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DOCTRINE
A priori dissociée de la réparation du dommage causé à une victime
d’infraction qui relève par principe du droit civil, la peine, ne semble
pourtant pas nécessairement opposée à l’idée d’indemnisation. Le juge
pénal est en effet parfois autorisé à accorder à la partie civile la réparation
de son dommage, la victime occupe une place de plus en plus prégnante
en droit criminel et l’orientation du droit de la peine est en constante
évolution en liaison avec l’immixtion de la justice réparatrice en droit
criminel. La réparation devient ainsi une réponse incontournable du droit
pénal à une infraction. Mais revêt-elle le même sens qu’en droit civil, la
partie civile réclamant, non seulement une indemnisation, mais encore la
punition de l’auteur de son dommage ? L’article se propose de répondre à
ce questionnement en analysant deux institutions pénales : le classement
sous condition et la sanction-réparation.
L’indemnisation du dommage
causé par une infraction : une
forme atypique de réparation ?
Dommages et intérêts, classement sous
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condition de réparation, sanction-réparation
Patricia Hennion-Jacquet
Maître de conférences à l’Université Paris 8
Responsable du DFSSU Sciences pénales et criminologie
La peine 1 a été définie comme « le châ- sanctionné. L’action publique se détache
timent édicté par la loi à l’effet de préve- alors de l’action en dommages et
nir et, s’il y a lieu, de réprimer l’atteinte intérêts, le dommage causé à la société
à l’ordre social qualifiée d’infraction » 2. se dissociant du préjudice individuel de la
De cette définition, il résulte que la peine victime et la fonction restitutrice de la
semble se dissocier totalement de la peine s’écartant de sa fonction punitive 7.
réparation du dommage causé à une vic-
time d’infraction, l’indemnisation rele- De cette présentation liminaire, il ressort
vant par principe du droit civil. Or, le but que peine et réparation n’ont pas tou-
punitif de la peine n’apparaît pas néces- jours été distinguées. C’est pourquoi, les
sairement exclusif de l’idée de répara- réminiscences d’autrefois servant à créer
tion. les institutions de l’avenir, le législateur
a envisagé de nouvelles formes de
En effet, l’évolution historique montre réponses pénales à une infraction, per-
que la peine est d’abord conçue comme mettant de proposer ou d’imposer à l’au-
le « prix naturel de l’offense » 3. Elle teur d’une infraction de réparer le dom-
relève d’une conception objective 4, où mage qu’il a causé à la victime. Cette
seul prévaut le délit commis, qui doit être solution est conforme à l’économie
réparé automatiquement. La confusion actuelle du droit criminel.
est alors totale entre droit civil et droit
pénal, la peine se confondant avec la D’abord, si le juge civil a vocation à
réparation. Puis, des pactes de paix indemniser, le rôle du juge pénal n’en est
conclus entre victime et auteur sont ins- pas pour autant étranger à la réparation
titués, afin d’éviter les guerres de du dommage subi par la victime consti-
familles, de clans, de villages. Ensuite, tuée partie civile. En effet, il est pour
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518 afin d’asseoir sa puissance et d’écarter principe que le juge répressif n’est pas
la primauté de la vengeance privée, l’É- compétent pour statuer sur intérêts civils
tat institue les compositions pécuniaires, dans l’hypothèse où il relaxe ou acquitte
tarifées en fonction de la gravité du dom- l’intéressé. Cependant, il existe des
mage. La composition pécuniaire permet tempéraments à ce principe. Ainsi, si la
ainsi de venger la victime, qui renonce à compétence du juge pénal dans l’indem-
recourir à la violence, et de l’indemniser nisation de la victime en cas de relaxe ou
en contrepartie du dommage qu’elle d’acquittement est limitée, elle n’en est
subit 5. La peine a donc alors une double pas pour autant inexistante. D’une part,
fonction : répressive et réparatrice. Enfin, l’article 372 du code de procédure pénale
la répression devient plus subjective : la dispose que « la partie civile, dans le cas
séparation entre peine et réparation voit d’acquittement comme dans celui
le jour, comme ce fut le cas à Rome 6, et d’exemption de peine, peut demander
conduit à la distinction entre délit public réparation du dommage résultant de la
et délit privé en dégageant la notion de faute de l’accusé, telle qu’elle résulte des
dommage causé à autrui : la faute faits qui sont l’objet de l’accusation » 8.
(culpa) se sépare du dol (délit intention- D’autre part, l’article 470-1 du code de
nel), la première étant réparée, le second procédure pénale autorise le juge pénal,
(1) Sur la notion et sa typologie, V. E. Garçon et V. Peltier, Droit de la peine, LITEC, 2010.
(2) R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, T. 1, Cujas, 1997, n° 142.
(3) R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, op. cit., n° 54.
(4) Sur l’évolution de la responsabilité, V. J.-L. Gazzaniga, Les métamorphoses historiques de la responsabilité, in Les
métamorphoses de la responsabilité, 6e journées René Savatier à Poitiers les 15 et 16 mai 1997, PUF, 1997, p. 3 s.
(5) La loi salique institue également la composition pécuniaire dont le tiers revient au roi. J.-M. Carbasse, Histoire
du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, PUF, 2006.
(6) Loi Aquilia, vers 250 av. J.-C.
(7) Sur cette évolution, V. P. Jourdain, Recherche sur l’imputabilité en matière de responsabilités civile et pénale,
Thèse, Paris II, 1982.
(8) Pour une application, V. Crim. 17 sept. 2008, n° 08-80.260. L’art. 372 C. pr. pén. fait référence à la faute de l’ac-
cusé, ce qui semble exclure la responsabilité civile sans faute.
en cas de relaxe pour une infraction non ser l’auteur tout en préservant les droits
intentionnelle, si le tribunal a été saisi de la victime, le législateur a institué la
par le ministère public ou sur renvoi possibilité pour une autorité pénale de
d’une juridiction d’instruction et sur proposer ou d’imposer à l’auteur d’une
demande de la victime ou de son assu- infraction la réparation du dommage subi
reur, à accorder, en application des par la victime. Cette réparation, en
règles de droit civil, réparation de tous nature ou matérialisée par le versement
les dommages résultant des faits objets de dommages et intérêts, est ainsi deve-
de la poursuite. nue une réponse du droit pénal à une
infraction 13. Il reste à savoir si la répara-
Ensuite, la victime occupe une place de tion visée par le législateur a le même
plus en plus prégnante en droit criminel 9, sens qu’en droit civil, sachant qu’une vic-
le code de procédure pénale la visant time d’infraction réclame, lorsqu’elle se
expressément 206 fois et le code pénal y constitue partie-civile, non seulement
faisant référence 71 fois, alors que le code une indemnisation, mais encore la puni-
civil ne s’y intéresse littéralement que tion de l’auteur de son dommage pour la
12 fois. L’article préliminaire du code de souffrance qu’elle a endurée.
procédure pénale se réfère d’ailleurs à
l’un des principes directeurs du procès Quoiqu’il en soit, la loi permet à l’auteur
pénal 10, à savoir la garantie des droits des présumé d’une infraction d’accepter de
victimes, dont le droit à la réparation de réparer le dommage, en échange d’un
son préjudice fait partie intégrante. classement de l’affaire. De même, le juge
pénal est autorisé, à titre de peine com-
Enfin, parallèlement au mouvement vic- plémentaire ou principale, à contraindre
timologiste et au populisme pénal 11 pour le condamné à procéder à l’indemnisa-
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lequel faire indemniser la victime par le tion de la victime. 519
juge pénal lui donne le sentiment d’être
reconnue comme telle, l’orientation du Outre la prise en compte de la réparation
droit de la peine a été modifiée, notam- en matière d’ajournement, de dispense
ment en raison de l’influence des droits de peine et de mise à l’épreuve, il existe
de l’homme et de l’immixtion de la jus- deux types de réponses pénales à la
tice réparatrice en droit criminel. Le droit commission d’une infraction, l’une et
de la peine a en effet « éclaté », se tour- l’autre relatives à la réparation du dom-
nant vers une voie de plus en plus mage subi par la victime : d’abord, le
répressive pour la grande criminalité et classement sous condition, qui constitue
vers une simplification pour la une mesure alternative aux poursuites
moyenne 12. proposée par le procureur de la Répu-
blique, ensuite, la sanction-réparation,
C’est ainsi que, en matière de moyenne qui est une peine imposant l’indemnisa-
criminalité et dans le souci de resociali- tion de la victime.
(9) Sur la place de la victime, V. La victime sur la scène pénale en Europe, dir. Ch. Lazerges et G. Giudicelli-Delage,
coll. Voies du droit, PUF, 2008.
(10) Ph. Bonfils, La participation de la victime au procès pénal, une action innomée, in Le droit pénal à l’aube du troi-
sième millénaire, Mél. offerts à J. Pradel, Cujas, 2006, p. 179.
(11) D. Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Paris, Hachette, 2005.
(12) R. Gassin, Considérations sur le but de la procédure pénale, in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire,
mél. Offerts à J. Pradel, Cujas, 2006, p. 118.
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520 tion 17 : elle est simplement proposée qui sert de mesure à la condamnation de
comme alternative, non seulement aux l’auteur du dommage. D’ailleurs, la
poursuites 18, mais encore au classement notion de dommages et intérêts punitifs
sans suite « sec », peu favorable à la vic- est absente de la loi française, la Cour de
time. cassation rappelant que le montant de
l’indemnisation de la victime doit être
L’accord, sous menace de mise en œuvre calculé « en fonction de la valeur du
d’une composition pénale ou d’engage- dommage sans que la gravité de la faute
ment des poursuites, se fait entre l’au- puisse avoir aucune influence sur le
teur et le procureur, qui impartit un délai montant de ladite indemnité » 20. Certes,
durant lequel la prescription de l’action on peut constater que certaines répara-
publique est suspendue. La réparation tions confinent à l’octroi de dommages et
du dommage, qui peut se faire, dans le intérêts punitifs, comme c’est le cas en
(13) La réparation était déjà prise en compte pour l’ajournement (C. pén., art. 132-60) et la dispense de peine (C. pén.,
art. 132-59). Elle peut être également une mesure de mise à l’épreuve, mais est limitée aux facultés contributives
du condamné (C. pr. pén., art. 132-45).
(14) Contrairement à la composition pénale, qui contraint le procureur, s’il a décidé de proposer une ou plusieurs des
17 mesures prévues à l’art. 41-2 C. pr. pén., à proposer à l’auteur de réparer le dommage causé à la victime (C.
pr. pén., art. 41-2 17°).
(15) Il est cependant à noter que le désintéressement spontané de la victime par l’auteur entraine aussi le classement
sans suite (11836 en 2008, selon l’annuaire statistique de la justice).
(16) Les crimes donnent en effet lieu à ouverture d’une information judiciaire.
(17) G. Cornu, Vocabulaire juridique.
(18) M. Giacopelli, Les procédures alternatives aux poursuites, essai de théorie générale, cette Revue 2012. 505 s.
(19) A. Vignon-Barrault, Les dommages et intérêts punitifs, Travaux issus des premiers séminaires « Droits nationaux
et projets européens en matière de responsabilité civile » organisés par le Groupe de recherche européen sur la
responsabilité civile/assurance. Enquête sur « la réparation intégrale en Europe ». Synthèses. Section II- Questions
saillantes, sous-section III. Séminaires du 1er et 2 oct. 2010.
(20) Civ. 3e, 8 juin 2011, n° 10-15.500, D. 2011. 2635, obs. G. Forest, note B. Parance ; ibid. 2694, obs. F. G. Trébulle ;
AJDI 2011. 875, obs. S. Prigent ; RTD civ. 2011. 765, obs. P. Jourdain.
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de la justice. En conséquence, la justice 521
En deuxième lieu, la mesure pourrait restaurative ne peut reposer que sur un
sembler participer de la philosophie de dialogue débouchant sur un accord entre
la justice réparatrice, philosophie qui a la victime et l’auteur de l’infraction.
sous-tendu l’action de M. Desmond Tutu
qu’il a décrite dans un touchant et éclai- Or, le classement sous condition, à la
rant ouvrage intitulé « Il n’y a pas d’ave- différence de la médiation pénale 29,
nir sans pardon 25 » et qui a fait l’objet beaucoup moins utilisée en France 30,
d’un désir de développement en France n’implique aucun dialogue entre l’auteur
par la ministre de la Justice 26. Cette der- des faits et la victime : le « contrat
nière a remis en question la réaction pénal » n’est conclu qu’entre le procureur
pénale au crime, qu’elle ne perçoit plus et l’auteur, signe étonnant de la contrac-
tualisation de l’action publique dans une peut faire douter de sa volonté de répa-
matière d’ordre public 31. La victime n’ob- rer pour s’amender et faire pénitence 36.
tient donc qu’une seule satisfaction : son
indemnisation, à l’instar de ce qu’elle La réparation consentie par l’auteur des
aurait obtenu en saisissant le juge civil. faits semble donc n’être qu’une répara-
L’absence de participation active de la vic- tion au sens civil du terme, à savoir l’in-
time éloigne donc le classement sous demnisation du préjudice par le civile-
condition des mesures restauratrices et ment responsable 37, « le remède à un
le rapproche plus de la réparation dommage certain » 38 ou encore la « tra-
accordée sous forme de dommages et duction concrète » de la responsabilité
intérêts. D’ailleurs, la victime peut tou- civile selon le Doyen Carbonnier 39,
jours, en dépit d’une mesure de classe- même s’il ne faut pas occulter qu’elle
ment sous condition, citer l’auteur direc- reste proposée par une autorité pénale
tement devant le tribunal correctionnel notamment pour mettre fin au trouble
ou se constituer partie civile, l’exécution causé par l’infraction ou favoriser la
de la mesure, contrairement à ce qui est resocialisation de l’auteur, ce qui lui
prévu en matière de composition pénale, confère une dimension, certes excessive-
n’éteignant pas l’action publique 32. Cette ment réduite, de mesure punitive. En
solution est donc peu conforme au but outre, son avantage est de désengorger
d’une justice réparatrice 33, mais il est les tribunaux et d’éviter de stigmatiser
vrai que l’action civile a un double un individu en le condamnant à une peine
visage 34 et concerne à la fois l’aspect d’amende, voire à une peine privative de
indemnitaire et l’aspect vindicatif, la vic- liberté. C’est en tout cas à n’en pas dou-
time pouvant ne formuler aucune ter ce qu’aurait pensé aujourd’hui Jean
demande indemnitaire, la seule condam- Valjean, qui aurait préféré rembourser le
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522 nation de l’auteur pouvant suffire à satis- pain qu’il avait volé plutôt que de partir
faire ses droits, même en l’absence de pour le bagne…
demande en réparation pécuniaire 35.
Il existe également une autre possibilité
Le rétablissement du lien social est d’au- d’obtenir, sous la menace, la réparation
tant moins le but poursuivi que la crainte du dommage causé à la victime d’une
de poursuites ultérieures reste un moyen infraction. Mais cette mesure est alors
comminatoire pour contraindre l’auteur à une réponse judiciaire car elle est
exécuter son obligation de faire, ce qui ordonnée par le juge.
(31) F. Alt-Maes, Vers une contractualisation du droit pénal, Conférence au barreau de Rouen, Université d’été, 29 août
2008.
(32) Crim., 17 janv. 2012, n° 10-88.226, Bull. crim. n° 12 ; D. 2012. 2118, obs. J. Pradel. Cette solution vaut pour le pro-
cureur de la République, Crim., 21 juin 2011, n° 11-80.003, Bull. crim. n° 141 ; D. 2011. 2379, note F. Desprez ;
ibid. 2349, point de vue J.-B. Perrier ; ibid. 2012. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2011. 584, note L. Belfanti ; cette
Revue 2011. 660, obs. J. Danet..
(33) En outre, on peut s’interroger sur une mesure dite alternative aux poursuites qui peut, même si elle est exécutée,
conduire paradoxalement à une poursuite.
(34) F. Boulan, Le double visage de l’action civile exercée devant la juridiction répressive, JCP 1973. I. 2563.
(35) Sur ce sujet, V. CEDH, 12 févr. 2004, n° 47287/99, Perez c/ France, AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; D. 2004.
734, et les obs. ; ibid. 2943, chron. D. Roets ; ibid. 2948, chron. P.-F. Divier ; cette Revue 2004. 698, obs. F. Mas-
sias.
(36) Sur la notion de pénitence, V. R. Merle, La pénitence et la peine, Coll. éthique et société, éd. Cerf/Cujas, Paris,
1985.
(37) G. Cornu, Vocabulaire juridique.
(38) F. Leduc, Régime de la réparation - Modalités de la réparation - Règles communes aux responsabilités délictuelle
et contractuelle - Principes fondamentaux, J.-Cl. Responsabilité civile et assurances, Fasc. 201, 2006, n° 1.
(39) J. Carbonnier, Les biens. Les obligations., Quadrige manuels, 2004, n° 1201.
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time relève de l’action civile. Cependant, juge pénal n’a, par hypothèse, alors pas 523
le paradoxe n’est qu’apparent : la sanc- statué sur l’action civile et que la règle de
tion-réparation est effectivement une la triple identité, objet, parties et cause,
mesure à la fois répressive et indemni- ne trouve donc pas à s’appliquer. En l’ab-
taire, ce qui est conforme aux deux sence de jurisprudence, il est donc per-
objets du procès pénal en présence mis de penser, même si le principe de
d’une victime, à savoir la sanction et la réparation intégrale semble s’y opposer,
réparation. que la victime peut être indemnisée au-
delà de l’étendue de son dommage. La
Certains auteurs 41 se sont interrogés sur sanction-réparation permettrait alors
l’utilité de cette mesure, la loi autorisant à la victime d’obtenir des dommages et
la victime à se constituer partie civile intérêts punitifs.
pour obtenir réparation 42. La question
qui se pose est en effet de savoir si l’obli- Si la victime s’est constituée partie civile,
gation d’indemniser la victime est assi- le prononcé de la sanction-réparation
milable à la réparation du préjudice subi peut-il s’opposer à ce que le prévenu
par une victime en droit civil. L’examen soit également condamné au versement
des effets de la mesure peut donner un de dommages et intérêts ? Certes, le
éclairage pour y répondre. juge pénal pourra tenir compte de la
peine qu’il a prononcée et du principe de
La sanction-réparation est prononcée réparation intégrale. Mais, la sanction-
sans demande de la victime, contraire- réparation étant une peine étrangère
à toute demande de la victime, le juge gation de faire qui semble alors justifier
reste libre de lui allouer également les le prononcé de la peine.
dommages et intérêts qu’elle lui
réclame. Là encore, l’articulation pos- Aux termes de cet exposé, des incerti-
sible entre la réparation civile et l’in- tudes demeurent quant à la question de
demnisation imposée au pénal risque de savoir si la réparation du dommage
conduire au versement de dommages et causé par une infraction, qu’elle soit
intérêts punitifs. imposée ou proposée, est une réponse
pénale similaire à celle consistant à
Par ailleurs, la sanction-réparation peut ordonner le versement de dommages et
être prononcée à titre de peine principale intérêts et, incidemment même si ce
comme à titre de peine complémentaire. n’est pas l’objet de cette étude, si le droit
pénal peut, voire doit, intégrer la philo-
Dans le premier cas, la réponse pénale sophie du droit civil de la responsabilité
comprend une obligation de faire en pour ne plus reposer uniquement sur un
faveur de la victime, finalité indemnitaire, modèle exclusivement punitif. Pour aider
ainsi qu’un volet répressif. Le principe de à répondre à cette question, il est peut
la personnalisation des peines est alors être utile de rappeler, qu’en matière
respecté, la loi imposant au juge pénal pénale, la peine a trois attributs, à savoir
de choisir la peine notamment en fonc- rétribution, resocialisation et prévention,
tion de la personnalité du condamné, de sans oublier les droits de la victime, et
sa possible réinsertion et des intérêts de que, comme l’a brillamment écrit
la victime 44. La notion de peine inclut G. Viney 45, les trois raisons d’être de la
donc les intérêts de la victime. responsabilité civile sont la réparation, la
sanction et la prévention. Le droit pénal,
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524 Lorsque la sanction-réparation est pro- dès lors qu’il y a une victime, hypothèse
noncée à titre de peine complémentaire, de nos propos, peu important qu’elle se
la peine principale assure ses fonctions constitue ou non partie civile, semble
classiques, renforcées par l’obligation donc pouvoir intégrer, sans modifier la
d’indemniser sous contrôle du procureur finalité de la peine, la réparation comme
et sous menace d’une peine en cas d’in- mode de réponse à une infraction. Toute-
exécution. À l’instar de ce qui a été relevé fois, il ne semble pas que l’allocation de
ci-dessus pour le classement sous dommages et intérêts à la victime soit
condition, on peut douter de la réalité de totalement assimilable à une réparation
la resocialisation et surtout de l’amende- au sens du droit civil. La victime d’une
ment du condamné dès lors qu’il répa- infraction en a souffert, l’action civile
rera le préjudice sous la menace. La peut être uniquement vindicative et une
sanction-réparation apparaît donc alors indemnisation ne constitue ainsi pas
surtout profitable à la victime, puisqu’elle nécessairement le solde de tout compte
semble plus efficace qu’une simple de sa douleur, même si son préjudice a
condamnation à verser une somme à été réparé.
titre de dommages et intérêts, le délai de
l’indemnisation étant fixé, alors que le En d’autres termes, certaines questions
versement des dommages et intérêts restent en suspens : la réponse pénale
peut intervenir très longtemps après le actuelle en matière de « réparation » du
procès. C’est donc, plus qu’une simple dommage causé par une infraction est-
condamnation à verser des dommages et elle une mesure de réparation ou une
intérêts, l’assurance d’une exécution simple indemnisation, la première n’é-
effective, rapide et contrôlée d’une obli- quivalant pas toujours, en droit pénal, à
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(46) Ch. Lazerges, L’indemnisation n’est pas la réparation, in La victime sur la scène pénale en Europe, dir. Ch. Lazerges
et G. Giudicelli-Delage, coll. Voies du droit, PUF, 2008, p. 228 s.