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Temple du capitole de Dougga, Tunisie.

© Patrick Giraud (2008) / GFDL.


Dossier : la présence romaine en Afrique du Nord

La présence romaine
en Afrique du Nord
La diffusion de la
citoyenneté romaine
À la différence des cités grecques, Rome accorde progressivement la citoyenneté romaine
à l’ensemble des populations soumises à son autorité favorisant ainsi leurs intégrations
politique et culturelle à l’époque impériale. Cette politique généreuse envers les indigènes (péré-
grins) explique la longévité de la culture romaine en Afrique du Nord jusqu’à l’invasion arabe.
Cédric CHADBURN, vice-président du groupe Limitis, professeur d’histoire

n Afrique du Nord, les Phéniciens (puniques), originaires du d’Afrique du Nord. Au VIe siècle, l’autorité impériale est restaurée

E Liban, fondent plusieurs cités comme celle d’Utique, en


1101, ou Carthage, en 814 avant notre ère. Carthage impose
progressivement son autorité à l’ensemble des cités phéniciennes
de Méditerranée occidentale.
avec les victoires militaires des armées romaines d’Orient
envoyées par l’empereur de Constantinople, Justinien. Pendant
encore deux siècles, l’Afrique redevient romaine (byzantine)
jusqu’à l’invasion des Arabes au VIIe siècle. Ceux-ci s’emparent de
À partir du IIIe siècle avant notre ère, Carthage et Rome s’affrontent, Carthage en 698, malgré une résistance acharnée des Berbères
au cours de trois guerres, appelées guerres puniques, pour le alliés des troupes impériales. Cette présence romaine de plusieurs
contrôle de la Méditerranée occidentale. En 146 av. .-C., à la suite siècles s’explique principalement par l’adhésion de nombreux
d’un long siège de trois ans, Carthage est détruite. La première pro- Africains, d’origine berbère ou punique, à la culture romaine. En
vince romaine d’Afrique est constituée sur son territoire. Au Ier siècle outre, Rome réussit à protéger ces provinces d’Afrique du Nord
av. J.-C., l’annexion de la partie orientale du royaume berbère de avec des effectifs militaires limités et des systèmes défensifs
Numidie aboutit à la création d’une seconde province qui prend le complexes. Malgré tout, cette domination de Rome n’est pas accep-
nom d’Africa nova (« Afrique nouvelle »), tandis que la première est tée par l’ensemble des Africains, notamment les tribus berbères.
qualifiée d’Africa vetus (« Afrique ancienne »). Ces deux provinces
sont ensuite réunies sous l’autorité d’un proconsul (gouverneur), Au cours de ces siècles de domination, Rome va intégrer les peu-
d’où son nom d’Afrique proconsulaire. L’assassinat du dernier roi ber- ples soumis en acceptant de leur accorder la citoyenneté romaine
bère de Maurétanie, Ptolémée, fils de Juba II, par l’empereur Caligula (droit de cité romaine) au cours d’un processus juridique et admi-
(37-41), parachève la conquête romaine de l’Afrique du Nord. En 42, nistratif précis.
l’empereur Claude (41-54) crée les provinces de Maurétanie tingi- Les nouveaux citoyens n’hésitent pas alors à faire l’éloge de Rome,
tane et césarienne. Au début du IIIe siècle, la province d’Afrique pro- comme le Grec Aelius Aristide lors de son voyage dans la capitale
consulaire est divisée en trois nouvelles provinces (Zeugitane, de l’Empire en 144 : « Comme nous l’avons dit, vous avez, en
Tripolitaine et Byzacène), tandis que la Maurétanie césarienne est hommes généreux, distribué à profusion la cité (la citoyenneté
scindée en deux (césarienne et sétifienne). romaine). Vous n’en avez pas fait un objet d’admiration en refusant
Dans la première moitié du Ve siècle, les Vandales, peuple germa- de la partager avec quelqu’un d’autre; au contraire, vous avez cher-
nique, s’emparent d’une grande partie des provinces romaines ché à en rendre digne l’ensemble des habitants de l’Empire ; vous

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Carte de l’Afrique romaine, villes et camps. © Olivier Henry. Elle arrive !

avez fait en sorte que le nom de Romain ne fût pas celui d’une cité, la citoyenneté aussi bien pour ceux qui sont choisis comme décu-
mais le nom d’un peuple unique. » À l’époque impériale, le pérégrin rions que pour ceux qui gèrent une charge honorifique quelconque
peut obtenir la citoyenneté romaine soit à titre collectif, dans le ou une magistrature ; le second ne concerne que ceux qui par la
cadre de la promotion juridique de sa cité, soit à titre individuel, gestion d’une charge honorifique ou d’une magistrature parvien-
dans le cadre de l’armée ou à la suite de services rendus. nent à obtenir la citoyenneté romaine ; c’est ce qu’indiquent de
nombreuses lettres impériales » (Gaius, Institutes, I, 95-96). Les
LA DIFFUSION DE LA cités pérégrines deviennent alors des cités de droit latin ou des
municipes de droit latin. Ces changements s’effectuent toujours à
CITOYENNETÉ ROMAINE la demande des élites municipales. Les notables de Gigthis, dans
À TITRE COLLECTIF le sud de la Tunisie, envoient deux délégations auprès de l’empe-
La promotion juridique des cités indigènes reur Hadrien (117-138) avant de se voir concéder le droit latin puis
La citoyenneté romaine se diffuse, dans les provinces romaines le statut de municipe. La cité de Leptis Magna, en Tripolitaine, est
d’Afrique du Nord, par la promotion juridique des cités indigènes pérégrine jusqu’en 77-78, puis, elle devient municipe de droit latin
(dites pérégrines) d’origine punique et berbère (libyque). Elles sous Vespasien (69-79).
sont classées en trois catégories : stipendiaires, libres et fédé- Le statut juridique le plus convoité par les cités pérégrines est
rées. Les premières versent un impôt (stipendium) à Rome, tan- celui de colonie romaine. Leptis Magna reçoit ce statut sous l’em-
dis que les autres bénéficient de privilèges fiscaux. Entre le Ier siè- pereur Trajan (98-117) en 110, alors que Gigthis ne l’obtient que
cle et le IIIe siècle, elles se voient concéder, par les empereurs sous l’empereur Marc Aurèle (161-180). La capitale de la province
romains, de nouveaux statuts juridiques accordant la citoyenneté romaine de Tingitane, Tingi (Tanger), a d’abord le statut de muni-
romaine à leurs notables municipaux, puis à l’ensemble de leurs cipe puis celui de colonie honoraire sous l’empereur Claude.
habitants. Le statut de colonie permet à tous les hommes libres d’une cité
Dans un premier temps, les cités pérégrines reçoivent générale- d’obtenir la citoyenneté romaine. Ceux-ci bénéficient désormais
ment de l’empereur le droit latin. Il permet aux habitants (civis lati- des privilèges liés au droit de cité romaine. Dans le domaine privé,
nus, « citoyen latin ») d’une cité d’acquérir les droits civils du ils ont le droit au mariage (conubium), au testament (testamen-
citoyen romain et non les droits politiques. Par contre, la citoyen- tum) et à la propriété privée (commercium). Ils peuvent porter les
neté romaine n’est accordée qu’à un nombre très limité d’indivi- tria nomina : un prénom (praenomen), un nom (nomen) et un sur-
dus. Elle est donnée aux magistrats et à leur famille dans les muni- nom (cognomen). Dans le domaine public, ils ont la possibilité
cipes de droit latin mineur (Latium minus), alors qu’elle s’étend à d’être jugé par un magistrat romain, de faire appel devant l’empe-
l’ensemble des magistrats, aux décurions et à leur famille dans les reur, et leur parole a plus de poids que celle d’un pérégrin. Ils sont
municipes de droit latin majeur (Latium maius) : « Le droit latin inscrits dans la tribu de l’empereur bienfaiteur.
est dit supérieur ou inférieur : le premier comprend l’obtention de Les institutions politiques de la cité sont calquées sur celles de

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Dédicace de la fondation de la colonie de Timgad.

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fonction de consul à Rome. Ces colonies sont dites honoraires pour


les différencier des colonies de peuplement (colonies déduites)
peuplées de légionnaires démobilisés (vétérans) ou de colons
romains le plus souvent des paysans. L’envoi de ces citoyens per-
mettaient ainsi de contrôler un territoire. Ceux-ci demeuraient tou-
jours des citoyens de la ville de Rome. Des colonies sont fondées
en Maurétanie, occidentale et orientale, avant même que Rome
n’annexe ces territoires. Entre 33-25 av. J.-C., douze colonies sont
ainsi crées. En Maurétanie occidentale (future Maurétanie tingi-
tane), des colonies sont fondées à Zilil, à Banasa, à Babba et à
Tingi. Pline l’Ancien rapporte que celle de Zilil est rattachées admi-
nistrativement à la province romaine de Bétique (sud de
l’Espagne) : « À 25 milles de Tingi (Tanger), sur le bord de l’océan,
la colonie augustéenne de Iulia Constantia Zilil a été soustraite à la
domination des rois et autoritairement rattachée à la juridiction de
la Bétique » (Histoire naturelle, V, 1). Cela doit être aussi le cas
pour les trois autres colonies. Elles sont ensuite intégrées à la nou-
velle province de Maurétanie tingitane. L’implantation de colons se
poursuit à l’époque impériale. La dernière fondation est celle de
Timgad, en Numidie (Colonia Marciana Traiana Thamugadi) sous le
règne de l’empereur Trajan. Peu nombreuses au Ier siècle, les colo-
nies honoraires se multiplient au IIe siècle.
Fragment de diplôme militaire datant de 160 et conférant la citoyenneté
à un ancien soldat de la cohorte V Bracaraugustanorum. Inscription Le municipe de droit romain accorde lui aussi la citoyenneté
conservée au Museum Quintana, Künzing. © Wolfgang Sauber / GFDL. romaine à l’ensemble des habitants. La cité d’Utique obtient ce sta-
tut par Octave (le futur Auguste) en 36 avant notre ère, et celle de
Rome. Elles sont dirigées par des magistrats, par un conseil muni- Volubilis par l’empereur Claude. Pour le remercier, les notables
cipal (ordo decurionum, « ordre des décurions ») et des assem- municipaux construisent un monument avec la dédicace sui-
blées du peuple. L’ordre des décurions est l’équivalent du sénat vante : « À Tibère Claude César Auguste Germanicus, fils du divin,
dans la ville de Rome. Les magistrats suivent un cursus municipal grand pontife, revêtu de sa quatrième puissance tribunitienne,
comme à Rome (cursus honorum, « carrière des honneurs »). Ils
sont d’abord édiles puis duumvirs (duumvirat), correspondant à la Forum de Timgad. Photo : Cédric Chadburn.

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retenir plus de gloire et plus d’éclat, à cause de la splendeur et de


la majesté du peuple romain, dont ces petites images réfléchis-
sent quelques faibles rayons, surtout parce que les villes munici-
pales ont laissé le temps obscurcir la plupart de leurs droits, et
qu’elles ne s’en servent plus faute de les connaître » (Nuits
attiques, XVI, 13).
En 212, l’empereur Caracalla (211-217) accorde la citoyenneté
romaine à l’ensemble des habitants de l’Empire romain. Pourtant,
les élites municipales africaines continuent de se tourner vers les
autorités impériales pour promouvoir leur cité. Sous l’empereur
Gallien, les cités de Thugga (Dougga) et de Thubursicu Bure
(Téboursouk) se voient concéder le statut de colonie. Les privi-
lèges liés à la citoyenneté ne sont donc pas la principale motiva-
tion des élites municipales. Au IVe siècle, les cités africaines conti-
nuent de revendiquer leur statut de municipes ou de colonies,
alors que les empereurs n’accordent plus de nouvelles promotions
juridiques.
Édit de Caracalla dit Constitution antonine (Constitutio Antoniniana), Le statut de droit italique est encore plus prisé, car il assimile le
accordant la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire. territoire d’une colonie à une portion du sol romain. Les citoyens
Ce texte visait également à augmenter le nombre de contribuables payant sont alors exemptés de l’impôt foncier. Ce privilège exceptionnel
les impôts ; 212 apr. J.-C. Provenant de Banasa, Maroc. est accordé à plusieurs cités d’Afrique du Nord comme celle de
Musée archéologique, Rabat. © DeAgostini/Leemage. Leptis Magna par l’empereur Septime Sévère (193-211) en 202 :
« In Africa Carthago, Utica, Lepcis Magna a divis Severo et Antonino
consul trois fois, désigné par un quatrième consulat, acclamé iuris italici factae sunt » (Digeste, L, 15, 11 Pas pu vérifier). La cité
imperator huit fois, père de la patrie, les habitants du municipe de de Carthage semble avoir reçu le droit italique entre 211 et
Volubilis ont offert [ce monument] parce qu’ils ont obtenu la 217.L’acquisition de ces nouveaux statuts ne peut qu’entraîner les
citoyenneté romaine, le droit d’intermariage avec des pérégrines cités à se jalouser entre elles et à se tourner vers les empereurs
(conubium), et la remise des charges. Par décret des décurions. romains pour obtenir les mêmes privilèges.
M. Fadius Celer Flavianus Maximus, procurateur d’Auguste prolégat
a fait la dédicace » (IAM, 2, 369). La différence avec les colonies Ces promotions juridiques s’accompagnent d’une transformation
romaines est que ces cités conservent leur droit local. Cependant, progressive des institutions politiques pérégrines qui adoptent
le statut de municipe romain est considéré comme moins presti- progressivement les institutions romaines. Dans les cités d’origine
gieux. Les pérégrins désirent avant tout être d’« authentiques puniques, notamment en Afrique proconsulaire, parfois en
romains » en accédant au statut de colonie. Ils ne veulent pas être Numidie et en Tingitane, on observe une institution d’origine
considérés comme d’anciens pérégrins, ayant obtenus la citoyen- punique jusqu’au IIe siècle, les suffètes. Ces magistrats sont l’équi-
neté romaine, mais comme des citoyens romains d’origine. Au IIe valent dans la ville de Rome des consuls. Dans les cités, ils sont
siècle, les notables des cités d’Utique et d’Italica demandent le sta- généralement au nombre de deux. Au Ier siècle, celui de la cité de
tut de colonie à l’empereur Hadrien. L’écrivain romain Aulu-Gelle Volubis, M. Valerius Severus, soutien les armées romaines contre
indique que celui-ci est surpris de cette requête, car les deux cités Aedemon : « À M. Valerius Severus, fils de Bostar, appartenant à la
ont déjà le statut de municipe romain et tous les habitants possè- tribu Galeria, édile, suffète, duumvir, premier flamine dans son
dent déjà la citoyenneté romaine. En outre, il estime que le statut municipe, préfet des auxiliaires contre Aedemon qui fut écrasé
de municipe est plus intéressant, car il permet à ces cités de
conserver leur droit local, alors que dans les colonies s’applique le La hiérarchie municipale
droit romain : « Je suis fort surpris, dit l’empereur, de ce que mes
compatriotes, et quelques autres anciennes villes municipales
des cités d’Afrique du Nord
parmi lesquelles on peut nommer Utique, pouvant se gouverner colonie (romaine) de droit italique
par leurs lois et leurs usages primitifs, aient témoigné un si vif
désir d’acquérir le titre de colonies » (Nuits attiques, XVI, 13). En colonie de droit romain
réalité, en obtenant le statut de colonie, les cités deviennent ainsi municipe de droit romain
« par une fiction juridique un prolongement de la cité romaine », municipe de droit latin (majeur et mineur)
selon l’historien Jacques Gascou. En outre, Aulu-Gelle affirme que cité de droit latin
quoique « les colonies soient moins libres et beaucoup plus assu-
jetties que les villes municipales, elles paraissent néanmoins cité pérégrine

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Vestiges du forum de Cesarea (Césarée de Maurétanie). © Yellès Arif (2011) /GFDL.

lors de la guerre. À ce personnage, le sénat du municipe de notre maître l’empereur César Lucius Septimus Severus Pius
Volubilis, en raison de ses mérites envers la république (Empire Pertinax Augustus, victorieux des Arabes et des Adiabènes, grand
romain) et de l’ambassade qu’il effectua avec succès et grâce à victorieux des Parthes, détenteur de la puissance tribunitienne
laquelle il obtint du divin Claude, pour ses compatriotes, la citoyen- pour la dixième fois, acclamé victorieux onze fois, consul pour la
neté romaine et le droit d’intermariage avec des femmes péré- troisième fois, père de la patrie, proconsul, Lucius Septimius
grines, l’immunité pour dix ans des étrangers domiciliés, les biens Severus, suffète, fait préfet lors de l’octroi de la citoyenneté
des citoyens (romains) tués à la guerre pour lesquels il n’existait romaine, duovir, flamine perpétuel ;il était un homme de loi romain
pas d’héritiers, [a décrété une statue]. Fabia Bira, fille d’Izelta, sa parmi ceux sélectionnés pour juger les causes, le peuple des
femme, se prévalant de cette distinction, a fait remise de la Lepciciens » (IRT 412). Lucius Septimius Severus, le grand-père
dépense, a élevé [la statue] à ses frais pour son mari très bienveil- du futur l’empereur Septime Sévère, est donc le dernier à avoir
lant et en a fait la dédicace » (IAM, 2, 448). Quand la cité de Leptis cette fonction d’origine punique. Il est possible que passer de suf-
Magna obtient le statut de municipe de droit latin, sous l’empereur fète à duumvir ne soit en réalité qu’un changement de titre.
Vespasien, elle continue d’être dirigée par des suffètes. Entre 75
et 109, six inscriptions mentionnent encore des suffètes : « À L. LA DIFFUSION DE LA
Aelius Aurelius Commodus, consul, fils de l’empereur César T.
Aelius Hadrien Antonin Auguste Pieux père de la patrie ; L. Manilius
CITOYENNETÉ ROMAINE
Felix, en l’honneur de sa magistrature, la somme légitime du suffé- À TITRE INDIVIDUEL
tat ayant été augmentée, a fait ériger [cette statue] pour un mon- Dans le cadre de l’armée romaine et des mariages
tant de 2 600 sesterces. Par décret des décurions » (AE, 1992, Au début de l’époque impériale, les empereurs romains se mon-
1803). Au moment de l’obtention du statut de colonie, par Trajan, trent plutôt réticent à accorder la citoyenneté romaine à titre indi-
les suffètes sont remplacés par des duumvirs :« Au grand-père de viduel. Selon Suétone, l’empereur Auguste (27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.)

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« jugeait important de maintenir le peuple romain sans mélange et Au début de l’époque impériale, la majorité des auxiliaires d’Afrique
intact de toute intrusion de sang étranger ou servile, il ne distribua proconsulaire sont recrutés au sein des Afri, des Gétules, des
que chichement le droit de cité romaine et limita le nombre des Musulames et des Numides. Les Afri sont certainement ceux qui ont
affranchissements » (Suétone, Auguste, XL, 5). Cependant, dès le très tôt de nombreux soldats : trois ailes et cinq cohortes. Au Ier siè-
Ier siècle, l’armée permet à de nombreux Africains d’accéder à la cle, une aile des Afri (Ala Afrorum Veterana) est stationnée en
citoyenneté romaine. En s’engageant dans les troupes auxiliaires Germanie où un diplôme indique la libération de vétérans (CIL
romaines, comme fantassins (cohortes) ou cavaliers (ailes), ces XVI, 23) probablement recrutés en 52 ou 53 de notre ère. Au IIe siè-
soldats se voient concéder la citoyenneté romaine à leur libération cle, d’autres diplômes mentionnent l’existence de plusieurs
(honesta missio) au bout de 25 ans. Un diplôme leur est remis, cohortes, comme la cohors II Favia Afrorum qui est stationnée en
constitué de deux tablettes de bronze reliées entre elles par un fil 197 et 198 sur les frontières de Tripolitaine. Les relations entre les
métallique, attestant de leur nouveau statut juridique. Il s’agit Romains et les Gétules sont également anciennes. Elles remontent
d’une copie d’un texte original affiché à Rome au Capitole. Sur les au Ier siècle avant notre ère, lorsque ces derniers soutiennent Jules
plaques en bronze y sont gravés le nom de l’empereur, les noms César contre le dernier roi Numide. Au début du règne d’Auguste,
des unités auxiliaires, le nom du gouverneur de la province, l’énu- une cohorte des Gétules est stationnée à Cemenelum (sud de la
mération des privilèges, le nom de l’unité et du responsable de Gaule) puis transférée en Syrie sous les Flaviens (Cohors I
l’unité auxiliaire, et le nom du soldat et son grade. Les femmes et Gaetulorum). Une aile Gaetulorum a aussi combattu au côté des
les enfants des démobilisés obtiennent aussi la citoyenneté Romains, sous Vespasien, lors de la révolte des Juifs en 66. Les
romaine comme le mentionne un diplôme du 9 janvier 88 décou- Musulames sont recrutés comme auxiliaires, notamment après leur
vert dans la province de Maurétanie tingitane. Si l’ancien soldat se participation à la grande révolte menée par le Numide Tacfarinas au
marie après sa démobilisation, sa femme se verra concéder la début du Ier siècle. En 88, une cohorte Musulamorium se trouve en
citoyenneté romaine (droit du conubium). Syrie, ce qui semble indiquer qu’elle a été constituée entre 24 et 64.
La précocité de ce recrutement, en Proconsulaire, s’explique par
l’ancienneté de la présence romaine dans la région.
Diplôme de Banasa (CIL, XVI, 159)
« L’empereur César Domitien Auguste Germanique, fils du divin La législation impériale favorise aussi la diffusion de la citoyen-
Vespasien, pontife suprême, revêtu de sa septième puissance neté romaine dans le cadre de mariage entre citoyens latins et
tribunitienne, salué quatorze fois imperator, censeur à vie, romains. Selon le juriste romain Gaius, les enfants sont romains si
consul pour la quatorzième fois, père de la patrie, aux cava- le père est citoyen latin et la mère citoyenne romaine : « Pour la
liers et aux fantassins qui servent dans les cinq ailes dénom- même raison et à l’inverse, si un mariage a été contracté entre un
mées I Augusta, I Hamiorum, III Asturum, Gemellia et Tauriana, Latin et une citoyenneté romaine, que ce soit en vertu de la loi
et dans les deux cohortes, II Milliara Sagittariorum et V Aelia Sentia ou autrement, l’enfant naît citoyen romain » (Gaius,
Delmatarum, et à ceux qui ont été libérés avec le congé hono- Institutes, I, 8-804). Cependant, Gaius précise que certains consi-
rable de ces cinq ailes et cohortes, I Lemavorum, I Bracorum, II dèrent que l’enfant « doit suivre la condition du père », alors qu’un
Milliaria Sagittaria, III Gallorum et V Delmatarum, qui sont (en sénatus-consulte de l’empereur Hadrien stipule « que celui qui
garnison) en Maurétanie tingitane sous les ordres de L. Vallius naît d’un Latin et d’une citoyenne romaine, quel que soit le droit du
Tranquillus, qui ont servi pendant vingt-cinq ans ou plus, et mariage, naît citoyen romain » (Gaius, Institutes, I, 80-84). Ces
dont les noms suivent, a donné à eux-mêmes, à leurs enfants unions mixtes ont dû se multiplier dans les cités bénéficiant du
et à leurs descendants la citoyenneté et l’intermariage avec droit latin avec l’installation de milliers de Romains originaires de
les épouses qu’ils avaient à ce jour où la citoyenneté leur est toutes les provinces de l’Empire. D’après l’étude menée par
donnée, ou, à ceux qui étaient célibataires, avec celles qu’ils Abdellatif Rhorfi, dans la province de Maurétanie tingitane, de
épouseraient par la suite, mais seulement à une pour chacun ; nombreux citoyens romains émigrant en Afrique ont des surnoms
le cinquième jour avant les ides de janvier, sous le quator- d’origines culturelles ou ethniques très diverses : monde grec,
zième consulat de l’empereur César Domitien Auguste Dacie, Norique, Syrie, arabes.
Germanique et celui de Lucius Minucius Rufus.
Au cavalier Domitius, fils de Domitius, de Philadelphia, de la Dans le cadre de services rendus à Rome
cohorte II Milliara Sagittariorum, que commande Tiberius À titre exceptionnel, les autorités romaines peuvent accorder la
Claudius Pedo. citoyenneté romaine à des chefs de tribu berbère comme le mon-
Copié et certifié conforme à la plaque de bronze qui est appo- tre la « Table de Banasa ». Ce document, a été découvert, en 1957,
sée à Rome, au Capitole, au tabularium public, partie gauche près du forum de Banasa, colonie romaine créée par Octave entre
(sceaux) de C. Curtius Niger, de M. Egnatius Rufus, de C. 33 et 27 av. J.-C. Il rassemble trois textes datant de la seconde moi-
Lucretius Modestus, de L. Arrius Justus, de P. Petronius tié du IIe siècle sur une table de bronze. Le premier texte est une
Paullus, de T. Julius Fronto, de L. Clevanius Firmus. » copie d’une lettre de Marc Aurèle et de Verus (161-169) à Coiedius
Maximus, procurateur (gouverneur) de la province de Maurétanie

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tingitane. C’est la réponse impériale à la demande de Julianus, est exceptionnel car il montre que les autorités impériales se mon-
chef de tribu berbère des Zegrenses (princeps gentis), par l’inter- trent très réticentes à accorder la citoyenneté romaine aux
médiaire du procurateur, qui désire la citoyenneté romaine pour Berbères des zones tribales : « [...] bien qu’il ne soit pas habituel
lui, sa femme (Ziddina) et ses quatre enfants (Julianus, Maximus, d’octroyer la citoyenneté romaine à des membres de ces tribus ».
Maximinus et Diogenianus). Cependant, elle est concédée à Julianus pour son comportement
Le second texte est une copie d’une lettre de Marc Aurèle et de son envers l’Empire romain : « nous pouvons penser qu’il n’y a guère
fils Commode, datée de 177, à Vallius Maximianus, procurateur de chez les Zegrenses de familles capables de se prévaloir de ser-
Maurétanie tingitane. Il s’agit d’une réponse à la requête d’un cer- vices comparables aux siens ».
tain (Aurelius) Julianus, probablement le fils de Julianus, qui sou-
haite la citoyenneté romaine pour sa femme (Faggura) et pour ses Tabula Banasitana (Table de Banasa), inscription concédant la citoyenneté
enfants (Juliana, Maxima, Julianus et Diogenianus). romaine par l’empereur Marc Aurèle à une famille de notables des
Le troisième texte, du 6 juillet 177, est un registre (commentarius) Zegrenses, une tribu de Mauretanie Tingitane. 177 apr. J.-C. Provenant de
des individus ayant obtenus la citoyenneté romaine. Ce document Banasa, Maroc. Musée archéologique, Rabat. © DeAgostini/Leemage.

TABLE DE BANASA
Lettre de Marc Aurèle et de Vérus au procurateur de Maurétanie tingitane, Coiedius Maximus
« Exemplaire de la lettre des empereurs Antonin et Vérus, nos Augustes, à Coiiedius Maximus : nous avons pris connaissance de la
requête de Julianus, du peuple des Zegrenses, jointe à ta lettre, et bien qu’il ne soit pas habituel d’octroyer la citoyenneté romaine à
des membres de ces tribus, si ce n’est pour des mérites indiscutables appelant la faveur impérial (indulgentia principalis), cepen-
dant, puisque tu affirmes qu’il appartient aux premiers de son peuple et qu’il a fait preuve d’une très grande loyauté en manifestant
sa soumission à nos intérêts, considérant d’autre part que nous pouvons penser qu’il n’y a guère chez les Zegrenses de familles
capables de se prévaloir de services comparables aux siens, encore qu’il soit de notre désir que beaucoup soient incités à suivre
l’exemple de Julianus par l’honneur que nous apportons à ce foyer, nous n’hésitons pas à donner la citoyenneté romaine, tout en
sauvegardant le droit local (ius gentis), à Julianus lui-même, à son épouse Ziddina et à leurs enfants Julianus, Maximus, Maximinus
et Diogenianus ».
Lettre de Marc Aurèle et de son fils Commode au procurateur de Maurétanie tingitane, Vallius Maximianus.
« Exemplaire de la lettre des empereurs Antonin et Commode, les Augustes, à Vallius Maximianus : nous avons pris connaissance
de la requête du chef du peuple des Zegrenses et nous constatons qu’elle bénéficie d’un avis très favorable de ton prédécesseur
Epidius Quadratus ; c’est pourquoi convaincus et par son témoignage et par les mérites du requérant et les preuves qu’il peut allé-
guer, nous donnons à son épouse et à ses fils la citoyenneté romaine, sans porter atteinte au droit local (ius gentis). Afin que nous
puissions le faire porter sur nos registres (commentarii), vérifie l’âge de chacun et écris-le-nous ».
3e texte :
« Copie certifiée conforme au registre des empereurs qui ont octroyé le droit de cité romaine, le divin Auguste, Tibère César Auguste,
Caius César, le divin Claude, Néron, Galba, les divins Augustes Vespasien et Titus, César Domitien, les divins Augustes Nerva, Trajan
Parthique, Trajan Hadrien, Hadrien Antonin le Pieux, Verus Germanique, Médique et très grand Parthique, l’empereur César Marc
Aurèle Antonin Auguste Germanique et Sarmatique et l’empereur César Lucius Aurelius Commode Auguste Germanique et
Sarmatique, qu’a présenté l’affranchi Asclepiodotus. Ce qui est inscrit ci-dessous : Sous le consulat de l’empereur César Lucius
Aurelius Commode Auguste et de Marcus Plautius Quintillus, la vieille des nones de juillet, à Rome ».
« Faggura, épouse de Julianus, chef du peuple des Zegrenses, âgée de 22 ans, Juliana, âgée de 8 ans. Maxima, âgée de 4 ans,
Julianus, âge de 3 ans, Diogenianus, âgé de 2 ans, enfants de Julianus mentionné ci-dessus. À la demande d’Aurelius Julianus, chef
des Zegrenses, sous forme d’une requête, sur recommandation par lettre de Vallius Maximianus, nous leur donnons la citoyenneté
romaine sans porter atteinte au droit local (jus gentis), sans diminution des tributs et taxes ou redevances du peuple et du fisc ».
« Fait ce même jour, au même endroit, sous les mêmes consuls. Moi, Asclepiodotus, affranchi, je l’ai certifié conforme. Ont signé
comme témoins :
Marcus Gavius Squilla Gallicanus, fils de Marcus, de la tribu Poblilia.
[Manius] Acilius Glabrio, fils de [Manius], de la tribu Galeria.
Titus Sextius Lateranus, fils de Szxtius, de la tribu Voturia.
Cius Septimius, fils de Caius, de la tribu Quirina.
Publius Julius Scapula Tertullus, fils de Caius, de la tribu Sergia. [...]

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