­­Jeudi 16­ mars 2023

79e année – No 24321

3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio

Europe : les volte-face de l’Allemagne inquiètent

▶ Du fait des tensions ▶ Moteurs thermiques, ▶ « Ça veut dire qu’il n’y ▶ L’ambassadeur allemand ▶ Une réforme du marché
qui traversent la coalition pacte de stabilité… Berlin a plus jamais d’accord », auprès de l’UE a adressé de l’électricité européen a
« feu tricolore » (SPD, revient sur des textes cingle Pascal Canfin, une lettre à la chancellerie néanmoins été présentée
Verts, FDP), Olaf Scholz pourtant négociés entre président de la commis- pour l’alerter sur le man- mardi 14 mars par la
peine à donner un cap Etats membres et validés sion environnement que de direction insufflée Commission européenne
clair à sa politique par l’Union européenne du Parlement européen par son gouvernement Page s 14- 15

Etats-Unis La Fed va-t-elle

▶ Selon l’enquête an-
nuelle du Cevipof, le
perdre le contrôle de l’inflation ?
niveau de confiance Que décidera la banque centrale chés. En attendant que le chô-
des Français envers

Réforme
américaine (Fed) lors de la pro- mage, au plus bas depuis la fin des
les institutions est chaine réunion de son comité de années 1960, n’ajoute un nou-
politique monétaire, le 22 mars ? veau paramètre à cette situation
au plus bas depuis Avant la faillite de la Silicon Valley déjà quasi inextricable.
la crise des « gilets

des retraites
Bank (SVB), elle était partie sur La Banque centrale européenne,
jaunes » une hausse des taux d’intérêt non sans prudence, observe les
d’un demi-point pour tenter de faits et gestes de la Fed à la loupe.
▶ Dans un pays reprendre en main la situation Pag e 16
après de mauvais chiffres de l’in-
déchiré par la ré-
1 éditorial
flation (+ 6 % en février). La décon-

La grande
forme des retraites, fiture de la banque californienne
la dégradation pourrait inciter Jerome Powell, le
des conditions
patron de la Fed, à changer de Les leçons d’une
de travail nourrit
pied. Il se bat désormais sur trois
fronts : l’inflation, les banques im-
faillite bancaire
prudentes et la défiance des mar- page 28
la contestation
▶ Majorité, opposi-

déchirure
tions : enquête
sur un climat Entretien Egypte
politique éruptif
▶ « Un gouverne-
« Nous sommes La politique de
ment avisé doit se entrés dans Sissi paralysée
garder de mépriser
la démocratie so- une économie par la crise
ciale », estime le ju-
riste Alain Supiot
de guerre » économique
dans une tribune Le délégué général pour Les pays du Golfe et le FMI
au « Monde » l’armement, Emmanuel poussent le pouvoir
Chiva, souhaite « lever à ouvrir de larges secteurs
les réticences à financer de son économie. Les
P. 6 à 8 et idé e s p. 2 5 la défense » généraux rechignent
page 4 pag es 2- 3

Aménagement
L’Etat veut
Elections 2022
Les comptes
Environnement
L’administration
Télévision
redessiner de campagne Biden approuve un Sur Arte,
la périphérie de Macron, Le Pen immense projet la passion
des villes et Mélenchon pétrolier en Alaska
Page 17 Pag e s 1 0 - 1 1 Page 1 2 d’Aldo Moro
selon Bellocchio
Vu par urbs (France) Cartooning for Peace A 83 ans, le cinéaste italien
consacre sa première
Photo : Flavien Carlod, non contractuelle.

série à l’enlèvement et
à l’assassinat d’Aldo Moro,
du 16 mars au 9 mai 1978,
par les Brigades rouges
pag es 2 0- 21

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Ludovic Tézier
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 International
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2| ­
­Jeudi 16­ mars 2023

C r i s e é c o n o m i q u e e n É gy p t e

Des portraits du président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, avec le slogan « Notre but commun est l’Egypte : notre rêve et notre espoir », au Caire, le 22 février. Amr Nabil/AP

L’Egypte d’Abdel Fattah Al-Sissi ­ cquis sur l’étendue et le calen-

a
drier des privatisations. Dans les
médias, au Parlement, des voix
s’élèvent contre le gouvernement.

au bord de la faillite
« Le feu vert a, sans doute, été
donné par un soutien haut placé
dans l’Etat, peut-être à l’étranger »,
estime Timothy Kaldas. « On com-
prend qu’au sein du secteur public
les négociations vont bon train sur
Beyrouth - correspondante qui va porter le poids des réfor-
La guerre en Ukraine a précipité l’effondrement d’une économie mes », poursuit Amr Adly. La posi-
tion de M. Sissi est l’objet de spé-
privilégiant les grands projets voulus par le chef de l’Etat

L
es rêves de grandeur
d’Abdel Fattah Al-Sissi
s’effondrent. La politi-
que des mégaprojets
que le raïs égyptien a
promue depuis son
accession au pouvoir, en 2013,
pour parer l’Egypte d’une moder-
nité aux allures de monarchie du
Golfe – de la construction d’une
nouvelle capitale high tech au
Grand Musée égyptien du Caire –
a montré ses limites.
L’ère de la dépense sans comp-
ter, permise par les largesses des
parrains de ce même Golfe et le
creusement de la dette publique,
est révolue. La guerre en Ukraine a
précipité l’effondrement de l’éco-
nomie égyptienne. Le Fonds mo-
nétaire international (FMI), en-
couragé par Riyad et Abou Dhabi,
réclame une cure d’austérité et un
changement de modèle économi-
que en profondeur. Selon l’insti-
tution financière internationale,
l’heure est venue de sortir du diri-
gisme d’Etat sur lequel l’armée
a construit un empire économi-
que, pour faire revenir les inves-
tissements étrangers et redonner
sa place au secteur privé, en berne.
Le Caire n’a plus le loisir de ter-
giverser. Alors qu’elle se remet-
tait timidement des effets de la
pandémie de Covid-19, au prin-
temps 2022, l’Egypte a vu s’éva-
nouir 23 milliards de dollars
(21,4 milliards d’euros) de capi-
taux étrangers de son économie,
conséquence de l’onde de choc
mondiale provoquée par la
guerre en Ukraine. A court de li-
quidités, elle se trouve désormais
face à une obligation : rembour-
ser une dette estimée à 93 % de
son produit intérieur brut.
Les faiblesses de cette économie
émergente étaient censées avoir
été corrigées grâce au plan conçu
avec le FMI après une première
crise en 2016. Elles sont réappa-
rues, béantes. Cette fois, le FMI et
les parrains du Golfe ont tiré les le-
çons et exigent du Caire qu’il ré-
duise le contrôle de l’Etat et de l’ar-
mée sur l’économie. Le FMI a con-
cédé, en décembre 2022, un nou-
veau prêt de 3 milliards de dollars,
faisant de l’Egypte l’un de ses
principaux débiteurs. « C’est un
petit prêt, fait pour gagner du
temps, tester la volonté réformiste
du régime et voir si le Golfe se dé-
cide à investir », analyse Ishac
Diwan, professeur à l’Ecole d’éco-
nomie de Paris. L’institution fi-
nancière compte sur les investis-
seurs du Golfe pour combler le dé-
ficit de financement extérieur, es-
timé à 17 milliards de dollars pour
les quatre ans à venir.
Au début de la crise, les bailleurs
du Golfe avaient volé au secours
du Caire, avec un montant total de
23 milliards de dollars de dépôts à
la banque centrale et des investis-
sements. Mais, à la différence de
À court de liquidités,
Le pays se trouve face
à une obligation :
rembourser une dette
estimée à 93 % de son
produit intérieur brut
2016, où Riyad et Abou Dhabi
avaient signé un chèque en blanc
au président Sissi pour stabiliser
son pouvoir, ils posent
aujourd’hui leurs conditions.
Plan de privatisation
« Le Golfe porte un intérêt géopoli-
tique à l’Egypte, mais son engage-
ment à soutenir le pays commence
à devenir un fardeau. Il veut ratio-
naliser ses investissements en ren-
dant [le pays] plus productif », ex-
plique Amr Adly, politologue à
l’université américaine du Caire.
Anticipant la fin de la manne pé-
trolière, les puissances du Golfe
priorisent leur économie. Et leur
soutien direct au régime égyptien
commence à ressembler à un in-
vestissement à perte. Ports, éner-
gies, banques ou immobilier : in-
vestir dans les secteurs lucratifs
de ce vaste marché de 104 mil-
lions d’habitants, bien positionné
à l’export vers l’Afrique et le
Moyen-Orient, leur semble une
option bien plus alléchante.
Certains s’interrogent, en
Egypte, sur les implications po-
tentielles d’une plus grande pré-
sence des monarchies du Golfe
dans l’économie. « Doit-on parler
de privatisation si ce sont les fonds
souverains golfiens qui investis-
sent ? », s’interroge Timothy Kal-
das, directeur adjoint du Tahrir
Institute for Middle East Policy.
L’inquiétude cède le pas à des pro-
testations aux accents nationalis-
tes, comme lorsque a été propo-
sée, dans une loi en discussion au
Parlement, la cession de parts
dans des activités liées au très
stratégique canal de Suez.
Les autorités ont déjà mis en
place des mesures de rigueur fis-
cale pour apaiser les bailleurs in-
ternationaux. La livre égyp-
tienne a été dévaluée face au dol-
lar. La perte de 50 % de sa valeur
en un an a poussé l’inflation à des
niveaux record (+ 31,9 % en fé-
vrier), avec des effets dévasta-
teurs pour les ménages égyp-
tiens et le secteur productif, dé-
pendant des importations. Le ris-
que de défaut sur la dette
souveraine est toujours pris au
sérieux. « Pour le moment, le gou-
vernement égyptien est en mesure
de le gérer grâce à la rigueur fis-
cale, au plan de remboursement
bien étalé et au soutien du FMI »,
estime James Swanston, écono-
miste à Capital Economics.
Le plan de privatisation des en-
treprises publiques, l’un des vo-
lets du plan de réforme auquel
s’est engagé le gouvernement
auprès du FMI, est attendu. Les
grandes lignes dessinées en
mai 2022 semblaient toutefois fa-
milières, tant les promesses de li-
béralisation n’ont pas manqué ces
dernières années. Le plan, adoubé
par le président Sissi, prévoit que
l’Etat sorte de 79 secteurs et ré-
duise sa présence dans 45 autres
pour se recentrer sur douze sec-
teurs. Sa première phase, dévoilée
en février, prévoit la cession
d’ici un an, de parts dans 32 entre-
prises publiques (dont deux mili-
taires) : banques, compagnies
d’assurances, hôtels… Mais la lita-
nie d’annonces et de contre-an-
nonces sur les modalités de ces-
sion décontenance les investis-
seurs potentiels. « Les investis-
seurs sont prudents. Ils attendent
de voir si, cette fois, les promesses
de réforme seront suivies d’effet et
si les militaires, qui se sont accapa-
rés d’actifs de l’Etat, vont opposer
une résistance », indique James
Swanston. Le sentiment domine
que l’Etat et l’armée sont plus in-
téressés à recapitaliser leurs socié-
tés grâce aux investissements
étrangers qu’à mener à bien la pri-
vatisation de l’économie. « Saou-
diens et Emiratis expriment une
frustration de plus en plus grande
quant au sérieux du régime à en-
gager les réformes indispensa-
bles », note Timothy Kaldas.
Voix critiques au Parlement
La phase de grandes annonces
spectaculaires d’investissements
par milliards de dollars est termi-
née. Certaines négociations sem-
blent suspendues, comme celle
entre le fonds souverain saoudien,
le Public Investment Fund et la
United Bank, une banque égyp-
tienne, ou entre son homologue
qatari, la Qatar Investment Autho-
rity, et la société de téléphonie Vo-
dafone Egypt. « Ça ne se passe pas
très bien, car les Egyptiens veulent
estimer la valeur des actifs en dol-
lars tandis que les investisseurs du
Golfe veulent acheter en livres
égyptiennes », explique l’analyste
politique Maged Mandour.
Au sommet de l’Etat égyptien, le
consensus semble loin d’être
culations. A son arrivée au pou-
voir, il a mis les milieux d’affaires
au pas, les soumettant au bon
vouloir des militaires, qui ont pris
les rênes des grands travaux.
Mais, depuis 2018, M. Sissi fait
pression pour que les entreprises
militaires s’ouvrent aux investis-
sements privés. « Nous avons be-
soin de vous [le secteur privé], car,
depuis quarante ans, nous [l’Etat]
nous sommes montrés incompé-
tents dans la gestion de nos pro-
jets », avait-il reconnu en décem-
bre 2021. Le président est face à
une situation complexe : com-
ment satisfaire le FMI et ses par-
rains du Golfe sans perdre le sou-
tien des militaires ? « Sissi n’a ni
parti ni base populaire, il ne peut
pas se permettre une confronta-
tion avec l’armée. Je ne suis même
pas certain qu’il en ait l’ambition »,
estime Maged Mandour. S’il choi-
sit l’austérité sans les réformes, le
pays risque de s’enfoncer dans
une crise durable. « Que l’Egypte
soit “too big to fail” [“trop impor-
tante pour échouer”] ne veut pas
dire que les souffrances lui seront
épargnées », dit Timothy Kaldas.
Saignés à blanc par la crise de
2016, les Egyptiens subissent les
effets de l’inflation. Près de la moi-
tié de la population vit près du
seuil de pauvreté ou en dessous.
La répression empêche la contes-
tation de s’exprimer. Mais le prési-
dent Sissi montre des signes d’in-
quiétude et agite la menace d’une
résurgence djihadiste en cas de
déstabilisation du pays. Dans une
référence à la révolution de 2011, il
a averti, le 9 mars : « Prenez garde,
Egyptiens, de ne pas causer une fois
de plus la ruine de votre pays ! » p
Hélène Sallon
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
L’armée égyptienne
s’accroche à son empire
économique
Malgré les pressions du FMI et des bailleurs
du Golfe, les généraux rechignent à céder
des parts des entreprises qu’ils contrôlent
Beyrouth - correspondante
A u sein du vaste empire
que s’est constitué l’ar-
mée en Egypte, deux so-
ciétés sont censées s’ouvrir
aux investisseurs privés. La so-
ciété Wataniya, qui opère plus de
250 stations essence, et la société
d’embouteillage d’eau minérale
Safi, font partie des premières
­privatisations que le gouverne-
ment espère conclure. « Ils le pro-
mettent depuis des années, ils re-
tardent et retarderont encore,
nuance, sceptique, Yezid Sayigh,
directeur du programme sur les
relations militaro-civiles dans le
monde arabe au centre Carnegie
de Beyrouth. La principale raison
en est la réticence des militai-
res à renoncer à tout ce qu’ils
consi­dèrent comme une vache à
lait. Des officiers ou entités peu-
vent avoir un intérêt direct à
­conserver des entreprises, même
peu rentables, pour en tirer des bé-
néfices, des pots-de-vin… »
L’appétit des militaires s’est
aiguisé sous la présidence du
­maréchal Abdel Fattah Al-Sissi.
Colonne vertébrale de l’Etat de-
puis 1952, l’armée est devenue le
fer de lance de la politique de mé-
gaprojets de l’ancien chef du ren-
seignement militaire, porté au
pouvoir par la contre-révolution
égyptienne de 2013. La tradition
consistant à rétribuer les officiers
à la retraite avec des postes dans
la haute administration, les en-
treprises d’Etat et les autorités
­locales en échange de leur loyauté
a été perpétuée.
L’ascendant des militaires sur
les grandes orientations éco­-
nomiques, l’allocation des bud-
gets et des contrats publics s’est
accru. Sortant de son pré carré
historique, qui va du canal de
Suez aux hydrocarbures, en
­passant par les transports et
les télécommunications, l’armée
a étendu son empire.
Fermes piscicoles, industrie
pharmaceutique, médias… : l’en-
trisme des militaires a gagné de
nouveaux secteurs, au risque de
déstabiliser des pans entiers de
l’économie. Véritables boîtes noi-
res, les soixante-douze entrepri-
ses placées sous la tutelle des mi-
nistères de la production mili-
taire et de la défense, ainsi que de
l’Organisation arabe pour l’indus-
trialisation, œuvrent dans une
parfaite opacité financière, sans
contrôle sur leurs comptes ni sur
leurs performances. Elles ne
paient ni taxes ni impôts.
Les conscrits servent de
main-d’œuvre bon marché. Les
militaires s’arrogent les marchés
publics et disposent, comme bon
leur semble, des terres d’Etat.
Les banques ne peuvent rien leur
refuser, pas plus que les entrepre-
neurs du secteur privé, obligés
de composer avec la concurrence
déloyale des militaires.
« L’armée est un acteur coercitif
qui fait fuir les investisseurs étran-
gers. Cela rend l’économie de
moins en moins attractive dans
de nombreux domaines », déplore
Les soixante-douze
entreprises placées
sous la tutelle des
ministères œuvrent
dans une parfaite
opacité financière
Timothy Kaldas, directeur adjoint
du Tahrir Institute for Middle East
Policy. Selon lui, le Fonds moné-
taire international (FMI) et les
grands bailleurs de fonds de
l’Egypte, comme les Emirats ara-
bes unis et l’Arabie saoudite, ont
trop longtemps fermé les yeux
sur ce phénomène. Le ton a
changé avec l’effondrement de
l’économie égyptienne dans le
sillage de la guerre en Ukraine. La
réduction de l’empreinte de l’Etat
et de l’armée dans l’économie est
désormais érigée en priorité par
le FMI, qui a accordé un troisième
prêt à l’Egypte en décembre. Les
parrains du Golfe œuvrent en
coulisses pour que plus aucune
concession ne soit faite au Caire.
L’armée a jusqu’à présent ré-
sisté à toutes les pressions du pré-
sident Sissi, n’hésitant pas à faire
capoter des opportunités d’inves-
tissements majeurs. Depuis 2018,
M. Sissi exhorte l’armée à se sépa-
rer d’une partie de ses actifs, soit
en les vendant en Bourse, soit en
les confiant au Fonds souverain
pour l’Egypte. La promesse que ce
dernier avait faite en 2020
d’ouvrir dix entreprises militaires
aux investissements privés ne
s’est pas concrétisée.
Intéressée par Wataniya, la
­compagnie publique émiratie
Abu Dhabi National Oil Company
a jeté l’éponge pour racheter 50 %
des parts de TotalEnergies Egypte.
« Les sociétés militaires peuvent
avoir une très mauvaise compta-
bilité financière. Cela rend difficile,
voire impossible, de réaliser des
­inventaires et des études de
­marché, préalable pourtant indis-
pensable aux investissements pri-
vés et aux achats d’actions », expli-
cite M. Sayigh.
Agacement de l’Arabie saoudite
Il reste à voir si les parts des socié-
tés Safi et Wataniya, qui devaient
être mises sur le marché mercredi
15 mars, trouveront preneurs. Il
n’est prévu de céder, à ce stade,
qu’une participation minoritaire.
« Les investisseurs étrangers sont
réticents à investir s’ils n’ont ni le
contrôle sur la gestion de l’entre-
prise, ni même un vote décisif au
conseil d’administration. Il est im-
possible d’imposer son avis aux
généraux », estime un industriel
étranger. Les Golfiens attendent
des gestes de bonne volonté.
L’Arabie saoudite ne cache plus
son agacement. En janvier, elle a
boycotté une conférence orga­-
nisée par le dirigeant émirati
­Mohammed Ben Zayed Al Na-
hyane en présence de M. Sissi. Les
commentateurs saoudiens pro-
ches de la couronne se sont em-
pressés de critiquer Le Caire sur
les réseaux sociaux, à l’instar de
Turki Al-Hamad qui a dénoncé
« l’hégémonie croissante de l’ar-
mée sur l’Etat et l’économie »,
cause « du chômage et des crises
économiques ».
L’armée n’est pas insensible aux
critiques qui écornent son image.
Dans un rare exercice de transpa-
rence, le général Walid Hussein
Abu Al-Majd, à la tête de l’agence
qui réunit les entreprises sous tu-
telle de la défense, a détaillé mi-
février le montant des impôts,
taxes et frais que ces sociétés ont
payé à l’Etat en 2022. Mais les cri-
tiques n’empêchent pas l’armée
de poursuivre ses investisse-
ments à bon rythme : complexe
hôtelier de luxe sur la mer Rouge,
licence pour des vaccins, fran-
chise exclusive sur 3 600 kilo­-
mètres de routes… p
Hélène Sallon
La peur d’un séisme pousse des
habitants d’Istanbul à fuir la ville
La catastrophe qui a touché le sud-est de la Turquie a ravivé
la conscience du risque encouru par 16 millions de Stambouliotes
Istanbul - correspondance
A
ssise sur un banc, dans
les jardins d’une paisi-
ble résidence, Esra Yil-
maz (le nom a été mo-
difié) lève les yeux vers l’imposant
bâtiment beige qui lui fait face.
« Notre immeuble fait quinze éta-
ges. Il y a une soixantaine d’appar-
tements, mais le nôtre est en sous-
sol », explique la femme de mé-
nage, 43 ans, les traits tirés. Elle,
son mari et ses deux enfants se
sont installés il y a huit ans à Eren-
köy, quartier tranquille de la rive
asiatique d’Istanbul. Mais depuis
le double séisme qui a dévasté le
sud-est de la Turquie, le 6 février
(et qui a fait 48 000 morts dans le
pays selon le dernier bilan), Esra
ne dort plus : « Je suis très angois-
sée. Je n’arrive à tenir qu’en prenant
des antidépresseurs. Chaque soir,
je dépose un verre d’eau et quel-
ques biscuits au pied du lit de mes
enfants au cas où [un nouveau
séisme se produisait], car si l’im-
meuble s’effondre, nous serons les
derniers secourus », poursuit-elle.
Son mari Hüseyin, assis à ses cô-
tés, fume nerveusement et secoue
la tête pour marquer son désac-
cord : comment espérer ressortir
sain et sauf d’un tel sous-sol ?
Comme des millions de Turcs, Esra
et Hüseyin ont été saisis d’effroi
lorsqu’ils ont découvert les ima-
ges de la catastrophe dans le sud-
est du pays. Des images qui ont eu
une résonance particulière à Is-
tanbul. Depuis le tremblement de
terre d’Izmit en 1999, dont le bilan
officiel s’est élevé à 17 480 victimes
(en réalité, sans doute nettement
plus), les sismologues du pays
n’ont cessé d’alerter sur l’approche
du « Big One » – un séisme de ma-
gnitude supérieure à 7 sur l’échelle
de Richter au large d’Istanbul –, qui
pourrait être le plus meurtrier de
l’histoire du pays si des mesures
d’ampleur de renforcement du
bâti n’étaient pas prises à temps
dans la mégapole.
En Pologne, une militante du droit
à l’avortement condamnée par la justice
Justyna Wydrzynska avait envoyé des pilules abortives à une femme en détresse
Varsovie - correspondance
D ans une salle de tribunal
bondée, à Varsovie, Jus-
tyna Wydrzynska se tient
droite dans le box des accusés au
moment d’entendre sa condam-
nation, mardi 14 mars, onze mois
après le début de son procès. La
juge déclare la militante du droit à
l’interruption volontaire de gros-
sesse (IVG) « coupable » d’avoir
« aidé à avortement ». Sa peine ?
Huit mois – deux cent quarante
heures – de travaux d’intérêt géné-
ral. Un demi-soulagement, alors
que l’article 152 du code pénal, qui
vise ce délit, prévoit jusqu’à trois
ans d’incarcération. C’était la pre-
mière fois qu’était jugée une mili-
tante pour avoir aidé une femme
hors du cercle familial en Pologne.
Pilier du collectif Avortement
sans frontières, Justyna Wy-
drzynska avait, en 2020, aidé une
femme à interrompre une gros-
sesse non désirée en lui envoyant
ses propres pilules abortives, per-
mettant une IVG médicamen-
teuse. La quadragénaire ne con-
naissait pas la dénommée Ania,
une mère de famille aux prises
avec un partenaire violent, qui
Le couple a toujours eu cons-
cience du risque sismique, mais
l’horreur de la catastrophe de Ka-
hramanmaras a agi comme une
prise de conscience de la réalité de
la menace. Alors, la mort dans
l’âme, ils ont pris la décision de
quitter la ville et de se réinstaller
dans leur région d’origine, à Ordu,
sur les bords de la mer Noire :
« J’aimerais beaucoup rester à Is-
tanbul, mais nous n’avons pas le
choix. Le prix des loyers a explosé…
20 000-25 000 livres turques
[1 000-1 200 euros]… c’est plus que
le revenu minimum », se désole
Esra, dont les revenus se réduisent
comme peau de chagrin sous l’ef-
fet d’une inflation vertigineuse.
Repousser l’arrivée du « Big One »
Depuis le séisme du 6 février, les
Stambouliotes gardent les yeux
rivés sur le compte Twitter de l’ob-
servatoire de Kandilli, qui enregis-
tre en temps réel les mouvements
des plaques tectoniques du pays.
Les commentaires vont bon train
sur les réseaux sociaux et la sis-
mologie semble s’être transfor-
mée en science populaire, au
grand dam des scientifiques.
Le matin du 9 mars, encore, la
terre a tremblé aux abords de la
mer de Marmara. La secousse
n’était certes que de 4 sur l’échelle
de Richter, demeurant impercep-
tible, mais elle a contribué à ali-
menter l’anxiété générale. Une
croyance bien répandue voudrait
que les secousses de faible inten-
sité permettent de « libérer l’éner-
gie sismique » et ainsi de repous-
ser l’arrivée du « Big One ».
« Mais qui répand ce genre de
­bêtises ? », fulmine Naci Görür,
l’un des sismologues les plus ré-
putés du pays, devenu dernière-
ment une célébrité nationale. Le
scientifique sexagénaire prédit
inlassablement depuis des décen-
nies, sans être écouté, les zones
où risquent de se produire les
prochains séismes. Elazig, Is-
tanbul, Kahramanmaras. A cha-
avait fait appel à Avortement sans
frontières. Son compagnon, qui
lui avait interdit de se rendre en
Allemagne pour avorter, s’est em-
paré du colis et a appelé la police.
Ania a fini par faire une fausse
couche. « Je n’ai jamais regretté.
Il s’agissait juste d’aider mon pro-
chain, alors qu’Ania était victime
de violences », avait témoigné
­Justyna Wydrzynska auprès du
Monde fin 2022.
« Ce jugement est une honte »
La militante a annoncé vouloir
faire appel. « Je ne me sens pas du
tout coupable. Nous allons tout
simplement continuer notre tra-
vail et répondre à chaque appel à
l’aide pour une IVG », a-t-elle dit.
La loi en Pologne est l’une des
plus répressives de l’Union euro-
péenne. Elle n’autorise l’avorte-
ment qu’en cas de danger pour la
vie de la femme enceinte, de viol
ou d’inceste. Et l’accès effectif à ce
droit est souvent entravé. Des ma-
nifestations monstres avaient ac-
compagné l’interdiction d’avor-
ter en cas de grave malformation
fœtale, entrée en vigueur en jan-
vier 2021 après un jugement du
Tribunal constitutionnel d’octo-
International | 3
« Je suis très
angoissée.
Je n’arrive à
tenir qu’en
prenant des
antidépresseurs »,
raconte
une Stambouliote
que tremblement de terre, les
autorités et les médias exhument
a posteriori ses alertes.
« Jusqu’à l’arrivée d’Ekrem Ima-
moglu [personnalité de l’opposi-
tion, maire d’Istanbul depuis
2019], personne ne nous prenait
véritablement au sérieux, peste-
t-il. J’ai été officiellement sollicité
pour la première fois après le der-
nier séisme à Gaziantep et Marach
par la présidence pour être intégré
à des groupes de travail. » Lui-
même a pris la précaution depuis
1999 de vivre dans une maison de
plain-pied à Zekeryaköy, un quar-
tier excentré du nord d’Istanbul.
Depuis l’arrivée au pouvoir de
l’opposition à la tête de la ville
en 2019, la municipalité s’efforce
de mettre en conformité les bâti-
ments. Une cinquantaine d’équi-
pes travaillent, chaque jour, à éva-
luer la qualité antisismique des
constructions, mais dans cette
ville tentaculaire de 16 millions
d’habitants, la tâche est hercu-
léenne. « Parmi les constructions
que nous contrôlons, près de la
moitié des immeubles sont consi-
dérés comme “très à risque” », dé-
plore Özlem Tut, architecte à la
tête du département spécialisé,
le bureau de prévention sismique
et d’étude des sols.
Les listes d’attente pour des
­contrôles ne cessent de s’allonger.
Habib et Dilara Yücel, couple de
trentenaires, n’attendront pas les
conclusions du département de la
municipalité : « Nous avons posé la
bre 2020. Si l’aide à l’avortement
est passible de poursuite, il n’en
va pas de même pour une femme
qui s’administre elle-même des
pilules obtenues pas ses propres
moyens. Et c’est justement ce
rouage-là qu’actionnent les mili-
tants et ONG œuvrant dans ce do-
maine, envoyant des pilules ano-
nymement depuis l’étranger.
« Ce jugement est une honte. Cette
affaire est avant tout politique »,
déplore Kinga Jelinska, à la tête de
Women Help Women, une organi-
sation membre d’Avortement sans
frontières, qui se charge d’en-
voyer des comprimés permettant
d’avorter à domicile. « Le pouvoir
est complètement coupé de la réa-
lité, dénonce-t-elle : la majorité des
Polonais est désormais favorable à
l’avortement. Quant à Ania, elle a
même envoyé une lettre à Justyna
Wydrzynska pour la remercier de
“son acte d’humanité”. »
Le gouvernement ultraconser-
vateur en place en Pologne depuis
2015 a partiellement mis la main
sur l’appareil judiciaire, affaiblis-
sant son indépendance. Le con-
texte électoral – le pays renouvel-
lera ses deux chambres parle-
mentaires à l’automne – a sans
question au propriétaire et il nous
a répondu que l’immeuble était fia-
ble. Mais bien sûr, après avoir com-
mencé à vivre ici, j’ai parlé à
d’autres propriétaires. L’un d’entre
eux m’a répondu qu’il datait de
1978 et qu’ils avaient utilisé du sa-
ble [de mauvaise qualité] à l’épo-
que », raconte Habib, très inquiet.
Ce professeur de littérature tur-
que est originaire d’Adiyaman,
l’une des villes les plus touchées
par les destructions. Il voulait de-
puis longtemps quitter Istanbul,
mais ne parvenait pas à convain-
cre son épouse. « Le séisme m’a
fait changer d’avis », reconnaît
aujourd’hui la jeune femme, qui
est désormais la plus impatiente
des deux à vouloir fuir la ville.
« J’ai commencé à avoir des pal-
pitations cardiaques. C’était telle-
ment fort qu’un jour je ne pouvais
presque plus bouger. Mon mari
m’a emmenée à l’hôpital. Ils m’ont
examinée, et ils m’ont dit que
c’était dû au tremblement de terre
et que j’avais des troubles liés à
l’anxiété. J’ai plus de cheveux
blancs aussi. C’est le bilan du mois
qui vient de s’écouler », résume-t-
elle. Partout, ces craintes animent
les conversations.
Les statistiques ont beau faire
défaut, les déménagements et les
départs se multiplient. En atten-
dant de quitter Istanbul, le couple
a revu le contenu de son deprem
çantasi (« kit antisismique »), un
sac rempli de vivres et de médica-
ments de base, que les autorités
conseillent à chaque foyer de pré-
parer. Habib a aussi téléchargé sur
son téléphone plusieurs applica-
tions d’urgence à utiliser s’il ve-
nait à être coincé sous les décom-
bres : l’une d’entre elles imite le
son d’un sifflet, l’autre appelle
automatiquement les urgences,
et la dernière, baptisée « Je suis en
sécurité », envoie une notification
aux équipes de secours d’AKUT,
association de sauvetage bien
connue dans le pays. p
Angèle Pierre
doute aidé à faire pencher la ba-
lance vers une peine plus clé-
mente, de l’avis de Natalia Bro-
niarczyk, également militante à
Avortement sans frontières : « La
peine maximale, ça aurait été du
suicide alors que 70 % de la popu-
lation soutient l’accès à l’IVG ! »
Une proposition de loi pré-
voyant d’incriminer tout tiers in-
formant sur les possibilités d’avor-
ter en Pologne comme à l’étranger
a d’ailleurs été rejetée en première
lecture à la Diète, le 7 mars. « Ce ver-
dict, comme le jugement du Tribu-
nal constitutionnel de 2020 sur
l’IVG, remet la question de l’avorte-
ment à l’ordre du jour dans l’opi-
nion publique, contribuant à faire
tomber les tabous », estime Karo-
lina Gierdal, une avocate membre
du collectif Avocates pro-IVG.
A l’extérieur du tribunal, Pluto,
un activiste LGBTQ , a bien du mal
à faire porter sa voix alors que les
haut-parleurs d’un camion anti-
avortement assènent des cris de
nourrisson. « Cette condamnation
pour excès d’empathie est absurde.
Ils ne comprennent pas qu’on va
continuer à s’entraider. Notre soli-
darité est inébranlable. » p
Hélène Bienvenu

4 | International
« Nous sommes entrés dans l’économie de guerre »
Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, souhaite « lever les réticences à financer la défense »
Entretien
D
epuis août 2022, Em-
manuel Chiva, 53 ans,
est à la tête de la direc-
tion générale de l’ar-
mement (DGA), ce service de plus
de 10 000 personnes, dont la moi-
tié d’ingénieurs, qui coordonne,
en lien avec les armées, l’ensem-
ble des programmes d’armement
français. A ce titre, il est l’un des
principaux acteurs de la mise en
œuvre de l’« économie de guerre »
voulue par le président de la Répu-
blique, depuis le début du ­conflit
en Ukraine, le 24 février 2022.
En juin 2022, Emmanuel
Macron appelait les industriels
de l’armement à passer
à un modèle d’« économie
de guerre ». Où en est-on ?
Nous sommes entrés dans cette
économie de guerre. Depuis juin,
avec le ministre des armées, nous
avons vu à trois reprises l’ensem-
ble des représentants de notre
base industrielle de défense.
Nous avons lancé cinq groupes de
travail, qui ont abouti à de pre-
miers résultats concrets, en ma-
tière de stocks stratégiques, de ré-
duction des délais, d’augmenta-
tion des cadences de production
par exemple. Les industriels ont
notamment mutualisé leur ap-
provisionnement en titane, un
matériau très précieux pour l’aé-
ronautique qui venait jusqu’ici
principalement de Russie. Nous
avons aussi avancé sur les reloca-
lisations de filières, notamment
celle liée aux poudres explosives.
Tout ce qui peut nous permettre
de produire plus et plus vite est
aujourd’hui privilégié.
Les industriels réclament aussi
des commandes fermes et pas
seulement des promesses
d’achat. L’Etat augmente-t-il
ses commandes d’armement ?
Nous avons fait des comman-
des et nous continuons à en faire.
En 2022, nous avons, par exem-
ple, commandé 218 missiles anti-
aériens Aster, 100 missiles antiaé-
riens Mistral et 200 missiles anti-
chars de moyenne portée. Un cer-
tain nombre de choses ont été
accélérées. Les industriels ont
aujourd’hui de la visibilité, ce qui
n’était pas nécessairement le cas
il y a encore quelques mois. Notre
inquiétude porte plus sur les pe-
tits sous-traitants, qui ne bénéfi-
cient pas tous de cette même visi-
bilité. Nous avons identifié deux
cents goulets d’étranglement
parmi ces PME, qui ne sont pas ca-
pables de répondre à une hausse
de leur activité par manque de
main-d’œuvre, par limitation de
l’outil productif, pour des ques-
tions d’approvisionnement, etc.
Un drone américain « touché » par un avion russe au-dessus de la mer Noire
Washington a dénoncé un acte « irréfléchi », « non professionnel » et « dangereux ». Moscou a démenti tout contact entre les appareils
Washington - correspondant
C’ est le premier incident
direct entre les Etats-
Unis et la Russie depuis
le début de la guerre en Ukraine.
Mardi 14 mars, un chasseur
Sukhoï Su-27 russe est entré en
collision avec un drone
MQ-9 Reaper américain au-des-
sus de la mer Noire, provoquant
la perte de contrôle et la chute de
ce dernier. « Notre drone effec-
tuait des opérations de routine
dans l’espace aérien international
quand il a été intercepté et touché
par un avion russe, entraînant le
crash et la perte du MQ-9 », a dé-
claré le général James Hecker,
commandant des forces aérien-
nes américaines en Europe, dans
Le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva (à gauche), à Biscarrosse (Landes), le 30 septembre 2022. THIBAUD MORITZ/AFP
« Tout ce qui peut
nous permettre
de produire plus
et plus vite
est aujourd’hui
privilégié »
Une trentaine de ces goulets ont
déjà été réglés. Il nous faut pour-
suivre ce travail.
L’Union européenne prépare
un plan pour renforcer la
production de munitions en
Europe. Y êtes-vous favorable ?
Un obus de 155 mm, c’est une
charge explosive, des charges mo-
dulaires pour envoyer l’obus plus
ou moins loin, ce sont des matiè-
res premières, des composants,
tous plus ou moins en pénurie. Un
plan européen est intéressant s’il
peut permettre d’accroître l’offre.
Tout ceci est encore en discussion,
mais nous y sommes favorables.
Est-il possible d’alléger certai-
nes normes de production
de matériels militaires ?
Ce n’est pas antinomique, mais il
ne faut pas faire n’importe quoi. Il
y a des choses très réglementées,
comme les certifications pour
faire voler les drones en temps de
un communiqué publié en fin
d’après-midi.
Selon Washington, deux Su-27
russes se sont à plusieurs reprises
approchés du Reaper américain
« de manière imprudente » et ont
« déversé du carburant » devant
lui, sans doute pour l’aveugler,
avant qu’un choc à l’hélice ne con-
duise l’armée américaine à préci-
piter l’appareil non armé dans les
eaux. Un acte « irréfléchi », « non
professionnel » et « dangereux », a
estimé John Kirby, porte-parole
du Conseil de sécurité nationale.
L’officiel américain a précisé que
plusieurs interceptions similaires
avaient eu lieu au-dessus de la
mer Noire ces dernières semai-
nes, mais que la destruction du
Reaper était une première.
paix. Faire voler un mini-drone
dans une zone faiblement habitée
à des fins uniquement militaires
ne devrait toutefois pas requérir
les mêmes exigences que de faire
voler un avion de chasse au-des-
sus d’une ville, il y a donc un dé-
cret qui devrait bientôt sortir.
Pour notre part, nous sommes
d’accord pour réduire d’environ
20 % notre volume d’exigences.
Les industriels considèrent qu’on
leur demande beaucoup de
­documentation inutile. Mais la
réduction ne sera pas possible
pour tout. Il y a des industriels en
qui l’on a confiance car ils déli-
vrent des prestations de qualité à
chaque fois, et d’autres non.
­Notre priorité, c’est la sécurité des
équipements livrés.
Par ailleurs, pour les nouveaux
programmes d’armement, je sou-
haite généraliser l’analyse de la
valeur du besoin technique et du
besoin militaire. Aujourd’hui, si
vous mettez un ingénieur et un
opérationnel ensemble pour défi-
nir les matériels de demain, il y a
toutes les chances que vous ayez
quelque chose de très beau, de
très sophistiqué, donc de très cher
et de très long à obtenir. Or, cela
correspond à une époque révolue,
où prédominaient les opérations
ciblées avec des forces spéciales,
et non une zone de conflit de
haute intensité comme l’Ukraine.
Dans un communiqué publié
mardi soir, le ministère russe de la
défense a démenti toute implica-
tion de ses appareils dans la chute,
assurant que si ses chasseurs
s’étaient bien portés au-devant du
Reaper, ils n’étaient « pas entrés en
contact » avec lui et n’avaient « pas
utilisé d’armes aéroportées » pour
l’abattre. Selon Moscou, le drone
volait « transpondeurs éteints » et
« violait une zone de régime tem-
poraire d’utilisation de l’espace aé-
rien » fixée par la Russie pour me-
ner ses opérations militaires.
A la suite du crash, un avion de
reconnaissance maritime améri-
cain P-8A Poseidon volait en cer-
cle, mardi, au large des côtes rou-
maines, sans doute pour vérifier
si des navires russes tentaient de
Depuis ce conflit, l’achat « sur
étagère » d’armements déjà
produits par des entreprises
étrangères apparaît moins ta-
bou. Jusqu’où la France est-elle
prête à abandonner de sa sou-
veraineté pour rattraper son re-
tard sur certains équipements ?
Acheter sur étagère, ce n’est pas
forcément acheter à l’étranger. De
manière générale, on est capables
d’aller plus loin dans le « faire
autrement ». C’est-à-dire que, si
l’industrie militaire française n’est
pas en mesure de produire elle-
même, on doit pouvoir acheter
sur étagère ou s’appuyer sur le sec-
teur civil, comme on le fait dans le
domaine spatial. Pour autant,
même si aujourd’hui nous man-
quons par exemple de lanceurs,
nous gardons des impératifs de
discrétion et de confidentialité et
il est stratégique de conserver une
filière de lanceurs autonome. De-
main, nous n’allons pas faire tous
nos lancements avec Space X.
Sur les munitions rôdeuses [cer-
tains drones ou missiles notam-
ment capables de poursuivre une
cible mouvante], nous sommes
aussi en déficit. On peut acheter
américain de manière tempo-
raire. Mais, en parallèle [depuis le
printemps 2022], nous avons
lancé deux appels à projets – bap-
tisés « Colibri » et « Larinae » –
pour lesquels nous avons eu
récupérer des débris de l’appareil.
Depuis le début de la guerre, les
Occidentaux envoient quasi quo-
tidiennement des avions espions
au-dessus de la mer Noire, afin de
recueillir des renseignements op-
tiques, radars ou électromagnéti-
ques sur les positions et les opéra-
tions russes, fournis ensuite à
l’armée de Kiev. Des actions léga-
les – les aéronefs restent dans l’es-
pace aérien international –, mais
qui agacent les Russes, parfois
tentés de les intimider.
« C’est comme au Far West »
Le 29 septembre 2022, un Su-27
russe avait déjà tiré un missile à
proximité d’un avion de rensei-
gnement RC-35 britannique qui
patrouillait au-dessus de la mer
beaucoup de réponses. Ces deux
appels à projets ont été faits de
manière nouvelle par la DGA :
nous avons spécifié ce que nous
souhaitions dans les grandes li-
gnes, et c’est tout : que ce ne soit
pas cher à utiliser, pas cher à déve-
lopper, facile à entretenir et pour
se former, et nous avons donné
une cible, comme neutraliser une
menace blindée à 5 km pour « Co-
libri », et à 50 km pour « Larinae ».
Les programmes liés
à la dissuasion peuvent-ils
être affectés par la modernisa-
tion des normes ?
La dissuasion, c’est 30 % des
missions de la DGA et c’est fonda-
mental, car c’est un contributeur
majeur à notre modèle d’armée.
Le format même de nos différen-
tes capacités intègre l’existence et
le rôle de la dissuasion dans la dé-
fense de notre territoire. Mais la
dissuasion n’a pas à être moderni-
sée dans ses process en tant que
tels, car c’est elle qui tire au con-
traire une partie des innovations
technologiques de l’industrie de
l’armement français. La dissua-
sion, ce sont des technologies qui
peuvent être des game changer
[une innovation qui pourrait chan-
ger la donne] dans le domaine du
quantique, en matière de crypto-
graphie, de simulation, du nu-
cléaire à travers la maîtrise des
Noire, sans le toucher. Moscou
avait plaidé un « dysfonctionne-
ment technique ». Pour inédit
qu’il soit, cet incident ne sur-
prend pas dans les milieux mili-
taires, où l’on se dit conscient des
risques de confrontation directe
eu égard au nombre de forces ar-
mées présentes dans la région.
« C’est comme au Far West, plus il y
a de cowboys armés dans le sa-
loon, plus il y a de risques que cela
dérape », reconnaît une source
militaire française. Un incident
suivi d’une escalade non maîtri-
sée avec la Russie est le scénario
que redoutent et tentent d’éviter
les états-majors occidentaux.
Signe de cette volonté de déses-
calade, les officiels américains
sont demeurés prudents dans les
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
« La dissuasion
tire une partie
des innovations
technologiques
de l’industrie
de l’armement »
moteurs à propulsion nucléaire,
ou des communications laser.
Pouvez-vous donner
une échéance pour le premier
essai en vol d’un planeur
hyper­véloce, ce nouveau type
de missile manœuvrant,
annoncé depuis 2021 ?
Nous avons des impératifs
­techniques, mais je souhaite une
première démonstration du pla-
neur hypersonique V-max 1 avant
la fin de l’année. On assiste
aujourd’hui à une course mon-
diale à l’hyper vélocité, tout le
monde accélère. Cette accéléra-
tion n’est toutefois pas liée à la
guerre en Ukraine. D’ailleurs, l’uti-
lisation de missiles de ce type par
les Russes dans le cadre du conflit
ukrainien est très étonnante, cela
n’a pas été un game changer.
Pour financer l’industrie
de défense, certains évoquent
la création d’une niche fiscale
pour ce secteur. Qu’en est-il ?
Nous travaillons effectivement
sur des pistes assez diverses pour
lever les réticences à financer la
défense, réticences qui le plus
souvent ne se trouvent pas au
­niveau des dirigeants des ban-
ques, mais aux échelons régio-
naux et opérationnels. La DGA a
donc mis en place un réseau de ré-
férents bancaires pour faire re-
monter les difficultés.
La guerre en Ukraine n’a-t-elle
pas changé la perception
que les milieux financiers
ont de la défense ?
J’ai vu des capitaux-risqueurs
changer vaguement leurs dis-
cours au nom de la souveraineté
européenne. Mais soyons clairs :
c’est parce qu’il y a actuellement
un marché. Or, le débat sur la taxo-
nomie [classification] élaborée à
Bruxelles [pour limiter le finance-
ment de la défense au nom de critè-
res environnementaux, sociaux] se
poursuit. Nous sommes donc ex-
trêmement actifs à la Commission
pour expliquer que cette stigmati-
sation [de l’industrie de défense] est
totalement contradictoire avec le
discours sur la nécessité de consti-
tuer une défense européenne. p
Propos recueillis par
Jean-Michel Bezat,
Cédric Pietralunga
et Élise Vincent
mots employés pour caractériser
l’intention russe, même s’ils
­assurent disposer d’un enregis-
trement vidéo étayant leur récit.
En réaction à la perte de son
­appareil, Washington a simple-
ment convoqué au département
d’Etat l’ambassadeur russe à
Washington, Anatoli Antonov,
afin de lui faire part de la « forte
objection » américaine après
­l’incident. « Nous considérons cet
incident comme une provoca-
tion », a déclaré le diplomate,
­selon des propos rapportés par
l’agence de presse officielle russe
RIA. « En ce qui nous concerne,
nous ne voulons pas de confron-
tation entre les Etats-Unis et la
Russie », a-t-il rappelé. p
C. Pi. (à paris) et Piotr Smolar
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
En Allemagne,
l’accablant état des lieux
de la Bundeswehr
« Pas un centime » des 100 milliards d’euros
promis par Scholz il y a un an n’aurait été versé
Berlin - correspondant
L a Bundeswehr manque de
tout » : lors de la présenta-
tion à la presse de son rap-
port annuel, mardi 14 mars, la
commissaire à la défense du Bun-
destag, Eva Högl, n’a pas mâché
ses mots. Connue pour son franc-
parler, cette ancienne députée so-
ciale-démocrate (SPD), qui oc-
cupe depuis 2020 ce poste créé
en 1957 pour aider les parlemen-
taires à exercer leur pouvoir de
contrôle sur l’armée allemande, a
dressé un état des lieux accablant.
Sur les 100 milliards d’euros du
« fonds spécial » annoncé par le
chancelier Olaf Scholz pour mo-
derniser la Bundeswehr, le 27 fé-
vrier 2022, trois jours après l’inva-
sion de l’Ukraine par la Russie,
« pas un centime n’est encore ar-
rivé à nos soldats », a déploré Eva
Högl. Pour être précis, environ
30 milliards d’euros ont déjà été
affectés, notamment pour l’ac-
quisition de trente-cinq avions de
chasse américains F-35, dont la li-
vraison est attendue à partir de
2026, mais la commissaire à la dé-
fense du Bundestag n’en pointe
pas moins une réalité, dénoncée
notamment par l’opposition con-
servatrice (CDU-CSU) : adopté dès
l’été 2022, le « fonds spécial » de
100 milliards d’euros aurait pu
être mobilisé beaucoup plus vite
qu’il ne l’a été.
Quoi qu’il en soit, cette enve-
loppe ne suffira pas. Selon la com-
missaire à la défense du Bundes-
tag, ce ne sont pas 100 milliards
mais 300 milliards d’euros dont a
besoin la Bundeswehr pour deve-
nir pleinement « opérationnelle »,
ce qui est loin d’être le cas aujour­-
d’hui. « Nous n’avons pas assez de
chars pour pouvoir nous entraî-
ner, il nous manque aussi des ba-
teaux, des navires et des avions »,
s’est-elle inquiétée, soulignant
qu’en raison des équipements li-
vrés à l’Ukraine la Bundeswehr
est encore plus sous-équipée
qu’elle ne l’était avant le 24 fé-
vrier 2022.
Situations invraisemblables
Rendu public en plein débat sur
les préarbitrages budgétaires
pour l’année 2024, le rapport de
Eva Högl va exactement dans le
sens du nouveau ministre de la
défense, Boris Pistorius (SPD),
qui, depuis sa nomination au
gouvernement, en janvier, ré-
clame une augmentation an-
nuelle de 10 milliards d’euros de
son budget. Une condition néces-
saire, selon lui, pour que l’Allema-
gne dépense durablement 2 % de
son produit intérieur brut (PIB)
pour sa défense, conformément
aux objectifs fixés par l’OTAN à
ses membres et comme s’y est
engagé Olaf Scholz dans son dis-
cours du 27 février 2022. C’est en-
core loin d’être le cas : en 2022,
l’Allemagne n’a consacré que
1,4 % de son PIB à ses dépenses
militaires.
L’argent n’est cependant pas
tout. Dans son rapport, Eva Högl
Chine
Le Honduras
va nouer des relations
« officielles » avec Pékin
La présidente du Honduras,
Xiomara Castro, a annoncé,
mardi 14 mars, sur Twitter,
avoir donné des instructions
en vue de « l’ouverture
de relations officielles avec
la République populaire de
Chine ». Une décision saluée
par Pékin. Son pays est
l’un des quatorze derniers
à r­ econnaître diplomatique-
ment Taïwan. – (AFP.)
cite plusieurs cas dans lesquels le
manque de moyens financiers
ne permet pas d’expliquer certai-
nes situations invraisemblables.
Celle, par exemple, des nageurs
de combat de la base d’Eckern-
förde, près de la frontière da-
noise. Depuis 2010, la piscine où
ils sont censés s’entraîner est en
travaux. Selon le ministère de la
défense, ceux-ci devraient être
achevés en 2024. Quatorze ans
pour rénover un équipement
destiné à une unité d’élite de la
Bundeswehr : l’exemple est à
peine croyable.
Besoins en équipements
Il n’est pourtant pas le seul. Dans
son rapport de 170 pages, fondé
sur soixante-dix déplacements
auprès des troupes au cours de
l’année 2022, Mme Högl décrit
une situation désolante : « Il man-
que des logements, des toilettes
qui fonctionnent, des douches
propres, des casiers, des installa-
tions sportives couvertes, des cui-
sines pour les troupes, des installa-
tions d’encadrement, des dépôts
de munitions et des armureries,
sans oublier le Wi-Fi », auquel
nombre de soldats n’ont pas ac-
cès dans leurs casernes, pointe la
commissaire à la défense du Bun-
destag, pour qui, « au rythme ac-
tuel, il faudrait au moins cin-
quante ans pour que les infras-
tructures de la Bundeswehr soient
remises à niveau ».
A côté des besoins urgents en
équipements, pointés année
après année dans les rapports du
commissaire à la défense du Bun-
destag, Eva Högl a tenu à insister,
mardi, face à la presse, sur la ques-
tion des effectifs. Fin 2022, la Bun-
deswehr comptait 183 000 sol-
dats. Or, l’objectif, a-t-elle rappelé,
est qu’ils soient 203 000 d’ici à
2031. Pour pourvoir ces vingt
mille postes vacants, la route sera
longue, a-t-elle convenu, d’autant
plus que le nombre de recrues dé-
cidant de claquer la porte au bout
de six mois est très important :
27 % dans la Bundeswehr entre
janvier et mai 2022, 30 % dans l’ar-
mée de terre.
Pour rendre le métier des armes
attractif, Eva Högl n’a guère de so-
lution miracle, à part « faire
preuve d’imagination ». Pour cela,
elle ne compte guère sur une
éventuelle réintroduction du ser-
vice militaire obligatoire, sup-
primé en 2011, dont quelques res-
ponsables politiques allemands
de droite et de gauche, très mino-
ritaires, font depuis quelques
mois la promotion. Selon elle,
une telle mesure, si elle était déci-
dée, serait si longue à produire ses
effets qu’elle ne répondrait pas au
besoin pressant qu’a l’armée alle-
mande de recruter de nouvelles
têtes. Or, sur ce plan, la situation
est tout sauf rassurante : en 2022,
note la commissaire à la défense
dans son rapport, le nombre de
candidats au métier de soldat a
baissé de 11 % par rapport à l’an-
née précédente. p
Thomas Wieder
S ri L a n ka
Grève générale contre
la hausse d’impôts
Les hôpitaux du Sri Lanka
étaient paralysés, mercredi
15 mars, et les transports per-
turbés par une grève à l’appel
des syndicats pour contester
la forte hausse des impôts dé-
crétée par le gouvernement
en vue du déblocage d’une
aide du Fonds monétaire
international, cruciale pour
le pays. Le mouvement a eu
lieu en dépit de l’interdiction
des grèves. – (AFP.)
L’Ukraine s’invite dans la course
entre républicains aux Etats-Unis
De Trump à Haley en passant par DeSantis, les candidats déclarés
ou potentiels affichent la disparité de leurs points de vue sur la guerre
Washington - correspondant
S
ur l’antenne de Fox News,
Tucker Carlson occupe
une place à part. Depuis le
début de la guerre en
Ukraine, ce présentateur vedette
du soir critique violemment Vo-
lodymyr Zelensky et l’aide améri-
caine fournie à Kiev. Régulière-
ment cité en exemple par les chaî-
nes russes, c’est lui qui vient de re-
cueillir le premier argumentaire
du gouverneur de Floride, Ron
DeSantis, sur le conflit. Tucker
Carlson a soumis un question-
naire aux candidats déclarés ou
potentiels aux primaires républi-
caines, en vue de la présidentielle
de 2024. En choisissant cette pla-
te-forme pour prendre position,
Ron DeSantis, qui refuse de ré-
pondre à la presse dite « mains-
tream », a voulu donner des gages
à la base du Grand Old Party, qu’il
compte séduire dès qu’il se lancera
officiellement dans la course.
Selon lui, « une dispute territo-
riale entre l’Ukraine et la Russie »
ne constitue pas un « intérêt natio-
nal vital ». La notion de « dispute
territoriale », dans le cas de l’inva-
sion d’un Etat souverain, marquée
par des crimes de guerre russes
massifs, donne le ton. La suite, elle,
est plus classique. Ron DeSantis
dénonce l’absence d’« objectifs dé-
finis et de comptes rendus » dans la
politique américaine d’assistance.
Il s’oppose à la livraison d’avi-
ons de chasse F16 ou de missiles
longue portée à l’Ukraine, et re-
jette toute tentation de change-
ment de régime à Moscou. Il s’agit
là de la position constante de l’ad-
ministration Biden depuis un an.
Mais Ron DeSantis accuse le pré-
sident démocrate d’avoir préci-
pité la Russie dans les bras de la
Chine et renforcé son économie
basée sur l’énergie. « Nous ne pou-
L’ancien président Bolsonaro empêtré
dans l’affaire des diamants de Chopard
Offerts par l’Arabie saoudite à l’ex-chef d’Etat, les bijoux ont une valeur de 3 millions d’euros
Rio de Janeiro - correspondant
L’ écrin de cuir est doublé
d’un velours sombre. A
l’intérieur sont déposés
des bijoux étincelants : une paire
de boucles d’oreilles, une bague,
une montre et un collier orné de
dizaines de pendentifs incrustés
de diamants. L’ensemble, une
création du joaillier suisse
­Chopard, est estimé à près de
3 millions d’euros. Son destina-
taire, plutôt inattendu, se révèle
être Jair Bolsonaro.
Voilà deux semaines que l’« af-
faire des diamants » défraie la
chronique au Brésil. L’ancien pré-
sident est accusé d’avoir tenté de
rapporter illégalement dans le
pays ce cadeau du gouvernement
saoudien. Elle embarrasse un Jair
Bolsonaro dos au mur, toujours
installé en Floride depuis le 30 dé-
cembre 2022 et sur lequel pèsent
des menaces de poursuite.
Tout commence en octo-
bre 2021. Alors au pouvoir,
Jair Bolsonaro dépêche à Riyad
son ministre des mines et de
l’énergie, l’amiral de la marine
Bento Albuquerque, au sommet
du « Moyen-Orient vert », promu
par le prince héritier Mohammed
Ben Salman, dit « MBS ».
Au retour, le 26 octobre, les doua-
niers de l’aéroport international
vons pas accorder la priorité à une
intervention dans une guerre
étrangère qui s’aggrave, au détri-
ment de la défense de notre terri-
toire national », ajoute-t-il en réfé-
rence à la frontière poreuse avec
le Mexique et à la réduction des
stocks de munitions américaines.
Ron DeSantis sait que la politi-
que étrangère ne joue pas un rôle
déterminant dans les primaires.
Mais elle constitue un test de cré-
dibilité et un terrain sensible où
seront examinés sa différence ou
son alignement par rapport à Do-
nald Trump. Sa réponse résume
sa stratégie du moment : faire du
Trump sans être Trump. Ne pas
parler de lui nommément, atten-
dre que l’étau judiciaire se res-
serre autour de l’ancien président
et se focaliser sur la Floride jus-
qu’à la fin du printemps.
Ligne classique
Donald Trump, lui, se pose en pro-
moteur de la paix en Ukraine, qu’il
se fait fort d’imposer « en vingt-
quatre heures ». A ce titre, il s’op-
pose aux « candidats de la guerre »
qui lui font face et aux « mondialis-
tes » qui conduiraient la planète
« au bord de la troisième guerre
mondiale ». « On devrait soutenir
un changement de régime aux
Etats-Unis, a-t-il écrit à Tucker Carl-
son. C’est beaucoup plus impor-
tant. » Dans un entretien radio ac-
cordé le 6 mars à Sean Hannity,
autre présentateur de Fox News, il
a même expliqué que, lui prési-
dent, il aurait pu trouver un accord
avec le Kremlin. « Au pire, j’aurais
pu négocier un accord pour la prise
de quelque chose, il y a certaines zo-
nes [en Ukraine] qui sont des zones
russophones, franchement, mais
on aurait pu parvenir à un accord. »
Cette idée de vente à la découpe
de l’Ukraine ne convient pas à
d’autres figures républicaines.
de Guarulhos, à Sao Paulo, décou-
vrent, dissimulé au fond du sac à
dos d’un militaire, conseiller du
ministre Albuquerque, un écrin de
bijoux Chopard. Le tout a une va-
leur largement supérieure à
1 000 dollars (930 euros) et aurait
dû faire l’objet d’une déclaration
préalable. les bijoux sont saisis par
l’administration fiscale.
L’ensemble est un généreux ca-
deau offert par le pouvoir saou-
dien à Jair Bolsonaro et à son
épouse Michelle. Mais le prési-
dent d’extrême droite – battu de-
puis par Lula à la présidentielle
2022 – ne souhaitait visiblement
ni transmettre ces bijoux au Tré-
sor public ni payer d’importants
droits de douane (50 % de la va-
leur du produit). Il aurait donc
­ordonné à son ministre de faire
discrètement passer « ses » dia-
mants au Brésil.
L’affaire ne s’arrête pas là. Du-
rant plus d’un an, Bolsonaro a tout
fait pour remettre la main sur les
bijoux. A plusieurs reprises, des
hommes de confiance sont en-
voyés négocier avec les douanes
de l’aéroport. Le 29 décem-
bre 2022, trois jours avant la fin du
mandat de l’ex-président, un ser-
gent de la marine descend d’un
avion de l’armée à Guarulhos et
menace les douaniers : « On ne
peut rien laisser d’ancien au pro-
International | 5
La base MAGA,
isolationniste,
impose sa
tonalité dans le
Parti républicain
L’ancien vice-président Mike
Pence, pas encore candidat déclaré
aux primaires, demeure sur une li-
gne bipartisane classique, au sujet
de l’aide à fournir. « Donnons-leur
ce dont ils ont besoin, donnons-leur
des chars, donnons-leur des F-16 »,
a-t-il suggéré. Sur Fox News, Mike
Pence a estimé qu’« il n’y a pas de
place pour les apologistes de Pou-
tine dans le Parti républicain ».
Même position chez Nikki Ha-
ley. L’ex-gouverneure de Caroline
du Sud, la plus active dans la cam-
pagne, ne cherche pas à se distin-
guer sur ce dossier, respectant
une approche traditionnelle du
Grand Old Party face à la menace
russe. « La guerre en Ukraine et en
Russie ne concerne pas l’Ukraine,
mais la liberté, a-t-elle dit sur l’an-
tenne de NBC. Et c’est une guerre
que nous devons remporter. »
L’ancienne ambassadrice à
l’ONU a choisi de se focaliser sur
l’aide en matière de politique
étrangère, qu’elle estime à 46 mil-
liards de dollars en 2022. Dans une
tribune publiée par le New York
Post, elle a promis que, sous sa pré-
sidence, elle couperait « chaque
centime d’aide allant à des pays qui
nous haïssent ». Et de citer Cuba, la
Biélorussie ou encore la Chine.
Le chef de file des républicains au
Sénat, Mitch McConnell, qui sou-
tient sans réserve l’aide apportée à
l’Ukraine contre l’invasion russe,
tente de relativiser les divisions in-
ternes sur ce sujet. « Ne regardez
pas Twitter, regardez les gens au
chain [gouvernement], il faut tout
prendre et emporter ! » En vain.
Révélé début mars par le journal
Estadao, le scandale n’en finit pas
de rebondir. La presse a mis au
jour l’existence d’un deuxième
ensemble d’objets de luxe, d’une
valeur estimée à 70 000 euros,
que Jair Bolsonaro serait, cette
fois, parvenu à faire passer avec
succès au Brésil. Depuis, la police
fédérale, la Cour des comptes et le
parquet se sont saisis de l’affaire..
« Image sérieusement écornée »
Après avoir évoqué un simple ca-
deau destiné à son épouse,
Jair Bolsonaro a finalement rendu
à l’administration fiscale les bi-
joux en sa possession. Mais le mal
est fait. « Bolsonaro avait fait de la
lutte contre la corruption son che-
val de bataille. Ses partisans les
plus fanatiques vont continuer à le
soutenir. Mais dans le reste de
l’électorat, son image d’homme du
peuple, honnête, est sérieusement
écornée », estime l’analyste politi-
que Thomas Traumann. L’affaire
lève aussi le voile sur les relations
troubles entretenues par Bolso-
naro et la monarchie saoudienne.
L’ex-président bré­silien n’a cessé
de mettre en scène sa proximité
avec le prince « MBS », alors mis au
ban de la communauté interna-
tionale après le meurtre du jour-
pouvoir », a-t-il recommandé, lors
de la conférence sur la sécurité à
Munich, à la mi-février. Selon un
sondage publié fin février par Fox
News, l’administration Biden ob-
tient son plus haut niveau d’ap-
probation (48 %) pour sa réponse à
l’invasion russe. Le soutien à l’ac-
tion de Volodymyr Zelensky, lui, se
situe à un niveau très élevé (72 %).
Le président ukrainien a invité le
speaker de la Chambre des repré-
sentants, Kevin McCarthy, à se ren-
dre à Kiev pour voir de ses propres
yeux comment l’aide américaine
était utilisée. Sa prédécesseure, la
démocrate Nancy Pelosi, avait fait
ce déplacement, de même que
Mitch McConnell. Mais M. McCar-
thy a refusé. Il est engagé à la
Chambre dans un mariage d’inté-
rêts avec les élus de la base MAGA
(Make America Great Again, le slo-
gan de Donald Trump). Il a promis
la fin des supposés « chèques en
blanc » de Washington à Kiev, une
expression devenue une bannière
de ralliement à droite.
Cette base MAGA impose sa to-
nalité dans le parti. Elle est isola-
tionniste, rejetant les engage-
ments militaires extérieurs et ren-
voyant les Européens à leurs pro-
blèmes. La gouverneure du
Dakota du Sud, Kristi Noem, citée
comme une possible colistière de
Donald Trump, parle de l’Ukraine
comme d’un « pays corrompu »,
dans sa réponse écrite à Tucker
Carlson. « Ce devrait être le combat
des Européens, pas le nôtre », dit-
elle. L’une des figures de proue
MAGA, Marjorie Taylor Greene,
élue de Géorgie à la Chambre, a
même évoqué sur l’antenne de
Fox News « cette guerre contre la
Russie en Ukraine ». Le renverse-
ment des responsabilités et des
valeurs est ici complet. Ainsi che-
mine le Parti républicain. p
Piotr Smolar
naliste Jamal Khashoggi. En 2022,
les échanges commerciaux entre
les deux pays ont atteint 5 mil-
liards d’euros d’exportations de
l’Arabie saoudite vers le Brésil, soit
plus du triple de 2019.
Mais fin 2021, un mois après le
retour du ministre de l’énergie
­Albuquerque, l’entreprise de
­pétrole brésilienne Petrobras a
annoncé la vente, pour un prix
très inférieur au marché, de l’une
de ses raffineries au fonds d’in-
vestissement public Mubadala,
propriété d’Abou Dhabi, proche
allié de Riyad. Les bijoux
auraient-ils servi de pot-de-vin ?
« Trois millions d’euros, c’est un
montant ­totalement inhabituel
pour un ­cadeau entre chefs
d’Etat », relève un haut fonction-
naire proche du dossier.
L’étau juridique se resserre
autour de Jair Bolsonaro, pour-
suivi en justice pour ses attaques
contre la démocratie et son rôle
supposé dans les émeutes du
8 janvier à Brasilia. Dix-sept pro-
cédures sont examinées par la
justice électorale et pour-
raient aboutir à une peine d’iné-
ligibilité pour l’ancien président.
« Vu le rythme actuel, la condam-
nation pourrait être prononcée
d’ici au mois de mai », prédit
­Thomas Traumann. p
Bruno Meyerfeld
 France
0123
6| ­
­Jeudi 16­ mars 2023

réforme des retraites

Avec la réforme des

retraites, le monde
politique en ébullition
Le texte, sur lequel se penche une commission
mixte paritaire de parlementaires, mercredi,
a créé un climat de vive tension et de fébrilité

Récit réforme des retraites » et qu’un vote positif ne

signifiait « pas un soutien au gouvernement
Debout au centre,
les députés
mais seulement [un soutien à la réforme] ». de La France

T
hème essentiel de la campagne
présidentielle d’Emmanuel Ma-
cron, contestée dans la rue, dis-
cutée dans les repas de famille,
défendue par certains, vilipen-
dée par d’autres… La réforme
des retraites occupe l’attention des politi-
ques et du grand public depuis des mois.
Mercredi 15 mars, le texte final va mainte-
nant se dessiner loin des yeux, dans un céna-
cle parlementaire, le huis clos de la commis-
sion mixte paritaire (CMP). A partir de 9 heu-
res, sept députés et sept sénateurs vont tenter
d’arriver à un accord, une version « conclu-
sive » qui pourrait alors être votée par le Sénat
puis par l’Assemblée nationale, jeudi 16 mars.
Après plusieurs jours d’intenses tracta-
tions entre l’exécutif, sa majorité relative à
l’Assemblée nationale et les dirigeants du
parti Les Républicains (LR) – les voix de ses
députés sont indispensables pour faire
adopter la réforme au Palais-Bourbon –, des
points d’achoppement demeurent. Dispo-
sant de cinq voix au sein de la CMP, comme
la coalition présidentielle, les parlementai-
res de la droite et de l’Union centriste (UC)
vont tenter de conserver les mesures votées
au Sénat tels que le « CDI seniors » ou une
surcote pour les pensions des mères de fa-
mille. Le président du groupe LR à l’Assem-
blée nationale, Olivier Marleix, remettra sur
la table, lui, le sujet des carrières longues.
Malgré leurs divisions, les élus de droite se
savent en position de force face à une pre-
mière ministre au pied du mur. Elisabeth
Borne s’est laissée aller à une anaphore,
mardi, en forme de profession de foi, tournée
vers la droite de l’hémicycle : « Une majorité
existe. » Semblant écarter le recours à l’arti-
cle 49.3 de la Constitution, qui permet d’adop-
ter un texte sans vote, elle a assuré aux dépu-
tés qu’ils pourraient bien s’« exprimer sur la
Même si l’incertitude persiste sur l’issue
du scrutin, la coalition présidentielle privilé-
gie également le vote, estimant qu’un on-
zième 49.3 dans cette législature pourrait
être encore plus dévastateur qu’un rejet du
texte jeudi par l’Assemblée nationale. « Le ris-
que démocratique me semble plus gros si on
ne va pas au vote, analyse Jean-Paul Mattei,
président du groupe MoDem. Il faut accepter
d’y aller et de manière très apaisée. »
De manière apaisée ? Comme à chaque
étape cruciale de cette réforme, la tension a
rejailli. Réduite à un rôle de spectatrice, la
gauche a réclamé, lundi, que les débats de la
CMP soient rendus publics avant que la prési-
dente (Renaissance) de l’Assemblée natio-
nale, Yaël Braun-Pivet, ne repousse la requête.
« Des combines et des magouilles »
Dénonçant par avance « des combines et des
magouilles », les députés de La France insou-
mise (LFI) promettent de rendre compte des
échanges en direct sur les réseaux sociaux.
Une défiance qui reste dans la continuité des
discours portés par la gauche sur « l’insincé-
rité » des débats au Parlement. « Vous avez af-
faibli votre légitimité démocratique et, du
même coup, vous avez marqué votre réforme
du sceau de l’illégitimité », a soutenu le prési-
dent du groupe communiste à l’Assemblée
nationale, André Chassaigne, mardi, à
l’adresse de Mme Borne.
Le report de l’âge légal de départ à la retraite
à 64 ans et la pression de la rue mettent le
monde politique en ébullition. « C’est tendu
dans l’hémicycle, c’est tendu en commission,
c’est tendu à tous les étages », résume le prési-
dent (Renaissance) de la commission des af-
faires économiques, Guillaume Kasbarian.
Cette nervosité déborde sur tous les autres
textes, sur tous les autres sujets, dans tous les
autres lieux. En quelques jours, le ministre
insoumise
François Ruffin
et Eric Coquerel,
à l’Assemblée
nationale,
le 17 février.
LUDOVIC MARIN/AFP
de la justice, Eric Dupond-Moretti, a adressé
« C’est tendu deux bras d’honneur dans l’hémicycle à Oli-
dans l’hémicycle, vier Marleix ; le porte-parole du gouverne-
ment, Olivier Véran, a estimé, à la veille d’une
c’est tendu nouvelle mobilisation, que « mettre le pays à
l’arrêt, c’est prendre le risque d’une catastro-
en commission, phe écologique » ; Aurore Bergé, présidente
du groupe Renaissance au Palais-Bourbon, a
c’est tendu fondu en larmes en séance après s’être fait
à tous les étages » conspuer notamment par les députés de LFI
et du Rassemblement national (RN) alors
Guillaume Kasbarian qu’elle défendait sa proposition de loi visant
président (Renaissance) à imposer une peine d’inéligibilité aux
de la commission auteurs de violences « aggravées » en réac-
des affaires économiques tion à l’affaire Quatennens ; le vice-président
(RN) de l’Assemblée nationale, Sébastien
Chenu, a répondu sur Twitter « Et ta sœur ? » à
la présidente du groupe « insoumis », Ma-
thilde Panot. Sans oublier la secrétaire d’Etat
Marlène Schiappa tapant littéralement sur la
table d’une émission de France 5 consacrée à
la lutte contre les féminicides : « Me dire que
je découvre les violences sexuelles mais merde
quoi ! » Au sein du gouvernement, on admet
de l’accablement face aux attaques. Et sur-
tout de la lassitude. Sans se chercher d’excu-
ses, Olivier Véran revient sur le contexte de
sa sortie raillée : quelques heures de som-
meil, une matinale, un texte trop vite validé…
Depuis le début de l’année, la faiblesse poli-
tique du gouvernement oblige quatre ou
cinq ministres à se relayer pour défendre la
réforme. La faute à l’Elysée, qui n’a pas su
trouver des personnalités de poids pour dé-
buter ce second mandat. « Pour quelqu’un
qui joue son quinquennat sur cette réforme,
comment se fait-il que Macron laisse se déve-
lopper un véritable amateurisme dans son

A l’extrême gauche, la tentation de durcir la mobilisation

Les tenants de la grève générale ne veulent plus attendre les consignes des réformistes, jugés trop modérés, en particulier la CFDT

B ientôt l’heure du vote,

pour la réforme des retrai-
tes, ou du 49.3. La question
de la suite du mouvement social
commence à se poser, et la gauche
de la gauche avance ses réponses.
Elle tenait deux meetings à Paris,
lundi 13 mars. L’un à la Bourse du
travail, où quelque 500 personnes
se pressaient. « L’heure de vérité
approche pour tout le monde »,
commentait le philosophe Frédé-
ric Lordon. Y compris pour l’inter-
syndicale dont, disait-il, la « mé-
thode reposait sur des hypothèses
de décence démocratique, toutes
absolument fausses ».
Tous les intervenants à la tri-
bune de ce « réseau pour la grève
générale », animé notamment par
les trotskistes de Révolution per-
manente, en convenaient : « On
est trop gentils, les défilés, les mar-
ches, les petites chansons et les
chorégraphies, faut arrêter », se-
lon les mots de ­Jamel Abdelmou-
mni, de Solidaires Transdev.
Ni référendum, ni dialogue entre
syndicats et gouvernement, ni
pression sur le Parlement, les te-
nants de la grève générale affi-
chaient leur volonté de ne plus at-
tendre les consignes des réformis-
tes et de Laurent Berger, le chef de
file de la CFDT. Ce dernier est perçu
par l’ex-candidat trotskiste à la pré-
sidentielle Anasse Kazib, comme
la « tête de proue » des « organisa-
tions syndicales qui se taisent ».
« Que les traîtres et ceux qui ont
peur le sachent, ajoutait-il. Le mou-
vement ouvrier est encore là. » Et ce,
malgré les difficultés rencontrées
dans les grèves reconductibles.
Le mouvement ouvrier était
aussi, mais sous d’autres couleurs,
à La Bellevilloise, où s’exprimait
l’un des courants du Nouveau
Parti anticapitaliste (NPA), un an
après la mort de sa figure de proue,
Alain Krivine. Ce dernier « répétait
souvent que la révolution c’est re-
mettre à l’endroit ce qui fonctionne
à l’envers, a lancé Olivier Besance-
not, ex-porte-parole du NPA. Alain
aurait aimé qu’on célèbre sa mé-
moire en organisant une bonne
vieille grève générale, victorieuse,
qui aille jusqu’au bout ».
La méfiance vis-à-vis des direc-
tions syndicales n’est pas le mo-
nopole du mouvement ouvrier.
Du côté de la gauche instituée, La
France insoumise (LFI) « se tient
tout entière à la disposition de
l’union populaire qui se met en
place », selon la formule consa-
crée lundi dans un communiqué.
« Prendre l’initiative »
Paradoxe pour LFI, l’« union popu-
laire » qu’elle appelle de ses vœux
est le fait de l’unité syndicale plus
que de son action politique. Et les
relations entre les patrons des cen-
trales et Jean-Luc Mélenchon res-
tent mauvaises. Selon Mediapart,
l’ex-candidat à la présidentielle a
fait état, dans une boucle de mes-
sages interne, d’une « ligne Marti-
nez-Roussel-Berger en lien avec
Macron ». Partagé entre cette mé-
fiance à l’égard des directions des
syndicats et la nécessité de compo-
ser avec un mouvement syndical
majoritaire, M. Mélenchon s’est
expliqué sur son blog, le 8 mars.
« L’essentiel n’est pas la revanche
sur ceux qui se sont si lourdement
trompés. Notre but doit être le par-
tage des apprentissages. Et je balaie
devant notre porte : nous sommes
trop récents comme organisation
et trop seuls comme activistes de
terrain pour nous offrir le luxe de la
désinvolture », a-t-il écrit
A LFI, on tempère ses déclara-
tions, même si Laurent Berger cris-
tallise les critiques. Pour Alma Du-
four, députée de Seine-Maritime,
« tout le monde comprend que,
sans blocage, Macron va passer en
force. Berger aurait dû afficher plus
clairement une consigne claire, il a
raté le moment stratégique ».
LFI se veut depuis sa fondation
une sorte d’outil des masses, un
pied au Parlement, un pied dans la
rue. Mais les 2 millions à 3 mil-
lions de manifestants des plus
grandes journées de mobilisation
sont guidés par une intersyndi-
cale qui fait peu de cas du mouve-
ment « insoumis ». Lundi, Manuel
Bompard a lancé un appel aux
centrales, leur a proposé « de pren-
dre l’initiative de réunir l’ensemble
des acteurs engagés dans la mobili-
sation (…) pour coordonner ensem-
ble la suite du mouvement ».
En février, déjà, une rencontre
entre la Nouvelle Union populaire
écologique et sociale et les syndi-
cats, prévue lors de la deuxième
semaine d’examen du texte à l’As-
semblée nationale, avait été repor-
tée sine die… Cela n’empêche pas
les parlementaires de LFI d’œuvrer
à leur manière. Mardi après-midi,
le député Eric Coquerel disait se
sentir « comme un poisson dans
l’eau » parmi des grévistes.
Il reste aux « insoumis » le choix
de la stratégie parlementaire. Si
une partie des élus croient encore
à la pression de la rue, d’autres ap-
pellent à faire pression, notam-
ment sur les députés du parti
Les Républicains, pour que le
compte de voix n’y soit pas, et que
le gouvernement soit contraint
de recourir au 49.3, cet article de la
Constitution qui permet d’adop-
ter un texte sans vote.
Dans le scénario d’un passage
en force, la séquence est prête : dé-
pôt d’une motion de censure
transpartisane, renforcement des
mobilisations dans la rue. En cas
de vote de la réforme, en revan-
che, tout le monde convient que
le risque d’essoufflement de la
mobilisation est plus élevé. Dans
ce cas, plusieurs pistes sont sur la
table : motion de censure sponta-
née, recours à un référendum
d’initiative partagée… Autant de
manœuvres parlementaires qui
risquent d’apparaître dérisoires si
elles ne sont pas coordonnées
avec les syndicats. p
Julie Carriat
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
propre gouvernement ? », s’étonne le séna-
teur socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur.
Cette ambiance à couteaux tirés a aussi rat-
trapé le Sénat, réputé pour sa sérénité. La
majorité de droite et du centre y a multiplié
les manœuvres procédurales avant un vote
bloqué du gouvernement. Ulcérés, les séna-
teurs de gauche ont même remis en cause
l’impartialité du président (LR) du Sénat, Gé-
rard Larcher, deuxième personnage de l’Etat.
Pour la droite, comme pour le camp prési-
dentiel, le point de départ de cette escalade
incombe ainsi aux députés « insoumis » dont
les outrances répétées ont illustré, selon eux,
leur volonté de « bordéliser » la vie politique.
Une argumentation qui omet beaucoup
d’autres failles. Car la réforme révèle aussi les
fractures au sein de la Macronie, notamment
entre le gouvernement et ses députés.
« On donne l’impression d’improviser »
Beaucoup n’ont pas compris les déclarations
« contre-productives » de certains ministres.
Par exemple, le ministre du travail, Olivier
Dussopt, défendant une « réforme de gau-
che » alors que le texte était négocié avec des
élus de droite. « Sur ce sujet majeur, nous
aurions dû avoir une mécanique de précision
et on donne l’impression d’improviser, avec
une communication qui n’est pas assez resser-
rée », estime Florent Boudié, député (Renais-
sance) de Gironde. Au fil des semaines et des
journées de mobilisation, dont une huitième
est prévue mercredi, la majorité accumule les
rancœurs contre le gouvernement. Après la
scène des bras d’honneur, une petite dizaine
de députés macronistes a ainsi assiégé le
garde des sceaux pour lui demander de pré-
senter ses excuses. Ces gestes visant M. Mar-
leix, homme-clé à droite, tombaient au plus
mauvais moment. « Tu as vu comment ils se
comportent à ton endroit ? Et tu veux être la
roue de secours du gouvernement ? », a glissé
le député (centriste) de la Marne Charles de
Courson au président du groupe LR ce jour-là.
Les retraites agissent comme un catalyseur.
Et, ces temps-ci, les tiraillements entre les
trois groupes de la majorité relative – Renais-
sance, MoDem et Horizons –, se sont cristalli-
sés, le 2 mars, autour de l’examen de la propo-
sition de loi portée par la vice-présidente (Ho-
rizons) de l’Assemblée nationale, Naïma
Moutchou, visant à instaurer une peine mi-
nimale pour les auteurs « de délits de violen-
ces, commis en récidive, contre les agents pu-
blics ». Leurs alliés du camp présidentiel ont
A Paris, les éboueurs en grève
« au moins jusqu’au 20 mars »
Les éboueurs et agents de propreté de la Ville de Paris,
mobilisés contre le projet de réforme des retraites,
ont voté, mardi 14 mars, la poursuite de la grève
« au moins jusqu’au 20 mars ». Dans la capitale, où les
déchets s’entassent sur les trottoirs, quelque 7 000 ton-
nes d’ordures non ramassées ont été dénombrées au
neuvième jour de grève. En raison des « conditions sa-
nitaires », le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a
donné instruction au préfet de police de Paris, Laurent
Nunez, de demander à la mairie de « réquisitionner »
des moyens afin d’évacuer les ordures.
rejeté le texte. « Il y avait vraiment une envie
de Renaissance de flinguer notre texte. Est-ce
que c’était aussi pour flinguer Horizons et
Edouard Philippe ? », fulminait alors le député
(Horizons) de Seine-et-Marne Frédéric Valle-
toux. Six jours plus tard, les élus d’Horizons
comme ceux du MoDem désavouaient
Mme Bergé sur sa proposition de loi. « Les tex-
tes secondaires, où il y a moins de risques, nous
servent d’exutoire car il y a de vraies tensions »,
reconnaît le président du groupe Horizons au
Palais-Bourbon, Laurent Marcangeli.
En quelques mois, les ambitions du début
du quinquennat ont volé en éclats. Con-
traint par sa majorité relative, l’exécutif avait
promis davantage de concertation avec ses
alliés, mais aussi avec les oppositions. Exa-
minée en procédure accélérée, la réforme
des retraites a fini de balayer ces velléités.
Dans certaines enquêtes, l’image du per-
sonnel politique, et notamment des dépu-
tés, s’était améliorée après les élections lé-
gislatives de 2022. Comme si la majorité re-
lative avait donné un peu d’espoir aux Fran-
çais. La tendance s’est inversée depuis
quelques semaines. Signe peut-être d’une
déception à court terme et d’un ressenti-
ment à long terme. « Près de neuf Français
sur dix rejettent la violence en politique. Or le
monde politique semble contaminé par la
violence des réseaux sociaux, analyse Emma-
nuel Rivière, directeur des études poli­tiques
de l’institut Kantar Public. Et les politiques ne
devraient plus raisonner comme si leur camp
avait des supporteurs qui les soutiendront
contre les autres. Dans ces conditions, même
un bras d’honneur a des conséquences pour
tout le monde et c’est un grand danger. » p
Mariama Darame, Matthieu Goar
et Jérémie Lamothe
Les caisses de grève,
trésor de guerre
des syndicats
Alors que la CFDT dispose d’un fonds de 150 millions
d’euros, ces réserves permettent d’atténuer les pertes
de revenus des salariés mobilisés contre la réforme
L a floraison a débuté il y a
presque deux mois. De la ti-
relire remplie au compte-
gouttes durant une manifesta-
tion aux cagnottes en ligne affi-
chant des sommes à plusieurs
chiffres, les caisses de grève ont
fait leur réapparition à mesure
que l’opposition à la réforme des
retraites gagnait en puissance au
fil des journées nationales d’ac-
tion – la huitième se déroulant le
mercredi 15 mars. Elles apportent
un soutien essentiel à ceux qui
protestent en cessant de travailler
et qui voient, du même coup, leur
salaire amputé, dans une période
où chaque euro compte avec l’em-
ballement de l’inflation.
Combien y a-t-il de systèmes de
solidarité de cette nature ? Les
multiples initiatives n’ont pas
été recensées de manière ex-
haustive à ce jour, mais une car-
tographie interactive permet
d’en localiser quelques-unes,
comme l’indique le sociologue
Gabriel Rosenman, ancien che-
minot engagé à ­SUD-Rail, qui
prépare une thèse sur le sujet.
Fin 2019 et début 2020, lors de la
mobilisation ­contre le projet de
système universel de retraites,
« jusqu’à 380 caisses de grève en
ligne » avaient été dénombrées,
rappelle-t-il.
Deux grandes pratiques se dé-
gagent. L’une a une dimension
sectorielle ou locale. Il s’agit en
particulier de démarches impul-
sées par des sections syndicales
ou des fédérations, comme la
CGT-cheminots ou la CGT-éner-
gie. Les ressources proviennent
principalement de dons qui sont
canalisés vers des pots communs
sur le Web. Le but est d’aider des
femmes et des hommes impli-
qués dans « des grèves longues »,
précise M. Rosenman. L’autre
mode opératoire ­consiste à met-
tre en place des caisses abondées
par des ­fractions de cotisations
syndicales. Réservés aux adhé-
rents, les fonds sont débloqués
pour permettre aux personnes
concernées – par exemple des
­travailleurs précaires – de partici-
per aux démonstrations de force
qui ont lieu au coup par coup,
­décrypte M. Rosenman.
Accompagnement juridique
Dans la quasi-totalité des cas, les
montants octroyés ne couvrent
qu’une partie de la perte de ré-
munération. Beaucoup de ces
mécanismes disparaissent lors-
que la lutte s’interrompt. La
Caisse nationale d’action syndi-
cale (CNAS), fondée il y a une cin-
quantaine d’années par la CFDT,
se distingue du lot. Un dispositif
« unique » en son genre, souligne
Jean-Michel Denis, professeur de
sociologie à l’université Paris-I-
Panthéon Sorbonne et auteur
« On reçoit des e-mails
tous les jours, des
gens viennent déposer
des chèques à notre
siège. C’est la première
fois que je vois ça »
Jean-Michel Rousseau
chargé de la caisse nationale
d’action syndicale de la CFDT
d’une étude sur le sujet : la cen-
trale cédétiste est, dit-il, la seule
organisation syndicale en France
« à avoir instauré, à ­l’échelon con-
fédéral, un organisme permanent
de soutien financier à ses adhé-
rents grévistes ».
La CNAS est alimentée par une
ponction de 8,6 % sur la cotisa-
tion versée par les personnes qui
s’encartent à la CFDT. De nom-
breux dons spontanés lui sont
également faits depuis plusieurs
semaines, ce qui est sans précé-
dent selon Jean-Michel Rous-
seau, secrétaire confédéral
chargé de la caisse : « On reçoit des
e-mails tous les jours, des gens
viennent déposer des chèques à
notre siège. C’est la première fois
que je vois ça. » Aujourd’hui, la
CNAS dispose d’un impression-
nant trésor de guerre d’environ
150 millions d’euros. Il est mis à
contribution pour des grèves
mais aussi pour de l’accompa-
gnement juridique et pour les
frais liés à des recours devant les
prud’hommes.
« Comme ce sont les adhérents
qui financent ce système, ce sont
les seuls qui peuvent en bénéfi-
cier », explique M. Rousseau.
Autre règle importante : « On ne
soutient pas les arrêts de travail
qui ne sont pas appelés par la
CFDT. » Enfin, l’institution a été
récemment autorisée à interve-
nir dans la contestation ­inter­-
professionnelle en cours : norma-
lement, elle ne prête ­assistance
que dans des conflits au sein d’en-
treprises.
Lorsqu’un cédétiste cesse son
activité en signe de protestation,
il peut recevoir une compensa-
tion de 7,70 euros de l’heure – la
moitié pour celui qui est mem-
bre depuis moins de six mois –,
quels que soient sa rémunéra-
tion, la durée de la grève ou le sec-
teur concerné. « Nos réserves per-
mettent de garantir l’indemnisa-
tion de nos quelque 660 000 ad-
hérents pendant une semaine »,
ajoute M. Rousseau.
Il est difficile de savoir combien
la CNAS a dépensé dans le cadre
de la bataille contre la réforme
des retraites puisque les pre-
miers jours de grève, en janvier,
ont été décomptés des bulletins
de salaire de février. « On com-
mence juste à recevoir les fiches de
paie avec les retenues », relève
Jean-Michel Rousseau.
La CNAS consacre un budget
spécifique de 1 million d’euros
par an à la caisse de grève. Si l’en-
veloppe s’avère insuffisante, elle
pioche dans ses réserves, qu’elle
fait fructifier dans des « place-
ments éthiques » ou dans la
pierre. Les profits générés par ces
investissements participent au
fonctionnement de la CNAS, où
huit personnes travaillent. « Tout
ce qui est prélevé des cotisations
ne sert qu’aux prestations », ré-
sume M. Rousseau.
D’autres syndicats ont imaginé
des solutions différentes pour se
porter à la rescousse de leurs adhé-
rents grévistes. A Force ouvrière, il
y a, depuis des années, un « fonds
confédéral », dont le rôle est de
fournir une « aide collective à l’oc-
casion des conflits sociaux » – par
exemple quand un différend
éclate entre un patron et ses colla-
borateurs au moment d’une négo-
ciation salariale. Le fonds en ques-
tion est alimenté par « une quote-
France | 7
À la CGT, un « compte
solidarité et
mobilisation » a été
réactivé lorsque
le mouvement s’est mis
en branle et a drainé
environ 400 000 euros
part » sur la cotisation de l’adhé-
rent, détaille Patrick Privat, tréso-
rier. A la fin de l’automne 2022, le
niveau minimal de l’aide a été ma-
joré à 30 euros par jour et par per-
sonne, dans la perspective du
combat contre la réforme des re-
traites.
A la CGT, deux démarches, au
moins, retiennent l’attention.
L’une est portée par la direction
confédérale, par le biais d’un
« compte solidarité et mobilisa-
tion », selon la formule de David
Dugué, trésorier. Compte ali-
menté, lui aussi, grâce à la géné-
rosité du grand public, il a été
réactivé lorsque le mouvement
social s’est mis en branle contre
le projet de l’exécutif et a drainé
environ 400 000 euros.
« Soutien moral et politique »
De son côté, le syndicat Info’Com-
CGT dispose d’une « caisse
­permanente » nationale, créée
en 2016 et à laquelle participent
d’autres organisations – comme
SUD Poste 92. Depuis la présenta-
tion de la réforme, le 10 janvier,
un peu plus de 1 million d’euros
ont afflué vers elle. C’est un dis-
positif conçu pour peser dans le
« rapport de force », confie l’un de
ses animateurs, ­Romain Altman.
L’objectif, bien sûr, est d’atté-
nuer les pertes de rémunération
mais aussi de « donner con-
fiance », par un « soutien moral et
politique » : « Nous avons com-
mencé à ­remettre des chèques
dans certains ­secteurs profession-
nels », relate M. Altman. En béné-
ficient des « syndiqués et des non-
syndiqués », avec le souci de ren-
dre « traçables » les sommes
­attribuées.
Les premiers témoignages de
solidarité de ce type ont été iden-
tifiés lors de la révolte des Canuts,
à Lyon, en 1831, à travers une « so-
ciété de secours mutuel », rapporte
M. Rosenman. « Aujourd’hui, ce
sont des cagnottes en ligne mais
avant, ça prenait la forme de quê-
tes dans la rue, après des specta-
cles, des concerts… », analyse l’his-
torien Stéphane Sirot, spécialiste
des relations sociales et du syndi-
calisme. Même en l’absence de
tels mécanismes, « les grévistes
s’auto-organisaient pour pouvoir
tenir dans la durée », complète-t-il.
D’autres initiatives, en dehors
du champ syndical, ont vu le jour
récemment. La France insoumise
a récolté près de 400 000 euros
pour les grévistes. « Ce type d’ac-
tions politiques existe de très lon-
gue date, rappelle Stéphane Si-
rot. Il y a toujours eu des mairies
de gauche, des collectivités com-
munistes qui accordaient des
aides financières. » En épaulant
des salariés en lutte, LFI peut
aussi espérer gagner des électeurs
à l’avenir. p
Bertrand Bissuel
et Thibaud Métais

8 | France
La confiance dans la politique au plus bas
Plus que leurs voisins, les Français se disent méfiants envers les institutions, selon une enquête
L
a pandémie de Covid-19
restera peut-être dans
l’histoire comme un mo-
ment exceptionnel de
communion nationale. En l’es-
pace de quelques mois, la
­confiance des Français envers
l’Etat et les institutions politiques
a connu une embellie rarissime,
de mémoire de sondeur. Mais
près de deux ans après le dernier
confinement, au printemps 2021,
l’Hexagone a renoué avec ce qui
fait sa singularité en Europe : une
très grande défiance. C’est l’un
des enseignements du baromètre
de la confiance politique, vaste
enquête annuelle réalisée par
l’institut OpinionWay pour le
Centre de recherches politiques
de Sciences Po (Cevipof) entre le
27 janvier et le 17 février dans qua-
tre pays – la France, l’Allema­gne, le
Royaume­-Uni et l’Italie.
« On observe une baisse géné-
rale du niveau de confiance dans
les institutions, la plus basse de-
puis les “gilets jaunes”, résume
Luc Rouban, chercheur au Cevi-
pof. Cette méfiance généralisée,
qui donne le sentiment d’une so-
ciété malade et fracturée, rappro-
che désormais la France de l’Italie,
qui, pourtant, s’en sort un peu
mieux cette année du fait de l’arri-
vée du nouveau gouvernement de
Giorgia Meloni. » Plus que leurs
voisins, les Français se disent
suspicieux et méfiants en ce dé-
but de quinquennat, dans un
pays déchiré par la réforme des
retraites. Ils le sont envers leurs
concitoyens, leurs institutions,
qu’elles soient nationales ou
européennes, et envers la classe
politique en général – tout en at-
tendant de ces dernières davan-
tage de protection.
Près des deux tiers considèrent
que la démocratie ne fonctionne
pas bien – 10 points de plus qu’il y
a deux ans – contre moins de
40 % en Allemagne et 58 % en Ita-
lie. Ce qui ne les empêche pas
d’exprimer à titre personnel une
forme de bien-être, de sérénité,
voire d’enthousiasme – la fin de
la parenthèse Covid, selon les
auteurs de l’étude.
« Nous sommes dans un mo-
ment hybride, confirme Gilles
Ivaldi, chercheur au Cevipof. Les
tensions générées par le Covid,
puis la guerre en Ukraine, avaient
plutôt amélioré la confiance des
La réforme des retraites, révélatrice de la crise du rapport au travail
La dégradation des conditions de travail nourrit le rejet du projet de l’exécutif, selon les chercheurs Bruno Cautrès, Gilles Ivaldi et Luc Rouban
L es résultats de la vague 14
du baromètre de la
­confiance politique réalisé
par OpinionWay pour le Centre
de recherches politiques de
Sciences Po (Cevipof), publiée le
15 mars, montrent que la contes-
tation très générale de la réforme
des retraites s’inscrit profondé-
ment dans le rapport que les
Français entretiennent avec le
travail. Elle n’est pas due à une
quelconque incapacité nationale
d’accepter les changements. Pour
comprendre l’intensité de la réac-
tion, qu’elle soit syndicale ou po-
litique, il faut en réalité prendre
la mesure de la place que le travail
prend aux yeux des Français.
Contrairement aux idées re-
çues, la valeur travail est loin
d’avoir disparu au profit d’une so-
ciété des loisirs ou d’un droit hé-
doniste à la paresse. L’immense
majorité des sondés, actifs ou an-
ciens actifs, déclarent que le tra-
vail tient une place importante
dans leur vie : près des trois
quarts en France, en Allemagne et
au Royaume-Uni, et 89 % en Italie.
Parmi les plus jeunes inactifs, élè-
ves ou étudiants, souvent décrits
comme une génération relativi-
sant fortement l’investissement
Une méfiance généralisée en France et une forte défiance envers les élus
Parmi les qualificatifs suivants, quels sont ceux
qui caractérisent le mieux votre état d'esprit actuel ?
en % Evolution par rapport
(Plusieurs réponses possibles)
Lassitude 30 %
Méfiance 29
Sérénité 28
Morosité 26
Bien-être 25
Confiance 23
Enthousiasme
14
Peur 11
Avez-vous confiance dans
ces différentes institutions politiques ?
en % de oui
UNION EUROPÉENNE
Allemagne
Italie
France
GOUVERNEMENT
Allemagne
Italie 33
Royaume-Uni 28
France 26
citoyens. Mais elles ont eu en pa-
rallèle des répercussions sociales
profondes avec l’inflation, la crise
de l’énergie et du pouvoir d’achat.
Un peu partout, ce qui a été mis
sous étuve est en train de basculer
vers de la colère, de l’insécurité.
Quand vous ajoutez cela à une
crise structurelle de la représenta-
tion, vous avez un cocktail parfait
pour une crise sociale. »
« Méfiance » et « dégoût »
Malgré la campagne présiden-
tielle de 2022, puis la réforme des
retraites, les Français sont ceux
qui, en Europe, s’intéressent le
moins à la politique – à peine la
moitié d’entre eux se passion-
nent pour la vie publique, contre
77 % en Allemagne ou 65 % en Ita-
lie. Plus qu’ailleurs, celle-ci leur
inspire en majorité « méfiance » et
« dégoût », un sentiment qui
s’était atténué pendant la crise du
dans une vie de labeur, 79 % des
enquêtés français donnent de
l’importance au travail contre
88 % au Royaume-Uni et 90 % en
Italie, mais 67 % en Allemagne,
bien loin des clichés sur le Nord
besogneux et le Sud désinvolte.
Ce rôle central accordé au tra-
vail dans la vie soulève la ques-
tion du sens qu’on lui attribue
mais aussi celle de la méritocra-
tie. Si le projet de réforme des re-
traites est si mal accepté par les
deux tiers des enquêtés français
(et près des trois quarts des seuls
actifs), c’est que leur expérience
du travail est négative et que la re-
traite constitue, à leurs yeux, la
seule récompense qui reste.
Recherche de sens
En France comme chez nos voi-
sins italiens, une minorité seule-
ment d’enquêtés considère que
leur travail est reconnu et dû-
ment récompensé (en moyenne,
42 % en France et 41 % en Italie
contre 53 % au Royaume-Uni et
57 % en Allemagne). C’est dans
l’Hexagone, surtout, que l’écart
entre catégories socioprofession-
nelles est le plus élevé : on passe
de 39 % dans les catégories popu-
laires à 43 % dans les catégories
Diriez-vous que la démocratie
fonctionne bien ?
Réponses « très bien et plutôt bien », en %
à janvier 2022 60
Allemagne 0 100
– 10 47
Royaume-Uni 0 100
–8
41
+ 15 Italie 0 100
35
+1 France 0 100
+ 14
+8 Avez-vous confiance dans
ces différentes organisations ? en %
+7
–1 Grande confiance Plutôt confiance
Plutôt pas confiance
Pas du tout confiance Ne sait pas
Les PME 10 69 14 4 3
Evolution par rapport
L’armée 16 56 16 9 3
à février 2021
Les grandes
entreprises 4 42 36 14 4
48 –2 publiques
42 –7 La justice 5 39 33 20 3
35 –6 Les grandes
entreprises 4 39 35 18 4
privées
46 – 11 Les banques 3 35 36 23 3
+2
Les syndicats 4 32 34 26 4 en Allemagne (1 675 personnes) et en Italie (1 685 personnes).
– 15
–9 Les partis
politiques 2 14 42 39 3 de France, EDF et l’Agence nationale de la recherche.
Covid-19. Les hommes politiques mental ou régional recueillent
sont vus comme « plutôt corrom- davantage de sympathie que le
pus » et servant en priorité « leurs chef de l’Etat, l’Assemblée natio-
propres intérêts », dans des pro- nale ou le gouvernement, en qui
portions qui excèdent celles seulement 26 % disent avoir
constatées ailleurs. ­confiance – deux fois moins
Plus qu’ailleurs, les Français de- qu’en leur conseil municipal. La
mandent de façon récurrente une figure du président de la Républi-
plus grande implication de la so- que concentre une amertume
ciété civile dans la vie politique, particulière : près de 60 % des
de façon directe ou par le biais de Français disent n’en être pas sa-
l’engagement syndical ou asso- tisfaits, contre 45 % des Alle-
ciatif (68 %). Des voies jugées net- mands pour le chancelier Olaf
tement plus efficaces que l’adhé- Scholz, 49 % des Anglais pour leur
sion à un parti – seuls 7 % trou- premier ministre, Rishi Sunak, et
vent que c’est un bon moyen 35 % des Italiens pour la prési-
d’exercer une influence sur les dé- dente du conseil, Giorgia Meloni.
cisions publiques, tandis que la Symétriquement, les Français
grève, la rue, la désobéissance ou sont aussi ceux qui, sur le Vieux
le boycott emportent l’adhésion. Continent, font le moins
Dans ce contexte de défiance, ­confiance à l’Union européenne.
les Français privilégient sans sur- Seuls 45 % d’entre eux la voient
prise le local par rapport au natio- comme « une bonne chose »,
nal, le petit par rapport au grand. ­contre 57 % en Allemagne et 56 %
Municipalité, conseil départe- en Italie. Ce qui constitue un vrai
Les Français ont
une expérience
du travail
(54 %), bien avant leurs homolo-
gues italiens (45 %), allemands
(41 %) ou britanniques (31 %). Et
c’est en France que cet objectif est
le plus consensuel, divisant peu
négative, et la les catégories socioprofession-
nelles entre elles.
retraite constitue, Cet investissement dans un tra-
pour eux, la seule vail ayant du sens met en valeur
les univers professionnels de
récompense proximité. Parmi les organisa-
qui reste tions qui recueillent le plus de
confiance, on trouve ainsi les arti-
sans (83 %), les petites et moyen-
moyennes et 63 % dans les caté- nes entreprises (79 %), les hôpi-
gories supérieures. Une fracture taux (78 %), bien avant les grandes
se décline en France autour de la entreprises privées (43 %) ou les
question de la dignité au travail, banques (38 %).
des récompenses qui tardent à Par ailleurs, les enquêtés fran-
venir après les efforts. çais considèrent en faible propor-
L’autre enseignement de l’en- tion qu’une société juste est une
quête est de montrer que c’est société où l’on réduit avant tout
bien en France que le rapport au les écarts entre les rémunérations
travail ne se réduit pas à un sim- (48 % contre 53 % en Allemagne,
ple échange économique, mais 54 % au Royaume-Uni et 56 % en
qu’il implique aussi un certain Italie). Ils préfèrent, à une légère
épanouissement personnel, une majorité, que ceux qui travaillent
recherche du sens et de la maî- plus et mieux soient mieux ré-
trise de ce que l’on fait. Lorsqu’on munérés. Cette attente augmente
les interroge sur ce qui fait un bon avec le niveau de diplôme, mais
métier, une bonne rémunération ne distingue pas les générations
ou la possibilité de s’y épanouir, entre elles et fort peu les catégo-
les Français sont les plus nom- ries socioprofessionnelles : les
breux à choisir l’épanouissement plus modestes sont demandeu-
A l’affirmation « C’est un travail qui sert
à quelque chose » diriez-vous qu’elle
s’applique plutôt bien à votre travail ?
en % de oui
Italie : 59 France : 70
0 100
Allemagne : 62 Royaume-Uni : 64
L’héritage d’un patrimoine joue-t-il
un rôle trop important dans la réussite
sociale ?
en % de oui
Allemagne : 53 France : 60
0 100
Royaume-Uni : 57 Italie : 68
Les efforts que vous avez faits dans
votre vie professionnelle ont-ils
été reconnus et récompensés ?
en % de oui
France : 42 Allemagne : 57
0 100
Italie : 41 Royaume-Uni : 53
Infographie Le Monde
Source : Enquête réalisée entre le 27 janvier et le 17 février 2023
par OpinionWay sur un échantillon de 3 072 personnes inscrites
sur les listes électorales, issu d’un échantillon de 3 335 personnes
représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus ;
et sur des échantillons nationaux représentatifs des plus de 18 ans
inscrits sur les listes électorales au Royaume-Uni (1 659 personnes),
L’enquête a bénéficié du soutien des partenaires suivants :
le CESE, Intériale, les chambres des métiers et de l’artisanat
frein pour le chef de l’Etat, dont
l’attachement au projet européen
est l’un des plus puissants mar-
queurs politiques. « L’exécutif
français n’arrive pas à embrayer
avec l’idée que l’Europe peut nous
aider », dit Luc Rouban.
Attachement à la démocratie
Ce sont plutôt les idées de gau-
che qui bénéficient de ce climat.
Près de 60 % des sondés esti-
ment ainsi qu’il « faudrait pren-
dre aux riches pour donner aux
pauvres », plus de 70 % que
« l’économie actuelle profite aux
patrons au détriment de ceux qui
travaillent », tandis qu’ils sont,
par exemple, moins nombreux
que par le passé à juger néces-
saire de réduire le nombre de
fonctionnaires. Ils veulent réfor-
mer le capitalisme, tout en ju-
geant que l’Etat devrait faire
« plus ­confiance aux entreprises »
ses d’équité à 49 % contre 50 %
des catégories moyennes et 57 %
des catégories supérieures. Le ré-
cit de la France « égalitaire » est,
on le voit, fortement relativisé.
Forte attente d’autorité
La contestation de la réforme des
retraites ne signifie donc pas pour
autant une réorientation politi-
que vers la gauche. Certes, nos
compatriotes font preuve d’une
position très nuancée sur le libé-
ralisme économique et ils expri-
ment une demande toujours
forte de services publics. Mais ils
sont relativement moins nom-
breux à estimer qu’il faut « pren-
dre aux riches pour donner aux
pauvres », afin d’assurer la justice
sociale (59 % contre 58 % en Italie,
63 % au Royaume-Uni, 70 % en Al-
lemagne). Par ailleurs, la « droiti-
sation » de l’opinion sur les ques-
tions culturelles est toujours à
l’œuvre, avec une forte attente
d’autorité et de clarté en matière
d’immigration.
Quels peuvent être dès lors les
débouchés politiques de la crise
sociale actuelle ? Si la réforme des
retraites peut conduire à une frac-
ture au sein de la base électorale
du macronisme, composée en
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
Les hommes
politiques
sont vus
comme « plutôt
corrompus »
et servant en
priorité « leurs
propres intérêts »
et leur « donner plus de liberté ».
Une plus grande proportion de
Français s’identifie comme à
gauche (22 %), tandis que la part
de ceux qui se disent de droite re-
flue légèrement (à 28 %).
Les thématiques défendues par
l’extrême droite progressent
néanmoins avec une grande ré-
gularité, en France et ailleurs.
« On a toujours ce sentiment que
quelque chose a du mal à s’expri-
mer sur le plan politique et ne
trouve pas de débouché », résume
Bruno Cautrès, politiste au Cevi-
pof et spécialiste de l’analyse des
comportements et des attitu­des
politiques. Près de la moitié des
Français considèrent qu’il fau-
drait rétablir la peine de mort –
une proposition portée par Eric
Zemmour pendant la campagne
présidentielle et évoquée par Ma-
rine Le Pen, candidate du Ras-
semblement national (RN). Ils
étaient moins d’un tiers dans ce
cas en 2009.
L’angoisse d’un pays défensif
face à la mondialisation et à la
perte de souveraineté est aussi
manifeste. De plus en plus de
Français considèrent que la
France devrait « se protéger da-
vantage du monde d’aujourd’hui »
(48 % contre 30 % en 2009), et leur
part est plus élevée qu’ailleurs en
Europe. Cette attente est marquée
concernant l’immigration, mais
elle progresse surtout concer-
nant l’économie (+ 8 points en un
an), sur fond de guerre commer-
ciale. Pour autant, l’attachement
des Français à la démocratie est
solide, moins d’un tiers plaidant
pour « un homme fort » qui
n’aurait pas « à se préoccuper du
Parlement », une proportion net-
tement moins élevée qu’ailleurs
en Europe, et qui a reculé de 40 %
en dix ans. p
Elsa Conesa
partie d’anciens électeurs de gau-
che, comme à une crise profonde
au sein du parti Les Républicains,
divisés sur la question sociale,
elle place, en revanche, le Rassem-
blement national en position de
force. Celui-ci a su conjuguer une
offre de souverainisme et d’auto-
rité avec une préoccupation so-
ciale, même si ses positions sur
les retraites ont été assez floues
ou changeantes.
Mais cette crise pourrait ouvrir
également un nouvel espace à
une gauche de gouvernement ca-
pable de construire une formule
sociale-démocrate qui noue des
liens durables avec un monde du
travail en crise, lequel s’est mani-
festé avec vigueur depuis le début
de la mobilisation contre la ré-
forme des retraites. p
Bruno Cautrès, Gilles Ivaldi
et Luc Rouban
(CNRS-Cevipof-Sciences Po)
L’enquête a bénéficié du soutien
des partenaires suivants :
le Conseil économique social
et environnemental, Intériale,
les chambres des métiers
et de l’artisanat de France,
EDF et l’Agence nationale
de la recherche.
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023 France | 9

Bac : des « inégalités de

Dans une « logique d’harmoni-
sation ultime des pratiques », se-
lon le ministère, Pap Ndiaye a
donc décidé d’octroyer ces jour-
Les craintes montent aussi sur
« Ça bouscule l’égalité de traitement face aux
notre calendrier, épreuves. Ainsi, sur les huit spé-
cialités les plus demandées, les
ça va être

traitement » dénoncées
nées de révisions à quelques
jours de la tenue des épreuves. Et
c’est au tour des représentants
des enseignants et des chefs
d’établissement d’exprimer leur
Les élèves passeront à partir de lundi les épreuves mécontentement face à ce que
tous dénoncent comme une « im-
de spécialité. Le ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, provisation ». « Ce genre de déci-
sion s’anticipe », s’énerve Bruno
a accordé in extremis deux jours de révision à tous Bobkiewicz, secrétaire général du
SNPDEN-UNSA, le principal syn-
dicat des proviseurs, qui rappelle
que l’organisation pédagogique
des enseignements relève de la
compliqué pour
mes équipes »
Radouane M’Hamdi
proviseur au lycée André-
Boulloche de Livry-Gargan
première fois, met lycéens et
équipes pédagogiques sous ten-
sion. Les enseignants craignent
de ne pas avoir le temps de finir le
programme et certains viennent
élèves peuvent composer soit le
lundi, soit le mardi, sur des sujets
différents. Si c’était déjà le cas
lors de la session 2022 – qui
s’était déroulée en mai –, les
­inquiétudes des élèves sont, aux
dires des enseignants, renforcées
en raison de la prise en compte
dans Parcoursup. Tom, lycéen à
Brest, se dit ainsi « très inquiet et
même un peu en colère ». « Il
peut y avoir des sujets plus sim-
ples que d’autres ou des parties du
programme sur lesquelles je suis

D
ans tous les lycées »,
les journées du ven-
dredi 17 et samedi
18 mars « seront con-
sacrées, pour les élèves de termi-
nale, aux révisions » des épreuves
de spécialité, soit pendant les
cours soit par « du temps libéré ».
Le ministre de l’éducation natio-
nale, Pap Ndiaye, l’a annoncé
dans une lettre adressée aux élus
du Conseil national de la vie ly-
céenne, mardi 14 mars, « par souci
d’égalité ». Une réponse à leur de-
mande adressée quelques jours
plus tôt et une manière d’éteindre
la contestation montante.
Les élèves de terminale n’ont, il
est vrai, plus que quelques jours
pour être prêts. Du lundi 20 au
mercredi 22 mars, les 536 000 can-
didats passent les deux épreuves
d’enseignement de spécialité du
baccalauréat, qui comptent pour
un tiers de la note finale du bacca-
lauréat. Et, pour la première fois
depuis la mise en place du nou-
veau bac – les deux dernières édi-
tions avaient été perturbées par la
pandémie de Covid-19 –, ces notes
entreront dans l’examen des dos-
siers sur Parcoursup.
Alors, la pression monte. Or, en
discutant les uns avec les autres
en direct ou sur les réseaux so-
ciaux, les lycéens se sont aperçus puis le début de la semaine avec compétence des chefs d’établisse- à peine d’en venir à bout. plus à l’aise, note-t-il. C’est
qu’ils n’avaient pas tous les mê- des « bouts de classe ». Dans son ment. « On envoie tout de même le « Lorsque les épreuves avaient d’autant plus stressant que ça va
mes conditions de préparation. A lycée, les élèves ont la possibilité signal aux candidats que le bac se lieu en juin, nous avions le temps compter pour Parcoursup, donc
Toulouse, Jeanne (les élèves et en- de s’inscrire sur des créneaux de prépare la veille », se désole-t-il. pour organiser une bonne se- pour notre avenir. »
seignants cités par leur prénom révisions qui ont lieu en même maine de révisions pendant nos Face à ces craintes, le directeur
n’ont pas souhaité donner leur temps que les enseignements du Des sujets différents cours », relate Sophie Vénétitay, général de l’enseignement sco-
nom), qui va passer les spécialités tronc commun. Des élèves l’ont Radouane M’Hamdi, proviseur secrétaire générale du SNES-FSU. laire, Edouard Geffray, se montre
« humanités, littérature et philo- même prévenue qu’ils ne « vien- du lycée André-Boulloche à Livry- Une grande partie des syndicats rassurant. Il n’a eu connaissance
sophie » et « histoire, géographie, draient pas en cours pour [pou- Gargan (Seine-Saint-Denis), ne dit demande d’ailleurs le retour des d’« aucun recours » l’an passé et
géopolitique et sciences politi- voir] réviser ». pas autre chose. Il n’avait pas épreuves en fin d’année scolaire. d’« aucune distorsion de notation
ques », ne comprend pas. « Dans Des différences d’organisation prévu de banaliser la fin de se- « Les élèves sont complètement entre le premier et le second jour
mon lycée, nous avons juste les en- qui créent des « ruptures d’égalité maine, souhaitant en profiter épuisés avec cette année au pas de des épreuves ». « Les commissions
seignements de spé dans les pro- entre les élèves en raison d’une ab- pour « finir le programme ». Il se course, note Agathe, enseignante d’harmonisation sont faites pour
chains jours, mais certains de mes sence de cadrage à l’échelle natio- trouve bien ennuyé par ce revire- de SVT à Nancy. Et ils voient très ça. Elles ont pour objectif de corri-
amis ont cours jusqu’à la fin de la nale », dénonce Christine Gui- ment ministériel : « Ça bouscule clairement qu’ils n’ont pas tous ger d’éventuels écarts de notation,
semaine et d’autres ont juste le monnet, professeure d’histoire- notre calendrier, ça va être compli- droit à la même préparation. » Si que ce soit entre correcteurs ou en-
vendredi de libéré », décrit-elle. géographie et secrétaire générale qué pour mes équipes. » Depuis la elle se réjouit de la décision mi- tre épreuves », détaille-t-il. p
de l’Association des professeurs rentrée 2022, la tenue des épreu- nistérielle, elle estime que celle-ci Minh Dréan
Une « improvisation » d’histoire et de géographie. ves de spécialité en mars, pour la intervient « trop tard ». et Sylvie Lecherbonnier
Les parents d’élèves s’affolent
aussi : « Mon fils aura cours jus-
qu’au vendredi inclus, c’est compli-
qué », rapporte Loïc Breilloux,
dont l’enfant est scolarisé en Hau-
te-Vienne. Au lycée Marie-Curie
de Sceaux (Hauts-de-Seine), lundi
13 mars au matin, ces craintes se
sont traduites par le blocage de
l’établissement par les élèves de
terminale pour demander plus de
temps pour réviser.
Les enseignants tentent de gé-
rer comme ils peuvent. Alice, pro-
fesseure de philosophie en ban-
lieue lyonnaise, se retrouve de-

Condamnation de deux
journalistes pour chantage
sur Mohammed VI
Selon le tribunal, ils ont proposé de ne pas
publier leur livre en échange d’argent

P rès de huit ans après les

faits, les ex-journalistes
Eric Laurent et Catherine
Graciet ont été condamnés, mardi
14 mars par le tribunal judiciaire
espèces, une avance sur un mon-
tant total de 2 millions d’euros tel
que stipulé dans un accord ma-
nuscrit rédigé sur place.

de Paris, à un an de prison avec Un enregistrement trafiqué ?

sursis et 10 000 euros d’amende
chacun. Ils ont été reconnus cou-
pables d’avoir exercé un chantage
sur le roi du Maroc, Moham-
med VI, en demandant de l’argent
contre la non-parution d’un livre
en cours d’écriture sur les finances
du royaume alaouite et de son
monarque. Les deux journalistes,
qui contestent tout chantage et re-
connaissent seulement une « er-
reur déontologique », ont immé-
diatement fait appel.
Le tribunal a suivi les réquisi-
tions du parquet, qui demandait
un an de prison avec sursis et
15 000 euros d’amende. L’essen-
tiel du procès, en janvier, avait
consisté à déterminer qui avait
demandé quoi à qui et qui avait
proposé quoi à qui. Pour l’accusa-
tion, la partie civile et désormais
le tribunal, ce sont les journalistes
qui, après avoir approché le cabi-
net royal dans le but d’obtenir un
entretien journalistique, ont pro-
posé à un émissaire, l’avocat Hi-
cham Naciri, de ne pas publier
leur livre, le second sur le sujet − le
premier s’intitulait Le Roi préda-
teur (Le Seuil, 2012) − en échange
d’une somme d’argent.
Trois rendez-vous avaient eu
lieu en août 2015. Eric Laurent
avait participé seul aux deux pre-
miers, Catherine Graciet s’était
jointe au troisième. C’est à l’issue
de celui-ci que les journalistes
étaient interpellés après avoir
empoché chacun 40 000 euros en
Les échanges tenus lors des trois
rencontres avaient été enregistrés
par M. Naciri à l’insu des journalis-
tes, les deux derniers rendez-vous
ayant lieu avec le concours et sous
la surveillance de la police fran-
çaise, alertée par une plainte dépo-
sée par M. Naciri. Le problème
tient au fait que le principe d’une
transaction a été arrêté dès le pre-
mier rendez-vous, dont l’enregis-
trement a transité pendant une
semaine par les services de rensei-
gnement marocains. Les avocats
de la défense se sont appuyés sur
une expertise de la gendarmerie
pour dénoncer un enregistrement
trafiqué. Ils avaient obtenu son
annulation par la chambre crimi-
nelle de la Cour de cassation avant
que l’assemblée plénière de cette
instance ne revienne dessus.
L’avocat de M. Laurent, Me Serge
Portelli, a dit « espérer » que les
magistrats de la cour d’appel « es-
saieront de réfléchir réellement à
cette manipulation qui était évi-
dente et dont nos clients sont victi-
mes ». « Les démonstrations de la
fabrication de la preuve ont été fai-
tes tout au long des débats », a es-
timé Me Eric Moutet, avocat de
Mme Graciet. Il en veut pour
preuve la peine très modérée pro-
noncée par le tribunal. Antoine
Vey, avocat du royaume du Maroc,
s’est félicité que le tribunal recon-
naisse que celui-ci « a été victime
d’une tentative de chantage ». p
Christophe Ayad

10 | France
Élection présidentielle
Les comptes
éloquents de
la campagne
de Le Pen
Les documents rendus publics
mettent en lumière la stratégie
et les réseaux de la candidate
du Rassemblement national
à l’élection présidentielle de 2022
L
a Commission natio-
nale des comptes de
campagne et des fi-
nancements politi-
ques (CNCCFP) a pu-
blié, lundi 13 mars, l’in-
tégralité des comptes des trois can-
didats arrivés en tête au premier
tour de l’élection ­présidentielle de
2022 (Marine Le Pen, Emmanuel
Macron et Jean-Luc Mélenchon).
Les comptes, qu’elle a validés dans
leur ensemble, étaient accompa-
gnés des nombreux échanges
(autant de questions, réponses et
annexes) entre la CNCCFP et les
équipes des candidats.
Marine Le Pen a déclaré avoir
­dépensé près de 11,5 millions
d’euros, ce dont témoignent les
documents rendus publics : des
centaines de relevés bancaires, des
milliers de factures et les contrats
signés avec les prestataires. Ces
éléments, que Le Monde a analy-
sés, éclairent les rouages de la cam-
pagne de la candidate du Rassem-
blement national (RN), ses difficul-
tés financières, ses réseaux à l’ex-
trême droite et sa stratégie contre
son challenger Eric Zemmour.
U É
M S ES
LES 18
ET 19 MARS
Un prêt providentiel
venu de Hongrie
Avant l’obtention du prêt hon-
grois, en janvier 2022, le RN mène
une campagne a minima, faite de
petites réunions publiques et de
déambulations dans les marchés.
Malgré les difficultés financières,
le siège de la campagne, situé
dans les locaux du parti, bénéficie
d’un relooking intégral. Près de
79 000 euros sont dépensés en
mobilier et plus de 160 000 euros
en travaux d’aménagement.
Moins de 30 500 euros seront
remboursés par la CNCCFP,
car l’Etat n’a vocation à financer
que « l’utilisation spécifique des lo-
caux pour la seule campagne pré-
sidentielle ». En plus de ces bu-
reaux, la candidate loue pour
7 500 euros mensuels un apparte-
ment face au Champ de Mars, à
Paris, où elle mène les réunions
les plus stratégiques.
C’est dans ce « refuge », comme
elle le surnomme, qu’elle signe
avec les émissaires de la banque
hongroise MKB, le 27 janvier 2022,
un prêt de 10,691 millions d’euros
WEEK-END
Entrées 200 MUSÉES
gratuites
et animations
Parmi les salariés
et les prestataires
figure Philippe Vardon,
un ancien
du Bloc identitaire
– le montant maximal remboursé
par l’Etat aux finalistes de l’élec-
tion présidentielle.
Trois mois plus tôt, la candidate
s’était rendue à Budapest, accom-
pagnée de l’eurodéputé Nicolas
Bay, intermédiaire privilégié des
alliés nationalistes européens du
RN, pour y rencontrer le premier
ministre hongrois, Viktor Orban.
Un patronage d’importance, car,
selon les informations du Monde,
le secteur bancaire de ce pays est
proche du pouvoir. Aussitôt le prêt
Avec le Pass
sur telerama.fr
et dans
Télérama
signé, un premier versement de
4,6 millions d’euros se retrouve
sur le compte de la campagne.
Un soulagement pour le RN, à
l’approche de la convention de
Reims, un événement-clé le 5 fé-
vrier 2022. Plus de 100 000 euros
sont déboursés pour la location
de la salle, à laquelle s’ajoute la
­réservation de dizaines de bus
pour emmener les militants. La
convention doit montrer que les
défections de cadres du RN en fa-
veur d’Eric Zemmour, son chal-
lenger à la droite de la droite,
n’ont en rien grevé la dynamique
de campagne. « ll faut, comme Z,
créer un goulet d’étranglement
à l’entrée pour obtenir des images
de files d’attente (…) dignes (…) des
Super Bowl », conseille Pascal
­Humeau, ancien journaliste de
BFM-TV reconverti dans le conseil
en média, lors d’une réunion
­stratégique.
Toute la
programmation
sur
telerama.fr
Au soir du 24 avril 2022, la candi-
date du RN a échoué, et la ques-
tion financière est revenue la han-
ter. Fin février, son parti a été con-
traint de se désister du recours
qu’il avait formulé contre la déci-
sion de la CNCCFP de réduire le
remboursement de la candidate à
10,2 millions d’euros, car ce re-
cours « était bloquant (…) pour le
remboursement de notre campa-
gne, explique Kévin Pfeffer, tréso-
rier du RN, au Monde. Or cette
campagne a été financée par un
emprunt bancaire dont l’échéance
arrivait à son terme » le 28 avril.
L’ultradroite
toujours présente
dans les comptes
En surface, le RN s’efforce de se fa-
çonner une image lisse pour as-
seoir une large base électorale.
Mais dans les arrière-cuisines, la
candidate du parti a continué
d’entretenir des liens étroits avec
toute une frange de l’ultradroite
française, salariés ou prestataires
de services de sa campagne.
C’est ainsi qu’on retrouve
l’agence de communication e-po-
litic dans les comptes de la forma-
tion d’extrême droite. Chargée de
gérer les sites Web et les réseaux
sociaux du parti, elle suit les cam-
pagnes du RN depuis plusieurs an-
nées. Son dirigeant, Paul-Alexan-
dre Martin, lié aux milieux néo­-
fascistes italiens et à l’ultradroite
identitaire française, partage l’ac-
tionnariat de sa société avec Axel
Loustau et Frédéric Chatillon. Ces
deux proches de la candidate RN,
haut placés dans l’organigramme
du GUD – l’ancien syndicat étu-
diant d’ultradroite connu pour sa
violence –, n’apparaissent jamais
nominativement dans les comp-
tes de campagne de Marine Le Pen.
Néanmoins, l’analyse des comp-
tes montre qu’e-politic a pro-
fité de ses importants honoraires
– soit plus de 770 000 euros –
pour en faire bénéficier les co-
pains de la « GUD connexion ».
Afin de gérer les déplacements,
Paul-Alexandre Martin utilise
l’agence de voyages Dreamwell,
détenue à 70 % par Frédéric Cha-
tillon. Il s’attache aussi les servi-
ces de l’agence spécialisée en vi-
déo Vistavisio, gérée par Claude
Perrault, le président de la hol-
ding de Frédéric Chatillon. « Ce
prestataire [propose des services]
dont nous sommes satisfaits aux
prix du marché. Pas d’autres com-
mentaires à ajouter », balaie le tré-
sorier du RN, Kévin Pfeffer.
Un autre proche du GUD appa-
raît aussi dans les factures. Via sa
société CDC Expertise, Nicolas
Crochet a été mandaté pour
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
s­ ’occuper des fiches de paie des sa-
lariés de la campagne. Comptable
de plusieurs sociétés de MM. Cha-
tillon et Loustau, impliqué dans
des montages révélés par les « Pa-
nama Papers », il a été condamné
en 2020 – tout comme Frédéric
Chatillon – dans le cadre de l’af-
faire du financement des kits de
campagne du Front national.
De nombreux salariés et presta-
taires ont des accointances avec
l’ultradroite nationaliste. Malgré
l’anonymisation des documents,
Le Monde a pu identifier ­Philippe
Vardon, un ancien du Bloc identi-
taire ; Marie-Emilie Euphrasie,
une militante de la Cocarde – une
organisation étudiante habituée
des coups de poing – et du collec-
tif Némésis, un groupuscule iden-
titaire se revendiquant féministe,
comme le relève StreetPress ;
Leif Blanc, le beau-frère de M. Cha-
tillon ; ou encore Gorete de Freitas
Varandas, gérante d’une société
appartenant… à l’omniprésent
Frédéric Chatillon.
L’obsession Zemmour
Fin 2021, Eric Zemmour, tout
juste déclaré candidat à la prési-
dentielle, bénéficie d’une dyna-
mique médiatique. En public,
Marine Le Pen « garde le calme
des vieilles troupes ». En privé, le
cas « Z » inquiète. Dès novem-
bre 2021, les réunions de confec-
tion des argumentaires, menées
par Pascal Humeau, lui sont en
partie consacrées. « L’idée est d’ex-
pliquer (…) pourquoi Z n’est pas
taillé pour la présidentielle »,
peut-on lire dans un compte
rendu fin 2021. Le 19 janvier 2022,
la réunion porte sur le ralliement
– le premier d’une longue série –
de l’eurodéputé Jérôme Rivière
au candidat de Reconquête. Le
mot d’ordre est clair : il faut « ba-
naliser l’événement ».
Aux 12 000 euros versés à Pas-
cal Humeau pour produire les ar-
gumentaires de la campagne,
s’ajoutent 52 320 euros de sonda-
ges commandés début 2022 à
Christophe Gervasi. Ce sondeur,
habitué des campagnes du RN,
teste auprès d’un panel de sym-
pathisants les propositions de
Marine Le Pen, mais aussi « les
facteurs d’hésitation » entre elle
et Eric Zemmour. « Son physique
le dessert », note le sondeur, là où
Marine Le Pen est favorisée par
son image « maternante », fruit
« d’un gros travail réalisé » sur
l’opinion par son équipe… Sans
relever que par son positionne-
ment, Eric Zemmour a égale-
ment contribué à dédiaboliser
la candidate. p
Jérémie Baruch, Laura Motet,
Vincent Nouvet et Léa Sanchez
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
Le numéro d’équilibriste
du président candidat Macron
Le contrôle des factures détaillées de sa campagne de 2022 soulève
des interrogations sur le cas particulier du locataire de l’Elysée
A
ppelez-moi Monsieur le
candidat, il n’y a aucun
problème. » Caméra
portée, plans dynami-
ques et conversations « intimes »,
tout dans la websérie Le Candidat
rappelle les codes de Netflix. Cette
superproduction centrée sur Em-
manuel Macron a été facturée près
de 400 000 euros par la société de
production Arduina, propriété de
l’ancien journaliste Dominique
Delport, un proche de Vincent Bol-
loré. Une dépense conséquente,
pour un résultat mitigé : le pre-
mier des huit épisodes a dépassé
les 400 000 vues ; les suivants
n’ont pas dépassé les 100 000.
Parmi les coûts de production
de ce « documentaire », une fac-
ture de 4 000 euros de « rede-
vance pour l’occupation tempo-
raire » du palais de l’Elysée, illus-
tre bien le numéro d’équilibriste
auquel doit se livrer un chef d’Etat
candidat à sa réélection. Au total,
plus de 560 000 euros ont été
remboursés à la présidence de la
République par le candidat Ma-
cron, révèle son compte de cam-
pagne, rendu public lundi 13 mars
par la Commission nationale des
comptes de campagne et des fi-
nancements politiques (CNCCFP).
L’instance chargée de contrôler
les dépenses des candidats pour
l’élection présidentielle de 2022
s’est longuement interrogée sur
cette situation qui, à défaut d’être
inédite, reste particulière. La
CNCCFP a relevé plusieurs irrégu-
larités, la conduisant à déduire
123 764 euros au remboursement
accordé à Emmanuel Macron.
L’utilisation des comptes Twit-
ter et Facebook du président, un
« avantage indirect » L’entrée en
campagne du président sortant,
début mars 2022, n’a rien d’un
mystère. Pour cette déclaration
attendue, Emmanuel Macron
choisit une lettre publiée dans la
presse régionale. Le document est
diffusé sur les profils du chef de
l’Etat sur les réseaux sociaux,
dont le compte Twitter @Emma-
Mélenchon : les prestations de Chikirou validées
En 2022, tout semble avoir été fait pour écarter les soupçons émis sur la campagne de 2017
S ophia Chikirou est à la
source de l’un des princi-
paux fronts judiciaires de
La France insoumise (LFI) : une
enquête ouverte en 2018 par le
parquet de Paris vise à vérifier de
possibles surfacturations ou
prestations fictives de sa société
Mediascop lors de la campagne
présidentielle 2017 de Jean-Luc
Mélenchon. Pourtant, le candidat
n’a pas renoncé à faire appel à elle
en 2022. Sa société, rebaptisée
L’Internationale, a facturé
844 636 euros de prestations à
l’association de financement de
la campagne présidentielle de
M. Mélenchon, selon les comptes
de campagne du candidat validés
par la Commission nationale des
comptes de campagne et des fi-
nancements politiques (CNCCFP).
Cette somme, inférieure au
1,2 million d’euros facturé en 2017,
place L’Internationale au troi-
sième rang des prestataires de la
campagne « insoumise » – der-
rière Videlio, qui a assuré les cap-
tations des meetings et les fa-
meux hologrammes du candidat,
et Bleu voyages, qui a centralisé
les déplacements. La société de
nuelMacron (8 millions d’abon-
nés à l’époque) et sa page Face-
book (4 millions).
Ces comptes étaient jusque-là
gérés par l’Elysée. Son équipe de
campagne estime alors avoir fait
les choses dans les règles, en offi-
cialisant leur reprise en main par
une convention. Mais la Com-
mission nationale de contrôle de
la campagne électorale la déjuge
le 11 mars. Les publications relati-
ves à la campagne électorale sont
finalement supprimées des pro-
fils concernés. La CNCCFP s’est
rangée sur cette ligne : utiliser
pendant la campagne le profil
Twitter @EmmanuelMacron, ha-
bituellement alimenté par l’Ely-
sée, constitue « un avantage indi-
rect apporté par une personne
morale » – ce qui est prohibé.
Les interventions des ministres
en question L’imbrication entre
présidence et campagne a ensuite
plus largement fait débat et a été
au cœur des interrogations de la
CNCCFP – l’instance a d’ailleurs
reçu vingt-quatre signalements
sur le cas du président sortant,
contre sept pour l’ensemble de
ses concurrents. Les rapporteurs
se sont interrogés sur les livres,
prises de parole et publications
sur les réseaux sociaux des mem-
bres du gouvernement pendant
la période électorale. En réponse,
l’équipe du candidat a produit un
tableau des interventions en
question, différenciant les diffé-
rents cas de figure.
Lorsque des visuels ou des vi-
déos ont été produits pour la cam-
pagne du président candidat pour
nourrir ces contenus, leur coût a
été intégré à ses comptes. A l’in-
verse, bon nombre d’interven-
tions ont été présentées comme
inhérentes aux fonctions minis-
térielles des intéressés. D’autres
ont été présentées comme l’ex-
pression du point de vue des mi-
nistres, sans accord préalable du
président candidat. Cette nuance
permet de ne pas lui imputer de
dépenses associées, mais elle
Sophia Chikirou n’en était pas
moins, dès juillet 2021, au cœur
du dispositif de LFI, s’occupant
aussi bien de la communication
que du conseil stratégique, de la
création d’affiches et de clips de
campagne, des réseaux sociaux.
Livrets, émissions, podcasts…
En 2017, le manque de formalisme
des prestations de Mme Chikirou
auprès de l’association de finance-
ment de la campagne avait con-
duit la CNCCFP à suspecter des
marges indues, des surfactura-
tions, voire des prestations ficti-
ves. La commission avait retran-
ché 35 000 euros des dépenses de
campagne remboursées par l’Etat,
avant d’adresser un signalement à
la justice. L’information judiciaire,
ouverte en 2018, couvre de possi-
bles faits d’« escroquerie » et
d’« abus de confiance ». Elle a
donné lieu à la mise en examen de
deux chevilles ouvrières de la
campagne, Bastien Lachaud et Ma-
rie-Pierre Oprandi, et de l’Ere du
peuple, association proche de LFI.
En 2022, tout semble avoir été
fait pour écarter de tels soupçons.
Pour éviter les accusations de
un ministre peut-il
vraiment être
un électron libre
en marge
de la campagne du
président sortant ?
pose question : un ministre
peut-il vraiment être un électron
libre en marge de la campagne du
président sortant ?
Les règles ont globalement été
respectées dans ce délicat exer-
cice, estime la CNCCFP, à quelques
exceptions près. Parmi elles, trois
interventions médiatiques de Ga-
briel Attal, porte-parole du gou-
vernement, en mars 2022, dont
les dépenses n’avaient pas été pri-
ses en compte. Ou encore un dé-
placement de François Bayrou,
Haut-Commissaire au plan.
Une campagne d’affichage sau-
vage épinglée Avant la tardive en-
trée en campagne officielle,
l’équipe a occupé le terrain par di-
verses initiatives. L’une d’elles a
posé question à la CNCCFP :
30 000 affiches ont été collées
dans seize villes. Le devis de la so-
ciété Street Dispatch spécifie que
cet affichage se fait de façon « libre
et-ou sauvage », en clair, illégale-
ment. Les responsables de la cam-
pagne ont justifié cette entorse
particulièrement avérée à Paris
par le fait… que la capitale ne com-
portait pas assez de panneaux
d’affichage. Insuffisant pour con-
vaincre la CNCCFP, qui a rejeté à ce
titre les dépenses afférentes.
Minecraft, « nudge » et Wikipé-
dia Outre les sondages – soit
quinze enquêtes pour un total
d’au moins 280 000 euros –,
l’équipe d’Emmanuel Macron a
fait appel à l’institut BVA pour des
conseils en matière de « nudge ».
Derrière cet anglicisme se cache
un ensemble de techniques, par-
conflit d’intérêts, Sophia Chiki-
rou n’occupait cette fois aucune
fonction dans l’équipe de campa-
gne. Contrairement à 2017, une
grille tarifaire a été établie en
amont pour déterminer le prix de
chaque prestation : 800 euros
pour un logo, 700 pour un jour de
« media training », 800 par jour
pour des conseils stratégiques
(facturés 600 en 2017)…
Soupçonnée par la justice
d’avoir dirigé en 2017 une coquille
vide qui sous-traitait l’essentiel
des commandes à des prestatai-
res, Sophia Chikirou a fourni cette
fois à la CNCCFP la liste de ses onze
salariés et dix sous-traitants, et les
preuves qu’elle « disposait en pro-
pre de tout le matériel et toutes les
licences nécessaires à la réalisation
de ses prestations ». Le directeur de
la campagne, Manuel Bompard, a
dû attester par écrit que LFI n’avait
mis à disposition de la société
aucun personnel, et que « les liens
entre la société L’Internationale et
La France insoumise ont toujours
été caractérisés par un lien de
client à prestataire ».
La commission a demandé à
L’Internationale de justifier cha-
fois assimilées à de la manipula-
tion, « relatives à l’encouragement
de l’adoption de comportements
positifs souhaités tant au niveau
des électeurs que des Mar-
cheurs [sympathisants et adhé-
rents de La République en marche,
désormais Renaissance] », comme
le précise le devis de la prestation,
facturée 24 000 euros.
La campagne Macron s’est aussi
risquée à des initiatives ludiques, à
destination d’un public jeune,
comme la création d’un serveur
« En Marche » au sein du très po-
pulaire jeu vidéo de construction
Minecraft. Elle a fait bâtir un QG
par une société spécialisée, pour
près de 40 000 euros au total.
Une autre prestation peut illus-
trer les craintes du chef de l’Etat
sortant : une facture de
5 000 euros, pour la surveillance
de trois pages de Wikipédia, celle
du chef de l’Etat, celle de son
épouse, et celle du secrétaire géné-
ral de l’Elysée, Alexis Kohler, mis
en examen en septembre 2021
pour des soupçons de « prise illé-
gale d’intérêts ». Un chantier con-
fié à une discrète société espa-
gnole, First One Digital, derrière
laquelle on trouve Stéphane
Alaux, un spécialiste français de
l’« e-réputation » des célébrités et
des grandes marques.
Enfin, la sécurité informatique a
fait l’objet d’une attention particu-
lière. « Des mesures spécifiques de
prévention des risques d’attaques
cyber ont été prises », détaille
l’équipe de campagne dans une
note à la CNCCFP. Deux prestatai-
res ont été sollicités pour un coût
total de 136 000 euros. Une préoc-
cupation compréhensible, cinq
ans après les « Macron Leaks » :
en 2017, l’équipe de campagne
avait été victime d’un piratage qui
avait conduit à la diffusion du con-
tenu des messageries électroni-
ques de plusieurs de ses membres
pour déstabiliser le candidat, deux
jours avant le second tour. p
Abdelhak El Idrissi,
Romain Geoffroy, Samuel
Laurent et Adrien Sénécat
que prestation. Elle s’est notam-
ment interrogée sur une mission
de déclinaison du manifeste de
campagne L’Avenir en commun
sous forme de livrets, d’émissions
et de podcasts, qui a gonflé de
59 210 à 95 370 euros entre le devis
initial et la facture définitive. A
chaque fois, les justifications ap-
portées par l’équipe de campagne
ont convaincu la CNCCFP, qui n’a
retoqué aucune facture de L’Inter-
nationale dans sa décision finale.
Sophia Chikirou, élue députée
de Paris en juin, s’est versé
en 2022 un salaire de 19 322 euros
avec L’Internationale, selon sa dé-
claration d’intérêts. Mais une par-
tie des bénéfices réalisés lors de la
campagne ont pu être conservés.
Cette société dont elle est l’unique
associée, est aujourd’hui évaluée
à 76 000 euros. Mme Chikirou de-
vrait prochainement être enten-
due par la justice en vue d’une
possible mise en examen pour
son rôle dans la campagne de
2017, selon Libération. Sollicitée,
elle n’a pas donné suite. p
Pierre Breteau, Romain
Imbach, Anne Michel, Manon
Romain et Maxime Vaudano
Un détenu évadé en
Dordogne recherché
Philippe Dubois, 54 ans, terminait de purger
une peine de vingt-huit ans pour assassinat,
à la prison de Mauzac
I l lui restait un peu plus de
trois ans de prison à purger.
Pourtant, Philippe Dubois,
54 ans, condamné en 2008 par la
cour d’assises des Bouches-du-
Rhône à vingt-huit ans de réclu-
sion criminelle pour assassinat et
vol avec arme, s’est évadé à pied,
lundi 13 mars, du centre de déten-
tion de Mauzac (Dordogne). A la
mi-journée, « Philippe Dubois a
réussi à se soustraire à la sur-
veillance des agents et a pris la
fuite », explique Sylvie Martins-
Guedes, procureure de Bergerac,
dans un communiqué. « Dès le si-
gnalement de l’évasion, tous les
moyens ont été mis en œuvre par
les gendarmes pour retrouver sa
trace. » L’enquête – a été confiée à
la brigade de recherches de Ber-
gerac et à la brigade de gendar-
merie de Lalinde (Dordogne).
M. Dubois – qui s’était vu refuser
une demande de permission de
sortir lors de la dernière commis-
sion d’application des peines –
fait en outre l’objet d’un mandat
de recherche. Les forces de l’ordre
veulent, évidemment, retrouver
le fuyard, mais aussi identifier les
éventuelles complicités dont il a
pu bénéficier.
Philippe Dubois est arrivé à
Mauzac en septembre 2022. Sa fin
de peine était fixée en mai 2026.
Depuis février, il était en forma-
tion à la ferme-école du centre de
détention, où il apprenait à faire
des travaux horticoles dans une
zone située « sur l’emprise de l’éta-
blissement pénitentiaire, mais en
dehors de la zone sécurisée et close
de la détention », précise le par-
quet. Les détenus s’y rendent et y
travaillent sous la surveillance de
l’administration pénitentiaire.
« Il faut bien voir que Mauzac est
une structure au fonctionnement
totalement différent des autres
établissements pénitentiaires,
souligne Wilfried Fonck, du syn-
dicat UFAP-UNSA Justice. C’est
une sorte de prison agricole sur un
terrain de plus de 90 hectares, au
milieu de la pampa. Il n’y a pas un
mur d’enceinte, mais une grille qui
se franchit facilement. » Pour le
syndicaliste, cette évasion pose la
question du « profilage » des dé-
tenus que l’on envoie dans la
ferme pédagogique : « Tout le
monde n’a pas le profil pour y être
Édu c ation
Mixité sociale à l’école :
la Seine-Saint-Denis
propose une fusion avec
l’académie de Paris
Le président du département
de la Seine-Saint-Denis,
­Stéphane Troussel (Parti so-
cialiste), a proposé au ministre
de l’éducation nationale, Pap
Ndiaye, d’intégrer son dépar-
tement, le plus pauvre de
France, à l’académie de Paris,
pour renforcer la mixité so-
ciale et scolaire, ­a-t-il indiqué,
mardi 14 mars. L’idée ne fait
« pas consensus » à « ce stade »,
a indiqué le ministère, préci-
sant avoir évoqué de son côté
l’idée de créer un observatoire
de la mixité et de renforcer
­l’attractivité des collèges
de Seine-Saint-Denis.
M. Ndiaye doit annoncer pro-
chainement sur le plan natio-
nal des mesures sur la mixité,
dont il a assuré ­vouloir faire
« une priorité ». – (AFP.)
S anté
Hôpitaux publics : ­
vers un déficit
de plus de 1 milliard
d’euros en 2022
Les hôpitaux publics de-
vraient afficher « entre 1 et
1,3 milliard d’euros » de per-
tes en 2022, a estimé, mardi
France | 11
Depuis février,
le prisonnier était
en formation
à la ferme-école
du centre de
détention
envoyé. » Pourtant, il reconnaît
que les évasions ne sont pas cou-
rantes au centre de détention de
Mauzac – dont la construction
date de la fin des années 1980 –, la
dernière remontant à 2010.
Philippe Dubois avait été con-
damné pour l’assassinat, en 2002,
de Francine Véran-Raspini, 72 ans,
et de son fils Marc, 48 ans. Deux
autres personnes étaient impli-
quées et ont également été con-
damnées pour ces faits : Laurent
et Patrick Gauvin. Les trois hom-
mes voulaient mettre la main sur
l’argent des Véran-Raspini. Vivant
reclus, ces derniers étaient pro-
priétaires de plusieurs biens im-
mobiliers et accumulaient d’im-
portantes sommes d’argent.
Ancien client de Dupond-Moretti
Un soir, les Gauvin père et fils et
Philippe Dubois débarquent dans
la propriété, tuent d’abord le fils
avant de s’en prendre à la mère.
D’abord condamnés en 2006 à la
perpétuité, ils font appel de la dé-
cision. M. Dubois prend alors
comme avocats Lionel Moroni et
Eric Dupond-Moretti. L’actuel
garde des sceaux obtient en appel
une condamnation plus clé-
mente, vingt-huit ans de prison.
Une défense qui a aujourd’hui
des conséquences concrètes
puisque le ministre de la justice a
dû se « déporter », c’est-à-dire
confier la responsabilité et le
suivi de cette affaire à la première
ministre Elisabeth Borne, car il y
avait un risque de conflit d’inté-
rêts. C’est donc Matignon qui a re-
pris le dossier. Les services de la
première ministre indiquent
qu’ils ont demandé à l’adminis-
tration les éléments « sur les cir-
constances précises de son place-
ment extérieur », c’est-à-dire dans
la ferme pédagogique du centre
de détention. p
Abel Mestre
14 mars, la Fédération hospi-
talière de France. Il s’agit
d’un « doublement » depuis
la crise sanitaire liée au
­Covid-19, lié à « l’effet ci-
seaux » entre d’une part
­l’envolée des dépenses (prix
de l’énergie, de l’alimenta-
tion, revalorisations salaria-
les) et d’autre part une acti-
vité inférieure de 2 % par
rapport à 2019. – (AFP.)
Justice
Huit mois avec sursis
requis contre
une ex-responsable
d’association féministe
Huit mois de prison ont été
requis, mardi 14 mars, à l’en-
contre d’une productrice de
films, ancienne administra-
trice du Collectif 50/50, qui
prône la parité, la diversité
et la lutte contre les violen-
ces sexuelles sur les tourna-
ges. Elle était poursuivie
pour « agression sexuelle
par ­personne en état
d’ivresse manifeste » à l’en-
contre d’une ­comédienne
qui n’était pas présente à
l’audience. Ces accusations
avaient ­provoqué l’explosion
de ­l’association féministe.
Le tribunal ­judiciaire de Paris
devrait faire connaître sa
­décision le 23 mai. – (AFP.)
12 | Planète
Projet pétrolier en Alaska : le revirement de Biden
Le forage, situé sur des terres fédérales, permettra d’extraire à terme 40 % de la production actuelle de l’Etat
New York - correspondant
P
lus de forages pétroliers
sur les terres fédérales.
Point. Point. Point. C’est
un désastre de faire cela
dans l’Arctique, un grand désas-
tre » : ainsi s’exprimait Joe Biden,
évoquant la fonte des glaciers et le
destin des caribous, en fé-
vrier 2020. L’actuel président bat-
tait alors campagne dans le New
Hampshire pour l’investiture dé-
mocrate à la présidentielle. Mais
le président n’est pas le candidat,
et l’administration Biden a ap-
prouvé, lundi 13 mars, en catimini,
le lancement d’un gigantesque
projet pétrolier au nord du cercle
polaire, dans la National Petro-
leum Reserve, porté par le géant
texan ConocoPhillips. Sept mil-
liards de dollars (6,5 milliards
d’euros) d’investissements, pour
extraire à terme 180 000 barils de
pétrole par jour, soit l’équivalent
de 40 % de la production de pé-
trole actuelle de l’Alaska.
L’administration Biden, gênée
par cette affaire, a annoncé toute
une série de mesures pour empê-
cher le forage offshore sur les cô-
tes de l’océan Arctique, sur
12 000 kilomètres carrés dans la
mer de Beaufort. Elle a réduit de
cinq à trois les forages que pourra
faire ConocoPhillips, tandis que
cette dernière a été contrainte de
rendre 230 kilomètres carrés de
terres qu’elle avait en concession
pour préserver la faune, notam-
ment le caribou.
Plus de la moitié de la réserve
nationale pétrolière, une im-
mense zone riche en hydrocarbu-
res recensée dès les années
1920 et vaste comme trois fois la
Belgique, sera sanctuarisée. « Tout
cela n’est que de l’habillage », a dé-
ploré auprès du New York Times
Ben Jealous, président du Sierra
Club, une organisation environ-
nementale, qui évoque « une rup-
ture de confiance majeure ».
En effet, le précédent est consi-
dérable. Il s’agit du plus grand
projet pétrolier en Alaska, alors
que le gisement de Prudhoe Bay,
découvert en 1968, s’épuise, au
point que l’opérateur BP a passé la
main au petit producteur texan
Hilcorp. Il redonne vie au pipeline
Trans-Alaska, qui transportait sur
près de 1 300 kilomètres, à Valdez,
sur la côte Pacifique, plus de
2,1 millions de barils à son apogée,
Le Sénat soutient la recherche sur les aliments de culture cellulaire
La commission des affaires économiques appelle le gouvernement français à mieux anticiper et encadrer l’essor de ce secteur controversé
L’ alimentation issue de la
culture cellulaire est loin
d’avoir rejoint les assiettes
des Français, mais elle fait déjà
couler beaucoup d’encre. Encore
au stade de la recherche dans des
laboratoires de start-up, ces pro-
duits qui reproduisent la texture
de morceaux de viande ou de
poisson à partir de cellules sou-
ches cultivées dans des réacteurs
se présentent comme une alter-
native économe en terres, en eau,
et moins émettrice en gaz à effet
de serre que les produits issus de
l’élevage. Mais beaucoup y voient
une technologie artificialisant
l’alimentation, attaquant l’agri-
culture et les traditions paysan-
nes. Dans un rapport publié mer-
credi 15 mars, des sénateurs appel-
lent à « accélérer les recherches
pour décider en toute connais-
sance de cause et ne pas tomber
dans la dépendance à de grandes
entreprises étrangères », mais de-
mandent à renforcer les procédu-
res d’évaluation de ces produits.
Alors que seul Singapour a auto-
risé des aliments de culture cellu-
laire (dans quelques restaurants
Le président ne
pouvait risquer
d’être accusé de
mettre en danger
la sécurité
énergétique
nationale
en 1988, mais n’en achemine plus
désormais que 480 000. Il mon-
tre que les terres vierges de
l’Alaska ne sont pas fermées à l’ex-
ploitation pétrolière.
Depuis des années, pourtant, les
pétroliers se désengageaient,
boudant même les enchères d’ex-
ploitation, en raison de l’oppro-
bre public frappant toute exploi-
tation du sous-sol de l’Alaska, de
l’enclavement très coûteux du
territoire et des hydrocarbures
bon marché qui abondent au
Texas. Pourquoi un tel change-
ment de pied ? D’abord, l’adminis-
tration Biden n’avait guère le
choix. Fondamentalement, les
terres fédérales ont vocation à
être exploitées et la Maison Blan-
che n’a pas, selon les tribunaux, la
possibilité de mettre son veto à
toute exploitation.
« Nous avons des besoins ! »
Ensuite, ConocoPhillips avait ob-
tenu les concessions jusqu’à la
fin du mandat de Donald Trump,
et l’administration n’avait pas le
droit de lui refuser ses permis
s’ils étaient conformes à la régle-
mentation. Selon le New York
­Times, les avocats de la Maison
Blanche ont estimé le risque fi-
nancier à 5 milliards de dollars,
cette somme couvrant les inves-
tissements et les profits perdus
de ­ConocoPhillips.
Surtout, le climat politique a ra-
dicalement changé avec l’inva-
sion russe de l’Ukraine et l’envolée
des hydrocarbures qui s’est ensui-
vie. Joe Biden est assuré du sou-
tien de la gauche environnemen-
tale, notamment après l’adoption
de son plan de transition énergé-
tique, connu sous le nom d’Infla-
tion Reduction Act, mais il ne pou-
vait guère prendre le risque d’être
accusé de mettre en danger la sé-
curité énergétique nationale et
d’abandonner l’Alaska. Cet Etat
vaste comme trois fois la France
de niche), et qu’une demande de
commercialisation est en cours
d’instruction aux Etats-Unis, « on
est aujourd’hui à un moment
charnière, avec des start-up qui
vont bientôt – fin 2023 ou en 2024 –
déposer des dossiers d’autorisa-
tion de mise sur le marché euro-
péen », explique Olivier Riet-
mann, sénateur (Les Républi-
cains) de Haute-Saône et corap-
porteur, avec Henri Cabanel, élu
Rassemblement démocratique et
social européen de l’Hérault, de la
mission d’information sur cette
technologie. « On ne peut pas se
permettre de ne pas anticiper, ça
nous évitera de prendre des déci-
sions sans étude d’impact », plaide
M. Rietmann.
Loin d’accorder un blanc-seing à
la filière, les sénateurs de la com-
mission des affaires économi-
ques, qui ont mené une quaran-
taine d’auditions et se sont dépla-
cés aux Pays-Bas, berceau de cette
technologie depuis une dizaine
d’années, demandent une plus
grande transparence aux entre-
prises du secteur, qui gardent se-
crets une partie des procédés de
Des manifestants réclament l’arrêt du projet Willow, devant la Maison-Blanche, à Washington, le 3 mars. JASON ANDREW/NYT-REDUX-REA
est de plus en plus stratégique
avec le recul de la banquise, alors
que les Russes, de leur côté, forent
à travers toute la Sibérie.
Enfin, la quasi-totalité des grou-
pes de pression d’Alaska étaient
en faveur du projet : Conoco-
Phillips, bien sûr, qui veut com-
mencer immédiatement les tra-
vaux et a salué « la bonne décision
pour l’Alaska et notre pays » ; les
deux sénateurs républicains de
l’Etat, sans surprise, mais aussi la
représentante à la Chambre, la dé-
mocrate issue des populations
autochtones d’Alaska Mary Pel-
tola. « L’Alaska n’est pas une boule
à neige vide. Des gens vivent ici et
nous avons des besoins ! », a-t-elle
expliqué, assurant paradoxale-
ment que les subsides permet-
traient de financer la transition
énergétique de l’Etat : « Willow
n’est pas un pas en arrière, c’est un
pas en avant essentiel dans notre
transition énergétique. » Les Inu-
piat soutenaient massivement ce
projet : ils touchent les juteuses
royalties du pétrole dans le comté
fabrication. L’impact environne-
mental en particulier reste diffi-
cile à évaluer, faute de données
suffisantes. La liste des ingré-
dients entrant dans la fabrication
doit également être publique.
« Un des nerfs de la guerre, c’est le
milieu de culture [dans lequel sont
plongées les cellules souches pour
leur reproduction], relève Olivier
Rietmann. Or, on n’arrive pas à
avoir la vraie recette. On n’a pas
non plus une vraie clarté sur l’utili-
sation ou non d’antibiotiques. »
« Consensus scientifique »
Autre sujet de frictions : l’utilisa-
tion de sérum de veau fœtal dans
le médium de culture, décrié pour
des raisons éthiques. Les entre-
prises du secteur affirment leur
volonté de s’en passer, mais les
premiers nuggets cultivés vendus
à Singapour y ont recours.
La culture cellulaire « est un sujet
qui reste confidentiel dans la re-
cherche internationale, observe
Jean-François Hocquette, direc-
teur de recherche à l’Institut na-
tional de recherche pour l’agricul-
ture, l’alimentation et l’environ-
dit de la North Slope mais aussi
dans le reste du pays, la manne
faisant l’objet d’une péréquation
entre nations amérindiennes.
Les opposants étaient les natifs
installés sur le lieu du forage et les
ONG, qui ont mené une campagne
très active sur les réseaux sociaux,
réunissant 3,4 millions de signatu-
res contre Willow. Elles sont accu-
sées par la population locale de
faire de l’Alaska un combat emblé-
matique mené de l’extérieur.
Surveillance des ours blancs
« Nous en avons assez des groupes
extérieurs qui tentent de faire de ce
projet et de tous les autres projets
pétroliers et gaziers de notre région
l’affiche d’un mouvement mondial
d’abandon des combustibles fossi-
les », écrivaient, à l’automne
2022, Harry Brower, maire du
comté du North Slope et pêcheur
à la baleine dans le village d’Utqia-
gvik, et le président de l’Assemblée
du North Slope, Amaulik Edward-
sen, dans un article publié par le
Wall Street Journal et intitulé « Ma
nement, qui déplore un effet de
bulle médiatique. En 2020, il n’y
avait que 327 articles scientifiques
sur le sujet, contre 13 000 articles
de presse. » Le scientifique plaide
pour sa part pour le principe de
précaution : « Il y a tellement de
questions sur la composition du
milieu de culture, l’ajout d’hormo-
nes, la composition nutritionnelle
des produits, qu’il vaut mieux pour
l’instant être prudent », justifie-t-il.
D’autres chercheurs insistent
davantage pour poursuivre les
études. « Il y a un consensus scien-
tifique sur la nécessaire transition
vers moins de protéines animales,
qui peut prendre différentes voies,
insiste Tom Bry-Chevalier, docto-
rant sur les enjeux économiques
et environnementaux de la cul-
ture cellulaire à l’université de
Lorraine. La viande cultivée pour-
rait être un outil parmi d’autres,
mais on ne saura pas si c’est perti-
nent si on a un désintérêt total. »
En France, deux start-up se sont
positionnées sur ce segment :
Gourmey, dont l’objectif est de dé-
velopper un foie gras sans gavage,
et Vital Meat, qui concocte, elle, de
« L’expansion
proposée du
forage pétrolier
et gazier en
Alaska est
irresponsable »
Al Gore
ancien vice-président
des Etats-Unis
communauté native d’Alaska a
­besoin du projet Willow ».
Ce projet pétrolier pose deux
questions majeures. Est-il assez
protecteur de l’environnement ?
Sur ce point, le débat a porté non
pas sur le principe du projet mais
sur ses modalités et les ajuste-
ments à apporter pour réduire
l’emprise du forage, qui compor-
tera 430 kilomètres de pipelines
et près de 700 kilomètres de rou-
tes sur glace. Il a été promis une
meilleure surveillance des ours
la « pâte de poulet ». Toutes deux
ont reçu un soutien de la Banque
publique d’investissement – au
total, « 15 millions d’euros depuis
l’origine », explique Ariane Voyat-
zakis, responsable du secteur
agroalimentaire chez Bpifrance.
Mais, à rebours de ce finance-
ment public, des responsables
politiques n’ont pas manqué d’af-
ficher leur hostilité. Lors de l’an-
nonce du feu vert de Singapour à
un aliment cellulaire, fin 2020, Ju-
lien Denormandie, alors ministre
de l’agriculture, avait vertement
réagi en lançant : « Comptez sur
moi pour qu’en France la viande
reste naturelle et jamais artifi-
cielle. » Il a depuis laissé sa place
Rue de Varenne et son successeur,
Marc Fesneau, ne s’est pas claire-
ment positionné sur le sujet. Le
rapport du Sénat, qui souligne le
scepticisme et les hésitations du
gouvernement, espère pousser la
France à plus de cohérence.
Parmi les chantiers qui atten-
dent les pouvoirs publics : celui de
l’appellation et de l’étiquetage. Les
sénateurs souhaitent proscrire les
termes de « viande » afin de ne pas
­
0123
­Jeudi 16­ mars 2023
blancs qui hibernent ; une moin-
dre nuisance pour les caribous,
dont la population régresse dan-
gereusement ; la construction de
routes de glace éphémère ; des
­efforts de réduction de la lumino-
sité du site. Une fois ces engage-
ments pris par ConocoPhillips, le
permis fut octroyé.
Là où les ONG ont perdu la partie
– en attendant sous doute de mul-
tiples recours –, c’est sur l’abandon
du principe même de non-ouver-
ture de forages. Elles dénoncent
une « bombe climatique ». L’Agence
internationale de l’énergie estime,
pour sa part, qu’il ne faut plus lan-
cer de nouveaux projets pétroliers,
ses opposants rétorquant que le
pétrole risque alors de venir du Ve-
nezuela. « L’expansion proposée du
forage pétrolier et gazier en Alaska
est irresponsable, a déclaré Al Gore,
l’ancien vice-président de Bill Clin-
ton (1993-2001). Elle est incompati-
ble avec l’ambition dont nous
avons besoin pour atteindre un
avenir zéro [émission] nette. » p
Arnaud Leparmentier
tromper le consommateur. Ils de-
mandent que soient spécifiées les
quantités utilisées, ainsi que l’ori-
gine des cellules souches anima-
les. Une réflexion sémantique qui
fait écho aux travaux sur la sécu-
rité et l’évaluation de ces produits
menés par l’agence des Nations
unies pour l’alimentation et l’agri-
culture et l’Organisation mondiale
de la santé, dans laquelle les ex-
perts préconisent de parler d’« ali-
ments issus de culture cellulaire ».
Les sénateurs relèvent enfin que
cette innovation, pour promet-
teuse qu’elle soit, n’est en aucun
cas indispensable à la transition
alimentaire et n’est pas sans faire
courir de risque à l’élevage. Selon
eux, la production d’alimentation
cellulaire relève davantage de l’ac-
tivité industrielle que de l’activité
agricole. Aussi, sa localisation
dans les territoires ruraux ne va-t-
elle pas de soi – en témoigne le
groupe Gourmey, implanté entre
Paris et Evry et qui s’apprête à
ouvrir un atelier de production
dans le Val-de-Marne. p
Mathilde Gérard
et Laurence Girard
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14 |
UE : les volte-face de l’Allemagne inquiètent
Berlin revient sur des textes validés, conséquence des dissensions au sein de la coalition au pouvoir
Bruxelles - bureau européen
A
u sein des institutions
européennes, on sait
bien que la Hongrie ou
la Pologne ne sont pas
toujours fiables. A plusieurs repri-
ses, Budapest et Varsovie sont re-
venues sur des engagements pris
vis-à-vis de leurs partenaires
communautaires. Mais quand
c’est Berlin qui manque à sa pa-
role, l’affaire prend une tout autre
dimension. Mardi 14 mars, Chris-
tian Lindner, le ministre des fi-
nances allemand (FDP), a exas-
péré certains de ses homologues
en exigeant la modification d’un
texte sur la prochaine réforme du
pacte de stabilité et de croissance,
qui limite le déficit et la dette pu-
blics à respectivement 3 % et 60 %
du produit intérieur brut.
Tout avait pourtant été calé par
les ambassadeurs des Vingt-Sept
auprès de l’Union européenne
(UE) qui, la semaine précédente,
en avaient négocié les termes, à la
virgule près, en concertation avec
leur capitale. Il s’agissait de cadrer
le débat − en listant les points de
consensus et ceux qui divisent
­encore − pour que la Commission
puisse revenir devant les Etats
membres, mi-avril, avec une pro-
position de réforme des règles de
gouvernance budgétaires.
« Un très mauvais signal »
Christian Lindner a informé ses
homologues de la zone euro de
son revirement, lundi, la veille de
la réunion du conseil des minis-
tres des finances, arguant que les
positions allemandes n’avaient
pas suffisamment été prises en
compte. « Les échanges ont été
durs », confie un diplomate euro-
péen. Finalement, l’Allemand a
­obtenu l’ajout d’un paragraphe en
vertu duquel « la Commission doit
encore consulter les Etats membres
avant de mettre sur la table une
proposition législative pour cette
réforme », a expliqué, mardi, la mi-
nistre suédoise Elisabeth Svantes-
son, dont le pays assure la prési-
dence tournante du Conseil de
l’UE. « Rien de plus », a-t-elle ajouté.
« Le train ne pourra pas quitter la
gare tant que sa destination ne sera
pas claire. Il reste encore beaucoup
à faire pour que l’Allemagne puisse
accepter un accord », a pour sa part
commenté M. Lindner, très atta-
ché à l’orthodoxie budgétaire, en
quittant le conseil des ­ministres.
« Sur le fond, il n’y a pas de change-
ment dans le texte. Mais Lindner a
mis un coup de pression politique
sur le thème : si vous ne tenez pas
assez compte de notre position… »,
décrypte un diplomate. Sa presta-
Olaf Scholz face aux contradictions de sa coalition tripartite
Pris entre son parti et ses partenaires écologistes et libéraux, le chancelier social-démocrate peine à donner un cap clair à sa politique
Berlin - correspondant
A deux, il n’est pas toujours
facile de s’entendre. A
trois, c’est encore plus
compliqué. Les tensions qui tra-
versent la coalition « feu tricolore »
au pouvoir en Allemagne le confir-
ment. Quinze mois après son élec-
tion, le chancelier social-démo-
crate Olaf Scholz (SPD) peine à
donner un cap clair à sa politique,
tiraillé entre les positions de son
parti et celles de ses partenaires
écologistes et libéraux (FDP), de
plus en plus difficiles à concilier.
Signe, le plus récent, de ces di-
vergences : le report de la présen-
tation en conseil des ministres du
projet de budget pour 2024. Pré-
vue mercredi 15 mars, elle a été
différée sine die, faute d’accord
entre le ministre des finances,
Christian Lindner (FDP), qui se
Le ministre des
finances allemand,
Christian Lindner
(à gauche),
et le président
de l’Eurogroupe,
l’Irlandais
Paschal Donohoe,
à Bruxelles,
le 13 mars. Virginia Mayo
tion pourrait néanmoins avoir
pour conséquence de retarder la
réforme, qui ne manquera pas de
susciter des débats houleux entre
les Vingt-Sept.
Tout ça pour ça ? En réalité, l’Alle-
magne pouvait exprimer ses réti-
cences sur le texte la semaine pré-
cédente, lorsqu’il était débattu en-
tre les ambassadeurs. C’est sa
volte-face de dernière minute qui
choque à Bruxelles. « L’UE est fon-
dée sur le droit et la confiance entre
Etats membres », juge Sébastien
Maillard, directeur de l’Institut Jac-
ques-Delors, pour qui « ce type de
veut le garant vétilleux de l’équili-
bre des comptes publics, et ses
collègues du SPD et des Verts,
dont les exigences se révèlent
particulièrement coûteuses.
C’est le cas du ministre de la dé-
fense, Boris Pistorius (SPD), qui
demande pour son prochain bud-
get 10 milliards d’euros de plus
que les 50 milliards d’euros pré-
vus jusqu’à présent pour 2024.
Sur le principe, Christian Lindner
n’est pas contre une augmenta-
tion des dépenses militaires, mais
à condition que d’autres minis-
tres se serrent la ceinture.
Deux d’entre eux sont particu-
lièrement dans son viseur. Tous
deux sont écologistes. Le premier
est Robert Habeck, vice-chance-
lier et ministre de l’économie, qui
souhaite interdire l’installation
de chaudières au gaz ou au fioul à
partir de 2024. Pour aider les mé-
comportement envoie un très mau-
vais signal, celui que tout accord
peut être remis en cause. Si l’Allema-
gne, un pays fondateur de l’UE, le
fait, pourquoi les autres ne le fe-
raient pas ? » « Ce sont les mystères
insondables de la coalition alle-
mande. Vous avez un accord puis
soudain, vous n’en avez plus », con-
fie un ministre des finances euro-
péen. De fait, l’Allemagne n’en est
pas à son premier revirement. Elle
avait déjà sidéré ses partenaires,
début mars, en bloquant un texte-
clé du Green Deal européen qu’elle
avait pourtant, là aussi, approuvé.
nages à s’équiper de systèmes de
chauffage non consommateurs
d’énergies fossiles, l’ancien prési-
dent des Verts réclame plusieurs
milliards d’euros. Son collègue
chargé des finances n’a pas caché
son hostilité à cette proposition.
Epreuve de force
L’autre ministre jugée trop gour-
mande est celle de la famille, Lisa
Paus, qui réclame plus de 10 mil-
liards d’euros pour la future alloca-
tion destinée à aider les enfants de
familles défavorisées, prévue dans
le « contrat de coalition » signé en
novembre 2021 par le SPD, les Verts
et le FDP. Pour le libéral-démocrate
Christian Lindner, la somme exi-
gée est excessive, d’autant plus
que la mise en œuvre de cette ré-
forme n’est prévue qu’en 2025.
Président d’un parti, le FDP, qui
a essuyé de sévères déroutes aux
En l’occurrence, il s’agit de la pro-
position législative qui signe la fin
des moteurs thermiques en 2035.
Une position « inacceptable »
Après de longues négociations en-
tre Etats membres puis avec le Par-
lement européen, un accord avait
finalement été trouvé entre les
institutions européennes en no-
vembre 2022, que l’Allemagne
avait validé. Depuis, les eurodépu-
tés l’ont formellement adopté en
février et les Vingt-Sept devaient
faire de même le 7 mars, ce qui ne
devait être qu’une pure formalité.
différentes élections régionales
qui ont eu lieu ces derniers mois
en Allemagne, Christian Lindner
n’a d’autre choix que de se mon-
trer intransigeant. D’après tous
les observateurs, c’est parce que
son parti n’a pas suffisamment
imprimé sa marque sur la politi-
que du gouvernement fédéral
qu’il a obtenu des résultats désas-
treux, notamment à Berlin, le
12 février, où ils n’ont pas franchi
la barre des 5 % nécessaires pour
être au conseil municipal.
Afin d’enrayer leur déclin dans
les urnes, les libéraux sont résolus
à davantage s’affirmer. C’est ainsi
qu’il faut comprendre les ­récentes
sorties du ministre des trans-
ports, Volker Wissing, contre le
projet de Bruxelles d’interdire les
véhicules à moteur thermique à
partir de 2035, le FDP se voulant
par excellence le parti des auto-
Quand, soudain, le ministre des
transports, Volker Wissing (FDP), a
annoncé qu’il ne voterait pas le
texte en l’état – un changement de
pied qui empêchait le projet de loi
d’être adopté, à défaut de majorité
qualifiée. « Depuis des décennies, la
Commission, le Parlement et les
Etats membres ont développé des
procédures de travail basées sur la
confiance mutuelle. Cette con-
fiance est extrêmement précieuse
et doit être respectée. L’Allemagne
doit continuer à être un partenaire
sur qui on peut compter au sein de
l’UE », a réagi, le 7 mars, la ministre
mobilistes, viscéralement opposé
à la limitation de vitesse sur
les autoroutes − à la différence des
Verts et du SPD − et défenseur des
grosses cylindrées, Christian
Lindner ne manquant pas de rap-
peler sa passion pour les Porsche.
Les tiraillements de la coalition
ne datent pas d’aujourd’hui. En
octobre 2022, déjà, Olaf Scholz
avait dû intervenir pour mettre
fin à l’épreuve de force opposant
les Verts et le FDP sur la prolon­-
gation des trois dernières centra-
les nucléaires encore en activité
dans le pays.
En décidant de les faire tourner
jusqu’en avril 2023, il avait choisi
une voie médiane, entre les
­premiers, qui auraient préféré les
arrêter en décembre 2022,
comme cela avait été prévu au
lendemain de la catastrophe de
Fuku­shima, en 2011, et les se-
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
« Le train ne
pourra pas quitter
la gare tant que
sa destination ne
sera pas claire »
Christian Lindner
ministre des finances
allemand
de l’environnement allemande,
Steffi Lemke, issue des Verts. « Cet
épisode m’a rappelé Boris Johnson
lorsqu’il est revenu sur un accord
post-Brexit qu’il avait signé avec
l’UE », juge M. Maillard.
Depuis, les négociations ont re-
pris entre Bruxelles et Berlin, et la
Commission espère trouver un ac-
cord qui pourrait être validé au
conseil des ministres de l’environ-
nement du 16 mars. Mais, quoi
qu’il arrive, l’épisode laissera des
traces. « C’est une position qui n’est
pas acceptable parce que ça veut
dire qu’il n’y a plus jamais d’accord,
que tout est toujours potentielle-
ment ouvert. (…) C’est inacceptable
en termes d’état d’esprit euro-
péen », juge Pascal Canfin, prési-
dent de la commission environne-
ment du Parlement européen.
« L’Allemagne importe à Bruxelles
ses problèmes de politique inté-
rieure », commente un diplomate.
Le FDP, que préside Christian Lind-
ner, chute dans les sondages de-
puis qu’il participe au gouverne-
ment de coalition, avec les Verts et
le SPD. « Il est en voie de disparition.
Bientôt, il y a des élections en Ba-
vière. Quel constructeur, en Ba-
vière, est vent debout contre l’arrêt
des moteurs thermiques en 2035 ?
BMW. Ne cherchez pas plus loin »,
cingle un ministre européen.
Mais le sujet ne se limite pas au
FDP. « Quand on parle à l’Allema-
gne, on a trois interlocuteurs, le
SPD, le FDP et les Verts », confie un
autre ministre. Les négociations à
Bruxelles sont donc très difficiles.
« Depuis un an, il y a beaucoup d’in-
cidents avec l’Allemagne, qui
change d’avis. Ils interviennent à
des stades précoces des négocia-
tions entre les Vingt-Sept, cela ne se
voit pas », confie un diplomate. Se-
lon le site Contexte, qui reprend
une information de Table Media,
Michael Clauss, l’ambassadeur al-
lemand auprès de l’UE, a d’ailleurs
envoyé une lettre à la chancellerie,
le 9 janvier, pour l’alerter sur le
manque de direction insufflée par
le gouvernement à ses émissaires
européens et la difficulté de tra-
vailler dans ces conditions. Mani-
festement, il n’a pas été entendu. p
Virginie Malingre
conds, qui souhaitaient les faire
tourner ­jusqu’en 2024.
Cinq mois plus tard, le chancelier
est de nouveau confronté aux con-
tradictions qui traversent sa coali-
tion. Entre, d’une part, son minis-
tre des finances, qui souhaite réta-
blir, à partir de 2024, le « frein à la
dette », cette disposition constitu-
tionnelle qui autorise un déficit de
0,35 % du produit intérieur brut,
mais est suspendue depuis la crise
du Covid en 2020, et, d’autre part,
les sociaux-démocrates et les éco-
logistes, qui se montrent plus
gourmands sur le plan budgétaire,
les arbitrages risquent d’être ru-
gueux. Ils n’en sont que plus atten-
dus, à la fois par les Allemands et
leurs partenaires européens, pour
qui il est de plus en plus difficile de
se faire une idée claire de la politi-
que menée à Berlin. p
Thomas Wieder
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
La réforme du marché européen
de l’électricité enfin présentée
L’Allemagne a obtenu que la Commission ne touche pas au marché de
l’électricité à court terme ; la France, que le nucléaire ne soit pas exclu
Bruxelles - bureau européen
C
ertains pays, comme la
France et l’Espagne,
­réclamaient depuis
l’automne 2021 une ré-
forme en profondeur du marché
de l’électricité, afin de faire profi-
ter ménages et entreprises des
coûts de production relativement
bas que peuvent offrir le nu-
cléaire ou les renouvelables.
D’autres, au premier rang des-
quels l’Allemagne, plus dépen-
dants du gaz, prônaient la plus
grande prudence, arguant qu’il
est dangereux de toucher à des
mécanismes de marché bien éta-
blis et que la priorité doit rester
la sécurité de l’approvisionnent,
devant la question des prix.
Longtemps, la Commission
européenne a préféré ne rien
faire, choisissant, de fait, le camp
des conservateurs. Mais la flam-
bée des prix de l’énergie et le re-
tour de l’inflation dans le Vieux
Continent, avec les risques de co-
lère sociale afférents, ont fait bou-
ger le curseur. D’autant que les
Européens cherchaient aussi
une réponse à l’Inflation Reduc-
tion Act américain, qui prévoit
369 milliards de dollars (344 mil-
liards d’euros) de subventions
pour l’industrie verte, dont une
grosse enveloppe pour l’énergie.
Nucléaire : débats animés à l’Assemblée
Entamé lundi 13 mars, l’examen du projet de loi sur la relance
du nucléaire s’est poursuivi mardi dans une ambiance échauffée.
« On parle beaucoup des risques liés au nucléaire. Il y a eu
23 000 décès précoces liés aux centrales à charbon », s’est énervé
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique,
alors que les députés de la Nupes et écologistes ont multiplié
les demandes de précision autour des impacts sanitaires, clima-
tiques, de dépendance et de coût des nouveaux EPR envisagés
par le gouvernement. L’amendement du groupe LR visant à
« éclairer les Français sur les choix technologiques sur lesquels le
gouvernement veut s’engager en comparant leurs coûts respectifs,
leurs modes de financement, l’impact pour la filière mais aussi
pour notre souveraineté », a été adopté.
Assurances : prévoir les catastrophes
naturelles pour renforcer la prévention
Un rapport souligne l’importance de la modélisation des risques liés au changement climatique
D es phénomènes plus fré-
quents, plus étendus et
donc plus coûteux : les
conclusions du rapport scientifi-
que annuel publié le 15 mars par la
Caisse centrale de réassurance
(CCR), le réassureur public fran-
çais, ne sont guère surprenantes
quant à l’évolution des catastro-
phes naturelles en France à l’hori-
zon 2050. Mais elles illustrent l’im-
portance de modéliser toujours
plus finement les risques afin
de mieux les prévenir et de mieux
financer leur indemnisation.
Cette compilation d’études me-
nées en partenariat avec des orga-
nismes scientifiques comme
­Météo-France ou l’Institut natio-
nal de recherche pour l’agricul-
ture, l’alimentation et l’environ-
nement (Inrae), donne aussi au
groupe l’occasion de rappeler la
fragilité de l’équilibre financier du
régime d’indemnisation des ca-
tastrophes naturelles.
Créé en 1982, le « Cat Nat », qui
associe la garantie des assureurs
et l’Etat via la CCR, reste financé
par une surprime appliquée à
tous les contrats d’assurance
­habitation et automobile, à hau-
teur de 22 euros par ménage et
par an, pour financer des indem-
La proposition de réforme du
marché de l’électricité qu’a enfin
présentée l’exécutif communau-
taire, mardi 14 mars, est loin
d’être le big bang qu’ont ­long­-
temps réclamé Paris et ­Madrid.
Mais elle leur donne des gages
importants, puisque, au-delà du
renouvelable, elle encourage les
investissements dans le nu-
cléaire, y compris dans les centra-
les déjà existantes, et dessine un
cadre institutionnel dans lequel
les Etats membres peuvent re-
courir, en cas de crise, à des ta-
rifs réglementés pour les ména-
ges et les petites et moyennes
­entreprises (PME).
Lisser les dépenses
A court terme, il n’est pas certain
que ce projet de réforme permet-
tra de faire baisser, de manière
importante, les factures d’électri-
cité. La proposition de la Com-
mission pérennise, en effet, la
manière dont les prix du mé-
gawattheure sont fixés au jour le
jour et qui, on l’a vu, n’a pas pro-
tégé les consommateurs d’une
inflation galopante. Elle leur a, en
revanche, évité les ruptures d’ap-
provisionnement quand la Rus-
sie a décidé de couper aux Euro-
péens le robinet du gaz.
Dans ce contexte, dans leur très
grande majorité, les Vingt-Sept
nisations qui ont atteint 1,5 mil-
liard d’euros par an en moyenne
ces dix dernières années.
Problème : la sécheresse excep-
tionnelle de 2022 est considérée
comme l’événement le plus coû-
teux depuis la création du dispo-
sitif, avec 2,8 milliards d’euros
pour les seules indemnisations
de dommages dus au « retrait-
gonflement des argiles », ce phé-
nomène de déformation des sols
qui fragilise les bâtiments. Un ris-
que qui ne cesse de s’amplifier et
dont les dommages, souvent éta-
lés sur des années, sont compli-
qués à prévenir.
Assèchement « généralisé »
Selon la CCR, la fréquence des sé-
cheresses d’une ampleur compa-
rable à celle, historique, de
2003pourrait en outre dou-
bler : alors que les scientifiques
­estimaient à l’époque qu’un phé-
nomène de cette ampleur sur-
viendrait tous les 15 ans, ils ta-
blent aujourd’hui sur un retour
tous les sept ans.
Autre impact majeur du dérè-
glement climatique évoqué dans
le rapport : les conséquences sur
les récoltes agricoles, objet d’une
étude menée sur la base d’un
La proposition
pérennise
la manière dont
les prix du
mégawattheure
sont fixés
au jour le jour
ont souhaité conserver le fonc-
tionnement de « court terme » du
marché qui, fortement intercon-
necté, permet de répondre aux
pics de demande à l’échelle du
continent sans rupture d’appro-
visionnement. Aujourd’hui, c’est
la dernière centrale appelée pour
répondre à la consommation, le
plus souvent une centrale à gaz,
qui détermine le prix de l’électri-
cité. De ce point de vue, Emma-
nuel Macron, qui avait appelé au
« découplage », arguant que les
Français devaient pouvoir profi-
ter du coût relativement bas du
nucléaire produit dans leur pays,
n’a pas obtenu gain de cause.
La Commission a toutefois
­décidé de s’attaquer à la volatilité
des prix en encourageant l’utili-
sation des contrats à long terme
entre les producteurs d’énergies
décarbonées et les industriels ou
l’Etat. A la clé, des prix fixés à
l’avance, qui permettent donc
aux consommateurs de lisser
leurs dépenses tout en offrant
aux fournisseurs des revenus
prévisibles.
Dans le même temps, les Etats
pourraient investir dans des ins-
tallations renouvelables ou nu-
cléaires – nouvelles ou anciennes
– à la condition que cette aide
d’Etat se fasse par l’intermédiaire
de « contrats pour différence »
(CFD) : ce mécanisme garantit un
revenu minimal au producteur si
le marché ne lui est pas favorable
et prévoit, à l’inverse, qu’il re-
« maillage » du territoire français
à une échelle de 8 kilomètres
sur 8, qui permet une évaluation
des dommages au plus fin.
Ce recensement conclut à un
­assèchement « généralisé » à
l’avenir, avec une évolution plus
mar­quée dans le nord du pays.
Le montant des récoltes perdues
augmenterait en moyenne de
22 % d’ici à 2050 pour atteindre
1,5 milliard d’euros et les prairies
seraient les plus touchées, avec
70 % d’exploitations concernées.
« L’objectif est d’utiliser tous ces
travaux, à la fois à grande échelle
et avec une précision kilométrique,
pour intégrer les questions d’évolu-
tion du climat dans les moyens de
prévention », explique David Mon-
coulon, directeur du département
R&D Modélisation de la CCR.
La modélisation des risques
profite à tous les acteurs concer-
nés, et notamment aux collec­-
tivités locales, ajoute-t-il. « Il est
plus facile pour un élu de justi-
fier un investissement dans un
ouvrage de prévention ou de
­protection, quel qu’il soit, en dis-
posant de projections qui mon-
trent l’évolution des dommages
à venir et pas uniquement en re-
gardant le passé. »
Économie & Entreprise | 15
verse aux consommateurs les re-
venus engrangés au-delà d’un
certain prix de l’électricité. « Le
texte présenté par la Commission
encourage l’investissement dans
l’énergie décarbonée et de ce point
de vue l’augmentation de l’offre et
donc, à terme, la baisse des prix »,
décrypte-t-on à Paris.
Berlin moins pressé
Si l’Allemagne et ses alliés ont
­obtenu que la Commission ne
touche pas au marché de l’électri-
cité à court terme, la France a
pour sa part obtenu que le nu-
cléaire ne soit pas exclu du dispo-
sitif. ­Quelques jours avant de pré-
senter son texte, l’exécutif com-
munautaire limitait son disposi-
tif aux infrastructures nucléaires
futures. Il a fini, dans la dernière
ligne droite et sous pression
de Paris, par l’étendre aux dépen-
ses de ­modernisation qui seront
­nécessaires dans les centrales ac-
tuelles. Mais il ne fait aucun
doute que Berlin reviendra à la
charge dans les négociations qui
vont désormais s’engager entre
les Vingt-Sept.
« Je souhaite que nous puissions
avancer dans les prochains mois
sur ce sujet prioritaire afin qu’une
réforme puisse être adoptée avant
la fin 2023 », a déclaré Bruno Le
Maire, le ministre de l’économie.
D’autant que les Etats membres
n’excluent pas une nouvelle flam-
bée des prix du gaz à l’hiver 2023 :
non seulement la guerre en
Ukraine dure mais, en plus, la
Chine, dont l’économie a fonc-
tionné au ralenti ces derniers
mois, pourrait recommencer à
acheter du gaz sur les marchés
mondiaux. A Berlin, on semble
moins pressé. Le 20 février, le mi-
nistre de l’économie et du climat
allemand, Robert Habeck, plai-
dait pour une réforme « lancée à
plein régime après les élections
européennes », en mai 2024. p
Virginie Malingre
Parmi les risques à l’échelle lo-
cale suivis par les travaux de la
CCR figure en bonne place le ruis-
sellement des pluies, que ce soit à
Marseille ou dans le bassin de la
Seine. En région parisienne, les
événements orageux et le ruissel-
lement provoquent depuis qua-
rante ans des sinistres bien plus
importants que les crues du
fleuve elles-mêmes. Certaines
communes utilisent donc des
cartographies de ruissellement
pour alerter les habitants mena-
cés et limiter les dommages.
La CCR, qui investit 2,5 millions
d’euros par an dans la recherche
et développement, estime que la
fréquence accrue des catastro-
phes naturelles et de leur sévérité
risque de faire bondir de 50 % en
moyenne les dommages à in-
demniser par an. Mais elle souli-
gne que cette hausse pourrait être
contenue à 32 % en intégrant les
bénéfices de la prévention.
« Quand on essaie d’évaluer l’effi-
cacité des plans de prévention des
risques, on les projette en 2050
pour voir s’ils aident à limiter la
hausse des coûts. C’est tout l’inté-
rêt des études climatiques », ré-
sume David Moncoulon. p
Marc Angrand
Pertes & profits | électronique
par Philippe E scande
Des puces qui
grattent et valent de l’or
Par une de ces étrangetés de la
langue française, la puce désigne
à la fois la plus détestée et la plus
aimée des choses. L’insecte
piqueur-suceur aime se blottir
dans le pelage des chiens, des
chats, des rats et des hommes.
Voyageur infatigable et champion
du monde de saut en hauteur, il
propage irritations et maladies au
gré de ses déplacements. Pour-
tant, les parents appellent leur pe-
tite fille adorée « ma puce », et la
puce, sous sa forme semi-conduc-
trice, est devenue la chose la plus
précieuse au monde. Elle vaut de
l’or, ou plus précisément des cen-
taines de milliards de dollars.
On a appris, mercredi 15 mars,
que la Corée du Sud allait lancer
un plan pharaonique de 442 mil-
liards de dollars (412 milliards
d’euros) sur trois ans pour accroî-
tre son avance dans le domaine
des composants électroniques.
Une très bonne nouvelle pour
Samsung, le leader mondial des
mémoires qui prévoit de cons-
truire sur vingt ans un gigantes-
que complexe industriel de fabri-
cation de puces au sud de Séoul
pour attirer toutes les entreprises
du monde sur son territoire.
« La guerre économique qui a
commencé dans les semi-conduc-
teurs s’est élargie aux batteries et
aux voitures du futur. Chaque pays
se lance dans des subventions
massives et des réductions d’im-
pôts pour construire des usines sur
son sol », a expliqué le président
sud-coréen, Yoon Seok-youl.
Meta licencie de
nouveau 10 000 salariés
La maison mère de Facebook et d’Instagram
veut une organisation plus « mince » et « plate »
D ix mille licenciements de
plus. C’est ce qu’a an-
noncé, mardi 14 mars,
Mark Zuckerberg, le fondateur de
Meta, quatre mois seulement
après s’être séparé de 11 000 colla-
borateurs. Avec cette seconde va-
gue de suppressions de postes, la
maison mère de Facebook, Insta-
gram et WhatsApp aura congédié
24 % de ses effectifs. Le groupe
ferme aussi 5 000 offres d’emplois
ouvertes pour des postes vacants.
Le timing peut « surprendre »,
concède Mark Zuckerberg dans
un billet sur Facebook, mais « il
n’y a pas le choix ». Le groupe a,
pour la première fois, vu son chif-
fre d’affaires reculer (− 1 %)
en 2022, en raison du ralentisse-
ment économique lié à la guerre
en Ukraine, mais aussi de la con-
currence du réseau social chinois
TikTok et des restrictions sur la
publicité ciblée sur les iPhone.
Le groupe reste soumis à une
pression des analystes boursiers,
qui demandent davantage d’éco-
nomies : « De nouveaux licencie-
ments sont nécessaires pour com-
penser les deux années de recrute-
ments excessifs », a écrit la banque
Jefferies dans une note en mars,
citée par le Financial Times. Dans
l’euphorie – elle aussi boursière –
de la numérisation liée à la pandé-
mie de Covid-19, Mark Zuckerberg
a embauché 27 000 personnes
en 2020 et 2021, et 15 000
en 2022. Les effectifs sont passés
de 33 000 à 87 000 en quatre ans.
Mais, désormais, à ce raisonne-
ment sur des économies con-
traintes, le fondateur de Meta
ajoute un discours plus volonta-
riste, sur les bienfaits supposés
des suppressions de postes. Il pro-
met que 2023 doit être « l’année de
l’efficacité ». « Nous allons aplatir
notre organisation en supprimant
La course pour attraper les
­ uces sauteuses est donc lancée.
p
Les Américains ont dégainé leur
loi spécifique de 270 milliards de
dollars d’aides pour convaincre
les industriels de préférer son
territoire, tandis que l’Europe et
le Japon font de même. Les cais-
ses des Etats se vident pour rem-
plir celles des électroniciens, au
nom de la souveraineté. Sans
parler des autres milliards consa-
crées au développement des
énergies renouvelables pour la
transition énergétique. Cela pose
bien des questions sur la soute-
nabilité dans le temps d’une telle
débauche collective de moyen.
Trafics illicites
La puce en silicium vaut bien
plus cher que son homonyme
biologique, mais comme elle, elle
ne pèse rien et se cache facile-
ment. Résultat, on voit apparaî-
tre des trafics illicites. Comme la
filière montée par Artem Uss, le
fils d’un gouverneur de Sibérie,
arrêté, en octobre 2022, à Milan.
Il aurait monté en quelques an-
nées un vaste réseau d’alimenta-
tion de la Russie en puces électro-
niques afin de contourner les
embargos, notamment depuis le
déclenchement de la guerre en
Ukraine. Les hommes ont fini par
pardonner à la puce de transpor-
ter la peste. Elle fut même chan-
tée par les poètes libertins, avant
de retrouver son état de vermine.
Le paradoxe de l’âme humaine
dans quelques millimètres. p
plusieurs couches de manage-
ment », écrit-il. Meta doit devenir
une entreprise « plus mince »,
ajoute-t-il. Pour le groupe, « être
plus plat, c’est être plus rapide »
et « être plus mince, c’est être
meilleur », théorise M. Zuckerberg.
Renouer avec la culture start-up
« Chaque couche de hiérarchie
ajoute de la latence et de l’aversion
au risque, dans le flux d’informa-
tions et dans le processus de déci-
sion », pense le PDG. Certains ma-
nageurs vont devoir prendre « des
postes où ils ne dirigent plus et rede-
viennent des contributeurs indivi-
duels ». Meta doit aussi rester une
« entreprise technologique » et aug-
menter son « ratio d’ingénieurs »,
croit M. Zuckerberg. Ce dernier dit
aussi avoir « sous-estimé le coût
des projets non prioritaires », qui
consomment des ressources et
« ralentissent » l’organisation.
On peut voir dans cette doctrine
le rêve d’un PDG d’une grande
multinationale à la croissance en
berne de renouer avec la culture
d’une start-up. On peut aussi y
­déceler des similitudes avec la con-
ception du travail affichée par Elon
Musk lors de son rachat de Twit-
ter : le patron de Tesla et SpaceX a
licencié plus des deux tiers des sa-
lariés et demandé aux restants de
souscrire à une culture de travail
« hard-core » : tous les manageurs
doivent coder, tous les informati-
ciens doivent montrer régulière-
ment le nombre de lignes de code
produites, il est encouragé de dor-
mir au travail si besoin, etc.
« Certains se sentiront gonflés
d’énergie par ces annonces, mais
je reconnais aussi que l’idée des
changements à venir crée de l’in-
certitude et du stress », a admis
M. Zuckerberg. p
Alexandre Piquard
 0123
16 | Économie & Entreprise ­
­Jeudi 16­ mars 2023

Inflation : la Fed en passe de perdre le contrôle ?

La faillite de la Silicon Valley Bank réduit la marge de manœuvre de la banque centrale américaine

New York - correspondant Dans ce contexte, que fera la en période d’argent gratuit et dont marchés se jouent de Jerome
La tendance Fed à l’issue de la prochaine réu- la valeur a perdu parfois plus de Powell, profitant de toute occa-
Les marchés

L’
inflation baisse, mais, à reste trop forte nion de son comité de politique 15 % (lorsque les taux montent, la sion pour rebondir, persuadés cherchent à faire
6 % en février, elle est monétaire, le 22 mars ? Avant la valeur des obligations baisse jus- qu’il craquera et n’augmentera
encore trop élevée. Et le
par rapport faillite de la SVB, elle était partie qu’à ce qu’elles approchent le ren- pas ses taux comme prévu.
baisser les taux
piège se referme sur la à l’objectif de 2 % sur une hausse d’un demi-point dement des nouveaux taux de Sans cesse, ils cherchent à faire et à augmenter
Fed, la banque centrale améri- pour tenter de reprendre en main marché, le taux de rendement baisser les taux et à augmenter la
caine. L’institution présidée par
que la banque la situation après de mauvais étant le rapport du montant des valeur des actions, ce qui remet
la valeur
Jerome Powell doit augmenter centrale chiffres de l’inflation. « J’ai tout le versements d’intérêts sur le cours du carburant dans l’économie. A des actions,
ses taux, actuellement fixés au- respect pour Powell, mais le fait de l’obligation). chaque fois, il y a un bon prétexte :
dessus de 4,5 %, pour continuer
américaine dit est que nous avons un peu perdu Sauf que la réalité à Wall Street l’inflation aurait disparu, la réces-
ce qui remet
de lutter contre la hausse généra- vouloir atteindre le contrôle de l’inflation », avait re- est bien différente : dans la pani- sion qui s’annonce sera telle qu’il du carburant
lisée des prix. Mais cette politi- proché le patron de J.P. Morgan, que, les taux de marché se sont ef- faudra vite soutenir l’économie et
que a conduit à la faillite de la Jamie Dimon. La bonne tenue de fondrés depuis une semaine, les baisser de nouveau les taux, ou
dans l’économie
banque de Californie Silicon le mois, la tendance reste trop l’emploi et la persistance de l’in- opérateurs fuyant le risque et ac- encore la Fed vole toujours au se-
­Valley Bank (SVB), dont le porte- forte par rapport à l’objectif de 2 % flation en février auraient dû la ceptant une moindre rémunéra- cours des marchés financiers
feuille d’obligations avait perdu que la banque centrale dit vouloir conforter, mais la déconfiture de tion en achetant à n’importe quel quand survient un accident. de 1979, l’illustre prédécesseur de
plus de 15 %. Entre inflation et sta- atteindre : les prix ont encore la SVB vient brutalement rendre prix des bons du Trésor. Ainsi, de- M. Powell, Paul Volcker, n’avait pas
bilité financière, la Fed va-t-elle augmenté de 0,4 % entre janvier sa tâche quasi inextricable. puis début mars, les taux à dix Un pari sur la peur de la Fed hésité à laisser s’envoler les taux
devoir choisir ? et février, et ce chiffre atteint ans sont tombés de 4 % à 3,6 %, et Cet adage est juste depuis 1987, jusqu’à 20 %, provoquant une pre-
L’indice américain des prix à la 0,5 % hors énergie et alimenta- Des taux de marché effondrés ceux à deux ans ont reculé de plus lorsque la Fed sauva Wall Street mière récession en 1980 puis une
consommation de février, publié tion. L’inquiétude reste vive pour L’impact de cette faillite, la plus de 5 % à 4,2 %. après un krach qui fit ressurgir le seconde fin 1981-début 1982, la
mardi 14 mars, n’apporte pas de les prix du logement (+ 0,8 %), grave depuis 2008, est plus com- Cette détente massive réduit les spectre de 1929 mais dont les con- première purge n’ayant pas été
réponse décisive. Sur un an, l’in- tandis que la hausse dans les ser- pliqué à évaluer qu’il n’y paraît : en pertes des portefeuilles obligatai- séquences furent finalement suffisante. Au prix d’un chômage
flation a atteint 6 %, contre 6,5 % vices accélère de nouveau. L’infla- apparence, elle va empêcher la Fed res, mais elle produit l’exact in- éphémères. Toutefois, c’était une supérieur à 10 %.
en janvier, et 5,5 % hors énergie et tion est « toujours trop haute et de monter ses taux, car ce serait verse de la politique souhaitée époque où l’inflation était déjà en Et l’on peut ajouter que, si la
alimentation. La décrue est sensi- n’indique aucun signe de chute », prendre le risque d’aggraver les par la Fed, qui veut refroidir l’éco- grande partie vaincue. Lorsque crise bancaire est réellement con-
ble par rapport au record de 9,1 % déplore Jason Furman, écono- pertes des institutions financières nomie en renchérissant le loyer l’inflation est là, elle s’impose finée, comme semblait en attes-
atteint en juin 2022. Mais au mois miste de Harvard. qui ont acheté des bons du Trésor de l’argent. Depuis l’été 2022, les comme priorité absolue : à partir ter la remontée en flèche des ac-
tions de petites banques améri-
caines mardi 14 mars, la banque
Chute de la SVB : quelques frayeurs en France mais pas d’inquiétude sur le fond centrale américaine n’a pas de
raison d’avoir la main qui flanche.
Pourtant, de nouveau, les mar-
Jeudi 9 mars, le vent de panique qui de la SVB, il a ressenti un « énorme était un acteur important du debt ven- principal, Bpifrance a préféré convain- chés parient sur la peur de la Fed
a précédé la fermeture de la Silicon Val- choc ». Ses équipes ont été mobilisées ture, cet outil qui permet aux start-up cre les banques françaises de participer et excluent désormais une
ley Bank (SVB) a en un rien de temps tra- tout le week-end pour s’assurer que les de se financer par la dette, devenu parti- à l’essor des start-up françaises : « On hausse d’un demi-point. Ils ta-
versé l’Atlantique pour atteindre le bu- jeunes pousses soutenues par le fonds culièrement utile dans une période où cofinance des projets avec elles, nous blent sur une augmentation limi-
reau du Français Gilles Samoun. n’allaient pas faire les frais de la faillite les entrées en Bourse sont devenues leur proposons des garanties sur les tée à 0,25 point, voire une pause.
Comme beaucoup d’autres clients de de l’établissement. Jusqu’à envisager trop risquées et les levées de fonds sont prêts les plus risqués, et elles s’appuient Jason Furman déconseille vive-
l’établissement bancaire spécialisé dans d’injecter de l’argent frais pour soutenir en recul. Selon le site spécialisé Deal­- sur nous pour ce qui est de l’analyse de ment cette option. « Une pause de
les start-up, il lui fallait de toute urgence ces pépites. Option évacuée lundi room, le montant des levées de fonds risque », ajoute Paul-François Fournier. la Fed exacerberait les risques
récupérer les avoirs de sa société, Suc- 13 mars quand les autorités américaines dans le monde a chuté de 32 %, passant « Les banques commencent à compren- pour la stabilité financière », es-
cesseve, fondée aux Etats-Unis. ont garanti qu’aucun client de la SVB ne de 734 milliards de dollars (685 mil- dre que ces sociétés sont de futurs clients time l’économiste, qui cite le ris-
« On était obligé, explique-t-il. Ne pas perdrait ses avoirs. liards d’euros) à 483 milliards de dollars à haut ­potentiel », soutient également que d’avoir besoin de remonter
le faire, quand un membre du board ou Ces cas spécifiques ont été assez peu entre 2021 et 2022. Pierre-Eric Leibovici. plus tard les taux plus fortement
un investisseur vous le demande, serait nombreux en France. La violence du Mais à la différence des écosystèmes et plus rapidement, ainsi que ce-
une faute professionnelle. » Presque un séisme ressenti outre-Atlantique est « Clients à haut potentiel » anglo-saxons, davantage prêts à pren- lui de « créer une déconnexion
crève-cœur pour cet investisseur qui sans aucun rapport avec celle perçue Ironie de l’histoire, la SVB a servi d’ins- dre des risques, c’est moins du soutien dangereuse entre les attentes du
opère entre la France et les Etats-Unis dans l’Hexagone et ne semble en rien re- piration à la création de Bpifrance, qui des banques que d’un retour des marché et les actions futures pro-
depuis les années 1980 et était client de mettre en question les fondamentaux est la banque de référence des jeunes ­investisseurs dont les jeunes pousses bables ». L’inflation, les banques
la SVB depuis 2000 : « C’était une institu- de la scène des start-up françaises. « Dès pousses tricolores, explique Paul-Fran- françaises ont besoin pour poursuivre imprudentes et la défiance des
tion ­incontournable dès lors qu’on levait dimanche, nous avons pu rassurer nos çois Fournier, son directeur exécutif : leur ­ascension. Avec des perspectives marchés : M. Powell se bat désor-
de l’argent aux Etats-Unis. » partenaires quant aux conséquences de « SVB avait une culture de proximité avec qui restent incertaines : « On peut mais sur trois fronts. En atten-
« C’était la banque qui incarnait le cet événement sur notre portfolio », té- ses clients et une forte compréhension ­craindre un ralentissement général des dant que le chômage, qui est en-
mieux les valeurs de la Silicon Valley », moigne Pierre-Eric Leibovici, cofonda- du modèle économique de l’écosystème levées de fonds en 2023, mais cela reste core à ses plus bas depuis la fin
abonde François Veron, le fondateur de teur du fonds Daphni. des entreprises de technologie. Mais difficile à quantifier », admet Paul-Fran- des années 1960, ne s’invite dans
Newfund, un fonds implanté à Paris et à L’implosion de la SVB laisse cepen- nous n’avons pas d’activité de dépôt. » çois Fournier. p la conversation. p
San Francisco. A l’annonce de la chute dant un vide aux Etats-Unis, où elle Plutôt que de se reposer sur un acteur Vincent Fagot Arnaud Leparmentier

Les banques centrales, remparts anti-faillites

NOTRE NOUVEAU
La panique bancaire aux Etats-Unis a été arrêtée grâce à l’intervention décisive de la Fed

HORS-SÉRIE Londres - correspondance pas le choix : « Laisser SVB faire

faillite n’aurait pas été réaliste.
cela revient à une « énorme sub-
vention » envers le système ban-
pouvait se passer sans problème,
mais on voit bien qu’il y a de l’ins-

E t à la fin, ce sont les ban-

ques centrales qui vien-
nent à la rescousse,
comme toujours. La faillite de la
Silicon Valley Bank (SVB) ven-
dredi 10 mars, ainsi que celle de la
Signature Bank le même jour, ont
Hors-série Avril-mai 2023
8,90 € provoqué un début de panique
­financière que seule l’interven-
tion de la Réserve fédérale améri-
caine (Fed) a pu endiguer.
D’une part, les autorités améri-
caines ont décidé de garantir l’in-
tégralité des dépôts dans ces
GÉOPOLITIQUE deux banques, bien au-delà des
L’effet de contagion au reste du
système bancaire aurait pu être
considérable. »
La décision de la Fed, d’aspect
technique, mérite d’être détaillée
pour en comprendre l’ampleur.
Normalement, quand une insti-
tution bancaire se refinance
auprès d’une banque centrale (ce
qui est une opération de rou-
tine), elle doit fournir des
­garanties, sous la forme de ­« col-
latéraux ». Plus ceux-ci sont de
bonne qualité, plus le prêt qu’elle
peut obtenir est important. Le
caire américain.
Cette nouvelle méthode d’in-
tervention de la Fed, technique,
est dans la droite ligne de quinze
années d’intervention sans cesse
croissante des banques centrales.
Lors de la grande crise financière
de 2008, la Fed et la BCE ont mis
leurs taux d’intérêt à zéro. Puis,
elles ont commencé à acheter des
obligations d’Etat sur les mar-
chés financiers. En zone euro, la
BCE est devenue responsable de
la stabilité financière. Pendant la
pandémie de Covid-19, l’inter-
tabilité financière un peu par-
tout », souligne M. Subran, d’Al-
lianz. Il liste les épisodes précé-
dents : faillite du fonds d’investis-
sement Archegos en 2021, faillite
de l’entreprise de services finan-
ciers Greensil également en 2021,
besoin urgent de liquidités des
groupes de courtage en énergie
en septembre 2022, tempête fi-
nancière sur les fonds de pension
britannique après un budget dé-
sastreux le même mois, limite
imposée aux retraits des clients
d’un fonds immobilier de Blacks-

LE MONDE
limites légales qui étaient en plus souvent, les banques propo- vention a redoublé. En 2020 et tone en décembre, scandale de
place. D’autre part, et c’est radica- sent donc des obligations d’Etat, 2021, la BCE a ainsi acheté plus fraude du groupe indien Adani

DE DEMAIN lement nouveau, toutes les

autres banques américaines vont
bénéficier pendant un an d’une
ligne de crédit auprès de la Fed à
Comment la guerre des conditions extrêmement fa-
en Ukraine
bouleverse les vorables. L’intervention a visible-
alliances, renforce
les autocraties,
ment eu l’effet recherché : mardi
soude l’Occident 14 mars, la plupart des Bourses
et fait émerger
un Sud global. mondiales ont rebondi et la vola-
tilité s’est réduite.
« La Fed a, une nouvelle fois, sorti
l’artillerie lourde », souligne l’éco-
nomiste Véronique Riches-Flo-
res. « C’est une forme de capita-
lisme d’Etat, ajoute Ludovic Su-
bran, chef économiste à Allianz,
un assureur. Mais les banques
centrales sont dans leur rôle. » Ri-
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND chard Portes, de la London Busi-
DE JOURNAUX ness School, estime que la ban-
que centrale américaine n’avait
considérées comme les actifs les
plus sûrs.
Une « énorme subvention »
Jusqu’à présent, ces obligations
étaient acceptées par la banque
centrale à leur valeur de marché.
Or, leur valeur s’est effondrée de-
puis un an, à cause de l’envolée
des taux d’intérêt (la valeur des
obligations évolue à l’inverse des
taux d’intérêt). Pour contourner
ce problème, la Fed a décidé de les
accepter… à leur valeur faciale.
« C’est une décision radicale, qui
bouleverse des décennies de con-
sensus dans le monde des banques
centrales », souligne Daniela Ga-
bor, spécialiste des banques cen-
trales à l’université de l’ouest de
l’Angleterre, à Bristol. Selon elle,
que l’intégralité des émissions de
dette des pays européens.
Sauf que depuis un an, le mou-
vement s’est complètement
­inversé. L’inflation a fait son
grand retour. Pour lutter contre
elle, toutes les grandes banques
centrales ont augmenté leurs
taux d’intérêt dans le mouve-
ment le plus rapide depuis les an-
nées 1980. Le taux de dépôts de la
BCE a fait un bond de − 0,5 % à
2,5 % et, ce jeudi 16 mars, lors de
la prochaine réunion du conseil
des gouverneurs, il devrait
­passer à 3 %.
Ce retournement historique a
provoqué une violente onde de
choc à travers tout le système fi-
nancier mondial. « On nous expli-
quait que cette remontée des taux
en janvier… « Chaque cas est parti-
culier, mais le lien commun est la
remontée des taux d’intérêt »,
poursuit M. Subran.
Cela place les banques centrales
dans une situation très délicate.
D’un côté, elles durcissent leur
politique monétaire, et retirent
de la liquidité du système. De
l’autre, elles viennent à l’aide au
système financier… ce qui revient
à augmenter la liquidité. Les voilà
désormais pompiers et pyroma-
nes. Ce tiraillement devrait être
évident dès ce jeudi pour la BCE.
« [Même si elle se limitait à aug-
menter ses taux de 0,25 point],
une telle décision constituerait un
risque d’amplification de la crise »,
avertit Mme Riches Flores. p
éric Albert
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023 Économie & Entreprise | 17

I
l faut faire plusieurs minu-
tes de route et franchir
plus d’une dizaine de
ronds-points pour con-
tourner la zone commer-
ciale qui encercle l’hyper-
marché Cora de Saint-Maximin,
dans l’Oise, et sa galerie mar-
chande d’une quarantaine de
boutiques. Ne pas se perdre dans
ce labyrinthe de parkings et de
hangars de différents âges relève
de l’exploit. Plus de 300 ensei-
gnes, bardées de logos aux cou-
leurs vives, proposent bricolage,
habillement, alimentation ou
ameublement et attirent plus de
150 000 personnes le week-end.
Impossible, toutefois, d’y faire
ses courses à pied : certains maga-
sins sont séparés par un muret,
d’autres par une route ; d’autres
encore sont ceinturés, avec leur
parking, d’un grillage vert, comme
ce trio composé d’un kebab, d’un
supermarché et d’une enseigne de
hard discount. « C’est pour éviter
l’installation des gens du voyage »,
justifie Eric Ravoire, directeur
­général de Galimmo, la foncière
qui gère les galeries des hypermar-
chés Cora, en faisant visiter ces
200 hectares assemblés de ma-
nière disparate, pour ne pas dire
anarchique, le long de la départe-
mentale 1016 qui entre dans Creil. Un rond-point reliant Saint-Maximin à Creil (Oise), sur la route départementale D162, le 12 mars. CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »
« Halte à la France moche ! », ti-
trait en « une », en 2010, le maga-
zine Télérama, pour dénoncer
« ces métastases périurbaines ».
« La France des ronds-points », celle
des « gilets jaunes », des pavillons,
PLEIN CADRE
décrivent d’autres ; mais la France
qui consomme. « Ces zones repré-
sentent aujourd’hui environ 70 %
du chiffre d’affaires du commerce »,
détaille Emmanuel Le Roch, délé-
gué général de Procos, la fédéra-
L’Etat veut redessiner Ehrmann, le président de la Fédé-
ration des acteurs du commerce
dans les territoires – également
directeur général d’Altarea Coge-
tion des enseignes spécialisées.
Négligées pendant tant d’an-
nées, les entrées de ville, nappes
de bitume à perte de vue, sont
surtout en train de devenir les ter-
la périphérie des villes dim −, pour indemniser les pro-
priétaires des terrains concernés.

ritoires stratégiques des quinze
prochaines années, depuis que
l’urgence climatique et le zéro ar-
tificialisation nette obligent à im-
planter ailleurs que sur des terres
agricoles habitations, services,
entrepôts, et même industries.
Une part de privé
Pas moins de trois ministères
(transition écologique, ville, et
commerce) ont décidé de s’atta-
quer au devenir de ces zones. Plu-
sieurs millions d’euros sont sur la
table. Le programme Action cœur
de ville, initialement consacré
aux centres-bourgs, prolongé
en 2023, en a désormais fait l’une
de ses priorités. Dans les régions
les plus dynamiques, ces zones
commerciales pourraient devenir
des quartiers avec logements, bu-
reaux et équipements publics.
A l’inverse, le gouvernement
n’exclut pas de démanteler cer-
tains magasins et de les regrouper
sur des espaces plus réduits pour
aménager des espaces verts. Fin fé-
vrier, 45 villes candidates étaient
retenues pour bénéficier d’un ac-
compagnement renforcé. Le privé
s’en mêle aussi : cet hiver, la fon-
cière Frey s’est associée avec CDC
Habitat et la Banque des territoires
pour prendre sa part dans la muta-
tion des entrées de ville. Le gise-
ment est gigantesque. Selon les
comptages de Procos, il existe
1 629 zones commerciales en
France, qui hébergent 69 847 ma-
gasins. Au total, 73 d’entre elles ras-
semblent plus de 150 commerces,
mais la grande majorité (73 %) en
compte moins de 50. Dans le but
d’accompagner les travaux du
gouvernement, l’Insee mène son
propre travail de recensement.
Les premières zones voient le
jour dans les années 1960 et ac-
compagnent la démocratisation
de la voiture. Mais c’est dans la dé-
cennie suivante, avec l’essor de la
consommation de masse et des
hypermarchés, que tout s’emballe.
Les enseignes s’installent le long
des anciennes nationales, sur les
axes historiques. Vingt ans plus
Longtemps négligées, les entrées de ville deviennent des territoires
stratégiques, devant l’impossibilité de poursuivre l’étalement
urbain. L’exécutif s’attaque au devenir des zones commerciales
tard, le paysage est déjà bien mar- Au début des années 2000, une
qué. Pas une ville moyenne qui seconde zone d’activité commer-
n’ait son supermarché et ses satel- ciale, de 50 hectares, se développe
lites en périphérie. Les installa- au nord. Mais le site croît encore,
tions se font par opportunité. Les au sud, en 2008. « La zone commer-
élus croient aux sirènes de la ciale de Saint-Maximin n’en finit
« complémentarité avec le centre- plus de grandir », titre Le Parisien,
ville » et signent. « A l’origine, elles dix ans plus tard, quand sont déci-
étaient très axées sur l’équipement dées de nouvelles routes pour ac-
de la maison, car il fallait de grosses céder au « plus grand centre d’acti-
surfaces d’exposition », retrace vité économique du sud de l’Oise ».
M. Le Roch. « Petit à petit, ces zones Et qu’importe si l’hypermarché
se sont étendues sur plusieurs hec- d’origine tourne le dos à l’essentiel
tares pour se rapprocher des hyper- de la zone. C’est pour apporter de
marchés et de leurs galeries mar- la cohérence là où il n’y en a jamais
chandes. » Puis les enseignes sor- eu que le gouvernement a invité
tent des galeries pour « construire de grands noms de l’urbanisme
leur bâti, leur parking, et, progressi- (Djamel Klouche, Franck Boutté,
vement, terrains et bâtiments François Leclercq) aux côtés des
­passent entre les mains des fonciè- élus, des foncières et des commer-
res et des investisseurs ». Si bien çants dans ses groupes de travail.
qu’aujourd’hui certaines zones Lancés par Olivia Grégoire, la mi-
comptent plus d’une centaine de nistre déléguée au commerce, ces
propriétaires. Et c’est bien l’un des ateliers visent aussi à « définir les
nœuds du problème. grands modèles économiques, so-
Saint-Maximin − « au moins cin- ciaux et environnementaux de
quante propriétaires », estime Eric transformation de ces zones ».
Ravoire − est une parfaite illustra- Au vu de la variété de territoires,
tion de cet aménagement au fil le remède unique n’existe pas. Il y
des ans. L’hypermarché Gamma a les zones rattrapées par la ville,
(devenu Radar en 1973, puis Cora) celles − souvent les mêmes − qui
et sa galerie marchande s’instal- sont desservies par les transports,
lent en 1969, le long de la N 16. Une celles qui ne désemplissent pas le
première série d’enseignes le rejoi- week-end, celles qui périclitent,
gnent un an plus tard, au sud. loin de tout. Le modèle du quartier
mixte, par exemple, avec le maga-
sin d’électroménager au rez-de-
chaussée, les logements au-des-
Certaines zones sus, et les clients et habitants qui
se partagent les places de parking
comptent plus en sous-sol, n’aurait « aucun sens »
d’une centaine s’il était installé le long d’une auto-
route, « où personne n’a envie de vi-
de propriétaires. vre », insiste l’architecte François
Et c’est bien Leclercq. Les endroits « trop loin de
tout » ? Ne pas hésiter à les vider,
l’un des nœuds poursuit-il, « de manière à rendre
du problème des parcelles à la nature ».
Une fois les grands modèles défi-
nis, de dix à trente projets pilotes
doivent être retenus par le gouver-
nement. Une enveloppe de 24 mil-
lions d’euros leur est déjà réservée
pour 2023, de manière à lancer les
premières études et à commencer
le rachat de terrains. Au total,
5 milliards d’euros sont promis
pour l’acte II d’Action cœur de ville,
sur les cinq prochaines années. De
leur côté, Frey et ses partenaires
ambitionnent d’intervenir dès
cette année sur le foncier de sept
territoires − dont ils taisent encore
les noms, car « il faut prévenir les
élus » −, avec l’idée d’entrer dans le
concret en 2026.
Cofinancer les déficits
Le calendrier est pour le moins op-
timiste, étant donné « l’Himalaya
de complexité qu’est la requalifica-
tion des entrées de ville », selon les
mots du préfet Rollon Mouchel-
Blaisot, en introduction d’un col-
loque sur le sujet, fin février, à la
Défense. « C’est cinquante ans d’ur-
banisme qu’il faut changer, des mo-
dèles économiques à revoir », pour-
suivait Kristof de Meulder, chef
de projet économie des territoires,
à la sous-direction du commerce.
La question du remembrement
foncier est de loin la plus délicate.
Pour que de nouveaux lende-
mains soient possibles, il faut con-
vaincre des propriétaires de céder
leur parcelle, donc de renoncer à
un loyer qu’ils touchent sans trop
rien faire. Or cette phase peut se ré-
véler longue et coûteuse.
Le maire de Montigny-lès-Cor-
meilles, une commune du
Val-d’Oise traversée par une natio-
nale le long de laquelle s’étire une
partie de la Patte d’Oie d’Herblay
(300 enseignes), en sait quelque
5 milliards
d’euros sont
promis pour
l’acte II d’Action
cœur de ville, sur
les cinq années
à venir
chose, lui qui s’efforce depuis
treize ans d’aménager un centre-
ville en lieu et place des hangars de
tôle. Car ces zones, si laides soient-
elles, sont rarement des friches.
Il faut donc non seulement ac-
quérir les terrains, les conserver
jusqu’au début des opérations,
mais aussi indemniser des acteurs
qui n’avaient rien demandé. « Or
une opération de logement, même
dans une ville attractive, ne sera ja-
mais aussi rentable qu’un fast-food
qui réalise 4 millions d’euros de
chiffres d’affaires », note Pierre-
Jean Lemonnier, directeur associé
de l’agence Bérénice, spécialisée
en programmation urbaine. Dans
son dispositif, le gouvernement
prévoit de cofinancer les déficits
d’une dizaine de sites « démons-
trateurs ». A Montigny-lès-Cor-
meilles, 50 millions d’euros ont
déjà servi à l’achat des terrains.
C’est le premier objet de la fon-
cière créée par Frey, CDC Habitat
et la Banque des territoires. « Mais
l’idée est de limiter les évictions au
maximum. C’est à ce prix que l’on
maintiendra un prix de location
tenable », estime le PDG, Antoine
Frey. Ou alors il faut instaurer une
« prime à la conversion, sur le
­modèle de la prime à la casse dans
l’automobile », défend Jacques
Solution « à l’amiable »
« Si des logements remplacent les
commerces, ils peuvent y trouver
leur compte », estime-t-il. Mais, si
c’est un parc, « là, il faudrait beau-
coup d’argent », car ces espaces ne
sont pas encore valorisés. Il est
possible d’exproprier, mais « la
procédure compte quatre actes
administratifs, tous attaquables »,
fait remarquer le cabinet d’Olivia
Grégoire. « Cela peut prendre
cinq ans. La solution la plus sim-
ple, c’est quand même l’amiable. »
Plus généralement, « il faut des
outils pour accélérer les procédu-
res » d’aménagement, plaide
­Anne-Sophie Grave, présidente
du directoire de CDC Habitat.
­Réduire « les voies et délais de
­recours », ajoutent d’autres.
Les commerçants soulèvent
aussi la problématique du trans-
fert d’activité. Pour ouvrir un ma-
gasin de plus de 1 000 mètres car-
rés même quelques mètres plus
loin, les enseignes doivent obte-
nir une nouvelle autorisation
d’exploitation commerciale. Le
gouvernement réfléchit à la pos-
sibilité d’un « transfert d’autorisa-
tion au sein d’une même zone ».
Il faut, enfin, « de la stabilité politi-
que », avertit le patron de Procos.
« Sinon, aucun investisseur ne
prendra le risque de se retrouver
lâché en pleine nature. »
Tous ont été traumatisés par
l’abandon du projetOde à la
mer,à Montpellier. De nouveaux
commerces, des milliers de loge-
ments, le prolongement du tram-
way devaient donner un coup de
jeune à l’entrée sud de la ville. Ce-
pendant, ­entre les deux tours des
municipales de 2020, le maire
sortant a dénoncé le contrat, an-
nulant le projet dans lequel
14 millions d’euros avaient déjà
été investis. Michaël Delafosse, le
nouveau maire (PS), opposé à ce
« mégacentre commercial », a re-
travaillé le dossier. Mais la copie
qu’il ­présente aujourd’hui, avec
des milliers de logements, dont
certains dans des tours, ne fait pas
l’unanimité. p
Émeline Cazi
et Cécile Prudhomme
18 | Management
Les salariés américains redécouvrent
la vie en dehors du travail
Aux Etats-Unis, les employés reprennent goût aux congés depuis l’épidémie de Covid-19
New York - correspondance
C
asque sur la tête, café à
la main, la jeune Sarai
Marie met en scène, sur
TikTok, Veronica et Su-
san au bureau. Veronica, incarna-
tion de la génération Z, est l’em-
ployée. Susan sa cheffe. « Vero-
nica, dit cette dernière, tu dois
être disponible pendant tes vacan-
ces. » Veronica ne se laisse pas dé-
monter. Elle éclate de rire et pro-
met de bloquer les futurs messa-
ges de Susan. Ses 2,3 millions de
followers l’approuvent.
Ce sketch illustre le changement
d’attitude des salariés américains.
On les croyait dévorés d’ambi-
tion, toujours prêts à finir une tâ-
che le week-end, ou à répondre
aux e-mails incessants du chef de
service. Mais, depuis l’épidémie
de Covid-19 et la révolution du tra-
vail à distance, leur soumission
volontaire s’est calmée.
« Le contrat social a changé
pour toujours », estime Cathi
Les chiffres
82 %
C’est le taux des travailleurs
­interrogés qui préfèrent prendre
une semaine de vacances en
plus plutôt que de bénéficier
d’une augmentation de salaire
annuelle de 2 000 dollars.
20 %
C’est la part des salariés qui
­estiment qu’une opportunité
de promotion est le critère qui
les incite à rester chez le même
employeur.
15 %
C’est le taux de salariés qui
privilégient le travail flexible.
(Source : enquête annuelle
­EmployBridge - Voice of
the Blue-Collar Worker 2022.)
La féminisation de la hiérarchie va de pair avec la lutte contre le sexisme
Quotas, formation, réseaux… Les Rencontres RH ont mis sur la table les moyens de favoriser l’accès des femmes aux instances dirigeantes
L e monde dans lequel on vit
fait qu’on est biaisé en faveur
des hommes en ce qui con-
cerne les postes à responsabilités.
Les femmes aussi intériorisent ce
biais, en se disant par exemple
qu’elles ne peuvent pas être bonnes
en mathématiques. » Tel est le
constat posé par Violetta Zujovic,
chercheuse en neurosciences à
l’Institut national de la santé et de
la recherche médicale (Inserm), en
introduction des Rencontres RH,
le rendez-vous mensuel de l’actua-
lité du management organisé par
Le Monde en partenariat avec
ManpowerGroup et Malakoff Hu-
manis. Lors de l’édition du 7 mars,
une vingtaine de DRH ont
échangé sur l’accès des femmes
aux postes à responsabilités.
L’experte du jour, par ailleurs
cheffe d’équipe à l’Institut du cer-
veau, a raconté l’expérience me-
née au sein de son centre de re-
cherche. « Nous avons essayé de
comprendre comment engager no-
tre cerveau pour empêcher d’avoir
des automatismes qui catégorisent
les personnes dans un rôle spécifi-
que, explique-t-elle. Il y avait 63 %
de femmes à l’Institut du cerveau
en 2015, et 5 % dans les comités
Canfield, vice-présidente de
l’agence spécialisée dans le re-
crutement EmployBridge.
Dans un sondage, interne à
l’agence de recrutement Employ-
Bridge, réalisé du 21 février au
23 mars 2022, a été relevée l’im-
portance exprimée par les em-
ployés de la flexibilité des em-
plois du temps, même du côté
des travailleurs essentiels. « Ils
établissent leurs priorités. Ils veu-
lent être capables de s’occuper de
leurs enfants à la maison, expli-
que-t-elle. Ils nous disent que leur
temps est précieux. »
« Pour 40 % des postes, on a com-
pris que l’on pouvait travailler
dans d’autres lieux, poursuit
Ariane Ollier-Malaterre, profes-
seure de management à l’univer-
sité du Québec à Montréal (Ca-
nada). Quand l’entreprise impose
un retour au bureau et que vous
passez la journée sur Zoom, parce
que les autres ne viennent pas au
même moment, vous vous
­demandez pourquoi. Les employés
veulent garder leur autonomie. »
Et ils le font savoir haut et fort.
Des ambitions revues à la baisse
Le marché de l’emploi étant tou-
jours très tendu, « les salariés ont
le pouvoir », conclut la profes-
seure. Les employeurs qui
n’auraient pas encore compris
risquent un profond désengage-
ment de leurs troupes. Sur Tik-
Tok, ce changement de compor-
tement s’appelle « act your
wage ». En clair, l’employé fait ce
pour quoi il est payé, sans plus.
« On nous accuse d’être pares-
seux, toujours au téléphone, ex-
plique Danielle Farage, 24 ans, di-
rectrice du marketing de la plate-
forme Café, experte en
ressources humaines. C’est vrai,
nos valeurs sont différentes de
celles des baby-boomeurs. Nous
n’avons pas envie de pointer cinq
jours sur sept de 9 heures à 17 heu-
res. Nous ne reviendrons pas au
bon vieux temps. » Mais d’ajouter
en direction des employeurs :
« Reprenons la discussion. Soyez
plus flexibles. Comprenez nos va-
­ écisionnels. Aujourd’hui, on a
d Pour ce faire, la mise en place de
réussi en collaboration avec la DRH
à ­atteindre 50 %. »
Sur le terrain de l’égalité fem-
mes-hommes, la mesure est le
nerf de la guerre. Le 1er mars, tou-
tes les entreprises de plus de
mille salariés ont dû rendre pu-
blics pour la première fois leurs
écarts de représentation entre les
femmes et les hommes parmi
leurs cadres dirigeants et les
membres de leurs instances diri-
geantes, comme l’exige la loi
Rixain du 24 décembre 2021 vi-
sant à accélérer l’égalité écono-
mique et professionnelle.
Si quelques participants ont af-
fiché avec fierté leurs excellents
chiffres, la discussion s’est con-
centrée sur les progrès qui res-
tent à accomplir. Dans la branche
des institutions de retraites com-
plémentaires et de prévoyance,
par exemple, « il y a 70 % de fem-
mes, 53 % dans l’encadrement.
En 2015, elles étaient seulement
20 % chez les cadres supérieurs et
dans les comités de direction, énu-
mère Marc Landais, DRH de
l’Agirc-Arrco. Depuis, nous avons
réussi à gagner sept points [de
pourcentage], mais il faut conti-
nuer à mener des actions volonta-
ristes ». Même constat chez Ko-
rian, avec 82 % de femmes, 67 %
de manageuses et seulement
22 % au comité exécutif.
La tendance
« act your wage »
ne se limite pas
aux jeunes de
la génération Z.
La génération Y
aussi a changé
leurs, notre envie de transpa-
rence, la volonté de faire le bien
dans le monde. »
« Privilégiez votre vie person-
nelle, après 5 heures du soir, con-
seille Christy Pyrz, de l’entreprise
de compléments alimentaires
Paradigm Peptides. L’entreprise
ne va pas s’écrouler si vous allez à
votre cours de vélo en salle. »
Cette tendance « act your
wage » ne se limite pas aux jeu-
nes de la génération Z. La généra-
tion Y aussi a changé. Pour le
producteur de télévision Alex
Spearman, 40 ans, le déclic s’est
produit à l’hôpital, quand il ren-
dait visite à sa belle-mère. Il a
pensé à tous ces moments essen-
tiels qu’il avait manqués aupara-
vant. « J’ai tout eu, raconte-t-il. La
progression de carrière et la re-
connaissance de mes pairs, mais
ce n’est pas assez. Maintenant, je
veux m’investir dans Alex la per-
sonne et pas Alex le journaliste. »
M. Spearman a changé d’em-
ployeur. Il a quitté la capitale
pour l’Ohio et savoure
aujourd’hui les trois semaines de
congés payés que lui accorde
Spectrum Networks. « C’est beau-
coup plus qu’avant », dit-il.
Cette nouvelle approche se
­reflète dans le sondage réalisé
par l’éditeur de logiciels Qual-
trics en novembre 2022 : 36 %
des employés avouent avoir
revu à la baisse leurs ambitions
professionnelles depuis trois
ans et 40 % estiment que le tra-
vail est devenu moins impor-
tant. Même constat chez Em-
ployBridge. La flexibilité y est un
des trois ­facteurs déterminants
quotas, lors du recrutement ou
des promotions internes, est le
meilleur moyen de faire progres-
ser les chiffres. « S’il n’y avait pas eu
la loi Copé-Zimmermann [qui a
instauré les quotas dans les con-
seils d’administration] et [la loi]
Rixain, est-ce qu’on aurait d’aussi
bons chiffres ? », avance Rémi
Boyer, DRH groupe de Korian.
« Tolérance zéro »
« Le volontarisme passe par une
politique de quotas à compéten-
ces égales, tant que c’est encore
nécessaire. On s’est professionna-
lisés sur le sujet, il va falloir mon-
ter en compétences sur la maîtrise
et le pilotage de ces indicateurs »,
­affirme Jérôme Friteau, DRH
groupe de l’Assurance-retraite et
DRH de la Caisse nationale d’as-
surance-vieillesse, qui compte
56 % de femmes dans les instan-
ces dirigeantes.
Chez Kingfisher France, par
exemple, « on demande à nos re-
cruteurs d’avoir un panel de recru-
tement avec autant de profils fem-
mes que de profils hommes », met
en avant le DRH Gino Balderacchi.
Pour ce qui est des mobilités inter-
nes, il s’agit la plupart du temps de
rééquilibrer un schéma où les
hommes ont tendance à progres-
ser plus vite dans la hiérarchie, es-
timent les professionnels.
pour rester chez un employeur.
Et lorsque l’on donne le choix
entre 2 000 dollars de plus par
an ou cinq jours de congé sup-
plémentaires, 82 % des intéres-
sés préfèrent les vacances, expli-
que Deborah Mcfarlane, respon-
sable des ressources humaines
d’EmployBridge.
« Reconstruire une communauté »
« L’envie de faire carrière fléchit,
constate Damon Diamantaras, le
patron du cabinet d’assurance
TGS Insurance à Houston qui
compte deux cents salariés.
Quand j’embauche, je cherche des
gens ambitieux, des salariés qui
veulent acheter une Mercedes.
Mais beaucoup n’ont pas envie de
se mettre la pression. » Et de
prendre l’exemple d’un très bon
jour de vente. « Il suffirait de
deux ventes supplémentaires
pour battre des records, dit-il.
Autrefois, l’employé serait resté
jusqu’à minuit. Aujourd’hui, il
rentre chez lui. » Pour essayer de
raviver la flamme, le dirigeant
demande à ses nouvelles recrues
de se former avec des anciens, en
présentiel. Sur Zoom, affirme-
t-il, « la collaboration n’est pas la
même, on est moins créatif ».
David Bradshaw, vice-président
de l’entreprise de ressources hu-
maines NorthstarPMO, propose
lui aussi de « reconstruire une
communauté ». Dans son agence
de quinze personnes, on se ren-
contre régulièrement pour boire
et manger en dehors du bureau.
Et « pour qu’ils s’impliquent plus,
on informe les personnels et on
leur explique les décisions ». C’est
une des leçons retenues depuis
la pandémie.
Les patrons tentent de s’adapter.
L’équilibre entre travail et vie pri-
vée prend de l’importance. Mais
« l’employé doit être prudent, aver-
tit Mme Ollier-Malaterre. Si la réces-
sion que l’on nous annonce se ma-
térialise, le rapport de force s’inver-
sera. Et ceux qui ont tout juste
assuré le service minimum seront
les premiers à prendre la porte ». p
Caroline Talbot
La formation des manageurs et
la sensibilisation des salariés
constituent un autre grand chapi-
tre du dossier égalité profession-
nelle. L’enjeu est de sortir des sté-
réotypes : « Quand des jeunes filles
nous demandent des conseils pour
leur carrière, je leur dis que ce qui
est reconnu ce sont des traits mas-
culins, comme l’assurance. C’est ce
que proposent les boîtes de consul-
ting et coaching, regrette Mme Zu-
jovic. Et encore, une femme qui se
­comporte trop comme un homme
va être punie, on va juger que ça ne
va pas non plus. »
Gino Balderacchi a confié son
étonnement de voir se dévelop-
per les « soft skills », « cette part de
qualités intrinsèques, dans les pro-
cessus de recrutement, alors qu’en
même temps on met en avant des
comportements masculins, l’idée
qu’il faut s’imposer. Comment
­résoudre cette ambivalence ? »
Pour Jérôme Friteau, le progrès
passe aussi par une « tolérance
zéro face au sexisme, en augmen-
tation depuis le Covid. Il faut pren-
dre des décisions dures et exem-
plaires. » « Il faut savoir licencier
ceux qui ne respectent pas les
­chartes d’inclusion, même s’ils ont
de bons résultats », renchérit
­Sophie Audebert, DRH de l’opéra-
teur immobilier Nexity.
Le changement définitif de
mentalité s’accompagne d’une
­
0123
­Jeudi 16­ mars 2023
Carnet de bureau
Chronique par Anne Rodier
L’égalité femmes-
hommes à l’index
L
a note moyenne de l’index égalité femmes-hommes
déclarée par les entreprises en 2023 est de 88/100, a
annoncé, le 8 mars, le ministère du travail. Pour
Orange SA, c’est 89/100 ; 96/100 à la Caisse nationale
d’Assurance-vieillesse ; qui dit mieux ?
L’index, que chaque entreprise de plus de cinquante sala-
riés est obligée de brandir le 1er mars, est censé exprimer le
niveau d’égalité entre les femmes et les hommes, par la me-
sure des écarts de salaires, de promotion et de la parité au
sein des dix plus fortes rémunérations : 72 % des entreprises
concernées ont publié leur index en 2023, contre 61 %
en 2022 et 2021 et 54 % en 2020.
L’index, créé par la loi « avenir professionnel » en 2018, ap-
paraît désormais sur les sites des entreprises au printemps
comme les premières fleurs de l’année, essentiellement
pour vanter leurs bons scores et étaler leur image de « belle
boîte ». « Les résultats sont en constante progression », souli-
gne le ministère du travail. Il reste pourtant beaucoup à
faire pour atteindre l’égalité professionnelle en entreprise,
en particulier au sein du très masculin top 10.
Les mauvais élèves de l’index font profils bas, d’autres évi-
tent tout simplement de déclarer leur situation quitte à ris-
quer la sanction prévue par la loi. Depuis 2019, 49 pénalités
financières ont ainsi été notifiées aux en-
treprises par l’inspection du travail, pour
Depuis 2019, absence de publication de l’index, ab-
49 pénalités sence de définition de mesures correctri-
ces ou du fait d’un index inférieur à
financières ont 75/100 pendant plus de trois exercices
consécutifs. Depuis 2020, 77 entreprises
été notifiées sont restées en deçà du seuil fatal de
par l’inspection 75/100 qui déclenche la sanction.
Quelle est donc l’utilité de cet index ?
du travail Quatre ans après sa création, l’Institut
des politiques publiques (IPP) a décidé
d’en faire le bilan, qu’il a publié le 6 mars. Ses conclusions
sont sévères : « Une couverture limitée », « peu d’effet sur les
entreprises concernées », « des règles de calcul complexes, qui
permettent d’atténuer les écarts salariaux ». En clair, les en-
treprises ont appris à adapter l’instrument de mesures au
service de leurs intérêts ou ne rentrent tout simplement pas
dans le champ d’application. L’IPP a ainsi établi que les pos-
tes de travail pris en compte par l’index « ne représentent
que 25,5 % de l’emploi privé ».
Il ne faudrait pourtant pas jeter l’index aux orties, comme
un vulgaire élément parasite de communication. Car si
Orange SA, par exemple, peut aujourd’hui présenter un
taux de féminisation de plus de 32 % des cadres dirigeants et
de 40,7 % au comité exécutif (comex), c’est bien parce
qu’avant la loi Rixain de 2021 qui a imposé un quota de fem-
mes au comex des entreprises de plus de 1 000 salariés, il y
avait eu la création de l’index, et dix ans plus tôt en 2011 la
loi Copé-Zimmermann qui introduisit des quotas dans les
conseils d’administration.
Loin d’être un garant de l’égalité femmes-hommes, l’index
a toutefois obligé les entreprises à créer des indicateurs et
contraint les responsables des ressources humaines à s’em-
parer du sujet et à le suivre de manière pérenne. p
ouverture plus large à tous les D’autres participants ont mis en
profils « rares » dans les postes à avant le développement de com-
responsabilités. « C’est plus facile munautés : « Un réseau de fem-
d’avoir des profils identiques, de mes s’est créé en interne, illustre
même sexe, de la même école, rap- Marion Azuelos, DRH de BNP Pa-
pelle Laurence Breton-Kueny,
­vice-présidente de l’Association
nationale des DRH et DRH du
Groupe Afnor. La mixité est source
de création de valeur, mais de-
ribas Asset Management. Elles
ont créé un programme de mento-
ring pour aider des femmes ju-
niors dans leur carrière ».
« L’index et les chiffres pour se
mande un accompagnement. » comparer, c’est bien, mais il faut
Les DRH ont enfin abordé la aussi que chaque entité ait des ob-
question de la visibilité des fem- jectifs personnalisés en fonction de
mes occupant déjà des postes à son activité, a conclu Mme Zujovic,
responsabilités, pour inspirer prenant l’exemple des écoles et
d’autres femmes. « Je crois beau- universités dans le domaine
coup à la force de l’exemple, ex- scientifique, où les filles sont ra-
prime Mme Audebert. Nous avons res. Il faut donner des conditions
un réseau de mentorat, mixte. Il d’évolution détachées de toute
faut encourager les plus jeunes pression sexiste. » p
pour leur dire que c’est possible. » Jules Thomas
¶
Ont participé aux Rencontres RH du 7 mars : Sophie Audebert, DRH,
Nexity ; Marion Azuelos, DRH, BNP Paribas Asset Management ; Gino
Balderacchi, DRH, Kingfisher Group ; Marc-Henri Bernard, DRH, Rémy
Cointreau ; Franck Bodikian, DRH, ManpowerGroup ; Rémi Boyer, DRH
groupe, Korian ; Laurence Breton-Kueny, DRH, groupe Afnor, et vice-prési-
dente de l’ANDRH ; Anne Chaintron, DRH, AFM Téléthon ; Gaël de Cagny,
DRH, Médiamétrie ; Jérôme Friteau, directeur des relations humaines et de
la transformation, CNAV ; Aymeric Guégan, directeur RSE, Colas Rail ; Marc
Landais, DRH, Agirc-Arrco ; Catherine Piral, DRH, ManpowerGroup Talent
Solutions ; Séverine Rolquin-Bluet, directrice cohésion et développement,
Malakoff ­Humanis ; Jules Thomas, journaliste au « Monde » ; Gilles van
Kote, directeur délégué du « Monde » ; Violetta Zujovic, chercheuse à l’In-
serm, cheffe d’équipe à l’Institut du cerveau, avec Karim Ndiaye, spécialiste
de la cognition, et Cécile Proust, responsable RH de l’Institut du cerveau.
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
Dick Fosbury
Athlète américain
A New York,
le 17 février 1968. AP
I
l a choisi de tourner le dos
aux normes et aux consi-
gnes, et, ainsi, a atteint les
sommets. L’athlète améri-
cain Dick Fosbury, qui a révolu-
tionné le saut en hauteur avec
une technique qui a pris son nom,
est mort, dimanche 12 mars, des
suites d’un lymphome, a annoncé
son agent. Le champion olympi-
que de la discipline à Mexico,
en 1968, avait 76 ans.
Rares sont les sportifs qui ont
laissé leur nom à une figure de
leur sport. Le football a la pa-
nenka, le patinage artistique et la
gymnastique comptent plusieurs
figures portant le nom de leur in-
venteur – l’axel, par exemple – ;
mais en athlétisme, le « fosbury »
est unique, et a fini par conquérir
tous les sautoirs du monde.
Né à Portland, dans l’Oregon,
en 1947, Richard « Dick » Fosbury
n’avait pourtant rien d’un inven-
teur, décidé à révolutionner la
science et la technique de son
sport après en avoir minutieuse-
ment étudié le moindre paramè-
tre. Si celui qui « adorait les matchs,
les chiffres, construire » est par la
suite devenu ingénieur, « toute
cette histoire n’est qu’un accident »,
répétait-il à l’envi lorsqu’il lui était
demandé de rembobiner la mise
en place de sa technique – souvent,
en amont de nouveaux Jeux olym-
piques. Un malentendu inattendu,
une histoire de gamin prêt à tout
pour gagner. « Le but n’était pas
d’inventer quoi que ce soit, assu-
rait-il à L’Equipe en 2012. J’ai déve-
loppé cette nouvelle technique lors-
que je sautais parce que je ne vou-
lais pas perdre. »
A 16 ans, le jeune homme fait
partie de l’équipe d’athlétisme de
son lycée de Medford, dans le sud
de l’Oregon, mais ne s’illustre
guère. Celui qui n’avait pas été re-
tenu dans les équipes de football
américain et de basket de son ly-
cée raconta souvent qu’il était
alors le pire sauteur en hauteur de
son école, sinon de l’Oregon. Pra-
tiquant le ciseau, technique déjà
désuète consistant à aborder la
barre de face et passer une jambe
après l’autre, le grand jeune
homme – il atteindra 1,93 mètre –
plafonne. Son entraîneur le
somme de se mettre au rouleau
ventral, technique en vogue alors,
impliquant d’enrouler l’obstacle
latéralement, à l’horizontal. Fos-
bury obtempère… mais régresse.
Frustré, il décide un jour de n’en
faire qu’à sa tête. Après sa course
d’élan, il se présente dos à la barre
et l’enroule. Améliorant son re-
cord personnel de 15 centimètres
ce jour-là, il récidive les semaines
suivantes, et oblige son coach à ac-
cepter sa nouvelle technique. Don-
nant l’impression d’être couché
pendant son saut, le jeune athlète
attire l’œil de quelques photogra-
9 mars 1947 Naissance
à Portland (Oregon).
1963 Invente ce qu’il
nommera le « Fosbury-flop »
20 octobre 1968
Est ­médaillé d’or aux Jeux
­olympiques de Mexico
en saut en hauteur
12 mars 2023 Mort
phes, qui ont tôt fait de légender
l’image : « Le sauteur en hauteur le
plus fainéant du monde ».
Grâce à son étrange technique,
qui rend dubitatifs tous les obser-
vateurs, Dick Fosbury décroche
une bourse à l’université d’Ore-
gon. Et baptise son geste « Fosbu-
ry-flop », « autant par goût pour
l’allitération que par autodérision,
expliquait-il au Monde en 2007. Et
parce qu’un journaliste avait dé-
crit mes sauts comme ceux d’un
poisson bondissant hors de l’eau. »
S’il commence à se tailler une
solide réputation au sein de l’ath-
létisme américain, le jeune spor-
tif demeure un inconnu à
l’échelle internationale. Et c’est
aux Jeux olympiques de Mexico
en 1968, qu’il atteint le sommet
de sa carrière. Avec sa technique
dorsale, Dick Fosbury enroule
une barre à 2,24 mètres, ce qui lui
offre le titre et le record olympi-
que. Et dès le début de sa « révolu-
tion », les entraîneurs adverses
épluchent les règlements pour
s’assurer que le sauteur de 21 ans
n’enfreint pas les règles. « Il y a
deux règles : l’appel doit se faire sur
un pied, quel qu’il soit, et vous de-
vez franchir la barre sans qu’elle
tombe », précisait l’athlète.
Plus tard, des recherches atteste-
ront que Dick Fosbury n’était pas
le premier à avoir eu l’idée d’en-
rouler la barre par le dos. En 1961,
un journal du Montana publie la
photo d’un jeune homme, Bruce
Quande, effectuant un « fosbury »
– deux ans, donc, avant que ce der-
nier « n’invente » sa technique –
lors d’une compétition scolaire.
« Il n’a pas continué et n’a jamais re-
vendiqué la paternité de ce geste »,
constatait Fosbury, qui a discuté
avec lui bien des années plus tard.
Mais le sauteur en hauteur en
était persuadé, avec ou sans lui,
son geste aurait fini par être
adopté tant il tenait du spontané.
« En faisant découvrir ce style au
monde à Mexico, j’ai simplement
eu le privilège de lui donner mon
nom », concluait-il.
S’il a interrompu sa carrière
quelques mois après les JO de
Mexico, pour embrasser la vie ac-
tive d’ingénieur – ne parvenant à
concilier sport et études –, Dick
Fosbury n’a jamais remisé son
passé. Et a raconté maintes fois ses
premiers bonds dos à la barre, ins-
pirant les générations suivantes. p
Clément Martel
Le Carnet
Vous pouvez nous faire
parvenir vos textes
soit par e-mail :
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro
d’abonné ou de membre
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reviendra vers vous
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Françoise BASCH,
professeure émérite
des Universités,
est morte le 6 mars 2023.
Liliane Crips,
Marc Taubert Crips,
André Basch,
Catherine et Laurent, Sandra
et Frédéric, Julien et Élisa, Maria
et Jorde, Hélène et Alain, Antoine
et Sophie, Anne-Élisabeth,
Héloïse, Anna, Simon, Pierre, Émile,
Élias, Nils, Dario et Isabel,
Tou.te.s ses ami.e.s
Et toute sa famille
la pleurent.
Elle sera incinérée au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise,
Paris 20e, le vendredi 17 mars, à 10 h 30.
(Le Monde du 15 mars.)
Sandrine, Vanessa, Miléna,
ses filles,
Ariane, Faustine, Simon, Nohé,
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse d’annoncer
le décès de
Claude BROUSSOULOUX,
médecin, écrivain,
survenu dans sa quatre-vingt-sixième
année.
Pour vous rappeler son souvenir,
partagez ses passions : allez au théâtre,
lisez des romans.
La cérémonie aura lieu à
Meyrargues (Bouches-du-Rhône), le
jeudi 16 mars 2023, à 15 heures.
30, rue Berthollet,
75005 Paris.
Les ami.e.s
Et la famille,
font part du décès, survenu le 7 mars
2023, à l’âge de soixante-douze ans,
de
Serge CORDELLIER,
fondateur de l’AFIP,
ancien directeur de collections
aux Éditions La Découverte.
On se réunira pour lui dire un
dernier adieu le jeudi 16 mars,
à 13 h 30, en la grande salle du
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
condoleances.amc@gmail.com
M. Jean-Luc Duchateau,
Mme Catherine Duchateau,
M. Pierre Duchateau,
Mme Marianne Duchateau,
ses enfants,
Mme Monique Gilliot,
sa sœur,
Sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Henriette DUCHATEAU,
survenu le 10 mars 2023,
à Soisy-sous-Montmorency.
La cérémonie religieuse suivie de
l’inhumation aura lieu au cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e, le 16 mars,
à 15 heures.
Carnet | 19
Fanny, Saumur.
sa femme,
Philippe, Bruno, Christine et Gilles,
ses enfants,
Ses sept petits-enfants,
Marc PARDESSUS,
HEC 52,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
en vente
Sa famille
Et ses amis,
directeur général
des caves Veuve Amiot
de 1964 à 1990, K En kiosque
actuellement
ont l’immense chagrin de faire part officier de réserve,
du décès de ancien juge
au tribunal de commerce,
Jean-François GUT, curateur et administrateur
ancien sous-directeur de plusieurs associations caritatives,
au groupe Victoire - Abeille Assurances,
ancien président ou membre actif est entré dans son éternité le 11 mars.
de nombreuses associations,
De la part de
liées ou non à la paroisse protestante
Anne, née Scrabalat,
d’Asnières-Bois-Colombes
et au Centre 72,
son épouse,
Ses quatre enfants,
ancien aumônier Les familles Pardessus, Lapprend,
des Aéroports de Paris, Jeanjean
Et tous leurs descendants. Hors-série
survenu le 2 mars 2023,
dans sa quatre-vingt-dixième année. Ses obsèques seront célébrées le
0123
vendredi 17 mars 2023, à 10 h 30, en
ÉDITION 2023
H O R S - S É R I E
LE BILAN
▶ GÉOPOLITIQUE
Une cérémonie, dans la stricte l’église Saint-Nicolas de Saumur. ▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE
intimité conformément à ses souhaits, DU MONDE
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
a eu lieu le 9 mars, à Nanterre. Eric Salomon et Michèle Irdor,
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,
MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...
son fils et sa belle-fille,
Françoise Caillet, Joëlle Salomon Cavin et Lionel Cavin,
sa compagne, sa fille et son gendre,
Christophe et Juliette, Hélène, Yann, Cyril et Simon,
ses enfants, ses petits-enfants
Marie-Claire, Et toute la famille,
sa sœur,
ont la tristesse d’annoncer le décès
Ses petits-enfants,
de
Hors-série
Ses arrière-petits-enfants,
Marcel Moïse SALOMON,
ont le chagrin d’annoncer que ingénieur,
UNE VIE, UNE ŒUVRE
M. Marcel INIZAN, survenu le 11 mars 2023, Colette
Le tourbillon
pédiatre, dans sa quatre-vingt-seizième année. de la vie
« a cassé sa pipe » le 12 mars 2023, Il a rejoint sa chère épouse,
à Antony, dans sa quatre-vingt-
quinzième année. Huguette SALOMON, ÉDITION
2023
née BLOCH. avec Julia Kristeva, Amélie Nothomb, Juliette, Emmanuelle Lambert...
La cérémonie aura lieu le mardi
21 mars, à 14 h 30, au cimetière du Les obsèques auront lieu le jeudi Hors-série
Père-Lachaise, Paris 20e. 16 mars, à 11 heures, au cimetière
parisien de Bagneux, 54, avenue
Marx-Dormoy.
Michel Schmitt,
HORS-SÉRIE
son fils,
Paris.
Hamreine Ok,
sa belle-fille,
Margo Rouard-Snowman,
son épouse,
ont la tristesse d’annoncer le décès
Hector Snowman,
de son fils,
LES DIEUX GRECS ET ROMAINS
Louisa Menguelti,
Michelle JOANNOU. sa belle-fille,
Victoria Snowman,
La crémation s’est déroulée le sa petite-fille,
10 mars 2023, dans la stricte intimité Les familles Snowman, Rouard, Hors-série
L’équipe de Wartski à Londres,
familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part. ont l’immense chagrin d’annoncer la HORS-SÉRIE
mort soudaine de
L’EAU & LES OCÉANS
michelschmitt@me.com
CARTES
M. Nicholas SNOWMAN,
EN
administrateur artistique,
Delphine Rozand et Raphaëlle Gitlis, président de la société Wartski,
officier de l’ordre
ses filles,
des Arts et des Lettres,
Stellio Rolland, Jérémy Rolland,
Vanessa Rolland, Pauline Bazile et chevalier
de l’ordre national du Mérite,
Noah Mouzon,
ses petits-enfants, chevalier de l’ordre
Inti Rolland, Vittorio Rolland et national de la Légion d’honneur,
officier de l’ordre Hors-série
Lou Dusserre,
ses arrière-petits-enfants, de l’Empire britannique (OBE),
Toute sa famille
Et ses amis, le 2 mars 2023, à Londres,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
ont la tristesse de faire part du décès
Les obsèques ont eu lieu le 9 mars,
de
à Londres.
Mme France, Julie, Laetitia Cet avis tient lieu de faire-part.
LAMBIOTTE,
margorouard@yahoo.fr
survenu à Paris, le 7 mars 2023. hector.snowman@gmail.com
Les obsèques auront lieu le jeudi
16 mars, à 16 heures, au crématorium Appel à dons
Musée idéal la revue n° 5
du cimetière du Père-Lachaise,
Paris 20e.
Irène,
Collection
son épouse,
P R É S E N T E
Lucien, Syméon et Anouk,
ses enfants,
Joséphine,
sa sœur,
Christine et Philippe,
ses parents, L’Autisme,
Sandra et Dominique, enjeu majeur de santé publique.
ses beaux-parents, Soutenez « L’Envol des Petits Pas » !
Les familles Lebas, Joly, Delaunay
et Taroni, Permettre l’inclusion en crèche
de jeunes autistes, en faisant un don.
ont la douleur de faire part de la Plus d’informations sur notre site
mort de
www.a4-autisme.fr
Contact : jckervot@noos.fr
Antonin LEBAS, Dès jeudi 16 mars,
vidéaste,
journaliste reporter d’images, Société éditrice du « Monde » SA
le volume n° 6
éducateur, Président du directoire, directeur de la publication LES PREMIÈRES CROISADES
Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
survenue le 8 mars 2023,
à l’âge de trente-sept ans.
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
Nos services
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
La messe de funérailles est célébrée
ce 15 mars, à 14 h 30, en l’église Saint-
Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre
Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
Lecteurs
Rémi de Savignies (Oise). Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services
K Abonnements
abonnés Françoise Tovo Sur abo.lemonde.fr
L’inhumation aura lieu le 17 mars, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Par tél. au 03 28 25 71 71
Gilles van Kote
à 15 heures, au cimetière de Saint- Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)
Romain (Côte-d’Or). Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
(cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées) K Le Carnet du Monde
Que soient remerciés pour leur Directrice du design Mélina Zerbib carnet@mpublicite.fr
Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton
précieux soutien, ses amis, ses
Infographie Delphine Papin
proches, et pour leur dévouement, Directrice des ressources humaines du groupe
les équipes de soignants qui l’ont Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
accompagné tout au long de sa Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
maladie. présidente, Gilles Paris, vice-président
 Culture
20 |
Série
Marco Bellocchio
replonge dans
la nuit italienne
A 83 ans, le cinéaste consacre sa première
série, « Esterno notte », à l’enlèvement
d’Aldo Moro par les Brigades rouges
Rencontre
Bologne (Italie) - envoyé spécial
F
in janvier, le centre-ville
de Bologne est sens des-
sus dessous. Des insurgés
font voltiger leur haut-de-
forme, aux cris de « A bas le
pape ! » Œil vif et sourire en coin,
malgré ses 83 ans, Marco Belloc-
chio y tourne l’ultime scène de
son nouveau long-métrage, un
film d’époque pressenti pour le
prochain Festival de Cannes.
La dernière fois qu’on l’avait
croisé, c’était huit mois plus tôt,
sur la Croisette justement. Même
entrain, doublé d’une même in-
tranquillité. Le cinéaste présen-
tait sa toute première série, Es-
terno notte, dans la section Can-
nes Première. Arte, qui l’a copro-
duite, en diffuse les six épisodes
depuis le 8 mars. Son titre fait
écho à Buongiorno, notte (2003),
le long-métrage que Bellocchio
avait consacré à l’enlèvement et à
l’assassinat par les Brigades rou-
ges du président de la Démocratie
chrétienne, Aldo Moro, du
16 mars au 9 mai 1978.
Pourquoi revenir sur cette tra-
gédie qui a ébranlé la vie politique
italienne ? « Quand je commence
un projet, je pars toujours d’ima-
ges : j’ai besoin d’éprouver un rap-
port immédiat, presque physique,
au sujet, confiait-il au Monde, à
Cannes, en mai 2022. Revoir des
photos de Moro en famille ou de-
vant la foule, publiées lors du qua-
La passion d’Aldo Moro en six stations
Plutôt qu’un feuilleton, la série d’Arte évoque un tableau en six panneaux, chaque épisode mettant en avant l’un des acteurs de la tragédie
I l y a très exactement quaran-
te-cinq ans, un homme était
dissimulé derrière une fausse
cloison, au fond d’une cache amé-
nagée dans un appartement ro-
main. Le 16 mars 1978, un com-
mando des Brigades rouges enle-
vait Aldo Moro, président de la Dé-
mocratie chrétienne, après avoir
abattu les cinq membres de son
escorte. Cinquante-cinq jours plus
tard, on retrouvait le corps d’Aldo
Moro dans le coffre d’une Renault
4, via Caetani, toujours à Rome.
En 2003, Marco Bellocchio a mis
en scène ces journées en un long-
métrage, Buongiorno, notte
(« bonjour, la nuit »), dont le titre
disait l’essence de l’événement
pour le cinéaste : le crépuscule des
possibilités nées à la chute du
­fascisme, l’entrée dans une obscu-
rité sans fin. Ce moment s’incar-
nait dans la confrontation entre
l’homme politique détenu et l’une
de ses geôlières.
Deux décennies plus tard, Bel-
locchio, âgé de 83 ans, plonge de
nouveau dans la nuit, en élargis-
sant le champ. Esterno notte se
­traduit par « extérieur nuit ». Pour
donner à son récit la possibilité
rantième anniversaire de sa mort,
en 2018, m’a remué. Cette fois, j’ai
voulu filmer l’enlèvement non pas
de l’intérieur, comme dans Buon-
giorno, notte, mais de l’extérieur
(« esterno » en italien). La drama-
turgie procède des différentes ten-
tatives mises en œuvre pour le libé-
rer. Celle de son ami, le ministre de
l’intérieur Francesco Cossiga ; celle
du pape Paul VI ; celle d’un couple
de brigadistes dissidents ; et celle
de son épouse. Elles ont toutes
échoué. Le film, pardon la série – je
ne sais plus comment l’appeler –,
vit sur ces quatre échecs. »
« Labyrinthe »
Serties d’un prologue et d’un
­épilogue, ces quatre tentatives
forment chacune la trame d’un
épisode à part entière. « On a vite
compris, en optant pour un récit
aussi ample, que cela ne pouvait
pas ne pas être une série », pour-
suit celui qui dit avoir apprécié,
en la matière, Nos meilleures
­années, The New Pope ou Les Reve-
nants. « On a respecté certaines
­règles du genre : une tension per-
manente, des retours en arrière
chronologiques au début de
­chaque épisode… »
Il y a vingt ans, Bellocchio avait
dédié Buongiorno, notte à la
­mémoire de son père. Il a tourné
Esterno notte dans la foulée de
Marx peut attendre (2021), un
­documentaire revenant sur le
suicide, en 1968, de son frère ju-
meau, Camillo, également dé-
d’embrasser la marche vers l’obs-
curité d’un pays entier, le cinéaste
a choisi la forme épisodique. Plu-
tôt qu’un feuilleton, Esterno notte
évoque un polyptyque, un tableau
en six panneaux, dont chacun
met en avant l’un des acteurs de la
­tragédie. Comme si, au fond d’une
église, on découvrait un
chef-d’œuvre consacré à un mar-
tyr, dont l’image glorieuse et dou-
loureuse est entourée des repré-
sentations de ses bourreaux, de
ceux qui l’ont trahi ou l’ont aimé.
Une fluidité stupéfiante
Chaque épisode de la série diffusée
sur Arte – on peut dire aussi cha-
que chapitre de ce film, qui porte si
profondément l’empreinte de son
auteur – pousse d’abord au pre-
mier plan Aldo Moro lui-même
(Fabrizio Gifuni), que l’on voit se
démener pour convaincre ses col-
lègues de la Démocratie chré-
tienne de former une supermajo-
rité parlementaire avec le Parti
communiste italien, processus
alors désigné sous le nom de
« compromis historique ». Il s’agit
de faire sortir l’Italie de la nasse
­politique dans laquelle l’ont enfer-
Au premier plan,
le pape Paul VI
(Toni Servillo)
et Aldo Moro
(Fabrizio Gifuni)
dans « Esterno
notte », de Marco
Bellocchio.
ANNA CAMERLINGO
voilé à Cannes. C’est que, chez
l’Italien, l’intime commerce sans
cesse avec le politique : « En 1978,
j’étais à Rome quand Moro a été
enlevé. Je n’imaginais pas que les
brigadistes iraient jusqu’à le tuer,
après cinquante-cinq jours de
­captivité. Sa mort m’a laissé stupé-
fait, égaré. Dix ans plus tôt, je
n’étais pas parvenu, de même, à
pressentir que mon frère mettrait
fin à ses jours. Ce manque de
­sensibilité, d’intuition, cette inca-
pacité à comprendre certains des-
tins a été le moteur du documen-
taire comme de la série. »
mée trois décennies d’hégémonie
démocrate-chrétienne. ­Bellocchio
et son acteur montrent Moro
comme un ascète de la politique,
mû autant par ses analyses histori-
ques que par une foi catholique
omniprésente dans sa vie publi-
que et dans sa triste vie privée.
Eleonora (Margherita Buy), son
épouse, s’est éloignée de lui, ce qui
ne le dispense pas de s’étendre
chaque soir à son côté sur le letto
matrimoniale.
Il faudrait être très fin connais-
seur de l’histoire italienne pour
mesurer la part d’hagiographie
que Marco Bellocchio met dans ce
portrait d’Aldo Moro. Elle procède
« Esterno notte »
est tout entier
façonné
par l’imaginaire
catholique, dans
ce qu’il a de plus
doloriste
« Je pense avoir réussi
à injecter un peu
de ma sensibilité,
de ma culture,
de mon expérience
dans cette histoire »
Marco Bellocchio
certainement d’une empathie sin-
cère pour cet homme qui, malgré
sa propension à la contrition, a re-
fusé jusqu’au bout sa condition de
martyr, adjurant ses compagnons
de le sauver, fût-ce au prix de né-
gociations avec les Brigades rou-
ges. Cette image finalement assez
simple permet aussi au cinéaste
de mettre en relief la complexité,
et souvent la noirceur, des autres
acteurs du drame, en l’occurrence
le ministre de l’intérieur et futur
président de la République Fran-
cesco Cossiga (Fausto Russo Alesi),
le pape Paul VI (Toni Servillo), la
brigadiste Adriana Faranda (Da-
niela Marra) et Eleonora Moro.
Le scénario (de Bellocchio, Ste-
fano Bises, Ludovica Rampoldi et
Davide Serino) parvient avec une
fluidité stupéfiante à concilier ces
changements d’axe et la chronolo-
gie des événements. Alors que
Buongiorno, notte, avec ses images
empruntées à la cinématographie
soviétique et au Païsa (1947) de
Rossellini, et sa séquence mettant
en scène de vieux partisans com-
munistes célébrant la résistance
au fascisme, puisait dans l’icono-
graphie révolutionnaire, Esterno
Ne vous fiez ni à sa durée – cinq
heures –, ni à l’abondance des
moyens déployés, ni à son parti
pris « extérieur » : Esterno notte
est une œuvre éminemment per-
sonnelle, ressassant les obses-
sions du maestro émilien. L’entre-
choc des instincts et des institu-
tions. La confrontation des pul-
sions les plus tapies et des
puissances italiennes – l’Etat,
l’Eglise, la famille, la mafia. L’élan
introspectif et le crescendo opéra-
tique – Giuseppe Verdi, marotte
de Bellocchio et grand tragédien
du Bel Paese, n’est jamais loin. Un
notte est tout entier façonné par
l’imaginaire catholique, dans ce
qu’il a de plus doloriste. Paul VI,
que Moro appelle au secours
­depuis sa prison, a beau être le diri-
geant de l’unique superpuissance
religieuse de ce temps (il faudra
­attendre encore quelque mois
pour voir naître la République isla-
mique d’Iran), il se ceint d’un cilice
pour se punir de rester finalement
sourd à cette prière.
Représentations cruelles
Cossiga fait un Judas imparfait,
dans la mesure où, contrairement
à ce qu’il promet (son retrait de la
vie politique), il fera fructifier ses
trente deniers, et les apparitions
fugitives de Giulio Andreotti (Fa-
brizio Contri) laissent une impres-
sion satanique fort troublante. Jus-
qu’à Adriana Faranda, complice
mais pas actrice directe de l’enlève-
ment et des meurtres, qui se con-
duit dans sa vie de tous les jours
comme une bonne paroissienne.
Athée, Marco Bellocchio com-
pose ainsi un requiem pour l’Italie
catholique, qui va bientôt être sub-
mergée par une autre vague, faite
de télé-réalité et de célébration de
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
plan montrant l’affiche d’Ames
perdues (1977), du réalisateur et
psychiatre Dino Risi, donne le
« la » : ce n’est pas dans une série
mais dans la psyché du cinéaste et
de ses compatriotes que vous
plongerez. « Je pense avoir réussi à
injecter un peu de ma sensibilité,
de ma culture, de mon expérience
dans cette histoire. A mes yeux, ce
ne sont pas des greffes, des bizarre-
ries, des “interventions cultu­-
relles” ; toutes ces choses sont, au
contraire, profondément liées. »
Insomniaques, assaillis de vi-
sions cauchemardesques, les
la corruption. On sent souvent de
la nostalgie dans ces compositions
solennelles, représentations cruel-
les mais respectueuses de rituels
en voie d’obsolescence. Ce qui
n’empêche pas Esterno notte de
mettre aussi en scène les ques-
tions sans réponse de l’affaire
Moro, celles qui naissent à chaque
apparition de Steve Pieczenik (Tim
Daish), le conseiller envoyé par la
Maison Blanche aussi bien pour
gérer la prise d’otage que pour
écarter la menace du « compromis
historique » (la guerre froide est
loin d’être finie) ; ou ces plans sur
les visages et les épaulettes des
­officiers supérieurs réunis en état-
major de crise, dont l’histoire nous
a appris que nombre d’entre eux
étaient des factieux. Ces éclairs de
colère donnent assez de lumière
pour que l’on sente peser toute
l’épaisseur de la nuit. p
Thomas Sotinel
Série réalisée par Marco
Bellocchio. Avec Fabrizio Gifuni,
Margherita Buy, Toni Servillo,
Fausto Russo Alesi, Daniela
Marra (Italie/France, 2022).
Sur Arte.tv à la demande.
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023 Culture | 21

Ludovic Tézier fait d’Hamlet

un clown sombre et habité
Krzysztof Warlikowski réhabilite l’œuvre romantique d’Ambroise
Thomas à l’Opéra de Paris, où la production est visible jusqu’au 9 avril

Opéra

vient le Sicilien. Ça m’a aidé à
Insomniaques, comprendre mon personnage, qui,
durant la captivité de Moro, perd
assaillis de visions presque tout : son ami, son poste
cauchemardesques, de ministre, et même la raison – il
souffre de bipolarité… » Le dehors,
les personnages miroir du dedans, et vice versa.
Du grand caméléon de la politi-
errent hagards dans que transalpine, Giulio Andreotti,
une Rome ténébreuse Bellocchio ne filme que l’anima-
lité viscérale – les crises de vomis-
sement, l’appétit dévorant, les
­ ersonnages errent hagards dans
p grognements. Habituée des films
une Rome ténébreuse, que l’un de Nanni Moretti, Margherita Buy
d’eux compare à un « labyrinthe », interprète l’épouse de Moro.
tout d’églises obscures, de palais ­« Paradoxalement, c’est par son
déserts, de plateaux de cinéma ir- aspect extérieur, auquel elle prê-
C
es dernières années,
Hamlet est sorti du pur-
gatoire où il croupis-
sait, comme nombre
d’opéras du répertoire romanti-
que français, depuis la fin de la se-
conde guerre mondiale. En té-
moigne la version montée par
­Cyril Teste en 2018, à l’Opéra­-
Comique. L’œuvre d’Ambroise
Thomas (1811-1896), créée
en 1868, n’avait cependant ja-
mais été donnée à l’Opéra de Pa-
ris depuis les représentations de
1938 au Palais Garnier. Une mis-
sion de réhabilitation confiée à
l’Opéra Bastille et à Krzysztof
Warlikowski, auréolé du Hamlet
de Shakespeare qui l’imposa au
Festival d’Avignon en 2001.
Comme dans Iphigénie en Tau-
ride, tragédie lyrique de Gluck,
présentée à Garnier en 2006,
le metteur en scène polonais a si-
tué l’action dans une maison
de retraite, imposant flash-back
et nostalgie. Son Hamlet est un
vieux poussin. Négligé, la démar-
che lourde, il survit dans un éta-
blissement pour personnes dé-
pendantes avec sa mère caco-
chyme clouée dans un fauteuil
roulant, mais aussi avec sa folie,
ses souvenirs. La noyade de sa
fiancée, Ophélie, qui s’est suicidée
par amour, le meurtre du père
dont il n’a pu venger l’honneur, Le Spectre (Clive Bayley), Gertrude (Eve-Maud Hubeaux) et Hamlet (Ludovic Tézier). Bernd Uhlig/ONP
et cette femme adultère régicide,
qu’il ne peut cesser d’aimer
de manière œdipienne. monologue « Etre ou ne pas être », plesse et émotion. L’acte Hamlet, d’Ambroise Thomas.
nourri d’un insondable chagrin. du Meurtre de Gonzague, pièce Mise en scène de Krzysztof
Virtuosité sans faille L’ogre Tézier aurait pu ne faire de baladins commanditée par Warlikowksi, chorégraphie
Un grand espace au décor spar- qu’une bouchée d’Ophélie. Mais Hamlet pour confondre Claudius, de Claude Bardouil, dramaturgie
tiate – un lit, une table, quelques Lisette Oropesa possède un so- sera l’occasion de faire monter de Christian Longchamp.
chaises –, délimité par des cloi- prano pur, au médium bronzé, sur le plateau le saxophone alto, Avec l’Orchestre et les Chœurs
sons transparentes ou munies aux aigus solaires, une virtuosité dont Ambroise Thomas a écrit de l’Opéra national de Paris,
de barreaux. L’intrigue se déroule sans faille et une diction parfaite- le premier solo à l’opéra. Moment sous la direction de Pierre
à l’avant-scène, mais aussi dans ment intelligible. Sa scène de poignant et vertigineux, qui Dumoussaud.
ce laboratoire carcéral de la folie, la folie, en déshabillé, au pied verra Daniel Gremelle déraper en Opéra Bastille, Paris 12e.
à l’arrière, dont l’on devine d’une baignoire dans laquelle une délirante improvisation free- Jusqu’au 9 avril à 19 h 30.
les pensionnaires en camisole. elle se laissera couler, est saisis- jazz, mimétique de l’insoutena- De 15 € à 190 €. Operadeparis.fr
A cour, un long couloir latéral, par sante. Tout comme son retour ble vérité qui vient d’éclater à la Diffusion le 30 mars à 19 h 30
lequel entrent et sortent les per- muet à la fin, frêle et poétique sil- face de tous. p sur Arte Concert et le 22 avril
sonnages, l’un d’entre eux, muet houette de jeune fille à genoux Marie-Aude Roux à 20 heures sur France Musique.
– personnification de la psyché dispersant ses propres cendres
d’Hamlet –, épuisant sa fureur tel d’une urne funéraire.
un lion en cage. Le couple royal adultérin se si-
Ce va-et-vient permanent entre gnale vocalement par des voix
présent et passé, cette porosité sombres et graves. Eve-Maud

Salle GAVEAU présente

réels. L’enquête la plus décisive
sur les années de plomb, réalisée
entre 1989 et 1992 par le journa-
liste Sergio Zavoli, ne s’intitulait-
elle pas La notte della Repubblica
(« la nuit de la république ») ? Dans
Esterno notte, Toni Servillo in-
carne le pape Paul VI. « Marco
sonde une zone sombre de nos
consciences, estime le comédien
napolitain. Il nous offre une aven-
ture cognitive, plus qu’un témoi-
gnage. Un cinéaste n’est ni juge ni
historien ; il doit troubler, secouer,
ne pas nous rendre indifférents les
uns aux autres. »
Fabrizio Gifuni prête, lui, ses
traits à Aldo Moro, comme il
l’avait fait dans Piazza Fontana
(2012), le long-métrage de Marco
Tullio Giordana, puis dans un
monologue théâtral qui a impres-
sionné Bellocchio, Con il vostro ir-
ridente silenzio. « L’une des pre-
mières scènes que nous avons
tournées était la confession finale
de Moro, dans laquelle il déploie
tout le spectre de ses pulsions : la
douceur, la piété, la bonté, mais
aussi la haine, les menaces, les ma-
lédictions, énumère l’acteur. Il fal-
lait s’éloigner de l’image de saint et
de martyr dont jouit Moro dans
l’imaginaire collectif. Marco m’a
incité à m’abandonner, à oublier
certaines facettes de cet homme
que je connais trop bien. »
Acteur fétiche de Bellocchio,
Fausto Russo Alesi campe le mi-
nistre de l’Intérieur, Francesco
Cossiga. « Marco m’a demandé de
maigrir substantiellement, se sou-
tait très peu d’attention, que je suis
entrée dans la peau de cette mère
de famille », raconte l’actrice.
Dialectique en diable
En entretien, Bellocchio s’avère du
même bois que son art, dialecti-
que en diable. « Les brigadistes exi-
geaient d’être reconnus par des ins-
titutions qu’ils ne reconnaissaient
pas. Curieux, non ? », fait-il mine de
s’interroger. Et de digresser : « Le
désir acharné d’Aldo Moro de rester
en vie a été présenté, dans la presse
de l’époque, comme un accès de dé-
mence. Vouloir mourir ne vous
semble-t-il pas, au contraire, plus
proche de la folie ? Du reste, il y a
quelque chose de suicidaire dans le
choix, par l’extrême gauche comme
par la Démocratie chrétienne, de
sacrifier Moro. Sa mort marque le
début de la dissolution de ces deux
forces politiques en Italie. »
Un autre enlèvement sera au
cœur du film qu’il finissait de tour-
ner, fin janvier, à Bologne – celui
d’un enfant juif, Edgardo Morata,
par le Vatican, en 1858. « Le pouvoir
temporel de l’Eglise touchait à sa
fin, relève le cinéaste. Capturer et
rééduquer Morata était, pour le
pape, une manière de ralentir cette
chute. C’est ainsi que les dictatures
s’y prennent, quand elles sont me-
nacées. » A ce jour, le film s’intitule
La Conversion. Un titre que l’on
pourrait apposer à l’œuvre entière
de Marco Bellocchio – vouée,
comme nulle autre, à scruter les
bascules de la Péninsule. p
Aureliano Tonet
entre vie et mort induisent un
renversement temporel perma-
nent, comme si le sablier ne ces-
sait de se retourner. Ainsi Ophé-
lie, redevenant la petite fille qui
sautait sur les genoux d’Hamlet.
Ainsi la reine Gertrude, recou-
vrant sa beauté souveraine en te-
nue Années folles… avant d’être
déshabillée par son fils jaloux
et violent, quasiment étranglée
et contrainte de se mettre au lit
avec lui. Même le spectre du père
assassiné, sorte de clown blanc
aux ongles noirs à la Nosferatu,
semble ne plus véritablement
enjoindre à son fils la vengeance
mais se jouer de lui, distillant re-
gards et sourires ambivalents
empreints de maléfice (les visa-
ges en gros plan des vidéos de
Denis Guéguin).
Pour incarner cet Hamlet de-
venu triste clown, double inversé
de son père, l’indépassable Ludo-
vic Tézier. Rarement le baryton
français aura été aussi investi scé-
niquement. Quant à la perfor-
mance vocale, elle laisse pantois.
Par l’amplitude des moyens,
la perfection de la conduite mélo-
dique, son volume, sa projection,
sa longueur, véritable leçon
de noblesse et de naturel, proso-
diquement lumineux. Empressé
et amoureux dans le premier duo
avec Ophélie, démiurgique et or-
giaque dans la chanson bachique
(« O vin, dissipe ma tristesse »), en-
fin d’une violence implacable,
presque rageuse, dans l’affronte-
ment avec sa mère, sans oublier le
­Hubeaux offre à la reine Gertrude
le timbre corsé de son mezzo so-
nore et une incarnation affolée,
La
dont la terreur coupable explose
dans le duo de torture qui ­la con-
fronte aux accusations d’Hamlet. Lundi 20 mars à 19h00
Le Claudius de Jean Teitgen s’im-
pose par le métal d’une voix
Série CONFÉRENCES
basse homogène sur toute la tes-
siture. Si le Spectre de Clive Bayley
semble plus séducteur qu’ef- Bernard
CAZENEUVE
frayant, les amis d’Hamlet tirent
leur épingle du jeu, du Laërte de
Julien Behr au Marcellus de Julien
Henric, en passant par l’Horatio
de Frédéric Caton. Rôle court,
le Polonius de Philippe Rouillon «QUEL SENS DONNER
est noir à souhait. À NOTRE NATION ?»
Préparés par Alessandro Di Ste-
fano, les Chœurs de l’Opéra de Pa-
ris ont fait forte impression dans
le deuil comme dans la joie, tan-
dis que Pierre Dumoussaud, rem-
Samedi 13 mai à 20h30
plaçant dans la fosse Thomas Série JAZZ À GAVEAU
Hengelbrock, faisait de beaux dé-
buts lyriques à l’Opéra Bastille,
prouvant une indéniable maî-
trise dramaturgique, soulignant China
MOSES
phrasés et dynamiques avec sou-
et ses musiciens
Le metteur en
scène polonais CLASSICAL
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22 | Culture
Dans le Val-de-Marne,
la danse en héritage
La biennale, organisée jusqu’au 6 avril,
remonte des pièces historiques signées
Dominique Bagouet ou Lucinda Childs
Danse
I
l y a des « oh » d’ébahisse-
ment, des « ah » d’admira-
tion, des souffles et des sou-
pirs, du silence et les glou-
glous sereins d’une fontaine. Cette
façon innée de faire circuler des
bulles de vie pour laisser respirer
sa danse signe le geste de Domini-
que Bagouet (1951-1992), figure
de la scène contemporaine des
années 1980. Dans Necesito, pièce
pour Grenade, créée en 1991, un an
avant la mort de l’artiste, une inef-
ficacité rêveuse se répand entre
les neuf danseurs. Une bande de
touristes perdus dans l’Alhambra
se transforment soudain en per-
sonnages de bande dessinée
échappés des murs millénaires.
Sur le fil de cette « pièce de va-
cances », comme l’avait baptisée
Bagouet, on peut voir « une reine
en extase, un émir qui pleure, une
infante qui rêve, un torero pol-
tron… » Mais, tout simplement,
des silhouettes burlesques cro-
quées en deux coups de chaus-
sons par le chorégraphe qui savait
conjuguer gravité et légèreté.
Ce spectacle a ouvert, vendredi
10 mars, au Perreux-sur-Marne,
la Biennale de la danse du Val-de-
Marne, qui se déroule jusqu’au
6 avril dans vingt-cinq salles et vil-
Vivre l’art autrement
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les du département. Sa présenta-
tion est un événement. Il a été re-
monté en 2022 pour la première
fois, dans le cadre du Conserva-
toire national supérieur de musi-
que et de danse de Paris. Il sera dif-
fusé dans différents théâtres, sou-
lignant le pan historique de la
22e édition de l’événement dirigé
par Sandra Neuveut. « L’écriture de
Bagouet, avec son souci du détail
dans la multiplicité des corps, ne se
retrouve plus aujourd’hui sur scène
et manque, confie-t-elle. Sa dispa-
rition a marqué une rupture esthé-
tique, car elle est survenue au mo-
ment de l’hécatombe du sida. Ça a
été l’un de mes premiers émois,
lorsque j’étais étudiante à Montpel-
lier, et cela reste inoubliable. »
Passage de relais
Dans un programme varié où la
diversité porte les noms d’artistes
portugais, comme Tania Carvalho
et Marco da Silva Ferreira, ou
du Brésilien Volmir Cordeiro,
la question du passage de re-
lais joue sur différentes époques
et esthétiques. Parallèlement
à Necesito, pièce pour Grenade, le
best-seller Dance (1979) par la star
américaine Lucinda Childs, parte-
naire de Bob Wilson, est à l’affiche.
Dans un autre registre, plus per-
formatif, la Sud-Africaine Robyn
en partenariat avec
« Necesito, pièce
pour Grenade »,
de Dominique
Bagouet,
au Théâtre
de l’Agora,
à Montpellier,
le 2 juillet 2022.
LAURENT PHILIPPE
Orlin a confié les clés de son
­premier solo, créé en 1994,
à New York, In a Corner the Sky
Surrenders… à la chorégraphe ivoi-
rienne Nadia Beugré, qui a, elle,
transmis une partie de son spec-
tacle, Legacy (2014), à une dizaine
de femmes amatrices. « J’aime
l’idée que la biennale fasse lien en-
tre les pièces et les générations dif-
férentes d’artistes, de spectateurs
et d’amateurs, ajoute Sandra Neu-
veut. C’est notre responsabilité
de partager de grandes œuvres
pour les conserver vivantes. »
Necesito, pièce pour Grenade est
dansé avec une fougue méticu-
leuse par neuf préprofessionnels
de l’Ensemble chorégraphique du
Conservatoire national de musi-
que et de danse de Paris. Cette ins-
titution qui privilégie d’ordinaire
les soirées faites d’extraits a pour
une fois choisi de présenter l’inté-
grale d’un spectacle. Curieuse-
ment, le choix de Cédric Andrieux,
directeur des études chorégraphi-
ques, s’est porté sur cet opus ul-
time tombé dans les limbes. « C’est
précisément pour cette raison, et
parce qu’il m’avait enthousiasmé,
moi, jeune danseur vivant à Brest
et le découvrant en 1991, que j’ai eu
envie de le mettre au programme.
Je m’en souviens nettement
et j’aimais surtout la façon dont
il abordait la question des person-
nages dans la danse. »
Comme pour les œuvres de
Pina Bausch (1940-2009), Nece-
sito, pièce pour Grenade a été trans-
mise par l’une des danseuses, Rita
Cioffi. Elle a été soutenue par l’as-
sociation Les Carnets Bagouet,
fondée en 1993 par ses collabora-
teurs pour perpétuer son œuvre.
Depuis trente ans, ce groupe
de fervents maintient la ligne ges-
tuelle subtile du chorégraphe.
« C’était la dernière création de
­Dominique avant qu’il ne prenne
six mois sabbatiques, indique Rita
Cioffi. Il planait un état d’esprit li-
béré. Il s’était inspiré de l’histoire
de Boabdil, dernier émir arabo-an-
dalou et souverain de Grenade qui,
à l’arrivée des rois catholiques, pour
éviter la destruction de la ville, pré-
féra partir, laissant sa ville intacte. »
Le Centre Pompidou s’installe en
Arabie saoudite… et s’étend en Corée
L’institution parisienne vient de conclure un contrat d’ingénierie
culturelle avec le site d’Al-Ula, dans le Nord-Ouest saoudien
C’ est le signe d’un ré-
chauffement des rela-
tions entre l’Arabie
saoudite et la France, et pour les
opérateurs culturels tricolores
une petite victoire face à leurs ho-
mologues anglo-saxons. Le Cen-
tre Pompidou a signé, le 12 mars,
un contrat d’ingénierie culturelle
pour développer un projet muséal
de grande ampleur consacré aux
artistes du monde arabe, dont
l’ouverture est prévue pour 2027-
2028 sur le site nabatéen d’Al-Ula,
dans le nord-ouest du royaume.
En novembre 2019, déjà, Laurent
Le Bon, alors directeur du Musée
Picasso, avait fait partie de la délé-
gation du ministre de la culture
de l’époque, Franck Riester, seul
homme politique français en
exercice à se rendre à Al-Ula un an
après l’assassinat sordide du jour-
naliste saoudien Jamal Khashoggi.
Le contrat, dans les tuyaux de-
puis la visite d’Emmanuel Ma-
cron à Riyad en 2021 et validé par
les deux parties depuis 2022, n’at-
tendait plus que le déplacement
de Rima Abdul Malak en Arabie
saoudite, les 11 et 12 mars, pour
être signé par Laurent Le Bon, dé-
sormais président du Centre
Pompidou, et Nora Aldabal, direc-
trice arts et culture à la Commis-
sion royale pour Al-Ula. L’accord
prévoit plusieurs phases d’ac-
« La biennale fait
lien entre les pièces
et les générations
d’artistes,
de spectateurs
et d’amateurs »
Sandra Neuveut
directrice de la Biennale
de la danse du Val-de-Marne
A partir de ce récit, Bagouet, qui
visita Grenade pour l’occasion,
part sur les traces des fantômes de
l’Alhambra et sculpte neuf solos.
« J’ai travaillé sur ma mémoire
et avec des vidéos, poursuit Rita
Cioffi. Certains interprètes de l’épo-
que, dont Olivia Grandville, Syl-
vain Prunenec et Fabrice Ramalin-
gom, sont aussi venus faire répéter
les jeunes, car il y a une dose de cho-
ses très personnelles dans chaque
solo qu’il faut que chacun s’appro-
prie sans devenir un clone. » Pour
un résultat final bluffant de grâce.
A l’opposé de ce registre visuel
pointilliste, Dance, de Lucinda
Childs, envahit l’espace scénique
par rafales. Les vrilles musicales
de Philip Glass, dans lesquelles
se lovent les boucles chorégraphi-
ques, répercutées par les images
compagnement, un conseil en
conservation, une politique d’ex-
positions et de prêts d’œuvres,
ainsi qu’un programme scientifi-
que de conférences et une straté-
gie éducative. D’après nos infor-
mations, les deux parties dispo-
sent de trois mois pour négocier
les contreparties financières.
Le Centre Pompidou entre dans
la danse alors que le futur musée
a commencé depuis un an ses ac-
quisitions, qui ont porté, notam-
ment, sur des ensembles impor-
tants d’œuvres du peintre souda-
nais Ibrahim El-Salahi et de son
confrère algérien Rachid Koraïchi.
Une manne qui vient à point
Mais le Centre Pompidou vise
aussi l’Asie. D’après nos informa-
tions, le musée vient d’activer
un partenariat avec la Fondation
Hanwha, liée à un conglomérat
d’entreprises sud-coréennes pré-
sent dans la finance, l’armement
et les énergies renouvelables,
moyennant une enveloppe de
20 millions d’euros sur qua-
tre ans, qui donne droit à l’usage
de la marque « Centre Pompi-
dou ». Selon le protocole d’accord,
que Le Monde a consulté, Beau-
bourg se verrait confier la pro-
grammation de dix expositions
annuelles dans un bâtiment de
11 500 mètres carrés à Séoul, dont
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
projetées des dix-sept danseurs,
activent une boule à facettes ver-
tigineuse. A l’affiche le 2 février,
au Toboggan, à Décines-Charpieu
(Rhône), Dance, par le Ballet
de l’Opéra de Lyon, mérite son ti-
tre. Ruissellement de notes et
de pas bondissants tellement im-
briqués les uns dans les autres
qu’on les croirait nés ensemble,
ce spectacle lève une houle qui
flirte avec l’infini.
Pour cette reprise, l’artiste a de-
mandé à la cinéaste Marie-Hélène
Rebois de refaire à l’identique,
plan par plan, avec les interprètes
lyonnais, le film originel de Sol
LeWitt conçu avec Childs elle-
même et sa troupe en 1979. « Je
pense que c’est la meilleure façon
de conserver le travail vivant, en
restant fidèle au concept de LeWitt,
qui tenait à ce que les danseurs
du film soient ceux que l’on voit sur
scène », précise-t-elle. Le temps ga-
lope, Dance court plus vite. p
Rosita Boisseau
Biennale de danse du
Val-de-Marne. Jusqu’au 6 avril.
Necesito, pièce pour Grenade, de
Dominique Bagouet. Le 18 mars,
à Maisons-Alfort ; le 1er avril
à Vincennes. Dance, de Lucinda
Childs. Du 16 au 18 mars,
à Créteil. Labriqueterie.org
la rénovation sera assurée par l’ar-
chitecte Jean-Michel Wilmotte.
Une manne qui vient à point
nommé, au moment où le Centre
Pompidou, qui accuse en 2022 un
trou budgétaire de 3,6 millions
d’euros, doit financer son pro-
gramme culturel, prévu pendant
des travaux d’ampleur condui-
sant à la fermeture totale du mu-
sée de la fin de 2025 à 2030.
Ces nouvelles perspectives per-
mettent aussi de compenser
d’autres initiatives qui battent
de l’aile. Comme c’est le cas à Ma-
laga (Espagne), où la bouture du
Centre Pompidou a accueilli un
peu plus d’un million de visiteurs
depuis son ouverture, en 2015,
une fréquentation moindre que
celle qui était attendue. Si le maire
andalou espère prolonger le par-
tenariat de manière anticipée,
le musée parisien n’y consentirait
que si le volet financier, qui lui
rapporte un peu plus de 2 millions
d’euros par an, est revu à la hausse.
Quant à l’avenir du Centre Pom-
pidou à Shanghaï, dont l’ouver-
ture, en 2019, a été plombée par
trois années de Covid-19, il sera
probablement au menu lors du
prochain déplacement en Chine
d’Emmanuel Macron, prévu pour
le début d’avril, destiné à relancer
les relations sino-françaises. p
Roxana Azimi
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
« Cash Investigation », retour sur dix ans d’enquêtes
L’émission menée par Elise Lucet propose un numéro spécial, avec des sujets plébiscités par les téléspectateurs
France 2
Jeudi 16 – 21 h 10
Magazine
D
ix ans, cela se fête !
­Cotillons, bougies, gâ-
teau… rien ne manque
à l’entame de l’émis-
sion anniversaire – la soixan-
tième – de « Cash Investigation »,
toujours présentée par Elise Lu-
cet. Mais quand on a pour réfé-
rence intellectuelle revendiquée
Guy Debord (par son cofondateur
Jean-Pierre Canet), situationniste
et auteur de La Société du specta-
cle (1 967), on se ressaisit vite.
De brefs extraits d’archives non
datées s’enchaînent, particulière-
ment bien choisis. « Est-ce que
c’est “Cash Investigation” ou
“Trash Investigation” ? », inter-
roge ainsi Me Eric Dupond­-
Moretti ; « Parfois j’ai un peu honte
de faire le même métier qu’elle
[Elise Lucet] », déclare Pierre Mé-
nès. Mais il ne sera plus question
de l’ex-chroniqueur sportif,
­contre lequel la justice a requis, le
8 mars, huit mois de prison avec
sursis pour « atteintes sexuelles »
présumées.
Pour ses 10 ans, « Cash Investi-
gation » a en effet choisi de son-
der ses téléspectateurs. Côté
audiences, trois thèmes sortent
du lot : l’évasion fiscale (13 émis-
sions sur 59 diffusées), Les Secrets
inavouables de nos téléphones
Une critique de l’Amérique provinciale et bourgeoise des années 1950
Sorti en 1956, « Tout ce que le ciel permet », de Douglas Sirk, dénonce les préjugés et barrières de classe, avec Jane Wyman et Rock Hudson
Ciné+ Classic
Jeudi 16 - 20 h 50
Film
C’ est un des sommets de
la dernière partie de la
carrière hollywoo-
dienne de Douglas Sirk. Son art
du mélodrame atteint son apo-
gée. Produit par Ross Hunter
pour Universal en 1956, Tout ce
que le ciel permet (pour une fois
bonne traduction littérale du titre
original, All That Heaven Allows)
contient de manière incroyable-
ment condensée l’ensemble des
GRILLE N° 23 - 064
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V ment. VIII. Doublé en ville. Influence
VI
VII
VIII
IX
X 3. Préparée au four. Bouts de zinc.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 063
HORIZONTALEMENT I. Traits d’union. II. Rai. Enivré. III. Oignons. Cent.
IV. Péritoine. Et. V. Prestige. Méo. VI. Eau. Arnica. VII. Rire. Sagesse.
VIII. Ce. Ti. Tep. Au. IX. Unions. Ors. X. Sténographie.
VERTICALEMENT 1. Trop-perçus. 2. Raieraient. 3. Aigreur. Ie. 4. Nis. Eton.
5. Trotta. Ino. 6. Noirs. Sg. 7. Désignât. 8. Un. Neigera. 9. Nice. Cep.
10. Ive. Mas. Oh. 11. Ornée. Sari. 12. Nettoyeuse.
L’émission anniversaire de l’émission sera aussi son soixantième numéro. PLTV - FTV
portables (3,6 millions de télés-
pectateurs le 4 novembre 2014) et
Travail, ton univers impitoyable
(3,8 millions le 26 septem-
bre 2017), sur les conditions de
travail chez Free et chez Lidl.
Lidl, nitrite et évasion fiscale
Lidl figurant aussi parmi les en-
treprises les plus citées en ré-
ponse à l’appel d’Elise Lucet sur
préoccupations du cinéaste, ici
aidé de ses collaborateurs fidèles
et talentueux, Russel Metty à la
photographie, Frank Skinner
pour la musique, notamment.
Dans l’Amérique provinciale et
bourgeoise des années 1950, une
situation met à nu l’ensemble des
tensions qui traversent une com-
munauté rigidifiée par ses
­conventions. Une jeune veuve, in-
carnée par Jane Wyman, tombe
amoureuse de l’homme chargé
de l’entretien de son jardin. Il est
pauvre et plus jeune qu’elle, dou-
ble cause de scandale.
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
les réseaux sociaux, l’enquête est
reprise. Une enquête dramati-
que, puisqu’elle s’articule autour
des témoignages des proches de
­Catherine Le Bellec, mère de
deux enfants et responsable du
Lidl de Lamballe (Côtes-d’Armor),
qui s’est suicidée en juillet 2021, à
49 ans, victime de dénigrements
depuis l’arrivée d’un nouveau di-
recteur régional.
Lui, c’est Rock Hudson, incar-
nant une sorte de force tranquille
dans son refus des règles de la ci-
vilisation, et irradiant une éner-
gie érotique qui met en émoi
toute la population féminine et
accentue les frustrations sexuel-
les de la communauté.
Œuvre abstraite
Les projets de mariage des prota-
gonistes se heurtent ainsi aux rè-
gles sociales de la petite société et
aux refus des deux enfants, pour-
tant quasiment adultes, de la
femme. Cette progéniture,
HORIZONTALEMENT
I. Venu de la dixième province cana-
dienne. II. Rupture dans la continuité.
Glossine porteuse de maladie.
III. A trouver comme tous les autres.
Point dans l’eau. Patron normand.
IV. Couverte d’arbustes sauvages et
touffus. V. Décoration architecturale.
Vaut dix points à la belote. Bonne
carte. VI. L’affreux Arturo. Ordinaire,
comme tout le monde. Précieuses dé-
corations. VII. Dangereuse fermeture
intérieure. Courbai harmonieuse-
ses proches et suiveurs. IX. Culmine
dans les Cévennes. Forme d’avoir.
X. Répandent des fumées parfumées.
Monnaie romaine.
VERTICALEMENT
1. Préparée par un mauvais chef.
2. Nettoie les biberons et les canons.
4. Cours préparatoire. Limite la
course. 5. Relias les deux bouts.
Grande voie. 6. Tête de loup. Roulent
en piste. 7. Instrument à cordes.
8. Chez Joe. A soigné Garibaldi et pris
soin de Napoléon III. 9. Mettre bas
à la ferme. Risque de faire perdre du
temps. 10. Aussi. Pour ne pas oublier
ceux qui sont partis. 11. Préposition.
Dans le Loiret. 12. Obligations et
besoins.
Les internautes s’autorisent
également des critiques, en tête
desquelles : « Pourquoi la voix off
est-elle aussi exaspérante ? » Mais
la voix off n’aime pas les criti-
ques : « Vous savez ce qu’elle vous
dit, la voix off ? », réplique ainsi
Jean-Pierre Canet. Egalement
questionné sur la mise en scène
« lourdingue », voire bêtifiante, il
explique devoir compenser le
comme souvent chez Douglas
Sirk, incarne d’ailleurs une puis-
sance répressive et conformiste
très virulente et malfaisante.
Tout ce que le ciel permet devient
une critique radicale des préjugés
et barrières de classe ainsi que de
l’aliénation féminine. La reconsti-
tution en studio, qui enchaîne les
images de cartes postales et les
lieux artificiels, transforme le
film en une œuvre abstraite, deve-
nue champ de bataille de pures
idées et d’affects. La mise en scène
s’ingénie, avec un talent impres-
sionnant, à enfermer dans des ca-
sudoku
n°23-064
6 9
9 8
4 3
7 3 8 5
8 2
1 6 7 2 seule fois par ligne,
6 3 5 4
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Télévision | 23
côté « chiant » des sujets traités.
Chiants, les nitrites dans le jam-
bon ? La deuxième enquête rou-
verte est un cas d’école. En 2016,
Arnaud de Belloy, PDG d’Herta,
assurait que ne pas mettre de ni-
trite dans le jambon pouvait
s’avérer « extrêmement dange-
reux », alors que ces conserva-
teurs étaient classés cancérogène
probable par l’OMS. Or, cinq mois
plus tard, Herta commercialisait
le premier jambon sans nitrite de
France. « Un grand souvenir ! »,
commente Arnaud de Belloy
aujourd’hui à la retraite, avant
d’expliquer comment « Cash In-
vestigation » l’a servi.
Pour le troisième gros dossier
rouvert, sur l’évasion fiscale, on
ne peut que saluer l’idée de don-
ner la parole à un lanceur d’alerte,
Raphaël Halet. Entouré de sa fa-
mille, il peut enfin raconter
­comment, le 11 mai 2012, en regar-
dant « Cash Investigation », il a
réalisé que sa société luxembour-
geoise, PricewaterhouseCoopers,
était impliquée ; comment, sans
hésiter, il va contacter la rédac-
tion, transmettre des docu-
ments, prendre des risques…
Pourquoi ? Pour quelque chose
qui n’a pas de prix : pour son fils,
il « est un héros ». p
Catherine Pacary
Cash Investigation : 10 ans de
révélations (Fr., 2023, 116 min).
dres et des reflets l’héroïne, vic-
time de l’hypocrisie et des pres-
criptions morales de son milieu,
comme si elle était déjà visuelle-
ment emprisonnée dans son pro-
pre environnement.
En 1955, à la sortie américaine de
All That Heaven Allows, le New
York Times évoque tout juste le
nom du réalisateur qui a quitté
l’Allemagne nazie en 1938, l’heb-
domadaire Time l’élude complète-
ment, pour se concentrer sur le
casting, où figurent Jane Wyman
et Rock Hudson. Il faudra attendre
la redécouverte de Sirk par la criti-
2 8 4 5 3 7
3 7 9 4 6 1
1 6 5 9 2 8
7 1 6 3 7 2 5 4
4 1 8 6 7 9
9 5 2 8 1 3
5 4 1 3 9 6
8 9 6 7 4 2
7 2 3 1 8 5
Moyen
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
6 CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
par colonne et par
carré de neuf cases.
Notre
sélection
J eudi 16 mars
France 5
Baie de Naples, la colère
des volcans
21.00 Entourés par le Vésuve et
les champs Phlégréens, les trois
millions d’habitants de la baie
de Naples vivent dans l’un des lieux
les plus dangereux au monde.
Science grand format suit une
équipe d’experts qui tentent de
prédire et de prévenir les éruptions.
Canal+
Your Honor
21.00 Deux épisodes de la deuxième
saison de la série de Peter Moffat
racontant la rédemption d’un juge
déchu dans les bas-fonds de La
Nouvelle-Orléans. Moins surprenante,
elle laisse une place plus importante
à sa dimension de tragédie grecque.
Paris Première
Inglourious Basterds
21.00 La seconde guerre mondiale
revue et corrigée par Quentin
Tarantino, avec Mélanie Laurent,
Brad Pitt, Christoph Waltz…
Arte
Le Murmure de la forêt.
Quand les arbres parlent
23.45 Petra Höfer et Freddie
Röckenhaus se sont mis à l’écoute
des forêts, du véritable réseau de
communication entre arbres, dont
les hommes commencent seulement
à cerner le langage.
que française dans les années 1970
pour qu’il soit enfin respecté.
Rainer Werner Fassbinder tour-
nera, en 1974, une variation sur le
thème de l’amour empêché par
les barrières sociales et les
­conventions, en racontant, avec
Tous les autres s’appellent Ali.
En 2002, Todd Haynes proposera,
avec Loin du paradis, un pastiche
conceptuel dénué d’intérêt. p
Jean-François Rauger
Tout ce que le ciel permet, de
Douglas Sirk (EU, 1956, 86 min).
Avec Jane Wyman, Rock Hudson.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
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4 6 7
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Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
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Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
24 | Styles
Yves-Marie Le Bourdonnec confectionne ses paupiettes de veau et découpe araignée, bavette et faux-filet, dans sa boucherie de Bouhy. CLAIRE JACHYMIAK/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Un boucher superstar
en Bourgogne
Yves-Marie Le Bourdonnec s’est remis derrière le billot à Bouhy,
petite commune de la Nièvre, où il a repris la boucherie-charcuterie
locale. En renouant avec les joies simples de ses débuts
Gastronomie
Bouhy (Nièvre)
I
l y a un an, Yves-Marie Le Bour-
donnec rendait son tablier. En
février 2022, il décidait de
transmettre son groupe à ses
actionnaires éleveurs et annonçait
s’en tenir au rôle d’ambassadeur. La
star des bouchers (et le boucher des
stars) n’a pas été long à se remettre
derrière le billot, mais ce n’est pas
dans l’une des cinq boucheries qui
portent son nom, sises dans les ar-
rondissements chics de la capitale,
qu’on l’a retrouvé. Yves-Marie Le
Bourdonnec, qui fut l’un des pre-
miers, au début des années 2010, à
prôner la primauté absolue de la
qualité de la viande, à vanter le croi-
sement des races bovines et à pro-
fesser l’art de la maturation, dé-
coupe désormais araignée, bavette
et faux-filet en Puisaye, dans la bou-
cherie-charcuterie de Bouhy (Niè-
vre), commune de 460 habitants. Sa
résidence secondaire se trouve à
quelques kilomètres ; devenu sala-
rié du groupe qu’il a fondé, dont il
demeure la figure de proue même
s’il n’est plus impliqué dans la ges-
tion, il reconnaît ne plus avoir be-
soin de travailler dur pour gagner sa
vie. Mais la boutique désespérait de
trouver un repreneur et le che-
villard d’élite s’est laissé attendrir.
« Mes ex-associés me croient fou »,
confie-t-il.
On imaginait l’effet d’un classi-
que syndrome post-Covid de l’ur-
bain en rupture de ban, irrémédia-
blement attiré par le pays de Co-
lette. Erreur. « Je suis un garçon de
la campagne, mais j’aime bien Paris.
Je fais un choix un peu égoïste : re-
partir de zéro, renouer avec ce que
j’ai vécu à mes débuts. Et je suis
servi : arrivé en juin, la fleur au fusil,
je retrouve tous les emmerdements
de celui qui démarre », s’amuse
Yves-Marie Le Bourdonnec, tout en
vérifiant le parfait alignement des
plats de la vitrine réfrigérée. Cro-
que-monsieur (2,90 euros), langue
de bœuf (5,50 euros), bouchée à la
reine au ris de veau (3,90 euros), es-
cargots de Bourgogne (8,40 euros
la douzaine), pâté façon grand-
mère (14,90 euros le kilo), … « Je ne
fais rien de sophistiqué. » Le nou-
veau propriétaire de la boucherie-
charcuterie de Bouhy dit cela avec
un détachement qui ne trompe
personne. Il passe des heures à pré-
parer ses spécialités, ode au franc-
manger populaire. « Je travaillais
dans un groupe de cinquante sala-
riés, avec un directeur financier, j’ai
voulu tourner la page. J’étais trop
loin du billot », s’excuse-t-il pres-
que.
Ce n’est rien de dire que cet
homme aime son métier. A 55 ans, il
jubile de pouvoir enfin s’adonner
aux joies simples de la charcuterie,
spécialité qu’il a survolée dans sa
jeunesse et qu’il embrasse désor-
mais comme une passion trop long-
temps contenue. Fabriquer du sau-
cisson à l’ail lui procure un authen-
tique sentiment de fierté. Il se lève à
4 h 30, a pris des cours de cuisine -
« Je ne savais pas faire une bécha-
mel » - et met à contribution les ta-
lents de son épouse, Betty, qui ne
mangeait pas de viande lorsqu’elle
l’a rencontré. « On n’a pas besoin de
travailler, on est crevés mais on
adore ça », résume-t-il. Le copain qui
s’était proposé de se lancer avec lui
dans l’aventure, lui, a lâché l’affaire
au bout de deux mois. Le décorum
de la minuscule boutique dont il a
conservé la petite façade lie-de-vin
n’a pas bougé. Surtout pas. Il n’allait
pas afficher son nom sur la devan-
ture - « ça ferait trop parisien » - ou
singer la mise en scène des bouti-
ques du groupe Le Bourdonnec,
dont les teintes pastel évoquent
presque une pâtisserie. Hormis la
présence de quelques sacs gris es-
tampillés « I love bidoche », legs de sa
période « boucher-bohême », cette
boucherie de campagne demeure
dans son jus. Maître Le Bourdonnec
nous intronise dans l’un des deux
fumoirs (« J’ai toujours rêvé de ça : j’y
fais ma poitrine fumée et mon pas-
trami de bœuf ») où trône un
bouillon de cent ans, utilisé pour la
cuisson et que l’on renouvelle en
permanence. « C’est cela qui fait le
goût du pâté de tête ou du pied de co-
chon, comme le levain pour le bou-
langer », lance-t-il avec les yeux qui
brillent.
Ambiance « Tontons flingueurs »
La boucherie, qui fait aussi un peu
épicerie, est le centre de gravité de la
commune. C’est un ancien relais de
poste qui comprend également un
café-restaurant avec du papier peint
à fleurs et une ambiance de bistrot
des Tontons flingueurs gâchée par
le disgracieux mais indispensable
présentoir de la Française des jeux.
Dehors, il y a une pompe à essence.
Les ouvriers du coin viennent dé-
jeuner et l’endroit accueille les ri-
tuelles fêtes de la Saint-Vincent et de
la Saint-Eloi ainsi que le réveillon du
31 décembre (35 euros le menu).
Toujours en quête de viande digne
d’être maturée, Yves-Marie Le Bour-
donnec s’approvisionne auprès
d’un couple de médecins qui se sont
lancés dans l’élevage bio d’Angus,
race écossaise de petites vaches
Il s’approvisionne
auprès
d’un couple
de médecins
qui se sont lancés
dans l’élevage
bio d’Angus
­
0123
­Jeudi 16­ mars 2023
Recettes
Inspirées du patrimoine
local, les deux spécialités
du boucher célèbrent
une gastronomie
­franchouillarde assumée.
Les paupiettes
de veau
Pour 4 personnes :
Préparation : 1 heure.
Cuisson : 30 à 40 minutes.
Ingrédients :
4 escalopes de veau
200 g d’échine de porc
200 g de veau haché
une tranche de ventrèche
un oignon rouge
un verre de vin blanc
une tomate
persil
Couper très finement
4 escalopes de veau de 150 g.
Réaliser une farce avec 200 g
d’échine de porc et 200 g
de veau haché, ajouter
un demi-oignon rouge coupé
en petits cubes et un peu
de persil ciselé, sel et poivre.
Façonner 4 boulettes
de 100 g. Enrouler la farce
dans l’escalope en forme
de boule, entourer
d’une tranche de ventrèche,
ficeler l’ensemble en étoile.
Faire revenir les paupiettes
dans une cocotte avec
du beurre (salé), faire revenir
l’autre demi-oignon rouge
coupé finement, ajouter
une tomate et un verre
de vin blanc et faire cuire
le tout 30 à 40 minutes.
Servir avec du riz.
Les pieds
sans cornes, qui présente l’avantage de cochon
de parvenir rapidement à maturité
et dont la viande recèle peu de colla-
au sancerre
gène. « Le charolais, que l’on voit par- Pour 4 personnes
tout, ce n’est pas trop mon truc »,
souffle-t-il. Même s’il est loin des Préparation : 3 jours
prix de la capitale (« J’ai vendu la (salage), 2 heures (bouillon),
viande la plus chère de Paris », rap- 1 heure de mise en œuvre
pelle-t-il), le boucher sait que ce ne Cuisson : 6 heures
sont guère les gens de Bouhy qui
achèteront ce genre de spécialité. Ingrédients :
« Sans la clientèle des résidences se- 4 pieds de cochon
condaires, ce commerce ne pourrait Un bouquet garni
pas vivre », constate, réaliste, Yves- 300 g de couenne
Marie Le Bourdonnec. Perdue au 100 g d’échalotes
milieu de la campagne, loin de toute Un bouquet de persil
agglomération, la boucherie ne Du sancerre blanc.
croule pas sous la clientèle.
« Aujourd’hui, j’ai vu quoi, dix per- Réaliser une saumure avec
sonnes ? L’essentiel de mon chiffre du gros sel et une concoction
d’affaires, je le réalise du vendredi au de légumes. Mettre 4 pieds
dimanche et entre avril et septembre, avant de cochon dans
avec les Parisiens ». Dès lors, la la saumure pour 3 jours.
stricte rationalité économique exi- Faire dessaler dans
gerait de n’ouvrir qu’en fin de se- de l’eau claire les pieds
maine. Il ne veut pas en entendre de cochon une nuit.
parler : « Si je faisais ça, on serait dé- Réaliser un bouillon
testés ; je suis venu ici pour faire vivre avec un bouquet garni,
cette boucherie. » 300 g de couenne,
Parmi les nombreux clients, une et quelques os de cochon.
minorité connaît le pedigree du Faire cuire les pieds dans
« boucher venu de Paris ». Certains le bouillon tout doucement
considèrent que c’était mieux pendant 6 heures.
avant. Parmi les avis Google, l’un Défaire les pieds
s’indigne que « l’on ne trouve plus les dans un plat en enlevant
feuilletés du vendredi » et une autre tous les os à la main,
que « c’est devenu trop cher et trop ajouter 100 g d’échalotes
parisien ». D’autres, au contraire, in- ­ciselées finement,
sistent pour être servis par le patron 1 bouquet de persil haché
en personne et font des kilomètres et 2 verres de sancerre blanc.
pour repartir avec du fameux pied Mettre la farce obtenue
de cochon au sancerre (24,80 euros dans un récipient plat
le kilo) ou de la poularde farcie aux sur une épaisseur
cèpes (8,50 euros). Après avoir reçu de 2,5 cm, laisser figer
le titre de « Meilleur burger du une nuit au réfrigérateur.
monde » décerné par le New York Ti- Couper en bandes
mes, en 2010, le boucher de Bouhy la farce figée et passer
ne serait pas moins heureux de dé- au gril du four 3 à 4 minutes.
crocher celui de la meilleure bou- Accompagner d’une
chée à la reine de Puisaye. p salade de pommes
Jean-Michel Normand de terre tiède.

0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
Alain Supiot
Un gouvernement avisé
doit se garder
L
e fast thinking, le « prêt-à-penser »,
de mépriser la
peut être aussi néfaste à l’intelligence
que le fast-food à la santé. Parmi les
plats les moins recommandables qui
nous sont servis ces jours-ci dans les
médias figure l’opposition entre la
démocratie et la rue. Resservi ad nauseam ce
prêt-à-penser justifie par avance le happy end
démocratie sociale
de la réforme des retraites, qui ne pourrait
être que la victoire du bien démocratique sur
le mal anarchique. Or non seulement cette
présentation des choses méconnaît la nature
de notre démocratie, mais encore elle contri-
bue à la priver de l’une des jambes qui lui per-
met de marcher : sa jambe sociale.
La « société » visée par la Déclaration de
1789 était idéalement conçue comme un
corps homogène, composé d’hommes li-
bres et égaux (même si cet idéal fut aussitôt
trahi par la privation des femmes du droit
de vote, puis par la restauration de l’escla-
vage dans les colonies et l’exclusion des pau-
vres du corps électoral par le suffrage censi-
taire). Ainsi comprise comme une collection
d’individus tous semblables, la société poli-
tique ne pouvait admettre d’autre représen-
tation que celle qui était issue des élections,
d’où l’anéantissement de tous les corps in-
termédiaires par la loi Le Chapelier et le dé-
cret d’Allarde en 1791. Selon l’ironique obser-
vation de Tocqueville, « la notion de gouver-
nement se simplifie : le nombre seul fait la loi
et le droit. Toute la politique se réduit à une
question d’arithmétique ».
La démocratie sociale est un remède aux
insuffisances de cette conception purement
quantitative de la représentation politique.
Elle est née du choc de la révolution indus-
trielle et du constat que la société n’est pas le
corps politique homogène rêvé en 1789,
mais une « espèce de tout », selon l’expres-
sion employée dès le XVIIe siècle par Vauban
pour poser les bases de la statistique en tant
que science des Etats. Un tout, et non pas un
tas d’individus. Cette société, dont les en-
quêtes statistiques et la sociologie naissante
révélèrent au XIXe siècle l’hétérogénéité et
les dysfonctionnements, ne peut se mainte-
nir sans une foi partagée dans une certaine
idée de la justice. C’est cette exigence de jus-
tice qui conduisit, au XIXe siècle, les pays
européens, confrontés à la « question so-
ciale » des ravages humains de la révolution
industrielle, à poser les premières pierres
d’un « droit social » visant à protéger leurs
populations les plus fragiles, à commencer
par les femmes et les enfants des ouvriers.
« Nouveau management public »
Au tournant des XIX et XXe siècles, ce champ
nouveau du « social » a été étudié en France
par quelques grands juristes (Saleilles, Hau-
riou, Duguit) et sociologues (Fouillée,
Durkheim). Aux Etats-Unis, c’est surtout John
Dewey (1859-1952) qui a dénoncé les impas-
ses méthodologiques auxquelles aboutit
­l’assimilation de la société à une collection
d’individus, alors que ceux-ci se trouvent
soumis au pouvoir oppressif des grandes so-
ciétés de capitaux, auxquelles la loi a conféré
une existence juridique et une puissance
­économique illimitée en même temps
qu’une responsabilité limitée. Sauvegarder la
démocratie impose dès lors d’étendre à ce
pouvoir économique le principe établi par
Montesquieu, selon lequel « tout homme qui
a du pouvoir étant porté à en abuser (…) il faut
que, par la disposition des choses, le pouvoir
arrête le pouvoir ».
Cet impératif, qui a inspiré le New Deal aux
Etats-Unis et, en France, le préambule de la
Constitution de 1946, est d’une brûlante
­actualité à l’ère des GAFA [Google, Apple, Face-
book, Amazon] et des Uber, et plus générale-
La démocratie sociale
est un remède aux
insuffisances d’une
conception purement
quantitative de la
représentation politique
La stratégie du gouvernement qui oppose la légitimité
des urnes à la rue dans le conflit social
sur la réforme des retraites est fallacieuse, prévient
l’universitaire et juriste. L’action collective des
travailleurs, constitutive d’une citoyenneté sociale, est
essentielle à la vie démocratique
ment de la globalisation, qui facilite ce que
l’économiste américain George Stigler (1911-
1991) a nommé la « capture de la réglementa-
tion » par de puissants groupes d’intérêt pri-
vés. Capture normative dont l’Union euro-
péenne est devenue, on le sait, l’un des hauts
lieux, car son « déficit démocratique » y laisse
libre cours aux lobbys économiques.
L’une des formes les plus insidieuses de
cette capture de la démocratie par le pouvoir
économique est l’extension du modèle ma-
nagérial des grandes entreprises au « nou-
veau management public », qui refoule l’ex-
périence des agents et usagers des services
publics, au profit d’une expertise érigée en
dogme. Or la démocratie est menacée lors-
que la connaissance de la société est confis-
quée par les experts. Dewey a usé, pour le
faire comprendre, d’une métaphore particu-
lièrement éclairante : « Il est impossible aux
intellectuels de monopoliser le type de
­connaissance devant être utilisé pour la régu-
lation des affaires communes. Plus ils en
viennent à former une classe spécialisée, plus
ils se coupent de la connaissance des besoins
qu’ils sont censés servir. Celui qui porte la
chaussure sait mieux si elle le blesse et où elle
le blesse, même si le cordonnier compétent
est meilleur juge pour savoir comment remé-
dier au défaut. »
Voilà qui donne à penser les insuffisances
de la représentation parlementaire. Les « ca-
dres et professions intellectuelles supérieu-
res » occupent 60 % des sièges à l’Assemblée
nationale en 2022, alors qu’ils représentent
moins de 10 % de la population française. En
revanche, les ouvriers et employés, qui for-
ment la moitié de la population active, figu-
rent en nombre infime à l’Assemblée et
aucun ne siège au Sénat. Cela ne remet nul-
lement en cause la légitimité de ceux qui ont
été démocratiquement élus, fût-ce avec une
baisse alarmante du taux de participation
des électeurs (dont un tiers seulement a voté
aux quatre tours des élections présidentielle
et législatives de 2022). Mais cela montre que
ces élus ne peuvent représenter à eux seuls
la diversité du peuple au nom duquel ils
gouvernent et légifèrent.
C’est la conscience de cette insuffisance de
la représentation élective qui, depuis plus
d’un siècle, a conduit à faire progressive-
ment place à la démocratie sociale. Sa base
juridique est la liberté syndicale, consacrée
en droit international par la convention 87
de l’Organisation internationale du travail
(1948). A la différence de la démocratie par le
nombre, qui légitime la représentation poli-
tique, la démocratie sociale est essentielle-
ment qualitative. Elle ne saisit pas l’intérêt
général comme une donnée a priori de l’éla-
boration de la loi, mais bien plutôt comme
une construction dont la solidité exige la
confrontation d’expériences et de groupes
d’intérêts différents.
Comme la démocratie politique, la démo-
cratie sociale repose sur ce que l’helléniste et
anthropologue Marcel Detienne (1935-2019)
a nommé des « assemblées de parole », mais
ces assemblées se tiennent au plus près des
conditions concrètes d’existence, qui diffè-
rent d’une profession ou d’une localité à
l’autre. La démocratie sociale ne doit donc
pas être confondue avec des révoltes sponta-
nées du type de celle des « gilets jaunes »
en 2018, qui sont bien plutôt le fruit amer de
son affaiblissement.
Cette démocratie a donné le jour, en
France, à une citoyenneté sociale qui se
combine, sans la supplanter, à la citoyen-
neté politique. Dans son préambule de 1946,
la Constitution de notre « République indi-
visible, laïque, démocratique et sociale » a
consacré plusieurs dimensions de cette ci-
toyenneté sociale en reconnaissant, avec la
liberté ­syndicale, le droit de grève, le droit à
la participation et à la détermination collec-
tive des conditions de travail, la nationalisa-
tion des services publics, la protection de la
santé ou l’accès de tous à l’éducation.
L’essor de cette République sociale a été, il
faut se garder de l’oublier, le fruit d’un
­consensus politique issu de la Résistance,
qui dépasse le clivage droite-gauche. Encore
en 2007, l’actuel président du Sénat, Gérard
Larcher, a attaché son nom à une réforme
qui englobait la démocratie sociale dans la
démocratie politique en conférant aux orga-
nisations représentatives des salariés et des
employeurs le droit de négocier préalable-
ment à l’intervention du Parlement tout pro-
jet de loi intéressant les relations de travail.
La lettre de cette disposition figure toujours
au fronton du code du travail (art. L. 1), mais
l’esprit s’en est envolé, emporté par le souffle
du credo néolibéral. En témoigne la façon
dont le gouvernement, avec le concours de la
majorité sénatoriale, use de la procédure des
lois de finances pour couper court à toute
négociation de la réforme des retraites.
Réduction des syndicats à l’impuissance
D’une façon générale, la marque propre de
tous les régimes totalitaires ou autoritaires,
qu’ils soient de droite ou de gauche, a été
d’entraver ou d’éliminer toute espèce de li-
berté d’organisation et d’action collective
des travailleurs. Lorsqu’ils n’ont pas été in-
terdits, les syndicats ont été réduits au rôle
de « courroie de transmission » reliant aux
« larges masses » l’avant-garde éclairée au
pouvoir. Cette métaphore mécanique
­utilisée par Lénine (1870-1924) reflétait son
projet de gérer la société soviétique comme
une vaste usine.
Dans l’imaginaire politique contempo-
rain, l’usine est devenue une start-up, où les
syndicats paraissent aussi incongrus que
des courroies de transmission. S’est ainsi
perdue la conscience qu’un gouvernement
efficace doit se tenir informé des aspirations
des « larges masses ». Ces masses sont ju-
gées ignorantes et leurs syndicats inutiles
par des dirigeants sûrs d’incarner la raison
économique. Prescrite par les théoriciens de
l’ordre spontané du marché, tel Friedrich
von Hayek (1899-1992), la réduction des syn-
dicats à l’impuissance a été, depuis les an-
nées Pinochet et Thatcher jusqu’à nos jours,
une constante des politiques néolibérales.
En Europe, la Cour de justice a été le fer de
lance de ce combat. Nonobstant l’incompé-
tence de l’Union européenne en ces matiè-
res, elle a étendu en 2007 aux syndicats une
Idées
| 25
interdiction qui se trouve aussi dans l’arti-
cle 15 de la Constitution chinoise : celle de
« troubler l’ordre de l’économie de marché » ;
et elle a interdit en conséquence les grèves
contre les délocalisations. Les organes de su-
pervision des normes internationales du
travail ayant critiqué cette atteinte à la li-
berté syndicale et au droit de grève, leur
fonctionnement normal est paralysé depuis
2012 par la représentation des employeurs à
l’Organisation internationale du travail, ce
qui laisse à tous les Etats qui le souhaitent la
possibilité de priver le monde du travail de
son principal moyen d’action.
En France même, la tentation se fait jour
de restreindre le droit de grève dans le sec-
teur privé, en imposant aux salariés, fus-
sent-ils précaires, une obligation de conti-
nuité minimale du service. C’est une tenta-
tion dangereuse, car la grève, en donnant
une forme d’expression non violente à la
­révolte, sert à convertir les rapports de force
en rapports de droit, dans une quête tou-
jours tâtonnante de la justice. Mais il faut
rappeler que les tentatives des agents
­publics de recourir à des formes alternatives
d’action collective moins pénalisantes pour
les usagers (telle la « grève de la pince » des
contrôleurs ferroviaires) ont été condam-
nées par le Conseil d’Etat, qui y voit une
­exécution fautive de leur travail, non cou-
verte par le droit de grève.
Il ne s’agit pas de nier ou d’ignorer ce que
Bruno Trentin (1926-2007), grande figure
du syndicalisme en Europe, nommait les
risques de dégénérescence corporative des
syndicats. Ces risques sont accrus de nos
jours par le triomphe de l’idéologie éco­-
nomique, qui érige l’égoïsme individuel en
loi fondamentale d’une société bien ordon-
née. Mais ils sont sans doute moins grands
en France, où le syndicalisme a affirmé, dès
1906, dans la charte d’Amiens, son indé­-
pendance vis-à-vis des partis politiques et a
toujours été animé par une certaine
­conception de l’intérêt général. Malgré tous
leurs défauts, qui sont nombreux, les
­syndicats ont de la réalité des conditions de
vie et de travail de l’ensemble de la popula-
tion une connaissance dont aucun parti ni
commentateur politique ne peut aujour­-
d’hui se prévaloir.
A bâbord et à tribord
La classe dirigeante identifie le travail au
« travail abstrait » dont Adam Smith, Ricardo
ou Marx ont fait la théorie, c’est-à-dire à une
marchandise en compétition sur un marché
aujourd’hui sans frontières. La démocratie
sociale oblige, en revanche, à ouvrir les yeux
sur les réalités du travail concret, dans l’im-
mense diversité de ses conditions physiques
et morales d’exercice, et sans occulter le
­travail accompli au-delà de l’emploi, notam-
ment dans la sphère familiale ou associa-
tive. Penser l’âge de la retraite en termes
d’égalité comptable, en mettant dans le
même sac le travail d’un ouvrier du bâti-
ment, d’un cadre, d’une infirmière, d’une
conductrice de la RATP ou d’un professeur
d’université, et sans tenir compte des tâches
bénévoles (notamment celles des femmes),
c’est méconnaître la réalité.
C’est pourquoi un gouvernement avisé
doit se garder de négliger ou mépriser la dé-
mocratie sociale, spécialement lorsque ses
représentants s’expriment – comme aujour­-
d’hui – d’une seule voix. Pour employer une
métaphore inspirée par l’étymologie du mot
gouvernant (celui qui tient le gouvernail), on
pourrait dire que la démocratie sociale rem-
plit pour les dirigeants d’une démocratie
­politique une fonction comparable à celle de
la vigie qui évite au capitaine d’un navire de
prendre les cartes marines pour les réalités
de la mer. Le dernier mot, c’est bien connu,
doit rester au capitaine, mais on ne voit pas
bien comment celui qui prétendrait gouver-
ner « en même temps » à bâbord et à tribord
en ignorant les alertes de la vigie pourrait
échapper un jour au naufrage… p
Alain Supiot, juriste, a été ­professeur
au Collège de France de 2012
à 2019, titulaire de la chaire Etat social
et mondialisation : analyse juridique
des solidarités
 0123
26 | Idées ­
­Jeudi 16­ mars 2023

Mazen Darwish et Clémence Bectarte

Il est indispensable de permettre à la justice française
de jouer son rôle dans le combat universel contre l’impunité
Les deux avocats dénoncent l’absence de volonté Vladimir Poutine et son armée pour les
politique pour appliquer, en France, la compétence crimes commis en Tchétchénie, en Cri-
mée ou encore en Syrie, nous réalisons
universelle, qui permet de poursuivre les présumés une fois encore, à l’aune de ce conflit qui
responsables d’un génocide ou crime de guerre vient frapper aux portes de l’Europe, à
quel point la lutte contre l’impunité est
commis dans un autre pays, comme la Syrie un indispensable combat à mener pour
prévenir la répétition de ces crimes in-
ternationaux.
Il aura fallu attendre un arrêt de la Cour
de cassation, rendu le 24 novembre 2021,
pour que ces craintes se concrétisent. Il
s’agissait, en effet, de la première appli-
cation, de surcroît concernant la Syrie,
des verrous à la compétence universelle.
Incompréhensible décalage
En adoptant une interprétation restric-
17 mars et à l’arrêt qui sera ensuite rendu
se cache une absence criante de volonté
politique, de la part du gouvernement
en place comme des précédents, de per-
mettre à ces affaires judiciaires de pros-
pérer. En faisant prévaloir des considéra-
tions de realpolitik sur le combat pour la
justice, seul moyen de garantir à long
terme la paix et le maintien ou l’établis-

L
e 17 mars se tiendra une audience
historique pour la lutte contre l’im-
punité. La Cour de cassation se réu-
nira en assemblée plénière afin de
se prononcer sur l’interprétation de la loi
de compétence universelle dans deux af-
faires. Elles concernent des crimes de
guerre et des crimes contre l’humanité
commis en Syrie. Dans ces deux procédu-
res, qui visent un ancien soldat de l’armée
syrienne et l’ancien porte-parole d’un
groupe armé d’obédience salafiste ayant
sévi dans la Ghouta orientale, les parties
civiles sont suspendues à l’arrêt qui sera
rendu afin de savoir si la justice française
est, ou non, compétente pour juger les cri-
mes graves commis en Syrie depuis 2011 à
l’encontre des populations civiles.
Les conséquences de cet arrêt iront
bien au-delà puisque la décision rendue
pourrait avoir un impact sur la moitié
des enquêtes en cours devant le pôle
spécialisé pour lutter contre les crimes
contre l’humanité du tribunal judiciaire
de Paris, et notamment sur des enquêtes
qui concernent des crimes commis en
Ukraine, en Libye, en Irak, ou encore au
Sri Lanka. Autant de situations où des
crimes internationaux sont perpétrés
en totale impunité, et où la justice fran-
çaise constitue bien souvent le dernier
espoir pour que les responsables présu-
més, appréhendés en France, ne restent
pas impunis. Autant dire que l’avenir de
la compétence universelle se jouera, en
grande partie, le 17 mars.
Rappelons-le, ce mécanisme, qui per-
met à un juge, en l’occurrence français,
de poursuivre des présumés responsa-
bles étrangers de crimes, commis à
l’étranger contre des victimes étrangè-
res, trouve sa justification dans le fait
que les crimes pour lesquels cette com-
pétence existe – dont le crime de géno-
cide, les crimes contre l’humanité, les cri-
mes de guerre – sont si graves qu’ils ap-
pellent une réponse exceptionnelle.
Un outil indispensable
La compétence universelle, découverte à
l’occasion de l’affaire Pinochet, en 1998,
lorsqu’un juge espagnol, saisi par des vic-
times chiliennes, avait demandé à la jus-
tice anglaise l’arrestation de l’ancien dic-
tateur chilien à Londres, puis son extra-
dition vers l’Espagne pour y être jugé, a
depuis prospéré dans de nombreux pays
européens. Elle est devenue, au fil des an-
nées, un outil indispensable et complé-
mentaire à d’autres mécanismes de jus-
tice pénale internationale, dans le com-
bat contre l’impunité.
A l’heure où tout le monde s’accorde à
dire que la guerre en Ukraine trouve
l’une de ses principales causes dans l’im-
punité persistante dont ont bénéficié
Or, en introduisant des conditions ex-
trêmement restrictives à l’exercice de
cette compétence pour le crime de géno-
cide, les crimes contre l’humanité et les
crimes de guerre, par une loi du
9 août 2010, le législateur français a fait
le choix de limiter drastiquement les
possibilités pour les victimes de ces cri-
mes de saisir la justice française. Cette loi
a fait naître de grandes critiques de la
part de toutes les ONG impliquées dans
la lutte contre l’impunité, qui ont dé-
noncé l’adoption de ces verrous et alerté
sur le fait que la France risquait de rester
une terre d’impunité.
La France a fait
le choix de
tourner le dos
à ses ambitions de
se tenir aux côtés
des victimes
des crimes
les plus graves
tive de l’un des critères posés par la loi –
celui de la double incrimination – et en
considérant que le juge français ne pou-
vait être compétent pour instruire des
crimes contre l’humanité qu’à la condi-
tion que la Syrie ait elle-même incriminé
ce crime, l’arrêt rendu faisait surgir les
contradictions françaises au grand jour.
Cette décision a été reçue, tant par les
autorités françaises que par les ONG et
les victimes, comme un véritable coup
de tonnerre, tant elle réduisait à néant
les efforts fournis depuis des années
pour lutter contre l’impunité des respon-
sables des atrocités commises en Syrie.
Alors que la France martèle, depuis le
déclenchement de la répression qui s’est
abattue sur la population syrienne en
mars 2011, que la lutte contre l’impunité
des bourreaux du régime de Bachar Al-As-
sad est une priorité, la justice française
était rendue incapable de répondre à la
demande de justice des victimes.
Deux mois plus tard, un haut gradé sy-
rien était condamné en Allemagne à la
prison à perpétuité pour crimes contre
l’humanité, au terme d’un procès histori-
que. Une condamnation qui souligne l’in-
compréhensible décalage avec la France,
dont les juridictions ne peuvent même
plus garantir leurs compétences sur les
crimes commis en Syrie, et ailleurs.
Ne nous y trompons pas. Derrière
toute l’attention portée à l’audience du
sement de l’Etat de droit, la France a fait
le choix de tourner le dos à ses ambi-
tions affichées, mais jamais concréti-
sées, de se tenir aux côtés des victimes
des crimes les plus graves.
La seule issue possible est de changer la
loi. Quelle que soit la décision rendue par
la Cour de cassation, il est indispensable
de lever les verrous à l’exercice de la com-
pétence universelle et de permettre, en-
fin, à la justice française de jouer son rôle
en complément d’autres juridictions na-
tionales et internationales, dans le com-
bat universel contre l’impunité. p
Clémence Bectarte, avocate au bar-
reau de Paris spécialisée en droit pénal
international, coordonne le groupe
d’action judiciaire de la Fédération
­internationale pour les droits humains
et représente des victimes syriennes,
irakiennes, libyennes ou égyptiennes
devant la justice française ; Mazen
Darwish, avocat syrien, directeur
du Centre syrien pour les médias et la
­liberté d’expression, qui contribue à de
nombreuses affaires sur le fondement
de la compétence universelle devant
diverses juridictions européennes,
concernant les crimes commis en Syrie

Ece Temelkuran La chercheuse Pinar Selek est punie, car elle

a compris que le problème de la Turquie était la question kurde
Alors que la Cour pénale de Turquie doit, le 31 mars, statuer sur le sort de la sociologue et défenseuse des droits humains franco-turque,
réfugiée en France depuis 2011, la journaliste en exil retrace la persécution dont elle fait l’objet de la part de l’Etat turc depuis 1998

L
orsque les nouvelles concer-
nant Pinar Selek, sociolo-
gue, écrivaine et militante
des droits humains, nous
sont parvenues, nous avons res-
senti la même crispation que lors-
que nous avons appris l’emprison-
nement injuste d’Osman Kavala
ou de Selahattin Demirtas, et les
innombrables injustices que nous
n’avons pas pu empêcher au cours
de la dernière décennie.
Pinar, une amie chère pour
beaucoup, est victime d’une injus-
tice révoltante, ou, pour mieux
dire, d’une torture judiciaire, de-
puis vingt-cinq ans. Et, depuis jan-
vier, les autorités turques ont dé-
cidé d’émettre un mandat d’arrêt
international et d’emprisonne-
ment à son encontre.
Si tout se passe comme le sou-
haite le gouvernement turc, Pinar,
qui est pourtant un être humain
des plus exceptionnels, une uni-
versitaire décorée et une brillante
conteuse, deviendra une crimi-
nelle recherchée au niveau mon-
dial. Tout cela parce qu’elle est née
dans un pays où les peuples sont
dressés les uns contre les autres
(Arméniens, Kurdes, Turcs, etc.).
Elle était l’une des rares person-
nes à avoir osé franchir ces fron-
tières pour rassembler des récits
de paix, un peu comme Osman,
Selahattin, ou notre cher ami
Hrant Dink, qui a été abattu
en 2007. Et, exactement comme
les leurs, son histoire officielle est
d’un ridicule exaspérant.
Les autorités turques recher-
chent Pinar à cause d’un attentat à
la bombe qui n’a pas eu lieu !
En 1998, une explosion s’est pro-
duite dans le marché aux épices
d’Istanbul. Malgré les nombreux
rapports d’expertise indiquant
qu’il ne s’agissait pas d’un attentat
mais d’un accident provoqué par
une fuite de gaz, des ombres opé-
rant au sein du système judiciaire
turc ont décidé qu’il devait s’agir
d’une bombe, et que Pinar de-
vait être celle qui l’avait posée.
Défaillances
Après l’« attentat », elle a été placée
en garde à vue. Elle a été lour­-
dement torturée pendant une
­semaine, mais aucun des tor­-
tionnaires ne l’a interrogée à pro-
pos de l’explosion. Après une
audience au tribunal sans assis-
tance juridique et de nombreuses
fausses preuves, elle est restée en
prison pendant deux ans et demi.
Les défaillances de la procédure
judiciaire sont finalement deve-
nues si flagrantes qu’elle a été libé-
rée. Mais certaines ombres de la
police turque n’étaient pas satis-
faites de cette libération. L’affaire a
donc été rouverte avec de nouvel-
les preuves fabriquées, et le soi-di-
sant processus juridique est resté
ouvert jusqu’aujourd’hui.
Au cours des vingt-cinq der­-
nières années, elle a été acquittée
à plusieurs reprises, mais son
dossier juridique est toujours
retourné devant les tribunaux
grâce aux appels insistants des
procureurs. Et, en janvier, la plus
haute instance de la Cour su-
prême a pris la décision finale :
Pinar est condamnée à perpétuité.
Même si Erdogan
est détrôné,
celles d’entre
nous qui ont osé
demander la paix
avec les Kurdes
seront toujours
les sorcières
de la République
« Je suis épuisée », m’a dit Pinar
lorsqu’elle m’a appelée la semaine
dernière. En évoquant Hannah
Arendt, qui a dit un jour « Je ne suis
pas fatiguée, mais épuisée », nous
avons ri amèrement de notre mi-
sère. « Tout cela parce que, en tant
que Turque blanche, tu as osé
être curieuse de la question kurde,
lui ai-je dit. Et ils n’oublieront ja-
mais ce péché capital. »
C’est pour cela que, lorsque ses
tortionnaires lui disloquaient
l’épaule pendant la torture, ce
qu’ils voulaient savoir, c’était
l’identité des Kurdes auxquels elle
parlait pour sa recherche en socio-
logie. Ils voulaient les noms, les
adresses, tout. Elle devait être
membre du PKK, le Parti des tra-
vailleurs du Kurdistan, pensaient
les tortionnaires, car aucune
femme turque saine d’esprit ne
côtoierait des « terroristes » et ne
demanderait aux Kurdes leur ver-
sion des faits. Ils ne pouvaient pas
savoir ni comprendre que Pinar
était de cette espèce, rare et belle,
qui s’immerge dans les histoires
qu’elle veut raconter.
La première fois que j’ai vu
Pinar, c’était au début des années
1990, alors qu’elle travaillait avec
des enfants des rues. Elle avait
fondé un atelier à Taksim [quar-
tier d’Istanbul] pour qu’ils puis-
sent faire de l’art. Pinar jouait de
la flûte. Lorsqu’elle marchait, le
dos bien droit, tous ceux qui
étaient poussés en marge de la
société (sniffeurs de colle, traves-
tis, travailleurs du sexe, sans-abri)
la suivaient. Elle ne les « sauvait »
pas, en gardant une distance de
sécurité comme une Turque
blanche devait le faire, mais elle
vivait avec eux pour leur offrir sa
pleine solidarité. Comme Simone
Weil, avec une ossature plus
solide. En tant que sociologue,
lorsqu’elle a compris que le pro-
blème central de la Turquie était
la question kurde, elle s’est jetée
au cœur du problème sans
aucune réserve craintive. C’est
pourquoi aujourd’hui, après
vingt-cinq ans, elle est punie et
toujours torturée avec des outils
judiciaires illégitimes.
L’opposition turque, dans ses
meilleurs jours, aurait pu réagir à
cette décision de justice révol-
tante d’une voix plus forte et
faire clairement savoir qu’elle
était au côté de Pinar Selek,
comme elle l’a fait à plusieurs re-
prises au cours du dernier quart
de siècle. Mais la Turquie
d’aujourd’hui est devenue une
foire aux injustices et, plus im-
portant encore, l’approche des
élections attire toute l’attention.
Même si nous savons tous que
les chances de mettre fin au
règne d’Erdogan sont assez
­minces, au moins la moitié du
pays retient son souffle jusqu’à
la date des élections. D’où le si-
lence actuel.
Cependant, même si Erdogan
est détrôné lors des élections,
même en ce jour béni, celles d’en-
tre nous qui ont osé demander la
paix et la réconciliation avec les
Kurdes seront toujours les sorciè-
res de la République. Après tout,
le cas de Pinar a quatre ans de
plus que le pouvoir d’Erdogan, ce
qui semble déjà une éternité pour
beaucoup. C’est pourquoi elle
sait que le « crime » pour lequel
elle paie, c’est de continuer à
écrire, à parler, pour construire
une Turquie où les conteurs
d’histoires ne sont pas torturés
pour avoir dit la vérité. p
Ece Temelkuran est une jour-
naliste turque et autrice. Elle
vit en exil depuis le coup d’Etat
militaire raté de juillet 2016,
et est membre du programme
Future of Democracy
au New Institute de Hambourg
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023 Idées | 27

Narratif
ne peut la défaire », écrit le critique améri-
cain Peter Brooks dans son livre Seduced by
Story. The Use and Abuse of Narrative (New
York Review Books, 2022). Narratif et
storytelling « relèvent du même ordre de
phénomènes » et se recoupent au point
d’être presque interchangeables, confirme
Christian Salmon, chercheur et auteur de
Storytelling, la machine à fabriquer des his-
Ayant peu à peu conquis la sphère publique depuis la fin du XXe siècle, toires et à formater les esprits (La Décou-
le terme se distingue du traditionnel « propagande » verte, 2007), ouvrage devenu un classique
de la communication.
et propose un discours englobant qui dépasse le cadre plus restreint
du récent storytelling Des vides à combler
Pour les différencier malgré tout, il serait
tentant de voir dans le narratif une déclinai-
Histoire d’une notion artistique et culturel. C’est à partir des an-
nées 1990 qu’il s’installe dans le domaine du
son circonstanciée du storytelling, inventée
sur le vif pour répondre à une situation pré-
un des thèmes de prédilection était l’ana-
lyse structurelle du récit littéraire. Puis, de
proche en proche, le prisme narratif a gagné
d’autres domaines d’études, avant de débor-
der de l’université et d’être recyclé par les
grandes entreprises au profit des identités
de marques, à travers des récits édifiants
comme celui du bricolage des premiers or-
dinateurs Apple dans un garage. En phase
avec la révolution néolibérale, caractérisée
par la prolifération d’histoires vouées à légi-
timer les choix économiques, s’est ainsi dé-
veloppé un usage stratégique du récit,
étendu au politique et au militaire. Au pas-
sage, la crise des idéologies après la chute du
mur de Berlin et la crise financière de 2008
ont créé des vides que différents récits ont
tenté de combler, « toutes les rivières se rejoi-

A
la bourse des expressions en vo-
gue, le « narratif » – forme subs-
tantive du mot et transposition,
jugée « à éviter » par l’Académie
française, de l’anglais narrative – est au plus
haut. Déjà présent cette dernière décennie
dans le lexique politique, de même
qu’« agenda » et « logiciel », le mot fait l’objet
d’une exposition particulière avec l’invasion
de l’Ukraine à travers l’opposition, dans l’es-
pace médiatique planétaire, entre le « narra-
tif du Kremlin » visant à faire passer la fiction
d’une Russie agissant en légitime défense et
celui du camp pro-ukrainien. Au-delà de
cette tragédie, l’usage de ce terme a gagné
tous les sujets, de la question des retraites à
celle des façons de présenter l’urgence écolo-
gique. A se demander comment on pouvait
s’en passer auparavant… Si « narratif » appa-
raît au début des années 1970 dans les archi-
ves du Monde, il est alors limité au contexte
commentaire politique où il sera, à partir des
années 2010, de plus en plus courant.
L’exemple extrême de l’Ukraine, consa-
crant le narratif comme un instrument de la
guerre hybride, conduit à s’interroger sur ce
qui le distingue de la classique propagande
ou de la désinformation, notion propagée à
la fin des années 1980 par le très droitier
écrivain Vladimir Volkoff (qui visait ainsi le
KGB) avant de gagner tout le spectre politi-
que. Même si des chevauchements se pro-
duisent, le narratif ne s’assimile pas à ces ca-
tégories, puisqu’il ne fait « que » raconter
une histoire. Sauf que cela renvoie juste-
ment à une autre notion consacrée : le sto-
rytelling, ou l’art de filer, avec ce qu’il faut
de partialité, un récit avantageux au service
d’une cause, qu’elle soit personnelle, écono-
mique ou politique.
« Rien au monde n’est plus puissant qu’une
bonne histoire. Rien ne peut la stopper, rien
cise… Las ! « C’est l’inverse, rectifie le cher-
cheur, le narratif est le grand récit englobant
et le storytelling, sa déclinaison. » Les deux
composent un récit mobilisateur, apte à
conjurer le discrédit qui menace toute pa-
role politique. En leur temps, Tony Blair puis
En phase avec Barack Obama, avec leurs conseillers res-
la révolution pectifs Alastair Campbell et David Axelrod,
ont été parmi les champions dans ce do-
néolibérale s’est maine. Ils n’ont pu, à la longue, empêcher
que leur récit s’émousse, puis se heurte à
développé un l’émergence sur les réseaux sociaux de la
culture du « clash », aujourd’hui démulti-
usage stratégique pliée par la post-vérité, le complotisme et
du récit, étendu les « fake news », trois phénomènes égale-
ment liés à la narration.
au politique Historiquement, le narrative turn (« tour-
nant narratif ») s’est d’abord opéré, rappelle
et au militaire Christian Salmon, sur les campus des Etats-
Unis dans les années 1980, dans la foulée du
succès des auteurs de la French Theory dont
gnant pour nourrir le fleuve narratif », ob-
serve le chercheur.
Pour autant, si le narratif est partout, on
ne sait plus où il commence, ni même s’il
existait avant la lettre. La harangue prêtée à
Bonaparte en Egypte – « Songez que du haut
de ces pyramides, quarante siècles vous
contemplent » –, les phrases comme « Je n’ai
à offrir que du sang, du labeur, des larmes et
de la sueur » de Winston Churchill, ou « La
France a perdu une bataille ! Mais la France
n’a pas perdu la guerre ! » sur l’affiche du gé-
néral de Gaulle à Londres relèvent-elles ré-
trospectivement d’une forme de narratif
avant l’heure ? Pas vraiment. Ce sont certes
des images efficaces, brandies au bon mo-
ment, mais elles n’étaient ni conçues ni en-
cadrées par la machinerie communicante
qui caractérise aujourd’hui l’usage stratégi-
que de la narration. p
Luc Cédelle

Chronique | par Project Syndicate L’univers de l’espionnage décrypté

Il n’y a pas à choisir entre Livre en 1988, l’existence du réseau
Echelon, mis en place par des
a fort à parier que les services se-
crets de tous les pays impliqués

le dollar et le yuan Q uand l’affaire Snowden

éclate, en 2013, dans le
monde entier la
accords scellés à partir de 1945
entre les Etats-Unis et leurs alliés
privilégiés, c’est-à-dire la Nouvel-
agissent en sous-main ; le déco-
dage des coups tordus par les his-
toriens viendra plus tard. Tout
­sidération fait place à le-Zélande, l’Australie, le Canada comme pour les mystérieux bal-
l’inquiétude, puis à la colère. Les et le Royaume-Uni, les fameux lons chinois ou l’épidémie mor-

L orsque les Etats-Unis et leurs al-

liés ont interdit aux institutions
financières occidentales de tra-
vailler avec leurs homologues russes,
des commentateurs ont prédit que
certains pays pourraient limiter leur
dépendance à l’égard du dollar et du
réseau de messagerie bancaire et fi-
nancière Swift (acronyme de Society
for Worldwide Interbank Financial Te-
lecommunication). Et que la Chine en
serait le principal bénéficiaire.
Elle dispose en effet d’un système
bancaire de taille, d’un système de
paiement interbancaire transfronta-
lier alternatif au service électronique
Fedwire et au système Chips, qui fonc-
tionnent en dollars. La Russie ac-
cepte déjà le renminbi chinois pour au
moins 14 % de ses exportations. Son
fonds souverain détient 45 milliards
de dollars (soit 42 milliards d’euros) de
titres et dépôts en renminbi. Les entre-
prises russes ont émis en 2022 l’équi-
valent de 7 milliards de dollars d’obli-
gations libellées en renminbi. La
Chine a récemment conclu des ac-
cords de compensation dans sa mon-
naie avec le Pakistan, l’Argentine et le
Brésil. La banque centrale irakienne a
annoncé le 22 février qu’elle autorise-
rait les règlements directs en ren-
minbi pour les échanges avec la Chine.
Pourtant, aucun changement
d’ampleur n’apparaît encore dans les
chiffres. Selon le Fonds monétaire
international, la part du renminbi
reste inférieure à 3 % du total des
réserves de change mondiales décla-
rées, et à moins de 2 % des instruc-
tions de paiements interbancaires
transfrontaliers dans Swift.
Certes, tous les pays ne communi-
quent pas la composition de leurs
réserves de change, et les pays les plus
inquiets des sanctions sont les moins
susceptibles de le faire. Et au lieu d’uti-
liser Swift, les banques de ces pays
utilisent plus souvent le courrier
électronique, le téléphone ou le fax
pour leurs transferts financiers trans-
frontaliers. Mais en dehors des cas
particuliers comme la Russie, l’attrac-
Les devises des petits
pays sont maintenant
plus accessibles et moins
coûteuses à utiliser
dans les échanges
tivité de la Chine sur le plan financier
pourrait rester limitée, d’autant que
Washington soupçonne Pékin de four-
nir du matériel de guerre à Moscou, ce
qui pourrait ouvrir la voie à des sanc-
Etats-Unis, grâce à leurs grandes
oreilles, écoutaient tout et tout le
monde pour défendre leurs
intérêts stratégiques et économi-
ques. Le ministre des affaires
« Five Eyes », pour intercepter les
communications de leurs enne-
mis, comme de leurs « amis ».
Naïveté toujours…
telle qui tue les oligarques russes.
Tous les pouvoirs, des tribus anti-
ques aux grandes entreprises, en
passant par les Etats, ont besoin
d’anticiper leurs décisions en ob-
tions contre la Chine. Dans ce cas, il n’y étrangères, Laurent Fabius, Recrutements tous azimuts tenant des informations, dans la
aura que peu ou pas de possibilités Les Espions. s’étonne alors, avec une grande Pendant la seconde guerre mon- légalité ou non.
d’effectuer des opérations transfron- techniques, naïveté, que l’on puisse s’épier en- diale, les Britanniques, bien aidés Les moyens technologiques
talières par l’intermédiaire des ban- profils, légendes tre alliés. Plus de trente ans aupa- par les services secrets français, modernes ont décuplé la collecte
ques chinoises. Le gouvernement chi- Un hors-série ravant, la France d’un François ont obtenu des renseignements du renseignement et complexi-
nois s’est aussi distingué par son chan- du « Monde », ­Mitterrand nouvellement élu essentiels grâce au décryptage fié son analyse, mais la violence
gement d’attitude envers le secteur 100 pages, en 1981 avait immédiatement mis des machines nazies Enigma. Ce- légitime et son « permis de tuer »,
privé. On ne peut exclure qu’il modifie 10,90 euros au courant le président américain pendant, ils se sont bien gardés qui sont en principe le monopole
unilatéralement les conditions d’ac- Ronald Reagan du recrutement de communiquer aux Soviéti- des Etats, restent une arme pour
cès des banques étrangères qui détien- miraculeux d’un agent du KGB, ques tous les secrets des intercep- les services secrets du monde en-
nent des actifs à la Bourse de Shanghaï Vladimir Vetrov, nom de code « Fa- tions. Mais Staline les obtenait de tier. Budget en hausse, recrute-
ou qui utilisent le CIPS. rewell », par le contre-espionnage ses agents infiltrés au cœur de ments tous azimuts : les services
français. Les ­renseignements l’espionnage britannique, menés français, face à l’évolution mou-
Plates-formes électroniques fournis par cette source permirent par Kim Philby. vante des menaces terroriste,
Plutôt que de mettre tous leurs œufs de dévoiler l’ampleur du pillage Dans l’univers du renseigne- étatique et cyber, et face à l’incer-
dans le panier chinois ou américain, des technologies industrielles par ment, il n’y a pas d’amis : il y a des titude géopolitique, font tout
Singapour et la Thaïlande ont inter- l’Union soviétique depuis sa créa- partenaires, des alliés d’un jour pour essayer de s’adapter et de
connecté leurs systèmes de paiement tion. Naïveté encore. qui peuvent se révéler des adver- tenir leur rang dans les guerres
en temps réel (PayNow et PromptPay), Tout comme quand fut révélée saires dans d’autres circonstan- de l’ombre. p
ce qui permet de transférer des fonds à par un journaliste écossais, ces. Dans la guerre en Ukraine, il y Michel Lefebvre
l’aide d’un simple téléphone portable.
De même, la Bank Negara Malaysia et
la Bank of Thailand ont élargi le cadre
de règlement direct entre leurs mon-
naies pour permettre d’effectuer des
paiements directs à travers les ban-
Les Russes parlent au Russe | par Serguei
ques commerciales des deux pays.
Cinq banques centrales d’Asie du
Sud-Est ont signé un accord d’inter-
connexion de leurs systèmes de paie-
ment rapide, ce qui leur évite d’utiliser
le dollar ou le renminbi pour leurs
transferts transfrontaliers.
Pendant sa présidence du G20, l’In-
donésie a créé un groupe de travail sur
les règlements en monnaie locale,
chargé d’identifier les réformes régle-
mentaires à mettre en œuvre pour en-
courager cette pratique. Ne plus don-
ner un rôle prépondérant au dol-
lar dans les réserves en devises étran-
gères des banques centrales ne
signifie pas pour autant choisir le ren-
minbi, mais plutôt les devises sud-co-
réenne, suédoise, norvégienne et
autres. Les devises des petits pays sont
maintenant plus accessibles et moins
coûteuses à utiliser dans les échanges
internationaux du fait de la montée
en puissance des plates-formes élec-
troniques d’échange automatisé de
devises. Il s’agit moins ici de géopoliti-
que que de technologie ! p
Traduit de l’anglais par Patrice
Horovitz. Barry Eichengreen
est professeur d’économie
à l’université de Californie à Berkeley.
© Project Syndicate 1995 – 2023

28 | 0123
Géopolitique | chronique
par Sy lv ie Kauf fmann
L’autre front
de la guerre russe
L’
augmentation récente
du nombre de diploma-
tes à l’ambassade de
Russie à Belgrade, passé
de 54 à 62 en moins d’un an, a
éveillé la curiosité des journalis-
tes de Radio Free Europe, média
européen financé par le Congrès
américain. Leurs recherches sur le
pedigree des nouveaux venus ré-
vèlent un intéressant recyclage :
au moins trois d’entre eux font
partie des dizaines de diplomates
russes expulsés de différents pays
de l’Union européenne pour
­espionnage en 2022, après l’inva-
sion de l’Ukraine par la Russie.
Ce mouvement de personnel
peut bien sûr être attribué à une
saine gestion des ressources hu-
maines au sein du ministère
russe des affaires étrangères. Il
s’inscrit surtout dans une logique
plus large, orchestrée à un niveau
bien supérieur : celle de l’acti-
visme russe dans les Balkans
­occidentaux – et au-delà – pour
­contrer l’influence européenne.
La Serbie est à cet égard une pla-
te-forme idéale. Bien que candi-
date à l’adhésion à l’Union euro-
péenne (UE), elle n’applique pas
les sanctions contre la Russie.
Son président, Aleksandar Vucic,
cultive l’ambivalence entre Mos-
cou et Bruxelles, et la puissante
Eglise orthodoxe serbe sert de
caisse de résonance régionale aux
ma­nœu­vres politiques du pa-
triarche Kirill à Moscou. Il arrive
même que les opérateurs du
Kremlin poussent le zèle un peu
trop loin : en janvier, le président
Vucic a dû protester publique-
ment contre la diffusion de vi-
déos par le groupe Wagner visant
à recruter des volontaires serbes.
Pendant que les Européens ont
les yeux rivés sur le carnage que
la guerre lancée par Vladimir
Poutine contre l’Ukraine inflige
aux Ukrainiens et, par la même
occasion, à ses propres combat-
tants, une autre guerre gagne en
intensité. C’est le deuxième front
de la guerre russe : la guerre hy-
bride, dont les armes sont la dés-
tabilisation, la désinformation, la
manipulation des tensions socia-
les, le chantage au gaz, les mi-
grants et tout ce qui peut être ins-
trumentalisé pour affaiblir l’UE et
la démocratie. Moins meurtrière,
très efficace. On aurait tort de
croire toute l’énergie du Kremlin
concentrée sur les champs de ba-
taille du Donbass.
Une vaste panoplie
En première ligne, on trouve les
pays les plus vulnérables, ceux
qui ont quitté l’espace soviétique,
figurent dans l’orbite impériale
de Moscou, n’ont pas encore re-
joint ni l’OTAN ni l’UE mais
­aspirent à le faire. La petite Mol-
davie, située entre l’Ukraine et la
Roumanie et dont une partie du
ter­ritoire, la Transnistrie, est peu-
plée de russophones appuyés par
1 500 soldats russes, est la cible
quasi constante d’opérations de
déstabilisation. Entre la réduc-
tion de moitié des livraisons de
gaz et les provocations pour ag-
graver les tensions que ne man-
que pas de susciter une inflation
de 30 %, le Kremlin déploie une
vaste panoplie.
Sans identifier de « danger mili-
taire imminent », le ministre
­moldave de la défense, Anatolie
Nosatii, a expliqué à l’AFP, lundi
L’Afrique, où Vladimir
Poutine pousse
ses pions, est elle
aussi le théâtre
de la grande bataille
de la désinformation
0123
­
­Jeudi 16­ mars 2023
Les leçons
d’une faillite reste du secteur bancaire n’ont rien de Trésor américain et en obligations immobi-
comparable. lières, le dirigeant s’est trouvé piégé par la
bancaire
L’intervention en catastrophe des autori-
tés américaines, dégainant une sorte de
« quoi qu’il en coûte » qui assure aux dépo-
hausse des taux de la Réserve fédérale, qui
sont passés de 0 % à plus de 4,5 % en un an.
Or, quand ils montent, la valeur des obliga-
sants de récupérer leurs avoirs, est censée
enrayer un mouvement qui verrait les
clients des petites banques transférer leur
tions baisse. Lorsque les clients ont voulu
récupérer leurs avoirs, la SBV a essuyé des
pertes, qui sont devenues insoutenables en
épargne vers de grands établissements raison des retraits massifs.
plus solides. Même si aucun argent public Au-delà des insuffisances de la régulation,
La guerre hybride
n’est engagé à ce stade et que les actionnai- l’impact de la hausse des taux constitue la
res et les dirigeants de la banque paieront deuxième leçon à tirer de la chute de la SVB.
pour contrer bien les pots cassés, l’opération démontre La fin de l’argent gratuit est restée pendant
que la régulation en vigueur aux Etats-Unis des mois un concept théorique, dont toutes
l’influence n’a pas fonctionné. Une fois de plus, l’inter- les conséquences n’ont pas été prises en
vention des autorités a été indispensable compte. Un premier avertissement est inter-
de l’Union
européenne gagne
en intensité
L a chute de la Silicon Valley Bank (SVB)
a réveillé le spectre d’une nouvelle
crise financière. Cet établissement,
dont l’essentiel de la clientèle est composé
d’entreprises du high-tech américain, a fait
pour tenter d’éviter une nouvelle crise.
Malgré ses 210 milliards de dollars d’actifs
(environ 195 milliards d’euros), SVB est
passé sous les radars de la surveillance ban-
caire, qui oblige les établissements à dispo-
venu en septembre 2022 au Royaume-Uni,
lorsque, à la suite de la flambée des rende-
ments obligataires, les fonds de pension bri-
tanniques avaient frôlé la banqueroute, obli-
geant la Banque d’Angleterre à intervenir.
l’objet d’un mouvement de panique qui a ser d’un matelas de liquidités suffisant D’autres accidents de parcours sont à pré-
13 mars, être confronté à une conduit à sa banqueroute. La SVB s’est pour affronter les difficultés. Estimant que voir, dans un monde qui s’est habitué de-
« guerre hybride » qui vise à « ren- ­retrouvée dans l’incapacité de faire face au cette réglementation freinait l’efficacité du puis trop longtemps à un endettement fa-
verser le pouvoir » à Chisinau. En flot de demandes de remboursement des secteur bancaire américain, Donald Trump cile et à des liquidités abondantes, condui-
février, la présidente moldave, dépôts que ses clients lui avaient confiés, avait décidé en 2018 de relever de 50 mil- sant à des décisions d’investissement de
Maia Sandu, avait accusé préemp- obligeant les autorités américaines à cir- liards à 250 milliards le seuil à partir duquel plus en plus risquées. La purge s’annonce
tivement la Russie de préparer un conscrire l’incendie. ces règles de solvabilités s’appliquent. d’autant plus douloureuse que la hausse
« coup d’Etat » à l’aide de « sabota- Il est sans doute encore trop tôt pour éva- Le patron de SVB, Greg Becker, qui s’était li- des taux s’effectue au pas de charge, tandis
ges, de prises d’otages et d’atta- luer les conséquences de la plus grosse vré à un lobbying intensif en ce sens auprès que l’inflation se révèle plus difficile à
ques de bâtiments publics ». Les faillite bancaire depuis la crise financière de l’administration, a donc eu les mains li- ­contrôler que prévu. Il est temps que la ré-
démentis de Moscou n’ont pas de 2008. Comparaison n’est pas raison. SVB bres pour gérer de façon très ­contestable gulation et les comportements des inves-
rassuré cette pro-européenne n’est pas Lehman Brothers. Leur activité, l’argent de ses clients au vu et au su du mar- tisseurs s’adaptent à un environnement
chevronnée, qui a jugé prudent leur taille et leurs interconnexions avec le ché. En investissant les fonds en bons du devenu beaucoup plus instable. p
de renforcer son gouvernement
en nommant à sa tête le ministre
de l’intérieur.
La Moldavie peut compter sur le
soutien politique et financier de
Bruxelles, qui lui a accordé le
­statut de candidate à l’UE en
même temps qu’à l’Ukraine ; la
Géorgie est, elle, dans une situa-
tion plus délicate encore. Elle n’a
pas obtenu ce statut ; les tensions
entre une population favorable
aux trois quarts à l’adhésion à
l’UE et un gouvernement qui pré-
tend l’être mais freine des quatre
fers ont explosé dans le courant
de la semaine du 6 mars à propos
d’une loi sur les « agents de
l’étranger » calquée sur le modèle
russe, qui aurait eu pour effet de
museler la société civile.
Ici, en dix-huit mois, l’influence
russe a réussi, à travers le jeu du
parti au pouvoir contrôlé par un
oligarque qui a fait fortune en
Russie dans les années 1990,
­Bidzina Ivanichvili, à écarter la
Géorgie de sa trajectoire euro-
péenne et à saper l’Etat de droit.
L’ex-président Mikheïl Saaka-
chvili, accusé d’abus de pouvoir et
ennemi juré de Moscou, est em-
prisonné dans un état de santé
préoccupant. La présidente ac-
tuelle, Salomé Zourabichvili, a
LE SALON DE LA
fini par prendre ses distances
avec le gouvernement dont elle
FORMATION CONTINUE
dénonçait en février « l’indul-
gence incompréhensible à l’égard
de la Russie » et l’inertie sur le tra-
vail à accomplir pour mettre en
route les réformes demandées
par l’UE. Le gouvernement de Tbi-
lissi riposte aux critiques en re-
produisant le récit russe : l’Europe
et les Etats-Unis sont accusés tan-
tôt de fomenter un coup d’Etat,
tantôt de chercher à entraîner la
Géorgie dans une guerre contre la
Russie aux côtés de l’Ukraine.
En arrière du front, l’Europe oc-
cidentale n’est pas pour autant à
l’abri. Le ministre italien de la
­défense Guido Crosetto est con- 25 MARS 2023 10H30 - 17H
vaincu que la forte augmentation
du nombre de migrants traver-
sant la Méditerranée depuis la Li- Palais Brongniart • Paris 2
bye fait partie de cette guerre hy-
bride ; il affirme y voir la main du
groupe Wagner, actif en Afrique.
L’Afrique, où Vladimir Poutine OSEZ ACQUÉRIR
DE NOUVELLES COMPÉTENCES !
pousse ses pions, est elle aussi le
théâtre de la grande bataille de la
désinformation. La propagande
du Kremlin y est d’autant mieux
diffusée que les ressources que RT
et Spoutnik consacraient à l’Eu-
Conférences avec les journalistes de L’Obs
rope jusqu’à leur interdiction Masterclass animée par IAE Paris-Sorbonne Business School
en 2022 ont été déviées vers l’Afri- Rendez-vous individuels
que, expliquait lundi le commis-
saire européen Thierry Breton.
Le sujet figurait au menu du dé-
jeuner qui a réuni à Stockholm, le
8 mars, les ministres de la défense
et des affaires étrangères des
Vingt-Sept, avec le secrétaire gé-
CONNECTEZ-VOUS SUR
néral de l’OTAN, Jens Stoltenberg.
« Il nous faut un narratif » à oppo-
ser à cette offensive, a conclu
EXED.GROUPELEMONDE.FR
M. Breton. Une contre-offensive,
en quelque sorte. Ce serait bien. p