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Arnaldur Indridason Interview
Arnaldur Indridason Interview
revue Sang-froid
La vocation
Le journalisme m’a formé à l’écriture. J’ai choisi ce métier très jeune, il m’a
forcé à me mettre à écrire et je n’ai plus jamais arrêté. Le fait d’être journaliste
est une excellente base pour un écrivain : n’oubliez pas que ce métier consiste
très largement à s’asseoir à son bureau et à gratter, gratter et gratter encore
du papier, jusqu’à ce que l’on ait obtenu un résultat satisfaisant. Le journaliste
n’a pas le choix ! En outre, cet exercice vous apprend à respecter un temps
imparti. Il vous faut adopter une discipline qui vous permette d’apprivoiser ce
monstre redoutable qu’est la deadline, c’est-à-dire le jour et l’heure auxquels
vous devez avoir rendu votre papier. Il y a un début et une fin au processus
d’écriture chez les journalistes : quand on devient auteur, c’est salvateur, car
cela permet de s’atteler à sa tâche et de l’accomplir jusqu’au bout. L’Islande est
si petite que les journalistes ont tous plusieurs casquettes. Vous pouvez couvrir
le sport un jour, l’économie le lendemain, puis rédiger un billet en politique,
avant de vous mettre à la critique d’art, tout ça pour le même journal. Un jour,
une idée m’est venue, qui échappait totalement au cadre journalistique. La
fiction se mêlait aux événements de la vie réelle… J’ai longuement hésité avant
de me lancer dans l’écriture, pour toutes les raisons que je viens de citer. Et
puis je me suis dit : « soit tu te lances maintenant, soit tu ne parles plus jamais
d’écrire de la fiction ! » J’avais 33 ou 34 ans quand j’ai commencé à bidouiller
mon premier roman. J’ai tâtonné un peu, le temps de mettre en place l’intrigue,
d’apprendre à dérouler son fil, à construire mes personnages et à maîtriser les
rebondissements… J’ai mis deux ans à écrire ce premier roman. En revanche,
j’ai eu de la chance : je n’ai eu aucun mal à trouver un éditeur.
L’écriture
Je ne saurais pas dire si cette scène sanglante du Petit César est à l’origine de
mon attrait pour le polar. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir clairement pris
la décision d’écrire des romans policiers : le genre s’est imposé à moi presque
par hasard. Quand je me suis attelé à mon premier livre, j’ai jeté les bases de
l’intrigue sans trop savoir où j’allais, à partir d’une idée un peu floue. C’était la
fin des années 1990, on ne parlait que de clonage, de la brebis Dolly, du fait
que la science allait désormais permettre la création d’êtres vivants à partir de
simples cellules. J’étais subjugué : si les scientifiques pouvaient donner la vie à
des formes inanimées, alors la question de la naissance et de la mort
n’appartenait plus à la religion. L’un des sujets métaphysiques les plus
importants de l’histoire humaine, la création du souffle de vie, passait des
mains des dieux à celles des hommes. Mon premier roman, dédié à ce sujet,
était une enquête policière qui se muait en récit d’anticipation. J’aurais pu
poursuivre dans la veine de la science-fiction, mais j’ai choisi de me consacrer
plutôt à une série de romans policiers. Il y avait deux raisons à cela. La
première, c’est que, dans le fond, le genre n’est qu’un prétexte. Savoir qui est
l’assassin, qui est la victime et quel est le motif du crime ne m’intéresse pas
plus que ça. Ce qui me passionne, c’est de plonger au cœur de l’humain, de
raconter la vie de personnes ordinaires confrontées à un événement d’une
grande violence ou d’une profonde dureté, forcées de trouver un moyen d’y
survivre. Le polar est le genre idéal pour mettre en scène ce type de situations.
La deuxième raison, c’est qu’au fil de mon premier roman, un personnage s’est
imposé à moi. Il s’agissait d’un jeune policier, un peu renfermé sur lui-même…
Un certain Erlendur, bien sûr !
Je m’octroie une grande liberté dans la création. Je suis le genre d’écrivain qui
ne s’impose aucun plan narratif. Pour tout vous avouer, la plupart du temps, je
commence mes romans sans savoir qui est le meurtrier ni pourquoi il a tué sa
victime ! Je me mets simplement à l’écriture avec une thématique en tête. Cela
peut être la violence conjugale, la recherche scientifique, la manipulation, la
guerre froide ou la crise financière. Je ne sais pas vraiment quels personnages
vont être importants dans l’intrigue, ni à quel moment ils vont apparaître et
disparaître. Le fait que l’histoire se révèle petit à petit est ce qui me passionne
le plus dans le processus de création. Très souvent, je m’arrête en pleine
écriture et je me dis « Oh, whaou ! Il s’est passé ça ! » J’avance au ressenti,
mais je n’ai pas l’angoisse de la page blanche. Comme beaucoup d’auteurs, j’ai
suivi l’exemple d’Hemingway : plutôt que d’aller jusqu’au bout de ma lancée
quand j’ai entamé une page d’écriture, je m’interromps et termine le lendemain
matin pour me mettre en jambes. Reprendre une idée en s’asseyant à son
bureau le matin permet d’en développer de nouvelles plus facilement. Toujours
garder un petit morceau d’écriture pour le lendemain : voilà mon secret pour
avancer plus vite !
Un quotidien millimétré