411 ] E. Aubet, Los depositos votivospûnicos de Isla Plana (Ibiza) y Bilhia (Cerdeha),
Santiago de Compostela, 1969.
[1412] M. Tarradell, Terracota pünicas de Ibiza, Barcelone, 1974-

III I La ville de Carthage (topographie et urbanisme)

[1415] G. Picard,Carthage, Paris, 1951.


[1416] R. Duval, L’enceinte de Carthage, CRAI, 1951, 53"59-
[ 1417] J. Baradez, Nouvelles recherches sur les ports de Carthage, dans

Karthago, IX, 1958, 45-78-


[1418] F. Reyniers, Remarques sur la topographie de Carthage à l’époque de la
troisième guerre punique, dans Mélanges Piganiol, Paris, 1966, 1281-1290.
[1419] P. Mingazzini, Il porte di Gartagine ed il Kothon, dans Rendiconti délia
Accademia Nazionale dei Lincei (Classe di Scienze morali, storiche e filo-
logiche), vol. XXIII, fasc. 3-4, 1968, 137“152-
478 Rome et la conquête du monde méditerranéen

[1420] C. Saumagne, Le Lungomare de la Carthage romaine, dans Karthago,


x> 1959-1960 (Paris, 1962), 157-170.
[1421] E. Kursten, Kothon in Sparta und Karthago, dans Charités, Bonn, 1957,
p. 110 sqq.
[1422] L. Carton, Documents pour servir à l’étude des ports et de l’enceinte de la
Carthage punique, Paris, 1913.
[1423] G. Saumagne, Le port punique à Carthage : observations et hypothèses,
dans Historia, V, 1931, 173-195.
[1424] P. Cintas, Les ports puniques, Paris, 1973.
[1425] A. Mahjoubi et M.-H. Fantar, Une nouvelle inscription carthaginoise,
dans Rendiconti délia Accademia Nazionale dei Lincei, XXI, fasc. 7-12, 1966,
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[1426] A. Dupont-Sommer, Une nouvelle inscription punique de Carthage,
dans CRAI, 1968, 1-18.
[1427] M. Sznycer, Sur une nouvelle inscription punique de Carthage, dans
Comptes rendus du Groupe linguistique d’Etudes chamito-sémitiques, XII,
1967-1968, 5-6.
[1428] M. Fantar, « Pavimenta Punica » et le signe de Tanit dans les habita¬
tions de Kerkouane, dans Studi Magrebini, I, 1966, 57-65.

IV / Les institutions de Carthage

[’429] E- Bacigalupo Pareo, I supremi magistrati a Cartagine, dans Contributi


di Storia Antica in onore di Albino Garzetti, Gênes, 1976, 61-87.
[1430] J. Beloch, Die Kônige von Karthago, dans K lia, VII, 1907, 19-26.
[1431 ] E- Weil, Aristote et l’histoire, Paris, 1961.
[1431 a] L. Maurin, Himilcon le Magonide. Crises et mutations à Carthage au
début du iVe siècle av. J.-C., dans Semitica, XII, 1962, 5-43.
[1432J E- S. G. Robinson, Punie Coins of Spain and their Bearing on the Roman
Repubhcan Sériés, dans Essays in Roman Coinage presented to Harold
Mattingly, Oxford, 1956, 34-53.
[*433] E. C. Kluge, Aristoteles, de politia Carthaginiensium, Breslau, 1824.
[1434] G. Picard, Institutions politiques : de la fondation de Carthage à la
révolution barcide, dans [1332], 149-153.
[1435] — Le portrait d’Hannibal : hypothèse nouvelle, dans Studi Annibalistici
(Accademia Etrusca di Cortona, Annuario XII), Cortona 1964, 195-207.
D436] — Le problème du portrait d’Hannibal, dans Karthago, XII 106^
3I-41-
[4437] —Hannibal, Paris, 1967.
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Congreso Arquelôgico del Levante, et Acunaciones pünicas de Cartagena dans
Congreso Arqueolôgico del Sudeste Espahol, III, Cartagena, 1948, 224-238.
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Cayetano Mergelina, Murcia, 1961-1962, 665-686.
[1440] L. Villaronga, Las monedas hispano-cartaginesas, Barcelone, 1973.
[1441] A. Heuss, Die Gestaltung des rômischen und des karthagischen Staates
bis zum Pyrrhos-Krieg, dans [1338], 83-138; cf. 89-120 (A. Karthago).
[1442] G. Picard, Les sufètes de Carthage dans Tite-Live et Cornélius Nepos,
dans Revue des Etudes latines, XLI, 1964, 269-281.
[1443] — Les rapports entre gouvernants et gouvernés à Carthage, dans Recueils
de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, XXIII,
Bruxelles, 1968, p. 133 sqq.
[1443 a] G.-C. Picard, La Révolution démocratique à Carthage, dans coll.
« Latomus », LXII, Bruxelles, 1968, 113-130.
[1444] W. Huss, Vier Sufeten in Karthago?, dans Le Muséon, XC, 3-4, 1977,

427-433-
[1445] J. Aubonnet, Aristote, Politique (texte établi et traduit par), t. I, Paris,
1968, p. 168, n. 7.
[1446] A. Caquot et M. Sznycer, Textes ougaritiques, t. I, Paris, 1974.
[1447] F. C. Fensham, The Judges and Ancient Israélite Jurisprudence, dans
Die Ou Testamentiese Werkgemeenskap in Suid-Afrika, 2, i959j I5'22-
[1448] W. Schmidt, Kônigtum Gottes in Ugarit und Israël, Berlin, 1961.
[1449] W. Richter, Zu den « Richtern Israels », dans Zeitschrift fur die Alttesta-
mentliche Wissenschaft, 77, 1965, 40-72.
[1450] R. de Vaux, Histoire ancienne d’Israël, t. II, Paris, 1973.
[1451] J. Dus, Die « Sufeten Israels », dans Archiv Orientalni, 31, 1963, 444-469.
[1452] L. Poinssot, Une inscription de Souani el-Adani, dans Revue tunisienne,
1942, 125-140.
[1453] G- Camps, Massinissa ou les débuts de l’histoire (Libyca, VIII), i960.
[1454] J.-G. Février, Remarques sur le Grand Tarif dit de Marseille, dans
Cahiers de Byrsa, VIII, 1958-1959, 35"43-
[! 455] G- Krahmalkov, Notes of the rule of the « shoftim » in Carthage, dans
Rivista di Studi Fenici, IV/2, 1976) I53_I57-
[1456] W. Seston, Remarques sur les institutions politiques et sociales de Car¬
thage, d’après une inscription latine de Thugga, dans CRAI, 1967,218-223.
[,457] — Des « portes » de Thugga à la « Constitution » de Carthage, dans
Revue historique, t. 237, 277_294-
[1458] M. Sznycer, L’ « Assemblée du peuple » dans les cités puniques d’après
les témoignages épigraphiques, dans Semitica, XXV, 1975, 47-68.
[1459] G. Levi Della Vida, Magistrature romane e indigène nelle iscrizioni
puniche Tripolitane, dans Studi in onore di Edoardo Volterra, VI, Milan,

I97C 457-469-
[1460] M. G. Bertinelli Angeli, Nomenclatura pubbhca e sacra di Roma nelle
epigrafi semitiche, Gênes, 197°-
480 Rome et la conquête du monde méditerranéen

V / La religion

[1461] G. Picard, Religions de VAfrique antique, Paris, 1954.


[1462] A. Garcia y Bellido, Deidades semitas en la Espagna Antigua, dans
Sefarad, XXIV, 1964, 12-40; 237-275.
[1463] — Les religions orientales dans l’Espagne romaine, Leiden, 1967.
[1464] M. Sznycer, Mythes et dieux de la religion phénicienne, dans Archeologia,
20, 1968, 27-33.
[1465] S. Moscati, Il tofet, dans Studi sull’Oriente e la Bibbia, 1967, 71-75.
[1466] C. Picard, Genèse et évolution des signes de la bouteille et de Tanit à
Carthage, dans Studi Magrebini, II, 1968, 77-87.
[1467] S. Moscati, L’origine del segno di Tanit, dans Rendiconti delta Accademia

Nazionale dei Lincei (Classe di Scienze morali, storiche e filologiche),


ser. VIII, vol. XXVII, 1972, 371-374.
[1468] L’origine dell’idolo a botiglia, dans Rivista di Studi Fenici, III 1
1975, 7-9-
[1469] M. Sznycer, Note sur le dieu Sid et le dieu Horon d’après les nouvelles
inscriptions puniques d’Antas (Sardaigne), dans Karthago, XV, 1969,
67-74.
[1470] R. de Vaux, Les sacrifices de l’Ancien Testament, Paris, 1964.
[i47i] Dr L. Richard, Etude médico-légale des urnes sacrificielles puniques et de leur
contenu, thèse pour le doctorat en médecine. Institut médico-léeal de
Lille, 1961.
[4472] O. Eissfeldt, Molk als Opferbegriff im Punischen und Hebrâischen und das
Ende des Gottes Moloch, Halle (Saale), 1935.
14473] R. Dussaud, Précisions épigraphiques touchant les sacrifices puniques
d’enfants, dans CRAI, 1946, 371-387.
U 474] R. Charlier, La nouvelle série de stèles puniques de Constantine et la
question des sacrifices dits « Molchomor », en relation avec l’expression
« BSRM BTM », dans Karthago, IV, 1953, 3-48.
U 475] H. Cazelles, Molok, dans Supplément au dictionnaire de la Bible, VI iqr7
col- 1337-1346.
[ï476]
J.-G. Février, Essai de reconstitution du sacrifice molek, dans Journal
asiatique, i960, 167-187.
[H77] S. Moscati, Il sacrificio dei fanciulli, dans Rendiconti délia Pontificale
Accademia Rom. di Arch., XXXVIII, 1965-1966, 164 suiv.
C1478] J.-G. Février, Le vocabulaire sacrificiel punique, dans Journal asiatique,
I955> P- 55 et suiv.
14479] G. Picard, Les représentations de sacrifice molk sur les ex-voto de
Carthage, dans Karthago, XVII, 1976, 67-138.
[1480]
A-0CAPUZ-’ 1 sacnfici animali a Gartagine, dans Studi Magrebini, II
!968, 45-76.
Bibliographie j

[1481] M. Le Glay, Saturne africain. Monuments, 2 vol., Paris, 1961; Saturne


africain. Histoire, Paris, 1966.
[ï482] J. Carcopino, Survivance par substitution des sacrifices d’enfants dans
l’Afrique romaine, dans Revue d’Histoire des Religions, CVI, 1932, 592-599,
repris dans Aspects mystiques de la Rome païenne, Paris, 1942, 39-48.
C14^3] J--G. Février, Le rite de substitution dans les textes de N’Gaous, dans
Journal asiatique, CCL, 1962, 1-10.
[1484] J- Ferron, Mort-Dieu à Carthage ou les stèles funéraires de Carthage, 2 vol.,
Paris, 1976 (la présentation des stèles et le catalogue établi sont utiles,
mais il faut utiliser avec la plus extrême prudence les interprétations
proposées par l’auteur).
[1485] H- Bénichou-Safar, Carte des nécropoles puniques de Carthage, dans
Karthago, XVII, 1976, 5-35.
[i486] — Les tombes puniques de Carthage, thèse de doctorat de IIIe cycle (Paris IV),
1 vol. de 590 p. dactylographiées et 1 vol. de planches, Paris, 1978.
[1487] M. Astruc, Traditions funéraires de Carthage, dans Cahiers de Byrsa,
VI, 1957) 29-58.
[1488] M. Fantar, Eschatologie phénicienne punique, Tunis, 1970.

VI / L’écriture, la langue et les textes puniques

[1489] M. Sznycer, L’emploi des termes « phénicien », « punique », « néopu¬


nique ». Problèmes de méthodologie, dans Acts of the Second Congress on
Hamito-Semitic Linguistics, Firenze, 1978, 261-268.
[1490] E. Bickermann, An Oath of Hannibal, dans Transactions of the American
Philological Association, LXXV, 1944.
[1491] — Hannibal’s Covenant, dans American Journal of Philology, LXXIII, 1,
1952, 1-23.
[1492] J. Heurgon, L’agronome carthaginois Magon et ses traducteurs en latin
et en grec, dans CRAI, 1976, 441-456.
[1493] M. Sznycer, Les passages puniques en transcription latine dans le « Poenulus »
de Plaute, Paris, 1967.
[1494] F. Vattioni, Glosse puniche, dans Augustinianum, 1976, 505-555.
[1495] J. M. Reynolds et J. B. Ward Perkins, The Inscriptions of Roman
Tripolitania ( = LRT), Londres, Rome, 1952.
[1496] G. Levi Della Vida, Sulle iscrizioni « latino-libiche » délia Tripolitania,
dans Oriens Antiquus, II, 1, 1963, 65-94.
[1497] M. Sznycer, Les inscriptions dites « latino-libyques », dans Comptes
rendus du Groupe linguistique d’Etudes chamito-sémiliques, t. X, 1965, 97-104.
[1498] — La littérature punique, dans [1332], 141-148.
482 Rome et la conquête du monde méditerranéen

CHAPITRE II. — LES GUERRES PUNIQUES

1) L’empire de Carthage

[1499] G.-Ch. Picard, L’administration territoriale de Carthage, dans Mélanges


d’Archéologie et d’Histoire offerts à André Piganiol, III, Paris, 1966,1257-1270.
[1500] G. Picard, A. Mahjoubi et A. Beschaouch, Pagus Thuscae et Gunzuzi,
dans CRAI, 1963, 124-130.
[1501] G.-Ch. Picard, Le pagus dans l’Afrique romaine, dans Karthago, XV,
1969-197°; 3-!2.

[1502] J--B. Chabot, Note sur l’inscription punique d’une borne-limite décou¬
verte en Tunisie, dans BAC, 1943-1945, Paris, 1951, 64-67.
[i5°3] J--G. Février, La borne de Micipsa, dans Cahiers de Byrsa, VII, 1957,
119-121.
[1504] M. Sznycer, Etude d’inscriptions néopuniques de Maktar, dans
VAnnuaire de VEcole pratique des Hautes Etudes (IVe section), 108e année,
1976, 167-183.
[1505] H. Bengtson, Zur kartagischen Strategie, Aegyptus, 1952, 149-162.

Sur la monnaie :
[1506] L. Muller (C. T. Falbe et J. Lindberg), Numismatique de Vancienne
Afrique, 3 vol., Copenhague, 1860-1874.
C15°7] G- K. Jenkins, Carthaginian Gold and electrum coins, Londres, 1963.
[1508] —Coins of Punie Sicily, I, SNR, 1971, 35-78; II, SNR, 1974,23-41.
[r5°9] J- Jahn, Karthago und westliche Nordafrika, Chiron, 1977, 411-485
(bibliographie numismatique de 424 titres).

2) Généralités

[1510] R. M. Errington, The dawn of Empire, Londres, 1971.


['511 ] F. Hampl, Vorgeschichte des ersten und zweiten Punischen Krieges,
ANRW, I, 1, Berlin, 1972, 412-441 ([276]).
[1512] W. Hoffmann, Karthagos Kampfum die Vorherrschaft, ANRW, I. 1,
1972, 341-363 ([276]).
C1513] S- Mazzarino, Introduzione aile guerre puniche, Catane, 1948.
[1514] E- Pais, Storia di Roma durante le Guerre Puniche, 2 vol., Turin, 19352.

3) Les sources

14515] W. Hoffmann, Livius und der zweite Punische Krieg, Hermes Einzel-
schriften, 8, 1942.
[1516] E. Badian, Ennius and his friends, dans Ennius, Fond. Hardt, Entre¬
tiens XVII, 1971, 151-195.
C1517] V- La Bua, Filino-Polibio-Sileno-Diodoro, Palerme, 1966.
Bibliographie 483

[ 1518] H. Dessau, Ueber die Quellen unseres Wissen vom zweiten Punischen
Kriege, Hernies, 1916, 355-385.
[1519] K- H. Schwarte, Naevius, Ennius und der Beginn des ersten Punischen
Krieges, Historia, 1972, 206-223.
[1520] U. Wilcken, Eine Sosylos Fragment in der Würzburger Pap. Sammlung,
Hernies, 1906, 103; Zu Sozylos..., Hernies, 1907, 5-10.
[1521] K. Meister, Annibale in Sileno, Maia, 1971, 3-9.

Les témoignages littéraires et épigraphiques concernant les traités de


la période sont réunis, avec apparat critique, bibliographie et commen¬
taires, dans :

[1522] H. Schmitt, Die Vertràge der griechisch-rômischen Welt von 338 bis 200 v. Ch.
{Die Staatsvertràge des Altertums, t. 3), Münich, 1969 (indispensable).

Sur l’inscription étrusque de Tarquinia (un combattant d’Hannibal


ou contre Hannibal, mort à 110 ans ?) :

[1523] A. J. Pfiffig, Hannibal in einer etruskischen Grabinschrift in Tarquinia,


Anz. Oester. Akad. Wien, 1967, 54-61.

4) La première guerre punique et la paix armée

[1524] S. Calderone, Polyb., I, 11, 1 (Seminario di Ricercha, Univ. Messina),


1976.
[1525] A. Heuss, Der erste Punischen Krieg und das Problem des rômischen
Imperialismus. Zur politischen Beurteilung des Krieges, Hist. Zeit¬
schrift, 1949, 457-513.
[1526] W. Hoffmann, Das Hilfgesuch der Mamertiner am Vorabend des
ersten Pun. Krieges, Historia, 1969, 153-180.
[1527] M. A. Levi, Le cause délia guerra romana contro gli Illiri, Par. Pass.,
i973> 3I7-325-
[1528] K. Meister, Der sogenannte Philinosvertrag, Riv. Filol., 1970, 408-423
(excellent).
[1529] R. E. Mitchell, Roman-Carthaginian treaties : 306 and 279/8 bc,
Historia, 1971,633-655 (important).
[153°] J- H. Thiel, A history of roman sea-power before the second punie war,
Amsterdam, 1954.
[1531] A. Vallone, I Mamertini in Sicilia, Kôkalos, I, 1955, 22-61.
[1532] P. Veyne, Y a-t-il eu un impérialisme romain ?, MEFR, 1975, 793-855.

5) La Sicile et la Sardaigne au moment des guerres puniques

t1533] H- Serve, Koenig Hieron II, Munich, 1959.


[1534] 8- Calderone, Problemi dell’organizzazione délia provincia di Sicilia,
Kôkalos, 1964-1965, 63-98.
[1535] — Il problema delle città censorie, Kôkalos, i960, 63-98.
484 Rome et la conquête du monde méditerranéen

[1536] G. Manganaro, Per una storia délia Sicilia romana, ANRIV, 1,1, 1972,
442-461 ([276]).
C1537Ü E. Pais, Storia delta Sardegna e delta Corsica durante il dominio romano, Rome,
19-3 •
C153G] F. Rizzo, La Sicilia e le potenze ellenistiche al tempo delle Guerre
Puniche, 1. I rapporti con Cos, l’Egitto e l’Etolia (suppl. à Kôkalos), 1973.
C1539] D- Roussel, Les Siciliens entre les Romains et les Carthaginois à l’époque de la
première guerre punique, Besançon-Paris, 1970.
[1540] A. Di Vit a, Un milliarium del 252 a. c. e l’antica via Agrigento-Panormo,
Kôkalos, 1955-1956, 10-21.

6) La deuxième guerre punique

a) Les Barcides en Espagne et les origines de la guerre

[15406] Bibliographie exhaustive dans K. Christ (éd.), Hannibal, Darmstadt,


1974-
Sur le monnayage barcide [1440].

b) Sur l’affaire de Sagonte et les origines de la guerre

CI54i] A- E. Astin, Saguntum and the origins of the second punie war, Latomus,
ï967, 577-596.
[154^] J* Carcopino, Le traité d Flasdrubal et la responsabilité de la deuxième
guerre punique, Rev. Et. Ane., i953> 256-293 (= Les étapes de l’impérialisme
romain, 1961, 19-67).
[1543] E. Coliero, Hannibal’s excuse for attacking Saguntum, Helmantica,
!977, 97-102.
[1544] R. M. Errington, Rome and Spain before the second Punie War,
Latomus, 1970, 25-57.
[1545] W. Hoffmann, Die rom. Kriegserklârung an Karthago im J. 218,
Rhein. Mus., 1951, 69-88.
C1546] F. R. Kramer, Massilian diplomacy before the second Punie War, Am.
Journ. Phil., 1948, 1-26.
C1547] G. v. Sumner, Roman policy in Spain before the Hannibalic war,
Harv. Stud. Class. Phil., 1967, 205-246 (essentiel).
C1548] Rome, Spain and the outbreak of the second Punie War, Latomus
1972, 469-480.

Ajouter :

[1549] G. Picard, Le traité romano-barcide de 226 av.J.-C., Mélanges Carcopino


1966, 747-762.
[^o] P. Gauthier, L’Ebre et Sagonte : défense de Polybe, Rev. Phil., iq68
91-100.
Bibliographie 485

c) Hannibal
Dans l’immense bibliographie rassemblée dans [1540 b\, on retiendra:
[1551] J. Carcopino, Grandeur et faiblesse d’Hannibal, dans Profils de conqué¬
rants, Paris, 1961, 109-237.
[1552] K. Christ, Zur Beurteilung Hannibals, Historia, 1968, 461-495.
[1553] E. Groag, Hannibal als Politiker, Wien, 1929.
[1554] Studi Annibalici (Atti del Convegno... di Cortona), 1961 (1964) (recueil de
plusieurs études importantes).
d) Aspects militaires et politiques de la guerre
[1555] A. D. Finton Brown, After Cannae, Historia, 1959, 365-371-
[1556] — La stratégie romaine, 218-216 ac, Studi Annibalici, 1964, 181-189.
[d557] W. Hoffmann, Hannibal und Sizilien, Hermes, 1961, 470-494.
[1558] A. Klotz, Die rom. Wehrmacht im 2. Pun. Kr., Philologus, 1933, 42-89.
14559] J- Kromayer, Hannibal als Staatsmann, Hist. Zeitschr. 1909, 237-273.
[1560] P. Marchetti, La deuxième guerre punique en Sicile, Bull. Inst. Belge
Rome, 1972, 5-26.
[1561] A. J. Pfiffig, Die Haltung Etruriens im 2. Punischen Krieg, Historia,
1966, 113-210.
[1562] A. Piganiol, Hannibal chez les Péligniens, Rev. Et. Ane., 1920, 1-17*
[1563] H. H. Scullard, Scipio Africanus : soldier and politician, London, 1970.
[4563 a] —- The éléphant in the Greek and Roman world, Londres, 1974.
[ï564] J. Ungern-Sternberg, Capua im zweiten Pun. Krieg, Munich, 1975.
e) Sur les problèmes militaires
— Le passage des Alpes :
[1565] Gavin de Beer, Hannibal’s Alarch, London, 1967.
[1566] R. Dion, La voie héracléenne et l’itinéraire transalpin d’Hannibal,
Hommages Grenier (coll. « Latomus »), 1962, 527"543-
[1567] D. Proctor, Hannibal’s march in history, Oxford, 1971 -
[1568] F. Walbank, Some reflections on Hannibal’s pass, Journ. Rom. Stud.,
1956) 37-45-
— Les batailles :
[1569] N. Alfieri, La battaglia del Metauro, Rend. Istituto rnarchigiano Sc.
Lett. Arti, 1939-1940,91-135.
[[570] F. Bertocchi, Recenti scavi ai sepolcreti di Canne, Studi Annibalici,
1964. 93‘109-
[1571] F. Cornélius, Cannae, Leipzig, 1932.
[1572] N. Degrassi, La zona archeologica di Canne délia Bataglia, Studi
Annibalici, 1964, 83-91.
[■573] J- Kromayer, Die Schlacht am Trasimenischen See..., N eue Jahrb.
Klass. Altertum, 1910, 85-200,
486 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Cr574] L- Laurenzi, Perche Annibale non assedio Roma, considerazione


archeologiche, Studi Annibalici, 1964, 141-151.
[[575] Th. Mommsen, Zama, dans Gesam. Schriften, IV, 1906, 36-48.
['576] G. Saumagne, Zama, CR AI, 1941, 445-452.
[•577] A. von Schliefen, Cannae, dans Gesam. Schriften, I, 1913, 25-266.
[1578] G. Susini, L’archeologia délia guerra annibalica, Studi Annibalici,
Cortona, 1964, 111-139.
[i579] (Le livre du général D. Ludovico, La Battaglia di Canne, Roma, 1958,
est totalement dépassé.)

f) La troisième guerre punique

[1580] M. Gelzer, Nasicas Widerspruch gegen die Zerstôrung Karthagos


Philologus, 1931, 261-299 (essentiel).
[1581] W. Hoffmann, Die rom. Politik des 2. Jahrhunderts und das Ende
Karthagos, Historia, 1960, 309-364.
[1582] A. Lezine, Carthage-Utique, Aix-en-Provence, 1969.
[1583] S. Rossetti, La Numidia e Cartagine fra la IIa et la III» guerra punica
Parola Passato, i960, 336-353.
[1584] C. Saumagne, Les prétextes juridiques de la troisième guerre punique
Rev. Hist., 1931, 225-253 et 1-42.
[1585] P- G. Walsh, Massinissa, Journ. Rom. Stud., 1965, 149-160.
[15 6] H. G. Pflaum, La romanisation de l’ancien territoire de la Carthage
punique à la lumière des découvertes épigraphiques, Antiq. Afric., 1970
75-H7- '

CHAPITRE III
L’AFRIQUE ROMAINE ET LIBYCO-BERBÈRE

[1587] T. D. Barnes, A Manan Colony, dans The Class. Rev., XXI, 1071 222
[1588]
A. Berthier Note sur l’épigraphie du Kef, dans Rec. Soc. Arch. Cons tan-
Une, LXVIII, 1953, 177-198.
[1589] A Berthier J Juillet et R. Charlier, Le « Bellum Jugurthinum »

de SaHuste et le problème de Cirta, dans Rec. Soc. Arch. Constantine,


J-.XV11, 1950-1951, 3-144, 7 cartes.
[•590]
Sr°CUm?/TS d’arChiteCtUre maurétanienne au Maroc, dans
Buü. Arch. Maroc., VII, 1967, 263-367.
[i59i]
^929 Tke R<>manization ^ Africa Proc°™taris, Baltimore,
[1592]
XTVnA16^017/ Carthage, dans Mélanges M. Durry = REL
A.L,VI1 DIS, 1969, 265-275.
C1593] J. Burian, Afnka und Rom in der Zeit der Republik, dans Afrika und
Rom m der Antike, Halle-Wittenberg, 1968, 27-52,
Bibliographie 487

J. Burian, Die einheimische Bevôlkerung Nordafrikas von den punischen


[1594]
Kriegen bis zum Ausgang des Prinzipats, dans F. Altheim et R. Stiehl,
Die Araber in der alten Welt, I, Berlin, 1963, 420-549.
— Die rômische Landwirtschaft in Nordafrika und ihre historischen
[i595]
Wurzeln, dans Jhb. f. Wirtschaftsgeschichte, 1968, 237-258.
A. Caillemer et R. Chevallier, Les centuriations de l’Africa Vêtus,
[1596]
dans Annales ESC, IX, 1954, 433'46°•
— Les centuriations romaines de Tunisie, dans Annales ESC, XII, 1957’
[i597]
275-286.
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[1598]
historiques, Paris, 1961, 628 p., 24 pl.
— L’inscription de Béja et le problème des dii Mauri, dans Rev. Afr.,
[i599]
XCVIII, 1954, 233-260.
[1600] — Nouvelles observations sur l’architecture et l’âge du Medracen,
mausolée royal de Numidie, dans CRAI, 1973; 47°"5I7-
[1601] — Origines du royaume massyle, dans Rev. d’Hist. et de Civil, du Maghreb,

3, juin. 1967,29-38. • , , ,
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[1619] La politique municipale de VEmpire romain en Afrique proconsulaire, de


Trajan à Septime Sévère (= « coll. de l’Ec. fr. de Rome », 8), Rome 1072
258 p. ’ ’

[1620] M. Grant, From Imperium to Auctoritas, a kistorical Study of Aes Coinage in


the Roman Empire qg BC-AD 14, Cambridge, 1946, 510 p.
[1621] J. Guey et A. Pernette, Lépide à Thabraca, dans Kartha°o, IX iqr8
8i-88, 1 pl. 5 5

[1622] I. Hahn, Die Politik der afrikanischen Klientelstaaten im Zeitraum der


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[1623] J- Heurgon, Les Dardaniens en Afrique, dans REL, XLVII iq6o


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[1626] A. Jodin La tradition hellénistique dans l’urbanisme de Volubilis, dans
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[1627] E. Koestermann, C. Salins tins Crisfius, Bellum Iugurthinum, Heidelberg
1971 > 389 p. s’
[1628] V N Kontorini Le roi Hiempsal II de Numidie et les Rhodiens, dans
L Ant. class., XLIV, 1975, 89-99.
[1629] T. Kotula, Les Africains et la domination de Rome, dans Dialogues
a Histoire ancienne, II, 1976, 337-358

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1,6341 ^ ^..9";
1,6351 archaiqu'de 1'Afri<'"'
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[1636] Ch. Saumagne, La Numidie et Rome. Masinissa et Jugurtha, Paris, 1966,


267 p.
[ï 637] — Le droit latin et les cités romaines sous l’Empire, Paris, 1965, 135 p.
[ 1638] — Observations sur le tracé de la « fossa regia », dans Reale acc. naz. dei
Lincei, Rend, délia cl. di sc. mor., stor. e filol., ser., VI, IV, 1928, 451-461,
1 carte h. t.
[1639] — Vestiges de la colonie de G. Gracchus à Carthage, dans BAC, 1928-
1929, 648-664.
[1640] B. Scardigli, Sertorio. Problemi cronologici, dans Athenaeum, XLIX,
I97G 229-270.
[1641] B. P. Seletsky, Scipio the Younger’s Part in unleashing the Jugurthine
War and the political Tendency of his Circle, dans VDI, 1967, 4, 87-94
(en russe).
[1642] — The socio-political Struggle in Rome at the Time of the War with
Jugurtha, dans VDI, 1970, 1, 112-123 (en russe).
[1643] M. Tarradell, Marruecos pûnico, Tétouan, i960, 357 p., 29 pl.
[1644] L. Teutsch, Das Stàdtwesen in Nnrdafrika in der Zeit von C. Gracchus bis
zura Tode des Kaisers Augustus, Berlin, 1962, xx + 249 p., 2 cartes h. t.
[1645] E. Tiffou, Salluste et la géographie, dans Littérature gréco-romaine et
géographie historique (= Caesarodunum, IX bis), Mélanges R. Dion, Paris,
i974> I51-160-
[1646] C. Van Nerom, Colonia Iulia Goncordia Kathago, dans Hommages à
M. Renard, Bruxelles, II, 1969, 767-776.
[1647] G. Vuillemot, Fouilles du mausolée de Béni Rhenane en Oranie, dans
CRAI, 1964, 71-95.
[1648] — Siga et son port fluvial, dans Ant. Afr., V, 1971, 39-86.
[1649] W. Vycichl, Die Mythologie der Berber, dans Wôrterbuch der Mythologie,
Stuttgart, éd. par H. W. Haussig, II, 1972, 555-7°4; 5 PÉ

CHAPITRE IV. — LA PÉNINSULE IBÉRIQUE

Le manuel le plus utile reste :


[1650] R. Menéndez Pidal, Hisloria de Espaüa, t. I,vol. 2 : Espafta Protohistôrica :
la Espaüa de las invasiones célticas y el mundo de las colonizaciones, par
M. Almagro et A. Garcia y Bellido, Madrid, i960, 2e éd., 719 p.;
vol. 3 : Espaüa preromana, Etnologia de lospueblos de Hispania, par J. Malu-
quer de Motes, A. Garcia y Bellido, B. Taracena, J. Caro Baroja,
Madrid, 1954, 851 p.; t. II : Espaüa romana (218 a. de J.-C. - 414 de J.-C.),
par P. Bosch-Gimpera, P. Aguado Bleye, M. Torres, J. M. Pabôn,
P. Galindo, J. Ramôn Mélida, P. M. de Artinano, J. Ferrandis,
A. Garcia y Bellido, Madrid, 1955» 2e éd., 866 p.
490 Rome et la conquête du monde méditerranéen

avec les nombreux articles de la Real Encyclopàdie der classischen


AItertumwissenschaf’t, de Pauly, G. Wissowa, K. Mittelhaus, K. Ziegler,
H. Gartner, Stuttgart, depuis 1893, par exemple Hispania par
A. Schulten, Virialhus par H. G. Gundel, etc., et ces instruments de
travail dispensent d’évoquer les travaux anciens des écoles espagnole et
portugaise mais aussi d’E. Hübner, A. Schulten, P. Paris ou R. Lan-
tier [32].

Deux essais déjà anciens restent encore utilisables parce que


commodes :

[1651] L. Pericot Garcia, U Espagne avant la conquête romaine, Paris, 1952, 300 p.
r1652] C. H. V. Sutherland, The Romans in Spain, London, 1939, 264 p.

On y joindra le récent livre de poche de :

[1653] A. Tovar et J. M. Blazquez, Historia de la Hispania romana. La Peninsula


iberica desde 18 a.C. hastâ el siglo V, Madrid, s.d., 383 p.

Les sources littéraires sur la période pré-augustéenne sont commo¬


dément rassemblées dans :

[1654] Fontes Hispaniae Antiquae, éd. A. Schulten, P. Bosch, L. Pericot,

fasc. 1 à 5, Barcelona et Berlin, 1922 à 1940, le 6<= fasc., Barcelona, 1932’


étant consacré à Strabon. ’
[1654 a] Pour les inscriptions, la période considérée n’est pas très riche et
les grands ouvrages comme le Corpus Inscriptionum Latinarum, vol II
avec suppl. (E. Hübner) ou H. Dessau, Inscriptiones Latinae Selectae,
3e ed., 5 vol., Berlin, 1962, n’ont pas été remplacés si ce n’est par :

C1654 6] A. d Ors, Epigrafia juridica de la Espaîia romana, Madrid iqsq 4.8a d


essentiel. aom t 4 h-.

En raison de sa richesse, la numismatique est une source documen¬


taire de première importance, et les manuels de base, généraux, sont
actuellement :

?' ^IL,F^RES’ La m0,leda hisPànica en la edad antigua, Madrid, 1966, 584 p.


rc n A'M'deGlJADAN’JVumismàticaibe'ricaeibero-romana, Madrid iq6q 288 p
[1657] A. Vives y Escudero, La moneda hispânica, Madrid, 1924-1926 iq’i + 7,
+ 200 + 148 p. et un volume de planches.

Dans la péninsule, environ quatre-vingts revues sont publiées qui


traitent, principalement ou accessoirement, de l’histoire antique et
parmi lesquelles on peut citer : ’

[1658] Acta Numismatica, Barcelona; Ampurias, Barcelona; Archiva Eshaüol de


[Artey] Arqueologla Madrid; 0 Arqueôlogo Português, Lisboa; Caesaraugusla
Zaragoza ; Commbriga, Coimbra; Durius, Valladolid; Emeri ta, Madrid’
Habis, Sevilla; Hispania antiqua, Vitoria; Revista de Guimarâes, Guimarâes’
Bibliographie 491

Saitabi, Valencia; Zéphyr us, Salamanca, auxquelles se joignent les publi¬


cations des instituts étrangers comme les Mélanges de la Casa de Velâzquez,
Madrid-Paris, et surtout les Mitteilungen des Deutschen Archàologischen
Instituts, Abt. Madrid, Madrid-Heidelberg. Il y a encore peu de bulletins
bibliographiques et analytiques spécialisés, mais citons les contributions
des collaborateurs du Centre P. Paris (Bordeaux), ERA 522, dans le
Bulletin analytique d’histoire romaine, Strasbourg, depuis 1961 [8]
et l’apparition, avec la même équipe considérablement renforcée, de la :
[1659] Chronique. Histoire et archéologie de la péninsule Ibérique antique, sous
la direction de R. Etienne, dans la Revue des Etudes anciennes, Bordeaux,
à partir du t. 77, 1975, 151-220.

Les peuples indigènes


[1660] M. L. Abertos-Firmat, La onomastica Personal primitiva de Hispania
Tarraconense y Bética, Salamanca, 1966, 383 p.
[1661] A. Arribas, Los Iberos, 2e éd., Barcelona, 1976, 239 p.
[1662] I. Ballester, D. Fletcher, E. Pla, F. Jorda, J. Alcacer, Corpus
Vasorum Hispanorum, Cerâmica de San Miguel, Liria, Madrid, 1954, 148 P-
[1663] M. Beltran, Arqueologia e historia de las ciudades antiguas del Cabezo de
Alcala de Azaila (Teruel), Zaragoza, 1976, 527 p.
[1664] J. M. Blazquez, Religiones primitivas de Hispania, I : Fuentes literarias y
epigrdficas, Madrid, 1962, 286 p.
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[1666] J. Cabré Aguilo, Corpus Vasorum Hispanorum, Ceramica de Azaila, Madrid,
1944, 101 p.
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Salamanca, 1957, 168 p.
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keltiberische, Wiesbaden, 1959, 130 p.
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318 p., 1 vol. de planches.
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138 p. ’ y ’
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Bibliographie 497

CHAPITRE V. — LA GAULE TRANSALPINE

A) Revues
[17734 Gallia, Chronique des circonscriptions archéologiques.
[1774] Revue archéologique de Narbonnaise.
[4775] Revue des Etudes ligures.
[1776] Cahiers ligures de Préhistoire et d’Archéologie ( CLP A).
[1777] Revue d’Etudes anciennes, Chronique gallo-romaine, par P.-M. Duval,

B) Synthèses
[1778] C. Jullian, Histoire de la Gaule, Paris, 1908-1926.
[1779] M. Clerc, Massalia, Marseille, 1927-1929.
[1780] F. Benoit, Recherches sur Vhellénisation du midi de la Gaule, Aix-en-Provence,

19651
[1781] Fr. Villard, La céramique grecque de Marseille, Paris, i960.
[1782] Histoire de Marseille (dir. E. Baratier), Toulouse, 1973-
[1783] M. Clavel, Marseille grecque, La dynamique d’un impérialisme marchand,
Marseille, 1977.
[1784] G. Barruol, Les peuples préromains du sud-est de la Gaule, Paris, 1969)
rééd. 1975.
[1785] CLP A, 24, 1975 : articles de P.-A. Février, Chr. Goudineau, M. Clavel,
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[1786] Ch. Ebel, Transalpine Gaul, The emergence of a Roman province, Leyde, 1976.
[1787] J. Jannoray, Ensérune, contribution à l’étude des civilisations préromaines de
la Gaule méridionale, Paris, 1955.
[1788] M. Labrousse, Toulouse antique, Paris, 1968.
[1789] M. Clavel, Béziers et son territoire dans l’Antiquité, Paris, 1970.
[1790] J.-Cl. Richard, La région montpelliéraine à l’époque préromaine, Coll. Latomus,

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[1791] Narbonne, archéologie et histoire, Montpellier, 1973*
[1792] P. Arcelin, Les civilisations de l’âge du fer en Provence, dans La
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[1793] G. Barruol, Les civilisations de l’âge du fer en Languedoc, ibid.,
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[1794] J.-P. Morel, Les Phocéens en Occident : certitudes et hypothèses, La
Parola del Passato, 108-110, Naples, 1966, 378-420.
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(1966-1975), BCH, 1975, 853-896.

C) Ouvrages de référence
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498 Rome et la conquête du monde méditerranéen

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[1801] —Entremont, Gap, 1969.
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[•805] J.-B. Colbert de Beaulieu, Traité de numismatique celtique, I, Paris, 1973.
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[1810] P.-M. Duval, A propos du milliaire de Cn. Domitius Ahenobarbus,
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[1811] — Le milliaire de Domitius et l’organisation de la Narbonnaise, RAM,
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[1812] Les inscriptions gallo-grecques trouvées en France, Actes du Colloque
sur les influences helléniques en Gaule, Dijon, 1958, 63-69.
[1813] M. Euzennat, Les fouilles de la Bourse à Marseille, CRAI, 1976,
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[1814] —, Fr. Salviat, Les découvertes archéologiques de la Bourse à Marseille,
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[ 1816] J.-L. Fiches et al., Sept ans de recherches à Ambrussum, Caveirac, 1976.
[1817] H. Gallet de Santerre, Fouilles dans le quartier ouest à Ensérune
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[1818] Chr. Goudineau, Le statut de Nîmes et des Volques arécomiques, RAN,
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[1819] Sur un mot de Cicéron ou Avignon et le domaine de Marseille, Met


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[1820] Ch. Lagrand, J.-P. Thalmann, Les habitats protohistoriques du Pègue,
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[1821] M. Lejeune, L’inscription gauloise de Vitrolles, Et. Class. Aix, 1968-


1970, 131-139.
[1822] — Inscriptions lapidaires de Narbonnaise, Et. Celt., 1968-1969, 21-83,
[1823] —Textes gallo-grecs, Et. Celt., 1976-1977, 105-137.
[1824] H. B. Mattingly, The foundation of Narbo Martius, Homm. Grenier,
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[1825] Provence et Languedoc méditerranéens, sites protohistoriques et gallo-romains,
Nice, 1976.
[1826] E. Ripoll Perello, Ampurias, Barcelone, 1974.
[1827] H. Rolland, A propos des fouilles de Saint-Biaise, REA, 1949, 83-99.
[1828] — Fouilles de Glanum, Gallia, suppl. I, 1946.
[1829] — Fouilles de Glanum, Gallia, suppl. XI, 1958.
[1830] -— Fouilles de Saint-Biaise, Gallia, suppl. III, 1951.
[1831] — Fouilles de Saint-Biaise, Gallia, suppl. VII, 1956.
[1832] — Le mausolée de Glanum, Gallia, suppl. XXI, 1969.
[1833] Fr. Salviat, Entremont antique, Aix, 1973.
[1834] Sites de l’âge du fer et gallo-romains de la région de Nice, Nice, 1976.
[1835] Y. Solier, Note sur les potiers pseudo-campaniens Nikias et Iôn, RAN,
i969> 29-40.
[1836] T. Vit ali, La conquista romana délia Gallia Narbonense, Riv. Ing. e Int.,
1937. 27-52.
[1837] J. de Wever, La ’/wpa massaliote d’après les fouilles récentes, L’Antiquité
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[1838] N. J. de Witt, Massilia and Rome, Trans. of the Am. Phil. Ass., 1940,
605-615.

CHAPITRE VI
LA GAULE INDÉPENDANTE ET LA CONQUÊTE CÉSARIENNE

1) Périodiques (cf. ci-dessus, p. 497)


[1839] Revue archéologique de l’Est et du Centre-Est.
[1840] Revue archéologique du Centre.
[1841] Ogam.

2) Les Celtes : généralités


[1842] F. Behn, Kultur der Urzeit. III : Die jüngeren Metallkulturen, Berlin, 1950,
78-138.
[1843] E. Cougny, Extraits des auteurs grecs concernant la géographie et l’histoire des
Gaules, 6 vol., Paris, 1878-1892.
[1844] J. de Vries, Kelten und Germanen, Berne et Munich, i960.
[1845] A. Grenier, Les Gaulois, rééd. avec avant-propos de L. Harmand,
Paris, 1970.
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[1846] J. Harmand, Les Celtes au second âge du fer, Paris, 1970.


[1847] A. Hôlder, Alt-Celtischer Sprachschatz, 3 vol., rééd. Graz, 1961-1962.
[1848] H. Hubert, Les Celtes depuis l’époque de la Tène et la civilisation celtique,
rééd., Paris, 1950.
[1849] G. A. Mansuelli, Expansion continentale. Les Celtes, in Les civilisations
de l’Europe ancienne, trad. S. Contou, Paris, 1967, 221-262.
[•850] J--P- Millotte, Précis de protohistoire européenne, Paris, 1970.
[1851 ] J. Moreau, Die Welt der Kelten, Stuttgart, 1958.

3) La Gaule : généralités

[1852] G. Bloch, Les origines. La Gaule indépendante, dans E. Lavisse,


Histoire de France, I, 2, Paris, 1904.
[1853] J- Déchelette, Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine,
IV : Second âge du fer ou époque de la Tène, 2e éd., Paris, 1927.
[1854] G. Dottin, La langue gauloise, Paris, 1915.
[1855] W. Drack, L’âge du fer en Suisse, trad. J.-P. Millotte et M.-R. Sauter,
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[1856] P.-M. Duval, La Gaule jusqu’au milieu du Ve siècle, dans Les sources de
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4) Civilisation gauloise

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spécial du Bulletin de la Société de Préhistoire du Nord (n° 5), Amiens, 1962.
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spécial du Bulletin de la Société de Préhistoire du Nord (n° 6), Amiens, 1964.
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et d’histoire ancienne, XXXIX, 1915, 29-49.
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[1952] J- Szidat, Caesars Diplomatische Tâtigkeit im Gallischen Krieg,
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CHAPITRE VIL — ROME, LES BALKANS, LA GRÈCE ET L’ORIENT


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Leipzig-Berlin, 1913.
[1958] A. Heuss, Die Vôlkerrechtlichen Grundlagen der rômischen Aussenpolitik in
republikanischer Jeit, Leipzig, 1933.
5°6 Rome et la conquête du monde méditerranéen

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2. Jahrhundert v. Chr., Munich, 1968.
[i960] Die Staatsvertrâge des Altertums. III : Die Vertràge der griechisch-rômischen
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[1961] R. Bernhardt, Imperium und Eleutheria. Die rômische Politik gegenüber den
freien Stddten des griechischen Ostens, Hambourg, 1971.
[1962] J. W. Rich, Declaring War in the Roman Republic in the Period of transmarine
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[1963] M. R. Cimma, Reges Socii et Amici Populi Romani, Milan, 1976.

I / Les sources

1) Sources littéraires

Polybe
Aux numéros [63], [65] et [68], ajouter :
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[1965] G. A. Lehmann, Untersuchungen zur historischen Glaubwürdidkeit des Polybios,
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[1966] F. W. Walbank, Polybius between Greece and Rome, Polybe (Entretiens
de la Fondation Hardt, 20), Genève, 1973, 1-38 [= 66].
[1967] A. Momigliano, Polybius and Posidonius, dans A lien Wisdom, Londres,
1975, 22-49.

Tite-Live et la tradition annalistique


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[1969] U. Kahrstedt, Die Annalistik von Livius, B. XXXI-XLV, Berlin, 1913.

Appien

[1970] P. Meloni, Il Valore storico e le fonti del libro macedonico di Appiano, Rome,
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[1971 ] E- Gabba, Sul Libro siriaco di Appiano, Rend. Acc. Lincei, 1957, 339*351.

2) Sources épigraphiques

Aux numéros [243] à [250], ajouter :


[■972] L. Moretti, Iscrizioni storiche ellenistiche, 2 vol. parus, Florence, 1967
et 1975 (numérotation continue des textes).

II / Etudes par régions

t1973] E- Niese, Geschichte der griechischen und makedonischen Staaten seit der Schlacht
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C1975] P- Grimal, Le siècle des Scipions. Rome et l’hellénisme au temps des guerres
puniques, Paris, 1953 (2e éd., 1975).

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[1977] F- W. Walbank, Philip V of Macedon, Cambridge, 1940.
[1978] P. Meloni, Perseo e la fine délia monarchia macedone, Rome, 1953.
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[1983] S. I. Oost, Roman Policy in Epirus and Acarnania in the Age of the Roman
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Rhodes

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Egypte

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[1998] H. Heinen, Die politische Beziehungen zwischen Rom und dem Ptole-
mâerreich von ihren Anfângen bis zum Tag von Eleusis (273-168 v. Chr.),
ANRW, I, 1, 1972, 633-659 ([276]).

III / L’expansion romaine en Illyrie


et le premier conflit avec la Macédoine

C1999] Holleaux, Rome, la Grèce et les monarchies hellénistiques au IIIe siècle


av. J.-C., Paris, 1921.
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i923j 112-121 et 174-181; 1924, 18-30 (= Les étapes de l’impérialisme
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1) Les guerres d’Illyrie

[2001] M. Holleaux, Les Romains en Illyrie, CAH, VII, 1928, 822-857


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[2003] G. Walser, Die Ursachen des ersten rômisch-îllyrischen Krieges,
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[2004] H. J. Dell, The Origin and Nature of Illyrian Piracy, Historia, 1967,
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[2005] N. G. L. Hammond, Illyris, Rome and Macedon in 229-205 bc, JRS,
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IV / U expansion romaine en mer Egée :


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[2013] H. E. Stier, Roms Aufstieg zur Weltmacht und die grieckische Welt, Cologne,
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[2014] R. Werner, Das Problem des Imperialismus und die rômische Ostpolitik
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[2015] G. Clemente, Esperti, ambasciatori del Senato e la formazione délia
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1) La paix de Phoenice et les origines


de la seconde guerre de Macédoine

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[2019] K. E. Petzold, Die Erôffnung des zweiten rômisch-makedonischen Krieges.
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[2020] E. Bickerman, Bellum Philippicum : some Roman and Greek Views
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2) La seconde guerre de Macédoine

[2024] N. G. L. Hammond, The Opening Campaigns and the Battle of the Aoi
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3) La politique de Flamininus

[2025] M. Holleaux, Les conférences de Lokride et la politique de T. Quinctius


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[2026] P. M. Wood Jr., The Tradition of Flamininus’ « Selfish Ambition » in
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[2027] M. Feyel, T. Quinctius Flamininus, Philippe et les Achéens, REG,
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[2028] F. Cassola, La politica di Flaminino e gli Scipioni, Labeo, i960, 105-130.
[2029] J. P. V. D. Balsdon, T. Quinctius Flamininus, Phoenix, 1967, 177-190.
[2030] E. Badian, Titus Quinctius Flamininus. Philkellenism and Realpolitik, Cin¬
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[2031] A. M. Eckstein, T. Quinctius Flamininus and the Campaign against
Philip in 198 bc, Phoenix, 1976, 119-142.

4) Traité de paix avec Philippe


ET ORGANISATION DE LA GRÈCE EN I 96

[2032] A. Passerini, La Pace con Filippo e le relazioni con Antioco, Athen.,


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[2033] J. A. O. Larsen, Was Greece free between 196 and 146 bc?, CP, 1935
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The Treaty of Peace and the Conclusion of the Second Macedonian
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[2034] E. Badian, The Treaty between Rome and the Achaean League, JRS
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[2035] E. S. Gruen, The Supposed Alliance between Rome and Philip V of
Macedon, CSCA, 1973, 123-136.

5) Les origines de la guerre de Syrie

[2036] M. Holleaux, Recherches sur l’histoire des négociations d’Antiochos III


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[2037] A. Passerini, Lo Scoppio délia guerra siriaca, Athen., 1932, 325-343.
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[2039] —Bellum Antiochicum, Hermès, 1932,47-76.
[2040] E. Badian, Rome and Antiochus the Great : a Study in Gold War, CP,
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[2041] H. H. Schmitt, Untersuchungen zur Geschichte Antiochos’ des Grosscn und
seiner £eit (Historia Einzelschriften, 6), Wiesbaden, 1964.
[2042] P. Desideri, Studi di storiografia eracleota. II : La guerra con Antioco il
Grande, SCO, 1970-1971, 487-537.

6) Le traité d’Apamée et l’organisation


de l’Asie Mineure en 189

[2043] M. Holleaux, La clause territoriale du traité d’Apamée (188 av. J.-G.),


REG, 1931, 304-319, et 1932, 7-31 = Etudes, V, 208-243.
[2044] E. Bikerman, Le statut des villes d’Asie après la paix d’Apamée, REG,
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[2045] A. H. Mac Donald, The Treaty of Apamea (188 bc), JRS, 1967, 1-8.
[2046] —- et F. W. Walbank, The Treaty of Apamea (188 bc) : the Naval
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7) Philopoemen et la politique de résistance légaliste en Achaïe

[2047] A. Aymard, Les premiers rapports de Rome et de la Confédération achaienne


(ig8-i8g av. J.-C.), Bordeaux, 1938.
[2048] R. M. Errington, Philopoemen, Oxford, 1969.
[2049] P. S. Derow, Polybios and the Embassy of Kallikrates, Essaye presented
to C. M. Bowra, Oxford, 1970, 12-23.

8) Rome et la Macédoine de 192 a 172


et les origines de la troisième guerre de Macédoine

[2050] E. Bikerman, Initia Belli Macedonici, REG, 1953, 479_5°6-


[2051] A. Giovannini, Les origines de la troisième guerre de Macédoine, BCH,
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[2052] — Philipp V, Perseus und die delphische Amphiktyome, Ancient Mace-
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[2053] E. S. Gruen, The Last Years of Philip V, GRBS, 1974, 221-246.
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9) La troisième guerre de Macédoine

[2055] P. Charneux, Rome et la confédération achaienne (automne 170),


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[2056] P. R. Franke, Zur Finanzpolitik des makedonischen Kônigs Perseus
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5!2 Rome et la conquête du monde méditerranéen

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[2058] R. M. Errington, Senatus Consultum de Coronaeis and the Early Course
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V I La politique romaine dans le monde hellénique


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[2064] — The Comage of the Macedonian Republics, Ancient Macedonia,
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[2064 b] L. Perelli, La Chiusura delle minière macedoni dopo Pidna, RFIC,
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2) Rome et les luttes de classes dans les Etats grecs

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[2066] A. Passerini, I Moti politico-sociali délia Grecia e i Romani, Athen.,
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[2067] J. Briscoe, Rome and the Class Struggle in the Greek States 200-146 bc
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[2068] J Touloumakos, Der Einfluss Roms auf die Staatsform der griechischen
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v. Chr., Gôttingen, 1967.

3) Rome et l’Orient grec après 168

[2069] J. Briscoe, Eastern Policy and Sénatorial Politics, Historia, 1969, 49-70.
[2070] E. S. Gruen, Rome and Rhodes in the 2nd Century bc : a historio-
graphical Essay, CQ_, 1975, 58-81.
[2071] — Rome and the Seleucids in the Aftermath of Pydna, Chiron, 1976
73-95-
Bibliographie ^ tg
VI / Rome, la Grèce et V Orient
de la création des provinces de Macédoine
et d’Asie aux guerres de Mithridate

i) Les Balkans et la Grèce

La révolte d’Andriscos et la guerre d’Achaïe


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1968, 15-40.
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L’organisation de 148-146
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[2077] T. Schwertfeger, Der Achaiische Bund von 146 bis 27 v. Chr., Munich,

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[2078] R. Bernhardt, Der Status des 146 v. Chr. unterworfenen Teils Griechen-
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La province de Macédoine au deuxième siècle


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[2080] T. Sarikakis, 'Pwpaïot ’'ApxovTeç tt)ç ènrapylv-c, MaxsSoviaç. A' 148-
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2) L’Asie

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[2083] G. Cardinali, La Morte di Attalo III e la rivolta di Aristonico, Saggi
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[2084] E. S. G. Robinson, Cistophori in the Name of King Eumenes, JVC,
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[2087] J.-G. Dumont, A propos d’Aristonicos, Eirene, 1966, 189-196.
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[2089] Z. Rubinsohn, The Bellum Asiaticum. A Reconsideration, RIL, 1973,
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[2090] V. VAvftfNEK, Aristonicus of Pergamum : pretender to the throne or
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[2091] B. Schleussner, Die Gesandtschaftsreise P. Scipio Nasicas im
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Chiron, 1976, 97-112.
[2092] C. Delplace, Le contenu social et économique du soulèvement d’Aris-
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La lutte contre les pirates et les origines de la province de Cilicie

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[2094] E. Badian, Sulla’s Gilician Command, Athen., 1959, 279-303 = Studies...,
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[2096] A. N. Sherwin-White, Rome, Pamphylia and Cilicia, 133-70 bc,
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[2097] J.-L. Ferrary, La Lex de piratis des inscriptions de Delphes et de Cnide,
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VII / Les conséquences économiques de la conquête au deuxième siècle

Rappel : J. A. O. Larsen et T. R. S. Broughton dans [335],


IV; M. Rostovtzeff [330]; P. M. Fraser [625].

[2098] J. Day, An Economie History of Athens under Roman Domination, New York,
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[2100] M. Crawford, Rome and the Greek World : Economie Relationships,


Economie History Review, 1977, 42-52.

Délos et les trafiquants italiens

Rappel : P. Roussel [641] ; J. Hatzfeld [627] ; A. J. N. Wilson [310] ;


E. Maroti [633]; F. Cassola [613].

[2101] J. Hatzfeld, Les trafiquants italiens résidant à Délos mentionnés dans


les inscriptions de l’île, BCH, 1912, 5-218.
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160 v. Chr., Berlin, 1972.
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CHAPITRE VIII
ROME ET LA MÉDITERRANÉE ORIENTALE
AU Dr S. AV. J.-C.

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[2109] Von Aulock, Zur Silberpràgrung der Karischer Stratonikeia, Jahrb.
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[2112] A. R. Bellinger, The early coinage ofRoman Syria, Studies A. C. Johnson,
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bronze coins, AAA, VII, 1974, 149-156.
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5ï6 Rome et la conquête du monde méditerranéen

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[2126] Cf. [66],
[2127] J. des Gagniers, P. Devambez, L. Kahil, L. Robert, Laodicée du Lykos,
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[2128] D. J. Geagan, Greek Inscriptions, Hesperia, 1971, 96-108.
[2129] K. Golenko, Nôrdliches Swarzmeergebiet, Chiron, 5, 1975, 497-644.
[2130] — et P. J. Karyskowkski , The gold coinage of King Pharnaces of the
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[2134] Inscriptiones antiquae orae septentrionalis Ponti Euxini Graecae et Latinae,
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[2138] Inschriften von Priene, ed. H. Hiller von Gaertringen, 1906.
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[2171] F. White-Kirkpatrick, Some notes on the coinage of Brutus and
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[2172] A. Wilhelm, Urkunden aus Messene, JOAI, XVII, 1914, 1-120.

Voir aussi :

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[2173] W. S. Anderson, Pompey, his friends and the Literature of the Ist Century,
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t2174] T- R- S. Broughton, Continuity and Conflict in the Ancient Near East,
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[2175] P. A. Brunt, The Romanization of the local ruling classes in the Roman
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Paris, 1976, 161-174.
[2176] S. K. Eddy, The King is dead. Studies in the Near Eastern Résistance to
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[2i77] B. Forte, Rome and the romans as the Greeks saw them, Rome, Amer. Acad.
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[2178] H. Fuchs, Der geistige Widerstand gegen Rom, Berlin, 1938.
[2179] E. Gabba, Politica e cultura in Roma gli inizi del I sec. a.c.,Athenaeum,
3i. 1953. 259-273.
[2180] R. O. JoLLiFFF., Phases of corruption in Roman administration in the last Half
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[2181] M. Lanza, Roma e Veredità di Alessandro, Milan, 1971.
[2182] A. W. Lintott, Impérial expansion and Moral décliné in the Roman
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Diss., Würzburg, 1972.

Voir aussi notamment :


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[2195] H. Bengtson, Untersuchungen zum Mutinischen Krieg, Kleine Schriften
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[2196] — Jur Geschichte des Brutus, Munich, Bayer. Akad. des Wiss., 197°-
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[2198] M. Bianchini, Cicero e le singrafi, BIDR, 1970, 229-287.
[2199] J- Bleicken, In provinciali solo dominium populi romani est vel caesaris.
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serzeit, Chiron, 4, 1974, 359-4!4-
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[2201] T. R. S. Broughton, More notes on Roman magistrates, TAPhA, 79,
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[2202] P. A. Brunt, The fiscus and its development, JRS, LVI, 1966, 75-91-
[2203] J. Burian, Zur Verwaltung des Provinzen in der Krizenzeit der
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[2204] G. P. Burton, Proconsuls, assizes and the administration of Justice
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[2206] W. Dahlheim, Gewalt und Herrschaft. Das provinziale Herrschaftssystem der

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520 Rome et la conquête du monde méditerranéen

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[2208] E. Deniaux, Un exemple d’intervention politique : Cicéron et le dossier
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[2394] T. C. Skeat, The Reigns of the Ptolemies, Munich, 1969.
[2395] J. Vogt, Aegypten als Reichsprovinz in Wandel des Jahrtansende, Klio,
XXXI, 1938, 301-312.
[2396] H. Winckler, Rom und Aegypten im 2 Jht v. Chr., 1933.

Le monde oriental

[2397] F. E. Adcock, Marcus Crassus millionaire, Cambridge, 1966 (2e éd.).


[2398] H. Bengtson, fura Partherfeldzug des Antonius, Munich, 1974.
[2399] H. Buccheim, Die Orient politik des Triumvirn M. Antonius, Abh. Akad.
Wiss., Heidelberg, i960, 3.
[2400] V. Chapot, La frontière de l’Euphrate de Pompée à la conquête arabe, Paris,
(befar 99), 1907.
[2401] M. L. Chaumont, Recherches sur l’histoire de l’Arménie, Paris, 1968.
[2402] M. A. R. Colledge, The Parthians, Londres, 1967.
[2403] L. Craven, Antony’s oriental policy, Univ. of Missouri Stud., III, 2, 1920.
528 Rome et la conquête du monde méditerranéen

[2404] N. G. Debevoise, A political story of Parthia, Chicago, 1938.


[2405] J- Dobias, Les première rapports de Rome avec les Parthes et l’occupa¬
tion de la Syrie, Archiv Orientalni, 3, 1931, 215-256.
[2406] G. Le Rider, S use sous les Séleucides et les Parthes, Paris, 1965.
[2407] B. Marshall, Crassus, a political biography, Amsterdam, 1976.
[2408] H. W. Ritter, Caesars Verfügung über Kleinarmenien in Jahre 47,
Historia, XIX, 1970, 124.
[2409] D. Schlumberger, L’Orient hellénisé, Paris, 1970.
[2410] F. Stark, Rom on the Euphrates. The story of a frontier (cr par E. W. Gray,
CR, XVII, 1967, 350-354), Londres, 1966.
[2411] R. D. Sullivan, The Dynasty of Commagene, in ANRW, II, 8, Berlin,
1978.
[2412] D. Timpe, Die Bedeutung des Schlacht von Carrhae, Muséum Helve-
ticum, XIX, 1962, 104-129.
[2413] K. Walton Dobbins, The successore of Mitliridates II of Parthia, NC,
I975> 19-45-
[2414] G- Widengren, Iran, des groBe Gegner Roms : Kônigsgewalt, Feuda-
lismus, Militârwesen, in ANRW, II, 9, 1, 219-306.
C2415] J-
Wolski, Iran und Rom. Versuch einer historischen Wertung gegen-
seitigen Beziehungen, in ANRW, II, 9, 1, 195-214.
[2416] — Arsace II et la généalogie des premiers Arsacides, Historia, XI, 1962,
136-145.
[2417] Les Parthes et leur attitude envers le monde gréco-romain, Trav.
du VIe Congrès d’Et. Class. (Madrid, 1974), Paris, 1976,455-462.
[2418] — Untersuchungen zur frühen parthischen Geschichte, K Ho, LVIII,
J976, 439-467-
[2419] K- H. Ziegler, Die Beziehungen zwischen Rom und dem Partherreich, Wies-
baden, 1964.
[2420] A. Zwaenepoel, La politique orientale d’Antoine, Les Etudes classiques,
!9> I950,3-I5-

CHAPITRE IX
LES JUIFS ENTRE L’ÉTAT ET L’APOCALYPSE

I / Remarques préliminaires

La présente bibliographie n’est pas destinée au lecteur orientaliste


(l’auteur du chapitre concerné n’étant pas un orientaliste lui-même).
Les spécialistes disposent d’amples moyens de s’informer et, de plus,
deux volumes de la présente collection :
[2421] P. Garelli, V. Nikiprowetzky, Le Proche-Orient asiatique, les empires
mésopotamiens, Israël, Paris, 1974; et
Bibliographie 529

[2422] M. Simon et A. Benoît, Le judaïsme et le christianisme antique, Paris, 1968,


contiennent déjà une ample bibliographie générale, à laquelle nous
renvoyons. Il en est de même pour la période hellénistique de l’ouvrage
de :
[2423] Cl. Préaux, Le monde hellénistique, 2 vol., Paris, 1978.
Notre propos étant d’être utile au lecteur intéressé par le monde
gréco-romain, nous présentons donc un choix entrêmement restrictif,
comprenant d’une part les ouvrages que nous citons dans le texte, parfois
pour leur excellence, parfois parce qu’ils sont représentatifs de tel ou tel
courant d’idées, et de l’autre des ouvrages et des instruments de travail
qu’il est important de connaître. Partout où cela est possible, nous indi¬
quons les textes sous la forme la plus accessible. Par exemple, pour les
documents araméens d’Egypte, nous renvoyons à [2496] P. Grelot,
non à la publication originale de G. Driver.
Plusieurs instruments de travail fournissent de très larges informations.
[2424] R. Marcus, A Selected Bibliography (1920-1945) of the Jews in the
Hellenistic-Roman Period, Proc. Amer. Ac. Jew. Research, 1946-1947,
97-181.
[2425] U. Rappaport, Bibliography of Works on Jewish History in the Plelle-
nistic and Roman Periods, 1946-1970, Studies in the History of the Jewish
People and the Land of Israël (Université de Haïfa), II, 1972, 247-321
(hébreu et anglais).
[2426] —■ et M. Mor, Bibliography of Works on Jewish History in the Hellenistic and
Roman Periods, 1971-1975, Jérusalem, Inst, for Adv. St., 1976 (multi-
graphié, hébreu et anglais).
On ne saurait enfin trop recommander l’introduction documentaire
et bibliographique au volume récemment mis à jour [2515] d’E.ScHÜRER.
Le lecteur constatera rapidement que les grandes bibliothèques
françaises sont assez mal équipées en ce qui concerne ces questions. A
signaler la très grande qualité de la bibliothèque d’Etudes sémitiques du
Collège de France.

II / Textes littéraires et sources narratives

1) Parmi les nombreuses traductions récentes de la Bible, nous avons


choisi de citer, sauf pour les livres des Maccabées :
[2427] La Bible. Ancien Testament (2 vol.), introduction par E. Diiorme, trad.
et notes par E. Dhorme, A. J. Koenig, A. Guillaumont, J. Hadot,
F. Michaeli, indices de M. Léturmy, coll. de « La Pléiade », Paris,
I956-I959-
[2428] F. Abel, Les livres des Maccabées2, Paris, 1949 (commentaire important).
Sur ces derniers textes, voir les mises au point et travaux récents de :

ROME, 2 3
530 Rome et la conquête du monde méditerranéen

[2429] J. G. Bunge, LJntersuchungen zur Jweiter Makkabàerbuch (dissertation inau¬


gurale), Bonn,1971.
[2430] J. D. Gauger, Bcitràge zur Jiidischen Apologetik, Untersuchungen zur Authen-
tizitàt von Urkunden bei Flavius Josephus und im I. Makkabàerbuch (disser¬
tation inaugurale), Cologne et Bonn, 1977.
[2431] Ch. Habicht, Royal Documents in Maccabees II, Harv. Slud. Class. Phil.,
1976, 1-18.
[2432] A. Momigliano, Prime Linee di Storia delta Tradizione Maccabaica2,
Amsterdam, 1968 (1931).
t2433] — The Second Book of Maccabees, Class. Phil., 1975, 81-91.
[2434] — The Date of the First Book of Maccabees, Mélanges J. Heurgon, Rome,
•976; 657-661.

Sur Daniel

[2435] A. Lacocque, Le Livre de Daniel, préface de P. Ricceur, Neuchâtel et


Paris, 1976 (voir ci-dessous la section sur la littérature apocalyptique).

Sur Esther, voir E. Bikerman (j’adopte une des variantes ortho¬


graphiques du nom de ce savant [E. Bic(k)erman(n)] [2517], ci-dessous),
PP- 225-275.

Sur Judith

[2436] M. Delcor, Le livre de Judith et l’époque grecque, Klio, 1967, repris


dans Religion d’Israël et Proche-Orient ancien, Leyde, 1976, 251-280.

Sur les Septante, outre Bikerman [2517], 137-224.

[2437] S. Jellicoe, The Septuagint and Modem Study, Oxford, 1968.


[2438] (éd.), Studies in the Septuagint. Origins, Recensions and Interprétations,
Selected Essays, New York, 1974.
[2439] S. Daniel, Recherches sur le vocabulaire du culte dans la Septante, Paris, 1966.

Sur les influences politiques qui se sont exercées sur la constitution


du texte biblique, notamment pendant la période de l’hellénisation :
[2440] Morton Smith, Palestinian Parties and Politics that Shaped the Old Testament,
New York et Londres, 1971.

Sur les fondements de la littérature sapientiale :

[2441] R. N. Whybray, The Intellectual Tradition in the Old Testament, Berlin et


New York, 1974.

2) Les œuvres complètes de Flavius Josèphe sont publiées en texte


et traduction anglaise (9 vol.) par la Loeb Glassical Library :

[2442] Ed. et trad. de H. St. J. Thackeray, R. Marcus, A. Wikgren,

L. H. Feldman, Cambridge (Mass.) et Londres, 1926-1965.


Bibliographie
531

En français, dans la collection des Universités de France, seul le :


[2443] Contre Apion (Th. Reinach et L. Blum), 1930
et le livre I de la

[2444] Guerre des Juifs (A. Pelletier), 1975, nous concernent directement. Sont
également traduits en français (sans le texte grec), sous la direction de
Th. Reinach, les :
[2445] Œuvres complètes de Flavius Josèphe, 7 vol., Paris, 1900-1932 (manque
F Autobiographie, traduite dans la collection des Universités de France par
A. Pelletier, 1959).
[2446] Trad. franç. de la Guerre des Juifs par P. Savinel, Paris, 1977, précédé
par : P. Vidal-Naquet, Flavius Josèphe ou du bon usage de la trahison.
[2447] Importante édition avec trad. allemande et commentaire, par O. Michel
et O. Bauernfeind, 3 vol., Munich, 1959-1969.
[2448] H. Schreckenberg, Bibliographie zu Flavius Josephus..., Leyde, 1968.
[2449] — Die Flavius Josephus Tradition in Antike und Mittelalter, Leyde, 1972.

Importante collection de traductions allemandes et commentaires :

[2450] Jüdische Schriflen aus hellenistisch-rômischer £eit, Gütersloh, 1973 sq.


Dans cette série a notamment été publié (en 1976) le second livre
des Maccabées, par Ch. Habicht, ainsi que de nombreux textes et frag¬
ments d’historiens (Aristobule, Eupolémos, etc.).
[2451] B. Z. Wacholder, Eupolemus. A Study of Judaeo-Greek Lilerature, New
York et Jérusalem, 1974.

3) Dans l’énorme littérature judéo-alexandrine, on retiendra surtout,


ici, outre le texte de la Septante :
[2452] Lettre d'Aristée à Philocrate, éd. et trad. A. Pelletier, coll. « Sources
chrétiennes », Paris, 1962.
Dans la même collection, les
[2453] Œuvres de Philon d’Alexandrie, sous la direction de R. Arnaldez,
J. Pouilloux et Cl. Mondésert, postérieures à notre époque mais utiles
comme sources, sont en voie d’achèvement.
[2454] Joseph et Aséneth, introd., trad. et commentaire par M. Piiilonenko,
Leyde, 1968; pour la date adoptée ici,
[2455] S. West, Joseph and Asenath : A Neglected Greek Romance, Class.
Quart., 1974, 70-81.

Sur les Oracles sibyllins (à intégrer également dans la section sur


l’Apocalypse), édition de l’ensemble des textes par :
[2456] J. Geffcken, Die Oracula Sibyllina, Berlin, 1903 (le 3e est ici le plus
important).
[2457] V. Nikiprowetzky, La troisième Sibylle (texte, traduction, commentaire),
Paris et La Haye, 1970.
532 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Une étude d’ensemble :

[2458] J. J. Collins, The Sibylline Oracles of Egyptian Judaism, Missoula, 1974.

Un paradoxe :

[2459] J- Schwartz, L’historiographie impériale des Oracula Sibyllana, Dia¬


logues d'Histoire ancienne, 1976, 413-420.

4) La littérature apocryphe et « pseudépigraphique » de l’Ancien


Testament (y compris les textes apocalyptiques) est rassemblée commo¬
dément, en traduction anglaise, in :

[2460] R. H. Charles, The Apocrypha and Pseudepigrapha of the Old Testament,


2 vol., Oxford, 1913.
[2461] A. M. Denis, Introduction aux pseudépigraphes grecs d’Ancien Testament,
Leyde, 1970.

Diverses collections ont été entreprises, par exemple :


[2462] Texts and Translations. Pseudepigraphic Sériés, Missoula, 1972 sq.

Sur le phénomène pseudépigraphique en général :

[2463] Morton Smith, Pseudepigraphy in the Israélite Literary Tradition;


[2464] M. Hengel, Anonymitât, Pseudepigraphie und« Literarische Fâlschung»
in der jüdisch-hellenistischen Literatur,
tous deux in Entretiens de la Fondation Hardt, XVIII, Pseudepigrapha I,
Vandœuvres-Genève, 1972, 189-330 (avec discussions), ainsi que :

[2465] J- J- Collins, Pseudonymity, Historical Reviews and the Genre of the


Révélation of John, Cath. Bibl. Quart., 1977, 329-343.
[2466] B. Metzger, Literary Forgeries and Canonical Pseudepigrapha, Journ.
Bibl. Lit., 1972, 13-24.

Voir en général, sur la littérature intertestamentaire :


[2467] A. Paul, Intertestament, Cahiers Evangiles, n° 14, Paris, 1975.

5) Sur l’apocalypse juive et les mouvements messianiques, un recueil


d’ensemble :

[2468] L. Monloubou (éd.), Apocalypses et théologie de l’espérance, Paris, 1977.

Quatre ouvrages classiques :

[2469] J- Klausner, The Messianic Idea in Israël, trad. W. F. Stinespring, New


York, 1955.

[2470] S. Mowinckel, He that cometh, trad. G. B. Anderson, Oxford, 1958.


[2471] H. H. Rowley, The Relevance of Apocalyptic. A Study of Jewish and Christian
Apocalypses from Daniel to the Révélation, Londres, 1950.
[2472] D. S. Russell, The Method and Message of Jewish Apocalyptic, 200 BC-
AD 100, Londres, 1964 (le meilleur livre).
Bibliographie
533

On peut y ajouter, pour l’histoire de l’interprétation :


C2473] J-"M. Schmidt, Die jüdische Apokalyptik, Neukirchen, 1969.
et quelques articles importants :
[2474] J- Barr, Jewish Apocalyptic in Recent Scholarly Study, Bull, of the
John Rylands Univ. Libr. of Manchester, automne 1975, 7-35.
[2475] Caquot, Les quatre bêtes et le fils d’homme (Daniel, 7), Semitica,
1967, 37-71-
[2476] — Sur les quatre bêtes de Daniel, 7, Semitica, 1955, 5-13.
[2477] J- J- Collins, Jewish Apocalyptic against its Hellenic Near Eastern
Environment, Bull, of the Am. Schools of Or. Research, déc. 1975, 27-36.
[2478] D. Flusser, The Four Empires in the Fourth Sibyl and in the Book of
Daniel, Israël Oriental Studies, 1972, 148-175.

6) La littérature rabbinique est présentée abondamment in :


[2515] E. Schürer, 68-117.
Introduction générale :
[2479] H. L. Strack, Introduction to the Talmud and Midrash, trad., New York,
1945-
[2480] The Mischnah, traduction H. Danby, Oxford, 1933.
[2481] Le Talmud de Jérusalem, traduction M. Schwab, i i vol., Paris, 1878-1890.
[2482] The Babylonian Talmud in English, 36 vol., Londres, 1935-1953 (sous la
direction de I. Epstein).
[2483] The Minor Tractates of the Talmud, sous la direction de A. Cohen, 2 vol.,
Londres, 1965 (comprend la traduction des Aboth de Rabbi Nathan).
[2484] Midrashim, trad. H. Friedmann et M. Simon, 10 vol., Londres, 1939.
7) Les [2485] Textes d’auteurs grecs et latins relatifs aux Juifs et au
judaïsme, Paris, 1895, édités par Th. Reinach, sont en passe d’être
remplacés par :
[2486] M. Stern, Greek and Latin Authors on Jews and Judaism, edited by...
M. Stern; I, From Herodotus io Plutarch, Jérusalem, 1974.
Pour la littérature essénienne de Qumrân, voir ci-dessous la section
sur les sectes.

III / Sources épigraphiques, archéologiques


numismatiques, papyrologiques, géographie historique

Sur les inscriptions grecques, latines, sémitiques, voir :

[2515] E. Schürer, I, 11-16.


[2487] J. B. Frey, Corpus Inscriptionum Iudaicarum, Rome, 2 vol., 1936-1952, avec
les critiques de J. et L. Robert :
[2488] Rev. Et. juives, 1937, 73-86, et
[2489] Bulletin épigraphique, Rev. Et. Gr., 1954, n° 24.
534 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Très bon choix de textes :


[2490] E. Gabba, Iscrizioni greche e latine per lo studio delta Bibbia, Turin, 1958.
Un bon exemple d’utilisation combinée de l’archéologie monumen¬
tale et de l’épigraphie araméenne et grecque :
[2491] L. Y. Rahmani, Jason’s Tomb; N. Avigad, Aramaic Inscriptions on the
Tomb ofjason; P. Benoît, L’inscription grecque du tombeau de Jason,
Israël Exploration Journal, 1967, 61-113 (cf. Bulletin épigraphique, Rev.
Et. Gr., 1970, n° 634).
[2492] B. Lifshitz, Donateurs et fondateurs dans les synagogues juives. Répertoire des
dédicaces grecques relatives à la construction et à la réfection des synagogues, Paris,
1967.

Sur le monnayage juif et celui des cités et Etats voisins, outre


E. Schürer, [2515] 9-11 et 602-605;
[2493] A. Reifenberg, Ancient Jewish Coins2, Jérusalem, 1947.
[2494] B. Kanael, Altjüdische Münzen, Jahrb.f. JVumism. und Geldgesch., 1967,
159-298.

Y. Meshorer, Jewish Coins of the Second Temple Period, Jérusalem, 1947.


Les papyrus sont rassemblés dans le
[2495] Corpus Papyrorum Judaicarum, édité par V. Tcherikover et A. Fuqs,
M. Stern et D. M. Lewis (ce dernier étudiant les inscriptions grecques),
3 vol., Jérusalem et Cambridge (Mass.), 1957-1964.
Pour la période préptolémaïque surtout :
[2496] P- Grelot, Documents araméens d'Egypte, Paris, 1972.
Sur les sources archéologiques et les principaux comptes rendus
de fouilles, E. Schürer [2515] I, 6-7; on peut se tenir au courant en
dépouillant :
[2497] Israël Exploration Journal (depuis 1949) et la
[2498] Revue biblique (depuis 1892).
Le cadre géographique sera restitué notamment avec :
[2499] F- M- Abel, Géographie de la Palestine, 2 vol., Paris, 1933-1938.

IV / Etudes historiques

1) Nous avons utilisé nombre d’ouvrages qui ne concernent que


partiellement ou parfois pas du tout les rapports entre le judaïsme et le
monde gréco-romain, notamment outre les livres déjà cités de S. K. Eddy

[2176], H. Fuchs [2178], A. Momigliano [2185], Ed. Will [1976] :


[2500] E. Bikerman, Institutions des Séleucides, Paris, 1938.
[2501] M. A. H. El Abbadi, The Alexandrian Citizenship, Journ. Eg. Arch., 1962,
106-123.
[2501 b] D. Musti, Sull’idea di syngeneia in iscrizioni greche, Ann. Sc. Norm. Sup.

Pisa (lett.), 1963, 225-239.


[2502] — Lo Stato dei Seleucidi, Slud, Class, Or., 1966, 61-197,
Bibliographie 535

2) Le judaïsme antique : ouvrages généraux. Les titres de ces livres,


qui semblent parfois ne pas concerner notre période, ne doivent pas
tromper le lecteur. Il en est de même pour la section suivante.
Le livre qui constitue le point de départ de la recherche moderne est :

[25°3] J- Derenbourg, Essai sur l’histoire et la géographie de la Palestine, d’après


les Thalmuds et les autres sources rabbiniques, Paris, 1867.
[2504] C. Guignebert, Le monde juif vers le temps de Jésus, Paris, 1950.
[2505] G. Moore, Judaism in the First Centuries of the Christian Era, 3 vol.,
Cambridge (Mass.), 1927-1930.
[2506] G. Von Rad, Théologie de l’Ancien Testament, trad. E. de Peye et A. Goy,
2 vol., Paris, 1963-1967.
[2507] M. Weber, Le judaïsme antique, trad. F. Raphaël, Paris, 1970.

3) Histoire de la période.
Plusieurs chapitres concernent notre sujet dans les deux premiers
volumes de :

[2508] S. W. Baron, Histoire d'Israël. Vie sociale et religieuse, éd. franç. par
V. Nikiprowetzky, I et II, Paris, 1956-1957 et dans le livre déjà cité
[2279] de F. M. Abel.
[2509] D. S. Russell, The Jews firom Alexander to Herod, Oxford, 1967.

Dans la World History of the Jewish People, publiée sous la direction


d’A. Schalit, 2 vol. nous concernent directement, l’un et l’autre très
inégaux :
[2510] A. Schalit (éd.), The Hellenistic Age. Political History of Jewish Palestine
from 332 BCE to 67 BCE, Londres, 1976.
[2511] M. Avi-Yonah et Z. Baras (éd.), The Herodian Period, Londres, 1975.

D’un niveau très supérieur :


[2512] S. Safrai et M. Stern (éd.), The Jewish People in the First Century, 2 vol.,
Assen et Amsterdam, 1974-1976 (pagination continue).
[2513] E. Bikerman, The Historical Foundation of Post-biblical Judaism,
in L. Finkelstein (éd.), The Jews. Their History, Culture and Religion*,
New York, i960, 69-114.
[2514] A. Caquot, Le judaïsme depuis la captivité de Babylone jusqu’à la
révolte de Bar-Kokheba, in H. Ch. Puech (éd.), Histoire des religions
(« Pléiade»), II, Paris, 1972, 114-184.
[2515] E. Schürer, The History of the Jewish People in the Age of Jesus-Christ
(175 BC-AD 135), A new English version revised and edited by
G. Vermes and F. Millar, I, Edimbourg, 1973 (inestimable).
536 Rome et la conquête du monde méditerranéen

4) Les Juifs et l’hellénisme.


Trois ouvrages dominent de très haut la bibliographie.
[2516] E. Bikerman, Der Gott der Makkabàer. Untersuchungen zur Ursprung der
Makkabaïscher Erhebung, Berlin, 1937, à compléter par les nombreuses
études de détail rassemblées et actualisées in :
[2517] — Studies in Jewish and Christian History, Leyde, 1976 sq. (un seul volume
paru); parmi celles qui figureront dans le volume II :
[251 S] — Une proclamation séleucide relative au temple de Jérusalem, Syria,
1946-1948, 67-85;
[2519] — La charte séleucide de Jérusalem, Rev. Et. juives, 1935, 4-35.

Le second livre est celui de :


[2520] M. Hengel, Judentum und Hellenismus2, Tubingen, 1973, cité ici Hans la
traduction anglaise de J. Bowden, Judaism and Hellenism. Studies in their
Encounter in Palestine during the Hellenistic Period, Londres, 1974.

Le troisième grand livre est celui de :


[2521] V. Tcherikover, Hellenistic Civilization andthejews, trad. S. Appelbaum,
Philadelphie et Jérusalem, 1967.
[2522] Brillante mise au point du même auteur en préface au Corpus Papyrorum
Judaïcarum [2495], I, 1-110, sur les Juifs en Egypte.

Voir aussi :
[2523] Ch. Habicht, Hellenismus und Judentum in der Zeit des Judas Makka-
bâus, Jahr. Heid. Ak. Wiss., 1974, 97-110.

Sur la pénétration du grec en Palestine (principalement à l’époque


romaine) :
[2524] S. Liebermann, Gresk in Jewish Palestine, New York, 1942.
[2525] — Hellenism in Jewish Palestine, New York, 1950.
[2526] G. Mussies, Greek in Palestine and the Diaspora (excellent chapitre)
in [2512] Saprai et Stern, II, 1040-1064.
[2527] J- N. Sevenster, Do you know Greek?, Leyde, 1968, avec le compte
rendu de
[2528] B. Lifhshitz, Du nouveau sur l’hellénisation de la Palestine, Euphrosyne
1970, 113-135-

5) Rapports avec le monde romain.


Deux ouvrages sont importants :
[2529] J- Juster, Les Juifs dans VEmpire romain, 2 vol., Paris, 1914 (réimpression
New York, 1968).
[2530] E. M. Smallwood, The Jews under Roman Rulejrom Pompey lo Diocletian
Leyde, 1976.
Bibliographie
537

Sur la rencontre, outre les ouvrages cités ci-dessus sur l’époque et les
livres de Maccabées, notamment Ch. Habicht [2431] :

[253I] Th. Liebmann-Frankfort, Rome et le conflit judéo-syrien, Ant. Class.,


1969, 101-120.
[2532] A. Momigliano, Ricerche suWorganizzazione délia Giudea sotto il Dominio
Romano (63 a.C.-yo d.C.)2, Amsterdam, 1967 (1934).
[2533] D. Timpe, Der rômische Vertrag mit den Juden von 161 v. Ch., Chiron,

!974> I35"I52'
Sur 1 affrontement sur place avec d’autres communautés, en
« décapole » :
[2534] H. Bietenhard, Die Dekapolis von Pompeius bis Traian, Jeitsch.
Deutsch. Palàst. Ver., 1963, 24-58.
[2535] Cl. H. Kraeling (éd.), Gerasa, City of the Decapolis, New Haven (Conn.),
1938 (archéologie monumentale et inscriptions).
[2536] H. Mantel, Studies in the History of the Sanhédrin, Cambridge (Mass.),
1965 (étude d’une institution qui s’est développée à l’époque romaine).
Sur les Juifs à Rome :
[2537] A- Alfôldi, Redeunt Saturnia régna, Chiron, 1973, 131-142 (influences
juives sur le monnayage).
[2538] H. J. Leon, The Jews of Ancient Rome, Philadelphie, i960.

Antisémitisme dans le monde gréco-romain :


[2539] J- N. Sevenster, The Roots of Pagan Antisemitism in the Ancient World,
Leyde, 1976.
[254°] A. Sherwin-White, Racial Préjudice in Impérial Rome, Cambridge, 1967.
Au-delà du monde romain :
[2541] J. Neusner, A History of the Jews in Babylonia, I, The Parthian Period,
Leyde, 1969.

6) Le nationalisme juif.
Deux ouvrages importants :

[2542] W. R. Farmer, Maccabees, Jealots and Josephus. An Inquiry into Jewish


Nationalism in the Greco-Roman Period, New York, 1956.
[2543] M. Hengel, Die Zeloten. Untersuchungen zur jüdischen Freiheitsbewegung in
der Z,eit von Herodes I bis 70 N. Chr.2, Leyde, 1976.

7) Les sectes juives.

En général, outre G. F. Moore [2505] et Ch. Guignebert [2504],


et les ouvrages généraux :
[2544] J. Bonsirven, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, 2 vol., Paris,
1935-
[2545] M. Simon, Les sectes juives au temps de Jésus, Paris, i960,
538 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Pharisiens et Sadducéens :
[2546] L. Finkelstein, The Pharisees2, 2 Vol., New York, 1940 (nous n’avons pu
lire la 3e édition de 1962).
[2547] J. Le Moyne, Les Sadducéens, Paris, 1972.
[2548] J. Livingstone, Sadducees versus Pharisees. The Tannaitic Sources,
Mélanges Morton Smith, III, Leyde, 1975, 206-217.
[2549] J. Neusner, The Rabbinic Traditions about the Pharisees, 3 vol., Leyde, 1971.
[2550] E. Rivkin, Defining the Pharisees. The Tannaitic Sources, Hebr. Un.
Coll. Ann., 1969-1970, 205-249.

Les découvertes de Qumrân (« manuscrits de la mer Morte ») ont


donné naissance à une littérature gigantesque qui a renouvelé le pro¬
blème essénien. Contre l’idée que les Hasidim du 11e siècle av. J.-C. sont
des pré-Esséniens :
[2551] P. Davis, Hasidim in the Maccabean Period, Journ. Jew. Stud., 1977,
127-140.

Les textes essentiels, sauf le « rouleau du temple », actuellement sous


presse, sont traduits in :
[2552] J- Carmignac, E. Cothenet, P. Guilbert, H. Lignée, Les textes de
Qumran, traduits et annotés, 2 vol., Paris, 1961-1963;
et aussi in :
[2553] R- Dupont-Sommer, Les écrits esséniens découverts près de la mer Alorte3,
Paris, 1964. Du même, pour l’interprétation romaine des Kittim :
[2554] — Pompée le grand et les Romains dans les manuscrits de la mer Morte,
MEFR, 1972, 879-901.
[2554 Æ] — Observations sur le commentaire de Nahum découvert près de la
mer Morte, Journal des savants, oct.-déc. 1963, 201-227.
Archéologie du site :
[2555] R- de Vaux, U Archéologie et les manuscrits de la mer Morte, Oxford, 1961.
[2556] E. M. Laperrousaz, Qoumrân. L’établissement essénien des bords de la mer
Alorte. Histoire et archéologie du site, Paris, 1976.
Depuis 1959, la [2557] Revue de Qumran permet de se tenir au courant.
Sur les rapports possibles entre les sectes grecques et les Esséniens,
f2558] I. Lévy, La légende de Pythagore, de Grèce en Palestine, Paris, 1927.
[2559] — Recherches esséniennes et pythagoriciennes, Genève et Paris, 1965.
8) Economie et société.

Outre les synthèses contenues notamment in [2512] Safrai et Stern :

[2560] A. Ben David, Die Talmudische Okonomie. Die Wirtschaft des jüdischen
Palàstma zur Jeii der Adischtia und des Talmud, I, Hildesheim, 1974
(concerne aussi notre période; il en est de même des autres ouvrages
Bibliographie
539

[2561] W. W. Buehler, The Pre-Herodian Civil War and Social Debate. Jewish
Society in the Period 76-40 BC and the Social Factors Contributing to the Rise
of the Pharisees and the Sadducees, dissertation, Bâle, 1974.
[2562] J. Jeremias, Jérusalem au temps de Jésus. Recherches d’histoire économique et
sociale pour la période néo-testamentaire, trad. J. Le Moyne, Paris, 1967.
[2563] H. Kreissig, Die sozialen Jusammenhange des judaïschen Krieges. Klassen und
Klassenkampf in Palàstina des I. Jahrhunderts v.u.z., Berlin (rda), 1970.
[2564] — (pour la période hellénistique), Der Makkabàer Aufstand. Zur Frage
seiner sozialôkonomischen Zusammenhânge und Wirkungen, Studii
Classice, 1962, 143-175.
[2565] A. Oppenheimer, The Am Ha-Aretz. A Study in the Social History of the
Jewish People in the Hellenistic-Roman Period, trad. I. H. Levine, Leyde,
1977-

CONCLUSION. — L’ « IMPÉRIALISME » ROMAIN

Généralités (rappel [356])

[2566] J. A. Hobson, Imperialism : a study3, London, 1938.


[2567] T. Frank, Roman Imperialism, ny, 1914.
[2568] M. Hammond, Ancient imperialism : contemporaries justifications,
Harv. Stud. Class. Phil., 68, 1948, 105-161.
[2569] J- W. S w ain , The theory of the four monarchies : opposition history under
the Roman Empire, Cl. Phil., 1940, 1-21.

Historiographie (rappel : [2125] [92] [1964])

[2570] A. Momigliano, Polybius and Posidonius, dans Alien Wisdom, Cambridge,


Ï975, 22-49.
[2571] J--L. Ferrary, L’empire de Rome et les hégémonies des cités grecques
chez Polybe, BCH, 1976, 283-289.

Cosmogonie, géographie, ethnographie (rappel : [56] [378] [191] [180]


[2540])

[2572] P. Catalano, Appunti sopra il piu antico concetto giuridico di Italia,


Atti Acc. Torino, 1961-1962, 1-31.
[2573] M. Clavel, Les Gaules et les Gaulois : pour une analyse du fonction¬
nement de la Géographie de Strabon, Dial. Hist. Ane., I, 1974, 75-94.
[2574] J- G. Texier, Polybe géographe, Dial. Hist. Ane., 2, 1976, 395-407.
[2575] P. Pedech, Strabon historien, Studi... Catandella, Catania, 1972, 395-408.
[2576] H. Strasburger, Posidonius on problems of the Roman Empire, JRS,
1965, 40-53.
54° Rome et la conquête du monde méditerranéen

[2577] P. Boyancé, La connaissance du grec à Rome, REL, 1956, m-131.


[2577 a] N. Petrochilos, Roman attitudes to the Greeks, Athènes, 1974.
[2578] R. Dion, Explication d’un passage des « Res Gestae Divi Augusti »,
Mél. Carcopino, Paris, 1966, 249-270.
[2579] — Où Pythéas voulait-il aller?, Mél. Piganiol, Paris, 1966, 1315-1336.
[2579 a] C. Wells, The german policy of Augustus, Oxford, 1972.
[257g è] R. Chevallier (éd.), Littérature gréco-romaine et géographie histo¬
rique, Mél. R. Dion, Paris, 1974.

Droit international et diplomatie (rappel : [1012] [1957] [1956])

[2580] T. Mommsen, Das rômische Gastrecht, Rôm. Forschungen, 1, 326.


[2581] H. Lévy-Bruhl, La condition du Romain à l’étranger, dans Qiielques
problèmes du très ancien droit romain, Paris, 1934, 34-55.
[2582] S. Brassloff, Der rôm. Staat in seinen internationalen Beziehungen, Vienne,
1928.
[2583] P. Catalano, Linee del sistema sovranazionale romano, 1, Torino, 1965.
[2584] —• Populus Romanus Çhiirites, Torino, 1974.
[2585] Coleman Phillipson, The international law and custom of Ancient Greece and
Rome, 2 vol., Londres, 1911.
[2586] G. Dumézil, Remarques sur le ius fetiale, REL, 1965, 93-110.
[2587] P- Boyancé, diverses études sur Fides rassemblées dans Etudes sur la
religion romaine, 1972, 91-152.
[2588] A. Piganiol, Venire in fidem, RIDA, 1950 = Scripta varia, II, 192-199.
[2589] J- W. Rich, Declaring war in the Roman Republic..., coll. « Latomus »,
Bruxelles, 1976.

Problèmes et justifications de P Empire (rappel : [2113] [2177] [2178]


[2186])

[259°] P- Mac Mullen, Ennemies of the roman order, Gambr. (Mass.), 1967 (pour
l’Empire exclusivement).
C259i] J- H. Oliver, The ruling power (à propos de 1 ’Eis Romèn d’AELius Aris¬
tide), Trans. Amer. Philos. Soc., Philadelphie, 1953 (excellent).
[2592] F- Vannier, Aelius Aristide et la domination romaine..., Dial. Hist. Ane.,
2 , 1976 , -
497 506.
[2593] M. Rambaud, Salluste et Trogue Pompée, REL, 1948, 171-189.
[2594] F- Raditza, The historical context of Mithridates’s description of the
status of Asia, Helikon, 1969-1970, 68g-6g4.
[2595] C. M. Bowra, Mellino’s Hymn to Rome, JRS, 1957, 21-28.
[2596] A. Degrassi, Le dedici di popoli e re asiatici al popolo romano e a Giove
Gapitolino, Bul. Com. Arch. Coin., 1951-1952, 19-47.
[2597] S. E. Smethurst, Gicero and Roman Impérial policy, Trans, Am. Phil.
dss., 1953, 216-236.
Bibliographie 541

[2598] D. Timpe, Caesars gallischer Krieg und das problem des rômischen
Imperialismus, Klio, 25, 1932, 86-113.
[2599] H. D. Meyer, Cicero und das Reich, Cologne, 1957.
[2600] M. Hammond, Germania Patria, Harv. Stud. Class. Phil., 1951, 47-174.
[2601] T. J. Haarhoff, The stranger at the gâte, Oxford, 1948.
[2602] S. Gely, Terra patria et societas hominum, REL, 1974, 149-167.
[2603] A. W. Lintott, Impérial expansion and moral décliné in the rom. Rep.,
Historia, 1972, 626-638.

Ebauche d’un Empire : L’administration des choses et le gouvernement des


hommes (rappel : [591] [788] [789] [2206] [2241])

[2604] J. Marquardt, L’organisation de l'Empire romain (trad. fr., Paris, t. VIII


et IX du Manuel des Ant. Rom., 1889-1892).
[2605] W. T. Arnold, The Roman System of provincial administration, 3e éd., 1914.
[2606] G. H. Stevenson, Roman prov. administr. till the âge of the Antonine, Oxford,

I939-
[2607] J. P. V. D. Balsdon, Q_. Mucius Scaevola and ornatio provinciae, Class.
Rev., 1957, 8.
[2608] G. Pugliese, Rifïlessioni sull’ edito di Cicerone in Cilicia, Synteleia
Arangio-Ruiz, II, Napoli, 1964, 972-986.
[2609] A. J. Marshall, The structure of Cicero’s edict, Am. Journ. Phil., 1964,
185-191.
[2610] R. Martini, Ricerche in tema di editto provinciale, Un. di Genova, Milano,
GiufFre, 1969.
[2611] L. D. Mellano, Sui rapporti tra governatore provinciale e giudici locali alla
luce delle Verrine, Milano, GiufFre, 1977-
[2612] B. D. Hoyos, Lex provinciae and governor’s edict, Antichton, 1973, 47-53.
[2613] G. Garbarino, Roma e la filosofia greca dalle origini alla fine del II0 secolo AC,
2 vol., Turin, 1971.
-
'
PREMIÈRE PARTIE

L’Occident
Chapitre Premier

CARTHAGE
ET LA CIVILISATION PUNIQUE
par M. SZNYCER

Carthage, fondée par les Phéniciens sans doute à la fin du


ixe siècle av. J.-C., a joué, pendant des siècles, un rôle de premier
plan dans toute la Méditerranée occidentale, en développant et
en répandant une civilisation originale, en créant une sorte
d’empire, en exerçant un contrôle politique et économique sur
une grande partie de l’Afrique du Nord, de la Sicile, de Malte,
de la Sardaigne, des îles Baléares, ou de la péninsule Ibérique,
menaçant plus d’une fois les intérêts vitaux des cités grecques ou
italiennes — et pourtant, dans l’histoire de l’Antiquité, elle n’est
connue essentiellement que par et à travers Rome. Son destin,
du moins dans l’histoire telle qu’elle nous a été transmise par les
auteurs anciens, apparaît inextricablement lié aux destinées de
VUrbs, dont elle constitue en quelque sorte le contrepoint, à travers
les affrontements qui les ont opposées durant plus d’un siècle et
que les historiens romains ont appelés les « guerres puniques »,
et encore bien longtemps après la destruction de Carthage
en 146 av. J.-C., puisqu’elle devait servir ensuite de repoussoir
en vue de glorifier les bienfaits et la grandeur de Rome. Vue
ainsi, l’histoire millénaire de la civilisation punique ne devait
constituer qu’un simple chapitre de l’histoire romaine. Nous
sommes héritiers de ces traditions.

Il n’est donc pas étonnant, dans ces conditions, que la plupart des travaux
consacrés à Carthage aient été l’œuvre d’historiens de Rome, ou d’archéologues,
non sémitisants ([132i]-[i33r]3 D333L CI335l» II337]-[I34oj), bien qu’il s’agisse
546 L'Occident

indéniablement de l’étude d’une civilisation profondément sémitique, même


si parfois celle-ci s’était montrée accueillante à certains apports étrangers. 11
y a à cela, évidemment, des raisons objectives : nos connaissances sont fondées
en majeure partie sur les sources littéraires classiques, c’est-à-dire sur les diverses
notices ou remarques éparpillées dans les œuvres que nous ont léguées les auteurs
anciens, grecs et latins. En effet, rien ne nous est parvenu directement de la
littérature punique, dont on ne peut douter qu’elle fut particulièrement abon¬
dante (chroniques, annales, ouvrages juridiques, d’histoire, de géographie, etc.),
comme en témoignent, entre autres, les sources classiques qui mentionnent
l’existence à Carthage d’immenses bibliothèques. Tous ces écrits puniques sont
irrémédiablement perdus puisqu’ils ont dû être consignés sur papyrus ou sur
d’autres supports fragiles qui, à de rares exceptions près, ne se conservent
guère. On ne dispose ainsi, comme sources directes, que de plusieurs milliers
d’inscriptions puniques, gravées sur des matières dures (essentiellement la pierre,
beaucoup plus rarement divers métaux, l’ivoire ou l’os, sans parler de la poterie).
Or, ces documents, de caractère religieux pour la plupart, ne nous apprennent
presque rien sur l’histoire extérieure de Carthage et des cités puniques et ne
donnent que quelques rares indications concernant l’histoire intérieure de
ces cités.
Si le fait que presque tout ce que nous savons de l’histoire extérieure de
Carthage et de ses relations avec les Grecs et les Romains provient exclusive¬
ment des sources classiques, partielles et nécessairement partiales, doit déjà
inciter à la prudence, puisqu’il s’agit d’informations unilatérales livrées par les
adversaires et les rivaux dangereux des Carthaginois, toute reconstitution,
d’après les sources gréco-latines, des épisodes de l’histoire intérieure de Carthage,
de la lutte des factions, de l’évolution de ses institutions et, plus encore, de la
religion ou des mœurs des Carthaginois, ne peut que susciter a priori la plus
grande méfiance. Il y a donc là, dès le départ, un grave problème de méthodo¬
logie, qui ne peut pas être éludé (Sznycer [1345]). De l’ambiguïté de la docu¬
mentation gréco-latine et des traditions qu’elle a léguées découle inévitablement
celle des interprétations modernes, souvent entachées, dans le cas de Carthage
plus encore que dans tout autre domaine de l’histoire ancienne, des présupposés
culturels ou idéologiques, que ceux-ci soient conscients ou spontanés. Si, d’une
manière générale, Carthage et la civilisation punique ont été étudiées et jugées
à travers le prisme déformant des sources gréco-romaines, les réactions qui
semblent se dessiner, ces dernières années, contre ces vues « traditionnelles »
n’en sont pas moins, à leur tour, sujettes à caution (Brisson [1339], Decret [1337],
Laroui [1343]) Benabou [1344]). Il reste que Carthage et la civilisation punique
doivent être étudiées d’abord en tant que représentant une civilisation sémi¬
tique, celle des Phéniciens. Dans cette perspective, on doit mettre à contribution
naturellement toutes les sources directes disponibles, c’est-à-dire les inscriptions
puniques, mais aussi, à titre de comparaison, tout ce qui est connu de la civi-
Carthage et la civilisation punique
547

lisation phénicienne en Orient, y compris Chypre, et de celle des Sémites du


Nord-Ouest en général, en commençant par Ougarit, dont la civilisation est
maintenant beaucoup mieux connue grâce aux très nombreux textes, rédigés en
alphabet cunéiforme, trouvés à Ras Shamra (Caquot et Sznycer [1446]).

i) LES SOURCES

a) Les sources littéraires grecques et latines fournissent la quasi¬


totalité d’informations sur les événements extérieurs concernant
Carthage et l’évolution de sa politique intérieure, ainsi que de
nombreux renseignements sur divers aspects de la civilisation et
de la mentalité puniques. Il s’agit, cependant, il ne faut pas
l’oublier, des sources indirectes, étrangères, qui présentent donc
les faits en rapport avec Carthage sous l’éclairage grec et surtout
romain, nécessairement déformant.

Les passages concernant Carthage et le monde punique sont éparpillés


dans les œuvres de plus de quarante écrivains grecs et latins (Movers [1347],
Barreca [1331], 205-206, Walter [1348]). Les plus importants sont Polybe,
Tite-Live, qui a dû utiliser Polybe et aussi peut-être une source commune, qui
a dû être Philinos d’Agrigente, ainsi que la tradition annalistique, dont dépen¬
dent d’ailleurs toutes les sources romaines postérieures, ensuite Appien (début
du 11e siècle de notre ère), qui doit être utilisé avec prudence, de même que
Diodore de Sicile (ier siècle av. J.-C.), ou Justin (ne ou 111e siècle de notre ère),
qui a donné des extraits et des résumés des Histoires philippiques de Trogue-Pompée
(sans doute, la première moitié du Ier siècle apr. J.-C.). On peut encore men¬
tionner, entre autres, Plutarque, Suétone, Cornélius Nepos (Vies d’Hamilcar et
d’Hannibal), Aristote, bien sûr (pour sa célèbre présentation de la « Constitution
de Carthage », dans le livre II de sa Politique), ou encore Pline P Ancien, ou
Cicéron, etc. De tous ces auteurs, le plus sérieux et le plus précieux semble être
Polybe, qui, amené à Rome comme otage en 167 av. J.-C., s’y lia avec la famille
des Scipions, fit de nombreux voyages, notamment en Afrique, où il rencontra
Massinissa, et participa ensuite en personne, en compagnie de son ami Scipion
Aemilien, au siège et à la destruction de Carthage en 146 av. J.-C. Mais, si
son témoignage est de première importance, il ne faut pas oublier qu’il fut
toujours l’ami des Romains, fermement persuadé de leur supériorité, et bien
qu’il s’efforce d’être objectif dans l’estimation des faits et des causes, il ne peut
éviter, quand il s’agit de Carthage et des Puniques, d’être partial. Maintes fois,
on peut trouver chez lui, même s’ils sont souvent subtilement enrobés, les échos
de la propagande anticarthaginoise de divers cercles romains. Polybe a connu
548 T Occident

et sans doute utilisé les œuvres des historiens grecs qui écrivaient du point de
vue carthaginois : le Lacédémonien Sôsylos, qui fut le précepteur d’Hannibal,
Silenos et Chairéas. Mais, la seule fois où il les mentionne explicitement, il ne
cache pas son mépris pour eux : « Point n’est besoin de s’arrêter plus longtemps
sur les écrits de Chairéas et de Sôsylos, car il ne s’agit pas là d’histoire et l’on ne
doit pas, je pense, y attacher plus de prix qu’à de vulgaires ragots, comme il
s’en débite dans les boutiques de barbiers » (Polybe, III, 20).

b) Les sources épigraphiques directes sont représentées par plus


de 6 000 inscriptions puniques provenant de Carthage, auxquelles
il convient d’ajouter près d’un millier d’inscriptions puniques et
néo-puniques, trouvées dans divers sites en Afrique du Nord et
dont le lot le plus important provient de Cirta (Constantine, en
Algérie) (Berthier et Charlier [1381], ainsi qu’en Sicile, en Sar¬
daigne, à Malte, en Espagne (Guzzo Amadasi [1354]), sans
compter le très grand nombre de brefs graffites découverts dans le
temple de Tanit à Tas Silg, à Malte. Toutes ces inscriptions ont
été publiées dans le Corpus Inscriptionum Semiticarum [1349], ainsi
que dans divers autres recueils [i35o]-[i354]. En ce qui concerne
les inscriptions de Carthage, la plus grande partie, de loin, est
constituée par les inscriptions votives, dédiées généralement au
grand couple divin, la déesse Tanit et le dieu B a'al Hammôn et
accessoirement aux autres divinités. Il y a également de nom¬
breuses inscriptions funéraires, des tarifs sacrificiels, édictés par
les magistrats préposés au culte, les textes relatifs aux testaments,
les textes commémoratifs, à l’occasion de l’érection ou de la
réfection d’un monument religieux ou d’un ouvrage d’utilité
publique, etc. Cette dernière catégorie des textes est parti¬
culièrement intéressante puisque ceux-ci sont, d’une manière
générale, datés d’après l’année des suffètes éponymes, comme
d’ailleurs quelques autres textes appartenant à d’autres catégories.
L’intérêt des textes votifs, généralement dédaignés comme étant
« uniformes », consiste non seulement dans le fait qu’ils nous
livrent une riche moisson onomastique, mais aussi et peut-être
surtout qu’ils nous font connaître divers noms de métier, des
titres, des magistrats, des suffètes, des institutions, etc. Il faut,
en outre, souligner l’importance, pour l’étude de la civilisation
punique, de nombreux textes puniques et néo-puniques provenant
Carthage et la civilisation punique 549

des autres cités puniques ou punicisées en Afrique et dans les


grandes îles de la Méditerranée occidentale.

c) Les sources archéologiques proviennent des fouilles menées,


depuis bien longtemps, à Carthage, et, plus récemment, dans
différents sites en Afrique du Nord, en Sicile, en Sardaigne, à
Malte ou en Espagne (pour les fouilles à Carthage, cf. ci-dessous,
p. 553 et suiv.).

Les fouilles des sites puniques en Afrique du Nord ont été entreprises par
les archéologues français dès la fin du xixe siècle, mais, l’effort principal ayant
porté avant tout sur la découverte des vestiges de l’époque romaine, elles n’ont
pu mettre au jour que, surtout, des nécropoles et des tombes puniques, notam¬
ment dans la région du cap Bon, au Sahel, à Vaga (Béjà), à Bulla Regia, à
Teboursouk, à Gighti, à Dougga, ainsi que, sur le territoire algérien, à Djidjelli
(Gollo) ou à Gouraya. Après la dernière guerre mondiale, il faut surtout men¬
tionner les fouilles du sanctuaire punique de Sousse (Hadrumète) (Cintas [1374])
et les fouilles puniques à Utique (Cintas [ 1375])3 découverte, d’un très grand
intérêt, d’une ville punique de l’époque hellénistique à Kerkouane, au cap Bon
(Cintas [1376], Morel [1377]), les fouilles puniques et les recherches sur la côte
oranaise, dans Pilot de Rachgoun, aux Andalouses (Vuillemot [1378]), surtout à
Tipasa (Cintas [1379], Lancel [1380]), ainsi que la découverte, accidentelle
mais exceptionnelle, de plusieurs centaines de stèles votives inscrites à Constantine
(Cirta), provenant du sanctuaire punique d’El-Hofra (Berthier et Charlier [1381]),
et également des trouvailles puniques dans la région de Constantine, notam¬
ment dans les nécropoles de Tiddis (P.-A. Février [1382], Berthier [1383]) et
de Sigus, où ont été, entre autres, découvertes quelques stèles votives puniques
(Baghli et P.-A. Février [1384], 24, Bouchenaki [1385], 68-69). Le bilan d’explo¬
rations et recherches puniques récentes en Tunisie a été dressé par M. Fantar
[1386], en Algérie, par M. Bouchenaki [1385], et en Libye, par A. Di Vita [1387],
qui a souligné le caractère punique plutôt que phénicien de trois emporia en
Tripolitaine, Leficis Magna, Oca et Sabratha. La Tripolitaine a d’ailleurs livré
plusieurs dizaines d’inscriptions néo-puniques datant de 1 époque romaine et
publiées par G. Levi Délia Vida. En ce qui concerne le Maroc, depuis la paru¬
tion des synthèses de P. Cintas [1388] et de M. Tarradell [1389], plusieurs
prospections archéologiques ont ete entreprises sur les sites phéniciens, puniques
ou punico-mauritaniens, le long du littoral atlantique et à 1 interieui du pa^s .
dans la région de Tanger (Tingi) (Ponsich [1390]), à Lixus (Ponsich [139Oh
où une nouvelle inscription bilingue libyque et néo-punique a été trouvée
récemment (Galand et Sznycer [1392]), à l’île de Mogador (Essaouira) (Jodin
[1393]), à Volubilis, à Sala (Chella), près de Rabat (fouilles de J. Boube), etc.
Les inscriptions puniques et néo-puniques d.u Maroc ont été publiées par
550 V Occident

J.-G. Février [1394]. Depuis une vingtaine d’années, les archéologues italiens
déploient une vive activité dans l’exploration systématique des sites puniques en
Sicile (Pareti [1395], Tusa [1396], [1340], Moscati [1341], 25-123, Pottino [1397]),
notamment à Motyé [1398], où une mission archéologique anglaise explore
également le port punique, appelé le cothon [1399L à Lilybêe, à Sélinonte, à Solonte,
à Palerme (importantes nécropoles puniques), etc.; ensuite à Malte, où a été
exhumé un important temple dédié successivement à Ashtart (Astarté), à Tanit et à
Junon [1400]; enfin, en Sardaigne (Pesce [1401], Moscati [1402], Barreca [1403]),
où l’on doit mentionner les fouilles de Nora, de Bithia, de Sulcis, et plus récem¬
ment, de Monte Sirai [1404], d’Antas [1405] et de Tharros [1406]. Les nombreuses
inscriptions puniques et néo-puniques de tous ces sites ont été rassemblées par
M. G. Guzzo Amadasi [1354]. Enfin, en Espagne, les archéologues espagnols et
allemands ont exploré plusieurs sites phénico-puniques, en mettant au jour les
vestiges de diverses installations phéniciennes, notamment des nécropoles, avec de
multiples objets et quelques inscriptions phéniciennes, mais aussi d’assez nom¬
breuses trouvailles, et quelques inscriptions puniques (Garcia y Bellido [1407]),
plus récemment, à Almuhécar (Sexi), en Grenade (Pellicer Catalan [1408]), à
Villaricos (Baria) (Astruc [1409]), etc. Aux Baléares, les nécropoles puniques
d’Ibiza ont livré de nombreux objets d’art et quelques inscriptions (Vives y
Escudero [1410], Aubet [1411], Tarradell [1412]).

2) HISTOIRE INTÉRIEURE DE CARTHAGE


JUSOU’EN 146 AV. J.-C.

Il est bien téméraire sinon impossible de reconstituer d’une


manière suivie, comme ont tenté de le faire certains auteurs
modernes, l’évolution, au cours des siècles, de l’histoire intérieure
de Carthage, avec ses probables luttes des factions et changements
de régime politique, les luttes sociales et peut-être des révolutions.
Il est impossible de le faire parce qu’on manque totalement de
souices directes et les trouvailles archéologiques ne peuvent
être en l’occurrence que d’un piètre secours — et qu’on ne
dispose que d’échos, nécessairement déformés, épars dans les
œuvres des écrivains grecs et latins.

Il est, a ce propos, intéressant de remarquer que les principaux protagonistes


de 1 histoire carthaginoise présentés par les auteurs anciens portent à peu près
toujours les mêmes noms, et cela à travers de longs siècles : Hannon, Magon,
milcar, Hannibal, Asdrubal, quelques autres encore et c’est tout. Certes le
nombre de noms dont usaient les Phéniciens était relativement limité, mais'les
Carthage et la civilisation punique 55i

quelques milliers d’inscriptions carthaginoises publiées attestent quand même


l’existence de plus de 500 noms puniques, parmi lesquels ceux qu’on vient
d’énumérer étaient des plus courants à Carthage : Hannon se rencontre quelque
520 fois, Aiagon 380 fois, Hannibal (= pun. Honniba'al, « Ba'al a favorisé »)
250 fois, Asdrubal (= pun. 'Azarba'al, « Ba'al a aidé ») 320 fois, etc. Il faut
ajouter, par ailleurs, que le même nom revient dans la même inscription d’autant
plus souvent que la généalogie du dédicant, ou du défunt, est plus longue :
le petit-fils porte volontiers le nom de son grand-père, et ainsi de suite. Chez les
Phéniciens, et les Sémites de l’Ouest en général, on désigne une personne par
son nom et le nom de son père ou encore de son grand-père, l’usage de surnoms
étant extrêmement limité et presque inexistant. On constate, en revanche, que
les auteurs classiques n’accolent que très rarement le nom du père à ces quelques
noms puniques qui reviennent toujours sous leur plume, mais ils indiquent
parfois leurs surnoms (par exemple, Hannibal l’Etourneau). Ces observations
nous invitent à nous demander si les auteurs classiques ne percevaient pas les
réalités puniques d’une manière plutôt globale, en utilisant, par exemple,
d’une façon tout à fait conventionnelle, les quelques noms puniques les plus
courants qu’ils connaissaient. (On se rappelle, en outre, que le héros punique
du Poenulus de Plaute portait également le nom à’Hannon).

Seuls peuvent être retenus avec une relative certitude quelques


repères extérieurs : les lieux, les dates et le déroulement des
batailles (535 av. J.-C. : victoire des Carthaginois, alliés aux
Etrusques, sur les Grecs, à Alaha\ 480 av. J.-C. : la défaite des
Carthaginois à Himère, en Sicile; etc.); les démêlés en Sicile, le
déroulement de trois « guerres puniques » (cf. chap. II). Déjà,
la date de plusieurs traités entre Rome et Carthage est discutée,
selon qu’on accepte ou rejette les données de Polybe. La date
de l’établissement des Carthaginois en Sardaigne, vers 525, et en
Sicile, notamment à Motyé, dans la deuxième moitié du vie siècle,
est maintenant confirmée, en partie, par les résultats des fouilles
sur les sites de ces deux grandes îles. L’archéologie peut également
corroborer les données transmises par les auteurs anciens, comme,
par exemple, les effets désastreux de la défaite d’Himère, qui
provoque à Carthage le repliement sur elle-même et, par voie
de conséquence, un appauvrissement certain : or, le mobilier des
tombes carthaginoises du Ve siècle est nettement plus pauvre
qu’auparavant.
Le schéma général de l’histoire intérieure de Carthage,
reconstitué d’après les auteurs anciens, tel qu’on le présente
552 L’ Occident

habituellement, depuis Meltzer [1321], et Gsell [1323], II, 183 sq.,


peut être résumé comme suit : La royauté aurait existé à Carthage
des son origine. Chaque phase de l’histoire carthaginoise serait
dominée par une puissante famille, une quasi-dynastie, dont les
membres détiendraient le pouvoir pendant une plus ou moins
longue période. La première de ces grandes familles connues
serait celle des Magonides, installée au pouvoir entre 550 et
530 av. J.-C. et l’exerçant pendant trois générations, selon Gsell
([II], 186-188), qui, se fondant essentiellement sur un passage
de Justin (XIX, 2, 5-6), situe la chute de cette famille vers le
milieu du Ve siècle, chute qui serait donc consécutive à la défaite
d’Himère, les deux derniers Magonides ayant été, selon lui,
Giscon (= pun. Gersakon) et son frère Hannon, qui pourrait être
le célèbre navigateur, fondateur des colonies sur l’Atlantique,
connu par le Periple d Hannon (Müller, Geog. gr. min., I, p. 1-14)
dont la portée et même l’authenticité sont toujours discutées.
Cependant, la démonstration de L. Maurin [1431 a], fondée sur
1 examen comparatif de plusieurs textes, ceux notamment de
Justin et de Diodore de Sicile, tend à prouver que les Magonides
seraient restés au pouvoir jusqu’en 396 av. J.-C. Cette thèse est
adoptée, élargie et développée en détail par G. Picard [1333],
88 sq. Mais, en ce qui concerne cette reconstitution des faits’
comme d ailleurs celle d’autres faits de l’histoire intérieure de
Carthage, on ne peut oublier la juste remarque de Gsell ([II], 190)
qu’il s’agit toujours de « divers textes groupés par une hypothèse
assez fi agile >>. Après la chute des Magonides, le pouvoir à
Carthage serait passé entre les mains d’une autre dynastie celle
des Hannonides, inaugurée par le règne d’un « Hannon le Grand »
restaurée après sa mort brutale, par son fils Giscon, vers 340, et son
petit-fils Amilcar {— pun. 'Abdmilqart). Cette famille, qui s’appuie
sur la faction oligarchique, sera en butte à l’hostilité d’autres
grandes familles de Carthage rivales et se heurtera, à partir et
pendant les « guerres puniques », à la famille qu’on appelle
communément barcide, d’après le nom de son fondateur Amilcar
Barca, le père du grand Hannibal.

Le surnom d’Amilcar, qui lui est attribué par les auteurs anciens, Barca
pose le problème de son interprétation, s’il représente, comme c’est probable
la transcription d’un mot phénicien. On se rappelle, d’autre part, que les
Carthage et la civilisation punique 553

surnoms sont extrêmement rares chez les Phéniciens et les Carthaginois, d’après
les attestations phénico-puniques. On peut penser à deux explications diffé¬
rentes. Celle, d’abord, qui y verrait un nom de personne théophore et hypoco-
ristique formé d’après la racine BRK « bénir ». Les noms de cette catégorie
sont connus en phénico-punique, par exemple, BRKB'L (« Ba'al a béni »),
ou, de loin les plus nombreux, BRK tout seul. Deux fois seulement est attesté
l’hypocoristique BRK’. Barca constituerait, dans cette hypothèse, un autre nom
(et non pas un surnom), accolé à celui d’Amilcar, ce qui ne serait pas très
usuel. La seconde explication consisterait à y voir la transcription du mot
sémitique BRQ_ (Baraq) « éclair », ce qui donnerait un surnom acceptable,
mais ce mot n’est pas attesté en phénico-punique. Il est bien connu en hébreu
biblique en tant que mot et aussi en tant que nom de personne (et non pas un
surnom), également en ougaritique, en araméen et en palmyrénien, de même
qu’en sud-arabique, ainsi qu’en transcription grecque de ce nom sémitique :
Barka et Barkaios. Il est donc possible, et même probable, que le nom de Barca
ait représenté le surnom d’Amilcar : l’éclair. Mais, de toute manière, l’appellation
barcide pour désigner toute sa famille peut paraître arbitraire, du point de vue
punique, car, s’il paraît naturel, chez les Sémites, d’étendre le nom de l’ancêtre
à toute sa postérité, il n’est pas dans les mœurs qu’un surnom, qui caractérise
les qualités, ou les défauts, d’une personne, puisse être appliqué à toute la
famille.

L’action de la famille « barcide » à Carthage et dans les


territoires puniques est intimement liée aux péripéties des « guerres
puniques », que ce soit en Sicile et surtout en Espagne, conquise
par Amilcar et constituant la base de départ pour changer le
régime politique à Carthage et transformer ses institutions, que ce
soit par les exploits, les ambitions et les idées d’Hannibal.
G. Picard n’hésite pas, quant à lui, à parler d’une « révolution
barcide » ([1443 a], [1333]; 198-226). Il est extrêmement difficile,
malgré la relative abondance de notices concernant cette période
chez les auteurs gréco-romains, de démêler le jeu de diverses
forces et de divers partis politiques à Carthage dans les dernières
années avant sa chute en 146 av. J.-G.

3) LA VILLE DE CARTHAGE : TOPOGRAPHIE ET URBANISME

Les recherches portant sur la délimitation de l’emplacement


de Carthage et sur la topographie de la cité punique, qui ont
débuté, il y a près d’un siècle et demi, avec les travaux du
554 V Occident

Danois C. T. Falbe [1355] du Français Dureau de La


Malle [1356], poursuivis périodiquement depuis, à travers diverses
investigations archéologiques et analyses des textes anciens, restent
toujours actuelles, à la lumière notamment des résultats des fouilles
que plusieurs missions archéologiques ont entreprises, depuis
quelques années, dans divers secteurs du site de Carthage. Le
premier, Falbe avait dressé un plan topographique en se basant
sur les indications fournies par les auteurs anciens et les recherches
et les constatations qu’il avait pu faire sur place, et son plan garde
encore, en partie, une certaine valeur, dans la mesure où il avait
été conçu avant les changements qui ont pu intervenir sur le
terrain depuis plus d’un siècle. Ces recherches ont excité la curio¬
sité et, il faut le dire, l’imagination d’un grand nombre d’auteurs
en suscitant une foule de travaux, d’ailleurs de valeur inégale,
mais on est obligé de constater que les résultats sont décevants
(la bibliographie, jusqu’en 1915, dans Gsell [1323], II, 1-92;
jusqu en 1950, dans C. Picard [ 14ï5], 89-100; ensuite R. Duval
[1416], C. et G.-Ch. Picard [1328], 23 sqq., Baradez [1417],
Reyniers [1418], Mingazzini [1419], Cintas [1332], 53-66, [1335],
H; 97'237)- Tous ces travaux ont comme point de départ les
indications des auteurs gréco-romains, qui d’ailleurs souvent ne
concordent pas ou concordent mal entre elles, et qu’ils essaient de
situer sur le terrain en se servant des vestiges trouvés sur le site,
très pauvres et d’une manière générale difficilement exploitables^
et des observations faites sur le terrain. Les recherches se sont
engagées essentiellement dans cinq directions : les limites de
1 ancienne Carthage, les remparts, l’agglomération urbaine, avec
l’acropole et la citadelle, les ports, l’architecture civile.

a) Les tentatives en vue de la délimitation du site de la Carthage punique et de


rétablissement dp sa topographie ont été, dès le début, imbriquées dans, et
compliquées par, les recherches portant sur la topographie de la Carthage
tomaine (Audollent [1361], Saumagne [1420]). Les indications géographiques
et topographiques fournies par les écrivains anciens, avant tout Polybe, Appien,
Strabon ou Diodore de Sicile, concernent surtout Carthage à l’époque des
« guerres puniques ». Polybe avait pu observer le site avant et au moment de
sa destruction et en donne, en effet, une description aussi brève que précise •
« La ville même de Carthage est située au bord d’un golfe, sur une péninsule
ptesque entièrement entourée soit par la mer, soit par un lac. L’isthme par
Carthage et la civilisation punique 555

lequel elle est rattachée au continent est large d’environ vingt-cinq stades
(= 4 440 m). Sur cet isthme, du côté de la mer ouverte et à faible distance de
Carthage, se trouve Utique, tandis que Tynès (= Tunis) est située de l’autre
côté, près du lac » (Pol., I, 73), et plus loin : « L’isthme reliant Carthage au
continent est barré par une chaîne de collines difficile à franchir, sinon par des
voies taillées à main d’homme » (Pol., I, 75). On sait, en effet, que Carthage
punique était située sur une presqu’île, ayant à peu près la forme d’un triangle,
défendue naturellement de tous les côtés, encadrée par la mer, les chaînes de
collines et deux lacs, Sebkha er Riana, l’ancienne baie au nord de l’isthme, du
côté d’Utique et de l’embouchure de la Medjerda, et Sebkha et Bahira, l’actuel
lac de Tunis. D’autre part, des hauteurs bordent le rivage, vers le nord-est.
La cité a dû donc s’étendre sur la bande côtière entre la baie du Kram et le
cap Carthage (actuelle Sidi Bou Saïd), qui s’élève à 130 m d’altitude, en englo¬
bant à l’est les deux collines, celle de Byrsa (anc. Saint-Louis) et celle dite de
Junon, s’élargissant ensuite à la banlieue rurale, appelée Megara. Si l’empla¬
cement de la Carthage punique peut être situé en gros, avec sa ville basse,
groupée autour des ports, sa ville haute, sur les collines, celle de Byrsa notamment,
et son arrière-pays rural, une sorte de banlieue, que les textes désignent du
nom de Megara, il est, en revanche, encore difficile de tracer les limites de la
cité d’une manière tant soit peu précise, sans parler du fait que nous échappent
presque totalement les différentes transformations et agrandissements imposés
au fur et à mesure que la cité se développait au cours des siècles.

b) Les limites de Carthage, du moins dans la dernière période de son


existence, auraient pu être, en partie, mieux connues, si l’on savait un peu plus
où se situaient les fameux remparts carthaginois, dont les écrivains anciens nous
ont transmis des descriptions détaillées. Mais, là encore, malgré quelques
progrès dus aux découvertes et aux travaux de ces trente dernières années,
le problème est loin d’être résolu.
A plusieurs reprises les remparts de Carthage sont mentionnés à propos
d’événements de la fin du IVe siècle par Diodore (XX, 9; 13; 59) ou Justin
(XXII, 6, 9), mais sans donner des précisions. Strabon, quant à lui, indique
(XVII, 3, 14) que la longueur totale de l’enceinte à Carthage était de 360 stades,
c’est-à-dire près de 64 km, chiffre visiblement fantaisiste qu’on ne peut guère
accepter. On a d’ailleurs fait remarquer depuis longtemps que le même chiffre
est donné pour le développement de l’enceinte de Babylone et que cette coïnci¬
dence n’est peut-être pas fortuite. On peut, en revanche, accepter plus volontiers
le chiffre avancé par Tite-Live (Epitome du livre LI, et chez Orose, IV, 22, 5),
qui correspond à environ 32 km. Appien (Lib., 95); d°nt Polybe est, comme 011
sait, la source, indique que Carthage était entourée d’un mur simple et, du
côté du continent, d’un mur triple, chacun de ces trois murs, dit-il, mesurait
trente coudées (= 13,32 m) de hauteur, non compris les créneaux et les tours,
556 U Occident

et trente pieds (— 8,88 m) de largeur. Il n’est guère possible évidemment


qu’il puisse s’agir de trois murs identiques : il y avait probablement un fossé
avec une palissade et deux remparts. Tous les 59 m se dressaient des tours, des
bastions. Il ne reste rien de ces murailles, mais, en 1949, le général Duval
découvrit, visible d’avion, le fossé qui traverse l’isthme [1416], à partir du lac
de Tunis. On avait donc le tracé de l’enceinte, avec ses poternes et ses fossés.
A partir de cette découverte et en analysant un épisode du siège de Carthage
par les Romains, le colonel F. Reyniers [1418] a proposé la reconstitution des
défenses de Carthage à l’époque du siège de la ville : il distingue à Carthage
trois enceintes, celle de Byrsa, l’enceinte de Carthage proprement dite, limitée
à l’ouest par le « triple mur », et la grande enceinte qui devait englober la zone
nord de la presqu’île. Cependant, malgré leur intérêt, la plupart des propo¬
sitions avancées par Reyniers restent des hypothèses, le tracé de l’enceinte de
Byrsa, celui du mur est-ouest de Carthage, entre autres, sont encore loin d’être
connus avec précision et, d autre part, le problème des remparts est lié au
problème des ports, encore bien compliqué.

c) Les ports de Carthage ont dû beaucoup frapper les auteurs


anciens car ils les ont décrits avec précision et ces descriptions si
détaillées ont suscité de nombreuses recherches topographiques
ayant poui but de situer ces ports sur le terrain. Les sources litté¬
raires les plus importantes sont Appien, Strabon et Diodore de
Sicile. De deux ports carthaginois, l’un était un port marchand,
l’autre un port militaire. Le principal passage d’Appien (Lib., 96)
indique, certainement d’après Polybe, que les deux ports étaient
disposés de telle sorte que les navires pouvaient passer de l’un à
1 autre et que 1 entree par laquelle on pénétrait de la mer, et qui
se fermait par des chaînes de fer, était large de 70 pieds
( 20,72 m). Au milieu du port se trouvait une île sur laquelle
on avait construit un pavillon pour l’amiral, d’où il pouvait
surveiller les manœuvres des navires et, son pavillon étant situé
en face de l’entrée sur un endroit élevé, il pouvait voir ce qui se
passait en mer. Tout le long des quais, dont étaient bordés l’île
et le port, il y avait des loges faites pour contenir 220 vaisseaux et
au-dessus, des magasins pour les agrès. Les arsenaux, protégés
par un double mur et des portes restaient invisibles des mar¬
chands qui entraient sur leurs bateaux. L’existence de l’île est
confirmée par Strabon (XVII, 3, 14) et, indirectement par
Diodore (III, 44, 8). Ces deux auteurs, ainsi qu’Appien, dans un
autre passage {Lib,, 127), indiquent que ce port portait le nom
Carthage et la civilisation punique
557

de cothon. Ce terme semble s’appliquer aussi bien à l’ensemble de


deux ports qu’à chacun d’entre eux.

On explique généralement le mot cothon comme un mot sémitique dérivant


d’une racine dont le sens serait « couper », « tailler », explication qu’on trouve
déjà au xixe siècle (Meltzer [1321], II, 528) et qui est régulièrement reprise
par tous les auteurs (cf. Kursten [1421]). On pense à une racine QT ou QTT
(avec un teth), mais elle n’est pas attestée en phénico-punique et est très incertaine
en hébreu (on a jadis proposé de la retrouver dans un hapax de Job, VIII, 14,
mais on traduit généralement ce mot d’une manière différente). Il existe cepen¬
dant, en arabe, le verbe qatta « couper » et, en hébreu et dans d’autres langues
sémitiques, la racine qçç avec le même sens, de même qu’une autre racine ktt
« trancher». Il est donc possible mais non pas certain que le terme cothon ait été
un mot sémitique, formé sur une racine signifiant « couper », « tailler » et dési¬
gnant, par conséquent, non pas un port naturel, mais un bassin fait de main
d’homme. Ce sens d’ailleurs semble avoir été connu par Virgile et ses commen¬
tateurs : « Hicportus alii effodiunt» (Enéide, I, 427), commenté par Servius : « Portus
effodiunt, id est Cothona faciunt », et par Deutéro-Servius : « Portus effodiunt, ut portus
scilicetfaciant. Et uere ait, nam Carthaginienses Cothone fossa utuntur, non naturali portu ».

Aussi bien Appien que Strabon disent que l’un des ports, le
port militaire, était circulaire et l’autre, le port marchand, rectan¬
gulaire. Or, cette description concorde étrangement avec la dispo¬
sition de deux lagunes de Salammbô, situées à une centaine de
mètres du rivage actuel, l’une circulaire avec un îlot au milieu,
qu’on appelle l’îlot de l’Amirauté, et l’autre ovale et rectangulaire
à la fois. Cette ressemblance avait frappé d’emblée Chateau¬
briand dès qu’il avait aperçu, du haut de la colline de Byrsa, les
lagunes, et, depuis longtemps, plusieurs chercheurs ont voulu voir
dans ces lagunes les vestiges des ports puniques. En 1859, Beulé
([1357], 112) explora la lagune circulaire et les travaux de
dragage effectués cent ans plus tard ont confirmé l’une de ses
conclusions, à savoir que le fond de la lagune était dallé.
Entre 1909 et 1915, A. Merlin a retrouvé des vestiges puniques
dans l’île de l’Amirauté. Cependant, de nombreuses autres hypo¬
thèses concernant l’emplacement des ports puniques ont été
échafaudées depuis, celles par exemple de Carton [1422], de
Saumagne [1423] ou, récemment, de Cintas [1424], [1335],
II, 139-237), qui a déployé beaucoup d’énergie et beaucoup
d’imagination pour démontrer que les lagunes ne peuvent aucune-
558 U Occident

ment être les vestiges des ports puniques. Or, les fouilles actuel¬
lement en cours dans le quartier des ports, dans l’îlot de l’Ami¬
rauté, conduites par une mission archéologique britannique
(Hurst [1372]) semblent confirmer que les deux lagunes repré¬
sentent bien les anciens ports de Carthage. Les archéologues
britanniques pensent, en effet, que l’actuel îlot de l’Amirauté
était formé artificiellement vers 400 av. J.-C. par le remblaiement
d’une lagune préexistante et que divers aménagements ont été
réalisés au ive siècle av. J.-C., comme une digue chaussée qui a
relié l’îlot à la terre ferme, etc. Ainsi, les indications d’Appien
et de Strabon sur les ports puniques à la veille de la troisième
« guerre punique » semblent maintenant corroborées par les
toutes récentes fouilles anglaises. Il faut cependant, pour une
confirmation définitive, attendre encore les résultats ultérieurs des
fouilles en cours.

d) Les écrivains anciens signalent que la cité de Carthage se


composait de plusieurs éléments : une ville basse, dans le quartier
des ports, une ville haute, au flanc des collines, sur l’une d’elles
étant située l’acropole, tandis que la place publique, l’agora,
devait se trouver non loin du port, enfin, un arrière-pays rural, par¬
semé de jardins et des champs cultivés, appelé Mégara.

On a voulu voir dans l’appellation Mégara la transcription du mot sémitique


ma arah, qui serait en phénico-punique ma'arath, signifiant « grotte ». Cette
dérivation paraît peu probable et d’ailleurs on voit mal pourquoi ce quartier
rural serait appelé la « grotte », ou même le « pays des grottes ». S’il faut y cher¬
cher un vocable sémitique, ce qui n’est pas absolument sûr, on penserait plutôt
à un tet me forme d apres la racine G WR « résider » : magor, ou megor « rési¬
dence », sens qui irait assez bien pour désigner cette banlieue, qui, selon Appien
(Lib., 117)) était une vaste région, remplie de vergers et de potagers, qui se trou¬
vait à l’intérieur du grand rempart et entourait Byrsa. On la situe généralement
dans la partie nord de la péninsule (Meltzer [1321], II, 165; Audollent [1361],
164, Clsell [1323]) II, 18), mais d’autres localisations ont été proposées et on
ne peut encore délimiter avec quelque précision le quartier de Mégara.

La principale place publique, Y agora des auteurs grecs (Appien,


Lib., 127; Diodore, XX, 9, 4; 44, 3; XXXII, 6, 4), le forum des
auteurs latins (Tite-Live, XXX, 24, 10, XXXIII, 47, 10; 48, 10;
Justin, XXII, 7, 8; XXXI, 2, 3, 6), était située par ces auteurs
Carthage et la civilisation punique
559

près du Cothon et reliée par trois routes en pente à l’acropole.


Aucun vestige de cette place n’a encore été retrouvé. Divers textes
d’auteurs anciens (Appien, Lib., 128, 130; Strabon, XVII, 3, 14;
Florus, I, 31; Zonaras; IX, 30; Orose, IV, 22, 6) appellent
le quartier de la citadelle de Carthage du nom de Byrsa, qui était
installée sur une colline. On la situe communément sur la colline
de Saint-Louis, appelée à cause de cela la colline de Byrsa. Mais,
on n’a encore trouvé aucune preuve archéologique de l’existence
d’une citadelle sur cette colline, où ont été exhumés des nécropoles
puniques et tout un quartier d’habitation.

Le mot Byrsa n’est pas encore expliqué d’une manière satisfaisante. On sait
que, selon la légende de la fondation de Carthage par la reine Elissa (Didon),
celle-ci aurait recouvert l’espace occupé par elle et ses compagnons de la peau
(bursa) découpée en lanières. Plusieurs explications de ce mot par le sémitique
ont été proposées, mais elles sont toutes contestables. On a voulu y voir la
transcription du mot sémitique Boçra, qui n’est pas connu en phénico-punique,
mais est attesté dans l’inscription du roi de Moab, Mesha, et également en
hébreu biblique, surtout en tant qu’un nom de lieu, dont le sens pourrait être
« endroit inaccessible ». Mais, ce mot serait transcrit évidemment Bosra et non
pas Byrsa (ce qui supposerait une métathèse et un changement de vocalisation).
De même, Byrsa ne peut être normalement une transcription de B’RÇT (= bêar-
çoth), qui figure sur la légende des monnaies carthaginoises et qui doit signifier
« dans les territoires ». Le mot Byrsa garde encore son mystère.

e) Urbanisme et habitat. —Jusqu’à ces derniers temps on n’avait


pratiquement aucun vestige de la ville elle-même, avec ses rues,
ses places, ses monuments, ses temples, ses entrepôts, ses maisons
d’habitation, rien sauf les nécropoles et l’aire sacrificielle à ciel
ouvert, le tophet, près du port, à Salammbô. En ce qui concerne les
temples, les auteurs gréco-latins signalaient que le plus beau et le
plus riche de la ville était celui d’Esculape (Appien, Lib., 130;
Strabon, XVII, 3, 14), c’est-à-dire Eshmoun, le dieu guérisseur,
qui se dressait, selon ces auteurs, à l’intérieur même de la citadelle
de Byrsa. Pline l’Ancien (VI, 200) et le Périple d’Hannon men¬
tionnent deux temples importants dédiés à la déesse que les Grecs
appellent Héra et les Latins Junon, et au dieu appelé Kronos par
les Grecs et Saturne par les Latins : il s’agit là évidemment des
plus importantes divinités de Carthage, du moins à partir d’une
certaine époque, la déesse Tanit et le dieu B a" al Hammôn. On ne
560 V Occident

sait rien sur l’emplacement de ces temples (la colline de Junon


a reçu ce nom au xixe siècle, certains chercheurs ayant cru que
son sanctuaire s’élevait sur cette colline). De même, on ne sait
guère où situer d’autres temples, dédiés aux diverses divinités,
mentionneés par les auteurs anciens ou bien dans les inscriptions
puniques. On connaît, par contre, l’emplacement de plusieurs
nécropoles qui ont été exhumées, et qui ceinturaient la première
ville de Carthage et ont été progressivement recouvertes par des
nouveaux quartiers au fur et à mesure que la ville se développait.
Les principales nécropoles mises au jour sont celles de Bordj
Djedid, de Douimes, de Dermech, d’Ard el-Morali, celle aux
abords de l’Odéon, etc. Une trouvaille épigraphique assez récente
et de toutes récentes fouilles sur la colline de Byrsa, qui sont
toujours en cours, ont apporté quelques lumières sur certains
aspects de l’urbanisme et de l’habitat. L’inscription découverte
en 1964 à Carthage et publiée par A. Mahjoubi et M. Fantar [1425]
commémore un grand ouvrage d’intérêt public, datant probable¬
ment du 111e siècle av. J.-C. Selon l’interprétation de A. Dupont-
Sommer [1426], il s’agirait de la construction d’une grande rue, à
laquelle ont contribue divers corps de métier. Ce texte confirme,
d’autre part, l’existence d’une « ville basse » puisqu’il énumère
les gens de « la plaine de la ville ». Si cette interprétation est, en
effet, bien tentante, elle n est pas tout a fait certaine. On pourrait
aussi comprendre qu’il s’agit d’un percement de la muraille en vue
de la construction d une nouvelle porte de la ville, une porte de passage,
probablement dans le quartier des ports, le texte ayant trait ensuite
aux droits de passage, par cette porte, de diverses marchandises
en rapport avec divers gens de métier, ainsi qu’aux amendes infli¬
gées dans certaines circonstances (Sznycer [1427]). Les fouilles de
la mission archéologique française sur la colline de Byrsa, conduites,
depuis 1974, sous la direction de S. Lancel, ont pu dégager un
quartier d’habitation de la dernière époque punique, se déve¬
loppant progressivement de la fin du 111e siècle jusqu’en 146
av. J.-C., bâti sur des installations de métallurgistes, du ive jusqu’à
la fin du me siècle, qui ont, elles-mêmes, pris la place, après que le
terrain était resté inoccupé du début du vie siècle jusqu’à la fin
du Ve, d une nécropole archaïque. L’îlot d’habitation ainsi dégagé
constitue un ensemble homogène construit selon un plan ortho-
Carthage et la civilisation punique 561

gonal cohérent. Les maisons, construites pour la plupart dans la


première moitié du ne siècle av. J.-C., sont très soignées quant aux
parements et aux finitions. Les maisons sont assez petites parce
qu’il fallait, semble-t-il, utiliser au mieux l’espace urbain de
Carthage entre la deuxième et la troisième guerre punique. La
mission française a pu aussi dégager le tracé de plusieurs rues sur
quelques dizaines de mètres, larges de 6 à 7 m (Lancel [1373]).
Une mission archéologique allemande a dégagé, près de la mer, des
maisons plus grandes, datant à peu près de la même époque.
Ainsi, les fouilles actuellement en cours ont pu déjà enrichir consi¬
dérablement nos connaissances directes sur l’urbanisme et l’habitat
de Carthage. Jusque-là, on ne connaissait, partiellement, que la
ville punique de l’époque hellénistique exhumée à Kerkouane,
sur la pointe du cap Bon (Morel [1377], Fantar [1428]).

4) LES STRUCTURES POLITIQUES. LES INSTITUTIONS

C’est un fait : chez les écrivains grecs, ou gréco-latins, les


institutions politiques de Carthage jouissaient d’un prestige parti¬
culier. Aristote (Pol., II, XI, 1272) : « Les Carthaginois passent
pour être bien gouvernés, leur Constitution est à beaucoup d’égards
supérieure aux autres... » Eratosthène, géographe grec du 111e siècle
av. J.-C. (dans Strabon, I, 4, 9) : « Les Romains et les Carthaginois
dont les institutions politiques sont si remarquables. » Polybe
(VI, 43) : « Certaines Constitutions ont une réputation d’excel¬
lence dont presque tous les historiens se sont fait l’écho : la Consti¬
tution des Lacédémoniens, celle des Mantinéens et celle des Cartha¬
ginois », et plus loin (VI, 51) : « Quant à l’Etat carthaginois, il me
semble que ses institutions politiques ont été, dans leurs caracté¬
ristiques essentielles, bien conçues. » Quant à l’orateur Isocrate,
avant Aristote, il compare (Nicocles, 24) les Carthaginois à « ceux
des Grecs qui sont le mieux gouvernés ». Devant cette avalanche
d’éloges, on peut même se demander si l’excellence des institutions
carthaginoises n’est pas, chez les Grecs, presque un lieu commun.
Et même si tel était le cas, ce « lieu commun » serait extrêmement
significatif : il révélerait d’abord que les Grecs considéraient Car¬
thage non comme un Etat oriental « barbare », mais bien comme
ROME, 2 4
5Ô2 V Occident

une cité pareille, dans l’ensemble, aux cités grecques, comme une
polis, et ensuite que, parmi ces poléis, celle de Carthage méritait,
par ses institutions, d’avoir un rang honorable.

Il fallait rappeler ce fait car le peu que nous pouvons savoir des rouages
de la Constitution carthaginoise, du fonctionnement de la cité punique, des
structures du pouvoir politique, nous le devons à peu près uniquement à ces
quelques notices chez les écrivains grecs et latins, principalement, Aristote,
puis Diodore de Sicile, Trogue-Pompée, à travers l’abrégé de Justin (ces deux
derniers paraissent d’ailleurs dépendre de Timée), Polybe, Appien, Tite-Live.
On peut y ajouter Cornélius Nepos et, pour mémoire seulement, la référence
donnée par Athénée (XIV, 27) sur un traité qu’un certain Hippagoras, dont
nous ne savons rien, aurait consacré aux institutions carthaginoises, et un petit
traité sur la Constitution de Carthage d’un érudit byzantin du xive siècle,
Théodoros Métochitès. Tous ces passages ne nous livrent que peu d’informations
disparates et, malgré tous les travaux faits depuis, reste toujours valable la
remarque préliminaire de Gsell ([1323], II, 183) :« Nous n’avons que de maigres
renseignements sur la Constitution politique de Carthage », comme reste égale¬
ment valable et plus que jamais actuel son avertissement (ibid., 184) : « Les
indications dont nous disposons proviennent d’auteurs étrangers à Carthage,
qui n’ont pas toujours été bien informés et qui ont d’ordinaire employé des
termes de leur langue pour désigner des institutions puniques. Ajoutons que ces
textes se rapportent à diverses époques, depuis le milieu du vie siècle jusqu’au
milieu du 11e; il ne faut pas les utiliser sans avoir pris soin de les classer chrono-
logiquement, car, pendant cette longue période, l’Etat carthaginois n’est pas
resté immuable. » Il faut constater, au préalable, que depuis l’analyse de Gsell,
comme toujours minutieuse et exhaustive, publiée il y a soixante ans, peu de
progrès ont été accomplis. Cf. par ex. les minces résultats du travail pourtant
exhaustif de E. Bacigalupo Pareo [1429].

Le fait nouveau, peut-être le plus tangible, intervenu depuis la


parution du monumental ouvrage de Gsell, est le changement
d’approche concernant la Constitution de Carthage présentée par
Aristote : on ne croit plus que celle-ci ait pu rester uniforme et
immuable durant des siècles jusqu’à la chute de la cité punique,
mais qu’au contraire elle a dû subir des changements, des rema¬
niements, parfois décisifs, au fur et à mesure de l’évolution des
structures sociales et économiques et de l’interférence des faits
extérieurs. Le premier, le savant commentateur d’Aristote,
R. Weil [1431], a montré que les indications concernant les insti¬
tutions carthaginoises contenues dans le livre V de la Politique
Carthage et la civilisation punique
5%

diffèrent, sur plusieurs points, de celles données dans la fameuse


notice sur la Constitution de Carthage insérée dans le chapitre XI
du livre II du même ouvrage et que, par conséquent, d’une rédac¬
tion à l’autre, Aristote avait dû être mis au courant des change¬
ments qui se sont produits entre-temps à Carthage. Cette nouvelle
façon de considérer la Constitution carthaginoise a été bien mise
en relief, entres autres, par G. Picard ([1333], 139-140). Mais,
en dehors de cet acquis, certes important, et peut-être aussi de
quelques lumières nouvelles qu’ont projeté sur le « règne » des
Barcides en Espagne les monnaies attribuées définitivement par
le numismate anglais E. S. G. Robinson [1432] aux Barcides
d’Espagne, peu de progrès véritables ont été enregistrés dans les
recherches sur les institutions de Carthage.

A) La Constitution de Carthage vue par Aristote

Les innombrables travaux de toutes sortes consacrés depuis


plus d’un siècle et demi (le premier travail sérieux est celui de
Kluge [1433]) daté de 1824) à cet inépuisable sujet dispensent
d’entrer ici dans les détails. On sait que, dans le livre II de sa
Politique, où il procède à l’examen des meilleures Constitutions
alors connues, Aristote présente celle de Carthage (chap. XI),
la seule Constitution non grecque à être incluse par lui parmi les
modèles proposés, qu’il compare aux Constitutions de Sparte et
de Crète. Le modèle carthaginois aurait été, selon le philosophe de
Stagire, celui d’une « Constitution mixte », censée contenir les
meilleurs éléments de chacun de trois systèmes politiques diffé¬
rents : monarchique, aristocratique (ou oligarchique), démocra¬
tique, qui s’équilibrent réciproquement. Ainsi, il y aurait eu à
Carthage des « rois » (basileis), un Conseil des Anciens (gerousia),
un Conseil, ou un tribunal, des Cent Quatre magistrats (appelé
plus loin, XI, 7, la « magistrature suprême des Cent »), et
l’Assemblée du peuple (démos), dont Aristote ne manque pas de
souligner les attributions et qui constituent, selon lui, le trait
démocratique du régime carthaginois : « Les rois sont avec les
Anciens maîtres de porter ou de ne pas porter une affaire devant
le peuple, quand tous sont d’accord; dans le cas contraire, c’est
au peuple d’en décider. En ce qui concerne les affaires présentées
564 V Occident

au peuple, on lui concède non seulement le droit d’écouter les


décisions des autorités, mais aussi le pouvoir de décider souve¬
rainement et tout citoyen, s’il le désire, peut présenter des contre-
propositions, ce qui n’existe pas dans les autres Constitutions »
(XI) 5-6). En revanche, Aristote considère comme traits oligar¬
chiques ou aristocratiques la règle que les magistrats ne sont pas
payés, étant élus d’après leur mérite et leur richesse, et qu’ils
peuvent « juger toutes les causes sans partage d’attributions »,
la pratique courante qu’une même personne peut exercer plusieurs
magistratures, enfin le fait que les pentarchies, dont le philosophe
est le seul à parler, qui décident souverainement d’affaires nom¬
breuses et importantes, se recrutent par cooptation.

Ce tableau bien schématique des institutions carthaginoises (essentiellement,


des « rois », un Sénat, une Assemblée du peuple) brossé par Aristote, confirmé
dans 1 ensemble par les informations, beaucoup plus succinctes, données par
Polybe (VI, 51 : « Il y avait des rois; le conseil des gérontes, de nature aristo¬
cratique, disposait de son côté de certains pouvoirs et le peuple était souverain
dans les questions qui étaient de son ressort»), ainsi que par diverses indications
d autres auteurs grecs ou latins, était généralement considéré par la majorité
d’auteurs comme reflétant le régime politique de Carthage, quasi immuable,
qui serait resté tel quel, en gros, jusqu’à la chute de la cité punique. Pourtant,
déjà, la remarque d’Aristote, dans le livre II de son traité (XI, 2), qu’ « il n’y
a jamais eu à Carthage, chose digne d’être notée, ni sédition ni tyran », est
clairement contredite par deux observations du philosophe dans le livre V du
même traité : « Cela arrive enfin (des troubles dans un régime oligarchique) si un
citoyen est haut placé et capable de grandir encore en puissance pour parvenir
à la monarchie, comme semblent l’avoir fait, à Lacédémone, Pausanias..., et
a Carthage, Hannon » (VII, 4), et « une tyrannie se change en tyrannie...
comme à Carthage» (XII, 12). G. Picard ([1333], 135-136, 140) pense qu’entre
la date de la rédaction du livre II et celle de la compilation du livre V de la Poli¬
tique Aristote aurait eu connaissance de la monarchie magonide et de la tenta¬
tive du coup d’Etat d’Hannon, qui se situerait, selon Picard, vers 360 av. J.-C.
Cela est possible mais non point certain. Justin (XXI, 4) raconte, en effet,
comment le général carthaginois Hannon, qui avait combattu en Sicile, a
tente par deux fois, avec l’aide d’esclaves armés et de chefs numides, de s’emparer
du pouvoir à Carthage, mais le récit est trop romancé pour être tout à fait
vrai. D’autre part, selon Meltzer ([1321], I, 504), Aristote ferait allusion à un
autre Hannon. Quoi qu’il en soit, on peut supposer, avec R. Weil [1431],
qu entre les deux notations, il a pu compléter ses informations sur Carthage',
ou les institutions, loin de rester immobiles, ont dû évoluer. Il est évidemment
Carthage et la civilisation punique
565

difficile sinon impossible de restituer la marche et le sens profond de cette


évolution. Plutôt que de procéder à d’hypothétiques restitutions de l’ensemble
de la vie intérieure de la grande cité punique, on préférera soumettre à l’examen
quelques éléments précis des institutions de Carthage.

B) Le problème de la royauté à Carthag

On doit faire d’abord une remarque préliminaire : aucun texte


punique, de quelque nature qu’il soit, ne mentionne l’existence
d’un roi et, à plus forte raison, des rois à Carthage, ni dans aucune
autre cité punique. Ce sont uniquement les auteurs grecs et latins
qui parlent des « rois » (généralement au pluriel : basileis) à
Carthage, et les commentateurs modernes, qui depuis fort long¬
temps se demandent quelle réalité punique recouvre le terme
« roi » chez les auteurs anciens, sont toujours partagés entre ceux,
majoritaires, qui pensent qu’il s’agit, du moins à partir d’une
certaine époque, des suffètes, et ceux qui croient qu’il y a toujours
eu à Carthage des rois, au sens propre du terme. Cette dernière
thèse a été surtout défendue, parmi d’autres, par J. Beloch [1430]
et a été, récemment, reprise, développée et amplifiée par
G. Picard ([1434] ; [1333], passirri). Selon cet auteur, Carthage a
connu une évolution de la monarchie de droit divin à la démo¬
cratie, en passant par un Etat aristocratique, et, dans cette pers¬
pective, les termes basileus, chez les auteurs grecs, et rex, chez les
auteurs latins, désignent véritablement des rois carthaginois. Ce
dernier problème sera examiné dans le paragraphe suivant
consacré au suffétat, mais il convient de s’interroger dès maintenant
sur la réalité de la royauté à Carthage.

On sait que, depuis une époque très ancienne, les cités phéniciennes avaient
à leur tête un roi et l’on connaît, aussi bien par les textes phéniciens que par
les sources étrangères, toute une série des rois à Byblos, à Sidon, à Tyr, etc.
Dans les inscriptions, le terme « roi » est toujours rendu par les trois lettres-
consonnes MLK (phén. milk, et non pas mèlèk, comme on l’indique généralement,
qui est une vocalisation uniquement hébraïque). Cependant, il y a une diffé¬
rence fondamentale, déjà perceptible dès la fin du IIe millénaire av. J.-C.,
entre les roitelets des cités-Etats phéniciennes et les monarques absolus de droit
divin en Mésopotamie, de même qu’en Israël : un roi phénicien, même si le
principe d’hérédité est respecté, n’est, le plus souvent, qu’un primus inter pares,
soumis aux pressions de diverses couches de la population, non seulement à
566 L’ Occident

celles de ses conseillers et hauts fonctionnaires, ou à celles des classes dites


« supérieures », représentées par un influent Conseil, mais aussi parfois à celles
du peuple, qui peut se grouper en une Assemblée. D’autre part, dans les « colo¬
nies », c’est seulement à Chypre que les rois phéniciens sont attestés d’une
manière directe et certaine. Seulement, il n’y a jamais deux rois qui auraient
régné conjointement dans une cité phénicienne, ce qui rend suspectes les men¬
tions des auteurs classiques concernant des rois (au pluriel) ou plus encore les
« deux rois » à Carthage. On peut dire, d’une manière générale, que nous ne
savons rien de précis sur la royauté, ou la prétendue royauté, carthaginoise.
Les premiers temps de Carthage restent encore enveloppés de mystères et la
légende de la reine Elissa (Didon, chez Virgile), présentée comme la fondatrice
de la Ville Neuve en Afrique, ne prouve pas nécessairement que, dès le début,
y fut introduit le système monarchique, car il n’est pas du tout certain que les
nouvelles colonies phéniciennes, ou les nouvelles cités fondées par les colons,
avaient d’emblée un roi à leur tête : le cas de Chypre mis à part, les rois ne sont
jamais mentionnés dans aucune colonie, ou cité phénicienne à l’étranger, que
ce soit, par exemple, en Sicile ou en Sardaigne. G. Picard s’est employé à
reconstituer, parfois même dans les détails, et à dater les diverses étapes de la
royauté punique, qui aurait eu cours, selon lui, à Carthage dès ses débuts
jusqu’à la fin du IVe siècle av. J.-C., avec une « monarchie magonide », de 550
jusqu’à vers 370 av. J.-C. (plusieurs rois : un Magon, un Asdrubal, un Amilcar,
un Hannon, un Hannibal, un Himilcon, un autre Magon), et ensuite avec
divers rois de la« dynastie hannonide» jusqu’à la fin tragique d’un roi Bomilcar,
qui marquerait en même temps, en octobre 308 av. J.-C., la fin de la royauté
punique, qui pourtant n’aurait pas été supprimée, les fonctions royales devenant
purement honorifiques, mais « ne laissant plus de traces dans l’histoire» ([1333].
169). Cette reconstitution, certes ingénieuse et séduisante, basée sur le recou¬
pement de diverses indications des auteurs grecs et latins, n’est malheureusement
qu’une hypothèse parmi d’autres.
Un autre problème, non encore résolu, est posé par l’étendue et le caractère
du pouvoir établi en Espagne par les « Barcides », avec la conquête de la pénin¬
sule Ibérique par Amilcar Barca, commencée vers 228 av. J.-C., et, après la
mort de celui-ci, le règne de son gendre Asdrubal, qui a fondé en Espagne
une Qart Hadasht (« Ville Neuve», que les Romains ont appelée, pour la distin-
guei de la Caithage africaine, harthago JVovû, d’où Carthagène), assassiné en 221,
auquel succède le fils aîné d Amilcar Barca, Hannibal. Certains auteurs prêtent
aux Barcides le dessein de fonder une monarchie militaire de type hellénistique,
semblable à celles qui dominaient l’Orient depuis la conquête d’Alexandre,
basée sur la mystique d’un chef providentiel et sur une religion dynastique. Les
« Barcides » ont-ils vraiment créé en Espagne « un Etat indépendant en fait
sinon en dtoit» ([1333]) 213 s<Ich) ? Ont-ils vraiment imité les monarques orien¬
taux ? G. Picard a voulu trouver confirmation de ces faits dans l’identification
Carthage et la civilisation punique 567

des portraits d’Amilcar Barca, d’Asdrubal et d’Hannibal sur les monnaies pro¬
venant du sud de l’Espagne, que le numismate anglais E. S. G. Robinson [1432]
avait définitivement attribuées au monnayage barcide en Espagne, et où ces
« monarques barcides » apparaîtraient couronnés de lauriers, portant le diadème
royal, de même que la massue, emblème de Melqart-Héraclès, ce qui prouverait
leur désir d’être assimilés à cette divinité ([1435]; [1436]; [1437], 104 sqq.;
[i333]j 2I3)- En fait, l’identification du portrait d’Hannibal sur les monnaies
de Carthagène avait déjà été proposée, dès 1948, par A. Beltrân [1438], l’examen
exhaustif de ces monnaies ayant été fait par Robinson, qui, cependant, il faut
le souligner, ne propose d’y voir les portraits des chefs barcides que sous toutes
réserves (toujours avec un point d’interrogation). Mais ces identifications,
déjà repoussées par J. M. Navascués [1439], ne sont pas admises dans le dernier
travail d’ensemble paru sur les monnaies puniques d’Espagne, celui de
L. Villaronga [1440], qui préfère considérer les bustes qui ornent ces monnaies
comme représentant des divinités. D’autre part, il semble que, loin d’utiliser
à leur seul profit et à des buts uniquement personnels, et qui seraient dirigés
contre Carthage, la force et le pouvoir qu’ils ont acquis en Espagne, les Barcides
non seulement n’ont jamais rompu, ou voulu rompre, avec la cité mère, mais
l’ont, au contraire, toujours servie avec dévouement et empressement, en
développant à son profit l’exploitation des richesses minières d’Espagne afin
d’accélérer le paiement des indemnités de guerre à Rome et reconstruire la
marine punique, en restant continuellement en contact étroit avec Carthage,
en veillant à ce que leurs actes en Espagne reçoivent l’approbation des autorités
carthaginoises. Quant aux racontars de l’historien romain, violemment anti¬
carthaginois, Fabius Pictor, sur la prétendue tentative d’Asdrubal de renverser
la Constitution de Carthage et d’instaurer la royauté, Polybe, qui les rap¬
porte (III, 8), en a déjà fait lui-même justice. En conclusion, il paraît douteux
que les Barcides, qui étaient avant tout des chefs militaires, appuyés par l’armée
et comptant sur le dévouement de celle-ci, aient jamais exercé un véritable
pouvoir royal.

C) Le problème des suffètes

Les suffètes sont les magistrats puniques les mieux connus, du moins par
leur nom.
Il s’agit d’un terme punique, et plus généralement sémitique, formé sur la
racine SPT; c’est un participe actif de la forme simple à valeur nominale :
shophet, d’après la vocalisation hébraïque, prononcé plus probablement en
phénico-punique shouphet. Ce terme est bien attesté dans les inscriptions puniques,
mais aussi en transcription latine (sufes ou suffes, plur. sufetes, ou suffîtes) chez
les auteurs latins et, plus tard, dans les inscriptions latines. On ne connaît guère
de transcription grecque. Ainsi, les auteurs anciens écrivant en grec ont été
obligés de transposer ce terme, pourtant si spécifiquement sémitique, dans leur
568 L'Occident

langue, ne pouvant donc le rendre en grec qu’approximativement par un


terme, pris dans leur propre vocabulaire institutionnel, qu’ils croyaient à peu
près équivalent, mais qui, en réalité, ne pouvait jamais l’être tout à fait puisque
les institutions grecques n’étaient pas nécessairement les mêmes que celles des
Sémites de l’Ouest. Les écrivains latins, de leur côté, quand ils n’employaient
pas la transcription pure et simple (sufes), ont également cherché à transposer
le terme punique en latin et ces transpositions, plus ou moins réussies selon le
cas, souvent d’ailleurs calquées sur celles des Grecs, étaient, par la force des
choses, tout aussi inadéquates. En Voulant parler des suffètes, les Grecs et les
Latins se heurtaient donc à une double barrière : celle des institutions et des
mentalités et celle de la langue. Il faut toujours avoir présents à l’esprit ces faits
quand on aborde les problèmes concernant les suffètes, embrouillés comme à
souhait par la diversité d’informations, souvent contradictoires en apparence,
transmises par les auteurs grecs et latins, et, peut-être plus encore, par les
commentateurs modernes qui s’acharnent à chercher la cohérence et la précision
là où on ne peut nécessairement trouver qu’approximation, imprécision, ou
incohérence. En effet, ce qu’on pourrait appeler le « problème des suffètes » a
été créé avant tout par l’inadéquation des termes grecs et latins employés par
les auteurs anciens pour parler de ces magistrats puniques, termes qui souvent
prêtent à équivoque concernant les attributions, le rôle véritable et l’importance
des suffètes. Depuis les grandes synthèses de Meltzer ([1321], II, 62 sqq.) et
de Gsell ([1323], II, 193 sqq.) et l’utile mise au point de Heuss ([1441], 108 sqq.),
ces problèmes ont donné matière, ces dernières années, à toute une série de
travaux qui partent d’ailleurs toujours des données gréco-latines qu’ils
essaient de coordonner et de concilier —, parmi lesquels on doit citer en premier
lieu ceux de G. Picard ([1442], [1443], [1333], passim) et, tout récemment,
ceux de W. Huss [1444] et, surtout, de Bacigalupo Pareo [1429].

On sait que les suffètes ont été, du moins à partir d’une certaine
époque, les magistrats suprêmes de Carthage. C’est pourquoi, on
a admis depuis longtemps que le terme « rois » (basileis, reges),
si fréquemment employé par les écrivains gréco-latins quand, dans
leurs récits, il est question du gouvernement carthaginois, est
celui-là même qui désignait, dans la plupart des cas, des suffètes
puniques. Malgré les efforts de certains auteurs qui, dans le
sillage de 1 ancienne théorie de Beloch [1430], s’efforcent de
démontrer que, dans ces appellations, il s’agirait de véritables
rois à Carthage (cf. ci-dessus, p. 565), tout semble indiquer, au
contraire, que la thèse de « la synonymie des termes basileus, rex
et sufes » (Gsell [ 1323l5 Hj J94)> acceptée d’ailleurs par les récents
traducteurs et commentateurs d’Aristote [1445], ou de Polybe [61],
Carthage et la civilisation punique
569

soit plus que jamais valable. Ainsi, par exemple, le fait que Polybe
désigne généralement le suffète carthaginois par le terme grec
basileus (« roi ») peut etre confirmé, par l’analogie, par ce qu’il
dit des consuls romains : « A qui portait toute son attention sur
les pouvoirs des consuls, elle (= la Constitution romaine) appa¬
raissait comme un régime entièrement monarchique, avec toutes
les caractéristiques d’une royauté » (Pol., VI, 11), quant on sait
que, pour les Romains, les suffètes carthaginois étaient préci¬
sément considérés, à l’époque des « guerres puniques », comme
1 équivalent, dans une certaine mesure, de leurs consuls (cf., par
exemple, Tite-Live, XXX, 7, 5 : « Sufetes, quod velut consulare
imperium apud eos erat... »; Sénèque, De tranquil. animi, IV, 5 :
« Non vis nisi consul..., aut sufes administrare rem publicam »;
Paul Diacre (dans Lindsay, éd. de Festus, p. 405) : « Sufes
consul lingua Poenorum »). Ou bien, dans le passage signi¬
ficatif de Cornélius Nepos (.Hann., 7, 4) : « De la même manière
en effet que Rome se donne des consuls, Carthage créait chaque
année deux rois munis de pouvoirs annuels » (« ut enim Romae
consules, sic Karthagine quotannis annui bini reges creabantur »),
il est clair que bini reges désigne les deux suffètes annuels de Car¬
thage. Et, comme l’a bien démontré Bacigalupo Pareo ([1429], 81),
on ne peut guère, comme on l’a voulu (Picard [1442], 274 sqq.),
considérer ce passage comme une interpolation tardive d’un
scholiaste, ne serait-ce qu’à cause du témoignage correspondant
de Zonaras (VIII, 8), et il faut donc conclure, avec l’auteur
italien, que les « annui bini reges di Nepote corrispondono senza
dubbio ai due sufeti eponimi ». Si les termes basileus et rex sont
les plus couramment employés par les auteurs grecs et latins quand
il s’agit pour eux de désigner le suffète carthaginois, ceux-ci se
servent parfois d’autres termes encore pour désigner les magis¬
trats puniques : praetor (Tite-Live, XXXIII, 46, 3; Cornel.
Nepos, Hann., 7, 4), dux, archôn, etc. Cette apparente confusion
résulte du fait, on l’a dit, que le suffétat était une magistrature
spécifiquement punique, sémitique, difficilement compréhensible,
dans son sens profond, aux Grecs et aux Romains, qui ont cherché,
on dirait désespérément, d’abord de savoir à quoi exactement
elle pouvait bien correspondre, et ensuite de trouver un terme
grec ou latin plus ou moins équivalent pour la désigner à leurs
57° V Occident

lecteurs. Le fait que les termes employés par eux soient nombreux
et qu’aucun parmi eux ne rende exactement, et ne pouvait rendre,
le sens que le terme suffète avait en punique, le fait aussi qu’on ait
recouru à une simple transcription du mot sémitique (sufes),
prouveraient à eux seuls qu’il s’agissait d’une institution parti¬
culière et spécifique. Pour essayer de comprendre cette spéci¬
ficité, il convient d’abord de définir le sens de ce terme punique à
partir du sémitique, où il est abondamment attesté dès le
IIe millénaire av. J.-C.

A la lumière des témoignages de divers textes sémitiques du second millé¬


naire av. J.-C., ceux notamment de Mari et d’Ougarit, il apparaît maintenant
que la racine S P T avait un sens plus large que celui de « juger », « rendre la
justice », comme on était enclin à le croire, et que son sens fondamental est
donc « commander », « gouverner », « exercer le pouvoir ». En effet, dans les
textes provenant de Mari, sur l’Euphrate, ce royaume amorite qui est connu
surtout au xvme siècle av. J.-C., le mot siphtu signifie, comme d’ailleurs bien
souvent son parallèle hébreu mishpat,« ordonnance »,« décision », « édit » (Annales
royales de Mari = ARM, I, 6, 14-15; 20; II, 13, 33; 24), tandis que le substantif
shapitu, connu déjà par les contrats du pays proche de Mari, Hana, où il désigne
le magistrat chargé de l’exécution du contrat, qualifie un magistrat supérieur
nommé par le roi et dont les attributions dépassaient de loin le domaine judi¬
ciaire (ARM, I, 62, rev. 9; 73, 52; II, 32, 16, 98, rev. 12; VII, 214, 6, etc.).
Dans les textes d ’Ougarit (xive siècle av. J.-C.), si le verbe Ipt (= spt) peut
signifier également rendre justice — mais dans les deux cas où il est attesté
avec ce sens il s’agit de l’exercice de la justice en tant que fonction royale —, le
mot mtpt (= hébr. mishpat) y a incontestablement le sens de « domination »,
« souveraineté », « gouvernement» (Caquot-Sznycer [1446], 124, 269), et le
terme Ipt ( = shoupet), employé, souvent en parallélisme avec le mot zbl, « prince»,
pour qualifier le dieu Tarn ou le grand dieu Ba'al, est synonyme de « chef»,
« souverain» (Caquot-Sznycer [14.46], 110). Ces textes éclairent maintenant
maints passages de la Bible hébraïque, où il faut retenir pour la racine $PT
le sens de « gouverner » et pour le mot shophet celui de « gouvernant », « chef»,
comme, par exemple, dans Psaume, II, 10, où il est parallèle à « roi », dans
Psaume, CXLVIII, 11, où il est employé à côté des termes« roi» et« prince», etc.
Et surtout, il ne faut plus voir dans les « Juges » d’Israël (shophetim), du livre
biblique des « Juges », des simples juges, mais, comme n’ont pas manqué de le
souligner plusieurs exégètes (entre autres, F. C. Fensham [1447], Schmidt [1448],
Richter [ 1449Üj et en dernier lieu, R. de Vaux [ 145°]3 67-86), des gouvernants ou
ch-fs, et certains n’ont même pas hésité de parler des « suffètes d’Israël » (Dus
[1451J) - La caractéristique principale de ces « juges » (shophetim) hébreux est
Carthage et la civilisation punique
571

que leur fonction ne se limite pas précisément à l’exercice de la justice, mais


s’étend à toute l’administration civile, au gouvernement, et que, d’autre part,
elle n’est pas héréditaire. Le sens fondamental de la racine SPf« gouverner»,
« exercer le pouvoir », bien attesté, on l’a vu, dans les textes du IIe millénaire
av. J.-C., se retrouve en phénicien, notamment dans l’inscription d’Ahiram de
Byblos, où le mot mspt ( = mishpat) signifie « gouvernement », « autorité ».
En outre, on sait que dans les extraits des Annales de Tyr, donnés par Flavius
Josèphe (Contr. Ap., I, 156-158) — et qu’il a sans doute empruntés à Ménandre
d’Ephèse —, sont énumérés les suffîtes qui gouvernèrent Tyr pendant plus de
huit ans, après le siège de la ville par Nabuchodonosor au vie siècle av. J.-C.,
ayant été institués après le règne du roi de Tyr Ba*al. Ils exercèrent leurs fonc¬
tions pendant des laps de temps variables : les trois premiers suffètes, deux, dix et
trois mois respectivement, ensuite deux suffètes occupèrent conjointement leurs
fonctions durant six ans, enfin le dernier gouverna pendant près d’une année.

On voit ainsi que l’institution des shouphetim « suffètes » cartha¬


ginois en tant que magistrats suprêmes de la cité est bien enracinée
dans le monde ouest-sémitique ancien, qu’il s’agit donc d’une
institution typiquement sémitique, très ancienne, et l’on comprend
que les écrivains grecs et latins ont pu être embarrassés quand il
s’est agi de trouver un terme quasi équivalent en grec ou en latin.
Somme toute, le terme « roi » qu’ils ont le plus souvent employé
pour rendre le mot « suffète », surtout en grec (basileus), exprime
assez bien, quoique approximativement, l’étendue du pouvoir
que les suffètes ont dû exercer à Carthage, au moins à partir
d’une certaine époque, comme magistrats suprêmes. Ces écrivains
ont bien indiqué aussi tous que ces prétendus « rois » n’étaient
pas héréditaires, mais qu’ils étaient choisis, ou élus, et que, dans
ce choix, on tenait compte, comme dit Aristote, à la fois de la
richesse et du mérite. Ce seul trait, souligné par les auteurs
gréco-latins, serait déjà suffisant pour exclure la possibilité d’y
voir des vrais rois, dans le sens sémitique du mot (MLK) : tous
les rois phéniciens connus, à Byblos, à Tyr, à Sidon, etc., aussi
bien à la haute qu’à la basse époque, sont toujours héréditaires,
sauf évidemment des cas, rares, d’un coup d’Etat et d’une usur¬
pation. Il faut se rendre à l’évidence : le terme « roi » appliqué,
dans les écrits grecs ou latins, aux institutions de Carthage, du
moins en ce qui concerne les événements à partir du Ve siècle
av. J.-C., ne peut désigner des véritables rois mais uniquement
des magistrats suprêmes de la cité, des suffètes.
572 L' Occident

Un problème irritant et non encore résolu est celui du nombre


des suffètes dans l’exercice de leurs fonctions. A partir d’une
certaine date, difficile à établir, sont attestés à Carthage, tant par
les témoignages des auteurs anciens que par les inscriptions
puniques, deux suffètes, désignés conjointement pour une année
et éponymes. On situe généralement cette apparition de deux
suffètes annuels au me siècle av. J.-C., c’est-à-dire à l’époque
des guerres puniques. G. Picard a même cru possible d’en fixer
une date exacte : « selon toute probabilité en 237 », au cours
d’une « profonde réforme » qui aurait transformé en faveur du
peuple les institutions puniques ([1333], 207). D’autre part, la
plupart des auteurs suggèrent qu’on ait pu s’inspirer du statut
de deux consuls romains. Cependant, l’influence romaine semble
exclue non seulement du fait que le suffétat était une vieille
institution sémitique mais aussi du fait que, comme on l’a vu,
deux suffètes exerçant conjointement leur charge sont déjà
attestés à Tyr au vie siècle, et que, d’autre part, on constate la
présence de deux, ou de plusieurs, suffètes dans les villes de
tradition tyrienne, comme, par exemple, Gadès (Tite-Live,
XXVIII, 37, 2). L’examen des mentions des suffètes dans les
inscriptions puniques prouve également le fonctionnement du
suffétat (deux ou plusieurs suffètes) bien avant cette date.

En ce qui concerne, tout d’abord, les inscriptions phéniciennes, une inscrip¬


tion dédicatoire fragmentaire de Tyr, datant du 111e siècle av. J.-C., mentionne
une généalogie de plusieurs générations, où quatre personnes sont qualifiées
de suffète (Répertoire d’Epigraphie sémitique, n° 1204), ce qui constitue l’attestation
directe du suffétat à Tyr vers 400 av. J.-C. au moins. Le dédicant phénicien
d’un autel au dieu Sakon, dans une inscription de marbre trouvée au Pirée
(Grèce) et datant du 111e siècle av. J.-C., est le fils d’un suffète (CIS, I, 118).
Un suffète est attesté, au IVe siècle av. J.-C., à Kition (Chypre). Quant aux
inscriptions puniques de Carthage, elles mentionnent un grand nombre de
suffètes, d une part, dans la généalogie des dédicants, d’autre part, dans la
datation des inscriptions dédicatoires en tant que magistrats éponymes. La
première categorie est de loin la plus nombreuse, elle comprend un nombre
important de textes mentionnant un suffète ou deux suffètes, mais aussi deux
séries, chacune composée de plusieurs dizaines d’inscriptions, mentionnant
1 une trois suffètes dans une généalogie, et l’autre quatre suffètes. Plusieurs
textes de cette dernière série datant sûrement du 111e siècle av. J.-C., le suffétat
semble ainsi directement attesté à Carthage au moins vers 400 av. J.-C. Plus
Carthage et la civilisation punique
573

de cent suffètes sont ainsi mentionnés dans les inscriptions puniques de Carthage,
ce qui semble prouver que le terme suffète était un titre, qui restait attaché pour
toujours à la personne qui a exercé cette fonction même une fois. On peut
cependant se poser la question si tous ces shouphet mentionnés dans les généalogies
des dédicants carthaginois étaient vraiment tous des magistrats suprêmes,
c’est-à-dire des suffètes proprement dits, ou s’il s’agissait, du moins pour une
partie d’entre eux, des simples juges—puisque le terme punique avait ces deux
significations —, appartenant à cet ordo iudicum dont Tite-Live (XXXIII, 46)
dénonçait la domination à Carthage. Il est difficile, dans l’état actuel de nos
connaissances, de répondre à cette question sans extrapoler, d’autant que le
texte de Tite-Live est ambigu. En revanche, le doute n’est pas permis en ce
qui concerne la deuxième catégorie d’inscriptions carthaginoises, celle qui
mentionne des shouphetim éponymes, c’est-à-dire des suffètes annuels. En effet,
plusieurs inscriptions dédicatoires ou commémoratives sont datées par la for¬
mule B$T SPTM ( = be-shat shouphetim) « en l’année des suffètes » suivie des
noms de ces suffètes annuels, généralement au nombre de deux (p. ex., CIS, I,
3921, 5523, etc.). Un texte signale même le remplacement de deux suffètes par
deux autres, l’année d’exercice des premiers ayant pris fin : l’inscription CIS, I,
3914, qui commémore la construction de deux nouveaux sanctuaires aux
deux déesses, Ashtart et Tanit du Liban, est datée « depuis le mois de Hiyar,
étant suffètes Abdmelqart et (lacune où se trouvaient le nom du deuxième suffète
et l’expression « jusqu’au mois tel »), étant suffètes Shaphot et Hanno fils de
Adoniba'al ». La plupart de ces inscriptions de Carthage datées d’après deux
suffètes annuels éponymes semblent être du 111e siècle av. J.-C. La datation
par deux suffètes éponymes est aussi bien attestée dans les cités puniques de
Sicile [CIS, I, 135) ou en Sardaigne {CIS, I, 143; Guzzo Amadasi [1354],
p. 109-112), ainsi que, postérieurement, dans les inscriptions néo-puniques des
villes sous influence de Carthage mais datant généralement d’après la chute de
celle-ci (p. ex., à Thinissut (Bir Bou-Rekba), KAI 137, ou à Lepcis, KAI 119,
120, etc., ou encore à Bitia, en Sardaigne {KAI 173)) à la fin du 11e siècle de
notre ère), quand, à l’époque romaine, les suffètes deviendront des magistrats
municipaux et seront abondamment attestés dans les inscriptions latines (sufetes)
provenant de plus de vingt villes situées principalement sur le territoire de
l’ancien Etat carthaginois, mais aussi en dehors de ses frontières, et même,
par exemple, en Maurétanie Tingitane (à Volubilis). (L. Poinssot a dressé,
en 1942, une liste des villes africaines ayant eu à leur tête des suffètes [1452];
à laquelle il faut maintenant ajouter quelques autres.) Dans certaines de ces
cités d’origine numide (à Althiburos, à Maktar, à Thougga, etc.), les inscriptions
signalent non pas deux mais trois suffètes, et l’on a pensé qu’il s’agissait là des
traces d’une institution proprement africaine (cf. p. ex., Camps [1453]) 25®)>
mais il faut rappeler qu’une inscription punique de Carthage, qui peut dater
du nxe siècle av. J.-C. {KAI 80), mentionne, semble-t-il, trois suffètes. Cependant,
574 V Occident

à cette exception près (qui n’est pas tout à fait sûre puisque, dans cette inscrip¬
tion, manque la fin des lignes), aussi bien à Carthage que dans des cités puni¬
ques, en Afrique et dans les îles, ce sont généralement deux suffètes qui sont en
exercice. Une tentative récente de retrouver quatre suffètes à Carthage, d’après
une obscure allusion prêtée à Caton dans un texte postérieur (Festus, éd. Lindsay,
p. 142), probablement altéré, et une reconstitution arbitraire de deux inscriptions
puniques fragmentaires de Carthage (Huss [1444]), ne paraît guère convaincante.
Une autre formule de datation qui se rencontre dans les inscriptions puniques
est celle qui commence par ' TR, où il faut voir deux mots, comme l’invite à
le faire un texte dans lequel ces deux mots sont en effet séparés par un point,
le mot T ( = ’eth) « temps », « époque » et la lettre R, qui est très probablement
I abréviation du mot RBM (= rabbim), pluriel de rab, terme qui signifie« grand»,
« chef » mais qui doit avoir ici le sens général de magistrat, et traduire donc
la formule par « au temps (ou « à l’époque ») des magistrats », dont les noms
suivent. Cette formule est, entre autres, attestée dans le grand Tarif sacrificiel
dit de Marseille (KAI 69) : « A l’époque des magistrats (= de la magistrature)
de Hillesba'al, le suffète, fils de Bodtanit, fils de Bodeshmoun, et de Hillesba'al,
le suffète, fils de Bodeshmoun, fils de Hillesba'al, et de leurs collègues. » On a
donc ici deux suffètes éponymes, mentionnés en compagnie de« leurs collègues».
II ne semble pas que, comme l’ont cru certains auteurs, cette appellation ait
désigné un « collège suffétal » ; elle fait plutôt allusion à un autre collège que
celui des suffètes, qui assiste ceux-ci dans l’exercice de certaines de leurs fonc¬
tions. Plutôt qu aux membres du Sénat proprement dit, J.-G. Février pensait
à un conseil restreint, peut-être de trente membres, que Tite-Live appelle
sanctius consilium [ 1454]• Quoi qu’il en soit — et il est difficile de savoir ce que
recouvre l’appellation « leurs collègues» —, le fait qu’il ne s’agit pas de suffètes
semble être confirmé par l’inscription carthaginoise trouvée récemment (Dupont-
Sommer [1426]), où il y a une double datation : d’abord, « en l’année des
suffètes Shaphot et Adoniba'al », ensuite « à l’époque de la magistrature de »,
suivi de 1 énumération de plusieurs noms, avec filiation, mais sans l’indication
de leur qualité, énumération qui se termine par l’expression « et leurs collègues».
Ainsi, la datation par deux suffètes éponymes est bien attestée par plusieurs
inscriptions de Carthage et du monde punique, qu’on peut dater en général
du 111e siècle, mais certaines peut-être un peu plus haut, c’est-à-dire au début
du 111e ou à la fin du IVe siècle av. J.-C. Cependant, on peut maintenant allé¬
guer une inscription punique de Carthage que les critères paléographiques
permettent de dater, en prenant toutes les précautions, du Ve siècle av. J.-C.,
au plus bas vers 400 av. J.-C. Il s’agit d’un texte qui aurait eu certainement
une importance capitale pour la connaissance des institutions à Carthage, et
notamment du suffétat, s’il nous était parvenu complet. Malheureusement,
il s agit d un fragment. Mais même tel quel, il livre des renseignements très
intéressants, bien que fragmentaires. Cette inscription (CIS, I, 5632) mentionne,
Carthage et la civilisation punique
575

à la ligne 2, ' S RM $T L ... (« la vingtième année de...»), et, à la ligne suivante,


SPTM BQRTHDST (« suffètes à Carthage »). On est évidemment tenté
de restituer, dans la lacune de la ligne 3, un mot comme « l’installation »
(Krahmalkov [1455] propose de restituer un mot abstrait « le suffetat », qui
n’est pas attesté ailleurs) et comprendre « dans la vingtième année depuis
l’installation de (deux) suffètes à Carthage », puisque le mot shouphetim, qui
est un pluriel, peut aussi parfaitement s’appliquer à deux suffètes. Si une telle
restitution ne peut rester évidemment qu’hypothétique, le fait est que la mention
des suffètes (très probablement « deux suffètes ») à Carthage est liée, dans le
texte, avec la datation de « la vingtième année ».

L’examen des mentions des suffètes dans les inscriptions


puniques a donc permis de constater l’existence de deux suffètes
éponymes annuels au moins à partir de 300 av. J.-C. environ et,
plus encore, a ouvert la possibilité de fixer au Ve siècle av. J.-G.
l’installation du double suffétat à Carthage. Quant aux attributions
des suffètes, le seul fait sûr résultant de l’examen des inscriptions
carthaginoises est qu’ils étaient annuels et éponymes. On a vu que
les auteurs anciens, à commencer par Aristote, leur attribuaient
le droit de convoquer le Sénat, de le présider à l’occasion, de lui
soumettre les affaires à traiter, de même que, d’ailleurs, à
l’Assemblée du peuple, sans parler de leurs attributions judi¬
ciaires. Bref, ils devaient, selon les écrivains gréco-latins, admi¬
nistrer l’Etat (Sénèque, De tranquill. animi, IV, 5 : ... sufes admi-
nistrare rem publicam). Mais rien ne permet d’affirmer que, « à
l’origine, les suffètes eurent peut-être de plein droit le comman¬
dement des armées de terre et de mer » (Gsell [1323], II, 199).
Certains textes indiquent que des « rois », c’est-à-dire des suffètes,
dirigèrent de grandes expéditions au Ve ou ive siècle, mais, depuis
la fin du ive siècle, on ne rencontre aucun suffète, semble-t-il, à
la tête d’une armée. Ainsi, par exemple, Hannibal, qui était un
chef de l’armée, un général, durant la seconde guerre punique
(strategos, Pol., VII, 9), ne fut élu suffète qu’en 196 av. J.-C.
(Tite-Live, XXIII, 46, 3, et Cornélius Nepos (Han., VII, 4),
emploient, à cette occasion, le termepraetor pour désigner le suffétat
d’Hannibal), élection que, comme tout permet de le croire, il
devait au peuple. En effet, il semble bien qu’avec l’accroissement
des pouvoirs et du rôle joué par l’Assemblée du peuple, du moins
au 111e et au 11e siècle av. J.-C., le rôle des suffètes diminuait ou
576 V Occiden t

plutôt augmentait leur dépendance envers ce peuple dont il


devait se concilier les faveurs, avec tout ce que cela supposait des
manœuvres et de la démagogie.

D) Les assemblées

Aristote a déjà bien défini, dans sa présentation de la Consti¬


tution carthaginoise, les deux Assemblées de Carthage, d’une
part, le Conseil des Anciens, ou le Sénat, d’autre part, VAssemblée
du peuple, et il est intéressant de remarquer que le philosophe de
Stagire les désigne, l’une et l’autre, par les termes qu’on dirait,
comme on le verra, traduits du punique. Ces deux assemblées, dont
les pouvoirs, et sans doute aussi la composition, subiront néces¬
sairement des changements durant les quelques deux siècles qui
séparent l’époque d’Aristote de la chute de la grande cité
punique — changements dont les modalités et les étapes nous
échappent presque complètement —, représentent bien deux
rouages essentiels des institutions de Carthage, non seulement au
ive siècle av. J.-C. et après, mais, en ce qui concerne surtout le
Sénat, depuis une époque bien plus haute.

a) Le Conseil des Anciens. —- Les auteurs anciens emploient


divers termes pour désigner cette haute assemblée : gérousia,
synkletos, Boule, ou Senatus, en donnant parfois l’impression qu’il
s agit non pas d’une, mais de deux assemblées, la deuxième étant
plus restreinte que la première. Ces diverses dénominations ont,
là encore, embrouillé le problème et ont provoqué chez les
commentateurs modernes des discussions, souvent aléatoires. On
est même allé jusqu’à nier la notion d’assemblée politique chez les
Carthaginois, en supposant qu’elle « s’est développée à Carthage
sous l’influence des Grecs et des Etrusques » (Picard [1333], 85),
et que les Puniques n ont donc « jamais disposé d’un terme équi¬
valent au mot latin senatus, aux mots grecs gérousia, synkletos,
synedrion, Boule, etc. », car « a 1 époque romaine encore, le Sénat
de Lepcis Magna est désigné par périphrase « les Grands de
Lepcis », tandis qu’ « il existe au contraire des noms pour
désigner diverses associations religieuses » (ibid.). Il est difficile
de souscrire à ce raisonnement.
Carthage et la civilisation punique
577

Il faut d abord constater que la notion de « conseil », donc d’« assemblée »,


d un organe délibérant, aussi restreint soit-il, est fondamentale dans toutes les
civilisations sémitiques, à commencer par celle de la Mésopotamie, dans celle
des Hébreux, connue par les textes bibliques, dans la civilisation des cités
phéniciennes, et cela dès l’époque la plus ancienne, comme le montrent, entre
autres, maints passages des lettres provenant des Archives de Tell El-Amarna,
au xrve siecle av. J.-C. En ce qui concerne, en particulier, le Conseil des Anciens,
il est connu partout, en Mésopotamie, depuis les archives de Mari, au xvme siècle
av. J.-C. jusqu à la correspondance royale des Sargonides au vme siècle av. J.-C.,
dans la Bible hébraïque, dans les cités phéniciennes. Quant à sa désignation
en ouest-sémitique, elle est tout à fait conforme à l’usage de cette famille de
langues : quand on désigne un groupe de personnes, on n’emploie pas le terme
signifiant « groupe» ou« réunion» ou« assemblée», mais on désigne les membres
de ce groupe, ou de cette assemblée, au pluriel à l’état construit avec le nom
approprié; par exemple, en hébreu biblique, on désigne une sorte de Sénat
municipal par l’expression zikné ha-’yir « (Conseil des) Anciens de la ville»,
et s il s agit d une ville ou d un pays déterminés, on l’indique évidemment :
zikné Moab, zikné Midian, etc.« (Conseil des) Anciens de Moab, de Madian», etc.
Le fait précisément que, dans une inscription de Lepcis Magna datant de
92 apr. J.-C., donc en pleine époque impériale romaine, le terme latin ordo
(decurionum) de Lepcis, c est-à-dire le Sénat municipal, ait été traduit en punique
par ’DR’ ’LPQY« (Conseil des) Sénateurs de Lepcis », confirme cette manière
typiquement sémitique de rendre la collectivité, ou la réunion de personnes
dont la fonction est bien précise. Quant au nom de diverses associations reli¬
gieuses, on n’y rencontre jamais la notion de réunion, ou d’association. Ainsi,
par exemple, le nom de mizrah, qui ne se rencontre d’ailleurs que dans le monde
punique pour désigner un banquet, ou une association cultuelle, il signifie
« soleil levant» et « orient»; quand au nom de marzéah, qui, lui, est attesté dès
le IIe millénaire av. J.-C., avant de l’être dans le monde phénico-punique et
araméen, il désigne un festin religieux.

La Haute Assemblée à Carthage était donc très probablement


désignée par l’habituelle expression sémitique « les Anciens de
Carthage » (= Conseil des Anciens »). Tel est d’ailleurs le nom
par lequel Aristote le désigne : les gérontes (Pol., II, 11, 5), ainsi que
Tite-Live, qui est encore plus explicite : seniores (ita senatum
uocabant) (XXXIV, 61, 15) traduction exacte du vocable punique.
Aristote compare cette ge'rousia carthaginoise à celle de Lacédémone
en tant qu’institution représentative d’un régime aristocratique
ou oligarchique, et il est tout à fait probable, comme l’a déjà bien
vu Gsell ([1323], 204), que « cette assemblée a dû exister dès les
578 L'Occident

premiers temps de Carthage ». Le nombre exact des sénateurs


reste inconnu, mais diverses allusions des auteurs anciens laissent
présumer qu’il comptait plusieurs centaines de membres. On ne
sait guère comment on devenait sénateur, ni si l’on exerçait les
fonctions sénatoriales à vie, bien que cela puisse paraître vrai¬
semblable. Le Sénat carthaginois traitait apparemment de toutes
les affaires de l’Etat : guerre, paix, politique étrangère, l’armée,
les finances, etc. Ses membres se recrutaient, d’une manière
générale, parmi les familles aristocratiques, qui ont dû, du moins
jusqu’à une certaine époque, en détenir le monopole exclusif. Rien,
cependant, ne permet d’affirmer, comme l’a fait Meltzer ([1321],
II, 490-499, 505), que trois cents familles auraient constitué une
aristocratie fermée, et auraient été réparties en trente groupes,
comparables aux phratries des Grecs et aux curies des Latins. Un
exposé exhaustif, déjà fait par Gsell ([1323], 202-226), fera
mesurer la fragilité des constructions échafaudées. Toujours est-il
que, selon Aristote, le Sénat pouvait, avec l’accord des sufîètes,
décider de toute affaire en discussion sans qu’il soit nécessaire de la
soumettre à l’Assemblée du peuple; c’est seulement en cas de
désaccord que l’affaire pouvait lui être soumise. Le Sénat délibère,
on l’a dit, sur les questions de guerre (p. ex., Polybe, III, 33, 4)
et de paix (p. ex. Polybe, I, 31, 8; XIV, 6, 11, etc.), il reçoit les
ambassadeurs étrangers et, à son tour, envoie des missions dont il
demande, après l’accomplissement, un compte rendu (p. ex.,
Polybe, I, 31, 8; Diodore, XXXII, 6, 4, etc.). Il s’occupe, en
outre, du recrutement des armées ou des mercenaires, reçoit des
rapports des généraux, leur envoie des instructions, il édicte des
lois (p. ex., Justin, XXI, 4, 4-5, etc.). On a vu que ce sont les
suffètes qui convoquent et président généralement la Haute
Assemblée. Si les pouvoirs du Sénat ont pu évoluer, au 111e et
au 11e siècle av. J.-C., à cause des luttes des factions à l’intérieur
et de l’évolution de la situation économique et sociale, dans la
mesure aussi où augmentaient les pouvoirs de l’Assemblée du
peuple, on peut constater, d’après les textes des auteurs classiques,
que, durant les « guerres puniques », le Sénat de Carthage semble
conserver toutes ses attributions; c’est lui notamment qui décide
presque toujours en dernier ressort, même dans les affaires de la
plus haute importance, comme, par exemple, en 218, quand il
Carthage et la civilisation punique
579

s’agit de donner la réponse aux Romains qui exigent de leur


livrer Hannibal (Polybe, III, 33, 4), ou encore, en 14g av. J.-C.,
quand il s’agit de décider la guerre contre les Romains (Appien*
Pun., 93).. En conclusion, si l’existence, le rôle, l’importance et
les pouvoirs du Sénat à Carthage sont incontestables à travers
toute 1 histoire de la cité punique, on ne le connaît qu’uniquement
à travers les sources classiques. Rien dans les inscriptions puniques
n’aurait pu le laisser deviner, si ce n’est, pourtant, la présence,
abondamment attestée dans les textes carthaginois, des person¬
nages de haut rang.

b) Les commissions. — On sait que, dans la terminologie de


Polybe, concernant le Sénat de Carthage, le terme synkletos
semble désigner la Haute Assemblée proprement dite, tandis que
gérousia semble se rapporter a une assemblée plus restreinte, à
l’intérieur même du Sénat. Gsell, qui a examiné en détail tous’les
textes des écrivains anciens ([1323], II, 202 sqq.), est enclin à
identifier cette gérousia de Polybe avec le consilium, mentionné
par Tite-Live (XXX, 16, 3), un Conseil restreint des sénateurs
qui aurait dirigé le Sénat, et il se demande même s’il ne faut pas
conclure à l’identité de la gérousia de Polybe (conseil restreint), du
consilium de Tite-Live, de Y or do iudicum que cet auteur mentionne
également, et des Cent Quatre, ou Cent, indiqués par Aristote,
tout en soulignant, à juste titre, qu’ « il ne faut pas se dissimuler la
grande fragilité de ces déductions », et remarquant, en conclusion :
« Il est possible qu’un Conseil restreint ait existé dans le sein du
Sénat avant les guerres puniques, mais nous n’en avons pas la
preuve. On ne saurait dire s’il doit être identifié avec les Cent
Quatre d’Aristote... » ([1323], II, 210). Cette conclusion du maître
de l’histoire ancienne de l’Afrique du Nord, mettant l’accent sur
le caractère hautement hypothétique de toutes les tentatives ten¬
dant à harmoniser la terminologie, nécessairement disparate,
imprécise et variée, s’agissant des institutions étrangères spéci¬
fiques comme celles de Carthage, doit servir de leçon et elle vaut
certainement mieux que toutes les acrobaties des commentateurs
postérieurs, qui, au lieu de les clarifier, n’ont fait qu’embrouiller
encore plus ces problèmes déjà très difficiles. Pour ne donner
qu’un exemple du flou des indications transmises, dans ce domaine,
580 U Occident

par les auteurs anciens, on a vu que Polybe distingue incontes¬


tablement entre l’assemblée qu’il nomme synkletos et une autre
qu’il appelle gérousia, tandis que Diodore, lui, emploie ces deux
termes pour désigner la même Assemblée, le Sénat; le Conseil
des Cent (ou Cent Quatre), mentionné par Aristote (Pol., II,
ii, 3 et 7), ne l’est jamais par Polybe, ni par Tite-Live; Aristote
est le seul à souligner le rôle important qu’auraient joué les
pentarchies, etc. Il paraît difficile de s’en sortir.

Une chose, cependant, semble assurée, car elle est sous-jacente chez tous les
auteurs anciens et est peut-être confirmée également, en partie, par les inscrip¬
tions puniques, c’est le rôle particulier, et souvent de très grande importance,
qu’ont joué dans la conduite des affaires à Carthage des conseils restreints,
des commissions. Il a sans doute existé, au sein du Sénat, un Conseil étroit
permanent, aux pouvoirs étendus, ainsi que divers comités et commissions,
ayant probablement des attributions plus précises. Ainsi, par exemple, pendant
la« guerre des mercenaires» (241-238 av. J.-C.), Polybe mentionne la désignation
d’un Conseil des Trente membres parmi le Sénat (Conseil des Anciens) (Pol., I,
87, 3), qui avait pour mission de réconcilier deux généraux rivaux, Hamilcar
et Hannon, et, en 203, Tite-Live indique l’existence d’un conseil restreint
(consilium sanctius), composé de triginta seniorum principes (XXX, 16, 3). D’autre
part, si l’on n’a pas trouvé trace des pentarchies, dont parle Aristote {Pol., II, 11, 7),
les inscriptions carthaginoises attestent l’existence de plusieurs commissions.
Ainsi, les tarifs sacrificiels de Carthage mentionnent les« trente hommes préposés
aux taxes » (K AI 69), qui ont précisément eu pour mission d’établir ces « tarifs
des taxes». Cette commission de trente membres avait donc de larges attributions
financières. Une autre commission, composée de dix membres, est attestée par
l’inscription punique de Carthage, CIS, I, 175 : il s’agit de« dix hommes préposés
aux sanctuaires ». J.-G. Février, remarquant que ces deux commissions connues
par les textes puniques sont composées chacune d’un nombre de membres
qui est un multiple de cinq, les a mises en rapport avec les pentarchies d’Aristote,
la première commission ayant été formée par la réunion de six pentarchies, la
seconde, de deux seulement (Février [1454]), mais ce n’est qu’une hypothèse
et rien ne nous permet d’affirmer que tel a été le cas.

Quant au Conseil des Cent, ou de Cent Quatre, dont parle


Aristote, si c’est la même institution qui a été présentée par
Justin, il s’agirait d’un tribunal aux attributions judiciaires parti¬
culières. En effet, cet auteur latin indique, d’après Trogue-
Pompée, que, pour briser la domination de la puissante famille
des Magonides, vers le milieu du Ve siècle av. J.-C. (au début
Carthage et la civilisation punique 581

du ive siecle, selon G. Picard), la famille qui « pesait lourdement


sur la liberté publique et disposait à la fois du gouvernement et de
la justice, on institua cent juges, choisis parmi les sénateurs et,
après chaque guerre, les généraux devaient rendre compte de
leurs actions à ce tribunal » (Justin, XIX, 2, 5-6).

c) L'Assemblée du peuple. — Tous les auteurs anciens s’accordent


pour souligner, parfois avec excès, l’importance de l’Assemblée du
peuple dans la vie publique de Carthage, et cela dès l’époque
relativement ancienne. D’après Justin (XVIII, 7), elle fut convo¬
quée dans l’affaire de Carthalon, que Gsell place au VIe siècle
av- J.-G. (euocatoque populo ad contionem). Aristote souligne avec
force « l’élément populaire » (demos) de la Constitution de Car¬
thage, ce qui garantit la bonne organisation constitutionnelle
de la cité punique (Pol., II, 1272 b 2), et il indique que « les rois
(— les suffètes) et les Anciens (= Conseil des Anciens = Sénat)
étaient maîtres de porter une affaire devant le peuple (demos
= Assemblée du peuple), quand tous sont d’accord; sinon, c’est
le peuple qui décide de ces questions; quant à celles que « rois »
et Anciens présentent au peuple, ils lui concèdent non seulement
le droit d’écouter les décisions du gouvernement, mais aussi le
pouvoir de se prononcer souverainement et tout citoyen qui le
désire peut combattre la proposition présentée, ce qui n’existe pas
dans les autres Constitutions » {Pol., II, 1273^5-6). Ce texte
d’Aristote indique donc que les pouvoirs dévolus à l’Assemblée
du peuple étaient en principe importants, ce qui semble confirmé,
du moins en partie, par la remarque de Polybe qu’antérieurement
à la seconde guerre punique « le peuple était souverain dans les
affaires qui étaient de son ressort » (VI, 51, 2). Si, ainsi, la réalité
et l’importance de l’Assemblée du peuple paraissent bien établies,
selon les auteurs anciens, on ne sait pas quelle a été l’étendue de
ses pouvoirs et si, au ive siècle, ceux-ci étaient vraiment aussi
larges qu’Aristote le dit. Tout laisse supposer, en revanche, qu’au
111e siècle, et jusqu’à la chute de Carthage, les pouvoirs effectifs de
l’Assemblée populaire étaient très étendus. C’est ce qui ressort, en
tout cas, des textes dus aux écrivains grecs et latins. Polybe le dit
clairement : « A Carthage, la voix du peuple était devenue
prépondérante dans les délibérations... Chez les Carthaginois,
582 U Occident

c’était l’avis du grand nombre qui prévalait » (VI, 51). L’épisode,


raconté par Tite-Live, qui s’est servi probablement de Polybe,
concernant une action d’Hannibal après son entrée en charge en
tant que suffète, en 196 av. J.-C., serait à cet égard, s’il était vrai,
bien significatif (XXXIII, 46) : un magistrat que l’auteur latin
appelle quaestor n’ayant pas obéi à l’ordre du suffète Hannibal,
celui-ci le fait traîner devant l’Assemblée du peuple et profite de
l’occasion, ou du prétexte, pour accuser devant l’assemblée popu¬
laire le tout-puissant « ordre des juges », composé de magistrats
inamovibles, et, ayant gagné l’appui du peuple, il fait voter par
cette assemblée une loi décidant que les juges seraient désormais
élus chaque année. Il ressort de ce texte que le Sénat ne fut
nullement consulté dans cette grave affaire, que l’Assemblée du
peuple avait une puissance réelle et que les magistrats, même
ceux du très haut rang comme les suffètes, avaient tout intérêt
non seulement de composer avec elle, mais encore de la flatter,
au besoin par des manoeuvres et des intrigues d’où la démagogie
ne devait pas être absente. C’est dans ce sens, semble-t-il, qu’il
faudrait interpréter la remarque de Polybe que « à Carthage,
c’est par la corruption ouvertement pratiquée qu’on obtient les
magistratures » (Poh, VI, 56, 4), quoique Aristote parle déjà
presque ouvertement de corruption (Pol., 127361-8). Mais, il
faut aussi se rappeler que cette remarque de Polybe est formulée
dans le cadre d’une comparaison entre les Romains et les Cartha¬
ginois, où évidemment, et malgré toute la bonne volonté, un cer¬
tain manichéisme ne peut pas ne pas se manifester, une compa¬
raison un peu rhétorique où il faut noircir les uns pour blanchir
les autres.
Certains passages des textes classiques indiquent que l’Assem¬
blée du peuple se réunissait sur la grande place de Carthage, que
les textes grecs appellent Y agora (Diodore, XX, 9, 4; 44, 3;
XXXII, 6, 4; Appien, Pun., 127) et les textes latins le forum
(Tite-Live, XXX, 24, 10; XXXIII, 47, 10; 48, 10; Justin, XXII,
7, 8; XXXI, 2, 3). Elle était sans doute convoquée, du moins à
partir d’une certaine époque, par les suffètes (Tite-Live, XXXIII,
46, 5-7; 47> 2), elle avait, semble-t-il, du moins à partir de là
deuxième moitié du 111e siècle av. J.-C., le pouvoir d’élire les
généraux (Polybe, I, 82, 12; Diodore', XXV, 8 (en 238); les textes
Carthage et la civilisation punique
583

qui attestent la confirmation par l’Assemblée du peuple du choix


d’Hannibal par l’armée d’Espagne, en 221 ; etc.) et peut-être aussi
les sufFètes (Gsell [1323], II, 197, n. 7). On ne sait rien, par
contre, de la composition de cette assemblée populaire, qui y
était admis de plein droit et l’on ne peut que supposer qu’y étaient
admis uniquement des citoyens, hommes à l’exclusion des femmes.
Certaines catégories d’artisans et ouvriers étaient peut-être exclues
de la citoyenneté, si l’on interprète ainsi ce que Polybe (X, 8, 5;
16, 1517, 6-16) rapporte de Carthagène. Mais, comme a déjà fait
remarquer, à juste titre, Gsell ([1323], II, 227), « sur ces diverses
questions, nous sommes réduits à des hypothèses, les textes
manquant ».

L’existence d’une Assemblée populaire à Carthage ou dans des cités puniques


a été mise en doute, assez récemment, dans une très intéressante et très instruc¬
tive étude à propos d’une inscription latine de Thugga. Examinant à nouveau
cette inscription, datant de 48 apr. J.-C., connue depuis longtemps {CIL, VIII,
26517), W. Seston ([1456], [1457]) a très ingénieusement retrouvé, dans
l’expression indiquant que les suffètes de Thugga ont été choisis « avec l’assen¬
timent de toutes les portes » (omnium portarum sententiis), un legs de l’époque
punique, dans cette cité qui a été longtemps sujette de Carthage avant d’être
l’une des capitales de princes numides. Les portes désigneraient, dans cette
perspective, les lieux de rassemblement du peuple, bien connus en Orient,
notamment en Israël, et l’auteur rapproche la formule en question du texte latin
de Thugga de plusieurs passages du livre biblique de Ruth. W. Seston a eu le
mérite de reconnaître, dans la Thugga romaine, la persistance des anciennes
coutumes sémitiques, qui ont certainement eu cours à Carthage, mais on peut
difficilement souscrire à ses conclusions sur l’inexistence à Carthage de l’Assem¬
blée populaire délibérante (dans le même sens, cf. S. Moscati [1336], 665 :
« La tesi (de Seston) sembra troppo negativa»). Comment admettre, en effet,
que les auteurs anciens, comme Aristote ou Polybe, aient pu comparer la
Constitution de Carthage, lui accordant souvent la préférence, à celles des cités
grecques, s’ils savaient qu’à Carthage, au lieu d’une véritable Assemblée du
peuple, il n’y avait qu’une simple acclamation de la populace rassemblée au
hasard ? Et peut-on comparer, sous couvert d’un commun « sémitisme », les
institutions des Etats syriens ou palestiniens avec celles des cités côtières phéni¬
ciennes, maritimes et marchandes, et plus encore, la cité de Carthage, au 111e
et au 11e siècle — dont on se plaît à dire, par ailleurs, qu’elle a été « profondément
hellénisée » —, ui avait nécessairement de tout autres structures économiques
et sociales, et partant politiques ? Mais, il y a plus. Nous avons pu montrer
récemment que plusieurs inscriptions de Carthage, et du monde punique en
584 L'Occident

général, attestent non seulement l’existence de l’Assemblée du peuple mais


aussi certains de ces actes (Sznycer [1458]). Cette assemblée y est désignée
par le terme 'M (= ' am), dont la première signification est « peuple», et qui
a la même ambiguïté et en même temps la même précision que le terme latin
populus. L’évolution sémantique de ce mot en punique est la même que celle
de son parallèle latin : « peuple » > autorité émanant du peuple > représen¬
tation officielle de cette autorité (Assemblée du peuple). Nous avons pu dégager
plusieurs séries d’inscriptions où se retrouve partout la même formule, chaque
série comptant plusieurs inscriptions, et avons montré, entre autres, que la for¬
mule esh be- am, suivi d un toponyme, devait avoir le sens de « appartenant à
(= siégeant à) l’Assemblée du peuple de (telle ou telle cité) », et qu’une autre
formule, qu’on trouve dans une vingtaine d’inscriptions carthaginoises, LM Y’MS
M QRTHDST devait signifier « selon l’ordonnance (ou l’inscription au
« registie ») de 1 Assemblée populaire de Carthage » et cette formule devait se
rapporter à l’affranchissement d’une certaine catégorie d’esclaves. Ainsi, non
seulement 1 existence de l’Assemblée du peuple à Carthage et dans les cités
puniques mais encore son action institutionnelle semblent maintenant confir¬
mées par les sources directes, c’est-à-dire les inscriptions puniques.

E) Les magistrats et les fonctionnaires

Parmi les magistrats de Carthage, les seuls vraiment connus, et


abondamment attestés, sont, on l’a vu (ci-dessus, p. 567 et suiv.), les
sujfetes. En ce qui concerne les autres, qui ont dû être nombreux à
Carthage et dans les cités puniques, les textes classiques men¬
tionnent les juges et le tout-puissant ordo judicum et il n’est pas exclu
que ceitaines mentions de shouphet dans les inscriptions puniques,
non pas dans les formules de datation, où d s’agit sûrement de
suffètes, mais dans les généalogies, se rapportaient non pas à des
sud êtes proprement dits, mais à des juges. D’autre part, Tite-Live
(XXXIII, 46, 3-5) mentionne un quaestor, subordonné au suffète,
en 196 av. J.-C., et dit dans un autre passage (XXVIII, 37, 2), qu’à
Gades, il y avait également des suffètes et un quaestor. Il est
vraisemblable, comme on l’a supposé d’après le terme latin, qu’il
s’agit d’un magistrat punique qui avait des attributions finan¬
cières. En outre, Cornélius Nepos (Hamilcar, III, 2) mentionne,
dans un récit anecdotique assez savoureux mais peut-être un peu
suspect, un praefectus morum, un « préfet des mœurs » qui aurait
interdit à Hamilcar et a Hasdrubal de se fréquenter car on les
accusait de relations immémorales.
Carthage et la civilisation punique
585

Les inscriptions puniques, de Carthage mais aussi d’autres cités puniques,


livrent plusieurs termes qualifiant divers magistrats ou fonctionnaires puniques.
Le plus fréquent est celui de SPR ( = sopher) « scribe », « secrétaire », et l’on a
des raisons de penser que, dans plusieurs cas, il s’agissait non pas de scribes
privés mais des secrétaires officiels. Il y a même un rab sopherim« chef de scribes»,
ce qui indique qu’il s’agit d’un collège de scribes, dirigé par un « chef ». On
connaît également des MHSBM, littéralement « comptables », qui sont des
magistrats aux attributions financières, un peu comme les questeurs romains.
Us sont nommés toujours au pluriel, qui peut évidemment indiquer deux
personnes seulement, que ce soit dans l’inscription récemment trouvée à Carthage
(Dupont-Sommer [1426]), où ils ont le droit d’imposer une amende aux contre¬
venants, ou sur des monnaies de Carthage (Falbe-Lindberg-Müller [1506],
II, 76). Une inscription punique de Gozzo, dans l’archipel maltais (CIS, I, 132),
mentionne un ’DR 'RKT, « chef des estimations », qui correspond un peu au
censor romain. Les inscriptions néo-puniques de Lepcis Magna révèlent les
noms puniques des magistrats qui ne sont pas encore attestés à Carthage mais
qui certainement étaient en fonctions dans la grande cité punique, par exemple
les MHZM, qui sont des « inspecteurs du marché » et correspondent aux édiles
romains (Levi Délia Vida [1459]; Bertinelli Angeli [1460], 99). Un problème
irritant est posé par les très nombreuses mentions, dans les inscriptions puniques,
des personnages qui portent le titre de RB (= rab), dont le sens général est
celui de « Grand », « chef ». Quand il se trouve en composition avec d’autres
termes, sa signification est claire : « chef », on a vu un « chef des scribes », il
y a encore des « chef des portiers », « chef d’armée », « chef des prêtres », etc.
En dehors de Carthage, ce terme se trouve surtout dans les titres composés de
deux éléments et très rarement seul. A Carthage, au contraire, les titres composés
existent mais sont rares, tandis que sont très nombreuses les mentions de rab seul :
un tel ou un tel est simplement qualifié de rab. On s’est évertué, depuis longtemps,
de savoir ce que recouvre cette appellation, en voulant y voir tantôt des « ques¬
teurs » (Février), des membres des familles nobles de Carthage ou, tout simple¬
ment, des sénateurs (Gsell). En fait, il est difficile de se prononcer. On a vu
que le nom de rab se rencontre dans une formule de datation, assez fréquente,
en abréviation R, et que, dans ces formules, il y a généralement deux noms
qui suivent (cf. ci-dessus, p. 574). Il s’agit, dans ce cas, des magistrats éponymes.
Plus intéressante est la datation donnée dans les Tarifs sacrificiels et déjà citée :
la formule « à l’époque des rabs » est suivie de deux noms, avec filiations, qui
sont, en outre, qualifiés chacun de suffète (shouphei). On pouvait donc être à la
fois suffète et rab, mais très souvent le rab n’est pas suffète. On peut dire, ainsi,
que le titre rab désigne un dignitaire, sans pouvoir déterminer, dans chaque cas,
quelles étaient ses fonctions précises.
586 U Occident

5) LA RELIGION

On a beaucoup écrit sur la religion punique. Depuis la paru¬


tion, en 1954, de la synthèse de G. Picard [1461], de nombreux
travaux ont paru, portant sur divers points de détail. En ce qui
concerne la religion phénico-punique en Espagne, des travaux de
synthèse ont été présentés par Garda y Bellido ([1462], [1463]),
tandis que pour la Sardaigne et la Sicile, où les fouilles italiennes
ont renouvelé la connaissance de la religion punique, des syn¬
thèses plus modestes ont été tentées respectivement par F. Bar-
reca ([1403], 103-143) et par V. Tusa [1340].
La difficulté de comprendre la religion punique dans tous ses
aspects résulte du fait que les sources directes, c’est-à-dire les
inscriptions puniques, nous fournissent peu de renseignements sur
ce sujet. D’autre part, il est délicat, sinon dangereux, de
s’appuyer uniquement ou presque, comme on le fait générale¬
ment, sur l’interprétation des monuments figurés, et sur les infor¬
mations transmises par les sources classiques. A ce propos, se pose
le problème, très complexe, des identifications des divinités puniques
aux divinités gréco-romaines, car c’est sous des noms grecs ou
latins que nous sont présentées, par les auteurs classiques, les
divinités puniques (Sznycer [1464]). D’un autre côté, l’inter¬
prétation des monuments figurés, de l’iconographie, est le plus
souvent sujette à caution en l’absence d’éclaircissements que
seules pourraient fournir les sources puniques. Au lieu donc de
présenter les interminables discussions et controverses sur la signi¬
fication véritable de tel ou tel symbole religieux ou de telle ou
telle représentation divine, il est préférable de se borner à donner
quelques brèves indications basées sur les sources directes, sémi¬
tiques. A travers ces documents, la religion punique apparaît
comme une religion spécifiquement ouest-sémitique, étroitement
1 attachée au fond ancestral, et, somme toute, peu touchée, malgré
tout ce qu on a dit, par les influences extérieures, notamment
grecques et, plus tard, romaines. On peut constater, au contraire,
une longue et tenace persistance des dieux et des rites puniques,
qui survivront longtemps à la chute de Carthage, dans les anciens
territoires carthaginois et dans les terres numides punicisées,
jusqu’en plein Empire romain.
Carthage et la civilisation punique 587

Les très nombreuses inscriptions puniques nous livrent essen¬


tiellement les noms divins, sans nous renseigner, pour la plupart
du temps, sur les fonctions respectives de ces divinités, mais donnent
parfois des informations intéressantes sur les temples de Carthage et
du monde punique, sur les prêtres, sur les sacrifices. Mais
l’absence de tout texte mythologique interdit de spéculer sur la
riche iconographie des stèles votives, car les motifs de facture
grecque qui parfois s’y rencontrent, du moins à partir d’une cer¬
taine date, peuvent être simplement des emprunts artistiques sans
qu’ils doivent nécessairement influencer l’essence proprement
sémitique de ces divinités et de ces cultes.
Les deux divinités suprêmes, et aussi les plus populaires, de
Carthage, qui nous sont bien connues par des milliers d’inscrip¬
tions votives rédigées en leur honneur, sont le dieu Ba'al Hammôn
et la déesse Tanit, qui forment un couple divin, où, contrairement
à ce qui se passe dans d’autres cités puniques, c’est la déesse Tanit
qui semble avoir eu la préséance, puisqu’elle est presque toujours
nommée avant son parèdre masculin, comme peuvent en témoi¬
gner les très nombreuses inscriptions votives provenant du tophet
de Salammbô, à Carthage.

Tophet est un mot hébreu qui désigne, dans la Bible, un lieu de sacrifices
humains dans la vallée de Béné-Hinnom, à Jérusalem, et dont l’étymologie n’a
pas encore été expliquée; on ne sait même pas s’il s’agit vraiment d’un mot
sémitique. C’est ce terme hébreu mystérieux qui a été adopté par les historiens
de religions et les archéologues pour désigner, dans le monde punique, le sanc¬
tuaire à ciel ouvert où l’on pratiquait des sacrifices humains (et des sacrifices
de substitution) commémorés par l’érection des stèles votives (Moscati [1465]).
Quant à la déesse Tanit, la vocalisation de ce nom divin est conjecturale et est
devenue conventionnelle, étant popularisée par Flaubert, l’étymologie et l’origine
du nom de cette grande déesse restent encore mystérieuses. Tel est également
le cas, en partie, du nom de Ba'al Hammôn, nom divin composé de deux mots,
dont le sens du premier est seul assuré : Ba'al signifie « Maître », « Seigneur »
et désigne le grand et vigoureux dieu sémitique, maître de la fécondité et de
la fertilité. Le deuxième terme Hammôn est plus difficile à comprendre. On en
a proposé différentes explications : « autel à parfum», nom propre d’une localité
proche de Tyr, Amanus, ce serait alors le « Maître de l’Amanus », « brasier »,
donc« Maître du brasier», etc. Aucune de ces explications ne semblent s’imposer.
Il est toutefois vraisemblable que le mot hammôn ait été formé sur la racine HMM
« être chaud », « être brûlant ».
588 T Occident

Dans les dédicaces carthaginoises, Tanit est toujours appelée


Face de B a'al, titre assez mystérieux. Le couple divin est composé
du dieu et de la déesse qui sont protecteurs de la cité, comme
l’étaient, dans certaines cités phéniciennes, B a'al et la déesse
Ashtart (Astarté). Cette dernière d’ailleurs est bien attestée à
Carthage où elle se distingue de Tanit, ayant un sanctuaire séparé.
Les stèles dédiées à Tanit et à B a' al Hammôn sont richement déco¬
rées, les symboles les plus fréquents étant le célèbre « signe dit
de Tanit » qui ressemble à la schématisation d’une figure
humaine, les bras levés, tenus horizontalement, et le coude plié
(C. Picard [1466], Moscati [1467]), le signe dit de la bouteille
(Moscati [1468]), la main ouverte, le poisson, le caducée, etc. Il
va sans dire que l’interprétation de tous ces symboles est extrê¬
mement difficile et ne peut rester le plus souvent que purement
hypothétique. Certains de ces symboles, et plus particulièrement
le « signe dit de Tanit », se retrouvent maintenant de plus en
plus dans les colonies puniques, par exemple en Sardaigne ou en
Sicile, mais aussi en Orient.
D’autres divinités également sont attestées dans les inscrip¬
tions carthaginoises, et tout d’abord le dieu Melqart (la pronon¬
ciation phénico-punique de ce nom était sans doute : Milqart),
qui est connu comme le dieu de Tyr, son nom signifiant « roi de
la Cité », c’est donc un dieu poliade; ensuite Eshmoun et Shadrapa,
dieux guérisseurs bien attestés dans le monde phénicien, le dieu
Sakon (à l’origine peut-être une stèle divinisée), le dieu Sid, qui
s’est révélé être, grâce aux récentes fouilles italiennes, le grand
dieu de Sardaigne, dont le nom en latin était Sardns Pater
(Sznycer [1468]), etc.
En ce qui concerne le culte, les documents nous fournissent
quelques renseignements avant tout sur les sacrifices, qui, comme
dans toutes les religions sémitiques, constituaient les actes essen¬
tiels de la vie religieuse punique, aussi bien les sacrifices sanglants,
qui semblent prépondérants chez les Puniques, que des offrandes
végétales. On connaît plusieurs Tarifs sacrificiels, dont le plus
complet est celui qui a ete retrouvé en 1845.' dans le vieux port
de Marseille et qui est donc conservé au Musée Borély, mais qui
doit provenir, selon toute vraisemblance, de Carthage. Ces Tarifs,
édictés par des magistrats préposés à l’administration du culte’
Carthage et la civilisation punique
589

les « trente hommes préposés aux taxes », fixent des redevances


dues aux prêtres suivant l’animal sacrifié et la nature du sacrifice.
S agissant d un document officiel, les Tarifs sont toujours datés
d’après les suffètes éponymes (Février [1454]). Le Tarif dit de
Marseille, qui peut être daté du 111e siècle av. J.-C., énumère diffé¬
rentes sortes de sacrifices : sacrifice expiatoire, sacrifice de commu¬
nion, 1 holocauste, mais, si les noms de certains sacrifices ressem¬
blent apparemment a ceux connus par la Bible hébraïque, ils ne
recouvrent pas toujours les mêmes réalités cultuelles, car il paraît
très probable que les deux systèmes, celui des Hébreux et celui
des Phénico-Puniques, s’ils sont partis d’un fond sémitique
commun, d’où la rassemblance de certains termes, ont évolué
indépendamment l’un de l’autre (De Vaux [1470], 44) et qu’il
faut donc se garder, dans ce domaine comme dans d’autres, des
comparaisons hâtives et superficielles.

Un problème particulier est posé par le sacrifice humain, le sacrifice d’en¬


fants, qui porte, en phénico-punique, le nom de molk, et dont la matérialité,
connue par les textes depuis bien longtemps, est maintenant prouvée par l’examen
médical des ossements trouvés dans des jarres enterrées dans le tophet, à côté
des stèles qui commémorent ces sacrifices humains (Richard [1471]). Ce sujet
a suscité d’ailleurs une immense littérature concernant généralement les études
de détail, les comparaisons avec les données bibliques, « cananéennes », méso-
potamiennes et bien d’autres. On ne peut que recommander la lecture de quel¬
ques travaux, parmi d’autres : Eissfeldt [1472], Dussaud [1473], Charlier [1474],
Cazelles [1475), Février [1476], DeVaux [1470], Moscati [1477], Février [1478],
C. Picard [1479]. Des tophet, c’est-à-dire des lieux sacrés où l’on pratiquait
des sacrifices d’enfants, sont maintenant connus non seulement à Carthage
(tophet de Salammbô), mais aussi dans d’autres cités puniques d’Afrique, comme
à Sousse (Hadrumète) et surtout dans les cités puniques des îles méditerranéennes,
en Sicile (à Motyê) ou en Sardaigne (à Nom, à Sulcis, à Tharros, etc.). Les
inscriptions qui commémorent ce sacrifice sanglant contiennent des formules
stéréotypées, qui se terminent généralement par les mots : « parce qu’il (le
dieu), ou elle (la déesse), ou ils (le dieu et la déesse) ont entendu sa voix ( = celle
du dédicant), il, ou ils, l’a, ou l’ont béni ». Cependant, de très bonne heure,
comme le montrent plusieurs inscriptions de Carthage (p. ex. CIS 5684, CIS 5685),
ou de Malte (CIS 123), sans doute déjà dès le vne siècle av. J.-C., ont été institués
des sacrifices de substitution, c’est-à-dire que l’on substituait à la victime humaine
un animal, généralement un mouton (Capuzzi [1480]). Ces sacrifices de subs¬
titution ont subsisté pendant longtemps concurremment avec les sacrifices
humains, et ont persisté jusqu’à, et y compris, l’époque romaine en Afrique,
59° V Occident

et leur nom punique se retrouve dans la transcription latine, attestée sur des
nombreuses stèles dédiées à Saturne, qui a hérité et remplacé B a' al Hammôn,
(Le Glay [1481]), du terme punique sous la forme de molchomor, qui est une
transcription quasi exacte de deux termes puniques mlk ’imèr (ou ’émor) signifiant
« sacrifice molk d’un agneau » (Carcopino [1482], Février [1483]).

Les inscriptions puniques nous livrent plusieurs attestations


de prêtres : KHN, plur. KHNM ( — kühèn, kühanim), et même de
RB KHNM ( — rab kühanim) « chef des prêtres », c’est-à-dire le
Grand-Prêtre, ou plutôt le chef du collège sacerdotal, de même
qu’elles nous révèlent le titre de « sacrificateur » £BH (zübéah),
qui peut correspondre en gros au flamen romain, ainsi que le titre de
B'L £BH (— ba'al zebah) « Maître du sacrifice ». Quant aux
coutumes funéraires, c’est d’abord l’inhumation qui est attestée,
ensuite c’est l’incinération, et les deux pratiques vont coexister,
sans qu’on puisse dire, comme on le fait trop souvent, que l’intro¬
duction de l’incinération serait due à l’influence des Grecs. On a
exploré plusieurs nécropoles à Carthage (cf. ci-dessus, p. 560)
où sont attestées differentes formes de tombes et diverses formules
funéraires sur les stèles commémorant la mémoire du défunt
(Ferron [1484], Bénichou-Safar [1485], [i486]), mais si certaines
traditions funéraires peuvent être restituées d’après les stèles de
Carthage (Astruc [1487]), il est peut-être trop tôt pour parler de
l’eschatologie punique (Fantar [1488]).

6) l’écriture, la langue et les textes puniques

On appelle « punique » aussi bien l’écriture que la langue


phéniciennes, employées par les Phéniciens de l’Occident, à
Carthage et dans tous les territoires, en Afrique et ailleurs, qui
dépendaient d’elle. Au fond, il y a peu de différences entre l’écri¬
ture proprement phénicienne et l’écriture dite punique, mais, à
partir d’une certaine date, plusieurs lettres de l’aphabet punique
acquièrent chacune une forme particulière qui permet aux spécia¬
listes de les distinguer des lettres phéniciennes équivalentes. Quant
à la langue punique, on peut la considérer comme un dialecte
phénicien. Cependant, il va de soi qu’il a fallu du temps pour
Carthage et la civilisation punique

que l’écriture et la langue phéniciennes, apportées par les pre¬


miers colons, se transforment peu à peu en écriture et en langue
puniques.

On peut dire, d’une manière générale, que c’est à partir du Ve siècle av. J.-C.
seulement qu’il est permis de parler du punique en Afrique et en Occident en
général. Quant au terme néo-punique, inventé au xixe siècle, il est appliqué
aux inscriptions d’Afrique du Nord, ainsi que, beaucoup plus rarement, à celles
provenant des îles méditerranéennes, rédigées au moyen d’une écriture parti¬
culière, appelée précisément néo-punique. En effet, l’écriture néo-punique diffère
considérablement de l’écriture punique et elle est immédiatement reconnaissable.
Elle constitue essentiellement une écriture cursive et ce sont ces formes cursives
qui sont gravées sur la pierre ou les métaux. De ce fait même, cette écriture
est beaucoup plus difficile à déchiffrer que l’écriture punique, car elle est carac¬
térisée, entre autres, par la confusion fréquente, et parfois constante, entre
plusieurs lettres de l’alphabet : il arrive même qu’un seul signe, par exemple
un simple petit trait vertical, soit employé pour trois lettres totalement diffé¬
rentes (le b, le d et le r). Si l’écriture néo-punique est surtout attestée après la
chute de Carthage, elle apparaît pourtant bien avant cet événement. Elle a
ainsi coexisté avec l’écriture punique jusque vers le milieu du Ier siècle avant
notre ère et elle lui a survécu jusqu’au me siècle de notre ère. Quant à la« langue
néo-punique », il s’agit tout simplement de la langue punique dans le stade
ultérieur de son évolution, où elle est déjà engagée dans le processus d’une
certaine désagrégation, sous l’influence sans doute des éléments étrangers,
libyques et latins. L’une des particularités de cette évolution est la décompo¬
sition du système phonétique : disparition quasi totale des gutturales, qui ne
se prononçaient plus, confusion entre des sifflantes et des chuintantes, etc.
Cependant, cette désagrégation a conduit à la création d’un véritable système
de notation des voyelles, à l’aide, précisément, de ces gutturales disparues de
la prononciation et qu’on commence à utiliser pour noter la vocalisation. Cela,
on le comprend, est très précieux pour nous, puisqu’une telle notation nous fait
connaître la vocalisation, donc la prononciation, de différents mots phénico-
puniques. (Sur tous ces problèmes, cf., en dernier lieu, M. Sznycer [1489].)
En ce qui concerne les textes puniques, si l’on connaît près de sept mille
inscriptions puniques et néo-puniques, les seuls spécimens des textes proprement
littéraires ne nous sont connus qu’en transcription latine ou en traduction
grecque ou latine, mais, dans ce dernier cas, il peut s’agir le plus souvent non
pas d’une simple traduction du punique mais d’une adaptation. Les principales
traductions ou adaptations sont le célèbre Périple d’Hannon, qui a fait couler
tant d’encre et à propos duquel la controverse entre les partisans et les adver¬
saires de l’authenticité de ce texte n’est pas prête d’être close (dans le meilleur
des cas, il ne peut s’agir que d’une adaptation), et le Serment d’Hannibal, c’est-à-
592 V Occident

dire le traite d alliance entre Hannibal et Philippe \ de Macédoine, conclu


en 215 av. J.-C. et dont le texte, transmis dans Polybe (VII, 9), peut représenter,
du moins en partie, une traduction grecque du texte punique original (Bicker-
mann [1490], [1491]). Certains passages du traité d’agriculture de Magon
nous sont connus par des traductions grecques et latines (en dernier lieu,
Heurgon [1492]). Quant aux transcriptions du punique, le texte le plus impor¬
tant est constitue par les passages du Poenulus de Plaute (Sznycer [1493])*
Divers biefs textes puniques sont connus par des transcriptions grecques et latines;
ils ont été commodément rassemblés par F. Vattioni [1494]. Parmi ces derniers'
les plus significatifs et les plus intéressants sont les textes dits « latino-libyques »
et qu’il faut appeler plus correctement, comme je l’ai proposé, des « latino-
puniques », puisqu’il s’agit des inscriptions, trouvées principalement en Tripo-
litaine, rédigées au moyen des lettres latines mais en langue punique, avec,
comme c est naturel, l’emploi des termes techniques latins. Ces textes ont été,
pour la plupart, publiés par J. M. Reynolds et J. B. Ward Perkins [1495] et
le premier essai de traduction en a été fait par G. Levi Délia Vida [1496]. On
peut cependant pousser plus loin encore l’explication de ces textes latino-
puniques (Sznycer [1497]), d’autant qu’il y a encore plusieurs textes inédits
appartenant à cette catégorie. Mais il faut souligner qu’il s’agit des documents
datant d’une époque sensiblement postérieure à la chute de Carthage, de
1 époque de l’Empire romain, qui témoignent éloquemment de la punicisation
profonde des vastes régions en Afrique du Nord, bien éloignées de Carthage,
et de la persistance et de la survivance de la langue punique au moins cinq
cents ans après l’écroulement et la destruction de Carthage.

Si, de toute la littérature punique, ne nous est parvenue direc¬


tement que la masse d’inscriptions puniques, pour la majeure
partie votives ou funéraires, on ne peut pas douter que la litté¬
rature punique proprement dite ait non seulement existé mais
qu’elle fût particulièrement riche (chroniques, annales, ouvrages
juridiques, d’histoire, de géographie, ouvrages religieux, sans
doute, des poèmes mythologiques, etc. Voir M. Sznycer [1498]).
Tout simplement, cette littérature était rédigée, comme il se doit,
non pas sur la pierre ou le métal, mais sur des matières molles
périssables, comme le papyrus. Parmi les milliers d’inscriptions
puniques d.e Carthage, la majeure partie est constituée, de loin, par
les inscriptions votives trouvées au tophet de Salammbô, à Carthage.
Ces textes, qui commencent généralement par la formule consa¬
crée : «A la Dame, à Tanit « Face de Ba'al » et au Seigneur, à
,al Hammon », sont beaucoup moins uniformes et monotones
qu on ne l’a dit. Ils nous fournissent, tout d’abord, non seulement
Carthage et la civilisation punique
593

des centaines de noms puniques, mais aussi de nombreux noms de


fonctions (cf. ci-dessus, Les institutions) et des noms de métier, très
caractéristiques, qui nous font connaître un peu la composition
de la société carthaginoise (par exemple, les scribes ou secrétaires,
les marchands, les barbiers, les bouchers, les fondeurs d’or, les
fondeurs de fer ou de bronze, les tisserands, les préparateurs de
parfums, les fabricants d’arcs, les fabricants de boîtes, les graveurs,
les potiers, les médecins, etc.). Ces textes renferment aussi, parfois,
des formules juridiques ou littéraires. A côté de ces inscriptions
votives et des inscriptions funéraires, il y a d’intéressantes inscrip¬
tions commémoratives ou les longs Tarifs sacrificiels, dont la valeur,
non seulement documentaire mais aussi littéraire, n’est pas négli¬
geable (Sznycer [1498]). De l’époque qui précède la chute de
Carthage datent également de nombreuses inscriptions puniques
et néo-puniques provenant d’autres villes puniques ou des villes
numides punicisées, le lot le plus important étant celui du sanc¬
tuaire d'El-Hofra, à Constantine (Algérie), où des centaines
d’inscriptions publiées (Berthier et Charlier [1381]) — et il y a
encore de nombreuses inscriptions inédites provenant de ce site —
montrent parfaitement le très haut degré de punicisation de ce
territoire proprement numide, puisque Cirta (Constantine) avait
été, comme on sait, l’une des principales capitales des rois ou
princes numides, punicisation confirmée par plusieurs inscriptions
royales numides (de Massinissa, de Micipsa, etc.), rédigées tou¬
jours en écriture et en langue puniques. Cette punicisation, attestée
par de nombreux documents puniques et néo-puniques, persistera
pendant des siècles, comme on l’a déjà dit, témoignant ainsi de la
force de Carthage et de la civilisation punique.

ROME, 2 5
Chapitre II

LES GUERRES PUNIQUES


par C. NICOLET

i) PUISSANCE DE CARTHAGE

A) L’économie

C’est un lieu commun depuis Cicéron au moins {De Rep., II, 7),
de représenter Carthage comme une puissance exclusivement
commerciale, qui aurait négligé l’agriculture et les armes. Cette
puissance a, en fait, constitué plusieurs empires : l’un en Afrique,
qu’elle conservera jusqu’en 201. Le second en Sicile et en Sar¬
daigne, qu’elle disputera aux Grecs et aux Romains, et qu’elle
ne perdra qu’en 241 et 234. Le troisième enfin en Espagne, qui
fut certainement une grande aventure, qu’elle ne conservera il
est vrai qu’une trentaine d’années. Mais, en tout cas, cette ville
« marchande » mènera contre la puissance « continentale » (sic)
des Romains deux guerres très longues et très dures; au cours de
la seconde, l’un de ses généraux occupera pendant quinze ans
une partie du territoire italien. Les victoires d’Amilcar et d’Han-
nibal (mais avant elles celles des généraux qui combattirent Grecs
et Romains en Sicile), la résistance inattendue et héroïque de la
ville entre 149 et 146 contredisent le jugement sommaire de
Cicéron (dont il faudrait étudier l’origine et la fortune, qui n’est
en tout cas pas du tout celui de Polybe), de même que la
renommée des agronomes carthaginois justifiait en 146 la tra¬
duction officielle, sur l’ordre du Sénat, du traité de Magon. Il
faut donc tenter un inventaire de la puissance territoriale, militaire
et financière de Carthage au moment où son conflit avec Rome
Les guerres puniques
595

est déterminant. Et se demander aussi s’il y avait dans ses structures


économiques et sociales un contraste vraiment marqué avec celles
de Rome.

Sur la puissance économique réelle de Carthage, on renverra aux études


exhaustives de St. Gsell [1323], IV, et aux mises au point récentes de G. Picard
[I328], 167-189. Elle subsiste jusqu’aux derniers temps de la cité : en 196,
T.-L., XXXIX, 61, 13, atteste la multiplicité des liens commerciaux, sans doute
réglés par des symbola et des conventions d’asylie, entre Carthage, Tyr et la
plupart des ports méditerranéens. Polybe, XVIII,35, 9, dit que Carthage passait
en 146 pour la ville la plus riche du monde. D’Isaïe à Strabon, en passant par
Thucydide et Diodore, la tradition historique jalonne les routes du commerce
punique, comme la comédie latine, avec le Poenulus de Plaute, moque sans
méchanceté le type du marchand. On peut s’interroger cependant sur la nature
du commerce carthaginois : ce que nous savons de l’agriculture de la chora
et de celle des territoires africains de l’empire peut conduire à penser que les
exportations de produits de l’agriculture —- blé, huile, fruits (figues et noix) —
jouaient un plus grand rôle que celles des produits artisanaux ou industriels;
au contraire, Carthage importe de la céramique grecque, puis campanienne
(bien que les archéologues commencent à identifier une production locale).
Mais le commerce punique devait être, en vérité, d’un type assez particulier :
un commerce d’intermédiaires, d’entrepreneurs de transport, surtout. Les témoi¬
gnages, en revanche, abondent sur l’excellence de l’agriculture carthaginoise
dans le territoire même de la cité, c’est-à-dire dans un rayon d’une cinquan¬
taine de kilomètres englobant le cap Bon — ce que remarquaient déjà les
mercenaires d’Agathocle, avant les soldats de Régulus et des Scipions (Diod.,
XX, 8; Pol., I, 29, 7). A ce propos doit se poser le problème des structures de
la société carthaginoise : en particulier du caractère de l’aristocratie dirigeante.
Qu’elle ait en partie été composée de dynasties, pour lesquelles l’affirmation
de la descendance était primordiale, c’est ce qu’on a vu plus haut, et ce que
prouvent le système onomastique et ce que nous savons des familles et des
mariages dynastiques. Nous ignorons si ce fait était institutionnalisé ou non :
nous n’entrevoyons rien de semblable au patriciat ou à la nobilitas romaine.
Ce qui est sûr, c’est d’une part que cette aristocratie au sens large était
une aristocratie foncière, possédant domaines et maisons dans la chora et même
assez loin de Carthage en Afrique (les tunes, fermes fortifiées de la région d’Hadru-
mète pour Hannibal). Mais d’autre part c’était aussi une aristocratie marchande à
qui « les affaires » (quaestus, chrèmatizein) n’étaient pas interdites par la loi (Aristote,
Pol., 1316^5), comme c’est le cas dans certaines cités, et comme ce sera le
cas à Rome à partir de la loi Claudia de 218. Quand Polybe (VI, 56) aborde
la question, il juxtapose deux faits distincts : d’une part, à Carthage, rien de
ce qui enrichit n’est déshonorant (ce qui recoupe Aristote) ; d’autre part, à
596 V Occident

Carthage, on pratique ouvertement ce qu’il appelle « le don de cadeaux » pour


l’obtention des magistratures. Il peut s’agir de corruption pure et simple (cf. déjà
Aristote, Pol., 1273 b, 1-8), comme de pratiques plus subtiles, du genre de la
Ÿumma honoraria. Un texte, en tout cas, fait état formellement de conditions
censitaires, qui semblent bien avoir duré même lorsque la Constitution est
devenue plus« démocratique» (Aristote, Pol., II, 8, 5, 1273 a 23 : Es magistrats
sont choisis aristindèn kai ploutindèn). [C. N.]

B) U empire

A la veille de son affrontement avec Rome, qui, à travers trois


« guerres puniques », la conduira finalement à sa perte, Carthage
est à la tête d’un véritable empire. Elle est pratiquement maî¬
tresse de la Méditerranée occidentale, que ses navires sillonnent,
sur des routes maritimes jalousement gardées, jusqu’au-delà des
Colonnes d’Hercule. La prépondérance de Carthage dans le
bassin occidental de la Méditerranée était assurée par de nom¬
breux centres puniques, disséminés dans diverses îles, et pour la
plupart déjà établis auparavant par les Phéniciens.
Les Puniques étaient ainsi implantés, de l’est à l’ouest, dans l’archipel
maltais, à Malte et à Gozzo (Gaulas, qui est un nom phénicien) ; dans l’île de
Pentellaria (Cossyra, dont le nom phénicien était Iranim); en Sicile, sur les côtes
nord, ouest et sud-ouest, principalement à Motye, à Lilybée (Marsala), à Eryx,
à Panomios (Palerme), à Solonte (Soloeis) ; en Sardaigne, où ils occupaient un
territoire assez étendu, non seulement sur les côtes, comme on le pensait géné¬
ralement, mais aussi, comme l’ont prouvé des découvertes archéologiques
récentes, à l’intérieur des terres, essentiellement pourtant dans la partie sud et
ouest de l’île, notamment à Nor a, à Bithia, à Sulcis et dans la forteresse de Monte
Sirai, à Caralis (Cagliari), à Olbia, à Tharros; ensuite, dans les îles Baléares,
notamment à Ibiza (dont le nom est phénicien : Ibashim), et enfin, dans le sud
de l’Espagne, où les Phéniciens étaient implantés depuis longtemps, dans le
pays de Tartessos (Tarshish), où se trouvaient les fameuses mines de métaux
précieux, argent et or, ou dans la vieille cité phénicienne de Gadès (dont le
nom est phénicien, bien atteste par les légendes de monnaies et les inscriptions :
Gadir). Après la perte de la Sardaigne, à la fin de la première « guerre punique»,
en 238 av. J.-C., les Carthaginois vont, par le truchement des généraux « bar-
cides », élargir leur territoire en Espagne, et y fonder une nouvelle Qart Hadasht
(Carthagène).

Si, après la perte de leurs territoires d’outre-mer, les Cartha¬


ginois ont dû se replier sur le territoire africain, ils ont pu pour-
Les guerres puniques
597

tant assez rapidement récupérer leur puissance économique. Ce


fait, assez surprenant, à première vue, pourrait s’expliquer non
seulement par la vitalité et l’ingéniosité de ce peuple de marchands,
mais aussi peut-être, du moins en partie, par l’étendue et la mise
en valeur de leurs territoires en Afrique même, et cela malgré le
croissant péril numide. En effet, quand commence la première
guerre avec Rome, Carthage a sous sa dépendance un vaste
territoire africain, conquis depuis longtemps, qui, outre les
emporia phéniciens de la Grande Syrte (Lepcis Magna, Sabratha,
Oea) et les « échelles » puniques le long de la côté algérienne
(.Hippon, Rusicade, Chullu, Rusguniae, Icosium, loi, etc.), ou les
anciennes colonies ou comptoirs phéniciens sur la côte marocaine,
comprend la majeure partie des terres rentables de l’actuelle
Tunisie, notamment le cap Bon, la moyenne et la basse Medjerda,
les sols fertiles du Sahel, les chaînes montagneuses de la Kroumirie
et toutes les agglomérations côtières, ainsi que la région dite des
Grandes Plaines et celle de Thusca. Ainsi, même si les indications
données par Strabon paraissent exagérées (selon lui, les Cartha¬
ginois « avaient fini par s’annexer tous les pays qui ne compor¬
taient pas de vie nomade », et, quand commença la dernière
guerre contre Rome, « ils possédaient trois cents villes »,
XVII, 3, 15), il est vraisemblable que le territoire contrôlé par
Carthage en Afrique était constitué par une grande partie des
terres fertiles disponibles, qui seront considérées, à l’époque
romaine, comme le « grenier à blé », et où les Carthaginois
avaient déjà développé au plus haut point l’agriculture, ainsi
que l’arboriculture.

Il est difficile, sinon impossible, de délimiter exactement ces territoires


africains de Carthage. Cependant, G. Picard pense qu’ils devaient comprendre,
en gros, sept pagi, qui seraient les suivants : 1) le cap Bon; 2) le pagus Muxsi,
au nord de la vallée de la Medjerda, jusqu’à l’actuelle frontière algéro-tunisienne;
3) les Grandes Plaines, qui correspondraient à la vallée moyenne de la Medjerda,
avec, comme ville principale, Vaga (Béja); 4) le pays correspondant à la Zeugi-
tane de l’époque impériale, entre la Medjerda et l’oued Miliane; 5) le pagus
Gunzuzi, probablement, dans la vallée de l’oued Kebir; 6) la Byzacène; 7) le
pagus Thuscae, c’est-à-dire le pays de Maklar. Sept pagi, auxquels il faudrait
ajouter le territoire autonome d’Hadrumète (Sousse), ainsi que plusieurs places
fortes, comme Sicca Veneria (Le Kef), Theveste (Tebessa), etc. (Picard [1499];
598 V Occident

C^SL 90-91)- Si une telle division du territoire africain de Carthage est théo¬
riquement possible, il faut cependant souligner qu’elle est fondée uniquement
sur des données de l’époque romaine, et notamment sur les pagi connus par les
inscriptions latines. Sauf un seul cas où, en effet, un pagus, celui de Thusca,
semble correspondre à une ancienne circonscription punique (cf. ci-dessous),
rien ne nous permet d’affirmer que ces pagi de l’époque romaine étaient les
équivalents des anciennes circonscriptions puniques.

En fait, on ne sait guère, d’une manière précise, comment se


subdivisaient les territoires carthaginois en Afrique, ni comment
étaient administrés les territoires et les cités dépendant de Car¬
thage. Mais le peu qu’on peut savoir, ou deviner, dans ce
domaine semble de plus en plus accréditer cette remarque de
St. Gsell que « Carthage, maîtresse d’un empire, garda les insti¬
tutions d une cité » ([1323], II, 287). En effet, tant les inscriptions
puniques et néo-puniques que les inscriptions latines, d’une
epoque postéiieure, il est vrai, montrent que les villes puniques,
en Afrique et outre-mer, en Sicile, en Sardaigne ou à Malte’
ainsi que les anciennes villes phéniciennes avaient les mêmes
institutions que Carthage elle-même (Sznycer [1458], 68), ce qui
a été déjà pressenti par Gsell ([1323], II, 292). Là où l’on dispose
de témoignages épigraphiques, on trouve généralement les suffètes,
un Sénat, une Assemblée du peuple et, parfois, les mêmes magis¬
trats et fonctionnaires qu’à Carthage. Toutes les cités libres
phéniciennes ou puniques avaient donc très vraisemblablement
les mêmes institutions, mais il semble aussi qu’une certaine
hiérarchie ait été établie entre elles concernant leurs liens de
dépendance envers Carthage, si le texte des traités transmis par
Polybe est exact : aussi bien dans le traité entre Rome et
Carthage que dans celui entre Hannibal et Philippe de Macé¬
doine, la cité d Utique est mentionnée nominalement comme la
principale alliée de Carthage (Polybe, III, 24, 1; VU, 9, 5 et 7).
Dans le même texte du Serment d'Hannibal, transmis par Polybe
(VU, 9), on énumère, par ailleurs, « ceux qui sont dans la
dépendance des Carthaginois et qui possèdent les mêmes lois »,
ainsi que « toutes les cités et tous les peuples sujets des Cartha¬
ginois », ce qui semble indiquer qu’il y avait donc divers liens
de dépendance entre Carthage et les cités et les peuples de son
empire, sans que nous soyons en mesure de les définir.
Les guerres puniques
599

Quant à l’administration des territoires africains de Carthage, deux docu¬


ments épigraphiques, révélés récemment, une inscription latine et une inscription
punique, montrent que, dans un cas au moins (évoqué plus haut), on peut
avoir quelques renseignements sur ce qu’avait été une circonscription territoriale
punique. Le texte latin en question, trouvé en 1962 sur le forum de Maktar et
publié par C. Picard, A. Mahjoubi et A. Beschaouch [1500], est daté, d’après la
titulature de Trajan, de l’année 113 apr. J.-C. Il mentionne, aux lignes 4 et 5,
les civitates LXIIII pagi Thuscae et Gunzuzi (« 64 cités du pagus de Thusca et
Gunzuzi »), révélant ainsi que Maktar était, à cette date, le chef-lieu d’une
circonscription territoriale (sur ce pagus, cf. Picard [1501]) très étendue. Ce
pagus Thuscae semble correspondre à la chora de Thusca, signalée par Appien
(.Lib., 69), qui comptait, selon cet auteur ancien, cinquante cités, et que Massi-
nissa enleva à Carthage, en même temps que la région des Grandes Plaines,
vers le milieu du 11e siècle av. J.-C. Aux cinquante cités de ce pagus a dû s’ajouter
ultérieurement le district de Gunzuzi, qui a dû compter donc 14 cités. Or, une
inscription punique, trouvée au Djebel Massoudj, à une vingtaine de kilomètres
de Maktar, publiée par Chabot [1502], qui ne l’avait pas comprise, republiée
par J.-G. Février [1503], qui l’avait bien comprise dans l’ensemble, mais
n’avait pu l’exploiter, semble recouper le texte latin, auquel elle est pourtant
antérieure de près de deux siècles et demi. Le texte punique, en effet, est daté
de l’année 21 du roi numide Micipsa, c’est-à-dire de 127-128 av. J.-C., et il
mentionne, à la première ligne, un haut fonctionnaire « qui est préposé aux
territoires de TSK'T». Ce dernier nom est sans aucun doute la transcription
punique du nom mentionné dans l’inscription latine citée plus haut : Thusca
(il s’agit vraisemblablement d’un nom libyque : Thushkat, dont la transcription
punique a gardé le t final, qui est tombé, comme c’est le cas généralement,
dans la transcription latine). Thushkat est précédé du mot ’RÇT, littéralement
« territoires » (ou « territoire », car il peut s’agir aussi du singulier), mais qui a
visiblement le sens ici de « circonscription territoriale » : on mentionne ainsi,
dans l’inscription punique, le « préfet de la circonscription territoriale de
Thusca ». Ainsi, à deux siècles et demi d’intervalle, on retrouve la même cir¬
conscription territoriale (= lat. pagus) de Thusca, dans la même région, celle
de Maktar. Ceci prouverait que le pagus Thuscae n’était pas une création romaine,
car il existait déjà tel quel au 11e siècle av. J.-C., à l’époque de Micipsa. Mais
tout semble indiquer que sa création est intérieure à ce roi numide et qu’elle
avait été le fait des Puniques, avant que ce territoire ne fût enlevé à Carthage
par Massinissa, en même temps que la région des Grandes Plaines. Le recou¬
pement entre ces deux inscriptions, la latine et la punique, déjà entrevu par
G. Picard [1499], ne semble pas faire de doute (Sznycer [1504]) et il permet
ainsi d’éclairer quelque peu les problèmes concernant l’administration des
territoires africains dépendant de Carthage. [M. S.]
6oo L’ Occident

C) U armée, la marine et les finances carthaginoises

Depuis Gsell, aucune étude d’ensemble n’a été consacrée à


la puissance militaire qui a été la seule vraie rivale de Rome au
cours de ses conquêtes. Il est vrai que le chapitre que Gsell lui
consacre est à peu près exhaustif : pourtant, une comparaison
plus poussée avec ce que nous savons désormais des armées
antiques serait sans doute utile. Les sources sont relativement
abondantes, étant donné l’importance historique des conflits avec
les Grecs en Sicile et avec les Romains.

Il faut se garder de deux dangers contradictoires. D’une part, comme l’a


en détads montré Gsell (II, 333), accepter sans critique les données d’une tradi¬
tion très suspecte concernant les effectifs gigantesques alignés pendant les guerres
siciliennes : d’une façon générale, nous sommes d’autant mieux renseignés que
1 on descend dans le temps, et mieux encore pour la deuxième que pour la
première guerre punique. D autre part, considérer de façon trop schématique
le contraste entre les armées romaines et celles de Carthage, tant sur le plan
des effectifs que de la composition ou de la tactique. Polybe se plaît à ces oppo¬
sitions (disparité des effectifs, Polybe, II, 24; emploi massif des mercenaires
chez les Carthaginois, alors que l’armée romaine est nationale (VI, 52, 3-4);
supériorité navale des Puniques, triomphe des Romains dans le combat d’infan¬
terie; supériorité de la cavalerie d’Hannibal). Il faut toujours replacer ces
remarques dans leur contexte, les corriger, voire les critiquer. Enfin, ne pas
croire que toutes les armées de Carthage aient été comparables à celle d’Hannibal.
Ces précautions prises, il est sûr que les systèmes militaires romain et cartha¬
ginois étaient, au départ, différents.

Recrutement. Il est faux de dire que les citoyens carthaginois ne participaient


pas à la guerre : au IVe siècle, encore, des contingents mobilisés servent en Sicile
(Diod., XVI, 80); on mobilise contre Régulus en 256 (Pol., I, 34, 6), contre
les mercenaires en 240 (Pol., I, 73; 75; 87), encore en 205 contre Scipion.
En 146 les derniers défenseurs sont exclusivement des citoyens. Bien entendu,
les citoyens fournissaient les cadres supérieurs et moyens de l’armée. Il y en a
de nombreux dans l’armée d’Hannibal elle-même. Mais il est vrai qu’à côté
des citoyens on trouvait dans les armées puniques trois autres éléments d’impor¬
tance variable selon les théâtres d’opération et les circonstances :
— Des troupes levées par conscription parmi les sujets, soit des cités libo-
phémciennes, soit du territoire et de l’empire : Africains, Sardes et Espagnols.
Diodore, Appien, Tite-Live disent formellement qu’il s’agit de véritable cons¬
cription, ces contingents étant soldés. La fidélité de ces contingents pouvait
être suspecte (Gsell, II, p. 306).
Les guerres puniques 601

Des contingents alliés, ou auxiliaires, fournis par des peuples ou des


princes, mais restant groupés par nation et combattant selon leur mode tradi¬
tionnel : ainsi la fameuse cavalerie numide de la guerre d’Hannibal.
Enfin, des mercenaires à proprement parler. Ils jouent un rôle considé¬
rable dans toutes les guerres siciliennes, jusqu’à la première punique incluse
(des deux côtés d’ailleurs) ; c’est un Spartiate, Xanthippe, qui commande
contre Régulus. Polybe est sévère pour la qualité d’une troupe de mercenaires :
il est vrai que les événements de la grande guerre de 240-237 étaient bien
inquiétants. Mais Diodore (XXIX, 6) énumère les avantages évidents des
armées mercenaires : elles épargnent le sang des citoyens, alors qu’une seule
défaite (Cannes?) peut quelquefois presque anéantir un corps civique. Et
Polybe lui-même reconnaît qu’Hannibal réussit à surmonter les inconvénients
habituels des mercenaires — indiscipline, disparité raciale, etc. — et sut pendant
quinze ans en faire des combattants remarquables. Notons cependant que ses
mercenaires ne sont plus ceux de son père : peu de Grecs, mais des Ibères,
des Gaulois, des Italiens.
Ges caractères du recrutement font des armées carthaginoises, environ un
siècle et demi avant celles de Rome, des armées hellénistiques tant sur le plan
technique que sur celui des mentalités. Il semble incontestable que les armées
barcides durent leurs succès en Espagne et surtout en Italie, d’une part, à
une supériorité tactique sur le champ de bataille, de l’autre, à la supériorité
de leur cavalerie. L’emploi des éléphants, tout à fait institutionnalisé puisque
les écuries étaient construites tout contre les remparts de Carthage, est également
un trait hellénistique (Scullard [1563 a]). Le camp carthaginois est un camp
grec. De même, au plan des mentalités, l’attention portée aux profits immé¬
diats de la guerre, au butin et surtout à la rançon des prisonniers : sur ce point
le contraste avec Rome sera frappant.
La flotte sera jusqu’à la fin de la deuxième guerre punique un élément
essentiel de la puissance de Carthage. On a vu (vol. I, p. 159) qu’il ne faut sans
doute pas exagérer le caractère exclusivement terrien de Rome, même à la fin
du IVe siècle. Mais les flottes carthaginoises de la première guerre punique
sont encore puissantes et combatives. Elles sont au contraire dominées pendant
la deuxième, malgré la construction d’un arsenal par Asdrubal à Carthagène :
ce n’est pas un hasard si Hannibal choisit sa fameuse route de terre pour attaquer
l’Italie.

Les finances. — L’étude des finances carthaginoises, en tant que telle, n’a
jamais été faite. Gsell a sans doute, en passant, mentionné la plupart des sources,
mais une synthèse serait absolument nécessaire. La monnaie carthaginoise
— qui est d’ailleurs tardive par rapport au monnayage grec et commence par
un monnayage local, peut-être militaire, en Sicile — n’a été étudiée que récem¬
ment par G, K. Jenkins ([1507], [1508]). Le vieux livre de Müller [1506]
602 U Occident

est dépassé. (Pour les monnaies « barcides » d’Espagne, bien étudiées récemment,
cf. Villaronga [1440].) Au 111e siècle, des monnaies d’or, d’argent et de bronze
ont été frappées sur étalon phénicien (adopté d’ailleurs par les Lagides), mais
de facture grecque (cf. l’inscription de la colonne de Duilius, ILS, 65). Il est
hors de doute (cf. ci-dessous) que la conquête barcide de l’Espagne a eu pour
résultat et peut-être pour but de développer grandement l’exploitation des
mines d’argent dans la région de Carthagène surtout. La possession des sources
de métaux monétaires est très importante. Leur perte a obligé peut-être à avoir
recours à des monnaies fourrées (T.-L., XXXII, 2, 2). Mais ce n’est qu’un
aspect des finances publiques. Comme l’a bien montré Gsell, la possession d’un
empire, en Afrique d’abord, est pour Carthage une source de profits : les indi¬
gènes qui lui sont directement soumis paient des impôts ou des redevances en
nature et en argent, comme le précise Polybe (I, 72, 2) : ces contributions
furent doublées au cours de la première guerre punique. Mais Hannibal ou
Amilcar lèvent aussi des contributions en Espagne. Un des textes essentiels
est Pol., I, 71, 1 : les Carthaginois comptaient sur les produits de la chora pour
leur ravitaillement et leurs besoins intérieurs, tout ce qui avait trait à la guerre
et même aux dépenses de l’Etat en général devait être fourni par les possessions
africaines. Ce texte indique que l’impôt direct n’existait pas : il est confirmé
par T.-L., XXX, 44, 11, qui montre qu’en 196 on envisageait seulement d’y
avoir recours, devant l’embarras du Trésor et la nécessité de payer l’indemnité
de guerre. Notons que la première indemnité de guerre a été payée sur le produit
des mines d’Espagne — ce qui prouve bien l’inexistence d’un « royaume »
barcide indépendant. Lorsque Hannibal veut prendre en main les finances
lors de son suffétat en 196, T.-L. parle des « revenus de la terre et de la mer »
qui formaient les ressources du Trésor : vectigalia terrestria maritimaque (XXXIII,
47, 1) : donc sans doute aussi des droits de douane. Il existait, on l’a vu, des
magistrats spécialement chargés des finances, que Tite-Live appelle quaestores.
Gsell a supposé, sans preuve mais avec vraisemblance, que les impôts étaient
affermés et que, contrairement à ce qui existe à Rome, sénateurs et magistrats
pouvaient s’en charger. Entre 201 et 196, des sommes considérables auraient
ainsi ete détournées aux dépens du Trésor, qu’Hanmbal aurait récupérées
(T.-L., XXXIII, 47).

2) LES GUERRES PUNIQUES

acceptant, en 264, de secourir les RIamertms de ^dessine


assiégés par les Carthaginois, qui étaient pourtant leurs alliés
depuis presque trois siècles, les Romains devaient déclencher un
conflit majeur dont ils ne pouvaient certainement pas, sur le
moment, mesurer toutes les conséquences. Une première guerre
avec Carthage devait durer vingt-trois ans, se dérouler sur terre
Les guerres puniques 603

et sur mer en Sicile, en Afrique, dans les eaux tyrrhéniennes,


et aboutir, avec la victoire navale écrasante de Rome aux îles
Aegates (241), à sa mainmise sur la Sicile. Pendant vingt-trois
ans s ensuivit une paix armee durant laquelle Rome, mise en
goût, s’empara également de la Sardaigne (236), puis, tout en
surveillant Carthage, s’engagea dans de grandes entreprises, à
l’est, dans l’Adriatique, contre les pirates illyriens, au nord
— et c’était le plus important — dans la plaine du Pô, contre
les Gaulois, avec cette fois une tentative systématique de peuple¬
ment par l’envoi de colonies. Pendant ce temps Carthage, sous
l’impulsion de la « dynastie » des Barcides, s’engageait à son
tour dans la conquête de l’Espagne, aux riches ressources minières
et humaines, et reconstituait ainsi un autre empire. Lorsque Rome
songe à lui donner un coup d’arrêt — en 226 puis en 219 — il
est trop tard, car déjà Hannibal, succédant à son beau-frère
Asdrubal, a projeté et entrepris sa grande expédition par voie de
terre vers l’Italie. La deuxième guerre punique va durer dix-sept
ans, et s’élargir à l’Espagne, à l’Italie, à la Sicile, à l’Afrique, mais
aussi au monde grec, avec la première guerre de Macédoine, direc¬
tement issue du conflit avec Carthage. Mettant en ligne des effectifs
jusque-là jamais atteints, du moins du côté romain, scandé par
de très grandes batailles rangées (dont la plupart, au début du
moins, seront d’inoubliables désastres pour l’armée romaine),
secouant jusque dans ses fondements le système des alliances
romaines en Italie, provoquant de graves crises financières, éco¬
nomiques, sociales et politiques, le conflit fait, pour la première
fois, vraiment émerger Rome sur le théâtre de la Weltpolitik.
Victorieuse en Espagne et en Afrique, Rome n’a pu cependant
qu’à l’extrême fin expulser Hannibal, qui réussit à se maintenir
quinze ans en Italie et fut à deux reprises — en 216 et en 212 —■
à deux doigts de vaincre. Cependant la victoire de Scipion en
Afrique à Zama en 202 oblige Carthage à une capitulation où
elle sauve du moins son existence et même, dans une certaine
mesure, son indépendance, bien qu’elle devienne tributaire pour
cinquante ans et risque d’être étouffée par ses voisins numides,
alliés de Rome. Il est certain, pourtant, que grâce d’abord à
l’énergique politique d’Hannibal (196-195) puis à ses traditions
commerciales, elle retrouve très vite (dès 191 ) sa prospérité et
604 U Occident

son rôle économique dans toute la Méditerranée. D’où les craintes


qu’elle inspire toujours à certains Romains, et l’existence à Rome
d’un « parti » systématiquement anticarthaginois, qui l’emporte
en 150, avec la volonté affirmée de détruire définitivement l’Etat
carthaginois lui-même. La dernière guerre punique, déclarée par
les Romains avec un cynisme qui révolta le monde entier, ne fut
en vérité qu’une guerre d’extermination, et presque un génocide,
qui ne dura trois ans que du fait de l’héroïque défense d’une
population désespérée. Si la résistance de Rome aux coups de
boutoir d’Hannibal entre 218 et 216, son refus de traiter dans la
défaite firent l’admiration de Polybe et exigent à ses yeux (ce qui
est plus important) un effort d’explication en profondeur, son
attitude lors de la troisième guerre punique, en revanche, scan¬
dalisa et inquiéta l’opinion mondiale, qui découvrait avec stupeur
la guerre romaine comme une « guerre totale » devant aboutir
non seulement à la défaite, mais à l’anéantissement politique de ses
adversaires (Pol., XXXVI, 9). Quoi qu’il en soit, Polybe a vu
juste : de l’incident de Messine qui, en 264, détermina pour la
première fois les légions à quitter l’Italie, à la destruction totale
du royaume de Macédoine, en 167, moins d’un siècle s’était
écoulé, et il était clair pour les contemporains que la mécanique
ainsi mise en branle ne s’arrêterait qu’avec la conquête de
l’oikoumène (Pol., I, 2 : « Les Romains, eux, ont forcé non pas quelques
contrées, mais presque tous les peuples de la terre à leur obéir, si bien qu'il
n'est personne aujourd'hui qui puisse leur résister et que, dans l'avenir,
nul ne peut espérer les surpasser »).

A) Les sources

Les guerres puniques sont à la fois très bien et très mal connues. Bien, parce
que nous avons conservé, en partie du moins, le récit continu d’un presque
contempoi ain, Polybe, lasciné par son sujet, Grec ayant longuement vécu à
Rome au contact des responsables, voyageur qui a connu Massinissa, l’Espagne,
Scipion et d autres. Diplomate et militaire, il juge en homme de métier. Histo¬
rien pénétré de l’importance de son rôle, il réfléchit, en philosophe, se fait une
doctrine des causes, des prétextes, des raisons profondes (qu’il trouve dans les
« institutions» au sens large). Bref, une œuvre intelligente, honnête, irrempla¬
çable. Pour la deuxième guerre punique, nous avons un autre récit continu,
détaillé, celui de Tite-Live, bien évidemment très postérieur, mais qui, parallèle-
Les guerres puniques 605

ment à Polybe, a l’avantage de nous transmettre une tradition annalistique


proprement romaine, dont les outrances ou les partis pris mêmes peuvent être
significatifs. Pour la première guerre punique, outre Polybe, nous disposons
d’un récit assez consistant chez Diodore (XXIII-XXIV), qui dérive peut-être
de l’historien Philinos d’Agrigente, utilisé aussi par Polybe, qui le critique
(III, 26), à travers les Sikèlika de Silenos de Calèaktè (La Bua [1517]). Les
sources romaines contemporaines, en grande partie perdues, sont pré-annalis-
tiques, puisque le premier « historien» romain, Fabius Pictor (qui écrit d’ailleurs
en grec), fut légat à Delphes en 216; il s’agit du poème épique de Cn. Naevius,
un Campanien qui a participé à la guerre, auteur de théâtre également, dont
quelques fragments ont subsisté, qui montrent une tradition très attentive aux
rites religieux de la guerre (Cichorius, Rom. Stud., 24-58; Schwarte [1519]).
De cette époque pourtant datent les premiers documents épigraphiques romains :
colonne rostrale de Duilius, CIL, I2, 25, les elogia des Scipions et peut-être le
plus ancien milliaire romain trouvé en Sicile, si l’Aurelius Cotta qu’il mentionne
est bien le consul de 252 (A. Di Vita [1540]; contra Degrassi [235]).
Les préliminaires de la deuxième guerre (affaires d’Espagne, de Gaule,
d’Illyrie), la guerre elle-même sont, eux aussi, connus essentiellement par
Polybe (fragmentaire à partir de la bataille de Cannes), et surtout par le récit
continu de Tite-Live (3e Décade). Polybe a connu les historiens romains contem¬
porains (Fabius Pictor), mais aussi les deux historiens grecs qui écrivaient du
point de vue carthaginois, le Lacédémonien Sosylos, précepteur d’Hannibal
(Nepos, Han., 13, 3), et Silenos plus haut cité, irrémédiablement perdus, sauf
un fragment de Sosylos sans doute, découvert sur un papyrus (Wilcken [1520]),
racontant une bataille navale en Espagne vers 208, et le papyrus Rhyland,
III, 491, qui raconte rapidement les négociations pour la paix entre Scipion
et les Carthaginois avant la bataille de Zama (d’auteur inconnu). Mais Polybe
avait utilisé aussi la tradition orale, interrogé les survivants, et surtout consulté
les documents dans les archives romaines ou ailleurs; il donne ainsi, comme on
sait, la série des traités connus de lui entre Rome et Carthage (III, 22-27), le
texte du traité ou serment (covenant) entre Philippe V et Hannibal (VII, 9),
un résumé de l’inscription qu’Hannibal fit graver dans le temple de Juno
Lacinia avant de quitter l’Italie, etc. Tite-Live, quant à lui, dépend bien entendu
de Polybe, mais a utilisé aussi les annalistes romains immédiatement postérieurs
aux événements, Fabius Pictor, mais aussi L. Cincius Alimentus (préteur en 210),
C. Acilius, A. Postumius Albinus, puis L. Cassius Hemina, ainsi que des anna¬
listes très postérieurs et assez suspects, comme Claudius Quadrigarius, Valerius
Antias, et surtout L. Coelius Antipater. Il ne faut pas cependant mépriser
cette tradition annalistique : pour les événements intérieurs de Rome (élections,
Fastes, prodigia, dédicaces de temples) ou pour les débats au Sénat comme
pour les relations avec les alliés, bien que partiale, elle est irremplaçable et
beaucoup plus détaillée que Polybe. D’elle dépendent en fin de compte toutes
6o6 V Occident

les autres sources postérieures, Appien, Plutarque, Dion-Zonaras, tout comme


les notations éparses qu’on peut trouver chez Cicéron ou Pline.
Notons des documents épigraphiques récemment découverts intéressant la
période . le traité entre Rome et les Etoliens de 212, découvert à Thyrreion et
publié en 1954 (Klaffenbach [2009]; Hôpital [2011]), et une funéraire de
Tarquinia mentionnant un Etrusque qui a sans doute combattu aux côtés
d’Hannibal sous Capoue (Pfiffig [1523]).
Pour la troisième guerre punique et ses précédents (les conflits entre Massi-
mssa et Carthage), nous avons à peu près entièrement perdu Polybe et Tite-Live.
Nous dépendons donc ici essentiellement d’Appien, Lybica ou Punica, 10-136.
Dépendant de 1 annalistique romaine, peut-être de sources postérieures, de
l’époque des Gracques, dont Calpurnius Piso Frugi, la tradition qu’il transmet
fait écho à la fois aux deux « doctrines » de politique étrangère qui, depuis les
années 169, se partageaient le Sénat (la nova sapientia de Tite-Live, XLII, 47, 9),
et aux prétentions des populaires qui voulaient que les peuples alliés soient
dans le dominium des Romains (Saumagne [1584]). On a perdu la Vie de Scipion
Emilien par Plutarque, dont seuls ont été conservés des Apophthegmata. Mais on
commence à avoir pour cette période des sources romaines contemporaines,
en particulier des discours (Malcovati). Le Poenulus de Plaute comporte un
passage en langue punique (Sznycer [1493]) ; une inscription d’Istros du ne siècle
nomme un marchand de blé carthaginois (Lambrino, Dacia, 1927-1932, 401).

B) La première guerre punique (264-241 )

L historien sicilien Philinos d’Agrigente soutenait que, lors¬


qu ils débarquèrent en 264 en Sicile pour porter secours aux
Mamertins, les Romains violaient ouvertement un de leurs traités
avec Carthage, en vertu duquel « les Romains devaient s’abstenir
de pénétrer dans la Sicile tout entière, et les Carthaginois en
Italie » (Pol., III, 26, 3). Polybe prétend qu’une convention de
ce genre n a jamais existé. Son argument principal est que, bien
qu il ait eu soin de s’enquérir auprès des Romains comme des
Carthaginois de tous les traités conservés, et qu’il ait peut-être
consulté lui-même ceux dont la copie se trouvait dans le temple de
Jupiter Capitolin, il n’en a pas trouvé trace. Les Modernes l’ont
en general suivi sur ce point. Mais la lecture attentive du traité
conclu au moment de la guerre de Pyrrhus, en 279 sans doute, et
eue par Polybe lui-meme (III, 25, 3), montre, comme l’ont
prouve indépendamment K. Meister [1528] et R. Mitchell [1529],
Les guerres puniques 607

que ce traité faisait précisément une exception à une clause d’une


convention antérieure, en autorisant, dans l’éventualité d’une
alliance contre Pyrrhus, chacun des deux à opérer sur les territoires
soumis à l’autre. Dès lors se trouve confirmée une tradition indi¬
recte (T.-L., Per., 14; XXI, 10, 8; Dion, fgt 43, 1) qui affirme
que les Carthaginois, lorsqu’ils envoyèrent une flotte dans les
eaux de Tarente en 272, avaient les premiers violé les traités (ce
que prétendra aussi Caton, Orig., IV, 10; cf. Servius, ad Aen.,
IV, 628). Il faut donc mettre en doute la légende d’une amitié sans
faille entre Carthage et Rome depuis le premier traité de 508
(dont la date paraît désormais devoir être acceptée) jusqu’à la
première guerre punique : dès la fin du ive s. sans doute, avant
même l’achèvement de la conquête de l’Italie, la puissance
romaine inquiétait déjà Carthage ; et de fait, dès 311, tout en ne
disposant que de la flotte de leurs alliés ou de leurs colonies mari¬
times, les Romains créèrent deux amiraux (lex Decia, T.-L.,
IX, 30, 4). La première guerre punique a ainsi une assez longue
préhistoire. Les Carthaginois, après leur guerre en Sicile avec
Pyrrhus, n’occupaient qu’une partie de Pile, le reste était indé¬
pendant ou plutôt dans la mouvance de Syracuse. L’incident qui
porta Rome, contre la lettre d’un traité mieux attesté que ne le
prétend Polybe, à intervenir en Sicile, au risque de s’y heurter à
son alliée, fut la requête des « Mamertins ». Il s’agissait d’un
groupe de mercenaires d’origine osque qui s’étaient vers 286
emparés de Messine, avaient tué ou chassé les habitants, et s’y
étaient taillé un domaine : exactement ce que leurs camarades
avaient fait en 280 à Rhegium, et que Rome avait durement châtié
(Heurgon [873] 24; 203) en 270. Six ans plus tard, menacés par les
Syracusains, les Mamertins demandèrent du secours aussi bien
aux Carthaginois qu’aux Romains (Pol., I, 10), mais acceptèrent
d’abord une garnison punique. A Rome, d’après Polybe, le peuple
(sans doute les comices centuriates), malgré le Sénat et sur la
proposition du consul App. Claudius Caudex, a la fois inquiet et
tenté par l’espoir du butin, accepta la deditio des Mamertins malgré
le risque de guerre. Appius Claudius, dont les pouvoirs étaient
précisés dans le traité passé avec les Mamertins, prit sur lui, ayant
débarqué, de faire la guerre aux Carthaginois (Ennius, 223 Vahlen :
mais cf. K. Schwarte [1519], p. 213 qui nie qu’Ennius soit
6o8
V Occident

l’auteur de ce vers, et qui pense au contraire que ce sont les


Carthaginois qui ont déclaré la guerre).

On s est interrogé sur les causes réelles de la guerre, qu’on a naturellement


voulu chercher soit dans les conflits de la politique intérieure romaine, soit
dans le domaine de l’économie. Le premier, Münzer (sans d’ailleurs en itérer
quoi que ce soit pour la politique étrangère) avait attiré l’attention sur ce qu’il
appelle l’entrée des campanische Rittern dans les Fastes romains depuis la fin
du IV* et le début du me siècle. Après lui, J. Heurgon [873] a plaidé pour l’origine
campamenne des Atiln, qui, en effet, occuperont le consulat entre 267 et 245
et, allant plus loin, a attribué la responsabilité des guerres puniques à cette
« tradition campanienne », surgie de l’intérêt depuis longtemps manifesté
par les condottieri et les mercenaires campaniens pour la Sicile et même, du temps
d’Agathocle, l’Afrique. Certains, comme G. Picard, sont allés plus loin encore,
et ont supposé que ces Campaniens formaient un véritable lobby économique,’
que c est pour défendre des intérêts « commerciaux » que Rome a déclenché
la première guerre punique. Il faut (comme l’a fait soigneusement Cassola, qui
pourtant n’est pas enclin à minimiser la puissance économique de Rome)’être
très attentif aux sources. Polybe (I, 11) ne parle que de l’espoir de butin que
le consul fit reluire aux yeux de « la masse ruinée par les guerres précédentes »
Cassola [1037 *], sans mer ce but immédiat, insiste longuement sur l’importance
plus grande qu’on ne croit, du commerce romain dès la fin du ive siècle attestée’
selon lui, par les traités avec Carthage, par la fondation d’Ostie, de’certaines
colonies maritimes, et par un passage négligé de Zonaras, VIII, 7, 3, qui dit
qu apres la guerre de Pyrrhus les Romains s’emparèrent de la Calabre et de
Prindes pour monopoliser le commerce avec la Grèce et l’Illyrie [1037 b p. 67I.
Que les Carthaginois aient redouté la concurrence commerciale des Romains
comme des autres dès le début du me siècle (Erathostène, aP. Strabon 802:
bestus 484 L), c est sur. Mais la concurrence est une chose, la guerre une autre
faudrmt savoir quelle assemblée exactement désignent les expressions hoi fiolloi
et ho dèmos employées par Polybe, I, 11, pour le vote de l’alliance avec les Mamer-
tins : comices tributes ou centuriates ? Le vote dans les deux était d’ailleurs
encore très timocratique à cette époque. Pour apprécier les « buts de guerre »
de 264, on peut tenter une méthode régressive : qu’ont donc exigé et obtenu
les Romains apres une très longue et très épuisante lutte en 241 ?

des RO?6 ^ “f à k gUCrre en 24 !’ aPrès la victoire navale inattendue


des Romains aux îles Aegates, cité par Polybe (I, 62, 7-q et 62 1 nuis en de^
termes un peu différents en III. es. connu son, le nom de trîi.é'de LutatiuT
fj;eVTÏ.dr faTS mihtaires et diplomatiques : les Carthaginois devaient
évacuer la Sicile, les îles entre la Sicile et l’Italie, les prisonniers romains devaient
êt e rendus sans rançon, chaque contractant devait n’agir en rien auprès des
allies de 1 autre. Les Carthaginois devaient renoncer à combattre Pliéron de
Les guerres puniques 609

Syracuse. Le traité comportait aussi des clauses financières, dont le détail est
intéressant. Le premier projet de convention entre le consul romain et les
négociateurs carthaginois prévoyait une indemnité de guerre de 2 200 talents
euboïques, payable en vingt ans. Or ce projet ne fut pas ratifié par le peuple
romain, qui exigea une aggravation des clauses financières, et elles seules :
le délai de paiement était réduit à dix ans, et Carthage devait verser immédia¬
tement 1 000 talents de plus : au total donc 1 000 talents sur-le-champ, plus
dix annuités de 220. Polybe dit formellement que c’est « le peuple » qui refusa
la première convention. Même si sa source est Fabius, très antipopulaire, il
n’y a pas de raison de douter du fait. Il est très difficile de savoir, pour cette
date, ce que représentait exactement cette somme : traduite en monnaie d’argent
du temps, de toute manière, elle représente beaucoup moins que le coût de la
guerre pour les Romains. Tenney Frank ([335], I, p. 67) a supposé, sans preuve,
qu’elle a été utilisée à rembourser une partie au moins des impôts payés pendant
la guerre (il se fonde sur ce qui produira en 187); on peut penser qu’on a en
effet remboursé les « liturgies » volontaires de 243 (Poh, I, 59, 6-8). En tout
cas il n’est pas question de clause commerciale en faveur des négociants romains.
D’une façon générale, quand, à cette époque, il est question du « profit » d’une
guerre, il s’agit presque toujours de butin (individuel ou collectif), ou d’indem¬
nités de guerre : disons que la conscience économique passe d’abord par la
conscience fiscale.
Ce qui ne signifie pas l’absence de ces negotiatores romains : car on les voit
jouer un rôle important pendant la guerre des mercenaires (Poh, I, 83). Des
marchands italiens avaient ravitaillé les insurgés, et les Carthaginois en avaient
pris plus de 500; les Romains reconnurent leurs torts, libérèrent les derniers
prisonniers carthaginois de la guerre en échange de ces Italiens, autorisèrent
désormais leurs marchands à ravitailler Carthage, et leur interdirent de ravi¬
tailler ses ennemis (I, 83, 10) : le commerce avec Carthage était-il donc interdit
aux Italiens par le traité de 241 ?
Depuis Heuss [1525], le dossier des origines de la première guerre punique a
été constamment repris, jusqu’à Veyne [1532], Meister [1528] et Mitchell [1529].
La plupart de ces auteurs admettent, avec Heuss, que l’appel des Mamertins
embarrassa plutôt le Sénat, qui s’en remit en somme au consul de la tactique
à suivre sur place, et qui ne prévoyait au plus qu’une guerre limitée à la Sicile.
L’importance géographique de l’enjeu sicilien (relais indispensable, tout comme
la Sardaigne, pour passer d’Afrique en Italie et inversement) a été bien montrée
par Veyne. Rome, ou du moins le Sénat, avait-elle vraiment peur de la présence
des Carthaginois en face de Rhegium ? Ces considérations, en tout cas, jouèrent
dans le Sénat au moins autant que les prétendues visées « économiques » des
commerçants romains : Polybe parle, parmi les raisons qui ont entraîné le
peuple en 264, de « celles déjà exposées sur l’intérêt commun » (I, 11, 2 :
ce sont les raisons stratégiques et militaires). On reviendra ci-dessous, en
6io U Occident

conclusion, aux débats toujours actuels, mais peut-être un peu vains, sur la défi¬
nition, l’existence, le contenu de « l’impérialisme » romain (Holleaux [1999];
Veyne [1532]).

a) Les opérations militaires. — On n’en donnera pas ici le récit


détaillé (voir E. Pais [263], 221-239; Piganiol [266], 214-220;
surtout Gsell [1323], III, 67-99). La guerre parut interminable aux
contemporains, qui, en 249, au moment de la grande défaite
navale des Romains à Drépane, paraissaient également épuisés
(Pol., I, 55 : Rome renonce à la guerre sur mer; 59). Appien
(Sic., 1) mentionne une ambassade envoyée de Carthage à
Ptolémée Philadelphie en 252 pour contracter un emprunt de
2 000 talents, que le roi refusa de verser, au nom de son amitié
envers les deux belligérants. Le fait le plus important est le déve¬
loppement (et même, malgré Cassola [1037 b], la création) de la
puissance navale des Romains. Ceux-ci, qui n’avaient visiblement
pas de marine digne de ce nom en 264 puisqu’ils utilisèrent des
bateaux tarentins, locriens et napolitains pour passer en Sicile,
décidèrent de se lancer sur mer en 261, poussés par le consul
Otacilius (Pol., I, 20-21). Leur effort naval, supérieur au total à
celui des Carthaginois, fut immense, bien qu’interrompu entière¬
ment entre 249 et 243. Mais ils n’eurent la victoire sur mer qu’à la
fin, et leur maladresse, tant nautique que militaire, dura très
longtemps (pas de raison de mettre en doute le récit de Pol., I, 20).
La fréquence des désastres dus aux tempêtes, à la méconnaissance
par leurs généraux des règles de navigation, ainsi d’ailleurs que
des parages de la Sicile méridionale, est frappante (Pol., I, 37).
Si c’est une victoire navale qui mit fin à la guerre, l’armée de
teire carthaginoise se comporta fort bien (la tradition romaine
insiste sur le rôle du Lacedemonien Xantlnppe lors de l’aventure
africaine de Régulus, mais un Amilcar Barca en Sicile, à la
veille de la paix, fait figure de vainqueur).

b) U entre-deux-guerres (218-201). — On a déjà parlé de la


paix de Lutatius Catulus de 241. On a vu aussi que, durant la
guerre des mercenaires, les rapports de Carthage et de Rome
s étaient plutôt améliores. Mais en 238-237? au moment où cette
guerre venait enfin de se terminer à l’avantage de Carthage, les
Les guerres puniques 611

Romains, appelés par des mercenaires rebelles de Sardaigne, se


préparèrent à passer dans cette île. Les Carthaginois, de leur côté,
en firent autant, ce qui autorisa les Romains à « voter la guerre »
(un vote conditionnel, qui autorisait des ambassadeurs, s’ils n’obte¬
naient pas satisfaction, à déclarer la guerre) : les Carthaginois
cédèrent, durent renoncer à la Sardaigne, et payer en outre
i 200 talents de plus d’indemnité (Pol., I, 88, 8), ce qui fut
stipulé dans un « traité additionnel » (Pol., III, 27, 7) à celui
de 241. Cela fut toujours considéré par Carthage comme un
véritable brigandage, et Polybe lui-même le reconnaît, puisqu’il
considère en fin de compte ce traité comme la cause réelle de la
deuxième guerre punique. L’historiographie romaine essaya très
tôt de camoufler ce diktat en prétendant que la Sardaigne avait été
cédée pour prix de la capture par les Carthaginois de commerçants
italiens, mais Polybe lui-même réfute cette version. On peut
s’interroger : pourquoi la Sardaigne? Certains pensent à la valeur
stratégique de l’île : mais alors pourquoi les Romains ne l’au¬
raient-ils pas comprise dans le traité de 241 ? A cette date, on peut
difficilement invoquer les revenus que Rome pouvait espérer tirer
de cette province. Peut-être cependant sa richesse en blé, qui sera
attestée dès 215 (T.-L., XXIII, 41, 6-7), commençait-elle à être
connue. On peut penser aussi — sans preuve — au bois, néces¬
saire pour les constructions navales, s’il est vrai que huit ans plus
tard, selon l’hypothèse de M. A. Levi [1527], Rome se tourna
contre les pirates illyriens pour s’en assurer l’approvisionnement
dans les Balkans.
On a vu ci-dessus (p. 566) la constitution de l’Empire « bar-
cide » en Espagne avec l’envoi d’Amilcar et des débris de
l’armée des mercenaires à Gadès en 237. Là encore, une tradition
annalistique, qui remonte peut-être toujours à Fabius Pictor, veut
qu’Amilcar soit parti de sa propre initiative, non couvert par
le gouvernement de Carthage (Appien, Hann., 2; Hisp., 5;
Zon., VIII, 17, qui parlent aussi, ainsi que Diodore, XXV, 8, 10;
Nepos, Ham., 2, 5, du procès capital intenté à Amilcar, dont
l’aurait sauvé son gendre Asdrubal). Polybe dit formellement le
contraire, et les liens officiels entre les conquêtes d’Amilcar en
Espagne et Carthage et son trésor sont affirmés par Dion, fgt 48.
Comme on le verra ci-dessous, le monnayage barcide en Espagne,
6l2 U Occident

correctement interprété, ne peut que confirmer Polybe : il n’y


eut pas d’empire indépendant, encore moins de monarchie barcide
en Espagne.

C) La guerre d’Hannibal

Plutôt que de donner un récit résumé des événements, on renverra à ceux


de E. Pais [263], G. de Sanctis [262], St. Gsell [1323].
La monumentale synthèse d A. Toynbee [309b dont on a largement tiré
parti au volume precedent, insiste surtout sur les conséquences italiennes du
conflit. Le point de vue adopte par la plupart des auteurs est fortement romano-
centriste, à la seule exception de Gsell. On fera ci-dessous l’inventaire rapide
d un certain nombre de problèmes plus ou moins bien résolus et des principales
directions de recherches.

a) Personnalité et fonctions d’Hannibal. — Officielles ou non, les sources


anciennes, et d’abord Polybe, reconnaissent dans le général punique à la fois
l’auteur et l’âme véritable de la guerre — et cela est paradoxalement confirmé
par le fait qu’il fut aussi indéniablement celui qui y mit fin, usant encore après
Zama de son autorité devant le Conseil (Pol., XV, 19; T.-L., XXX, 37, 7-11).
C’est donc une question de première importance que d’estimer exactement
ses pouvoirs, ses rapports avec Carthage, enfin ses buts de guerre réels, ainsi
que sa personnalité.
Qu’Hannibal ait, comme son beau-frère Asdrubal, et ses deux frères,
appartenu à une « dynastie » de l’aristocratie carthaginoise, c’est une évidence.
Mais cela ne préjuge en rien des « pouvoirs » réels qu’il a pu avoir dans une
cité toujours représentée comme une politeia, non comme une monarchie. Il
y avait à Carthage, jusqu’à son départ en exil en 195, une « faction » barcide,
dirigée par les principaux hommes de cette famille, leurs alliés, leurs partisans^
certains acquis grâce à la corruption, mais qui n’ont jamais réussi à éliminer
les autres factions, celle d Hannon par exemple. A certains moments, ce« parti»
est très menacé : par exemple à la fin de la première guerre punique, lorsque
Amilcar fut menacé d’un procès et ne fut sauvé que par l’influence de son
gendre Hasdrubal (App., Hisp., 4), qui était « en faveur auprès du peuple ».
Hannibal à son tour, après Zama, s’appuiera aussi sur l’Assemblée du peuple :
on touche là peut-être une tendance politique de la faction barcide, et c’est
peut-être aussi à quoi fait allusion Polybe, VI, 51, 3-6; III, 17, 7;T.-L.,XXI,2,4-
Comme son père, et comme le seront aussi ses frères, Hannibal n’est donc
rien d autre qu un stratègos carthaginois, régulièrement nommé. A la mort
d’Asdrubal il était déjà « commandant en second » (App., Iber., 6), et son
premier geste, après sa désignation normale par l’armée sur place, fut de réclamer
l’investiture régulière du Sénat et du peuple de Carthage (Pol., III, 13; Nepos,
Les guerres puniques 613

Han., 3, 1). Désormais, aucun doute n’est plus permis : il sera toujours stratègos
régulièrement nommé par les autorités de Carthage. Et, tout au long de sa
guerre, s’il eut parfois à discuter, à plaider par émissaires interposés, à réclamer
de l’aide ou de l’argent, à suggérer telle ou telle mesure, s’il eut des adversaires
au sein du Sénat (comme le fameux Hannon qui, d’après Tite-Live, XXIII, 12-1,
émit des doutes, même après Cannes, sur la portée des victoires d’Hannibal), il
ne cessa en fait d’être loyalement soutenu par son gouvernement qui, à plusieurs
reprises, lui envoya les secours demandés : en 216 (T.-L., XXIII, 13, 7-8; 32, 5),
en 205 (T.-L., XXVIII, 46, 14), sans compter ce qu’il reçut d’Espagne. Lors¬
que après le débarquement de Scipion en Afrique on le rappelle, comme d’ailleurs
les généraux de Ligurie (T.-L., XXX, 19; 20), il se peut qu’il ait vu là un
coup de ses adversaires ou qu’il ait regretté ce départ (pourtant prévu et préparé
par lui ! : 20, 5); il obéit cependant. Pas plus donc que son père en Espagne,
Hannibal ne peut être traité de « condottière » ou de roi agissant pour son
propre compte, comme Timoléon ou Pyrrhos : jusqu’à son exil en 195, il sera
un général et un politicien carthaginois, régulièrement nommé. Si « dynastie »
il y a, c’est dans le contexte aristocratique de la politeia carthaginoise, semblable
à celui de la République romaine.
Rien ne le prouve mieux d’ailleurs que le seul document diplomatique
authentique qui nous soit parvenu, le Serment d’Hannibal envers Philippe V
(Pol., VII, 9). Les études de E. Bickermann [1490] [1491] ont montré qu’il
s’agit de la traduction grecque de la version punique de ce traité, rédigée
selon le formulaire traditionnel de la diplomatique orientale. Si (cf. ci-dessous)
Philippe y apparaît très en retrait de son « allié » Hannibal, alors au sommet
de sa gloire sinon de sa puissance, il n’y a aucun doute cependant qu’Hannibal
ne traite pas en son nom, mais au nom de Carthage, puisque à ses côtés trois
personnages, Magon, Myrcanus et Barmocaros, ainsi que tous les autres séna¬
teurs présents dans son camp et tous les Carthaginois de l’armée jurent aussi
le traité; puisque Hannibal n’est nommé qu’après le peuple carthaginois et
en tant que stratègos (VII, 9, 5 : kyrioi Charchèdonioi, ce qui est la façon sémitique
de désigner le peuple).
Bien entendu, la régularité de ses fonctions militaires et politiques n’exclut
en rien qu’il ait eu une très large autonomie quant à la stratégie et même quant
à la diplomatie à adopter ni qu’il ait développé des vues personnelles et originales.

b) La politique d’Hannibal. — Tout commence devant Sagonte : affaire


terriblement embrouillée, peut-être obscure dès l’origine, obscurcie par les
plaidoyers a posteriori, mais un fait émerge : à tort ou à raison, le siège, puis la
prise de cette ville par Hannibal furent considérés à Rome, en 218, comme un
casus belli, et la guerre officiellement signifiée à Carthage par une ambassade
(T.-L., XXI, 18, 1; 19-20; Pol., III, 20, 9; 33, 1-4). Mais, en mettant le siège
devant Sagonte, Hannibal avait demandé des instructions à Carthage (Pol.,
614 U Occident

15> ^)> qu il ait lui-même souhaité et préparé la guerre paraît incontes¬


table, même si la legende de la fameuse « haine des Barcides », accréditée par
Hannibal lui-même auprès d’Antiochos (le récit du serment que son père lui
fit jurer de n’être jamais l’ami des Romains), a été en partie forgée par Fabius
Pictor, pour laver l’ensemble du gouvernement de Carthage de sa part de
responsabilité. Sur ces données relativement simples s’est greffée une discussion
sans fin sur les « responsabilités » réelles, sur la situation diplomatique exacte de
Sagonte. En 226, une ambassade romaine en Espagne passait avec Asdrubal
une convention qui faisait défense aux Carthaginois de « passer en armes le
fleuve Iber» (Pol., II, 13, 7; III, 27, 9; 29, 3; 30, 2-3). La difficulté fondamen¬
tale provient de ce que Polybe dans un de ces passages (III, 30, 2-3) semble
dire qu’en attaquant Sagonte, les Carthaginois enfreignaient ce traité d’As-
drubal , on en a donc déduit : soit que Polybe commettait une erreur géogra¬
phique, croyant que Sagonte était au-delà (du point de vue carthaginois) de
l’Iber, celui-ci assimilé (normalement) à l’Ebre (erreur d’ailleurs formellement
commise par des sources postérieures, y compris Appien, Hisp., 7, 1). Soit que
Y Iber mentionné dans le traité avec Hasdrubal n’était pas le grand fleuve actuel¬
lement appelé Ebre, mais un autre, et par exemple le Jucar, qui coule un peu
au sud de Sagonte (Carcopino [1542], suivi par certains Français, dont G. Picard,
et, en partie par G. V. Sumner [1547] [1548]). Il est sûr en tout cas qu’en 226
les Romains ne voulaient pas inquiéter Asdrubal (Pol., II, 13, 7), mais qu’en 219,
en revanche, ils étaient déjà devenus les « alliés » des Sagontins, qu’ils étaient
intervenus dans les querelles intérieures de cette ville et avaient fait exécuter
des partisans de Carthage — à une date difficile à préciser. En fait, il semble
certain d après III, 6, 1-3, que Polybe distinguait fort clairement deux faits :
d une part la prise de Sagonte, alliée de Rome (et cela contre les stipulations
du traité de Lutatius en 241, qui protégeait les alliés de Rome, bien que Sagonte
n en ait pas fait partie à cette date), d’autre part le franchissement en armes
de l’Ebre, qui suivrait donc, et ne précéderait pas, la prise de la ville, et qui,
lui, violait le traité d Asdrubal. Il n’est donc pas nécessaire de supposer un
second Ebre : simplement, la phrase de Polybe, III, 30, 2-3, est trop rapide
et semble seulement amalgamer les deux choses : d’où les erreurs des sources
postérieures, dont Appien (mais sans doute pas Tite-Live, si l’on interprète
bien XXI, 2, 7 et surtout XXI, 44, 6 : ad Hiberum est Saguntum ?). Mais quel que
soit le casus belli, Hannibal n’a pas hésité à le commettre, entraînant Carthage
avec lui. 6

Dès lors commence une aventure dans laquelle, en effet, Hannibal développe
des vues politiques et stratégiques nouvelles et originales. La première est la
décision d attaquer Rome par le nord de l’Italie, c’est-à-dire à travers la Gaule
Peut-être en a-t-il hérité l’idée d’Asdrubal — en tout cas Rome et ses alliés
marseillais redoutaient au moins des entreprises carthaginoises au nord de l’Ebre
Mais il faut distinguer deux choses ; d’une part, le choix d’un itinéraire terrestre
Les guerres puniques 615

vers l’Italie, d’autre part le « dessein gaulois ». L’itinéraire était techniquement


audacieux, mais en partie imposé par la très nette infériorité navale de Carthage,
bridée par les traités, et peut-être par les finances, puisque jusqu’en 219 le
produit des mines d’Espagne devait, semble-t-il, être absorbé par le paiement
de l’indemnité imposée en 241 et renouvelée en 236 (Pol., III, 27, et Dion,
fgt 48 : Amilcar le dit clairement aux Romains en 231) : par où pouvait passer
Hannibal sans flotte ? Les Romains d’ailleurs redoutaient ce passage et tentèrent
en vain de persuader les Gaulois de la région de Toulouse de prendre les armes
pour eux (Tite-Live, XX, 19 et 20). Hannibal s’était soigneusement informé
de la situation en Gaule méridionale, dans les Alpes et en Cisalpine, et comptait
sur l’alliance des Cisalpins (Pol., III, 34), ce qui était bien normal puisque Rome
venait juste de conquérir durement la région. En fait, la deuxième guerre
punique sera appelée par les Romains « la guerre contre les Carthaginois et
les Gaulois », et on a pu calculer que, jusqu’à la fin, l’armée d’Hannibal comptera
en effet un nombre considérable de contingents gaulois (Pol., XV, 11, 2, pour
Zama, et déjà bien entendu à la Trébie et à Cannes). En 208-207 encore, son
frère Asdrubal pourra réitérer l’exploit d’arriver en Italie à travers la Gaule
et la plaine du Pô. Rien ne vient confirmer l’hypothèse de G. Picard, qui suppose
une occupation permanente, par des garnisons puniques, du sud de la Gaule,
en particulier à Ensérune. Si Hannibal utilisa volontiers ces contingents à demi-
mercenaires comme troupes de choc, il s’en méfiait aussi (par ex. Pol., III, 69),
redoutant leur versatilité et leur manque d’endurance (III, 79). Pourtant d
passa avec eux des traités d’alliance, et, en 215, ils sont compris parmi les alliés
de Carthage en Italie (VII, 9) dans le traité avec Philippe. Qu’Hannibal ait
apprécié cette réserve d’hommes, c’est sûr. Mais rien n’indique qu’il ait eu,
sur cette partie du monde, des visées à long terme, qu’il ait songé à un quel¬
conque « Empire gaulois ».

Plus nette et plus frappante la « politique italienne » d’Han¬


nibal. Il ne s’agit plus là seulement de recherche d’alliances mili¬
taires procurant des contingents ou des fournitures, mais de toute
une diplomatie visant par contrecoup Rome elle-même, impliquant
donc la claire conception de buts de guerre, et même, peut-être, des
projets pour l’après-guerre. Qu’Hannibal ait voulu et tenté, dès
le début, de séparer Rome de ses alliés italiens, c’est certain : dès
son arrivée au contact des Romains dans la plaine du Po, il pro¬
clamait qu’il était venu apporter la liberté aux Italiens en faisant
la guerre aux Romains (Pol., III, 77, 3-7; 85, etc.). Il avait
bénéficié en effet de la trahison de Dasius, praefectus socium originaire
de Brindisi, en garnison à Clastidium (Pol., III, 69; T.-L., XXI,
48, 9-10), et déjà avait choisi de renvoyer libres et sans rançon
616
U Occident

les prisonniers latins et alliés : ce qu’il fit après la Trébie


(T.-L., XXII, 58, 2), après Trasimène (XXII, 7, 6), et encore
après. Cannes (XXII, 58) : mesures préparatoires destinées à
lui faire des amis, ce qui se vérifie pour des gens de Nola (L. Ban-
tius, T.-L., XXIII, 15) ou de Tarente (XXIV, 13). Mais ce
n est en réalité qu’après Cannes, en 216, qu’on assiste à une
phase plus active de la diplomatie d’Hannibal : désormais, il va
viser à se faire ouvrir des villes, et à passer avec elles des traités en
bonne et due forme. Il faut donc renoncer à l’hypothèse de G. Picard
fondée sur une chronologie anticipée, qui prétend que les alliances
d Hanmbal, en particulier celle de Capoue, avaient été prévues
avant même son départ d’Espagne. Elles ne se produisent, au
contraire, que parce que, malgré trois victoires écrasantes, Rome
se refuse à traiter et parce que la guerre dure. La défection de
Capoue, envisagée peut-être dans cette ville en 217 après Trasi-
mene (T.-L. XXIII, 2), comme une éventualité, n’eut même
pas heu immédiatement après Cannes : les Campaniens prennent
e temps d’envoyer des députés à Varron tout de suite après la
bataille (T.-L., XXIII, 5). La tradition livienne (avec Diodore
et Dion) qui relate les événements intérieurs à Capoue de 216 à 212
donnant les. noms des principaux leaders (Pacuvius Calavius,
Vibius Virnus, Decius Magius, partisan de Rome) n’est pas
forcement fantaisiste parce qu’elle remonte à Coelius Antipater.
Avec Capoue, commence la série de traités passés par Hannibal
avec des cités italiennes importantes : nous connaissons (Groae
p. 92) ceux avec Locres (T.-L., XXIV, 1, I3), Tarente (Pol ,’
7
ï I,,2 >1;2 ’ a ®c le,s Lumens (T.-L., XXV, 16, 7); mais
Hannibal fut force de choisir entre ses alliés bruttiens et Crotone
et finalement déporta les Crotoniates, dont certains pourtant lui
étaient acquis (XXIV, 3). On a vu au volume précédent le
nornbre des peuples qui passèrent du côté d’Hannibal (T.-L
XXII, 61 pour 216-212), auxquels il convient d’ajouter certains
Etrusques qui du moins menacèrent de faire la même chose encore
en 208 (révolté d Arretium, T.-L., XXVII, 22, 4; 24, 1-4), puis
lors de la marche d'Asdrubal (cf. les commissions d’enquête
romames. T,L„ XXVII, 38, 6; XXVIII, to, 4). Il es, progab
que les peuples cites par Tite-Live eurent aussi leurs traités •
mais nous ne connaissons que les plus importants. Leur ressem-
Les guerres puniques 617

blance est frappante : ils garantissent l’indépendance et l’auto¬


nomie des cités, l’absence de garnison carthaginoise, la perma¬
nence des lois et des institutions, l’absence de tribut, de mobi¬
lisation forcée. Il s’agit visiblement de conventions provisoires
qui ne préjugeaient pas de la portée diplomatique véritable de
l’alliance : en fait, on peut se demander si Hannibal ne se conten¬
tait pas de garantir à ces cités le statut qu’elles avaient vis-à-vis de
Rome. Ce qui n’empêchait pas, naturellement, de belles pro¬
messes pour l’avenir : comme celles que fit vraisemblablement
Hannibal devant le Sénat de Capoue après la signature du traité :
Capoue serait la « capitale » de l’Italie (T.-L., XXIII, 10), ce qui
concordait avec le « programme » de Vibius Virrius (6, 1) ; et plus
tard Hannibal appelait Capoue « la Carthage de l’Italie ». Ces
promesses étaient visiblement liées à la façon dont la guerre se
concluerait, c’est-à-dire aux buts de guerre réels d’Hannibal
(cf. ci-dessous). Il est sûr toutefois que les « alliés des Cartha¬
ginois » en Italie sont correctement associés par Hannibal à son
covenant avec Philippe V (Pol., VII, 9). Une légende tenace est à
rejeter en tout cas : celle des « desseins » politiques grandioses
d’Hannibal, qui aurait voulu « instaurer la démocratie » dans
les cités italiques et grecques (Picard, Brisson). C’est transporter
en Italie, et dans le domaine de la politique étrangère, les ten¬
dances « démagogiques » (mais en même temps monarchiques ?)
attribuées (par Fabius?) aux Barcides et à Asdrubal; c’est anti¬
ciper peut-être aussi sur l’attitude politique d’Hannibal lors de
son suffétat en 196 (T.-L., XXXIII, 45, 6-49; Nep., Hann., 7;
App., Syr., 4; Justin, XXXI, 1, 7-8; Zon., IX, 18, 11-12), poli¬
tique d’ailleurs plus dirigée contre les prévarications de la
noblesse que directement démocratique (loi sur l’élection des juges).
Sans doute Tite-Live, dans deux passages souvent cités, à propos
de Nola (XXIII, 14, 7), puis de Crotone (XXIV, 2, 8), signale,
comme une « maladie alors commune en Italie », le fait que
partout « le peuple, avide de révolution », était pour Hannibal,
les « sénateurs » pour Rome. Mais y voir un dessein politique
d’Hannibal, c’est d’abord méconnaître la tendance générale de
l’historiographie antique de noircir des adversaires (et pour
Polybe comme pour Tite-Live les mots « démocratique » ou
« populaire » sont péjoratifs!); l’hypothèse est surtout démentie
6i8 V Occident

par les cas précis connus de nous : Capoue, dont le Sénat presque
entier passa à Hannibal, Nuceria, qui lui résista unanimement
(XXIII, 15, 3), Tarente, qui fut livrée par deux jeunes « nobles »
(T.-L., XXV, 8), enfin les villes étrusques en 208, dont Arretium,
où c’est le Sénat qui conspire contre Rome (T.-L., XXVII, 24).
Ce n’est rien enlever à la largeur de vues d’Hannibal, chef de
guerre et patriote carthaginois, diplomate habile, que de ne pas
en faire un idéologue.

C’est en tout cas à Hannibal seul que revient, semble-t-il, la responsabilité


de l’ouverture de deux nouveaux théâtres d’opération : la Grèce continentale
et la Sicile (destinés l’un et l’autre à soutenir ses efforts en Italie). On a déjà
parlé de l’alliance avec Philippe V : celui-ci y songeait (pour se débarrasser
des Romains apparus sur ses confins en 229) depuis qu’il avait appris le passage
des Alpes. Il la désire fermement depuis la nouvelle de Trasimène (Pol., V,
101, 6), et, conseille par Démétrios de Pharos, il rêve de recommencer Pyrrhus
et de passer en Italie (personne ne savait alors comment les Grecs d’Italie,
s’il parvenait jamais jusqu’à eux, accueilleraient Hannibal, Holleaux [1999]’
p. 177). A cette date, il n’est pas sûr qu’Hannibal, de son côté, ait souhaité
introduire Philippe dans son jeu. Tout change après Cannes : contre l’attente
de tous, malgré l’écrasante défaite, Rome résiste toujours, lève de nouvelles
armées, barre à Hannibal les routes du Nord. Philippe, lui, connaissait bien les
capacités de résistance de Rome : témoin sa lettre aux gens de Larissa, quelle que
soit sa date exacte (Ditt., Syll.3, 543). C’est pourquoi c’est Philippe qui
députe au camp d’Hannibal (rien ne dit en effet qu’Hannibal ait fait le premier
pas), et une alliance est conclue, dont nous avons une partie du texte authentique
chez Polybe. Il éclaire la relative modération des buts de guerre d’Hannibal à
cette date, mais, comme l’a admirablement montré M. Holleaux, montre aussi sa
méfiance à l’égard de Philippe, sa volonté, en tout état de cause, de le tenir en
dehors de l’Italie ([1999], p. 181-182) lors du règlement. On accepte son aide
militaire, qui doit être réglée par une convention spéciale (Pol., VI, 9, 10); le
seul avantage que tirera Philippe de cette alliance, ce sera d’avoir définitivement
chassé les Romains de la côte balkanique. L’annalistique romaine prétendra qu’à
Zama se trouvait un contingent macédonien : Polybe n’en disant rien, on en
doute généralement. Hannibal a donc accepté, en 215, l’aide éventuelle de
Philippe et accepté de la payer par une aide militaire de Carthage en Grèce
(qui ne se réalisera jamais) et par l’expulsion future des Romains d’Illyrie : rien
de plus, et aucun rêve personnel là-dedans.
C’est lui aussi qui intervint en Sicile en 215, à la mort du vieux roi Hiéron
fidèle allié de Rome, et provoqua, de sa propre initiative, des négociations
diplomatiques entre le jeune roi Pliéronymos et Carthage (néanmoins, d’après
Les guerres puniques 619

Polybe, VII, 2, c’est Hiéronymos qui envoya le premier des ambassadeurs à


Hannibal). Celui-ci envoya, à titre personnel, à Syracuse deux citoyens cartha¬
ginois d’origine syracusaine qui servaient dans son armée, Hippocratès et
Epikydès, qui engagèrent le jeune roi à changer d’alliance. Il y eut deux projets
de traité successifs avec Carthage, Hiéronymos cherchant d’abord à se faire
reconnaître la souveraineté jusqu’à l’Himéras, puis sur la Sicile entière. Mais
on sait comment tournèrent les choses : Hiéronymos fut tué, la famille royale
massacrée, les deux envoyés d’Hannibal furent à deux reprises élus archontes,
Syracuse, en pleine révolution, livrée aux mercenaires et aux transfuges romains,
bascula dans l’alliance punique, mais ne fut, en fait, d’aucun secours, car tout
de suite assiégée et prise après un long siège par Marcellus. Là encore, si Hannibal
a saisi opportunément l’occasion d’agir, s’il a intrigué à Syracuse, c’est avec
l’autorisation et l’appui de Carthage (la Sicile faisait partie de sa « province»),
et au seul profit de sa patrie, qui enverra en Sicile des troupes sous d’autres
généraux.
Ainsi ni les pouvoirs, ni l’action diplomatique, ni les buts de guerre d’Hannibal
n’ont jamais excédé ceux d’un général (bien sûr prestigieux) régulièrement
nommé, aussi fidèlement soutenu que le permettaient les circonstances par le
gouvernement de sa patrie. Ce n’est que par métaphore qu’on peut le comparer
à Pyrrhus, et par erreur qu’on le qualifie de condottiere.

c) Ses buts de guerre. — C’est à coup sûr sur le plan militaire et


diplomatique que se situe son action et qu’il faut chercher ses
buts de guerre. Là encore, depuis l’Antiquité même, erreurs de
perspective et d’interprétation obscurcissent sans raison des faits
pourtant clairs d’après les témoignages les plus sérieux. Le fameux
témoignage de Polybe (III, 11) sur le « serment d’Hannibal » ne
doit pas être surinterrogé : Hamilcar a fait jurer à son fils de n’être
jamais l’ami des Romains : il n’est pas question de « haine éter¬
nelle », encore moins de vouloir détruire Rome de fond en comble.
Le premier indice clair sur ses buts de guerre date de 216, immé¬
diatement après Cannes : c’est le discours aux prisonniers
romains, dans lequel il affirme « qu'il ne fait pas aux Romains une
guerre d'extermination, qu'il ne combat que pour la dignitas et /'impe¬
rium » : termes diplomatiques traditionnels, il s’agit de l’hégé¬
monie entre cités. Hannibal attend donc que Rome traite — il est
certes probable que la paix aurait été dure, et que très vraisem¬
blablement il n’aurait pas laissé intact l’empire de Rome en
Italie. En 216 encore, Hannibal promet formellement aux
Capouans son départ d’Italie (T.-L., XXIII, 6, 2; 10, 2). En 215,
620 U Occident

échaudé par le refus effarant de Rome, dans le traité avec


Philippe V, il mentionne encore formellement des perspectives
de paix, « quand Rome aura traité », qui prévoient à coup sûr
la permanence de Rome comme Etat indépendant, et qui ne
spécifient que son retrait des villes de la côte illyrienne. Hannibal
n’a donc pas songé à la destruction de Rome — et son refus de
marcher sur Rome apres Cannes peut avoir plusieurs raisons, les
unes militaires et techniques (Rome jugée imprenable pour son
armée, qui n’a réussi que très peu de sièges), les autres diploma¬
tiques. Hannibal voulait donc uniquement une victoire reconnue.
C’est-à-dire en somme renverser, au profit de Carthage, la situa¬
tion humiliante des traités de 241 et 236. Le refus de Rome, la
persistance, malgré un très léger ébranlement en 209, du solide
reseau des colonies latines et citoyennes, les énormes ressources en
hommes de son adversaire condamnèrent son entreprise : il peut, un
moment, avoir l’air de « régner » sur l’Italie du Sud (entre 213
et 212), il est en fait coupé et de la Gaule, et, par l’insuffisance de
sa flotte, de Carthage et de la Grèce. En 203, lorsqu’il est
rappelé, il est comme assiégé dans le Bruttium.

d) Aspects militaires de la deuxième guerre punique. — On a déjà invoqué, au


volume précédent, les conséquences de la guerre d’Hannibal sur le système
militaire romain : importance considérable de la ponction humaine et démo¬
graphique, changements dans les méthodes de commandement (prorogation
systématique des généraux à partir de 215), dans les comportements de l’armée
(révolte du Sucro en 206), etc. D’un autre côté, la stratégie et la tactique d’Han¬
nibal ont, depuis Polybe, fasciné tous les écrivains militaires. Notons cependant
que, s’il y a d’innombrables études de détail, il manque encore une étude
systématique sur l’armée carthaginoise depuis le tome III de Gsell. Infériorité
navale et supériorité en cavalerie sont indéniables. Mais il faudrait étudier de
près, sur le modèle de ce qu’a fait J. Harmand pour l’armée de César, intendance,
transmissions, commandement, etc. On renvoie aux deux bibliographies de
Iv. Christ citées ci-dessus [10 à] [1540 à] pour les études de détail, et on se
contentera ici de mentionner ce que l’archéologie a pu apporter pour le renou¬
vellement de l’étude des champs de bataille (Trasimène, la Trébie et Cannes),
dont le bilan provisoire se trouvera dans Studi Annibalici [1554]. Il faudrait
aussi une monographie sur les finances d’Hannibal et, plus généralement, celles
de Carthage pendant la guerre.
Le contraste des deux armées, punique et romaine, est bien marqué par
lolybe (VI, 52, 4), et tient en une formule ; les Carthaginois utilisent des
Les guerres puniques 621

mercenaires, les Romains une armée nationale, recrutée exclusivement chez


leurs citoyens et chez des alliés italiens soumis à la formula togatorum, dont le
noyau « latin » est aussi patriote que le noyau romain. Polybe l’a bien vu : à
long terme, et dans une guerre d’endurance et d’usure, l’avantage doit être aux
Italiens. Ce qui ne l’empêche pas de reconnaître qu’Hannibal sut éviter, tout
au long de la guerre jusqu’à Zama exclue, les inconvénients habituels des armées
de mercenaires : difficulté de commandement, versatilité, mutineries, etc. Il
lui arrive sans doute de se méfier de certains éléments, il n’est du moins jamais
trahi sur le champ de bataille. Ce qui frappe, c’est, à partir de 216, la modestie
de ses effectifs, d’autant que le noyau d’Africains et d’Espagnols du départ
s’amenuisait (il lui en resterait à peine 12 000 à Zama) — ce qui ne l’empêche
pas de remporter, même après 211, des succès tactiques nombreux, et de tenir
à distance les Romains, toujours prudents devant lui. Noter que les foudroyantes
victoires du début (la Trébie, Trasimène, Cannes), révélant une maîtrise
totale dans la stratégie, le cheminement, la disposition des troupes, l’utilisation
du terrain, enfin dans la tactique (enveloppement par la cavalerie), ne se répètent
pas après 215 : le commandement romain s’est adapté. En revanche, Hannibal
ne peut ou ne sait mener une guerre de sièges (effectifs trop peu nombreux,
plutôt que manque de matériel), et s’il occupe des places en Italie c’est toujours
parce qu’elles se donnent. En particulier, il ne parviendra jamais à disposer
d’un port, malgré ses tentatives contre Naples, Pouzzoles (qui sera au contraire
de plus en plus importante pour Rome), Rhegium et Tarente (la citadelle
de cette dernière résistera, même après la défection de la ville), et les Romains
conserveront jusqu’au bout Brundisium.
En réalité, comme l’ont vu clairement Polybe et Tite-Live, les opérations
d’Espagne, malgré les apparences, furent aussi importantes, sinon plus, que
celles d’Italie. Les Romains, dès le début de la guerre, sous l’influence des
Scipions, partisans de l’offensive, y menèrent une guerre audacieuse avec des
forces réduites contre plusieurs armées carthaginoises, sans se laisser décourager
par les désastres, comme celui de 211 (mort des deux généraux, Gn. et P. Scipion).
Lorsqu’en 210 le jeune P. Scipion, avant d’avoir géré toute magistrature, fut
envoyé comme proconsul, décidé au départ à tenter un coup de main d’une
grande audace contre Carthagène, la fortune de la guerre change : désormais
les Romains, tenant avec Sagonte et Carthagène, les bases maritimes en Médi¬
terranée occidentale, pourraient profiter des rivalités entre généraux puniques
en Espagne, envisager de passer en Afrique (même si, par maladresse, ils laissè¬
rent en 208 Asdrubal s’échapper vers l’Italie). On devine (Pais, p. 347) peut-
être des divergences fondamentales dans la stratégie des Carthaginois, les uns
ne s’intéressant qu’à l’Espagne, les autres (avec les Barcides) voulant privilégier
le théâtre italien.
La guerre, en tout cas, fut gagnée en Afrique, c’est-à-dire en appliquant la
stratégie que préconisaient, dès 218, les Scipions. Mais cette fois, les Romains ne
622 UOccident

se contentent pas de débarquer, à partir de leur base sicilienne (Scipion, élu


consul en 206 (Scullard [1563]), obtint à l’issue d’une intense controverse poli¬
tique la province de Sicile avec le droit de passer en Afrique, contre l’avis de
Fabius). La victoire fut due, essentiellement, à deux facteurs : d’abord, l’adoption
pai Scipion, comme déjà en Espagne, d’une tactique savante, clairement calquée
sur celle d’Hannibal, avec des manœuvres qui exigeaient un excellent entraîne¬
ment des troupes; ensuite l’appoint d’une cavalerie numide (celle de Massinissa),
acquise grâce aux intrigues diplomatiques menees par Rome (et ceci dès 217),
à partir de l’Espagne, en Afrique profonde, afin de débaucher les alliés de
Carthage.
Les aspects financiers et économiques de la guerre ont, du côté romain, fait
1 objet d etudes de plus en plus approfondies, de Tenney Frank [335] à P. Mar¬
chetti [998], en passant par A. Toynbee et d’autres. Des monographies concer¬
nant les fournitures essentielles (blé, vêtements, armes et surtout, peut-être, bois
et cordages pour les navires), aussi bien du côté romain que du côté carthaginois,
seraient nécessaires.

D) La troisième guerre punique


et la destruction de Carthage (14g-146)

Les négociations pour la paix s’ouvrirent en 203, après le


débarquement de Scipion, et lorsque ce dernier eut remporté,
grâce à ses nouveaux alliés numides, plusieurs victoires. Comme
les Carthaginois, entre-temps, avaient rappelé Hannibal, s’étaient
emparés de navires marchands romains et en avaient pillé la
cargaison, que la guerre avait repris (elle devait aboutir à Zama),
de nouvelles conditions, plus dures, furent imposées à Carthage
en 201. Polybe, Tite-Live et les sources secondaires donnant des
details suffisants et concordants sur les termes de ces deux traités,
nous pouvons les comparer et apprécier les buts de guerre des
Romains (Schmitt [1522], 291-308; Pol., XV, 8, 7; XV, 18, 1;
l.-L., XXX, 16, 10; 37, 1-6); Appien, Pun., 54).

Rome réclame d’abord l’évacuation de l’Italie par Magon, elle promet de


se retirer d Afrique dans les cinq mois (Appien, Pun., 54). Les Carthaginois
emeuraient libres et autonomes, ils conservaient en Afrique leur territoire
jusqu aux Fossae Punicae avec le droit d’y maintenir des garnisons. Mais ils
evaient rendre à Massinissa ses territoires et ceux qui avaient appartenu à ses
ancêtres. Clauses militaires : ils devaient rendre aux Romains tous les prisonniers
et tous les transfuges, remettre tous leurs vaisseaux longs sauf dix, remettre tous
leurs éléphants et ne plus en acquérir d’autres. S’engager à ne pas faire la guerre
Les guerres puniques 623

en Afrique ou ailleurs sans l’accord du peuple romain; payer 10000 talents


emboïques en cinquante ans, enfin donner 100 otages (de 14 à 30 ans). Les
différences entre les préliminaires rompus de 203 et la paix de 201 portent là
encore sur le nombre des bateaux autorisés (30 ou 20), et l’indemnité de guerre,
qui passa de 5 000 à 10 000 talents. Il ne faut pas attacher trop d’importance à
la clause concernant les dommages des navires de commerce pillés : c’est la
réparation d’un incident, d’une « fourberie punique », pendant l’armistice. Les
clauses sont essentiellement diplomatiques et militaires : il s’agit de tenir à jamais
Carthage confinée en Afrique, d’éviter à tout prix la mauvaise surprise de 218.
La tradition veut que dès cette date certains Romains aient voulu et demandé la
destruction de Carthage en tant qu’Etat indépendant, et que Scipion lui-même
ait refusé (Appien, 57-65, discours alternés d’un ami de Scipion (Laelius ?) et
de P. Cornélius Lentulus, l’un pour la paix, l’autre pour la destruction de
Carthage : certains détails rappellent en réalité les débats de l’époque grac-
chienne). Il semble que si, à cette époque, certains avaient à Rome déjà envisagé
cette solution, le traité aurait été plus dur. Ce n’est que bien plus tard que l’on
prête à Caton le fameux et durable débat avec Scipion Nasica et, précisément,
L. Lentulus : delenda est Carthago (Cic., Tusc., III, 51), et cela doit se situer autour
de son ambassade de 153 (Appien, Pun., 69).

On verra ci-dessous (chap. III) les divers conflits entre Car¬


thage et Massinissa pendant les cinquante ans qui suivirent la
deuxième guerre punique. L’analyse détaillée et récente de
P. G. Walsh ([1585]) conduit à réviser un certain nombre de
lieux communs admis depuis la Rômische Geschichte de Mommsen :
d’abord, si prospère qu’il fût entre les mains de son nouveau
roi, le royaume numide était en vérité trop peu puissant pour avoir,
dès les débuts du 11e siècle, excité les craintes de Rome. Ensuite,
jusque vers 167, les arbitrages que Rome fut appelée à rendre à
la suite des attaques de Massinissa (en 195, 182, 174) furent toujours
conciliants envers Carthage; ces attaques d’ailleurs eurent tou¬
jours lieu au moment où Rome pouvait être inquiétée sur un autre
front. Après 167, en revanche, et sans doute pour récompenser
Massinissa de sa loyauté et de son aide pendant la troisième
guerre de Macédoine, Rome l’autorisa à s’emparer des Emporia
de la Grande Syrte, et le tournant définitif est pris en 153,
lorsque Caton fut chargé d’une ambassade au pire moment des
guerres d’Espagne : Caton, depuis toujours adversaire de Car¬
thage, fut frappé par sa prospérité et son réarmement (T.-L.,
Per., 45; App., Lib., 69). La guerre préventive ne fut pourtant
624 U Occident

xxxxx Limite de la première province d'Afrique ou fossa régie

Carte i . — L’Afrique c.

déclarée qu’en 150, après une contre-attaque carthaginoise contre


les Numides. Le Sénat, d’après Polybe, décida secrètement la
guerre, tout en engageant une action diplomatique trompeuse.
Lorsque 1 armée romaine, au printemps 14g, se réunit en Sicile, les
Carthaginois se soumirent à la Fides de Rome et remirent
300 otages. Malgré cela, les Romains, par étapes successives et en
exigeant chaque fois des gages par avance, débarquèrent à Utique,
puis révélèrent peu à peu leurs intentions : ils se firent d’abord
livrer les armes (armures, artillerie, éléphants), puis, promettant
de sauvegarder « le territoire » de la cité, exigèrent, une fois les
Carthaginois desarmés, qu’ils abandonnent leur ville et s’installent
a 1 intérieur des terres (Appien, Pun., 74-92). Dans un sursaut, le
oenat de Carthage déclara la guerre, enrôla jusqu’à des esclaves
et ht fabriquer fiévreusement des armes.
A la surprise de tous, le siège d’une ville désarmée par traîtrise
devait durer presque trois ans. Il est vrai que l’aide des Numides
romain médiocre, jusqu’à ce que Scipion Emilien, contrairement
aux règles du cursus, fût élu consul en 148 pour 147. Au prin¬
temps de 146, il fallut un atroce combat de rues de plus de huit
jours pour enlever la ville, dont beaucoup d’habitants étaient
morts durant le siège. Les autres furent réduits en esclavage ou
émigrèrent dans le monde grec. Comme on sait, le sol de Car¬
thage fut déclaré sacer, son territoire ager publicus, son site aban¬
donné — jusqu’à ce qu’en 123, par une de ses plus audacieuses
initiatives, Caius Gracchus y envoie une colonie de citoyens. La
restauration de Carthage par César, et surtout par Auguste, sera
une des grandes idées du principat, dans laquelle la propagande
nationale (YEnéide de Virgile) voudra montrer l’achèvement des
temps, la grande réconciliation entre Troyens et Grecs sous
l’égide de Rome.
ROME, 2 6
626 V Occident

Depuis Mommsen et Kahrstedt, mais en somme depuis Polybe (XXXVI,


1-13), on s’est interrogé sur les motifs qu’eurent les Romains de détruire physi¬
quement pour la première fois un de leurs ennemis. La meilleure discussion se
trouvera dans Astin [1213], 272-281. Le motif économique, invoqué par Mom¬
msen, est à exclure, puisque les Romains n’occupèrent pas le site pendant de
longues années. La crainte d’un royaume numide trop puissant après sa victoire
sur Carthage est démentie par la force réelle de Carthage entre 153 et 149 :
c’est le royaume numide qui était plutôt menacé de désintégration à la mort de
son trop vieux roi. En fait, comme l’ont soutenu Hoffmann [1581], Badian [1214]
et meme Astin, vers les années 150 la politique « modérée », reposant sur les
clientèles, adoptée par Rome un peu partout semblait bien avoir échoué, et Car¬
thage elle-même pouvait à bon droit passer à nouveau pour un danger, d’autant
que le parti antiromain y gagnait de l’influence et qu’en 151 se terminait le verse¬
ment de l’indemnité de 201. On a insisté récemment ajuste titre (Heurgon [378])
sur l’arrière-plan idéologique des propositions de consolation prêtées par Appien à
Censonnus (Pun., 86-87) pour détourner les Carthaginois de la mer vers l’agricul¬
ture et justifier la déportation projetée : il coïncide avec l’éloge du site de Rome
et sa vocation agricole et non commerciale par Scipion dans le De Republica. En
fin de compte il n’y a pas de raison de douter des craintes réelles de Rome.
Autre question souvent débattue : l’analyse et la portée exacte des fameux
discours prêtés à Scipion Nasica dans sa polémique avec Caton, s’opposant à la
destruction de Carthage. Gelzer, Kienast, Hoffmann et enfin Astin ont analysé
de près ses différents arguments : il est probable que le plus intéressant, celui
selon lequel un ennemi extérieur puissant est nécessaire pour maintenir la cohé¬
sion interne de la cité et la sauver des révolutions, n’a pu être utilisé par Nasica
lui-même, mais seulement par des politiques ou des écrivains de l’époque grac-
c.hienne. Cependant, notons une trace d’un argument de ce type, à propos de
Sparte il est vrai, dans Polybe, VI, 46, qui semble remonter à un topos de la
philosophie grecque, si bien qu’en somme on ne peut rien affirmer. De toute
manière, ces discours prouvent que, jusqu’en 149 au moins, le Sénat était divisé
et qu’il s’y trouvait un parti procarthaginois. Le peuple, qui fit l’élection illégale
de Scipion, était manifestement favorable à la solution extrême.

La destruction de Carthage n’a pas signifié la fin de la civilisation


punique en Afrique. D abord, parce que la plupart des autres cités
puniques - de Lepcis Magna à Utique — s’étaient prudemment
ralliées à Rome. Ensuite parce que sur le territoire de Carthage (jus¬
qu aux Fossae Regiae) des implantations puniques subsistaient (à
Thuggae par exemple), enfin parce que Carthage, plus orientale
qu on ne dit, avait fortement « punicisé » une grande partie des
indigènes.
Chapitre III

L’AFRIQUE ROMAINE
ET LIB Y CO-BERBÈRE
par J. DESANGES

i) L’AFRIQUE ROMAINE DE 146 A 27 AV. J.-C.

Comme l’a observé naguère Burian [1593], 27-28, la relative


modicité des sources qui, même en matière d’épigraphie, consti¬
tuent une série presque close, suscite l’impression qu’entre l’époque
de Carthage et celle de l’Empire romain, l’Afrique a traversé une
morte-saison. Nos connaissances se sont renouvelées ici à un
rythme moins vif qu’ailleurs, et les deux tomes consacrés, il y a un
demi-siècle, par Gsell [1323], VII et VIII, à l’Afrique romaine,
de 146 à 27 avant notre ère, sont assurément ceux qui appellent
le moins de retouches.

A) Etendue et organisation de la province

Rome ne s’était guère intéressée à l’Afrique qu’à l’occasion de


sa lutte contre Carthage. Après la destruction de sa rivale
(avril 146), elle eût pu se contenter d’en attribuer les dépouilles
à la dynastie massyle, trop fragile pour lui porter ombrage. Elle
préféra contrôler le détroit de Sicile et s’établir directement sur
une tête de pont africaine. Quoi qu’en ait dit Mommsen [260],
XI, 254-255, il ne lui suffisait pas de « garder le cadavre »; elle
se constituait l’héritière de Carthage en Afrique. Une présence
limitée sur le continent, à proximité des bases siciliennes, renfor¬
çait son influence sur les royaumes indigènes, sans absorber ses
forces. Le terroir carthaginois passait pour fort fertile (Dio-
628 L'Occident

dore, XX, 8, 3-5) et le traité d’agriculture de Magon fut traduit


au plus vite en latin (Heurgon [378], 443-447). Le royaume
massyle de Numidie, client de Rome depuis plus d’un demi-siècle
et gouverné alors par le collège encore novice des trois fils de
Massinissa, ne pouvait aucunement s’opposer à cette implantation.

Le territoire annexé devint une province appelée Africa, un nom dont l’étymo¬
logie reste obscure, malgré les mérites d’une récente étude de Fruyt [1617].
Il était constitué de ce qu’il subsistait du terroir africain de Carthage au
début de la troisième guerre punique, à la suite d’une série d’annexions effec¬
tuées au détriment des Carthaginois par Massinissa, grâce à l’arbitrage de commis¬
sions du Sénat romain. C’était donc un ensemble d’une superficie assez médiocre
(de 20 000 à 25 000 km2, soit le cinquième de la Tunisie actuelle), articulé
essentiellement sur la basse vallée de la Medjerda, sur celle de l’oued Miliane et
sur le Sahel de Sousse. La province fut séparée du royaume numide par un fossé
ou fossa regia. Quelques bornes de délimitation, d’époque très postérieure (prin-
cipat de Vespasien), ont été retrouvées, si bien qu’on a une idée approximative
des contours de VAfrica. La frontière partait, au nord, de l’embouchure de la
Tusca (oued el-Kebir de Khoumirie), laissait en Numidie Thabraca (Tabarca),
Vaga (Beja), Thubursicu Bure (Teboursouk) et Thugga (Dougga) et courait vers
l’est jusqu’au djebel Florin, au sud-ouest de Zaghouan, à moins de 50 km de
la mer, pour s’infléchir de là vers le sud ou le sud-est jusqu’à Thaenae (Hr Thina),
à 12 km au sud-est de Sfax, sans qu’on sache si elle englobait ou non les steppes
où sera édifié plus tard Kairouan. Saumagne [1638] a défendu l’hypothèse de
la plus grande extension, mais un passage du Bellum Africum (XLIII) nous paraît
plaider en faveur de l’hypothèse inverse. Le creusement même de la fossa, limite
administrative, mais peut-être aussi ligne de défense (Romanelli [1634], 44),
indiquait que Rome entendait bien conserver à sa conquête un caractère limité.
Il ne semble pas que celle-ci ait suscité dans les premières années un courant
d’immigration en provenance de l’Italie.

,Le gouvernement de Y Africa fut confié par le Sénat à un des six


préteurs en exercice ou à un ancien préteur (propraetor) en fonction
pendant un an. Il résidait à U tique, la plus prestigieuse cité punique
après Carthage sur le sol de laquelle il était interdit de bâtir.
A partir de Sylla, le gouverneur de rang prétorien reçut le titre
de proconsul. Il disposait de troupes stationnées à Utique, dont
les effectifs, fixés par le Sénat, semblent avoir été variables. A en
croire Augustin {De ciu. Dei, III, 31) et Orose {Adu. pag., V, 11, 4),
il y aurait eu 30000 soldats en 125 avant notre ère. Mais cette
évaluation est tout à fait exagérée.
L’Afrique romaine et libyco-berbère 629

Les sept villes libres qui avaient abandonné Carthage au début de la dernière
guerre punique, à commencer par Utique et Hadrumète, restèrent en principe
autonomes et souveraines et reçurent même parfois de nouveaux territoires
(Appien, Lib., 135)- Le reste de la province fut dévolu au peuple romain (ager
publiais populi Romani). Mais, apres une assignation fictive, les anciens proprié¬
taires indigènes se virent en général reconnu un droit d’usage, moyennant le
versement d’un tribut foncier annuel (stipendium), auquel s’ajoutait une capita¬
tion. Quelques terres de 1 ’ ager publicus, sur lesquelles les droits de Carthage
avaient dû être contestés, furent concédées aux fils de Massinissa, et d’autres à
des transfuges carthaginois. Mais une bonne part de Vager publicus restait à la
disposition de l’Etat, notamment les terres qui avaient appartenu en propre à
Carthage et aux cités qui lui étaient restées fidèles. Rome en tira profit en les
vendant à de riches Romains (ager priuatus uectigalisque) ou en les louant soit à
des Romains, soit à des Africains. Il est probable que Y ager publicus fut cadastré
dès les lendemains de la chute de Carthage. En tout cas, la loi agraire de 111
présuppose ce cadastre. On a retrouvé des traces de la première cadastration
dont l’unité de base fut la centurie carrée de 50 ha environ (Caillemer et
Chevallier [1597], 275; Chevallier [1604], 61-78). Les axes de référence (cardo
et decumanus) étaient inclinés de 290 par rapport aux points cardinaux.

La province d’Afrique n’héritait qu’une partie de l’activité


économique de l’Afrique punique. Certes, le blé continua d’être
cultivé, surtout dans le Byzacium autour d’Hadrumète, car la
région céréalière de la Dakhla, près de Bulla Regia, était incluse
dans le royaume numide. En revanche, les olivettes et les
vignobles que les Carthaginois avaient développés, à la base du
cap Bon notamment, avaient beaucoup souffert des guerres
puniques. Les Romains ne se soucièrent pas de les reconstituer,
écartant sans doute les risques d’une concurrence au détriment
de l’agriculture italienne. Le blé restait l’essentiel des prestations
en nature fournies à Rome. Dans un premier temps, l’occupation
romaine réduisit assurément les contacts commerciaux qui ne
pouvaient que pâtir de la ruine de Carthage. La cité punique
avait des rapports appréciables avec le monde hellénistique, et
surtout l’Egypte lagide. L’Afrique romaine, à cette époque, paraît
n’avoir maintenu de relations de quelque importance qu’avec la
Sicile, l’Italie et l’Espagne.
630 U Occident

B) La tentative de colonisation de C. Gracchus et ses suites

La lutte des partis et l’agitation sociale allaient bientôt accroître l’intérêt de


Rome pour la province d’Afrique. Il se trouvait qu’une plus grande superficie
de terres était vacante à la suite d’une invasion acridienne et surtout d’une épi¬
démie très meurtrière qui avait tout particulièrement dévasté la région de
Carthage en 125 (Orose, A du. pag., V, 11, 2-5). Caius Gracchus et ses amis
décidèrent de créer une colonie romaine à Carthage en dehors du périmètre
maudit (lex Rubria, 123 avant notre ère ?). Les triumvirs chargés des assignations,
parmi lesquels Fulvius Flaccus et Caius Gracchus, iraient par roulement
veiller à l’installation des colons. Fulvius Flaccus, le premier, conduisit 6 000 chefs
de famille romains, ou même italiens (Appien, BC, I, 24), qui reçurent des lots
de 50 ha au maximum. La nouvelle colonie, fondée en 122 avant notre ère, fut
appelée colonia Iunonia Carthago, Junon Caelestis représentant en réalité Tanit,
la principale déesse carthaginoise. On a retrouvé, semble-t-il, des traces de la
centuriation gracchane au nord-ouest des vestiges du cirque romain (Saumagne
[*639]) 648-664). Il est probable que les triumvirs avaient évité d’englober les
quartiers centraux de la Carthage punique, sans toutefois exclure intégralement
la superficie sur laquelle pesait l’interdit (Romanelli [1634], 63-64).
C. Gracchus, parti à son tour, ne resta que deux mois à Carthage. Revenu à
Rome, il dut bientôt faire face à une campagne de faux bruits : des prodiges
auraient révélé la colère des dieux à la suite du relèvement de Carthage. On
sait que C. Gracchus et Fulvius Flaccus, acculés à l’insurrection, périrent
quelques mois plus tard. En 121, une loi abolissait la colonie, dont l’existence
officielle n’avait guère duré qu’un an. L’interdit pesant sur le sol de Carthage
était renouvelé avec force.
Toutefois les colons ne furent pas chassés du sol africain. Quelques années
plus tard, en 111 avant notre ère, la lex Thoria, dont il subsiste d’importants
fragments (CIL, I2, 585; Johannsen [409]) 69-79; 63; 141-179 (cf. vol. I, p. 135-
*36)), réglait dans sa seconde partie le problème de Vager publiais en Afrique, en
dressant« le constat et le bilan» (Benabou [1344], 34) de l’expérience manquée.
D’innombrables contestations avaient surgi. Un duumvir fut chargé d’appliquer
les solutions prévues par la loi. Celle-ci permettait notamment aux colons de
vendre leur lot. Beaucoup d’entre eux, qui n’avaient qu’une médiocre compé¬
tence agricole, rentrèrent en Italie. De riches Romains rachetèrent les lots à bas
prix et se constituèrent de grands domaines qu’ils firent fructifier. L’économie
latifondiaire s’étendit ainsi dès cette époque sur une partie du territoire proche
de Carthage. Provisoirement, la lex Thoria apaisait les querelles et favorisait
l’union sacrée des Romains et des provinciaux contre Jugurtha (Romanelli
[•634]) 7°)- Dans cet esprit, nombre de mesures prises au lendemain de 146
furent confirmées, entre autres les droits des villes libres.
L’Afrique romaine et libyco-berbère 631

C) La guerre de Jugurtha

En Numidie, Micipsa avait survécu à ses deux frères et la


monarchie se trouvait tout naturellement rétablie après un inter¬
mède de direction collégiale. Fidèle allié de Rome, il avait pour¬
suivi la politique d’hellénisation du royaume inaugurée par Massi-
nissa, embelli Cirta ainsi que d’autres villes. Des négociants italiens
s’y étaient installés avec son accord (Camps [15], 236-240). Il
mourut en 118, laissant son royaume en indivis à ses deux fils
Adherbal et Hiempsal et à son neveu Jugurtha, bâtard de Masta-
nabal, qu’il avait adopté à la demande de Scipion Emilien séduit
par la bravoure du jeune homme au siège de Numance. Les
princes se querellèrent bientôt; Jugurtha fit tuer Hiempsal et
chassa Adherbal (116 av. J.-C.). Une commission sénatoriale,
circonvenue par Jugurtha, lui octroya la Numidie occidentale
qui confinait au royaume des Maures sur la Moulouya. Adherbal
se voyait attribuer Cirta et la Numidie orientale. Un peu plus
tard, en 113, Jugurtha enfermait Adherbal dans sa capitale.
Après un assez long siège et malgré une mise en garde des
Romains, il s’empara de la ville et tua non seulement son rival,
mais un grand nombre de négociants italiens qui y étaient établis
(début de 112). Rome était contrainte à la guerre. Ses intérêts
commerciaux étaient désormais trop importants en Numidie pour
qu’elle pût se désintéresser d’une querelle dynastique somme toute
assez banale, due en grande partie à la complexité et aux incer¬
titudes du mode de succession chez les rois massyles, mais aussi
au crédit de Scipion Emilien à la cour de Cirta.

Seletsky [1641] a récemment soutenu que le vainqueur de Carthage était


conscient des risques de guerre que comportait pour Rome l’avènement de
Jugurtha; mais il les aurait volontiers assumés, parce qu’il prévoyait que la
guerre contraindrait les optimates à admettre la réforme militaire qu’il appelait
de ses vœux. Mais n’est-ce pas là doter d’une véritable prescience le fils de
Paul Emile ?
La guerre commença donc au début de 111, malgré un désastre récent subi
par Rome face aux Cimbres dans le Norique. Un des consuls, un optimate,
L. Calpurnius Bestia, conduisit plusieurs légions en Afrique. Il obtint quelques
succès, et Lepcis Magna se sépara alors définitivement du royaume de Numidie,
obtenant le titre d’« amie et alliée du peuple romain ». Mais à l’automne de la
même année, Bestia accorda à Jugurtha la paix aux moindres frais.
632 V Occident

Au Sénat, les adversaires de la noblesse s’indignèrent de voir les hostilités


ainsi interrompues. Saumagne [1636], 248-255, a bien mis en relief les diver¬
gences doctrinales qui opposaient optimates et populares dans leur façon de conce¬
voir les rapports de Rome et du royaume de Numidie. Les premiers, qui redou¬
taient une longue guerre outre-mer, ne mettaient pas en cause l’existence du
royaume et se contentaient de veiller à le maintenir dans la clientèle de la Répu¬
blique; les seconds, au contraire, considéraient la Numidie comme une possession
virtuelle du peuple romain depuis que Scipion l’Africain avait réglé les affaires
d’Afrique après Zama. En décidant un demi-siècle plus tard de la succession de
Massinissa, Scipion Emilien avait accru le crédit de cette thèse. En somme les
optimates étaient les seuls à admettre le droit de la Numidie à rester numide. Ils
estimaient notamment que Rome n’avait pas à imposer son arbitrage dans les
affaires intérieures du royaume, à outrepasser la défense de ses intérêts et de ceux
de ses citoyens. Jugurtha s’étant soumis publiquement devant Rome, il convenait
d’oublier une querelle de succession que les rapports de force à l’intérieur du
royaume avaient réglée.

A Rome, sous la pression des populaires, le Sénat retarda la


ratification de la paix. Jugurtha fut sommé de venir sous la
garantie de la foi publique. On n’attendait pas tant de lui une
justification qu’un témoignage établissant qu’il avait corrompu
des optimates. Jugurtha obtempéra, mais, devant l’Assemblée popu¬
laire, 1 intervention d un tribun acquis aux optimates lui interdit
toute révélation. Le roi resta cependant dans la ville. L’année 110
commençait et celui des nouveaux consuls qui était chargé du
conflit avec la Numidie, Sp. Postumius Albinus, se sentait frustré de
victoires. Il multiplia les avances à un cousin de Jugurtha, Mas-
siva, le poussant à revendiquer le royaume numide. C’était bien
là ce que le roi ne pouvait tolérer. Il fit assassiner Massiva à Rome
et dut quitter précipitamment l’Italie. L’outrage à la souverai¬
neté romaine était certes intolérable, mais une partie du Sénat, et
sui tout les populaires, avait montré une volonté d’ingérence dans
les problèmes dynastiques des Numides qui contrastait avec la
réserve de Bestia, qu’il ne faut pas nécessairement expliquer par
la vénalité.

On aura remarqué l’acharnement d’un optimate, Sp. Postumius Albinus, à


1 égaid de Jugurtha. Salluste (Iug., XXXV, 3) l’explique par des motifs d’ambi¬
tion personnelle. Cette motivation psychologique n’a pas paru suffisante à
Saumagne [61], 211-220; 258-260. Il a supposé qu’il y avait eu, au cours du
long séjour de Jugurtha à Rome, une sorte de renversement des alliances. Le
L'Afrique romaine et libyco-berbère
633

roi, auquel Bestia avait « extorque de l’argent» (p. 217)5 aurait noué avec les
populaires, dont il s’était aperçu qu’ils étaient maîtres du jeu, une « conjuration
jugurthine » fondée sur un intérêt devenu commun et dirigée contre les nobles.
Ces derniers, aux abois, auraient alors réussi à faire tomber Jugurtha dans une
embûche (la provocation de Massiva). En fait, cette trop subtile exégète repose
sur deux passages de Cicéron interprétés à contresens (Brutus, XXXIII, 127, et
De nat. deorum, III, 30, 74). En réalité la quaestio coniurationis lugurthinae est la
commission d enquête sur la conjuration de Jugurtha, c’est-à-dire sur la collusion
avec le roi pour raison de vénalité que les populaires reprochaient à Bestia et à
ses amis.

La guerre reprenait donc au printemps de 110, et pour long¬


temps. Nous n’entrerons pas dans le détail des opérations militaires.
Notre source principale est le Bellum Iugurthinum de Salluste,
cf. Koestermann [1627], que l’on doit surtout compléter par les
quelques passages qui subsistent des Numidica d’Appien. Le dérou¬
lement des campagnes se caractérise par une extrême mobilité,
en raison de l’importance du rôle joué par la cavalerie, surtout
dans le camp numide. En comprendre l’enchaînement est d’autant
plus difficile que Salluste nous en a donné un récit très sélectif, avec
des ellipses et des discontinuités dans l’espace et dans le temps
(Syme [99], 142-150). Ajoutons qu’il est extraordinairement avare
de précisions géographiques (Tiffou [1645], ï5I-i54)-Si notre igno¬
rance ne concernait que quelques champs de bataille, nous en
prendrions notre parti. Mais les divergences dans l’interprétation
des indications de Salluste entraînent des désaccords sur la struc¬
ture et le centre de gravité du royaume numide, ainsi que sur la
profondeur de la pénétration romaine.

Pour Berthier, Juillet et Gharlier [1381], la Numidie de Jugurtha ne déborde


guère vers l’ouest les limites de l’actuelle Tunisie. Le fleuve Muluccha n’est pas
la Moulouya du Maroc oriental, mais l’oued Mellègue, principal affluent de la
Medjerda. Quant à la capitale de Jugurtha, Cirta, ce serait la ville que les
Romains appelèrent Cirta nom Sicca (Le Kef), cf. Berthier [3], et non la future
Gonstantine. Ainsi s’expliquerait, par exemple, que Salluste passe presque sans
transition de la prise de Capsa (Gafsa), dans le Sud tunisien, au siège d’une forte¬
resse sise non loin de la Muluccha (Iug., XCI-XCII). Cette solution des diffi¬
cultés par résection a parfois ébranlé les érudits (Van Ooteghem [1223], 95-100).
Mais nous croyons être parvenu à démontrer (Desanges [1605]), à partir d’une
étude des leçons du Bellum Iugurthinum, CIV, 1, que les quartiers d’hiver de
l’armée romaine, qui étaient proches de Cirta, ont été établis par Marius à
634 L'Occident

Tucca, près du fleuve Ampsaga (oued el-Kebir du Constantinois), ce qui revient


à trancher en faveur de l’interprétation traditionnelle. En atteignant la Muluccha,
les soldats de Rome sont donc bien parvenus dans l’actuel Maroc oriental.
Sp. Postumius Albinus pouvait mener enfin « sa» guerre. Il s’avéra très infé¬
rieur à ses ambitions, et son frère Aulus plus incapable encore. Après l’humilia¬
tion du joug subie par les armes romaines près de Calama (Guelma) (janvier 109?),
la responsabilité de la guerre numidique échut au consul Metellus, du parti des
nobles comme ses prédécesseurs, mais énergique et compétent. Il remporta
plusieurs succès importants en 109 et 108, avec le concours d’un « homme
nouveau», C. Marius. Celui-ci, élu consul pour 107, se fit attribuer la conduite
des opérations en Numidie. Jugurtha cependant s’était assuré le concours de son
beau-père, Bocchus, roi des Maures. Marius, qui disposait d’une armée levée sans
condition de cens, mena avec talent des campagnes difficiles, mais ce sont fina¬
lement des tractations secrètes entre le questeur propréteur Sylla, adjoint de
Marius, et le roi Bocchus, qui aboutirent à la capture de Jugurtha, trahi par son
parent (été 105).

Ainsi se terminait une guerre dure et longue, menée pour


sauvegarder le prestige du nom romain, sans ambitions territo¬
riales, semble-t-il. Jugurtha disparaissait. Bocchus obtenait le titre
d’« ami et allié du peuple romain », entrant ainsi dans la clientèle
de Rome, ou plus exactement dans celle de Sylla. La ville devait
alors se défendre contre les invasions des Cimbres et des Teutons
(la défaite d’Orange date d’octobre 105); elle ne souhaitait pas
être beaucoup plus profondément impliquée en Afrique. Tout au
plus y eut-il sans doute désormais une garnison romaine dans la
ville libre et amie de Lepcis Magna, que de vastes solitudes iso¬
laient d’ailleurs du royaume numide. Rome pouvait ainsi contrôler
le commerce actif de la Tripolitaine. Mais la limite de la province
continua d’être la fossa regia; il n’y a pas lieu de supposer, comme
1 ont fait Frank [1616], 59 et 64, et Broughton [1591], 31-32,
l’annexion par les Romains de la région du moyen Bagradas
(Medjerda), cf. Romanelli [1634], 82-83.

D) La colonisation marienne

La guerre eut pour résultat principal une implantation


romaine beaucoup plus forte en Numidie. Il convenait en effet
de donner des terres aux anciens soldats de Marius. Nous savons
par le Liber de uiris illustribus (73, 1) que ce fut l’objet d’une lex
U Afrique romaine et libyco-berb'ere
635

Apuleia en 103 avant notre ère. Elle attribuait 25 ha de terres


in Africa à chaque vétéran. En fait, il apparaît, grâce à Eépi-
graphie, que les colons se virent assigner uiritim (c’est-à-dire per¬
sonnellement, en dehors de tout cadre municipal ces terres en
Xumidie. Peut-être doit-on croire avec Saumagne [1637], 89-90,
que le fondement juridique d’une telle initiative était le point de
vue déjà ancien des populaires (cf. supra, p. 632 , mais alors renforcé
et actualisé par la défaite de Jugurtha, que le peuple romain était
le propriétaire éminent du royaume numide et qu’il pouvait en
conséquence assortir de certaines restrictions le don qu’il en fit à
Gauda, un demi-frère de Jugurtha. Si l’on suit Salluste (Iug.,
CXI, 1) et Appien (Num., 4), Sylla lui-même, avant la fin de la
guerre, avait fait comprendre à Bocchus qu’il appartenait à Rome
seule de disposer de l’extrémité occidentale de la Xumidie que le
Maure avait cru pouvoir accepter en don de Jugurtha. Gsell [1323],
VII, 238, a même supposé que l’avance spectaculaire de l’armée
romaine jusqu’à la Moulouya visait avant tout à manifester « une
sorte de droit supérieur de propriété ». On sait qu’Octave Auguste,
par la suite, n'hésita pas à créer en Maurétanie des colonies terri¬
torialement soustraites à la souveraineté de Juba II.
L’épigraphie prouve que les colons mariens furent établis surtout Ham le
bassin moyen du Bagradas et dans la plaine de Souk el-Khemis. notamment à
Thibari (Thibar), Uchi Alaius (Hr Douemis; et Thuburnica Sidi Ali Belkacem .
cf. Quoniam [485], 332-336, bien à l’ouest de la ville « royale » de Butta Regia
(Hammam Daradji), ce qui suffit à condamner l'hypothèse de l’annexion terri¬
toriale proposée par Frank et par Broughton. Cette région avait une grande impor¬
tance, à la fois économique (elle coïncide, pour une part, avec les « Grandes
Plaines » jadis exploitées par Carthage) et stratégique (Teutsch [1644], n .
Dans le même temps, Marius récompensait les Gétules, cf. infra, p. 646, qu’il
s’était ralliés en haine de la monarchie numide, en les installant très probable¬
ment entre les oueds Siliana et Tessa (Gascou [1618], 555-568 . Il est possible
enfin que le père de Jules César ait conduit des colons dans les îles Kerkenna
(Inscr. Ital., XIII, 3, 7), alors rattachées, semble-t-il, au royaume numid-
(Plutarque, Mar., XL, 14); il est vrai que ces îles sont peu propres à la colonie
sation (Teutsch [1644], 13) et que la restitution de l’inscription fragmentaire
qui fonde l’hypothèse n’est pas sûre (Barnes [1587], 332). En tout cas, là encore,
il ne pourrait s’agir que d’une colonisation vi ri ta ne.

Au-delà de cette colonisation et sur un plan plus général,


comme l’a observé Romanelli [1634], 87, l’afflux des hommes
636 U Occident

et des capitaux pendant les longues années de guerre a accru le


poids de l’Afrique dans les préoccupations romaines : c’est proba¬
blement vers cette époque que Poseidonios a donné une description
attentive de la partie littorale du continent. Les échanges entre
l’Italie et l’Afrique se sont intensifiés. Plus nombreux sont désor¬
mais les négociants et commerçants qui s’installent dans la pro¬
vince et dans les royaumes libyco-berbères.

E) De Marins à César

La période qui va de la fin de la guerre de Jugurtha au Bellum


Africum mené par César (105-47 avant notre ère) est assez mal
connue. La vie politique de la province se manifeste surtout
comme la résonance de tel ou tel épisode des luttes civiles centrées
sur Rome.

Sylla maître de 1 ’ Urbs (88 av. J.-C.), Marius tenta, avec l’aide de Marius
le Jeune, d’organiser ses partisans, fort nombreux en Afrique. Le gouverneur
romain lui refusa son appui. Quant au successeur de Gauda, Hiempsal II, après
lui avoir fait bon visage, il lança sa cavalerie à ses trousses sur le rivage de la
Petite Syrte (Plut., Alar., XL, 14). Désormais, la dynastie massyle attachait sa
destinée au parti des optimales. Marius toutefois put lever pour son compte des
cavaliers qui contribuèrent à sa reconquête de Rome (87).
Après la mort de Marius (janvier 86), les luttes entre Syllaniens et Maria-
nistes eurent des prolongements sur le sol d’Afrique. En 84, les premiers, et
notamment le fils de Metellus le Numidique, essayèrent de prendre en main la
province. Mais le gouverneur désigné par les Marianistes, C. Fabius Hadrianus,
réussit à imposer son autorité. Il pratiquait une politique démagogique et n’hési¬
tait pas à exciter les humbles et les esclaves, partisans des populaires, contre les
riches négociants fixés à Utique. En 82, assailli dans sa résidence officielle, il fut
brûlé vif et ses meurtriers ne furent pas inquiétés. Pourtant, à l’automne de cette
même année, le consul marianiste Papirius Carbo, vaincu par Sylla, après avoir
abandonné son quartier général de Clusium (Chiusi, en Etrurie), passa en Afrique
avec « ses amis » (Appien, BC, I, 92). H devait bientôt être capturé lui-même
à Cossura (Pantelleria) ; mais il est possible qu’il ait établi auparavant quelques-
uns de ses compagnons étrusques dans la vallée de l’oued Miliane, si l’on admet
une séduisante hypothèse d’Heurgon [1623], qui a récemment publié les bornes
d’un grand domaine inscrites en langue étrusque. On relève dans l’inscription la
présence de l’anthroponyme Unata qui est un gentilice de Clusium.
Les troubles civils finirent par avoir de sérieuses répercussions dans le
royaume de Numidie et même au-delà. En 81 avant notre ère (Scardigli [1640],
L'Afrique romaine et libyco-berbère 637

229-270), les partisans de Marius, grossis d’un flot de proscrits, se groupèrent


dans la province autour de Cn. Domitius Ahenobarbus. Celui-ci suscita à
Hiempsal II un rival, Hiarbas, qui le détrôna; aussitôt le vieux Bocchus Ier de
Maurétanie, fidèle à Sylla, envoya son fils attaquer l’usurpateur à revers. Plus
à l’ouest encore, le gouverneur marianiste d’Espagne citérieure, Sertorius, vint
soutenir des Maures révoltés contre le roitelet de Tingis (Tanger), sans doute un
vassal ou un parent de Bocchus qu’appuyait un contingent romain envoyé par
Sylla. Ainsi toute l’Afrique du Nord, des Syrtes à l’Atlantique, se partageait
entre deux clientèles, celle des Marianistes et celle des Syllaniens.
Sylla chargea Pompée de réduire le parti adverse en Afrique (automne de 81)
avec six légions. Lejeune général, qui venait de remporter d’éclatants succès en
Sicile, renouvela la consécration de Carthage aux dieux infernaux, manifestant
ainsi une nouvelle fois l’opposition de la nobilitas aux projets populaires de colo¬
nisation (cf. Tertullien, De pallia, 1). Domitius Ahenobarbus fut vaincu et tué
près d’Utique. Hiarbas, coincé entre les troupes de Pompée et celles de Bogud,
le fils de Bocchus I, fut pris et exécuté à Bulla Regia au terme d’une courte cam¬
pagne. Hiempsal fut rétabli sur son trône et la Rome de Sylla reconnut sa souve¬
raineté sur les Gétules que Marius avait dotés de terres et, apparemment, d’une
large autonomie. Les chefs gétules en conçurent une vive amertume à l’égard des
rois numides et des optimales (cf. Bellum Afr., LVI, 3). Il semble que Pompée ait
restauré également l’autorité du roi des Massyles occidentaux, Mastenissa. Les
rois de Numidie resteront dans sa clientèle même après sa mort; mais les Gétules
se rallieront à César, héritier politique de Marius.
Quelques années plus tard, en 75 avant notre ère, les comices s’opposèrent
à la ratification du droit de possession de Hiempsal sur certaines terres de 1 ’ager
publicus dans la province d’Afrique. Nul doute que le poids de la rancune ne se
soit ajouté aux arguments de doctrine des populaires. Mais le droit du roi fut
cependant reconnu en fait, puisque le projet de loi agraire du tribun P. Servilius
Rullus (64-63 avant notre ère), inspiré apparemment par César, excluait les
terres de Hiempsal du lotissement de Yager publicus. La négociation, dans Y Urbs
même, avait été menée à prix d’or (Cic., De lege agr., II, 22, 58-59) par Juba,
fils de Hiempsal, qui avait su acheter des appuis dans les deux grandes factions
romaines. A quelque temps de là, toutefois, les rapports se tendirent à nouveau
entre la famille royale de Numidie et les populaires. Comme le même Juba était
venu se plaindre à Rome d’un prince numide qui refusait le tribut au roi, son
père, il obtint l’arbitrage du Sénat en sa faveur; mais César prit sous sa protection
le rebelle et exerça des voies de fait sur Juba (Suétone, Caes., LXXI).

De même que la Sicile et la Sardaigne, l’Afrique constituait


alors une source majeure de l’approvisionnement de Rome en
céréales. Le prestige de Pompée lui permit, en 57 av. J.-C.,
d’accroître les prestations de la province, pour conjurer la menace
638 L’ Occident

de disette dans la ville (Plutarque, Pomp., L, 1). Malheureusement,


on ne possède pas de données chiffrées qui étayent une estimation
de la quantité de blé produite par Y Africa à cette époque. On sait
seulement que la Nouvelle Province (principauté de Cirta exclue,
comme il va de soi), après son annexion par César (cf. infra, p. 641),
procurait à Rome un revenu fiscal de 200 000 médimnes attiques,
soit quelque 105 000 hl (Plut., Caes., LV, 1 ; Gsell [37], V, 191-192).
On peut estimer que Y Africa Vêtus rapportait sensiblement plus.
De la Tripolitaine, Rome obtint désormais d’importantes fourni¬
tures en huile (Plut., ibid.).
Les villes notables de la province, encore peu nombreuses,
étaient à la fois des centres commerciaux prospères et des pôles
de romanisation. Avant tout, Utique, siège du gouverneur romain,
mais ville libre (Gic., Scaur., XIX, 44-49), avec ses riches mar¬
chands et ses citoyens romains : des 80 av. J.-C., Pompée y a, en
effet, diffuse le droit de cite (Oie., Balb., XXII, 51)- A son tour,
César en 59 lui octroya « certains avantages » (Cés., BC, II, 36)!
Les citoyens romains d’Utique formaient un conuentus et avaient
une gerousia (Dion, XLIII, 10, 2) de 300 membres. Des commu¬
nautés de citoyens romains existaient dans les ports actifs d’LIadru-
mète (Sousse) et de Thapsus (Ras Dimass) en 46 av. J.-C. L’acti¬
vité croissante des negotiatores, dont le champ d’action débordait
largement sur le royaume de Numidie, apparaît bien dans la
correspondance de Cicéron avec les gouverneurs de l’Afrique
des années 56 et 44'42 (Romanelli [1634], 108). Certains d’entre
eux s’étaient constitué sur place de grandes propriétés.

Dans les campagnes et dans les petites villes en revanche, l’épigraphie et


l’archéologie prouvent que la culture restait punique, affectée certes par
l’influence hellénistique, qui s’était exercée fortement sur la Carthage des me
et ne siècles avant notre ère. Quant aux manifestations de la religion et aux rites
funéraires, en dehors de quelques grands centres comme Hadrumète, ils demeu¬
raient à peu près inchangés (Gsell [1323], VII, 107-115; Leglay [1631], 70-77).
La colonisation, quantitativement modeste, n’a pas encore pénétré en profondeur
VAfrica. Un demi-siècle après Gsell, il ne semble pas qu’il y ait lieu de beaucoup
atténuer le jugement tranché qu’il a porté (VII, 115) ; « Avant César, la civili¬
sation latine fut comme une étrangère dans cette province de Rome. »
L’Afrique romaine et libyco-berbere 639

F) L’Afrique césarienne

La province d’Afrique ne manquait pas de raisons d’embrasser


le parti de Pompée quand son conflit avec César devint ouvert. Le
Sénat et les chevaliers y avaient d’importants intérêts. La popu¬
larité de Pompée y était enracinée depuis près de trente-cinq ans.
Les deux royaumes de Numidie se trouvaient dans les mêmes
dispositions. L’opposition ancienne des rois numides à l’activisme
des populaires outre-mer était renforcée par la rancune personnelle
de Juba, devenu roi, contre César. Cette rancune avait eu de quoi
se nourrir : en 50 avant notre ère, un tribun du parti de César,
Curion, avait proposé, sans succès d’ailleurs, de déclarer le
royaume de Numidie propriété du peuple romain (rogatio Scri-
bonia, Cés., BC, II, 26).

Les partisans de Pompée, appuyés par Juba, mirent donc l’Afrique en état
de défense. S’étant rendu maître de l’Italie, puis de la Sicile toute proche, César
chargea Curion, devenu propréteur, de les affronter. Celui-ci débarqua avec
deux légions à la fin de juin 49 (calendrier rectifié). D’abord vainqueur de Varus,
légat propréteur de Pompée, il fut bientôt défait et tué par Juba accouru avec
ses troupes (Cés., BC, II, 23-44). Le parti césarien se résolut à chercher un appui
auprès des souverains des deux Maurétanies, plus jaloux du Numide que fidèles
à la mémoire de Sylla. Mais les plans établis pour une intervention en Afrique
à partir de l’Espagne, tombée entre les mains des Césariens, échouèrent en raison
de graves dissensions dans l’armée et l’administration de l’Espagne ultérieure.
Après la défaite de Pompée à Pharsale et son assassinat devant Péluse (été 48),
les Pompéiens d’Afrique furent renforcés par l’arrivée de nombreux sénateurs
(Gic., Att., XI, 7, 3). D’autres partisans de Pompée, comme Caton ou encore
d’anciens légats de César, tels L. Afranius et T. Labienus, s’étaient réfugiés en
Cyrénaïque. Ils entreprirent au prix de grandes souffrances, à l’automne de 48,
la difficile traversée du désert des Syrtes qu’évoquera Lucain au chant IX
(371-949) de la Pharsale. 10 000 hommes parcoururent en deux mois la distance
qui sépare Bérénice (Benghazi) de Lepcis Magna, en Tripolitaine. Beaucoup
périrent, victimes des serpents et des scorpions. Puis au début du printemps de 47,
la colonne gagna Utique, où une escadre venue de l’Adriatique renforçait
encore l’armée pompéienne. Celle-ci pouvait paraître imposante, avec ses dix
légions et ses 15 000 cavaliers auxiliaires appuyés par l’armée bien entraînée de
Juba Ier, très supérieure aux contingents de fortune jadis rassemblés par Massi-
nissa. Des stocks d’armes et de céréales tout à fait considérables avaient été
constitués. Et pourtant, les chefs pompéiens, divisés entre eux et souvent en
désaccord avec Juba, ne surent pas profiter de cette concentration de forces et
640 V Occident

restèrent inactifs. Même les royaumes de Maurétanie, proches et hostiles,


n’eurent à souffrir que de quelques coups de main sur leurs côtes.
César put donc, à son heure, prendre l’initiative à partir de la Sicile.
Au début de novembre 47 (calendrier Le Verrier), il débarqua avec six
légions et 2 000 cavaliers, gêné d ailleurs par la tempête. Il ne parvint pas à
s’emparer d’Hadrumète (Sousse) et alla s’enfermer dans la région de Rusfiina
(près de Monastir) en attendant des renforts. Les faibles effectifs de sa cavalerie le
mettaient en état d’infériorité devant un excellent général comme Labienus.
Cependant Bocchus II et l’aventurier campanien Sittius, trafiquant et condot¬
tiere connaissant bien 1 Afrique et qui s’y était constitué une vaillante petite
armée privée, fixaient les forces numides en les attaquant à revers depuis la
Maurétanie. Ils écrasèrent Mastenissa, roi de Numidie occidentale, et s’empa¬
lèrent de Cirta, capitale de 1 autre royaume numide. Scipion, commandant
suprême des Pompéiens, ne pouvait plus compter sur l’aide de Juba, alors même
que le débarquement de nouvelles troupes césariennes réduisait la disproportion
numérique entre les deux camps. Dans le même temps, le dictateur travaillait
par ses émissaires les petites villes démoralisées par la politique de la terre brûlée
que pratiquait Scipion dans un pays fertile. Enfin, nombre de Gétules se rallièrent
à lui. Attachés à la mémoire de Marius, ils haïssaient celle de Pompée qui les
avait livrés au royaume numide. Juba avait dû naguère réprimer leurs révoltes
dans les solitudes de l’Afrique (Elien, Hist. Anim., VII, 23). Ils se mirent à
dévaster le sud de son royaume {Bell. Afr., LV), ouvrant ainsi un troisième front.
César fut alors en mesure de prendre l’offensive et de devancer un retour de
Juba. Il parvint à se dégager du promontoire de Ruspina et, après deux mois
(décembre 47 - janvier 46) d’épuisantes manœuvres dont on connaît mal le
détail en raison des incertitudes de la toponymie, cf. Foucher [1615], il réussit
à provoquer la bataille en plaine, plus au sud-est, dans la région de thapsus
(Ras Dimass), le 6 février. Bien que les troupes de Juba se fussent jointes à celles
de Scipion, il remporta une victoire décisive. Caton n’avait pas les moyens
d organiser la résistance à Utique, dont les habitants étaient favorables à César
Il se suicida avec noblesse. Quant à Juba, il vit la ville de Zama, dont il prétendait
faire le bûcher de son infortune, lui fermer prudemment ses portes. Comme les
autres villes du royaume lui refusaient tout concours, il en fut réduit à se faire
donner la mort.

César avait le champ libre pour procéder au règlement des


affaires d’Afrique. Dans l’immédiat, il distribua punitions et
recompenses aux individus, aux conseils de citoyens romains
(conuentus) et aux villes libres, selon leur attitude pendant le
conflit. Nous ne savons pas si certaines des cités perdirent leur
liberté.
L'Afrique romaine et libyco-berbère 641

On l’a supposé notamment dans le cas de Lepcis Magna (Grant [1620],


340-34G Jenkins [1625], 34), où le parti favorable à Juba l’avait emporté
{Bell. Afr., XCVII, 3) et qui avait accueilli l’armée de Caton venue de Cyré¬
naïque. Hahn [1622], 217, a soutenu que le dictateur s’était appuyé, dans les
villes « numido-puniques », sur les éléments plébéiens contre l’aristocratie.
Kotula [1629], 353, n. 16, a contesté cette interprétation qui n’a pas de support
suffisant dans les sources. En realite, ce sont surtout les banquiers, entrepreneurs
et négociants qui s’étaient opposés à César, en raison de leurs liens avec Pompée.
Comme l’observe fort justement Kotula, il ne faut pas identifier ces groupements
de riches citoyens romains avec l’aristocratie municipale, surtout dans les villes
libres.

Mais César prit aussi des mesures de bien plus grande portée.
Il supprima les deux royaumes de Numidie, sans susciter appa¬
remment de résistance parmi les indigènes. Juba avait péri, ainsi,
sans doute, que Mastenissa, dont le fils, Arabion, s’était enfui
en Espagne. Le royaume des Massyles de l’Est, excepté la rési¬
dence royale de Cirta, devint une nouvelle province (Prouincia
Noua). L’historien Salluste, alors préteur, en fut le premier gouver¬
neur avec le titre de proconsul et des pouvoirs militaires (cum
imperio). On ignore si la résidence du gouverneur fut fixée à f)ama,
selon une hypothèse de Romanelli [1634], 131, ou plutôt à Sicca
Veneria (Le Kef), surnommée la nouvelle Cirta (Noua Cirta),
selon une conjecture très séduisante de Salama [1635], 147. Les
biens de Juba furent vendus. Cirta et une partie du royaume de
Mastenissa (dont les contours sont mal connus) constituèrent une
sorte de principauté, battant sa propre monnaie, qui fut octroyée
à Sittius. L’aventurier disposait vraisemblablement d’une façade
maritime, depuis Y Amp saga (oued el-Kebir) à l’ouest jusqu’à un
point inconnu situé à l’est de Rusiccade (Ras Skikda). Hippo Regius
(Annaba), dont il s’était emparé à la fin du conflit {Bell. Afr.,
XCVI, 1), était rétrocédé à la Nouvelle Province. A l’ouest de
Y Amp saga, Bocchus II de Maurétanie régnait désormais (Appien,
BC, IV, 54), et ce fleuve resterait la frontière entre la Maurétanie
et la Numidie au moins jusqu’à l’époque vandale, cf. Camps [1602].
La Gétulie, qui bordait au sud la principauté de Cirta à une cen¬
taine de kilomètres de la côte (Gsell [1323], VIII, 158), demeurait
en fait dans une situation d’autonomie. On a des raisons de sup¬
poser qu’elle s’étendait vers l’est jusqu’à une ligne Madaure
642 L’ Occident

(Mdaourouch, à quelque 70 km à l’ouest - sud-ouest de Sicca


Veneria) - Ammaedara (Haïdra) - Capsa (Gafsa).
Avec l’annexion du royaume de Juba Ier, par César, la pré¬
sence romaine en Afrique changeait totalement de signification,
même si cette mutation avait été annoncée de longue date par la
colonisation marienne en Numidie et l’implantation de nom¬
breux negotiatores dans ce pays. Rome ne se contentait plus d’une
tête de pont qui lui permît à la fois de couvrir le détroit de Sicile et
de surveiller les royaumes indigènes; elle débordait de beaucoup
l’étendue des possessions africaines de Carthage au sommet de sa
puissance. Toutefois elle héritait aussi de Juba des liens assez
lâches avec les tribus gétules qui pouvaient estimer avoir acquis
des titres à la gratitude des Césariens. A présent, les Romains ne se
trouvaient plus au voisinage d’un royaume plus ou moins pro¬
tégé, mais d une poussière de tribus. Si celles-ci représentaient en
théorie une moindre force que l’ancien royaume de Numidie, leur
foisonnement même et la souplesse de leurs structures en faisaient
des partenaires incertains, turbulents et, éventuellement, difficiles
à réduire. Aussi semble-t-il que le gouverneur de la Nouvelle Pro¬
vince, appelée parfois Numidie (Appien, BC, IV, 53; Ptol., IV, 3,
6, éd. C. Millier, 637), ait disposé de forces militaires importantes,
probablement plusieurs légions. On ignore toutefois si son autorité
s étendait jusqu’au littoral des Syrtes. Du gouvernement de Sal-
luste, nous savons peu de chose, sinon que, malgré sa brièveté, il
fut des plus fructueux pour lui (Invective contre Sali., VII, 19).
A la fin de la République, il semble bien qu’aucune cité
d’Afrique n’avait encore reçu une Constitution romaine ou latine
(Gascou [1619], 19). Le premier, César a conçu dans Y Africa
Vêtus une politique de colonisation muni cipale que le peu de
temps dont il a disposé a contenue dans des limites modestes.
Elle ne fut d’ailleurs réalisée qu’après sa mort (15 mars 44). Il
est au surplus très difficile d’en apprécier l’ampleur exacte, parce
qu’il est aléatoire en ce domaine de distinguer entre l’œuvre de
César et celle d Octave-Auguste, malgré l’enquête approfondie de
Vittinghoff [505], 81-85, qui surestime peut-être la part de César.
Sui les instructions du dictateur fut créée à Carthage, dès 44 av. J.-C., la
colonia Concordia lutta Karthago (cf. Van Nerom [1646]), qui respectait en prin¬
cipe l’interdit religieux en s’étendant au nord-ouest et à l’ouest de Byrsa, du
L'Afrique romaine et libyco-berbère
643

côté de La Malga, mais non sans quelques empiétements qui pourraient avoir
suscité la colère destructrice du grand pontife Lépide, entre 40 et 36 avant
notie ère (Appien, Lib., 136; Cassius Dio, LII, 43, 1). 3 000 colons venus de
Rome y furent installés, d’autres furent recrutés au voisinage. C’est probable¬
ment César qui a décidé de rattacher au territoire, ou pertica, de la nouvelle
colonie les gioupements de citoyens romains (pagi) éparpillés à proximité des
cités indigènes, sans se soucier des discontinuités territoriales. La pertica de
Carthage englobait dès lors des territoires situés dans la Nouvelle Province. Elle
reçut l’immunité en raison de l’origine italienne de ses colons, cf. Broughton
[*59^1* Outre Carthage, César décida sans doute la fondation de plusieurs
colonies dans le cap Bon, très probablement Clupea (ÇMibia), peut-être Curubis
(Korba), Carpi (Mraïssa), Neapolis (Nabeul). Les liens de ces cités avec Carthage
étaient assurément très étroits, sans qu’on puisse en préciser la nature. D’autre
part, il est possible que César ait fondé une colonie à Hippo Diarrhytus (Bensert,
Bizerte). Il nous semble fort douteux, en revanche, qu’il ait créé un municipe
à Mustis (Hr Mest).

Compte tenu des incertitudes dans l’interprétation de la


documentation, il apparaît donc que César a fait porter son effort
de colonisation municipale sur quelques ports essentiels aux liaisons
régulières entre l’Afrique et l’Italie, cf. Itinerarium Maritimum, 493,
éd. O. Cuntz, 77-78.

G) L'Afrique romaine de 44 à 27 avant notre ère

Les quatre années qui suivirent le meurtre de César virent se


dérouler, en Afrique, des luttes confuses pour le pouvoir; nous n’en
retiendrons que les épisodes essentiels.

Arabion se hâta de revenir dans les anciens Etats de son père, tua Sittius
et repoussa Bocchus II vers l’ouest, sans doute jusqu’à la Soummam (prin¬
temps 44 : Cic., Ait., XV, 17, 1; Appien, BC, IV, 54). Mais il ne put arracher
Cirta aux Sittiani. Pendant ce temps, les gouverneurs des deux provinces étaient
paralysés par leurs désaccords, sans toutefois entrer ouvertement en lutte. Il
en alla différemment à partir de la constitution du triumvirat, à la fin de 43
avant notre ère. T. Sextius en Africa Noua, lié à Antoine, était l’homme des
triumvirs; Q,. Cornificius en Africa Velus, ami de Cicéron, considérait qu’il
n’avait d’ordres à recevoir que du Sénat. Ils s’affrontèrent en 42 avant notre
ère. Les Sittiani, anciens partisans de César, firent cause commune avec Sextius,
cependant qu’Arabion louvoyait. Ce fut Sextius qui l’emporta après maint
épisode, grâce au ralliement d’Arabion.
644 L'Occident

L Afrique fut brièvement unifiée au début de 41 sous le gouvernement de


C. Fuficius Fango, tout dévoué à Octave. Mais bientôt Sextius, resté sur place
sous divers prétextes, entra en lutte avec Fango. Arabion périt dans le conflit.
Sextius finit par l’emporter (fin de 41). L’Afrique était à nouveau unifiée, et
cette situation de fait ne devait plus être modifiée jusqu’à sa consécration en
droit, en 27 avant notre ère. Bocchus et les Sittiani récupérèrent les territoires
que leur avait repris Arabion.

Bien qu’il fût à la tête de quatre légions, Sextius accepta de


remettre les deux provinces au triumvir Lépide, à la suite d’une
entente avec Octave (milieu de 40). Lépide gouverna quatre ans
l’Afrique. Après l’échec de sa rébellion contre Octave en Sicile (fin
de 36), celui-ci imposa sa volonté en Afrique par l’intermédiaire de
proconsuls de rang consulaire qui groupèrent les deux provinces
sous leur imperium. Trois d’entre eux obtinrent le triomphe après
avoir affronté les indigènes dans des conditions que nous ne
connaissons pas. La fréquence même de ces triomphes montre
que leurs succès ne permirent pas une pacification durable.

Pendant cette période troublée, il semble que la politique de colonisation


et de municipalisation inaugurée par César fut poursuivie. On a parfois supposé
que Thabraca (Tabarka), en Numidie, était municipe sous Lépide, parce
qu’en 37-36 une inscription atteste l’existence de décurions dans la cité (Guey
et Pernette [1621], 86). Ce n est pas là, à notre avis, une preuve décisive. Toute¬
fois la présence à cette époque d’un municipe à Thabraca, port qui trafiquait
activement avec 1 Italie, s accorderait très bien avec l’existence de colonies
césariennes dans le cap Bon. On peut tenir pour sûr, en tout cas, qu’en 36 avant
notre ère, Utique devint un municipe de statut romain (Cassius Dio, XLIX,
16, 1). En ce qui concerne Carthage, après les mauvais procédés de Lépide à
1 égaid de la colonie césarienne (cf. supra, p. 643), Octave effectua en 29 une sorte
de refondation (Cassius Dio, LU, 43, 1). La malédiction sur le sol de la ville
punique fut levée. La cadastration octavienne put dès lors joindre la ville de
César à la mer, restituant ainsi à Carthage tout son potentiel économique.
Enfin, c’est probablement après la disgrâce de Lépide (36) et avant de devenir
Auguste (27) qu Octave a créé une colonia Iulia à Cirta, après une période incer¬
taine pendant laquelle la ville, colonisée en fait par les Sittiani (colonia Cirta
Sittianorum), n avait pas de statut officiel. De nouveaux colons furent installés
à Cirta en 26 avant notre ère. On ne peut exclure que l’activité d’Octave en
Afrique se soit manifestée par d’autres créations municipales; mais nous les
ignorons. Quant à sa politique de colonisation en Maurétanie, il en sera question
infra, p. 651.
L’Afrique romaine et libyco-berbère 645

De la province d’Afrique, Mommsen [260], XI, 255, a pu dire,


il y a un siècle : « Cette région n’a pas d’histoire sous la Répu¬
blique »; et Gsell [1323], VII, 118, acquiesçait en 1928 : «Juge¬
ment sévère, qui est en grande partie motivé. » Il est de fait que
le renforcement de la présence et de l’emprise romaines en Afrique
a été lent et intermittent et qu’il émerge mal de la pénombre
jusqu’à César. Celui-ci a véritablement transformé le sens de
l’engagement de Rome, en étendant Vimperium Romanum au-delà
de la fossa regia, qui matérialisa pendant cent ans l’héritage étriqué
de la dernière Carthage. L’impulsion augustéenne allait pleinement
réaliser une nouvelle politique africaine que la mort prématurée de
César laissait à l’état d’esquisse.
Toutefois l’on sera conduit à accorder une plus grande impor¬
tance à la période républicaine en Afrique si l’on considère à
présent l’évolution de l’ensemble de l’Afrique Mineure et le dévelop¬
pement de ses contacts avec Rome et le monde hellénistique.

2) l’afrique libyco-berbère (264-27 av. j.-c.)

A) Les royaumes massyle, masaesyle et maure


à la fin du troisième siècle

Nous n’avons de témoignages directs et sûrs de l’existence de


royaumes libyco-berbères qu’à partir du 111e siècle avant notre ère.
Ni Hérodote au Ve siècle, ni le Périple du pseudo-Scylax au milieu du
ive siècle n’y font la moindre allusion. Les très rares mentions
qu’on peut invoquer pour le ive siècle (Diodore, XX, 17, 1 et 18, 3;
Justin, XXI, 4, 7) sont énigmatiques. Même la mention du
royaume massyle pendant la première guerre punique, que nous
devons à Hégésianax (F.h.g., III, 70, n° 11), intervient dans un
récit dont le romanesque est suspect. En revanche, à l’époque de
la seconde guerre punique, les royaumes apparaissent en toute
netteté sous la forme d’un triptyque. De l’ouest à l’est de l’Afrique
Mineure, on constate l’existence d’un royaume des Maures, d’un
royaume des Masaesyles et d’un royaume des Massyles. Observons
toutefois qu’il est sûr que le royaume massyle existait alors depuis
plusieurs générations ; il est permis, d’autre part, de prêter, vers 215,
646 V Occident

une certaine ancienneté aux deux autres royaumes (Camps [1453],


159-161).

Ces royaumes se sont constitués autour de tribus à l’origine étroitement


délimitées, rangées toutes trois dans le vaste groupe des Numides de l’Afrique
du Nord côtière (Polybe, III, 33, 13; T.-L., XXIV, 49, 5), par opposition aux
Gétules des Hauts-Plateaux dont le nom n’apparaît d’ailleurs qu’à partir
d Artémidore (vers 100 avant J.-C.). Néanmoins, on réserva bientôt l’appellation
de Numides aux Masaesyles et aux Massyles, en excluant les Maures, bien que
le berceau des Masaesyles ait sans doute été voisin de celui des Maures, dans le
Maroc oriental et dans le Rif (Pline l’Ancien, HN, V, 17; AE, 1934, 122).

Le royaume des Maures est le plus obscur. Le roi Baga n’est


mentionné que par un seul passage (T.-L., XXIX, 30, 1). Nous
apprenons seulement qu il pouvait disposer de plusieurs milliers
de guerriers. Puis c’est le silence pendant un siècle, jusqu’à
l’époque du Bellnm Iugurthinum, au début duquel Salluste (XIX, 7)
évoque « le roi Bocchus, qui, sauf le nom, ignorait tout du peuple
romain ».
Le premier roi des Masaesyles connu est Syphax, vers 220
avant notre ère. Son royaume était de loin le plus puissant des trois.
Il disposait de deux résidences royales fort éloignées l’une de
l’autre : Siga, à l’embouchure de l’oued Tafna, dans l’ouest de
l’Oranie actuelle (Pline l’Ancien, HN, V, 19) et Cirta. A l’ouest,
d semble qu’il avait des vassaux aux abords du détroit de Gibraltar
(T.-L., XXIV, 49, 5) et diverses traditions lient Tingis aux
Masaesyles (Carcopino [1603], 286; cf. aussi Plut., Sert., IX, 8);
à 1 est, il possédait apparemment une frontière commune avec
Carthage (T.-L., XXIV, 48, 12). Peut-être s’agissait-il pour une
part d’acquisitions récentes. Mais Cirta n’était pas considérée
comme massyle par Scipion et Massinissa (T.-L., XXX, 44, 12);
on est donc enclin à supposer que Syphax n’y était pas’ entré en
conquérant.

, „V°llà qm nous conduit à nous interroger sur l’étendue du royaume massyle


a 1 epoque de Gaia (vers 220-206), le père de Massinissa. Elle était certainement
assez restreinte. Dans l’ensemble, la Tunisie occidentale actuelle appartenait à
Garthage. La façade maritime du troisième royaume paraît s’être ouverte de la
presqu’île de Collo jusqu’à la Khoumirie, étant entendu toutefois qu’Hibbo
était punique (les deux Hippo sont mentionnées comme telles, en 307, lors de la
L'Afrique romaine et libyco-berbère 647

campagne d’Eumaque, lieutenant d’Agathocle). Nous savons que Madaure


(Mdaourouch), à la limite de la Gétulie, appartenait à Syphax (Apulée, Apol.,
XXIV). On peut douter que le royaume massyle se soit étendu au sud d’une
ligne CzVia-Madaure. Camps [1601] a proposé cependant de situer le berceau
du royaume au sud de Cirta, dans la région du djebel Fortas. Il voit dans le
Medracen, au nord-est de Batna, le mausolée de la dynastie [1600], 516; mais
Marrou (ibid., 517) est tenté d’en attribuer la construction à un prédécesseur de
Syphax. On ne peut s’appuyer sur Pline l’Ancien, HN, V, 30, pour déterminer
l’aire d’implantation de la tribu autour de laquelle se constitua le royaume.
Les Massyles y sont cités dans une énumération qui provient d’un document
administratif et n’obéit à aucun critère géographique.

Quoi qu’il en soit, à la fin du 111e siècle, Syphax était de loin le


roi africain le plus puissant, au point de prétendre, à l’occasion,
arbitrer entre Rome et Carthage (T.-L., XXVIII, 17-18; XXX, 3,
5-7). On sait qu’il paya de son royaume la défaite d’Hannibal. Or
il ne pouvait y avoir de rôle méditerranéen à jouer pour un
royaume libyen que si subsistait un certain équilibre entre Rome
et Carthage. C’est pourquoi l’infortune de Syphax inaugure en
réalité la longue dépendance de l’Afrique du Nord. Et pourtant
c’est son rival Massinissa qui est resté jusqu’à nos jours le symbole
du « grand aguellid » (Julien [1326], 95) !

B) Les limites de la puissance des royaumes libyco-berbères

Les royaumes, tels que nous les appréhendons, sont fragiles et le


resteront jusqu’à leur disparition. Dans les luttes entre Syphax et
Massinissa, on est frappé par l’extrême mobilité des opérations et
les renversements soudains de la fortune. Le royaume masaesyle
s’est écroulé après fama, alors que la majeure partie de ses
ressources était située bien loin du théâtre de la guerre. Sans doute,
la numismatique nous invite-t-elle à croire qu’un fils de Syphax,
Verminad, régna un certain temps sur l’Oranie occidentale
(Mazard [1633], 18 et 21-22; Camps [1453], 190-191); et il n’est
même pas interdit de supposer que ses successeurs y conservèrent
quelque pouvoir jusqu’à l’époque de Micipsa (Vuillemot [1647]).
Il reste que les Masaesyles tombent dès 202 dans l’oubli. Les
royaumes libyens ont, si l’on peut dire, des structures plastiques,
648 U Occident

plaquées sur la vie tribale. Quand Massinissa, en 205 avant notre


èie, trouve refuge tour à tour dans la région du cap Bon, en plein
territoire punique hostile, et dans l’arrière-pays des emporia de la
petite Syrte, on doit conjecturer que des tribus alliées aux Massyles
s étaient disséminées dans ces régions lointaines. Inversement, un
1 evers de fortune peut dissocier la confédération tribale laborieu¬
sement édifiée qui constitue l’ossature de l’Etat. Nombre de
communautés, les unes urbaines, les autres, en beaucoup plus
grand nombre, tribales, sont seulement juxtaposées au sein du
royaume. Après £ama, les villes de la côte, de tradition punique,
paraissent avoir continué à jouir de la plus large autonomie, battant
monnaie et conservant leurs institutions. Elles sont apparemment
passées, dans la plus grande indifférence, de la reconnaissance de
1 hégémonie carthaginoise à la dépendance à l’égard du royaume
numide. Quant aux tribus, divisées en clans (en latin : familiae)
rassemblant un certain nombre de foyers (domus), elles sont repré-
sentées auprès du roi par leurs chefs, souvent jaloux du souverain
(, XXIX> 29, 9). Le roi assure son pouvoir par une politique
d alliances matrimoniales que la polygamie rend plus faciles, mais
aussi moins significatives, ou plus simplement en gardant auprès
de lui des otages. Seules quelques villes ou quelques tribus sont
plus etroitement liées à son égard, d’où l’emploi par les Romains
des adjectifs regia et regiani pour qualifier ces communautés. Ajou¬
tons qu un système successoral fondé sur la primauté de l’aîné des
agnats au sein de la famille royale (tanistry) rendait les successions
dynastiques confuses et heurtées. Encore ce système n’était-il pas
toujours appliqué.
Enfin, géographiquement, l’autorité des rois semble s’être exer-
cee avec peine sur les Gélules des Hauts-Plateaux, dont nous
n entendons pas parler avant la guerre de Jugurtha. Ce dernier
eut beaucoup de mal à leur enseigner les rudiments de la discipline
militaire (Salluste, Iug., LXXX, 1-2). Les Ethiopiens de la bordure
saharienne de l’Afrique Mineure vivaient pratiquement hors
d atteinte du pouvoir royal. Au milieu du i^r siècle avant notre ère
ogud, roi de Maurétanie occidentale, marcha contre eux (Strabon’
’ 3’ 5)5 peut-être dans le Sous. Il les connaissait apparem¬
ment fort mal, puisqu’il rapporta à sa femme, comme des curio¬
sités notables, certaines productions de leur pays.
U Afrique romaine et libyco-berbère 649

Au cours du 11e siècle, le royaume massyle semble toutefois s’être assez


sensiblement consolidé, notamment dans le domaine militaire. Sous le règne
de Massinissa, le roi ne disposait guère que de contingents tribaux, levés à
l’occasion et conduits par leurs chefs. A partir de Jugurtha, le souverain dispose
d’une armée régulière commandée par un corps d’officiers; il recrute même des
mercenaires étrangers.

C) Les royaumes massyles et les royaumes maures


de fama à la mort de Bocchus II

Jusque vers 120 avant notre ère (Salluste, Iug., CX, 9), nous
ignorons tout du royaume de Maurétanie. Peut-être n’atteignit-il
la Moulouya qu’après la défaite de Syphax. C’était là, en tout cas, la
limite entre ce royaume et le royaume massyle à la fin du règne
de Micipsa. Pour la période antérieure, les historiens grecs et latins
ne nous renseignent que sur le royaume massyle, considéré seul
désormais comme numide.

On sait le rôle considérable joué par Massinissa entre la seconde et la troi¬


sième guerre punique. Exploitant certaines clauses obscures du traité de 201
avec la complicité de Rome, il amoindrit considérablement le territoire de
Carthage en s’emparant des « Grandes Plaines » de la moyenne Medjerda, de
la région de Mactar en Tunisie centrale (1 e pagus Thuscae, cf. Appien, Lib., 68;
Picard, Mahjoubi, Beschaouch [1500]; Kotula [1630], 122-127) et des emporia
syrtiques depuis Thaenae, au sud de Sfax, jusqu’à Lepcis Magna. L’intervention
de Rome, en provoquant la ruine de Carthage, « a figé arbitrairement un
moment d’un vaste mouvement qui n’a pu s’achever » (Camps [1453], 195).
Remarquons toutefois que ce mouvement ne se serait peut-être pas amorcé si
Rome fût restée neutre.

On se souvient qu’à la mort du vieux roi en 148, Scipion


Emilien imposa un partage de la royauté entre les trois fils légitimes
survivants de Massinissa. Mais neuf ans après, à la suite de la mort
naturelle de ses frères, Micipsa était le seul roi des Massyles.
L’unité du royaume fut à nouveau mise en cause lors de la suc¬
cession de Micipsa. Nous avons dit par quels moyens extrêmes
Jugurtha la rétablit contre le gré de Rome, cf. supra, p. 631. Sa
défaite permit au roi des Maures, Bocchus, d’étendre son emprise
au moins jusqu’à l’embouchure du Chélif; elle ne paraît pas avoir
entraîné la division du royaume massyle, car Gauda, demi-frère
650 U Occident

de Jugurtha, semble avoir régné sans partage avec l’accord de


Rome.

En revanche, à la mort de Gauda (avant 88), se constitua peut-être un


royaume des Massyles de l’Ouest, dont l’existence est sûre en 46 et probable
en 81 avant notre ère (Gsell [1323L VII, 290-291). Nous savons en effet aujour-
d hui que deux fils de Gauda ont régné. L’un, Hiempsal II, le père de Juba Ier, est
bien connu. L’autre, Masteabar, n’est attesté que par une inscription grecque de
Syracuse (Kontorini [1628], 95-98). Kontorini a proposé de l’identifier avec
Mastenissa Ier, ce qui nous paraît graphiquement et phonétiquement arbitraire.
Nous supposerons plutôt que Masteabar est le premier souverain des Massyles
de 1 ouest et que Mastenissa Ier lui succéda. Deux royaumes massyles coexistèrent
ainsi jusqu’à la victoire de César à Thapsus. Nous sommes conduit à admettre
que leurs rois avaient un ancetre commun, sans doute Gauda. La scissiparité a
pu ainsi s’effectuer pacifiquement.
D une façon semblable, le royaume des Maures, qui, dans la première moitié
du Ier siècle avant notre ère, a dû s’accroître encore vers l’est au détriment des
Numides, en englobant l’actuel Algérois et peut-être la Grande Kabylie jusqu’à
la Soumman, s est scindé en deux à une date inconnue. Le successeur de Boc-
chus Ie*, mort vers 80, pourrait avoir été Sosus qui régnait en 62. Ce Sosus, père
de Bocchus II, futur roi de Maurétanie orientale a laissé des témoignages de son
lègne à Volubilis, en Maurétanie occidentale (Euzennat [1609], 333-339). On
doit donc admettre que l’ensemble de la Maurétanie reconnaissait sa souve-
îaineté. Il est dès lors permis de supposer que c’est à sa mort qu’eut lieu la scission
du royaume. Bogud, qui régnait sous César en Maurétanie occidentale, était
piobablement sinon son fils, en tout cas son proche parent, puisqu’il portait le
nom d un fils de Bocchus Ier. Comme ceux des deux royaumes massyles, les
dynastes des deux royaumes maures appartenaient, semble-t-il, à la même
famille.

Ayant pris parti contre les royaumes numides, les deux sou¬
verains de Maurétanie, alliés de César, se trouvèrent en 46 dans
le camp des vainqueurs. Les Etats de Bocchus II vinrent border
la principauté de Sittius sur 1 Ampsciga (oued el-Kebir du Constan-
tinois). Mais en 38, Bogud se rangea du côté d’Antoine et
Bocchus II du côté d’Octave. Tingis (Tanger), qui perpétuait une
très ancienne tradition d’autonomie au sein de la Maurétanie
— en 81, elle avait son propre « roi », peut-être un vassal de
Bocchus Ier, et des relations étroites avec Rome —, se souleva
contre Bogud, que Bocchus II chassa de ses Etats avec l’accord
d’Octave. Les Tingitains devinrent citoyens romains (Cassius
L'Afrique romaine et libyco-berbère 651

Dio, XLVIII, 45, 3), tandis que Bocchus II régnait dès lors sur
la Maurétanie unifiée, de l’Atlantique à YAmpsaga, jusqu’à sa
mort en 33 av. J.-C. Il ne semble pas qu’il ait eu d’héritiers
naturels.
Octave disposa de ce vaste royaume, encore mal connu des
Romains, sans en faire une province (Gsell [1323], VIII, 201),
dont la création eût été assurément prématurée. Il convenait avant
tout d’amorcer sur ces terres lointaines une première romanisation.

Nous ne savons à peu près rien de l’activité d’Octave-Auguste dans les sept
ans qui précédèrent l’avènement de Juba II (25 av. J.-G.). On suppose qu’il
profita de ce laps de temps, pendant lequel il avait les mains libres, pour créer
une douzaine de colonies, ports et centres de communications (Pline l’Ancien,
HN, V, 2; 5; 20-21), qui lui permettaient de contrôler les parties essentielles de
la Maurétanie. En fait, une inscription, qui a été récemment découverte dans
la région de Tipasa et sera éditée sous peu par M. Bouchenaki et P.-A. Février,
révélera bientôt à quel point Juba II dépendit d’Auguste, jusque dans l’adminis¬
tration des communautés de son royaume. Les Romains n’avaient pas hésité, au
temps de Marius, à pratiquer une colonisation viritane sur le territoire du roi
Gauda; et, autant qu’on le sache, les colons ne furent jamais inquiétés par les
Numides. On ne peut dès lors exclure qu’Auguste ait créé, après 25, des colonies
urbaines, en les détachant d’un royaume qui lui devait sa résurrection.

D) Les progrès de la civilisation

a) Lagriculture numide. — Dans un passage souvent cité, Polybe


(XXXVI, 16, 7-9) a prétendu que Massinissa avait introduit
l’agriculture en Numidie. Camps [1453], 209-213, a montré
combien ce jugement était exagéré. L’agriculture en effet s’avère
très ancienne chez les Libyens qui possédaient un type de charrue
original quand les premiers colons phéniciens débarquèrent sur la
terre d’Afrique. L’élevage était encore plus anciennement prati¬
qué. En revanche, l’influence punique fut déterminante dans le
domaine de l’arboriculture. Au lendemain de fama, à une époque
où Massinissa n’avait guère œuvré qu’aux travaux de la guerre, la
richesse essentielle de la Numidie était une production céréalière
déjà abondante. Massinissa la développa assurément, en particulier
dans des domaines royaux qu’on a lieu de supposer fort étendus.
De plus, à la fin de son règne (Rossetti [1583], 352), il annexa des
territoires carthaginois riches en blé : les Grandes Plaines des
652 U Occident

Ouled bou Salem et de la Dakhla et, dans une moindre mesure,


l’arrière-pays de Lepcis. A l’armée romaine en campagne, tant
en Orient qu’en Grèce ou en Macédoine, il envoya de grandes
quantités de blé; il en fit parvenir aussi à Rome. Son fils Micipsa
en expédia en Sardaigne, alors que C. Gracchus y était questeur.
Mais le blé de Numidie parvenait aussi à Rhodes ou à Délos, avec
d’autres richesses de la Numidie telles que l’ivoire de Gétulie et le
thuya de Masaesylie. C’est ainsi que les rois numides acquirent
une sorte de renommée dans le monde hellénistique. Les mar¬
chands athéniens et rhodiens élevèrent à Délos des statues à
Massinissa, cependant qu a Cirta, les amphores rhodiennes du
11e siècle avant notre ère ne sont pas rares. C’est à Délos aussi
que Nicomede de Bithynie, dont le royaume était également un
gros producteur de blé, a élevé une statue au roi, auquel devaient
le lier des intérêts communs. Un des fils de Massinissa, Mastanabal,
vainquit sur l’hippodrome lors des Panathénées. On a découvert
récemment à Rhodes une inscription des Rhodiens en l’honneur
de Hiempsal II (Kontorini [1628], 89-99). H apparaît donc que
la ruine de Carthage et les progrès de l’agriculture en Numidie
ont fait des souverains massyles des fournisseurs appréciés du
monde grec. Une des conséquences de ces relations a été l’ins¬
tallation a Cirta d une importante colonie grecque dont la pré¬
sence est attestée par des inscriptions du sanctuaire d’el-Hofra
(Berthier, Charlier [1381], 167-176).

De l’agriculture de la Maurétanie, on sait fort peu. Strabon, d’après Artémi-


dore et Poseidonios, insiste sur la fertilité du pays; mais il ne cite que des pro¬
ductions naturelles comme le bois de thuya (XVII, 3, 4) et considère les Maures
comme des nomades (XVII, 3, 7). Toutefois les grappes de raisin et les épis de
blé qui sont représentés sur de nombreuses monnaies des villes libres de Mauré¬
tanie (Mazard [1633], 167-195) prouvent que la culture du blé et de la vigne
faisait la richesse des villes côtières.

b) Le développement de P économie monétaire. — Il existe certes un


monnayage numide antérieur à Massinissa, celui de Syphax notam¬
ment. Mais c est Massinissa qui a donné un véritable essor à la
circulation monétaire en Numidie, surtout dans la région de Cirta
et sur un axe Cirte-Ras Skikda. Il s’agit d’un monnayage de
bronze, comme il en va pour les autres rois massyles, jusqu’à
L'Afrique romaine et libyco-berbère 653

Juba Ier qui mit en circulation des monnaies d’argent. Pour leur
commerce extérieur, ces rois utilisaient des monnaies d’argent
étrangères. On a des raisons de penser que la partie occidentale
de leurs Etats en resta à l’économie de troc. Par ailleurs, aucune
monnaie ne peut être attribuée aux rois de Maurétanie avant
l’époque de Bocchus II et de Bogud.

c) Le développement urbain. — L’essor de Cirta ne se manifeste


à nous qu’indirectement, grâce aux découvertes du sanctuaire
d’el-Hofra, à Constantine. Il apparaît que les métiers sont assez
nombreux et bien différenciés, qu’on vient à Cirta non seulement
des bourgs voisins, mais de l’étranger, que la langue de commu¬
nication est le punique. On grave parfois des inscriptions en
grec et même en latin, mais presque jamais en libyque. Croyances,
titres et fonctions sont également puniques (Camps [1453], 259).
Massinissa a adopté le punique comme langue officielle du
royaume, et non le libyque, parlé sous diverses formes de l’Atlan¬
tique aux confins de l’Egypte et noté par un alphabet original
(J. G. Février [1612], 321-327). Il a ainsi développé, surtout dans
les villes, une influence punique sans doute déjà ancienne, du
moins en Massylie. Ses successeurs ont poursuivi cette politique,
et Hiempsal II pouvait passer, à tort il est vrai, pour l’auteur
des libri punici (Salluste, Iug., XVII, 7) que sa famille détenait
depuis la chute de Carthage. Quant aux grandes cités phénico-
puniques englobées dans le royaume numide, leur monnayage
montre qu’elles ne dévièrent pas de leurs traditions. On sait d’ail¬
leurs que Lepcis Magna fit sécession dès le début du Bellum
Iugurthinum. En revanche il n’est pas douteux que les campagnes
numides étaient beaucoup moins punicisées au fur et à mesure
que l’on s’éloignait de la fossa regia. La langue courante y restait
le libyque.
En Maurétanie orientale, la civilisation urbaine d’époque préromaine est
encore mal connue, cf. P.-A. Février [1613]; pour Siga, Vuillemot [1648]. A
quelques exceptions près, la punicisation ne paraît pas avoir débordé les ports
qui furent en relation avec Carthage. Ce sera là Faire d’extension du culte de
Saturne dans cette région (Leglay [1632], carte h. t. après la p. 336).

L’urbanisation est beaucoup mieux connue en Maurétanie


occidentale, depuis une vingtaine d’années. Nous retiendrons avant
654 U Occident

tout 1 exemple très significatif de Tamuda (Tétouan) fondée


vers 150 avant notre ère et détruite définitivement vers le milieu
du Ier siècle apr. J.-C. La ville est disposée selon un plan hippo-
damique, avec une place de grande dimension. Les maisons sont
en grand appareil très soigné, mais sans cour, avec des murs
intérieurs grossiers et un sol de terre battue. Aucun édifice public,
civil ou religieux, n a été jusqu’ici repéré. Toutefois on a retrouvé
un chapiteau ionique et des fragments de fût de colonne et de
corniche. Le mur d’enceinte, en belles pierres de taille, mais
d’importance modeste, semble témoigner d’une relative sécurité
(Tarradell [1643], 97-119).

A Lixus (Larache), on constate un important développement de l’antique cité


phénicienne après la chute de Carthage. On connaît plusieurs temples construits
à cette époque. A Banasa, sur l’oued Sebou, à quelque 70 km en amont de l’em¬
bouchure, il y eut trois bourgades indigènes successives en brique friable, du
111e siècle avant notre ère jusqu’à l’annexion romaine (Euzennat [1608], 204-205).
On a dégagé un temple d’époque maurétanienne (Boube [1590], 340-352). Sala
(Chellah pi es de Rabat), à l’époque préromaine, comportait au moins cinq édifices
dans un appareil rectangulaire à joints vifs (Boube, ibid., 284). A Volubilis enfin,
loin à l’intérieur des terres, a été exhumée la muraille en bel appareil qui enserrait
la cité maurétanienne. La ville était construite en paliers sur le versant occidental
de l’acropole avec des mes en damier (Jodin [1626], 513-515). Il convient
d’ajouter que des suffètes la dirigèrent jusqu’en 40 de notre ère et qu’un de ses
sanctuaires a livré des centaines de stèles de tradition punique (Euzennat fi6iol
865).

On constate donc qu’en raison sans doute de contacts étroits


avec Carthage, et plus encore avec Gadès, l’influence de l’urba-
msme hellénistique s’est puissamment exercée en Maurétanie
occidentale. Elle sera encore renforcée sous le règne de Tuba II
époux d’une princesse lagide.

d) L évolution religieuse. — Chez les Libyens, le sentiment du


sacré, très puissant, se fixait sur des supports variés. La force
surnaturelle était souvent appréhendée comme topique; d’où le
culte des fleuves et des montagnes. Mais cette force pouvait aussi
résider dans des objets fort communs, pierres, animaux symbo¬
lisant la force fécondante (lion, taureau et bélier), parties du corps
humain (la chevelure par exemple).
L’Afrique romaine et libyco-berbère 655

Par-delà la mort, des soins attentifs liaient les vivants aux défunts (Camps
[1598], 461-566). Chairs et os étaient souvent revêtus d’une ocre rouge censée
revivifier le cadavre. Des aliments continuaient de le nourrir et des amulettes le
protégeaient. Il recevait de nombreuses offrandes. Les morts qui avaient joui
d’une particulière estime rassemblaient autour de leur tombeau des foules funé¬
raires et sans doute aussi des foules de vivants. On comprend fort bien dès lors
que les souverains aient fait l’objet d’un culte funéraire et, dans certains cas,
d’une divinisation après la mort (Camps [1453], 279-295).

Les Libyens ne semblent pas avoir conçu de grandes figures


divines plus ou moins humanisées. Ils révéraient surtout le soleil
et la lune (Hérodote, IV, 188; Cic., Rep., VI, 9; Leglay [1631],
424). En dehors des deux grands astres, l’épigraphie et les sources
littéraires nous révèlent une poussière de divinités, parfois invo¬
quées sous des noms collectifs comme les Du Mauri, cf. Camps [ 1599].
A côté de ces croyances issues d’un vieux fond naturiste, on
observe, surtout dans les villes, un accueil fervent aux grandes
divinités puniques, Ba'al Hammon et Tanit, qui deviendront à
l’époque romaine Saturne et Juno Caelestis. La pratique du sacri¬
fice des enfants à Ba'al Hammon a même été adoptée par les
Numides : elle est attestée dans le sanctuaire d’el-Hofra à Cirta.
D’autres dieux puniques ont recouvert des génies libyques; ainsi
le dieu guérisseur Eshmoun a dû absorber Macurgum qu’un relief
bien connu à Beja représente appuyé sur un caducée (Picard
[1461], 22-24).

Venu de Sicile, mais après avoir longuement transité par Carthage, le culte
des Cereres (Déméter et Coré) s’était sans doute déjà répandu en Numidie avant
le règne de Massinissa. Il ne pénétra pas chez les Maures. C’était un culte agraire
qui réunissait dans une même ferveur l’Afrique de tradition punique et l’Afrique
numide. Les aspects naturalistes, parfois fort crus, du rituel et un mysticisme
d’accès immédiat expliquent le succès des Cereres auprès des agriculteurs libyens.

Les influences puniques et grecques se sont donc exercées dans


le sens d’une personnification de forces religieuses plus ou moins
diffuses, en réduisant ainsi quelque peu la distance entre les
conceptions des Libyens et celles des Gréco-Romains. Mais leur
action a été assurément beaucoup plus efficace dans les villes,
encore peu nombreuses, que dans les campagnes; et elles ne
paraissent pas avoir atteint les nomades.
656 U Occident

E) Conclusion

Un monde attachant et encore mal connu se laisse ainsi entre¬


voir selon des perspectives furtives. Numides et Maures, groupés
dans des royaumes aux contours changeants et aux structures si
fragiles qu’on hésite parfois à les tenir pour des Etats, ont
accompli, de la fin du me siècle au milieu du Ier siècle avant notre
ère, des progrès sensibles que les carences de la documentation
ne doivent pas nous faire sous-estimer. Pendant que les derniers
souverains libyens se laissaient absorber dans un drame dont les
acteurs principaux étaient romains, leurs sujets se fixaient progres¬
sivement sur une terre dont ils tiraient plus de fruits, ou même
s’initiaient à la vie urbaine dans l’ambiance d’une civilisation
punique ouverte aux influences hellénistiques. Mais en marge
des royaumes, auxquels ne les unissaient que les liens lâches d’une
vassalité théorique, de nombreuses tribus de montagnards et de
Gétules des Hauts-Plateaux, « le plus puissant des peuples libyens »
(Strabon, XVII, 3, 2), restaient encore très à l’écart des impul¬
sions venues de la Méditerranée.
Chapitre IV

LA PÉNINSULE IBÉRIQUE

par D. NONY

Les trois siècles qui précèdent l’ère chrétienne voient la pénin¬


sule Ibérique tout entière entrer de manière décisive et commencer
déjà à s’intégrer dans l’aire culturelle méditerranéenne de la civi¬
lisation gréco-latine. Mais s’il est possible de suivre assez exac¬
tement les étapes de la conquête carthaginoise puis romaine, qui
donne son unité à la période, par contre le monde des peuples
conquis demeure peu connu. Or il semble que la conquête, rapide
ou lente selon les cas, ne puisse se comprendre sans la préexistence
d’une ouverture aux influences « civilisatrices » au sens antique
du terme, c’est-à-dire aux cadres sociopolitiques de la « cité »
classique : Carthaginois et surtout Romains ne pouvaient, en
raison de leur faiblesse numérique, établir leur domination que
sur des peuples déjà organisés et avec lesquels des rapports
« diplomatiques » précédaient le contrôle militaire et l’absorption.

Cette péninsule massive, aux climats et aux sols très divers et que l’on peut
rapprocher de la péninsule anatolienne pour la variété de ses paysages, était
ouverte depuis des siècles, malgré la barrière pyrénéenne, aux invasions terrestres,
et ses mers bordières, parfois dangereuses, accueillaient des navigateurs venus de
la plus lointaine Méditerranée comme de l’Atlantique. Les dernières grandes
invasions celtiques semblent appartenir au IVe siècle : désormais il n’y eut plus
que des apports faibles ou, comme les Cimbres a la fin du 11e siecle, sans etablis¬
sement notable. Ces envahisseurs venus en plusieurs vagues depuis le IXe siècle
ont rencontré des peuples en place, possesseurs d’une métallurgie avancée, et
qui, en partie grâce au contact avec les Phéniciens et les Grecs, ont commencé
à se doter d’une organisation politique permanente. Les Celtes ne purent
annihiler cet héritage et, au contraire, on note une iberisation rapide des nou¬
veaux venus en Aragon et en Castille (peuples celtibères comme les Carpétani,

ROME, 2
7
658 L'Occident

les Celtici de l’Alentejo, etc.) tandis que les Ibères gardent, à travers différents
groupes, une relative unité de civilisation, du sud du Portugal et de la basse vallée
du Guadalquivir (où résident les descendants des Tartessiens) jusqu’à l’embou¬
chure du Rhône, aire qu’ils défendirent mieux dans la péninsule qu’en Lan¬
guedoc. Or ces civilisations ibérique, celtibérique et celtique du Nord-Ouest, qui
reçoivent de leurs contacts avec leurs envahisseurs un enrichissement et une
nouvelle impulsion, du 111e au Ier siècle av. J.-C., avant leur quasi totale dispa¬
rition, sont presque absentes de nos sources littéraires : Polybe, comme Tite-Live
(où prédomine 1 ’Epitomé), ne livrent que la trame des événements militaires, et
seul Strabon (et, dans une bien moindre mesure pour cette période, Pline
l’Ancien) qui ont puisé dans le Polybe disparu et dans Poséidonios d’Apamée,
également perdu, deux auteurs qui avaient personnellement visité la péninsule,
offrent quelque secours (FHA [1654]).

1) LA DIVERSITÉ DES PEUPLEMENTS

Une des raisons du dédain des conquérants pour les peuples


de la péninsule fut de se trouver en présence de peuples « bar¬
bares », c’est-à-dire ne parlant pas les langues grecque ou latine,
et de fait l’originalité ibérique se marque tout d’abord par l’exis¬
tence de langues mal connues mais apparentées, fixées par des
alphabets originaux dérivés du grec dont le déchiffrement, grâce
à M. Gomez-Moreno [1671] en particulier, a fait de grands pro¬
grès. On arrive maintenant à lire ces centaines d’inscriptions,
qui deviennent plus nombreuses au fur et à mesure du dévelop¬
pement de la conquête, mais leur compréhension ne va souvent
guere au-delà de 1 identification du nom des peuples, notamment
par les légendes monétaires (Maluquer [1676]).

Reste 1 apport capital de l’archéologie ; en ce domaine, un travail consi¬


dérable a déjà été accompli (W. Schule [1684 a]), mais les cadres chrono¬
logiques manquent souvent de netteté et les éléments réunis sont encore
souvent insuffisants pour proposer une vue d’ensemble équilibrée. Paradoxale¬
ment, les renseignements précis sont plus nombreux et plus utilisables pour les
siècles precedents (vne au ive siècle) que pour ceux contemporains des conquêtes
punique et romaine (m* au siècle av. J.-C.) et toute présentation de ceux-ci
demeure, dans une large mesure, hypothétique et provisoire même si, malgré
1 absence d’œuvres majeures, une attention croissante leur est portée; à Elche,
les recherches en cours ont cependant mis en évidence un niveau du ’m= siècle!
La péninsule Ibérique
659

Les fouilles d’habitats se multiplient, mais rarement en plaine où, oblitérés par
des occupations plus récentes, ils ne manquaient pourtant pas, le plus souvent en
acropole, où les sites ont été parfois désertés par la suite (par ex. Azaila). On
prend conscience d’une relative urbanisation en gros villages fortifiés au plan à
rue centrale; Sagonte, au 111e siècle, couvrait déjà plusieurs hectares. L’économie
était agricole et pastorale, mais l’introduction de la vigne et de l’olivier favorisait
la sédentarisation, tandis que le faible peuplement et l’immensité des plateaux et
de certaines plaines encourageaient, en particulier, l’élevage du cheval. L’archi¬
tecture paraît d’une grande simplicité (de nombreuses murailles cyclopéennes
sont bien conservées souvent d’époque romaine) ; la sculpture est assez abondam¬
ment représentée mais la datation de ses principales productions et leur inter¬
prétation font encore souvent problème, et les pièces les plus célèbres (Dame
d’Elche, Dame de Baza, etc.) appartiennent aux Ve et ive siècles; certaines pièces
du Cerro de los Santos datent du 111e siècle et les reliefs d’Osuna des me-ne siècles.
D’innombrables statuettes de bronze ont été retrouvées (Nicolini [1679]) surtout
dans les sanctuaires rupestres (Despenaperros, Castellar de Santfsteban) avec
des oeuvres encore de qualité, et la plupart des sites livrent une céramique peinte
originale et très variée des me-ier siècles av. J.-C., avec un décor géométrique qui
s’enrichit de décors floraux très stylisés et surtout de nombreuses représentations
humaines et animalières (Elche, Liria, Azaila, Verdolay).

La société connue par les sources littéraires (Strabon notam¬


ment) semble de type aristocratique, même si des « rois » sont
parfois mentionnés; on ne croit plus guère à une distinction entre
des régimes « monarchiques » en Bétique au 111e siècle, et le
Levant qui aurait atteint le stade de la « cité ». Chaque peuple,
mais ils sont plusieurs centaines, a pu connaître un « Sénat », et
des chefs se dégagent temporairement qui peuvent fédérer plu¬
sieurs peuples. La religion demeure mal connue (existence d’un
panthéon, avec présence de déesses de la fécondité) et la patère
de Tivisa, du 11e siècle, évoque rituels et croyances funéraires; les
noms des divinités (lorsqu’ils ne sont pas empruntés) attestés
épigraphiquement appartiennent au domaine celtique et à l’époque
impériale romaine (Blazquez [1664]).
Chasse et guerre sont les occupations de cette aristocratie et
de leurs dépendants, et les mercenaires hispaniques partent en
grand nombre s’engager hors de la péninsule depuis le début
du ve siècle. Des liens de clientèle (fides iberica) peuvent unir jusqu’à
la mort les guerriers à leurs chefs (ce serait l’une des sources du
culte impérial selon R. Etienne [1670]), et Grecs et Romains
66o V Occident

semblent avoir été frappés par l’ardeur combative de ces bandes,


parfois assimilées à des troupes de brigands. Leur armement était
original et d’une grande variété, avec petit bouclier rond (caetra)
ou long (scutum) y sabre recourbé (falcata) et, surtout, une épée
efficace, dont la trempe était d’une particulière qualité (gladius
hispaniensis) et qui, appréciée par les Romains dès Scipion l’Afri¬
cain, fut progressivement adoptée par eux.
La recherche actuelle tente d’apporter des nuances locales aux différents
faciès culturels de la péninsule, d’opposer les régions, et de démêler les influences
successives véhiculées par les conquérants et qui ont été l’objet d’accueils très
divers durant ces trois siècles; mais il demeure évident que les renseignements les
plus nombreux et les mieux datés viennent toujours des civilisations ibériques, et,
dans une moindre mesure, celtibériques, tandis que les régions celtiques (civili¬
sation des castros) livrent encore peu d’éléments appartenant avec certitude à la
période considérée ici, Strabon constituant souvent l’unique source. J. Caro
Baroja [1667] dégage pour l’Espagne humide du Nord l’originalité et la solidité
d’une organisation « gentilice » à trois niveaux et à structure matrilinéaire. La
diversité des développements et des organisations sociales explique probablement
l’incapacité des peuples de la péninsule à faire cause commune contre les envahis¬
seurs, mais, à l’inverse, si les conquérants pouvaient recruter des mercenaires,
ils ne pouvaient que malaisément, dans les régions celtibériques et celtiques,
exploiter un pays relativement pauvre, peuplé sporadiquement de peuples
indociles car peu coutumiers d’une autorité dépassant le cadre local, et habitués
à une relative mobilité géographique. De là, sans doute, des réactions habituelles
de répression-massacre ou réduction en esclavage pour les besoins des mines, à
une époque où le Bassin méditerranéen paraît connaître, surtout en son Occident
romanisé, la constitution d’un important cheptel humain servile. Retard du
développement « civilisé » et retard de la conquête paraissent aller de pair, le
second s’expliquant très largement par le premier.

2) LA SÈCHE ANNALISTIQUE DES CONQUÉRANTS

Des conquêtes d’Hamilcar Barca, au sud-est, à l’achèvement


de la conquête du Nord-Ouest par Auguste, l’histoire de la pénin¬
sule Ibérique est d’abord celle des hommes de guerre étrangers,
de leurs victoires, accessoirement de leurs adversaires indigènes
et, de ce fait, des pans entiers paraissent vides, à commencer par les
deux premiers tiers du 111e siècle. Il est même assez malaisé de
dresser un tableau des comptoirs étrangers existant alors avec
La péninsule Ibérique 66 x

certitude. Ampurias paraît constituer le seul point d’appui bien


attesté, avec Rhoda peut-être, des anciens comptoirs grecs. A
l’autre extrémité du pays, autour de la mer gaditane, au sud du
cap Sagres et jusqu’à Mogador, les marins phéniciens paraissent
avoir régné sans partage depuis leur métropole de Gadès toujours
prospère (cf. les bijoux et le mobilier des nécropoles) et de son
sanctuaire de Melqart, et le voyage du Marseillais Pythéas
(vers 328-321) semble sans postérité; Strabon (III, 5, 11) raconte
que pour garder le secret de la route de l’étain des Cassitérides (?),
les Gaditains préféraient se saborder lorsqu’ils étaient suivis et il
fallut attendre la conquête romaine pour que s’ouvrent progressi¬
vement les routes de l’Atlantique.
En Méditerranée, au sud du cap de la Nao peut-être ou du
cap de Gata sûrement, s’étendait également une mer punique
(mare ibericum), avec les points d’appui d’Ebusus, Malaca, Sexi et
Abdera (ces trois derniers fort mal documentés). Si le commerce
paraît toujours actif, l’influence carthaginoise était-elle en déclin
au ive siècle dans la péninsule? Quel y fut le retentissement de la
première guerre punique?

Il est vraisemblable que Carthage essaya de tirer le maximum de ressources


en métal et mercenaires (Polybe, I, 17, 4) de ses alliances hispaniques et que
celles-ci souffrirent de ses revers (Polybe, II, 1, 16), mais en dix-neuf ans, de
l’arrivée d’Hamilcar à Gadès au départ d’Hannibal pour l’Italie, fut constitué
un « empire », connu principalement par les sources littéraires, où il est bien
malaisé de déterminer ce qui était volonté carthaginoise et initiative barcide;
comme il apparaît clairement que Carthage avalisa constamment les initiatives
de ses généraux, ce problème d’intentions, insoluble, est au demeurant secondaire.
Ce nouveau domaine s’étendit dans l’intérieur (sierra Morena, vallée du Bétis)
jusqu’au Tage (région de Toletum-Tolède), avec des raids jusqu’à la vallée du
Douro moyen (au nord de Salmantica-Salamanque), avec une façade maritime
orientale du cap de Gata au Jucar, sans pour autant négliger la façade maritime
déjà occupée (cf. le Portus Hannibalis, en Algarve). Rien n atteste des dissen¬
sions entre les villes puniques anciennes et les généraux de Carthage, mais, à
l’issue de la deuxième guerre punique, Gadès (et probablement d’autres cités
comme Malaca) put, par traité, rester au moins théoriquement libre, ce qui
montrerait une certaine tradition d autonomie.
Entraînant des mercenaires encombrants sur les routes de l’argent à un
moment où Carthage avait une énorme indemnité de guerre à payer à Rome,
Hamilcar, Hasdrubal et Hannibal jetèrent les bases d’un nouvel Etat de type
662 U Occident

peut-être « hellénistique », avec une armée sur place, une capitale-arsenal


(Akra-Leuké puis Carthago-Nova), une monnaie originale et un système
d’alliances avec les cités et peuples indigènes, système fragile a posteriori certes,
mais qui résista treize ans aux Romains. Par la livraison d’otages, les mariages
personnels (celui d’Hannibal avec une native de Castulo), l’enrôlement des
mercenaires, la perception de tributs, l’installation de garnisons et la protection
que les Puniques accordaient à leurs alliés, il avait autant de solidité que certains
royaumes nés de la conquête d’Alexandre. Polybe (III, 33, 8-18) mentionne
l’installation en 218 d’une garnison de 15 000 Africains (puniques ou punicisés)
et la toponymie de l’Espagne méridionale garderait les traces d’assez nombreux
établissements humains (Desanges [1699]). Les principaux documents originaux
sur cette époque sont les monnaies, mais elles sont relativement peu nombreuses,
leurs trouvailles attestées assez rares et elles sont dépourvues de légendes. Fran¬
chement grecque sur le plan artistique, leurs différents types ont permis de les
distribuer en plusieurs groupes géographiques, mais on ne peut dire avec certi¬
tude si ces groupes jalonnent les étapes de la conquête carthaginoise ou s’ils ne
sont pas presque exclusivement les témoins de l’effort de guerre d’Hannibal et
de ses successeurs jusqu’en 206. Des portraits individualisés sur les espèces
d’argent (mais non sur celles d’or et de bronze) comprennent, sous la fiction d’une
effigie de Afelqart, celui d Hanmbal et probablement ceux d’autres généraux,
mais l’anonymat, la métrologie et les types très carthaginois de l’or, du bronze
et d une paitie de 1 argent ne plaident pas en faveur d’une totale indépendance
de l’empire barcide (Villaronga [1440]).

Quand on aborde la deuxième guerre punique, d’emblée se


pose, pour ses causes, le problème des accords romano-carthagi-
nois : quels étaient la valeur et le contenu exact de l’accord conclu
entre Hasdrubal (et non avec le Sénat de Carthage!) et les
Romains (Polybe, III, 27, 9; T.-L., 21, 2, 3) par lequel les
Carthaginois s’engageaient à ne pas dépasser l’Ebre? La propo¬
sition de J. Carcopino [1698] d’identifier VHiberus au Jucar, pour
placer Sagonte qu’était venu assiéger Hannibal, au sud de cet
Ebre, n’est guère convaincante; important serait le traité de 348,
s’il a été renouvelé dans les mêmes termes, qui limitait l’expan¬
sion (la « navigation »?) romaine au « kalon Akroterion, Mastia
et Tarséion » (Polybe, III, 23), identifications qui font problème
mais qui placeraient peut-être près du site de la future Carthago-
Nova, donc bien au sud de l’Ebre (et même du Jucar) la Mastia
des Tartessiens (Aviénus, Or. mar., 462), ce qui montrerait que
plus d un sieçle auparavant Rome pouvait avoir une connaissance
La péninsule Ibérique 663

et des relations avec une grande partie du Levant hispanique.


Sagonte était bien au sud de l’Ebre, mais elle était alliée de Rome;
en l’assiégeant, Hannibal ne violait pas les termes de l’accord
de 226, mais Rome avait peut-être le devoir et sûrement un bon
prétexte pour intervenir. Au demeurant, le dossier a été présenté
de façon partiale par des auteurs proromains comme l’ont montré
Eucken [1700], Hampl [1511], Hoffmann [1512] et la seule
certitude, c’est la détermination des adversaires en présence.

Les raisons de l’offensive d’Hannibal demeurent une énigme mais il pouvait


lui paraître évident que Rome, libérée du péril gaulois, ne tolérerait pas plus
longtemps un Empire carthaginois qui inquiétait aussi ses alliés (notamment
Marseille) et dont la richesse même constituait un danger potentiel. Pour Rome
qui se révélait, après l’extraordinaire effort contre les Gaulois, la première puis¬
sance méditerranéenne, l’expédition d’Espagne ne présentait pas grand problème
puisqu’elle envisageait une guerre sur plusieurs fronts à la fois.
Après la chute de Sagonte, Hannibal partit pour l’Italie par la route de
terre, tandis que les Romains débarquaient dès 218 à Ampurias et s’assuraient le
contrôle des régions au nord de l’Ebre (fondation de Tarraco). Pendant plusieurs
années, généraux carthaginois et généraux romains se paralysèrent mutuellement,
et une profonde offensive romaine par l’intérieur qui atteignit et dépassa le
Bétis se solda par un désastre et la mort des deux Scipions (211). Il fallut l’audace
du jeune Scipion, le futur Africain, réussissant le coup d’éclat que fut la prise de
Carthago-Nova pour que l’avantage soit décisivement saisi, mais ce n’est
qu’en 206 que la Bétique fut définitivement perdue par les Puniques et que
Magon évacua Gadès qui entra dans l’alliance romaine. Quant à l’expédition
de secours d’Hasdrubal qui se termina en Italie au désastre du Métaure, elle
contribua sans doute, en 208, à affaiblir considérablement le dispositif cartha¬
ginois. Durant toute la guerre, les chefs indigènes allèrent d’une alliance à une
autre, et il est malaisé de dire quel camp fut favorisé par ces volte-face; de même
ne peut-on dire si la longueur des hostilités s’explique par la faiblesse de l’effort
romain ou par la solidité du système punique. Guerre marginale quand on la
compare aux opérations dans la péninsule italienne, elle fut néanmoins attenti¬
vement suivie par les Sénats de Carthage et de Rome qui ne sous-estimaient pas
l’importance de la péninsule Ibérique : lors de la prise de Carthago-Nova,
Scipion mit la main sur 18 300 livres d’argent travaillé ou monnayé (Polybe, X,
17, 9 et 19, 1-2; T.-L., XXVI, 47) et un abondant matériel de guerre.

Le long siècle qui s’écoule du départ de Scipion (205) à


l’arrivée de Sertorius (82) n’est apparemment pas marqué par
une modification importante de l’étendue des territoires contrôlés
664 V Occident

au 111e siècle par les Romains au nord de l’Ebre (jusqu’à Saragosse


et Huesca) et par les Barcides, auxquels ils se substituèrent de fait
dans le Levant, sur la Meseta et en Bétique. Rome n’y maintint
guère en permanence que deux légions, parfois doublées lors des
troubles, soit un corps expéditionnaire qui dut rarement atteindre
50 000 hommes au total, et où il y avait principalement des
Italiens (Brunt [298], p. 661-665), mais sur place le recrutement
de troupes auxiliaires était facile et coutumier. Le fait important
réside plutôt dans la permanence de ces garnisons avec des chefs
qui sont des magistrats romains (préteurs ou consuls) à la tête
de chacune des deux provinciae, la Betique ou Espagne Ultérieure
(chef-lieu Cordoue, mais a partir de quelle date?) autour de la
vallée du Bétis-Guadalquivir, l’Espagne Citérieure (chef-lieu
Tarraco) du sud de Carthago-Nova aux Pyrénées. Aussi le
contrôle en profondeur donna un caractère nouveau à l’occupa¬
tion et les résistances furent cantonnées au nord de l’Anas-
Guadiana puis du Tage (Knapp [ 1711 c]).

L’exploitation des territoires conquis se révéla d’emblée comme très brutale


et accompagnée de nombreuses exactions; au bout de dix ans de pillages (206-
197), des révoltes éclatèrent dans les deux provinces, et les opérations durèrent
jusqu en 17g en Citérieure, où Tib. Sempronius Gracchus, intervenant après
Caton T Ancien, y mit fin par une série de traités; en Bétique, elles s’interrom¬
pirent plus tôt malgré les raids des Lusitaniens, indociles jusqu’à César. Après
vingt-cinq ans de paix, révoltes et répressions reprirent dans les deux provinces
et durèrent jusqu’en 137 en Ultérieure (avec D. Junius Bmtus dit Callaicus)
et 133 en Tarraconaise (prise de Numance par Scipion Emilien). Pendant une
dizaine d’années, un chef énergique, Viriathe, avait pu tenir tête avec succès
aux légionnaires et auxiliaires romains (Gundel [1712]). Le succès de ces der¬
niers s’explique surtout par leur supériorité technique (art du retranchement)
et le grand nombre de troupes levées en Hispania même (40 000 auxiliaires lors
du siège de Numance).
Le dernier tiers du 11e siècle est surtout marqué par l’établissement d’une
meilleure relation entre les provinces hispaniques et l’Italie par l’organisation
de la Narbonnaise et la conquête des Baléares où 3 000 colons furent installés.
Les Cimbres qui passèrent les Pyrénées après leur victoire d’Arausio (105)
(Villaronga [1719]) furent repoussés par les Celtibères dont certains se révol¬
tèrent ensuite, mais tout rentra dans l’ordre en 94. Le demi-siècle qui s’écoule
entre le siège de Numance et l’épisode sertorien est marqué par une installation
nombreuse et active des Romano-Italiens. Avec l’arrivée de Sertorius en 82,
la péninsule offre de nouveau une documentation un peu plus abondante. Ce
La péninsule Ibérique 665

général marianiste, à partir de 80 et de sa deuxième tentative, arriva en 77 à


contrôler toute l’Espagne romaine à l’exception de quelques forteresses, dont
Garthago-Nova. L’arrivée de Pompée ne suffit pas pour l’abattre et il fallut,
en 74, un substantiel renforcement de l’armée sénatoriale puis l’assassinat de
Sertorius pour mettre fin à cette dangereuse dissidence (Gabba [911]). Le révolté
avait entrepris une politique de collaboration avec les peuples indigènes d’où
il tirait une part non négligeable de son armée (Velléius, II, go, 3), mais loin
de vouloir créer un Etat « hispanique » indépendant, il prétendait incarner la
« légitimité » romaine avec un Sénat, un conseil, une armée où les légionnaires
citoyens étaient distincts des auxiliaires indigènes. Il ne songeait à conférer la
citoyenneté romaine qu’à des élites dûment romanisées (Plutarque, Sert., 14).
La réorganisation par Pompée et Metellus opéra probablement de grands
transferts de clientèles et Pompée gouverna par des lieutenants la péninsule à
partir de 59, ce qui montrerait à la fois la facilité des communications entre les
deux péninsules et la reconnaissance de la prééminence indiscutée de Pompée
en Hispania. En 49, ses représentants Afranius, Pétréius et Varron y disposaient de
sept légions dont une levée sur place (vernacula) parmi les Romains. Que Pompée
n’ait pas songé à les utiliser pose une énigme (cf. Harmand [1711 6]). César,
propréteur en Bétique en 61, s’était attaché à réduire les Lusitaniens et les autres
peuples d’entre Tage et Douro (Serra do Estrela), mais les Pompéiens ensuite
ne tentèrent aucune opération importante. En 49, après la capitulation de
l’armée pompéienne près d’Ilerda, la Bétique se soumit sans combat à César,
avant de se révolter contre le gouverneur qu’il y laissa, Q. Cassius Longinus, et
de faire appel aux Pompéiens d’Afrique. Les deux fils du grand Pompée vinrent
en personne et Gnaeus réunit une armée hétéroclite de treize légions qui fut
difficilement écrasée par César à Munda (45). Sextus Pompée, ayant réussi à
s’enfuir, souleva certains peuples du Piémont pyrénéen dès la fin de 45 contre le
gouverneur C. Carrinas, gagna la Bétique contre C. Asinius Pollio (hiver 45-44)
et revint en Citérieure avant de quitter librement la péninsule en 43 avec ses
troupes et sa flotte pour mener ailleurs sa lutte.

Jusqu’à la venue de César Auguste en 27, la péninsule fait


parler assez peu d’elle, et cependant les nombreux triomphes ins¬
crits dans les Fastes révèlent que les campagnes se succédaient
dans le Nord-Ouest et que la conquête augustéenne qui acheva
en 25-19 d’assurer le contrôle de Rome sur les Astures et les
Cantabres en était l’aboutissement normal. Désormais la pax
romana ne fut plus troublée.
666 U Occident

3) LES RICHESSES DE LA PÉNINSULE IBÉRIQUE

Les motifs des conquérants et les circonstances de la conquête


s’apprécient encore incomplètement, et la première démarche
consisterait à dresser un tableau démographique, mais là on ne
quitte guère le domaine de l’estimation souvent fragile. Les bul¬
letins de victoire des imperatores romains parlent de centaines de
points fortifiés ou oppida (Pline, III, 18) et même si Strabon
(III, 4, 13) marquait déjà des réticences, l’archéologie, pour la
Catalogne et le pays valencien, a révélé de très nombreux vil¬
lages plus ou moins fortifiés et quelques villes assez rares
(ex. Ullastret) ; l’Andalousie, plus difficile à explorer, a laissé
de longues listes de « cités » (cf. les fouilles anciennes d’Osuna
ou les fouilles récentes de Castulo), tandis que le Nord-Ouest
celtique aurait regroupé peut-être surtout de gros bourgs (citanias
et castros).

Si l’on est tenté de retrouver pour l’Antiquité les oppositions de l’Espagne


moderne entre les plaines cultivées (huertas) et les plateaux du Centre (meseta),
on doit se rappeler que l’intérieur accidenté offrait de nombreux sites d’habitats
dans le cadre d’une économie pastorale. Pour s’en tenir à un ordre de grandeur,
on a pu évaluer au 111e siècle av. J.-C. la population à trois millions d’habitants
pour toute la péninsule (Péricot [1651], p. 272) pour atteindre six millions à
l’époque augustéenne (Beloch [292]), mais cette dernière appréciation est
peut-être exagérée. Quant au nombre des communautés autonomes, à suivre
Pline, il y en aurait eu un peu plus de 400 sous Auguste, mais il est vraisemblable
que c’était à l’issue d’un processus actif de regroupement artificiel (nombreuses
destructions).
Pour les centres urbains, au 111e siècle, M. Tarradell [1745], p. 87-91, propose
pour les établissements puniques 500 à 600 habitants pour Villaricos, 3 600 à
4 500 pour Ebusus et plus de 5 000 pour Gadès. A l’époque augustéenne, Tarraco
était aussi peuplée que Carthago-Nova (Strabon, III, 4, 7) et, avec Gadès, elles
constituaient les trois villes les plus importantes avec 15 000 habitants chacune
dans leur centre urbain (Balil [1721], p. 200); Ampurias aurait pu grouper
2 000 habitants au plus dans ses murailles au 11e siècle av. J.-G. (ibid., p. 128),
mais, répétons-le, il ne faut voir dans ces chiffres qu’un ordre de grandeur
approximatif.

Au total, la péninsule peut paraître relativement vide d’hommes,


beaucoup plus vide que l’Italie par exemple, mais ce faible peu-
La péninsule Ibérique 667

plement, s il a été un élément favorable dans un premier temps


pour l’avance des conquérants en profondeur, est devenu ensuite
facteur de retard dans le contrôle des territoires conquis : les
effectifs des corps expéditionnaires étaient faibles et le contact
n était pas toujours aisé à établir : une collaboration active des
indigènes, de gré ou de force, était indispensable. Il faut attendre
les décennies qui suivent la prise de Numance pour que les apports
humains venus d’Italie présentent quelque importance dans nos
sources, sans que l’on puisse toujours bien distinguer dans le
nombre des citoyens romains à l’époque de César et d’Auguste la part
de l’immigration italienne en face des nombreux indigènes ayant
déjà reçu le droit de cité romaine (Wilson [310], p. 9-12;
Brunt [298], p. 204-265).
Il serait également nécessaire de distinguer les différents faciès
de l’immigration : les conditions d’installation et de durée ne
pouvaient être les mêmes dans une région minière faisant appel à
des investissements importants et à une main-d’œuvre servile
(razziée dans la péninsule même?) et dans les régions à vocation
agricole attirant des hommes libres qui cherchaient à s’enraciner.

Or il semble bien que le but principal des conquérants ait été l’exploitation
des richesses minières : Strabon, utilisant Polybe et Poséidonios, en donne un
témoignage éloquent (III, 2-3; III, 2, 8 à n) ainsi que Diodore de Sicile
(W 35-38), et Tite-Live recense minutieusement les quantités importantes de
métaux précieux versés par les gouverneurs dans le Trésor public de Rome :
environ 30 t d’argent et une tonne d’or de 206 à 197. Polybe mentionne
40 000 mineurs à Carthagène (Strabon, III, 2, 10) procurant un revenu de
25 000 deniers par jour (soit 9 millions par an?). Sur le terrain, les recherches
archéologiques ont encore peu progressé tant elles présentent de difficultés de
datation, mais quelques résultats ont déjà été présentés, en particulier par
C. Domergue [1730 à 1736] qui a mis en valeur la reprise de l’exploitation
ou son intensification à la fin du 11e siècle et durant la première moitié du Ier
pour le plomb argentifère de Carthago-Nova et de la Sierra-Morena, avec la
participation d’hommes d’affaires campaniens (d’après les estampilles sur les
lingots). Pour l’exploitation du cuivre, de l’or, bien attestée sur le terrain et
dans nos sources littéraires (pour le fer et l’étain l’archéologie demeure encore
discrète), les jalons chronologiques manquent le plus souvent : à Aljustrel,
pour le minerai de cuivre et d’argent et dans le Nord-Ouest pour les filons
aurifères, rien n’atteste une exploitation avant l’époque impériale (Pline,
XXXIII, 78), mais ce fut vraisemblablement un des objectifs des guerres
668 Z,’ Occident

d’Auguste. Comme en Gaule, l’or alluvionnaire et des dépôts alluviaux furent


attentivement recherchés.
L’abondante vaisselle d’argent et de bronze (Raddatz [1742]) et l’abondant
monnayage d’argent, et secondairement de bronze, aligné métrologiquement
sur le système romain, pourraient bien refléter cette exploitation en plein essor
à la fin du 11e siècle et dans la première moitié du Ier, car les frappes paraissent
avoir été multipliées entre la prise de Numance (133) et la fin de la guerre
sertorienne (72). Par la suite, des ateliers purement romains furent installés
dans la péninsule. Au Ier siècle av. J.-C., nombreuses sont les cités qui émettent
encore des monnaies de bronze, mais Gadès (comme Ebusus) paraît avoir
cessé de façon précoce ses émissions d’argent (avant 206 ?) tandis qu’Ampurias
aurait poursuivi la frappe de ses monnaies d’argent jusqu’en 70 peut-être
[Guadan [1656] et [1695]).

Pour dresser un tableau de l’économie de la péninsule avant


Auguste, nous disposons principalement de Strabon. Mais à travers
lui comme à travers nos autres sources littéraires ou épigraphiques
(Pinstrumentum avant tout), ou sur le terrain grâce à l’archéologie,
il est bien malaisé de distinguer l’économie augustéenne de celle
pré-augustéenne (Blazquez [1726]); aussi rien de bien établi ne
peut être avancé pour l’agriculture et l’élevage, surtout en histoire
économique quantifiée. Les Grecs Polybe, Poséidonios et Strabon
sont les témoins de l’admiration que suscita la richesse agricole
des terroirs de Turdétanie, mais il est bien difficile de trouver déjà
les traces du grand commerce d’exportation régulier des céréales,
de l’huile et du vin signalé par Strabon notamment (III, 2, 6),
si ce n’est peut-être dans un épisode du tribunat de C. Gracchus
(Plut., CG, 6, 2). De même, les ateliers de céramique repérés ont
une production destinée au commerce local, tandis que la péninsule
reçoit céramique noire campanienne et céramique arrétine, vin
et huile d’Italie; qu’exportait-elle dans ses kalathoi retrouvés en
Provence ou en Italie — du miel, de la cire? Cela dit, la péninsule
offrait des terroirs attractifs pour des conquérants agriculteurs,
comme les Carthaginois ou les Italiens, sur une grande partie de
ses côtes, dans les vallées des principaux fleuves (Bétis, Anas,
Ebre), dans les dépressions des montagnes méridionales et dans
certains secteurs des hauts plateaux du Centre; l’agriculture de
type méditerranéen (céréales, vigne et olivier), avec des possi¬
bilités exceptionnelles pour l’élevage, pouvait s’v développer et
La péninsule Ibérique 669

faire école auprès des indigènes. Au-delà de l’autoconsommation,


un pedt courant commercial est attesté vers les régions minières,
les garnisons, les troupes en opérations et les villes. La « crise
industrielle » qui aurait frappé la péninsule à l’occasion des
guerres civiles de 49-43 (mines de la Sierra Morena) aurait été
peut-être déterminante pour l’essor des plantations d’oliviers en
Bétique à la suite d’investissements importants, « ce qui expli¬
querait la subite irruption de l’huile espagnole dès la première
moitié du Ier siècle apr. J.-C. sur le marché de l’Occident
romain » (Domergue [1736]).

Un domaine relativement bien documenté (sources littéraires et enquête


archéologique) est celui des salaisons, du sel et du garuni, ce condiment obtenu
à partir des viscères de poissons, en raison peut-être de l’abondance de ces
produits, mais aussi de leur intérêt anecdotique; ils donnaient lieu à exportation
à partir des usines de la mer Gaditane ou de celles du littoral méditerranéen,
(cf. Etienne [1737] et Ponsich-Tarradell [1741]).

Les établissements anciens des premiers colonisateurs, Grecs


et Phéniciens, ne souffrirent généralement pas de la conquête
romaine, malgré, sans doute, quelques exactions qui purent parfois
en conduire certains, au début, à faire cause commune avec des
révoltés indigènes; dans l’ensemble, les Romains, qui utilisaient
ces établissements comme bases d’opérations, les soulagèrent de
la pression qu’exerçaient sur eux les peuples indigènes belli¬
queux. Lors du développement de l’économie monétaire, les
Romains laissèrent à ces cités, comme à celles, plus indigènes, de
l’intérieur, le droit d’émettre des monnaies de bronze et d’y
utiliser leur alphabet et leur langue.

Ampurias profita des campagnes de Caton en Léétanie pour continuer son


développement et connaît un essor bien attesté archéologiquement aussi bien
dans son enceinte que dans ses nécropoles, avec un commerce actif. Un artisanat
de tissage y est mentionné, mais dès l’époque augustéenne Tarraco et Barcino
commencent à l’éclipser, tandis que Rhoda, peut-être absorbée par une cité
indigène, tombe dans l’oubli (arrêt des émissions monétaires à la fin du 111e siècle).
A la fin du Ier siècle av. J.-C., Ampurias est déjà largement latinisée (Almagro
[1692]).
Gadès, au 11e siècle, garda une autonomie théorique et resta une grande
métropole commerciale (routes du Maroc et de l’étain atlantique) ; à sa porte,
6yo UOccident

elle contrôle toujours l’important sanctuaire très visité d’Hercule-Melqart


(Garcia y Bellido [1701]). Au Ier siècle, ses liens avec Rome se resserrent (cf. les
Cornelii Balbi) et elle devient municipe romain grâce à César. Sur Malaca, Sexi,
Abdera, Carthago-Nova, peu de choses sont connues, et le plus souvent on ne
peut guère parler que de l’existence d’un monnayage, de la persistance de la
langue et de certains cultes (Tanit, Eshmun...). C’est Ebusus qui fournit actuelle¬
ment l’ensemble archéologiquement le mieux documenté et qui apparaît
comme un conservatoire de la civilisation punique en Méditerranée occidentale
(Tarradell-Font [1704]). Sur la terre ferme, en Bétique comme en Afrique,
la civilisation punique, elle-même pénétrée d’influences grecques, exerça un
attrait certain sur les peuples indigènes, avant de céder, progressivement, au
1 siècle, devant les influences romaines. Dans l’introduction des pratiques
agricoles méditerranéennes (ceréalieres ou arbustives) les Puniques jouèrent
certainement un rôle non négligeable mais qui se laisse mal distinguer de celui,
plus tardif et mieux attesté, des Romains.

4) LA ROMANISATION

La présence romaine, face à ces civilisations qui prospérèrent


longtemps sous sa protection, apparaît au début comme fragile par
la faiblesse numérique du corps expéditionnaire (ce qui a pu
encourager les révoltes). La romanisation, jusqu’aux guerres
sertoriennes, se marque comme un processus fort lent, car le
contrôle de la péninsule Ibérique, qui s’ajoutait aux îles de Sicile,
de Sai daigne et de Corse, et a la Gaule padane, posa des pro¬
blèmes spécifiques. L immensité de cette nouvelle conquête
contrastait avec les dimensions beaucoup plus restreintes des
autres provinces. Comme en Sardaigne par exemple, mais sur
une tout autre échelle, la diversité des sociétés humaines que ses
administrateurs rencontraient imposait la pratique simultanée
de plusieurs politiques : ils ne pouvaient traiter les Grecs
d Ampurias, les Ibères de Sagonte ou les Phéniciens de Gadès
de la même façon que les Lusitaniens ou les Carpétans moins
urbanisés et dont les structures sociales, les mentalités, les langues
étaient beaucoup plus éloignés de celles du monde gréco-romain.
L absence de limites naturelles propres aux territoires conquis et
la rapidité des déplacements sur le plateau exposaient en per¬
manence les régions contrôlées à des raids ou à des incitations à la
La péninsule Ibérique 671

révolte venues des pays « barbares » de la haute vallée de l’Ebre,


du Bas-Douro ou du Nord-Ouest hostiles : Rome devait protéger
les peuples qui s’étaient confiés à sa Fides, mais ne se donnait
pas les moyens, surtout au 11e siècle, et même jusqu’à Auguste,
d’une offensive généralisée, et ces décennies sont la succession,
dans les annales, de révoltes réprimées et de triomphes répétés.
Certes, le corps expéditionnaire ne fit pas que préserver l’acquis
puisqu’il fut amené à s’engager plus loin vers le nord-ouest, en
contrôlant notamment l’ensemble du Piémont pyrénéen avant
Auguste. Par ailleurs, la nature particulière des richesses recher¬
chées dans la péninsule, c’est-à-dire les mines de métaux mon¬
nayables dont l’époque hellénistique et romaine éprouve un besoin
constant, ne favorisait pas a priori une émigration de peuplement
agricole, celle qui s’enracine le plus, mais les paysans avisés
qu’étaient les Italiens, après les Puniques, découvrirent les riches
terroirs de la péninsule et tout le parti qu’on pouvait en tirer.

Un obstacle considérable, surtout dans le cadre des structures mentales de


la cité antique, était représenté par la distance : pas de jonction directe avec
l’Italie, sinon au prix de marches pénibles et souvent dangereuses du fait de
l’hostilité des peuples ligures, alpins et pyrénéens; par voie de mer, le cabotage,
à la mauvaise saison et, pour tous les transports de troupes, même durant la
belle saison, était une voie longue et dangereuse le long de côtes rocheuses de
Provence ou de Catalogne. Quant à la navigation hauturière, d’Etrurie au
détroit de Bonifacio et, de là, vers les Baléares et la côte du Levant, elle était
limitée à quelques mois par an et soumise à une grande fortune de mer; la
piraterie menaçait cette navigation comme celle de cabotage, et les îles, Majorque
et Minorque en particulier, abritaient encore de nombreux groupes hostiles. Dans
le dernier quart du 11e siècle seulement, la conquête de la Narbonnaise et des
Baléares (Morgan [1714]) apporta un remède et améliora les communications.
Dans la péninsule elle-même, les routes s’étiraient sur de longues distances et
en des tracés accidentés et exposés, d’où l’importance de l’Orétanie, autour de
Castulo, centre minier et lieu de jonction terrestre entre les deux provinces.
Aussi la navigation côtière, du Languedoc à l’AlgarVe, reste encore le moyen
privilégié de communication; l’utilisation des fleuves en est le complément
naturel et ils furent de plus en plus parcourus (le Bétis est navigable jusqu’à
Cordoue). La route terrestre principale, du Perthus à Gadès, est la route héra-
cléenne légendaire, fixée à l’époque impériale sous le nom de via Augusta, qui
suivait la côte jusqu’au nord de Carthago-Nova, avant de franchir les chaînes
montagneuses vers le bassin du Guadalquivir (Sillères [16846]).
672 V Occident

La romanisation ne marqua guère, avant Auguste, que la côte


méditerranéenne, la vallée de l’Ebre et la Bétique : des provinces
considérées d’abord comme pays à exploiter, un corps expédi¬
tionnaire réduit, le problème italien non résolu (avec tout ce que
cela implique de refus d ouvrir la cité), autant de facteurs qui
expliquent pendant un siècle et demi les lenteurs du processus, ce qui
n’empêchait pas les Romains d’administrer souvent dans le détail
(cf- le bronze de Lascuta {CIL, II, 5041; ILS, 15)) les affaires
indigènes. Les jalons principaux sont constitués par les fondations
de cités. Celle d’Italica par Scipion est l’initiative d’un imperator
créant un lazaret de campagne pouvant devenir garnison face
aux incursions des Lusitaniens par exemple; peuplée d’Italiens,
rien n y atteste une constitution municipale avant la guerre sociale.
Autres regroupements de faits, Corduba sur le Bétis, Palma et
Pollentia dans les Baléares restèrent probablement aussi sans
constitution municipale. Les gouverneurs ne se privaient d’ailleurs
pas de regrouper des indigènes vaincus ou ralliés sans leur concéder
le moindre privilège : Graccuris, Valentia ou Brutobriga en portent
témoignage. Les grandes villes, Tarraco, Carthago-Nova et Gadès,
comprenaient des « colonies » romano-italiennes de résidents
comme dans les^ autres provinces. Seule fondation coloniale cer¬
taine, Cartéia, a 1 entree de la mer Gaditane, près du roc de
Gibraltar, pour 4 000 descendants de mariages mixtes illégaux
entre soldats romains ou italiens et femmes indigènes. Le Sénat
romain, les assimilant a des affranchis, résolut un problème précis,
reliquat des campagnes de Scipion et de ses successeurs, par une
opération de regroupement ouverte aux habitants de la ville indi¬
gène ou punique antérieure. Par là, on saisit un des facteurs
essentiels de la romanisation, la voie militaire : mariage mixte de
légionnaires, emploi massif d’auxiliaires commandés en latin
octroi du droit de cité pour faits de guerre, installation de vétérans
paraissent l’emporter largement, au moins sur le plan juridique,
essentiel, sur une immigration spontanée fort sporadique, l’action
des magistrats gouverneurs, l’affranchissement d’esclaves indi¬
gènes pai des citoyens romains. Rien 11e permet d’attribuer, non
plus, un grand rôle aux negotiatores et aux mercatores. Quel qu’ait
pu être Battrait présenté par la civilisation du conquérant, une
communauté romano-italienne, regroupant peut-être au début
La péninsule Ibérique
673

du Ier siècle av. J.-C. 30 000 citoyens romains, ne pouvait guère


faire progresser rapidement l’assimilation.

Tout paraît changer avec Sertorius. L’action de l’homme se discerne mal,


mais sa volonté de créer un Etat romain largement ouvert, par nécessité sans
doute, aux élites de la péninsule est affirmée. Surtout, les circonstances exté¬
rieures étaient devenues plus favorables. Le problème italien ayant été résolu
en Italie même en 91-89, et la Gaule padane étant également bénéficiaire de ces
mesures, il devenait difficile de refuser l’assimilation aux Italiens des provinces
espagnoles. Le recrutement massif d’auxiliaires indigènes espagnols durant la
guerre sociale à un moment où les imperatores peuvent distribuer le droit de cité
pour conduite héroïque (cf. l’inscription d’Asculum, Criniti [952]) constitue
aussi un élément très important. Enfin, et surtout, il y eut la longueur et l’achar¬
nement des guerres sertoriennes qui virent les adversaires rivaliser en efforts
de guerre, en particulier en tentant de rallier à leurs camps les ressources
humaines de la péninsule. Les armées en présence purent rassembler jusqu’à
100 000 hommes, et des colonies militaires apparaissent alors, comme par
exemple Valentia, Norba Gaesarina, peut-être Munda, à un moment où l’appli¬
cation des lois résultant de la guerre sociale a pu conduire à faire d’Italica
(César, Bell. Alex., 52 et 57), Palma et Pollentia, par exemple, des municipes
romains. L’accroissement exceptionnel du nombre des citoyens romains en une
trentaine d’années (autour de 100 000 peut-être) permit à Varron, au moment
des luttes entre Pompéiens et Césariens, de lever deux légions de citoyens, soit
10 000 hommes.

Déjà bien préparé par Pompée, le mouvement de romanisation


par multiplication des communautés romaines s’accélère avec
Jules César et ses héritiers, Lépide et César Auguste, exécutèrent
ses désirs de telle sorte qu’il est souvent difficile de distinguer entre
ce que réalisa réellement César de ses projets et ce qu’il laissa à ses
successeurs, avant qu’Auguste lui-même ne prenne des initiatives
personnelles. Les mobiles de César ont pu être variés : désir d’équi¬
librer l'imperium romanum en renforçant la latinité de l’Occident
face à un Orient hellénisé d’attrait exceptionnel, volonté de prévoir
un recrutement élargi pour ses soldats, mais surtout décision de
récompenser des vétérans et de « césariser » une péninsule où
Pompée avait su installer une imposante clientèle. César lui-
même, par ses voyages, avait une familiarité réelle des problèmes
de la péninsule et n’hésita pas à faire entrer au Sénat des Espa¬
gnols comme les Cornelii Balbi ou Decidius Saxa.
674 V Occident

Il y eut donc de nombreuses colonies de vétérans (Romula Hispalis, Hasta


Regia, Genetiva Urso dont est conservée la lex, etc.) (cf. d’Ors [1654 è]), mais
il y eut aussi romanisation en bloc de villes sans apport de colons (la prospère
Gadès devint municipe de citoyens romains et comptait plusieurs centaines de
« chevaliers ») et le ius Latii se répandit (Urgao Alba, Aurélia Carisa, Ugia
Martienses, Laepia Regia, etc.) au bénéfice quasi exclusif de la Bétique. Quelle
que soit l’importance de l’extraction minière au Ier siècle av. J.-G., la colonisation
agricole reçoit alors une impulsion décisive et l’usage de la langue latine, au
témoignage de Strabon, s’impose en Turdétanie. Les échanges commerciaux
(cf. les lingots de plomb estampillés et la céramique d’importation présente sur
de nombreux sites) deviennent plus intenses, sans toutefois que la péninsule
devienne déjà exportatrice régulière de céréales, de vin ou d’huile et soit une
concurrente de l’agriculture italienne. Sur le plan cultuel, on peut noter avec
intérêt les honneurs divins rendus à Caecilius Metellus (cf. R. Etienne [1670]),
constater avec surprise, en pleine époque impériale, la vigueur du culte de
Ma-Bellona dans la région de Norba Caesarina, là où furent installés des vété¬
rans syllaniens pendant les guerres sertoriennes (cf. Garcia y Bellido [1762]),
mais en général l’épigraphie de cette époque reste encore souvent celtibérique
ou ibérique, même si l’alphabet et la langue latines triomphent désormais sur
les monnaies, laissant encore au punique, sur les émissions locales de Bétique,
une petite place. Un bilan général de la romanisation pré-augustéenne se
distingue encore mal de celui que l’on pourrait dresser avec les sources post-
augustéennes (Strabon, Pline) prédominantes et à l’issue de plus de trente années
de paix et d’essor économique.

5) ROME ET LES ESPAGNES, UN BILAN DIFFICILE

Si les modalités de la romanisation se découvrent peu à peu,


les raisons de la conquête romaine, sa signification et ses consé¬
quences pour Rome même, son destin historique sont encore peu
discernables et relèvent du jugement de valeur. A l’origine, très
probablement, il y eut le désir de chasser les Carthaginois (guerre
quasi préventive) et d’accéder directement aux métaux précieux
de la péninsule. Tite-Live, conservé pour le premier tiers du
11e siècle, a permis de dresser un bilan (Knapp [ 1711 c\, p. 165-173)
largement positif pour Rome, en termes budgétaires, de l’exploi¬
tation de la conquête, mais il semble bien, par ailleurs, qu’il faille
renoncer faute de preuves à l’existence d’une migration spontanée
importante d’agriculteurs de l’Italie vers les Espagnes. Seule
La péninsule Ibérique
675

l’armée aurait permis par ses vétérans et ses déserteurs d’enra¬


ciner Italiens ou Romains, en très petit nombre au 11e siècle,
en assez grand nombre sous César, les triumvirs et Auguste
surtout. La péninsule ne peut pas apparaître comme un exutoire
pour une Italie surpeuplée. En fait, jusqu’à Sertorius, en dehors
de quelques épisodes (Viriathe, Numance) la faiblesse numérique
et 1 efficacité du corps expéditionnaire sont largement à la mesure
des capacités de Rome. Le général marianiste agit probablement
comme un révélateur en posant et en résolvant le problème de la
cité romaine des Italiens ou assimilés de la péninsule et en incor¬
porant largement, de gré ou de force, les élites indigènes dans un
Etat romain et une guerre civile romaine : le bilan de plus d’un
siècle d’une romanisation discrète (cf. l’éclat de la civilisation
ibérique au 11e siècle) fut alors exploité dans la surenchère de dix
années de combat qui, sur un terrain préparé, organisèrent une
romanisation beaucoup plus profonde. L’ouverture de la cité
romaine aux élites indigènes, le cantonnement de nombreuses
troupes accélérèrent la ruine des sociétés et civilisations locales qui
ne bénéficiaient pas d’un contact direct avec le monde grec qui
seul aurait pu offrir une alternative aux modalités de l’accultu¬
ration. Rome était sans rivale même si elle rencontrait des
résistances.
Les guerres marianistes restèrent un épisode malgré tout
secondaire dans la république sullanienne, et c’est l’intelligence
militaire et politique de Sertorius qui leur donna une telle durée.
Avec les guerres civiles pompéiennes, l’enjeu principal, au contraire,
à deux reprises (Ilerda, Munda) parut se situer dans la péninsule,
et les Romains qui y étaient installés y jouèrent un rôle non
négligeable (cf. la suppression de la colonie de Munda). La
présence de César et son programme sans précédent de fondations
« coloniales » révélèrent son intérêt, partagé par ses héritiers. A
la fin du Ier siècle av. J.-C., la péninsule Ibérique joue, avec
d’autres provinces, le rôle qu’avait joué l’Italie au début du siècle,
et il est évident que dans l’histoire méditerranéenne, Rome, en
développant, peut-être malgré elle au 11e siècle, ses conquêtes
occidentales, alors qu’elle marquait des réticences pour l’admi¬
nistration directe et l’assimilation du monde grec (dont la civili¬
sation était certes incomparablement plus résistante et séduisante
676 l'Occident

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100 km

Carte 2. — La péninsule Ibérique


La péninsule Ibérique 677

que celle du monde ibérique) donna un caractère nouveau à


Vimperium qu’elle fondait et qui apparaissait ainsi comme fonda'
mentalement différent de ceux nés de la conquête d’Alexandre.
En ce domaine lointain où à une administration militaire dure
succédait l’assimilation au vainqueur sans que celui-ci perde, bien
au contraire, l’originalité de sa civilisation, où les élites « colo¬
niales », quelles que soient leurs origines ethniques, ne songent qu’à
insister sur leur « romanité » et renforcent, au moins quanti¬
tativement, celle-ci, Rome paraît avoir réussi, au prix d’un chan¬
gement de régime certes, là où échouèrent les rois grecs. Quand
Auguste achevait la conquête du Nord-Ouest, les gens de Cor-
duba, de Carthago-Nova ou de Tarraco étaient de toute évidence
plus liés et plus proches de Rome qu’ils ne l’étaient des peuples
celtiques mangeurs de beurre en train de succomber alors aux
assauts des légions. Quant à la « vision des vaincus » pour
comprendre leur résistance, elle n’est pas encore présente dans
nos sources.

6) CHRONOLOGIE

235 Début de la conquête des Barcides.


231 Ambassade romaine auprès d’Hamilcar.
230 Alliance entre Rome et Sagonte ( ?). Hasdrubal succède à Hamilcar.
Vers 228 Fondation de Carthago-Nova.
226 Traité de l’Ebre entre Rome et Hasdrubal.
221 Hannibal succède à Hasdrubal.
219 Siège et prise de Sagonte. Ambassade de Rome à Carthage.
218 Guerre déclarée entre Rome et Carthage. Hannibal part pour lTtalie.
Les Romains débarquent à Ampurias et battent Hannon près de
Tarraco.
217 Succès naval romain près de l’Ebre.
215
Près de Dertosa les deux Scipions battent Hasdrubal.
214-212 Offensive victorieuse des deux Scipions qui s’assurent de Sagonte
et de Castulo.
211 Les deux Scipions sont vaincus et tués en Bétique.
210 C. Claudius Nero tient la ligne de l’Ebre. Lejeune Scipion débarque
à Ampurias.
209 Prise de Carthago-Nova par Scipion futur Africain.
208 Victoire de Scipion à Baecula qui lui ouvre la Bétique. Hasdrubal
part pour lTtalie.
678 V Occident

207 Victoire de Scipion à Ilipa.


206 Victoire finale de Scipion. Ralliement de Gadès. Fondation d’Italica.
Scipion quitte la péninsule. Début de l’ère provinciale.
i97 Révolté des Turdetani. Création de deux provinces (?).
i94 Campagne contre les Lusitaniens.
189 Décret conservé de Paul Emile pour les habitants de Lascuta {CIL,
II, 5041).
181 Offensive romaine sur le plateau central : guerre avec les Celtibères.
i79 Ti. Sempronius Gracchus met fin à la guerre par des traités. Fonda¬
tion de Graccuris.
171 Colonie latine fondée à Cartéia. Plaintes des Espagnols et création
d’une commission temporaire sur les sommes extorquées.
168 Fondation (?) de Corduba (ou 153?).
154-138 Guerre avec les Lusitaniens. Fondation par D. Brutus de Valentia
et de Brutobriga.
153-i5i Guerre avec les Celtibères.
i47"i38 Guerre contre Viriathe.
I43_I33 Guerre de Numance. Après la capitulation de Mancinus, Scipion
Emilien prend la ville.
123-122 Conquête des Baléares. Q,. Metellus installe 3 000 colons à Palma
et Pollentia.
98 Une révolte des Lusitaniens est écrasée.
90 A Rome, Q,. Varius Hybrida, originaire de la péninsule, devient
tribun de la plèbe.
88 Duiant la guerre sociale, Pompeius Strabo accorde la cité romaine
à deux patrouilles de Tarraconaise (inscription d’Asculum, ILS, 888).
82-72 Sertorius dans la péninsule.
77 Perperna rejoint Sertorius, et Pompée, Metellus Pius.
71 Pompée quitte l’Espagne.
61 Jules César gouverneur d’Hispania Ulterior.
49 César vainc les Pompéiens à Ilerda.
45 César vainc les Pompéiens à Munda (17 mars).
27-35 Séjour d’Auguste.
25 Antistius et Carisius achèvent la conquête de l’Asturie. La Tarra¬
conaise est organisée en province.
!9 Agrippa achève les opérations dans la péninsule désormais pacifiée.
Vers 16-13 Les provinces de Lusitanie et de Bétique sont organisées.
Chapitre V

LA GAULE TRANSALPINE
par C. GOUDINEAU

i) SOURCES ET PROBLÈMES

Les deux siècles qui précèdent l’avènement d’Auguste pro¬


jettent le midi de la Gaule dans l’histoire. La conquête de l’Italie
du Nord, la seconde guerre punique, le rôle croissant de Marseille,
l’intervention des légions en Transalpine : autant de facteurs
qui provoquent la multiplication des témoignages. Les sources
littéraires, d’origine grecque et latine, jusqu’alors très rares, offrent
une documentation plus ample. C’est aussi pour cette période
que le développement de la recherche archéologique a fourni les
matériaux les plus abondants. On pourrait croire qu’à quelques
détails près le point a été fait des mutations connues par la région
et analysées dans plusieurs synthèses récentes. En réalité, les
incertitudes demeurent nombreuses.
Get état de fait tient en partie à la nature des sources littéraires antiques,
écrites et transmises dans des conditions très diverses :
a) Peu de sources se fondent sur des témoignages directs. Seuls Polybe
(vers 150 av. J.-G.) et Posidonius (au début du Ier siècle av. J.-G.) ont parcouru
le midi de la Gaule. Du second, on ne connaît que les notations conservées par
Strabon. Des Histoires de Trogue-Pompée (époque d’Auguste), né en territoire
voconce et utilisant une source grecque (et peut-être des chroniques massaliotes),
il ne nous reste que des citations et un Abrégé rédigé par Justin au 11e ou au
111e siècle.
b) Peu de sources sont contemporaines des événements qu’elles décrivent.
Cicéron (Pro Quinctio, Pro Fonteio) et César (BG, BC) se trouvent dans ce cas,
mais le premier n’est pas venu en Gaule, et le second n’évoque que rarement la
Gaule méridionale,
68o
U Occident

c) La plupart de nos sources sont donc postérieures et, au mieux, de seconde


main . Tite-Live, Strabon (dont le livre IV, consacré à la Gaule, est achevé
après 17 apr. J.-C.), Dion Gassius (début me siècle), Etienne de Byzance
(fin ve siècle), etc.

t/j, Certaines d’entre elles peuvent être orientées (Cicéron, César). Surtout,
elles s’intéressent peu aux populations autochtones.
L archéologie peut corriger en partie ces lacunes, mais le propre même des
decouvertes archéologiques est de laisser un très vaste champ à l’interprétation.
On suivra l’évolution des recherches dans les revues citées en bibliographie sous
les numéros [1773] à [1777].

Parmi les synthèses, si les ouvrages de C. Jullian [1778], M. Clerc [i 77Ql


F. Benoit [1780] et Fr. Villard [1781] peuvent encore rendre de grands services,
on retiendra pour les plus récentes :

1) sur Marseille et son domaine : celles de Fr. Salviat et M. Euzennat [1782!


(rapides) et de M. Clavel [1783] (peu sûre pour l’archéologie) ;
2) sur les populations du Sud-Est : l’ouvrage de G. Barruol [1784], excellente
mise au point fondée pour l’essentiel sur des documents d’époque romaine-
3) sur la conquête et la romanisation : G. Clemente [368] (à utiliser avec pru¬
dence), les Actes du Congrès d’Arles [1785] et l’ouvrage de Ch. Ebel [1786I
(excellent, mais non archéologique) ;
4) sur différentes villes ou opfiida : les livres de J. Jannoray sur Ensérune [1 787I
de M. Labrousse sur Toulouse [1788], de M. Clavel sur Béziers [1789], de
J.-Cl Richard sur Montpellier et sa région [1790] et les Actes d’un Colloque
sur Narbonne [1791];
5) sur l’évolution globale de la civilisation matérielle, les mises au point de
P. Arcelin [1792] et G. Barruol [1793];
6) sur les courants commerciaux et les influences culturelles liées à la colonisation
grecque, les riches états de la question présentés par T.-P Morel rr7Q.il
et [1795]. L /y**J

L’analyse doit d’abord porter sur la notion de « Gaule transal¬


pine ». Par ce terme on désigne la partie de la Gaule qui, à partir
d Auguste, formera la province de Narbonnaise, c’est-à-dire un
ensemble limité par le rivage méditerranéen du Var aux Pyrénées
par les Alpes, le lac Léman et le cours supérieur du Rhône au
nord-est (Lyon excepté), par les contreforts du Massif central et
des Cevennes, tout en englobant à l’ouest Toulouse et son terroir
Cette unité d’époque impériale est couramment reportée de
façon implicite à l’époque antérieure. Or, rien n’indique qu’elle
ait ete reconnue ni surtout organisée avant une date récente.
La Gaule transalpine 681

Strabon (III, 4, 19) écrit :« Les auteurs antérieurs appelaient Ibérie tout le
pays situe au-delà du Rhône et de l’isthme formé par le resserrement des golfes
galatiques », affirmation confirmée par les sources anciennes (celle d’Aviénus,
Ora Maritima, 612-613, celle du Pseudo-Scymnos, 206-208). A quand remonte
l’attribution (scientifique) du Languedoc et du Roussillon à la Gaule ? On ne
sait, mais la date en est récente, et cette donnée essentielle ne doit pas être
oubliée.

2) LA SITUATION AU MILIEU DU IIIe SIÈCLE

A) Les populations autochtones

De part et d’autre du Rhône, des populations dont le fond


remonte (au moins) au néolithique et que les auteurs grecs
appellent « Ligures » et parfois Ibères à l’ouest du Rhône ont
développé une civilisation qui, à travers des faciès régionaux et
locaux diversifiés, présente une indiscutable originalité au regard
du reste de la Celtique. Originalité qui tient, pour l’essentiel, aux
conditions de vie propres au Midi et, pour une part moindre, aux
contacts avec le monde méditerranéen.
Depuis le vne siècle, mais surtout à partir des vie et Ve, se sont
multipliés les oppida, villages de hauteur défendus par le relief et
par leur rempart de pierres sèches, regroupant dans des habitations
en matériaux légers agriculteurs, éleveurs et parfois un noyau
d’artisans, sans qu’on sache toujours si de tels habitats sont per¬
manents, saisonniers ou occasionnels.

Au milieu du 111e, deux techniques sont solidement implantées : depuis


le Ve siècle, la construction de tours carrées renforçant les courtines (mont Garou,
Var : Gallia, 33, 1975, p. 565; Entremont, B.-du-Rh. : [1801], 17-18; Roque
de Viou, Gard : [1808], 108-109), ou> exceptionnellement, s’élevant au point le
plus haut du site (Baou des Noirs, A.-M. : Gallia, 33, 1975, p. 570; Mauressip,
Gard : [1808], 118-119), et surtout le plan rectangulaire des cases d’habitation
que l’on assemble en îlots allongés séparés par des rues. Evolution propre au
terme de trois siècles d’expérience ? Influence grecque ? L’alternative est sim¬
pliste : si une inspiration extérieure est probable, les solutions varient : plan
orienté sur les remparts à Entremont ([1801], 20), indépendant d’eux à Nages,
Gard [1808], 104-105.
L’assimilation de techniques importées est bien attestée par l’existence,
dès le vje siècle, à côté d’une céramique modelée nettement majoritaire, de
682 L’ Occident

poteiies faites au tour ([1792], 66g) [1820]). De même, depuis deux siècles,
la sculpture de pierre, d’abord rudimentaire (stèles de Mouriès, B.-du-Rh.
[1800], 29-33), a m's la technique méditerranéenne au service d’une iconographie
indigène : bustes de Sainte-Anastasie (Gard), « xoanon» de La Courtine (Var),
guenier de Grézan (Gard) : [1800] (pièces de datation d’ailleurs imprécise).
Resterait à déterminer si la plupart de ces caractères sont généraux ou s’ils
concernent plus particulièrement les sites proches de la vallée du Rhône ou du
littoral, zones où les recherches se sont surtout exercées. De fait, à mesure qu’on
s’en éloigne, les vestiges d’un abondant commerce avec Marseille ou par son
entremise (amphores, mortiers, premières céramiques campaniennes, monnaies)
semblent se raréfier. Cette réflexion s’applique également aux périodes postérieures.

Le piobleme dont débattent a satiété les auteurs modernes est


celui-ci : dans quelle mesure et pendant combien de temps ces
populations « ligures » ou « ibères » sont-elles demeurées à l’écart
de tout apport ethnique extérieur? En d’autres termes : puisque
nos sources du Ier siècle av. J.-G. attestent l’existence de confédé¬
rations portant des noms celtiques (Volques, Allobroges,
Cavares, etc.) ou appelées par les auteurs « celtoligures >>
(Strabon, IV, 6, 3, pour les Salyens), à quelle époque les Celtes
sont-ils « arrivés » dans le Midi? C’est là un problème complexe
lié à la pauvreté de nos sources et, donc, à la tentation de les
surinterpréter.

Les textes sont énumérés par G. Barruol ([1784], 148-152), à quoi il faut
ajouter celui qui concerne les Volques (Tite-Live, XXI, 26). La divergence
entre les sources anciennes et les sources récentes peut se justifier par une
adaptation du vocabulaire, jusqu’alors imprécis, aux connaissances acquises par
la multiplication des contacts. La parenté ethnique entre les populations du Midi
et les Gaulois d’Italie est affirmée par Polybe (III, 48) et par les peuples du
Languedoc eux-mêmes à lire Tite-Live (XXI, 20 : « Ils savaient que les hommes
de leur race étaient chassés par les Romains de toute l’Italie, accablés de tributs
et de persécutions »). Trogue-Pompée, plaçant la fondation de Marseille sur le
territoire des Ségobriges (nom celtique) ou narrant le siège mis devant elle pâl¬
ies troupes celtiques de Gatumandos (Justin, XLV, 3), peut reprendre des
chroniques massaliotes dignes de foi.
D’autre part, on ne décèle pas de rupture archéologique au cours du
m Slede> sauf à Privilégier destructions partielles ou incendies, qu’on trouve à
toute epoque. Habitats et modes de vie évoluent progressivement. En Languedoc
occidental, la persistance linguistique de l’ibérique est attestée jusqu’à une date
récente (Jannoray [1787], 422 sq.; Barruol [1793], 684). Plus près de Marseille,
des graffiti gallo-grecs sont apparus déjà.
La Gaule transalpine 683

A l’invasion brutale et récente de peuples ou même de groupes qui consti¬


tueraient une élite, il faut préférer des mouvements successifs, parfois violents,
mais antérieurs au 111e siècle, et la fusion des nouveaux venus au sein de civilisa¬
tions constituées, aux traditions modelées par les conditions du pays, qu’ils
infléchiront en bien des domaines (armement, iconographie), la « celtisation »
étant d’autant plus forte qu’on s’écarte de Faire méditerranéenne : Toulousain
(Labrousse [1788], 70 et 82), moyenne vallée du Rhône (Barruol [1784], 164).
Rivalités, luttes entre ces peuples, fluctuations des frontières durent sans doute
jusqu’à la conquête.

B) Marseille

Au milieu du 111e siècle, Marseille compte parmi les grandes


puissances du monde occidental. Si tant est qu’elle ait connu
entre 450 et 350 une certaine stagnation (Villard [1781], 125),
elle donne depuis un siècle de nombreux signes de vitalité que
symbolisent les explorations qui mènent Pythéas jusqu’en Bal¬
tique (Broche [1802]). Des Marseillais sillonnent les routes
commerciales de la Méditerranée (Clavel [1783], 39-41). Le port
sert de relais entre les productions importées de Grande-Grèce et de
Campanie (céramiques italiotes et campaniennes), voire de l’Orient
(amphores vinaires de Rhodes) et, venus de la Celtique, les charge¬
ments d’étain de Bretagne et d’Armorique (Villard [1781], 143 sq.).
Marseille elle-même échange, surtout dans le Midi, son vin, ses
productions de céramique, ses conserves contre des produits qui
n’ont pas laissé de traces : céréales, bétail, peaux, sel, peut-être
esclaves (Benoît [1780], 191-213). Son monnayage s’accroît et
se diversifie : Clavel [1783], 172 sq. Le traité conclu avec Rome
au début du ive siècle (Trogue-Pompée ap. Justin, XLIII, 5)
accorde, entre autres clauses, à ses marchands, l’exemption des
droits de douane sur le territoire romain et, à ses citoyens, l’accès
aux jeux dans les places réservées au Sénat (Ebel [1786], 11-15).
La ville elle-même couvre une cinquantaine d’hectares [1814],
surface énorme au regard des oppida indigènes, dont les plus
importants ne dépassent que rarement 5 ha. Sur le littoral, elle a
essaimé des comptoirs : Agathè (Agde), Tauroeis (Le Brusc, Var),
Olbia (près de Hyères, Var), Antipolis (Antibes) et Nikaia (Nice).
Qu’elle ait également conquis, par la force et parfois peut-être par
la négociation, un vaste domaine Qtop«) ne se met plus en doute.
684 L’ Occident

Les problèmes qui subsistent concernent l’extension de ce


domaine, les étapes de sa constitution et la nature de ses liens
avec Marseille.

a) Extension. Il faut distinguer, à la suite de Strabon (IV, 1, 5) trois


réalités différentes :

— le terroir primitif de Marseille, très limité;


les comptoirs. Outre les cinq mentionnés ci-dessus, d’autres noms sont fournis
par divers auteurs : Thélinè par Aviénus (Ora Mar., 689-691) qui l’identifie
à Arles, Rhodanousia par le Pseudo-Scymnos (208), sur le Rhône, non
localisée;
le domaine. Compose de « certaines des plaines périphériques » (Strabon,
ibid.). On se fonde, pour le délimiter, sur plusieurs séries de documents!
Polybe (III, 41, 4) indique que la « première embouchure du Rhône » est
nommée « massaliotique ». D’autre part, neuf villes sont citées par Etienne
de Byzance d’après des sources variées comme villes « de Massalie » ou « en
Massalie » : Brunei [1803]. Deux seules sont identifiables avec certitude :
Cavaillon et Avignon. Cette dernière, comme Glanon (Saint-Rémy-de-
Provence), a émis un monnayage calqué sur les émissions de Marseille :
Rolland [1827], 97- A Glanon, en outre, les fouilles ont mis au jour une salle
d assemblée de type grec (mais de datation imprécise) : Salviat [1825], 67-68.
De nombreux éléments suggèrent donc une /topa contrôlant à la fois des
voies commerciales et des terres, s’étendant à l’ouest jusqu’au delta (avec
Samt-Blaise comme point fort : Rolland [1830] et [1831]) et remontant le
long du sillon rhodanien jusqu’à hauteur d’Avignon (avec Arles et Rhoda¬
nousia sur le Rhône, Cavaillon au passage de la Durance). On évitera en
revanche les attributions fondées sur l’abondance de matériel massaliote •
Wever [1837], Ajoutons les Stoechades (îles d’Hyères) et les îles de Lérins
(Strabon, IV, 1, 10).

, Chr°nolo&le- — Strabon (IV, 1, 5) esquisse un ordre chronologique.


Larcheologie n’apporte de données sûres que pour le petit établissement
d Olbia, fonde vers 350 : Coupry [.807]. Des recherches récentes à Arles ont
îetrouvé des niveaux remontant au vie et des structures du ive Sans vouloir
fixer une date trop haute à la création d’un domaine qui ne s’est pas fait en un
jour et a du connaître des fluctuations, il est impossible de suivreJannoray (17871
298-299, qui l’assigne à la fin du 11e. Au milieu du m*, il a toutes chances d’être

c) Statut. — La constitution de Marseille est connue : Salviat (17821


19.-20, Glavel C1783], 115-124. Les comptoirs étaient-ils administrés par des
episcopoi comme on l’a dit d’après une inscription d’époque impériale (CIL, V,
La Gaule transalpine 685

2, 7914) ? Brunei [1803] a tenté de montrer que les villes du domaine faisaient
partie intégrante de la tcoXiç Maaaa/iaç; l’analyse paraît fragile [1819].
L’influence politique de Marseille à l’est du Rhône au 111e siècle est bien marquée
par les difficultés rencontrées par Hannibal et par le fait que ce sont des Gaulois,
hospites des Massaliotes, qui fournirent les renseignements sur l’expédition
d Hasdrubal (Tite-Live, XXVII, 36). Marseille utilise d’ailleurs les services de
mercenaires gaulois (Polybe, III, 41, 9; César, BC, I, 34).

Ultime question : Marseille a-t-elle, au 111e, conservé des liens


institutionnels avec les établissements fondés en terre ibérique soit
par Phocée soit par elle-même (Strabon, III, 4, 2 et 6), dont Ampu-
rias (Emporion) est le mieux connu [1826]? Quoi qu’il en soit,
on ne croit plus aujourd’hui que leur existence ait amené Marseille
à engager Rome en même temps qu’elle dans une politique
anti-carthaginoise en Espagne (thèse de Kramer [1546] et de
Witt [ 1838]). Mais leur sort ne pouvait laisser Marseille indifférente.

3) DES GUERRES PUNIQUES A I25 AV. J.-C.

La participation de Marseille, nulle durant la première guerre


punique, fut plus active durant la seconde : cf. Clerc [1779],
II, 6-26, et supra, p. 615. Notons que le seul engagement massa-
liote dans une bataille (navale) nous est connu par une source
adoptant l’optique carthaginoise [1520], Polybe (III, 95) et Tite-
Live (XXII, 19) minimisant son rôle. Par ailleurs, Romains et
Carthaginois s’intéressèrent au midi de la Gaule en 218 (Tite-
Live, XXI, 19). A signaler qu’en Languedoc certaines destruc¬
tions ont été mises en rapport avec l’avancée punique : Bar-
ruol [1793], 683. ^
L’aide apportée par Marseille ne put que conforter ses bonnes
relations avec Rome. De fait, en 197-196, une ambassade massa-
liote introduit au Sénat romain une délégation de Lampsaque
(SIG, 3, 591) et, en 130, c’est en faveur de Phocée qu’intervient
Marseille (Justin, XXXVII, 1, 1). Plus importantes, les deux
requêtes qui engagent Rome dans des expéditions militaires.

En 181, c’est de l’activité des pirates ligures que les Massaliotes se plaignent
(Tite-Live, XL, 18). Une petite flotte romaine règle l’affaire. On a parfois vu
dans cet appel le premier signe d’une faiblesse massaliote qui n’allait que
s’accentuer : Benedict [1799], 39. En fait, comme le rappelle Ebel [1786],
686 V Occident

61-62, la Ligurie étant province consulaire depuis sept ans, une intervention
unilatérale de Marseille était exclue.
En 154, l’affaire est plus grave. On en trouve le récit dans Polybe, XXXIII,
8-11. Deux peuplades ligures, les Oxybiens et les Déciates, assiègent les comptoirs
de Nice et d’Antibes. Une ambassade romaine est rejetée à la mer. Le consul
Q,. Opimius vainc successivement les deux peuples. « Il livra aussitôt aux Massa-
liotes tout ce qu’il jugea bon de leur donner comme territoires et, pour l’avenir,
contraignit les Ligures à leur remettre des otages. » Sur ces événements et leur
localisation, abondante bibliographie régionale citée par Dugand [1809].

En ces deux circonstances, la conduite du Sénat n’a pas pour


unique mobile d’appuyer un allié. Depuis la création des pro¬
vinces d Espagne (c est a partir de 197 que deux préteurs supplé¬
mentaires sont élus pour les prendre en charge), la voie maritime
et la voie terrestie, dont 1 importance avait été mise en lumière
par les expéditions puniques par mer comme par terre, inté¬
ressent Rome plus directement encore. Les attaques dont furent
victimes deux magistrats se rendant en Espagne (en 189, L. Baebius
Dives : Tite-Live, XXXVII, 57; en 173, N. Fabius Buteo : ibid.,
XLII, 4) montrent l’insécurité de la route entre l’Italie et le
domaine de Marseille.
Au-dela de ces interventions a l’est du Rhône seTpose un pro¬
blème plus vaste : la possibilité que le Roussillon et le Languedoc
(au,moins dans sa partie occidentale) soient passés sous le contrôle
et 1 administration de Rome dès la première moitié du 11e siècle.
Suggérée par Mommsen, l’hypothèse ne reçut aucun crédit. Pour¬
tant, de nombreux arguments plaident en sa faveur ([1786], 41-63).

a) Arguments théoriques. On sait qu’une province n’a pas forcément de


limites géographiques précises, spécialement quand elle fait face à des peuples
n’ayant pas de rapports légaux avec Rome. C’est bien le cas de l’Espagne
citerieure face au Languedoc — dont nous avons rappelé les liens avec I’Ibérie.

b) Deux textes ont toujours posé des difficultés aux historiens :

— Polybe, III, 39, 8 (contexte de l’an 218) : « De la Nouvelle Carthage


jusqu’à l’Ebre, il y a 2 600 stades; de l’Ebre à Emporion, 1 600; d’Emporion
jusqu’au passage du Rhône, encore 1 600 environ. Ce parcours a été depuis
lors soigneusement mesuré par les Romains qui y ont placé des bornes tous les
huit stades.» Polybe mourut probablement vers 125-124; bien mieux, le livre III
passe pour avoir été publié avant 146. L’hypothèse de l’interpolation est déses-
La Gaule transalpine 687

pérée. Les milliaires pourraient donc dater, des Pyrénées au Rhône, d’avant 146,
ce qui laisserait supposer un contrôle de Rome.
Cicéron, De Rep., III, 9, 16. L’un des participants au dialogue, pour
démontrer la relativité de la justice, donne cet exemple : « Nous (les Romains),
parangons de justice, n’interdisons-nous pas aux peuples transalpins de planter
l’olivier et la vigne afin de valoriser nos oliveraies et nos vignobles ? » Composé
vers 53-52, le dialogue est censé se dérouler en 129. Beaucoup ont plaidé l’ana¬
chronisme : Aymard [1796] rapporte la mesure à la fin du 11e siècle, Clavel
C1789], la juge de peu antérieure à la composition de l’œuvre. Badian
[356], 19 sq., exclut avec raison ce type d’hypothèses mais sa solution, liant
l’interdiction à la campagne de 154 dans le Sud-Est, n’est pas satisfaisante. En
revanche, s’appliquant au Languedoc où divers indices laissent supposer au moins
des essais (Clavel [1789], 310-312), la mesure se comprend bien.

c) Un contrôle romain antérieur à 125 calmerait les polémiques qui opposent


les numismates quant à la création du monnayage languedocien, la chronologie
basse se fondant sur la date traditionnelle de 125-120 pour la réduction au statut
provincial : discussion dans Ebel [1786], 53-55.

d) Il reste enfin des arguments négatifs mais non sans force : pourquoi, lors
des opérations de 125 à 122, aucune action n’est-elle signalée à l’ouest du Rhône ?
Est-il imaginable que Rome ait pu créer une colonie à Narbonne en 118 si le
milieu venait seulement d’être pacifié ?

Les années 220-125 voient un vigoureux essor des relations


commerciales avec l’Italie. Les amphores italiques supplantent
progressivement les amphores massaliotes. La céramique campa-
nienne inonde les sites du Midi et des imitations régionales voient
le jour, à Marseille probablement et près des Pyrénées (Roussillon
ou Espagne) [1835]. La circulation monétaire, pour l’essentiel à
base du numéraire massaliote, s’intensifie. Ces faits ne peuvent
s’expliquer que par le développement continu des ressources du
monde indigène.

L’évolution des habitats est sensible durant cette période : augmentation de


la surface occupée à Ensérune [1787], Nages [1808], Entremont [1801], etc.,
construction de nouvelles enceintes sur ces mêmes sites et ailleurs (Ambrussum
(Hérault) [1816], Solliès-Toucas (Var) (Gallia, 1975, p. 565); Barruol [1793],
683) marquées par des tours semi-elliptiques dont l’une prend un aspect monu¬
mental (noyau préromain de la tour Magne à Nîmes, et autres : [1808], 118-119).
La case unique demeure majoritaire mais des habitations plus différenciées
apparaissent (Ensérune, Nages, Entremont). A Ensérune, des colonnes à chapi-
688 V Occident

teaux sont façonnées par une main-d’œuvre locale : [1787], 120-131. Des équi¬
pements collectifs (collecteurs, drains) sont aménagés. Des monuments publics
en forme de portique, dont on a retrouvé le plan à Entremont ([1833], 1 7) et,
sui d autres sites proches du delta, des éléments de piliers et de linteaux (Benoît
[1800], 16-28), le développement de la sculpture en relief ou en ronde bosse
(ibid.), la découverte de trésors de monnaies et de bijoux (Gallia, 1974, p. 501-
502) : vodà qui prouve l’existence de forts « surplus », même si leur bénéfice est
réservé à une élite.
De cette aristocratie, les statues trouvées en terre salyenne fournissent une
représentation : guerriers en cuirasse, une rapière au côté, femmes au long voile
à franges : [1833], 27-57. La pose« officielle» montre les hommes trônant, assis
« en tailleur », la main sur une tête ou sur un groupe de têtes coupées aux yeux
clos, celles des ennemis tués au combat, selon une coutume rapportée un peu
plus tard par Posidonius (Strabon, IV, 4, 5, et Diodore de Sicile, V, 29, 5).
Armes et bijoux appartiennent au répertoire celtique.

Cependant, les modes de la vie quotidienne se poursuivent


apparemment sans changement. L’analyse de la faune ne traduit
pas d’évolution dans l’élevage ni dans l’alimentation. Seule nou¬
veauté : la culture de l’olivier est attestée à l’est du Rhône par
des découvertes de pressoirs (Entremont; La Courtine, Var). La
poterie modelée, si elle s’enrichit par l’adoption de quelques
formes importées, demeure traditionnelle.
La forme prise par les pouvoirs politiques n’est connue qu’à l’est
du Rhône, où le roi des Salyens est entouré de Sùvoccrroa (Appien
Ult., 12). Probablement en est-il de même à l’ouest, bien que’
entre les mentions de Tite-Live concernant les reguli (XXI, 24)
et les légendes monétaires plus tardives des basileis, nous ne dispo¬
sions d’aucun renseignement.

Resterait à connaître les liens unissant les peuples du Midi à ceux de


a Celtique. Les relations commerciales sont bien prouvées pour l’armement
et les bijoux. Une alliance entre les Allobroges et les Arvernes est attestée par
les événements de 121. Y eut-il davantage et le Midi se trouvait-il dans l’orbite
arverne ? Les indices en sont maigres.

L hegemome qu’on prête aux Arvernes sur la Gaule du 11e siècle se fonde
sur un texte de Strabon (IV, 2, 3) et sur des analyses numismatiques (Colbert
e ea.u îeu [1 05]) qu il n y a pas lieu de discuter ici. Les Arvernes auraient-ils
lance leurs clients à l’assaut de Marseille [1786], 66? Rien ne prouve de tels
rapports. Au contraire, les seuls peuples qui sont mentionnés lors des premières
campagnes (Ligures — nom réservé désormais aux peuplades proches de la
La Gaule transalpine 68g

frontière italienne —, Salyens et Voconces) sont limitrophes du domaine de


Marseille : il peut s’agir de récupérer des terres. En outre, la campagne contre
les Allobroges et les Arvernes sera déclenchée non par ceux-ci mais par Rome et
après que les Arvernes eurent dépêché une ambassade (infra). Que la diplomatie
romaine se soit auparavant intéressée à la Gaule intérieure est prouvé par
l’alliance contractée (depuis quand?) avec les Eduens (Tite-Live, Per., 61).

Est-ce au sentiment d’un danger pressant qu’il faut attribuer la


construction du nouveau rempart en grand appareil dont Marseille
s’entoure dans le courant du 11e siècle ([1813], 543)? Sans doute,
même si dans ce cas comme dans celui des enceintes indigènes,
volonté de défense et opération de prestige se distinguent malai¬
sément. Marseille disposait d’alliés au sein même des peuples qui
l’entouraient : dans la capitale des Salyens, 900 habitants autour
d’un certain Craton (Diodore, XXXIV, 23). Les réalités sont donc
peut-être moins tranchées qu’on ne dit couramment, et la part
d’initiative des impérialismes romain voire massaliote risque de se
trouver mésestimée.

4) LES ÉVÉNEMENTS DE I25 A LA GUERRE DES GAULES

On en trouvera le récit circonstancié dans plusieurs études : [1784], 167-171,


[1799], [1836].

— 125. Appel de Marseille. Départ du consul M. Fulvius Flaccus. A noter


que pour la première fois l’expédition n’emprunte pas la voie côtière (Florus, I,
37, 3 : prima trans Alpes arma).
—- 124 (printemps, été). Campagnes contre Ligures, Voconces et Salyens.
Retour de Fulvius à Rome, où il triomphe en 123.
— 123. Campagnes de C. Sextius Calvinus (consul de 124) contre les mêmes.
Prise de la capitale des Salyens (Diodore, XXXIV). Implantation d’une gar¬
nison (poupx) à Aquae Sextiae (Aix). Attribution à Marseille d’une bande
côtière de 8 à 12 stades de largeur (Strabon, IV, 1, 5). Sextius triomphe en 122.
—- 122. Envoi du consul Cn. Domitius Ahenobarbus.
— 121 (printemps-été). Echec d’une ambassade arverne (Appien, Gell., 12).
Bataille de Vindalium : Domitius écrase les Allobroges. Arrivée en renfort du
consul Q. Fabius Maximus qui défait Allobroges et Arvernes (le 8 août : Pline,
NH, VII, 160) au confluent de l’Isère et du Rhône. Les Rutènes sont probable¬
ment mêlés à ces opérations (César, BG, I, 45).

ROME, 2 8
6go V Occident

A côté des nombreux problèmes de détail que posent ces campagnes fort mal
connues, trois points plus importants :

a) Le rôle de Marseille, qu’on imagine mal inactive. Des passages de Cicéron


(Off-, II, 28; Pro Ponteio, 13) et de Strabon (IV, 1, 5) peuvent se rapporter à ces
années. Certains oppida de la région marseillaise ont-ils été détruits par des
forces mixtes, voire par les troupes massaliotes ?

b) Sur l’action respective de Domitius et de Fabius en 121, sur le fait que


c’est le second arrivé qui aura le premier les honneurs du triomphe et prendra
le surnom d’Allobrogicus tandis que Domitius triomphera plus tard de Arverneis,
abondante bibliographie : cf. Ebel [1786], 72-74; l’explication la plus plausible :
Fabius a reçu la reddition des Allobroges (Val. Max., IX, 6, 3) et Domitius a
réglé le sort des Arvernes.

c) La longueur du séjour de Domitius en Gaule et l’ampleur de son œuvre.


Les Fastes n indiquent pas 1 année de son triomphe, qui se situe entre 120 et ri 7.
Pour étayer l’hypothèse d’un long séjour, on se fonde sur l’équipement de la
via Domitia des Pyrénées au Rhône (Pro Fonteio, 18) et sur le milliaire de Treilles
qui indique une distance par rapport à Narbonne et porte le nom du proconsul :
Duval [1810] et [1811] avec bibliographie. Mais le milliaire n’est pas forcément
postérieur à la déduction de la colonie. De même Forum Dornitii (Montbazin,
Aude) est-il une fondation du proconsul ou d’un de ses descendants (Burnand
[1804], 231-235) ? Lui doit-on 1 installation d’une garnison à Toulouse (Labrousse
[1788], 124-125) ?

— 118. Fondation de la colonie Narbo Martius (Narbonne).

La date consulaire (Porcio Marcoque consulibus) donnée par Velleius Pater-


culus (II, 7, 8) a été mise en doute en raison de l’émission d’une série de deniers
qui, selon Mattingly ([1824] et [446]), commémorerait la fondation de Nar¬
bonne. Mais la démonstration est moins solide qu’il ne paraît et on retiendra la
date traditionnelle : discussion dans Clemente [368], 119-121 et Ebel [1786],
90-92.

113~102- Invasion des Gimbres et des Teutons. Déroutes successives des


troupes expédiées dans le Midi sous le commandement des consuls M. Junius
Silanus (109), L. Cassius Longinus (107), Q. Servilius Caepio (106), Cn. Mallius
Maximus (105). Séjour de trois ans de C. Marius qui se termine par sa victoire
ptès d Aix (Plutarque, Marius) à l’automne 102. Durant ce séjour, Marius fit
creuser par ses troupes un canal joignant la mer au Rhône, les fossae marianae.

On a peu de renseignements sur la conduite des peuples méridionaux durant


ces années. Le seul fait bien attesté est la révolte des Volques Tectosages de la
région de Toulouse : Labrousse [1788], 126 sq. Quant aux destructions attribuées
La Gaule transalpine 5g !

aux envahisseurs, par exemple à Glanon (CRAI, 1967, 118), on les considérera
avec réserve.

— 90. Révolte des Salyens, matée par C. Caelius (Tite-Live, Epitome, 73).

— 81. Triomphe de C. Valerius Flaccus de Celtiberia et Gallia : [1133], II,


25, 27, 30.

— 78-72- Opérations liées aux campagnes contre Sertorius en Espagne.


Fin 77, Pompée, envoyé redresser la situation, traverse la Gaule méridionale, se
frayant « un chemin parmi les morts» (Cicéron, lmp. Cn. P., XI, 30). Il écrit au
Sénat : recepi Galliam (Salluste, Hist., II, 98, 9). Ses troupes hivernent au moins
deux fois en Languedoc. Fontéius, gouverneur pendant trois ans, lève des
auxiliaires, combat les Voconces et fait des travaux sur la via Domitia.

Les dates du gouvernement de Fontéius ont été longuement débattues.


La tendance actuelle est de placer son triennium de 74 à 72 : Broughton [1133],
Hj 97) I04) 1 °9i Badian [i797]> 911 sq- Le procès de repetundis, introduit contre
lui par M. Pletorius et M. Fabius au nom de Gaulois transalpins (ne sont cités
que les Allobroges, les Volques et les Rutènes : §§ 4 et 26) est plaidé en 69. De
la défense de Cicéron, ne subsiste qu’un texte incomplet. Pour les opérations
militaires en Gaule même, vagues allusions à un « siège » de Narbonne (obsidio,
à prendre au figuré ?) et au « salut » de Marseille. Le chef d’accusation de bello
Vocontiorum n’est pas développé. Des confiscations de terres sont mentionnées (§ 14)
qu’un texte de César localise chez les Volques Arécomiques et les Helviens,
dépossédés au profit de Marseille (BC, I, 35, 4). Fontéius fut vraisemblablement
acquitté.

— 66. Révolte des Allobroges, matée par C. Calpurnius Piso (Cicéron,


Att., 1, 1, 2; 1, 13, 2).

— 63. Ambassade allobroge à Rome, qui est mêlée à la conjuration de


Catilina (Salluste, Cat., XL-XLV).

— 62-61. Révolte allobroge (Dion Cassius, XXXVII, 47-48) réprimée par


C. Pomptinus.

— 60. Les deux Gaules (cisalpine et transalpine) sont déclarées provinces


consulaires —- peut-être en raison des mouvements des Germains d’Arioviste
([1133], II, 183).

— 59. Début du proconsulat de César.


692 U Occident

5) ORGANISATION ET « ROMANISATION »
DE LA TRANSALPINE JUSQU’A CÉSAR

A) La création de la province de Transalpine

Traditionnellement, elle est placée entre 122 et 118 et attri¬


buée à Domitius. Badian [1797], 905 sq., a émis de nombreuses
réserves et suggéré une date postérieure à 100. Dernièrement, Ebel
[1786], 74-102, renversant les perspectives, a proposé le schéma
suivant : pendant un demi-siècle, pas de province proprement dite,
les territoires à l’ouest du Rhône faisant partie de l’Espagne
citérieure, ceux de l’est étant contrôlés par Marseille et surveillés
par le gouverneur de la Cisalpine; la constitution d’une province
des Alpes aux Pyrénées remonterait seulement au temps des
guerres sertoriennes et aurait été l’œuvre de Pompée. Bien
qu’hypothétique, l’analyse ne manque pas de force.

La complexité du problème est liée à la pauvreté de nos sources. Les seules


mesures légales connues sont les confiscations décidées par le Sénat à date
haute (Pro F., 12), puis par Pompée (ibid., 14). Aucune loi d’organisation n’est
mentionnée, aucun gouverneur de Transalpine n’est cité en tant que tel avant
Fontéius. Un texte de Pline {NH, III, 18) montre qu’à l’époque de Pompée
les Pyrénées ne constituaient pas la limite nord de l’Espagne citérieure. Après
Fontéius, les deux Gaules (cisalpine et transalpine) sont placées sous la respon¬
sabilité du même gouverneur : [1797], 913-917.
Il ne s agit pas de nier la réduction au statut provincial vers 122-120, prouvée
a contrario par César (BG, I, 45, 2-3). Mais le caractère lointain et flou de l’admi¬
nistration romaine n’est guère contestable. Les institutions des peuples évoluent-
elles ? La royauté semble disparaître, sauf en Languedoc, au profit de principes,
de chefs dont certains commencent à être appelés praetores : Goudineau dans
[1785], 26-30 [1821].
Question difficile à résoudre : la date d’octroi du statut de civitas foederata
aux Voconces, attesté sous l’Empire (Pline, JVH, III, 4, 37 et VIII, 78). Peut-
être est-elle en rapport avec les révoltes allobroges des années 66-60 [1785], 29.

Période d’incertitude, donc. Un seul point est bien assuré (qui


conforte la thèse d’Ebel) : l’extension des possessions et des pri¬
vilèges massaliotes.
La Gaule transalpine
693

B) Marseille

Les textes cités supra attestent la remise de territoires indigènes


à Marseille en 154, en 123 et durant le séjour de Pompée.
Peut-être y eut-il d’autres attributions (Pro F., 12). En outre,
Marius lui remit les fosses mariennes dont elle tira grand profit
(Strabon, IV, 1, 8). Le Pro Fonteio célèbre sa fidélité, son souci des
intérêts romains (§ 45) mais aussi sa force. Nul doute que cette
période ne représente l’apogée de sa puissance et de son influence.
Il reste cependant plusieurs points qui font l’objet de discussions.

a) L’accroissement territorial consiste-t-il en une extension de sa juridiction


propre ou en une attribution financière? Les textes (rares) plaident en faveur
de la première solution : « Ceux qui ont dû quitter leurs terres » (Pro F., 14.)
et César (BC, I, 35, 4) : « Pompée leur a remis au nom de l’Etat des territoires
des Volques Arécomiques et des Helviens.» A partir des années 76-70, le domaine
contrôlé par Marseille s’étend donc sur les deux rives du Rhône, assez haut
vers le nord puisque les Helviens sont concernés.

b) Quelle est la portée de l’influence culturelle de Marseille? C’est à cette


époque que se développent les inscriptions gallo-grecques (de langue celtique
mais en alphabet grec) de la moyenne et de la basse vallée du Rhône (Duval
[1812], Lejeune [1822]) et que se multiplient les graffiti sur céramique ([1823]
et Gallia, 1975, 562). L’alphabet grec se répand aussi en Gaule intérieure à en
croire César (BG, I, 29 et VI, 14). Faut-il prendre à la lettre Strabon, IV, 1, 5 :
« Marseille servait d’école aux barbares, elle faisait des Gaulois des philhellènes» ?

c) L’influence architecturale massaliote se distingue mal de l’apport italien.


Quelques rares maisons à cour intérieure, à Ensérune [1817] et à Glanon [1828],
66-98 et [1829], 118-135 peuvent remonter à cette époque. Un cas relève de
la maison à atrium (Ensérune), un autre de la formule atrium-péristyle (Glanon,
Maison d’Atys [1825], 59). Les colonnes récentes d’Ensérune ([1787], 131-134),
celles du portique hellénistique de Glanon couronnées de chapiteaux à têtes
([1825], 77 sq.) se rattachent difficilement à une école stylistique déterminée.

C) L'économie

Outre l’extension de la jûpa massaliote où se trouvent terres à


labour (Strabon, III, 4, 17), vignes (Plutarque, Marius, 37;
Athénée, IV, 152 c) et oliviers, cultivés à l’aide d’une main-
d’œuvre indigène (Strabon, ibid.), le fait marquant est moins
694 L'Occident

l’établissement de colons à Narbonne que l’accaparement de terres


par des citoyens romains qui acclimatent sur place les méthodes
italiennes.

Le Pro Fonteio signale la présence en Gaule d’aratores, de pecuarii (§ 12),


d’agricolae (§ 20). Le Pro Quinctio livre d’importantes précisions. Prononcé par
Cicéron en 81 à propos d’une liquidation d’héritage, il montre deux Romains
fonder une association de commerce pour importer les produits de Gaule
— parmi lesquels des esclaves (§ 23-24). La société possède des terres de culture
et de vastes pâturages (§ 12). Les propriétaires sont sur place, avec une main-
d’œuvre servile. L’un d’eux possède des biens fonciers pour son propre compte.
La situation (qui remonte à la fin du 11e siècle) paraît courante.

Malgré Badian [1797], 909, et Brunt [298}, 211 sq., il est


difficile d’exclure toute préoccupation commerciale de la part de
Rome avant Fontéius. La création d’Aix, Narbonne et Toulouse
relève autant de la géographie commerciale que de la stratégie :
Labrousse [1788], 106 sq., 124 sq. Les accords avec les Eduens
et peut-être les Séquanes (Plutarque, Marins, 24) plaident dans
le même sens. Pro Fonteio, 12 : « La Gaule est remplie de commer¬
çants romains (...). Pas un Gaulois ne traite d’affaire sans passer
par un citoyen romain » : la description d’un état de droit peut
correspondre en grande partie à l’état de fait.

L’intensification des relations commerciales est bien marquée par le grand


nombre d’épaves retrouvées ([1785], 76-82). Les cargaisons : amphores vinaires
d’Italie, céramique campanienne (mais aussi commune : Gallia, 1975, p. 588)
et, en appoint, fruits secs, condiments, poissons en saumure. L’image est évidem¬
ment incomplète et à sens unique, le trafic Gaule-Italie n’apparaissant pas.
Les fouilles terrestres confirment la part prédominante des importations de
céramiques italiennes. Mais les données fondamentales (matières premières,
minerais, produits agricoles) nous échappent.
La demande de vin est confirmée par le Pro Fonteio. Fontéius avait institué
une taxe sur les amphores de vin empruntant la route Narbonne-Toulouse
(§§ 19-20), taxe sans doute proportionnelle à la distance ([368], p. 133-136;
autres hypothèses : [1788], 138 sq.) et plus élevée si le produit quittait la pro¬
vince. Elle avantageait les publicani chargés de la recouvrer, au détriment du
consommateur.
Enfin, 1 accroissement de la masse monétaire, observé sur tous les sites, et la
création de nombreux monnayages sur l’étalon du denier ([1806], 97-99) ne
peuvent etre indépendants du développement de l’économie d’échanges.
La Gaule transalpine 695

D) Les débuts de la « romanisation »?

La réduction au statut provincial imposait tribut, corvées,


fournitures d’auxiliaires, entretien des armées stationnées ou de
passage, etc., toutes contraintes illustrées par le Pro Fonteio et qui
pouvaient conduire à un endettement considérable. La confis¬
cation de terres dut peser lourd. Dans ce contexte, l’accroissement
des importations italiennes traduit sans doute l’accentuation du
pouvoir d’une aristocratie soutenue par Rome aux dépens de
la masse [1785], 69-74.

En dépit des railleries de Cicéron (Pro Font., 33) la relative intégration des
« élites » se marque par le recours aux processus légaux contre les magistrats
concussionnaires (Fontéius, Calpurnius Piso, Muréna). Les monnayages locaux
à légendes nominales témoignent peut-être de l’ostentation d’une aristocratie,
au même titre que les nouvelles maisons d’Ensérune et de Saint-Rémy.

L’octroi, dès cette époque, du droit de cité est illustré par


deux cas ; celui de C. Vaierius Caburus, notable helvien, fait
citoyen romain par C. Vaierius Flaccus, gouverneur d Espagne
citérieure en 83 (César, BG, I, 47), et celui du grand-père de
Trogue-Pompée qui reçut la cité de Pompée lors des guerres
sertoriennes (Justin, XLIII, 5, xi). L’analyse des gentilices
d’époque impériale réserve un rôle prééminent à Pompée :
Badian [1214], 309-321; en revanche, on se méfiera de ceux qui
semblent renvoyer à une epoque haute, comme Domitius ou Fabius,
qui peuvent en fait se referer aux descendants des anciens pro¬
consuls : Brunt [298], 205 sq.; Burnand [1804], 231-235. Le
nombre de nouveaux citoyens ne dut pas être énorme.
De fait, l’archéologie restitue des habitats et des modes de
vie dans le droit fil des époques précédentes.

Non seulement la vie continue dans les oppida si 1 on excepte les sites,
proches de Marseille, détruits à la fin du 11e siècle — mais on y constate des
agrandissements et des réfections d’enceintes. De nouveaux établissements
fortifiés sont même créés ([1793], 685; [1834], 16-32), dont 1 un a fourni des
vestiges du rite des têtes coupées ([1825], 41-42), indice probable de la persis¬
tance de luttes entre peuples voisins. A côté de nouvelles productions, souvent
tournées, la poterie modelée maintient son répertoire traditionnel de formes
fermées. Les rites funéraires demeurent liés à l’incinération, même si on note
6g6 L Occident

des faciès régionaux : fosses ou caissons de pierre majoritaires près du Rhône


CC1 792Jj 673)) puits profonds dans la haute vallée de l’Aude et dans le Toulou¬
sain ([1788], 216 sq.). La sculpture de personnages assis « en tailleur » est
attestée à Glanon (Gallia, 1969, 443-446) et à La Cloche ([1825], 42).

Il faut peut-être nuancer cette image : l’archéologie privi¬


légie les sites de hauteur, qui ont échappé à l’urbanisation. Il
reste que les seules créations romaines sûres se limitent à Aix
et Toulouse (mais sous quelle forme?), à Narbonne, à Saint-
Bertrand-de-Comminges (fondation pompéienne) et — peut-être —
Forum Domitii et Forum Voconii (Var). Les Romains évoqués par le
Pro Fonteio ont dû résider aussi ailleurs, notamment dans les éta¬
blissements rhodaniens (Avignon, Cavaillon, Carpentras, Valence,
peut-être Vienne) qu’ils ont pu contribuer à développer.

6) DE CÉSAR A l’avÈNEMENT D’AUGUSTE

Durant son gouvernement, César, malgré ses craintes initiales


{BG, I, 6), reçut de la Transalpine une aide sans défaillance. Il y
recruta des troupes (I, 7). Helviens, Allobroges et d’autres repous¬
sèrent même spontanément, selon César, l’assaut des armées fédé¬
rées par Vercingétorix (VII, 65). La fidelitas et les auxilia de la
province méritaient récompense (VII, 46).

Outre les droits de cité individuels qu’il ne ménagea pas, il est probable
que César accorda le droit latin à nombre de communautés de Transalpine :
la liste des oppida latina rapportée par Pline {NH, III, 4, 36-37) a chance de
remonter à cette période, ainsi que le titre de colonie (latine) dont se pareront
plusieurs villes : [1785], 30-33. A Marseille, il accorda de nouveaux privilèges,
probablement en Gaule intérieure {BC, I, 35) : [1818], 108 sq. Est-ce à ce
gouvernement que se rapporte la fondation du marché de Forum Julii (Fréjus,
Var) ?

Durant la guerre civile opposant Pompée et César, la neutra¬


lité affichée par Marseille lui vaut un siège de plusieurs mois
(49-48) dont les troupes césariennes sortent victorieuses (César,
BC, I, 34-36, 56-58; II, 1 -17, 22; Lucain, Pharsale, 298 sq.).
Marseille y perd ses armes, ses machines de guerre, ses navires,
son trésor (BC, II, 22) et l’essentiel de son domaine. Elle ne
La Gaule transalpine
697

conserve que son autonomie (Strabon, IV, 1,5), les îles d’Hyères
et Nice, Antibes échappant à sa juridiction (Strabon, IV, 1, 9).

Sur le déroulement des opérations, abondante bibliographie citée dans


[18ï4], 47; cf. [1779], II, 36 sq. Les opérations militaires en domaine massa-
liote ont laissé des traces archéologiques à Olbia, à La Courtine, à La Cloche,
à Saint-Biaise (?), preuve qu’à l’instar des Albici cités par César (I, 34) certains
groupes ont aidé Marseille. Inversement, d’autres peuples ont dû soutenir
César et divers statuts ou privilèges peuvent remonter à cette époque : [1818], 111.

Entre l’automne 46 et les ides de mars 44, le père du futur


empereur Tibère, Tiberius Claudius Nero, est « envoyé en Gaule
(par César) déduire des colonies, parmi lesquelles Arles et Nar¬
bonne » (Suétone, Tib., 4, 2).

Ce sont des colonies de vétérans (Xe légion à Narbonne, VIe à Arles) dotées
du droit romain. Ces deux villes porteront ultérieurement la titulature de
Colonia Julia Paterna, accordée par Octave-Auguste pour commémorer son père
adoptif. Le texte de Suétone amène à rechercher d’autres colonies contempo¬
raines. Or, les déductions militaires connues (mais de date incertaine) concernent
Béziers (VIIe légion), Fréjus (VIIIe) et Orange (IIe). Le cas le plus clair
paraît celui de Béziers : malgré Clavel ([1789], 165-167), cf. Brunt [298], 483
et 589, et Vittinghoff [505], 67. On ne peut exclure un statut colonial pour
Valence {ILS, 884). Remarquons aussi que Carpentras et Lodève portent le
nom de Forum Neronis.

Du point de vue administratif, la province de Transalpine


n’est plus une entité : rattachée soit à l’Espagne (gouvernement
de Lépide), soit au reste de la Gaule (Antoine, de 43 à 40, puis
Octave), elle ne devient JVarbonensis qu’avec le principat.

En bien des domaines, il est difficile à l’archéologie de faire le départ entre


ce qui relève de la période césarienne puis triumvirale et ce qui est dû au début
du règne d’Auguste. De monument antérieur à 27, on ne connaît que le mausolée
des Julii à Glanum, décrit par Rolland [1832]. L’enceinte d’Arles est mal datée,
celle de Fréjus est postérieure. Il semble cependant que, malgré des persistances
qu’on a justement mises en évidence ([1815], 17-18 et [1798], 348-400), les
sites perchés commencent à s’éclaircir.

De même que 1’ « hellénisation », la « romanisation » a touché


différemment régions et couches sociales. Avant Auguste, elle
atteint surtout les zones de grand passage, où elle amplifie une
6g8 UOccident

Carte 3. — La Gaule celtique


La Gaule transalpine
699

urbanisation embryonnaire. A une élite encore restreinte elle a


inculqué le désir et donné les moyens de s’intégrer aux modes de
vie romains. L’archéologie suit malaisément de telles mutations,
trop localisées. Mais, en revanche, en plaçant l’accent sur les
milieux les plus représentatifs parce que les plus vastes, elle permet
d’assurer qu’en 27 av. J.-C., le mouvement amorcé dans le courant
du 11e siècle est bien loin de son terme : pour s’en convaincre il
suffit de relire Strabon qui, trente ou quarante ans plus tard,
constate les effets encore réduits de la présence de Rome.
Chapitre VI

LA GAULE INDÉPENDANTE
ET LA CONQUÊTE
par J. HARMAND

i) LA GAULE INDÉPENDANTE
DEPUIS LE MILIEU DU IIIe SIECLE AVANT NOTRE ERE

a.) Les bases des connaissances. La situation documentaire est difficile face
a ce qui constitue le milieu et la fin du second âge du fer ou, en gros, soit les
périodes de la T'ene II et III, soit les Tène I finale et II (si l’on tient compte de
tendances actuelles qui visent à réduire à deux les subdivisions du Fer II). Si
l’on se réfère aux témoignages écrits (rassemblés dans [1843], [1856]) on pâtit
à divers degrés de leur provenance, de leur datation, de leur nature. Du premier
point de vue ces textes sont tous protohistoriques ([1846], p. 8) : exclusivement
gréco-latms, ils voient presque tous le monde barbare selon l’esprit du Médi¬
terranéen antique, porté en ethnographie au schéma et au cliché. Quant à
leurs dates, ils sont au mieux contemporains de la fin de l’indépendance gauloise,
c est-à-dire de la Tène III, comme Diodore, mais souvent beaucoup plus tardifs,
ainsi Strabon, Lucain ou à la limite Ammien Marcellin et Orose, alors que le
souvenir historique, chez les Anciens, supporte mal l’épreuve du temps. Enfin,
lorsque au-delà des peintures de mœurs et des localisations géographiques il
s’agit de l’histoire événementielle des peuplements gaulois, on ne dispose que de
données extrêmement sporadiques. A ce tableau surtout négatif s’oppose, il
est vrai, 1 ample « hapax » du De Bello Gallico de César. Cette œuvre, qui est
beaucoup plus qu’une collection de bulletins de campagne, n’informe sans
doute directement que sur une décennie de la vie gauloise, avec un arrière-plan
d’une quarantaine d’années atteignant au début du Ier siècle avant notre ère
et recouvrant l’ensemble de la Tène III. Mais son portrait des milieux celtes ou
belges contemporains est d’une lucidité toute moderne et elle possède une
grande cohérence ([1857]). Il y a en fait déséquilibre entre César et le reste de
la documentation écrite.
La Gaule indépendante et la conquête 701

On doit surtout, outre le De Bello Gallico, interroger l’archéologie, assez


fondamentale en principe pour constituer la source unique des appellations
chronologiques second âge du fer et Tène. Mais là encore les limites des possibilités
documentaires sont rapidement atteintes. Après une période de grande activité,
plus ou moins positive, durant le Second Empire ([1927], [1885], [1944]), la
recherche archéologique pour la Tène, en France, s’est pendant longtemps
sclérosée en fouilles surtout funéraires. Sans négliger ce que les cimetières
gaulois révèlent au point de vue religieux, on admettra qu’ils ont trop détourné
les chercheurs des enquêtes sur l’habitat et les autres éléments de ce que j’appel¬
lerais le paysage historique du second âge du fer. Un courant commence seule¬
ment à se dessiner en faveur de ces derniers, les travaux de O. Büchsenschütz
étant à cet égard exemplaires ([1873], [1874]). Et il faut reconnaître qu’une
avance fort appréciable, sur des thèmes capitaux, a été due à des techniques
particulières, numismatique ([1879], [1805] en particulier), photographie
aérienne ([1864], [1865], [1866], [1867], [1868]), étude des ossements ani¬
maux ([1898], [1899]). Mais la France n’en reste pas moins en retard, notam¬
ment par rapport au travail britannique sur la Celtique de Bretagne (par
exemple [1921]). Or l’utilisation comparative des apports étrangers concernant
d’autres terres celtes présente des dangers, car la vie des diverses régions celtisées
a connu des différences sensibles : ainsi, terre coloniale pour les Celtes, l’île
bretonne est restée en retrait de la Gaule quant à la civilisation.
Il n’en est pas moins sûr que pour la Tène II de la chronologie classique
(me-ne siècle avant notre ère), la voie archéologique est la seule praticable.

b) L’histoire. — Quant au passé de la Gaule celtique antérieu¬


rement à la deuxième moitié du 111e siècle avant notre ère, il faut
au moins dire qu’elle a été construite autour de — 500 par des
éléments humains que l’on ne peut guère définir que par leur
langue ([1846], p. 7-8), comme celtophones. Venus sans doute
du Rhin supérieur ([1844], p. 43), ils avaient d’abord occupé les
futures terres germaniques du sud et du centre de l’Allemagne; les
Celtes ont d’ailleurs essaimé dans toute l’Europe moyenne aussi
bien que dans l’île bretonne et l’Irlande, le nord de l’Italie, le
nord et le centre de l’Espagne, mais sans aucun aboutissement
unificateur. En Gaule ils ont au départ créé entre Rhin et Seine
ce que l’on appelle la base marnienne (pour sa civilisation [1872])
puis progressivement, au cours d’au moins deux siècles, se sont
répandus vers le sud et l’ouest, avec des résultats que l’on verra.
Ils ont eu affaire à un pays déjà relativement peuplé ([1846],
p. 29-30) sans que nous puissions préciser les modalités locales
702 T Occident

de la conquête. Il faut au moins envisager l’hypothèse qu’ils aient


arraché la Gaule, du Nord-Est notamment, à l’ethnie hallstattienne
du premier âge du fer, peut-être un groupe illyrien ([1844], p. 21).
Tout cela est le fruit mince, mais assez sûr, de déductions
archéologiques. La période que concernent directement ces pages
est en revanche mieux éclairée par les textes, dans une mesure à
préciser. Sous l’angle des Celtes de Gaule, le point de départ
chronologique de ce volume correspond au temps de leur plus
grande extension et de leur prospérité maximale. C’est vers ce
moment qu’il doit falloir situer la construction de ce que l’on a
appelé de façon plus ou moins exacte F « Empire » arverne — œuvre
d’un peuple parvenu peut-être assez tardivement au cœur de la
Gaule — qui fut apparemment plutôt une addition de clientèles
entre sud du Bassin parisien (?) et Méditerranée — qu’une
unité étatique (Strabon, IV, II, 3; Tite-Live, XXVII, 39, 6).
Un souverain arverne du 11e siècle avant notre ère, Luern, a encore
laissé des souvenirs de largesse éblouissants (Strabon, loc. cit.;
Posidonios, Hist., XXIII in [1843], II, p. 321). Mais il n’en a pas
moins vécu en des temps déjà difficiles pour la Gaule. Dans la
deuxième moitié de la Tène II — ou peut-être pourrait-on loca-
liseï alors une charnière historico-archéologique entre une Tène I
et une Tène II faisant diptyque, montée et décadence de la Gaule
celtique un fait décisif intervient. Les Celtes perdent presque
toutes les terres gauloises du Nord, jusqu’à la Seine et la Marne
du fait d’un peuplement, les Belges, qu’il n’y a aucune raison
d intégrer dans le stock celtique et qui semble l’extrême avant-
garde du monde des Germains (BG, II, 4, 2) ([1844], p. 51). La
façade arverne de la Gaule n’allait pas tarder elle-même à
s’effondrer, sous une poussée venue cette fois du sud, celle de Rome
affaire réglée en —121 (Florus, III, 3; Appien, IV, I, 2;
Orose, V, 14, 2-3). A partir de ce moment les terres gauloises
seront livrées en permanence au morcellement politique et à des
conflits internes consécutifs (BG, VI, 15, 1), l’échec d’une tenta¬
tive de 1 Arverne Celtillos pour y remédier, vers — 70 (?) (BG,
VII,. 4, 1 ) ressortant comme un véritable « refus » celtique de
guérir. Enfin dans la décennie — 60 le ban démographique stric¬
tement germanique, après avoir détruit la Celtique « d’Alle¬
magne » interviendra en Gaule à la faveur des querelles entre ses
La Gaule indépendante et la conquête 703

peuples. En — 58 la Gaule apparaîtra comme appelée à devenir


la proie de cette ethnie nouvelle venue (BG, I, 31).
On ne perdra pas de vue que ce résumé englobe en fait à
peu près tout ce que l’on peut, sans fabulation, dire de l’histoire
des Gaules durant les deux siècles antérieurs à la venue de César.

c) Paysage et hommes. — C’est dans l’espace, plus que dans le


temps, que l’on peut essayer une approche de la Gaule indé¬
pendante.
On lèvera dès le départ une hypothèque qui pèse sur la notion de son paysage,
c’est-à-dire sur son essence même. Les Modernes se déprennent avec peine de
l’image d’une terre de forêts et de marécages, interrompus seulement de clairières
humanisées. Les Celtes ont, sans aucun doute, trouvé dans cet état la Gaule
qu’ils héritaient du premier âge du fer, mais ce sont eux qui l’ont arrachée à
la sylve, par leur utilisation systématique du fer dans l’outillage agricole et
de bûcheronnage ([1918], p. 194; [1846], p. 64-67). Ils ont ainsi gommé,
pour la Gaule, cet aspect de Far West que depuis les débuts des métaux l’Europe
conservait hors du monde méditerranéen. Avec eux, au-delà des impératifs de
l’édaphisme, le sol passe de l’équilibre des clairières à celui des plaines. Le
processus fut certainement lent, peut-être chronologiquement et géographi¬
quement discontinu; l’application à la France des techniques d’archéologie
de la flore pratiquées déjà en Grande-Bretagne et dans l’Europe du Nord [1875]
devrait permettre de fixer des jalons. En tout cas le fait du pays ouvert est irré¬
versible à la Tène III en dépit de la misère des temps. Geci peut surprendre si
l’on songe aux contre-offensives du milieu naturel dans la France médiévale des
guerres anglaises, par exemple. Mais pour le Ier siècle avant notre ère nous avons
grâce au De Bello Gallico le témoignage irrécusable de César et des mouvements
de sa lourde armée, inconciliables avec une domination des bois et de la fange
([1846], p. 64-65). L’étude des cadres territoriaux et de l’économie permettra
des précisions.

Une autre question d’ensemble souvent mal éclaircie est celle


de la répartition des groupes humains (cf. la carte, p. 698). J’ai
proposé déjà l’ébauche d’une mise au point ([1846], p. 28-33).
On distinguera dans la Celtique gauloise de la Tène III six
régions. Un secteur central prédominant occupé par les peuples
clés du temps, Arvernes, Eduens, Séquanes, Bituriges. Au nord
deux zones-tampon face aux Belges (l’une ouest-est dominée par
les Carnutes, les Parisiens et les Lingons, l’autre nord-sud, résidu
oriental de l’ancienne base marnienne perdue, tenu par les
704 V Occident

Leuques, les Médiomatriques et les Trévires). A l’ouest deux


contrées de celtisation restreinte, en Armorique — où par un
revirement paradoxal la Bretagne sera un jour la seule terre celte
de l’Europe continentale — et dans la plaine atlantique; enfin
au sud, entre plateau central et Méditerranée, une aire où les
Celtes se sont surtout, comme en Espagne, fondus en milieux
mixtes avec Ligures et Ibères, aire d’ailleurs aux deux tiers
absorbée par Rome à partir de la décennie — iio.

Il faut ici aller plus loin, car ce tableau jure à l’évidence non seulement
avec les situations par essence provisoires que l’on doit restituer à la plus ancienne
Tène, mais aussi avec celle de l’apogée celtique du me siècle avant notre ère, et
cela parce qu il reproduit un corps géopolitique amputé des terres tombées aux
mains des Belges. Et il y a lieu de se demander si, en particulier dans le secteur
tampon parisiaco-lingon et en Armorique, nombre de peuplements de la Tène III
ne sont pas constitués par des réfugiés du Nord; je songe au premier chef aux
groupes dont le nom comporte le suffixe -Cassi et qui sont tous voisins de la fron¬
tière sud du Belgium : Durocasses, Baiocasses, Véliocasses, Viducasses à l’ouest,
Tricasses à 1 est; aux Sénons, limitrophes des Parisiens, mais dont la toponymie
révèle la trace en Lorraine; aux Mandubiens dont l’insertion et l’histoire en
Auxois, entre Eduen et Lingon, ont un caractère anormal. Obligatoirement,
l’avance belge a bouleversé les conditions territoriales bien au-delà de ses
limites mêmes; par la toponymie surtout une restitution des implantations
antérieures s’imposerait.

A vrai dire la situation propre des Belges à la Tène III a


chance de correspondre aussi à une évolution. Entre la mer, la
frontière celtique de la Seine et de la Marne, le môle résiduel
celtique de l’est, ils occupent dans les plaines du Nord-Ouest une
aire grossièrement triangulaire d’environ 400 km nord-sud, mais
entre celle-ci et le Rhin, vers le nord-est, s’interpose une autre
ethnie, celle que le De Bello Gallico (II, 4, 10) isole et définit
comme les Germains cisrhénans. Ces gens ont-ils activement poussé
devant eux l’arrière-garde belge ou bien n’ont-ils fait que profiter
d un tassement démographique et d’une aspiration par le vide
dus au départ de divers éléments belges à la conquête de la
Bretagne (RG H, 4, 7; V, I2, 2) ([i846], p. 36)? Là aussi le
tableau de la Tene III devrait différer de celui de la Tène moyenne.
En revanche, le Sud-Ouest gaulois entre Garonne, Atlantique
Eyrenees, méridien de Toulouse ne peut que correspondre à une
La Gaule indépendante et la ccmquête
7°5

permanence ethnique, fût-elle résiduelle. Les Celtes ne sont


jamais parvenus à y supplanter les Aquitains, souche apparentée
aux Ibères, ni même à se mêler à eux.
Comme un dernier trait essentiel de cet inventaire humain,
il faut admettre que partout, et avec plus d’indépendance sans
doute dans les zones armoricaine et atlantique — qu’est-ce donc
que 1’ « hapax » maritime des Vénètes [1895]? — ceux que
j’appellerai les allogènes, descendants des populations néolithiques,
des gens du bronze, résidus hallstattiens, se juxtaposent aux Celtes
ou aussi bien aux Belges ([1844], p. 44).
Quel poids démographique a représenté l’addition de ces peuplements à
la somme desquels on peut sans scrupule appliquer le nom collectif gaulois ?
A partir du noyau celte que permet de reconstituer l’analyse césarienne de
l’armée de secours d’Alesia en — 52, analyse fondée directement sur des docu¬
ments indigènes (BG, VII, 75, 2-4), on donnerait à la Celtique indépendante
de la Tène III quatre à cinq millions de têtes ([1846], p. 62-63). Le tableau
d’effectifs de la coalition belge de — 57 {BG, II, 4, 5-10) est moins sûr, pour le
Belgium, car il repose sur des données également indigènes, mais de caractère
plus oral peut-être, et n’y a-t-il pas dans les évaluations quelque emphase ?
Mais en définitive les 1 200 000 habitants qu’il permettrait d’attribuer approxi¬
mativement aux terres des Belges et des Germains cisrhénans ne jureraient ni
avec leur étendue relative ni avec leurs capacités agricoles ([1896], 292). Tout
cela est fort éloigné des chiffres fantastiques proposés par Jullian ([1859], II,
p. 8) ou F. Lot ([1860], p. 69), repris plus récemment par J. Moreau ([1851],
p. 76). Mais la question se pose alors des niveaux démographiques antérieurs
à la Tène III ; il n’est pas exclu et il serait normal que les temps relativement
paisibles et prospères contemporains de 1’ « Empire » arveme aient connu un
chiffre de population supérieur à celui de la Gaule en crise du Ier siècle avant
notre ère.

Quant aux aspects physiques enfin, une grande prudence est


requise. Ce qui vient d’être vu montre quelle diversité on peut
attendre. Ce que révèlent les tombes est très peu cohérent. Pour
ne rien dire des allogènes, des Aquitains ou des groupes mixtes
du Sud, la peinture traditionnelle, de la part des Méditerranéens,
du Gaulois grand, blond et blanc s’appliquerait plus au Belge
qu’au Celte, originaire de l’Europe moyenne; pour prendre un
exemple typique chez un peuple clé, les Arvernes qui, à l’époque
gallo-romaine servirent de modèle collectif à la statue du Mercure
de Lezoux ([1909], II, n° 1609) ne différaient guère de l’Auver-
706 V Occident

gnat moderne. Et lorsque le Gaulois de l’indépendance parvient à


se représenter lui-même, chose rare comme on verra, ce ne sont
pas les moustaches sur menton rasé de la tradition, mais des faces
glabres ou des visages barbus qui apparaissent.

d) La Gaule vue dans et depuis la cité. — C’est encore à l’espace


invoqué comme cadre que l’on fera appel pour examiner ce
qu’apportent d’informations les cellules politiques dans lesquelles
a vécu la Gaule, à la Tène III au moins selon le témoignage du
De Bello Gallico. Ces cités étaient au nombre d’une soixantaine au
minimum à cette époque (la carte de la p. 6g8 situe les plus
significatives) et d’étendue limitée, de deux à quatre de nos
départements au plus, parfois moins. Par là déjà elles sont proches
des cités du monde grec, et il est important pour les apprécier que
César ait jugé adéquat, à propos des Belges comme des Celtes,
l’emploi du mot ciuitas qui leur assigne une place déjà élevée dans
l’ordre des structures politiques. Cela contredit le terme de « tribu »
souvent et dangereusement employé pour les peuples gaulois de
la Tène III par les historiens modernes, ce qui n’empêche point
qu’un tel vocable ait peut-être eu une signification à la Tène
ancienne au moins. Car là comme ailleurs se pose le problème de
l’évolution à travers le second âge du fer; à quel moment de
celui-ci le type étatique constaté dans le De Bello Gallico est-il
apparu?

Un des principaux éléments des structures des cités tend à faire envisager
pour elles, au moins territorialement, une origine ancienne (à l’échelle de la
présence celtique en Gaule) : ce sont les marches frontières dont elles envelop¬
paient leur territoire utile. Ces marches, en somme des réserves du passé bota¬
nique du pays, consistaient en terres laissées à l’état de nature, à la forêt, plus
ou moins dégradée sans doute car pas plus là qu’ailleurs elle n’a gêné le Romain,
au marécage, à la simple broussaille. Le survol des cités montre que dans
l’ensemble ces régions marginales correspondaient souvent à des mauvaises
terres qui aujourd’hui encore demeurent hors des zones agricoles; ainsi dans le
Belgium les fonds de la forêt de Compiègne entre Bellovaques et Suessions, en
Celtique le massif de l’Yveline entre les Parisiens et les Carnutes, la Sologne
entre ces mêmes Carnutes et les Bituriges, la Double au sud des Santons face à
l’Aquitaine. Tout se passe comme si durant le processus de création des cités
les populations, par empirisme selon toute vraisemblance, s’étaient réparties,
pacifiquement ou non, les bonnes terres, ouvertes déjà ou encore à défricher, et
La Gaule indépendante et la conquête
7°7

les faisant passer, comme on l’a dit, des clairières à la plaine, avaient peu à peu
repoussé les sols incultes jusqu’à des auréoles géographiques prédestinées par
1 édaphisme puis politiquement utilisées. Une telle démarche tend, répétons-le,
à donner l’idée d’une prise de possession de date reculée, en des temps de droit
du poing, et d’une aspiration des peuples à l’isolement, sur laquelle il faut
tout de suite mettre l’accent. A ces zones se liait une toponymie spéciale en
-ido, évocatrice de la clairière. On doit s’attendre à ce qu’elles aient connu une
insécurité chronique au moins dans les décennies désordonnées de la Tène III,
et en tout temps (du point de vue économique) des activités surtout pastorales,
comme autour des cités grecques, qui elles aussi s’enveloppèrent de telles franges
(['92°]j P- 164). Il est à noter que les cités celtes installaient là facilement
des populations migrantes, à titre de gardes frontières; ce fut le cas des Boïens
en — 58 dans le Sancerrois, pour le compte des Eduens devant les Bituriges
(BG, I, 28, 5; VII, 9, 6) ([1857], P- 572‘573)> et probablement, parmi les réfu¬
giés du Belgium, des Durocasses au nord de la Beauce carnute, des Mandubiens
sur les mauvaises terres de l’Auxois, peut-être des Sénons vers l’Othe et les
marais avoisinants. Il fallait insister sur cet aspect symptomatique et trop peu
perçu des cités et du paysage gaulois ; des enseignements multiples pourraient en
découler; surtout si une cartographie particulière était réalisée à l’échelle de
la Gaule ([1846], p. 53-54; [1857], p. 563-564; [1893], p. 265; [1894]).

A l’intérieur de la ceinture des marches le territoire, au moins


dans les grandes cités, se répartissait en districts auxquels le De
Bello Gallico (I, 12, 4; VI, 11, 2) colle l’appellation latine de
pagus. Sous réserve d’un facteur seigneurial que l’on devra envi¬
sager, ils semblent avoir joui de peu d’autonomie à la Tène III
{contra [1900]). Une remontée dans le temps conduirait-elle à y
voir des groupes anciennement plus libres et peu à peu absorbés?
De ce point de vue la clôture collective des marches a une signi¬
fication plutôt négative. Toponymie et paléobotanique permet¬
traient-elles de reconnaître des border s internes entre pagi? Plus
d’un celtisant a voulu généraliser la quadripartition de la cité en
pagi existant chez les Helvètes au témoignage du De Bello Gallico, I,
12 ; le caractère de nouveau venu de ce peuple, arrivé du cœur de
l’Europe vers — xoo seulement, ne rend pas l’interprétation
convaincante; en tout cas, l’adopter serait reconnaître dans les
cités un esprit étatique plus que fédéral ([1857], p. 562).
Le De Bello Gallico en VI, 11, 2, à nouveau, subdivise les pagi
en loci, certainement identiques aux cellules de peuplement et
d’exploitation ou très proches d’elles. J’ai proposé, à partir d’un
708 V Occident

comparatisme fondé sur les conditions du haut Moyen Age


(d’après [191g], I, p. 57-65) qui semblent fort voisines, une repré¬
sentation de ces cellules comme des ensembles concentriques,
établissements entourés d’enclos au-delà desquels se situait l’aire
des champs, extérieurement bordée elle-même par des pacages
plus ou moins abandonnés, comme les marches, aux conditions
naturelles de végétation. Cette restitution cadrerait avec ce que
l’on peut imaginer de l’extension progressive du défrichement à
travers le second âge du fer. Le De Bello Gallico, II, 17, 4, donne
une description très remarquable du système de haies défensives
des Nerviens du Belgium central; ce système, chez ce peuple
demeuré fidèle à des traditions anciennes, doit avoir servi au
maximum à la protection de zones limitées du type locus, en un
schéma de bocage qui, visiblement, contrastait aux yeux de César
avec les terres ouvertes du Sud.

L évolution de i habitat gaulois au second âge du fer est assez évidente sur
le plan de sa distribution. A l’apogée de l’époque de la Tène il consistait quasi
exclusivement en unités répandues à travers les campagnes; ces unités ont
correspondu soit au type de l’habitat dispersé (grandes fermes ou manoirs de la
noblesse surtout), soit à celui du petit habitat groupé avec les villages de paysans.
Les deux formes subsistaient à la Tène III, à la fin de laquelle le De Bello Gallico
définit par des termes latins la première comme aedificium, la seconde comme
uicus. C’est indistinctement autour de l’une et de l’autre qu’ont dû s’organiser
les terroirs concentriques évoqués plus haut. Le problème de l’architecture
gauloise, moins net, a été très longtemps faussé par la dangereuse notion de la
hutte, qui tire 1 image de la Gaule vers la sauvagerie et qui provient de références
littéraires incertaines comme celles de Strabon (IV, IV, 3) dont les sources
pourraient être insulaires, plutôt que d’une archéologie de l’habitat hier encore
indigente. On peut admettre avec prudence que les demeures populaires, celtes
ou non, ont eu des proportions et des structures modestes; mais il exista autre
chose. Les enquêtes allemandes, très en avance sur la France depuis un demi-
siècle, avaient déjà donné une image infiniment plus complexe de la construction
des âges du fer, point seulement de la Tène ([1842], p. 54). Depuis, si jusqu’à ces
dernières années l’aedificium celte ou belge est resté un mot, les explorations
aeriennes de R. Agache en Picardie ont révélé sa réalité, celle de vastes exploi¬
tations à cours multiples imbriquées de façons très diverses et centrées parfois
par le prototype de la maison de ferme gallo-romaine à portique de façade
[1867]. Enfin des espérances d’une archéologie du village ténien commencent
à se dessiner, en Berry notamment, en même temps que celles de l’archéologie
du village médiéval et dans un esprit voisin.
La Gaule indépendante et la conquête
709

Fermes et villages de la Tène moyenne peuvent avoir possédé


des défenses individuelles du type élémentaire de la palissade à
fossé [1886]. En revanche, il est à peu près acquis qu’avant les
approches de la Tène tardive la Gaule du second âge du fer n’a
nulle part, hors de sa zone VI à peuplements mixtes, possédé de
gros habitat groupé fortifié. A la Tène I les enceintes créées durant
le Hallstatt tardif, comme Vix dans le futur pays lingon, avaient
été détruites ou abandonnées. Ce sont les temps dangereux, à
partir de la fin du 11e siècle avant notre ère surtout, qui vont
changer les choses, après l’invasion belge, avec les incursions
des Cimbres et des Teutons de la décennie — 100 (BG, VII,
77, 12) — ces gens ont été pour la Gaule l’équivalent des Grandes
Compagnies dans la France de Charles V —, la permanence des
troubles intérieurs, enfin la menace germanique. Alors naît un
cadre de vie nouveau; la Gaule se couvre de forteresses, à vrai
dire plus refuges éventuels qu’habitats fixes car la tendance
profonde du peuplement vers la dispersion ne varie pas. Ce sont
les oppida, ce que le celtique appelait dunum ou durum, « oppidum »
n’étant que l’utilisation par les archéologues, à la suite de César,
d’un vocable latin désignant toute ville close. Les murailles, soit
en pierre sèche chaînée de poutres (le murus Gallicus), soit en
terre et en pierraille, sont de plan simple sans grand flanquement
et se défendent plus par leur masse et souvent leur assiette de hau¬
teur que par leurs articulations ([1874] corrigeant [1902]; [1882]
pour les portes; [1891] comme synthèse commode).

Si les oppida, il faut y insister, n’ont pas normalement fixé des noyaux consi¬
dérables de population permanente, pourtant certains d’entre eux, surtout ceux
qui pour des motifs commerciaux ont été attirés par des berges de rivières, ont
tendu à des ébauches de villes : ainsi Cabillonum des Eduens sur la Saône,
Lutetia des Parisiens sur la Seine, Avaricum des Bituriges sur l’Yèvre et l’Auron
(terme de comparaison précis pour Avaricum dans la Celtique d’Allemagne
à Manching, [1922]).

C’est là le minimum des éléments nécessaires à la compréhen¬


sion des cités en tant que cadres. Quels types de vie collective
ont-elles connus? Les problèmes deviennent ici plus difficiles par
la raréfaction des moyens d’approche pour les périodes anté¬
rieures à la Tène III,
710 U Occident

Au point de vue politique, sauf dans les secteurs celtoligures


ou celtibères du Sud, la conquête celtique de la Gaule avait été
fondée sur la position de chef, l’assujettissement des populations
anterieures par des minorités celtes fortes de leur armement de fer
perfectionne et de leurs capacités militaires. C’est certainement
dans cette ambiance, peut-être comme garantes d’un tel état de
fait, que naquirent les monarchies celtiques. Elles semblent avoir
été la forme prédominante, sinon unique, de structure politique
jusque vers la fin de la Tene II. Leur plus belle réussite aura
apparemment été 1’ « Empire » arverne. Mais il est net qu’à
partir au moins de l’effondrement de celui-ci à la fin de la
décennie 120, la pratique monarchique disparaît chez les
Celtes comme si le roi arverne avait eu une valeur de modèle
idéologique. Dans le demi-siecle suivant, la même évolution se
produit chez les Belges, dont la mainmise avait sans aucun doute
été fondée originellement à nouveau sur la position de chef,
cette fois aux dépens des Celtes ([1844], p. 51). Au temps de
César il ne reste de rois que chez les Aquitains et les Germains
cisrhénans (BG, III, 22, à rapprocher de [1857], P- 575'576;
V, 26, 1-2) c’est-à-dire les ethnies que leurs traditions éloi¬
gnaient le plus des Celtes, alors que les Belges, ceux du Sud
surtout, avaient adopté beaucoup de manières et de modes
celtiques.

Il est très intéressant que le facteur de destruction de la royauté chez les


Celtes ait été identique à celui qui, entre les vne et Ve siècles avant notre ère
l’avait fait disparaître dans le monde gréco-latin. Il s’agit dans tous les cas des
aristocrates. Ce fait rapproche de nouveau cité gauloise et cité grecque. Tout se
passe comme si la noblesse celte, après avoir supporté une hiérarchisation à la
Tene moyenne était, dans une ambiance de malheurs publics, peut-être revenue
aux conditions anarchiques des débuts de la celtisation. Des oligarchies sont ainsi
apparues à la tête des cités, avec pour organes un exécutif sans nul doute très
surveille dont l’exemple le mieux connu est le magistrat dit vergobret ([1857]
P; et une semblée des grands qui, à l’évidence, détenait le pouvoir
ree!; le D* BelloGalhco l’appelle « Sénat», bien que le système de recrutement ait
e e different à Rome et en Gaule, fondé dans cette dernière non sur la gestion
anterieure de magistratures, mais sur la puissance militaire et la richesse (il y
a un problème d’accaparement des pagi, des oppida, des sols de marche, comme
des péages selon BG, I, 18, 3), en fait sur la vieille position de chef. Pourtant
dans leur vie quotidienne, ces assemblées gauloises ne doivent pas avoir été fort
La Gaule indépendante et la conquête 711

éloignées du Sénat romain; un discours tel que celui de l’Eduen Diviciac,


longuement rapporté par le De Bello Gallico (I, 31), donne le sentiment d’une
grande habitude des procédés « parlementaires ».

En Gaule, chez les Celtes au moins, l’évolution de la monar¬


chie à l’oligarchie ne s’est, contrairement à ce qui se produisit en
Grèce, pas poursuivie en direction d’une démocratie. Nous ne
pouvons dire s’il y avait eu quelque autorité de la masse dans les
temps de la mise en place celtique. Quand les choses deviennent
saisissables, c’est-à-dire à la Tène III, le peuple est sous la coupe
politique des grands, plus encore que dans une Rome où le pou¬
voir populaire a été pourtant toujours si influencé, voire dépendant.
C’est donc dans le domaine politique que se manifeste le
caractère foncièrement aristocratique de la société celtique. En
apparence, les nobles de la Gaule seraient, fait exceptionnel, mieux
dépeints par les sources non césariennes que par le De Bello
Gallico si l’on songe aux descriptions de festins de Posidonios
(Hist., XXIII in [1843], P- 321) et de Diodore (V, 28). Mais
ces tableaux, folkloriques pour leurs auteurs, ne font que poser
un masque euphorique sur les sombres réalités de leur cadre
chronologique, la Tène tardive. Les vrais problèmes de société se
lient à ceux de la possession du sol dans un monde, celte comme
belge ou aquitain, pour lequel ce qu’on a dit plus haut de
l’habitat fait pressentir l’importance économique de la terre. Le
fond de la question, pour les bons temps de la Tène moyenne sur les¬
quels nous ne pouvons, une fois de plus, risquer que des conjec¬
tures, dépend du degré de bien-fondé de la thèse d’Arbois de
Jubainville ([1870], [1871]); celui-ci croyait en une propriété
foncière collective en Gaule. Toute solution définitive serait
aujourd’hui encore hasardeuse. Du moins le primat celte de la
classe dirigeante oblige-t-il à envisager sérieusement l’ancienneté
d’une appropriation noble, partielle mais large. Et lorsqu’enfin
une source écrite, avec le De Bello Gallico, permet de serrer la réalité
de près, on constate une précarité de la condition populaire qui
pourrait être une dégradation; elle est due en grande partie au
poids des dettes et de l’impôt {BG, VI, 13, 1-3). Le premier facteur
rapproche singulièrement Gaule et Italie du Ier siècle avant notre
ère; le second pourrait viser surtout les allogènes. Tout se passe
712 L'Occident

probablement comme s’il y avait rejet, dans une même strate


sociale pauperisee, des plus humbles des Celtes avec les groupes
assujettis. Il convient à nouveau d’être réservé pour le Belgium, en
proportion inverse du degré de celtisation de ses régions, et pour
1 Aquitaine. Le résultat a été l’asservissement économique des
masses, qui n avait pas fatalement été toujours de pair avec leur
effacement politique.

Cet asservissement a débouché sur un renforcement des liens de clientèle,


sans doute une vieille composante de la vie celte; à certains égards ils pouvaient
revêtir une valeur éthique positive {BG, VII, 40, 7), qu’ils aient atteint ou non
à l’intensité du dévouement des soldurii d’Aquitaine {BG, III, 22, 1-2), forme
marginale de la jides Iberica [1917]. Aux temps de l’apogée, comme en témoigne
encore, pour le 1^ siècle avant notre ère, la geste de Luern l’Arverne, les petits
avaient bénéficié de l’opulence des puissants grâce à la pratique définie par la
sociologie comme le « potlatch » (autodestruction de la richesse par le don afin
d’obtenir en contrepartie la considération sociale), inhérente aux Celtes comme
elle devait l’être aux Gallo-Romains. Dans quelle mesure la dure civilisation
de la T'ene finale a-t-elle encore permis ce trait de mœurs ? BG, I, 18, 4 en fait-il
apercevoir quelque chose dans la décennie — 60, chez les Eduens’?

C’est naturellement à partir de la cité qu’il faut examiner enfin


les rapports entre cités, voire les confrontations à d’autres ethnies
A la T'ene III ces rapports sont fondés sur la violence dans l’ensemble
de la Celtique (BG, VI, 15, 1) soumise à un état de peur ([1857],
P- Maints détails rendent compte de réalités voisines
dans le Belgium (BG, II, 17, 4; 28, 3). Le caractère belliqueux de
tous les groupes conquérants du deuxième âge du fer et aussi des
Aquitains,. des Ibères ou des Ligures, rend peu vraisemblable
qu une véritable pax Gallica ait jamais régné, mais l’expérience de
1 « Lmpire » arverne tendrait à faire reconnaître dans la mise
en œuvre des clientèles politiques entre cités un facteur de stabi¬
lisation, au moins jusqu’au 11e siècle avant notre ère. Pourtant il
n a certainement jamais été possible de pousser très loin des
rapprochements. Les marches frontières prouvent que les cités
ou les formes de groupement qui les ont préparées ont toujours
cte mues pour 1 essentiel par le sentiment jaloux de leur auto¬
nomie; cela à un degré qui plus que n’importe quel autre élément
montre en elles les sœurs rustiques des poleis de l’Hellade On
aimerait savoir ce qu’ont précisément été les centres mystiques des
La Gaule indépendante et la conquête 713

peuples dits mediolanum, qui pourraient avoir été un trait archaïque


et dont le concept équilibrait dans l’espace celui des marches.
Mais la réalité de ces mediolanum reste problématique, peut-être
par un manque de conformité entre la notion de « centre » des
contemporains et la nôtre ([1883], [1884], [1893]). En revanche
à l’époque des oppida il est net que dans un grand nombre de cités,
celtes comme belges, l’une de ces forteresses fait fonction de
capitale au sens moderne du mot, bien entendu sans considé¬
ration de densité démographique réelle ([1857] p. 564-565).
Cela dit, la domination des oligarchies n’a à l’évidence fait
que surexciter les particularismes. Responsables des guerres entre
groupes gaulois, elles ont manifesté une totale incapacité à pro¬
téger la Gaule des périls externes; leur attitude face à la montée
du monde germain est consternante. On ne peut conclure ces
pages trop brèves sur la cité qu’en soulignant une fois encore que,
de leur implantation puis de leur apogée jusqu’à leur décadence,
les Celtes ont toujours été marqués par un manque du sens de
l’unité; longtemps sans inconvénients immédiats, il les a perdus
quand sont intervenus des antagonistes efficaces. Constater que
l’on n’aperçoit guère autre chose chez le Belge ou l’Aquitain et,
au loin, chez le Germain, l’Espagnol ou le Grec, force à reconnaître
le caractère de prodigieuse exception de l’universalisme romain.

e) Le diptyque économie-culture. — On passera maintenant du


cadre de la cité à celui de la Gaule. On pourra ainsi apprécier les
poids respectifs de la civilisation (composantes de nature pratique
parmi lesquelles l’économie se lie aux éléments du tableau de la
cité) et de la culture (composantes religieuses, artistiques et intel¬
lectuelles). Aucun milieu, les Magdaléniens aussi bien que l’huma¬
nité du xxe siècle, ne peut être apprécié correctement sans une
mise en balance exacte de ces deux facteurs généraux; la Gaule
de la Tène la requiert au premier chef.

Gomme dans toutes les civilisations antiques, agriculture et élevage sont les
bases de l’économie. Pour la première, la Tène III fournit, grâce au De Bello
Gallico, une assise chronologique sûre; si cette œuvre atteste que la forêt n’a guère
été un décor de la conquête, elle fait aussi intervenir la logistique à fondements
locaux du gros exercitus de César, qui permet de se rendre compte du développe¬
ment agricole du pays; le proconsul n’a pas eu plus de mal à se ravitailler qu’il
7i4 T Occident

n’en aurait eu en Italie. Toutefois il y avait opposition entre la péninsule et la


Gaule quant aux productions ; la seconde était essentiellement un pays céréalier,
pauvre en cultures arbustives, dépourvu de vignoble. Sous réserve de vérifica¬
tions par la paléobotanique, on peut s’attendre à ce qu’une telle organisation
rurale ait été à peu près aussi ancienne que la période de la vie gauloise étudiée
ici, c’est-à-dire qu’elle ait remonté au plus tard au début de la Tène II, sa mise en
place progressive ayant été le fait des défricheurs de la Tène ancienne. On a plus
haut rejeté l’image forêt-marécage du second âge du fer gaulois; en ce qui
concerne le marais, des recherches récentes sur l’œuvre agraire des Arvernes en
Li magne témoignent de leurs activités régionales de drainage [1880].
Pour l’élevage le De Bello Gallico est relativement moins explicite, mais on
peut faire appel à des indications de Strabon (IV, 4, 3) qui, bien que du début
de l’époque gallo-romaine, sont sans doute à même de témoigner sur l’importance
des cheptels porcin et ovin à la Tène III au moins. Par la collecte systématique
des vestiges osseux, une bonne archéologie de l’habitat devrait permettre un
tableau d’évolution précis pour l’ensemble de la Tène. Th. Poulain-Jossien a
déjà obtenu d’importants résultats, défini des zones de prédominance : gros
bétail dans l’Est, mouton dans le Nord-Ouest et le Massif central, chèvre dans
cette dernière région [1898]. Les fouilles de fermes et de villages devraient
également renseigner sur les pratiques de stabulation à propos desquelles les
recherches exécutées dans le nord de l’Europe ont dès à présent fourni des pré¬
cisions, relatives au second âge du fer ([1877], p. 242). En ce qui concerne les
productions végétales et animales, la Gaule des Tène II et III — pour cette
dernière période, même en tenant compte de son histoire troublée — peut donc
être favorablement appréciée en comparaison de la situation méditerranéenne
contemporaine, beaucoup de contrées helléniques ne l’égalant pas.

Mais si Celtes, et Belges, méridionaux au moins, ont été par là


les fourriers de Rome dans l’Europe du nord-ouest des Alpes,
l’activité industrielle celtique a été plus significative encore. Beau¬
coup plus que leurs prédécesseurs hallstattiens, les Celtes sont le
peuple du fer. Dans ce groupe guerrier, le chef-d’œuvre même a
été l’épée dont la structure ne cesse d’être améliorée au cours des
âges, la Tène II développant le corroyage qui juxtapose par soudure
de petits barreaux métalliques, la Tène III faisant intervenir le fer
carburé [1889]. L’état de l’archéologie permet dès à présent de
juger de l’évolution du matériel de fer depuis la Tène I [1872]
jusqu’à la Tène III [1876]. Le mobilier funéraire exceptionnel du
tumulus de Celles (de la Tene III) dans le Cantal, donc en terre
arverne, fournit un stock de formes artisanales destinées au travail
du cuir, stock remarquable et conforme déjà à ce que montreront
La Gaule indépendante et la conquête 7J5

époque gallo-romaine et Moyen Age ([1861], I, p. 282-284).


La Tène III d’ailleurs révèle une production métallurgique à la fois
massive, par les quantités géantes de clous exigées pour la fixation
des poutrages des mûri Gallici à’oppida, et poussée dans le sens des
spécialisations : car en zone III, sur l’Atlantique, les Vénètes
retiennent leurs ancres par des chaînes de fer alors que les
Méditerranéens recouraient à des cordages (BG, III, 13, 5).
Sans avoir été des adeptes de la relative mécanisation du monde
hellénistique les Celtes n’en ont pas moins introduit en Gaule,
durant la Tène moyenne, l’usage du tour qui allait révolutionner plu¬
sieurs secteurs industriels, au premier chef la poterie. Ils ont été
des utilisateurs très remarquables du bois, maîtres des Romains
dans l’art du charronnage ([1846], p. 92), de la charpenterie
( [1855], pi- 18, 5), inventeurs du tonneau auquel l’avenir appar¬
tient — alors que l’amphore méditerranéenne est appelée à dis¬
paraître en Occident — et qui existe à la Tène III chez les
Cadurques du sud-ouest de la zone V {BG, VIII, 42, 1). Il est
assez vraisemblable que l’ampleur des besoins en bois chez les
Celtes et les Belges a, conjointement à l’important élevage des
ovins et des caprins, beaucoup fait pour détériorer la forêt gau¬
loise. Très brillantes, sinon d’un goût très sûr à la Tène I et II,
les industries de luxe, la bijouterie surtout (à clientèle masculine
comme féminine), perdent de leur éclat à la Tène III où la dureté
des temps se reflète dans un appauvrissement des formes ([1846],
P- 95-97)-
Pour la production industrielle la Gaule n’est donc pas non plus
en position d’infériorité face à la Méditerranée, et la chose est
remarquable si l’on songe à la faiblesse du développement
urbain.
Quant au commerce, Diodore (V, 27) insiste sur le vif amour
des Celtes pour l’argent. On se demandera si ces guerriers et ces
paysans ont eux-mêmes beaucoup pratiqué le négoce ou s’ils
l’ont abandonné aux allogènes, se contentant d’exploiter ces
derniers. En tout cas Celtes et Belges à la Tène II et III sont des
peuples d’économie monétaire.
Longtemps inutilisable ou malfaisante, la numismatique gauloise est devenue
un instrument capital de la connaissance depuis un quart de siècle grâce au
seul J.-B. Colbert de Beaulieu. Il en a montré les vicissitudes, très modernes, en
716 L'Occident

même temps le vrai miroir et la seule source indigène de l’histoire de la Gaule,


du bon aloi unitaire des temps de 1’ « Empire » arverne jusqu’au morcellement des
ateliers et à la dévaluation galopante de la Tène III, à l’adoption de l’étalon du
denier romain en zone V, chez Lingons, Eduens et Séquanes vers — 8o ([1805],
[1879]5 [1878], résumé dans [1846], p. 103-108). Les rapports commerciaux
avec la Méditerranée sont le reflet du caractère aristocratique des sociétés
gauloises, par le primat du vin, denrée de luxe que le pays ne produit pas
(Diodore, V, 26), peut-être les importations de chevaux de guerre et de parade
(■BG, IV, 2, 2; VII, 55, 3) (commenté dans [1846], p. 103).

Presque tout cela appelle en dernière analyse une appréciation


positive en bloc, en raison notamment de la persistance des
activités dans le mauvais contexte politique et social de la
Tène HT, on voit seulement alors les caractères pratiques l’emporter
sur le luxe, du fourreau d’épée à la fibule, cette épingle d’attache
des manteaux masculins et féminins qui constitue un « fossile
directeur » archéologique ([1853], P- 751-768).
En va-t-il de même de la culture? Jusqu’à la fin de l’indépen¬
dance elle est restée pour 1 essentiel intérieure au fait religieux;
en cela il y a opposition avec le monde gréco-latin des 11e et
Ier siècles avant notre ere. La (ou peut-être les) religion de la

Gaule du second âge du fer pose de difficiles problèmes de dis¬


tinctions ethniques, comportant notamment l’appréciation de la
part constante des allogènes — dans laquelle il faut peut-être
inclure le gros de ce qui est zoolâtrie — et à partir de la Tène II
de la part du Belge. Quant aux Celtes tout permet de reconnaître
en eux un des groupes les plus religieux de la religieuse Antiquité.

Leur conception du Divin semble avoir été proche de l’esprit numinaire des
plus anciens Romains, par la croyance en des divinités non personnalisées et,
à plus forte raison non anthropomorphisées, dont les noms variaient d’une cité,'
smon d’un pagus à l’autre. Pourtant il existe assez de constantes, à la Tène III
au moins, pour que le De Bello Gallico (VI, 17, 1-2; 18, 1) présente un tableau où
es grandes fonctions divines gauloises sont recouvertes par des appellations
prises au panthéon romain classique : Mercure protège les activités économiques,
Apollon fait figure de dieu médecin, Minerve patronne les arts et les métiers.
Mars est le dominateur de la guerre, alors que Jupiter est présenté en maître
du monde céleste et Dis Pater reconnu comme dieu des morts. Peut-être est-ce
la le fruit d une évolution, car à la même époque une certaine anthropomorphi-
sation s est développée, BG, VI, 17, 1 parlant de simulacre dont les plus nombreux
représentaient Mercure. Un siècle après, le poète Lucain mentionnera dans son
La Gaule indépendante et la conquête 717

Bellum Ciuile (I, 445-446) trois dieux celtes par leurs noms indigènes, Teutatès,
Esus, Taranis, mais sans fournir aucune précision fonctionnelle et, à nouveau,
dans un esprit de folklore, horrifique, qui n’ajoute rien au De Bello Gallico, VI,
17 et 18 ([1916, [1906], [1907]).
Mais les Celtes ont fait une large part à la vénération d’autres figures supra-
terrestres, les héros, dans l’ensemble des ancêtres divinisés. Autant que les dieux
et sans que l’on puisse exclure des fusions entre les deux groupes, ces héros sont
indispensables à la compréhension du psychisme religieux de la Gaule. Leur
importance n’eut d’égale au mieux que celle du monde héroïque grec [1904].
Elle est très normale dans un groupe humain qui se voulait issu du dieu des
morts (BG, VI, 18, 1).

L’architecture religieuse est le reflet de cette dualité. Aux


dieux appartiennent des sanctuaires; matérialisés d’abord comme
en Grèce et à Rome par des bois sacrés, ils deviennent à la Tène III
de petits temples construits carrés ou circulaires, de bois, exception¬
nellement de pierre chez les grands peuples de la zone V,
Eduens, Arvernes. On doit aussi prêter la plus vive attention à
des enceintes quadrangulaires de terre dont le caractère sacré a été
reconnu d’abord dans la Celtique d’Allemagne par K. Schwarz
[1914]. Le culte des héros s’attache à d’autres enceintes de même
type, autour de cénotaphes ou de tombes, et entourées elles-mêmes
par les cimetières, à inhumation jusqu’à la Tène II, à incinération
à la Tène III. Toutes ces structures élémentaires rejoignent les
oppida, les aedificia et les villages pour situer la Gaule dans une
ambiance paysanne fondamentale chez elle. Peut-être celle-ci
explique-t-elle la pauvreté de la production esthétique gauloise
de la Tène, entre Rhin et plateau central. Bizarrement exaltée à
coup de contresens et de phantasmes par trop d’historiens des
Celtes ou de l’art, de J.-J. Hatt à A. Malraux ([1912], [1913]),
elle a dans la réalité cherché en tâtonnant la voie de l’image
réaliste; elle a eu pour supports les simulacra des dieux et des
héros, et les images monétaires elles aussi d’essence religieuse
([1846], p. 129-135). Il faut considérer isolément l’art celto-ligure
ou celtibère du secteur VI, beaucoup plus riche et évolué, à
Entremont, Roquepertuse ou Mouriès [1800], mais qui n’est
guère que l’œuvre de Méditerranéens travaillant pour des sei¬
gneurs celtes. Quant à l’expression littéraire, elle constitue une
énigme; il serait anormal qu’il n’ait pas existé une poésie religieuse
718
L’Occident

en rapport avec les tendances générales de la société, et une poésie


epique liee aux idéaux de la noblesse, dieux et héros fournissant à
nouveau les thèmes inspirateurs. Mais rien n’a subsisté d’une litté¬
rature qui, diaprés BG, VI, 14, 3 n’a jamais pris forme écrite.
• +i- dU ComPte le bilan n’est Pas comparable à celui que
justifiait 1 économie. Par rapport au monde méditerranéen la
culture gauloise apparaît archaïsante, beaucoup plus proche de la

i-°“ècleU Vme °U SièClC aVant n°tre ère ^ celle du

Au-delà il faut enfin mentionner un « hapax » d’ailleurs tardif « hapax »

lWtri T" vr PrhtiqUe’ la ClVllisation se mêle à la culture. Il s’agit de


institution druidique. Loin d’appartenir au plus ancien fond celtique, elle est

l r TmPTne Ct’ Pfr S°n anCfage danS le maIheur des temps, la sœur des
décennie^— f2TnV t’ ^ ,E Gaulc méridionale durant la
uecenme — 120 n y trouvèrent pas trace de druides. A côté des visions nébu-

St? Jto'xVl’TTT Mrfi0d0r' (V' 3,)' S,mbm (IV- 1' 4) o» Pline


chrcele ,afbleau réa,iste
Nee sans doute dans nie de Bretagne vers h fin de la Tim II, d?fa“t' d^qœlque

un conc r rC’ 1 C°nStitUa Un CorPs monolithique sous un chef unique avec


un concile annuel et, pour reprendre les termes de Fustel de Coulanges’ « le
sede”6 ,rUldlqUe- constitué monarchiquement au milieu de la division univer
elle dominait tout » ([1910], p. 9). Dans l’état de peur de la Tène III le

(SeTei.e e ZZ
hu?air*T'ar?e? P?Vilè8“ &Ca" “
lr r
du *• orifices
« Parvenu à assujettir la
l'éducation «»—»

2) LA CONQUÊTE CÉSARIENNE

fèrent néîfdï 17"“"' ~ Les bases d« connaissances dif-


dance gauW CS qU‘ °M Cte d'finies au * Pindépen-

GellÏqle Z: a •*» sources littéraires.


La Gaule indépendante et la conquête 719

prêter correctement car la sincérité quasi déconcertante de ses exposés militaires


est contrebalancée par son mutisme habituel sur les arrière-plans politiques,
parti pris qui a tout à fait échappé aux innombrables tenants des doctrines
anticésariennes ([1857], p. 525). Quant à l’archéologie, les acquis sûrs des
recherches du Second Empire se limitent à un très petit nombre de sites, Gergovie
au plateau de Merdogne dans le Puy-de-Dôme, Alesia sur le mont Auxois dans
la Côte-d’Or ([1944], II, p. 231-243, 256-270; [1936]). Depuis lors il n’y a pas
eu de découvertes valables avant les reconnaissances aériennes de R. Agache,
déterminantes pour l’avenir, sur les camps romains de Picardie (par exemple
[1866], pl. 114-118).

b) Le point de départ historique. — Au début de la décennie — 50


les fruits du remarquable effort civilisateur accompli en Gaule,
par les Celtes surtout, depuis quatre cent cinquante ans sont sur le
point d’être anéantis du fait de l’incapacité des peuplements domi¬
nants à créer une unité. L’usurpation druidique, un demi-siècle
de dévaluation sont en divers domaines les symptômes d’un grave
malaise collectif. Confrontée au groupe germanique la Celtique
de Gaule est menacée du même évanouissement que celle d’Alle¬
magne à la Tène IL La présence des Germains cisrhénans sur les
arrières des Belges incite à se demander si la situation de ces der¬
niers était sensiblement meilleure. César et César seul — car le
monde politique romain n’a éprouvé qu’incompréhension ou
peur devant son entreprise — a empêché cette évolution d’aboutir;
ce qui est un cas de condamnation pour la notion de sens irréver¬
sible de l’histoire. Ne faut-il pas pourtant faire la part du hasard
dans ce retournement du processus? Il régnait à Rome une assez
profonde ignorance des réalités de la Gaule indépendante ([1857],
p. 527-529) et César ne doit pas avoir pu, avant — 58, en savoir
beaucoup plus que ses contemporains. Puis au moment même
où en — 59/— 58 il se voit attribuer le proconsulat de Cisalpine
et d’Illyricum et se tourne ainsi vers le Nord, le danger que les
Gètes de Burebista créent sur la frontière danubienne est sur le
point de l’attirer vers le Nord-Est. C’est seulement une brusque
accalmie dans ce secteur qui lui laissera les mains libres face à la
Gaule. Cela dit, César consul en —■ 59 a pris certaines précautions
pour empiéger, en lui accordant la reconnaissance officielle de
Rome, le chef des envahisseurs germaniques, Arioviste ([1857],
p. 551). La chose est malgré tout symptomatique d’une prise en
720
L’ Occident

considération, empirique sans nul doute, du poids des problèmes


gaulois, sinon encore de leur nature profonde. Cela, à partir de
1 évanouissement du péril gète, va servir également les objectifs
piopres de César acquisition d’une force armée à sa dévotion
de ressources financières autonomes — et l’intérêt de Rome :
car la décadence militaire gauloise mettait de plus en plus en ques¬
tion la sécurité de la frontière nord-ouest de Y imperium, celle d’une
Narbonnaise à peine romanisée. En cet instant de la carrière de
César son profit personnel et le bien de la chose publique, dont
la balance relative a posé tant de cas de conscience à l’Histoire
(reexamen dans [1930], p. 109-m), sont indissociables.

c) Les facteurs militaires. — La chronologie de ce que l’on


appelle traditionnellement « guerre des Gaules » et qu’il est plus
adéquat de définir comme la conquête, a comporté trois volets
Entre le printemps et la fin de l’été - 58, César procéda à la prise
en main des terres gauloises en refoulant la dernière migration
celtique continentale, celle des Helvètes, et en mettant à bas le
plus digne de lui parmi ses adversaires, romains comme barbares,
Arums te le Germain (BG, I). Ensuite, pendant cinq ans, de — 37
a la fin de 1 ete — 53, ses campagnes viseront, par rapport au
noyau celtique gaulois, des objectifs uniquement périphériques
TT TTïT n US lomtains’ BelSes> Vénètes, Aquitains d’abord
{BG, H-HI) Germains au-delà du Rhin, Bretons au-delà de la
mei ensuite (BG, IV- V). Il n’y aura de heurts entre le proconsul
et la masse des Celtes que durant les deux dernières années
en 52 et 51, dans le cadre d’une révolte (BG, VII-VIIH
sur le peu de durée de laquelle il conviendra de revenir - les der-

encadréeTTH ^ Ge?aaiia cisrhénans et des Belges l’auront


“Cviii) ne de ~53 et au printemps d<= -5.
T “^.‘'importance réelle des faits de
guerre. On peut ainsi 1 apprécier : la victoire militaire a été
necessaire — fin est pas utile d’y insister —, fatale et insuffisante.

D„^JeC°nd.adjeCtif P°SC le Problème de la nature des armées en présence


Du cote romain, contrairement à une vision des choses extrêmement répandue’
César n a pas reçu de la république une force déjà mise au point. Il l’a forgée’
en Gaule meme, à partir d éléments médiocres. Un demi-siècle plus tôt son oncle’
La Gaule indépendante et la conquête 721

C. Marius, avait posé les fondements d’un exercitus à recrutement non plus aristo¬
cratique et censitaire, mais « prolétarien », qui devait cesser d’être une milice
pour devenir une troupe professionnelle. Dans la suite le Sénat avait été inca¬
pable d’assurer le bon fonctionnement financier du nouveau système, et la
formule marienne, indispensable en son principe, avait abouti à l’apparition
d’armées pillardes, irresponsables et de valeur technique inégale. César, pro¬
consul des Gaules, a mis fin à cette période intermédiaire en promouvant une
nouvelle mentalité collective des soldats, par des mesures d’ordre psychologique,
puis par une réforme de la solde. Sur le plan de l’efficacité il a flanqué une infan¬
terie légionnaire hors de pair maintenant, notamment en matière de polior-
cétique, d’une cavalerie permanente à recrutement en partie barbare, alors que
l’incurie sénatoriale avait laissé disparaître après Marius l’arme montée. De
sorte qu’au plus tard dans les années — 55/— 54 il a existé un exercitus césarien
qui ne pouvait être confondu ou comparé avec aucun autre élément de la
machine militaire romaine [934].
Qu’ont opposé à cette armée de nouveau modèle — cet emprunt cromwellien
est justifié — les divers peuplements barbares affrontés par César entre — 58
et — 51, et pour lesquels on ne s’en tiendra pas aux frontières de la Gaule ? Sur
un seul point il y eut uniformité des conditions. Face à une armée césarienne qui
passa d’environ 25 000 à 50 000 hommes, Celtes, Belges ou Germains ont quasi
toujours eu la supériorité numérique. Pour le reste, le proconsul s’est trouvé en
présence de formules très diverses. Durant l’année — 58 où il a, comme on l’a
dit, pris le pays en main, il s’est heurté, soit avec les Helvètes, soit avec les
Germains d’Arioviste, à la vieille formule des masses d’infanterie articulées ethni¬
quement, vigoureuses, mais pesantes, des peuples du Fer de l’Europe moyenne et
septentrionale. Dans chaque cas une seule bataille a réglé la question, alors que
pourtant l’armée de César, à peine constituée, traversait une crise de départ qui
eût pu être mortelle (BG, I, 24-26; 39-53). Chez les Belges, les Nerviens surtout
en — 57 (BG, II, 17-28), ce même genre de phalange a connu un sort identique.
Pendant la phase médiane de la conquête le proconsul ou ses lieutenants ont
dû compter avec ce que l’on appellera des « hapax » militaires. En — 56 la
flotte de nefs vénètes a été détruite par les galères césariennes, une fois de plus
en une unique journée, le nouveau légionnaire se révélant redoutable dans
l’abordage (BG, III, 13-16). La même année les Aquitains ont tenté, avec l’aide
d’auxiliaires espagnols, d’opposer au légat Crassus le Jeune une castramétation
copiée sur Rome; pour en avoir tiré un parti incomplet ils ont subi un désastre
(BG, III, 23-26). Enfin en Bretagne, en — 55 et — 54, César a eu personnelle¬
ment affaire à ce qui était plus ou moins un autre fossile du plus ancien second
âge du fer : les Belges passés dans l’île avaient conservé l’usage d’une très forte
charrerie agissant de manière systématique, en arme tactique homogène; après
avoir exercé un effet positif de surprise, elle a été incapable d’empêcher la
défaite des insulaires (BG, IV, 23-26, 32-35; V, 9, 15-22).

ROME, 2 9
722 L'Occident

Enfin se pose la question du troisième volet, du conflit avec les


Celtes de la Gaule centrale. Dans ces cités les armées étaient le
reflet de la société. L’infanterie, à recrutement populaire, souf¬
frait d’une complète décadence; réduite à des sortes de gardes
nationales elle était hors d’état de tenir, en rase campagne au
moins et surtout en attaquant, contre des troupes professionnelles;
il serait intéressant de savoir à quel type sociologique ont corres¬
pondu les compagnies (?) d’archers auxquelles BG, VII, 31, 4,
fait allusion et que 1 on employait en les mêlant à la cavalerie.
Cette dernière, composée des nobles que César définit globalement
comme équités, et de l’élite de leurs clients militaires, les ambacts
{BG, VI, 15, 1-2), était le seul élément opérationnel valable. Sous
les ordres de César ces gens de cheval gaulois se couvriront plus
tard de gloire de 1 Espagne au Nil, et Strabon (IV, 4, 2) dira un
jour que c’est de Gaule que les Romains tirent leur meilleure cava¬
lerie. Mais en — 52, peut-être par manque d’entraînement aux
actions de masse, par absence d’une doctrine tactique rationnelle,
la chevalerie celtique n a connu que la défaite. Il est vrai que le
problème de 1 attitude du commandement suprême intervient, on
le verra.
Pour 1 ensemble de la Gaule on tiendra compte de l’armement.
Au plan individuel, offensif — épées, lances et piques — comme
défensif — casque, cotte de mailles, bouclier — il était de premier
ordre (Diodore, V, 30 en a préservé une image assez précise) et
largement égal à celui des Romains qui lui devait d’ailleurs beau¬
coup; le manque de mécanisation excluait pourtant la pré¬
sence d’artillerie neurobalistique. Mais la facilité avec laquelle
César put opérer des désarmements régionaux paraît prouver que
ce bon équipement ne correspondait pas à une production de
masse, dont on sait qu’elle eût été possible. Il y a lieu de se
demander si la méfiance envers les groupes allogènes dérivant du
principe de la position de chef n’a pas joué dans un sens limitatif.
En définitive ce tableau permet d’affirmer que pour César la
nature de ses adversaires combinée à ses dons propres et à ses
moyens excluait la défaite romaine. Mais cela ne signifiait point
que le proconsul pût détruire un potentiel fondé sur un peuple¬
ment relativement important. Or le conquérant a évidemment
toujours prévu que la politique romaine les rappellerait un jour
La Gaule indépendante et la conquête
723

ou l’autre hors de Gaule, lui et ses troupes d’élite. C’est pourquoi


on a écrit plus haut que, nécessaire et fatal, le succès militaire
n’en était pas moins insuffisant.

d) La réalité politique. — La victoire ne sera durable que grâce


à ses bases politiques. Les silences du De Bello Gallico en ce domaine
ne facilitent pas la compréhension des choses; il faut s’efforcer de
lire entre les lignes et de restituer les arrière-plans à partir du
contexte ([1938], p. 165-167). César n’est parvenu à la réussite
que par paliers. Il y eut un premier ralliement de la Gaule dans
les années — 58/— 54. Les raisons en sont assez aisées à saisir.
On ne négligera pas, dans la masse et surtout dans la classe
militaire, l’impact de la personnalité de César qui s’était dans les
batailles, de — 58 et — 57 surtout, fait connaître comme un
vigoureux combattant individuel, au premier rang. Mais il exis¬
tait surtout des raisons de nature pratique. Les plus intelligents
des Celtes au moins, confrontés au désastreux rétrécissement de
la peau de chagrin celtique devant Belges et Germains, ne pou¬
vaient pas ne point reconnaître que César était l’unique garant
de la persistance de leurs cités et de leur civilisation. Pour tous,
même les plus humbles, il était évident que la présence césarienne
en Gaule constituait un facteur d’ordre et de paix tel que l’on
n’en avait pas connu depuis des générations. Enfin, alors que
César ne procédait à aucune opération de style colonial, le
patriotisme des cités, si ombrageux d’un peuple à l’autre, ne
pouvait jouer à l’encontre de la domination générale que le pro¬
consul des Gaules représentait, avec un doigté étranger, depuis
plus d’un siècle, il est vrai, aux cercles dirigeants de Rome, à
l’égard du Grec comme du Barbare ([1949], [1948]).
Pourtant cette réussite initiale, si fondée fût-elle, sera compro¬
mise à partir de — 53. On en comprend mal la raison si l’on ne
donne pas au soulèvement de — 52 sa véritable signification, celle
d’une rébellion druidique génératrice d’une guerre que les
meneurs ont voulu religieuse. Il y avait là une fatalité. Seule
force unitaire en Gaule, usurpatrice, hors du cadre des activités
religieuses, des fondements de la puissance publique, l’Eglise
druidique ne pouvait coexister avec la domination du Romain,
traditionnellement si opposé à l’emprise du prêtre sur la société
724 U Occident

qu’on peut sans risque d’anachronisme le définir comme anti¬


clérical. Le De Bello Gallico qui, on le sait, « ne fait pas de poli¬
tique », n’a parlé qu’une fois du druide (en VI, 13-14, 16) dans
ce qui doit avoir été une sorte de pamphlet autonome intégré
après coup à la trame des bulletins d’information césariens. Mais
le ton de ces chapitres, leur peinture d’un clergé omnipotent,
tyrannique et féroce, qui ne pouvait qu’exaspérer l’Italie, suffisent à
attester la réalité des rapports du proconsul avec la prêtrise celto-
belge. Ils ne pouvaient déboucher que sur un conflit. Déclenché
en temps utile, après le départ de César, il aurait été décisivement
funeste pour ce dernier; mais le mouvement fut prématuré, César
ayant retourné contre l’Eglise gauloise l’arme dont elle voulait le
frapper.

Ceci introduit la question du rôle réel de celui qui conduisit militairement la


guerre des druides, Vercingétorix. Nous le connaissons uniquement par César,
les sources postérieures n’apportant que des répétitions et des amplifications
littéraires. C’est avec une sorte de détachement glacé, sans prendre jamais
position, que le livre VII du De Bello Gallico peint ce seigneur arverne, fils de
Celtillos, le réformateur malheureux. Cela n’a pas empêché que le personnage
ait été victime de la déformation chauvine qui en France a fait tant de mal à
l’histoire de la Gaule et des Celtes et a été durement critiquée par J. De Vries
([1844], p. 8-9); elle est parvenue à héroïser Vercingétorix, verrouillant par là
en définitive toute compréhension rationnelle des événements gaulois de —52.
On ne peut rouvrir la porte ainsi fermée qu’à condition de reconnaître dans
1 Arverne soit un sot ([1924], p. 215-216), soit un agent provocateur au service
de César [ 1933Ü• Q.ui tiendra à la première explication pourra se référer à
d énormes erreurs stratégiques ou tactiques : abandon sans défenseurs des camps
et de Y oppidum de Gergovie face à l’assaut romain (BG, VII, 45-46), dissociation
catastrophique des cavaliers et de la piétaille dans la rencontre décisive de plat
pays {BG, VII, 67), ignorance des remarquables ressources topographiques
d’Alesia {BG, VII, 71) (commenté dans [935], p. 243-255). Mais l’incapacité
que cela paraît impliquer est en contradiction avec la lucidité et l’aptitude au
maniement des hommes, éclatantes dans les harangues du généralissime barbare.
Les processus psychologiques par lesquels il décida les Bituriges à s’enfermer dans
le piège d’Avaricum {BG, VII, 14-15) (commenté dans [1933], p. 7-9) et la
cavalerie celte à se jeter sans appui sur l’armée romaine avançant en agmen
quadratum {BG, VII, 66) (commenté dans [1933], p. 4-5), témoignent d’une
profonde duplicité dépourvue de sens hors d’une collusion avec César. Il est
peut-être normal que le fils de Celtillos ait aidé l’homme qui, comme l’avait
tenté son père, s apprêtait à mettre dans un seul carquois toutes les flèches celtes.
La Gaule indépendante et la conquête
725

Grâce à ce pseudo-adversaire le Romain a peu à peu poussé vers les traquenards,


partiel d’Avaricum, manqué de Gergovie, décisif d’Alesia, l’essentiel des forces
gauloises et, surtout, supprimé par l’action psychologique très méditée du grand
spectacle d’Alesia tout esprit de rébellion.

Alors s’est produit le ralliement définitif de la Gaule, plus à


César encore qu’à Rome. A vrai dire l’insurrection avait été brève,
de décembre — 53 à septembre — 52 avec trois mois d’unanimité
théorique à peine; César n’ayant plus ensuite qu’à écraser les
derniers tisons, jusqu’à l’automne —51. Lorsque le désastre
d’Alesia eut déconsidéré l’Eglise druidique, le manque de racines
du soulèvement dans les masses apparut. Toutes les grandes nations
des secteurs I et V jetèrent leurs armes pour ne plus jamais les
reprendre. La Gaule se tourna contre les responsables locaux de
la guerre, les Sénons chassant Drappès (BG, VIII, 30), les Car-
nutes livrant Gutuater (BG, VIII, 38), et cette hostilité des popu¬
lations envers ceux qui les avaient entraînées dans le malheur
explique et justifie l’opération romaine des mains coupées lors de
la capitulation d’Uxellodunum, à la fin de l’été —51 (BG,
VIII, 44, 1) (commenté dans [1938], p. 151). Profitant de cette
atmosphère, César a fait le nécessaire pour gagner les cœurs;
la libération de 20 000 prisonniers éduens et arvernes après
Alesia sera essentielle comme lien de la Gaule à la gens Iulia
(BG, VII, 89, 5; 90, 3). La légèreté des charges financières
(Suétone, Diuus Iulius, XXV, 2) alla dans le même sens. Pour le
reste, une fois l’hypothèque druidique levée, les facteurs du pre¬
mier ralliement : sécurité, maintien de l’intégrité des cités par
l’absence d’emprise coloniale, retrouvèrent leur valeur. Et c’est
peut-être à partir de ce moment surtout que César a mis en train
sa politique d’ouverture de la cité romaine aux aristocraties
indigènes, par le canal de l’armée ou non ([1931], [1937]).
La solidité des résultats est attestée par le calme que connut
la Gaule dans les années de la seconde guerre civile et de la
dictature césarienne puis, ce qui est plus étonnant encore, César
disparu, de l’époque triumvirale. L’une des raisons de cette per¬
manence de la paix dans la nouvelle province pourrait avoir été
la lenteur — exclusive des ruptures brusques d’habitudes — de la
romanisation du pays, qui ne sera guère réalisée qu’un siècle plus
726 L’Occident

tard. L’état de la civilisation indigène en donne la clé. Pour


rentabiliser le Maroc Lyautey devra y implanter une urbanisation
nouvelle et une colonisation agraire. Pour rentabiliser la Gaule
César et ses héritiers n’ont eu qu’à laisser ses habitants pour¬
suivre, dans l’ordre revenu, leurs anciens modes d’activité.
Deux remarques s’imposent in fine. Ce que Sir Ronald Syme
a nommé « révolution romaine » ne fut rendu possible que par
la conquête césarienne de la Gaule (Plutarque, César, XXVIII, 2,
très sensé à l’opposé du bilan fantastique et trompeur de XV, 3,
critiqué dans [934], p. 413) et c’est par la rupture des routines
méditerranéennes due à celle-ci qu’est née l’Europe.
DEUXIÈME PARTIE

L’Orient
-
Chapitre VII

ROME, LES BALKANS,


LA GRÈGE ET L’ORIENT
AU II® SIÈCLE AVANT J.-G.
par J.-L. FERRARY

LES SOURCES

Pour les événements qui vont des guerres d’Illyrie à celle d’Achaïe (229-146),
notre source la plus importante est bien entendu Polybe (ca 210-200 - apr. 118).
Ses mérites sont bien connus, et il suffit de renvoyer à l’ouvrage que Pédech [65]
a consacré à sa méthode historique. Il est cependant nécessaire de rappeler
que Polybe lui-même doit être lu d’un œil critique : tout d’abord parce qu’il
reste tributaire de ses propres sources et de ses informateurs, mais aussi parce
que, nécessairement, il raconte et analyse les événements, ceux surtout auxquels
ses proches et lui-même ont été mêlés, en fonction d’un certain nombre de pré¬
supposés et de préventions, et plus généralement d’un système de valeurs et de
concepts, dont l’historien actuel doit tenir compte (cf. Musti [68], 1149-1150);
et de ce point de vue l’ouvrage apologétique de Lehmann [1965], quel que soit
le mérite des analyses qu’il contient, ne peut apparaître satisfaisant. Il convient
en particulier de rappeler que Polybe avait primitivement prévu d’arrêter ses
Histoires en 167, et que c’est après la tragédie qui s’abattit en 146 sur la Confédé¬
ration achéenne sa patrie qu’il décida de les prolonger, afin que ses contemporains
vissent clairement si l’autorité de Rome était acceptable ou intolérable, et que la
postérité pût juger si elle méritait l’éloge ou le blâme (3, 4, 7). La participation
de Polybe à l’organisation romaine du Péloponnèse en 145 (39, 5) ne permet pas
de douter de sa réponse. Malgré ces nécessaires réserves, l’incontestable valeur
du récit polybien fait déplorer comme une première catastrophe le fait que seuls
les cinq premiers livres (s’arrêtant en 216) en soient intégralement conservés] des
35 autres, nous n’avons que des fragments, que complètent très imparfaitement
celles de nos sources qui en dérivent, en premier lieu Tite-Live et Diodore de Sicile,
730 L'Orient

Ce dernier semble avoir suivi de très près Polybe dans les livres 22 à 32 de sa
Bibliothèque historique (compilée au Ier siècle av. J.-C.), mais d’eux aussi nous
ne conservons que des fragments. Soulignons enfin que le commentaire historique
de Walbank [63] constitue un instrument de travail indispensable. Une Suite à
Polybe avait été composée par Posidonius d’Apamée, célèbre philosophe et savant
stoïcien (ca 135-50). C’était une œuvre importante, que nous connaissons par
quelques fragments et par ceux de Diodore qui s’en est inspiré. II en sera plus
longuement question à propos des guerres contre Mithridate.
La seconde tradition historiographique importante concernant notre période
remonte aux Annalistes, c’est-à-dire aux historiens romains de la période répu¬
blicaine (éd. des fragments dans le premier volume des Historicorum Romanorum
Reliquiae de Peter). Le problème de sa valeur historique a été posé en particulier
à propos des origines de la seconde guerre de Macédoine. Les analyses de
Petzold [2019], selon qui la version annalistique des faits serait un mélange de
matériel polybien déformé et de pures inventions, dans le seul but de créer les
apparences d’une guerre juste, sont sans aucun doute excessives : on a pu montrer
depuis que les motivations et les méthodes des annalistes étaient plus complexes
(Bickermann [2020] et [2050]), et qu’ils avaient pu utiliser des documents
ignorés de Polybe (pièces d’archives sénatoriales, annales maximi; cf. KIotz
[80 fois]). L’éclectisme dans l’utilisation des sources, si sévèrement condamné par
Petzold, apparaît donc méthodologiquement fondé, mais Walbank [1964], 3-4,
a justement averti contre la tentation d’une réhabilitation inconsidérée, « hypo-
critique », de la tradition annalistique, dont nous paraît témoigner Balsdon
[2021]. D’autant que la plupart de nos sources, et notamment Tite-Live,
n’utilisèrent pas directement, ou du moins très peu, les annalistes du 11e siècle
contemporains des événements, mais bien plutôt les annalistes tardifs du Ier siècle,
tels Claudius Quadrigarius et Valerius Antias dont la conscience historique était
des plus médiocres.
De Tite-Live, nous conservons les livres 21 à 45 (de 218 à 167). Le récit de la
première guerre de Macédoine, réparti dans les livres 23-29, est très décevant;
même si Polybe a été directement utilisé (ce qui reste disputé), sa narration a été
abrégée, et fortement contaminée par des éléments d’origine annalistique. Mais
pour les livres 31 à 45, les nombreuses recherches entreprises depuis Nissen [1968],
qui reste fondamental, ont établi que de façon générale le récit des faits se dérou¬
lant en Grèce et dans l’Orient hellénistique s’inspire directement de Polybe,
tandis que le reste de l’œuvre reflète la tradition annalistique; et un consensus
s’est à peu près réalisé sur la répartition entre parties « polybiennes » et « anna-
listiques ». La perte de Tite-Live à partir de 167 est une seconde catastrophe.
Des livres perdus, nous n’avons que de très brefs résumés (periochae), de faible
valeur; un abrégé perdu de Tite-Live a dû être la source principale des histoires
de Florus (11e siècle), Eutrope (rve siècle) et Orose (ve siècle).
P, Meloni [1970] avait cru pouvoir identifier dans les fragments conservés
Rome, les Balkans, la Grèce et VOrient
731

des Macedonica d’Appien (seconde moitié du 11e siècle) les traces d’une troisième
tradition historiographique, remontant à des historiens grecs contemporains de
Polybe, mais hostiles à Rome; cependant Gelzer (Bibl. Or., 1957, 55-57) et
Gabba ( [ 1971 ] et Riv. St.lt., 1956, 100-106) ont montré qu’il n’y a rien dans les
Macedonica et la première partie des Syriaca qui ne provienne selon toute vraisem¬
blance de Polybe ou des annalistes (y compris ceux du 11e siècle). De même
Y Histoire romaine de Dion Cassius (début du 111e siècle — connue pour notre
période par des fragments et, jusqu’à 146, par le résumé du Byzantin
Zonaras) ne paraît-elle utiliser que des matériaux polybiens ou annalistiques. Il
reste enfin à signaler certaines biographies de Plutarque (ca 46-120), de contenu
essentiellement polybien, mais avec un certain nombre de détails précieux
inconnus par ailleurs. Il faut donc prendre garde que les sources primaires
auxquelles nous pouvons remonter sont presque exclusivement romaines ou favo¬
rables à Rome. Le point de vue des adversaires de Rome est très mal représenté.
On ne saurait trop souligner combien les sources littéraires deviennent insuffi¬
santes à partir de 167, et réellement indigentes après 145. D’assez nombreuses
inscriptions cependant, presque toutes grecques, éclairent l’histoire de notre
période. Les plus importantes de celles qui étaient connues au début du siècle
ont été recueillies dans la Sylloge [244] et les OGIS [243] de Dittenberger, dont
le commentaire reste précieux; également dans les IGR [245], qui ne dispensent
pas de recourir aux éditions originales. Le recueil de Moretti [1972] les complète
pour la Grèce et la Macédoine jusqu’en 146. Les sénatus-consultes et lettres de
magistrats romains connus par des inscriptions grecques ont été commodément
rassemblés dans les RDGE de Sherk [247]. Il faut également rappeler que le
Bulletin épigraphique de J. et L. Robert [250], qui rend compte annuellement des
nouvelles publications épigraphiques en y adjoignant souvent de précieux
commentaires, est un instrument de travail essentiel. Les principales inscriptions
seront signalées au fur et à mesure de notre exposé.

1) l’expansion romaine en illyrie


ET LE PREMIER CONFLIT AVEC LA MACEDOINE (229-205 AV. J.-C.)

C’est sans aucun doute l’apport décisif de la thèse de Holleaux


[1999] 3 (lue d’avoir montré qu’on ne saurait parler au 111e siècle
d’une politique orientale de Rome, ni même, jusqu’à la première
guerre de Macédoine, d’une politique hellénique au sens plein du
terme. Non que Rome et le monde hellénistique se soient ignorés ;
découvertes archéologiques et épigraphiques ne cessent de confir¬
mer l’intensité des rapports culturels et économiques. Les recher¬
ches de Heuss [1958] ont montré que l’établissement de relations
732 L’ Orient

officielles d’amicitia n’impliquait pas, comme le croyait encore


Holleaux, la conclusion d’un traité; Rome en entretenait avec
Alexandrie depuis 273 (Heinen [1998], 633-643), peut-être aussi
avec la monarchie séleucide (Suét., Claud., 25). Mais il n’y a rien
là qui implique une volonté romaine de participer aux luttes du
monde oriental. C’est vers les mers Adriatique et Ionienne que
tout naturellement se porta d’abord son intérêt. Après le départ de
Pyrrhus, Rome n’avait pas tardé à s’emparer de Tarente (272) et
de Brindes (267), et à recevoir une ambassade de la cité grecque
d’Apollonia, l’un des grands ports de la côte illyrienne. Les rela¬
tions commerciales entre l’Italie et la côte opposée étaient sans
aucun doute importantes, même si nous manquent encore les
résultats d’une exploration archéologique d’ensemble qui per¬
mettraient de préciser l’ampleur et la géographie de ces échanges
(Hammond [1985], 638-640; Cabanes [1988], 217-218). La déduc¬
tion d’une colonie à Brindes en 244, en pleine guerre punique,
confirma l’intérêt de Rome pour l’Adriatique. Or le déclin de
l’Epire à partir du milieu du 111e siècle créa dans cette région un
vide propice à l’affrontement des ambitions, qui conduisit bientôt
à l’intervention romaine en Illyrie.

A) La première guerre d’Illyrie (22g-228)

La version polybienne des origines de la guerre (2, 8) s’inspire vraisemblable¬


ment d’une source romaine (Fabius Pictor?) : le Sénat se décide à envoyer des
ambassadeurs auprès de Teuta, régente du royaume d’Illyrie, après les multiples
actes de piraterie commis par ses sujets contre les marchands italiens, et c’est
alors que la folle conduite de la reine lui « impose » pratiquement la guerre
(Holleaux [1999], 99). La caractérisation passionnelle de Teuta (la « femme
barbare ») et la scène dramatique de son entrevue avec les ambassadeurs sem¬
blent s’inspirer des méthodes de l’historiographie « tragique », et n’inspirent
guère confiance. De son côté Appien (II!., 7) fait de l’intervention romaine la
conséquence d’un appel d’Issa assiégée par les Illyriens. La médiocre qualité des
IUyrica (sauf pour les campagnes d’Auguste) et le fait que cet appel se retrouve
chez Dion (fr. 49) font a priori penser à l’invention d’un annaliste postérieur à
Fabius, et 1 historicité de la version d’Appien nous paraît bien suspecte, malgré
les arguments en sa faveur de Walser [2003], Petzold [2007] et Derow [2008].
Il resterait de toute façon à établir ce qui décida le Sénat à répondre à cet appel.
Il n y a pas de raison de douter cjue l’intervention romaine ait répondu aux
vœux des marchands italiens, et que leurs plaintes aient joué un rôle lorsque la
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient 733

décision en fut prise. Mais la piraterie illyrienne n’était pas le mal endémique que
suggère Polybe, et ne devait pas remonter au-delà de ca 250 (Dell [2004]); elle
avait pris en revanche en 230 une nouvelle dimension, devenant brusquement
une espèce d’impérialisme brouillon qu’encourageait la faiblesse des Etats
voisins. C’est en 231 que les Illyriens réapparaissent, après quarante ans d’un
silence total des sources, quand la Macédoine loue leurs services pour protéger
l’Acarnanie contre les attaques des Etoliens et que ces derniers sont défaits. En 230,
les Illyriens prennent par surprise la ville épirote de Phoenicé, et après avoir
défié une armée étolo-achéenne, obtiennent l’alliance des Epirotes et des Acar-
naniens. En 22g enfin, quand Rome entre en action, ils se sont emparés de Corcyre
et assiègent Epidamnos (Dyrrachium) et Issa : ils paraissent sur le point de
contrôler toute la côte de l’Adriatique Sud, c’est-à-dire les principaux ports en
liaison avec l’Italie. La brusque et massive expédition romaine n’attaqua pas le
cœur du royaume illyrien, mais porta son effort sur la façade maritime au sud
de Lissos. On peut admettre que Rome avait senti une menace (Badian [2002],
5), mais elle ne se contenta pas de l’écarter en brisant la puissance illyrienne; elle
en profita pour établir définitivement son influence sur la rive orientale de
l’Adriatique, et c’est en cela qu’il est permis de parler d’impérialisme.

Le traité conclu en 228 avec le royaume d’Illyrie lui interdit


d’envoyer désormais plus de deux bateaux à la fois au sud de
Lissos, et le contraignit à renoncer à toute prétention sur les cités
d’Apollonia et d’Epidamnos, les peuples des Parthini et des
Atintani et les îles de Corcyre et d’Issa, qui s’étaient rendus aux
Romains. Le Sénat de son côté leur rendit leur liberté et rapatria
l’ensemble de ses troupes. Ce que l’on appelle couramment le
« protectorat » romain semble donc avoir été constitué d’Etats
théoriquement souverains, n’ayant vis-à-vis de Rome aucune
obligation formelle régie par un traité, mais le seul devoir moral de
lui témoigner leur reconnaissance par leur obéissance : des « Etats
clients », jouissant selon Badian [2002], 9 et [1214], 74, de la
même liberté qui, en 196, sera proclamée pour la Grèce entière.

Une réserve doit cependant être formulée : dans le récit de Polybe (3, 1 6, 3)
comme dans le texte qu’il cite du traité entre Hannibal et Philippe V (7, 9, 13b
les cités illyriennes sont purement et simplement considérées comme sujettes de
Rome; surtout dans le résumé livien du traité romano-étolien (26, 24, 12) elles
semblent bien être désignées par la formule qui Romanorum dicionis sunt; si son
authenticité venait à être confirmée, il faudrait certainement reconsidérer le
problème du statut de ces cités. On a parfois pensé que Rome avait également
voulu se prémunir contre la Macédoine, « en dressant une barrière entre elle et
734 V Orient

la mer » (Holleaux [2001], 95). Cette interprétation, reprise par Hammond


[2005], paraît insuffisamment fondée. Rien ne suggère que Rome se soit alors
souciée de la Macédoine, qui n’était plus intervenue directement dans la zone
du protectorat depuis 291, et qu’on ne saurait considérer comme l’alliée des
Illyriens pour la simple raison qu’elle avait loué leurs services en 231. Le « pro¬
tectorat » ne semble pas avoir englobé de positions stratégiques contrôlant les
voies d’accès de Macédoine en Illyrie (le problème tourne autour de la localisa¬
tion de 1 Atintanie : cf. Cabanes [1988], 78-80). Le fait enfin que les Romains
aient informé de leur action les Etoliens et les Achéens (défenseurs malheureux
de Corcyre en 229), puis Corinthe et Athènes, n’implique pas un rapprochement
délibéré avec les forces antimacédoniennes. Rome en tout cas ne fera rien pour
gêner 1 œuvre de restauration de 1 autorité macédonienne en Grèce entreprise
par Antigone Doson, y compris l’entrée de l’Epire et de l’Acarnanie dans la
Ligue hellénique.

B) La seconde guerre d’Illyrie (21g)

C est 1 activité de Démétrios de Pharos qui entraîna la seconde intervention


romaine en Illyrie. Pour avoir livré Corcyre aux Romains en 229, il avait reçu
d’eux une principauté dont nous ignorons l’étendue et l’emplacement exacts
(au noid du protectorat en tout cas), et il était devenu l’homme fort du royaume
d’Illyrie après la mort de Teuta. Polybe (3, 16, 2-3) et Appien (lit. 8) s’accordent
à dater sa « trahison » des années où Rome fut accaparée par la guerre contre
les Gaulois (225-222). Son alliance avec la Macédoine constituait un acte
d’indépendance et allait encourager son audace. Il est certain que les sources
romaines utilisées par Polybe et Appien étaient portées à exagérer ses crimes •
les Istriens par exemple n’avaient pas besoin d’être encouragés pour attaquer
les convois de blé ravitaillant l’armée romaine de Cisalpine, ce qui suscita une
expédition punitive romaine en 221-220 (Dell [2006]). Mais Badian [2002],
en prétendant que Démétrios n’aurait jamais enfreint consciemment le traité
de 228, que son seul tort aurait été de se comporter en prince indépendant
et que Rome l’aurait châtié pour l’exemple, est sans aucun doute allé trop
loin (Walbank [63], I, 324-325). La localisation de Dimale (l’une des principales
places fortes de Démétrios) dans l’arrière-pays d’Apollonia (B. Dauta , St. Alb.,
•965; L 65-71) confirme l’ampleur des manœuvres du Pharien, et la réalité
de la menace qu’il faisait planer sur le protectorat à la veille de la guerre contre
Hanmbal. En 219, les deux consuls furent envoyés contre Démétrios qui
vaincu, s’enfuit auprès de Philippe V de Macédoine.
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient 735

C) La première guerre de Macédoine (215-205)

La Macédoine n’avait pu voir avec satisfaction Rome contrôler


une partie des Balkans, mais la volonté de l’en déloger ne fut pas
l’obsession d’Antigone Doson, ni même de Philippe V au tout
début de son règne (J. V. A. Fine, JRS, 1936, 24-39). Lejeune
roi cependant décida bientôt de profiter de la guerre punique pour
s’emparer de l’Illyrie, et en 215 conclut avec Flannibal une alliance
qui prévoyait la renonciation de Rome à son protectorat en cas
de victoire punique (Pol., 7, 9). Même s’il est peu probable que
les deux alliés aient prévu le passage d’une armée macédonienne en
Italie, c’est un risque que Rome ne pouvait courir après qu’en 213
Philippe se fut ménagé un accès à l’Adriatique par la prise de
Lissos. Pour retenir le Macédonien le moyen le plus économique
était de rallumer la guerre en Grèce. C’est ainsi qu’en 212 ou 211
(cf. Hôpital [2011], 22-25) Ie commandant romain en Illyrie
conclut avec la Confédération étolienne une alliance ouverte à
Sparte, Elis, Messène et au roi de Pergame. Alors que son exis¬
tence se jouait en Italie même et en Espagne, Rome n’avait ni
la volonté ni les moyens d’étendre sa zone d’influence dans les
Balkans. Renonçant à toute ambition territoriale, elle s’engageait
à favoriser celles de ses alliés : le résultat fut que la guerre ne fut pas
tant menée contre la Macédoine que contre ses alliés ou sujets
grecs, avec d’autant plus de férocité que les seuls profits que
Rome en retirait provenaient de la vente du butin, hommes
compris. Mais elle perdit bientôt pour les Romains sa principale
raison d’être : après la perte de Tarente par les Puniques et celle,
probable, de Lissos par Philippe en 209 (Cabanes [1988], 262-263),
après la défaite de la flotte punique en 208 (Holleaux [1999], 244),
Rome en 207 réduisit à ce point son engagement que les Etoliens
durent conclure une paix séparée (fin 206) et refusèrent de
reprendre les armes quand d’importants renforts romains furent
envoyés en 205. Les Romains dans ces conditions traitèrent à
leur tour, conservant l’essentiel de leur tête de pont en Illyrie.

Il importe de préciser les limites de l’engagement romain en Grèce à l’occa¬


sion de cette guerre. Un fragment épigraphique du traité romano-étolien
publié en 1954 ([2009] = Moretti, 87) a révélé le caractère imprécis et lacunaire
des indications de Tite-Live (26, 24, 8-13), sans permettre d’y remédier sur des
736 U Orient

points essentiels, mais en confirmant du moins que Rome renonçait au profit


de l’Etolie à tout accroissement territorial. Selon Tite-Live, le traité prévoyait
que le roi Attale, Sparte et Elis (il faut ajouter Messène) pourraient s’ils parti¬
cipaient à la guerre devenir comme les Etoliens,« amis du peuple romain» (§ 9) :
c est ce qu ils firent en 210-209. Par ailleurs, Romains et Etoliens s’étaient
engagés à ne pas conclure avec Philippe une paix qui n’étendît à tous les belli¬
gérants le bénéfice de 1 arrêt des hostilités (§§ 12-13). Il n’y a rien là qui implique
un pacte perpétuel de défense contre la Macédoine (interprétation soutenue
notamment par De Sanctis et Holleaux, mais justement rejetée par Badian
[12 ï4], 56-57 et Dalheim [1959], 206) ; la guerre terminée, ce sont des rapports
de simple amicitia qu’auraient dû entretenir les deux Etats en vertu du traité.
Mais les Romains considérèrent que les Etoliens l’avaient violé en 206, et que
de ce fait les rapports d’amitié étaient rompus avec eux. Enfin, si des traités
furent conclus par Rome avec Sparte et Messène au cours de la guerre (en
dernier lieu Lehmann [1965], 366-371, se fondant sur T.-L., 34, 31-32; mais
les réserves de Dahleim [1959], 221-229 paraissent prudentes), ils ne durent
pas différer de celui qui l’avait été avec l’Etolie.
Sui la paix de Phoenice (205), nous ne possédons que les indications fournies
par Tite-Live (29, 12, 13-14), qui remontent pour l’essentiel à Polybe mais ont
pu faire 1 objet, comme nous en avons la preuve pour le traité de 196, de conta¬
minations annalistiques. Auraient été adscripti foederi par Rome le roi Attale,
Sparte, Elis, Messene, Athènes et Ilion. Cette liste est vivement discutée, en
relation avec le problème des origines de la seconde guerre de Macédoine.
Ainsi que l’a montré Petzold [2007], 13-18, Vadscriptio d’Attale, Sparte, Elis
et Messène n était que la réalisation par Rome des engagements pris dans le
traité de 212-211, et mettait fin à l’état de guerre entre Philippe et eux sans
constituer une garantie pour l’avenir. Le cas d’Athènes (et d’Ilion, à moins
qu’on admette sa participation à la guerre aux côtés d’Attale : Mac Shane [1991],
II2"II3) est différent : 1 adscriptio de puissances neutres n’aurait eu de sens
que si elle garantissait leur intégrité territoriale. Or on constate que la tradition
annalistique a, sinon totalement inventé (Holleaux [2015 a]; Petzold [2007],
66-81), du moins dédoublé et antidaté l’envoi en 200 d’une ambassade athé¬
nienne demandant la protection de Rome contre Philippe; Athènes en réalité
ne se tourna vers Rome qu’en dernier recours, après l’échec de ses tentatives
auprès de nombreux Etats grecs (Mac Donald [2018], se fondant sur Paus.,
L 36, 5-6). L’ adscriptio d’Athènes à la paix de Phoenicé a toutes chances dans
ces conditions d’être une invention annalistique destinée à mieux fonder la
légitimité de la guerre de 200. A plus forte raison est-il impossible de voir dans
les accords de Phoenicé une sorte de koinè eirènè, un pacte général de non-agression
placé sous la double garantie de la Macédoine et de Rome (Bickermann [2016];
cf. les objections rassemblées par Dahleim [1959], 207-220). Rome en 205 ne
prit aucun engagement qui la contraignît à intervenir en cas d’agression macé-
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient
737

donienne contre un tiers; elle conservait des « amis », dont Attale, mais ses
devoirs envers eux relevaient de sa seule appréciation. Rien ne permet d’ailleurs
de penser que le Sénat ait ratifié la paix de Phoenicé avec le dessein arrêté de
reprendre la guerre dès que Carthage aurait été vaincue. Mais cela ne signifie
pas qu’il l’ait fait sans rancoeur ni méfiance. L’idée qu’il soit redevenu indiffé¬
rent aux initiatives de la Macédoine et à l’évolution des rapports de forces en
Grèce et dans l’Egée est un paradoxe que rien ne nous contraint à admettre.
L argument principal, sinon unique, produit en ce sens depuis Holleaux ([1999],
289-297) est E façon abrupte dont le Sénat (en 202 ?) aurait éconduit une ambas¬
sade étolienne venue se plaindre de Philippe. Mais ainsi que l’a souligné Badian
([•984]; 208-211, et [2030], 50-51), les sources invoquées sont de valeur médiocre
(T.-L., 31, 29, 4-5, simple allusion à l’intérieur d’un discours, et App., Mac. 4;
cf. en revanche le silence de Pol., 15, 23, 7-9). Il paraît donc prudent de ne pas
trop faire fond sur cette ambassade et la façon dont on l’aurait reçue.

2) l’expansion romaine EN MER ÉGÉE :


DE LA DEUXIÈME A LA TROISIEME GUERRE DE MACÉDOINE

De même que le déclin de l’Epire et l’expansionnisme illyrien


avaient été l’occasion de l’intervention romaine en Illyrie, l’affai¬
blissement de la puissance lagide et les impérialismes de la Macé¬
doine et de la Syrie le furent de sa domination sur le monde égéen.
Moins de treize ans après la bataille de Zama qui avait mis fin à la
guerre d’Hannibal, les Romains, vainqueurs de Philippe V de
Macédoine (200-197) et d’Antiochos III de Syrie (191-189),
avaient obligé le premier à renoncer au contrôle de la Grèce,
et le second à abandonner toutes ses possessions en Asie Mineure.
On comprend que Polybe ait rétrospectivement prêté aux Romains
des projets d’empire universel, même si la réalité est sensiblement
plus complexe. Les légions romaines cependant n’avaient pénétré
ni en Macédoine ni en Syrie; ces deux royaumes, bien qu’affai¬
blis, restaient puissants, et n’entendaient pas se conduire en sujets.
Il fallut à Rome une troisième guerre contre la Macédoine
(171-168) pour en briser à jamais la puissance, et faire définiti¬
vement entrer la Syrie et l’Egypte dans sa sphère d’influence.
C’est à cette date que Polybe, de son point de vue hellénocen-
trique, plaçait l’établissement de l’empire incontesté de Rome
sur le monde.
738 L Orient

A) Les origines de la seconde guerre de Macédoine

La politique romaine dans les Balkans, qui avait été essentiel¬


lement défensive depuis la première guerre d’Illyrie, redevint
offensive avec la seconde guerre de Macédoine. C’est après qu’en
octobre 201 des ambassadeurs de Pergame et de Rhodes eurent
dénoncé les agressions macédoniennes en mer Egée que le Sénat
semble avoir décidé la guerre. L’hiver suivant en tout cas les
généraux de la première guerre contre Philippe reviennent aux
postes de commande, et une ambassade est envoyée en Grèce
et en Orient, pour rendre public un sénatus-consulte invitant
Philippe « à ne faire la guerre à aucun des Hellènes et, pour les
dommages qu’il avait causés à Attale, à accepter les arrêts d’un
tribunal impartial », s’il veut rester en paix avec Rome (Poh,
16, 27, 2; cf. 34, 3-4).

Il est excessif de prétendre que rultimatum de 200 revenait à interdire la


Grèce à Philippe, et contenait implicitement les exigences qui seraient ouver¬
tement formulées en 198 (Holleaux [1999], 307; cf. la mise au point de Badian
[1214], 66-69). Mais le Sénat lui enjoignait de renoncer à toute nouvelle
conquête dans le monde grec, prenant sous sa protection non seulement Attale
mais l’ensemble des Grecs, par une décision unilatérale qui ne pouvait se fonder
sur la paix de Phoenicé, et qui ne s’y référait pas. Le Sénat ne devait guère
s’attendre à ce que Philippe acceptât de telles conditions, et renonçât sans
combattre à ses visées impérialistes. Ses légats ne mirent d’ailleurs aucune hâte
à le rencontrer personnellement, et ne lui députèrent finalement que le plus
jeune d’entre eux : leur mission, manifestement, était de propagande bien plus
que de négociation (Rich [1962], 73-87 et 107-109).
Il n’est certainement pas d’explication unique qui suffise à rendre compte
de l’attitude du Sénat, mais nous avons peine à croire que le problème illyrien
ait, une fois encore, joué un rôle essentiel (Badian [2002], 22-23 et [1214], 61-65),
alors qu’il n’en est pas question dans l’ultimatum adressé à Philippe. Il est vrai
que Polybe (18, 1, 14) semble bien parler de territoires illyriens dont Philippe
se serait rendu maître après la paix de Phoenicé, mais il n’est pas précisé qu’il
les avait enlevés aux Romains (cf. Walbank [63], II, 551); quant à la tradition
annalistique selon laquelle des « cités alliées de Grèce » auraient eu dès 203 à se
plaindre de Philippe (T.-L., 30, 26 et 42), elle apparaît très suspecte (mention¬
nant également la légion macédonienne qui aurait combattu avec les Puniques
à Zama : une invention manifeste), et T.-L., 31, I; 9 suggère que l’annaliste
pensait à l’Etolie plutôt qu’à lTllyrie.
Les ambassades de Rhodes et de Pergame jouèrent à coup sûr un rôle décisif.
Rome, les Balkans, la Grèce et U Orient
739

Selon Holleaux ([1999], 315-331, leur principal argument aurait été l’annonce
du pacte conclu entre Philippe et Antiochos pour se partager les possessions
lagides (cf. Pol., 3, 2, 8; 15, 20) : le Sénat y aurait vu une conspiration des
monarques orientaux, destinée un jour à se tourner contre l’Italie, et aurait
décidé d’en finir avec le plus faible tandis qu’Antiochus était occupé à conquérir
la Coelé-Syrie. L’existence même de ce pacte a été mise en doute (D. Magie,
JRS, 1939, 33-44; R. M. Errington, Athen., 1971, 336-354), sans doute à tort
(Schmitt [2041], 237-261), mais sa fragilité était apparue dès 201 (Pol., 16, 1)
et surtout, si le Sénat avait craint à ce point une coalition des deux rois, il
aurait dû sonder au plus vite les intentions d’Antiochos et s’enquérir du progrès
de la guerre de Syrie, alors que ses ambassadeurs ne prirent contact avec lui
qu’après le vote de la guerre contre Philippe. Il ne semble pas en réalité que
Rome se soit inquiétée des agissements d’Antiochos avant sa grande offensive
de 197 en Asie Mineure. Nous croyons en revanche qu’Holleaux, et après lui
Badian ([1214], 64-65) ont sous-estimé les chances de succès de l’entreprise de
Philippe en Egée, ou plutôt le découragement de ses adversaires. Rhodes, dont
les tentatives de médiation lors de la première guerre de Macédoine avaient
montré qu’elle n’aimait guère voir la flotte romaine intervenir en Egée (Pol.,
11, 4-6), ne se serait pas associée en 201 à la démarche de Pergame si elle avait
eu bon espoir de contenir l’expansion macédonienne sans l’aide de Rome. La
campagne de 201 avait confirmé la supériorité terrestre de Philippe V, et montré
que la flotte macédonienne, impuissante certes face à la coalition de celles de
Rhodes et de Pergame, pouvait l’emporter sur chacune séparément; Philippe
en 200 s’empara d’Abydos et prit position de part et d’autre des détroits sans
que ses adversaires tentassent de l’en empêcher.

Rien dans tout cela ne constituait il est vrai une menace


directe contre Rome, mais on peut essayer d’expliquer la réaction
du Sénat. L’alliance de Philippe et d’Hannibal n’était pas oubliée :
la Macédoine avait alors constitué un réel danger; elle restait depuis
un ennemi potentiel, et si elle devait bientôt contrôler la mer
Egée, Rome pourrait avoir à l’affronter dans des conditions bien
plus difficiles que la première fois; si la guerre était de toute façon
inévitable, il était urgent d’en précipiter l’échéance. C’est en tout
cas ce que pouvaient affirmer des hommes comme Laevinus,
Tuditanus et surtout Galba (réélu au consulat pour 200), les
généraux de la guerre précédente qui jouent à nouveau un rôle
important en 201-200. Il est peut-être excessif de parler de « lobby
oriental » (Badian [1214], 66; cf. la position plus réservée de
Clemente [2015], 326), mais on a bien l’impression que les
« experts » ont alors poussé à la guerre (au contraire de ce qui se
740 V Orient

passera lors du conflit avec Antiochos). La fin de la guerre punique


et le prestige de Scipion n’avaient d’ailleurs pas été sans susciter
bien des frustrations, et seul l’Orient offrait le terrain d’une gloire
qui pût égaler celle du vainqueur d’Hannibal (cf. Dorey [2022]).
L’ambition des uns, la rancune, la méfiance ou la peur réveillées
chez d’autres vis-à-vis de la Macédoine sont des facteurs dont il
faut en tout cas tenir compte.

B) Flamininus et la libération de la Grèce

Le maintien de Flamininus dans son commandement en Grèce


de 198 à 194 permit la mise en œuvre d’une politique cohérente à
un moment décisif des rapports entre Rome et la Grèce, l’une des
conséquences de cette personnalisation temporaire de la politique
romaine étant sans doute qu’un jugement moral sur le personnage
de Flamininus s’est trop souvent substitué à un jugement plus pro¬
prement historique sur sa politique (excellente historiographie dans
Badian ([2030], 3-27).
Dès son arrivée en Grèce, Flamininus eut l’occasion de faire connaître les
nouvelles exigences du Sénat : la Macédoine devait se retirer de la Grèce entière
(conférence de l’Aoos, juin 198 : T.-L., 32, 10; Diod., 28, 11). Ces conditions
furent réaffirmées lors de la conférence de Locride (nov. 198, Pol., 18, 1-12
— nous laissons de côté le problème de savoir si Flamininus était prêt alors à
favoriser une paix de compromis sacrifiant les intérêts de la Grèce et de Rome
plutôt que de voir un autre magistrat finir la guerre à sa place; il a été traité
ad nauseam, et souvent posé, d’ailleurs, en termes anachroniques : cf. Badian
[2030], 40-48); elles servirent de base, après la bataille de Cynoscéphales, aux
préliminaires de paix de Tempé (juin 197, Pol., 18, 38). Rome se gardait encore
de préciser comment elle concevait l’organisation de la Grèce libérée de la
présence macédonienne, mais elle allait bien au-delà de son ultimatum de 200,
et ce nouveau programme, tombant dans une conjoncture favorable, allait
permettre à Flamininus de rassembler autour de lui les anciens alliés de la
Macédoine, à commencer par le plus important d’entre eux, la Confédération
achéenne (sept. 198, T.-L., 32, 19-22). Un esprit antimacédonien s’y était
développé dans une partie de la classe dirigeante : à la méfiance inspirée par les
tendances démagogiques de Philippe s’ajoutait le fait que les Achéens, plus sûrs
d’eux-mêmes depuis les réformes militaires de Philopoemen et sa victoire sur
Sparte à Mantinée (207), concevaient moins comme une protection que comme
une occupation le maintien de garnisons macédoniennes, à Corinthe notamment
(Aymard [2047], 57-65; Errington [2048], 70-87). Ils avaient refusé en 200 de
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient 74i

s’engager dans la guerre aux côtés de la Macédoine (T.-L., 31, 25), et c’est sans
doute ce qu’espérait le Sénat, dont les légats s’étaient arrêtés à Aegium le prin¬
temps précédent. Mais aucune autre initiative diplomatique n’avait suivi.
Galba en était resté au système d’alliances de la première guerre contre Philippe,
ne faisant d’ouverture qu’en direction des Etoliens, qui entrèrent en guerre
dans l’été 199. Flamininus lui-même n’arriva peut-être pas en Grèce avec les
idées nouvelles qu’on est tenté ex eventu de lui attribuer : l’étude de la campagne
de 198 montre qu’il n’adopta pas d’emblée une stratégie fondamentalement
différente de celle de Galba, et que son passage en Thessalie puis en Phocide
s’explique dans une large mesure par des impératifs logistiques (Eckstein [2031]).
Même s’il fallait renoncer à voir dans le ralliement de la Ligue achéenne le
premier résultat d’une grande offensive diplomatique dont nos sources d’ailleurs
ne parlent pas, il reste que Flamininus sut exploiter l’opportunité qui s’offrait,
et en tirer l’idée d’une nouvelle stratégie. Il tenta systématiquement en 197 de
rallier à la cause romaine, sous la menace mais si possible sans user de la force,
les derniers membres de la Ligue hellénique, y parvenant en Béotie (T.-L.,
33, 1-2) et échouant de peu en Acarnanie (33, 16). Et il se servit de ces nouveaux
alliés pour consolider sa position face aux ambitions territoriales étoliennes lors
de la conférence de Tempé. La controverse à ce sujet a été relancée par la
publication du fragment épigraphique du traité de 212-211 que les Etoliens
invoquaient pour soutenir leurs droits (état de la question dans Musti [68],
1146-1149). Mais il est à craindre que cela n’ait fait qu’obscurcir le problème.
Déjà Aymard ([2047], 171 ) avait souligné que Flamininus refusa alors aux
Etoliens des villes que Philippe avait accepté de leur remettre dès les entretiens
de Locride : toute argutie juridique mise à part, la décision romaine ne pouvait
leur apparaître que comme une injustice. Ce qui n’empêcha pas les autres
Grecs, inquiets des appétits étoliens, d’approuver le proconsul (Pol., 18, 39, 1),
d’accepter donc que Rome décidât de la nouvelle carte politique de la Grèce.
De fait, en vertu du traité romano-macédonien et du sénatus-consulte qui en
précisait l’application, c’est aux Romains que Philippe remit toutes les villes
qu’il occupait encore en Grèce (18, 44), à la grande fureur des Etoliens. Le
différend personnel qui les opposait à Flamininus (18, 34) n’avait fait qu’aviver
un désaccord fondamental : le refus romain de les laisser tirer tous les avantages
de la défaite macédonienne et de trop accroître leur puissance; et le Sénat sur
ce point manifesta clairement son accord avec Flamininus (T.-L., 33, 49, 8).

Les inquiétudes provoquées par l’activité d’Antiochos en Asie


Mineure et en Thrace expliquent sans doute les divergences de vues
entre Flamininus et les dix légats chargés de l’assister dans l’orga¬
nisation de la Grèce, et dont on ne peut penser qu’ils avaient été
choisis par hostilité à la politique du proconsul, puisque le Sénat
finit toujours par se ranger à son avis, Alors que les légats auraient
742 U Orient

voulu prendre des garanties tangibles, en maintenant des garni¬


sons romaines à Démétrias, Chalcis et Corinthe, et en donnant
Oréos et Erétrie d’Eubée au roi Eumène (Pol., 18, 45), Flamininus
semble avoir été convaincu que le danger syrien n’était pas
imminent, et qu’en tout cas la possession de quelques places ne
serait pas d’un grand secours si Rome s’aliénait la Grèce entière.
S’inspirant habilement de précédents hellénistiques, il fit pro¬
clamer à Corinthe (juin-juillet 196) que le Sénat et lui-même
« laissaient libres, sans garnisons, exempts de tribut, en posses¬
sion de leurs lois traditionnllees, les Corinthiens, les Phocidiens,
les Locriens, les Eubéens, les Achéens Phthiotes, les Magnètes, les
Thessaliens et les Perrhébiens » (18, 46, 5), et veilla à ce que ce
programme fût respecté. Il s’efforçait d’autre part de consolider
l’autorité romaine en Grèce en renforçant la position des éléments
favorables à Rome et en s’assurant la reconnaissance des possé¬
dants. Les résultats il est vrai ne furent pas toujours concluants :
une tentative maladroite de coup de force du parti proromain en
Béotie se termina de façon désastreuse (hiver 197-196 : Pol., 18,
43 > T.-L., 335 27'29) 5 1 expédition panhellénique de 199 contre
Nabis,^ le tyran révolutionnaire de Sparte, laissa finalement plus
de mécontents que de satisfaits; en revanche les constitutions
censitaires données en 194 aux cités thessaliennes (T.-L., 34, 51,
4-6) contribuèrent à assurer durablement la fidélité de la nouvelle
Confédération. La même année 194, contre l’avis de Scipion
l’Africain (34, 43), toutes les forces romaines évacuèrent la Grèce.
La proclamation de Corinthe ne doit pas prêter à contresens. Elle signifiait
que Rome renonçait solennellement à toute souveraineté sur la Grèce, et s’enga¬
geait en particulier à retirer ses troupes, mais non que les peuples ainsi libérés
devenaient maîtres de leur sort. Seules l’Eubée, la Thessalie, la Magnésie et la
Perrhébie devinrent indépendantes. Les Corinthiens entrèrent dans la Confédé¬
ration achéenne, les Phocidiens et les Locriens notamment dans la Confédération
étolienne, sans qu’on leur demandât leur avis. Cette décision en principe ne
portait pas atteinte à leur liberté, puisqu’elle ne les réduisait pas à un état de
sujétion, mais la réalité fut parfois plus cruelle : l’expulsion des habitants de la
cité phocidienne d Elatée qui est attestée par une inscription (Moretti n° 55;
nouvelles lectures importantes dans BCH, 1968, 257-259) semble avoir été
ordonnée en 194 par les Etoliens (Passerini, Athen., 1948-1949, 83-95; Lehmann
[1965], 120-125) plutôt qu’en 198 par Flamininus (Accame, RFIC 1040
217-248; Moretti). ’ ’
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient 743

En guerre contre la Confédération achéenne depuis 201, Nabis avait reçu


Argos de Philippe V quand cette cité, fidèle à la Macédoine, s’était détachée de
la Confédération. Il avait ensuite traité avec Flamininus et conclu une trêve
avec les Achéens, mais il représentait en 195 un double danger pour l’ordre
romain en Grèce, d’ordre politique car il n’avait pas renoncé à ses projets
d’expansion péloponnésienne, et d’ordre social car, à la différence de Cléomène,
il n’avait pas hésité à« exporter la révolution» à Argos. Le combattre permettait
de maintenir les forces romaines en Grèce sans contrevenir à la proclamation
de Corinthe (Rome au contraire achevait son œuvre en libérant Argos de la
domination du tyran) et de poser Rome en protectrice de l’ordre social en Grèce.
Flamininus, qui voulut cette guerre (cf. T.-L., 33, 45), eut soin d’en laisser
prendre la décision à une assemblée des Etats grecs réunie à Corinthe, ce qui ne
l’empêcha pas ensuite de décider seul des conditions de la paix. Nabis fut-il
laissé maître de Sparte « comme une écharde au flanc des Achéens », pour les
empêcher de dominer le Péloponnèse entier (Badian [1214], 81) ? La Confédé¬
ration était pourtant en 195 un allié docile, et bien éloigné d’avoir la puissance
militaire des Etoliens; peut-être répugnait-il aussi à Flamininus d’éliminer
l’homme avec lequel il avait traité en 197, et entretenait depuis lors des rapports
de semi-patronat régis par la Fides.

Sans doute, comme l’a indiqué Badian ([1214], 73-74), les


Romains et, en particulier, Flamininus crurent-ils pouvoir appliquer
à la Grèce entière la politique qui avait si bien réussi depuis 228
avec les cités d’Illyrie. Cela n’allait pas sans malentendus : Polybe
lui-même n’aurait pas eu l’idée d’assimiler le statut de la Grèce
libérée en 196 (18, 46) à l’état de sujétion des cités d’Illyrie
(3, 16, 3). De ces difficultés Flamininus n’était sans doute pas
inconscient. Le soin avec lequel il rappelle aux Grecs en 194 les
devoirs moraux de la reconnaissance n’est probablement pas pure
invention de Tite-Live (34, 49-50; 51, 2), et le compromis qu’il
essaya de négocier en 193 avec la Syrie traduit peut-être son
inquiétude, le sentiment qu’il fallait laisser à son œuvre le temps
de se consolider avant de la mettre à l’épreuve. Mieux qu’aucun
de ses contemporains en tout cas il sut reconnaître que dans le
monde hellénistique la propagande était une arme qu’on ne pou¬
vait négliger (Badian [2040], 123-124). Sa politique se signala par
un souci nouveau de se justifier, d’obtenir l’approbation des Grecs
(en témoigne le texte d’une lettre à la cité thessalienne de
Chyretiae : RDGE, 33), de les persuader que des décisions prises
avant tout dans l’intérêt de Rome l’étaient également dans le leur.
744 L’ Orient

Ce qui n était pas toujours possible, d’où ces alternances dérou¬


tantes de complaisance et d’arbitraire qu’a signalées Aymard
([2047], 230). Son action néanmoins ne fut pas inutile pour
Rome, contribuant sans doute dans une large mesure à empê¬
cher la Grèce de basculer en 192 du côté d’Antiochos. Elle ne le
fut pas non plus pour les Grecs, qui l’adulèrent (il fut le premier
Romain à recevoir des honneurs religieux dans des cités grecques,
à Argos : G. Daux, BCH 1964, 569-576, puis à Chalcis : Plut.,
Flam., 16) : sans être, probablement, le philhellène sentimental
qu a dépeint Frank apres Mommsen, il a du moins « posé le
principe que les Grecs ne devaient pas être traités comme (par
exemple) les Iberes » (Badian [2030], 56). Principe dont les
Romains ne s’affranchirent jamais totalement, même si l’écart ne
cessa de s’accroître entre la phraséologie et la réalité qu’elle
recouvrait (cf. le sénatus-consulte de 167 sur la Macédoine :
T.-L., 45, 18) et si le philhellénisme se fit sélectif (on honore les
grands sanctuaires et on épargné Athènes, mais on déporte les
Epirotes et on détruit Corinthe).

C) La guerre contre Antiochos


et Vorganisation de l’Asie Mineure à Apamée

En contraste frappant avec la guerre contre Philippe, celle qui


opposa Rome à Antiochos III fut l’issue longuement différée d’un
conflit qui s était exprimé pour la première fois en 196 : quatre
ans de « guerre froide », pour reprendre l’heureuse formule de
Badian [2040].

Vainqueur en Coelé-Syrie dès 200, Antiochos n’eut sans doute jamais l’inten¬
tion d’intervenir dans la guerre romano-macédonienne, mais compta bien en
profiter pour renforcer sa position en Asie Mineure. Au printemps de 197 il
entrepôt une grande expédition par terre et par mer, qui le conduisit en 196
en Ghersonese de Thrace. Cette avance inquiéta Rhodes, puis les Romains, et
comme le roi fut assez habile pour conclure avec Rhodes, dès juin 197, un
partage amiable des zones d’influence, c’est tout naturellement vers Rome
que se tournèrent Smyrne et Lampsaque quand elles refusèrent de se soumettre
à lui (cf. Syll. , 591; Bickermann [2038] et Desideri [2042], 501-506). Les
Romains protestèrent en 196 contre l’occupation de cités précédemment possé¬
dées par Philippe et qui leur revenaient de par leur victoire, demandèrent
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient
745

également à Antiochos de ne pas porter la main sur les cités lagides et autonomes,
et s’inquiétèrent enfin de son passage en Europe. Le roi répliqua qu’il n’avait
aucune mauvaise intention contre Rome : il avait repris possession des cités
d’Asie et de Thrace occupées par Philippe en vertu de droits ancestraux remon¬
tant à 281 ; Ptolémée allait devenir son gendre et son allié; et ce n’était pas des
Romains mais de lui que les cités d’Asie devaient recevoir leur autonomie. Les
négociations tournèrent court (Pol., 18, 49-52).

A aucun moment il n’avait été question de guerre d’un côté


ni de l’autre, mais un accord paraissait difficile. On admet géné¬
ralement que le but d’Antiochos se limitait bien à reconstituer
l’empire de Séleucos Ier, et se trouvait donc pratiquement réalisé
en 196; les craintes de Rome auraient été injustifiées (De Sanctis
[262], IV, 1, 121 ; Holleaux [2012], 375). Cependant, pour ce
qui est de la Thrace, les Romains n’étaient pas seulement inca¬
pables d’accepter l’argument d’Antiochos à cause des différences
entre droits grec et romain de la propriété (Bickermann [2039], 50) ;
la façon dont le roi avait pressé les choses avant de leur envoyer des
ambassadeurs, les mettant devant le fait accompli, ne pouvait que
les rendre méfiants. De plus, en déclarant que les Romains
n’avaient pas plus à intervenir en Asie que lui en Italie, Antiochos
montrait qu’il considérait la Grèce comme un terrain neutre où
il entendait exercer lui aussi son influence (Badian [2040], 120;
Musti [1992], 170). De leur côté, les Romains souhaitaient lui
interdire l’accès à la mer Egée : c’est ce à quoi aurait en fait
abouti la réalisation de toutes leurs demandes (Bickerman,
[2039], 70). Et leur intervention en faveur des cités autonomes
(venant après le sénatus-consulte qui reconnaissait la liberté des
Grecs d’Europe et d’Asie en général : Pol., 18, 44, 2) constituait
pour la monarchie séleucide un danger dont ils ne mesuraient
peut-être pas la gravité (Bickermann [2039], 56). Antiochos, qui
cherchait de son côté à se poser en libérateur (cf. le décret
d’Iasos, Bull., 1971, n° 621), allait être tenté de leur jouer en
Grèce le même tour qu’ils lui avaient joué en Asie; et à ce
moment-là les initiatives étoliennes rendirent la guerre inévitable.

Pendant deux ans les négociations furent interrompues (Holleaux [2036]),


et Antiochos en profita pour fortifier sa position en Thrace. Vit-il à tort dans
l’évacuation de la Grèce par les Romains un signe de faiblesse ? En tout cas la
nouvelle ambassade qu’il envoya à Rome en 193 avait mission de conclure un
746 L' Orient

traite ci alliance sanctionnant le statu quo, et lorsque dans un entretien privé avec
Flamininus et les dix légats de 196 les Syriens se virent proposer un compromis
(Rome abandonnerait la cause des cités d’Asie si Antiochos évacuait l’Europe),
ils se déclarèrent incompétents pour le négocier (T.-L., 34, 57-59; en ce sens
Badian [2040], 126-127; contra Will [1974], II, 173)- L’impasse était totale, les
contre-propositions séleucides présentées à une ultime ambassade romaine
(App., Syr., 12, cf. Desideri [2042], 508-510; T.-L., 35, 13-17) n’impliquant
aucune concession sur le fond. C’est alors qu’intervinrent les provocateurs :
Eumène d’un côté, ayant tout à perdre à un renforcement de la puissance séleu-
cide en Asie, poussait les Romains à la fermeté (35, 13, 7-10); les Etoliens de
l’autre voyaient en Antiochos leur unique espoir de briser l’ordre établi en
Grèce par Rome. Polybe (3, 7, 1-3) fait à tort du mécontentement étolien la
cause unique de la guerre, mais il est certain que leur rôle fut décisif au moment
critique. Il semble en effet qu’Antiochos ait espéré contraindre les Romains à
accepter le statu quo en utilisant contre eux leurs propres armes, et en se faisant
appeler par les Etoliens « pour libérer la Grèce et arbitrer le conflit entre Rome
et eux » (T.-L., 35, 33, 8), mais qu’il ait alors été débordé par les initiatives
étoliennes (Holleaux [2012], 394"395; Badian [2040], 130-134) : c’est ce que
suggère le peu de forces avec lesquelles il finit par passer en Grèce à l’automne
de 192.

Défait aux Thermopyles par Acilius Glabrio (avril 191),


Antiochos abandonna aussitôt la Grèce; en 190 il laissa l’armée
romaine commandée par L. Scipio passer en Asie avant d’essayer
de négocier, mais Rome, qui dès 196 avait essayé de lui interdire
1 Egée, exigea alors qu’il évacuât toutes ses possessions d’Asie
Mineure et se retirât au-delà du Taurus (Pol., 21, 13-15). C’est
ce que le roi dut finalement accepter, après la victoire des
Romains à Magnésie (janvier 189).

Le texte du traité est connu par Polybe (21, 43), et d’après lui par Tite-Live
(3 5 38). La clause territoriale (T.-L., § 4; le texte correspondant de Polybe est
mutilé) en reste disputée. Si l’on accepte une correction qui remonte à Budé
elle définissait une ligne Taurus-Halys allant de la Méditerranée à la mer Noire’
qui dans sa partie méridionale serait la nouvelle frontière de l’Etat séleucide’
mais plus généralement délimiterait la partie de l’Asie Mineure sur laquelle
Antiochos renoncerait à toute prétention (Holleaux [2043]). Allant plus loin
Liebmann-Frankfort ([1993], 62-64) pense que par cette clause Rome établissait
sa zone d’influence sur toute l’Asie située à l’ouest de la ligne Taurus-Halys y
compris la Bithynie, la Paphlagonie et la Galatie indépendantes du royaume
syrien (cf. les objections de E. Will, Syria, 1971, 515-519). Mais la correction de
Bude n est peut-être pas nécessaire, et le texte de Tite-Live a été vigoureusement
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient 747

défendu depuis Mommsen, en dernier lieu par Mac Donald [2045] : la clause
territoriale délimiterait tout simplement la nouvelle frontière imposée au
royaume de Syrie dans le sud-est de l’Asie Mineure. Rejeté au-delà du Taurus,
Antiochos se voyait également interdire d’attaquer les peuples de l’Europe et
des îles de l’Egée. Les moyens d’ailleurs lui en étaient enlevés, puisqu’il ne
pourrait conserver plus de dix vaisseaux non pontés, qu’il lui était interdit
d’envoyer au-delà du cap Sarpédon (le texte de la clause navale — Pol., § 13,
T.-L., § 8 — est corrompu; nous suivons les conclusions de Mac Donald et
Walbank [2046]). Antiochos enfin devait verser à Rome 12 000 talents (à raison
de 1 000 par an, et sans compter les 3 000 déjà livrés en 189 : en tout douze
fois et demie ce qu’avait dû payer Philippe). Ce traité a fait l’objet d’apprécia¬
tions très diverses (De Sanctis [262], IV, 1, 200-202; Holleaux [2012], 425).
Antiochos restait souverain dans son royaume; sa politique n’était entravée ni
vers l’est ni vers le sud (pas d’interdiction notamment d’engager la guerre contre
l’Egypte); ses forces terrestres n’étaient pas non plus limitées en nombre; le
traité se contentait de lui interdire de posséder des éléphants et de recruter des
mercenaires dans les territoires sous contrôle romain. Les plus lourdes étaient
la clause navale et la clause financière; cette dernière notamment, s’ajoutant à
la perte des revenus de l’Asie Mineure, allait créer à la monarchie séleucide de
sérieuses difficultés, jusque dans les premières années du règne d’Antiochos IV
(cf. Will [1974], H, 255-256).

Pas plus qu’en Grèce, bien entendu, Rome ne comptait admi¬


nistrer directement les territoires abandonnés par Antiochos. Selon
les instructions du Sénat, les cités libres le jour de la bataille de
Magnésie (y compris celles qui, s’étant rendues avant cette date
aux généraux romains, avaient reçu d’eux la liberté : cf. la lettre
des Scipions à Héraclée du Latmos : RDGE, 35), conserveraient
leur indépendance; tous les autres territoires, cités comprises,
deviendraient tributaires d’Eumène, roi de Pergame, à l’excep¬
tion de la Carie au sud du Méandre et de la Lycie, qui le seraient
de Rhodes (T.-L., 37, 56, plus exact que Pol., 21, 24; Biker-
man [2044]). Ainsi la liberté cessait-elle d’être un privilège
reconnu à tous les Grecs, et devenait-elle une récompense pour
ceux qui avaient su rallier a temps la cause romaine (du moins la
liberté au sens plein du terme, car les cités rendues tributaires
d’Eumène et de Rhodes devaient conserver dans l’esprit des
Romains le droit de s’administrer selon leurs lois : Bernhardt
[1961], 70). Plusieurs facteurs avaient pu inciter le Sénat à
prendre cette décision contraire à ses déclarations de 196-193 : la
748 L’Orient

nécessité de récompenser la fidélité d’Eumène, qui n’avait déjà


pratiquement rien gagné après la seconde guerre de Macédoine;
impossibilité de laisser l’Asie Mineure fragmentée en une multi¬
tude de cités ou de petites ligues dont l’exemple de la Grèce cen¬
trale dans l’hiver 192-191 montrait qu’elles se rallieraient toujours
au plus fort; le risque, agité par Eumène, que les cités autonomes
entrassent dans la mouvance de Rhodes, et que devînt trop
puissante cette république ombrageuse de sa liberté, que rien
ne liait définitivement à Rome et qui ne s’était engagée qu’assez
tard dans la lutte contre Antiochos (cf. Pol., 21, 18-23).

Succédant à Scipion en 189, Cn. Manlius Vulso entreprit, sans doute selon
les instructions du Sénat (cf. T.-L., 37, 5i, 10; Frank [1954], !78-179), une
campagne d intimidation contre les Galates, qui fit très bonne impression
auprès des Grecs (Pol., ai, 41) et fournit un butin appréciable. Il siégea en 188
à Apamee avec les dix commissaires du Sénat, procédant à l’organisation de
lAsie Mineure. Le detail nous en échappe encore largement (pour les cités
indépendantes, état de la question dans Bemhardt [1961], 52-71) La théorie
selon ^quelle les décisions en faveur de Pergame et de Rhodes auraient été
1 evocables, Rome gardant un droit de propriété sur ces territoires, repose seu¬
les mêmes présupposés juridiques erronés que la thèse selon laquelle la liberté
accordée en 196 par la proclamation de Corinthe aurait été précaire (Schmitt
[1989], 97-108; Bemhardt [1961], 80-83). Le principal bénéficiaire des arran¬
gements romains fut Eumène, dont l’inimitié envers Philippe et Antiochos
garantissait aux Romains la fidélité : son royaume était désormais le plus
puissant d Asie Mineure (détails dans Magie [838], II, 758-764); il recevait
egalement la Chersonese de Thrace en Europe, et au milieu des possessions
rhodiennes le port lycien de Telmessos. Cela ne l’empêcha pas de disputer à
Antiochos la possession de la Pamphylie; le Sénat dut accéder à sa demande

r2oofiinT fCC°rd?nt la llberté aux Principales cités côtières (Sherwin-White


’ O- Quelques documents épigraphiques d’un grand intérêt éclairent la
remise a Rhodes de la Lycie et de la Carie : cf. L. Robert, La Carie, II, Paris 1054
303-3.2; 1 institution par la Confédération lycienne, sans dôme en 189 de
concours en 1 honneur de Rome Epiphane (SEG, XVIII, 570- cf Robert
Bu! ., ,950, ,83; Larsen [,986], 043-248) témoigne de „ vains effort, pou,’
éviter d être soumise à Rhodes (Pol., 2a, 5), prélude à vingt an, de guerre
presque ininterrompue. gueire

La guerre contre Antiochos amena Rome à établir des relations diploma¬


tiques avec les principaux royaumes d’Asie Mineure. En 190, les Scipions surent
persuader Prusias de Bithynie de refuser l’alliance d’Anüochos et de deve"
ami du peuple romain » (Pol., 21, n). Ariarathe IV de Cappadoce avait
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient
749

été moins prudent, mais il se rapprocha d’Eumène, et moyennant le versement


de 300 talents devint lui aussi ami de Rome (21, 45). Mais il apparut clairement
que le Sénat n’entendait pas devenir le gendarme de l’Asie. Bien que Prusias
eût conservé la Phrygie Epictète attribuée à Eumène par le Sénat et les dix com¬
missaires, Rome tarda à intervenir lorsque les deux rois entrèrent en guerre (186),
et ce n’est qu’en 183, et surtout parce que Prusias avait reçu des secours de
Philippe V et fait d’Hannibal l’un de ses conseillers, qu’elle se résolut à faire
pression sur lui. Et lors de la guerre entre Eumène et Pharnace roi du Pont
(182-179), le Sénat se contenta d’envoyer d’inutiles missions de médiation.

D) Rome et la Grèce de igz à 172 :


la guerre d'Etoile et la résistance légaliste de la Confédération achéenne

L’ordre romain en Grèce avait été mis à l’épreuve en 192-191 :


Antiochus et les Etoliens avaient cherché à se gagner la sympathie
des autres Grecs en prétendant substituer une véritable liberté
à celle qu’avaient proclamée les Romains et qui cachait mal leur
domination (T.-L., 35, 33, 8; 46, 6). Leur échec ne fut cependant
pour Rome qu’un demi-succès, car il apparut que beaucoup de
Grecs, sans enthousiasme ni illusion, étaient prêts à suivre le plus
fort (Badian [1214], 79).

Tout jugement général reste nécessairement approximatif. Les antagonismes


nationaux ont joué un rôle important. Les Etoliens comptaient bien obtenir,
grâce à Antiochos les gains territoriaux dont les avaient frustrés les Romains et
devenir en Grèce la puissance dominante. S’ils ont quelque temps médité
d’associer Philippe à la coalition antiromaine, il est douteux qu’ils aient été prêts
à faire les concessions nécessaires, et ils ruinèrent définitivement ce projet en
prenant le contrôle de Démétrias. Ni les Thessaliens, qui en auraient été les
premières victimes, ni les Achéens ne pouvaient accepter la réalisation des
ambitions étoliennes. Inversement, si Démétrias fut la première cité à manquer
à l’amitié romaine, c’est qu’elle suspectait le Sénat d’être disposé à la livrer à
Philippe en récompense de son aide contre Antiochos. Les antagonismes sociaux
en revanche ne paraissent pas avoir été décisifs. Les masses sans doute n’avaient
guère de sympathie pour Rome, et des troubles purent éclater çà et là (Plut.,
Cato, 12, 3-4), mais on ne doit pas en exagérer l’importance, et surtout nos sources
ne permettent pas d’assurer qu’Antiochos ait recherché leur appui par une
politique démagogique (en ce sens, mais sans arguments solides, Musti [1992],
163-172). Antiochos ne gagna personne à sa cause par voie purement diploma¬
tique, que les alliés traditionnels de l’Etolie (Elis, Messène, Athamanie), mais
Eubéens et Béotiens se rallièrent sans résistance dès qu’il apparut en force sur
75o V Orient

leur territoire, et les Epirotes le prévinrent qu’ils feraient de même le cas échéant.
Sur ces défaillances, le Sénat préféra fermer les yeux, sur les conseils notamment
de Flamininus. Il n’y eut même pas d’épuration; quelques extraditions furent
exigées d’Antiochos, mais on n’assista pas à une politique systématique comme
en 167 (Deininger [1987], 108).

Interrompue par de nombreuses négociations, la guerre dura en


Etolie jusqu’en 189. Le traité qui fut alors imposé (Pol., 21, 32 a;
T.-L., 38, 11) manifestait clairement l’état de sujétion dans lequel
la Confédération serait désormais tenue : elle devrait « respecter
la toute-puissance et la majesté du peuple romain », et s’engageait
à avoir mêmes amis et ennemis que lui. A cette grave atteinte à sa
souveraineté s’ajoutait la lourde sanction d’une indemnité de
500 talents. Mais la Confédération ne fut pas totalement démem¬
brée; elle restait le principal Etat de la Grèce centrale, incapable
désormais de toute visée expansionniste, mais conservée par Rome
comme obstacle à celles de ses voisins du Nord.

C’est dans ce traité qu’apparaît pour la première fois la« clause de majesté»,
considérée par les juristes postérieurs comme caractéristique des traités inégaux,
et qui donnait en quelque sorte une forme légale au statut d’Etat client (Badian
[1214], 84-87). L’Etolie perdait les cités qu’elle avait possédées en Thessalie et
en Achaïe Phthiote, la Phocide qui fut constituée en ligue, Ambracie qui devint
une cite libre, et 1 île de Cephallénie qui, de même que Corcyre et Zacynthe
(perdue par l’Athamanie), passait sous la surveillance directe des Romains.
Enfin la cite de Delphes, qui n avait jamais appartenu à la Confédération mais
était sous sa totale dépendance, retrouva toute sa liberté, et les Romains s’empres¬
sèrent de confirmer les privilèges du sanctuaire et d’étendre le domaine sacré
(RDGE, n° 37, 1 et 38; cf. Daux [1981], 213-280).

La guerre contre Antiochos et les Etoliens permit à la Confé¬


dération achéenne de mener à bien sa vieille ambition d’unifi¬
cation du Péloponnèse ; Philopoemen profita en 192 du désarroi
des Spartiates apres 1 assassinat de Nabis par les Etoliens pour
obtenir leur adhésion à la Confédération et, en 191, Elis et Mes-
sene, qui avaient pris le parti d’Antiochos, furent contraintes
d’en faire autant. Mais dès 192 également Philopoemen manifesta
vis-a-vis de Rome une volonté d’independance qui contrastait
avec l’attitude soumise de ses prédécesseurs, et qu’il maintint
constamment par la suite (lui-même et ses partisans gouvernant
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient 75*

presque sans interruption de 193-192 à 182-181). Sa politique,


qu’on pourrait qualifier de « résistance légaliste » consistait à
s’appuyer sur les textes (les statuts fédéraux et le traité « d’égal à
égal » obtenu du Sénat sans doute dans l’hiver 192-191,
Badian [2034]) pour empêcher dans la mesure du possible toute
immixtion de Rome dans les affaires intérieures de la Confédéra¬
tion et, tout particulièrement, dans ses difficiles rapports avec
Sparte. Cela était incompatible avec les rapports de patronat que
Rome entendait exercer, indépendamment de la lettre du traité,
vis-à-vis des Achéens, et qui impliquaient de leur part une res¬
pectueuse soumission à ses « conseils ». La mort de Philopoemen
(182) affaiblit le parti de la résistance : stratège en 181-180 et
partisan résolu de la soumission à Rome, Callicratès obéit à ses
recommandations et régla provisoirement les problèmes messénien
et Spartiate par le rappel de tous les exilés; mais le conflit entre
les deux partis achéens devait durer au moins jusqu’à la dépor¬
tation des héritiers politiques de Philopoemen en 167.

Sur la très complexe histoire de la Confédération achéenne de 193 à 179,


cf. notamment Aymard ([2047], 294-376), qui s’arrête en 189; Larsen ([1986],
443-461) et Errington ([2048], 90-205). On a peut-être trop systématiquement
prêté aux Romains, et à Flamininus en particulier, une politique machiavélique
visant par tous les moyens à affaiblir la Confédération faute d’avoir réussi à
l’empêcher d’unifier le Péloponnèse (cf. e. g. Errington, 119-124). Les Achéens
n’ont jamais constitué une puissance militaire qui pût inquiéter Rome, et Flami¬
ninus lui-même, du moins après la mort de Nabis, semble moins avoir été opposé
au principe de l’unification du Péloponnèse qu’à la volonté des Achéens de la
réaliser seuls, sans en devoir le bénéfice à Rome : comme l’a souligné Aymard
([2047], 380-384), le conflit était politique. Les interventions officielles du Sénat
d’ailleurs (à la différence des initiatives personnelles de certains légats : Metellus
en 185 et surtout Flamininus en 183) ne manifestent pas une volonté systématique
d’aviver les querelles : le rappel des exilés, sa principale exigence depuis 189,
était finalement nécessaire au retour de la paix, et l’arbitrage rendu en 183 sur
la question Spartiate par une commission présidée par Flamininus était assez
équitable (Poh, 23, 4; Paus., 7, 9, 5; cf. Larsen [1986], 453-454, et Errington
[2048], 182). C’est le principe même de ces interventions qui était l’objet du
conflit. La politique de Philopoemen a été vivement critiquée, à la suite de
Badian ([1214], 90-91), par Errington ([2048], 222-227) : ce patriotisme doc¬
trinaire, en refusant consciemment la conception romaine des rapports de clien¬
tèle et en exploitant délibérément l’ambiguïté de la politique du Sénat qui
752 L’Orient

voulait imposer sa volonté sans avoir à employer la force, aurait créé une tension
dangereuse avec Rome et engendré dix ans de chaos dans le Péloponnèse;
Callicratès en revanche aurait eu le mérite de reconnaître et de mettre à nu le
véritable rapport de forces, d’en tirer les conséquences et de rétablir la paix.
C’est aller trop loin dans la remise en cause, salutaire en soi, des jugements de
Polybe (24, 11-13; 39, 3), dont le père Lycortas avait été le bras droit de Philo-
poemen, et qui lui-même devait à Callicratès sa déportation à Rome (cf. les
conclusions plus nuancées de Larsen ([1986], 447) et de Deininger ([1987],
125-7); cependant que Stier et Lehmann suivent fidèlement Polybe). La faute
la plus grave de Philopoemen fut peut-être, alors qu’il voulait éviter toute
immixtion de Rome, d’agir vis-à-vis de Messène et surtout de Sparte avec une
rudesse et une maladresse qui multiplièrent les mécontentements, et donc les
occasions d’interventions romaines (répression sanglante et abolition des insti¬
tutions tiaditionnelles à Sparte en 188 — T.-L., 38, 33“3-4 '—> manoeuvres à
Messène — Pol., 22, 10) : contradiction qui aurait pu être évitée par un politicien
plus adroit. Mais lorsque Callicratès et ses amis, après avoir par leurs dénoncia¬
tions (Pol., 22, 10 et 24, 9) renforcé les tendances interventionnistes d’un Sénat
peut-être divisé (Derow [2049]) et préparé l’épuration de 167, firent triompher
leur politique « réaliste », ils ne parvinrent à établir qu’une paix et une stabilité
trompeuses, parce que mal acceptées par la majorité du pays, et qui amenèrent
par réaction au drame de 146.

E) Rome et la Macédoine de ig2 à 172


et les origines de la guerre contre Persée

Privé par la contre-offensive étolienne de l’hiver 190-189 d’une


partie des territoires que sa collaboration avec Rome lui avait
permis d occuper, Philippe fut mal inspire de chercher une
compensation dans le contrôle d’Ainos et Maronée (sur la côte
thrace), évacuées en 189 par leurs garnisons séleucides mais
convoitées également par Eumène. A la suite de députations
au Sénat des Thessaliens, Perrhébiens, Athamanes et d’Eumène
(hiver 186-185), il dut abandonner une partie de ses conquêtes,
y compris, en 183, Ainos et Maronée. Ses gains se limitaient à la
Magnésie avec E)émetrias, la Dolopie et un certain nombre de
cites phthiotes. Meme s il est fort douteux que la rancoeur alors
conçue par Philippe l’ait décidé à préparer une nouvelle guerre
contre Rome (Pol., 22, 18), l’injustice dont il s’estima victime
entraîna une irrémédiable dégradation de ses rapports avec
Rome.
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient
753

La récente tentative de Gruen [2053] pour établir, contrairement à l’opinion


généralement reçue, que la politique romaine vis-à-vis de la Macédoine se signala
alors par sa passivité et non par son agressivité ne paraît pas convaincante. Le
Sénat s’opposa dès qu’il l’apprit à l’occupation d’Ainos et Maronée par Philippe,
et maintint sa position avec constance jusqu’à ce que le roi cédât : cela dura
deux ans, parce qu il ne disposait pas sur place de forces pour faire appliquer sa
décision, mais cette tactique, la meme qui fut employée pour le rappel des exilés
Spartiates, ne doit pas être interprétée comme une marque de faiblesse ou de
passivité. Pour ce qui est des disputes territoriales en Grèce, le Sénat veilla à
l’application de l’arrêt de ses légats en faveur des adversaires de Philippe (T.-L.,
39, 26, 14; Pol., 22, 11, 3), et le roi dut céder puisqu’il apparaît en 183 qu’il n’y
avait plus de litige territorial important (Pol., 23, 1, 10-12). Rome restait donc
hostile à tout retour de la Macédoine en Grèce et dans l’Egée, et après avoir dû
en 191-190 faire à Philippe un certain nombre de promesses, saisit l’occasion, la
paix revenue, pour en limiter les conséquences. Il semble bien d’autre part
qu’en 183 le Sénat ait profité de ce que Philippe avait envoyé à Rome son second
fils Démétrios pour faire savoir qu’il était le successeur que Rome souhaitait
voir désigner (23, 2, 9-10) : politique désastreuse, qui aboutit à l’exécution de
Démétrios et fortifia les sentiments antiromains de Philippe et de Persée, mais
qui annonçait les intrigues du Sénat contre Eumène en 167, et avait son équiva¬
lent dans la déclaration de 181 en faveur de Gallicratès.

Les dernières années du règne furent assombries par la mort


de Démétrios (180) et par un despotisme qui suscita de graves
mécontentements (déportations de populations, complots féro¬
cement réprimés). Ces aspects négatifs, soulignés par Polybe qui
en a fait une véritable tragédie, ne doivent pas cependant faire
oublier l’œuvre importante accomplie par le roi pour redonner à
la Macédoine puissance et sécurité.

Dès la fin de la guerre étolienne sinon depuis 196, Philippe avait entrepris
une politique de reconstruction économique et sociale (T.-L., 39, 24-25; cf. Wal-
bank [1977], 224; Rostovtzeff [330], 632-634) : augmentation des revenus de
l’Etat, à la fois sans doute par un accroissement de la production agricole et des
échanges commerciaux (essor notamment du port de Démétrias) et par une
aggravation de la pression fiscale; ouverture ou réouverture de mines et reprise
des émissions monétaires d’argent (dès 188-187 : Boehringer [2104], 102-104);
encouragement à la natalité et installation de colons thraces en Macédoine.
Philippe releva son royaume dépeuplé et ruiné par les guerres et les conditions
de paix dictées par Rome, et son action, poursuivie par Persée, explique la
prospérité de la Macédoine en 172 (T.-L., 42, 12, -8-10). Il entreprit d’autre part
de garantir la frontière septentrionale du royaume par une politique balkanique

ROME, 2 IO
754 V Orient

audacieuse, menant entre 184 et 181 des campagnes de pacification en Thrace,


et surtout projetant de faire venir les Bastarnes des bouches du Danube à travers
la Thrace, pour les aider à s’installer à la place des Dardaniens, ennemis tradi¬
tionnels de la Macédoine (Walbank [1977], 235-257). Aucune ambassade
romaine ne fut envoyée à Pella entre 182 et 176, ce qui suggère que le Sénat
ne croyait pas utile de surveiller la Macédoine tant qu’elle s’abstenait d’inter¬
venir en Grèce et en Egée. C’est dans ces limites qu’on peut parler avec Gruen
de passivité; encore les événements de 176-175 (Pol., 25, 6; T.-L., 41, 19)
font-ils douter que le Sénat eût toléré la réalisation du projet bastarne.

L’avènement de Persée (été 179) entraîna une nette modi¬


fication de la politique macédonienne, qui interdit de ne voir en
lui, comme le voudrait Polybe (22, 18, 10), que l’exécutant des
projets de son père. Tandis qu’une amnistie concernant les crimes
d’Etat et les dettes fiscales annonçait une politique intérieure moins
autoritaire, la politique extérieure redevenait, de balkanique,
méditerranéenne. Le projet d’installation des Bastarnes en Dar-
danie, soutenu sans ardeur avant même que Rome intervînt, finit
par échouer totalement (hiver 176-175), et la frontière septentrio¬
nale, en dépit de l’alliance conclue avec le royaume thrace des
Odryses, restait donc menacée au moment où Persée allait heurter
directement les intérêts de Rome. Les mariages qui firent de lui
en 178 le gendre de Séleucos IV de Syrie et le beau-frère de Pru-
sias II de Bithynie esquissaient une coalition des adversaires
d’Eumène qui fut bientôt mise en échec : à la mort de Séleucos
en 175, tandis que Rome gardait son fils en otage, c’est son frère
Antiochos IV qui avec l’aide d’Eumène prit le pouvoir en Syrie
(OGIS, 248). Dès lors Persée concentra ses efforts en direction
de la Grèce, lançant en 174-173 (T.-L., 41, 22 et 42, 5, 1) une vaste
offensive diplomatique qui faillit permettre la normalisation des
rapports avec la Confédération achéenne, aboutit à la conclusion
d’un traité d’alliance avec la Béotie, et de façon générale accrut
considérablement le crédit du roi dans le monde grec. Persée réussit
là où Antiochos avait dans l’ensemble échoué : il persuada une
bonne partie des Grecs que la Macédoine constituait vis-à-vis de
Rome un contrepoids indispensable à leur liberté (Pol., 28, 6, 4;
T.-L., 42, 30, 6 et 46, 4; cf. 35, 46, 7). Quoi qu’en dise Polybe, il ne
semble pas que Persée ait voulu la guerre contre Rome, qu’il fit
tout en 172 pour éviter; mais s’il n’avait pas violé la lettre du
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient
755

traité de 197 (que la tradition annalistique n’hésita pas à falsifier


pour mieux asseoir le bon droit de Rome : T.-L., 33, 30, 6), il en
avait trahi l’esprit, qui était la renonciation de la part de la
Macédoine à toute emprise sur la Grèce, et que le Sénat avait
réaffirmé par sa conduite envers Philippe en 185-183. L’inquié¬
tude du Sénat se manifesta par la multiplication des ambassades
envoyées à partir de 174 au-delà de l’Adriatique, et la décision
d’entrer en guerre semble avoir été prise, malgré les réticences
d’un Caton (cf. Plut., Cato, 8, 12-13), au printemps de 172, après
qu’Eumène fut venu solennellement dénoncer le danger macédo¬
nien (T.-L., 42, 11-13) et après le mystérieux attentat où il
faillit périr, sur le chemin du retour, près de Delphes.

Pour toute cette période, cf. Meloni ([1978], 61-209). Mais Giovannini [2052]
a établi (par une nouvelle analyse de Syll?, 613) qu’il n’y a aucune raison de
supposer que la Macédoine n’ait retrouvé qu’en 179-178 ses deux sièges à
l’Amphictyonie delphique et d’y voir un premier succès de la diplomatie de
Persée, et il a souligné à juste titre que c’est à partir de 174 seulement que la
politique philhellénique de ce roi a pris toute son ampleur, suscitant rapidement
une réaction romaine ([2051], 856). Le personnage de Persée reste difficile à
cerner à travers une tradition historiographique uniformément hostile. L’effort
de propagande de Rome à la veille et au début de la guerre fut considérable, et
nous en possédons un précieux document : les fragments d’une lettre adressée,
sans doute en 171, à l’Amphictyonie delphique pour énumérer les crimes de
Persée (RDGE, 40; cf. Daux [1981], 319-325). Il est bien évident que les accusa¬
tions contenues dans ce texte, de même que dans le discours prêté par Tite-Live
à Eumène, doivent être accueillies avec circonspection. Celle d’avoir attisé les
conflits sociaux en Grèce (11. 23-24), bien que généralement acceptée par les
Modernes (cf. Giovannini [2051], 860) exige la même prudence. On ne saurait
se contenter du texte fameux de Tite-Live sur l’état des esprits en Grèce en 172
(42, 30), d’après lequel Persée aurait gagné à lui la plèbe et les notables endettés
ou démagogues (cf. les critiques de Derow, Phoenix, 1972, 307-308 et Gruen
[2054], 31). Si l’on cherche des indications plus précises, on constate qu’Eumène
ne peut accuser Persée que d’avoir suscité des troubles en Thessalie et Perrhébie
en faisant espérer une abolition des dettes (T.-L., 42, 13, 9 cf. Diod., 29, 33). Il
est possible en effet que dans ces pays pourvus par Flamininus d’un régime censi¬
taire, Persée ait cherché parmi les débiteurs une clientèle à opposer à la classe
dirigeante proromaine; mais ce n’est pas non plus nécessaire : alors que l’Etolie
voisine, où le problème des dettes était endémique (Pol., 13, 1-2), connaissait de
ce fait des troubles sanglants, rien d’étonnant que la révolte se soit propagée en
Thessalie, où les créanciers se livraient à de tels abus que les Romains eux-mêmes
756 V Orient

imposèrent en 173 un compromis allégeant le poids des dettes (T.-L., 42, 5, 7-9).
On aimerait en savoir plus sur la signification et les conséquences de l’interven¬
tion de Persée en Etolie, sans doute entre 177 et 175 à la demande des autorités
fédérales (T.-L., 42, 12, 7; 40, 7; 42, 4; cf. Deininger [1987], 146-152; Gruen
[2054], 35-36), sur la situation sociale en Béotie au moment de son rapproche¬
ment avec la Macédoine (cf. Pol., 22, 4, suggérant la liquidation à partir de 189
de l’anarchie démagogique qui régnait depuis vingt-cinq ans). Trop de choses
nous échappent pour qu’on puisse affirmer avec certitude que Persée reprit
systématiquement les tendances « populaires » de la politique hellénique de son
père, dont d’autres indices suggèrent qu’il a voulu se distinguer (T.-L., 41, 22, 7;
Pol., 25, 3, 5-8). Persée constituait d’ailleurs pour Rome un danger plus grand
encore s’il cherchait à séduire les classes aisées autant que les masses, et se posait
en successeur d’Antigone Doson autant que de Philippe V.
Appliquant à la troisième guerre de Macédoine l’explication proposée par
Holleaux pour la seconde, Bickerman [2050] a proposé de voir dans l’annonce
d’un conflit imminent entre la Syrie et l’Egypte ce qui détermina le Sénat à
entrer immédiatement en guerre contre Persée, pour en finir avec lui avant qu’il
pût s’allier avec le vainqueur en Orient; mais c’est en 178 que Rome aurait dû
agir, si sa crainte obsédante depuis 201 avait été celle d’une coalition des rois.
La décision du Sénat de remettre à l’année suivante l’entrée en guerre (T.-L.,
42, 18) s’explique sans doute essentiellement par le délai nécessaire aux prépa¬
ratifs militaires, et notamment à la remise en état de la flotte (Rich [1962],
22-26); il est plus surprenant qu’il ait attendu fin septembre ou octobre (Rich,
88-89) pour envoyer à travers la Grèce la grande ambassade dirigée par
Q.. Marcius Philippus. Par tous les moyens, y compris la dissolution de la Confé¬
dération béotienne, Phihppus et ses collègues affaiblirent sérieusement la position
macédonienne. Le seul échec qu’ils essuyèrent fut en Illyrie. En ce qui concerne
le rapprochement de son roi Genthius avec la Macédoine, il faut ajouter aux
indications de Tite-Live (40, 42; 42, 26 et 45) l’émission (à une date qui reste
malheureusement imprécise) de monnaies s’inspirant des types macédoniens
créés en 187-186 (Cabanes [1988], 286-287).

3) LA POLITIQUE ROMAINE DANS LE MONDE HELLENIQUE


DE 168 A LA CRÉATION DES PROVINCES DE MACÉDOINE ET D’ASIE

La guerre contre Persée ne fut pas facile : les forces romaines piétinèrent deux
ans en Thessalie avant de pouvoir pénétrer en Macédoine. Au printemps de 170,
certains dirigeants molosses complotèrent de s’emparer du consul pendant qu’il
traversait l’Epire et de le livrer à Persée (Pol., 27, 16) : la tentative échoua,
mais une partie des Epirotes passèrent du côté de la Macédoine, et cette défection
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient
757

iendit plus difficiles les communications entre l’Italie et la Thessalie; en mars 169,
la trahison de certains Etoliens faillit livrer à Persée la place de Stratos, très’
importante aussi du point de vue logistique (T.-L., 43, 21-22); dans l’hiver
de 169-168 enfin, le roi d’Illyrie Genthios rejoignit le camp macédonien (Pol.,
29, 3-4). Dès 171, d’autre part, il était apparu que les alliés grecs, à l’exception
de Pergame, participaient à la guerre sans enthousiasme, n’envoyant que des
contingents réduits, voire dérisoires (T.-L., 42, 55). Ce fut en particulier le cas
des Rhodiens, que leur hostilité envers Eumène depuis 180 et les liens écono¬
miques étroits qu’ils avaient renoués avec la Macédoine (L. Robert, Etudes de
numismatique grecque, Paris, 1951, I79"2I6) incitaient à limiter au maximum leur
engagement : sur 40 navires promis, 6 seulement rejoignirent les Romains, et
furent aussitôt renvoyés chez eux (Pol., 27, 3 et 7). Dès lors ils ne prirent plus
part à la guerre, et en 168 entreprirent une tentative de médiation brutalement
interrompue par la victoire romaine (29, 10-11; cf. Gruen [2070]). Eumène
lui-même, voyant son royaume menacé par les Galates, put envisager de favo¬
riser une solution négociée du conflit (29, 5-9; cf. Badian [1214], 102-103;
B. Schleussner, Historia, 1973, 119-123); il y renonça finalement, mais le bruit
de ses contacts avec Persée transpira, et alimenta les accusations de trahison.

Les difficultés militaires avaient amené le Sénat à dissimuler


son mécontentement et à adopter à partir de l’hiver 171-170 une
attitude conciliante ; en témoignent les sénatus-consultes concer¬
nant Coronée et Thisbè (RDGE, 2 et 3; sur les problèmes de data¬
tion, cf. Errington [2058]), la mission de C. Popillius et Cn. Octa-
vius à travers la Grèce dans les derniers mois de 170 (Pol., 28, 3-5;
cf. Charneux [2055]) et le bon accueil fait en 169 à une ambas¬
sade rhodienne (28, 2). Le changement soudain de l’attitude
romaine au lendemain de la victoire de Pydna est saisissant :
le démembrement de la Macédoine et de l’Illyrie et leur assu¬
jettissement au tribut, la dévastation d’une partie de l’Epire et
l’épuration des classes dirigeantes grecques, l’humiliation de Rhodes
et de Pergame, l’injonction enfin faite à Antiochos IV de se retirer
de l’Egypte traduisaient la volonté romaine de briser définitivement
toute résistance dans les Balkans et d’affaiblir systématiquement
les puissances orientales.

Cette politique exprimait l’enivrement de la victoire, l’exaltation de la


volonté de puissance des Romains au lendemain de l’écrasement de la puissance
macédonienne, mais elle traduisait sans doute aussi un réel désarroi : le sentiment
d’avoir été trahi, ou sur le point de l’être, par le monde grec tout entier, l’impres¬
sion que les soupçons alimentés depuis longtemps par des propos comme ceux
758 L’Orient

de Callicratès en 181 ou d’Eumène en 172 n’étaient que trop fondés. Cet aspect
passionnel du raidissement qui suivit Pydna explique que le Sénat, sous l’influence
d’un certain nombre de ses membres, soit dans l’ensemble revenu au bout de
quelques années à plus de souplesse. Il ne s’agit pas de rejeter la responsabilité
des mesures de 168-167 sur une « clique de plébéiens extrémistes » dont un
homme comme Paul Emile aurait été malgré lui l’instrument (Scullard [1225],
212-219) : Polybe, dont dépendent Tite-Live et Plutarque, était trop porté à
disculper le père de Scipion Emilien son ami pour qu’on le suive sans méfiance
(Badian [1214], 98). Plus généralement, analyser en termes de groupes familiaux
dans la tradition de Münzer les divergences attestées au sein du Sénat en matière
de politique hellénique et orientale, comme l’ont fait Scullard [1225] et surtout
Briscoe [2057] et [2069], ne nous paraît pas conduire à des résultats satisfaisants.
Peut-être faudrait-il s’attacher en priorité à préciser les attitudes et les opinions
d’un certain nombre de principes et d’« experts» (Caton, M. Aemilius Lepidus,
Paul Emile, Ti. Sempronius Gracchus le père, C. Popillius Laenas, Cn. Octa-
vius...), sans prétendre les regrouper à l’intérieur de deux ou trois factions, et
voir dans quelle mesure, et dans quelles directions, ils ont pu infléchir la politique
du Sénat.

A) Le nouveau statut de la Macédoine et de Vlllyrie

En 168-167, suivant en particulier l’avis de Caton (ORF, 162),


le Sénat se refusa à réduire en provinces les royaumes de Macé¬
doine et d’Illyrie. La monarchie ayant été abolie, Macédoniens et
Illyriens furent proclamés libres, mais toutes les précautions furent
prises pour détruire à jamais leur puissance. La Macédoine fut
divisée en quatre régions (merides), constituant quatre Etats indé¬
pendants qu’aucune structure fédérale ne réunissait; au contraire
il fut interdit aux ressortissants de chaque république de contracter
mariage et d’acquérir des biens immobiliers dans une autre répu¬
blique. Economiquement les nouveaux Etats furent affaiblis par
l’interdiction d’exploiter les bois de construction navale et (jus¬
qu’en 158) les mines d’or et d’argent. D’autre part, leur liberté ne
s’accompagnait pas, comme celle des Grecs en 196, de l’immu¬
nité fiscale : les républiques durent verser à Rome un tribut égal
à la moitié de celui que levaient les anciens rois, ainsi que la
moitié des revenus des anciennes propriétés royales qu’elles purent
continuer à exploiter. Les nouveaux Etats reçurent cependant le
droit de frapper monnaie, et d’installer des garnisons sur les fron¬
tières thrace et illyrienne. Rome fixa également leur Consti-
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient
759

tution : à côté peut-être d’assemblées primaires, ce sont des sénats


(synedria), recrutés sans doute selon des critères censitaires, qui
reçurent l’essentiel des pouvoirs. L’Illyrie de son côté fut divisée
en trois Etats, assujettis eux aussi, dans leur majeure partie, au
paiement d’un tribut.

Nous dépendons essentiellement du livre 45 de Tite-Live, dont le texte,


conservé par un seul manuscrit, est par endroits irrémédiablement corrompu :
c. 18 (instructions du Sénat aux légats chargés d’assister les généraux vainqueurs) ;
26 (organisation de l’Illyrie par Anicius) ; 29-30 et 32 (organisation de la Macé¬
doine par Paul Emile : ajouter Diod., 31,8, 4-9, et Plut,,Aem. 28). Les problèmes
sont de trois ordres :

— Territoriaux : les anciennes possessions grecques de Persée devinrent bien


entendu indépendantes (Dolopie et Magnésie) ou furent rattachées à la Thessalie
(villes d’Achaïe Phthiote), mais Rome eut la sagesse de ne pas brader des parties
de l’ancien royaume à ses alliés barbares : la Péonie fut refusée aux Dardaniens.
La Macédoine Quatrième semble même avoir englobé l’Atintanie (disputée
depuis 230 entre l’Epire, la Macédoine et le protectorat romain en Illyrie) et la
Tymphaia épirote, contrôlant donc la route stratégique de la vallée de l’Aoos;
c’est ainsi que l’on corrige habituellement le texte, de toute façon corrompu,
de T.-L., 45, 30, 6 (cf. aussi Strab., 7, fr. 47; contra, Hammond [1985], 633, dont
les hypothèses ont été discutées par F. Papazoglou, Z- Ant., 1970, 135). Cela
montre que Rome estimait ne rien avoir à craindre des nouvelles républiques.
— Institutionnels : il paraît exclu (cf. Larsen [2061], 73-87, et Aymard [2062],
165-171, contre Feyel [2060]) que Rome ait prévu l’existence d’un synedrion
pan-macédonien où auraient siégé des représentants des quatre merides. Nos
sources par ailleurs ne permettent ni d’affirmer ni de rejeter (Larsen [2061],
87-8) l’existence dans chaque république d’une assemblée primaire (cf. Aymard
[2062], 171-177, plus affirmatif, Musti, Ann. Sc. Pisa, 1967, 184-186); il est en
tout cas certain que l’essentiel du pouvoir était entre les mains des sénats : cela
ressort de T.-L., 45, 32, 2, et Pol., 31, 2, 12 parle d’une Syjp.oxpoc'n.xv] xaî auve-
SptaxT) 7roXtTeîa. Tite-Live ne nous dit rien du recrutement de ces organes, mais
il ne paraît pas arbitraire d’inférer des parallèles de Flamininus en Thessalie et
de Mummius dans le Péloponnèse que Paul Emile exigea une qualification
censitaire. Il révisa également les institutions des cités : ce sont les lois « encore
en usage » au début de l’empire (T.-L., 45, 32, 7; Just., 32, 2, 6) et c’est sans
doute alors que furent institués ou que prirent du moins une nouvelle importance
les politarques qui apparaissent pendant toute l’époque romaine comme les
principaux magistrats des cités macédoniennes (C. Schuler, CP, i960, 90-100).

— Economiques : le tribut exigé par Rome (100 talents selon Plutarque) ne


représentait que la moitié de celui que levait Persée (mais le double des annuités
760 L’ Orient

exigées de Philippe en 196); s’y ajoutaient pour les Macédoniens les impôts que
chaque république devait nécessairement collecter, d’autant que les Romains
s’étaient emparés du trésor royal et qu’elles ne disposaient donc d’aucune réserve.
Il n’y a aucune raison de considérer ce tribut comme l’une des indemnités de
guerre que Rome avait l’habitude d’exiger après ses victoires (Frank [1954], 210;
Badian [356], 18), car nos sources n’indiquent pas que le versement n’en ait été
prévu que pour une durée limitée. Nous ne savons si les anciennes propriétés
royales passèrent au peuple romain dès 167 (Larsen [335], IV, 299) ou seulement
lors de la constitution de la Macédoine en province (Mac Kay [2064], 257;
Perelli [2064 é]). Le fait que la réouverture des mines de métal précieux en 158
(Cassiod., p. 130, Mommsen) ait permis à la fois d’importantes émissions de
tétradrachmes par la Macédoine Première (où se trouvaient les mines du Pangée)
et la reprise d’abondantes émissions de deniers à Rome (Crawford [2100], 44-5)
paraît confirmer l’interprétation que donne Larsen [1986] 299 de T.-L.,45, 29,11,
à savoir que Rome et les républiques macédoniennes se partageaient à égalité le
produit de l’exploitation de ces biens; mais cela ne nous paraît avoir de sens
que si les Macédoniens en gardaient, sous cette condition, la propriété. Le Sénat
n’aurait voulu, en 167, ni confisquer l’ensemble des propriétés royales, ni laisser
les républiques les exploiter à leur guise (cf. Diod., 31, 8, 7; T.-L., 45, 18, 4-5).
Le compromis tenté par Paul Emile pour les mines de fer et de cuivre dut paraître
assez satisfaisant pour qu’on l’étendît ensuite à celles d’or et d’argent. Exploiter
économiquement la Macédoine sans se charger de l’administrer ni de la protéger,
c’est à quoi revenait, pour le plus grand profit des Romains, le statut de 167.

Polybe exalte la générosité de Rome envers les Macédoniens


en des termes qui ne diffèrent guère de ceux du Sénat lui-même
(3*V_ I7> cf- T.-L., 45, 18, 1-2). Il n’est pas sûr que les Macé¬
doniens aient ressenti 1 abolition de la monarchie comme une
libération, qui valût en tout cas le prix que le Sénat la leur
faisait payer. A l’exception peut-être des peuples de Haute Macé¬
doine très attachés à leur autonomie, ils durent gravement
ressentir le démembrement de leur pays, et les interdictions qui
1 accompagnaient (cf. T.-L., 45, 30, 1-2). Non seulement le senti¬
ment national, mais les intérêts économiques étaient atteints :
dans quelle mesure la prospérité que la reprise de l’exploitation
des mines et du commerce balkanique apporta à la Macédoine
Première put-elle profiter aux trois autres mondes ? Rome sans
doute pouvait compter sur la nouvelle classe dirigeante qu’elle
avait mise en place après la déportation à Rome de tous les
collaborateurs de Persée (45, 32, 3-6), mais on aimerait avoir plus
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient 761

de détails sur les luttes intestines dont parle Polybe à plusieurs


reprises (31, 2, 12; 17, 2; 35, 4, 11), et sur la gravité de la crise
sociale dont elles témoignent.

Le monnayage d’argent de Macédoine Première n’a pas encore fait l’objet


d’une étude systématique : cf., en attendant, Mac Kay [2064] et Boehringer
([2104] 113-114). Il est remarquable à la fois par son abondance et sa circulation.
Ces tétradrachmes, rares en Macédoine, ont été retrouvés en grande quantité
dans les trésors de la Roumanie et de la Bulgarie actuelles : ils constituaient donc
essentiellement un produit d’échange dans le commerce avec les Thraces et les
Daces de la région danubienne.
Les frontières de la Macédoine ne semblent pas avoir été menacées de 167
à la révolte d’Andriscos. Il est vrai que les Dardaniens avaient peut-être eux-
mêmes à se défendre contre les Scordisques, et que Rome reçut dans son amitié
dès 167 le roi des Odryses Cotys malgré son alliance avec Persée (Pol., 30, 17;
T.-L., 45, 42); il semble même qu’une contestation territoriale entre Cotys et
la Cité d’Abdère ait été tranchée par le Sénat en faveur du Thrace (Syll,3, 656;
nouveau fragment publié dans ZPE> 197 1, 72-77; cf. L. Robert, Opéra minora, I,
320-326; E. Condurachi, Latomus, 1970, 581-594).
Quant à l’histoire de l’Illyrie après 167, elle reste pratiquement inconnue.
Les sources littéraires sont muettes, et les données numismatiques controversées
(cf. S. Islami, St. Alb., 1972, 2, 102). C’est par elles seulement que nous connais¬
sons un mystérieux roi Ballaios frappant monnaie à Rhizon et Pharos (D. Rendic-
Miocevic, Arc h. Iugoslavica, 1964, 83-92); les malheurs de Pharos attestés par une
inscription publiée par L. Robert (Hellenica, XI-XII, 505-541) pourraient être
une conséquence de l’activité de ce dynaste.

B) La politique romaine en Grèce jusqu’à la révolte achéenne

Le contraste est frappant entre l’attitude généreuse de Rome


envers les cités qui avaient collaboré avec Antiochos et la dureté
des mesures décidées en 167, y compris contre des peuples qui
n’avaient pas trahi. Le Sénat reprit alors à son compte la poli¬
tique menée en 171 par les généraux envoyés contre Persée (des¬
truction d’Haliarte et de Ptéléon, déportation de notables éto-
liens), et que des raisons tactiques avaient fait suspendre en 170.
Les mesures les plus significatives furent la dévastation systéma¬
tique, après l’arrêt des combats, des territoires épirotes passés à
la Macédoine en 170 (Pol., 30, 15; T.-L., 45, 34; Plut., Aem. 29 :
70 oppida détruits, 150 000 habitants réduits en esclavage) et la
déportation à Rome des hommes politiques et notables suspectés
762 L'Orient

d’avoir été favorables à la Macédoine (Pol., 30, 13; Paus., 7, 10 :


plus de 1 000 dans la seule Confédération achéenne).

Les précisions de Polybe sur le traitement de l’Epire ont été confirmées par
l’archéologie (Cabanes [1988], 303-305), et encore à l’époque de Strabon
(7) 7) 3) Ie pays était presque un désert. Même des Etats restés fidèles virent leur
puissance amoindrie : Rome acheva de constituer son protectorat sur les îles
ioniennes en détachant Leucade de l’Acarnanie (T.-L., 45, 31, 12); dès 167
(Diod., 31, 8, 6) l’Amphilochie fut enlevée à la Confédération étolienne, dont le
démembrement fut achevé par l’indépendance de la Locride, de la Doride et de
l’Oetaia (en 166 : Daux [1982], 326-328), avec l’accord, sinon à l’instigation de
Rome. Notons encore que la Confédération béotienne ne fut probablement pas
reconstituée en 167 (R. Etienne et D. Knoepfler, Hyettos de Béotie et la chrono¬
logie des archontes fédéraux entre 250 et 171 av. J.-C., BCH, suppl. 3, 1976,
342-347).
L’épuration des classes dirigeantes aurait eu pour conséquence, selon
Deininger [1987], que l’opposition à Rome dans les Etats grecs, jusqu’alors
conduite par une partie des notables jouissant de l’appui des masses, devînt
en 167 l’exclusivité de ces dernières : l’attitude vis-à-vis de la puissance romaine
aurait donc pris à cette date une signification sociale nouvelle. Mais peut-on
parler d’une mutation décisive alors que dès 194 Flamininus donnait aux cités
thessaliennes une Constitution à base censitaire, et que la révolte de l’Achaïe
encore ne sera pas seulement celle des masses, mais aussi d’une partie des
notables ? Les textes de Tite-Live et de Polybe qui paraissent signaler des états
d’esprit différents selon les couches sociales doivent sans doute être utilisés avec
plus de précaution que l’a fait Deininger : son analyse repose sur une division
entre Oberschicht et Unterschicht qui ne correspond qu’imparfaitement à celle de
Tite-Live entre principes et plebs (car princeps peut désigner un chef de parti
« populaire» : cf. Musti [68], 1165-1166); et Tite-Live lui-même ne faisait que
traduire et interpréter à sa façon Polybe, chez qui on ne trouve pas de vocable
correspondant à principes, tandis que ot 7toXXol, to 71X7)00? et même ot 07X01
n’ont pas nécessairement une signification sociale aussi évidente que plebs, et
désignent souvent tout simplement la majorité qui se dégage au sein d’une
assemblée (P. S. Derow, Phoenix, 1972, 304-310). La terminologie polybienne est
donc beaucoup moins nette que la traduction qu’en donnent Tite-Live et Dei¬
ninger, d’autant que les mécanismes constitutionnels qui permettraient de
l’éclairer restent mal connus : on dispute toujours pour savoir si les synodoi
achéens étaient des assemblées primaires (en dernier lieu A. Giovannini, MH,
1969, 1-17) ou représentatives (Walbank, MH, 1970, 129-143; Larsen, CP, 1972,
178-185). Il reste en tout cas qu’en Thessalie en 194, en Macédoine en 167, dans
le Péloponnèse en 145, les Romains ont pris soin d’exiger une qualification
censitaire pour l’accès aux magistratures et aux conseils (synedria), et d’accroître
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient
763

leurs pouvoirs aux dépens des assemblées populaires : leur souci était évidemment
de 1 enforcer les facteurs d ordre intérieur et de stabilité, et de mieux contrôler
les Etats grecs en en confiant la direction à une minorité de possédants qui leur
devraient leurs privilèges. Mais cette alliance entre Rome et les possédants ne
s’est consolidée que progressivement. Les Romains n’ont certainement pas conçu
dès l’origine le dessein d’établir des gouvernements censitaires dans toute la Grèce :
c’était un moyen que l’on utilisait lorsque l’intérêt le conseillait, non un but que
l’on poursuivait systématiquement. Et il faut tenir compte aussi de ce que, depuis
la mort de Nabis, il n’y avait plus eu en Grèce de telle menace contre l’ordre
social qu’elle précipitât les notables dans les bras des Romains : ni Antiochos ni
Persée ne nous ont paru adopter la politique démagogique qui aurait pu avoir
cette conséquence. On a l’impression au contraire qu’au moment de la guerre
contre Persée ce sont certains des partisans d’un engagement total aux côtés des
Romains contre la Macédoine qui se livrèrent à la démagogie, et réussirent à
s’appuyer à la fois sur les autorités romaines et sur les classes populaires pour
éliminer les dirigeants en place puis pour exercer un pouvoir de type tyrannique
(cf. Musti [68], 1167-1168, et déjà, non sans excès, Passerini [2066], 328-334).
Telle semble du moins avoir été la politique de Charops le Jeune en Epire, ce
qui expliquerait l’hostilité de Paul Emile à son égard, et le désaveu que finit
par lui infliger le Sénat (Pol., 32, 5-6). Il en allait peut-être de même pour
Lyciscos en Etolie, Mnasippos en Béotie et Ghremas en Acarnanie. La mort
de tous ces hommes vers 159 permit le rétablissement de l’ordre, et des ambassades
du Sénat durent contribuer à la réconciliation des classes dirigeantes (cf. 32, 6
et 14) : c’était de la part de Rome le retour à une politique plus traditionnelle.
Le cas de la Confédération achéenne semble différent : les amis des déportés
y restèrent assez puissants pour envoyer à Rome ambassade sur ambassade
demander leur libération (accordée en 150 seulement), et nos sources ne parlent
pas de troubles sociaux. Callicratès ne semble pas s’être comporté en tyran
démagogue, et le Sénat lui conserva son appui jusqu’à sa mort en 14g.

C) Rome et l'Orient hellénistique

Il n’est pas question bien entendu de retracer l’histoire des


Etats hellénistiques (cf. Will [1974], II, 262-349), mais seulement
d’essayer d’apprécier le poids de la politique romaine en Orient.
Comme l’avait déjà souligné Polybe, la victoire définitive sur la
Macédoine marqua en ce domaine aussi un tournant décisif.
Tout d’abord parce que les deux bénéficiaires en Asie Mineure
des décisions d’Apamée tombèrent en disgrâce et que, si Pergame
réussit dans l’ensemble à surmonter la crise, la puissance rhodienne
s’en trouva définitivement amoindrie; mais aussi parce que la
764 L’Orient

victoire de Pydna permit à Rome d’intervenir dans le conflit qui,


depuis 170, mettait de nouveau aux prises la Syrie et l’Egypte :
sur l’injonction du Sénat, Antiochos IV dut renoncer à exploiter
sa victoire et évacuer Chypre et l’Egypte (Pol., 29, 27). Selon
l’heureuse formule de Will, 272, Rome « ajoutait en quelque sorte
une clause à la paix d’Apamée » en limitant dans cette direction éga¬
lement les ambitions séleucides; et l’Egypte à son tour entrait dans
la sphère d’influence romaine : dès 164 le Sénat fut sollicité d’inter¬
venir dans la querelle opposant les princes lagides (Diod., 31, 18).
Une proposition de guerre contre les Rhodiens, soumise au peuple sans
l’accord préalable du Sénat et violemment combattue par Caton {ORF, 163-168)
n’aboutit pas (T.-L., 45, 21), mais le Sénat leur enjoignit de donner la liberté
aux Lyciens et aux Cariens (y compris aux cités de Stratonicée et de Caunos
qu’ils n’avaient pas reçues de Rome, ce qui montre que le Sénat n’agissait pas
en vertu d’un prétendu droit de propriété conservé sur ces régions en 188 :
cf. Bernhardt [1961], 81-83). En créant d’autre part le port franc de Délos, le
Sénat porta un coup sévère au commerce rhodien. Ainsi atteinte dans sa puis¬
sance territoriale et sa prospérité économique, Rhodes dut implorer la grâce d’un
traité d’alliance qui lui fut concédé en 164 (Pol., 30, 31). Elle retrouva dès lors
la faveur de Rome (31, 4) mais son incapacité en 155-153 à triompher de la
piraterie crétoise (33, 13 et 15-17) montre qu’elle n’était plus la régente des mers.
De même, apres 168, le Sénat prêta-t-il complaisamment l’oreille aux adversaires
de Pergame, déclarant libres en 166 les Galates sur qui Eumène venait de rétablir
son autorité (30, 28). On usa même vis-à-vis de lui en 164 des procédés utilisés
en 185 contre Philippe : deux légats du Sénat s’établirent à Sardes pour recevoir
les plaintes de ceux qui avaient des griefs contre lui (31, 6, cf. 22, 6) j mais cette
fois la manœuvre semble avoir tourné court. Les rapports entre Pergame et
Rome cessèrent de se dégrader et redevinrent bons lorsqu’en 159 Attale II
succéda à son frère.

Significative de la nouvelle situation qui s’est créée est l’impor¬


tance qu’attachent de plus en plus les monarques hellénistiques
à se faire reconnaître par le Sénat le titre de rois (Badian [1214],
106) : ceux notamment qui sentaient leur autorité menacée
semblent avoir vu là une investiture indispensable, bien qu’elle ne
leur donnât aucune garantie de la part de Rome. Mais il ne faudrait
pas croire que le Sénat était devenu maître absolu du jeu poli¬
tique dans l’Orient hellénistique. L’initiative des événements lui
échappait dans une large mesure. Les rois continuaient à mener
leur piopre politique, intriguant les uns contre les autres et se
Rome, les Balkans, la Grèce et V Orient
765
faisant la guerre sans en référer à Rome, et lorsque celui qui avait
le dessous se décidait à faire appel à son arbitrage, le Sénat se
trouvait devant un fait accompli sur lequel il était difficile de
revenir par voie purement diplomatique, et qu’il se contentait
souvent de sanctionner.

La décision d’Attale II (peu après 159) de différer une opération militaire


projetée en commun avec le grand-prêtre de Pessinonte parce qu’il voulait
auparavant en référer au Sénat (OGIS, 315> n° 6) ne saurait être considérée
comme une pratique constante des rois de l’époque. Attale lui-même ne resta
pas toujours fidèle à cette maxime. Rien ne prouve qu’il ait eu l’accord de Rome
quand il rétablit Ariarathe V de Cappadoce, que Démétrios Ier de Syrie avait
chassé de son trône et remplacé par son frère putatif Orophernès : le Sénat avait
fait bon accueil aux envoyés de ce dernier (PoL, 32, 10 et 12); il ne l’avait pas
en tout cas lorsqu’il participa avec le même Ariarathe à une expédition contre
Priène qui suscita une inutile protestation des Romains (RDGE, 6; Pol., 33, 6),
ni surtout, lorsqu’en 150-149, il aida Nicomède de Bithynie à détrôner son père
Prusias malgré une ambassade, peu active il est vrai, du Sénat (36, 14). Il paraît
excessif dans ces conditions de parler de« satellisation de Pergame» : Liebmann-
Frankfort [1993], 103.

Rares sont les cas où le Sénat, comme il l’avait fait d’autres fois
où il ne voulait pas intervenir militairement, manifesta par une
action diplomatique ferme et répétée qu’il entendait faire respecter
sa volonté. On ne peut guère citer que ses démarches pour obtenir
de Ptolémée VI qu’il cède Chypre à son frère Physcon (en 162-152),
et de Prusias qu’il renonce à attaquer le royaume de Pergame
(en 156-154) : Rome alla jusqu’à rompre ses relations d’amitié
avec les souverains récalcitrants. Encore doit-on remarquer que,
si Prusias se soumit, Ptolémée n’en fit rien, et que le Sénat finit
par laisser tomber l’affaire. On a souvent exagéré non seulement
la docilité et la passivité des rois, mais la volonté d’intervention
d’un Sénat qui se serait acharné à affaiblir les royaumes en
encourageant, voire en suscitant toutes les sécessions et les
intrigues dynastiques.

Polybe déjà expliquait ainsi un certain nombre de décisions sénatoriales qu’il


désapprouvait (31, 2, 7 et 10, 6-9; 32, 3, 11-12), mais d’autres fois il pensait que
les sénateurs s’étaient simplement laissés abuser (32, 10; 33, 18, 10-11). L’inter¬
prétation machiavélique a été reprise par beaucoup d’historiens modernes, et
en particulier par W. Otto (Zur Geschichte der Zeit des 6. Ptolemàers, Munich, 1934,
766 V Orient

et, avec H. Bengtson, Qir Geschichte des Niederganges des Ptolemâerreichs, 1938) :
cf. cependant les réserves de Manni [i997]> 247-252, et la critique, trop systé¬
matique peut-être, de Gruen [2071]. Les décisions sénatoriales les plus contes¬
tables concernent la Syrie : à la mort de Séleucos IV, en gardant en otage son
fils Démétrios et en laissant Eumène installer sur le trône Antiochos IV, le Sénat
lut largement responsable de la querelle dynastique qui allait affaiblir le royaume;
lorsque le jeune Antiochos V succéda à son père, il profita de ce qu’il détenait
toujours Démétrios pour ordonner la destruction de la flotte et des éléphants
séleucides (163-162), une mesure qu’on hésite à attribuer à la seule initiative
d un légat (Gruen [2071], 81-83); enfin lorsque Démétrios s’enfuit et détrôna
Antiochos V, il accueillit avec bienveillance les envoyés des Juifs en révolte
conti e le pouvoir central avant d’accepter de reconnaître Démétrios (162-160).
Mais par la suite il semble renoncer à une politique active en Syrie : l’interven¬
tion de Démétrios en Gappadoce ne suscita pas de réaction défavorable;
Alexandre Balas en 153-152 demanda encore l’autorisation de Rome avant
d’aller renverser Démétrios, mais ce sont Attale, Ariathe et Ptolémée VI qui le
soutinrent militairement; de 150 à 145 enfin, Ptolémée VI imposa son autorité
de fait sur la Syrie sans que Rome, bien occupée il est vrai jusqu’en 146, tentât
de l’en empêcher. Pour ce qui est de l’Egypte il faut noter que le conflit entre
Ptolémée VI et son frère Physcon remontait à 170, et que Rome n’en porte pas
la responsabilité. En dépit de sa volonté d’indépendance, Ptolémée VI comptait
au Sénat un certain nombre d’amis influents, hostiles à une trop grande inter¬
vention romaine dans les affaires lagides (Manni [1997], 237-240). L’ambassade
conduite en 140-139 par Scipion Emilien à travers l’Orient manifestera en tout
cas le souci de favoriser la stabilité des Etats et le retour de la paix et de l’ordre
dans I Orient hellénistique, dans l’intérêt de Rome qui n’avait rien à gagner à
une généralisation de l’anarchie (Diod., 33, 28 b, 4; Posidonius, fr. 30, Jacoby;
cf. Plut., Mot., 200 e). Mais si grande impression qu’elle ait faite sur les contem¬
porains, elle ne put ménager qu’une trêve : la guerre dynastique reprit en
’gypte en 132-131 et ne tarda pas à s’étendre à la Syrie, et Rome, qui au même
moment pourtant prenait définitivement pied en Asie Mineure, semble s’être
abstenue de toute intervention.

4) ROME, LA GRÈGE ET l’oRIENT


DE LA CRÉATION DES PROVINCES DE MACÉDOINE ET d’aSIE
AUX GUERRES CONTRE MITHRIDATE

Deux faits _ nouveaux marquent la politique romaine dans


1 Orient hellemque au cours de la seconde moitié du 11e siècle
Le
premier est la réduction en provinces de la Macédoine puis de
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient 767

l’Asie. La création de nouvelles provinces avait été évitée depuis


l’aménagement constitutionnel de 197 : elle impliquait un accrois¬
sement du nombre des préteurs ou un recours systématique à la
prorogation des magistratures ; elle posait le problème du contrôle
du Sénat sur ces magistrats ; elle signifiait enfin le maintien en per¬
manence d’un minimum de troupes alors que le recrutement susci¬
tait des difficultés croissantes. Il fallut bien cependant se résoudre à
envoyer un magistrat dans les Balkans, puis un autre en Asie
Mineure, mais le Sénat s’en arrêta là, se refusant par exemple à
créer un commandement militaire permanent contre les pirates;
quand de nouveaux territoires furent annexés, on se contenta de
les soumettre à l’autorité du gouverneur de Macédoine ou d’Asie.
Le second fait notable est que le Sénat commence à ne plus
contrôler totalement la politique extérieure de Rome. Des lois
comme celle que projetait Ti. Gracchus sur l’utilisation et l’orga¬
nisation de l’héritage attalide (133), celle de C. Gracchus sur les
revenus de la province d’Asie (123), ou celle qui nous est connue
par les inscriptions de Delphes et de Cnide et qui manifestait
solennellement la volonté des populares de prendre en charge la
conduite de la politique romaine en Orient (100), sont autant
d’empiétements sur un domaine qui était jusque-là réservé au
Sénat. Avant les Gracques, ce n’est que par l’intermédiaire d’un
décret du Sénat que les groupes d’intérêts pouvaient réaliser leurs
aspirations (le meilleur exemple étant le sénatus-consulte érigeant
Délos en port franc) ; à partir de la fin du 11e siècle ce monopole est
ébranlé : c’est à C. Gracchus et au vote d’une loi que les publi-
cains durent la ferme des dîmes d’Asie. L’élimination violente
de Ti. Gracchus en 133, de Gaius en 121 et de Saturninus en 100
permit au Sénat de reprendi'e rapidement le contrôle de la poli¬
tique romaine, mais une évolution se dessinait, qui allait s’accentuer
au Ier siècle.

A) Les Balkans : la Macédoine et la Grèce

a) La révolte d’Andriscos et la guerre d’Achaïe. — Les événements


qui conduisirent à la réduction en province de la Macédoine et
d’une partie de la Grèce sont extrêmement mal connus. En Macé¬
doine, les Romains durent affronter un certain Andriscos qui se
768 IJ Orient

disait fils de Persée. La défaite du préteur P. Juventius en 149


fut rapidement réparée l’année suivante par les victoires de
Q,. Metellus, mais l’aventure d’Andriscos avait révélé les fai¬
blesses de l’organisation de 167. Il était inquiétant que le préten¬
dant eût facilement trouvé des appuis en Thrace (Diod., 32, 15;
Zon., 9, 28) et non moins facilement triomphé à deux reprises des
armées républicaines (Pol., 36, 10); inquiétant aussi qu’il eût
bénéficié d’un assez large soutien populaire (cf. Pol., 36, 17, 14)
pour qu’aussitôt après sa défaite un autre tentât la même aventure
(Zon., loc. cit.). Même si les bénéficiaires du statut de 167 étaient
dans l’ensemble restés fidèles (d’où la répression à laquelle se
livra Andriscos : Pol., 36, 17, 13), il paraît difficile de croire que
Rome ait pu songer à le reconduire purement et simplement.

Nous ne savons quand exactement la décision fut prise de réduire la Macédoine


en province. La date choisie comme début de l’ère provinciale (automne 148)
est seulement celle de la défaite d Andriscos. hforgan [2073! a essayé de préciser
la chronologie de l’activité de Metellus en 148-146, et de montrer que l’orga¬
nisation définitive de la Macédoine fut confiée, en même temps que celle de la
Grèce vaincue, à Mummius et aux dix légats qui l’assistaient. Son étude est
précieuse, mais se fonde uniquement sur les textes et ignore les données numis-
matiques. Or les travaux de Gaebler pour cette période (£eitschr.f Num., 1902,
141-167) sont totalement dépassés. Les tetradrachmes qu’il attribuait à Andriscos
ont en réalité été émis par Philippe V; ceux qui portent la double légende
MAKEAONfiN et LEG ont été republiés par Mac Kay [2072] qui, avec de
bonnes raisons, refuse de les attribuer à un éventuel legatus pro quaestore de
Juventius, et pense qu’il attestent la présence en Macédoine de légats du Sénat.
Il parait cependant difficile de le suivre dans toutes ses conclusions (présence
de légats pour réorganiser la Macédoine dès l’été de 148, avant que Metellus
en eût fini avec Andriscos; nouvelle proclamation au printemps de 147 de la
liberté des Macédoniens, suivie en 146-145 de la réduction en province pour
favoriser la surveillance de la Grèce). Ces monnaies ne pourraient-elles être
plutôt mises en rapport avec les légats qui combattirent Andriscos en 150-149,
avant Juventius (Liv., per. et per. Oxyrh. 50; Zon., 9, 28) ? Il faut espérer que
de nouvelles découvertes épigraphiques ou numismatiques feront avancer la
solution de ce problème.

En ce qui concerne la guerre d’Achaïe, on a souligné tantôt


les responsabilités des dirigeants achéens (déjà Pol., 38, 1-3- en
ce sens Lehmann [1965], 325-329; Larsen [1986], 489-490), tantôt
celles du Sénat (Morgan [2073], 435-440; Fuks [2074], 86-87),
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient 769

tandis que la récente étude de Gruen [2075] tend à disculper


celui-ci comme ceux-là, et à présenter la guerre comme le résultat
malheureux d’une série de faux calculs de part et d’autre. Nous
préférerions parler de responsabilités partagées.

Les fragments de Polybe (38, 9-18), d’ailleurs de ton très polémique, ne


commencent qu avec le retour à Rome de l’ambassade de L. Aurelius Orestes,
et pour ce qui précède nous dépendons essentiellement d’un récit de Pausanias
(7, 11-14) de médiocre valeur (c’est du moins1 ce que suggère, pour les points
où elle est pertinente, la comparaison avec Syll.s, 675). Encore une fois, c’est un
conflit entre Sparte et les autorités fédérales qui suscita l’intervention romaine.
Une ambassade promise depuis près de deux ans arriva dans l’été de 147,
conduite par L. Orestes, et annonça brusquement que le Sénat ne trouvait pas
bon que fussent rattachées à la confédération des cités non achéennes; selon
Pausanias, outre Sparte furent nommément désignées Corinthe, Argos, Orcho-
mène et Héraclée Trachinia. Les Achéens réagirent violemment. Une nouvelle
ambassade dirigée par Sex. Julius Caesar fut pourtant aussitôt envoyée par le
Sénat, et adopta un ton curieusement plus conciliant, se heurtant néanmoins
à la mauvaise volonté des dirigeants achéens (Poh, 38, 10). Preuve, selon Polybe,
que les Romains n’avaient jamais voulu démembrer la Confédération, mais
seulement la rendre moins arrogante; d’autres cependant les suspectaient d’avoir
surtout voulu gagner du temps jusqu’à la chute de Carthage (38, 9). Les histo¬
riens modernes continuent à se partager entre ces deux explications. Il est
vrai, comme le souligne Gruen, qu’entre 167 et 150 le Sénat avait respecté
l’intégrité de la Ligue, mais c’est que Callicratès avait réussi dans l’ensemble à
imposer sa politique de soumission à Rome (cf. 33, 16). A partir de 149, les
Achéens s’étaient permis de désobéir aux ordres du Sénat, et la réponse fut le
sénatus-consulte confié à Orestes : un appel à la sécession des cités non achéennes,
auquel Héraclée ne tarda pas à répondre. Même si le Sénat n’avait pas initia¬
lement l’intention de faire appliquer sa décision par la force, son décret consti¬
tuait à lui seul une grave menace pour la Confédération. Rien d’autre part
dans les propos de Sex. Caesar ne permet d’affirmer que Rome ait renoncé à
ses exigences : le règlement de l’affaire sur le fond était renvoyé à une future
commission (38, 11, 2) et le Sénat pouvait espérer que d’ici là les Achéens
auraient réfléchi, et désigné des dirigeants plus circonspects (cf. 38, 9, 4-5) ;
peut-être ferait-on l’économie d’une guerre en laissant les esprits se calmer. On
accordera donc volontiers à Polybe, et à Gruen, que le Sénat ne cherchait pas la
guerre, mais on doutera qu’il ne se soit pas sérieusement proposé de démembrer
la Ligue achéenne, comme il avait démembré la Ligue étolienne après 167 :
un précédent dont il faut tenir compte.
Mais ce que les Etoliens avaient accepté au lendemain de la victoire romaine
sur Persée parut aux Achéens inadmissible. Il est difficile de préciser dans quelle
770 V Orient

mesure les dirigeants au moins eurent conscience d’entraîner leur pays dans une
guerre contre Rome. On a peine à croire qu’ils n’aient pas pesé ce risque dans
l’hiver 147-146 (même s’ils ne s’attendaient pas à une réaction immédiate,
l’attaque de Metellus ayant manifestement pris Critolaos au dépourvu : Gruen
[2075], 63-66). Il est en tout cas remarquable que la victoire de Metellus, la
mort du stratège et d’un grand nombre d’hommes n’aient pas suffi à briser la
résolution des Achéens. Les artisans de la résistance trouvèrent sans aucun doute
parmi les masses populaires leurs partisans les plus convaincus (cf. notamment
38, 12, 5), et c’est ce que confirme la politique antidémocratique adoptée par
les Romains en 145; mais en dépit du moratoire des dettes institué dès l’hiver
de 147-146, malgré les mesures d’urgence prises en 146, qui, sans déclencher la
révolution sociale, étaient du moins susceptibles d’effrayer les possédants (contri¬
butions exceptionnelles imposées aux plus riches et aux corporations, affran¬
chissement et enrôlement de 12 000 esclaves; 38, 15, 3-6; IG, IV, 757), il semble
bien que même à l’intérieur de la classe politique et de la « bourgeoisie » en
général l’opposition active à la politique de Diaios et Critolaos ait été rare,
et que la grande majorité des Achéens ait soutenu la lutte nationale contre
Rome (Fuks [2074]). Il faut tenir compte du mécontentement et de la frustration
accumulés pendant dix-sept ans, et qui s’étaient manifestés dès la mort de Calli-
cratès en 149 par la destruction de ses statues et la restauration de celles de
Lycortas (36, 13). Les exigences romaines heurtèrent de plein front les Achéens
au moment où ils croyaient revenue la période de la résistance légaliste. Il est
bien possible que Diaios et Critolaos aient voulu agir en héritiers politiques de
Philopoemen et de Lycortas, mais leur aveuglement dans ce cas était d’autant
plus grave que l’attitude de Rome envers Carthage, largement commentée
en Grèce (36, 9), ne permettait pas d’entretenir d’illusions sur la possibilité de
rétablir une telle politique.
Les Achéens entraînèrent pourtant d’autres peuples grecs dans leur révolte,
en moins grand nombre d’ailleurs qu’on le pense généralement : Thèbes et,
peut-être, d’autres cités béotiennes, ainsi que Chalcis d’Eubée, mais la partici¬
pation à la guerre des Phocidiens et des Locriens reste incertaine (Pol., 38, 3, 8;
Cic., Verr., 2, 1, 55; Paus., loc. cit.; cf. Gruen [2075], 68). Corinthe fut prise par
L. Mummius et mise à sac, ses habitants tués ou réduits en esclavage, puis, sous
prétexte que des ambassadeurs romains y avaient été maltraités, le Sénat ordonna
la destruction de la ville et la confiscation de son territoire. Encore une fois, il
choisissait de frapper de terreur par un châtiment exemplaire.

b) L'organisation des Balkans au deuxième siècle. — Des précisions


en assez grand nombre ne nous sont guère fournies à ce sujet que
par Vin Pisonem de Cicéron, mais il est impossible de les utiliser
systématiquement pour illustrer la situation du 11e siècle, d’autant
que Pison partit en Macédoine investi de pouvoirs spéciaux; à
Rome, les Balkans, la Grèce et /' Orient 771

plus forte raison doit-on se servir avec prudence des indications de


Strabon et de Pline 1 Ancien, valables pour la période augus-
téenne. Jusqu’en 27, un seul magistrat fut régulièrement envoyé
dans les Balkans, et sa prouincia désignée sous le nom de Macedonia.
Bien entendu, elle consistait avant tout dans le gouvernement de la
Macédoine, c’est-à-dire du territoire des quatre républiques de 167.

Il n’y a aucune raison de penser que les frontières de la Macédoine aient été
modifiées en 148-146. Une inscription de l’époque flavienne (AE, 1900, n° 130;
Larsen [2061], 88-90) montre que les merides, et peut-être leurs synedria, avaient
survécu à la réduction en province, perdant bien sûr toute souveraineté, mais
pouvant continuer à s’occuper de la collection du tribut. L’un des premiers
soins de Rome semble avoir été la construction de la via Egnatia, qui partait des
ports d’Apollonia et de Dyrrachium sur l’Adriatique, passait par Pella, rejoi¬
gnait la mer Egée à Thessalonique, capitale de la province, desservait Amphipolis
et s’arrêtait à Gypsela sur l’Hèbre qui constituait la frontière orientale de la
Macédoine. Un texte de Strabon invoquant le témoignage de Polybe (7, 7,
4 = 34> I2) permettait d’en dater la construction d’avant ca 120. La découverte
d’un des milliaires primitifs (G. Romiopoulou, BCH, 1974, 813-816) a confirmé
cette indication, et prouvé que la voie tirait son nom du proconsul qui la fit
construire, Cn. Egnatius. G’est avant tout dans le but de favoriser l’achemine¬
ment et le mouvement des troupes qu’il fut procédé à l’aménagement et au
jalonnement de cette voie. Sur son tracé, cf. N. G. L. Hammond, History of
Macedonia, I, Oxford, 1972, 19-58 (à compléter par JRS, 1974, 185-194) et
P. Collart, BCH, 1976, 177-200. Strabon (Polybe) précise qu’elle franchissait la
frontière entre l’Illyrie et la Macédoine entre Lychnidos et Héraclée. On
prétend souvent que dès 148-146 le gouverneur de Macédoine eut autorité sur
l’Illyrie méridionale, mais on n’en a aucune preuve pour le 11e siècle (les textes
invoqués sont de Cicéron, Strabon, Pline et Ptolémée). L’Illyrie septentrionale
en tout cas ne relevait pas de sa prouincia (les guerres contre les Dalmates étant
toujours confiées à d’autres magistrats).

Depuis 145, d’autre part, la partie de la Grèce qui avait


combattu contre Rome était également soumise à l’autorité du
gouverneur de Macédoine. Elle jouissait à vrai dire d’un statut
provincial privilégié : l’absence de garnisons, l’éloignement du
magistrat dont elle dépendait la mettaient à l’abri des réquisitions
et, dans une large mesure, des exactions que devait supporter la
Macédoine; mais elle n’en avait pas moins perdu sa souveraineté,
et en cas de troubles le gouverneur de Macédoine pouvait inter¬
venir et prononcer des condamnations capitales. Le reste de la
772 U Orient

Grèce ne fut pas affecté en principe par la nouvelle organisation,


mais la présence en Macédoine d’un magistrat assisté d’une légion
ne pouvait être sans conséquences. C’est lui désormais que le
Sénat chargerait de faire appliquer ses décisions et ses arbitrages,
voire de trancher à sa place, et cette nouvelle procédure, moins
lourde et plus efficace que l’envoi d’ambassades depuis Rome, ten¬
dait à en faire un véritable gouverneur de l’ensemble des Balkans.

Notre connaissance du statut imposé par Mummius et les dix commissaires


repose sur une notice de Pausanias (7, 16, 7-10) qui confond manifestement des
mesures prises en 145 et en 27 et doit donc être utilisée avec prudence, et sur
quelques inscriptions. L’étude d’Accame [827] reste fondamentale, même si elle
pèche parfois par excès de subtilité. Une lettre de magistrat romain (RDGE, 44,
sans doute de 112-m; cf. cependant Sherk, ad loc.) mentionnant « la province
romaine de Macédoine et la partie de la Grèce à laquelle commandent les
Romains » ([MocxcSovlat] TÎjt 'Pcnpatcov èrcapyelai xal vjç ènipxoua[tv
'ÉXXâSoç) indique qu’une partie de la Grèce, sans être annexée à la Macédoine,
avait été réduite au statut provincial. C’est à tort que Schwertfeger ([2077],
70-76) a voulu assimiler le statut de la Grèce vaincue à celui de la Macédoine
en 167. Il est vrai que Q,. Fabius, annonçant à la ville achéenne de Dymè qu’il
a fait exécuter les deux responsables du mouvement révolutionnaire qui avait
agité la cité (RDGE, 43, sans doute de 115), parle de « la liberté accordée en
commun à tous les Grecs », mais, ainsi que l’a montré Bernhardt [2078], il
suffisait pour parler d’éleuthéria que les cités achéennes eussent conservé l’auto¬
nomie, le droit de s’administrer selon leurs lois; en revanche le fait que Fabius,
sans aucun doute gouverneur de Macédoine, ait siégé à Patras avec son consilium
pour instruire le procès des révolutionnaires, et prononcé des condamnations à
mort, confirme que l’Achaïe faisait partie de sa prouincia. Signalons cependant
que, même dans le Péloponnèse, outre Sparte et les villes laconiennes, Elis et
Messène, qui n’avaient pas participé à la guerre, et, pour des raisons religieuses,
Epidaure et Sicyone restèrent indépendantes.
Il est extrêmement probable, bien que nous n’en ayons pas de preuve pour
la période antérieure à la guerre de Mithridate (Hill [2076]), que la Grèce
provincialisée fut assujettie au tribut comme l’indique Pausanias. Les Romains
modifièrent d’autre part les Constitutions des cités vaincues, en introduisant
une qualification censitaire pour l’accès aux charges publiques. Pausanias est
confirmé sur ce point par les données de l’épigraphie qui attestent le renforce¬
ment des pouvoirs des magistrats et des sénats aux dépens des assemblées popu¬
laires (Accame [827], 141-146), et par Polybe (39, 5) qui nous explique comment
il fut chargé par les légats d’aider à la mise en route des nouvelles institutions.
Il ne fait pas de doute que politeia dans ce texte désigne les institutions des diffé-
Rome, les Balkans, la Grèce et /’ Orient
773

rentes cités, et non celles d’un koinon achéen, et il en Va très probablement de


même dans l’inscription RDGE, 43 (Walbank, CR, 1976, 238). La thèse de
Schwertfeger (19-26), selon laquelle les Romains auraient réorganisé les terri¬
toires vaincus en koina chargés en particulier de la collection du tribut, perd ainsi
son principal fondement et on peut admettre que les structures fédérales furent
abolies en 145 puis rétablies quelque temps après comme le signale Pausanias
(qui commet cependant l’erreur de croire que toute la Grèce fut affectée par
cette mesure). Le nouveau koinon achéen ne comprenait que l’Achaïe proprement
dite (et peut-être quelques villes du nord de l’Arcadie, si on date de 122 l’inscrip¬
tion d’Olympie, Moretti, n° 60 : en faveur de cette date, Larsen [1986], 500-501
et Schwertfeger [2077], 29-37; en faveur de 192, Moretti). Deux documents
delphiques illustrent l’intervention du gouverneur de Macédoine dans les
affaires de la Grèce libre : en 125 le Sénat le chargea de convoquer le conseil des
Amphictyons pour régler une affaire d’appropriation de biens sacrés par des
notables delphiens (RDGE, 42), et en 118 c’est auprès de lui que les technites
dionysiaques d’Athènes portèrent plainte contre leurs collègues de l’Isthme
(RDGE, 15).

c) La guerre contre les Scordisques et les débuts de la conquête de la Thrace. — Le


peuple celte des Scordisques, fixé dès le 111e siècle au confluent de la Save et
du Danube, étendit sa domination vers le sud au cours du siècle suivant (Alfôldy
[2079]), et c’est peu après sa réduction en province que la Macédoine commença
d’être victime de leurs raids et de ceux des tribus thraces qu’ils entraînaient
avec eux (Maides et Besses). Les premières incursions sont signalées en 143-141
(T.-L., per. Oxyrh., 54; cf. Morgan [2081]), mais la menace semble avoir été
provisoirement écartée par la victoire de M. Cosconius en 135 (per., 56). Les
choses sont plus graves en 119, quand le préteur Sex, Pompeius est tué en les
combattant (Syll.3, 700), et de 114 à 106 le Sénat dut envoyer des gouverneurs
de rang consulaire à la tête de deux légions. Le désastre essuyé par M. Cato
en 114 fut réparé par ses successeurs. Les victoires de M. Minucius Rufus
(110-106) furent décisives et signèrent le déclin de la puissance scordisque
(Syll.3, 710). La sécurité de la province ainsi assurée, les Romains ne tardèrent
pas à étendre leur domination à l’est de l’Hèbre. Les succès remportés en 101
par T. Didius sur les Caeni permirent l’annexion de nouveaux territoires, dont
la localisation reste incertaine. La loi qui en décida (F. Delphes, III, 4, 37;
J RS, 1974, 201-207) précise que la « Chersonèse caénique » constituera une
« province » distincte de la Macédoine, bien que confiée au même magistrat,
qui devra y séjourner deux mois par an. Ce statut n’est pas sans évoquer celui
de la Grèce vaincue, et on voit ainsi se constituer autour de la Macédoine
proprement dite et sous l’autorité d’un seul magistrat, un vaste ensemble terri¬
torial. L’expansion romaine en Thrace ne se poursuivit cependant pas plus
avant, ne reprenant qu’après la guerre contre Mithridate.
774 L Orient

B) L’Asie Mineure

a) Le testament d’Attale III et les réactions romaines. — Au prin¬


temps de 133, le roi de Pergame Attale III mourut sans enfant,
laissant un testament par lequel il faisait du peuple romain
l’héritier de ses biens. Nous ne connaissons malheureusement avec
certitude ni le contenu du testament, ni les raisons qui poussèrent
le roi à le rédiger, ni la façon dont le Sénat entendait primiti¬
vement organiser l’ancien royaume.

Le décret de Pergame OGIS, 338 a confirmé l’existence d’un testament


d’Attale III, que devaient ratifier les Romains, et qui garantissait la liberté et
agrandissait le territoire de la cité. Nous ignorons si d’autres cités bénéficiaient
d’une semblable générosité. Florus (1, 35, 2) semble citer le début du testament :
« Que le peuple romain soit l’héritier de mes biens. Voici la liste des biens
royaux... » Faut-il en déduire que l’héritage se limitait au trésor royal et à la
chôra basilikê (Rubinsohn [2089], 553-555) ? Le fait que Ti. Gracchus ait projeté
de fixer par une loi le sort « des villes qui avaient appartenu au roi Attale »
(Plut., Gracch., 14) suggère plutôt d’interpréter bona regia dans un sens très large,
recouvrant l’essentiel du royaume. Sur les raisons qui ont pu amener Attale à
ce geste, on ne peut formuler que des hypothèses. Nous n’avons guère de preuve
d une aggravation des tensions sociales qui lui ait suggéré de s’en remettre aux
Romains pour garantir un ordre menacé (Rostovtzeff [330], 807; Dumont;
Vavri'nek) : les troubles qui agitaient la Sicile depuis 139 ne semblent pas avoir
eu de répercussion en Asie avant la mort d’Attale (Diod., 34, 2, 19 et 26), et de
ce que les plus pauvres et les esclaves répondirent avec empressement à l’appel
d Aristonicos, on ne saurait induire qu’avant même 133 les classes dirigeantes
aient su déceler la menace d’une situation révolutionnaire. Il ne faut pas oublier
le piécédent de Ptolémée Physcon roi de Cyrène qui, en 155, légua solennelle¬
ment son royaume aux Romains au cas où il mourrait sans enfant (SEG, IX, 7) :
venant d’être victime d’un attentat qu’il attribuait à son frère, il cherchait à
prévenir une nouvelle tentative désormais inutile et à obtenir des Romains qu’ils
1 aident à conquérir Chypre. Attale, qu’un conflit sanglant opposa à une partie
des dignitaires dont s’était entouré son prédécesseur (Diod., 34, 3; Justin, 36, 4),
put vouloir lui aussi protéger sa personne par un testament public en faveur
des Romains.
Ce testament fut apporté à Rome en plein conflit entre le Sénat et Ti. Grac¬
chus, qui voulut consacrer le trésor royal au financement de sa réforme agraire.
Eut-il le temps de faire voter une loi en ce sens ? Il est difficile de trancher entre
Plut., Gracch., 14 et T.-L., per. 58. A la mort du tribun en tout cas le Sénat se
Rome, les Balkans, la Grèce et VOrient 775

saisit du problème, et envoya cinq légats en Asie. Selon Badian ([356], 22),
il n’aurait pas alors songé à annexer l’ancien royaume, mais seulement à pro¬
clamer la liberté des cités et mettre sur pied l’exploitation des propriétés royales
au profit de Rome. C’est seulement après la révolte d’Aristonicos qu’on aurait
décidé de réduire l’Asie en province. C’était chose faite en tout cas lorsque fut
rédigé le sénatus-consulte ratifiant les actes d’Attale (RDGE, 11) : il y est fait
mention de ot ziç, ’Aalav 7rop£u6pevot aTpaTrjyoi, qui ne peuvent être les cinq
légats (Vogt [2085]), mais seulement les futurs gouverneurs de la province
(Schleussner [2091]). L’hypothèse de Badian implique donc de dater ce sénatus-
consulte de 129 (en ce sens Magie [838], 1033-1034), et non de 133 comme on le
fait généralement.

b) La guerre contre Aristonicos. — Avant même l’arrivée en Asie


des cinq légats, Aristonicos, frère bâtard d’Attale, s’était proclamé
roi et essayait d’imposer son autorité sur les cités récalcitrantes.
La guerre d’Asie, marquée par la défaite et la mort du consul
P. Licinius Crassus (131), puis par la capture d’Aristonicos par
M. Perperna (130), ne prit fin qu’en 129, avec la pacification des
régions intérieures par M’. Aquillius.

Les sources littéraires (Strab., 14, 1, 38; Justin, 36, 4; Florus, 1, 35; Orose,
5, 10; Eutrope, 4, 20) sont très insuffisantes, mais heureusement complétées
par des documents épigraphiques et monétaires. Ainsi que l’a montré Robinson
[2084], c’est à Aristonicos que doivent être attribués des cistophores frappés au
nom d’Eumène à Thyateira (dans la deuxième année de son règne = 132-131),
Apollonis (3e et 4e années) et Stratonicée du Calque (4e année), où le prétendant
fut fait prisonnier (Orose et Eutr.). Si le signal de la révolte fut donné depuis le
port de Leucae (Strab.), dès 132 le cœur du royaume d’Aristonicos-Eumène III
était donc la plaine du haut Caïque, c’est-à-dire, comme l’a souligné L. Robert
[2086], « le domaine par excellence de la colonisation militaire, des établisse¬
ments des Macédoniens », qui fournirent à Aristonicos des soldats de valeur.
Quoi qu’insinuent Florus et Appien (Mithr., 62), il ne semble pas en revanche
qu’il ait jamais obtenu l’appui des plus importantes cités grecques : Phocée,
toute proche d’ailleurs de Leucae, est la seule dont nous sachions qu’elle se rallia
à lui, d’autres étant prises de force. Mais Pergame resta fidèle à Rome ÇSyll.3,
694) : sans doute Aristonicos y eut-il au début quelques partisans (OGIS, 338,
prévoit l’atimie et la confiscation des biens contre ceux qui auraient quitté ou
quitteraient la ville), mais l’hypothèse d’un mouvement en sa faveur qu’aurait
réprimé Mithridate V doit être abandonnée (IGR, IV, 292, faisant en réalité
allusion à l’occupation de la cité par Mithridate VI : C. P. Jones, Chiron, 1974,
190-205). Ephèse fut hostile au prétendant dont elle battit la flotte (Strab.),
776 V Orient

ainsi que Smyrne (Aelius Aristide, 19, 11), et bien d’autres cités (Tac., Ann.,
4) 55)- L’espoir de connaître une plus grande autonomie sous la tutelle romaine
pouvait les y pousser; la prudence aussi. Plus difficile est de préciser si elles
s’opposèrent à Aristonicos parce qu’il leur parut dès le début menacer l’ordre
social, ou si c’est la résistance des cités qui le contraignit à chercher des partisans
parmi les divers groupes de mécontents. Il recruta très tôt parmi les colons
militaires : considérés avec suspicion par les cités, aspirant aux pleins droits
politiques, ils constituaient un facteur de dynamique sociale que le prétendant
sut exploiter (Musti [1992], 178-184), d’autant que la disparition de la monar¬
chie attalide ne pouvait que les inquiéter pour leur avenir. Dès 133 on voit les
Pergaméniens réagir en donnant le droit de cité à l’ensemble des groupes
militaires établis dans la cité ou sur sa chôra, mais ils ne manifestent pas alors
une égale inquiétude vis-à-vis des esclaves, dont un petit nombre seulement
voient leur statut amélioré (OGIS, 338, cf. Launey, Recherches sur les armées
hellénistiques, 11, 664-669 et Dumont [2087]). C’est peut-être dans un second temps
seulement (Strab.) qu Aristonicos rassembla « une foule de miséreux et d’esclaves
auxquels il donna le nom d’héliopolites» (= citoyens de la cité du soleil). Dans
un chapitre consacre à la révolté servile de Sicile, Diodore (34) 2, 26) parle aussi
en passant d esclaves qui le rejoignirent. Mais c’est solliciter abusivement ces
deux textes que de ranger la tentative d’Aristonicos au nombre des grandes
révoltes serviles, comme on l’a trop souvent fait depuis Bûcher (Aufstânde der
Unfreien Arbeiter 143-129 v. Chr., 1874, et encore J. Vogt, Struktur der antiken
Sklavenkriege, 1957). La structure économique et sociale de l’Asie attalide n’était
d’ailleurs pas la même que celle de la Sicile romaine, et il faut tenir compte,
à côté des esclaves, des masses indigènes des régions montagneuses de Mysie,
Lydie et Phrygie, de ces laoi dont le degré de dépendance reste d’ailleurs disputé
(cf. Carrata Thomes [2088], 18-23; Rubinsohn [2089], 563-567; H. Kreissig,
Eirene, 1977, 5-26). Ce sont ces gens qui en 129 continuèrent le combat en Mysie
Abbaïte (M. Holleaux, Etudes, II, 180-181) ou en Méonie {Bull., 1963, n° 220),
et 1 Hélios d Aristonicos, qui n’est pas de toute façon un dieu des esclaves (cf. la
mise au point de F. Borner, Untersuchungen über die Religion der Sklaven in Griechen-
land und Rom, Mayence, 1961, 396-415), est sans doute une divinité indigène
des campagnes anatoliennes (L. Robert [2086]). On a peine à croire que le
prétendant au trône qu’était Aristonicos ait été guidé par une sincère idéologie
révolutionnaire (en ce sens encore Vavrinek [2090]), que l’hétérogénéité de ses
partisans lui aurait de toute façon interdit de préciser; et ce n’est pas la présence
à ses côtés du stoïcien Blossius de Cumes, ancien conseiller de Tiberius Gracchus,
qui peut suffire à nous en persuader. Il est vrai que sa recherche de partisans
contre Rome le conduisit à exploiter les conflits sociaux latents, mais plus
encore qu’une révolte des esclaves contre leurs maîtres, c’est celle des paysans
indigènes contre les cités qui éclata à cette occasion. Cela, ainsi que l’espoir de
recueillir des miettes du gâteau pergaménien, explique que les rois du Pont, de
Rome, les Balkans, la Grèce et /’ Orient 777

Bithynie et de Cappadoce soient intervenus avant même l’arrivée d’une armée


romaine, et que de nombreuses cités hors de l’ancien royaume aient combattu
aux côtés des Romains.

c) U organisation de la province d’Asie. — La réduction de l’Asie


en province, qu’elle ait ou non été décidée en 133, était inévitable
après la révolte d’Aristonicos. Ce fut l’œuvre de M’. Aquillius
assisté de dix légats du Sénat en 128-126, et Strabon (14, 1, 38)
atteste que cette organisation survivait encore à l’époque d’Au¬
guste. Dès 123 cependant le système fiscal fut renouvelé par une
loi de C. Gracchus; en matière judiciaire il y eut les réformes
de ÇK Mucius Scaevola (97), dont l’édit fut proposé en modèle à
ses successeurs par le Sénat; enfin l’occupation de la province
par Mithridate et sa reconquête par Sylla laissèrent des traces
profondes dans tous les domaines. Dans ces conditions, et de même
que pour les Balkans, il n’est pas possible d’utiliser systématique¬
ment pour le dernier quart du 11e siècle les indications précieuses
que contient l’œuvre de Cicéron.

Problèmes territoriaux : l’ancien royaume fut partiellement démembré en faveur


des rois qui avaient participé à la lutte contre Aristonicos. Mithridate V du
Pont reçut la majeure partie de la Grande Phrygie, et les fils d’Ariarathe V de
Cappadoce la Lycaonie. Sauf oubli de Justin (37, 1, 2), dont le résumé est d’ail¬
leurs très fautif, Nicomède de Bithynie n’eut rien. La nouvelle province fut donc
essentiellement constituée de la Mysie et de la Lydie, les régions les plus riches
et les plus faciles à administrer. Mais on admet communément, sans en avoir
vraiment la preuve il est vrai, que Rome leur adjoignit la Carie non attalide :
en raison peut-être du malaise qu’avait dû créer le renforcement de l’autorité
des cités sur les communautés indigènes après 166 (C. Habicht, Ath. Mitt.,
1957, 242-252), elle avait été impliquée dans la révolte d’Aristonicos, dans une
mesure qu’il est difficile de préciser (cf. M. Holleaux, Etudes d’épigraphie et d’his¬
toire grecques, II, 179-198, et les réserves de Magie [838], 1039). En revanche, les
cités qui en 188 n’avaient pas été rendues tributaires d’Eumène restèrent libres,
sauf Phocée. Certaines cités de l’ancien royaume purent le devenir, en récom¬
pense de leur résistance à Aristonicos, comme Pergame, Ephèse et sans doute
Sardes, mais nous ignorons si elles reçurent en même temps l’immunité fiscale,
et les cités libres elles-mêmes étaient destinées à passer sous la tutelle du gou¬
verneur d’Asie.
La générosité d’Aquillius et des commissaires envers les rois semble avoir
suscité la colère non seulement de G. Gracchus mais de membres importants du
Sénat, qui profita en tout cas de la mort de Mithridate V (120) pour enlever
778 L'Orient

la Phrygie au royaume du Pont (Justin, 38, 5, 3; App., Mithr., 57). Dans un


discours prêté à Sylla, Appien prétend que la Phrygie fut proclamée libre,
alors qu’elle est qualifiée de province par T.-L., per. 77. L’indication d’Appien,
généralement rejetée sauf par Badian ([2245], 507), peut sembler confortée par
le fait que le sénatus-consulte qui ratifie les actes de Mithridate (RDGE, 13, à
dater de 119 : T. Drew-Bear, Historia, 1972, 79-87) signale l’envoi de presbeutai
(légats) et non de stratêgoi comme RDGE, 11. Mais la loi de 100 retrouvée à
Cnide (III, 22-27 : JRS, 1974, 202) nous a appris que la Lycaonie constituait
alors une prouincia placée sous l’autorité du gouverneur d’Asie, Rome Payant
sans doute reprise à la mort d’Ariarathe VI (ca 111). La loi ne précise pas qu’il
en allait de même pour la Phrygie; mais il paraît improbable qu’elle soit restée
autonome alors qu’elle sépare la Lycaonie de l’Asie. Ainsi à la fin du 11e siècle la
totalité de l’ancien royaume de Pergame était-elle sous l’autorité directe de Rome.

d) L administration de la province. — La capitale de la province fut fixée à


Ephèse, et l’un des premiers soins d’Aquillius fut la construction d’un certain
nombre de routes la reliant aux autres grandes villes (Magie [838], 157-158;
nouveau milliaire signalé par D. French dans Anat. St., 1976, n, en attendant
sa publication de CIL, XVII, 5). Comme en Macédoine, l’objectif de ce pro¬
gramme devait être avant tout militaire et administratif. On ne sait si la division
de l’Asie en diocèses, regroupés chacun autour d’une ville où une fois l’an le
gouverneur tenait ses assises, remonte à Aquillius (Mommsen, Ges. Sckr., IV, 68;
en dernier lieu C. Habicht, JRS, 1975> 68) : elle nous est attestée pour la première
fois en 5I_5° (RDGE, 52), et Badian ([2280], 116) y verrait plutôt une réforme
de Mucius Scaevola.
L’exploitation de la province : le peuple romain ayant hérité des biens royaux, le
trésor d Attale fut envoyé à Rome dès 130 (Just., 36, 4, 9), et ses propriétés
foncières durent devenir ager publiais, selon la pratique constante des Romains.
Il est vrai que dans le projet de loi agraire de Rullus en 63, qui prévoyait la
vente de Y ager publions dans les provinces, il n’est question d ’Attalici agri qu’en
Chersonèse de Thrace (Cic., Leg. agr., 2, 47), mais l’existence de propriétés
royales en Mysie, Lydie et Carie attalide est bien attestée (cf. OGIS, 338; I. Priene,
ni, sans aller jusqu’à prétendre avec Rostovtzeff que toute la chôra du royaume
fut la propriété du souverain), et on imagine mal qu’elles aient toutes été déjà
vendues, ou que la propriété en ait été reconnue à ceux qui les exploitaient. Il
semble préférable d’admettre que, pour une raison ou une autre, Rullus les a
omises de sa liste (discussion du problème dans Broughton [335], IV, 509-510;
Rostovtzeff [330], 814-816; Magie [838], 1047-1048).
Le principal revenu tiré de l’Asie par les Romains était la dîme des produits
agricoles : l’ensemble du territoire de la province y était soumis, à l’exception
sans doute de certains sanctuaires, mais y compris les cités. S’y ajoutaient les
droits de douane (portoria) et une taxe sur les pacages (scriptura). La fiscalité
Rome, les Balkans, la Grèce et /’ Orient 779

romaine en Asie, qui ne nous est guère connue que par des documents d’époque
cicéronienne, avait été réorganisée en 123 par une loi de C. Gracchus, et comme
nous ignorons presque tout des décisions d’Aquillius en cette matière, il nous est
difficile d’apprécier l’ampleur de cette réforme. Velleius (2, 6, 3) signale l’insti¬
tution de nouveaux portoria; Cicéron (Verr., 2, 3, 12) lui attribue le système de la
censoria locatio (par lequel ces impôts étaient affermés tous les cinq ans à Rome,
par les censeurs, aux sociétés de publicains) ; enfin selon Appien (J3C, 5, 4, dans
un discours de Marc Antoine aux« Grecs et autres peuples» d’Asie), C. Gracchus
aurait rétabli le tribut précédemment versé aux Attalides, et que les Romains
auraient dans un premier temps aboli. Mais cette générosité est suspecte, même
si on en restreint le bénéfice aux cités : il n’était guère dans les habitudes des
Romains d’abolir les redevances perçues par les rois auxquels ils succédaient.
La présence de publicains en Asie avant 123 semble bien impliquée par un
fragment de Lucilius (671-672, Marx; cf. J. Christes, Der frühe Lucilius, Heidel¬
berg, 1971, 100-102), mais ils pouvaient se contenter d’y exploiter le nouvel
ager publicus. Ce n’était sans doute pas, ou plus, le cas quand fut pris le sénatus-
consulte tranchant un litige entre Pergaméniens et publicains (RDGE, 12 :
l’application en est confiée aux magistrats qui« afferment les revenus de l’Asie» :
rîjç ’AaioLÇ tàç 7rpoaoSouç pt[a0wcnv, 1. 15). La date en est malheureusement
contestée. On accepte généralement celle de 129, proposée par Passerini (Athen.,
r937, 252-283), mais Magie [838], 1055-1056 et H. B. Mattingly (AJP, 1972,
414-423) ont suggéré de l’abaisser à 101. La discussion tourne autour de la
restitution des lignes 5-11, très mutilées, et de la difficile identification (en
l’absence des cognomina) des membres du consilium qui assistèrent le magistrat
dans son arbitrage : en l’état actuel des choses, il nous paraît impossible de
trancher.
Si l’on admet comme hypothèse la plus vraisemblable que dès 126 la province
entière fut astreinte au paiement d’une dîme levée sous le contrôle du questeur,
et que l’essentiel de la réforme gracchienne consista à en confier la collecte à des
sociétés de publicains romaines, on attribuera volontiers au tribun le désir
d’augmenter les revenus de l’Etat, mais non celui de protéger les provinciaux.
Selon Badian ([1214], 184-185), les magistrats, cessant d’être juge et partie,
auraient été mieux à même d’arbitrer avec équité les différends entre provinciaux
et collecteurs de l’impôt; c’est une vision des choses trop optimiste. Les cités
ou les sanctuaires qui avaient reçu l’immunité fiscale pouvaient résister aux
tentatives d’empiétement des publicains en recourant à l’arbitrage du Sénat
{RDGE, 12; Strab., 14, 1, 26). Mais les sociétés tenaient entre leurs mains les
cités tributaires qui, presque toujours à court de grains, devaient racheter leurs
propres dîmes à prix d’argent, et acheter souvent en supplément une partie des
dîmes levées en nature sur les communautés rurales (Broughton [335], IV,
540-542). Elles ne tardèrent pas à étendre leur activité hors de la province :
en 104 Nicomède de Bithynie, requis de fournir des troupes aux Romains,
780 L’Orient

souligna que nombre de ses sujets étaient emmenés en esclavage par les publi-
cains d’Asie (Diod., 36, 3), qui se remboursaient sans doute ainsi de prêts qu’ils
avaient consentis. Les excès des publicains ont pu être noircis par l’historio¬
graphie (notamment Diod., 37, 5), mais leur réalité est suffisamment prouvée
par les mesures prises par Q.. Mucius lors de son proconsulat et par l’impopu¬
larité de la domination romaine en 88, à l’arrivée de Mithridate.

e) La répression de la piraterie et les origines de la province de Cilicie. —


L’interdiction faite en 188 à la flotte séleucide de dépasser le cap
Sarpédon, l’affaiblissement en 167 de la puissance rhodienne, les
besoins croissants de l’Italie en main-d’œuvre servile enfin avaient
créé les conditions favorables au développement de la piraterie
crétoise et plus encore cilicienne (Strab., 14, 5, 2). La fin du
royaume attalide, dont la flotte avait dû protéger les possessions
de Pamphylie, ne fit qu’aggraver la situation, et pourtant le Sénat
attendit 102 avant de charger un magistrat de conduire une expé¬
dition contre les pirates (sa mission — prouincia — étant désignée
sous le nom de Cilicia) : la campagne de M. Antonius fut victo¬
rieuse (T.-L., per. 68; Obs., 44), mais insuffisante. Le Sénat
cependant ne lui donna pas de successeur en 101 (Ferrary [2097]),
et c’est une loi d’inspiration « populaire » qui, en 100, décida de
confier de nouveau à un préteur la prouincia Cilicia et invita
solennellement les rois alliés à contribuer à la répression de la
piraterie {F. Delphes, III, 4, 37 et inscripuon de Cnide [615]).
Nous ignorons si les populares envisageaient alors la création d’un
commandement régulier contre les pirates; le Sénat en tout cas,
apres la mort de Saturnnius, continua à se contenter de mesures
ponctuelles : en 96 pour la troisième fois la Cilicia fut constituée
en province, en faveur de Sylla.

, La longue patience de Rome envers la piraterie cilicienne est probablement


bée aux énormes besoins en main-d’œuvre servile de l’Italie du Sud et de la
Sicile. Les chefs des révoltes serviles de Sicile au 11e siècle étaient des Orientaux.
En revanche, ceux de la guerre servile qui ravagea l’Italie entre 73 et 71 furent
des Thraces, des Celtes ou des Germains, sans doute réduits en esclavage au cours
des guerres menées par Rome contre ces peuples. Il paraît donc séduisant de lier
la répression de la piraterie entre 102 et 67 avec un renouvellement des sources
d’approvisionnement en esclaves de l’Italie et de la Sicile (Maroti [633]). Il faut
cependant prendre garde que la décision d’envoyer M. Antonius contre les
pirates fut prise avant même les victoires de Marius sur les Germains et de
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient 781

T. Didius sur les Thraces, que l’importation d’esclaves asiatiques en Sicile est
encore attestée dans les années 70 (Cic., Verr., 2, 5, 146), et que l’élimination de
la piraterie par Pompée entraîna peut-être un manque de main-d’œuvre servile
et la recherche de nouveaux fournisseurs dans la vallée du Danube (M. Crawford,
J RS, 1977, 117-124).
Nous pensons qu’on ne peut vraiment parler d’une province de Cilicie
qu’avec les conquêtes de P. Servilius Vatia Isauricus (78-74), et que la prouincia
Cilicia resta jusque-là un commandement maritime contre les pirates, La loi
de 100 est parfaitement compatible avec cette interprétation, qui remonte à
R. Syme [2093] et a été développée par Badian ([2094], 161-162) et Liebmann-
Frankfort [2095].

5) LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

DE LA CONQUÊTE AU IIe SIECLE

Les Romains ont toujours considéré que la guerre devait être


payée par l’ennemi vaincu : d’où les indemnités exigées dans les
traités de paix, indépendamment du butin dont la majeure partie
revenait à l’Etat. Mais avec le conflit qui opposa Rome à
Antiochos les chiffres augmentent spectaculairement (analyse des
données fournies par les sources par Frank et Larsen dans [335],
I, 127-138 et IV, 315-325). La guerre en Orient apparaît dès lors
comme une activité extrêmement rentable. Le butin de Manlius
Vulso permit en 187 de rembourser les impôts exceptionnels levés
lors de la seconde guerre punique, et celui de Paul Emile en 167 de
suspendre la levée du tributum; l’essor extraordinaire des travaux
publics au cours du 11e siècle est lié à celui des revenus de la guerre
et de la conquête, notamment en Orient. En 167 l’assujettissement
de la Macédoine à un tribut annuel constituait une nouvelle étape
dans l’exploitation de l’Orient hellénique. Ce système fut proba¬
blement étendu à la partie de la Grèce vaincue en 146, et en tout
cas à l’Asie attalide. La première tâche assignée au gouverneur de
Macédoine par la loi qui place sous son autorité la Chersonèse
caénique est de veiller à ce que rien n’entrave la collecte des
revenus publics (texte de Cnide, IV, 13-18 : J RS, 1974, 204). Il
est vrai que depuis 148 la provincialisation des territoires tribu¬
taires, qui entraînait des dépenses pour l’Etat romain, était apparue
nécessaire. Il ne fait cependant aucun doute que l’Asie rapportait
782 U Orient

beaucoup plus qu’elle ne coûtait. Cicéron prétend même qu’en 66


elle était la seule province à le faire (imp. Pomp., 14) : argument
d’orateur que l’on peut suspecter d’exagération et qui ne vaut pas
nécessairement pour le 11e siècle. On a peine à croire, quand on
considère l’importance du trésor royal reconstitué entre 189 et 170
en dépit de préparatifs militaires intenses, que la province de Macé¬
doine n’ait pas été rentable dans la seconde moitié du siècle alors
que Rome n’y maintenait en permanence (sauf de 114 à 107)
qu’une seule légion.

Le mécanisme des échanges entre Rome (ou plutôt l’Italie en général) et le


monde grec a été étudié par Crawford [2100]. L’Etat romain dépensait dans les
provinces une partie des revenus qu’il en tirait (sommes allouées aux magistrats
— ornatio prouinciae — y compris, le plus souvent, la solde des troupes) ; le surplus
des revenus fiscaux sur les dépenses administratives et militaires reprenait lui
aussi, indirectement et partiellement, le chemin de l’Orient. Il enrichissait un
certain nombre de particuliers (ceux, par exemple, qui tiraient profit des pro¬
grammes de travaux publics financés par l’Etat), et leur permettait d’importer
des produits grecs ou asiatiques (esclaves et œuvres d’art en premier lieu),
d’acheter des terres en Orient... Les exactions de certains magistrats revenaient,
par un circuit plus direct, au même résultat qui était un appauvrissement pro¬
gressif du monde grec en hommes, en terres et dans son patrimoine culturel, au
profit de l’Italie. Quant aux prêts consentis par des banquiers ou des particuliers
romains ou italiens aux collectivités grecques, ils avaient finalement pour consé¬
quence, du fait des intérêts versés, d’augmenter la ponction monétaire subie par
le monde grec; nous n’en avons de témoignages épigraphiques qu’au Ier siècle
(quand les difficultés des cités devinrent telles que les créanciers durent accepter
des compromis dont ils étaient officiellement remerciés), mais le phénomène dut
commencer dès le 11e siècle. Il faut également tenir compte des capitaux investis
dans le commerce avec l’Orient et rapatriés ensuite en Italie. Les nombreuses
constructions publiques élevées au cours du IIe siècle dans certaines régions
suggèrent la participation ou du moins l’intéressement des aristocraties locales
aux fructueuses activités des negotiatores (cf. les indications rassemblées dans les
actes des colloques « Roma e l’Italia fra i Gracchi e Silla » dans D.d.A., 1971,
et « Hellenismus in Mittelitalien » dans Ab h. Ak. IViss. Gôttingen, n° 97, 1976).
L’énorme développement de ses relations commerciales avec Htalie entraîna
en effet 1 installation dans l’Orient hellénique d’un nombre croissant d’hommes
d affaires (negotiatores) italiens. Les travaux de Hatzfeld à leur sujet ([627] et,
pour Délos en particulier, [2101]) restent fondamentaux, mais Wilson [310],
105-1 u (cf. Cassola [613], 317) a montré que Hatzfeld avait sous-estimé le
nombre des citoyens romains ou des Latins par rapport à celui des Italiques. La
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient 783

documentation délienne est prépondérante, et les Rhômaioi y apparaissent surtout


comme banquiers et négociants. Mais leur présence dès le 11e siècle un peu
partout en Grèce, en Macédoine et en Asie n’est guère douteuse : c’est ce que
suppose, même s’il est très vraisemblablement erroné (Wilson [310], 126;
Brunt [298], 224-227) le chiffre de 80 000 victimes avancé par des auteurs anciens
pour le massacre général ordonné par Mithridate en Asie (Val. Max., 9, 2, 3;
Memnon, 22, 9; 150 000 selon Plutarque, Suit., 24). De même l’acquisition de
propriétés par les Rhômaioi est-elle attestée dès le 11e siècle : certains étaient pro¬
priétaires dans l’île de Chios (App., Mithr., 47), et devaient pratiquer la viti¬
culture en vue de l’exportation vers Rome; et si l’on date avec Wilhelm (JÛAI,
1914, 93-103) des dernières années du 11e siècle les inscriptions de Messène,
IG, V, 1, 1432 et 1433, il apparaît que des Romains étaient alors établis sur le
territoire de la cité, très vraisemblablement comme propriétaires fonciers, et y
constituaient un groupe relativement puissant.

C’est dans ce contexte que l’on doit analyser la décision séna¬


toriale de donner Délos à Athènes à condition que l’île fût un
port franc. La ville sainte était dès auparavant devenue une ville
marchande, mais c’est seulement à partir de 166 qu’elle acquit
une importance de premier plan, comme plaque tournante du
trafic entre l’Orient hellénique et l’Occident romain; elle devait
encore profiter de la destruction de Carthage et de Corinthe,
et parvint à son apogée après la création de la province d’Asie.
Exiger d’Athènes (comme le Sénat l’avait fait d’Ambracie en 187;
T.-L., 38, 44, 4) d’excepter des droits de douane à Délos les
Romains et les alliés de nom latin aurait été sans grand effet.
Seule la création d’un port franc était à même de détourner de
Rhodes où ils avaient leurs habitudes les marchands orientaux, et
c’est précisément ce que souhaitaient les hommes d’affaires italiens,
qui exploitèrent et durent encourager la colère du Sénat contre
Rhodes.
Les negotiatores ne semblent guère s’être sentis à l’aise à Rhodes, où ils ne sont
attestés qu’en petit nombre (D. Morelli, SCO, 1955, 136). Aussi importante pour
eux que l’absence de droits de douanes devait être la plus grande liberté d’action
dont ils jouiraient bien évidemment à Délos : le Sénat gardait la haute main sur
les affaires déliennes, et les Athéniens n’avaient garde de lui résister (cf. RDGE,
5) ; leurs représentants à Delos devaient avoir souci de leur côté de ménager les
Rhômaioi (cf. Incr. Delos, 1658). Roussel [641], 7-18 a bien vu les motifs écono¬
miques de la décision du Sénat, et l’inanité de toute explication par des raisons
stratégiques. Si l’on en croit Polybe (30, 31), les revenus du port de Rhodes
784 V Orient

auraient diminué de 85 % entre 168 et 164 : même s’il est probable qu’ils furent
alors affermés très en dessous de leur valeur réelle parce que les financiers
n’avaient aucune confiance en la situation rhodienne tant que les relations avec
Rome n’étaient pas bonnes (Larsen [335], IV, 356), le coup était très rude.
L’importance de Délos comme marché d’esclaves, approvisionné en particulier
par les pirates ciliciens, a été soulignée par Strabon (14, 5, 2) : l’Italie et la
Sicile avaient d’énormes besoins de main-d’œuvre servile (souvent qualifiée),
que 1 Asie pouvait fournir. G’est egalement à Délos que les Romains pouvaient
se procurer les produits précieux acheminés par les caravanes jusqu’en Syrie
ou par la mer Rouge jusqu’en Egypte. La composition de la colonie étrangère
confirme les grandes orientations du commerce de l’île : en dehors des Romains,
les Syriens et Phéniciens en forment le principal groupe, suivis des gens d’Alexan¬
drie et d’Asie Mineure; la Grèce propre et la Macédoine en revanche sont peu
représentées (Roussel [641], 72-96 et BCH, 1931, 438-449). Nous avons vu que
l’Italie enrichie par ses conquêtes pouvait se permettre d’acheter beaucoup plus
qu’elle vendait : les exportations d’huile et de vin italiens (8,8 % des timbres
de Délos sont d’origine italienne, appartenant d’ailleurs surtout au premier
quart du Ier siècle : E. L. Will, dans Explor. arch. Délos, XXVII, 1970,
383-386) assuraient du moins une cargaison aux navires se rendant à Délos.

Sut 1 a situation economique des Balkans et de l’Asie Vlmeure


dans la seconde moitié du 11e siècle, l’impression générale est plutôt
celle d’une relative prospérité (cf. Larsen [335], IV, 418-422;
Rostovtzeff [330], 750-764 et 818-826 (plus pessimiste en ce qui
concerne la Macédoine) ; Magie [838], 167-168), mais il ne faut pas
se cacher la fragilité de toute généralisation. L’exploitation romaine
s’exerçait inégalement, frappant l’Asie plus que la Macédoine,
épargnant une grande partie de la Grèce et, en Asie même’
certaines cités; sa contrepartie positive était la paix : la tutelle
romaine mit fin aux conflits qui avaient ravagé la Grèce du
111e siecle, garantit la province d’Asie contre les invasions bithy-
niennes ou galates, mais n évita pas a la Macedoine les incursions
scordisques; enfin le maintien probable d’un cours élevé du blé
(troubles en Egypte et dans la région pontique, accaparement par
Rome du blé sicilien puis africain) favorisait les régions autosuffi¬
santes. Il est vrai que nous n’avons pas au 11e siècle de documents
attestant pour les cités de Grèce et d’Asie les graves difficultés
financières et 1 endettement ruineux dont témoignent tant d’ins¬
criptions postérieures à la première guerre de Mithridate. Mais il
s agit d’un argument e silentio, qui reste donc fragile.
Rome, les Balkans, la Grèce et l'Orient
785

Nous possédons par exemple une documentation particulièrement riche pour


Messène (Wilhelm, JOAI, 1914, 1-120; Rostovtzeff [330], 751-754), mais la
prospérité de cette cité qui avait su se tenir à l’écart de la guerre d’Achaïe et
conserver sa liberté en 146-145 peut être celle d’un îlot privilégié. L’exemple de
la cité achéenne de Dymè, agitée peu avant 115 par des troubles liés au problème
des dettes (RDGE, 43) et souffrant de façon aiguë de la dépopulation qui affectait
la Grèce entière (Poh, 36, 17) au point que Pompée y installera en 67 des pirates
ciliciens (Strab., 14, 3, 3), montre que la prospérité dont avait joui le Péloponnèse
dans la première moitié du siècle (Poh, 2, 62, 4) ne fut pas partout également
préservée après 146. De même des cités libres comme Priène et Milet ne peuvent-
elles témoigner pour toute l’Asie.

Depuis P Economie Survey [335] et la synthèse de Rostovtzeff [330]


les principaux progrès réalisés concernent sans aucun doute les
timbres amphoriques (grâce aux travaux de V. Grâce en parti¬
culier) et les données numismatiques (chronologie des émissions,
problèmes de circulation monétaire). Les uns et les autres nous
renseignent essentiellement sur les courants commerciaux; ils
éclairent le degré de prospérité d’un certain nombre de grandes
cités, mais laissent dans l’ombre de vastes régions. Sans compter
que la prospérité d’une cité n’était pas celle de tous ses habitants,
et pouvait se traduire par une aggravation de l’inégalité des
fortunes, et des tensions sociales.

Le début de l’émission par Athènes des tétradrachmes stéphanéphores (souvent


appelés « du nouveau style »), longtemps fixé en 229, a été daté en 196 par
Thompson [2102], mais la chronologie basse (ca 164) proposée par Lewis [2103]
semble préférable : c’est l’acquisition de Délos qui aurait donc été à l’origine de
ce nouveau monnayage (bibliographie très abondante : M. Thompson a défendu
sa chronologie dans JVC, 1962, 301-333 et Rev. Num., 1973, 54-65; de nouveaux
arguments en faveur de celle de Lewis ont été apportés par H. B. Mattingly,
Historia, 1971, 26-46 et J HS, 1971, 85-93; Boehringer [2104], 22-38; G. Habicht,
Chiron, 1976, 127-142). La monnaie athénienne règne sans partage à Délos, où
le denier romain, comme dans tout le monde grec au 11e siècle est presque tota¬
lement absent. D’autre part l’axe commercial Rhodes - Histiée d’Eubée - Macé¬
doine, bien attesté jusqu’à la guerre contre Persée, est rompu : ce sont des tétra¬
drachmes athéniens que l’on trouvera désormais dans les trésors d’Eubée, de
Thessalie, de Macédoine (même après sa réduction en province) et, à côté de
ceux de Thasos et de Maronée, dans l’actuelle Bulgarie. Ils sont en revanche
très minoritaires dans le trésor d’Agrinion en Etolie (ca 155), et totalement
absents des trésors enfouis dans le Péloponnèse lors de la crise de 146. Faute de

ROME, a 11
786 V Orient

trésors postérieurs à cette date, nous ignorons dans quelle mesure la monnaie
athénienne a profité de l’arrêt des émissions fédérales achéennes, et de celles de
la plupart des cités du Péloponnèse sauf Messène. Un décret amphictyonique des
années 125-100 (F. Delphes, III, 2, 139) ordonnant « à tous les Grecs d’accepter
le tétradrachme athénien pour quatre drachmes d’argent » (c’est-à-dire sans
retenir d’agio) confirma en tout cas la prédominance de la monnaie athénienne
en Grèce (Daux [1981], 387-391 ; Accame [827], 120-123). L’émission de frappes
régulières et abondantes constituait pour Athènes une source d’enrichissement; il
semble d’autre part que l’activité commerciale du Pirée n’ait pas trop souffert
de f essor de Délos (qui n’a pas monopolisé les échanges entre Etats grecs), et
ait profité au contraire de la destruction de Corinthe et peut-être du recul de
Rhodes. La cité d’Athènes, et non pas seulement les hommes d’affaires athéniens
établis à Délos, a donc dû tirer profit au 11e siècle de son alliance avec Rome
(cf. Day [2098], 76-95).
En ce qui concerne le déclin de Rhodes, une indication intéressante est fournie
par les timbres amphoriques. A Athènes depuis le début du 11e siècle, à Argos
dans la seconde moitié du siècle et, dans une moindre mesure, à Délos, on constate
un net déclin des amphores rhodiennes au profit de celles de Cnide (cf. pour
Délos et Athènes, V. Grâce, dans Explor. Arch. Délos, XXVII (1970), 277-382;
pour Argos, M.-T. Lenger, BCH, 1955, 484-508 et 1957, 160-180). Rhodes reste
cependant après 166 un centre économique important. L’île a dû conserver un
rôle de premier plan dans le commerce du blé (Casson [2099]). Elle maintient
ses relations commerciales avec l’Egypte (sur la prépondérance écrasante des
timbres rhodiens à Alexandrie, cf. Fraser [625], 162-169). En ce qui concerne
le Pont-Euxin, autre grande région céréalière, on constate à partir de ca 150 un
net recul des exportations rhodiennes vers les cités de la côte européenne
(M. Gramatopol et G. Poenaru Bordea, Dacia, ig6g, 187-282), mais le même
phénomène ne se manifesterait pas en ce qui concerne le Bosphore cimmérien
(J. B. Brashinsky, Eirene, 1973, 137-138, citant une étude en russe de D. B. Shelov
pâme en 1958). En dépit du coup porté en 166, Rhodes restait une cité prospère
(Strab., 14, 2, 5), et c’est sans doute en ce sens qu’il faut interpréter la frappe
assez régulière de monnaies d’or dans la seconde moitié du 11e siècle (T. Hackens
BCH, 1965, 518-534).

En Macédoine, l’importance de Thessalonique ne put que s’accroître lorsque


cette ville devint la capitale de la province et le débouché de la via Egnatia sur la
mei Egée (cf. Strab., 7, 7, 4). Des cités comme Thasos et, dans une moindre
mesure, Maronée profitèrent également de la protection romaine. Elles frappent
au 11e siècle et au début du Ier (cf. M. Thompson, AN S Mus N, 1966, 57-63;
G. Le Rider, Guide de Thasos, 1967, 189-191) des tétradrachmes qui ont été
retrouvés en grande quantité dans les trésors des territoires thrace et géto-dace,
en même temps souvent que ceux de Macédoine Première (sur les itinéraires de
pénétration, cf. I. Giodariu, dans Thracia, III, Sofia, 1974, 171-177). Il paraît
Carte 4. — Le monde Egéen
783 U Orient

très peu probable que le monnayage macédonien ait pu continuer à être frappé
après la création de la province (comme le suggère Boehringer [2104], 115) ;
celui de Thasos dut alors profiter de sa disparition, et il est permis de penser
qu’une partie du métal frappé provenait des mines du Pangée devenues pro¬
priété de l’Etat romain.
Les Romains héritèrent en Asie d’une situation monétaire particulière.
Suivant peut-être l’exemple des Lagides, Eumène II avait institué dans son
royaume une circulation monétaire fermée, interdisant l’usage de toute autre
monnaie que les cistophores, d’un poids inférieur à l’étalon attique international
(H. Seyrig, Rev. JVum., 1963, 22-31). Kleiner vient d’en dresser le corpus [2107] :
il en date l’apparition de ca 166, et souligne que sous les apparences d’un mon¬
nayage fédéral émis par un certain nombre de cités, il s’agissait bien d’un mon¬
nayage royal, frappé dans trois ateliers seulement, à Pergame, Ephèse et Tralles.
Les Romains là encore ne firent aucune révolution : les trésors montrent que les
cistophores restèrent la principale monnaie en usage dans la province d’Asie.
Mais leur étude systématique reste à faire pour la période postérieure à 133. Les
mieux connus sont ceux d’Ephèse, émis continûment de 134-133 à 68-67, avec
indication de l’ère provinciale et probablement sous le contrôle des Romains
(Kleiner [2105]). La régularité de ces émissions confirme l’importance de cette
cité; son statut de capitale de la province et le réseau routier aménagé par
Aquillius contribuèrent assurément à en faire le port principal de l’Asie cistau-
rique (Strab., 14, 1, 24).
Chapitre VIII

ROME
ET LA MÉDITERRANÉE ORIENTALE
AU 1er SIÈCLE AVANT J.-C.
par J.-M. BERTRAND

i) l’assaut de mithridate contre l’empire romain

Quels qu’aient pu être le retentissement des victoires de Rome


en Orient, le succès de ses ambassades, son pouvoir y restait
fragile, car mal aimé et inorganisé (la reconstruction théorique
de Th. Liebmann-Frankfort [1993] est claire, trop sans doute :
elle donne une idée fausse de la réalité, il n’existe pas pour les
Romains d’empire lato ou stricto sensu). Aussi a-t-il suffi qu’émerge
aux confins de ses provinces orientales un pouvoir sans complexes
pour que son domaine lui échappe. Mithridate VI Eupator, roi
du Pont, chassa en 89-88 les Romains d’Asie Mineure et de Grèce;
jusqu’à sa mort, en 63, il devait rester menaçant.

A) Le royaume du Pont

Th. Reinach [2333], dans un livre classique, a montré combien était extraor¬
dinaire le territoire pontique. Si c’est « le pays le plus montagneux du globe »
(p. 10), si « les véritables accidents de terrain y sont les plaines » ou du moins
ce que l’on nomme tel, partout la végétation est luxuriante, « pâturages, embla-
vures dorées, vignobles, vergers, forêts opulentes», les chasses sont giboyeuses, les
carrières, les mines sont productives, le Pont est« le type même du pays complet
se suffisant à lui-même », son seul défaut est sans doute d’être peu ouvert sur
l’extérieur, mais n’était-ce pas un avantage en cas de conflit?
790 U Orient

Mithridate en fit le centre d’un véritable empire qui comprit


les cités grecques de la mer Noire, la Colchide, le royaume du
Bosphore, la Grimée (où « il suffisait de gratter la terre pour qu’elle
rendît trente fois la semence ») et que peuplait une population
de 2 ou 3000000 d’âmes (cf. Th. Reinach [2333], p. 216).

Voir E. Olshausen [2325]. E. Will [1976] a fait un récit concis et clair des
étapes de la constitution de ce royaume (II, p. 39 sqq.) dont l’unité profonde
doit être soulignée : L. Robert ( [2344], p. 538 sq.) a montré qu’il existait entre les
populations du royaume du Bosphore et de l’Asie Mineure septentrionale
d’étroites concordances onomastiques qui témoignent d’une origine commune
du peuplement de part et d’autre de la mer, plutôt qu’elles ne perpétuent le sou¬
venir des transferts de population effectués par Mithridate ([1976], II, p. 58-60
avec bibliographie).

L’hellénisme, pourtant si affaibli depuis Apamée, lui donnait


sa force et justifierait toutes ses entreprises.

La dynastie était très profondément hellénisée; E. Olshausen [2326] a


montré combien étaient nombreux à la cour et dans l’administration (ou dans
l’armée, cf. P. Levêque, in Problèmes de la guerre en Grèce ancienne (publié sous la
direction de J.-P. Vernant, 1968), p. 275) les Grecs et les Macédoniens : « Si les
habitants de la province d’Asie attendaient en Mithridate VI un souverain qui
se recommandât à eux par sa familiarité avec le monde gréco-hellénistique, cette
espérance était parfaitement justifiée » (Olshausen, ibid., p. 170, trad. J. et
L. Robert, Bull., 1976, n° 154, cf. les textes réunis par C. Schneider [2187], I,
P- 795)- Mais les rois n’ont pourtant pas renié leurs origines orientales (L. Robert,
Inscription grecque de Sardes, CRAI, 1975, p. 329, a montré comment il n’y eut
jamais de la part des Grecs hostilité à l’Asie, que depuis longtemps ils avaient su
y prendre ce qu’il y avait de meilleur) : S. R. Eddy [2176], p. 181, pense que
c’est durant le règne de Mithridate VI que « the homonoia that Alexander
prayed for at Opis here and there became a fact » (sur l’utilisation de la littéra¬
ture apocalyptique pour sa propagande, cf. aussi [2114], I, p. 217).

Il ne pouvait y avoir, dans un Orient à l’équilibre si fragile,


place pour plusieurs pouvoirs ambitieux. La guerre entre Rome
et le roi était donc inévitable. Nous ne reprendrons pas ici un
procès sans cesse renaissant et ne chercherons pas à définir les
responsabilités des uns ou des autres dans le déclenchement du
conflit (Magie [838], p. 209 sq., Badian [356], p. 57 Sqq.,
Th. Liebmann-Frankfort [1993], p. 179 sq., l’ont fait naguère,
Rome et la Méditerranée orientale
79i

tout récemment encore D. G. Glew [2298] et A. N. Sherwin-


White [1996], p. 71 sqq.) car la subjectivité de l’historien a la
part trop belle dans ce genre de débats (ce que l’on croit savoir
de la psychologie du roi y tient une grande place) ; on en revient
toujours à une étude des sources, or nous ne pouvons fonder notre
jugement que sur une tradition proromaine dont l’expression elle-
même est tardive (Appien, Plutarque).

Les sources primaires (inscriptions, monnaies) ne sont pas rares en effet, mais
les découvertes récentes (cf. [2106] et F. S. Kleiner [2146]) n’ont pas à propre¬
ment parler bouleversé les conclusions qu’en avait tirées Th. Reinach, très attentif
à utiliser ce type de matériel. De nombreux auteurs se sont attachés à comprendre
ce que sont les partis pris, les sympathies d’Appien ou de Plutarque. La tradition
historiographique favorable au roi, connue parStrabon (XI, 8, 14; XIII, 1, 66),
se fonde sur l’œuvre de Métrodore (cf. FGH, 184, fr. 12; ibid., II, B 609, 610,
614) et a pu exercer une certaine influence à l’époque du conflit romano-
pontique (Fuchs [2178], J. Deininger [1987], cf. G. W. Bowersock [192], p. 6,
108; Gandiloro [2248] a montré comment s’est développé un sentiment hostile
à Rome dans le peuple grec). Mais elle n’eut guère de postérité (la fameuse lettre
apocryphe de Mithridate à Arsace —• cf. Bickerman [2113], malgré E. Tiffou,
Essai sur la pensée morale de Salluste, 1973, p. 959 — doit être interprétée dans le
cadre de la pensée sallustéenne, Mazzarino [56], II, p. 374-375, E. Tiffou, ibid.,
p. 563, n. 306); c’est aux mémoires de Sylla ou à l’œuvre de Posidonios qui
« si e fatto porta voce delle idee di Silla » que remontent nos sources ; il faut donc
les utiliser avec quelque précaution et ne point chercher à juger le roi (cf. Desideri
[2122], I. Galabi [2116]. Voir in [58] les communications de Mariotti, Pascucci
et Valgiglio).

B) Les premiers succès de Mithridate

La guerre commença quand Nicomède IV (roi de Bithynie),


au printemps de 8g, poussé par le gouverneur de la province
d’Asie, G. Gassius, et le légat M\ Aquilius qui venait de l’ins¬
taller sur son trône, eut effectué un raid audacieux en territoire
pontique (il put même rentrer chez lui avec le butin du pillage
d’Amastris, App., Mith,, 11 sqq.; cf. Glew [2298], p. 397).
Mithridate fit occuper la Gappadoce (à l’automne, la chronologie
de cette période a été réétudiée récemment par E. Badian [2245],
p. 506 et appendice) ; regroupant ses forces il écrasa les troupes
de Nicomède aventuré en Paphlagonie (sur la puissance de
792 U Orient

l’armée pontique, cf. Magie [838], p. 210, 1100, n. 24). Le roi


s’enfuit en Asie, puis s’embarqua pour Rome, décourageant sur
son passage toute volonté de résistance. Au printemps de 88,
Mithridate entra en Phrygie, Cassius quittant Apamée alla se
réfugier à Rhodes ; la flotte romaine du Bosphore se rendit, ouvrant
aux amiraux pontiques les portes de la Méditerranée. Bientôt
M’. Aquilius fut pris à Mytilène, amené à Pergame lié sur un âne,
et supplicié (sur le déroulement de ces événements, la loca¬
lisation des armées romaines, le cheminement de Mithridate,
cf. Magie [838], p. 210 sqq., dont les notes sont particulièrement
abondantes ; sur l’articulation du commandement romain, cf. infra ;
sur les routes du plateau anatolien, cf. Magie, p. 1082-1086,
n. 32).
Partout l’enthousiasme des provinciaux accueillait le roi,
« ils lui donnaient les noms de dieu, de père, de sauveur de l’Asie, d’Evhius,
de JVysius, de Bacchus, de Liber» (Cic., pro Flacc., 60).

En Asie

Contrairement à ce que laisse entendre Cicéron, ce ne sont pas les provinciaux


qui, par une sorte de surenchère dans la servilité, auraient, courant au-devant du
vainqueur, attiibué au roi ces épithètes divines : nous connaissons diverses dédi¬
caces qui, dès la fin du ne siècle (à Délos notamment, cf. Durrbach, Choix d’inscrip¬
tions de Délos, n° 133-137, Magie [838], p. 1102, n. 31, voir Appien, Mith., 10),
le désignent sous le nom de Mithridate Eupator Dionysos; le monnayage lui
aussi en témoigne (cf. Num. Chron., 1968, 1-12). Sur le culte royal et ses liens avec
le culte de Dionysos, voir C. Schneider [2187], p. 807 sqq., et surtout la grande
inscription de Téos expliquée par P. Hermann, Antiochos der Grosse und Teos,
Anadolu, 9, 1965, p. 29, 159, et J. et L. Robert, Bull., 1969, n° 495, p. 486.

Il n’y eut guère pour lui résister que Magnésie du Sipyle,


dont ses généraux ne purent s’emparer (cf. Magie [838], p. 215
et n. 32), ainsi que certaines zones de Carie, Pamphylie ou de
Paphlagonie qui toujours avaient su préserver (surtout dans les
moments de trouble) une indépendance que protégeait leur situa¬
tion géographique. Dans un climat général de défaitisme et
d abandon, Tabai, Stratonicée, quelques individus comme Chae-
remon de Nysa (cf. à propos de ce personnage des textes nouveaux
Merkelbach, fPE, 1975, p. 300; L. Robert, Bull., 1976, n° 637’
et Joyce-Reynolds [237], p. 179) manifestèrent leur fidélité; l’Asie
Rome et la Méditerranée orientale
793

tout entière mithridatisait par haine des Romains (Strabon, XIII,


i, 66, App., Mith., 22) et parfois se déchaînait : ainsi à Ephèse les
statues honorifiques furent abattues (App., Mith., 21 ; en revanche,
les fetes célébrées en 1 honneur de ÇV Mucius Scaevola, ancien
gouverneur, continuèrent de l’être — Cic., 2 Ven., 2, 51 _, son
légat P. Rutilius fut protégé par les Mytiléniens et les Smyrniotes
auprès de qui il s’était réfugié). Les citoyens romains fuyaient
vers l’asile des temples, certains, pour mieux se fondre dans la
population locale, abandonnaient la toge (Posidonius, fr. 50) : ils
savaient bien que les Asiatiques allaient s’en prendre à chacun des
individus qui, quotidiennement, avaient profité de leur dépen¬
dance. En revanche, les serviteurs orientaux du pouvoir de Rome
ne furent pas inquiétés, Mithridate renvoya chez eux les soldats
bithyniens de Nicomède, App., Mith., 18; les Laodicéens firent
s’enfuir les soldats auxiliaires d’Oppius, App., Mith., 20; cf. Glew
[2298]. Mithridate sut canaliser cette haine pour attacher d’un
lien qu’il crut définitif les anciens sujets de Rome : en un jour
fixé, sur son ordre, tous les Romains d’Asie devaient être mis à
mort, leur fortune être partagée (comme en bien des génocides)
entre le roi (qui put alors se permettre quelques générosités et
exempter l’Asie de tribut pour cinq ans, Justin, XXXVIII, 3, 9),
les dénonciateurs et les assassins. Certaines cités gardèrent pour
elles les bénéfices de l’opération, ainsi les gens de Chios (Appien,
Mith., 47) ; parfois les confiscations s’étendirent à d’autres qu’à des
Romains : ainsi, à Cos, le roi fit saisir l’or des juifs (App., Mith.,
23; Jos., AJ, XIV, 7, 2, 112).
Le massacre « minutieusement organisé» (Will [1976], p. 400) fit au moins
80000 victimes (Magie [838], p. 1103, n. 37, Plutarque, Sylla, 27, parle
de 150 000; ce chiffre est exagéré, pense P. A. Brunt [298], p. 233) et fut marqué
de nombreuses atrocités. A Caunos, par exemple, on exécuta les enfants sous les
yeux de leur mère avant de tuer ces dernières devant leur mari; à Tralles, on
sépara des statues des dieux les suppliants qui les embrassaient en leur coupant
les mains; il y eut peu de survivants (certains néanmoins purent s’enfuir, tels
ceux qui se réfugièrent dans les îles flottantes des marais de Gygès, cf. Pline,
HJV, II, 209) car il n’y eut guère de réticence (à Tralles, pourtant, les citoyens
préférèrent louer les services d’un Paphlagonien plutôt que de se salir les mains).
On a pu croire que seule la populace avait pris part à ces assassinats (Ros-
tovtzev [330], II, p. 938); c’est possible, néanmoins on voit que les cités avaient
à prendre position sur la question et qu’à Tralles notamment c’est toute la
794 U Orient

population qui se sentait concernée. On peut penser d’ailleurs que jouèrent un


rôle actif tous ceux qui voyaient s’ouvrir à eux un rôle politique nouveau :
n’était-il pas sur la plage d’Adramyttion, où l’on noyait les enfants, le philosophe
Isidore, qui, stratège, avait, pour rendre la cité à Mithridate, fait assassiner les
membres du Conseil ?
On ne comprend pas toujours (Hatzfeld [375], p. 330-331) comment les
provinciaux ont pu se déchaîner ainsi : les victimes étaient le plus souvent
« d’inoffensifs marchands d’huile et de vin», bien intégrés à la vie locale, souvent
mariés à des filles du pays (cf. Hatzfeld, p. 294), ayant participé à l’éphébie,
résidents privilégiés (cf. Cassola [860], cite Syll.s, 323 et 352) ou jouissant parfois
de la citoyenneté locale (à Pergame, à Priène, à Cos où beaucoup avaient des
terres, Hatzfeld [375] ; Wilson [310]). Mais quand, relisant Appien, on découvre
(Mith., 22) que l’on doit exécuter, outre les Italikoi (1), leurs épouses (qui, même
orientales, étaient sans doute polluées par leur contact; sur l’absence de femmes
romaines, cf. A. J. Marshall [2320]), leurs affranchis (ou leurs esclaves, ibid., 54)
s’ils étaient « de race» (genos) italienne, il faut bien se rendre à l’évidence.et
admettre qu’un racisme était né (qui débordait même les frontières de l’empire,
Sherwin-White [894], p. 400) de toutes les frustrations des provinciaux qui, grugés,
exploités, ne pouvaient toutefois se passer des services fournis pas les Occiden¬
taux. Il est difficile de savoir ce que furent les conséquences financières du pillage
des fortunes investies en Asie; Broughton [335] note qu’il y eut des difficultés
importantes, mais Badian [356], p. 73, remarque que l’argent devait être assez
abondant pour que certains capitalistes aillent jusqu’en Egypte chercher des
créanciers.

En Grèce

Pour assurer définitivement sa prééminence en Orient, le roi


devait étendre ses entreprises ; il échoua à prendre Rhodes (dont la
fidélité envers Rome était confortée par la présence sur son sol

(1) Ils continuent d’être désignés par l’ethnique Italikos, cf. Hatfzeld [375];
A. J. N. Wilson [310] a bien montré contre Hatzfeld que les Romains d’origine
étaient plus nombreux en Orient que les Italiens; néanmoins cette désignation
géographique a prévalu jusqu’à l’époque des triumvirs, cf. Cassola [860], p. 315;
il ne semble pas que les rivalités qui auraient opposé les citoyens romains et les
Italiens pour l’exploitation des provinces (cf. E. Gabba [911], P. A. Brunt [906],
E. T. Salmon [9*8], E. Badian [901], B- È. Selekij [2356]) aient été connues des
Orientaux; à propos de la collusion des Italiens d’outre-mer avec les insurgés,
cf. Nicolet [2323] ; les contacts établis entre Mithridate et les insurgés d’Italie
n’ont eu aucune influence sur sa politique en Asie, cf. Magie [838], p. 207, 1101,
n. 24.
Rome et la Méditerranée orientale
795

de nombreux réfugiés et qui ne tenait pas à devoir obéir à un roi


alors qu’elle avait su décourager Démétrios Poliorcète, cf. Appien,
Mith., 24-27), mais a l’exemple d’Antiochos III se tourna vers
l’Egée et la Grèce; « les Grecs d’Europe n’avaient pas les mêmes
motifs que leurs frères d’Asie de se révolter contre la domination
romaine » (Th. Reinach [2333], p. 133), néanmoins un fort
courant de mécontentement semblait devoir y favoriser ses entre¬
prises. Athènes notamment lui était acquise.

L’histoire d’Athènes durant les deux premières décennies du Ier siècle av. J.-G.
est une des plus méconnues qui soit; l’œuvre de M. Thompson [2102], les dis¬
cussions qu’elle a suscitées, cf. p. 785, n’ont pas contribué à clarifier le débat
(même si les conclusions en sont trop souvent négligées, cf. Badian, [2245],
n. 14) : Badian [2245] et Chr. Habicht [2258] ont fort heureusement apporté
quelques lumières (voir A. D. Merritt, Athenian Archons 347/6-48/7, Historia,
1977, 160-191). On peut admettre que, de 91 à 88, un archonte Medeios fils de
Medeios se perpétua dans sa charge au mépris des règles constitutionnelles mais
avec le soutien de Rome; cette période fut dénoncée comme une période
« d’anarchie » et une réaction populaire rétablit en 88 la démocratie (cf. Badian
[2245], p. 517; Geagan [2128]). Un ambassadeur officiel fut alors envoyé
auprès de Mithridate, Athénion; il revint enthousiasmé des succès royaux (avant
les « Vêpres éphésiennes ») et fut alors élu « stratège des armes » ; ses amis reçurent
les autres magistratures (contrairement aux idées reçues, ces gens appartenaient
à des familles célèbres et honorées avant comme après la guerre mithridatique,
cf. P. Mac Kendrick, The athenian aristocracy, 399 to 31 BC, Martin Class. lect.,
XXIII), le roi lui-même occupait la charge d’éponyme (de même qu’il fut à
Milet stéphanéphore [2151], I, 2, n° 125,1. 5) : la liste des archontes — IG, II, 2,
1714 — ne donne pas son nom et fait ainsi de l’année 88-87 une année d’anarchie,
au sens technique du terme (Arist., Ath. Pot., XIII; Habicht [2258] a montré
que c’était par l’effet d’une sorte de damnatio memoriae dont on connaît un exemple
antérieur, Xen., Hel., II, 3, 1 ; elle ne pouvait frapper que le nom du roi lui-
même). Athénion dut faire face, par des moyens brutaux, à de nombreuses diffi¬
cultés intérieures (Posidonios, fr. 36, cf. Touloumachos [2068], [2167], Dei-
ninger [1987], p. 254, n. 34); Délos, où s’étaient réfugiés plusieurs milliers de
Romains fit sécession, défendue par un préfet (Orbius n’était pas un marchand
qui aurait armé en guerre des vaisseaux de commerce, P. Roussel [641], p. 324),
résista à la flotte athénienne qui voulait la réduire et ne céda que devant l’amiral
pontique Archélaos (qui tua là 20 000 réfugiés, App., Mithr., 28, Paus., III, 22, 3) :
la tyrannie dès lors régna sur Athènes, l’homme fort dans la ville s’appelait
Aristion (son nom associé à celui de Mithridate est connu par une monnaie dont
la datation est au centre de la controverse qui naît de l’œuvre de Margaret
796 U Orient

Thompson, cf. supra; le fait que le roi soit ainsi monétaire dans la cité est fort
important sur le plan politique, cf. Habicht [2258], p. 135) : on ne sait si ce
nom n’est pas une désignation nouvelle d’Athénion, ce que pourrait laisser
penser notamment Strabon, X, 5, 4, ou s’il faut croire à l’existence de deux
personnages différents qui se seraient succédé à la tête de l’Etat athénien; la
thèse dite« séparatiste» est la plus répandue (cf. une bibliographie in H. Berve,
Tyrannis bei der Griechen, I, 414-415 et Badian [2245], p. 514), ce qui ne veut pas
dire qu’elle soit la mieux fondée (sur la philosophie de cette tyrannie, cf. Nicolet
[684], p. 671).

Le Pontique Archélaos débarqué en Attique pensait pouvoir se


rendre maître rapidement de la Grèce (Lacédémoniens, Achéens,
Thébains se soumirent) ; pourtant la victoire complète lui échappa;
il lui fallut mettre le siège devant Thespies; Métrophanes, lui, punit
l’Eubée, ravagea Démétrias et la confédération des Magnètes
(c’est-à-dire le territoire de Démétrias, cf. J. A. O. Larsen [1986],
p. 295; App., Mithr., 29). Les Grecs sans doute n’appréciaient pas
que le roi du Pont se soit allié aux Thraces qui en profitèrent pour
piller Dodone (Dion Cass., XXX-XXXV, 101-102, date établie
par Sarikakis [2080], p. 71, après A. Reinach, BCH, 1910, p. 319,
n. 1) ; mais surtout ils se rendaient compte que leur résistance serait
soutenue par le gouverneur de la Macédoine, C. Sentius, un
homme énergique et expérimenté (Badian [2191] montre pourquoi
il conserva son poste de 93 à 87) dont le légat ÇL Bruttius Sura sut
combattre sur mer, jeter des troupes dans Chéronée (Holleaux
[249], I, p. 153), menacer le Pirée; sa détermination montrait que
désormais les Romains n’avaient plus l’intention de subir les
événements.

C) Le gouvernement de Rome en Orient


au début du premier siècle

Rome n’avait pas créé en Orient les conditions politiques et


administratives nécessaires au maintien de sa suprématie. Les
gouverneurs de Macédoine, dont l’autorité s’étendait désormais
de l’Adriatique à l’Egée et aux Détroits, étaient en permanence en
guerre contre les barbares, ils pouvaient ainsi remporter des
triomphes dont les Grecs leur savaient gré (Cic., Pis., 61). Mais en
Asie Mineure la situation était plus confuse, la multiplication des
Rome et la Aféditerranée orientale 797

provinces émiettait les responsabilités et rendait peu évident le sens


des missions confiées aux magistrats, leur autorité était donc moins
efficace et plus pesante.

L’histoire de l’Asie Mineure est d’ailleurs d’autant moins claire que les
fastes des provinces anatoliennes sont, pour la première décennie du siècle, conjec¬
turaux en grande partie (cf. Badian [2282], Sherwin-White [2096], p. 13, n. 76).
Même la date du gouvernement de Q,. Mucius Scaevola, soulageant les provin¬
ciaux pressurés par les publicains (Diod., XXXVII, 5), n’est pas assurée, alors
qu’il inaugura par son édit une politique qui resta un modèle pour les gouver¬
neurs soucieux du bonheur de leurs administrés (Cic., Att., V, 17, 5; VI, 1, 15).
Peut-être fut-ce lui qui organisa le territoire provincial (cf. Badian [2281],
cf. infra) ; il apparaît dans nombre de textes officiels (notamment dans le traité
entre Sardes et Ephèse, Sherk, RDGE, n° 47). Pourtant l’on discute pour savoir
s’il vint en Asie après sa préture en 97-96 ou après son consulat en 94-93. Badian,
dans un article remarquable [2280], dont il ne renia jamais les conclusions (en
dernier lieu cf. [652], p. 8g), avait donné une grande vraisemblance à la théorie
de la date basse. Néanmoins Nicolet ([684], p. 545-546) fondant son raisonnement
sur l’analyse d’un texte d’Asconius (« provinciam... deposuerunt ne sumptui esset
aerario», p. 14, G, ne peut faire allusion au fait qu’il quitta sa province au bout
de neuf mois, Att., V, 17, 5), montre de façon sans doute irréfutable que Mucius
renonça à exercer un gouvernement après son consulat, que la date haute
traditionnelle est donc la seule vraisemblable; après une période de flottement
où les érudits citaient systématiquement les deux dates éventuelles, il semble que
l’on en revienne à affirmer plus vigoureusement la valeur de la date haute
(B. A. Marshall [2321], cf. M. Sordi [2361]).

A la veille des victoires de Mithridate, trois hommes se parta¬


geaient la charge du gouvernement de l’Asie Mineure au nom
de Rome : Gassius, gouverneur de la province d’Asie, qui inter¬
prétait un rôle sans surprise, Ç). Oppius, qui semblait avoir la
Gilicie comme base opérationnelle, et un légat, M’. Aquilius qui,
envoyé pour restaurer sur leur trône Nicomède de Bithynie et
Ariobarzane de Cappadoce (chassés de leur royaume du fait des
intrigues ourdies par Mithridate), porta une certaine responsa¬
bilité dans le déclenchement du conflit (Appien, Mith., 11-17).

Q,. Oppius est connu par un fragment de Posidonios comme « stratège de


Pamphylie» (FGH, 87, fgt 36, 50). On en a conclu qu’il pouvait être gouverneur
de Gilicie, imprudemment peut-être puisque des textes nouveaux peuvent faire
apparaître des provinces dont nul n’aurait soupçonné l’existence; le prouve la
798 V Orient

découverte récente à Gnide d’un fragment de la loi de Delphes. L’édition de


ce texte a rendu caduques un certain nombre d’analyses ; s’il reste utile de
consulter des articles parfois anciens comme ceux de R. Syme [2093], Th. Lieb-
mann-Franckfort [2095], désormais la réflexion et la discussion doivent se fonder
sui les remarques de A. N. Sherwin-White [2096] et de J.-L. Ferrary [2097J);
la Cilicie était bien alors une « province territoriale ». Ses frontières furent sou¬
vent modifiées, notamment pour Dolabella, Cic., 1 Vert., 1, qq (cela n’a rien
d extraordinaire, les limites des provinces variant fréquemment 1 à proprement
parler d ailleurs la province n avait d’existence que par le gouverneur qui en
était charge, la fixation des limites de son action était donc nécessaire car le
nom traditionnel d’une province régulièrement pourvue d’un gouverneur
n’était jamais suffisamment précis, cf. J. M. Bertrand, Eparcheia. Etudes sur la
structure des provinces dans l’Orient grec, à paraître). Sylla en avait été gouverneur
(archôn, Appien, Mith., 57, cf. BC, I, 77, praetor de Tir III., 75, q) et il avait été
accusé à son retour de repetundis (crimen spoliatae provinciae, Sali., Hist., II,
16, Maur., p. 20), ce qui ne se comprend que si une population vivant dans une
zone préalablement désignée avait eu à souffrir de sa présence. Outre l’adminis¬
tration de sa province, Sylla reçut mission de ramener en Cappadoce le roi
Ariobarzane, Plut., Syll., V, 3 sqq. La date de son gouvernement est contro¬
versée; Badian [2282] a cru pouvoir démontrer que celle, traditionnelle, de 92
n’était pas admissible; ses arguments furent acceptés par Broughton [1133],
p. 20, supp., ainsi que par Th. Liebmann-Frankfort [1993], récemment néan-
moint M. Sordi [2361] a repris la datation traditionnelle; l’idée de Sherwin-
White [2096] selon laquelle la date de 91 servant de référence pour le statut
de Termessos CIL, I-, 589 — correspond à un moment de profondes trans¬
formations dans l’organisation de la région va dans le même sens ; pourtant il
propose [2359], discutant les études numismatiques de B. Simonetta [2160] et
Morkholm [2153], la date de gq. L’hypothèse [2096] selon laquelle Sylla était,
durant sa mission en Cappadoce et en Cilicie, gouverneur d’Asie, n’a aucun
fondement, elle n’est pas reprise d’ailleurs in [2359], et il faudrait bien autre
chose pour qu’en la matière l’argument « silentio ne soit pas préféré à tout autre.
L’activité d’Oppius s’étendit, sans doute pour répondre aux difficultés de
1 heure, assez loin en Asie, à Laodicée, à Aphrodisias même qui lui témoigna
de la loyauté (une lettre de lui datée de Cos est connue par diverses allusions,
cf. Joyce Reynolds [2335], et sera publiée avec d’autres inscriptions d’Aphrodisias
« as soon as it is reasonably certain that no new fragments are recovered within
the near future ») ; on ne sait pas s’il commandait à des troupes légionnaires,
quoique l’on soit sûr qu’il fut propraetore (Sherwin-White [2096], p. 8, n. 33)!
La legatio de M’. Aquilius participait d’un système de gouvernement très
employé au début du siècle : telle fonction fut confiée à des hommes prestigieux
(cf. Luce [23iq] avec bibliographie à jour, M. Sordi [2361], Badian [2282])-
il avait pour charge de rétablir les rois de Bithynie et de Cappadoce sur leur
Rome et la Méditerranée orientale 799

trône, et il devait appuyer son auctoritas (sur la notion de legatus cum aucloritate,
cf. Hellegouarch, Vocabulaire politique, chap. III, Magdelain Auctoritas principis),
sur l’imperium du gouverneur de la province Voisine doté d’une petite armée
(App., Mith., n; sur le fait que les ambassadeurs-légats peuvent commander
des troupes même légionnaires, voir T.-L., 29, 20, 7); on ne sait pas bien s’il
était en fait soumis à son autorité ou lui imposait ses volontés.

D) Sylla en Orient

Le pouvoir des gouverneurs était mal défini, leurs moyens


insuffisants, ils ne surent pas coordonner leur action (ce qui est
une conséquence du système même des missions provinciales où
chacun est seul maître de sa conduite). A la puissance du roi il
fallut opposer un chef unique dont on élargit la province à la
dimension de l’Orient tout entier : Sylla reçut « mission de gou¬
verner l’Asie et de mener la guerre contre Mithridate » (App.,
BC, I, 241, cf. Mith., 22, 84).

Nous n’avons pas ici à évoquer le problème de la légitimité du pouvoir


de Sylla après que la victoire du parti de Cinna eut fait nommer Flaccus au
poste qu’il avait tout fait pour conserver : le Sénat, après s’être humilié à son
retour en lui reconnaissant le titre de proconsul (Appien, BC, I, 97, 451), ne hû
donna ensuite, en ratifiant dans le détail les mesures qu’il avait prises en Asie,
que le titre d’imperator (autocratôr) pour bien signifier qu’il n’avait jamais agi
dans le cadre normal des institutions provinciales. Les Grecs, bien sûr, ne
s’intéressèrent guère à ce genre de subtilités et il reçut toujours dans les Etats
qui l’honoraient les titres normaux réservés aux gouverneurs.

En Grèce, d’où son légat Lucullus fit sortir Bruttius Sura, légat
du gouverneur de Macédoine (cf. Plut., Syll., 11; Badian [2245],
p. 508, n. 22, date cet épisode du début de 87, comme le faisait
Holleaux [249], I, p. 153-154), dès la fin de l’année 86, après la
prise difficile d’Athènes (ier mars), puis les victoires de Chéronée
et Orchomène, Sylla était maître du terrain. L’Asie commençait
déjà à échapper au roi; son despotisme lassait les Galates dont il fit
égorger les princes, le sort des Chiotes qu’il fit déporter sur la
mer Noire avait frappé les Grecs d’horreur. Pour retrouver la
« liberté commune », c’est-à-dire le régime provincial (cf. R. Ber-
nhardt [2190 c] et [2078]), Ephèse appela à la révolte (6>//.3,
742, cf. J. Oliver, AJPh, 1939, p. 437'439)- Pour se maintenir,
8oo Lj Orient

Mithridate crut bon de reprendre la politique d’Eumène III,


abolissant les dettes, libérant les esclaves; plusieurs villes furent
prises et pillées, plus de 6 ooo victimes tombèrent. Sa position
était d autant plus précaire qu une armee romaine envoyée par
le parti populaire et commandée par Fimbria avait pu passer en
Asie. Il se sauva en négociant avec Sylla, lui promettant, en
août 85, a Dardanos, de livrer sa flotte et lui offrant 3 000 talents
(fiuit de ses pillages). Il reçut alors le pouvoir de rentrer dans son
domaine ancestral. Les provinciaux, qui devaient souffrir encore
durant vingt ans de son voisinage, découvraient un aspect nou¬
veau de 1 impérialisme romain : les luttes civiles se réglaient sur
leur dos par une paix bâclée, et d’ailleurs non ratifiée (Appien,
Mith., 53, 64). Par ailleurs, ils connaissaient désormais d’expé¬
rience la difficulté qu il pouvait y avoir à protéger leur ville, son
territoire et ses trésors quand deux généraux hostiles, quoique
Romains, et deux armées avides parcouraient le même territoire;
beaucoup d’ambassades vinrent faire acte d’allégeance à Sylla
(ainsi celle d’Hermias de Stratonicée, FD, III, 69, cf. Daux [1982],
P- 392)> ma_ls Ihon le fit à contretemps et fut entièrement détruite
par Fimbria qui profana le temple d’Athéna (cf. Appien
Mith., 53). Néanmoins la guerre forgea l’unité provinciale et
1 expérience d’un pouvoir étranger assura désormais la fidélité
de 1 Asie à Rome; aussi dures que pussent être les conditions
du retour dans l’empire, elles paraîtraient plus supportables que
la soumission à un pouvoir royal.

Le règlement syllanien

La Grèce souffrit beaucoup de la durée de la guerre. En témoi¬


gnent les précautions des possédants (voir sur l’importance des
trésors enfouis et non récupérés à l’occasion de la crise, M. Thomp¬
son, Mac Kraay, Môrkholm [2106], complété par les découvertes
récentes, ainsi Caramessini-Oeconomides-Kleiner [2117] • pour
Delos, voir essentiellement les études de T. Hackens, cf. [21004)
les bouleversements politiques. Certains dommages étaient diffi¬
cilement réparables (ainsi les forêts de l’Attique furent pour long¬
temps détruites quand Sylla eut construit ses machines de siège)
mais tout l’Orient n’était pas également frappé : pour une Béotie
Rome et la Méditerranée orientale 801

ravagée, combien de zones ne virent passer aucun soldat! Cer¬


taines exigences frappèrent les imaginations : Sylla réquisitionna
les trésors d’Olympie, de Delphes, d’Epidaure (que d’ailleurs les
pirates n’épargnèrent pas à la même époque, cf. IG, IV, 2,
Testimonia, de même que Delphes fut pillée par les Thraces
en 85-84, cf. Daux [1982], p. 392). Pourtant leur mise au jour
n’appauvrit en rien la Grèce ; Lucullus en frappa les monnaies qui
lui servirent à payer les légionnaires et leurs auxiliaires, aucune ne
quitta la région étant donné la situation politique ; le « pillage »
n’eut ainsi globalement pas de conséquence néfaste sur l’état de la
circulation monétaire en Grèce. On ne peut dire non plus que la
vie économique ait ete, a 1 inverse, stimulée par cette distribution
brutale de richesses thesaurisees depuis des décennies, conséquence
poui tant normale de la guerre dans le monde hellénistique
(cf. P. Levêque, Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, p. 200).
L argent de la solde se dilua dans le milieu paysan et ne circula
guère (cf. Crawford [551 c]) ; « l’argent lucullien », imitation
du monnayage athénien du nouveau style qui fut la seule monnaie
frappée pour Sylla durant son séjour en Orient (cf. Crawford
[552 «]> P- 80, n. 1, avec bibliographie de la question) se rencontrait
encore dans le Péloponnèse dans les années 30 av. J.-C. Par
ailleurs les temples eux-mêmes ne souffrirent pas durablement
des mesures prises par Sylla, puisqu’il leur partagea le territoire
de Thèbes (Appien, Mith., 54, Plut., Syll., 12-19, Paus., IX,
7, 6, 6) qui perdit alors toute importance (Strabon, IX, 2, 5).
Plus grave fut pour la vie économique en Egée le sac de Délos
par les troupes pontiques qui repartirent avec leur butin, mais
l’île retrouva plus tard quelque prospérité (Roussel [641],
p. 328-329).
Athènes parut ruinée, le Pirée était en cendres, la ville elle-
même en piteux état (quelque effort qu’ait fait Sylla pour mini¬
miser l’ampleur des destructions dont l’archéologie nous rend
témoins, la période de tyrannie avait déjà épuisé une cité où le
vainqueur ne trouva que 40 livres d’or et 600 d’argent — Appien,
Mith., 39 — la solde des troupes pontiques ayant été assurée par
la ville qu’elles protégeaient). La cité fut contrainte de vendre
l’île de Salamine (Graindor [2256], p. 933), elle fit désormais
commerce de son droit de cité (L. Robert [2339], p. 37-42).
802 IJ Orient

Pourtant, la description de la ruine d’Athènes (et des villes de la


Grèce centrale comme Mégare, Egine) dans le courant du Ier siècle
est plus un topos dans un discours littéraire (la fameuse lettre de
Sulpicius à Cicéron, Fam., IV, 5, 4 est une consolation dont elle est
l’argument essentiel) qu’une appréhension raisonnable de la réalité
(J. Day [2098], p. 120, montre par ailleurs que la plupart des témoi¬
gnages sont tardifs et postérieurs aux troubles de la guerre civile).
Sur le plan politique, Sylla ne provoqua guère de boulever¬
sement et « accorda aux morts le pardon des vivants ». Il avait
débarrassé la cité de ses tyrans et cet événement fut commémoré
par une émission au type des tyrannoctones (cf. Appien, Mith., 39 ;
sur la mise en situation de ces émissions et la personnalité des
monétaires, cf. Habicht [2258], p. 135 sqq.) ; la reconnaissance de
la cité sera plus tard célébrée par des fêtes, les Sylleia, associées à
celles de Thésée (cf. A. E. Raubitschek [2271]). La démocratie
qu’Athénion se flattait d’avoir rétablie fut remplacée par une
Constitution peut-être plus oligarchique (Touloumachos [2068]).
D. J. Geagan [2255] souligne que la prise d’Athènes correspond
bien à une rupture dans le fonctionnement des institutions, mais
son ouvrage ne permet pas de faire la part de ce qui est propre¬
ment syllanien et de ce qui est dû à une évolution ultérieure :
il est sûr en tout cas, malgré Appien, Mith., 39, que c’est bien la
première fois que Rome dictait sa loi à Athènes.
Si la Grèce fut ainsi relativement épargnée, si la cité la plus
remarquable et sans doute la plus coupable fut traitée avec plus
de mansuétude que ne le sera plus tard Rome, l’Asie, envers qui
la modération eût sans doute été moins comprise et qui devait
expier le massacre des Romains, fut durement punie. L’inquiétude
des provinciaux à l’idée du sort qui les attendait leur fit parfois
choisir des solutions de désespoir, ainsi Mytilène qui refusa de
se rendre à Rome et résista jusqu’en 79 (T.-L., Per., 89). Diverses
cités infidèles perdirent leur statut de liberté (cf. Bernhard [2190 c],
p. 120 sqq.). Les représentants de la collectivité provinciale furent
convoqués à Ephèse, Sylla leur imposa le paiement d’une indem¬
nité de 20 000 talents (Cic., Flacc., 32 : in omnes Asiae civitates)
qui correspondait au tribut des cinq années précédentes augmenté
du remboursement des sommes dépensées pour la guerre (Justin,
XXVIII, 3; Plut., Syll., 25; App., Mith., 62; le chiffre est à
Rome et la Méditerranée orientale 803

mettre en parallèle avec celui de la somme versée à Sylla par


Mithridate : le « vaincu triomphant » ne donna que 3 000 talents).
Les villes coupables de trop de complaisance envers le roi furent
en plus tenues d’entretenir les troupes dont il leur fut imposé
garnison. Broughton [335], IV, p. 417, a calculé qu’il leur en
coûta quelque 20 000 talents supplémentaires, sans compter le
prix des brutalités et exactions diverses : à Smyrne, en plein cœur
de 1 hiver, les citoyens se dépouillèrent de leurs vêtements à
l’assemblée même pour en vêtir les soldats dont on voit qu’ils
n’hésitaient pas à réclamer ce dont ils avaient besoin même quand
cela n’était pas prévu par leur général (Tac., Ann., IV, 66; sur
cet épisode, voir A. W. Lintott [2312]).

Clauses financières

Lever une telle somme d’argent posait d’abord un problème


technique, car le massacre de 88 avait fait disparaître les publi-
cains : la haine qu’on leur portait en avait fait des cibles de choix
(sur l’extension de leurs activités commerciales, notamment le
négoce des esclaves qui dépeuplait le royaume voisin de Bithynie,
cf. Diod., XXXVI, 3, 1 et les analyses de Rostovtzev [330],
p. 102, Vitucci [2364], Liebmann-Frankfort [1993], p. 189 sqq.,
et Badian [652], p. 88 qui simplifie trop la question). La levée
ne pouvait plus se faire que par l’intermédiaire des collectivités
locales (Cic., QF, I, 1, 33, cf. P. A. Brunt [832], état de la
question in Nicolet [684], p. 352), le principe même de son éta¬
blissement étant d’ailleurs tout à fait différent de ce qu’était la
dîme puisqu’il s’agissait de répartir le versement d’une certaine
somme entre les assujettis (le montant de cette indemnité avait été
évalué en fonction de ce que rapportait la dîme, mais cela ne
change rien à l’affaire). Sylla fut donc amené à diviser l’Asie
en 44 régions (Gassiodore, Chron., 670) qui n’étaient rien d’autre
que des districts financiers, chacun fournissant vraisemblablement
une part égale de l’imposition globale (aequaliter, dit Cicéron,
QF, I, 33 : chacune réunissait des territoires de population et
d’étendue diverses mais la richesse globale de chacun des
ensembles était la même). Cette division territoriale qui ne devait
pas être totalement nouvelle (elle fut mise en place très rapi-
804 IJ Orient

dement, App., Mithr., 62), fut maintenue quand l’Asie fut à nou¬
veau soumise aux règles de la lex Sempronia et fut utilisée chaque
fois que le gouvernement devait répartir une contribution (Cic.,
Flacc., 32 : « Il a réparti les contributions en argent d'après les rôles établis
par Pompée, lequel s'était conformé à la répartition de Sylla. Celui-ci avait
réparti toutes les cités d'Asie suivant leur importance — omnes Asiae civitates
pro portione discripsisset... »
De telles exigences provoquèrent évidemment une très grave
crise. Les cités durent emprunter pour s’acquitter de leurs obli¬
gations, et comme elles n’avaient aucune réserve, puisque Mithri-
date n’avait rien laissé à glaner, et peu de revenus, elles durent
souvent mettre en gage leurs bâtiments publics (App., Mith., 63)
pour garantir leurs emprunts. Le rendement espéré de leur misère
attira aussitôt une foule de financiers (nous savons combien ils
étaient nombreux à Lampsaque lors du séjour de Verrès, en 79,
Cic., Verr., I, 69, cf. ibid., 74; à Laodicée de Phrygie, lors du
procès de Philodamos, ibid., 73, siégeaient« certains citoyens créan¬
ciers des Grecs qui avaient souvent besoin des bonnes grâces des
magistrats romains pour faire rentrer leur argent »). En près de
quinze ans, ils réussirent à extorquer aux provinciaux 120 000 talents
(Plut., Luc., 7) et cela (comme le remarque Broughton [335], IV,
p. 545) sans risques excessifs. L’Asie était potentiellement riche
lorsque, par l’action de Lucullus, gouverneur en 70, les taux
d’intérêt furent ramenés à 12 % (Plut., Luc., 20; pour le calcul des
taux consentis en 84, cf. Broughton [335], IV, p. 561); elle put
rapidement s’acquitter. Les signes de pauvreté restèrent longtemps
visibles; cultes et panégyries furent interrompus, à Tralles, Milet,
Pergame. Nous connaissons les difficultés qu’éprouva la confédé¬
ration des cités groupées autour du sanctuaire d’Athéna Ilias
(L. Robert [2342]) en l’an 77. A Priène, il n’y eut ni stéphanéphore
ni banquets publics durant plusieurs années; de même à Milet,
durant deux ans, la fonction de stéphanéphore fut laissée au dieu
(Rehm [2123], II, p. 125). Il est peu de cités qui semblent avoir
conservé une certaine prospérité à l’instar de Stratonicée de Carie
(son temple fut reconstruit dans les années qui suivirent immédia¬
tement la guerre, Chamonard, BCH, 1895, p. 260-262, cf. L. Robert
[2338], p- 427)- Elle faisait partie des rares à avoir gardé sa fidélité
à Rome et reçut de grands privilèges, dont l’attribution de terri-
Rome et la Méditerranée orientale 805

toires qui lui fournirent de considérables moyens financiers (Sherk,


RDGE, n° 18, 11. 53-55, 98). Les zones attribuées sont désignées
sous le terme de politeia, ce qui signifierait — F. Papazoglu, REG,
1 959j P- 100-105 — qu’elles préservaient leur autonomie adminis¬
trative. Le problème de Yattributio dans le monde grec reste à étudier
malgré l’ouvrage de U. Laffi [2219] : il semble bien que ce ne soit
qu’une mesure financière qui n’implique pas à proprement parler
de soumission politique, cf. la revendication des Cauniens qui
furent à la même époque attribués à Rhodes « ils demandèrent au
Sénat de payer le tribut à nous plutôt qu'aux Rhodiens » (Cic., QF, I,
b 33)-
Les documents qui nous permettent de connaître, dans le détail, certaines
des mesures prises par Sylla durant son séjour en Grèce et en Asie, sont une
série de sénatus-consultes les ratifiant; ils ont été commodément rassemblés
(avec les lettres qui les présentent ou les évoquent) par R. K. Sherk, RDGE [247].
Mais il ne faut pas négliger de se reporter à certaines éditions originales où les
textes sont replacés notamment dans l’histoire locale, ainsi pour le sénatus-
consulte des Tabéniens, J. et L. Robert [2349] (Crawford-Joyce Reynolds ont
revu récemment la pierre et présentent quelques restitutions nouvelles sans
commentaire approfondi, GRBS, 1974, p. 289-293), pour le sénatus-consulte
des Thasiens, G. Dunant et J. Pouilloux [2 r 24]. Outre leur intérêt immédiat,
ces textes peuvent apporter des surprises par leur rapprochement même : ainsi
ils nous montrent que Rome à cette époque attendait de ses sujets et alliés une
« révérence pieuse », la katalogè qu’ils devaient lui garder en toutes circonstances ;
ce terme rare, qui apparaît très fréquemment dans l’ensemble de ces textes,
s’explique simplement en rapprochant la katalogè theôn athanatôn (sénatus-consulte
de Oropiis, Sherk, RDGE, n° 23, 1. 37, ou celle de Dionysos et des Muses, ibid.,
n° 49, B4, lettre de Sylla aux Technites) de la katalogè tes sugklètou kai dèmou
Rômaiôn (lettre de G. Cassius aux gens de Nysa pour signaler les services rendus
par Chaeremon aux troupes romaines, Sherk, RDGE, n° 48).

Outre son souci de récompenser ou de punir, Sylla se préoc¬


cupa aussi de rétablir l’ordre social ancien qu’avaient bouleversé les
mesures prises par Mithridate. Il voulut que les esclaves libérés
retrouvent leur statut de servitude. Cette mesure fut l’occasion
d’émeutes et de nouveaux massacres, mais son exécution ne fut
sans doute pas menée avec une grande persévérance puisque la
loi concernant Termessos évoquait encore l’aide que doivent
apporter les magistrats romains à ceux qui, dans les années 70
(cf. Magie [838], p. 1176, n. 34), cherchaient à récupérer leur
8o6 L'Orient

personnel. Il prit des mesures pour que les propriétés fussent


rendues, dans les territoires bouleversés par le roi, à leur légitime
propriétaire (à Chios notamment, la question n’est pas encore
réglée vers le début de notre ère, cf. Sherk, RD GE, n° 70,
A. J. Marshall [2319], ainsi que J. et L. Robert, Bull., 1973,
n° 336> cf- Th- Sarikakis [2080]). Mais en fait il semble bien que
Sylla ne s’intéressait pas à la vie des provinces, le symbole de cette
indifférence étant qu’il ne se soucia pas le moins du monde des
progrès que firent les pirates durant son séjour en Asie : lassos,
Samos, Glazomènes subirent leurs assauts (Appien, Mith., 63),
Ephèse ne fut vengée de leurs entreprises que par l’intervention
de mercenaires d’Astypalée (,Syll.2, 309), les îles Milésiennes
devinrent pour leurs expéditions un repaire sûr (sur ces territoires,
cf. après Haussoulier, le petit corpus de G. Manganaro analysé par
J. et L. Robert, Bull., 1966, n° 312). Samothrace même fut
attaquée alors que Sylla y faisait relâche et le temple se vit
enlever 1 000 talents d’ornements (Appien, Mith., 63). De même
qu’il avait laissé le roi le plus redoutable pour les Romains refaire
ses forces (parce qu’il avait besoin de traiter pour assurer sa vic¬
toire à Rome, Appien, Mith., 54, 56), il négligeait par mépris
pour des provinciaux dont la sécurité ne lui importait guère
(Appien, Mith., 63) un danger qui n’impliquait pas de consé¬
quences politiques. Néanmoins la société provinciale sortit quelque
peu transformée de la crise. Apparaît avec le sénatus-consulte
d’Asclépiade (Sherk, RD GE, n° 22) une classe de privilégiés :
trois navarques qui avaient servi dans les armées de Rome
(peut-être durant la guerre civile et la guerre sociale) jouirent
dès lors de l’exemption d’impôts, romains ou locaux, du droit
d’échapper aux lois de leur cité. Le nombre des exonérés fut bientôt
assez grand pour que leurs compatriotes aient souffert de ce qu’ils
nassui aient pas leur part des charges. Des études prosopogra-
phiques montreraient sans doute ce que fut l’emergence de familles
nouvelles dont la fortune tenait à leur attitude durant la guerre
mithridatique. Ainsi, à Milet, la famille d’Eucratès, homme nou¬
veau qui parvint sur le tard aux honneurs (stéphanéphore en 75-74,
prophète en 63, l’année même où son fils devient stéphanéphore à
son tour) et dont la famille ne cessa jusqu’à l’époque d’Auguste
d’exercer les plus hautes magistratures. Il y eut là l’amorce d’un
Rome et la Méditerranée orientale 807

profond renouvellement de la bourgeoisie locale qui ne fut pas


sans répercussion sur la nature même des rapports entre Rome et
les provinciaux.

2) l’orient RECONQUIS ET EXPLOITÉ

Après son départ d’Asie, Mithridate restait dangereux et, jus¬


qu’à sa mort, il fit peur aux Romains. Néanmoins, pour un cer¬
tain temps, le pouvoir de la République ne fut plus menacé en
Orient ; la preuve était faite que, malgré la médiocrité des hommes
qui la servaient pour se servir, malgré ses fautes politiques et les
soubresauts qui marquaient les luttes de ses factions, elle était
invincible. Confiante dans ses capacités à régir directement le
monde, elle étendit le régime provincial, plus sûr, plus avan¬
tageux sur le plan fiscal, l’organisa au mieux; les bienfaits que
procurait la paix qu’elle assurait n’allaient pourtant pas faire
oublier la rigueur de sa poigne.

A) Seconde et troisième guerres mithridatiques

Sylla avait laissé en Asie, avec les légions de Fimbria, son


légat L. Licinius Muréna qui y déploya une grande activité,
fondant des villes (cf. Habicht [2132], p. 74), pourchassant les
pirates (cf. R. Bernhardt [2285] avec le compte rendu par
J. et L. Robert, Bull., 1976, n° 660); il annexa à la province
Cybira, capitale de la tétrapole lycienne.

Peut-être la cité avait-elle fait acte d’allégeance à Mithridate durant la


guerre (Appien, Mith., 20), ce qui expliquerait que les membres de la tétrapole
n’aient pas suivi son destin. Peut-être Muréna cherchait-il en l’annexant à
assurer ses communications vers l’Anatolie du Sud, à moins qu’il n’ait voulu
mettre la main sur les mines de fer qu’elle possédait (Strabon, XIII, 4, 17).

Malgré la médiocrité de ses forces (cf. Harmand [934], p. 433),


il envahit en 83, puis en 82, le Pont (ce qui lui valut l’acclamation) :
Mithridate sut réagir, après en avoir appelé aux clauses du traité
de Dardanos, que Rome entendait considérer comme un accord
privé entre lui et Sylla. Il envahit la Phrygie: Muréna, incapable
8o8 U Orient

de le contenir, fut rappelé en 82, le roi put ainsi rétablir son


influence sur la Gappadoce (cf. Liebmann-Frankfort [1993],
p. 200 sqq.). Mithridate reprenait ainsi l’avantage à l’issue de la
« deuxième guerre ».
C est a partir de la province de Gilicie que Rome reprit
l’initiative. Succédant au désastreux Cn. Cornélius Dolabella
(son légat, puis légat pro quaestore était, durant le temps de son
gouvernement, en 80 et 79, le fameux Verrès, dont les pillages
n’épargnèrent pas la province d’Asie voisine, cf. Cic., 2 Ven.,
livre I), P. Servilius Vatia, que ses victoires firent surnommer
Isauricus, mena campagne en Pamphylie avec des forces impor¬
tantes (Cic., 2 Verr., I, 56), puis en Lycie, et s’empara de l’Isaurie
(sur le site d’Isaura Vêtus, cf. H. Hall [2300], sur Yevocatio de
ses dieux, cf. J. Le Gall [2308]). Il donna ainsi à sa province une
structure puissante ; Rome pouvait trouver là une bonne base de
départ, pour une offensive éventuelle en direction des territoires
contrôlés par le roi.
On a longtemps considéré les campagnes de Servilius dans la seule perspective
de la guerre contre les pirates (cf. Ormerod [2327]), d’autant plus facilement
que 1 on a douté de la réalité même de la province de Cilicie (au sens territorial
du terme, cf. supra) que R. Syme qualifia d’elusive entity [2095]. Th. Liebmann-
Frankfort [1993], p. 209, Sherwin-White [2096], p. 11, ont souligné l’impor¬
tance que pouvait avoir le contrôle de ce territoire dans une perspective straté¬
gique beaucoup plus large (pour la surveillance notamment de l’Anatolie
centrale et en l’occurrence de Mithridate, cf. Plutarque, Luc., 1, 5); il n’est pas
étonnant donc que la province ait été méthodiquement constituée, agrandie
au fur et à mesure que les intérêts de Rome se diversifiaient en Orient. Les
victoires de Pompée lui adjoignirent la Gilicie Plane et la Cilicie Trachée,
entre 56 et 50 les trois diocèses de Phrygie lui furent rattachés : ce sont les régions
d Apamée, Cibyra, Synnada qui appartenaient jusqu’alors à l’Asie cf Syme
[2093], P- 301, Magie [838], p. 376, 1256, n. 77; durant cette période ces
territoires restèrent peut-être dans le système fiscal de la province d’Asie,
cf. Badian [652], p. 107. L’union, à la même période, de la Cilicie et
de Chypre fut en revanche une mesure nécessitée par les besoins de la
pohtique intérieure de Rome (cf. Badian [652], p. 115 sqq.) ; il semble d’ailleurs
que 1 île resta une province autonome que seule la personne de son gouverneur
unissait au continent (Cicéron devait en principe séjourner dans l’île pour y
rendre Injustice et en tout cas ne pouvait évoquer les Chypriotes sur le continent,
Cic., Att., V, 21, 6; de la même façon la loi prévoyait que le gouverneur de
Macédoine devait passer chaque année un certain temps en Chersonnèse
Rome et la Méditerranée orientale 809

Caenique, selon le texte nouveau découvert à Cnide, cf. supra, p. 797). Le fait
qu’ait été par la suite nommé un questeur en poste à Chypre (Cic., Fam., XIII,
48) corrobore cette conclusion (contra A. J. Marshall [2316]).

Le commandement de Lucullus

En 74, Mithridate réunissait des armements considérables,


faisait entraîner ses recrues par les conseillers militaires que lui
fournissait Sertorius (cf. Gabba [911] et Scardigli [2355]). La
guerre à nouveau menaçait. Lucullus intrigua alors pour recevoir
le gouvernement de la Cilicie, ce qui lui garantissait l’exercice
du commandement contre Mithridate (Plut., Luc., 6, 1-5); l’Asie
fut ajoutée à sa province quand il fut clair que sa mission ne pou¬
vait être menée à bien sans qu’il emploie les troupes qui y étaient
stationnées (notamment les anciens soldats de Limbria laissés en
Asie par Sylla).
L’extension de sa province ainsi que la date de son départ pour l’Orient
ont suscité de nombreuses discussions. Il est hors de doute que Lucullus quitta
Rome avant la fin de son consulat car il faut tenir compte de l’opposition qui
existe entre Per., 94 : « L. Licinius Lucullus consul adversus Mithridatem féliciter
pugnavit», et Per., 95 : « L. Lucullus pro cos. ad Cysicum urbem exercitum Mithridatis
famé ferroque delevit» (cf. J. P. V. D. Balsdon [829], p. 61-63, contra Magie [838],
p. 1204, n. 5, bibliographie in van Oothegem [1221], p. 68 sq.). Il regroupa ses
troupes à Ephèse (Plut., Luc., 7, 1), ce qui implique qu’il agissait soit en vertu de
l’imperium consulaire (cela lui donnait le droit d’intervenir en quelque province
qu’il lui plût de parcourir, cf. Cic., Att., VIII, 15, 3, « ipsi consules quibus more
maiorum concessum est omnes adiré provincias »), soit tout simplement parce que son
arrivée marquait la fin du gouvernement de son précédesseur M. Juncus (l’idée
de Magie selon laquelle il n’aurait reçu l’Asie qu’en 71 [838], p. 294, 1127,
n. 47, n’a guère de fondement, cf. notamment Broughton [1133], II, p. 106-108).

Menant des opérations de diversion contre l’Asie, la Phrygie et


même l’Isaurie et la Cilicie (App., Mith., 75, de nombreux
Romains réinstallés pour leurs affaires furent alors victimes de
son armée), le roi fit porter l’essentiel de son effort contre la
Bithynie : les troupes romaines y étaient commandées par un
médiocre général, le gouverneur Cotta. C’était aussi une province
nouvelle sur laquelle venaient de se précipiter avec toute leur
avidité les publicains; la haine pour les Romains y était donc
vive (les publicains avaient déjà une triste réputation en Bithynie,
8io U Orient

car c’est dans ce royaume, qu’avant la provincialisation ils recru¬


taient les esclaves qu’ils employaient dans leurs entreprises
— salines, mines — ou vendaient en Occident, cf. Verbrugghe
[2169], Diod, XXXVI, 3, 1 ).

L’année 74 fut marquée par une importante extension du système provincial.


Les Romains voulaient sans doute favoriser les entreprises de leurs negotiatores
et des sociétés fermières. C’est le hasard qui provoqua la mort en cette année de
Nicomède IV dont le testament laissait à Rome son royaume (sur la valeur
juridique des testaments faits par les rois hellénistiques en faveur des Romains,
cf. Th. Liebmann-Frankfort [1993], p. 73, qui donne de la question une
bibliographie raisonnée), mais c’est bien une volonté politique qui fit aussitôt
charger le gouverneur d’Asie de prendre d’urgence les mesures nécessaires à
l’annexion, et désigner le consul Cotta comme premier titulaire de la province.
De la même façon, c’est un souci de politique économique qui fit nommer un
questeur pro praetore en Cyrénaïque (région dont on ne s’était guère occupé
depuis la mort en 96 de son dernier souverain et l’acceptation du legs de ses
possessions, cf. Joyce Reynolds [2391]); sans doute n’y eut-il pas de gouverneur
à Cyrène avant 63, l’activité des sociétés fermières étant limitée à l’exploitation
des anciens domaines royaux (cf. Oost [2386] discuté par Badian [2281] et
cf. G. Perl [2390] et désormais A. Laronde [2382]), néanmoins le sens de la
désignation de P. Lentulus Marcellinus, éclairé par le parallèle des mesures
prises en Bithynie, est clair (sur le problème de l’exploitation du silphion, outre
les articles cités, cf. Coster [2378]).

Lucullus alors se précipita vers le Nord, bloqua le roi devant


Cyzique, détruisit sa flotte : à l’été 73, Mithridate devait rentrer
chez lui, abandonner à la vengeance de Rome ceux qui, de gré
ou de force, l’avaient aidé (ainsi les cités d’Héraclée, Memnon
%t 27, de Lampsaque, Dunant-Pouilloux [2124], p. 171). D’accord
avec Cotta et avant de lui succéder en sa province (Cotta devait
bientôt rentrer à Rome pour y répondre de ses malversations,
cf. Gruen [1218], p. 269 et notes), Lucullus envahit le Pont
(Magie [838], p. 732, Th. Liebmann-Frankfort [1993] montrent
I importance de cette decision). Le roi s’enfuit en Arménie et le
proconsul put alors rentrer en Asie où ses réformes soulagèrent
quelque peu les provinciaux de leur misère.
L’offensive de Lucullus fut coordonnée avec celle que son frère, M. Terentius
Varro Lucullus, proconsul de Macédoine en 72-71, mena contre les cités du
Pont gauche (sur ce nom cf. P. Chantraine, Gedenschnft P. Kretschner) où Mithri¬
date entretenait des garnisons (App., Illyr., 30, Latyschev, 10SPE, I. 25) La
Rome et la Méditerranée orientale 811

cité de Callatis signa alors un traité d’alliance avec Rome, la Thrace sub-danu-
bienne entra dans la mouvance romaine et y resta jusqu’à l’époque du roi
Burebista (sur les rapports entre ce dernier et Pompée à l’époque des guerres
civiles, cf. Mihailov, IG Bulg., I, 13). Outre les travaux de D. M. Pippidi
(cf. [2265]) qui connaît et expose avec clarté les problèmes de ces régions, voir
divers articles parus ces dernières années dans les revues Pontice et Dacia
(notamment [2251], [2264], [2272], [2273]); sur le stratège installé à Messem-
bria, voir Mihailov, IG Bulg., 157, plutôt que Sarikakis [2080].

En 69, sua sponte (cf. Th. Liebmann-Frankfort [1993],


p. 229 sqq.), Lucullus entra en Arménie et sa victoire provoqua la
dislocation de l’empire de Tigrane. Le Séleucide Antiochos XIII
put se réinstaller à Antioche; les habitants de la cité avait fait,
en 83, appel à Tigrane pour régner sur la Syrie : sur cette affaire,
cf. Will [1976], II, p. 380 sqq. avec bibliographie. Puis il soumit
la Gommagène dont le roi Antiochos Ier est bien connu par les
inscriptions de son spectaculaire monument funéraire de Nimrud
Dagh (cf. Schlumberger [2409], p. 45 sqq. et bibliographie, p. 231 ;
l’importance du succès de Lucullus n’est pas à la mesure du nom
du roi : Basileus Megas Antiochos Theos Dikaios Philoromaios
Philhellen). Pourtant en 68, après une victoire à Artaxata, les
troupes romaines fatiguées, éloignées depuis longtemps de la patrie,
se révoltèrent et refusèrent de poursuivre la campagne (Cic., Imp.
Pomp., 23 sqq., cf. Harmand [934], p. 52, 280 sqq.; 321, n. 17).
L’aventure se terminait sur un échec grave, Tigrane était sauvé,
Mithridate rentra dans le Pont. Pompée arrivait pour prendre le
relais et pouvait se montrer méprisant pour son prédécesseur.
Lucullus, triomphateur mal aimé, rentra à Rome où il eut toute
latitude de dîner chez lui-même, ses campagnes l’avaient enrichi
(Dion Cass., XXXVI, 15, 1 ; 17, 2; Plut., Luc., 35, 36).

B) Pompée en Orient

Contre les pirates : la lex Gabinia (6y)


Dans les années qui suivirent la première guerre de Mithri¬
date, le fléau de la piraterie avait pris des proportions terrifiantes
(voir Ormerod [634], les sources littéraires sont commodément
rassemblées par Ziebarth [2369]). Cicéron {Imp. Pomp., 54)
8l2 L’ Orient

signale que la voie appienne elle-même n’était pas sûre, qu’une


flotte romaine avait été prise dans le port d’Ostie (ibid., 32-33),
la mer était comme close aux navires de commerce et aux vais¬
seaux de guerre (ibid., 53). Rome était largement responsable de
cette situation car elle avait longtemps profité du marché servile
que les entreprises des pirates avaient démesurément développé.
Délos était le plus grand centre méditerranéen d’échanges d’esclaves
(cf. Roussel [641], p. 19; Strabon, XIV, 5, 2 : une longue tradition
de ce type de commerce existait dans l’île, cf. IG, XI, 1054), « au
grand déshonneur et à la honte du peuple romain » (Plut.,
Pomp., 24; cf. Cic., Imp. Pomp., 31, « belium tam turpe » et 52;
les commerçants romains y étaient nombreux, avant qu’en 69 le
sac de l’île par le brigand Athenodoros ne les fît se replier sur
Argos, cf van Berchem [643]. Mais la collusion des chefs pirates
avec Mithridate ainsi que le fait que les entreprises de leur flotte
se rapprochaient de l’Italie décidèrent Rome à mettre un terme
à ce qui pour les Orientaux était une source permanente de terreur.
On ne compte plus le nombre d’inscriptions ou de textes qui
témoignent de ce qu étaient alors les enlevements de personnes, le
pillage, l’esclavage de paisibles citoyens capturés au cours d’un
îaid, cf. Rostovtzev [33°L P- I5I4> n- 4$; Ph. Ducrey, Le traitement
des prisonniers dans la Grece antique des origines a la Grèce romaine
p. 186-187.
La lex Gabinia « de uno imperatore contra praedones constituendo »
(Cic., Imp. Pomp., 52) confia à Pompée la mission de détruire
les piiates, il îeçut pouvoir d agir sur toutes les mers, ainsi que
sur une bande côtière de cinquante milles (App., Mith., 84;
cf Plut., Pomp., 25). Il avait la possibilité de lever auprès des rois,
des dynastes, peuples, cités qui se trouvaient dans sa zone de
commandement des troupes et des fonds. Lui était aussi voté un
crédit de 6 000 talents qu’il devait percevoir dans les caisses
publiques des provinces (tamieia, dit Plutarque) ou par l’inter-
médiaii e des sociétés de publicains (l’existence de caisses provin¬
ciales a été admise par Jones [2216], p. 22 sqq., Millar [2227],
Brunt [2202], mais contestée par Steffensen [2235]).
L’extension du commandement de Pompée n’est guère précise, le statut des
îles n’est pas clair. Metellus qui faisait campagne en Crète refusa de se soumettre
à ses ordres (peut-être n’était-il pas tenu de le faire); la nature même de son
Rome et la Aléditerranée orientale 813

imperium a soulevé des discussions (qui ne sont pas de notre ressort à propre¬
ment parler), cf. après le grand article de V. Ehrenberg [1148], celui de
Jameson [1157]. Sont intéressantes, pour comprendre ce que fut le statut des
légats (auxquels fut confié chacun des secteurs d’opération pour qu’aucun
ennemi n’échappât à la multiplicité des flottes qui furent alors levées), ainsi
que la responsabilité qu’ils purent exercer dans l’administration des secteurs
où iis opéraient, les inscriptions publiées par Joyce Reynolds [2391].

L’institution de ce grand commandement mettait fin à plu¬


sieurs décennies d’atermoiements et de demi-mesures. Pompée
avait les moyens juridiques et financiers de son action, il était seul
responsable d’un secteur d’opération défini dans sa globalité, il
devait (vu d’autre part ses qualités militaires) réussir. En quelques
semaines les flottes ennemies étaient vaincues, ceux qui les armaient
allaient pouvoir parfois se reconvertir à la vie urbaine (certaines
des fondations ou refondations pompéiennes servent à fixer d’an¬
ciens pirates repentis, ainsi à Dymè, cf. Accame [827], p. 152,
mais voir A. Dreizehnter [2293]).

Le précédent de AL. Antonius Cretïcus

La lex Gabinia ne fut pas la première qui organisât un grand commandement


unifié contre les pirates. Déjà M. Antonius, de 73 à 71, investi d’une « curatio
tuendae totius orae maritimae », avait parcouru la Méditerranée orientale; son
imperium n’était pas défini par les limites d’une province traditionnelle. S’il
est dit in IG, IV, 2, 66 stratège épi Kretôn, ce ne peut être par une traduction
littérale de la formulation latine de sa titulature; longtemps d’ailleurs on a cru
pouvoir restituer sur la pierre épi pantôn stratégos, IG, IV, 61, 3, 2, ce qui faussa
bien sûr toute discussion sur la nature de son commandement ; il était donc
considéré comme infinitum (Cic., 2 Ven., II, 8), ce qui n’a rien à voir avec une
quelconque autorité qu’Antonius aurait eue sur ses collègues promagistrats
(le débat, qui n’est pas simple, se fonde sur l’article remarquable, mais dépassé
par l’état des sources, de Foucart [2252]; il a été éclairé par la note de Béranger
[1139], repris récemment par E. Maroti [2223]). Antonius n’avait peut-être pas
les moyens de sa politique, notamment sur le plan financier. Le souvenir de
ses réquisitions est conservé par diverses inscriptions en Grèce, à Epidaure (IG,
IV, 2, 66), à Gythion (SyllA, 748), contrainte alors de contracter auprès des
Cloatii, capitalistes qui semblent avoir le monopole des prêts consentis à la ville,
divers emprunts. A Egine aussi — qui fait partie de la province d’Asie, cf. Magie
[838], p. 155 et 1044, n. 29, ce qui oblige à dater l’inscription de Diodoros
de 71-70 — les eisphorai qui ont épuisé la cité ne sont pas à mettre en rapport
814 L' Orient

avec les croisières du pirate Athenodoros en 69, mais avec les exigences de
M. Antonius. L’activité de M. Antonius s’étant essentiellement orientée contre
les pirates crétois (cf. Liv., Per., 97 : « M. Antoniuspraetor bellum advenus Cretenses
parum prospéré susceptum morte sua finiit »), le Sénat voulut prolonger son action
par la constitution d’une véritable province de Crète confiée en 68 à Q. Metellus
(qui y gagna le surnom de Creticus). A laprovincia Creta (pro Plane., 27, cf. G. Perl
[2390]), qui, étant à conquérir, ne pouvait se suffire à elle-même, fut adjointe la
Grèce (base arrière à M. Antonius) détachée ainsi pour un temps de la Macédoine
(cf Cic., pro F lac., 63 : L. Flaccus, légat de Q,. Metellus, fut nommé préfet et
prit en charge l’administration de l’Achaïe-Béotie-Thessalie. La triple désigna¬
tion « Achaia, Boeotia, Thessalia » est traditionnelle à l’époque pour nommer le
territoire grec de statut provincial, Cic., Dom., 60). Pompée se heurta à lui (ainsi
que le légat auquel il avait confié l’« Hellade», archôn t'es Hellados, Diod., XXXVI,
18, 19, cf. Liv., Per., 99) mais ne put lui imposer ses vues, aussi est-ce à Metellus
que revint en 66 de donner des lois à une nouvelle terre romaine (Liv., Per., 100;
sur l’existence d’un koinon crétois qui semble démontrée par Cic., Flac., 100,
cf. Deininger [2207], p. 12; sur l’union de cette province à celle de Cyrène,
cf. Perl [2390], p. 331, et le caractère de cette union, J. A. O. Larsen, Class.
Phil., 1952).

Contre Mithridate : la lex Manilia (66)

Les échecs de Lucullus en Orient, la médiocrité de ceux entre


qui l’on partageait certaines de ses provinces, la haine des affai¬
ristes auxquels il n’avait pas voulu complaire (cf. Brunt [2244 &],
p. 132 sq. et 148 sq., Liebmann-Frankfort [1993], p. 246) éten¬
dirent encore les pouvoirs de Pompée : au début de 66, la lex
Manilia lui confia la guerre contre Mithridate et Tigrane. Il était
clair que désormais un seul homme était maître de la totalité de
1 Orient romain parcouru d’armées qu’il était seul à commander
(Appien, Mith., 97). Rome découvrait sans doute qu’un roi ne
pouvait plus être combattu que par un prince.
Devant l’offensive des armées romaines venues de Cilicie,
Mithridate céda, desespérant de négocier, ne pouvant trouver
hospitalité auprès de Tigrane qui, soumis aux pressions des
Parthes, méditait de rentrer dans l’alliance et la protection de
Rome. Il partit par la Colchide vers ses terres de Crimée où
l’attendaient son fils Pharnace et des troupes prêtes, pensait-il, à
de nouvelles aventures. Depuis quelques années il préparait une
grande entreprise, peut-être une offensive vers l’Occident, Appien,
Rome et la Rféditerranée orientale 815

Mith., 109, voir L. Havas [1508] cité par Olshausen [2325],


p. 814, n. 51 ; de nombreuses émissions monétaires très caracté¬
ristiques marquent cette période d’intense activité, cf. [2129].
Pompée ne pouvait le poursuivre et les campagnes menées à
l’est de la mer Noire servirent seulement à l’exaltation future du
conquérant (cf. D. Michel [2184], O. Weippert [2190]). Mais
la révolte de ses sujets, de Pharnace et de ses officiers accula
Mithridate au suicide (63). Pompée était alors en Syrie : accueilli
avec enthousiasme par les populations (en témoigne l’usage
immédiat en diverses cités de plusieurs ères pompéiennes, cf. H. Sey-
rig [2357] et [2358]), il déposa le roi Antiochos XIII installé par
Lucullus et constitua une nouvelle province des débris de l’ancien
royaume. La raison de cette mesure qui tranchait avec la politique
prudente de Lucullus (cf. Downey [2291], [2292]) est difficilement
analysable (état de la question in Th. Liebmann-Frankfort [1993],
p. 288 sq.; E. Will [1976], II, p. 424 sqq.; Badian [356]) : sans
doute convenait-il de faire sortir du chaos (la dynastie séleucide
en paraissant désormais tout à fait incapable) une riche région
dont la situation stratégique et la tradition historique pouvaient
inspirer aux Iraniens quelque convoitise.

Le règlement pompéien

Pompée revint en Asie où, dès lors sans inquiétude, il put se


consacrer à la mise au point de l’organisation anatolienne dont
les grandes lignes avaient été définies au cours de l’hiver 65-64.
Le territoire provincial y fut élargi par l’extension vers la Cilicie
géographique de la province dite Cilicie. A la Bithynie (province
nouvelle, car Pompée n’avait pas voulu accepter le travail
accompli par la Commission des Dix qui assistait Lucullus),
furent attribués divers territoires pontiques. Strabon les fait
connaître, d’autant mieux informé qu’il était originaire de la
région, que sa famille y avait joué un certain rôle —■ cf. XII,
3, 33 —- et que l’une de ses sources était Théophane de Mytilène,
un ami de Pompée (sur ce personnage cf. [2347] et infra; néan¬
moins l’interprétation des renseignements qu’il donne n’est pas
aisée, voir Magie [838], p. 360, 1231 sqq., Wellesley [2366],
Th. Liebmann-Frankfort [1993], p. 278, A. J. Marshall [2318]
8i6 V Orient

avec bibliographie, A. Dreizehnter [2293]). Ces territoires furent


divisés en onze circonscriptions administratives (politeiai) per¬
mettant un certain contrôle de la population et une meilleure
intégration à la province. Pour le reste des territoires dont il
était, par sa victoire, à même de disposer, il les laissa (comme il
avait fait en Syrie) à des dynastes locaux. Les Galates, dont les
tétrarques avaient été pour la plupart exterminés par Mithridate,
furent regroupés sous l’autorité de trois chefs, le plus favorisé
étant le Tolistoage Dejotaros (dont la fidélité à Rome ne s’était
jamais démentie, cf. Magie [838], p. 373) qui reçut le titre de
roi. La Cappadoce aussi fut agrandie, son roi Ariobarzane
contrôlait désormais toutes les voies de communication, aussi
bien vers l’Asie que la Syrie (Th. Liebmann-Frankfort [2311],
p. 421), fort de l’appui moral de Rome mais faible de ce que sa
situation l’obligeait à d’énormes emprunts auprès de ses protec¬
teurs ; ceux-ci, tout en s’enrichissant, le tenaient ainsi en lisière (sur
les créances de Pompée et de Brutus, voir Cic., Att., VI, 13; 3, 5).
Utiliser les services de « rois clients » (cf. Sands [2352],
Cimma [2190 b~\) n’était pas en fait, pour Pompée, le retour à une
politique d’Etats tampons chargés de protéger les provinces sen¬
ties comme la véritable chair de l’empire. Les souverains savaient
qu’ils appartenaient au monde romain (et payaient assez cher pour
cela, cf. Badian [652], p. 79 : « Pompey had combined the
advantages of the traditional policy — freedom from adminis¬
tration — with the chief advantage — as it now was — of
imperialism : large revenues », Dahlheim [2206], p. 261 sqq.).
Ils n’étaient que les instruments des magistrats et du Sénat, le
système provincial n’était plus ainsi qu’un moyen parmi d’autres
d’exercer une domination que nul n’était à même de contester
(cf. R. D. Sullivan [2164], qui montre la solidité de l’œuvre
dynastique de Pompée très au fait des intrigues familiales de
l’Orient). Strabon (XVII, 3, 24) décrit parfaitement ce qu’était
le monde en cet état de grâce qui ne pourrait revivre qu’avec
Auguste : dans la diversité des statuts de chacune des commu¬
nautés unies sous l’hégémonie de Rome paraissait naître une sorte
de liberté, ainsi que l’espoir d’une paix durable. Malheureuse¬
ment, l’idée que Pompée avait « repoussé aux limites du monde
les bornes de l’Empire romain » (Diod., XL, 4) était fausse;
Rome et la Méditerranée orientale 817

quels qu’aient été les efforts de sa propagande (cf. Ander¬


son [2173]), ils ne pouvaient faire que n’existent en Syrie des tribus
avides de pillage (App., Syr., 51), des Juifs mécontents, ou des
voisins dont la puissance et les ambitions pouvaient apparaître,
rh. Liebmann-Frankfort ([1993], 313 sqq.) a fort justement
montré comment l’impression de sécurité née à la fin des guerres
mithridatiques amena Rome à négliger le problème parthe (ces
gens n’étaient-ils pas au nombre des pacatissimi, Cic., Dom., 60)
et conduisit ainsi à l’humiliante défaite de Grassus (cf. infra).
Il n’est pas de notre propos, car cela ne témoigne pas d’une
réflexion sur l’impérialisme, de souligner ici combien la ratifi¬
cation des acta pompéiens fut difficile (« Pompée était le princeps
sans contestation possible, mais pas à Rome », R. Syme [1226],
p. 41).
G) L'exploitation de l'empire

L’empire de Rome était bâti à son seul bénéfice, il devait donc


rapporter. Or, durant le premier tiers du Ier siècle, le maintenir
coûta cher : la guerre extérieure ne cessa guère, ni en Macédoine où
la pression des tribus du Nord resta toujours préoccupante (cf. Cic.,
In Pis., passim, Sarikakis [2080], F. Papazoglu [2262], [2263]),
ni en Asie où les victoires n’empêchaient pas que les habitants
s’inquiétassent, ce qui provoquait des difficultés économiques.
La seule peur de la guerre faisait « délaisser les troupeaux, aban¬
donner les cultures, suspendre la navigation commerciale, ainsi
ni les douanes des ports, ni les dîmes, ni l’enregistrement du bétail
ne pouvaient plus fournir de revenu, on perdait souvent le produit
des impôts de toute une année pour une simple alarme, pour la
seule crainte d’une guerre » (Cic., Imp. Pomp., 15; la lex censoria
prévoit au bénéfice des publicains une clause de sauvegarde
pour fait de guerre, cf. Cic., Prov. Cos., 12 et Pis., 84, Fam., XV, 1,5).
Les provinciaux et les alliés furent donc invités à participer à l’effort
que faisaient les soldats romains, on les persuada qu’ils devaient
acheter d’une part de leurs revenus la paix continuelle que Rome
s’engageait à leur procurer (Cic., QF, I, 1, 34; cf. Tac., Hist., 4, 74,
Smethurst [2189]; les alliés de Rome étaient tenus à rendre des
« services d’amitié » — Strabon, VIII, 55; sur les contributions
des cités et territoires libres, cf. A. H. M. Jones [2217] et [2218],
ROME, 2 12
818 V Orient

R. Bernhardt [2190 c], [2078], [2197]). Le souci des magistrats


était de faire que rentrent les impôts statutairement imposés à
la province, que les domaines publics rendent leur revenu ordi¬
naire, tout en faisant retomber au maximum les frais d’adminis¬
tration (par le biais de Yhospitium ou de réquisitions) sur le dos
des administrés eux-mêmes. Sylla trouva naturel de réclamer à
l’Asie (Appien, Mith., 62) les « cinq années de tribut en retard
ainsi que le défraiement des dépenses de guerre »; il n’est pas un
agent de Rome qui n’ait considéré que le versement d’impôts
n’était rien d’autre que « le prix de la victoire et la sanction de la
guerre » (Cic., 2 Verr., III, 12). Même les jeux du peuple roi
devaient se célébrer aux frais du paysan asiatique que l’on conviait
fréquemment à chasser la panthère (« vectigal aedilicium, iniquum
et grave vectigal », dit Cicéron, QF, I, 1, 26; ce fut à l’honneur des
Cicérons de l’interdire dans leurs provinces respectives, réfé¬
rences in T. R. S. Broughton [1133], p. 578, Fallu [788], p. 225),
quand Clodius ne préférait pas faire exposer aux fauves quelque
Macédonien (Cic., Pis., 89 : tous ceux dont Cicéron clame qu’ils
étaient des amis et des alliés du peuple romain n’étaient peut-être
pas des malandrins ou des prisonniers barbares).

Les revenus que Rome tirait de ses provinces orientales sont connus essen¬
tiellement par l’œuvre de Cicéron, discours ou correspondance. Il n’est peut-être
pas inutile donc de rappeler que la Macédoine payait un tribut depuis la chute
de ses rois (cf. supra), l’Asie une dîme (pro Flac., 19) ainsi que le produit de la
taxe sur les pâturages (scriptura) et unportorium (droits de douane); de même la
Cilicie (Cic., Ait., V, 15, 4; V, 13, 1), la Bithynie (Cic., Fam., XIII, 65, XIII, 9),
la Syrie (Cic., Prov. Cos., 10; Pompée y a sans doute étendu le système asiatique
d’imposition, cf. Badian [652], p. 75). Les anciens domaines royaux étaient
exploités : ainsi rapportaient les terres jadis possédées par Persée en Macédoine
(Cic., Leg. Agr., II, 50, « a censoribus locati sunt et certissimum vectigal... ») et les
mines (ibid., I, 1; II, 50; cf. Jonkers [2143], ad toc.), la Chersonnèse (ancienne
possession d’Attale qui était rattachée administrativement à la province d’Asie,
cf. U. Kahrstedt, Beitràge zur Geschichte der Thrakischen Chersones, Baden-Baden,
■954; P- 3> et L. Robert, Bull., 1954, n° 54,1955, n° 156; il ne faut pas la confondre
avec la Chersonnèse Gaenique, province rattachée à la Macédoine dont il est
question dans le discours In Pis., 86), les domaines royaux de Bithynie (Leg.
Agr., II, 50), Cilicie, Pont, Paphlagonie, Cyrénaïque ou de l’Antiliban (Cic.,
Att., II, 16, 2). Les publicains exploitaient en Anatolie des mines (Strabon,
XII, 3, 40; l’affaire était peu rentable car les mineurs, des condamnés, souffraient
Rome et la Méditerranée orientale 819

de l’insalubrité du lieu), des salines (en Bithynie, Le g. Agr., II, 40; en Asie,
notamment à Priène, Ins. von Priene, n° 111, cf. Nicolet [684], p. 351 ; cf. L. Robert
t2337]> PP- 436-439) ou des pêcheries.
Toutes ces ressources pouvaient paraître abondantes : or il semble que l’Asie
était la seule province à « faire ses frais » (Cic., Imp. Cn. Pomp., 14; cf. Jonkers
[2I42L arl t°:-) : « Les revenus que nous tirons des autres provinces, Quirites,
sont à peine assez grands pour nous suffire à assurer leur protection. Mais l’Asie
est si riche que la fécondité de son sol, la variété de ses productions, l’ampleur
de son élevage, la multitude des denrées d’exportation lui donnaient sans
conteste la supériorité sur tous les pays. »

La fiscalité : les publicains

Un double système d’imposition avait donc été mis en place :


en régime normal, l’Etat, par l’intermédiaire de ses fermiers,
assurait la permanence de ses revenus, et en cas d’urgence (lorsque
menaçait la guerre, mais aussi lorsqu’il fallait assurer certains
services immédiats), les gouverneurs procédaient à des levées
supplémentaires. Un équilibre devait s’établir entre ces exigences
impératives, une concurrence (dont Badian, dans son livre volon¬
tairement provocateur [652], p. 114 sqq. a montré la dureté)
s’établissait entre magistrats et sociétés publicaines, chacun s’effor¬
çant à son profit exclusif de tondre au plus ras les administrés; elle
se prolongeait parfois par des procès publics où les plus rapaces
des gouverneurs se voyaient reprocher d’avoir par leurs exigences
empêché les financiers professionnels de réaliser leurs bénéfices
ordinaires.
La rapacité des publicains dans leurs rapports avec les Orien¬
taux leur avait valu quelques déboires au début du siècle
(cf. supra). Après la victoire de Sylla, ils avaient repris leurs mau¬
vaises habitudes et l’état de l’Asie, avant que Lucullus ne vienne
mettre un terme à certaines de leurs pratiques (ce qui lui valut
une grande reconnaissance des provinciaux qu’exprime l’abon¬
dance des marques d’honneur qui lui furent attribuées, cf. en
dernier lieu, J. et L. Robert, Bull., 1970, n° 441) est décrit en un
tableau saisissant par Plutarque {Luc., 20, 2, trad. Jacques
Amyot, XXXV; cf. Green, CR, 1927, p. 124) : « La pauvre pro¬
vince était affligée et opprimée de tant de maux et de misères,
qu’il n’est homme qui le pût presque croire, ni langue qui le sût
820 U Orient

exprimer, et ce par la cruelle avarice des fermiers, gabelleurs et


usuriers romains qui la mangeaient et la tenaient en telle captivité,
que particulièrement et en privé, les pauvres pères étaient contraints
de vendre leurs petits enfants et leurs jeunes filles à marier pour
payer la taille et l’usure de l’argent qu’ils avaient emprunté
pour la payer, et publiquement et en commun les tableaux dédiés
aux temples, les statues de leurs dieux et autres joyaux de leurs
églises; encore à la fin étaient-ils eux-mêmes adjugés comme
esclaves à leurs créanciers, pour user le demeurant de leurs jours
en misérable servitude, et pis encore était ce qu’on leur faisait
endurer avant qu’ils fussent ainsi adjugés; car ils les emprison¬
naient, ils leur donnaient la géhenne, ils les détiraient sur le
chevalet, ils les mettaient aux ceps et les faisaient tenir à découvert
tout debout en la plus grande chaleur d’été ou de soleil, et en
hiver dans la fange ou dessous la glace, tellement que la servitude
leur semblait un relèvement de misères et repos de leurs tour¬
ments. » La vigilance d’un Mucius Scaevola n’avait fait qu’inter¬
rompre ce genre de procédés; Lucullus s’y était attaqué, mais la
noirceur de ce tableau ne décrit pas la seule décennie 80-70. De
nombreux documents officiels évoquent en effet les souffrances
des provinciaux (Th. Drew-Bear [2294], pour commenter un
décret de la communauté d’Asie, en fait un répertoire, cf. L. Robert
[2337], p. 436-439) qui tentaient de se défendre en intervenant
auprès des gouverneurs (comme les gens d’Andros, IG, XII,
suppl. 261), ou soutenus par leur patron devant le Sénat (cf.
L. Harmand [754]). Parfois ils ne manquaient pas d’alliés à
Rome, ainsi les Grecs d’Asie qui vinrent en 59 se plaindre des
publicains qui réclamaient des droits dans les ports sur les mar¬
chandises en transit (portorium circumvectionis) et voyaient leur
cause appuyée par les negotiatores dont les intérêts étaient aussi
grandement lésés dans l’affaire.

Les sociétés fermières sont étudiées par des travaux anciens, Kniep [837] ,
Ivanov [835 b], et par Badian [652] et Nicolet [839; 841]; cf. Vol. I, 260-269.
On ne sait pas très bien ce qu’étaient leurs activités en Macédoine (Cic., 2 Ven.,
III, 27; cf. Pis., 98) où le Sénat avait hésité à les introduire (T.-L., XXXV,
18, 3) ; de ce qu’elles font en Syrie, nous ne connaissons guère que les ennuis que
leur a procurés Gabinius (Cic., Prov. Cons., 10; QF, II, 11, 2; III, 2, 2; Flavius
Josèphe, AJ, XIV, 6, 104, utilisant des sources locales montre combien son
Rome et la Méditerranée orientale 821

gouvernement fut apprécié des autochtones). Pour l’Anatolie, les renseignements


sont plus abondants (il manque néanmoins la correspondance entre Cicéron et
son frère Quintus qui fut sans doute détruite volontairement, Fallu [788], p. 186,
et qui sans doute eût été précieuse). Le champ d’action de chacune des nom¬
breuses compagnies qui se partageaient les divers impôts n’est pas toujours
parfaitement connu : on a pu croire, à tort, que les affaires de P. Terentius
Hispo s’étendaient à l’Asie et à la Bithynie. L’étendue des zones faisant l’objet
d’une locatio séparée donne lieu à de larges controverses : pour ce qui est de
l’Asie, un passage du pro Flacco (90) a pu faire croire que l’on adjugeait les
impôts de la province district par district (dans notre passage, le district de
Tralles), cf. Ivanov [835 U], p. 103, n. 590, Rostovtzev [330], chap. VII, n. 46;
le débat aurait dû se clore avec un article de T. R. S. Broughton [2289] (cf. Magie
[838], p. 1129, n. 53) qui a bien montré que Falcidius avait pris à ferme les
impôts de la cité de Tralles (le tributum qu’elle levait pour elle-même, cf. ibid., 20)
et non des impôts provinciaux adjugés en bloc. En Grèce, il est possible que les
censeurs aient défini des circonscriptions fiscales plus petites, peut-être l’Eubée
était-elle l’une de celles-ci (cf. le sénatus-consulte d’Asclépiade, Sherk, RDGE,
n° 22, 1. 24), les impôts de Délos étaient sans doute affermés à part (G. Nicolet
a montré ce qu’était le rôle des censeurs dans leur affermage [1181]). La consti¬
tution de zones d’imposition de dimensions réduites n’avait pas pour but de
rendre plus précises les conditions de l’estimation des recettes (l’imprécision
de la loi censoriale est grande comme le prouvent les conflits entre assujettis et
fermiers qui, dans le vague des textes, tiennent toujours néanmoins à se faire
payer les sommes en litige avant toute décision du Sénat, cf. sénatus-consulte
d’Oropos, RDGE, n° 23), mais tenait à l’histoire très diverse de chaque territoire.
Peut-être cherchait-on aussi à limiter la puissance des compagnies et de leurs
agents, à permettre aussi à des Grecs de se porter soumissionnaires. Ce pourrait
être d’ailleurs le cas à Délos, cité attribuée à Athènes, si l’on en juge par le
parallèle de Caunos, attribuée à Rhodes, dont les habitants payaient l’impôt
à des fermiers rhodiens, Cic., QF, I, 33, cf. Fraser-Bean [2297]. A propos des
impôts levés à Délos, dont la lex Gabinia-Calpurnia, CIL I2, 2500, dispensa les
habitants, on ne sait quelle était leur assiette; il ne faut pas croire que, parce que
le port était franc depuis 166, les diverses activités économiques de l’île n’aient
pas été taxables.
Pour réduire les troubles provoqués par les exigences des agents des compa¬
gnies, qui aboutissaient parfois à des émeutes (ainsi à Héraclée, Memnon,
FGH, III, n° 439) étaient signées, entre les communautés soumises à l’impôt
et les compagnies fermières, des pactiones (cf. Magie [838], p. 1054, n. 17 sur une
hypothèse de Rostovtzev [330], p. 967), contrats soumis à la juridiction du
gouverneur qui pouvait en codifier la rédaction par son édit, les rescinder
(comme le fit Gabinius en Syrie, Cic., Prov. Cos., 10) —• cf. les analyses de
Fallu [788], p. 212 sqq. —; l’avantage de ce type de contrat était de ne pas
822 U Orient

laisser les individus face aux sociétés, mais de leur assurer comme ils en avaient
l’habitude la protection de leur cité (ces pactiones devaient procurer par ailleurs
quelques avantages annexes aux contractants, Cic., QF, I, i, 35).

Il ne semble pas pourtant que, malgré la dureté de leurs


méthodes (et sans qu’il faille en rendre responsables des gouver¬
neurs semblables à Lucullus, cf. Brunt [2244 b], p. 148-149, et la
réponse de Broughton, ibid., p. 154), les sociétés fermières de
l’Orient aient joui d’une véritable et durable prospérité à servir
l’Etat. Leur fonction n’était pas seulement de lever les taxes, mais
aussi de fournir un véritable service postal impérial, cf. Cic.,
Att., V, 15, 3, V, 21, 4; de rendre possibles les transferts de fonds
entre Rome et les provinces par le moyen de la permutatio publica,
cf. Cic., 2 Ven., III, 165; Fam., III, 5, 4, II, 17, 4; de servir en
matière financière le gouverneur quand elles étaient requises,
cf. Flac., 68 : ceux qui procèdent à la pesée de l’or des Juifs sont
peut-être des publicains, Nicolet [684], p. 822 ; A. J. Marshall
[2317]. On sait qu’en 61 les sociétés demandèrent que fussent
réduites leurs obligations car« elles s’étaient laissé aller à conclure
à trop haut prix» (Cic., Att., I, 17, g; la question a été traitée
en des sens divers par G. A. Humbert [795], I, p. 27 et 105,
Ivanov [835 b], p. 26, n. 137, Rostovtzev [330], chap. VII, n. 63,
T. Frank [335], I, p. 345, Broughton, ibid., IV, 538, Nicolet [684],
354) [841], E. Fallu [788], chap. VII; sont importants aussi les
articles de R. Laurent-Vibert [843] et J. P. V. D. Balsdon [829],
Badian [652], p. 111). L’affaire fut réglée en 59 selon leur volonté
(Cic., Flac., 35, Dion Cassius, XXXVIII, 7; Cicéron, quoiqu’il
les condamnât en privé, Att., I, 17, g, avait pris une position
favorable aux sociétés pour assurer la nécessaire concordia ordinum).
Mais il n en est pas moins indiscutable que l’échec du système
financier provincial était patent.

Abus et exactions

Les gouverneurs de leur côté levaient des impôts extraordi¬


naires en cas d’urgence. Aussi étaient particulièrement recher¬
chées les provinces militaires, car malgré les contrôles auxquels
était soumise leur comptabilité (c’est le mérite de E. Fallu que
d’avoir montré avec quel soin s’exerçait la vérification a posteriori
Rome et la Méditerranée orientale 823

des comptes de l’administration provinciale — cf. [788] et [591] —


mais peut-être sous-estime-t-il un peu ce que l’on devait à la
solidarité de la classe dirigeante), il y était possible (sans même
commettre d’irrégularité trop flagrante, comme par exemple la
vente des quartiers d’hiver, cf. Att., V, 21, 7) d’y gagner beaucoup
d’argent. C’est un lieu commun de répéter que le gouvernement
de province doit être une source de profit pour chacun propor¬
tionnellement à son rang. Aussi Cicéron se fit-il bien mal voir de
son état-major pour la minceur de la gratification de sortie de
charge qu’il accorda, Att., VII, 1, 6, alors qu’il avait dégagé un
bénéfice d’administration de 1 000000 de sesterces; cf. les rail¬
leries de Catulle, 28, 1, à l’égard de Veranius rentré les poches
vides de sa province.

Les exigences des gouverneurs étaient limitées par la loi (une lex Porcia
de 195 à laquelle on fait toujours référence en 70, lex Antonia de Termessibus,
FIRA, 11, C II, 13-17 : que nul magistrat, promagistrat ou autre agent de Rome
ne puisse leur demander ou leur prendre autre chose que « ce qu’il convient et
conviendra qu’ils donnent ou fournissent selon les stipulations de la loi Porcia », cf. Fallu
[788], p. 326; puis la lex Julia, Cic., Att., V, 16 : « Quod eos ex lege Iulia dari solet»)
et définies par un sénatus-consulte de pure forme voté chaque année au bénéfice
de chaque titulaire d’une province, pour lui permettre, quelles que fussent les
circonstances, d’accomplir sa tâche. Cic., Flac., 27, justifia Flaccus de l’accusa¬
tion d’avoir fait lever une flotte en Asie aux frais des provinciaux en lisant un
sénatus-consulte « qui était en tout semblable aux décrets de toutes les années précédentes »,
ensuite il démontra pourquoi l’existence de cette flotte était nécessaire. Il fallait
un sénatus-consulte pour régir les rapports entre le gouverneur et les communautés
libres situées dans sa zone d’activité, on se souvient que naguère tel allié avait pu
refuser d’accéder aux exigences d’un magistrat (Pol., XXVIII, 13, 21; T.-L.,
XLIV, 17) et le ferait encore (ainsi les Rhodiens voulurent recevoir un ordre
direct du Sénat avant de venir en aide à Cassius, Appien, BC, IV, 66) ; il fallait
a fortiori définir la façon d’appliquer certaines dispositions de la lex provinciae.
La capacité fiscalisante du gouverneur doit être reconnue dans certains textes célè¬
bres, comme le sénatus-consulte dit d’Asclépiade où il est prévu que les navarques
seront exempts de tout impôt, qu’il soit fixé par la lex pour l’ensemble de la
province ou exigé par un gouverneur (Sherk, RDGE, n° 22, cf. C. Nicolet [684],
p. 351, pour le sénatus-consulte de agro Pergameno qu’il faut mettre en parallèle,
cf. supra).
Shatzman [701] a raison de souligner que les sénateurs ne faisaient pas
carrière uniquement pour gouverner une province et en tirer profit (cf. Yavetz
[1307] qui considère les bénéfices alors recueillis comme un remboursement
824 U Orient

des frais engagés dans la carrière), aucun pourtant ne dédaigna le profit qu’il
pouvait tirer de sa nomination. Cicéron refusa la Macédoine, mais retira,
quand il eut été contraint de gouverner la Cilicie par l’effet de la lex Pompeia
(cf. A. J. Marshall [2316]) 2200000 sesterces salvis legibus d’une année de
proconsulat; d’ailleurs il est possible qu’il ait profité des pillages exercés par
C. Antonius durant son gouvernement à la tête de la Macédoine qu’il lui avait
abandonnée (Cic., Fam., XV, 4, 13; V, 6; V, 5; cf. Shatzman, p. 413, n. 866-
867) ; de la même façon il n’hésita pas à emprunter à son frère Quintus partant
pour l’Asie l’argent de son ornatio (QF, 1,3,7, Att., I, 16, 4; IV, 3, 6; cf. Shatzman
[701], p. 412; c’est d’une pratique courante, cf. Imp. Pomp., 37, mais il n’hésitait
pas à l’occasion de s’en indigner, Pis., 87; ce système était commode pour rapa¬
trier discrètement les bénéfices d’une année passée en province).

Les gouverneurs pouvaient, tel Flaccus (Flac., 27), lever de


l’argent pour une flotte, Pompée l’avait fait en son temps (ibid.,
29, 32, 33) ; Quintus, le successeur de Flaccus, libéra la province
de cette charge qui semblait être devenue un impôt régulier
(plutôt que de l’argent certaines cités semblent fournir des
vaisseaux à la flotte romaine, ainsi Milet, Cic., 2 Ven., I, 86-87 :
on ne peut savoir si cela correspondait à une différence de statut
de la ville, on ne sait pas d’ailleurs si l’on considérait différemment
le fait de fournir du matériel et des hommes ou de payer une
taxe destinée à les entretenir ; ainsi la mise à disposition de rameurs
n’est-elle jamais envisagée que sous son aspect financier, sumptus
remigum, celle de soldats ne l’est que sous l’aspect de la solde,
cf. SyllP, 700). Pison, outre des réquisitions en Macédoine (des
navires, Pis., 90, du bétail pour se procurer le cuir, ibid., 87) a
fait lever dans chaque cité un portorium sur tout objet mis en vente
(ibid.), tout en faisant payer aux villes la solde de ses troupes
(ibid., 88), tout cela lui étant sans doute permis par la loi Clodia
(contra, Nisbet, Pis., p. 162; sur le gouvernement de Pison,
cf. Sarikakis [2080], Shatzman [701], p, 314-317). En Grèce,
de nombreux textes évoquent les impôts réclamés par des pro¬
consuls. A Messène est levée une octobolos eisphora sur tous les
habitants de la cité, quelle que soit leur origine, des troupes
et des rameurs y sont recrutés (IG, V, I, 1432-1433; cette inscrip¬
tion a été étudiée par A. Wilhelm [2172], article resté fondamental,
voir aussi S. Accame [827], p. 136-137).
Beaucoup de ces impôts étaient en fait le détournement au
profit de Rome d’impôts éventuellement levés par les cités pour
Rome et la Méditerranée orientale 825

elles-mêmes. Cela n’est guère étonnant : les Etats dans le monde


grec n avaient pas de réserves monétaires ni de revenus mobili¬
sables (vectigalia ; néanmoins les vaisseaux fournis par Milet le
sont, ex pecunia vectigali), ils ne pouvaient se procurer de l’argent
que par l’emprunt (versura) ou les impôts (tributum, Cic., Flac., 20).
Ainsi en était-il sans doute du portorium dont Pison fit contrôler
la levée par ses serviteurs (Pis., 90), de l’impôt sur les esclaves
que fit en 70 lever Lucullus dans la province d’Asie (Appien,
Mith., 83). Le prédécesseur de Cicéron en Cilicie ne s’était pas
fait faute d’exploiter de telles possibilités auxquelles Cicéron
renonça (Fam., XV, 4, 2, cf. Broughton [335], IV, p. 797). En 49
Scipion leva une capitation, un impôt sur le luxe des maisons
(columnaria), sur les portes (ostiaria, César, BC, III, 32, 1-2 :
il est bien évident que ce n’est pas lui qui a inventé toutes ces
catégories d’imposition, cf. E. Fallu [788], p. 199). Les abus
en toutes ces levées (sans que l’on évoque ici tous les pillages
inexcusables, cf. références in Ph. Bruneau, Mélanges Plassart,
p. 16, n. 2) étaient si courants et si évidents que le seul fait d’y
renoncer apparaissait comme une suffisante preuve d’honnêteté
(cf. Flac., 33 : « On considère ordinairement comme coupable le
magistrat qui établit des impositions qui n’avaient pas été établies
avant lui »), car chacun savait combien en cette affaire les
intérêts privés du gouverneur pouvaient l’emporter sur ceux de
l’Etat. L’exemple venait de haut, puisque le Sénat accordait à
celui de ses membres qui avait affaire en province une legatio
libéra qui mettait les moyens de la puissance publique directement
au service des affaires de celui qui en était investi (cf. Cic., De leg.,
III, 18 : « Il n’est rien à coup sûr de plus scandaleux que de voir
quelqu’un envoyé en mission pour d’autres intérêts que celui
de l’Etat»; Leg. Agr., II, 45, sur les licteurs qui peuvent accompa¬
gner le légat; cf. Fam., XII, 21; Suolahti [2237]). Il n’est pas
étonnant non plus qu’un gouverneur ait pu accepter de donner
à qui en avait besoin une préfecture et la disposition de l’armée
de Rome. On sait qu’en 51 Appius Claudius jugea bon de donner
le titre de préfet et des pelotons de cavalerie à deux individus,
Scaptius et Matinius, qui, pour récupérer une créance de Brutus
sur Salamine de Chypre, bloquèrent dans leur lieu de réunion les
conseillers de la cité pour les impressionner et le firent durant si
826 IJ Orient

longtemps que cinq des bouleutes en moururent de faim. Cicéron


fit cesser ce scandale.
L’affaire de Salamine a été commentée bien souvent, cf. en dernier lieu
G. Nicolet [684], p. 358, E. Badian [356], p. 73, 84-86; la cité avait été autorisée
par le Sénat à emprunter cet argent en contradiction avec la lex Gabinia « de
versura Romae provincialibus non facienda ». Cette loi complétait un arsenal
juridique destiné en principe à protéger les provinciaux contre les financiers
romains; en 63 avait été interdite l’exportation de l’or hors de la péninsule
italienne (Cic., Place., 67; Vat., 12; cf. A. J. Marshall [2317] et surtout Crawford
[552 d~\, p. 1231) ; en 60 un sénatus-consulte modifia le régime de remboursement
des créances au bénéfice des cités libres et des cités provinciales (Atticus, à qui
Sicyone devait de l’argent, eut beaucoup de mal à se faire rembourser, Att., I,
19, g; I, 20, 4; II, 1, 10; II, 11, 2). La seule étude récente et sérieuse sur cette
loi, que l’on date plus souvent de 67 que de 58, date du consulat de Gabinius,
est de M. Bianchini [2ig8].

Pourtant Cicéron ne répugna pas à déléguer, par le titre


de préfet, sa responsabilité à un homme d’affaires (agissant pour
Brutus et Pompée) qui se rendait auprès d’Ariobarzane, sous le
prétexte qu’il allait agir en dehors de la province (Att., VI, 1, 3;
V, 21, 10) et à imputer comme un crime à Pison le fait de ne pas
avoir suffisamment soutenu les négociants et financiers dans leurs
affaires (Pison avait refusé d’aider Fufidius à recouvrer une
créance auprès des Apolloniates, cf. Sest., 94 : « Il a partagé entre
leurs débiteurs grecs les biens des citoyens romains, créanciers »). La
province et son gouvernement devaient être à l’exclusif service
de la richesse, non tant de l’Etat, dont elle faisait partie, que du
citoyen : il n’est donc pas étonnant qu’il ait pu exister unMalleolus,
partant pour la Cilicie, chargé de toute sa fortune, à la recherche
de placements qui seraient rémunérateurs vu la cherté des taux
d’intérêts, ainsi que de bonnes affaires commerciales (Cic.,
2 Ven., I, 91-92 : de tels procédés devaient être interdits sous cette
forme; 2 Ven., III, 169 — pourtant Verrès n’avait pas hésité à
placer les fonds publics en province et à intérêts -— mais il était
possible de faire appel à des hommes de paille, comme le faisait
Pompée, cf. Shatzman [701], p. 78; Rawson [2229]).
Le drame de cette fiscalité, c’est qu’elle ne servait à rien,
économiquement parlant : hors des moments de crise qui, sous
Lucullus ou Pompée, firent sortir des caisses de grandes quantités
Rome et la Méditerranée orientale 827

de monnaies qui voyagèrent, on s’aperçoit que les cités que l’on


étranglait d’impôts empruntaient aux mêmes hommes qui les
pressuraient l’argent qu’elles leur versaient, que les fonds votés
par le Sénat pour le gouverneur étaient souvent touchés en
province (permutatio publica, Cic., Fam., III, 5, 4). Crawford montre
bien qu’il n’y avait guère de transferts de capitaux entre l’Orient
et l’Occident, les crises monétaires qui marquèrent l’histoire du
Ier siècle à Rome prouvent bien que l’empire ne réussissait pas à
assurer la prospérité de Rome (sur les crises monétaires en pro¬
vince, cf. Broughton [21726] et F. S. Kleiner [2146]). Une
conséquence de l’insolvabilité chronique des Orientaux aurait
pu être un vaste transfert de la propriété foncière : on sait que
certains Romains possédaient des domaines (parfois immenses
comme ceux d’Atticus en Epire, cf. A. J. N. Wilson [310], p. 93;
cf. Varron, RR, livre II; liste des références concernant ces pro¬
priétés in Crawford [2100], p. 48, n. 4) en Orient. Mais le fait
que les Grecs aient eu l’habitude de réserver le droit de propriété
foncière aux seuls citoyens (egktèsis) limitait en ce domaine les
possibilités (malgré les interventions des gouverneurs pour faci¬
liter les choses, cf. Cic., Fam., XIII, 53, 2, 69, 2), tandis qu’existait
aussi (notamment à l’égard des sénateurs) une législation romaine
restrictive (cf. après Shatzman [701], p. 30-34, E. Rawson [2229]).
Un certain mépris s’attachait à l’expatrié permanent (cf. Cic.,
Flacc., 70 : « Il y a trente ans que tu fréquentes le forum, celui de
Pergame, bien sûr »; 71 : « Tu as voulu posséder un domaine
dans ce territoire —- Apollonis. J’aurais préféré bien sûr te le voir
acquérir quelque part chez nous dans le territoire de Crustumeria
ou de Capène » — suit le récit d’une captation d’héritage), et
malgré son statut de citoyen romain, il n’en était pas moins exposé
à l’arbitraire des magistrats beaucoup plus qu’à Rome (cf. Cic.,
QF, I, 1, 22 : dans les provinces, les citoyens comme les autres
ont les yeux fixés sur le moindre signe de tête du gouverneur,
« il n’y a aucun secours à attendre, aucun moyen de se plaindre,
pas de Sénat, pas d’assemblée populaire »). Ce n’est ainsi qu’à
l’époque des guerres civiles que le problème de la propriété
romaine se posa réellement en Orient (avec notamment le déve¬
loppement du phénomène colonial : cf. néanmoins A. J. N. Wilson
[310], p. 49; P. A. Brunt [298], p. 219 sqq.).
828 V Orient

Suscitant autant de tensions, sans finalités bien claires, le


système provincial ne pouvait fonctionner et durer sans
un certain nombre de régulateurs. Du côté romain veillaient les
tribunaux garants de la fidélité des magistrats aux règles de la
comptabilité publique, mais dans un cadre qui oubliait bien sou¬
vent les provinciaux au profit des jeux politiques (il n’est pas
question d’évoquer ici ce problème, cf. Vol. I, 426, Gruen [1217])
sans mettre en cause le but même de l’impérialisme romain,
assurer la perception des vectigalia (cf. Cic., De Off., III, 88) avec
rigueur. Du côté grec, l’émergence d’institutions nouvelles assura
la protection des peuples qui y participèrent. En Asie (pour ne rien
dire du fait que se maintinrent jusque sous l’empire les institutions
républicaines de la Macédoine, cf. supra, J. A. O. Larsen [2220]
[1986], Deininger [2207], p. 91 sqq.) fut instituée dès le début du
Ier siècle une « ligue des Hellènes » (koinon) dont l’assemblée
assurait certaines tâches matérielles (en particulier la célébration
des concours en l’honneur de M. Scaevola, cf. Sherk, RDGE,
n° 47; Insch. von Olymp., 327; OGI, 439), mais surtout intervenait
auprès des « autorités » (sur le sens de hègouménoi, cf. L. Robert,
AC, i960, p. 329; Th. Drew-Bear [2294], p. 453) quand il fallait
« secourir la province », qu’elle fût brimée par les publicains ou
par un magistrat. Son rôle irremplaçable finit par lui valoir une
place de rouage dans un système dont elle acceptait les modalités ;
Sylla convoqua à Ephèse une assemblée des notables des villes
—- App., Mith., 62 —; on sait que les décrets qu’elle promulguait
étaient diffusés dans les cadres territoriaux (diocèse ou conventus)
définis par Rome, ce qui impliquait l’acceptation d’une géogra¬
phie administrative sans tradition grecque et la hiérarchie des cités
qui en découlait (Sherk, RDGE, n° 65, notamment fgt D, 1. 65;
ajouter à la bibliographie U. Laffi [2148]),

Le rôle du koinon d’Asie a été analysé dans un article très complet de


Th. Drew-Bear [2294], qui a bien mis en valeur l’ancienneté et le sens de cette
fondation, et dénoncé avec une juste sévérité diverses théories de V. Chapot, La
province romaine proconsulaire d'Asie des origines jusqu’à la fin du Haut Empire, Paris,
1904. Gomme d’autres provinces, l’Asie était (cf. Kornemann, PW, 4 sv. Conven¬
tus) divisée en circonscriptions territoriales; leurs frontières sont de mieux en
mieux connues et le seront plus encore si de nouvelles inscriptions semblables
à celle que vient de publier Ch. Habicht [2132] permettent de préciser les rensei-
Rome et la Méditerranée orientale 829

gnements qu’a transmis Pline. Elles servaient de ressort judiciaire (cf. A. J. Mar¬
shall [2224], G. P. Burton [2204]; pour cette raison Badian en fait remonter la
création à O. Scaevola [2280], [652]), mais dans leur cadre s’organisaient de
nombreuses activités d’intérêt général (cf. les très éclairantes remarques de
L. Robert [2359], VII, p. 122 sqq., [2343], p. 93 sqq.).

A l’action modératrice de la communauté des Asiates formant


corps doit être associée celle, personnelle, de ses interprètes, gens
riches qui n’hésitaient pas à se charger des ambassades qu’elle
envoyait à Rome, cela n’allait pas toujours sans péril. Beaucoup
de ces nobles personnages eurent plaisir à servir aussi de façon
très directe leur propre cité, et nombre d’inscriptions témoignent
de leurs bienfaits : Diodoros Pasparos par son action continue
auprès des magistrats réussit à redonner à sa patrie Pergame une
certaine prospérité (dès les années 80, malgré la crise financière
et la présence des Fimbriens, C. P. Jones [2304] et J. et L. Robert,
Bull., 1974, n° 466) ; Théophane de Mytilène, familier très proche
de Pompée qui lui conféra le droit de cité (Cic., Arch., 25) valut
à sa ville de recouvrer la liberté (Plut., Pomp., 42, 8). L. Robert
([2347], p. 43) a montré combien « de plus en plus prennent de
l’importance pour la cité les relations personnelles de certains
de ses citoyens avec les Romains influents..., aussi y aura-t-il un
type spécial d’évergète : par ses relations, par sa familiarité, par
son amitié avec un de ces grands hommes, il aura obtenu de
grands privilèges pour sa patrie, il aura pu même la tirer d’une
situation critique et obtenir pour elle le pardon » (cf. [2340],
p. 420-422). Leur action servait ainsi, non plus sur un plan
général, mais dans une foule de cas particuliers, à adoucir les
rigueurs du système provincial. Ne condamnons pas ici cette
collaboration entre nobles romains et grecs (que Badian croit
associés pour opprimer les pauvres et les publicains [652], p. 114-
115), mais il nous faut bien constater que cette manière de servir
sa cité finissait par faire dépendre le statut juridique (et fiscal)
des communautés de l’arbitraire, et non plus d’un droit fondé
sur l’histoire de leurs relations avec Rome. Il était temps que soient
à nouveau définies des règles du fonctionnement de l’empire :
Octave le ferait, à l’issue des guerres civiles qui portèrent à leur
niveau le plus déplorable les défauts de l’administration républi¬
caine en Orient.
830 V Orient

3) LE TEMPS DES GUERRES CIVILES

Avant même que les armées romaines n’aient dû s’affronter sur


le sol oriental, les provinces et les profits qu’en espérait tirer leur
gouverneur éventuel étaient déjà à Rome l’objet de luttes achar¬
nées ; elles servaient de monnaie d’échange dans les accords poli¬
tiques : la transaction intervenue entre C. Antonius et Cicéron
fut exemplaire (cf. Cic., Pis., 2, 5), comme le fut la dévolution
de la Syrie à Gabinius (cf., pour le détail de l’affaire, Badian [652]).
Leur ornatio (cf. supra) donnait lieu à des débats sans fin, l’aristo¬
cratie divisée se montrant parfois incapable de les pourvoir à
temps d’un maître (significatif à tous égards est le cas d’Appius
Claudius qui, en 54, malgré de sordides intrigues, se vit contraint
d’envisager de partir pour la Cilicie suo sumptu, Cic., Att., IV, 18, 4).
Pompée voulut moraliser la compétition en faisant admettre le
principe d’un intervalle de cinq ans entre l’exercice d’une magis¬
trature et la charge de gouverneur de province (cf. A. J. N. Marshall
[2225], surtout p. 891-892 pour les motifs de sa proposition).
Le peuple s’immisça directement dans les affaires des provinces :
le plébiscite Clodien notamment remodela la province de Macé¬
doine en y adjoignant divers territoires restés libres jusqu’alors
(« tu as livré nommément des peuples libres, libérés par de nom¬
breux sénatus-consultes, et même par une loi récente », Cic.,
Dont., 23 ■ 1 orateur s adressait a Clodius; le nominatim doit être
interprété par le parallèle de la lex de Termessibus II, 10 : « JVisi
senatus nominatim... decreverit » et non par référence à la lex Sem-
pronia, cf. J. P. V. D. Balsdon [2194]). C’est grâce à l’extension
de sa province que Pison put légiférer en Grèce.

Il faut souligner à cet égard combien active fut la politique orientale de


Glodius; sans doute fut-elle aussi originale et indépendante (cf. Gruen [1313]).
Il s’intéressa aux affaires de Brogitaros et intervint dans l’administration du
temple de Pessinonte, cf. Magie [838], p. 1236, n. 40; fit restaurer à Byzance des
exilés, cf. Broughton [1133]. Il fit décider la prise de possession des biens lagides
à Chypre et confia l’exécution de cette mesure à Caton (Badian a montré, [2281],
contre Oost[>324], que cette dernière mesure était, non pas la provincialisation
de 1 île confiée plus tard, en 56, à P. Lentulus Spinther, gouverneur de Cilicie,
Cic., Fam., XIII, 48 — mais simplement un moyen de financer la politique
frumentaire).
Rome et la Méditerranée orientale 831

A) La question d'Egypte

Un des problèmes cruciaux de l’époque était provoqué par l’état


d’abandon où se trouvait l’Egypte, royaume en déshérence dont
Rome ne se décidait pas à prononcer formellement l’annexion tout
en se refusant à lui donner les moyens d’une véritable indépen¬
dance. Jules César, en 59, en reconnaissant enfin la royauté de
Ptolémée XII Aulète, Gabinius ramenant en 55 un souverain
chassé par ses sujets, n’avaient fait que prendre des mesures conser¬
vatoires, la véritable solution dépendant des rapports de force qui
s’établiraient entre dirigeants romains.

Rappelons que depuis la fin du 111e siècle le royaume lagide était entré en
décadence (Rostovtzev [330], II, p. 705-706; Will [1976], II, p. 32 sq.); inca¬
pables d’en maintenir la cohérence, englués dans leurs querelles de famille, les
Ptolémées s’étaient mis en rapport avec la puissance romaine dont ils savaient
qu’elle pourrait servir en Orient de contrepoids à la force des Séleucides (cf. Hol-
leaux [2000], p. 67 sqq.; Will [1976], II, p. 96; H. Heinen [1998]). En effet,
en 168, Popilius Laenas renvoya en Syrie Antiochos IV qui assiégeait Alexandrie,
sans avoir à se servir de la force (T.-L., XLV, 12) : il n’était pas en son pouvoir
néanmoins de porter remède à la désastreuse situation du royaume (cf., à ce
sujet, Cl. Préaux, Esquisse d’une histoire des révolutions égyptiennes sous les
Lagides, Chron. Eg., 1936, p. 522 sqq.). Il n’était pas non plus de l’intérêt de
Rome de mettre la main sur le pays alors que l’on n’envisageait pas de provincia-
liser la Macédoine. La nature des rapports qui se nouèrent entre Rome et la
dynastie (cf.E. Manni [1997]; H. Winckler [2396]; W. Otto-H. Bengston [2388];
H. Heinen [1998]) fut transformée en 155 quand Ptolémée VIII publia un
testament (SEG, IX, 7 avec une bibliographie; cf. Th. Liebmann-Frankfort
[2221]) par lequel il faisait du peuple romain son héritier s’il mourait sans enfant
(le texte prévoyait la transmission du« royaume»; il est peu vraisemblable qu’il
ne se soit agi que de Cyrène où se trouvait alors le testateur à la suite d’un accord
avec son frère Ptolémée VI, cf. P. Roussel [2392]). Les conditions de dévolution
du legs ne se trouvèrent pas remplies mais un lien juridique formel n’en avait pas
moins été établi. Au cours de son grand voyage oriental Scipion Emilien
(cf. Astin [2108]) fit étape dans le pays, dont il comprit que la richesse et la
puissance auraient pu être grandes s’il avait été gouverné (heu commun déjà
éculé à l’époque d’Alexandre le Grand) ; cette découverte orienta pour longtemps
le choix des politiques romains plus soucieux de s’accommoder de la faiblesse
de leurs protégés que de leur bonheur. La mort de Ptolémée VIII provoqua un
début de dislocation du royaume, son fils illégitime devint roi à Cyrène qui revint
à sa mort à Rome (sur son testament et la constitution de la province de Cyré-
832 V Orient

naïque, cf. supra p. 810). Aux conflits entre frères rivaux (Ptolémée IX contre
Ptolémée X) s’ajoutaient les conséquences de la guerre mithridatique (les deux
fils de Ptolémée X avaient été faits prisonniers par Mithridate, son neveu s’était
réfugié auprès de Sylla : cf. Will [1976], II, p. 402, 435) pour rendre fort pré¬
caire la survie de la dynastie. En 81-80, pour succéder à Ptolémée Philometor
Sôter (Ptolémée IX), Sylla achemina sur Alexandrie le fils de Ptolémée X : son
règne n’y dura que dix-neuf jours (cf. Skeat [2394]), car il jugea bon d’assassiner
aussitôt après l’avoir épousée sa cousine Cléopâtre fort aimée des Alexandrins.
Ceux-ci le massacrèrent (sur les rapports fort complexes qui « in historical ternis »
se sont noués entre les Alexandrins et le roi lagide, cf. P. M. Fraser, Ptolemaic
Alexandria, p. 115 sqq. avec notes nombreuses). Un testament faisait désormais
du peuple romain le propriétaire du royaume (« regnum illud populi esse factum »,
Cic., Le g. Agr., I, 1; l’existence du testament royal n’est plus guère contestée,
cf. E. Will [1976], II, p. 436; un article de Badian néanmoins [237] tente de
jeter le doute sur l’identité de son auteur, pour lui le testateur est Ptolémée X
Alexandre Ier, hypothèse qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout). Le
soulagement des créanciers de l’éphémère souverain fut grand (Volkmann,
PW, sv. Ptolemaios, cf. E. Will [1976], II, p. 437; Badian évoque à cette occasion
les difficultés pour les investisseurs à trouver des zones d’activité nouvelle en
cette période où sont fermés leurs marchés traditionnels [2371], p. 186). Us
firent immédiatement saisir à Tyr, par des légats, les éléments de sa fortune mobi¬
lière (Cic., Leg. Agr., II, 41, cf. Jonkers [2143], ad toc.). Quant au royaume lui-
même les Romains oublièrent qu’ils en étaient les maîtres. En 65, Crassus voulut,
censeur, intégrer l’Egypte au catalogue des vectigalia du peuple, ce qui impliquait
une annexion formelle (Broughton [1133], II, p. 157). En 64-63 Pompée fut
sollicité par les Alexandrins pour qu’il favorisât la reconnaissance d’un prince,
fils de Ptolémée IX (qu’ils avaient pu retrouver à l’issue de sa captivité) comme
roi (Appien, Mith., 114) : trop occupé, il ne fit rien. En 63 la rogatio servilia
proposa de lotir le pays, ce qui impliquait une provincialisation de fait (Cic.,
Leg. Agr., II, 43). En 59, César, consul, réussit à fermer la porte de l’Egypte
aux entreprises de quiconque et donna le titre de roi au candidat des Alexandrins
(Ptolémée XII Aulète : il y gagna quelque argent, cf. Shatzmann [701], p. 116 sq.
et 348, Suét., Jul., 54, 3); comme il n’y avait pas alors pourtant de politique
romaine qui fût cohérente, l’année suivante Clodius (cf. p. 408) fit prendre
possession des biens lagides à Chypre (se fondant sans doute sur les clauses
du testament de Ptolémée Alexandre, cf. Luzzatto [2384], p. 280 et n. 70,
que pourtant la reconnaissance de Ptolemee XII avait dû rendre caduques).
Cela provoqua (comme il était prévisible) l’émeute à Alexandrie et le départ
pour l’exil du roi. Une ambassade alexandrine, opposée à son retour, le suivit
à Rome, les hommes de main du roi (dont Pompee était l’hôte) la massacrèrent
(cf. Cic., Pro Caelio, et Classen, ANRW, I, 3, 60, 94); nombreux étaient ceux
qui desiraient le rétablir en ses droits (encouragés par les subsides qu’il versait
Rome et la A'iéditerranée orientale
833

grâce aux prêts de C. Rabirius Postumus, cf. Nicolet [684], II, sv.), mais une
consultation opportune des livres sibyllins interdit que cela pût se faire par la
force (Dion Cassius, XXXIX, 15-16). Aussi ce fut Gabinius, gouverneur en
Syrie (pour rendre service à ses patrons politiques et contre promesse du verse¬
ment d’une somme de 10 000 talents — montant fabuleux, cf. Badian [356],
p. 74 — qui ne lui fut jamais payée, cf. Fantham [2379], p. 442, puisqu’il termina
ruiné sa carrière politique) qui ramena en sa capitale le « flûtiste », lui laissant
pour le protéger quelques mercenaires (sur ces troupes, cf. P. M. Fraser [625],
index, sv. Gabiniani, sources et références bibliographiques; l’installation de cette
pseudo-garnison romaine a pu donner lieu à des affirmations excessives, cf. à
ce propos Will [1976], II, p. 442, mais n’a pas de signification par elle-même).
C. Rabirius Postumus qui poursuivait le remboursement de ses créances fut à
même de faire entrer dans ses caisses la substance même de l’Egypte puisqu’il
fut nommé par le roi dioecète. L’hostilité des Alexandrins à cette sorte de prélève¬
ment à la source l’empêcha de remplir longtemps sa fonction qui paraissait aux
Romains peu digne d’un de leurs concitoyens (cf. Cic., Rab., 21; 29).

B) Le problème parthe

Plus complexe pouvait apparaître la question parthe : Crassus


voulait qu’une guerre l’enrichît à l’instar de Pompée ou de César
(Badian [356], p. 88), seules les rives de l’Euphrate pouvaient la
lui fournir; il l’eut en devenant gouverneur de Syrie (en 55), ne
sut pas la mener, perdit ses aigles et sa vie (à Carrhae, 9 juin 53).
Ce désastre marqua la fin de l’expansionnisme romain en Orient,
les victoires que Rome y remporterait désormais ne pourraient
plus étendre durablement son empire.

Tout ce qui peut être dit des conséquences de la défaite de Carrhae l’a été
par Timpe [2412], les raisons du succès des Parthes et du maintien durable de
leur puissance par Wolski [2417], qui a su montrer à quel« iranisme renouvelé»
le royaume arsacide devait ses succès (les sources grecques et romaines ne sachant
pas apprécier cet élément à sa juste valeur).
L’histoire parthe depuis ses origines doit beaucoup aux travaux de J. Wolski
(voir un résumé et une utilisation habile de ses travaux in Will [1976], I, p. 270 sqq.
et index sv., voir aussi les états récents des questions in Wolski [2415], [2417],
Widengren [2414]. La chronologie de certains règnes, fondée sur les résultats de
la recherche numismatique le plus souvent, a parfois été renouvelée par les
travaux de Le Rider [2406], cf. Simonetta [2161], Sellwood [2158], récemment
R. Walton Dobbins [2413]).
Soulignons que c’est la volonté romaine (celle de Crassus en l’occurrence) qui
V Orient
834

provoqua l’affrontement. Les premiers rapports entre Rome et les Parthes


n’avaient pas été conflictuels (cf. K. M. Ziegler [2419]), le rétablissement en
Gappadoce du roi Ariobarzane avait donné l’occasion à Sylla d entrer en contact
avec les Arsacides (T.-L., Per., LXX) : avait été fixée alors sur l’Euphrate la
limite respective de la zone d’influence de chacune des parties (cf. Th. Liebmann-
Frankfort [1993], p. 263-265; Wolski [2415], p. 203). Pompée eut à aménager
une frontière quand il constitua la province de Syrie (cf. V. Ghapot [2400];
F. Stark [2410] avec un compte rendu intéressant de E. W. Gray in CR, 1967,
p. 350-354), créant le long du fleuve une zone« fluide et imprécise» (Th. Lieb-
mann-Frankfort, ibid., p. 313), « mouvante » même (Strabon, X\ I, 1, 28),
où les « Arabes scénites », ainsi que divers dynastes locaux (Appien, Syr., 50)
pouvaient servir en cas d’invasion caractérisée du territoire provincial de premier
rempart. Une situation de confrontation s’était en effet créée parce que Rome
avait atteint et parfois même dépassé (les lieutenants de Pompée étaient entrés
en Arménie, ce que ne pouvait supporter Phraate III, cf. Dion Cassius, XXXV II,
5, 2-4; XXXVII, 6, 5; Plut., Pomp., 33, 8) la zone au-delà de laquelle l’Iran ne
tolérerait aucune incursion. C’est à la suite de l’attaque de Crassus que la poli¬
tique parthe devint offensive, que les provinces de Syrie et de Cilicie restèrent
menacées par leurs attaques (sur l’inquiétude de Cicéron gouverneur, cf. Fam.,
II, 10, 4; Att., V, 21, 2; VI, 1, 14; sur le siège d’Antioche à cette époque,
cf. Downey [2291]).

C) Le coût des luttes civiles

Dès que César eut franchi le Rubicon, Pompée décida son repli
vers l’Orient, seule région capable d’alimenter un conflit décisif.
L’exemple de Sylla rentré vainqueur, riche d’armées et d’argent,
l’inspirait (cf. Cic., Att., IX, 2 et 6), sans qu’il se rendît compte qu’il
n’avait pas de Mithridate à vaincre pour justifier son abandon
de Rome et l’installation d’un fantôme de Sénat à Thessalonique
« C’est Rome qu’il fallait garder », écrivit Napoléon Ier. Carco-
pino [265], p. 370, dénonce à juste titre cette faute politique qui
donna à César une sorte de légitimité fort utile à sa cause, lui
permettant de rappeler à Déjotaros qu’il incarnait la continuité
de la politique romaine, et qu’un homme aussi prudent que lui
aurait dû savoir « quel était le maître de la Ville et de l’Italie,
et que là où étaient le Sénat et le Peuple, là était la légitimité »,
(BC, III, 11). Sans doute les Grecs gardaient-ils à Pompée un
respect qui lui fut manifesté même après Pharsale (Dion Cassius,
XLII, 2, 1 ; ses agents furent parfois appréciés et honorés,
Rome et la Méditerranée orientale
835

cf. J. et L. Robert, Bull., 1976, n° 621). Pourtant ils ne s’engage¬


raient pas plus avant dans la lutte qu’ils n’y seraient contraints (le
souvenir des affrontements entre les rois issus d’Alexandre restait
vivace) ne serait-ce que par prudence et pour ne pas paraître « se
faire juge des différends du peuple romain». Us se contenteraient
« d’obéir aux autorités présentes » (Bel. Alex., LXVII). Les
guerres civiles restèrent ainsi une affaire proprement romaine,
néanmoins l’emplacement des champs des plus importantes
batailles explique que l’Orient en ait très profondément souffert.
Non point directement, car la mobilisation des provinciaux
fut en fait peu de choses. L’énumération des contingents qui
forment la cavalerie pompéienne à Pharsale (Caes., BC, III, 4 :
le narrateur soucieux de se camper face aux barbares étire un
catalogue semblable à celui qu’Hérodote avait écrit pour l’armée
perse) montre bien que le plus important des éléments alliés (celui
fourni par Déjotaros) atteignait 600 hommes, alors que les esclaves
et bergers de Pompée étaient présents au nombre de 800. Le
recrutement était plus facile dans les zones proches des lieux de
stationnement et de parcours des troupes; des Grecs servirent ainsi
dans l’armée pompéienne (Béotiens, Athéniens, Péloponnésiens,
les Spartiates étaient conduits par leur roi, App., BC, II, 49, 75)
ou dans celle de César (Dolopes, Acarnaniens, Etoliens, App., BC,
II, 70). Une dizaine de milliers d’Orientaux servirent du côté
pompéien (il faut peut-être y ajouter les soldats qui étaient
attachés aux légions supplementi nomine, cf. Harmand [954] ; sur
les pertes italiennes durant la campagne cf. P. A. Brunt [298],
p. 692). Pompée proclama après sa défaite la mobilisation générale
de la Macédoine (Caes., BC, III, 102), Brutus et Cassius lève¬
raient deux légions macédoniennes (Appien, BC, III, 79, IV, 75)
tandis que 2 000 Spartiates luttaient et mouraient à la bataille
de Philippes du côté des triumvirs (Plut., Brut., 41). Antoine
utilisa comme porteurs avant Actium bon nombre de Grecs
(dont le grand-père de Plutarque, Plut., Ant., 68) tandis que
Spartiates et Mantinéens se retrouvaient du côté d’Octave
(cf. Accame [827], p. 133-134). C’est pourtant essentiellement sur
les citoyens romains établis en Orient que retomba le poids du
recrutement des armées coupées de l’Italie (P. A. Brunt [298],
p. 227 sqq., 473-512, citoyenneté entendue en un sens restrictif
836 U Orient

puisque par exemple furent exemptés les hommes de religion


judaïque, Jos., AJ, XIV, 281 sqq.). Gela n’avait jamais été
pratiqué de façon aussi systématique (cf. Cic., Fam., XV, 1, 5,
qui insiste sur la médiocrité des troupes que l’on pouvait lever
parmi les Romains de sa province ou de l’Asie), aussi doit-on
admettre comme fondée la remarque de P. A. Brunt que (p. 228) :
« Pompey had more or less exhausted the supply of citizens in
(oriental) provinces », tout en songeant qu’il fut seulement le
premier à le faire.
Au plan financier, on sait que les fortunes romaines placées en
province souffrirent des exigences des belligérants, notamment des
Pompéiens (Caes., BC, III, 32 : « Ils réclamaient aux citoyens
romains de la province d’Asie, par conventus et par ville, des
sommes déterminées qu’ils prétendaient être des emprunts exigés
aux termes du sénatus-consulte », cf. App., BC, II, 34, « aux
publicains, on réclama les redevances de l’année suivante »;
sur les termes du sénatus-consulte autorisant ces levées présentées
comme des prêts, cf. App., BC, II, 34 — Cic., Fam., V, 20, 9 :
l’argent qu’au sortir de sa charge de gouverneur il avait laissé
Ephesi apudpublicanos lui fut pris par Pompée, ce qu’il ne supportait
pas aequo animo, voir Shatzman [701], p. 419 —; le passage
en Asie de Dolabella fut cruel pour tous, Cic., Fam., XII, 15, 1).
Les caisses des publicains furent mises à contribution (Caes.,
BC, III, 2, 31 et 32) mais ce fut évidemment aux autochtones
(provinciaux et peuples libres) que l’on demanda les plus lourds
sacrifices.
Il fallut équiper des flottes considérables, fournir de grandes quantités de blé.
La Thessalie, i’Achaïe, furent un temps mises à contribution (Caes., BC, III, 5),
Scipion imaginait « pour satisfaire sa cupidité toutes sortes de catégories
d’impôts. Il levait une taxe de capitation sur chaque esclave comme sur chaque
homme libre; il réclamait un impôt sur les colonnes, sur les portes...; que l’on
réussît seulement à trouver un nom, il semblait que c’en fût assez pour exiger
une taxe» (sur ce texte Caes., BC, III, 33; voir les excellentes explications de
E. Fallu [788], p. 233 sqq. cf.supra). Les collecteurs« songeaient aussi à leur propre
bourse, ils allaient répétant qu’ils avaient été chassés de leur patrie et qu’ils
manquaient de tout ». De telles exigences provoquèrent une hausse considérable
des taux d’intérêt. César, vainqueur, demanda de l’argent aux partisans de
Pompée : Dejotaros, Pythodoros de Tralles durent individuellement contribuer
à ses dépenses pour des sommes énormes (cf. Broughton [335], IV, p. 580,
Rome et la Méditerranée orientale 837

Magie [838], p. 406 : Pythodoros était assez riche pour racheter les propriétés
qui lui furent confisquées, Strab., XIV, 1, 42, sur ce personnage, cf. infra). Sur
l’usage que fit César de ces levées, cf. Shatzmann [701], p. 351-352; il réclama
aux communautés orientales le versement de ce qu’elles avaient promis à
Pompée, plus diverses autres contributions (Dion Cass., XLIII, 49, 1). Dolabella,
en 43, dont l’allégeance était peu claire (cf. Cic., Phil., XI) fut particulièrement
sauvage en ses exactions (Cic., Fam., XII, 15, 1 : « Vastata provincia correptis
vcctigalibus»), les fonds qu’il leva furent déposés à Tralles chez un certain Méno-
dore, homme à la carrière trouble (cf. Magie [838], p. 1275, 1289; la connais¬
sance que nous avons des levées de Dolabella doit beaucoup aux Lettres de
Brutus : sur leur authenticité, cf. Broughton [335], IV, p. 584; Magie [838],
p. 482 et 1274, n- 545 L. Torraca [2166]; Bengtson [2196], p. 4-5 qui traite pour
la période de l’état des sources). Cassius ne fut pas tendre pour qui avait obéi
aux ordres de Dolabella, Tarse fut entièrement ruinée (App., BC, IV, 64), Rhodes
fut pillée et taxée (Plut., Brut., 32, App., BC, IV, 73), Ariobarzane fut assassiné
et ses trésors confisqués (App., BC, IV, 63). Brutus pilla la Lycie; unis, les deux
associés demandèrent à l’Asie de payer en deux fois le tribut de dix années
(Broughton [335], IV, p. 583) : comme le souligne Magie ([838], p. 423) « they
used Asia as a source of supplies », aussi leur dureté devait-elle être à la mesure
de l’épuisement de la région. Octave prépara la campagne de Philippes en ras¬
semblant le blé de Thessalie et du reste de la Grèce (App., RC, IV, 122; cf. Larsen
[335], IV, p. 433). Sous Antoine, l’Asie dut payer en deux ans la valeur de neuf
ans de tribut (App., BC, V, 6); rois, dynastes et villes libres furent taxés propor¬
tionnellement à leurs possibilités (Broughton [335], IV, p. 585, montre ce que
fut le gaspillage des fonds recueillis mais détournés par les favoris du général,
cf. Shatzmann [701], p. 313 sqq.). La théorie de Rostovtzev selon laquelle
Antoine avait confisqué à son profit des terres publiques a été discutée, notam¬
ment par Broughton [335], IV, p. 587; Magie [838], p. 1015, n. 60, 1047,
n. 37; Shatzman [701], p. 304, n. 111 admet l’idée de Frank [2209] et Broughton
[2288] selon laquelle il s’appropria les biens de proscrits.

La nature même du conflit qui obligeait les participants à


« user de toutes les ressources possibles » dans le domaine qu’ils
contrôlaient avait par ailleurs une logique propre : il fallait que l’on
affamât l’adversaire, aussi vit-on Cassius piller systématiquement le
Péloponnèse (App., BC, IV, 74), Antoine fit de même quand l’accord
de Misène l’obligea à le laisser à Sextus Pompée (cf. Larsen [335],
IV, p. 434, note). Il est bien évident que ce genre de tactique ne
pouvait qu’accroître les difficultés des pays du champ de bataille.
La guerre elle-même causait aussi parfois quelque dégât. Il faut
en voir le symbole dans l’incendie spectaculaire de la bibliothèque
838 U Orient

d’Alexandrie (Strab., XVII, i, 11 ; cf. Will [1976], II, p. 450;


P. M. Fraser [625]), dans la ruine d’Athènes et de Mégare après le
siège du Césarien Q. Fufius Calenus (en 45 ces deux villes étaient
dans un état lamentable, Cic., Fam., IV, 5, 4; sur cette lettre de
S. Sulpicius Rufus, cf. J. Day [2098], p. 120 sqq.). Mais combien
de Gomphi, aussi, furent-elles pillées pour avoir osé résister à un
général (Caes., BC, III, 80)?. Dans le monde anatolien et en Syrie
l’affaiblissement de la puissance romaine incapable, absorbée par
ses querelles, d’en imposer au monde extérieur, fut extrêmement
dommageable. De Crimée, où la faveur de Pompée l’avait laissé
régner en ami du peuple romain, Pharnace (fils de Mithridate et
principal responsable de sa mort) s’en vint reprendre son héritage :
Calvinus à qui César avait confié « l’Asie et provinces voisines » fut
écrasé. Le roi maître du Pont, dictant sa volonté aux cités côtières,
s’en prit avec sauvagerie, par tradition sans doute, aux citoyens
romains installés dans la région (negotiatores et publicains, cf. Bel. Al.,
XLI, LXX). César parti en toute hâte d’Alexandrie « vint, vit et
vainquit » à Zéla (mi-juin 47), mais il ne put rendre ni leur vie
ni leur virilité arrachée aux victimes de la défaillance de l’empire.

La politique de Pharnace et ses ambitions ont été éclairées par l’étude de


son monnayage, cf. Golenko-Karyskowkski [2130] : le roi se préparait de longue
date, les guerres romaines lui facilitèrent la tâche. Le royaume de Grimée fut
donné à Mithridate de Pergame, un de ces évergètes politiques que l’amitié
de César avait mis en position d’être le « nouveau fondateur» de sa cité (pour lui
avoir fait rendre sa liberté et son autonomie, cf. Sherk, RDGE, n° 54), après
l’avoir défendue devant les tribunaux de Rome (Cic., Flac., 17, « M. qui tenait
la multitude des Pergaméens moins par son autorité personnelle que par la bonne
chere », cf. ibid., 41; Cicéron voulait déconsidérer le personnage témoignant
contre celui qu il assistait, cf. Magie [838], p. 1267, n. 32, mais il ne faut pas
mésestimer l’importance des banquets dans l’évergésie, cf. P. Veyne [2243],
p. 188, 216-217 et index sv.; sur l’état des recherches récentes concernant le
personnage cf. Magie, p. 1259, n. 4, Jones [2304]). Il avait conduit à Alexandrie
l’armée de secours attendue par César (P. J. Sijpestein [2360]) et mourut, lui
qu on disait batard de Mithridate, en essayant de prendre possession du royaume
qui le récompensait.

Plus grave encore fut la poussée des Parthes que conduisit en


Asie ÇLLabienus (envoyé de Brutus et Cassius auprès du roi Orodes,
il était resté à la cour arsacide après avoir reçu la nouvelle de la
Rome et la Méditerranée orientale 839

bataille de Philippes). Profitant de circonstances favorables (alors


que le prince Pacorus bouleversait province de Syrie et territoires
associés) il mena, en 40, au pillage de l’Anatolie une armée étran¬
gère : le gouverneur Plancus quitta sa province pour se réfugier
dans les îles, nul ne semblait pouvoir résister au Parthicus Impe-
rator (cf. Timpe [2412], p. 116 sqq.) Mais l’offensive s’englua en
Carie, car on vit ce que pouvait accomplir, alors que s’effaçait la
puissance romaine, le courage de quelques individus qui surent
organiser la résistance à l’envahisseur. Zeus lui-même défendit
son temple à Panamara, mais un Zénon à Laodicée, un Hybréas
à Mylasa firent admettre le principe de la lutte. Hybréas qui
n’avait eu pour se pousser au premier plan que ses dons d’orateur
(son père ne lui avait laissé en héritage qu’un « mulet pour
porter du bois », son adversaire politique était le riche Euthy-
dèmos auquel il ravit la prééminence en sa cité) est bien connu
grâce à Strabon; sa carrière a été analysée par L. Robert, cf. [2341],
p. 48, note, qui donne toutes références utiles et permet de réfléchir
sur ce qu’étaient les possibilités « de renouvellement de la classe
politique dans la cité » à l’époque. Comme le souligne L. Robert
([2127], p. 306) « résister au Parthe ou céder» avait « autant de
gravité pour la vie de la cité et de tous les citoyens, et d’abord
des orateurs eux-mêmes, que de décider de lutter à Chéronée
ou d’engager la guerre hellénique contre Antipatros pour être
vaincu et mourir à Calaurie ». Aussi doit-on comprendre qu’à
cette période la cité grecque continuait de manifester glorieu¬
sement ses vertus, qui n’étaient pas diminuées de ce qu’elles
s’exerçaient dans le cadre d’un monde plus large que leur territoire ;
certains souffrirent particulièrement (ainsi Mylasa qui vit sa popu¬
lation massacrée, son territoire pillé, cf. Sherk, RDGE, nos 59-60).

Nous connaissons assez bien les événements notamment par Dion Cassius,
XLVIII, 24-27; 39-40, grâce aussi à de nombreux textes épigraphiques qui
constituent un dossier aussi important que celui qui peut être établi pour la guerre
mithridatique, preuve de l’importance qu’eut cette période dans la mémoire
collective des habitants de l’Asie Mineure. Les principaux documents sont cités
par Magie [838], p. 430-431 et 1280, n. 10; quand il s’agit de documents officiels
romains ils ont été repris par Sherk, RDGE (notamment 27, 28, 29, 59, 60), la
recherche récente et en particulier les découvertes d’Aphrodisias ayant permis
de modifier certaines datations et conclusions (cf. Joyce Reynolds [2335], p. 117,
840 V Orient

J. et L. Robert, Bull., 1974, n° 533, pour la lettre à Plarasa et Aphrodisias,


Sherk, RDGE, n° 29 A ; voir aussi F. Millar [1320]).
La victoire de Rome (en 39, Ventidius Bassus, cf. Broughton [1133], II,
P- 383 chassa sans trop de peine les envahisseurs) devait sonner l’heure des
récompenses aux communautés fidèles, aux individus qui s’étaient signalés parti¬
culièrement en cette occasion. Beaucoup devinrent alors citoyens romains (dont
Hybréas, G. Julius Hybréas; sur les Antonii, cf. L. Robert [2127], p. 306). Le
sens de ces collations du droit de cité a donné lieu à bien des discussions, se
fondant notamment sur le texte de la lettre d’Octave à Rhosos à propos du
navarque Séleucos( Sherk, RDGE, n° 58; outre son commentaire voir Sherwin-
White [894], p. 296-298). Le don de l’immunité fiscale à tous ces privilégiés avait
pu provoquer quelques difficultés dans les cités où diminuait le nombre des
assujettis sans que fut amoindrie la masse des impôts : César sans doute avait pris
conscience de la chose, aussi voit-on dans le sénatus-consulte de Mitylenaeis qu’il
refusa d’accorder, à la demande de la cité, la moindre exemption fiscale {RDGE,
n° 26 et p. 155-156). Ces hommes forment le noyau d’une aristocratie très liée
au pouvoir (cf Bowersock [192], p. 85 sqq), riche et assez fermée. Symptoma¬
tique est le fait que le petit-fils de Chaeremon de Nysa, un des rares partisans de
Rome lors de l’invasion mithridatique, fils de Pythodoros, partisan de Pompée,
assez riche pour racheter à César les biens immeubles qu’il lui avait confisqués,
ait été un ami d’Antoine, que sa fille ait épousé Polémon, fils de Zénon de
Laodicee, devenant ainsi reine du Pont. Milieu dont l’étude n’a pas encore
donné lieu à un ouvrage d’ensemble (cf. E. W. Gray, compte rendu du livre de
Magie [838], in JRS, 1952» 123 : « One would welcome a fresh approach from
an angle which Magie largely ignores, a social political study of Asia provincia»,
ainsi qu’un examen des rapports entre cette aristocratie et les membres de la
classe dirigeante de Rome) si tant est qu’un tel livre puisse être écrit.

Partout régnaient 1 anarchie (au point qu’un triste brigand,


Cléon, put, en s’attaquant aux collecteurs d’impôts de Labienus,
faire carrière et devenir le prêtre de Comana, Strabon, XII, 8, 9)’
•a désolation et la misere. Paradoxalement 1 Egypte seule encore
possédait quelques trésors, Octave y puisa de quoi assurer son salut
(Broughton [335], IV, p. 587; Will [1976], II, p. 455, le trésor de
Gleopatre s’était nourri de spoliations faites aux dépens des temples
notamment).

D) Administration, reconstruction

s plan administratif, la période fut curieuse car la routine


n avait plus cours et les missions confiées à tel ou tel personnage
ne correspondaient guere au découpage des provinces tradition-
Rome et la Méditerranée orientale 841

nelles. Ainsi Cn. Domitius Calvinus gouverna « Asiam et finitimas


provincias » {Bel. Alex., 34, 1) jusqu’à sa défaite contre Pharnace.
Brutus et Cassius eurent pouvoir suprême sur les transmarinae
provinciae (T.-L., Per., 122). La proposition de Cicéron (Phil.,
XI, 29-30) de donner à Cassius (en une formulation proche de
celle de Messius pour la mission annonaire de Pompée, Ait.,
IV, 1, 7) « un pouvoir plus grand (mains imperium), dans quelque
province qu’il doive guerroyer, que celui du gouverneur régu¬
lièrement chargé de l’administrer» (cf. Cic., Phil., X, 26) n’était
en fait qu’une tentative de camouflage pour une situation déjà
acquise par la force. Elle ne fut d’ailleurs pas retenue (cf.
V. Ehrenberg [1148]). Comme d’ailleurs Cicéron le remarque
lui-même « Brutus et Cassius ont été déjà en maintes occasions
leur propre Sénat... Il était en effet nécessaire dans un tel boule¬
versement et une perturbation si générale d’obéir aux circonstances
plutôt qu’aux coutumes » (cf. Phil., XI, 26; « Brutus a-t-il donc
attendu nos décrets quand il connaissait nos désirs ? Au lieu de
partir pour la Crète, sa province, il a couru en Macédoine,
celle d’un autre — alienam —, il a jugé siens tout ce que vous
souhaiteriez avoir vous-mêmes : il a enrôlé de nouvelles légions...,
il a détourné à son profit la cavalerie de Dolabella et, avant
même que celui-ci ne se fût souillé d’un tel parricide — le meurtre
de Trebonius —, il l’a de son propre jugement déclaré ennemi
public; s’il en était autrement, de quel droit détournerait-il la
cavalerie d’un consul? »). L’époque est ainsi caractérisée par
un vide juridique où la volonté d’un Brutus ou d’un Cassius se
voit justifiée par l’appel à Jupiter (qui veille à ce que « tout ce
qui est utile au salut de la République passe pour légitime et
juste»), et l’on ne peut décrire de façon cohérente et systématique
l’histoire provinciale de la période (cf. Sternkopf [2236]), ni
découvrir, avant qu’Antoine n’en prenne la charge, une politique
durable d’aménagement de l’empire oriental.
Quelques signes cependant montrent que César aurait pu
vouloir modifier certains éléments de l’administration territoriale.
Ainsi, par l’agrandissement vers le sud de la province d’Illyrie
(Cic., Phil., X, 11 sqq., cf. LI. Swoboda [2274]; sur l’Illyrie,
voir J. J. Wilkes [2276]), par la nomination d’un gouverneur
pour l’Achaïe (cf. E. Groag [2257]. Broughton [1133], II, p. 299;
842 L’ Orient

le gouvernement de Servilius Rufus en 45 comprenait l’Epire,


cf. Cic., Fam., XIII, 18), fut démantelé le grand commandement
macédonien. La province de Cilicie elle aussi fut dépecée (le
processus commença en 49 par le retour à leur administration
d’origine des trois diocèses asiatiques qui lui avaient été rattachés,
Magie [838], p. 1256, n. 77, cf. supra ; en 48 l’île de Chypre
dont son gouverneur avait la responsabilité fut rendue à l'Egypte,
H. Heinen [2381], p. 91) et, en 43, était rattachée en partie à
la Syrie (R. Syme [2093], contra Bickerman [2286]; voir Magie
[838], p. 418 et 1271, n. 44). Sur le problème de la Pamphylie
dont on a pu croire qu’elle avait été constituée alors en province,
cf. B. Levick [2309], p. 30-32. Témoignent de l’intérêt que César
porta à la province d’Asie les mesures qu’il prit pour alléger le
poids de l’impôt (réduction du tiers des sommes dues et abolition
du système de fermage pour la collection de la dîme, cf. Magie
[838], p. 406 et 1260, n. 8; P. A. Brunt [832], p. 24), ainsi que le
fait qu’il y nomma en 46 un gouverneur particulièrement remar¬
quable, P. Servilius Isauricus (cf. Broughton [1133], II, p. 298)
dont les bienfaits furent célébrés à l’envi dans la province
(L. Robert [2339], VI, p. 38-42, étudie les nombreuses inscrip¬
tions les concernant ; cf. Sherk, RDGE, p. 286 : « Inscriptions in
his honor hâve been found in greater number than for any
governor of Asia under the Republic »).

La politique de César à l’égard des communautés grecques (y compris celles


qui, n’appartenant pas à l’empire, tinrent pourtant à entrer en rapport avec lui,
ainsi Héraclée de Chersonnèse, cf. Latyschev, IOSPE, I, 2, 691; R. Bernhardt
[2190 c], p. 163) fut libérale, comme en témoigne le nombre des privilégiés qui
furent gratifiés d’une liberté n’entravant en rien l’exercice de la souveraineté
romaine (cf. R. Bernhardt [2190 c], p. 152 sqq.); le souci qu’il eut de maintenir
leur tradition permit néanmoins qu’il fût qualifié de « sauveur commun de tous
les Hellènes et évergète » (Raubitschek, JRS, 1954, p. 74).

Antoine, lui, eut le temps et le pouvoir de remodeler le monde


oriental. Il en éprouvait aussi le besoin, puisque l’invasion parthe
avait montré à quel point de faiblesse en était arrivée la construction
pompéienne. Les difficultés politiques, les tares économiques du
système antérieur ne plaidaient pas en faveur du maintien ou
a fortiori de l’extension du contrôle direct de Rome. En 37-36,
Rome et la Méditerranée orientale 843

Antoine partagea, ne gardant sous le régime provincial que l’Asie,


la Bithynie et la Syrie, le monde entre quatre grands rois. Polémon,
fils de Zenon de Laodicée, reçut le Pont, Amyntas la Galatie qui
s’étendit dès lors jusqu’à la côte pamphylienne, Archélaos la
Cappadoce, Hérode devenait le rempart de la Syrie. Le choix
des hommes, tous énergiques et profondément dévoués aux intérêts
de Rome qu’ils considéraient comme les leurs propres, était
au-dessus de tout éloge (R. Syme [1226], p. 24g). Ce fut, de
l’œuvre d’Antoine, ce que retint Octave.

Les mesures prises par Antoine ont été étudiées sérieusement par H. Buc-
cheim [2399], cf. aussi Cimma [2190 b], p. 284 sqq. Les auteurs de monographies
régionales apportent bien évidemment beaucoup (cf. par ex., pour l’Anatolie,
Magie [838], p. 433 sqq.; B. Levick [2309]; pour la Syrie, U. Kahrstedt [2307],
p. 104; Jones [2303]; Abel [2279]). Celui qui a le mieux compris et fait apprécier
cette politique est toujours R. Syme [1226].

La position d’Antoine, pourtant, finit par lui interdire de


parler au nom de Rome. Will ([1976], II, p. 413) a bien montré
(contre Syme [1226], p. 250) que l’Egypte n’était pas « une annexe
de la chaîne de royaumes qui courait au nord jusqu’au Pont et à
l’ouest jusqu’à la Thrace, insérés entre les provinces romaines...
ou les protégeant sur le devant et sur les côtés », car les souverains
lagides étaient « les seuls de tout l’Orient à n’être pas ses créatures
et à ne pouvoir être remplacés ». Il avait besoin des restes de
leur puissance (sur la corruption du système administratif,
cf. M. Th. Lenger, G. Ord. Ptol., nos 75-76) pour assurer les vic¬
toires nécessaires à sa sécurité. L’échec de sa campagne contre les
Parthes en 36 le mit à la merci de son épouse, la campagne
d’Arménie fut close par la célébration d’un triomphe dont le
centre fut le Sérapéion. Le nouveau partage du monde oriental
entre Cléopâtre, associée à Ptolémée Césarion, Alexandre Hélios et
Ptolémée Philadelphe, n’avait rien qui fût romain (ni qui se rat¬
tachât à proprement parler à la moindre tradition historique).
Antoine d’ailleurs semblait ne pas s’être réservé de place dans
l’organisation du nouveau monde. Sans doute son règne était-il
encore à conquérir, mais il lui appartint de mourir vaincu d’une
guerre étrangère à laquelle il participait volontairement aux côtés
des ennemis de Rome (Dion, L, 6, 1).
COLCHIDE

Carte 5. — L'Orient méditerranéen au Ier siècle avant J.-C.


Rome et la Méditerranée orientale 845

L’analyse de la politique antonienne à l’égard de l’Egypte a été faite par


E. Will [1976], II, p. 464 sqq., qui sut la replacer dans son cadre hellénistique;
intéressante notamment est la mise au point concernant la propagande orienta-
lisante d’Antoine. R. Syme ([1226], p. 276-278) a montré comment l’Italie tout
entière a pu se grouper autour d’Octave pour défendre ses intérêts : « La perte
de ses possessions d’outre-mer serait catastrophique pour l’Italie qui avait dû
sa prospérité et sa croissance aux revenus de l’Orient, au profit qu’elle tirait de
l’exportation de ses soldats, de ses financiers et de ses gouverneurs... Les intérêts
d’argent se transformèrent inconsciemment en une vertueuse indignation
patriotique. »

Les guerres civiles pouvaient ainsi, vues de l’Orient, passer


pour une période particulièrement noire. Ruinés, vaincus, méprisés
par la propagande octavienne, provinciaux et alliés pouvaient
d’autant plus craindre l’avenir que Rome semblait incapable
d’imaginer des formules nouvelles d’administration, continuant
de s’en remettre au despotisme de gouverneurs d’autant plus
féroces que seul comptait leur intérêt personnel, ou à la poigne
de souverains d’autant plus durs que fidèles.
On ne peut considérer comme une innovation signifiante le fait qu’avec
César furent fondées en Orient diverses colonies romaines, ce qui ne s’était jamais
fait (si un certain nombre de soldats pouvaient être démobilisés dans la province
où ils avaient servi, cf. P. A. Brunt [298], p. 219-220, ce n’était guère l’usage);
une loi votée durant son consulat rendit la chose possible et le mouvement qu’il
lança après son retour à Rome ne fut pas interrompu par sa mort (cf. Deniaux
[2208], p. 285). Un tableau commode des fondations est dressé par P. A. Brunt
[298], p. 697 sqq., qui ne doit pas néanmoins faire négliger M. Grant [2131],
Vittinghoff [505], ni E. T. Salmon [487].

Important est le fait que les liens étroits s’étaient tissés tout au
long des conflits entre grands personnages romains et membres de
l’aristocratie orientale. La collaboration ardemment souhaitée
de certains d’entre eux leur fit parfois jouer un rôle décisif (que
l’on songe à l’intervention de Mithridate de Pergame dans la
guerre d’Alexandrie). Ils apparaissaient donc désormais comme
des partenaires, des égaux (auxquels on pouvait marier sa fille :
Antoine donna la sienne à Pythodoros de Tralles) dont l’accession
à la direction des affaires pouvait être envisagée. Le monde
romain impérial, équilibré et serein, naîtrait de ce rappro¬
chement que seul pouvait rendre possible l’infini abaissement de
la classe politique romaine.
Chapitre IX

LES JUIFS ENTRE L’ÉTAT


ET L’APOCALYPSE (i)
par P. VIDAL-NAQUET

i) LES « KITTIM »

« Or Judas entendit parler des Romains. Ils étaient, disait-on,


puissants, bienveillants aussi envers tous ceux qui s’attachaient à
leur cause, accordant leur amitié à quiconque s’adressait à eux »
(I Maccabées, VIII, i). Ainsi commence le célèbre excursus du
livre I des Maccabées. Les Romains sont des justes, ils sont aussi des
vainqueurs, ayant disposé de Philippe, de Persée, d’Antiochos III
le Grand, de « ceux de la Grèce ». Ils sont enfin une République.
« Aucun d’entre eux n’a ceint le diadème ni revêtu la pourpre
pour grandir sous elle. Ils se sont créé un conseil où chaque jour
délibèrent trois cent vingt membres continuellement occupés du
peuple pour en maintenir le bon ordre » (ibid., 15). Leur monarque
est annuel. « Ils confient chaque année le pouvoir à un seul homme
et la domination sur tout leur empire : ainsi tous obéissent à un
seul sans qu’il y ait d’envie ou de jalousie parmi eux » {ibid., 16).
Le tableau glisse de la constatation à l’éloge, de l’éloge à l’utopie.
Dramatiquement, le texte est censé exprimer la situation du monde
romain en 161, à la veille du premier traité conclu entre les Juifs
insurgés, dirigés par Judas le Maccabée, et les Romains.

(1) Dans cette même collection les Juifs ont fait l’objet, outre le volume de
Marcel Simon et André Benoît, d’un chapitre important de l’ouvrage tout récent
de Claire Préaux sur le monde hellénistique. Je me suis efforcé d’éviter les
répétitions.
Les Juifs entre l'Etat et Vapocalypse 847

L’ensemble du texte, traduit de l’hébreu en grec, est postérieur à l’avènement


de Jean Hyrcan (135/134-104), déjà largement entamé selon les derniers mots
du livre. On a pu le dater raisonnablement de 129 (Momigliano [2434], p. 657-
661). Il est, en tout état de cause, postérieur à 146 puisqu’il fait allusion à la fin
de la Grèce (I Mac., VIII, 10). Il est peu vraisemblable que Vexcursus sur les
Romains soit une interpolation (sic encore J. D. Gauger [2430], p. 187-195).
L’important est qu’il s’agisse d’un texte à la fois élogieux et partiellement inexact.
Le monarque annuel est un signe caractéristique d’ignorance, même si, dans le
détail, le portrait de Rome ressemble à celui qu’ont tracé, antérieurement et
postérieurement, des auteurs grecs mieux informés (Denys d’Halicarnasse, VII,
66, 4-5; Polybe, X, 40; XXIV, 10-11). Le monde ainsi idéalisé est un monde
lointain. Les ambassades romaines parcourent alors l’Orient, mais Rome n’est
pas sentie comme une menace. Le même texte (VIII, 5) qualifie l’Antigonide
Persée (179-168) de« roi des Kitiens». Les Kitiens, en hébreu les Kittim, ce sont
d’abord les habitants de Kition, à Chypre, puis les Chypriotes en général, les
Gréco-Macédoniens, et pour finir les Romains. Josèphe explique à sa façon le
phénomène et ajoute : « Les Hébreux appellent Khethim toutes les îles ainsi que
la plupart des peuples riverains de la mer » (Antiquités, I, 128). En tant que
« Romains », les Kittim font leur apparition sans doute dès le livre de Daniel
(vers 163) qui « annonce » le recul d’Antiochos Epiphane en 168 devant l’ulti¬
matum de G. Popilius Laenas : « Des navires de Kittim viendront contre lui et
il se découragera» (Daniel XI, 30). Une des traductions grecques et, après elle,
la Vulgate traduira tranquillement : les Romains. Le mot apparaît aussi dans
les manuscrits esséniens de Qumrân (ier siècle av. - Ier siècle apr. J.-C.). Une
querelle significative oppose les savants qui voient dans les Kittim des Grecs et
plus précisément des Séleucides, et ceux qui, avec A. Dupont-Sommer (en
dernier lieu [2554], 879-901), voient dans ces Kittim-là des Romains, et rien que
des Romains, reconnaissables à leurs pratiques militaires et au culte qu’ils rendent
à leurs enseignes. En réalité il semble bien que le mot Kittim soit dans les textes
de Qumrân un terme générique, comparable aux« barbares » des Grecs. « C’est
un pseudonyme universel qui s’applique à tous les ennemis, quels qu’ils puissent
être» (J. Carmignac [2552], I, p. 91). Les Romains se sont intégrés dans cet
ensemble, voilà le fait nouveau dans la période qui nous occupe. Ils rejoignent
l’ennemi précédent, les rois issus du partage de l’empire d’Alexandre : « Ses
officiers exercèrent le pouvoir chacun dans son gouvernement. Tous ceignirent
le diadème après sa mort, et leurs fils après eux durant de longues années : sur
la terre ils multiplièrent le malheur» (I Mac., I, 8-9). Rome est pourtant plus
que les royaumes grecs. Elle unifie là où ils se divisent. Elle peut sans peine être
assimilée à la quatrième bête de Daniel (VII, 7),« terrible, effrayante, extraordi¬
nairement puissante », dont les dix cornes ont symbolisé d’abord la multiplicité
grecque. Pour l’apocalyptique juive, il faut que l’Empire devienne universel afin
que le royaume de Dieu s’établisse sur ses ruines : « Mais lorsque Rome sur
8q8 V Orient

l’Egypte aussi [cette Egypte qu’Epiphane n’avait pu conquérir] étendra son


empire, la soumettant à un gouvernement unique, alors le très grand Royaume
du Roi immortel brillera sur les hommes... Alors aussi la colère contre les gens
du Latium sera devenue inexorable. Trois [les premiers triumvirs ?] infligeront à
Rome une fin lamentable et tous les hommes périront en leurs demeures lorsque
du ciel se déversera une cataracte de feu» (Orac. Sibyll., III, 46-54). Ainsi parle,
depuis Alexandrie, l’oracle de la Sibylle. Pour ce Juif hellénisé, Rome est l’incar¬
nation suprême de l’Etat telle que deux siècles et demi d’hellénisation en avaient
préparé la représentation. Histoire prodigieusement complexe, qu’il est presque
impossible de traiter comme un ensemble, mais qu’il faut tout de même tenter
de résumer.

2) LES FRONTIÈRES ü’iSRAËL

Ce qu on appelle le « second Temple » ou, plus improprement,


le « second Etat juif» est le résultat, pour la tradition que reproduit
ou invente le « chroniqueur », de l’édit de Cyrus, en 538, ordonnant
la reconstruction du Temple de Jérusalem et autorisant les Juifs à
rentrer en Palestine (Esdras, I, 2-4; cf. les vues contrastées, quant
à l’authenticité, de Bikerman [2517], p. 72-108, et de Morton Smith,
son disciple [2463], p. 209-210). Exil, retour, reconstruction :
ces mots ne concernent évidemment qu’une minorité, quelques
dizaines de milliers de personnes. Nombre de descendants des exilés
demeurent en Babylonie, tandis que d’autres iront servir le Grand
Roi en Egypte. L’important est que la réinstallation annoncée
et accompagnée par le grand prophète de l’exil, le second Isaïe,
est vécue ou, à tout le moins, représentée comme telle. Le « chro¬
niqueur » qui, au ive siècle, nous fait connaître la mission d’Esdras
et celle de Néhémie ne laisse aucun doute sur ce que fut la volonté
de purification des dirigeants juifs du ve siècle : « Le pays dans
lequel vous entrez pour en prendre possession est un pays souillé
par les impuretés des peuples de [ces] pays, et par leurs abomi¬
nations... Et maintenant, ne donnez pas vos filles à leurs fils, ne
prenez pas leurs filles pour vos fils, et ne recherchez pas leur pros¬
périté et leur bonheur, à jamais, afin que vous soyez forts, que vous
mangiez les biens du pays, et que vous le laissiez pour toujours
en héritage à vos fils » (Esdras, IX, 11-12). A quoi fait écho
Isaïe . « Revêts tes habits les plus magnifiques, Jérusalem, Ville
Sainte, car ils ne viendront désormais plus chez toi, les incirconcis
Les Juifs entre l'Etat et Vapocalypse 849

et les impies » (LU, 1). Affirmation brutale qu’on ne peut


comprendre qu’en polarité avec cet autre grand thème du second
Isaïe, celui du « serviteur de Yahveh », Israël, dont la souffrance
justifie le retour à Sion : « Maltraité, lui, il s’humilie, il n’ouvre
pas la bouche, comme un agneau qui est traîné à l’abattage,
comme une brebis muette devant ceux qui la touchent, il n’ouvre
pas la bouche » (LUI, 7).

Au dernier siècle de l’Empire perse, entre la première mission de Néhémie


(445) et la conquête d’Alexandre (332), la Judée est un modeste district d’environ
600 km2 administré de Jérusalem par un gouverneur perse, lequel avait affaire
à une aristocratie « laïque» et au grand prêtre ainsi qu’à« ses collègues les prêtres
de Jérusalem », comme le dit un document de 407 (Grelot [2496], n° 108). La
monarchie perse, comme partout, favorisa la hiérocratie, et c’est elle qui fit,
en 445, de la Torah, la loi reconnue des Juifs. Pour la dernière fois dans leur
histoire, les Juifs relèvent tous de la même autorité politique. Les Juifs d’Eléphan-
tine, par exemple, relèvent à la fois du Satrape perse et de Jérusalem. Il n’y a pas
alors de problème de frontières d’Israël. Plus de trois siècles après la mainmise
macédonienne sur l’Asie, le géographe Strabon, contemporain d’Auguste, situe
la Judée entre une immense Phénicie, qui va d’Orthosia (au nord-ouest de
Tarablous, Liban) à Péluse et à la frontière égyptienne, et le monde des Arabes
('Géographie, XVI, 756), le tout faisant partie de la Goelé-Syrie, au sens large du
mot. Telle est la Judée, mais les Juifs ne sont pas qu’en Judée et relèvent d’auto¬
rités multiples. Par ailleurs, l’autorité juive s’exerce sur nombre de secteurs qui
ne sont pas la Judée. Strabon note aussi (ibid., 759) les villes côtières que les
Juifs se sont appropriées et qui feront du reste partie du royaume d’Hérode, plus
grand que celui de David. Il note enfin, dans un texte célèbre, que les Juifs se
sont répandus partout : « Ce groupe (phylon) a pénétré dans toutes les cités et il
n’est pas aisé de trouver un secteur de la terre habitée où il n’ait pas été accueilli
et où il ne constitue pas un pouvoir» (F. Gr. Hist., 91, 8, in Ant., XIV, 115); et
Strabon de donner l’exemple de Cyrène où la classification politique est la
suivante : les citoyens, les agriculteurs (geôrgoi), les métèques et les Juifs.

Sous la monarchie perse, au début de la conquête macédo¬


nienne et encore en 200 av. J.-C. lorsque Antiochos III s’empare
de Jérusalem et de la Judée, s’il y a un Etat juif, c’est un Etat-
Temple, non que le sanctuaire possède, au sens strict du terme,
une part de la terre, mais il est, conformément à un modèle assez
courant en Orient, un centre à la fois financier, politique et reli¬
gieux. « Nous n’avons pas, écrit Josèphe, d’autre trésor public que
celui de Dieu » (Ant., XIV, 113) ; la diaspora l’alimente aussi bien

ROME, 2 13
850 L’ Orient

que la Judée et la diaspora commence en Palestine même. C’est


sous la forme familière de l’Etat-Temple que le roi séleucide
reconnaît le fait juif. « Tous ceux qui font partie du peuple juif
vivront sous leurs lois nationales », et le texte de la « Charte séleu¬
cide de Jérusalem » (cf. E. Bikerman [2519], p. 4-35) poursuit en
énumérant le « Conseil des Anciens » (gérousia), « les prêtres, les
scribes du Temple et les chanteurs du Temple » auxquels sont
accordées diverses exemptions fiscales. Après quoi, il n’y a plus
que des « habitants », dont certains, devenus esclaves, sont libérés.
Tels sont, pour le roi, les Juifs et non simplement les habitants
de Jérusalem (Ant., XII, 138-144).

Ce lien entre le Temple et l’existence des Juifs apparaît si fort que, hors de
Jérusalem, d’autres temples seront esquissés, à Qasr el-Abd, en Transjordanie où
le Tobiade Hyrcan fut peut-être le maître d’œuvre d’un grand bâtiment construit
à la façon des temples de Syrie, au tournant du 111e et du 11e siècle, à Léontopolis
d’Egypte après la fuite d’un grand prêtre dont il est difficile de dire s’il fut
Onias III ou Onias IV, vers 162 ou une quinzaine d’années plus tard (les récits
de Josèphe — Guerre, I, 33; VII, 421-425; Ant., XII, 387-388; XIII, 62-73 —
sont contradictoires ; voir Tcherikover [2521], p. 280), peut-être même à Antioche
où la synagogue, qualifiée par Josèphe de hiéron, avait hérité, après la mort
d’Antiochos IV (163), des ornements pillés à Jérusalem (Guerre, VII, 44-45). A
quoi il faut évidemment ajouter le sanctuaire rival, celui du mont Garizim et des
Samaritains (cf. Hengel [2520], p. 272-275).

Déjà pourtant, pour Polybe, le vocabulaire s’affine, puisqu’il


cite, côte à côte, Yethnos des Juifs que soumit Scopas, général de
Ptolémée (202 ?), au début de la cinquième guerre de Syrie, et
« ceux des Juifs qui résident auprès de ce qu’on appelle le Temple
(le Sanctuaire) de Jérusalem » (XVI, 39, in Ant., XII, 135-136).
C’est la présence grecque, et la révolte contre cette présence, qui
fera des Juifs les habitants d’un Etat, plus homogène même que le
pays soumis à la domination séleucide, un Etat avec des frontières
comme en avaient les cités grecques.
V. Tcherikover a consacré, avec raison, un chapitre de sa
synthèse sur l’hellénisme et les Juifs aux quelque trente cités
grecques, plus exactement hellénisées, qui s’étagent sur la côte,
de Ptolémaïs (Saint-Jean-d’Acre), à Gaza — la plus ancienne
de toutes — et à Raphia, et, en Transjordanie, de Canatha à Marissa
et Adora en Idumée ([2521], p. 90-116), toutes cités qui ont fleuri
Les Juifs entre VEtat et Vapocalypse 851

à l’époque^hellénistique. Si, par hellénisation, on entend pénétration


de la production grecque, celle-ci est très antérieure à Alexandre.
Au niveau des trouvailles de céramiques, par exemple, la conquête
d’Alexandre ne marque aucune coupure (cf. Morton Smith [2440],
p. 57-62). Ce qui commence avec Alexandre est un mouvement de
politisation. Gaza est refondée et une colonie macédonienne est
installée à Samarie (Georges le Syncelle, p. 490, Dindorf = Eusèbe,
Chron., p. 114, Schoene). Ces colonisateurs trouvent un milieu
déjà transformé. Dès le ve siècle, écrit E. Bikerman, « un habitant
de Jérusalem qui allait sur la côte, disons à Ascalon, pouvait
facilement voir une coupe grecque représentant Œdipe et le
Sphinx et de petits bronzes représentant des divinités égyptiennes »
([2513], p. 75). Désormais c’est la vie politique qui est présence.
L’existence de ce secteur nouveau est si profondément ressentie que
le Talmud désigne parfois la ville avec les noms de avtoniot (grec
autonomia) ou boulé (Talm. Jér., Megillah I, 70 a; Baba-Bathra, III,
14 a ; Nedarim, III, 58 a ; Shebuot, III, 34^; cf. Tcherikover [2521],
p. 107). Il n’y a pas de raison pour que le processus ait épargné la
population juive. L’anecdote, remontant à un disciple d’Aristote,
Cléarque de Soles, et qui met face à face le philosophe du Lycée
et un Juif « qui descendait de l’intérieur vers la côte [et] était Grec,
non seulement par la langue, mais encore par l’âme » (Josèphe,
Contre Apion, I, 180) est imaginaire, non invraisemblable. La
conquête macédonienne, l’interrègne qui suivit la mort d’Alexandre,
le pouvoir ptolémaïque (depuis 301), le pouvoir séleucide (depuis
la bataille de Panion, en 200) sont autant d’étapes de l’hellénisation
sur lesquelles on reviendra. S’agissant ici de la constitution d’un
territoire délimité que l’on peut inscrire sur la carte, on insistera,
provisoirement, sur la période qui suit la révolte des Maccabées. En
vingt-cinq ans (168-143) de guerre, de négociations, où les diri¬
geants juifs surent habilement mettre en œuvre tant les oppositions
entre « le roi du Nord » et celui du Midi (Daniel XI, 40) que les
conflits internes des deux monarchies voisines, et principalement les
Séleucides, l’indépendance est conquise; le dernier des fils de
Mattathias, Simon, grand prêtre, est le maître de Jérusalem,
citadelle comprise (pour le détail des événements, voir Will [1976],
II, p. 275-289, 310-312, 340-342; Schürer [2515], I, p. 137-199)-
L’extension de l’Etat juif, sous la dynastie des descendants de
852 V Orient

Mattathias, les Asmonéens (sur l’évolution des frontières, voir en


général, F. Abel [2499], II, p. 132-139) pose de peu commodes
problèmes. Il semble bien qu’officiellement l’autorité du grand
prêtre des Juifs ne soit reconnue, quand elle est reconnue, que sur
la seule Judée, au sens étroit du terme, c’est-à-dire sans la Galilée
(Schürer [2515], I, p. 141). C’est par faveur que Démétrios II
ajoute à la Judée trois districts (nomoi) détachés de la Samarie.
La mention de la Galilée dans une lettre de Démétrios Ier (I Mac.,
X, 10, 30) pose d’insolubles problèmes (Schürer [2515], ibid.).
Un grand Etat juif débordant largement les limites de l’ancienne
Judée sera constitué plus tard, avec les conquêtes de Simon
(142-135), de Jean Hyrcan (135-104), et surtout, après Aristo-
bule (104-103), d’Alexandre Jannée (103-76). Les conquêtes
concernent la côte (déjà Simon s’empare de Joppé (Jaffa)) et
d’autres villes « philistines» hellénisées (I Mac., XII, 34; XIII, 11 ;
XIV, 6; Josèphe, Guerre, I, 50; Ant., XIII, 180). Jean Hyrcan
conquiert la Samarie, les villes iduméennes de Marissa et Adora
et la ville transjordanienne de Medeba (Guerre, I, 63; Ant., XIII,
255-258; xv> 254; cf. Schürer [2515], I, p. 207); Aristobule
s’empara de l’Iturée, aux flancs du Liban, et Alexandre Jannée, le
plus grand conquérant de tous, conquit dès avant 96 Gaza
(cf. Schürer [2515], I, p. 221), et devint le maître tant de la côte
jusqu’à Raphia que d’une large part de la Transjordanie avec
Gadara et Amathonte (Ant., XIII, 356-364). Mais quelle est la
nature de l’ensemble ainsi constitué? Une première réponse envi¬
sageable et, si je puis dire, une première politique possible pour
les dirigeants juifs, est qu’il s’agit d’un Etat idéologique dont le
principe est le judaïsme et sa Loi religieuse. Des textes, dont le
rapport avec la pratique demanderait à être précisé, vont certai¬
nement dans ce sens. La révolte des Maccabées trouve son point de
départ moins dans une tentative royale de destruction de l’identité
juive que dans la volonté d’une fraction de l’aristocratie sacerdotale
et laïque d’entrer dans la culture grecque en adoptant ses symboles :
la cité, le gymnase, l’éphébie (cf. Bikerman [2516], p. 127-133;
Hengel [2520], p. 286-292). La révolte de Mattathias et de ses
fils entreprend, dès le début, de purifier le pays. « Ils firent une
tournée pour détruire les autels et circoncire de force les petits
enfants qu’ils trouvaient privés de la circoncision à l’intérieur des
Les Juifs entre VEtat et Vapocalypse 853

frontières d’Israël. Ils chassèrent les esprits arrogants et, sous leur
direction, la besogne fut menée avec succès » (I Mac., II, 45-47,
trad. Abel rectifiée). La notion religieuse centrale qui rend compte
de ce comportement est celle, capitale, de zèle qui, du temps des
Maccabées (I Mac., II, 54) à celui des « Zélotes » du Ier siècle ne
cesse d’être invoquée par les combattants (cf. W. R. Farmer [2542]
et M. Hengel [2593]). La purification du territoire peut s’opérer
par l’expulsion des habitants comme à Joppé (I Mac., XIII, 11),
par leur massacre selon le vieux principe de l’anathème biblique
dont le modèle était l’action de Josué, ainsi Judas le Maccabée à
Gaspin dans le Golan (II Mac., XII, 14-16), ou par la conversion
des habitants, ainsi les Iduméens au temps de Jean Hyrcan, qui
les soumit « et leur permit de rester dans le pays à la condition
d’adopter la circoncision et les lois des Juifs » (Ant., XIII, 257).
L’autre politique consistait à agrandir le territoire en acceptant
sa diversité, en admettant qu’il puisse acquérir une « structure
lâche et bigarrée » (Will [1976], II, p. 285) comme celle de l’Etat
séleucide.

On peut à ce propos faire une remarque et formuler deux hypothèses. Il


n’est pas douteux que la première politique prévalut aux premiers temps de
l’insurrection et que la seconde l’emporta peu à peu plus tard. On peut même
se demander si l’adoption du titre royal, par Aristobule selon Josèphe (Guerre,
I, 70; Ant., XIII, 301 et 318), par Alexandre Jannée selon les témoignages
des monnaies, ne se situe pas à l’articulation des deux politiques. Aristobule
n’est-il pas appelé le Philhellène ? Mais déjà Judas le Maccabée constata que
Juifs et non-Juifs vivaient en bonne intelligence à Scythopolis-Beth-Shean
(II Mac., XII, 29-30). Et on a pu parler à propos de Jean Hyrcan de sa poli¬
tique purement laïque : n’est-il pas le premier souverain juif à faire appel non
à une armée juive, mais à des mercenaires (Ant., XIII, 244; cf. Schürer [2515],
I, p. 207) ? On peut aussi penser que la résistance à la conversion, quand il y
eut politique de conversion, est en proportion du degré d’hellénisation. Les
cités devenues grecques avaient probablement conscience cl une supériorité
culturelle dont tout témoignait dans le monde méditerranéen. Méléagre de
Gadara, en Transjordanie, est très conscient de son origine sémitique et du
pluralisme linguistique de sa cité, mais il exprime ou transmet tout cela en grec
(Anthologie grecque, VII, 419; cf- Momigliano [2185], p. 87-88). Aucun texte
en tout cas ne parle, pour cette époque, de conversion massive dans le monde
des cités comparable à celle des Iduméens. A l’interieur de 1 Etat juif, les cites
« grecques » demeurèrent donc et Gerasa, par exemple, au 111e siècle de notre
854 V Orient

ère, passera pour avoir eu Perdiccas comme fondateur (C. B. Welles in Kraeling
[2535], n° 137). Inversement, si loin que s’étendent les frontières de l’Etat juif,
il est bien loin de rassembler tous ceux qui se réclament du judaïsme. Les deux
diasporas, celle d’Orient et celle de l’Occident gréco-romain, avec au premier
chef la communauté d’Alexandrie, font en sorte qu’au dédoublement palestinien,
qui oppose et opposera encore longtemps «Juifs et Grecs», fait pendant le dédou¬
blement entre les Juifs de Judée, sujets de l’Etat juif, et ceux de la Diaspora.
Quatre ans après la reprise de la citadelle de Jérusalem, en 139, les Juifs
sont expulsés de Rome pour propagande religieuse dangereuse (Valère
Maxime, I, 3, 2).

3) LE NOM DOUBLE

Le prophète Daniel, héros d’un livre vraisemblablement écrit


immédiatement après la mort d’Antiochos Epiphane — livre écrit
partiellement en hébreu et partiellement en araméen, avec, de
surcroît, un appendice postérieur rédigé en grec —, a cette carac¬
téristique remarquable : un nom double. Daniel est son nom
hébraïque, connu de longue date (par exemple Ezéchiel, XXVIII,
3). Comme le prophète est censé être scribe à la cour de Babylone,
après la déportation, son second nom est babylonien : « Le chef
des Eunuques donna des noms [aux quatre enfants de Juda qui
se trouvaient là] : à Daniel il donna le nom de Beltshassar »
(Daniel, I, 7), ce qui signifie : « Protège la vie du roi. » Le
phénomène n’est nullement exceptionnel. L’adoption de noms
grecs est, au 111e et au 11e siècle, une des marques de l’hellénisation;
elle est courante, par exemple en Egypte, et elle vaut pour beau¬
coup d’autres que les Juifs (M. Hengel [2520], p. 61-63). On peut
supposer par ailleurs que nombre d’Orientaux ayant un nom grec
continuaient à utiliser leur patronyme « indigène ». Ce qui est
plus étonnant dans le cas de Daniel est que le nom soit en quelque
sorte officiellement dédoublé, que ce dédoublement soit répété
dans le texte (IV, 5-6; 15-16), que Daniel soit Daniel ou encore
« Daniel dont le nom est Beltshassar » quand le narrateur parle
de lui, même quand le narrateur est censé être le roi, qu’il soit
Beltshassar et Beltshassar seulement quand le roi l’interpelle.
Si l’on voulait donner un symbole de l’acculturation des Juifs et
de ses limites, on ne pourrait, je crois en trouver de meilleur,
Les Juifs entre U Etat et /’ apocalypse 855

L’adoption de la langue grecque est-elle un critère ? Si oui, l’acculturation


s’est faite en profondeur en Egypte. Après l’installation de la dynastie lagide,
les documents en araméen (papyri, ostraca, inscriptions), sans disparaître tout à
fait, deviennent extrêmement rares (P. Grelot [2496], p. 59). C’est d’Egypte
que provient la plus ancienne dédicace de synagogue (Dittenberger, OGIS,
726 = Cil, 1940 = E. Gabba [2490], n° 1); elle vient de Schédia, près d’Alexan¬
drie, et est faite en l’honneur de Ptolémée III Evergète I (246-221) et de la
reine Bérénice. Elle est, bien sûr, en grec. Rien de plus révélateur dans ce
domaine, que le prologue de la Sagesse de Jésus, fils de Sirach (l’Ecclésiastique).
L’auteur de cet avant-propos traduit en grec, en 132, l’œuvre de son grand-père,
tout en constatant la supériorité de l’hébreu (Prol., 20-25). Le texte hébreu, lui,
fut retrouvé en 1896 dans les archives de la Geniza de la synagogue caraïte
du vieux Caire, et, pour une autre part, à Masada. C’est un texte grec, celui
de Jason de Cyrène, que résume l’auteur du second livre des Maccabées, dont le
prologue contient des lettres, en grec — toutes ne sont pas authentiques —,
adressées de Jérusalem à la communauté juive d’Egypte (voir Momigliano
[2433], p. 81-91). Et, bien sûr, la traduction de la Bible en grec est la preuve
et de la réalité de l’acculturation et de la résistance de l’identité juive.

Le tableau en Palestine est, pour la période qui va en gros


d’Alexandre à la prise de Jérusalem par Pompée (63), extrêmement
différent. On peut admettre que la lettre d’Antiochos III à
Ptolémée, dite « Charte de Jérusalem » (ci-dessus, p. 850), a été
transcrite sur pierre, puisqu’on a retrouvé à Scythopolis, donc, il est
vrai, hors de Judée, un groupe de huit documents émanant
d’Antiochos ou adressés à lui, dont une lettre du même Ptolémée
(J. et L. Robert, Bulletin, REG, 1970, n° 627). Mais un tel
document ne prouve rien quant aux Juifs. Il en est de même du
graffito de Gazara, vouant au feu le palais de Simon l’Asmonéen
(Cil, 1884 = Gabba [2490], IX). C’est, semble-t-il, de la fin de
l’ère asmonéenne que date le monument funéraire typiquement
hellénistique de Jason. L’inscription araméenne est une déplo¬
ration, tandis que le texte grec invite les vivants aux jouissances les
plus matérielles : boire et manger (cf. J. et L. Robert, Bulletin,
REG, 1970, n° 634).

Le témoignage des monnaies va dans le même sens. Ce sont les pièces frap¬
pées par Alexandre Jannée qui, pour la première fois, portent, outre une légende
hébraïque, une légende grecque. Le dernier des Asmonéens, Antigone-Mattathias,
fera de même. Encore faudrait-il savoir dans quelle mesure certaines de ces;
856 U Orient

monnaies ne sont pas destinées aux sujets « grecs » de ces rois. En tout cas, rien
ne permet de dire que la langue grecque était alors parlée couramment comme
elle le sera un peu plus tard après le règne hellénisateur d’Hérode (voir S. Lieber-
mann [2524] et [2525]; J. N. Sevenster [2527]; B. Lifshitz [2528]).

Est-ce pourtant ainsi, en accumulant ces sortes de détails, qu’il


faut poser le problème clé de l’acculturation ? Nous ne le croyons
pas. Le défi « grec » ne s’est évidemment pas fait connaître en un
jour, mais il a été total. Il faut bien comprendre que ce qui était
en jeu était un mode de vie aussi affirmé, face aux populations
conquises, que peut l’être aujourd’hui le mode de vie occidental
face aux populations du Tiers Monde. L’agora, la palestre, les
institutions éphébiques, les places et les rues à portiques, le décor
sculpté, les tombes monumentales jouent alors le même rôle
auprès d’une fraction de la population sujette que le font aujour¬
d’hui le blue-jean, le gratte-ciel, l’électrophone, le drugstore et
le jerk. Ils sont ce par quoi le vainqueur est vainqueur, le symbole
de sa supériorité. C’est ce qu’exprime un passage célèbre du
livre I des Maccabées (I, 11-15) : « En ces jours-là surgit d’Israël
une génération de prévaricateurs [mot à mot « des fils violant la
loi »] qui séduisaient beaucoup d’autres personnes en disant :
« Allons et faisons un accord avec les nations qui sont autour de
« nous, car depuis que nous nous sommes séparés d’elles, beaucoup
« de maux ont fondu sur nous. » Et ce discours parut bon à leur
yeux. Il y en eut parmi le peuple qui s’empressèrent d’aller chez
le roi qui leur donna l’autorisation d’observer les pratiques païennes.
Ils construisirent un gymnase à Jérusalem selon les usages des
nations; ils se refirent des prépuces et renoncèrent à l’alliance
sainte pour se mettre sous le même joug que les Gentils. Ils se
vendirent pour faire le mal. » Le texte ne distingue pas, et ne veut
pas distinguer, entre ceux qui abandonnent le judaïsme — il y en
eut certainement — et ceux qui tentent de le moderniser en
1 accommodant à l’hellénisme, tel le grand prêtre Josué (Jason) qui
« se fit un plaisir de fonder un gymnase au pied même de l’acropole
et de conduire les meilleurs des éphèbse sous le pétase » (II Mac.,
IV, 12). Si les premiers deviennent des Grecs, ce sont les seconds
qui deviennent des personnages dédoublés, et on a vu, par l’exemple
de Daniel, que le phénomène se répandait très loin,
Les Juifs entre l'Etat et l'apocalypse
857

Quels groupes sociaux concernait-il ? Le mode de vie grec, les constructions


qu’il suppose, du théâtre au gymnase, coûtent cher. Adopter l’hellénisme signifie
entrer dans le cycle des dons et des contre-dons qui relient, avec divers inter¬
médiaires, le notable local au roi grec, les dirigeants de Jérusalem faisant alors
figure de notables régionaux. Les textes mettent en évidence ce coût des opéra¬
tions. Ainsi Jason promet une augmentation, chiffrée à 150 talents, du tribut
annuel, pour le droit de faire d’une partie des habitants de Jérusalem des Antio-
chéens, c’est-à-dire des citoyens de type grec (II Mac., IV, 8-9). Le trésor du
Temple offrait certes des ressources, mais, en fin de compte, il fallait tout de
même que quelqu’un paie; une double pression fiscale devenait nécessaire,
au profit du roi, au profit des notables (cf. S. Eddy [2176], p. 244; P. Vidal-
Naquet [2446], p. 39-40), et ce sont les victimes de cette double pression,
ceux-là mêmes qui ne bénéficieraient pas de l’hellénisation, qui fourniront
troupes et cadres à la révolte contre l’acculturation. Mais n’imaginons pas non
plus une aristocratie isolée dans les beaux quartiers de Jérusalem sous la pro¬
tection des soldats séleucides. Quand Antiochos IV ordonne, en 168, de sacrifier
et crée des inspecteurs pour surveiller les opérations, « beaucoup de gens du
peuple s’acoquinèrent à ces gens-là, quiconque en somme abandonnait la loi »
(I Mac., I, 52). L’Acra, la citadelle de Jérusalem, ne manqua pas d’habitants
juifs (I Mac., I, 34; VI, 18), jusqu’au jour où Simon « la purifia de toute souil¬
lure » (I Mac., XIII, 50) en 143-142. Qui étaient ces Juifs? Il est très difficile
de dire ce que sont ces hommes. Tout au plus peut-on émettre l’hypothèse
qu’ils se recrutent parmi ceux des Juifs qui ne répondent pas à tous les critères
de pureté (origine et rites) impliqués par la Loi, ainsi les Ammei ha-Aretz, terme
pour lequel il est toute une gamme d’interprétations, qui va depuis les couches
populaires jusqu’à la simple marginalité religieuse (A. Oppenheimer [2545]).
Ce groupe de Juifs ayant accepté l’hellénisation ne disparaîtra plus; il se grossira
des personnels servant la monarchie ou plutôt les monarques, et de ceux des
Juifs de la diaspora qui reviendront en Palestine. A l’époque où s’écrit le Nou¬
veau Testament, il subsiste à Jérusalem des « hellénistes », Juifs des milieux
populaires dont la langue est le grec (Actes, VI, 1-6). Mais le dialogue, le
dédoublement ne disparaîtront pas pour autant; ils se multiplient, puisque la
relation — faite de ressemblance et de différence — entre Juifs hellénisés et
LIellènes se redouble entre Diaspora et Palestine, à l’intérieur de la Palestine,
à l’intérieur même de la Judée.

4) DE L’ALLIANCE AU PROTECTORAT

Alexandre Jannée avait laissé en mourant (76) un grand Etat


juif dont les frontières ne sont pas modifiées sous le règne de sa
veuve Alexandra-Salomé (76-67). En quatre ans (67-63), le
858 L'Orient

tableau change radicalement. Les querelles dynastiques caractéris¬


tiques de la décadence séleucide se reproduisent à s’y méprendre
en Israël avec la guerre civile qui oppose de 67 à 63 partisans
d’Hyrcan II et d’Aristobule II. Le pays se trouve par ailleurs pris
dans les remous des guerres orientales de Rome — contre Mithri-
date (mort en 63) et contre les Arméniens Tigrane père et fils
soumis en 65-64. La création de la province romaine de Syrie,
l’année suivante, œuvre personnelle de Pompée qui l’emporte
symboliquement sur Lucullus dont il « affectait de considérer
toutes les décisions comme nulles et non avenues » (Will [1976],
II, p. 427), va entraîner l’annulation politique de l’œuvre des
Asmonéens. Pompée n’eut aucun besoin d’un prétexte pour inter¬
venir. Par sa seule présence à Damas, il est désormais le Recours.
Il y reçoit les dons et entend les arguments des ambassadeurs des
frères ennemis (Ant., XIV, 34-38), puis les frères eux-mêmes, qu’il
« mit avec politesse hors de cour » (ibid., 46). Si finalement il dut
assiéger Jérusalem, c’est, selon Josèphe {ibid., 56), parce que les
soldats d’Aristobule II refusèrent d’accepter l’accord conclu avec
leur chef, qui du coup se retrouva prisonnier. Jérusalem tomba au
troisième mois du siège. La cité fut-elle prise le samedi de Yom
Kippour comme le veulent Josèphe et, avec certaines variantes,
la plus grande partie de la tradition {Ant., XIV, 66; Strabon,
XVI, 763), ou un simple jour de Shabbat (Dion Cassius,
XXXVII, 16) de juillet 63? Le récit de Josèphe semble en réalité
relever d’une tradition sacrée qui ne distingue guère entre la prise
de la ville en 588, en 320, en 63 et en 70 apr. J.-C. (cf. Talm. Bab.,
Taanith, 29 a; Aboth de Rabbi Nathan A, IV et B, VII ; Ant., XII,
4, et Schürer [2515], I, p. 239, n. 23, qui plaide plutôt pour une confu¬
sion personnelle de Josèphe). Pompée pénétra dans le Temple puis
restaura le culte. Hyrcan II devient grand prêtre et chef d’un
territoire soumis au tribut {Ant., XIV, 71-3; Guerre, I, 152-155).
La frange côtière, les villes de Transjordanie, Scythopolis et
Samarie avec leur territoire sont enlevées à l’Etat juif et reçoivent
une autonomie qui se manifeste aussitôt par la multiplication des
émissions monétaires (Will [1976], II, p. 429 avec bibliographie).
C’est notamment le début de la « Décapole » de Syrie, simple
annexe au demeurant de la province romaine (voir Bietenhard
[2534], P- 24-58),
Les Juifs entre VEtat et V apocalypse 859

Les relations entre Rome et la Judée avaient commencé de façon toute


différente. Si embrouillée que soit la question, compliquée dès l’Antiquité
par les traductions et les retraductions du latin au grec, du grec à l’hébreu, de
l’hébreu au grec, par la réécriture théologique de l’histoire qui dispose assez
librement des documents (bon exemple de relecture antique in Habicht [2431],
p. 1 -18), compliquée plus encore par l’hypercritique moderne (cf. D. Timpe
[2533] et surtout J. D. Gauger [2430], p. 153-241), il semble que l’on puisse
assez simplement marquer les grandes lignes de cette rencontre politique.
L’insurrection juive, faite au nom d’une Loi qui ne concernait que les Juifs,
t même, à la limite, seulement une partie d’entre eux, ne pouvait, pour des
eaisons évidentes, trouver d’alliés chez les peuples les plus voisins. Cela ne la
dispensait pas d’avoir une politique internationale, c’est-à-dire, selon les règles
de l’époque, de rechercher des « parentés » (cf. D. Musti [2501 b~\, p. 225-239),
propres à donner surtout des satisfactions symboliques et des alliances pouvant
avoir une portée militaire. En 143 Jonathan « renouvelle » une « parenté »
qui se veut très anciennement connue avec les Spartiates. L’historien juif fait
dire au roi Spartiate Areus (309-265) : « Il a été trouvé dans un écrit au sujet
des Spartiates et des Juifs qu’ils sont frères et qu’ils sont de la race d’Abraham.
Maintenant que nous savons cela, vous ferez bien de nous écrire au sujet de
votre prospérité. Nous vous écrivons déjà en retour : vos troupeaux et vos biens
sont à nous et les nôtres sont à vous» (I Mac., XII, 21-23; cf. Ant., XII, 225-227).
Echange rétrospectif et fictif, bien entendu, mais la démarche de 143, elle, n’a
pas à être mise en doute et montre que, un quart de siècle après le début de
l’insurrection, les dirigeants juifs avaient bien assimilé les règles de la diplomatie
hellénistique. De même, sous Jean Hyrcan, sera proclamée la « parenté » des
Pergaméniens et des Juifs {Ant., XIV, 255).

Les rapports avec Rome, même s’ils sont alors établis par
la même ambassade (I Mac., XII, 16), relèvent d’une tout autre
logique. Ils auraient été inaugurés, selon une tradition juive qui
n’est nullement invraisemblable, dès 164, au temps de Judas. La
lettre adressée par les ambassadeurs romains Quintus Memmius
et Titus Manius Sergius « au peuple » (ou « à la foule », selon un
manuscrit) des Juifs (II Mac., XI, 34-38), tout à fait à la fin du
règne d’Epiphane, doit être lue, comme l’a bien montré Habicht
([2431], p. 11-12), en liaison avec la lettre adressée par Lysias
« à la foule » (plethos) des Juifs », c’est-à-dire aux rebelles (II Mac.,
XI, 16-21). Les Romains se contentent de donner leur adhésion
aux mesures d’apaisement promises par la chancellerie royale et
demandent à s’informer de ce que souhaitent les Juifs. Il n’est pas
même besoin, pour admettre l’authenticité du texte, de se demander
86o L’Orient

s’il contrevient à la politique romaine (plus affirmée que vécue)


de respect des traités conclus avec les rois (en l’espèce la paix
d’Apamée) et d’appui aux couches dirigeantes plutôt qu’aux
rebelles (cf. Th. Liebmann-Franckfort [2531], p. 102). Trois ans
plus tard, il s’agit d’autre chose; en 161, Judas, vainqueur de
Démétrios Ier, obtient, par l’intermédiaire de deux Juifs hellé¬
nisés (qui d’autre aurait pu être envoyé à Rome ?), Eupolémos et
Jason (I Mac., VIII, 13 ; II Mac., IV, 11 ; Ani.,XII,4i2),unsénatus-
consulte en bonne et due forme (I Mac., VIII, 23-30; texte qu’il
faut préférer à la réfection de Josèphe, Ant., XII, 417-419) que nous
ne connaissons malheureusement qu’à travers les traductions suc¬
cessives. C’était un traité d’alliance, bon exemple de foedus aequum,
auquel Rome se réservait de ne donner suite que selon ses possi¬
bilités, en dernière analyse un instrument de pression contre
Démétrius Ier (Th. Liebmann-Franckfort [2531], p. 114). Le
traité fut renouvelé sous Jonathan, en 143, à un moment où les
dirigeants juifs soutiennent Tryphon contre Démétrios II (I Mac.,
XII, i;T«t.,XIII, 163-165; Guerre, I, 48). Le statut des Juifs comme
alliés et amis du peuple romain est connu de l’historiographie
romaine, même si Justin (d’après Trogue-Pompée) ironise sur la
facilité avec laquelle Rome cède ce qu’elle ne possède pas, le
bien des Séleucides (Justin, XXXVI, 3, 9). Simon, ethnarque
en 140, dut son prestige auprès de Démétrius II à cette qualité qu’il
prend soin d’entretenir (I Mac., XIV, 16-18, 24, 40; XV, 15-24).
Même attitude chez son successeur Jean Hyrcan, peut-être dès la
première année de son règne, en 135-134 {Ant., XIII, 260-266;
cf. Schürer [2515], I, p. 204), qui ne peut pourtant empêcher
Antiochos VII Sidétès d’assiéger Jérusalem et même d’obtenir la
capitulation de la ville {Ant., XIII, 236-248; 254; 259-266;
Justin, XXXVI, 1). Des textes difficiles à interpréter suggèrent
une intervention romaine peu avant 107, qui aurait obtenu pour les
Juifs la restitution de Joppé (Jaffa) {Ant., XIII, 278; XIV,
244-245; résumé du débat in E. M. Smallwood [2530], p. 10).
Après quoi toute référence utilisable à l’alliance entre Juifs et
Romains disparaît jusqu’au moment où survient l’arbitrage armé
de Pompée. Ce trou masque à nos yeux la transformation de Rome
dans l’imagination juive : Etat vertueux, allié parfois efficace,
maître imposant ses armes et sa loi.
Les Juifs entre l'Etat et Vapocalypse 861

5) LIVRES GRECS ET POLITIQUE

Six ans avant la célèbre visite du philosophe Carnéade, loin¬


tain successeur de Platon à la tête de l’Académie, visite qui fit
date dans l’histoire intellectuelle de Rome, c’est à un historien
hellénisé que Judas Maccabée demande d’être son ambassadeur
à Rome; si toutefois Eupolémos l’ambassadeur et l’historien du
même nom sont bien une seule et même personne (cf. B. Z. Wachol-
der [2451], p. 1-7)- Les rapports avec l’hellénisme sont anciens
dans sa famille, s’il est vrai que son père, membre d’un clan rival de
celui, lié à l’Egypte, des Tobiades, « la maison d’Accos », fut bien
le négociateur, en 200, de la « Charte de Jérusalem » (II Mac.,
IV, 11). Les fragments d’Eupolémos insèrent Moïse dans la chro¬
nologie connue des Grecs, faisant de lui non seulement un législateur
particulier mais un sage universel et l’inventeur de l’alphabet;
c’était là prolonger une entreprise commencée un siècle et demi
auparavant, à Alexandrie, et qui visait à donner aux Juifs un passé
rival de celui des « Chaldéens » ou des Egyptiens. L’entreprise se
résume par un nom, celui d’Hécatée d’Abdère, et il est utile de
noter que les critiques se partagent entre ceux qui en font un Grec
authentique de l’extrême fin du ive siècle et ceux qui y voient
le pseudonyme d’un ou même de plusieurs écrivains juifs, hypo¬
thèse défendable (cf. d’un côté par exemple Momigliano [2185],
p. 92-94, de l’autre B. Z. Wacholder [2451], p. 80-96).
Cette littérature avait une face juive et une face grecque; elle
avait également une double dimension : il fallait répondre aux
besoins religieux de la communauté juive d’Egypte; il fallait aussi
présenter les Juifs et ce qu’on pensait être leur message au monde
de langue grecque.

Selon la tradition juive, une tradition qui remonte au moins aux années 175-
170, date assurée des Explications de Vécrit de Moïse de 1 écrivain Aristobule
(fr. 3, Walter in Eusèbe, Praep. Ev., XIII, 12, 1-2; cf. Bikerman [2517], p. 168),
date possible aussi de la Lettre d’Aristée (discussion in A. M. Denis [2461], p. 109-
110), la traduction de la Bible aurait été entreprise vers 280-250 sous l’inspi¬
ration du roi Ptolémée II. Ceci ne concerne que la Torah proprement dite,
le Pentateuque; quant au reste des livres bibliques, ils seront traduits tout au
long des deux siècles suivants. On peut, par exemple, fixer à 78-77 le terminus
862 V Orient

ante quem de la traduction du livre d’Esther (Bikerman [2517], p. 224-225).


Pourquoi cette entreprise? E. Bikerman ([2517], p. 167-200) prend au sérieux
le signifiant et considère que la Traduction fut, effectivement, une entreprise
officielle, comparable au traité de technique agricole du Carthaginois Magon,
traduit sur ordre du Sénat (Pline, Hist. nat., 18, 220). La Traduction est d’abord
un aspect de la compétition entre les peuples soumis aux Grecs et on peut la
mettre en rapport, par exemple, avec des entreprises contemporaines comme la
compilation de Manéthon ou celle de Bérose. Très remarquable aussi est le
souci d exactitude. La traduction de la Torah est d’abord un exemplaire unique
qui doit servir de référence pour tous les volumes qui seront copiés sur lui (ce
souci philologique est évidemment suscité par la culture d’Alexandrie, siège de la
Bibliothèque et du Musee). « Si donc tu l’agrées, ô Roi, on écrira au grand
prêtre de Jérusalem d’envoyer des hommes des plus honorables, des Anciens,
compétents dans la science de la Loi, six de chaque tribu, afin qu’en faisant
soumettre à l’examen ce qui aura obtenu l’accord de la majorité et en obtenant
ainsi une interprétation exacte, nous établissions brillamment un texte digne
de l’Etat et de ses intentions » (Lettre d’Aristée, 33). A la majorité : voici une règle
grecque dont le récit ne dit du reste pas que les traducteurs se soient effective¬
ment inspirés.

On peut se demander toutefois s’il est légitime d’écarter les


nécessités proprement juives de l’origine de l’entreprise. N’est-ce
pas confondre le signifiant et le signifié ? Momigliano objecte : « La
Torah devait être rendue accessible en grec aussi bien pour le
service du culte que pour la lecture privée » et il rapproche la
traduction écrite des traductions orales pratiquées dans les syna¬
gogues. « Nous ne savons même pas si le texte fut déposé dans la
grande fondation des Ptolémees, la Bibliothèque d’Alexandrie »
([2185], p. 90-92). A quoi Ion peut ajouter que la découverte,
en Palestine, à une date il est vrai postérieure, de nombreux frag¬
ments du Targum, de la traduction araméenne de la Bible, prouve
qu’effectivement l’existence d’une littérature sacrée en langue vul-
gaiie répondait a d’autres nécessités que la décision d’un roi.
On sait même aujourd’hui, grâce aux découvertes de Qumrân,
que le texte des « Septante » s’inspire d’une recension hébraïque
aujourd’hui disparue, mais dont subsistent fragments et citations
(Bikerman [2517], p. 153-154).

A tous les niveaux la confrontation des deux textes a été enrichissante. On


reprendra, après M. Hengel ([2520], p. 51), l’exemple de la traduction d’un
passage d’Isaïe (58, 6). Là où le texte hébreu disait : « Le jeûne que j’agrée,
Les Juifs entre l'Etat et l'apocalypse 863

n’est-ce pas ceci : dénouer les liens de la méchanceté, laisser flotter les attaches
du joug, renvoyer libres ceux qui sont maltraités, et que vous brisiez tous les
jougs », le texte grec, qui peut être daté de 170-150 (Bikennan [2517], p. 147)
remplace l’image pastorale par un vocabulaire juridico-politique, celui du
monde contraignant des contrats que les papyrus nous ont restitués : « Défaire
les liens des accords imposés par la force, renvoyer libres ceux qui sont brisés,
annuler tout contrat injuste. »

Même si l’on conteste l’idée que la traduction des « Septante »


a été dès le début une entreprise de légitimation face au monde
non juif, la Lettre d'Aristée, ce « roman de la Traduction », montre
clairement que c’est bien la Gentilité qui est concernée. Le pro¬
blème est que pour atteindre ou espérer atteindre ce public, le
discours juif doit se mouler sur le discours grec. Aristée, le pseudo¬
auteur de la lettre, est un Grec qui invoque Zeus, comme est Grec
le destinataire, Philocrate, comme est Grec et de plus péripatéti-
cien, Démétrios de Phalère, qui est censé avoir, sous la responsabi¬
lité de Ptolémée II, inspiré l’entreprise de traduction et fait
dresser la première « copie en bonne et due forme » (Lettre d Aristee,
302). Le « nom double » inspire un discours double.

C’est aussi un discours double que le « roman » de Joseph et Aséneth dont il


faut bien, semble-t-il, admettre la datation haute, avant la conquête romaine
de l’Egypte (S. West [2455], p. 70-81), roman qui est tout à la fois le plus ancien
des « romans grecs» qui si souvent prennent comme cadre l’Egypte (Momigliano
[2185], p. 117-118) et un écrit juif comparable aux récits pseudo-historiques
d’Esther et de Judith. Le récit lui-même joue sur un monde double, puisque
racontant, par une gigantesque amplification de Genese, XLI, 45 e*- 5°"52, les
amours et le mariage du ministre juif du pharaon et de la fille de Pentephiès
(Putiphar), une Egyptienne qui ne ressemble pas à ses sœurs. Ce n est pas une
apologie du mariage mixte, c’est certainement un livre grec de la conversion
au judaïsme.

« Les Juifs devinrent le peuple du Livre quand ce Livre fut


traduit en grec » écrit E. Bikerman ([2513], p. 101). On insiste
souvent (par exemple A. Momigliano [2185], p. 91-92) sur 1 échec
_- provisoire — de l’entreprise. Aucun poète, aucun philosophe
_avant Longin, au Ier siècle de notre ère (Du sublime, IX, 8) — ne
la cite et nous devons croire Philon sur parole quand il affirme
que de nombreux « gentils » participaient a la fête annuelle qui,
864 V Orient

sur l’île de Pharos, commémorait la naissance de la Traduction


(Vie de Moïse, II, 41). En fait il est impossible de mesurer le rôle du
texte dans le mouvement de conversion ni du reste d’apprécier
l’importance de celui-ci.
On peut pourtant se demander si ces livres grecs ne sont pas
aussi autre chose, une forme de pensée et même d’action politique,
une des très rares formes de vie politique qui aient été possibles dans
la diaspora juive d’Egypte. Les Juifs d’Alexandrie ne pouvaient
guère mener de vie politique à la grecque, puisque Alexandrie
elle-même est moins une cité avec des organes délibératifs qu’une
gigantesque communauté urbaine dont les citoyens, une minorité,
sont un club privilégié. Les Juifs d’Alexandrie relèvent d’un poli-
teiima, d’un groupement parapolitique, peut-on dire, et, dans le
récit du pseudo-Aristée, les « délégués » du politeuma sont présents
avec « les prêtres, les Anciens du groupe des Traducteurs et les
chefs du peuple », le jour de l’inauguration de la Loi hellénisée.
Ensemble ils prêtent le Serment au Livre : « Maintenant que la
traduction a été faite correctement, avec piété et avec une exac¬
titude rigoureuse, il est bon que cette œuvre reste comme elle est,
sans la moindre retouche » (.Lettre d’Aristée, 310), ce qui est l’équi¬
valent d’un serment grec devant un traité ou une loi.

Activité politique au plus haut niveau, certes, mais ce n’est pas la seule.
La Lettre d’Aristée contient, entre autres, les éléments d’un traité Sur la royauté
ou, plus exactement, un traité du bon usage que la communauté juive, prise
entre le groupe des Grecs, majoritaire à Alexandrie, et l’ensemble égyptien,
soumis mais majoritaire, pouvait faire de l’institution royale. Le jeu n’allait pas
toujours sans danger. Lors des troubles de 145-124 qui opposent Ptolémée VIII-
Evergète II et Cléopâtre II (Will [1976], II, p. 356-366), les Juifs, à tout le moins
ceux de Léontopohs, centre d’une colonie militaire et d’un temple, prennent,
contre les Alexandrins grecs, le parti de la reine, jeu classique de bascule d’une
minorité. Après la conquête romaine, que les Juifs avaient favorisée, et l’instal¬
lation par Octavien, en 30, de son pouvoir à Alexandrie, les distinctions juri¬
diques se figent. On peut être Romain ou Alexandrin, c’est-à-dire Grec, on
peut faire partie des « gens du gymnase » (dans la chôra), distinction sociale,
non juridique; on peut enfin être un originaire, par exemple un Juif d’Alexandrie
(voir, sui la transformation de la notion d’Alexandrin, M. A. El Abbadi [2501]
p. 106-123). Un papyrus daté de 5-4 av.J.-C. (Corfi. Pafi. Jud. [2495], II, n° 151)
porte involontairement témoignage sur cette transformation. Un Juif se définit
comme « Alexandrin, fils d’un père lui-même Alexandrin », mais le scribe
Les Juifs entre l'Etat et /’apocalypse 865

officiel, sans toucher rétrospectivement au statut du père, refuse au fils le droit


de se dire « Alexandrin», raye l’adjectif et écrit :« Juif originaire d’Alexandrie».
Indifférence au passé ou respect de la vérité ?

Avec la présence romaine, d’autres livres sont cependant dif¬


fusés qui entendent, cette fois à l’échelle du monde méditerranéen,
s’adresser moins aux Juifs qu’aux non-Juifs, eux aussi, et qui sont le
témoignage de l’activité politique d’un groupe de Juifs, les auteurs
des Livres sibyllins (voir en général A. M. Denis [2461], p. m-123
et J. J. Collins [2477]). Le troisième livre du recueil, dont la genèse
fut certainement compliquée, remontant pour certains morceaux
au 11e siècle avant notre ère (J. J. Collins) mais qui, sous la forme où
nous le possédons, appartient aux temps qui suivent la mort de
César (Nikiprowetzky [2457], p. 145-226), a d’immenses ambi¬
tions. Il donne la parole à une devineresse du monde païen, la
Sibylle babylonienne, celle-là même qui passait pour être la fille
de l’historien « chaldéen » Bérose (Pausanias, X, 12, 9; Pseudo-
Justin, Cohortatio, 37, 7). « Si Bérose ne pouvait, en pleine ère des
Séleucides, être le père de la Sibylle que par manière de métaphore,
cette métaphore signifiait que c’était l’historien qui avait accrédité
la prophétesse en Occident » (Nikiprowetzky [2457], p. 15.) Mais
surtout le signifiant, ici encore, est capital. Le peuple des «Justes »
est inséré dans la mythologie de la Grèce et de l’Orient. Cronos,
Titan et Japet succèdent à la tour de Babel (Orac. Sibyll., III, 110).
Homère l’éducateur est remis à sa place : « Il y aura ensuite un vieil
homme, un écrivain mensonger, qui controuvera le nom de sa
patrie et dans les yeux duquel la lumière se sera éteinte » (Orac.
Sibyll., III, 419-420). La propagande juive d’Alexandrie est alors
la seule à prendre comme champ l’ensemble de la Méditerranée, la
seule aussi à contester mondialement le pouvoir de Rome : « Les
richesses que Rome aura reçues de l’Asie tributaire, l’Asie à son
tour les recevra au triple de Rome à qui elle fera expier la violence
destructrice qu’elle en aura subie » (Orac. Sibyll., III, 350-352).
Après la mort de Mithridate, qui donc pouvait s’exprimer ainsi, si
ce n’est précisément un groupe démuni des moyens de la puis¬
sance ? Ce n’est pourtant pas un discours situé hors de l’espace.
L’oracle parle depuis l’Egypte, mais pense à la Palestine. L’ennemi,
« Béliar » (Bélial), viendra de Sébasté, c’est-à-dire, depuis Hérode,
866 V Orient

de Samarie, ancienne capitale du royaume dissident d’Israël


(Orac. Sibyll., III, 63).
Jusqu’où portait cette voix ? Dans quelle mesure la Diaspora
était-elle concernée dans son ensemble ? Le paradoxe est que la
Palestine, partiellement hellénisée, mais de langue araméenne et
entourée d’Hellènes d’adoption, pouvait et pouvait seule commu¬
niquer avec les deux diasporas, l’occidentale, entièrement hellène
d’expression, l’orientale, parlant araméen en pays parthe. Nous
connaissons mal cette diaspora centrée principalement sur la
Babylonie. Nous ne faisons guère que deviner ses rapports avec la
Palestine. Les relations politiques entre l’Etat juif et l’Etat parthe
existent puisque Jannée a, selon un écrit rabbinique, reçu une
ambassade parthe (Talm. Jér., Berakot, 7-2; Nazir, 5, 3). Lejeune
Hérode dont le père se prétendait originaire de Babylonie (Ant.,
XIV, 9) trouvera dans cette diaspora son premier grand prêtre,
Hannanel, et c’est de là aussi que viendra, au début de son règne,
Hillel, le plus illustre des docteurs pharisiens. Mais de tout cela
Josèphe ne nous dit rien, ne parlant des Juifs du pays parthe que
pour nous raconter un roman noir situé au début de notre ère
{Ant., XIII, 310-379; cf. J. Neusner [2541], p. 34-38). Il faut
cependant garder en mémoire l’existence de cette diaspora, faute
de quoi plusieurs épisodes postérieurs, y compris le règne du
dernier des Asmonéens, seraient peu compréhensibles. A l’ouest,
la cartographie de la diaspora se précise au fur et à mesure des
découvertes archéologiques et épigraphiques (voir la synthèse
de Stern in Safrai et Stern [2512], p. 117-183). Nous devinons
pourtant assez mal ce que fut la vie intellectuelle de ces commu¬
nautés dont nous ne faisons guère qu’entrevoir l’organisation très
oligarchique.

H. J. Leon [2538] a pu esquisser l’histoire des Juifs de Rome, qui ne com¬


mence à émerger vraiment qu’au Ier siècle avant notre ère, quand Cicéron
lance les célèbres attaques du Pro Flacco (59). C’est une communauté dont la
langue est majoritairement le grec (Leon [2538], p. 75-92), qui possède dès
cette époque un cimetière bien identifié, la catacombe Monteverdi, mais nous
connaissons mal et leur rapport à la politique et leur rapport à la culture. Le
fait que Flaccus, accusé d’avoir, en tant que propréteur, confisqué l’or recueilli
dans quatre villes d’Asie par les Juifs pour le Temple de Jérusalem, fut aussi
un des adversaires de Catilina, et qu’il fut défendu par Cicéron et Hortensius
Les Juifs entre l'Etat et l'apocalypse 867

signifie-t-il vraiment que les Juifs ont pris le parti des populares (Stern in Safrai
et Stern [2512], p. 161-162) ? Cette interrogation demeure, en dépit des privilèges
que César, selon Josèphe, accorda aux Juifs de la Diaspora (Ant., XIV, 190-216).
Paradoxalement c’est au siècle précédent que nous avons peut-être une indi¬
cation sur la propagande juive à Rome. Valère Maxime (I, 3, 2) justifie l’expul¬
sion des Juifs de Rome en 139 av. J.-C. — sont expulsés aussi les astrologues —
en disant qu’ils voulaient introduire à Rome le culte de « Jupiter Sabazios ».
Il n’est pas impossible que l’introduction de ce dieu soit apparue comme une
sorte de revival dionysiaque tel que celui qui provoqua en 186 le sénatus-consulte
des Bacchanales. A. Alfôldi ( [2537], p. 121-142) a rassemblé sur ce point plusieurs
témoignages monétaires et littéraires, à Vrai dire d’interprétation difficile — rien
ne prouve non plus que les thèmes sur le retour de l’âge d’or au 11e siècle soient
liés à l’oracle de la Sibylle — mais il est vrai, par exemple, qu’encore en 55,
après la prise de Jérusalem, une monnaie de l’édile A. Plautius, qui fut légat
de Pompée, appelle le grand prêtre de Jérusalem « Bacchius Iudaeus » (Alfôldi
[2537L P- 138-139). C’est là encore une figure de ce dédoublement, si carac¬
téristique, des Juifs qui, par le nom, par le culte qu’on leur prête, ne sont pas
seulement, comme on le dit trop souvent (et encore tout récemment J. Sevenster
[2539]); Pétranger, l’autre, mais à la fois le proche et le lointain : celui qui
peut être à la fois, au temps de César, citoyen de la vieille cité de Sardes (Ant.,
XIV, 235) et Juif parmi les Juifs.

6) LE CONFLIT DES INTERPRÉTATIONS

Au temps où Hyrcan II et Aristobule II se querellaient, « la


nation (ethnos) était, écrit Josèphe, opposée à l’un comme à l’autre
et demandait à ne pas être gouvernée par un roi. La tradition
voulait qu’on obéisse aux prêtres de Dieu que vénéraient les Juifs,
mais les deux concurrents, descendants de prêtres, cherchaient à
modifier la forme du pouvoir et à réduire les Juifs à la condition
d’une nation esclave » {Ant., XIV, 41). Le thème est assez carac¬
téristique pour apparaître aussi, presque dans les mêmes termes,
dans une tradition non juive (Diodore, XL, 2). On peut, bien sûr,
le faire remonter très haut dans l’histoire juive, jusqu’à l’avertis¬
sement antimonarchique de Samuel aux Israélites (I Samuel,
8, 10-16). Mais la vraie question est ici de savoir qui parle au nom
de la « nation » ? Les deux premiers livres des Maccabées, rédigés
à la gloire l’un de la dynastie asmonéenne, l’autre de la personne
de Judas Maccabée, nous font connaître l’existence d’un groupe
868 H Orient

d’hommes pieux (grec Asidaioi, hébreu Hasidim) qui tantôt sont


confondus avec le parti des fils de Mattathias (II Mac., XIV, 6,
mais c’est un adversaire qui parle), tantôt agissent en liaison avec
lui (I Mac., II, 42), tantôt agissent de façon distincte, soutenant
même une tentative de restauration du pontificat traditionnel en
la personne de Alkimos, allié de Démétrios Ier, en 162. « C’est
[disent les Hasidim] un prêtre de la race d’Aaron qui est venu avec les
troupes : il ne nous fera pas de mal » (I Mac., VII, 14). Qui sont
ces Hasidim ? Les ancêtres tant des Esséniens que des Pharisiens
(Marcel Simon [2545], p. 19) ? Les premiers Esséniens, ce qui,
philologiquement, paraît possible (Hengel [2520], I, p. 175-218) ?
Un groupe sans importance et sans consistance (Ph. Davis [2551],
p. 127-140) ? Ils sont, en tout cas, des hommes qui attachent de
l’importance à la dévolution de la prêtrise depuis Aaron et aux
règles imposées par la Loi. Ils sont aussi des docteurs, des scribes
(I Mac., VII, 12).
C’est en racontant le règne de Jean Hyrcan (135-104) que Josèphe insère
son célèbre tableau des trois sectes entre lesquelles se partagent les Juifs (Ant.,
XIII, 171-173, résumant Guerre, II, iig-166), les Pharisiens assimilés aux stoï¬
ciens, les Esséniens rapprochés des pythagoriciens, les Sadducéens proches des
épicuriens. Bel exemple d’interpretatio graeca, d’une vision décentrée des sectes
juives. Mais toutes les visions ne sont-elles pas décentrées, sauf le discours que
tient sur elle-même la communauté de Qumrân ? Josèphe aura des continuateurs,
parfois inquiétants : un ouvrage classique sur les Pharisiens (L. Finkelstein [2546],
I, p. 20 et 76) n’hésite pas à comparer ces« authentiques plébéiens» aux« consu-
mer’s leagues » américaines.

C’est aussi Jean Hyrcan qui, le premier, se serait brouillé avec


les Pharisiens — l’un d’entre eux ayant mis en cause la pureté de
son origine {Ant., XIII, 288-298; récit analogue in Talm. Bab.,
Qiddushin, 66 a, trad. in J. Le Moyne [2547], p. 53-54, mais la
victime est alors Jannée) —, passant aux Sadducéens. La brouille fut
complète sous le règne d’Alexandre Jannée qui massacra des adver¬
saires que Josèphe appelle tantôt « les Pharisiens », tantôt tout
simplement « les Juifs » {Ant., XIII, 379-386). Ce n’est qu’au
moment de sa mort qu’il se rallia à la grande secte, invitant sa
femme, Alexandra-Salomé, qui lui succéda, à obéir aux Phari¬
siens, ce qu’elle fit {Ant., XIII, 401 -415 ; Guerre, I, 107-111). Mais, de
cet exemple et de quelques autres qui pourraient le prolonger, il
Les Juifs entre l'Etat et Vapocalypse 869

résulte que, pour la tradition pharisienne, si Josèphe en est ici


l’interprète, il n’y a plus de bon roi que mort ou que femme,
c’est-à-dire incapable d’exercer la prêtrise (cf. P. Vidal-Naquet
[2466], p. 51-54) ; à la limite, il vaut mieux, effectivement, qu’il
n’y ait pas de roi du tout.

La décourageante ampleur de la littérature sur les « sectes juives » et son


caractère violemment contradictoire ne doivent pas empêcher de poser le pro¬
blème. Les informations, certes, ne sont pas réparties équitablement : Josèphe
et la littérature judéo-grecque, la tradition rabbinique, les textes du Nouveau
Testament, tous largement postérieurs au développement des sectes. S’agit-il
des Pharisiens ? Au terme d’une étude entièrement centrée sur la tradition des
Tannaïm, c’est-à-dire des premières générations rabbiniques après 70, E. Rivkin
([2550], p. 247) aboutit à cette définition : « Les Pharisiens étaient une classe
lettrée consacrée à la Loi sous ses deux aspects, écrit et oral. Ils s’opposaient
activement aux Sadducéens qui ne reconnaissaient d’autorité qu’à la seule
Loi écrite. Leurs lois non écrites, la Halakha, concernaient tous les domaines :
le culte, la propriété, les procédures judiciaires, les fêtes, etc. » Quant à leur
nom, les Perushim, les Séparés, c’est un sobriquet qui leur aurait été donné par
les Sadducéens, parti de l’aristocratie sacerdotale, dit-on en général, parti
d’une exégèse « sobre» et peu créative (J. Le Moyne [2547], p. 362). Pour les
Sadducéens, les « Séparés » seraient les hérétiques. E. Rikvin ajoute avec satis¬
faction que cette définition recoupe celle de Josèphe (Ant., XIII, 297, 408) et
même celles de saint Paul (Philipp. III, 5, 6; Galat. I, 14). A quoi il lui fut
objecté, à partir des mêmes textes, par J. Livingstone [2548] — et avec excès,
semble-t-il — qu'aucun texte ne met réellement en opposition Sadducéens et
Pharisiens à propos de la loi orale et de la loi écrite — seul Josèphe raisonne
ainsi — mais tout au plus le sens littéral et l’exégèse. Les prises de position des
docteurs pharisiens correspondant en règle générale à ce que prescrit la Mishna,
cette tradition risque surtout d’être une rétrospection.
J. Neusner a proposé une autre méthode de lecture (voir ses conclusions
[2549], III, p. 302-371), inspirée de la Formgeschichte néo-testamentaire; les
traditions rabbiniques — en l’espèce celles qui concernent les chefs d’école —
nous renseignent moins sur l’histoire positive que sur ce qu’en voulaient retenir,
dans une forme déterminée, les générations établies à Yavneh après 70 apr. J.-G.;
il est beaucoup moins question dans ces textes de l’opposition avec les Sadducéens
que des débats internes de la « secte » (Hillel contre Shammai) ; il n’est guère
question ni de l’attitude envers les rois ni de l’attitude envers les Romains, ce
sur quoi Josèphe nous renseigne parfois. Ce sont les lois sur la pureté des aliments
qui, en définitive, forment le thème principal de la traditionp harisienne.« Les
Pharisiens étaient, dit L. Finkelstein ([2546], p. 74), une société pour l’obser¬
vance de la pureté lévitique» (mais étaient-ils les seuls?) tandis que les Saddu-
870 U Orient

céens considéraient que les règles de la pureté « étaient applicables uniquement


dans l’enceinte du Temple » (J. Le Moyne [2547], p. 362). En ce sens, il est
bien vrai que les Pharisiens ont tenté de judaïser en profondeur le peuple
d’Israël.

Le problème des Esséniens se pose en termes différents, avec


les découvertes des « manuscrits de la mer Morte » (dont peu
remontent avec certitude aux temps pré-hérodiens, ce qui ne
signifie pas que leur contenu ne puisse remonter plus haut) et les
fouilles de Khirbet Qumrân, qui ont établi que le « couvent »
essénien avait été fondé dans les décennies qui ont précédé la prise
de Jérusalem par Pompée (voirE. M. Laperrousaz [2556], p. 28-33).
Par-delà les vaines querelles sur la personnalité du « Maître de
Justice » et la date de la persécution dont il a été victime (voir
in J. Carmignac [2552], II, p. 48-60 l’impressionnante liste des
hypothèses formulées par les divers savants), ce qui compte, outre
la certitude établie par A. Dupont-Sommer — que les sectaires
de Qumrân sont bien les Esséniens, c’est le fait que ceux-ci, un petit
groupe apparemment, s’identifiaient à Israël, décrivaient avec
minutie dans le « Rouleau du Temple » un Temple entièrement
symbolique, et n’hésitaient pas à commenter le prophète Nahum
en assimilant Ninive et à Samarie et à Jérusalem, et la domination
étrangère, celle des Assyriens, et à celle des Grecs de Démé-
trios Ier et à celle de l’ennemi pharisien (voir A. Dupont-Sommer
[2554 bis], p. 210-227, et P. Vidal-Naquet [2466], p. 84-86).
A une extrémité de 1 echelle idéologique, les Sadducéens tiraient
peut-être leur nom (grec Saddoukaioi, hébreu Seddoukim) du Sadoq
qui fut grand prêtre au temps de Salomon (mais voir J. Le Moyne
[2547] > P- 155-163), selon la règle posée par Ezéchiel (XL, 46) : « Ce
sont les fils de Sadoq, parmi les fils de Lévi, qui s’approchent de
Yahveh pour le servir » ; à l’autre extrémité, les Esséniens de
Qumrân se définissent eux aussi, dans le « Document de Damas »
(III, 21, IV, 1, in Qumrân, II, p. 158) comme les fils de Sadoq
(cf. M. Simon [2545], p. 22); la confusion est si réelle que, lors
de la publication du « Document de Damas », certains exégètes
l’ont tout naturellement attribué au parti sadducéen (J. Le Movne
[2547], P- 19)-
Encoie faudrait-il tenir compte des individus, cet Onias par
exemple (Honi dans la Mishna; voir Schürer [2515], I, p. 235,
Les Juifs entre l'Etat et l'apocalypse 871

n. 6), que Josèphe appelle « un homme juste et aimé de Dieu »


(.Ant., XIV, 22), et qui était tenu pour thaumaturge parce que ses
prières avaient un jour fait pleuvoir. Lors du siège de Jérusalem
par Hyrcan II, il lui fut demandé de maudire Aristobule II et il
refusa solennellement de choisir entre le peuple de Dieu et les
prêtres de Dieu. « Les méchants parmi les Juifs le lapidèrent »
(Ant., XIV, 24). On reconnaît là un schéma événementiel dont il
y aura d’autres exemples.
Cela dit, plus encore que le contenu idéologique de chaque
programme sectaire — et il serait possible d’allonger la liste —, le
fait majeur n’est-il pas précisément cette division, cette communauté
du Texte au service d’une diversité des interprétations ? Car si le
judaïsme est religion d’un Texte indéfiniment lu et commenté, où
donc est l’autorité qui définirait l’Interprétation comme les « Sep¬
tante » avaient pu au moins définir (mais non pas pour tout le
monde) la Traduction ? Là est la question fondamentale qui,
par-delà les crises du Ier siècle, dominera encore les temps apos¬
toliques : « Philippe... entendit que l’eunuque lisait le prophète
Isaïe. Il lui demanda : « Comprends-tu donc ce que tu lis ? -— Et
« comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide ? » »
(Actes, VIII, 30-31).
Le simple fait que et les Esséniens et les Sadducéens se récla¬
ment de la prêtrise, les uns d’une façon mythique, les autres d une
façon pratique, montre que le Temple, lieu majeur de 1 activité
sacerdotale, n’était pas et ne pouvait pas être le lieu où se définirait
une interprétation orthodoxe. Rien n’est plus difficile, par exemple,
que de définir la compétence en matière herméneutique d un
tribunal comme le Sanhédrin (voir H. Mantel [2536]). Et d’ail¬
leurs, y avait-il un Sanhédrin ? Les érudits se divisent toujours en
partisans de l’existence d’un tribunal unique, présidé par le grand
prêtre et compétent en matière religieuse, et partisans de la thèse
des deux tribunaux dont l’un était politique et 1 autre, présidé par le
Nasi, ou chef de la secte phaiisienne, aurait eu, au Ier siècle avant
notice ère, compétence pour appliquer la Halakha... que tous ne
reconnaissaient pas (mise au point de H. Mantel, in Avi-Yonah et
Baras [2511], p. 264-281).
La synagogue, lieu d’étude de la Loi, lieu de lecture et de
commentaire, n’est pas un centre d’orthodoxie parce que la Syna*
872 U Orient

gogue n’existe pas. Existent au contraire des synagogues qui ne sont


pas des lieux sacrés, qui se situent non « à la place » du Temple
mais ailleurs. Il s’en faut de beaucoup que la vieille querelle de
l’origine de la synagogue soit tranchée. On affirmera avec autant
de force, d’une part que « les origines de l’institution synagogale
sont liées a la constitution de la Diaspora; chronologiquement,
elles coïncident selon toute vraisemblance avec l’exil » (Marcel
Simon [2422], p. 57), et de l’autre qu’ « on n’est en rien justifié à
regarder la fondation de la synagogue comme une tentative pour
combler le vide créé par la destruction du premier Temple »
(S. Safrai, in Avi-Yonah et Baras [2511], p. 333). La première
synagogue connue est, nous l’avons signalé (ci-dessus, p. 855), en
terre égyptienne, mais c’est là un argument discutable. S. Safrai
fait valoir ailleurs {in Safrai et Stern [2512], p. 908-913), de façon
détaillée, que l’idée selon laquelle la synagogue est une création
de l’exil est elle-même postérieure à la destruction du second
Temple. Le premier groupe des exilés, avec le roi Joiaquin, aurait
apporté à Babylone des pierres de Jérusalem qui furent incorporées
dans les édifices locaux (Talm. Bab., Mùgillah, 29 à). Au contraire,
avant la destruction du second Temple, on aurait considéré
normalement que Moïse est le fondateur de la pratique synagogale
(par exemple Philon, Vie de Moïse, II, 215-216; Josèphe, Contre Apion,
*75)' Personne ne contestera pourtant que la première mention
dune « maison de 1 instruction » (beith midrash), terme qui
deviendra technique pour désigner le lieu où l’on étudie la Loi,
c est-à-dire le lieu qui rend possible la synagogue de notre époque,
se rencontre dans la Sagesse de Jésus, fils de Sirach, l’Ecclésias¬
tique (LI, 23), au tout début du 11e siècle av. J.-C.

7) NAISSANCE d’un ROI

Vingt-six années séparent la prise de Jérusalem par Pompée (63)


deA l’avènement d’Hérode (37) comme roi satellite de Rome, au
même titre, par exemple, qu’un roi de Commagène.

La Judée, pays tributaire (Ant., XIV, 74), dépendant de la province de


Syrie, divisée en cinq districts (synedria) par Gabinius en 55, est prise dans les
remous de la guerre civile et de la guerre étrangère. C’est à la veille de son
Les Juifs entre l'Etat et Vapocalypse 873

expédition fatale contre les Parthes que Crassus confisque en 54 le trésor du


Temple (Ant., XIV, 105-109; Guerre, I, 179). C’est une armée parthe qui instal¬
lera à Jérusalem Antigone-Mattathias, fils d’Aristobule II (40). Après le meurtre
de César (44), les dirigeants juifs, nominalement Hyrcan II, en fait l’Iduméen
Antipater puis, après sa mort en 43, ses fils Phasael et Hérode, manœuvrent au
plus juste pour garder successivement l’amitié de Cassius et d’Antoine, lequel
met du reste le pays au pillage (Appien, Bell. Civ., V, 7-31). C’est à Rome
qu’Hérode reçoit en 40 le titre de roi. Sa nomination est célébrée par un sacrifice
au Capitole et un banquet donné par Antoine (Ant., XIV, 381-393; Guerre, I,
282-285). C’est la défaite des Parthes qui lui permettra de conquérir sur son
royaume une autorité longtemps précaire. « Pendant la première partie de son
règne, Hérode devait compter avec quatre forces hostiles : le peuple, la noblesse,
la famille des Asmonéens et Cléopâtre» (Schürer [2515], I, p. 296).

On n’insistera pas sur ces événements (fort bien racontés par


Schürer, ibid., p. 244-296). Mettons cependant en relief trois points.
La famille d’Antipater se présente et est ressentie comme l’instru¬
ment de l’étranger, ce qui se prolongera tout au long de la dynastie
« iduméenne ». Si Hyrcan II est officiellement « ethnarque » en
même temps que grand prêtre de la Judée, et ce depuis 47 (Ant.,
XIV, 191), Antipater, lui, est élevé à la dignité de citoyen romain
et nommé par César épitropos de toute la Judée (ibid., 137, 143-144
et Guerre, I, 194-199). Le mot est-il correctement traduit du latin ?
Si oui (mais le fait n’est pas assuré), Antipater aurait étéprocurator
de César, titre destiné à un bel avenir.
Il en résulte qu’une certaine légitimité populaire est ainsi
rendue par contrecoup à la famille asmonéenne, à la branche
d’Aristobule IL Le fils de celui-ci, Alexandre, réussit dès 57 à lever
une armée qui créa quelques difficultés à Marc Antoine (Ant.,
XIV, 82-89; Guerre, I, 160-168). Son père et son frère Antigone,
lui-même en 55, renouvelèrent la tentative, ce qui n’empêcha pas
ce même Antigone de chercher à gagner la faveur de César (Ant.,
XIV, 82-89, 97-102, 140-142; Guerre, I, 160-168, 175-178, 194).
Ce n’est donc pas son attitude personnelle qui lui valut son succès
populaire. Ce caractère de légitimité dynastique explique sans doute
le mariage d’Hérode avec l’Asmonéenne Mariamne, au moment
même où il assiégeait Jérusalem (Ant., XIV, 30; Guerre, I, 241).
Mais d’autres formes de royauté ne se dessinaient-elles pas ? Un
épisode de la jeunesse d’Hérode mérite qu’on en dise un mot.
874 U Orient

Nommé par son père stratège de Galilée, Hérode captura et tua


un « bandit », un chef rebelle, Ezékias, et nombre de ses compa¬
gnons. Cela lui valut une grande popularité en Syrie et auprès de
l’autorité romaine qui le nomma stratège de Coelé-Syrie et de
Samarie, mais des difficultés en pays juif. Hérode avait violé la Loi
juive qui interdit de tuer un homme qui n’a pas été jugé par le
Sanhédrin. Hérode fut traduit devant cette juridiction sous la
pression des familles des victimes. Hérode arriva avec ses troupes.
Un éminent Pharisien, « Samaias » (Shammaï ?) le défia au nom
de Dieu. Hérode fuit à Damas où les Romains assurèrent sa protec¬
tion (.Ant., XIV, 159-184; récit un peu différent in Guerre, I,
204-215). L’intérêt de l’affaire déborde peut-être les person¬
nages pourtant bien campés du drame. Une quarantaine d’années
plus tard, ou peu après la mort d’Hérode, un certain Judas, fils
d Ezekias, terrorisait la Galilée, « visant à une haute fortune et
même aux honneurs de la royauté » (Ant., XVII, 272; cf. Guerre,
II, 56). Ce Judas est-il identique à un autre Judas, dit le Galiléen
ou le Gaulanite, que l’on voit sévir une dizaine d’années plus tard
(Ant., XVIII, 4-10) et qui fut le fondateur de la « quatrième secte »,
celle des Sicaires ? Si l’on pouvait répondre positivement — mais au
nom de quels critères ? — c’est une longue lignée de Messies qui
débuterait avec Ezékias, lignée qui s’achèverait, en 74 de notre
ere, par la mort a Masada d Eléazar, fils de h aïr. On a beaucoup
discuté de cette minuscule question (dossier bibliographique in
P. Vidal-Naquet [2446], p. 90, n. 457) qui est insoluble; mais il est
vrai qu’à la date où nous sommes, sa solution engage le long
avenir des révoltes messianiques, celles dont les auteurs sont des
« brigands » appuyés sur le Texte.

8) PURS ET IMPURS, RICHES ET PAUVRES

Est-il possible, à la date où nous sommes parvenus, en cette fin


d’un « temps des troubles », de tracer le classique tableau de
1 économie et de la société de la Judee du Ier siècle avant notre ère ?
L entreprise est difficile, pour ne pas dire impossible. Les diffi¬
cultés, qu’il faut essayer de cerner, tiennent pour une part à la
Les Juifs entre l'Etat et l'apocalypse 875

façon dont l’historiographie moderne a envisagé sa tâche, pour


une autre part à la nature de la documentation, pour une part enfin
à l’extrême complication des rapports sociaux que l’on peut
entrevoir.

Parlant de la façon dont les historiens de la Palestine ont travaillé, je fais


moins allusion à certaines descriptions à la limite du ridicule, qui semblent un
commentaire perpétuel des formules bibliques sur « le pays où coulent le lait
et le miel », ces tableaux où « l’agriculture a atteint un haut niveau de déve¬
loppement », où « les fruits sont abondants et d’excellente qualité », le vin
« universellement célébré » et les poissons du lac Tibériade abondants et « d’es¬
pèces particulièrement raffinées » (J. Klausner, in Avi-Yonah et Baras [2511],
p. 180-186), je fais moins allusion à ces faiblesses nationalistes que d’autres
historiens savent éviter (voir les chapitres excellents de Stern, in Safrai et Stern
[2512], II, p. 561-630, sur la vie sociale, et, sur l’économie, l’étude honorable
d’Applebaum, ibid., p. 631-700) qu’à une donnée beaucoup plus simple : le
travail historique a été presque entièrement happé par deux phénomènes
d’importance majeure, mais postérieurs à l’époque considérée, le phénomène
chrétien et la naissance de l’Eglise, le phénomène zélote et la chute de Jérusalem
en 70. Il en résulte beaucoup de livres bons, voire excellents, portant des titres
caractéristiques, Jérusalem au temps de Jésus [2562], Les sectes juives au temps de
Jésus [2545], Les connexions sociales de la guerre de Judée [2563], Le judaïsme palestinien
au temps de Jésus-Christ [2544], Le peuple juif au /er siècle [2512], ce dernier livre
faisant partie d’une série de « Manuels d’études juives nécessaires pour la
connaissance du Nouveau Testament ». Aucun progrès dans ce domaine n’a
été réalisé depuis que Schürer publiait, en 1874, la première édition de son
Manuel d'histoire de l'époque du Nouveau Testament qui devint par la suite une
Histoire du peuple juif à l’époque de Jésus-Christ [2515]. Dans la production récente,
un seul ouvrage, celui de W. W. Buehler [2561], s’est centré sur la période
qui précède Hérode, sur « la guerre civile et le débat social avant Hérode »,
avec, en perspective, la volonté d’analyser la « société juive pendant la
période 76-40 av. J.-C. ». Encore faudrait-il dire : « Hommage au courage
malheureux. »

Mais les historiens et les grandes passions collectives dont ils


se font les interprètes ne sont pas seuls en cause, la nature des
sources porte aussi sa part de responsabilité. La source narrative
majeure, l’œuvre de Josèphe, a pour but non de renseigner ses
compatriotes de la fin du Ier siècle de notre ère, mais d’édifier un
public romain, connaissant le grec, et même l’attique. Socialement
parlant, c’est la langue de ce public que parle Josèphe. Aussi
876 U Orient

W. W. Buehler, après une utile analyse du vocabulaire de Josèphe


sur les classes dirigeantes ([2561], p. 20-52), n’aurait pas dû déduire
de son enquête que les prôtoi (premiers) Juifs sont comparables
et même « analogues aux sénateurs de la société romaine » (p. 341),
que les dynatoi (les puissants) sont parfois comparables aux « che¬
valiers romains » (p. 35-43), qualifiés, pour faire bonne mesure,
de « capitalistes ». Si Josèphe a retrouvé la société romaine en
Palestine, c’est que son langage même l’y portait.
Quant à l’autre grande source textuelle — laissons de côté
provisoirement les documents de Qumrân —, l’ensemble énorme
de la tradition rabbinique (mise au point et bibliographie
in Schürer [2515], I, p. 68-118), il pose des problèmes d’une
infinie complexité. Le plus simple est celui de leur date. Tous sont
postérieurs — et de beaucoup — à 70, tous représentent une élabo¬
ration où l’écrit reprend et commente ce qui fut d’abord oral,
suscitant ainsi des difficultés auprès desquelles les questions sou¬
levées à propos des poèmes homériques sont une aimable plai¬
santerie. Ges textes débattent de problèmes qui, moins encore
que 1 œuvre de Josephe, ont pour but de nous informer : les
règles de la pureté corporelle, de la pureté alimentaire, de la
procédure nécessaire pour répudier une épouse ou pour accomplir
un sacrifice dans un monde ou le sacrifice a disparu, tout ce maté¬
riel, qui répond aux questions que se posaient les rabbins de
1 époque împeiiale tardive et des débuts de l’epoque byzantine,
peut certes fournir, une fois décrypté, une mine d’informations’
mais l’interprétation historique en est redoutable.

A la limite, on peut écrire une Economie talmudique, pour reprendre le titre


d’un livre d’Arye Ben David, plus aisément qu’une économie de la Palestine
du ier siècle avant notre ère. Ce matériel a pourtant été décrypté. Le livre de
J. Jeremias [2562] fournit un tableau extrêmement vivant de Jérusalem, du
monde incroyablement diversifié de son artisanat — et nombre de docteurs
étaient des artisans; il étudie les riches et les pauvres, l’aristocratie cléricale et
l'aristocratie laïque, les esclaves et les exclus de la société. Usant de la méthode
marxiste, H. Kreissig [2563] a brassé le même matériel avec pour but de mettre
en évidence les tensions sociales de la ville et de la campagne et, pour finir,
d’expliquer aussi bien le phénomène terroriste du début du 1er siècle de notre
ère (p. 101-102) que le soulèvement de 66-70. Encore faut-il noter que les sources
rabbmiques, si loin dans le temps qu’elles nous permettent de remonter, nous
Les Juifs entre l'Etat et l'apocalypse 877

décrivent beaucoup plus la Jérusalem des années qui précédaient la destruction


de la ville que celle du siècle antérieur et le Temple d’Hérode plus que celui de
Zorobabel.

On rêve certes de posséder encore mieux que ce que nous avons,


une synthèse qui mettrait tout en œuvre. Avec l’aide de l’archéo¬
logie aussi bien que des textes, elle manierait la langue des ethno¬
logues pour explorer la diversité palestinienne : Juifs et Hellènes,
Juifs anciens et Juifs nouveaux, Judéens et Galiléens, Samaritains
et Syriens. Elle entrerait dans le détail des catégories religieuses du
pur et de l’impur pour montrer comment aux oppositions sociales
classiques : les riches, les pauvres, les libres, les esclaves, les habi¬
tants de la seule ville véritable, Jérusalem, et ceux de la campagne,
se superposent des hiérarchies fondées sur la pureté plus ou moins
grande de l’origine, les prêtres et les lévites s’opposant aux simples
israélites, et ceux-ci, à leur tour, à ceux qui sont marqués d’une
souillure plus ou moins grave : descendants illégitimes de prêtres,
prosélytes, esclaves païens affranchis, bâtards, enfants trouvés,
eunuques, et ceci sans parler de l’opposition majeure, celle des
sexes (voir J. Jeremias [2562], p. 365-450).
On a le droit et le devoir de rêver mais non pas de confondre,
car il est tentant de tout mêler, de constituer les « sectes »
religieuses en hiérarchies sociales et politiques, voire en partis poli¬
tiques, expression directe des classes sociales. On se bornera ici à
quelques très brèves remarques d’ensemble qui veulent principa¬
lement éclairer les données rassemblées dans les pages qu’on vient
de lire.
La société palestinienne des deux siècles qui précèdent notre ère
est une société en crise. La conquête, la résistance à la conquête,
la conquête romaine qui est, culturellement, une conquête grecque,
les mouvements existant entre la Palestine et la Diaspora ont
provoqué de profondes mutations.
Parmi les couches traditionnelles, l’aristocratie cléricale est
probablement celle qui a le mieux maintenu la cohésion, malgré
l’apparition de « nouveaux riches ». Des tentatives comme celles de
Jason et de Mé.nélas ne se renouvellent pas. La cohésion du monde
des prêtres est facilitée par l’existence des dîmes qui, sans faire
du Temple le propriétaire éminent du sol, font en général des
prêtres et des lévites une couche sociale largement privilégiée
878 V Orient

(cf. Stern, in Safrai et Stern [2512], II, p. 585-586 et 596-597). A


ces ressources s’ajoutent celles fournies au Temple par l’ensemble
des Juifs de la Diaspora.
L’aristocratie « laïque », elle, semble s’être transformée. Du
moins est-ce le cas de certaines familles qui ont accepté de se faire
les instruments de l’hellénisation et dont le prototype reste les
Tobiades, cheiks de Transjordanie, mais dont un représentant, le
célèbre Joseph, a fourni à l’historien son homonyme l’occasion
d’écrire un véritable roman de l’acculturation, de la transfor¬
mation d’un jeune aristocrate en collecteur, prototype des « publi-
cains » des Evangiles (Ant., XII, 160-228). Cela dit, ce que les
sources talmudiques disent de l’aristocratie laïque, et qui est peu
de chose, nous présente, par exemple, un groupe de familles ayant
le privilège de porter le bois pour l’autel (cf. Jeremias [2562],
p. 306-307). Nous connaissons mal certaines institutions essentielles
où l’aristocratie laïque était représentée, comme, par exemple, la
gérousia traditionnelle.
Incontestablement le groupe social qui a le plus subi le choc
de l’hellénisation est celui du personnel recruté par les rois : fonc¬
tionnaires palatiaux et surtout soldats, qu’ils soient ou non des
mercenaires. Le fait que le seul modèle d’Etat disponible était
l’Etat hellénistique a indubitablement été un facteur de boulever¬
sement social. A la mort d’Hérode, dit son historiographe Nicolas
de Damas, « le peuple se souleva contre ses enfants et contre les
Grecs. Ceux-ci étaient plus de dix mille» (F. Gr. Hist., 90, frgt 136,
55). Il serait intéressant de savoir combien de ces« Grecs» étaient
des Juifs hellénisés.
Nous sommes très mal renseignés sur l’évolution en profondeur
des classes inférieures, urbaines et rurales. Les soulèvements
paysans que nous avons vu apparaître sont un signe, mais qu’il
est très difficile d’interpréter dans le détail, si ce n’est pour constater
que l’évolution urbaine, qui incontestablement s’est dirigée vers
le modèle grec, a accentué la polarité ville/campagne. Les sources
talmudiques, dont ce n’est pourtant pas le propos, nous donnent
à ce sujet quelques informations précieuses : les habitants de la
petite ville de Beitar, près de Jérusalem, se réjouissent de la
destruction de la Ville en 70, parce que les habitants de la Ville
avaient privé ceux de ce centre rural de leurs terres par des contrats
Les Juifs entre U Etat et V apocalypse 879

frauduleux (Talm. Bab., Taanith IV, 69 a; cf. Applebaum in Safrai


et Stern [2512], II, p. 663). Nous retrouvons cette obsession des
contrats qui est beaucoup plus ancienne (cf. ci-dessus, p. 863).

Le seul phénomène capital que nous puissions deviner est celui du dévelop¬
pement des scribes, des sages (soferim), phénomène véritablement gigantesque
qui a transformé l’histoire de la région. On le voit naître à l’époque de Qohelet
(111e siècle?) et surtout à celle de Ben Sirach (début du 11e siècle). Celui-ci
s’adresse, comme le montre bien Hengel ([2520], I, p. 132), à des jeunes gens
tentés par l’hellénisation. Mais, du coup, pour citer encore Hengel (ibid.), le
« zèle pour l’éducation dans la sagesse juive et l’entrée dans le monde hellénis¬
tique marchent ensemble ». La multiplication des écoles juives s’appuie certes
sur une tradition très ancienne de la Sagesse (voir R. N. Whybray [2441]) mais,
dans la mesure où elle est la riposte à l’hellénisation, on pourrait aussi soutenir
qu’elle est adaptation à l’hellénisation.
Comme cela a été très bien vu (par exemple par Stern, in Safrai et Stern
[2512], II, p. 621), l’entrée dans le monde des scribes est un instrument de
mobilité sociale. D’où le mot célèbre de Max Weber : « Dans l’ensemble, les
rabbins constituaient une couche d’intellectuels plébéiens » ([2507], p. 513).
Les textes rabbiniques nous donnent de très nombreux exemples de sages prove¬
nant de milieux très modestes, de sages aussi exerçant des métiers artisanaux.
« Parmi les professions qu’exercèrent les plus anciens docteurs mentionnés dans
le Talmud, on peut rassembler entre autres : cloutier, marchand de lin, bou¬
langer, fabricant (ou marchand) d’orge perlé, ouvrier en cuir, copiste, fabri¬
cant de sandales, architecte, marchand d’asphalte, tailleur » (Jeremias [2562],
p. 16). Ce sont là des métiers honorés, il en est d’autres « méprisés » (voir ibid.,
p. 399-410), tels que tisserand, médecin ou colporteur. Tout cela laisse un peu
hésitant car nombre de témoignages sont contradictoires et risquent d’être des
exempla moraux. Ben Sirach, par exemple, se signale par un éloge des médecins
(XXXVIII, 1-8) et une attaque contre les artisans qu’on croirait traduite du
grec et non traduite en grec : « Tous ces gens ont mis dans leurs mains leur
confiance, chacun d’eux dans son œuvre se montre sage, sans eux aucune cité
ne sera construite, on n’y habitera pas, on n’y circulera pas. Mais pour le conseil
du peuple on n’ira pas les chercher, dans l’assemblée ils ne seront pas élevés »
(XXXVIII, 31-33). H est tentant d’assimiler ce groupe social des « Sages » à
la secte pharisienne, et on a beaucoup cédé à la tentation. Il faut, écrit Jeremias
([2562], p. 340), qui entend la réfuter, « établir une distinction tranchée entre
scribes et Pharisiens et rejeter l’idée complètement fausse selon laquelle les
Pharisiens en tant que tels étaient des scribes. Un seul point est exact : les chefs
et les membres influents des communautés pharisiennes étaient scribes ». A quoi
il faut ajouter qu’il y avait des scribes sadducéens (J. Le Moyne [2547], p. 352-
353) et, bien sûr, comme cela a été amplement démontré à Qumrân, des scribes
88o V Orient

esséniens. Dans toutes les révoltes du Ier siècle de notre ère, les scribes seront
présents. Dans les siècles précédents on constate que, sans remplacer les prêtres,
se recoupant parfois avec les prêtres, ils constituent indiscutablement ce qu’on
appellera une « classe montante », pour laquelle « écrire est un pseudonyme de
vivre » (A. Paul [2467], p. 6).

g) l’apocalypse contre l’état

Un conte nationaliste comme celui de Judith, où les traits


de l’époque hellénistique sont nombreux (voir M. Delcor [2436],
p. 251-280) se termine par la victoire et le triomphe conjoint de
l’héroïne, de la communauté, et de ses dirigeants : « Alors le grand
prêtre Joakim et le sénat des fils d’Israël qui habitaient à Jérusalem
vinrent pour considérer le bien que le Seigneur avait fait à Israël,
pour voir Judith et pour la saluer. » Il y a Israël et il y a ses ennemis,
les uns et les autres existent.
Un psaume nationaliste comme le XVIIe psaume de Salomon
que l’on s’accorde à dater du lendemain de la prise de Jérusalem
par Pompée (A.-M. Denis [2461], p. 64) fait appel au Seigneur
pour qu’il suscite « le Roi, fils de David », pour qu’il « purifie
Jérusalem des païens. Ainsi l’immigré et l’étranger ne demeu¬
reront plus avec eux » (23-31). Mais ce Messie violent est aussi
autre chose : « Il n’espérera pas en effet dans le cheval, le cavalier
et l’arc, il n’accumulera pas chez lui l’or ni l’argent pour la guerre »
(ibid., 37). Certains textes, celui de Judith par exemple ou la plus
grande partie du roman d’Esther, peuvent se lire en continuité
avec un récit historique comme le livre I des Maccabées.
Avec le glissement au roi non guerrier nous sommes sur un autre plan;
c’est sur cet autre plan que se placent les auteurs des écrits apocalyptiques qui
constituent la grande originalité de notre époque. Cette littérature accompagne
notre époque et la prolonge. Elle apparaît au début de l’époque séleucide et le
premier grand témoignage en est le livre de Daniel (vers 163). Elle persiste et
se renouvelle jusqu’au IIe siècle de notre ère et à la chute de l’Etat juif de Bar
Kochba (135) (voir, par exemple, D. S. Russell [2472], chap. I). Liée à la
conquête étrangère, a la résistance à la conquête — tant que celle-ci apparaît
comme possible —, elle exprime donc, dans toute la force du terme, la Vision
des vaincus. A ce titre, elle a de nombreux parallèles dans d’autres sociétés. Le cas
égyptien, par exemple, présente des similitudes frappantes (cf. J. J. Collins
[2465]» P- 12-15, et, d’une façon générale, S. K. Eddy [2176] et H. Fuchs [2178]).
Les Juifs entre VEtat et /’apocalypse 88 r

L’apocalypse, littérature de scribes, n’est pas prophétie, elle est


lecture, à la limite gnose de la prophétie, qu’elle interprète et actua¬
lise. Ainsi fait Daniel par rapport à Jérémie. Le prophète annonce :
« Tout ce pays sera en ruines, en désolation, et ces nations serviront
le roi de Babel soixante-dix ans. Et il adviendra, quand seront
accomplis les soixante ans, que je sévirai contre le roi de Babel et
contre cette nation » (XXV, 11-12). Daniel interprète : les années
sont des semaines d’années dont soixante-neuf sont déjà écoulées,
depuis le meurtre, en 171, du grand prêtre Onias III, depuis que
1’ « Oint » a été « retranché ». Nous sommes dans la deuxième
moitié de la dernière semaine (IX, 24-26; cf. A. Lacocque [2435],
p. 132-142); bel exemple de pesher, de commentaire actualisant
comme il en est alors beaucoup.
Les auteurs d’apocalypse sont des scribes et des sages, mais
leurs œuvres donnent une nouvelle dimension à la littérature
sapientiale, dont ils dérivent tout autant que de la littérature
prophétique (voir G. von Rad [2506], II, p. 263-283). La sagesse
s’inscrit dans l’histoire, « s’approprie l’histoire universelle »
(von Rad) et, du coup, annule l’histoire. Aussi retient-elle le mar¬
tyre, non le combat politique. « Daniel » ne lance nullement un
appel parallèle à la lutte que menaient alors les fils de Mattathias.
Au Ier siècle de notre ère, après la mort d’Hérode, l’auteur d’une
autre apocalypse, Y Assomption de Moïse, lira le second livre des
Maccabées comme Daniel lit Jérémie. De l’effort de Judas il ne
retient que le martyre des sept frères (II Mac., VII; Assomption
de Moïse, IX, in Charles [2460], II, p. 421). Expression dramatisée
des conflits provoqués par la conquête et l’acculturation, les
apocalypses le sont à plusieurs niveaux. Par la dénonciation,
d’abord, de la bête étrangère, c’est-à-dire des Etats étrangers
auxquels s’oppose l’homme juif. C’est l’exemple, célèbre entre
tous, de Daniel VII, des quatre bêtes qui sont quatre em¬
pires à prétention universelle, vieux thème au demeurant, que
l’auteur actualise, et qui sera encore actualisé par la suite (voir
D. Flusser [2478], p. 148-175). Le quatrième empire deviendra
sans difficulté Rome au lieu de la Macédoine. Aux monstres
s’oppose le « Fils d’homme » de la vision nocturne, c’est-à-
dire Israël (cf. A. Caquot [2475], p. 37-71), qui deviendra le
Messie.
ROME, 2 4
882 V Orient

Mais l’apocalypse emprunte aussi à ce qu’elle dénonce; elle utilise les formes
littéraires du monde grec : l’apocalypse résumée qui ouvre Y addendum grec au
texte d’Esther, le rêve de Mardochée, s’inspire des rêves de la tragédie grecque
(Bikerman [1976], p. 264-265). Une analyse serrée du matériel des visions de
Daniel y montre aussi tout un bric à brac hellénistique (A. Caquot [2476]).
Cette remarque a valeur générale, comme l’a admirablement montré J. J. Collins
[2477]. Le discours apocalyptique relève donc de ce dédoublement que nous
avons analysé tout au long de ce chapitre. Sous le masque « pseudépigraphique »
juif qui le caractérise (cf. M. Hengel [2464], p. 231-308), ce sont souvent des
thèmes grecs qui apparaissent. En ce sens, il y a moins d’opposition qu’on ne
l’imagine au premier chef entre un pseudépigraphe judéo-grec comme la Lettre
d’Aristée et un pseudépigraphe judéo-juif comme les Testaments des douze patriarches.
Un texte comme le troisième livre sibyllin marque assez bien la transition entre
un genre et un autre.

La bête, les bêtes sont les empires, les Etats conquérants. Mais
s’ensuit-il que le Fils d'homme soit non seulement Israël, mais
l’Etat juif, tel qu’il renaît effectivement sous la dynastie asmo-
néenne —- ces grands prêtres qui n’étaient pas fils de Sadoq et qui
devinrent des Basileis —-, tel qu’il paraît renaître encore en 37,
avec Hérode ? Entre le « royaume » des textes apocalyptiques et
la réalité que vivaient les auteurs, un abîme se creusait dont témoi¬
gnent non seulement les documents esséniens mais beaucoup
d’autres textes. Citons encore Y Assomption de Moïse. On y lit, avec une
parfaite clarté, la progression dans le mal, celle qui fait succéder à
une lignée de prétendus rois-prêtres « accomplissant l’iniquité dans
le Saint des Saints » [c’est-à-dire les Asmonéens], « un roi insolent
qui n’est pas de la race des prêtres, un homme audacieux et éhonté »,
Hérode. Le « Maître de justice » des documents de Qumrân est un
Juif, mais le « prêtre impie » est aussi un Juif. Mais déjà Daniel
organisait les tournants de l’histoire autour de la fonction sacer¬
dotale. Ses « oints » sont des grands prêtres (cf. Lacocque [2435],
p. 21). C’est avec raison queD. S. Russell ([2472], p. 98) note qu’ «il
n’est pas surprenant que ces convictions aient commencé à être
exprimées au temps de la révolte des Maccabées », mais on hési¬
tera à le suivre quand il fait purement et simplement de ces écrits
une expression du « revival du nationalisme juif ».
La littérature apocalyptique a été un très efficace instrument
de dénonciation de l’Etat oppresseur, mais elle rappelle aussi et
fait comprendre que la révolte a débouché sur la guerre civile.
Conclusion

L’ « IMPÉRIALISME » ROMAIN

par C. NICOLET

i) QUESTIONS DE MÉTHODE

Les chapitres qui précèdent nous ont montré la conquête


romaine en train de se faire, sur un espace rayonnant à partir
d’une Italie en voie d’unification rapide, de part et d’autre des
rivages méditerranéens, sur des distances à peu près égales dans
toutes les directions, mais au contact de peuples extrêmement
divers, et dont certains n’avaient eu de relations avec les centres de
civilisation dominants (puniques ou grecs), ou entre eux, que
sporadiques ou inexistantes avant leur rencontre avec les Romains.
Suivant l’exemple même fourni par les contemporains de ce pro¬
cessus relativement rapide (un peu plus de deux siècles), les
Modernes, depuis la Renaissance, s’interrogent sur la nature et
les causes de cette entreprise. Depuis l’apparition du mot et du
concept d’impérialisme (vers la fin du xixe siècle, et sous l’effet des
empires mondiaux comme le britannique), on s’interroge sur
l’existence éventuelle ou sur la nature de l’impérialisme romain.
Parfois un peu naïvement, car s’il n’y a pas forcément eu « impé¬
rialisme » (mais encore faut-il définir ce mot avec précision,
et à partir des sources contemporaines, non de nos propres concepts
d’ailleurs vagues et en tout cas divers), il y a eu à coup sûr un
Empire romain : imperium populi Romani, comme disent les Latins,
avec une ambiguïté remarquable, puisque le mot (cf. vol. I,
p. 394) désigne aussi le pouvoir à l’intérieur de la cité romaine,
celui qui, en principe déféré par le peuple, est exercé par des
magistrats. Notion apparemment difficile à comprendre et à
884 Rome et la conquête du monde méditerranéen

exprimer pour les étrangers — alliés, adversaires, vaincus et


sujets — qui hésitent entre diverses formules pour la traduire,
selon les moments ou les points de vue. Il est dommage que, de ces
hésitations sémantiques, nous ne puissions bien saisir que celles
des Grecs, et que nous échappent les visions des vrais vaincus,
Puniques, Celtes, Germains, ou des Orientaux qui, à peu près seuls,
ont évité la mainmise directe, comme les Parthes. Nous ne les
connaîtrons jamais, sauf heureux hasard, qu’à travers les discours
que leur prêtent, avec d’ailleurs une certaine objectivité, leurs
vainqueurs, ou les écrivains grecs (historiens, géographes, ethno¬
logues ou philosophes), dont nous verrons que la plupart ont
épousé, parce qu’ils s’en sont sentis solidaires, le point de vue de
leurs « frères de race » romains.

Conquête, empire : il n’y avait sans doute rien de surprenant dans cex mots
ou ces réalités pour les Anciens. A peine est-elle constituée, que la pensée anthro¬
pologique et historique des Grecs (avec Hérodote et bientôt Thucydide) consi¬
dère l’aventure humaine comme un combat permanent et généralisé pour la
« domination » (arche ou hègémonia), qui ne trouve des limites que dans celles
des forces des partenaires — par exemple des cités. Mais l’histoire du monde,
vue de haut, est celle de grands empires successifs, qui tendent tous à la domi¬
nation universelle, qui approchent plus ou moins du but, mais faute de succès,
non de désir. Le thème n’apparaît sans doute dans sa plénitude que chez les
historiens postérieurs à Alexandre, influencés peut-être par des sources orientales,
lorsqu’ils parlent des Mèdes par exemple (Swain [256g]). Il est pourtant bien
connu d’Hérodote. Démétrios de Phalère, vers la fin du IVe siècle, méditait sur
la succession des Empires perses et macédoniens (Pol., XXIX, ai; Diod.,
XXXI, 10, 1, 2).
Polybe (I, 2) commence l’énumération avec les Perses, ignore les Athéniens,
mentionne Lacédémone, puis les Macédoniens. Ailleurs, il fait une place à part
à la domination sur mer des Carthaginois (I, 20, 12). La version la plus élaborée
de cette histoire universelle des empires successifs nous est transmise, vers le
milieu du Ier siècle av. J.-G. par Diodore de Sicile, s’inspirant des auteurs
grecs antérieurs, Théopompe, Ephore, etc. Denys d’Halicarnasse (I, 2, 1-4)
et Appien (Praef, 32) reprendront le thème (Gabba [2125]), ainsi que Velleius
(I, 6) (Hellegouarc’h [92]). Sous le règne d’Auguste, un citoyen d’origine gau¬
loise, Pompeius Trogus, écrit le premier en latin, sous le titre d'Histoires philip-
piques (parce que géographiquement centrées sur la Macédoine), une histoire
universelle qui — bien que transmettant souvent des courants très antiromains,
comme sans doute ceux de Métrodore de Skepsis et surtout de Timagène
d’Alexandrie — aboutit chronologiquement et logiquement à la domination
L’ « impérialisme » romain 885

presque universelle de Rome, à la notable exception des Parthes, « aujourd’hui


maîtres de l’Orient, comme s’ils s’étaient partagé le monde avec les Romains »
(Trogue Pompée = Justin, XLI, 1, 1). A ces données historiographiques
s’ajoutent naturellement les témoignages impliquant des jugements de valeur
(conscients ou non), des convictions ou des doctrines concernant la conquête et
l’empire de Rome, qu’ils soient le fait des Romains, de leurs alliés ou de leurs
adversaires : on en parlera ci-dessous.

La compréhension historique d’un phénomène de cette ampleur


implique des enquêtes extrêmement diverses. Il est hasardeux,
au départ, de chercher une explication unitaire : malgré l’exemple,
tout à fait remarquable au plan intellectuel, de Polybe, qui pensait
l’avoir trouvée lorsqu’il écrivait son livre VI (Momigliano [2570] ;
Gabba [2125]), mais qui, devant les changements notables de
rythme, de comportement, dont il est le témoin effaré entre les
années 172 (la nova sapientia dont parle Tite-Live, XLII, 47, 2-9)
et 146, doit modérer son optimisme et avouer sa perplexité. A l’évi¬
dence, les siècles qui nous occupent voient des contrastes remar¬
quables non seulement dans la politique romaine, qui manque
certainement de continuité, mais aussi dans l’attitude des Romains
selon les types d’hommes et de civilisations auxquels ils ont
affaire. On a noté depuis longtemps (récemment Badian [356])
le contraste entre la prudence et les hésitations, pour ne pas dire
les « complexes » ou le respect à l’égard du monde grec (malgré
des poussées de brutalité périodiques), et la brutalité presque
systématique déployée en Espagne tout au long du 11e siècle av. J.-C.
Il en est d’autres : par exemple, la brusque aggravation de ce
qu’on peut appeler « l’exploitation » fiscale, économique et admi¬
nistrative des provinces à partir de la fin du 11e siècle, même en
Grèce et dans le monde hellénique, qui culmine à l’époque des
guerres civiles — les abus criants dus à la cupidité de la classe
dirigeante venant d’ailleurs multiplier les exigences pour ainsi dire
officielles. Mais, autant il est légitime de se demander si, au niveau
de l’inconscient collectif, des « comportements de base », il y a
une unité et une continuité dans les rapports de « Rome et des
autres », autant, quand il s’agira du détail de l’action diploma¬
tique, militaire ou fiscale, il convient de distinguer soigneusement,
selon les circonstances, les véritables acteurs (magistrats, séna¬
teurs, groupes de citoyens, etc.), leurs desseins, leurs intérêts, leurs
886 Rome et la conquête du monde méditerranéen

volontés plus ou moins libres et explicites. L’enquête doit porter


dans plusieurs directions; dont quelques-unes souvent négligées :
d’abord, chercher à dégager les temps forts et les temps faibles de
la conquête, en particulier les étapes décisives qui ont, qu’elle l’ait
voulu ou non, entraîné Rome vers de nouveaux horizons, ou au
contraire les obstacles, les revers, qui ont fait refluer, vaciller ou
s’arrêter l’expansion : l’empire a failli mourir plusieurs fois. Ensuite
s’attacher aux acteurs, apparents ou réels, des décisions détermi¬
nantes, ce qui conduit à l’examen de leurs intérêts, de leurs
méthodes, des moyens dont ils disposent, et des buts qu’ils s’assi¬
gnent. Dans cet ordre d’idées, on n’a en général pas attaché assez
d’importance aux sources d’information, géographiques, ethno¬
logiques ou diplomatiques, dont ils disposent selon les moments,
et donc à la vision plus ou moins large qu’ils peuvent avoir du
monde où ils agissent, des limites physiques ou culturelles qu’ils
atteignent ou croient atteindre. A la vision des Romains doit d’ail¬
leurs, en contrepoint permanent, être confrontée la vision de Rome
qu’avaient ses voisins, ses adversaires et ses interlocuteurs (d’Han-
nibal à Mithridate, de Philippe V à Simon Macchabée ou à
Gritolaos, ou, au plan intellectuel, de Polybe à Timagène ou
Agatharcide de Cnide).
Au passage, il faudrait évoquer des motifs — ce qui ne veut pas
dire croire découvrir une « nature » de l’impérialisme romain :
motif initial mais rémanent de la religion, qui informe les rapports
de Rome et de ses voisins, qui oriente, au sens propre, son action,
qui se prolonge dans une sorte de théologie de la Fides, source de
rapports originaux, inégaux mais avantageux. Motif insistant
aussi bien chez les Romains que chez leurs adversaires — de
l’économie, d’abord sous sa forme la plus brutale : les profits
individuels et collectifs de la guerre, le désir de s’emparer de biens
rares (métaux, bois, etc.) ; puis sous la forme plus élaborée d’une
fiscalité provinciale destinée à épargner et privilégier les citoyens.
Aussi, désir de ruiner des concurrents inquiétants, d’assurer la
liberté des mers et le respect des Italiens : il importera d’évaluer
la portée exacte et les limites des motivations de ce genre. Enfin,
la conquête aboutit à l’empire, c’est-à-dire à l’organisation d’un
pouvoir : il faut donc distinguer les pratiques réelles des doctrines
(s il y en eut), mesurer peut-être, en sens inverse, les changements
V « impérialisme » romain 887

que la charge d’administrer le monde, tant bien que mal, impose à


son tour au centre du pouvoir. Malgré une bibliographie immense,
l’histoire de l’impérialisme romain, sans cesse renouvelée, reste
à faire.

2) LES ATTITUDES FONDAMENTALES DES ROMAINS


DEVANT LE MONDE

a) Cosmogonie, géographie, ethnographie. — Comme pour beaucoup de peuples


primitifs, l’étranger, bien difficile à distinguer de l’ennemi, commençait pour les
Romains à la porte même de leur cité : l’Etrusque, les Latins même apparaissent
dans de vieux textes religieux (le carmen saeculare pour ces derniers) comme des
ennemis qu’il faut faire obéir. Pourtant, la tradition insistante (telle que nous la
saisissons, du moins, dans son état d’élaboration des ive-me siècles) sur les origines
de Rome montre, dès le départ, une cité accueillante aux étrangers (les out-laws
de Romulus, déjà), et, très rapidement (dès la fusion avec les Sabins de Titus
Tatius), une cité « double », dans laquelle des liens matrimoniaux unissent deux
clans, dont la fusion seule constitue une vraie civitas. Au début de la période
qui nous occupe, plus importante apparaît l’organisation du monde autour
d’une opposition très nette entre l’Italie (désormais entrée dans Y imperium populi
Romani) et le reste du monde (Catalano [2572]). Même durement combattus
et conquis, ces Italiens, qui bientôt vont être désignés sous le nom de togati
(déjà en 225 dans la.formula togatorum), c’est-à-dire de Romains par leurs mœurs,
sont réputés « alliés » ou « Latins » communauté juridique et communauté
de race sont parallèlement affirmées. Sans doute, en période de crise, 1 apparition
ou la résurgence de vieux rites atroces (minime Romano sacro, T.-L., 22, 57, 5 :
le sacrifice humain de deux Gallo-Grecs en 216) montrent-elles que, de cette
vision antique de l’Italie, étaient exclus, au départ, les vrais étrangers des rivages
adriatique et ionien, Gaulois et Grecs, alors qu au contraire les Mamertins
de Messine peuvent être considérés comme Italiens (Mazzarino [56], II, 96-102,
212-232). Il n’en reste pas moins que, dans ses rapports diplomatiques avec
les cités grecques et puniques, Rome réserve toujours 1 Italie comme son domaine
propre, dont elle est la tête (caput), pas seulement par droit de conquête, mais
par une sorte de vocation religieuse dont Pline se fera encore 1 écho (NH, III,
40, etc.) : comme l’a montré Catalano, la notion d’Italie est toute chargée de
signification religieuse ([2572]).
La première guerre punique, la conquête des îles, la premièie conquête de
la Cisalpine dans les années qui précédèrent la guerre d’Hanmbal, mirent les
Romains au contact du monde extérieur. Désormais, leur alliance étroite avec
des villes grecques comme Marseille ou Syracuse, leur intervention outie-
adriatique dans le jeu diplomatique et culturel du monde hellénistique allaient
888 Rome et la conquête du monde méditerranéen

les rendre tributaires, pour la plus grande part, des schémas géographique,
ethnographique et même cosmographique des Grecs. Pas entièrement toutefois :
J. Heurgon a récemment noté comment Caton, lors de sa censure en 184 (mais
d’autres peut-être avant lui), avait mené, dans la Cisalpine reconquise, une
enquête administrative et géographique, concrète et pragmatique, qui ne devait
rien à la « doctrine » grecque, mais reflétait au contraire à la fois les visées
économiques et militaires de l’empire, et les curiosités d’un savant qui recherche
volontiers les Origines des peuples et des cités, hors des légendes grecques ([378]).
Curieusement d’ailleurs, un Grec comme Polybe, porteur de la culture géogra¬
phique courante de son temps (qui oppose bien sûr Grecs et barbares), admet
que seule la victoire romaine en Occident a permis des reconnaissances poussées,
des voyages suivis en Espagne, en Afrique et en Gaule (III, 58, 8; 59, 1-3) ; et on
a pu montrer que tout l’aspect pratique de sa vision, extrêmement attentive aux
richesses, minières ou agricoles, des diverses régions, aux relations commerciales,
aux ressources en hommes, aboutit à une géographie utilitaire, résolument roma-
nocentriste (J. G. Texier, DHA, 1976, 395-407),« impérialiste» ou« coloniale».
Polybe, de ce point de vue, ouvre la voie dans laquelle s’engagera plus tard
la pensée grecque appliquée aux succès romains : Posidonius d’abord, Diodore
et surtout Strabon par la suite, car il est bien difficile, avant César, de savoir
si des Romains s’étaient essayés au genre géographique ou anthropologique
(sinon implicitement, comme annalistes ou orateurs, tel Caton l’Ancien). Une
étude de « l’anthropologie » romaine des 11e et siècles reste d’ailleurs à faire.
Mais qu’il s’agisse de Posidonius, savant universel et stoïcien, historien qui
voulut continuer Polybe (Strasburger [2576]), contemporain de Sylla et de
Pompée, ou de Strabon (Pédech [2575]), contemporain d’Auguste et de Tibère,
historien et géographe, leur vision du monde s’organise fortement autour des
problèmes de la conquête romaine. II est significatif de leurs époques différentes
que le premier ait insisté sur les dangers, pour les Romains eux-mêmes, de la
démesure et de la cupidité de leur classe dirigeante, sur les révoltes serviles ou
sur le développement de la piraterie, dans une perspective pessimiste qu’explique
en partie 1 effroyable exploitation des provinces dans la première moitié du
Ier siècle, ainsi que le recul marqué de l’empire entre la guerre des Cimbres et
la demiere phase de la guerre de Mithridate en 66. Le second, au contraire,
est le contemporain, après la tourmente des guerres civiles (qui furent des guerres
« mondiales»), de la« pacification» augusteenne, de l’extension, puis de l’arrêt
(pour des raisons qu’on tentera d’analyser ci-dessous) des conquêtes, de la mise
en tiain du processus de romanisation, par l’envoi de colonies assez nombreuses
en Oiient, par 1 urbanisation en Occident. L’œuvre historico-géographique de
Strabon est de ce point de vue d’une grande richesse : si elle s’organise autour
de l’opposition bien évidemment grecque entre civilisation (= vie en cités,
le piopre des Grecs et des Romains) et barbarie (= vie non civique, paysannerie,
absence de culture, etc.), il faut noter que cette opposition est culturelle, non
L’ « impérialisme » romain 889

raciste : l’aune à laquelle on. juge et on classe est celle des genres de vie, et la
barbarie elle-même peut être éventuellement créditée de notations positives
(c’était d’ailleurs déjà le point de vue universaliste du géographe Eratosthène,
au 111e siècle av. J.-G., d’après Strabon, I, 4, 9). Que la vision soit impérialiste,
c’est sûr : mais du moins montre-t-elle clairement que Rome agit dans le sens
d’une koinè gréco-latine, et rien n’interdit de penser que tout homme est un
civilisé en puissance. Strabon, Grec d’Asie, petit-fils d’un ancien partisan de
Mithridate, il est vrai, est hyperromain quand il parle de l’Empire.
Un autre document de premier ordre montre quelle pouvait être la vision
du monde des responsables d’une des phases les plus agressives de la conquête :
les Commentarii de César, en fait notre seule source directe sur la Gaule intérieure
et les Germains au milieu du Ier siècle. Sous l’apparence de la froideur et du
rationalisme, pour justifier des initiatives qui risquent d’être impopulaires
(comme le passage du Rhin, Plut., Caes., 22, 3 : Caton voulait qu’on livre
César aux Germains), il exprime très exactement les idées qui devaient toucher
le public actif de ses partisans italiens : distinction soigneuse, parmi les Gaulois,
de ceux, traités sur pied d’égalité, qui sont dans l’alliance romaine ; éloge, bien
sûr, de la valeur militaire des adversaires, critique de leurs défauts « tradition¬
nels» (emportement, versatilité). Mais remarquable objectivité lorsqu’il transmet
le discours, sans doute authentique, de Gritognatus (BG, VII, 77) qui présente
la lutte comme celle de la libertas contre la servitude. On a noté parfois que César
a passé sous silence des motivations économiques dont Strabon se fait l’écho :
elles ne l’auraient sans doute pas gêné auprès de son public, mais il préfère,
au livre I surtout, justifier son entreprise par le souvenir du danger gaulois,
et l’affirmation (cf. ci-dessous) de la légitimité de l’Empire sur la Gaule depuis les
victoires de 123 av. J.-C. (Gelzer [2576 a]). Mais César n’est pas loin de Strabon,
en assumant pleinement, au profit de Rome, l’opposition barbare/civilisé,
sans que le barbare soit en tout méprisable (Sherwin-White [2540]).
Il y aurait beaucoup à dire, dans cette perspective, sur la vision que les
Romains eurent des Grecs eux-mêmes. Eléments culturels et politiques s’y
mêlent étroitement, mélange d’admiration et de méfiance, dans tous les domaines
et à tous les niveaux (Boyancé [2577]; Petrochilos [25776]). Justifier une
domination qui doit s’exercer en Grèce aussi est un des soucis de Rome (par ex.
Cic., d-Fr., I, 1), mais important pour notre propos est par exemple le fait que
Crassus, au début de son expédition parthique, comptait trouver des alliés
naturels dans les villes grecques de Mésopotamie (Plut., Crassus, 17, 2-5; Dion,
40, 13, 1).
Vers le milieu du Ier siècle, les Romains eurent le sentiment, après les victoires
de Pompée et la conquête des Gaules, d’avoir atteint des limites géographiques
(et peut-être culturelles) qu’il n’était ni possible ni souhaitable de dépasser.
Alors apparaissent des expressions comme « les limites de l’horizon terrestre »
(orbis terrarwn), « les frontières du ciel et de la terre », et cela non seulement dans
8go Rome et la conquête du monde méditerranéen

des discours politiques (très souvent chez Cicéron, à propos de Pompée), mais
dans des textes officiels, comme une loi d’exemption fiscale pour Délos en 58
[CIL, I2, 2500). Exagération rhétorique à base culturelle, sans doute, puisque
les Romains savaient bien qu’au-delà du Rhin comme au-delà de l’Euphrate
existaient de vastes parties du monde qui leur échappaient : mais leur monde
était culturellement hellénique et géographiquement centré sur la Méditerranée.
Cependant, c’est peut-être précisément une conception géographique erronée
qui leur a fait tenter, sous Auguste, des campagnes militaires et navales au-delà
du Rhin, le long de la mer du Nord — qui échouèrent plus devant les lieux
que devant les hommes : Auguste, influencé par les géographes qui croyaient
possible une circumnavigation de l’Europe par le Nord, et qui imaginaient
l’existence d’une sorte de passage du nord-est vers la mer Noire par le Tanaïs
(le Don), aurait voulu que Drusus ouvrît cette voie, que Rome aurait alors
contrôlée comme elle contrôlait les colonnes d’Hercule (Roger Dion [2578] et
[2579]) : le monde aurait alors été vraiment clos. L’échec était patent, au nord
comme à l’est : Strabon, écrivant en 15 apr. J.-C. un additif à sa description
de l’Italie (VI, 4, 2), tente de le dissimuler, en invoquant les nouvelles campagnes
germaniques, en prétendant que les Parthes « certes puissants » sont les clients
des Romains, en affirmant que ne reste en dehors de l’Empire que le monde
sans intérêt des « peuples de la Tente » (cf. C. Wells [2579 a], 3-13; Chevallier
[2579 £])•

b) Les fondements du droit international et de la diplomatie romaine. — On s’est


diversement interrogé sur les caractères apparemment spécifiques et aberrants
des rapports de « Rome et les autres » : depuis en somme Mommsen (Das rom.
Gastrecht, RF I, 326), Taübler [1957], Lévy-Bruhl [2581] jusqu’à Veyne, on
a voulu faire de l’étranger l’ennemi absolu, avec lequel, à la limite, il n’y a
pas de rapports possibles sinon, même après l’entrée dans le grand jeu diploma¬
tique (grec?), en les assimilant entièrement ou en les vassalisant. Mais on a
montré (De Martino [1012], II, 19; Cic.,Z>g Off., I, 37 = XII Tab., II, 2) que
hostis, à l’origine, ne désigne pas l’ennemi, mais l’étranger avec lequel, au
départ, les relations sont supposées amicales. C’est le mérite de Catalano, après
d autres dont Phillipson [2585], d’avoir étudié le plus ancien système des rela¬
tions internationales romaines et d’avoir montré que le ius fetiale suppose des
rapports juridiques originels avec toute collectivité étrangère, avant même tout
traité (foedus). Le droit fétial subsiste encore au début du 11e siècle (en 191,
P.-L., XXXVI, 3, 7), et peut-être au début de l’Empire, si la formule transmise
par Aulu-Gelle (XVI, 4, 1) porte, comme on l’a supposé, la trace de rapports
avec le peuple germain des Hermunduri. La notion de guerre juste, qui peut-être
à l’origine reposerait seulement sur le respect des formes rituelles, a pris ainsi
assez tôt une Valeur juridique, pour ne pas dire morale, en ce sens qu’elle sup¬
pose une injustice commise envers Rome et une demande de réparation avant
V « impérialisme » romain 891

tout acte belliqueux. La tradition annalistique elle-même reconnaît même


quelquefois le caractère injuste et arbitraire de certaines actions romaines, dont
le prototype le plus éclatant est le déclenchement de la guerre gauloise de 390
(T.-L., V, 36, 6 : besoin de justifier ainsi une défaite cuisante?).
Le rapport du mot foedus lui-même avec la religion et l’idéologie de la Fides,
la foi jurée, est évident. Des études récentes (Boyancé [2587]; Catalano [2583])
ont montré que le foedus inégal qui suit une victoire de Rome, implique une
notion fondamentale : les vaincus sont supposés effectuer une deditio, c’est-à-dire
une remise à la discrétion des Romains de l’ensemble de leurs personnes et
de leurs biens, dont Tite-Live (I, 38, 2) a transmis le formulaire rituel : venire
in fidem. Formule en effet surprenante pour des Grecs, dans la mesure où Rome
prétendra l’appliquer à des grands Etats qui n’en sont pas encore réduits à la
dernière extrémité : bien connue à cet égard fut la surprise scandalisée des
Etoliens en 191 (Pol., XX, 9, 11-10, 9; T.-L., XXXVI, 28) lorsque M’Acilius
Glabrio la leur proposa. C’était pourtant celle qui avait inspiré, comme l’a
montré A. Piganiol ([2588]), la plus ancienne diplomatie romaine. Mais au
111e siècle encore, la Fides romaine était une relation réciproque qui impliquait
de la part du vainqueur des obligations de clémence, de protection, de modé¬
ration. Elle se situe dans l’ambiance des liens de clientèle. La date de 191
marque un tournant : certains Romains (Glabrio entre autres) lui donnent
désormais une valeur contraignante et humiliante pour le vaincu, qui sera par
exemple traduite dans le traité définitif avec les mêmes Etoliens en 189 (Pol.,
XXI, 32 a, 1; T.-L., XXXVIII, 11, 1) par la formule initiale : « Le peuple
étolien respectera la domination (imperium) et la supériorité (majestas) du peuple
romain... » Mais il est remarquable que cette formule ait également figuré
(c’est sa plus ancienne apparition) dans le traité signé en 212 avec Gadès en
Espagne (Cic., Pro Balbo, 35-36) : on en reparlera ci-dessous. Cela ne veut pas
dire d’ailleurs que même après 191 la Fides de Rome n’ait pu conserver son aspect
réciproque et protecteur : témoins les termes employés par les Scipions dans leur
lettre à Héraclée du Latmos en 190 (Syll.3, 618; Sherk, n° 35, 1. 9 et 14). Il
n’en reste pas moins qu’à partir du 11e siecle, l’alliance qui découlé des traites
jurés prévoit la plupart du temps des obligations militaires et financières strictes
pour l’allié.
Jusqu’à la fin de la conquête, une tradition romaine persistante insista sur le
caractère juridique et religieux de l’action militaire et diplomatique de Rome - jus¬
tification, pour Cicéron comme pour Pline, pour Tite-Live comme pour Virgile,
de la conquête (Pline, XXVII, 1, 2). Polybe, si attentif pourtant à distinguer les
causes des prétextes, les volontés cachées derrière les belles formules, reconnaît
que jusque vers les années 171-168, la franchise et la loyauté avaient été les
« maximes » des Romains (Pol., XXXVI, 9, 9). Un premier changement
était intervenu à l’occasion de la guerre de Persée. Et c est bien en effet le débat
dont parle Tite-Live (XLII, 47, 2) lorsqu’il évoque les protestations d’une partie
892 Rome et la conquête du monde méditerranéen

des sénateurs contre les méthodes déloyales de Marcius Philippus à l’égard de


Persée (XLII, 47, 4-9), qualifiées avec mépris de nova sapientia. Mais naturelle¬
ment les conditions de la paix — capture du roi, destruction de la Macédoine
en tant que royaume —- marquèrent un changement, encore plus net vingt
ans plus tard avec la déclaration de la troisième guerre punique, dont le même
Polybe a démonté impitoyablement le caractère machiavélique, puisque le
Sénat avait secrètement décidé la guerre et la destruction de Carthage tout en
essayant de leurrer ses adversaires (PoL, XXXVI, 2-6); il retrace longuement
les réactions diverses, dans l’opinion grecque, des « réalistes » et des « idéalistes »
(XXXVI, 9). Cette détérioration rapide de la« moralité» romaine, publique et
privée, l’a conduit, comme on sait, à allonger et à modifier, dans un sens fort
pessimiste, son œuvre historique (Walbank [1964]). Elle justifiera (cf. ci-dessous)
toute une interprétation rétrospective des conquêtes romaines qui se dévelop¬
pera surtout en pays grec au Ier siècle av. J.-C.
Avec la troisième guerre punique au moins, apparaît donc dans la politique
romaine la notion de « guerre préventive » (PoL, XXVI, 9 : « Décider, pour
assurer la domination de leur patrie, d’écarter une menace qui pesait sur elle
et d’abattre une cité qui leur avait si souvent disputé la suprématie et qui, à
l’occasion, pourrait la leur disputer à nouveau»). Notons qu’il s’agit là d’une
attitude bien invétérée dans la Grèce des cités ou des royaumes : Agélaos, en 215
à Naupacte, ne conseille en fait pas autre chose au roi Philippe V (PoL, V, 104, 7),
et une des maximes diplomatiques les plus répandues était de ne pas laisser
grandir au-delà d’une certaine limite un ennemi potentiel : mais à quoi recon¬
naît-on un ennemi? Cependant, bien avant 149, la politique romaine avait
connu des accès d’agressivité du même ordre. Celui qui — peut-être à tort — a
le plus intrigué les Modernes est à l’origine, en 201, de la deuxième guerre de
Macédoine (cf. ci-dessus, p. 738). Holleaux, pour trop suivre Polybe et négliger
Tite-Live, soutient que le Sénat, littéralement trompé par les intrigues diplo¬
matiques et les faux rapports d’Eumène et des Rhodiens, s’est cru sincèrement
menacé d une coalition entre Philippe et Antiochos; d’autres (Veyne [1956])
invoquent la volonté d’acquérir des lettres de noblesse diplomatiques en inter¬
venant gratuitement sur le « théâtre » grec. Que la tradition annalistique ait cru
bon d inventer la présence de 4 000 Macédoniens en Afrique aux côtés d’Han-
nibal, alors présent à Carthage (T.-L., XXX, 33, 5; 26, 3; 42, 4) prouve en tout
cas que, à ses yeux, la gloire de libérer les cités grecques sous domination macé¬
donienne et de se poser en arbitre en Grèce ne suffisait pas. Peut-être vaut-il
mieux relire attentivement le discours de P. Sulpicius chez Tite-Live (XXXI, 7),
pour convaincre les comices de voter la loi déclarant la guerre, contre les avis
contraires du tribun Q. Baebius : il s’agit là d’une guerre préventive pour la
défense de l’Italie, comme contre Pyrrhus et Hannibal. Quant à la clause sur
1 évacuation des villes grecques, loin d’être exorbitante, elle s’explique par le
fait que sans ses possessions de Grèce, la Macédoine ne vaut plus rien (PoL,
V « impérialisme » romain 893

XVIII, 45; Holleaux, Etudes, V, 43). Cette raison est nettement donnée, rétros¬
pectivement, par Persée à ses propres troupes (T.-L., XLII, 52, 16) età Antiochus
et Eumène, dont il sollicite l’alliance : « Rome est une cité qui ne peut coexister
avec des rois », « qui ne peut tolérer d’avoir pour voisin un roi et une nation
militairement forte». C’était là un motif déjà invoqué avant la première guerre
punique (Pol., I, 10, 6, d’après Fabius Pictor ?, Gelzer, Caesar, 103; KS, III,
59; 88). Ce sera encore celui mis en avant par César (BG, I, 10, 1-2 : homines
bellicosospopuli Romani inimicos) en 58. Ne pas avoir de voisins puissants, empêcher
des cités rivales d’occuper des lieux stratégiques ou trop favorisés pour le com¬
merce ou la guerre, c’est là le motif ouvertement donné par Cicéron pour
excuser la destruction complète de Carthage et de Corinthe {De leg. agr., II, 87).
De cette notion admise, au moins par certains (il y avait des opinions
contraires, comme on verra ci-dessous), on passe aisément à une conception
encore plus envahissante. Peut-être dès 168, se fait jour la doctrine selon laquelle
les rois ou les peuples qui ont été partie prenante d’un traité passé par Rome,
même s’ils ont été solennellement déclarés libres, indépendants et amis du peuple
romain, ne doivent leur liberté et même leur existence qu’à la sentence de Rome,
en principe révocable. C’est l’époque ou se multiplient les sentences d arbitrage
romaines entre puissances grecques, que Rome en général rend de façon hégé¬
monique (le renvoi à une autre cité, Sherk, n° 4, ca 175-160?, est exceptionnel).
Massinissa aurait, d’après Tite-Live, XLV, 13, 15, déclaré qu il n était que le
procurator de son royaume, dont la véritable propriété appartenait au peuple
romain : attitude très différente de celle de Prusias se prétendant le client des
sénateurs : ce dernier se place dans la vieille perspective de la Fides, 1 autre
annonce une doctrine dont toute une tendance de l’opinion romaine (les populares
à la fin du 11e siècle) se prévaudra pour affirmer une véritable créance fiscale
et un droit de propriété sur le sol provincial, comme il apparaîtra clairement
lors de la guerre de Jugurtha (Saumagne [1636], avec le rapprochement :
Gaius, II, 7). Le temps n’est plus loin où les Romains recevront en héritage
par testament les biens privés et les royaumes des souverains, ce qui est aberrant
et impensable pour une cité, et se situe au confluent de la conception patrimo¬
niale de la royauté hellénistique et des prétentions juridiques du peuple romain
à la domination universelle. Ce nouveau droit impérialiste implique que même
si elle n’a pas pris immédiatement après une victoire possession d’une région,
Rome a le droit de le faire quand bon lui semble : c’est par exemple ce qu’ex¬
plique César à Arioviste {BG, I, 45. 2-3, texte essentiel), mais c’est déjà à peu
près l’avis que donnait Marius à Mithridate en 97 (Plut., Marins, 31, 3), et
c’est sans doute le prétexte dont s’entourait la lex Clodia de 58 qui décidait
l’annexion du royaume allié de Chypre (Dion, XXXVIII, 30; Vell., II, 45, 5).
894 Rome et la conquête du monde méditerranéen

3) LES ACTEURS, LES MOTIVATIONS, LES DEBATS

On accordera volontiers à E. Badian ([256]; [1214]) que le« juridisme» des


Romains était suffisamment flou, et parfois tellement oblitéré, qu’il permettait
de nombreuses interprétations et cédait souvent la place au cynisme le plus net.
Mais il ne suffit pas d insister sur la détérioration dans le temps du comportement
de Rome : jusqu’à l’Empire, Rome est restée une cité dans laquelle les décisions,
en fin de compte, devaient être publiquement débattues avant d’être prises :
un régime d’opinion, en quelque sorte, à divers degrés. Les Romains, s’ils
avaient peut-être des conceptions communes profondément enracinées dans
leur inconscient ou dans leurs traditions collectives, apparaissent souvent
comme profondément divisés devant les perspectives de leur conquête. Selon les
circonstances, tel groupe ou telle doctrine prévaut : ce n’est presque jamais
sans mal, presque jamais sans appel, et leurs adversaires ne manquaient pas de
s’exprimer. On peut sans doute interpréter, comme le fait volontiers l’école
prosopographique, ces divergences comme de pures rivalités de circonstance,
dans la perspective d’une lutte constante des individus et des groupes de l’oli¬
garchie pour 1 exercice et les bénéfices, matériels et moraux, du pouvoir : méthode
utile si on 1 utilise avec tact, qui a l’inconvénient de minimiser d’une part les
convictions, d’autre part le recours constant et nécessaire à l’opinion du plus
grand nombre, qui était loin d’être aussi dépourvu de responsabilité qu’on le
dit étourdiment dans 1 orientation de la politique extérieure.

A) Les acteurs

On ne reprendra pas ici en détail l’étude constitutionnelle ou pratique des


compétences réciproques du peuple, du Sénat et des magistrats dans les domaines
qui, directement ou non, touchent à l’Empire (cf. vol. I, 236-269, et 375-377,
380, 406). Il est certain que, tout au long de notre période, les problèmes essen¬
tiels se posent toujours et d’abord au Sénat : celui-ci est obligatoirement saisi
par les consuls (ou le préteur urbain en leur absence) des ambassades étrangères,
des lettres officielles, des nouvelles renseignant sur ce qui se passe au loin C’est
d abord dans ce champ relativement clos que la question sera abordée; mais
très rares sont les séances du Sénat tout à fait secrètes (Hérodien, VII, 10 et
la notable exception de la réception d’Eumène en 172, T.-L., XLIII, 14 1)
Les tribuns de la plèbe, qui se tiennent précisément dans le vestibule, les portes
restant ouvertes, sont là pour représenter en quelque sorte le peuple. Assemblée
de rois, certes, représentant presque unique de l’Etat romain pour les diplo¬
mates etrangers, comme le dit, avec bien d’autres, Polybe, le Sénat n’est cepen¬
dant pas cette oligarchie étroite et fermée, animée par le seul « esprit de corps »
et les seules rivalités « professionnelles » intérieures qu’on a souvent décrits :
c est aussi une assemblée où Romains et étrangers, dès le me siècle, parlent et
V « impérialisme » romain 895

discutent librement, et les témoignages formels que nous avons, pour les ne et
Ier siècles av. J.-C., des discours et de leur argumentation montrent qu’on y
parlait le plus souvent pour une opinion beaucoup plus large : cela forçait au
moins à chercher, pour les avis qu’on défendait, des prétextes ou des arguments,
et cette publicité devait, par la force, exercer un contrôle sur le contenu même.
Nous avons ainsi la trace continue de grands débats de politique étrangère qui,
jusqu’à la fin de la République, ont profondément divisé le Sénat. En 264,
sur la réponse à donner à la demande des Mamertins (Pol., I, 11, 1 ; Calderone
[1524]); en 218, sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’Hannibal et de Carthage.
En 203, si l’on en croit Appien, sur les négociations finales avec Carthage (Pun.,
31 ; et surtout en 201, Appien, Pun., 57-64), où déjà se serait posée la question de
la destruction éventuelle de Carthage, pas forcement anticipée. En 171, on 1 a
vu, à propos des nouvelles méthodes diplomatiques et militaires de Marcius
Philippus. En 167, pour la décision de faire ou non la guerre aux Rhodiens
(T.-L., XLV, 27, 2). Rien n’égale en célébrité le débat qui en 149 (mais en fait
depuis longtemps déjà) opposait Caton et Scipion Nasica sut « la destruction de
Carthage ». Notre tradition est particulièrement intéressante, parce qu’elle
prête aux deux partis des arguments qui dépassent de beaucoup la simple
opportunité précise (l’éventuel danger carthaginois, le prétexte pour une « juste
guerre») : l’un et l’autre auraient en fait développé une vision cohérente, presque
une« philosophie» de la conquête et de l’Empire, avec des implications d ordre
moral et politique sur la nécessaire « crainte d’un ennemi» (metus hostilis), pour
maintenir le peuple dans la discipline, et sur la modération extérieure poui
préserver le bon vouloir et la sympathie des sujets et alliés. On a suspecté ces
thèmes, parce qu’on les trouve exprimés a posteriori dans les sources postérieures,
en particulier chez des philosophes et des historiens (Diodore = Posidomus,
Salluste, etc.). Il convient peut-être de se rappeler cependant qu’en 155-154,
la célèbre ambassade athénienne composée des trois philosophes, Carneade,
Diogène et Critolaos, avait publiquement, et sous couvert de la philosophie,
discuté à Rome des justifications même de l’Empire (sources désormais dans
Garbarino [2613], I, 80-86). Mentionnons encore les débats au moment de la
guerre de Jugurtha, et en plein Ier siècle, malgré le déplacement marque des
responsabilités entre les mains des dynastes et du peuple, ceux de juin 56 sur les
provinces consulaires, où c’était en fait toute la politique de César en Gaule qui
était indirectement mise en cause : c’est donc dans le discours au Sénat de Cicéron,
alors allié au proconsul, que nous lisons les arguments en faveur de 1 entreprise .
une analyse typologique en serait fructueuse. Comme on verra, s’il est vrai que
l’historiographie du i«r siècle av. J.-C., de Posidonius à Salluste, véhiculé une
réflexion antithétique et totalisante sur l’impérialisme romain, que la philoso¬
phie, de Panétius à Cicéron, en fait un des pôles de ses réflexions, là encore
contradictoires, il est à présumer que de tels débats existaient au sein de la classe

dirigeante romaine.
896 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Mais il est vrai que le Sénat n avait pas l’absolu monopole des décisions.
Depuis la République moyenne, certains actes solennels, en particulier les décla¬
rations de guerre, devaient être votés par le peuple. On connaît, entre 505 et
iii av. J.-C., 26 lois de belto indicendo, dont huit ou neuf entre 264 et 111 : pour
des guerres majeures, comme la première et la deuxième puniques, la première
guerre illyrienne en 229, la seconde macédonienne (200), la guerre d’Antio-
chus (191), la troisième macédonienne (171), la guerre de Jugurtha (111).
La très grande majorité de ces lois, jusqu’à 111 exclusivement, sont des lois
centuriates proposées, la plupart du temps sur l’ordre du Sénat, par des magistrats
à imperium : c’est normal, dans la perspective traditionnelle, étant donné la
vocation même des comices centuriates. Leur caractère militaire et timocratique
n excluait cependant ni les débats, ni les résistances; souvent, il fallait expliquer
et convaincre des électeurs récalcitrants. En 264, si l’assemblée en fin de compte
décide la guerre, alors que le Sénat est divisé, c’est parce qu’on lui fait reluire
l’espoir de profits (Pol., I, 11). En 200, l’assemblée commence par refuser la
guerre de Macédoine, et nous savons qu’une opposition publique se manifeste
(Q,. Baebius, T.-L., XXXI, 6, 4, avec des arguments très proches de ceux des
partisans de Varron en 216, T.-L., XXII, 34, 4, encore dans la bouche d’un
Baebius !). Beaucoup plus que dans de mystérieux intérêts « économiques »,
il faut chercher l’origine de ces résistances dans le fait que les électeurs romains,
à cette époque (malgré Veyne [1956], p. 843) sont encore et surtout de futurs et
d anciens soldats. En 167, pour la première fois, un préteur, Juventius Thalna,
sans prendre l’avis du Sénat (mais on en discuta quand même au Sénat),
proposa au peuple de déclarer la guerre aux Rhodiens. Nous avons conservé’
dans Tite-Live et surtout dans Aulu-Gelle (VI, 3, 14; i5) 26; 34, etc. Cf. Malco-
vati, n° XLII) la fameuse dissuasio de Caton, qui s’adresse directement à des
sénateurs (cf. le fameux fragment 167 sur la loi agraire), mais aussi au peuple
dans son entier (fragment 169). Il n’y est pas fait allusion à la jalousie que,
d apres Polybe et Strabon, Rome aurait portée au commerce rhodien, sinon
pour la stigmatiser peut-être (Aulu-Gelle, VI, 3, 7, qui fait plutôt allusion au
butin ou aux indemnités de guerre). Comme on a vu (vol. I, p. 236) c’est essen¬
tiellement sous 1 angle des profits de la guerre et des finances publiques — quand
0n,n invoquait pas les traditions, la grandeur de l’Etat, l’orgueil militaire —
qu on exposait au peuple les problèmes extérieurs.
La fin du ne siècle voit, à cet égard, un changement déterminant. Depuis
qu il avait ete déchargé du tnbutum en 167, grâce à la victoire de Pydna et à
énormité du butin macédonien, le peuple romain était certainement très sensible
aux avantages financiers directs tirés de la conquête (ci-dessous, p. 900). En 122
un pas de plus fut franchi, avec la théorie présentée par Tibérius Gracchus
d abord, par Ca.us ensuite, selon laquelle les bénéfices de la conquête devaient
profitei individuellement à chaque citoyen (utilisation du trésor d’Attale pour
financer la lo, agraire, Plut., TG, 14; T.-L., Per., 68; Aur. Vict., Vir. lit. 64,
L’ « impérialisme » romain
897

des ressources de la province d’Asie et, en général, des vectigalia, pour la loi
frumentaire, Florus, II, 1,5). Dès lors, sur proposition de tribuns en général,
le peuple intervint de plus en plus fréquemment dans des domaines financiers
ou administratifs (répartition des provinces, par exemple, comme le montre la
loi épigraphique de Delphes/Cnide, Ferrary [2097]), ou dévolution de grands
commandements qui impliquent une guerre future, ou même changement de
commandement qui signifie un changement dans les objectifs d’une guerre, dont
l’exemple le plus frappant est la rogatio Manilia de 66 qui rappelle d’Orient
Lucullus et lui substitue Pompée, et qui fut défendue par Cicéron, dont nous
avons conservé le discours et les arguments. Les lois et les plébiscites marquant
dans ces domaines la compétence grandissante du peuple se multiplient à partir
de 59 (lex Vatinia, leges Clodiae de 58, lex Trebonia de 55, etc.). Sans doute il faut
être prudent, et distinguer dans le recours à cette procédure ce qui est moyen
commode pour des ambitieux d’obtenir des pouvoirs exceptionnels qu’un Sénat
jaloux leur aurait à bon droit refusés, et manifestation des intérêts véritables
des électeurs. Essayer de déterminer le rôle du peuple dans la politique étrangère
revient donc à étudier l’électorat, le fonctionnement des assemblées, leur compo¬
sition, mais aussi la façon dont on les actionne et le type d’arguments qu’on
emploie (dans les deux sens, car presque aucune de ces mesures ne fut décidée
sans débats souvent acharnés). On n’y reviendra ici (Cf. Nicolet [804] et [802])
que pour rappeler que même l’assemblée tribute est, en grande partie, faite
pour donner une prédominance, après 89, aux notables des tribus rustiques
qui peuvent ou veulent venir ou résider à Rome; que, sauf dérèglement abusif
en période de troubles, un tel public bien évidemment sensible à tous les argu¬
ments d’intérêt (fiscal, financier, voire économique) était encore et peut-être
surtout sensible aux appels émotionnels à la tradition du nom romain, aux vertus
militaires, à la gloire, etc., comme le montre précisément le Pro lege Manilia,
et plus encore, peut-être, la propagande césarienne des Commentarii (recoupée
entièrement par le De provinciis consularibus), ou même toute la littérature officielle
de type triomphal, y compris les inscriptions comme celles dressées par Pompée
(Pline, NH, VII, 95-98; Diod., XL, 4; Liebmann-Franckfort [1993], 314).
Le Sénat, le peuple : des collectivités à l’intérieur desquelles il convient
de rechercher les opinions et les groupes divers. Il en va de même des individus :
la structure du pouvoir à Rome laissait ■— même au temps de la République
unitaire et archaïque de la tradition — la part assez grande aux initiatives des
magistrats investis d’un pouvoir en grande partie autonome. Des ambitions
personnelles, au gré des individus et des circonstances, ont pu jouer, ainsi que
des tempéraments : mais c’est tomber dans le truisme que de le souligner, et
c’est un système d’explication réducteur que de tout ramener, ou presque, au
jeu des rivalités ou à la concurrence pour le pouvoir, la gloire, les honneurs.
Mieux vaut s’interroger sur la nature profonde d’un système de pouvoir qui
— avec de notables exceptions de modération, de prudence, de refus de la gloire
8gS Rome et la conquête du monde méditerranéen

des armes — suscite, dans une classe dirigeante d’ailleurs constamment renou¬
velée et élargie dans son recrutement, un tel expansionnisme militaire, la recherche
si constante et systématique des commandements, de la victoire, bref la volonté
de puissance, l’agressivité vers l’extérieur. Paradoxe apparent pour les magis¬
trats d’une cité, car en général ce sont là des motivations prêtées, dans la psycho¬
logie sociale ancienne, aux tyrans ou aux rois. Force est d’aligner plusieurs
constatations (en l’absence d’études nécessaires dans ces domaines encore peu
explorés). La première, c’est que toute l’organisation de la cité, y compris la
société, repose sur des hiérarchies qui sont celles du pouvoir militaire (vol. I,
p. 395). La consécration suprême sera toujours, à Rome, celle du grand comman¬
dement victorieux, donc du triomphe : des Fastes capitolins et des elogia (ILLRP,
309-319) aux Res Gestae d’Auguste, c’est là l’idéologie dominante à laquelle
doit avoir recours constamment un homme comme Cicéron lui-même, pourtant
togatus par excellence — et pas seulement pour les besoins d’une cause, comme
celle de Muréna, mais dans des textes théoriques, comme le De Oratore et le De
Officiis. Les carrières « civiles » ne trouveront jamais beaucoup d’adeptes, certai¬
nement parce qu’elles étaient plus obscures et plus aléatoires : seuls exemples
parmi ceux qui émergent : Caius Gracchus, P. Clodius (encore qu’on ignore ce
que celui-là aurait voulu faire de son consulat). Que, selon les époques, cette
valorisation du guerrier ait changé d’habits, qu’elle se soit parée, à partir
du 11e siècle, des dépouilles alexandrines du monarque victorieux, sa nature
reste profondément enracinée dans la mentalité et dans les réalités sociales de
Rome et des Italiens : à cet égard, l’entrée de ceux-ci dans la cité romaine,
avec leurs traditions non moins militaires, n’a fait que nourrir l’agressivité de
la classe dirigeante romaine — témoin entre autres Velleius Paterculus (Helle-
gouarc’h [92]).
Mais une deuxième constatation s’impose : l’agressivité, la recherche à tout prix
des honneurs militaires auraient pu, comme chez d’autres peuples, se satisfaire
à moindre prix. Au contraire, nous voyons les ambitions s’élever tout au cours
du 11e siècle — le même homme, Emilien, sera à la fois le destructeur de Carthage
et de Numance, comme son grand-père adoptif avait été le vainqueur d’Hannibal
puis d’Antiochus; c’est bientôt à l’échelle du monde, de l’Occident à l’Orient,
avec Sylla, puis surtout Pompée, que se manifesteront des ambitions qui abou¬
tissent, pour certains, à des proconsulats qui sont de Vraies vice-royautés sur le
tiers ou le quart du monde et qui peuvent durer cinq ou dix ans, le plus remar¬
quable, celui de Pompée entre 55 et 51, étant exercé de Rome par des légats,
ce qui annonce l’Empire. Cette montée des enchères a été bien mise en évidence
par R. Syme, E. Badian, E. Gruen. Il faut noter qu’elle va de pair avec une
inflation certaine des fortunes privées accumulées par ces grands vainqueurs,
si bien que, depuis longtemps (et en somme depuis Posidonius et Salluste) on
a fait un sort à la cupidité, à la soif de richesses des capitaines romains — Crassus,
que sa fin malheureuse a condamné, mais aussi bien Pompée ou César, sans
L « impérialisme » romain 899

compter Lucullus. Seulement on a noté aussi que ces immenses fortunes avaient
primordialement une destination politique, qu’elles servaient en fait à régler
les frais de carrières extrêmement coûteuses, à entretenir clientèles ou même
armées privées, qu’elles représentent, par leur ampleur, autant ou même plus
que le budget régulier de l’Etat. Dès lors on peut renverser la question, et se
demander si ces fortunes et ces très grands commandements n’étaient pas rendus
nécessaires par les dimensions mêmes d’un Empire qu’il fallait bien sûr conserver
et préserver, sinon agrandir, ce qui dépassait les moyens d’une république même
gigantesque, comme était Rome : les caisses de Pompée ou de Crassus sont déjà,
un peu, ce que sera la caisse du prince. Notons pourtant que, même lorsqu’il
s’agit de généraux qui paraissent agir de manière presque indépendante, comme
César ou Pompée, ils ont toujours besoin, au départ, de se voir accorder des
moyens, en hommes et en argent, par le Sénat ou le peuple.
Il faut noter peut-être que le système a commencé à connaître cette poussée
inflationniste dans tous les sens, à partir du moment (167, puis 133-123) où
quelques traits démocratiques, à la grecque, sont venus s’insérer dans la très
conservatrice et timocratique Constitution de Rome. Impérialisme et démocratie
sont naturellement liés, comme Athènes en avait fait l’expérience.

B) Les intérêts

Pour beaucoup de Modernes, qui ne sont pas tous marxistes, c’est fonda¬
mentalement dans l’économie qu’il faut chercher la raison profonde et les
motifs véritables de l’impérialisme romain. De manière bien entendu contra¬
dictoire : pour les uns, un véritable « capitalisme », au moins marchand, s’étant
développé au 11e siècle (certains disent même : au 111e siècle) en Italie et à Rome,
c’est pour s’emparer de routes commerciales, de matières premières ou de
débouchés, pour offrir un champ d’exploitation aux nouvelles puissances finan¬
cières que furent décidées — en général — guerres, annexions, réglementations
diverses des pays conquis. Dans cette conception, l’historiographie du xixe siècle
finissant (mais encore H. Hill [673]; F. Cassola [1037 £]) donne une place de
choix à la« classe» commerçante et marchande (sic), l’ordre équestre, et surtout
aux publicains. Pour d’autres, c’est au contraire le caractère principalement
« esclavagiste » du mode de production romain, les besoins d’une agriculture
latifondiaire fondée sur la main-d’œuvre servile de masse qui expliquent les
guerres pourvoyeuses de captifs, mais aussi, de proche en proche, toute une
action économico-politique de Rome, établissant dans les provinces, sous son
égide, l’union sacrée des classes dirigeantes, propriétaires d’esclaves.
Si des études brillantes, comme celle de Badian [356], ont été consacrées à
réfuter ce que de telles vues ont de schématique, il faut dire que le problème,
parfaitement légitime, n’a jamais été traité à fond dans une étude exhaustive
et, pourquoi pas, chiffrée. Les sources font moins défaut qu’on ne dit : encore
faudrait-il interroger les géographes ou les auteurs techniques anciens, pas
goo Rome et la conquête du monde méditerranéen

seulement les historiens, les philosophes ou les orateurs; revoir Fépigraphie,


relativement abondante, de ce point de vue; ne pas négliger l’apport de l’archéo¬
logie, qui peut commencer à renseigner sur les courants commerciaux, la prise
de possession du sol, etc. Mais le rassemblement exhaustif du matériel n’évitera
pas de s’interroger aussi sur la validité de la question, de faire les distinctions
indispensables entre les ordres de faits et les époques. Que, d’une façon générale,
conquérir un empire ait rapporté de grands avantages à Rome et aux Romains,
ou à certains d’entre eux, c’est le contraire qui aurait surpris les contemporains.
Encore que le grand jeu diplomatique, dans le monde grec au moins, ait impliqué
pour les dynastes l’obligation de savoir quelquefois sacrifier des sommes impor¬
tantes, pour rechercher la gloire ou l’autorité. Et que le Sénat de Rome, en quel¬
ques circonstances (la fermeture des mines de Macédoine en 167 par exemple)
ait voulu éviter d’avoir l’air cupide.
Mais retirer, ou escompter, des profits directs (terres, hommes, butin, fourni¬
tures et revenus réguliers) d’une conquête est une chose, mener une « politique
commerciale » ou « économique » en est une autre, et bien différente. Non que
les Etats anciens n’en aient eu : ils passaient des traités de commerce. Mais
précisément, Rome n’en passe plus guère après 200, comme cela a été noté
depuis longtemps par T. Frank ([335], I, p. 202). Alors que jusqu’au traité de
Gatulus en 241, le problème des « marchands » romains ou italiens était évoqué
(cf. ci-dessus, p. 608; Pol. III, 28, 3), les grands traités avec Carthage en 202,
avec Philippe en 196, avec Antiochus en 189, avec les Achéens en 188 ignorent
totalement les clauses commerciales. En 188, dans le traité d’Apamée avec
Antiochos, la seule clause commerciale imposée par les Romains est en faveur
des Rhodiens, qui doivent continuer à jouir d’une exemption de droits de douane
dans les Etats du roi (Pol., XXI, 43, 16). Avec les Numides, Fenestella (frag¬
ment 9 Peter) nie tout rapport de commerce avant 146. On a pu, d’après de
telles constatations, pousser sans doute trop loin la thèse selon laquelle l’aristo¬
cratie sénatoriale, et même les chevaliers et le peuple, après le tournant des
années 120, étaient totalement étrangers à toute considération économique
(Badian [356]). Quelques épisodes bien connus méritent pourtant d’être rap¬
pelés. En 189, quand un sénatus-consulte rend sa liberté et ses biens à Ambracie,
il lui reconnaît le droit d établir des droits d.e douane (portoria), pourvu qu’en
soient exemptés les Romains et les Italiens (XXXVIII, 44, 4). En 167, après
avoir failli déclarer la guerre aux Rhodiens, les Romains se contentèrent de
démanteler leur puissance, en leur enlevant toutes leurs possessions continentales,
qui leur rapportaient 120 talents. Mais surtout, d’après le discours que Polybe
(XXX, 31) prête aux ambassadeurs de Rhodes, c’est en ayant rendu Délos à
Aihenes et en déclarant qu elle serait un port franc que Rome aurait porté un
coup terrible au commerce de Rhodes. On a donc beaucoup brodé sur la
politique commerciale de Rome. Mais le texte de Polybe est plus nuancé :
« Nos revenus ont diminué de 1 million à 150 000 dr. depuis que vous avez fait
L' « impérialisme » romain 9QI

supprimer toute taxe à Délos, et que vous nous avez enlevé la liberté dont
jouissait notre peuple de régler selon ses intérêts l’administration du port de
Rhodes. » De son côté, Strabon dit formellement que la grande prospérité
commerciale de Délos a commencé, non en 167, mais seulement après la destruc¬
tion de Corinthe (X, 5, 4) en 146. Et jusqu’à cette date et même au-delà, les
Romains et les Italiens sont loin d’être les principaux étrangers à profiter de
la nouvelle situation de Délos. Rhodes d’ailleurs ne tarda pas à se relever de
son abaissement provisoire (vol. I, 182; ci-dessus, 781) : il était financier et
politique, non commercial. Il en va de même de la décision contemporaine de
détruire les villes mêmes de Carthage et de Corinthe (Cic., De Leg. agr., II, 87).
Dans cette période, le seul texte explicite qui prouverait une politique
économique délibérée de la part des Romains est la phrase prêtée par Cicéron à
l’un des interlocuteurs du De Republica (III, 16) selon laquelle les Romains
« les plus justes des hommes » ont interdit aux peuples transalpins de planter
vignes et oliviers, « pour augmenter la valeur de leurs propres plantations ».
Certains, rejetant comme anachronique l’existence d’un pouvoir romain en
Transalpine en 129, ont voulu nier le fait, ou admettre que la mesure ne pouvait
favoriser que les Massaliotes (cf. vol. I, 105; 118; mais cf. ci-dessus, p. 686 :
la Transalpine a pu dépendre de l’Espagne dès cette époque). Il faut noter
que cette mesure coïnciderait avec l’apparition des premiers crus renommés
en Italie, et qu’elle est donc moins invraisemblable qu’on le dit.
En 112, comme on sait, la guerre de Jugurtha commence vraiment avec
le massacre des negotiatores italiens installés à Cirta, après la prise de la ville
(Sali., Jug., 26) ; or le sénat ne tient pas particulièrement à la guerre et c’est sous
la pression de C. Memmius, tr. pl., qu’elle est finalement décidée (Sali., Jug., 27).
Il est hors de doute qu’en 107, ce seront ces mêmes negotiatores à Utique, à Vaga
ou ailleurs, ruinés par la durée de la guerre, qui soutiendront activement la
candidature de Marius {Jug., 64, 5; 65, 4), de même que les officiers équestres
de l’armée. En 101, la loi épigraphique (Delphes/Cnide), qui traite de la répar¬
tition des provinces orientales en prévision d’une campagne contre les pirates,
affirme la nécessité de protéger « les affaires » et la liberté de mouvement, sur
terre et sur mer, des « Romains et allies latins d’Italie ». En 72, la lex Antonia
de Tennessibus, qui rend à cette cité tous ses biens et sa liberté, prévoit cependant
une exemption des droits de douane locaux pour les publicains romains {CIL,
I3> 1- 31)- Voilà à peu près tous les témoignages sûrs. Il faut y ajouter des
indices plus ou moins nets : d’abord, la mainmise, en Espagne principalement,
sur les mines d’argent, d’or et de cuivre (vol. I, 146-149) : il est plus que vrai¬
semblable que les informations recueillies avant la deuxième guerre punique
sur ce que les Barcides en tiraient ne sont pas étrangères à la stratégie audacieuse
des Scipions en 218, à la mainmise sur la nouvelle province : mais avec les métaux
précieux, nous touchons un de ces domaines communs à la politique et à l’éco¬
nomie, il s’agit d’un instrument immédiat de prospérité et de puissance pour
902 Rome et la conquête du monde méditerranéen

un Etat. L intérêt pour les mines de Macédoine a certainement été aussi soulevé
par Eumène dans son discours (tenu secret) au Sénat en 172 (T.-L., XLII, 11).
Leur exploitation, naturellement affermée, pouvait tenter des publicains : mais
en 169 le Sénat était entré violemment en conflit avec ces derniers, et c’est
contre eux que fut prise la décision de fermer (pour dix ans) les mines de Macédoine.
Il faut donc bien se garder de confondre motivations et conséquences écono¬
miques de la conquête. Il est certain par exemple que la domination du monde
a permis, à partir du milieu du 11e siècle, une certaine émigration romaine et
italienne dans des régions autrement inaccessibles : commerçants, financiers
ou possesseurs de terres, ces hommes ont trouvé là des avantages : mais conquérir
des terres pour s’y installer en masse (ce que faisaient encore, ou tentaient de
faire, des peuples migrateurs comme Gètes, Germains ou Helvètes au 11e et
au Ier siecle) est totalement étranger au comportement romain, sauf exceptions
notables. En Italie, les confiscations successives de terres aux vaincus ont grossi
le domaine public du peuple romain (même s’il a été confisqué au profit d’une
minorité) ; la seule distribution viritane est celle de Vager gallicus en 232 : les
raisons stratégiques en semblent évidentes, comme celles de la colonisation (la
seule de quelque ampleur) de la Cisalpine au début du ne siècle. Les premiers
projets officiels de colonisation transmarine en 123 (Carthage et Corinthe)
rencontrèrent une très forte opposition de la part du Sénat, et avortèrent. Ce
n est qu au Ier siecle, et au profit quasi exclusif des vétérans, que le mouvement
se développe. Mais on ne peut vraiment qualifier l’Empire romain d’empire
e peuplement (vol. I, 87; 134-135) : les propriétaires fonciers romains en
iransalpme et en Espagne, bien attestés au 1er siècle (Cic., Pro Font., 12; Pro
Qumctio, 12), ou en Epire, en Grèce et en Asie, sont de grands propriétaires qui
ont peut-etre bénéficié des facilités du pouvoir romain — non une masse d’émi-
grants paysans; il faudrait pouvoir évaluer, même approximativement, la propor¬
tion des terres cultivables de ces régions qu’ils possèdent. Dépossession sans doute,
au détriment des vaincus ou des provinciaux, mais, semble-t-il, statistiquement

G) La politique

Dans la même perspective, on a parfois soutenu (Deininger [1987] ; Rostovt-


ze L33°J), que, dans ses conquêtes, et principalement en Grèce et en Asie
Rome avait obéi à des motifs de type idéologique et politique : s’opposer aux
mouvements révolutionnaires et même démocratiques, favoriser ou installer
es régimes conservateurs, au profit des aristocraties et des bourgeoisies. Que
parmi les accusations portées contre Persée par Eumène (T.-L. XLII 11 0)
et reprises par les Romains eux-mêmes dans une lettre officielle à l’Amphictionie
fl, 64,3)’ CeI1<; davoir ^vorisé l’agitation, promis la remise des dettes, ait
figure en bonne place c’est sûr. Nabis, de même, opposait en 196 sa constitution
démocratique» a la timocratie romaine (T.-L., XXXIV, 31, n; Nicolet
L' « impérialisme » romain 9°3

[1062]). Polybe revient volontiers sur ce thème à propos de la politique de


Critolaos juste avant la guerre d’Achaïe en 149 (XXXVIII, 11, 9"10) > de même,
Aristonicos, puis Mithridate, selon une tradition admissible, jouèrent sur ces
registres et tâchèrent de se rendre les masses pauvres favorables (cf. 1 inscription
d’Ephèse, Syll?, 742; Appien, Mithr., 48) alors que les Romains avaient pour
partisans des « magnats » comme Chaeremon de Nysa {Syll?, 741 ) • De même,
on a invoqué le cas d’Athènes en 88 (mais voir ci-dessus, et en particulier
Badian [2245]). Mais les études récentes de Briscoe, Gruen, Rubinsohn ont
conduit à mettre fortement en doute le caractère primordialement social des
guerres achaïennes, d’Aristonicos, de Mithridate (comme 1 avait déjà montré
l’étude déterminante de Robinson [2084]) : la haine de Rome, le sentiment
national ont joué aussi, et bien des aristocrates se sont joints à la lutte. Sans doute,
à plusieurs reprises, on peut constater que des magistrats romains, certainement
avec l’appui du Sénat, changèrent, ici ou là, des constitutions dans un sens
aristocratique, ou favorisèrent ouvertement les aristocraties, exécutant ou laissant
exécuter des « démocrates » ou des démagogues : Flamininus en Thessalie et en
Béotie en 194 (T.-L., XXXIV, 51, 4-6), Mummius en 146 en Achaïe (Pausa-
nias, VII, 16, 9) ; nul doute que la mission de Polybe dans le Péloponnèse en 146
(Pol., XXXIX, 5) n’ait tendu vers cette constitution mixte peu démocratique
qu’il préférait. L’intervention d’un promagistrat romain à Dymè en 116 ou 115
{Syll?, 684; Sherk, n° 43) punit fermement la tentative de renversement de la
constitution (octroyée par Rome). La pratique romaine est sans aucun doute
conservatrice — d’abord parce qu’il faut maintenir l’ordre. Mais imaginer
que Rome ait pu partir en croisade pour assurer les intérêts d’une classe, c’est
d’autant plus se laisser prendre aux mots et pécher par anachronisme (si tant
est qu’une telle politique ait jamais été celle d’aucune puissance, même
pendant la Sainte-Alliance), que certaines cités grecques d’Asie, par exemple,
ont conservé apparemment, au Ier siècle, des institutions fort démocratiques
(Cic., Pro Flacco, 16). L’étude de la terminologie dans les textes et les inscriptions
tentée à cet égard par Touloumakos est trompeuse, parce que ce vocabulaire
très formulaire ne permet pas, le plus souvent, d’appréhender la réalité des
régimes, parce que le terme dèmokratia lui-même est très ambigu (et sigm e
souvent’ à l’époque hellénistique, « liberté »), enfin parce que de toute façon,
dans la pensée politique gréco-romaine, la « démocratie » est, le plus souvent,
mal vue et méprisée (Nicolet [67]).

4) ROME VUE PAR LES AUTRES

PROBLÈMES ET JUSTIFICATION DE L’EMPIRE

L’histoire des « ennemis de l’ordre romain », faite de manière


très séduisante pour l’époque impériale par R. Mac Mullen,
9°4 Rome et la conquête du monde méditerranéen

n’est pas encore écrite pour la phase de la conquête, malgré des


travaux récents comme ceux de J. Deininger [1987], qui ne va que
jusqu’en 86 av. J.-C., et le livre purement énumératif de Bettie
Forte [2177]. On a vu plus haut qu’une tendance de l’historio¬
graphie grecque, jusqu’à Strabon, emboîte, avec des réserves par¬
fois utiles à déceler, les pas des légions et des magistrats, dans la
mesure où elle considère Rome comme l’héritière normale de
1 hellénisme unificateur. Sous l’Empire, l’acceptation deviendra
enthousiaste avec un Aelius Aristide et son fameux discours Pour
Rome, plus original peut-être que l’excursus de Strabon plus haut
cité, et qui donne sur certains traits particuliers du régime impérial
(le secret du Prince, le droit de cité) des vues saisissantes
(J. H. Oliver [2591]; F. Vannier [2592]); ou avec Dion de Pruse.
La période qui nous occupe est cependant celle des résistances les
plus vives. Nous voyons la conquête comme un mécanisme irréver¬
sible, en partie parce que Polybe (complice, ou clairvoyant?) nous
la montre ainsi des les années 167-146, puis parce que nous dépen¬
dons des constructions rétrospectives trop grandioses d’un Tite-
Live ou d un Velleius qui, sous Auguste ou Tibère, ont accentué le
theme de la prédestination eternelle de Rome à l’empire, déjà
certes présent dans la phraséologie officielle du milieu du Ier siècle.
Mais c est la une illusion : la conquête s’est heurtée à des adversaires
acharnés Flannibal, Philippe et Persée, Aristonicos, Mithridate,
ou Vercingétorix a des invasions brutales qui faillirent tout
emporter (les Cimbres et les Teutons), à des insurrections ou des
rébellions, et elle a fini par trouver ses maîtres avec les Germains
et les Parthes. De cette histoire antiromaine, quelles traces avons-
nous? Sauf pour les Orientaux, celles qu’ont bien voulu nous trans¬
mettre les historiens de Rome, en donnant la parole aux vaincus,
il est déjà remarquable en soi qu’ils l’aient fait, même avec naïveté
ou réticence. Il semble que, malgré la perte de Polybe, par
exemple, on puisse être sûr que Tite-Live et sa tradition annalis-
tique faisaient la part plus belle que le grec à la politique italienne
d Hannibal, en tout cas à la belle flambée nationale antiromaine
qui ^se manifeste à Gapoue dans les semaines après Cannes
(XXIII, 6, 3), dans l’espoir, entretenu par Hannibal, de disputer
à Rome le rôle de caputltaliae (XXIII, 10, 2). L’opposition à l’empire
commence à son foyer même, dans cette Italie religieusement pri-
U « impérialisme » romain 9°5

vilégiée, qui finit par s’insurger en 91-89 (vol. I, 270) : curieu¬


sement, un descendant d’Italiens fidèles, mais par là même le plus
sensible aux problèmes de l’assimilation, de la colonisation et
de l’octroi de la civitas, Velleius, nous a laissé le tableau le plus net
des rancœurs italiennes (II, 27 : « Le peuple de loups qui a ravi
sa liberté à l’Italie »), peut-être reconnaissance d’un vieux totem,
d’après Alfôldi, que confirmera la source « italienne » d’Appien,
BC, I (Gabba [186]). Quant à Hannibal, sans doute ne mène-t-il
pas contre Rome une guerre d’extermination, ni même de des¬
truction (XXII, 58, 3), et prévoit-il, pour la fin de la guerre, en 215,
qu’elle restera indépendante : mais il veut abattre son empire. En
Italie, donc, et en Sicile. Philippe V en conçoit (bien informé,
quoi qu’on en ait dit!) la force expansionniste dangereuse dès 214,
dans sa lettre aux habitants de Larissa, insistant sur sa capacité à
faire des citoyens et à installer des colonies. Son fils Persée attribue
à Rome la haine invétérée des rois puissants, et cherche à
convaincre ainsi Antiochus et Attale. Déjà apparaît l’accusation
fondamentale de vouloir s’approprier par la force les richesses
du monde. Ce thème culminera dans un texte fameux, la lettre
de Mithridate au roi Arsace, insérée par Salluste dans ses Histoires
(IV, 69 M) : « Les Romains n’ont jamais eu qu’une seule raison
de faire la guerre à tous les peuples, à tous les rois, leur désir insa¬
tiable de pouvoir et de richesse »; « Ignores-tu que les Romains,
depuis que l’Océan les a arrêtés dans leur marche vers l’Ouest,
ont tourné leurs armes vers l’Orient? que, depuis les commen¬
cements de leur ville, ils n’ont rien que de volé, maisons, femmes,
territoire, empire? » Ils sont « les fléaux de la terre », les « détrous¬
seurs des peuples » ; « les rois leur sont suspects, parce qu ils sont
des maîtres légitimes, des rivaux pour le présent, des vengeurs
pour l’avenir ». Mazzarino [56], contre Bickerman [2113] a fait
remarquer justement que cette lettre ne pouvait passer pour
refléter un « anti-impérialisme » de Salluste lui-même qui
rédigera en 38 pour Ventidius Bassus, son discours pour célébrer son
triomphe sur les Parthes (Fronton, 123 N). Même s’il est récrit par
Salluste, ce texte est recoupé de façon frappante par le grand dis¬
cours de Mithridate chez Trogue Pompée (= Justin, XXXVIII,
4-7), situé à une date antérieure, vers 88. Les thèmes historiques
s’y trouvent beaucoup plus nombreux, et on remarquera les cor-
9°6 Rome et la conquête du monde méditerranéen

respondances verbales (latrones; populum luporum), que peuvent


justifier peut-être les liens attestés entre Mithridate et les insurgés
italiens, ainsi que l’allusion à l’oppression des magistrats et des
publicains romains en Asie qui recoupe entièrement ce qu’en dit,
pour la même période, Diodore, certainement d’après Posidonius.
R. Syme (Sallust., 251), en rapproche encore les paroles de Jugurtha
(Sal., Jug., 81, 1) et celles de Critognatus à Alesia (César, BG,
VII, 77, 14-16) : « Quand ils savent qu’une nation est puissante
et ses armes glorieuses, ils rêvent de s’installer dans ses champs et
ses cités, et de lui imposer le joug d’une servitude éternelle » :
que César ait jugé bon d’insérer une phrase comme celle-là, qui
rappelle la terrible formule de Tacite ubi pacem vocant, solitudinem
faciunt (Tac., Agric., 30), pose à coup sûr un problème d’authenti¬
cité et d’opinion. Il est notable que, dès les années 130, un peuple
resté très en dehors de tout contact direct avec Rome (mais ses
colonies à l’étranger n’auraient que de bons rapports avec les
Romains jusqu’au triumvirat), les Juifs en guerre contre le Séleu-
cide, aient eu une vision politique et historique de Rome moins
terrible peut-être, mais du même ordre : les Romains ont vaincu
et asservi tous leurs adversaires, en particulier les Grecs; ils se sont
emparés des mines d’argent et d’or d’Espagne; ils n’ont pas de roi,
et traitent fidèlement leurs alliés (1 Mac., 8, 1-16). Parallèlement,
le géographe Agatharcide de Cnide, au contraire, n’attribue qu’à
leur éloignement géographique le fait que les habitants de l’Arabie
Heureuse aient échappé à ceux « qui font métier de s’emparer des
biens de tous les autres » (Diodore, III, 47, 8).

Il est extrêmement difficile de trouver des lignes de partage dans les expres¬
sions parvenues jusqu’à nous de l’opinion grecque et orientale devant la conquête
romaine. Les témoignages littéraires et épigraphiques concernant les honneurs
rendus dans telle cité à tel magistrat (hymnes, statues, décrets, etc.) sont difficiles
à interpréter exactement, et l’on peut souvent douter de leur spontanéité ou
de leur sincérité (Verrès lui-même en avait reçu en Sicile, visiblement extor¬
qués; cf. aussi ce que dit Cicéron de ceux de M. Gastricius, Pro Flacco, 75, un
simple negotiator). Pendant deux siècles, la politique romaine, au gré des cir¬
constances souvent locales, a considérablement varié à l’égard de chacune des
cites, et très rares sont celles qui ont ete constamment alliées ou constamment
adversaires. Tenter de montrer, comme a voulu le faire Deininger [1987], que le
mouvement antiromain en Grèce propre est étendu à des groupes dirigeants
L’ « impérialisme » romain 90 7

jusque vers 146, qu’il se limite auxpolloi après cette date, est extrêmement hasar¬
deux. Si l’on envisage de l’autre côté les positions des individus — rhéteurs,
philosophes, historiens, dont l’opinion seule a la chance d’avoir transpiré
jusqu’à nous — on ne peut que noter aussi l’ambiguïté de notions trop sommaires
comme « antiromanisme », même lorsqu’elle est ouvertement appliquée à des
hommes comme Métrodoros de Skepsis et Timagène : elle ne les empêcha pas
d’entretenir d’excellents rapports avec quelques Romains. L’abaissement d’une
cité grecque pouvait réjouir grandement sa voisine, une mesure prise par un
Romain être rapportée par un autre, etc. Rares sont les témoignages qui ont
une portée plus collective et permettent d’appréhender une opinion populaire
spontanée : parmi eux, une brève poussée d’enthousiasme vers 196, autour de la
spectaculaire et combien décevante décision de Flamininus : l’hymne en son
honneur, Plut., Titus, 16; les premières manifestations du culte de Rome (Mellor
[2183]); peut-être l’hymne en l’honneur de Rome de la poétesse Mélinno,
s’il date du début du 11e siècle (Bowra [2595]), et non de l’époque de Sylla.
Mentionnons cependant une littérature curieuse, de type oraculaire, dont le
plus ancien témoignage, transmis par Phlégon de Tralles, remonte aux années 190
dans un contexte étolien, au moment où pour la première fois Rome va passer
en Asie. Vers 140, peut-être, Or. Sib., III, 175-189, Rzach, qui dénonce déjà,
en termes proches de Pol., XXXI, 25, 3, la dépravation des mœurs romaines;
de l’époque de Mithridate en revanche daterait Or. Sib., III, 350-355, ainsi que la
soi-disant prophétie d’Hystaspès (Lactance, Inst. Div., VII, 15, 19), toutes deux
antiromaines et plus orientales que grecques.
A l’inverse, une littérature savante ou populaire proromaine existait aussi.
Très tôt également se manifeste dans le monde grec le culte de Rome, sous
des formes diverses : la plus ancienne trace, qui ne daterait que de 204 et non
des années suivant Pyrrhus d’après Mellor [2183], est une monnaie de Locres
où l’on voit une statue soit de Rome, soit de la Fides (Pistis) de Rome. Dès le
tout début du 11e siècle, au temps de Flamininus, apparaît en Orient (à Smyrne,
d’abord) un culte de Rome — qui bientôt prendra de multiples formes : statues
associées dans un sanctuaire, temple, concours, indépendamment du culte ou
des concours décrétés pour des Romains éminents. Rome succède ainsi naturel¬
lement aux rois et princes hellénistiques : mais la seule cité qui avant elle avait
été adorée sur cette échelle était Rhodes, sans aucun doute à cause de la véritable
police des mers qu’elle exerçait pour le bien de tous. R. Mellor a dressé récem¬
ment l’inventaire utile et détaillé de ces manifestations, qui vont jusqu a la dédi¬
cace, à Rome même, de statues de Rome par des cités ou des princes dès le
11e siècle (ce qui est peut-être une datation haute pour les inscriptions contro¬
versées qui les mentionnent, Degrassi [2596]).
9°8 Rome et la conquête du monde méditerranéen

5) LA PENSÉE POLITIQUE ROMAINE ET L’EMPIRE

On a répété à satiété que la République, qui avait sans doute


gagné un empire « par distraction », n’avait pas su résoudre, et
peut-être même ne s’était jamais posé, les problèmes de tous ordres
que sa conquête et son administration soulevaient. On a eu souvent
l’occasion de marquer, dans ces volumes, qu’une telle théorie
minimise considérablement la part des débats, des discussions, donc
d’un minimum de conscience et de cohérence dans les décisions
romaines. Il est des synchronismes trop marqués pour être l’effet
du hasard : entre 150 et 146, lorsque sont créées successivement
les provinces de Macédoine, d’Afrique et d’Achaïe, consécutives à
des guerres importantes, nous avons des témoignages formels sur
les diverses « doctrines » militaires et diplomatiques qui s’oppo¬
saient au Sénat et dans l’opinion. Entre 66 et 54, trois décisions
majeures (confier à Pompée la guerre d’Orient pour liquider Mithri-
date, donner les Gaules à César, enfin la Syrie à Crassus avec la
perspective d’une guerre parthique), ne peuvent uniquement
s’expliquer par les ambitions non contrôlées de trois hommes : il
y eut — en réaction certaine contre les craintes d’effondrement total
de l’empire qu’on avait pu avoir au moment des invasions germa¬
niques en 106-100, lors de la deuxième guerre de Mithridate
en 88-85, enfin entre 67 et 63, lorsque les pirates menaçaient
l’Italie elle-même et que la Gaule s’agitait, en liaison avec Cati¬
lina — une politique délibérée d’expansion, soutenue et par le
Sénat et par le peuple.
Mais discussions militaires ou diplomatiques, et même finan¬
cières, n impliquent naturellement pas élaboration d’une doctrine
ou d’une philosophie de l’empire.

Aucun des textes qu’on allègue en général pour le 11e siècle n’est vraiment
concluant. On a vu plus haut que l’argumentation prêtée à Scipion Nasica
est peut-être anachronique. Des discours de Tibérius Gracchus (résolument
impérialistes) dans Plutarque ou Appien, on peut discuter. L’anecdote rapportée
par Valere Maxime, IV, 1, 10, sur la prière solennelle de la clôture du Lustre,
que Scipion Emilien aurait changée dans un sens anti-expansionniste en 142,
ne résiste pas à l’examen (Astin [1213], 325-331). Une tradition bien connue
prétend qu’un des trois scholarques envoyés comme ambassadeurs par Athènes
V « impérialisme » romain 9°9

en 155, l’académicien Carnéade, aurait discouru devant un vaste public sur la


justice et, en passant, aurait esquissé une théorie de la domination impériale.
J.-L. Ferrary (REL, 1977, 128-56) a montré qu’il faut être prudent, etfaire la part
des enrichissements apportés par Cicéron, dans le De Rcp. III, à cet épisode.
Ce n’est en fin de compte qu’au Ier siècle, et principalement sous la plume de
Cicéron, que se rencontrent les éléments d’une réflexion multiple, mais relati¬
vement cohérente (compte tenu des contradictions existentielles d’un acteur,
homme politique et philosophe), sur la nature profonde, les conditions et les
finalités de l’empire de Rome. Sans doute il faut se garder de ne considérer que
les textes philosophiques des années 54-51 (De Rep., De Leg., De Orat.) ou 44
(De Off.) : des sortes de« lettres ouvertes» comme celle à Quintus sur les devoirs
d’un bon gouverneur (QF, I, 1), inspirées à la fois par la perspective d’un procès
en extorsion (Fallu [789]) et par le« genre» des traités sur la royauté, la Corres¬
pondance de Cilicie en 51, où Cicéron se déclare « tenu», dans son comportement,
par ce qu’il a écrit dans le De Republica, ou même des discours en faveur de pro¬
vinciaux (comme les Verrines) ou de promagistrats (comme le Pro Flacco), dont il
faudrait étudier de très près la typologie et le public, donnent d’excellents
renseignements sur les idées réelles ou les concessions à une opinion dominante.
Cicéron, comme tout Italien, croit à l’empire, souhaite l’extension de la zone
de protection qu’il représente autour de l’Italie, surtout vers les Gaules (Prov.
Cons., 31 ; 34). Cependant, en 54, il réprouve peut-être sous le nom de« brigan¬
dage syrien», la campagne contre les Parthes. Mais surtout, conscient des risques
de haine, de la nécessité du consentement des provinciaux pour maintenir un
empire dont beaucoup de provinces n’avaient pas de garnisons, il est celui qui
nous fournit le plus de renseignements sur les mécanismes de contrôle et de com¬
pensation que la République avait mis en place : la loi repetundarum, qualifiée
par lui de socialis, faite pour l’empire, les édits des gouverneurs. Avec H. D. Meyer,
on attachera enfin la plus grande importance au thème très cicéronien de l’octroi
de la citoyenneté romaine, progressif mais illimité, comme voie essentielle pour
la transformation d’un empire en une cite. La théorie, ce n est pas un hasard,
en est faite dans le De leg., II, 5, mais déjà dans le Pro Archia et le Pro Balbo
(31 ; 5i) elle est présentée à un public romain comme un des piliers de l’empire.
Seul le droit de cité romain permet de concilier, pour l’Italie d’abord, pour
le reste du monde un jour, l’appartenance de chacun à deux patries, une patrie
chamelle et une patrie juridique et politique, « plus large » que 1 autre parce
que se situant dans une sphere d’activité supérieure. Idee fondamentale de la
grandeur de Rome, qu’exprimera avec une lucidité remarquable l’empereur
antiquaire Claude, dans son fameux discours sur l’entrée au Sénat des Gau¬
lois (Tacite, Ann., XI, 23-24; ILS, 212; Haarhof [2601], 133-135; Nicolet
[802], 31-68). Sur ces problèmes, on attend un livre de J.-L. Ferrary.
910 Rome et la conquête du monde méditerranéen

6) ÉBAUCHE d’un EMPIRE

Quoi qu’il en soit des causes et des circonstances diverses de


la conquête, Rome à partir de 241 a exercé une domination sur
un nombre toujours plus grand de territoires extra-italiques. Il
lui fallait donc mettre sur pied une organisation administrative
et ébaucher au moins une méthode plus ou moins adéquate pour
faire face à ces responsabilités nouvelles. Notons au départ que la
question ne s’était jamais posée sous cette forme pour son « empire »
italien. En Italie, elle intègre des collectivités dans sa citoyenneté
(et donc dans son territoire), ou bien elle passe des « traités », mais
de toute façon les rapports divers entre ces peuples et Rome sont
toujours réglés par le jeu normal des institutions de la cité : consuls,
préteurs (qui peuvent, dans certains cas assez rares, déléguer des
praefecti, tantôt nommés, tantôt élus, dans certains districts), Sénat
qui exerce (Pol., VI, 13, 5) une sorte de tutelle générale et directe
sur l’espace italien, populus qui, sous forme législative, confère la
citoyenneté. Rome aurait pu, au début, étendre le processus à un
pays comme la Sicile : elle ne le fit pas. Désormais le contraste ne
cessera de s’affirmer entre une Italie romanisable et des territoires
(qui prendront bientôt le nom de provinces) qui, à des titres divers,
et compte tenu de toutes sortes d’exceptions ou d’enclaves, sont de
toute façon réputés « pérégrins » (étrangers) et soumis à Rome. Ce
qui se marque essentiellement par le fait qu’ils doivent payer des
impôts au Trésor romain, et qu’ils sont gouvernés et administrés
(même si c’est de façon rudimentaire) par des Romains (Strabon,
XVII, 3, 24). Si l’on va au fond des choses, c’est bien là, en effet,
le signe le plus clair du passage d’un territoire jusqu’alors resté
dans la simple mouvance de Rome à l’état précis de « province »;
il ne s’agit plus seulement d’amitié, d’obéissance, de fidélité :
désormais la responsabilité suprême sera exercée par un magistrat
du peuple romain, en son nom.

L’évolution même du mot provincia marque bien la réalité, et les difficultés,


d’un pouvoir de cet ordre quand il s’agit d’un empire acquis par une cité. Ce
terme abstrait désigne au départ la sphère de responsabilité d’un magistrat :
ce peut être aussi bien le soin de mener une guerre contre tel ennemi, dans tel
V « impérialisme » romain 911

secteur, qu’une juridiction (par exemple la juridiction civile pour le préteur


urbain) ou qu’une tâche administrative (par exemple la charge des « forêts
et des voies de transhumance »). Lorsque l’issue d’une guerre met un théâtre
d’opération tout entier sous l'influence de Rome (comme pour la Sicile après
la première guerre punique en 241), ce territoire demeure ou devient la « pro¬
vince » du magistrat chargé de mener la guerre dans cette région. Ce n’est donc
que très progressivement que se dégage l’aspect territorial des « provinces »
extérieures. Tel territoire, incontestablement soumis à la puissance romaine,
peut faire partie de la « province » du gouverneur du territoire voisin sans être
formellement rattaché à ce territoire : c’est le cas de la Grèce après 146, qui
« dépend » du gouverneur de Macédoine, de la Gaule méridionale peut-être
depuis le début du 11e siècle, qui dépend du gouverneur d’Espagne. Les frontières
de ces différents ressorts resteront très fluctuantes, surtout dans les Balkans et
en Asie, pendant toute la période républicaine, selon les circonstances (Badian
[356], 22).
En fait, nous ne sommes sûrs, bien souvent, que telle région a été « érigée »
ou « rédigée » en province, que lorsque nous constatons qu’un magistrat ou un
promagistrat (cf. ci-dessous) est mentionné pour la première fois comme « gou¬
verneur » de cette province : encore bien souvent, comme par exemple pour la
Sardaigne et la Sicile entre 241 et 227, pour la Transalpine entre 121 et 72,
l’incertitude de nos sources est telle que bien des hypothèses contradictoires
sont permises.

On peut cependant, sous réserve de ces discussions, dresser une


liste probable de la création des provinces sous la République. Ces
questions ayant été traitées en détail ci-dessus pour chaque terri¬
toire, on se contentera ici d’un bref tableau.

241 Contrôle de la Sicile.

234 Contrôle de la Sardaigne.


227 Création de deux préteurs, l’un pour la Sardaigne et la Corse, l’autre
pour la Sicile (T.-L., Per., 20; Pomp., Dig., I, 2, 32).
ca 206 Contrôle de l’Espagne.
Deux préteurs pour les deux Espagnes (T.-L., XXXII, 28, 2).
197
167 Création des quatre « républiques » macédoniennes.
146 Organisation de la Macédoine comme province (T.-L., Per., 45).
Organisation de la province d’Afrique (ancien territoire carthaginois)
(Appien, Pun., 135).
Attale lègue son royaume de Pergame (= Asie) à Rome.
133
129 Organisation de la province d’Asie (Strabon, XIV, 646).
102 Opérations contre les pirates en « Gilicie ».
912 Rome et la conquête du monde méditerranéen

ca 89 Organisation de la Cisalpine comme province par Q,. Pompeius (?).


96 Le roi Ptolémée Apion de Cyrène lègue son royaume à Rome.
75 Un proquesteur en Cyrénaïque.
74 Nicomède IV de Bithynie lègue son royaume à Rome et première
organisation de la province (T.-L., Per., 93).
74-72 Premier gouverneur attesté en Gaule Narbonnaise.
ca 68 Province de Crète.
65-63 Organisation par Pompée des provinces de Bithynie-Pont et de
Syrie.
58 Prise de possession des biens du roi de Chypre en vertu de la lex Clodia.
56 Organisation de Chypre (rattachée à la Cilicie) par P. Cornélius
Lentulus (Cic., Fam., XIII, 48).
52-50 Organisation de la nouvelle province de Gaule (Suét., Caes., 25).
30 Rédaction de l’Egypte en province.

Les précautions de vocabulaire que nous devons employer


montrent à l’évidence la souplesse des procédés administratifs
romains, tant que dura la République. On prétend souvent qu’à
l’empirisme antérieur, Sylla substitua à partir de 80 un véritable
système du gouvernement de l’empire : désormais les deux consuls,
durant leur année de charge, ne devraient plus avoir de « pro¬
vince » extra-italique. D’autre part, le nombre des préteurs était
porté non à dix, comme dit Pomponius (Dig., I, 2, 32), mais à huit
(Vell., II, 16; Dion, XLII, 51), qui tous, durant l’année de leur
charge, devaient exercer une juridiction urbaine. Consuls et pré¬
teurs ne devaient donc désormais gouverner des provinces (au
nombre de dix) qu’après leur magistrature, en tant que proconsuls
ou propréteurs. Qu’il y ait eu une lex Cornelia sur la dévolution des
provinces et sur les pouvoirs des promagistrats, c’est certain (Cic.,
Fam., I, 9, 13; III, 6, 3; 10, 3; Qu. Fr., I, 1, 26; Dion, XXXVI,
37, etc.). Qu’elle ait été aussi formelle, fixant à tout jamais le
nombre des provinces à dix, interdisant absolument à un consul
ou un préteur en charge de partir en province, c’est douteux, car
on voit, dans les années qui suivent, bien des exceptions à cette
soi-disant règle (par ex. la désignation du préteur M. Antonius
Creticus en 74 pour une guerre contre les pirates, ou la prorogation
pour un ou deux ans d’un pi'omagistrat, sans qu’il soit question
d illégalité). La loi Cornelia devait laisser, comme toujours, une
grande place à l’initiative du Sénat. Elle ne fut pas abrogée, mais
V « impérialisme » romain 9I3

complétée ou modifiée, par des sénatus-consultes comme celui


de 53 (Dion, XL, 46), confirmé par la lex Pompeia de 52, selon
lequel il faudrait un intervalle de cinq ans entre la magistrature
et la promagistrature.
Quoi qu’il en soit, le fait marquant est le suivant : jamais les
Romains avant Auguste n’envisagèrent la possibilité de confier
des responsabilités administratives, militaires ou judiciaires, dans
leurs provinces, à d’autres qu’à leurs propres magistrats, qui avaient
donc reçu régulièrement les pouvoirs nécessaires. C’était mettre
sous le contrôle régulier du peuple et du Sénat les personnages
ainsi désignés, ce qui sans aucun doute devait contribuer à main¬
tenir la très grande cohérence de l’empire : il est remarquable
que, malgré les guerres civiles, Rome ne connut jamais de sécession
de provinces ou de dynasties « coloniales », comme en connurent
Carthage ou les monarchies hellénistiques. Mais les conséquences
d’un tel système furent imprévues : une classe dirigeante au
départ imprégnée d’un esprit civique assez étroit devait vérita¬
blement s’improviser capable d’administrer de très vastes terri¬
toires exotiques, sans pouvoir bénéficier toujours de la continuité
ou de la compétence nécessaires. Un système de gouvernement
colonial plus ou moins aligné sur le système à rotation très rapide des
magistratures urbaines ne devait pas être très satisfaisant. Un calcul
rapide (Stevenson, p. 67) montre d’ailleurs qu’au Ier siècle l’empi¬
risme romain avait tenté de corriger cet inconvénient : les gou¬
verneurs de provinces restaient, en moyenne, trois ans en poste.
Inversement, cependant, les règles constitutionnelles veillaient en
général avec le plus grand soin à ce que les individus ne puissent
guère choisir la province dans laquelle ils devaient aller. Le Sénat,
au départ, les désignait autoritairement. Le plus souvent, on pra¬
tiquait le tirage au sort. En 123, la lex Sempronia établit que le
tirage au sort des provinces consulaires aurait lieu avant toute
élection, ce qui devait empêcher toute manœuvre. Mais il y eut
des exceptions, comme par exemple en 108 pour la guerre de
Jugurtha. Les ambitions individuelles doivent donc tenir compte
du Sénat et du peuple. Les habiletés de procédure permettent
inversement, en jouant sur la qualification des provinces consu¬
laires ou prétoriennes, sur la possibilité ou non d intercession
tribunicienne, de raccourcir ou de prolonger tel gouvernement.
15
ROME, 2
9*4 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Bref, les organes de décision à Rome même — magistrats en charge,


Sénat et peuple, du moins en la personne de ses tribuns — ont tou¬
jours conservé un contrôle relativement strict sur l’administration
de l’empire et réussi en général à envoyer ceux qu’ils voulaient à
1 endroit voulu, compte tenu, bien entendu, des inévitables riva¬
lités d’hommes et de parti. Si l’on constate souvent la présence
dans une même province d’hommes d’une même famille sur deux
ou trois générations, c est que le système romain reconnaissait
1 existence des clientèles, mais le fait n’a rien d’obligatoire et ne
crée aucun droit.

7) LE PERSONNEL ADMINISTRATIF DANS LES PROVINCES

Ainsi se dégage le personnage central du proconsul ou du


propréteur, qui pour ses administrés est l’incarnation de Rome, le
chef (hegemon), comme disent les Grecs, l’homme « sur un signe’de
tête de qui toute une province a les yeux fixés » (Cic., Q_. Fr., I,
1, 22). Magistrat ou ancien magistrat, il a Vimperium, le droit de
commandement civil et militaire et le pouvoir juridictionnel.
D abord sur les citoyens romains de sa province, mais aussi
(cf. ci-dessous) sur les sujets. Toute-puissance qui pouvait passer
poui exorbitante, le grand problème étant qu’en province man¬
quent les^ moyens divers de contrôle ou les contre-pouvoirs qui
existent à Rome. Pourtant l’arbitraire est loin d’être total :
d’abord le droit de provocatio a été, vers le début du 11e siècle avec
les lois porciennes puis encore en 123 avec la loi Sempronia, étendu
aux provinces (2 Ven., 5, 53), et nous verrons qu’en matière
judiciaire des textes précis obligent le gouverneur, à commencer
par son propre édit. Dans bien des cas, le Sénat ou le peuple sont
intervenus, au moment de la nomination du gouverneur, pour
préciser exactement ses compétences en matière militaire ou
diplomatique.
Surtout, le gouverneur n’est pas seul. Il est flanqué de légats
qui sont en général des sénateurs (donc d’anciens magistrats)!
" ^ais a P^us haute autorité après lui est celle de son ou de ses
questeurs (deux en Sicile), susceptibles de recevoir en délégation
tout 1 imperium, mais en général chargés, surtout depuis la lex
V « impérialisme » romain 9X5

Julia de 59, de l’essentiel des responsabilités financières. Leur


comptabilité, indépendante de celle du proconsul, doit coïncider
avec elle. On ne sait exactement comment étaient nommés les
questeurs provinciaux : par tirage au sort, en principe. Mais on
constate beaucoup trop souvent des liens étroits, de famille ou de
clientèle, entre gouverneurs et questeurs pour que le sort ait tou¬
jours joué. Néanmoins, depuis 59 surtout, le questeur est à même
de contrôler assez étroitement la gestion de son supérieur.
Cependant il est bien évident qu’à part les légats et les ques¬
teurs, les autres personnels qui entourent un gouverneur sont
recrutés bien différemment : ce sont des « officiers », scribes, licteurs
et appariteurs, ou tout simplement des comités, des gens de l’entou¬
rage, souvent des amis, des affranchis dont certains peuvent même
figurer dans son consilium (Cic., 2 Verr., 2, 75)- Nous ignorons les
règles du recrutement des scribes et appariteurs, dans les provinces :
étaient-elles semblables à celles qui, depuis 81, s’appliquaient aux
scribes des questeurs, qui constituaient un ordo et devaient être tirés
au sort? Le choix des comités revenait au gouverneur; mais pour
les praefecti, il devait respecter certaines règles, et devait de toute
façon, s’il voulait qu’ils touchent un salaire ou des indemnités,
« donner leur nom » au Trésor — et le Sénat en fixe le nombre
par ce biais. Naturellement ces règles n’existaient pas pour l’entou¬
rage privé d’affranchis ou d’esclaves. Plus encore qu’à Rome, on ne
peut résister à l’impression que le personnel administratif au service
du gouverneur, à qui son petit nombre donne des pouvoirs consi¬
dérables, est en grande partie un personnel plus qu’à demi-privé,
qui n’a guère de comptes à rendre à l’Etat, ce qui augmente les
risques de corruption et d’abus. Sans doute le gouverneur
dispose-t-il au départ de fonds publics pour l’indemniser : le
décret du Sénat qui lui a assigné la province a précisé les moyens,
en hommes et en argent, sur lesquels il peut compter (ornatio
provinciae, Cic., Pis., 5; Phil., X, 26), parmi lesquels les indem¬
nités, frais de route, de nourriture (;viaticum, congiarium, solarium,
frumentum in cellam, etc.) qui permettent de vivre grassement et
même, si l’on est Cicéron, d’économiser (Cic., Fam., V, 20, 9,
2 millions de sesterces salvis lagibus). En fin de compte, ce personnel
valait ce que valait le patron, qui pouvait le contrôler étroitement
(ou l’avoir bien choisi, comme Mucius Scaevola en Asie), être
9i6 Rome et la conquête du monde méditerranéen

son complice, comme Verrès, ou son prisonnier comme, peut-être,


Quintus Cicéron.
En province, le gouverneur n’a en principe de compte à rendre
à personne, sauf indirectement. Il est même en pratique le maître
des questions financières, malgré la présence, hors de sa compé¬
tence, des sociétés de publicains. Publicains et promagistrats dépen¬
daient en réalité les uns des autres. L’édit du gouverneur, comme
on verra, précisait les voies de recours en matière fiscale. Lui-même
devait très souvent arbitrer des contestations. Il pouvait lui arriver
de prendre des initiatives financières. Il pouvait, à ses risques et
périls, s’opposer aux prétentions des publicains, comme Mucius
Scaevola, Gabinius ou même Cicéron : mais il devait alors se
souvenir qu’il risquait d’être jugé par eux à son retour à Rome.
Inversement, le gouverneur avait souvent besoin de leurs services,
et d’abord parce que dans leurs caisses locales transitaient tous
les fonds publics dont il devait les comptes, et que ce n’est guère
qu’à elles qu’il pouvait confier ses fonds privés. Leurs personnels
nombreux pouvaient étoffer ses services (par exemple leurs gardes
armées, custodiae, ou leurs courriers, tabellarii).
Mais en revanche, il a constamment des comptes à rendre
à Rome. Le Sénat et l’opinion attendent de lui des lettres régu¬
lières, mais on écoute aussi les nouvelles apportées par les tabel¬
larii des publicains ou même par des sources privées. Bien avant
sa sortie de charge officielle, le Sénat peut discuter sur son rappel
ou sa prorogation. Des discours comme le De prov. cons. montrent
comment ses activités peuvent être passées au crible (cf. aussi
2 Ven., 2, 95). C’est dans un premier temps au Sénat que chacun
trouve récompenses ou sanctions. Mais plus que tout pèse sur le
gouverneur depuis 149 et surtout 123 la menace du procès
criminel dont il risque toujours d’être la victime et qui, sous le
chef général d’extorsion, peut concerner n’importe quel domaine
de son administration (comme le montre la fameuse lettre de
Cicéron à Quintus, proconsul d’Asie, Q.. Fr., I, 1, si, comme on
l’a montré, elle est conçue pour répondre d’avance et point par
point aux stipulations de la lex Julia de 59) (Lallu [789]). Ces
contrôles réciproques, cependant, n’engendrent pas toujours
l’honnêteté : ils peuvent au contraire aboutir à une sorte de
surenchère dans la corruption.
Z,’ « impérialisme » romain 9J7

8) LE STATUT DES PROVINCES


ET LES RÈGLES ADMINISTRATIVES

De toute façon, le gouverneur n’était jamais totalement libre


de son action : il devait au moins tenir compte des décisions qui
avaient été prises par Rome depuis les origines mêmes de la pro¬
vince. Comme on a pu voir en détail ci-dessus, dans la plupart des
cas (statut de la Macédoine en 167, puis en 146, de l’Afrique en 146,
de l’Asie en 129, etc.) au moment où, les opérations militaires ter¬
minées, le pouvoir romain s’installe vraiment, le Sénat charge le
général vainqueur, le plus souvent avec l’aide et sous le contrôle
d’une commission sénatoriale décemvirale, de régler tout un
ensemble de questions : fixation des frontières, attribution des
territoires, garanties données aux alliés ou aux cités qu’on veut
récompenser, détermination de Vager publicus, règlements fis¬
caux, etc. On appelle abusivement (comme les Anciens eux-
mêmes le faisaient) ces textes lexprovinciae, mais l’expression n’est pas
officiellement attestée, et il ne s’agit en rien d’une « loi » romaine
(même pas de ce qu’on appelle une lex data) : ce sont en realite des
décisions (décréta, édicta) du promagistrat, prises sur l’ordre d un
sénatus-consulte et sur avis de la commission (par ex. T.-L.,
XLV, 17-18 : sénatus-consulte pour la Macédoine; 29 : décision
de Paul-Emile). Parallèlement, ou en d’autres circonstances, le
magistrat romain pouvait, à la demande ou non des intéressés,
intervenir dans les affaires intérieures des cités et leur « donner
des lois » (expression très vague qui peut recouvrir toutes sortes
de formes juridiques, arbitrages, octroi de règles constitution¬
nelles, de règles de procédure, etc., selon une habitude répandue
dans le monde hellénistique). Flamininus en Grèce en 194, Mum-
mius en Achaïe en 146, mais aussi Scipion ou Claudius Marcellus
en Sicile, Pompée en Bithynie en 65 prirent des décisions de ce
genre, que nous trouvons quelquefois mentionnées sous le nom de
lex, suivi du nom de leur auteur (lex Claudia en Sicile en 955
2 Verr., 122; Cornelia en 204, ibid., 123; lex Pompeia, Pline, Epist.,
X, 79; 80; etc.; cf. aussi la lex de Cornélius Lentulus pour Chypre
en 66, Cic., Fam., XIII, 48). Il pouvait arriver qu’on éprouve le
besoin, parfois, de réorganiser en profondeur une province, en
gi8 Rome et la conquête du monde méditerranéen

corrigeant sans les abolir les règlements antérieurs : c’est ce


qu’accomplit, avec l’aide d’une commission, P. Rupilius en 132
pour la Sicile, règlement que nous connaissons assez bien grâce
aux Verrines (L. D. Mellano [2611]). Les clauses que nous en
connaissons concernent presque exclusivement un domaine dans
lequel les statuts locaux des cités interféraient avec le règlement
général romain, à vrai dire le domaine essentiel de l’activité du
promagistrat, celui de la justice et de la procédure. Le gouverneur
romain, dans les provinces pacifiées, est essentiellement un juge
suprême, qui doit à la fois assurer le déroulement normal de la
justice pour les provinciaux dans les tribunaux ordinaires des
cités, et aussi connaître lui-même certaines causes, d’abord celles
qui concernent exclusivement des citoyens romains, ensuite, les
plus nombreuses et les plus délicates, celles qui opposent citoyens
romains et indigènes. La plupart de ces dernières concernent
d’ailleurs des règlements financiers, soit purement fiscaux (le
contentieux entre les contribuables et les publicains), soit privés
(dettes, crédit, etc.). Les instructions du promagistrat sont très
précises dans ce domaine, surtout depuis la lex Julia de 59 : il doit
se déplacer lui-même dans les régions de sa province, tenir réguliè¬
rement ses assises (conventus).

Cette tâche essentiellement judiciaire explique d’ailleurs l’importance d’un


document qui joue déjà un rôle considérable à l’époque républicaine, l’édit
provincial. On sait que le préteur urbain et pérégrin, et les édiles curules, à Rome,
devaient préciser au moment d’entrer en charge leurs intentions en ce qui
concerne les procédures qu’ils auraient à donner et à diriger, sous forme d’un
« édit » qui, s’il est emprunté pour une bonne part à leurs prédécesseurs, leur
réserve cependant une assez large initiative. De même, le promagistrat doit obli¬
gatoirement publier un texte du même genre. Nous connaissons, directement ou
non, un certain nombre d’édits provinciaux : celui de Verrès en Sicile en 73,
celui de Mucius Scaevola pour l’Asie en 97, celui de Bibulus en Syrie en 51 et
surtout celui de Cicéron en Cilicie en 51. Le texte ne traitait que de procédure,
mais par ce biais touchait les sujets essentiels de la fiscalité et des rapports finan¬
ciers. Pour la procédure civile, il pouvait s’inspirer largement des édits urbains
(c’est la part dite tralatice), et chaque édit prolongeait librement celui des prédé¬
cesseurs ou tel édit provincial justement célèbre. Que le gouverneur prenne à
cœur sa tâche ou non, le résultat est paradoxalement le même : des règles uni¬
formes de procédure formulaire, issues du droit romain, tendent à s’instaurer
dans les provinces, du moins pour un certain type de causes. Telle sera l’amorce
U « impérialisme » romain 919

du grand mouvement d’unification du droit privé qui aboutira, quelques siècles


plus tard, aux codifications impériales. Cette élaboration d’un droit honoraire
n’était d’ailleurs pas abandonnée seulement à l’initiative individuelle des proma¬
gistrats : le Sénat pouvait donner des sortes d’instructions générales, par exemple
pour« recommander» de suivre ou d’imiter tel édit (celui de Mucius Scaevola,
Val. Max., VIII, 15, 6). Il pouvait aussi voter des sénatus-consultes qui devaient
prévaloir sur l’édit, et même, sur plainte des provinciaux, donner son avis sur un
decretum (c’est-à-dire une formule ou un jugement) porté par un promagistrat
pendant l’exercice même de ses fonctions, comme il fit pour Verrès en 72 (2 Verr.,

2, 9°)-

En fin de compte, si l’on veut expliquer et non pas juger


l’Empire romain, c’est sans doute à la fois à ses débuts, et au
moment où son expansion s’arrête (à la fin du règne d’Auguste)
qu’il faut l’envisager. Si importants qu’aient été les élargissements
décisifs (par exemple la première guerre punique), c’est en Italie,
c’est dans le Latium qu’a commencé l’aventure paradoxale d’une
cité qui grandit toujours, qui n’accroche en fait son horizon ni a un
territoire ni à une ethnie, contrairement à toutes les autres. Il y a
dans cette capacité d’assimiler juridiquement des étrangers (et
des esclaves) un trait irréductible aux normes grecques. Non que
son organisation politique, modérément timocratique, soit telle¬
ment remarquable. Peut-être est-on cependant en droit de se
demander si le fait qu’elle a toujours eu une double organisation,
pour ainsi dire verticale et horizontale (dont la présence aberrante
de deux assemblées, centuriate et tribute, est un des aspects, non
le seul), n’explique pas en partie cette capacité à grandir sans
éclater. Cité double : des Latins et des Sabins, sans parler des
Etrusques, de Y imperium des consuls et de la potestas des tribuns, de
la « majesté du peuple romain » et des iura locaux des municipes,
qui a permis à un nombre d’hommes aberrant de coexister sans
trop de heurts jusque vers 133. Si Rome a pu devenir l’Italie,
pourquoi le processus ne se serait-il pas, de proche en proche,
étendu au reste du monde? Si Rome a conquis le monde, c est
d’abord qu’elle en a eu les moyens, en hommes et en argent, donc
que le monde les lui a peu à peu fournis. Et 1 on pressent des lors
que la grande question sera : pourquoi 1 arrêt inavoué (parce
920 Rome et la conquête du monde méditerranéen

qu’inavouable?) sous Auguste? pourquoi les instructions de Tibère


à Germanicus, dans le même temps qu’on affiche la certitude
(fausse) d’avoir atteint les limites du monde? La réponse la plus
obvie est qu’en effet des limites étaient vraiment atteintes : phy¬
siques, humaines et financières. On l’a vu pour le passage du
Nord-Est; pour les Parthes, il faut regarder une carte moderne :
les points de contacts, sur le haut Euphrate, sont en réalité très
limités, il n’y a de frontière commune qu’au nord, incertaine, dans
les montagnes d’Arménie : mais entre la Syrie et le bas Euphrate
s’étend une immensité désertique. Il est clair que l’Empire, en 6
apr. J.-C., ne pouvait entretenir, financièrement, plus de légions
qu’il n’en avait, et que celles-là n’avaient face aux barbares du Nord
que des possibilités défensives. Limites mentales, aussi : l’achè¬
vement spatial est également un achèvement temporel. La paix
intérieure est un renouveau, après un demi-siècle de guerres où
tout a failli périr. Il fallait essayer d’arrêter le temps, comme le
disent diversement Horace et Virgile. Les contemporains des
guerres civiles avaient bien vu que c’étaient l’empire et les grands
commandements qui avaient fait la monarchie. Désormais, le
Prince refonde un ordre nouveau qui est un ordre cosmique,
Auguste a failli s’appeler Romulus et l’Empire est en passe de
devenir une seule cité. Qu’il mette deux siècles à devenir vraiment,
avec la constitutio antoniniana, une cosmopolis, c’est peu de temps
en vérité, a peine plus que n en avait mis Rome à déboucher
du Latium.
Les hommes européens rêveront pendant tout le Moyen Age et
les Temps Modernes de cet empire qui n’en finit pas de mourir.
Chacun le glosera à sa manière : en historiens, on a tenté ici de
donner, aussi abondantes que possibles, les pièces d’un dossier
toujours ouvert.
INDEX GÉNÉRAL
DES TOMES 1 ET 2

ACHAÏE, 841. C. Antonius, 823, 829.


ACHÉENS, 740, 743, 749, 751, 762, L. Antonius, 297, 450.
768, 769. M. Antonius (pr. 102), 780.
Aelius Aristide, 904. M. Antonius Creticus (pr. 74), 813.
M. Aemilius Sgaurus, 155, 221. APAMÉE, 746, 860.
affranchi, 216, 218-223, 304, 336. APHRODISIAS, 251, 839.
affranchissement, 208, 210. Apocalypse, 880-882.
L. Afranius, 322. Appien, 122, 123, 126, 127, 132, 135,
AFRIQUE, 84, 136, 184. 295, 296, 410, 411, 547, 731, 791.
Agatharcide de Cnide, 906. L. Appuleius Saturninus, 136.
Agathocle, 647. APULIE, 145.
ager arcifinalis, 122. aqueduc, 152, 153.
ager publicus, 119, 120, 246, 291, 629. M. AquiLLius, 775.
ager quaestorius, 120. Archélaos, 795, 796, 842.
ALÉSIA, 302, 724. AREZZO (Arretium), 217, 616.
Alexandre Jannée, 852, 853, 855, argentarius, 174 (voir aussi banquier).
857- ARGOS, 447.
ALEXANDRIE, 87, 160, 182, 862, Arioviste, 719, 893.
864. Aristée, 862, 863.
alliés, 247, 280, 303, 311, 325, 326, Aristobule, 852, 853.
375) 432, 616, 621. aristocratie, 390, 641, 877, 878, 902.
ALLOBROGES, 691. Aristonicos, 775, 776, 903.
AMBRAGIE, 900. Aristote, 207, 208, 547, 562 à 564,
Amilcar Barca, 552, 566, 610 à 612, 581, 596-
661. pseudo-Aristote, 92.
AMPURIAS, 661, 669, 685. ARLES, 684.
Amyntas, 842. ARMÉNIE, 810.
Andriscos, 767-768. arpenteurs (agrimensores), 97, 122, 125.
Annales de Tyr, 571. ARPINUM, 141, 232, 349.
Antiochos III, 744, 849, 855. arsenal, 149.
Antiochos IV, 764. ARVERNES, 688, 702, 703, 710, 712.
Antiochos XIII, 814. as, 166, 254, 343.
Antoine (M. Antonius, le triumvir), Asdrubal, 551, 611, 612, 661.
259, 842. Ashtart, 588.
922 Rome et la conquête du monde méditerranéen

ASIE, 250, 266, 802, 803, 817, 865. blé, 87, 103, 104, 170, 183, 205, 243 à
ASIE MINEURE, 797. 245, 249, 257, 258, 595, 597, 611,
Asmonéens, 852, 873. 629, 638, 652, 714, 786.
Assemblées (à Carthage), 575,576-584. G. Blossius de Cumes, 776.
C. Ateius Capito, 358. Bocchus I, 634, 646, 649.
ATHÈNES, 261, 334, 736, 744, 783, Bocchus II, 643, 650.
785-786, 795, 799, 801, 903. Bogud, 650.
Athénion, 225, 795, 802. BOÏENS, 707.
Athénodoros, 812. bois, 144.
Atilii, 608. BRETAGNE, 721.
Attale II, 736. brigue électorale, 352.
Attale III, 774, 896. BRINDES, 343, 608, 732.
Atticus (T. Pomponius Atticus), 429, BRUTTIENS, 124.
825, 826. BRUTTIUM, 98, 125, 284.
ATTIQUE, 84. Brutus (M. Junius Brutus), 251, 259,
auctoritas patrum, 381. 825, 835.
Auguste (C. Ogtavius, devenu C. Ju¬ budget, 241.
lius Caesar, l’empereur), 142, 236, BULLA REGIA, 635.
312, 361, 421, 673, 890 (voir aussi Burebista, 719.
Octave). butin, 327, 781.
Aulu-Gelle, 235, 395, 397, 896. BYBLOS, 571.
auspices, 395. BYRSA, 555, 559, 560.
auxilium, 398, 399, 408.
AVARICUM, 724. Q,. Caecilius, 174.
C. Avianius Flaccus, 203. G. Caecilius Isidorus, 114, 211.
L. Caecilius Jucondus, 173.
Ba'al, 570, 588. Callicratès, 751, 752, 763.
Ba'al Hammôn, 548, 559, 587, 588, L. Calpurnius Bestla, 631.
590. CAMPANIE, 98, 99, 122, 125, 150.
BABYLONIE, 866. CAMPANIENS, 608.
Q.. Baebius, 892, 896. CANNES, 621.
BALÉARES, 596. CAPOUANS, 619.
BANASA, 654. CAPOUE, 87, 141, 275, 276, 282 à
banque, 171. 284, 616 à 618, 904.
banque publique, 175, 255. Carnéade, 861, 805, qoq.
banquier, 94, 169, 183 (voir aussi CARNUTES, 703.
argentarius). CARRHAE, 308, 316, 833.
barbares, 658. CARTÉIA, 672.
barbarie, 888. CARTHAGE, 84, 134, 181, 273, 545-
Barca, 553. 593> 624, 630, 642, 644, 661, 892.
Barcides, 566, 567. CARTHAGÈNE (CARTHAGO-
BAZA, 659. NOVA), 163, 217, 567, 596, 601,
BELGES, 704. 602, 666.
BÉZIERS, 680. C. Cassius Longinus, 835, 837, 840.
Bible, 861. Sp. Cassius, 412.
BITHYNIE, 266, 748, 791, 815. Catilina (L. Sergius), 138, 218, 227,
BITURIGES, 703. 297, 442 à 444, 448, 691.
Index général des tomes i et 2 923

Caton (M. Porcius Cato, dit l’An¬ CIMBRES, 657, 690, 709.
cien ou le Censeur), 96, 102, 104, Cinna (L. Cornélius), 296, 441.
109, 118, 130, 143, 149, 160, 216, cippes gracchiens, 126, 132, 292.
263, 623, 758, 764, 888, 896. CIRTA, 548, 631, 653.
Caton (M. Porcius Cato, dit le Jeune CISALPINE (GAULE), 146.
ou d’Utique), 242, 386, 433, 439, cistophore, 260, 788.
830. cité (en GAULE), 706-7/5.
CAUNOS, 821. citoyens romains, 274.
cavalerie, 316, 317, 722. civitas, 274, 292, 334, 706 (voir aussi
CELTES, 657, 682. droit de cité),
Celtillos, 702, 724. classes sociales, 185.
cens, 79, 128, 132, 190, 191, 284, 296, classis, 190 à 192, 305, 313, 316,
3°4, 3io, 759, 762, 772. 351-
cens équestre, 259, 268. Ap. Claudius Pulcher (censeur, 169),
cens sénatorial, 365. 221.
censeur, 121, 122, 153, 154, 193, 221, Ap. Claudius Pulcher (cos. 143), 132,
241, 242, 266, 272, 344, 362, 367, 133-
820. Cléopâtre, 843, 873.
census, 88-89, !9L 365. clientèle, 230, 232, 234, 433, 659,
centurie, 193, 304, 342, 343. 712.
centurion, 318, 328. Cloatii, 203, 813.
César (C. Julius, le Dictateur), 139, P. Clodius, 218, 219, 221, 227, 245,
140, 154, 155, 233, 251, 259, 297, 258, 411, 425, 445, 830, 832.
302, 324, 331, 360, 372, 416, 426, Cluvii, 183.
639> 640, 673, 696, 700, 706, 719, codex, 172.
723> 725> 830, 834, 837, 841, 842, cohorte, 314.
867, 889, 908. COLCHIDE, 814.
Chaeremon de Nysa, 792, 839, 903. collèges (professionnels), 95, 178, 183,
CHAMP DE MARS, 347. 239, 444, 445.
Charops, 447. collégialité, 399.
chars gaulois, 158, 715. colonie, 134, 278, 672, 674, 697.
chevalier, 225, 328, 351, 360, 363, colonie latine, 277 à 279, 283.
366, 427, 442, 445 (voir aussi eques colonie romaine, 275, 630, 845.
et ordre équestre), colonus, 114, 187.
chirographe, 172. COLUMELLE, 96, 97, 112, 216.

Chrysogonus, 429. comices centuriates, 341.


CHYPRE, 566, 808, 830, 841. comices curia tes, 341.
Cicéron (M. Tullius Cicero), 109, comices tributes, 344.
117, i5°> !78, 218, 222, 233 à 235, comitia, 339.
267, 279, 333, 339, 342, 343, 349, COMMAGÈNE, 811.
353, 357, 359, 367, 382, 383, 388, commendatio, 234.
39L 396, 398, 418, 436, 445, 687, commerce, 143-184, 177, 178.
817, 818, 822 à 824, 829, 840, 866, commission sénatoriale, 375.
commission (à CARTHAGE), 579.
909.

Cicéron (Q_. Tullius Cicero), 222, concorde des ordres, 446.


251, 267, 818. confiscation, 124.
CILICIE, 780, 797, 807, 808,815,841. conjuration, 441, 442.
924 Rome et la conquête du monde méditerranéen

consensus, 446, 448, 449. dictature, 406, 413, 414.


Q,. Considius, 174, 203, 443. T. Didius, 773.
constitution mixte, 418. dignitas, 189.
construction, 150. dilectus, 305, 306.
consulat, 425. dîme, 248, 251, 778, 817, 818.
CORDUBA, 672. Diodore de Sicile, 85, 148, 216,
CORFINIUM, 293. 29 L 293, 390, 450.
CORINTHE, 181, 744, 770. Diodoros Pasparos, 828.
CORNELII BALBI, 673. Diogène, 895.
C. Cornélius, 41 i, 444. Dion Cassius, 331, 366.
L. Cornélius Balbus, 429. Dion de Pruse, 904.
cothon, 550, 557. discessio, 387, 388.
Crassus (M. Licinius Crassus, le dominium, 229.
triumvir), no, 148, 151, 258, dominus, 187.
297, 308, 416, 832, 833, 873, 889, Cn. Domitius Ahenobarbus, 689-
908. ! 690.
P. Crassus Mucianus, i i o. L. Domitius Ahenobarbus, iio, 113,
crédit, 94. 114, 211, 219.
CRÈTE, 813. drainage, 99.
Critognatus, 889. droit de cité, 78, 909 (voir aussi
Critolaos, 770, 895, 903. civitas).
CROTONE, 616. droit latin, 277-280, 696 (voir aussi
cuir, 144. LATIN et LATIUM),
curia, 385. druides, 718, 723, 724.
Curion (C. Scribonius Curio), 155, DYMÈ, 772, 785, 903.
387, 639.
CYRÈNE, 774, 810, 831, 849. ÈBRE, 614, 662, 663.
EBUSUS, 670.
Daniel, 854. édilité, 423.
DARDANOS, 799. édit, 400, 916, 918.
Decidius Saxa, 673. ÉDUENS, 703.
Decius Magius, 616. égalité géométrique, 191,-230, 235.
Dejotaros, 815, 836. ÉGYPTE, 85, 184, 262, 830, 832,
DÉLOS, 181 à 183, 209, 211, 213, 843, 855.
223, 225, 652, 764, 783, 795, 811, ELBE (île d’), 147, 148.
820, 821, goi. ELCHE, 658, 659.
DELPHES, 800. élections, 352, 401, 423.
Démétrios de Phalère, 863, 884. éléphant, 601, 747.
Démétrios de Pharos, 618, 734. élevage, 106, 107, 714.
démocratie, 390, 617, 802. elogium de Polla, 133.
démographie, 75-90, 127, 705. émigration, 87-88, 671.
dèmosiônai, 261. emporium, 549.
denier, 167, 254. ENSÉRUNE, 680, 687.
Denys d’Halicarnasse, 82, 24.2. ENTREMONT, 681, 687, 717.
dettes, 799. épée, 316.
diaspora, 850, 854, 866, 872. ÉPHÈSE, 778, 799.
dictateur, 363, 404. EPIRE, 762.
Index général des tomes i et 2 925

ÉPIROTE, 209. foenerator, 174.


eques (eques Romanus), 109, 128, 141, C. Fonteius, 691.
193, 197 à 200, 268, 284 (voir aussi : forêt, 98, 703.
chevalier et ordre équestre), formula togatorum, 280, 284, 311.
esclave, 80, 113, 205, 207, 304, 445, FRÉGELLES, 286, 288.
776> 799) 805, 809. M. Fulvius Flaccus, 132, 288, 409,
Eshmoun, 559, 588. 630, 689.
ESPAGNE, 146, 148, 184, 550, 596, Furius Cresimus, 219.
621, 885. M. Furius Flaccus, 203.
ESSÉNIENS, 868, 870, 871.
Etat, 18^, 189, 239. A. Gabinius, 267, 407, 411, 444, 821,
ÉTOLIE, 735, 749, 750. 829, 830, 872.
ÉTOLIENS, 733, 736, 741, 746. GADÈS, 572, 666, 669, 891.
ÉTRURIE, 99, 291. GALATES, 748, 815.
ÉTRUSQUE, 271, 636, 887. GALLO-GRECS, 887.
Eucratès, 806. garum, 669.
Eudoxe de Cyziçrje, 163. GAULES, 85, 614, 700-726, 889,
Eumène, 746, 748, 755, 894. 909.
Eunous, 225. GAULOIS, 158.
EUPHRATE, 833. GAZA, 852.
Eupolémos, 861. Genthius, 756.
expédients financiers, 255. GERGOVIE, 724.
expensilatio, 172. GERMAINS, 704, 902.
GÈTES, 902.
Fabius Buteo, 366. GÉTULES, 646.
Q. Fabius Maximus (cos. 121), 689. gladiateur, 214, 215, 226, 444.
Q. Fabius Maximus Verrucosus, GLANON, 684, 693, 697.
343- gouverneur, 822, 825, 914, 916.
Q. Fabius Maximus (dit le Cuncta- C. Gracchus (C. Sempronius Grac-
tor, dictateur, 217), 413. chus), 117, 132, 155, 232, 240,
Fabius Pictor, 75, 605. 247, 250, 258, 263, 330, 353, 360,
factio, 434, 446. 363, 384, 390, 407, 414, 426, 630,
famine, 103. 767) 779-
C. Fannius, 289. Ti. Gracchus (Ti. Sempronius Grac¬
fermier, 118. chus), 117, 127, 129, 221, 286, 288,

fides, 220, 891. 401, 409, 414, 767, 774.


Fid.es, 907. GRANDE-GRÈCE, 340.
Flaccus (C. Valerius Flaccus, pro¬ GRÈCE, 824.
consul d’ASIE, 59), 823, 866. GRECS, 271.
Flamininus (T. Quinctius Flamininus, guerre civile, 258, 331, 441, 829.
libérateur de la GRÈCE), 74°~ GYTHION, 813.

744-
C. Flaminius, 371. HADRUMÈTE, 549, 597, 629.
Flavius Josèphe, 317, 571, 858, 868, Hannibal, 212, 273, 279, 282, 301,

875, 876. 3”) 55L 553) 566) 567, 575) 582>


L. Flavius, 139. 592, 598, 602, 612-622, 662, 663,
flotte, 721. 735-
926 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Hannon, 551. kalalogè, 805.


HELVÈTES, 707, 720, 902. KERKOUANE, 549, 561.
HÉRAGLÉE DU LATMOS, 891. kittim, 846, 847.
C. Herennius, 231. koinon d’Asie, 828.
Hérode, 842, 872, 873.
Hiempsal II, 637, 650, 652. Q. Labienus, 838.
Hiéron II, 159. T. Labienus, 322.
Hiéronymos, 618, 619. G. Laelius, 130.
homo novus, 366. laine, 144, 145.
C. Hostilius Mancinus, 337. LAMPSAQUE, 685, 744.
hostis, 890. LARISSA, 905.
humilis, 188. latifondium, 108.
Hybréas, 838, 83g.
LATIN, 277, 279, 282, 432, 616,
Hyrcan II, 858. 887.
LATIUM, 77, 98, 99, 277.
IBÈRES, 658. LAURION, 147.
IBIZA, 550. lectio, 362.
ILLYRIE, 732 à 734, 756, 758. légat, 320, 741.
imperium, 394, 840, 883. Lépide (M. Aemilius Lepidus, le

inscriptions puniques, 548. triumvir), 644, 673.


inslitor, 215, 218. lex Appuleia, 136, 635.
interrex, 369. lex Aurélia, 427.
ISAURIE, 808. lex Calpumia, 295.
ITALICA, 672, 673. lex Cassia, 348.
ITALIE, 2po-2gg, 887. ; lex Claudia (218), 365, 595.
ITALIQUES, 271. lex Clodia (sur la censure), 369.
ITURÉE, 852. | lex Clodia annonaria, 223.
; lex Coelia, 348.
lex Cornelia de magistratibus, 396, 407,
Jason de Cyrène, 855. 912.
Jean Hyrcan, 852, 860.
lex Cornelia de sicariis, 224.
JÉRUSALEM, 849, 857, 860, 880. lex Cornelia de XX quaestoribus, 406.
Jonathan, 860.
lex Flaminia, 129.
Juba, 637, 639.
lex Gabinia (67), 416, 812.
Juba II, 651.
lex Gabinia (sur les séances du Sénat),
judaïsme, 852, 856.
375-
Judas Maccabée, 853, 859.
le x Gabinia-Calpunna (58), 341, 383.
JUDÉE, 849.
lex Gabinia tabellaria, 348.
judicature, 426.
lex Julia (90), 294, 335, 336.
juges, igg, 244, 360, 584 (voir aussi lex Julia de publicanis, 341.
tribunal).
lex Julia repetundarum, 242.
juges équestres, 372. lex Licinia (367), 129.
juges d’Israël, 570.
lex Licinia-Mucia, 289, 290.
Jugurtha, 631-634, C48, 893.
lex Mamilia Roscia Peducaea Alliena Fa-
JUIFS, 213, 225, 793, 816, 846, bia, 140.
906.
lex Manilia (sur les affranchis),
jus fetiale, 890. 221.
Index général des tomes i et 2 927

lex Manilia (sur les pouvoirs de Pom¬ Lucilius, 779.


pée), 407, 814. LUCQUES, 417.
lex Oppia, 433. Luern, 702, 712.
lex Papiria, 348.
lex Plautia, 428. Maccabées, 846, 851.
lex Plautia-Papiria, 295. MACÉDOINE, 84, 146, 307, 731,
lex Pompeia, 913. 735 à 738, 752, 753, 758 à 761,
lex provinciae, 917. 77L 824, 881, 892, 902.
lex Quinctia, 341. Sp. Maelius, 412.
lex Rupilia, 249. MAGNÉSIE DU SIPYLE, 746.
lex Sempronia agraria (133), 130. Magon (l’agronome), 97, 282, 594,
lex Sempronia frumentaria, 103, 245. 628, 862.
lex Sempronia de provinciis, 407, 803, 830, Magonides, 552.

913- majestas, 750, 891.


lex Sempronia de vectigalibus, 263. MAKTAR, 573, 599.
lex Thoria, 135, 630. MALACA, 349, 352.
lex Trebonia, 408. MALTE, 548, 550, 596.
lex Valeria, 415. MAMERTINS, 602, 606, 609, 887.
lex Vatinia, 408, 417. Mamurra, 317.
lex Villia annalis, 368, 405. manceps, 264.
Liber coloniarum, 125, 137, 141. C. Manilius, 411.
C. Licinius Crassus (trib. 145), 130. manipule, 313, 314.
M. Licinius Crassus, le triumvir (voir Manlius Capitolinus, 412.
Crassus) . Cn. Manlius Vulso, 246, 748.
P. Licinius Crassus Dives Mucia- MARI, 570.
nus, 132, 775. Marius Gratidianus, 169.
L. Licinius Lucullus, 252, 267, 804, C. Marius, 136, 231, 297, 305, 307,
811, 814, 819. ',
3 5 33°> 336. 348) 44b 634, 636,
L. Licinius Murena, 322, 807. 690.
licitatio, 266. T. Marius, 329.
LIGURES, 686. MARSEILLE (MASSALIA), 118,
LINGONS, 703. 163, 663, 679, 680, 682, 683-685,
M. Livius Drusus (trib. 91), 137, 290, 689, 693, 696, 901.
36°> 363, 450- MARSES, 292.
M. Livius Drusus (trib. 123), 134, MASADA, 855.
289, 438. MASAESYLES, 645.
Livres sibyllins, 865, 907. Massinissa, 183, 184, 599, 623, 628,
LIXUS, 549, 654. 646, 647, 649, 651.
locatio, 266, 779. Massiva, 632.
LOCRES, 616, 907. MASSYLES, 645.
locuples, 188. C. Matius, 429.
loi agraire (de m), 135. MAURES, 645.
loi frumentaire, 103. MAURÉTANIE, 649.
lois annales, 405. Médeios, 795.
lois clodiennes, 408. mediolanum, 713.
LUCANIE, 125, 284. MÉGARA, 558.
LUGANIEN, 308, 616. Mélinno, 907.
928 Rome et la conquête du monde méditerranéen

Melqart-Héraclès, 567, 588. nobilitas, 190, 195 à 197, 442.


C. Memmius, 901. NOLA, 282.
mercator, 187. noms puniques, 550.
mercenaire, 303, 325, 600, 601, 609, NOVUM COMUM, 336.
621, 659, 661. NUCÉRIE, 282.
mercuriale, 94. NUMANCE, 302, 664.
MESSÈNE, 736, 785. NUMIDES, 646.
MESSINE, 602, 607. nummulaire, 168.
métallurgie, 146.
métayage, 113, 118.
obsequium, 219.
Métrodore de Skepsis, 884.
occupatio, 122, 124, 128.
Micipsa, 599, 631, 649.
Octave (C. Octavius), 142, 426, 450
mines, 146, 216, 263, 265, 667, 753,
(voir aussi Auguste).
760, 818, 902.
C. Octavius (trib. 133), 409.
MINTURNES, 217.
oligarchie, 711, 002.
Mithridate, 252, 789-810, 865, 903,
OMBRIE, 291.
9°5- C. Opimius, 288.
Mithridate de Pergame, 838.
oppidum, 681, 709.
molk, 58g.
optimates, 434, 435, 632.
monnaie, 165, 238, 254, 293, 567,
or des Juifs, 821, 866.
601, 602, 652, 662, 668, 669, 715,
ordres (orUnes), 189, 190, 193, 194,
768, 792, 795, 800, 826, 855.
monnaie athénienne, 785. 198, 201, 220, 230, 268, 364.
MONTPELLIER, 680. ordre équestre, 194, 222, 329, 899 (voir
MORGANTINA, 167. aussi chevalier et eques).
MOTYÉ, 550, 859. ordre sénatorial, 194, 329 (voir aussi
Sénat et sénateur).
Q,. Mucius Scaevola, 252, 267, 793,
ornamenta, 272, 402.
797. 820, 919.
L. Mummius, 770. OUGARIT, 570.
outil, 100.
MUNDA, 665, 675.
municipium, 275.
MYLASA, 838, 83g. pactio, 267, 821.
MYTILÈNE, 802. Pacuvius Calavius, 616.
PAESTUM, 87, 271.
Nabis, 742, 743, 750, 902.
Cn. Naevius, 605.
Pagw , 597, 707.
pain, 104.
NAPLES, 87, 161. PALMA, 672, 673.
NARBONNE (NARBO MARTIUS), G. Papius Mutilus, 293.
690. PARTHES, 833, 838, 873, 884, 885,
navigation, 158, 671.
890, 905, 909-
negotiator, 94, 169, 180 à 182, 187, parti, 434.
202, 223, 292, 609, 631, 642, 783, pastio villatica, 101.
809, 837.
patricien, 195-197, 219, 340, 369.
NERVIENS, 708. patron, 234.
nexum, 215.
Paul-Emile (L. Aemilius Paullus),
Nicomède II DE Bithynie, 652. 168, 256, 327.
Nicomêde IV, 791, 809, Pausanias, 772.
Index général des tomes i et 2 929

pedarii, 370. POMPÉI, 87, 98, 138.


PÉLOPONNÈSE, 84. PONT, 789.
PERGAME, 738, 774, 775, 828. Pontifex Maximus, 395.
permutatio, 175, 243, 265, 821. Pontius Telesinus, 293.
Persée, 754, 755, 893. popularis, 434 à 436, 632.
Petreius, 322. POPULONIA, 147, 148.
peuple, 332-356, 896, 897. populus, 332 à 335.
Pharisiens, 868, 869, 879. port, 158, 161, 556.
Pharnace, 837, 838. portorium, 214, 818, 820, 824, 900.
PHARSALE, 834. Posidonius (Poseidonios, Posidonios),
Philinos d’Agrigente, 605, 606. 636, 668, 679, 711, 730, 888.
Philippe V, 220, 592, 618, 735, 738, possessio, 123, 130, 131.
905. possessor, 126.
PHILIPPES, 312, 835. Sp. Postumius Albinus, 632.
Philopœmen, 740, 750, 752. potestas, 394-396.
PHŒNICÈ, 736. POUZZOLES, 148, 160 à 162, 203,
pirates, 163, 685, 733, 764, 780, 785, 621.
805, 808, 811 à 813. préfet, 319, 320, 329.
Pison (L. Calpurnius Piso, cos. 58), prérogative, 351.
217, 824 prêt à la grosse, 177.
Cn. Plancius, 433. Princeps Senatus, 370, 387.
Platon, 349. principat, 418.
plèbe, 202, 206, 230. prix, 170, 205, 245.
plébiscite, 334, 383. prohibitio, 398, 399, 408.
plébiscite atinien, 367. « prolétariat », 204, 206.
plebs, 205, 332 à 334, 762. proletarius, 80, 191, 192, 304, 310.
Pline (PAncien), 105, 146 à 148,
prorogation, 406.
157, 216, 297. proscription, 447, 448.
Plutarque, 123, 127, 155, 79 L province, 241, 686, 766 à 768, 829,
819.
9°8, 9I0> 911. 90-
PoLÉMON, 842.
PROVINCE D’ASIE, 777.
politarque, 759.
provocatio, 408-409, 914.
POLLA, 133.
Prusias, 748, 893.
POLLENTIA, 672, 673.
Ptolémée Physcon, 774.
Polybe, 75, 81, 301, 313, 326, 339,
publicain, 149, 153, 176, 180, 201,
357. 374) 547. 564. 581, 598, 604, 214, 243, 251, 252, 260-269, 427,
614, 668, 686, 729, 850, 884, 885,
429. 433. 779. 780, 803, 809, 818 à
888, 891, 900, 903.
820, 828, 836, 899, 901.
pomœrium, 347.
Q_. Pompaedius Silo, 293.
PYDNA, 311, 314, 757-
Pyrrhus, 300, 606, 607.
Pompée (Cn. Pompeius Magnus), 154,
Pythéas, 683.
155. 233. 247. 257. 258, 376, 416, Pythodoros de Tralles, 836, 845.
417, 637, 665, 692, 811, 812, 814,
816, 829, 834, 858, 880, 890, 897,
908, 917. QART HADASHT, 566
Sextus Pompée (Sextus Pompeius), quaestiones, 378 (voir aussi juges et

259. 665.
tribunal).
93° Rome et la conquête du monde méditerranéen

questeur, 242, 915. SCORDISQUES, 773.


QUMRÂN, 870, 876. scribe, 202, 242, 243, 402, 915.
scribe (d’Israël), 879.
G. Rabirius Postumus, 832. scriptura, 121, 246.
racisme, 794, 889. Sénat, 199, 222, 242, 287, 306, 322,
redemptor, 264. 328, 357-392, 575 à 578, 665, 710,
Régulus (M. Atilius Regulus), 595. 765, 7^7) 894.
RHEGIUM, 607. sénateur, 110, 141, 200, 259, 268,
RHODES, 164, 181, 182, 184, 652, 32i, 359, 442, 827.
738, 744, 748, 783, 786, 792, 794, sénatus-consulte, 382, 388.
805, 821, 836, 901. Senatus consultwn ultimum, 220, 284..
RHODIENS, 130, 757, 764, 823, 896, 391, 410, 414, 443.
900. SENONS, 707.
rogatio Servilia, 13g. Septante (les), 862, 863.
rois (à CARTHAGE), 565-567. SÉQUANES, 703.
ROME (agglomération), 87, 151. C. Sertorius, 441, 637, 664, 673,
Q.. Roscius, 109. 808.
route, 152 à 154, 157, 671. Q.. Servilius Caepio, 410, 690.
royauté (à ROME), 412, 710. P. Servilius Isauricus, 841.
P. Rupilius, 247, 918. P. Servilius Vatia Isauricus, 807.
P. Rutilius Rufus, 267, 269, 793. sesterce, 168.
T. Sextius, 643, 644.
SABINE, 99, 276. Sibylle, 848 (voir aussi Livres si¬
sacramentum, 309, 449. byllins) .
sacrifice humain, 589. Sicaires, 874.
SADDUGÉENS, 868, 869. SICILE, 145, 184, 224, 249, 250,
Saepta, 350. 550, 608, 609, 918.
SAGONTE, 613, 662, 663. SIDON, 571.
SAINT - BERTRAND - DE - COM- SILA (forêt de la), 121.
MINGES, 696. Silenos de Calèaktè, 605.
salaire, 205, 243, 326. Simon Maccabée, 852, 886.
SALAMINE DE CHYPRE, 825. P. Sittius, 641.
SALAMMBÔ, 589. societas, 149, 175, 176, 250, 264.
123, 420, 633, 641, 005.
Salluste, solde, 244, 286, 326.
SAMARIE, 852. Sosus, 650.
SAMNITE, 124, 286, 292. Sosylos, 605.
SAMNIUM, 99, 125. Spartacus, 226.
SAMOS, 223 orniviL., 730, 742, 752.
Sanhédrin 871, 874.
SPARTIATES, 859.
SARDAIGNE, 184, 596, 611. stipendium, 248.
Saserna (les deux agronomes), 96. Strabon, 148, 213, 597, 668, 684,
Scipion Emilien (P. Cornélius Scipio
693, 699, 784, 815, 816, 849, 888,
Aemilianus Africanus Minor), 288, 890, 904.
405, 414, 433, 831, 908.
SUCRO (le), 330.
Scipion l’Africain (P. Cornélius Sci¬
suffètes, 565, 567-576, 598, 654.
pio Africanus Major), 413, 621, suffragium, 348.
622, 663.
P. Sulpicius Rufus, 221, 296.
Index général des tomes i et 2 93i

Ser. Sulpicius Rufus, 221. TIVISA, 659.


Sylla (L. Cornélius Sulla, le Dic¬ tonneau, 715.
tateur), 137, 221, 252, 294, 296, 310, tophet, 559, 592.
328, 360, 368, 371, 372, 381, 391, TOULOUSE, 680.
396, 406, 407, 410, 414, 415, 426, traité, 280, 616, 617, 683, 736, 750,
44L 442, 447, 634. 637, 798 à 800, 860, 891.
802, 805, 819, 912. traité de commerce, 900.

symbola, 595. TRALLES, 793, 820.


syngraphè, 172. travaux publics, 150, 244, 260.
Syphax, 646, 647. C. Trebatius Testa, 320, 329.
SYRACUSE, 87, 262, 609, 619. Cn. Tremellius Scrofa, 97, 104.

SYRIE, 766, 814, 821. tribu, 210, 308, 336, 340, 343, 351,
352, 422.
tribun de la plèbe, 307, 408-412.
tabella, 348. tribun militaire, 319, 320, 329.
tabernarius, 204. tribunal, 268, 378, 827 (voir aussi
table d’Héraclée, 365. juges).
Tabula Hebana, 343. tribuni aerarii, 262.
Tacite, 906. tributum, 240, 245, 246, 248, 254, 256,
TAMUDA, 654. 286.
TANAÏS, 890. tributum simplex, 254.
Tanit, 548, 559, 587, 588. trientabula, 120.
TARENTE, 87, 134, 161, 616. trinundinum, 346.
TARENTINS, 125. triomphe, 377, 898.
tarifs sacrificiels, 580, 585. TRIPOLITAINE, 549.
TARRACO, 666. triumvirat (premier), 416.
TARSE, 836. triumvirat constituant, 448.
telônai, 261. triumvirat monétaire, 425.
M. Terentius Varro, 371. Trogue-Pompée, 679, 695, 860, 884,
testaments des rois (en faveur de 905.
Rome), 774, 809, 831. TYR, 571, 572, 595.
Teuta, 732.
TEUTONS, 690, 709. URSO, 674.
textile, 144. UTIQUE, 628, 629, 638, 640.
THASOS, 786. UXELLODUNUM, 725.
Théophane de Mytilène, 429, 815,
828. C. Valerius Caburus, 695.
THRACE, 810. Varron (M. Terentius Varro, l’éru¬

THUBURNICA, 635. dit), 96, 97, 102, 109, m, 112, 216,


THUGGA, 573, 583- 3°2, 349, 397-
THYRREION, 606. vectigal, 122, 123, 135, 246, 262.
TIBRE, 158. Végoia, 137, 291.

Tigrane, 811, 814. C. Velleius Paterculus, 905.


Timagène d’Alexandrie, 884. VÉNÈTES, 704, 715.
Tite-Live, 117, 123, 143, 301, 312, P. Ventidius Bassus, 158.
342, 367, 582, 682, 730, 755, 885. Vercingétorix, 724.

titre (titulature), 189. C. Verrès, 250, 267, 807, 906.


932 Rome et la conquête du monde méditerranéen

C. Vestorius, 203. Viriathe, 664.


vétéran, 141, 327, 331, 635, 674, 697. VlTRUVE, 152, 317.
T. Vettius, 225. VOLUBILIS, 654.
via Caecilia, 154, 264. vote, 292, 350 (voir aussi élections
via Domitia, 690. et comices, etc.).
via Egnatia, 771.
vicesima libertatis, 247.
Xanthippe, 601, 610.
vignoble, 98, 105, 106, 687.
XÉNOPHON, 92.
L. Villius Annalis, 405.
vin, 105, 668, 683, 694, 716.
Virgile, 141, 300, 624, 920. Zélotes, 853, 875.
TABLE DES CARTES

1 L’Afrique du Nord à l’époque républicaine. 624-625

2 La péninsule Ibérique. 676

3 La Gaule celtique. 698

4 Le monde égéen . 7&7

5 L’Orient méditerranéen au Ier siècle avant J.-C. 844


TABLE DES MATIÈRES

Avertissement. 4^9

Bibliographie. 473

PREMIÈRE PARTIE

L’OCCIDENT

Chapitre Premier. — Carthage et la civilisation punique (M. Sznycer). . . . 545

1) Les sources. 547


a) Les sources littéraires, 547.
b) Les sources épigraphiques, 548.
c) Les sources archéologiques, 549.
2) Histoire intérieure de Carthage jusqu’en 146 av. J.-C. 550
3) La ville de Carthage : topographie et urbanisme. 553
4) Les structures politiques. Les institutions. 561
A) La Constitution de Carthage vue par Aristote. 563
B) Le problème de la royauté à Carthage . 565
C) Le problème des sufïètes . 567

D) Les assemblées . 576


a) Le Conseil des Anciens, 576.
b) Les commissions, 579.
c) L’Assemblée du peuple, 581.
E) Les magistrats et les fonctionnaires . 584

5) La religion . 586
6) L’écriture, la langue et les textes puniques . 59°

Chapitre IL — Les guerres puniques (C. Nicolet) . 594

1) Puissance de Carthage. 594


A) L’économie . 594
B) L’empire [M. Sznycez]. 596
C) L’armée, la marine et les finances carthaginoises 600
936 Rome et la conquête du monde méditerranéen

2) Les guerres puniques . 602


A) Les sources . 604
B) La première guerre punique (264-241). 606
a) Les opérations militaires, 610.
b) L’entre-deux-guerres (218-201), 610.
C) La guerre d’Hannibal. 612
a) Personnalité et fonctions d’Hannibal, 612.
b) La politique d’Hannibal, 613.
c) Ses buts de guerre, 61 g.
d) Aspects militaires de la deuxième guerre punique, 620.

D) La troisième guerre punique et la destruction de Carthage


(149-146). 622

Chapitre III. — L’Afrique romaine et libyco-berbère (J. Desanges). 627

1) L’Afrique romaine de 146 à 27 av. J.-C. 627


A) Etendue et organisation de la province . 627
B) La tentative de colonisation de C. Gracchus et ses suites. . . 630
C) La guerre de Jugurtha. 631
D) La colonisation marienne. 634
E) De Marius à César . 636
F) L’Afrique césarienne . g^g
G) L’Afrique romaine de 44 à 27 avant notre ère . 643
2) L’Afrique libyco-berbère (264-27 av. J.-C.) . 645
A) Les royaumes massyle, masaesyle et maure à la fin du
111e siècle . g^,.
B) Les limites de la puissance des royaumes libyco-berbères. . . 647
C) Les royaumes massyles et les royaumes maures, de Zama à la
mort de Bocchus II. g^g
D) Les progrès de la civilisation. 65I
a) L’agriculture numide, 651.
b) Le développement de l’économie monétaire, 652.
c) Le développement urbain, 653.
d) L’évolution religieuse, 654.
E) Conclusion. g^g

Chapitre IV. — La péninsule Ibérique (D. Nony) . g--,

1) La diversité des peuplements. g,, g


2) La sèche annalistique des conquérants. gg0
3) Les richesses de la péninsule Ibérique. ggg
4) La romanisation . g_
Tîntrif» Ion . _ T '1 . i•m •1 '

6) Chronologie
Table des matières 937

Chapitre V. — La Gaule transalpine (C. Goudineau) . 679

1) Sources et problèmes . 679


2) La situation au milieu du 111e siècle . 681
A) Les populations autochtones . 681
B) Marseille . 683
a) Extension, 684.
b) Chronologie, 684.
c) Statut, 684.
3) Des guerres puniques à 125 av. J.-C. 685
4) Les événements de 125 à la guerre des Gaules. 689
5) Organisation et « romanisation » de la Transalpine jusqu’à César 692
A) La création de la province de Transalpine . 692
B) Marseille . 693
C) L’économie . 693
D) Les débuts de la « romanisation »? . 6g5
6) De César à l’avènement d’Auguste. 696

Chapitre VI. — La Gaule indépendante et la conquête (J. Harmand). . . 700

1) La Gaule indépendante depuis le milieu du 111e siècle avant


notre ère. 700
a) Les bases des connaissances, 700.
b) L’histoire, 701.
c) Paysage et hommes, 703.
d) La Gaule vue dans et depuis la cité, 706.
e) Le diptyque économie-culture, 713.

2) La conquête césarienne. 71®


a) L’approche documentaire, 718.
b) Le point de départ historique, 719.
c) Les facteurs militaires, 720.
d) La réalité politique, 723.

DEUXIÈME PARTIE

L’ORIENT

Chapitre VIL — Rome, les Balkans, la Grèce et l’Orient au deuxième siècle


av. J.-C. (J. L. Ferrary). 729

Les sources.. 729


1) L’expansion romaine en Illyrie et le premier conflit avec la
Macédoine (229-205 av. J.-C.) . 731
A) La première guerre d’Illyrie (229-228) . 732
B) La seconde guerre d’Illyrie (219). 734
C) La première guerre de Macédoine (215-205) . 735
938 Rome et la conquête du monde méditerranéen

2) L’expansion romaine en mer Egée : de la deuxième à la troisième


guerre de Macédoine. 737
A) Les origines de la seconde guerre de Macédoine. 738
B) Flamininus et la libération de la Grèce. 740
C) La guerre contre Antiochos et l’organisation de l’Asie Mineure
à Apamée . 744
D) Rome et la Grèce de 192 à 172 : la guerre d’Etolie et la résis¬
tance légaliste de la Confédération achéenne . 749
E) Rome et la Macédoine de 192 à 172 et les origines de la guerre
contre Persée. 752

3) La politique romaine dans le monde hellénique de 168 à la créa¬


tion des provinces de Macédoine et d’Asie . 756

A) Le nouveau statut de la Macédoine et de l’Illyrie. 758


B) La politique romaine en Grèce jusqu’à la révolte achéenne 761
C) Rome et l’Orient hellénistique . 763

4) Rome, la Grèce et l’Orient de la création des provinces de Macé¬


doine et d’Asie aux guerres contre Mithridate . 766

A) Les Balkans : la Macédoine et la Grèce. 767


a) La révolte d’Andriscos et la guerre d’Achaïe, 767.
b) L’organisation des Balkans au 11e siècle, 770.
c) La guerre contre les Scordisques et les débuts de la conquête
de la Thrace, 773.

B) L’Asie Mineure. 774


a) Le testament d’Attale III et les réactions romaines, 774.
b) La guerre contre Aristonicos, 775.
c) L’organisation de la province d’Asie, 777.
d) L’administration de la province, 778.
e) La répression de la piraterie et les origines de la province
de Cilicie, 780.

5) Les conséquences économiques de la conquête au 11e siècle.... 781

Chapitre VIII. — Rome et la Méditerranée orientale au premier siècle av. J.-C.


(J.-M. Bertrand). 789

1) L’assaut de Mithridate contre l’Empire romain . 789

A) Le royaume du Pont . 789


B) Les premiers succès de Mithridate. 791
En Asie, 792. — En Grèce, 794.

G) Le gouvernement de Rome en Orient au début du Ier siècle 7q6


D) Sylla en Orient. 799
Le règlement syllanien, 800. — Clauses financières, 803.
Table des matières 939

2) L’Orient reconquis et exploité. 806

A) Seconde et troisième guerres mithridatiques. 807


Le commandement de Lucullus, 808.

B) Pompée en Orient. 811

Contre les pirates : la lex Gabinia (67), 811.


Le précédent de M. Antonius Creticus, 813.
Contre Mithridate : la lex Manilia (66), 814.
Le règlement pompéien, 815.

C) L’exploitation de l’Empire. 817

La fiscalité : les publicains, 818.


Abus et exactions, 822.

3) Le temps des guerres civiles. 830

A) La question d’Egypte. 831


B) Le problème parthe. 833
C) Le coût des luttes civiles. 834
D) Administration, reconstruction . 839

Chapitre IX. — Les Juifs entre l’Etat et Vapocalypse (P. Vidal-Naquet) 846

1) Les « Kittim » . 846


2) Les frontières d’Israël . 848
3) Le nom double. 854
4) De l’alliance au protectorat . 857
5) Livres grecs et politique. 861
6) Le conflit des interprétations . 867
7) Naissance d’un roi. 872
8) Purs et impurs, riches et pauvres. 874
g) L’apocalypse contre l’Etat . 880

Conclusion. — L’ « impérialisme » romain (C. Nicolet). 883

1) Questions de méthode . 883


2) Les attitudes fondamentales des Romains devant le monde. . . . 887

a) Cosmogonie, géographie, ethnographie, 887.


b) Les fondements du droit international et de la diplomatie
romaine, 890.

3) Les acteurs, les motivations, les débats. 894

A) Les acteurs . 894


B) Les intérêts . 899
C) La politique . 902
940 Rome et la conquête du monde méditêranêen

4) Rome vue par les autres. Problèmes et justifications de l’empire 903


5) La pensée politique romaine et l’empire. 908
6) Ebauche d’un empire . 910
7) Le personnel administratif dans les provinces . 914
8) Le statut des provinces et les règles administratives. 917

Index général des tomes i et 2. 921

Table des cartes. 933


Imprimé en France, à Vendôme
Imprimerie des Presses Universitaires de France
ï 978 — N° 26 228
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K.’C~ -O 'Ti -
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Date Due
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Nicolet, Claude, 1930-
Rome et la conquête du inonde
méditerranéen.

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Ji'j
DATE ISSUED TO
L'HISTOIRE ET SES PROBLEMES
Collection fondée par Robert BOUTRUCHE et Paul LEMERLE
et dirigée par Jean DELUMEAU et Paul LEMERLE

Volumes parus :
1. André LEROI-GOURHAN, Gérard BAILLOUD, Jean CHAVAIL-
LON et Annette LAMING-EMPERAIRE, La Préhistoire
2. Paul GARELLI, Le Proche-Orient asiatique, des origines aux
invasions des peuples de la mer
2 bis. Paul GARELLI et V. NIKIPROWETZKY, Le Proche-Orient
asiatique. Les Empires mésopotamiens, Israël
6. Claire PRÉAUX, Le monde hellénistique, tome 1
6 bis. Claire PRÉAUX, Le monde hellénistique, tome 2
7. Jacques HEURGON, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu’aux
gqerres puniques
8. Claude NICOLET, Rome et la conquête du monde méditerranéen.
T. 1 : Les structures de l’Italie romaine
8 bis. Claude NICOLET et divers auteurs. Rome et la conquête du
monde méditerranéen. T. 2 : Genèse d’un empire
9. Paul PETIT, La paix romaine
10. Marcel SIMON et André BENOIT, Le judaïsme et te christianisme
antique
11. Roger RÉMONDON, La crise de l'Empire romain, de Marc Aurèle
à Anastase
12. Lucien MUSSET, Les invasions : les vagues germaniques
12 bis. Lucien MUSSET, Les invasions : le second assaut contre
l’Europe chrétienne (Vlle-Xle siècle)
14. Renée DOEHAERD, Le Haut Moyen Age occidental : économies
et sociétés
18. Léopold GENICOT, Le XIIIe siècle européen
20. Robert MANTRAN, L'expansion musulmane (Vlle-Xle siècle)
22. Bernard GUENÉE, L'Occident aux XIVe et XVe siècles : les Etats
23. Jacques HEERS, L’Occident aux XIVe et XVe siècles : aspects
économiques et sociaux
25. Francis RAPP, L’Eglise et la vie religieuse en Occident à la fin
du Moyen Age
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