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Critique sociologique
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Critique sociologique
Laurence CORSINI
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l’accord d’Adiktion Studio et de l’auteur.
Du même auteur
Couverture
Illustration Marie Castelli, Adiktion Studio ©
Introduction : L’Asile
Un Asile est avant tout un lieu qui vous accueille, vous protège
peut-être. Et qui, un jour aussi, peut vous enfermer définitive-
ment.
« Et bien, voici l’espace où je veux vivre pour toujours, car
là est la seule façon de me protéger de ce monde de dingues ! »
Prise de conscience
travailler les vieux qui avaient survécu, afin de payer les cotisations
pour les assurés à venir, sous prétexte que travailler entretenait la
santé !
Pendant cela, la société de consommation prospérait, créant
des demandes insensées que tous ces pauvres névrosés mis au
monde, alimentaient avec compulsion. Même les médicaments
qui leur étaient devenus nécessaires pour se soigner n’étaient plus
remboursés, aggravant leur handicap, l’institutionnalisant même.
Mais pour cela, des budgets existaient, afin que les malades s’éli-
minent, soit seuls spontanément, le taux grandissant des suicides
le démontrait, soit légalement un jour ou l’autre dans les institu-
tions hospitalières, grands pourvoyeurs des pompes funèbres, seul
marché florissant et jamais au chômage.
Tiens parlons-en du chômage !
Chacun était répertorié et le nombre augmentait, compte tenu
de la crise et des nouveaux français de fraîche nationalité. Des
familles de plus en plus nombreuses aux homonymes incontrô-
lables connaissaient à merveille les filières pour mieux exploiter
le système. Elles touchaient alors des allocations dans plusieurs
centres, tout en travaillant au noir. Ainsi, tout en étant en va-
cances permanentes, elles jouaient les victimes de la crise. Leurs
enfants qui s’ennuyaient, s’adonnaient aux paradis artificiels, les
plus faibles devenant dealers et pourvoyeurs de diverses drogues
illicites. Cela faisait grandir des besoins nouveaux accréditant por-
nographie et prostitution.
Internet contaminait tout le monde en normalisant l’inaccep-
table, et au nom des libertés individuelles permettait à chacun de
réussir ou de détruire sa vie, selon son bon vouloir. Le problème
était que la vie de l’autre était souvent anéantie de façon boo-
merang et la criminalité augmentait. Les murs des prisons étant
incompressibles, les délinquants restaient à l’extérieur et les dos-
siers s’accumulaient sur les bureaux des juges débordés.
nationale, car ils étaient les seuls à accepter de venir faire des
gardes si peu payées. Ils étaient chapeautés par un chef de service
compétent mais qui ne pouvait que passer rapidement, étant le
nombre considérable des patients. Le monde s’amoncelait dans
les couloirs, dans une attente interminable, où le temps n’avait
plus aucune prise, au milieu de l’angoisse, de la souffrance et
des gémissements de chacun. Gare au cas grave qui survenait
un dimanche ou la nuit, ou durant les vacances, car il avait de
grandes chances de ne pas y survivre ou tout au moins que cela
s’aggrave !
Le système était malade, mais nous l’avons déjà dit.
La communication n’existait plus non plus et depuis Inter-
net, les aberrations se multipliaient et de nouvelles pathologies
apparaissaient. Les attentes au service des urgences duraient des
dizaines d’heures dans des conditions déplorables et les chariots
et fauteuils roulants véhiculant accidentés ou malades, s’accu-
mulaient dans les couloirs. Jusqu’à ce qu’un médecin définisse
l’urgence et soigne le mieux possible tous les souffrants aggluti-
nés dans les boxes de transit.
Par contre la prospérité des services privés, et de radiologie
florissait et le nombre de laboratoires d’analyses médicales en
concurrence devenait impressionnant. Les listes d’attente pour
rencontrer les spécialistes privés devenaient de plus en plus lon-
gues et cela s’avérait un vrai parcours du combattant pour obte-
nir un rendez-vous avant de succomber à la maladie. Les ho-
noraires exorbitants florissaient dans des secteurs non conven-
tionnés. La médecine désormais ne souhaitant manifestement
s’adresser qu’aux nantis, les autres avaient comme seule solution,
soit patienter des lustres pour voir des assistants à l’hôpital pu-
blic, soit s’éteindre chez eux, ou alors se suicider.
Dans le secteur psychiatrique, cela se passait un peu différem-
ment car l’urgence était autre. Mais les absurdités existaient tout
autant. Ainsi les internements d’office étaient-ils tout aussi arbi-
traires et violents, autant que les électrochocs, encore d’actualité
dans certains hôpitaux psychiatriques et toujours justifiés pour
traiter des mélancolies récidivantes. Mais sincèrement, il y avait
de quoi de devenir un mélancolique patenté, avec la perversité
16
d’un système, déchiquetant sur son passage tous les êtres un peu
sensibles et authentiques qui existaient. Chacun était répertorié
dans une case du vieux DSM3 et gare à celui qui sortait le bout
du museau.
Réminiscences et disfonctionnement
Projets
30
Consultation et construction
Le café
Sur le dit toit, du dit bâtiment, une pie noire et blanche aux
reflets bleutés, inspectait la terrasse, un bout de ferraille dans le
bec, rejointe aussitôt par une autre se perchant sur la girouette
comme pour l’investir. Ce couple là aussi cherchait à nidifier.
Lorenzo carillonna à la porte de sa dulcinée, qui entrebâillant
la porte, lui fit comprendre qu’elle n’avait qu’une envie, aller se
recoucher.
« J’ai fini à quatre heures, rentre ou pars, tiens prends la clef,
mais moi je veux dormir ! » Tel un chat, elle bondit et se refaufila
sous la couette, s’étira, bâilla et se réendormit. Lorenzo en resta
coi, avec son envie de parler de ses nouveaux projets, tant pro-
fessionnels qu’immobiliers. Tout lui resta en travers de la gorge.
Frustré, il se dit qu’il reviendrait plus tard... ou pas du tout.
Irrité soudain, par ce qui le ravissait auparavant, il venait de
prendre conscience que d’évoluer dans des sphères différentes fi-
nissait tout de même par éloigner et cela le fit songer à Caroline,
sa nouvelle assistante, beaucoup moins attractive, certes, mais
combien plus structurée. Au moins avec elle, il pouvait échanger
intellectuellement. Lorenzo se dit que c’était bien compliqué de
tout vouloir à la fois en même temps et qu’allier la fantaisie à
la solidité d’une relation sentimentale, surtout quand la vie de
célibataire vous convient, n’était pas chose aisée. En plus, ses
horaires décalés ne favorisaient pas les choses. Donc pour clore
son débat intérieur et sa mauvaise humeur croissante, il décida
de s’installer, pour déguster un chocolat avec des croissants, au
premier café qui se présenta. Il flâna un peu et machinalement
repris le chemin du travail.
Ses pensées s’entrecroisaient au rythme de ses pas, et tout en
avançant, un doute l’étreignit.
35
Parallèle
•••
– Vos travaux ? »
Et voilà qu’il se mit à lui narrer avec animation, toute la ge-
nèse et l’historique de ses projets de construction qui commen-
çaient par une démolition dans le but d’aboutir à une transfor-
mation. Gaïa tapota le bout de la table.
« Vous savez je connais un livre très rigolo que vous devriez
consulter, il s’appelle Méta-morphoses, il vous irait très bien.
– Ah oui ! De qui est–il ?
– Euh ! Et bien il est de moi. »
Leurs rires fusèrent à l’unisson, dégénérant en fou-rire et le
psy ajouta.
« Je crois que vous êtes aussi cinglée que moi !
– Tant mieux, répliqua-t-elle. Cela fait beaucoup de bien.
Bon on se revoit demain.
– Oui sans faute j’y serai »
Chacun repartit vers sa journée si bien commencée.
Lorenzo, après la grande visite accompagné des Internes et
infirmières, se dit qu’il allait lui falloir aussi restructurer et revoir
sa façon de traiter et y mettre plus d’humanité, afin de mieux
comprendre et d’éviter les décompensations.
Le médicament, décidemment de plus en plus pour lui,
n’était pas la solution. Un confort peut-être ou un dernier re-
cours. Seule l’écoute primait, sinon l’escalade se faisait inévita-
blement dans la violence et l’incohérence, muselée à l’évidence
par les drogues fabriquées par les laboratoires rêvant de béné-
fices. Pour cela, il allait falloir donc aussi former et recycler le
personnel et changer les mentalités et pour les motiver, il devait
trouver des idées ainsi qu’un sacré budget !
Pourtant sa conviction profonde, était que c’était faisable et
gérable à la fois. Pour mieux y réfléchir, il monta sur le toit
de sa future terrasse mais la retrouvant encombrée et bruyante,
il la quitta aussitôt avec Marc, son ami architecte qui était en
train d’étudier lui aussi, les moyens de tout concilier, afin que les
délais soient plus courts et le résultat esthétique.
« Mais, dis donc, lui dit Marc . As-tu pensé aux rangements ?
– Quels rangements?
– Ben, où vas-tu mettre tes affaires ?
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Souvenir de Gaïa
Aménagement - Souffrance
71
« Je vais t’offrir ce à quoi je tiens le plus », lui dit alors Gaïa
et elle lui donna un très beau Bouddha en cuivre, haut d’un
mètre environ, qui l’avait toujours accompagnée durant toutes
ces années. Lorenzo la regarda avec intensité.
« J’accepte, à une condition, tu viens passer tous les week-
ends chez moi ? »
Gaïa éclata de rire.
« On verra, on verra, » répondit-elle et elle enchaina aussitôt
sur la terrasse à aménager. Elle était comme une gamine et lui, la
regardait étonné, l’entendant formuler ses goûts les plus secrets.
« On se fait un délire, tu veux, offre-toi un réverbère sur ta
terrasse, près du joli banc en fonte ouvragé. »
Puis une fontaine avec un jet d’eau ringard mais rigolo, cra-
ché par des tritons, compléta le décor. Furent prévus, au centre
de pas japonais posés sur une vraie pelouse à même le sol, des
bacs énormes de bois exotique latté qui mettraient en valeur
d’immenses pins parasols encadrant un sapin bleu aux effluves
méditerranéennes. Un coin fut réservé aux plantes aromatiques,
ainsi qu’à la citronnelle, aussi agréables à humer qu’à déguster.
Un hamac ivoire se positionna vite dans un coin ombragé de
la terrasse, invitant à de nonchalantes siestes vespérales. Des
massifs de fleurs exotiques et colorées égaieraient l’ensemble
et un cerisier déjà couvert de fruits prometteurs, étendrait son
feuillage. Au milieu des odeurs de résine de pin, des ibiscus et
du jasmin, des coussins moelleux et confortables inciteraient à
s’affaler dans le salon en teck de jardin. Enfin, plantée en haut de
la cheminée la plus haute, la girouette qu’ils avaient découverte,
tournerait doucement au gré du vent. Furent rajoutées en prévi-
sion des hivers, des couvertures douces en fourrure synthétique,
jetées çà et là sur lit et canapé.
« Quel délice, s’exclama Gaïa, tu vas t’y sentir bien ! »
Lorenzo se retourna.
« Oui, si tu viens souvent.» Un flou étrange s’installa et passa
entre eux.
Gaïa dut s’asseoir, se plaignant de cette nourriture synthé-
tique trop riche qui gonflait son ventre, la rendant nauséeuse.
Lorenzo sur un plateau de bois doré, lui apporta une infusion
72
L’inattendu - L’amant
avait pris dix jours de vacances. Elle savait bien qu’il ne serait pas
tout le temps avec elle, il en était incapable, mais elle le verrait
plus souvent et en était ravie. Elle se dit aussi que Lorenzo allait
lui faire grise mine, mais il se ferait lui-aussi une raison. Elle
décida donc d’aménager au mieux les jours qui l’amenaient à
l’opération. Le lendemain soir, elle devait assister à un concert
avec un groupe folklorique Corse qu’elle adorait « l Muvrini », et
elle y allait en famille. La journée avait été belle, et elle en avait
profité. Elle avait même ressenti des pulsions estivales et en avait
été réjouie. Un peu de fatigue, le soir, tombait sur ses épaules,
mais elle était contente d’avoir vécu sa journée presque norma-
lement. Soudain, Gaïa se surprit à s’entendre dire à voix haute.
« Je suis comme les pousses des sapins sur ma terrasse, je
monte de plus en plus en hauteur pour dépasser les cheminées,
et j’attends encore un peu pour m’épanouir dans cette couleur
vert tendre qui ravit les regards ».
fut elle qui eut changé, ayant un autre regard sur les choses désor-
mais. C’était même probable ! Le lendemain fut difficile, tant la
fatigue était présente.
Noël avait pris dix jours de congé et de ce fait, serait là plus
souvent. Lorenzo se sentant exclu, malgré les paroles de Gaïa, se
plongea dans le travail et dans la restructuration de l’organisa-
tion psychiatrique et du protocole des soins, qu’il trouvait par
trop archaïque et donc peu adapté aux pathologies actuelles. Ne
pas arriver à accepter l’évidence des choses les plus simples, parce
qu’elles ne nous conviennent pas, désormais constituait le début
de la plupart des pathologies. Tout d’un coup, elles se mettaient à
flamber, prenant des formes paroxystiques, amenant à de violentes
colères avec passages à l’acte, ou à des mélancolies profondes avec
prostration et éloignement total de la réalité:
Les individus accusaient toujours autrui ou le système, de
l’échec d’aboutissement de leurs désirs. Dans l’incapacité à se
confronter à la frustration, ils se réfugiaient dans des paradis arti-
ficiels de médicaments ou de drogues illicites, qui donnaient le
change au début mais finissaient très vite par accentuer la béance
résiduelle et individuelle. Un clivage du Moi intervenait alors,
murant dangereusement les êtres dans des schizophrénies de plus
en plus difficiles à soigner. Au manque de personnel, se substi-
tuait l’augmentation de médicaments calmants mais non théra-
peutiques, la vraie solution étant d’utiliser de façon équilibrante
les uns, pour permettre le dialogue. Seule la parole et le travail
thérapeutique amenaient peu à peu le patient, le souffrant, de-
vrions-nous dire, à sortir de ce déni de réalité dans lequel il s’était
enfermé.
Lorenzo cherchait le moyen d’embaucher du personnel et de
le former de façon adéquate et optimale, malgré la restriction des
budgets octroyés et le laxisme réactionnel qui comme conséquence,
en avait découlé. Que pouvait-il réduire, pour augmenter ailleurs ?
La qualité devait être privilégiée et pour ce faire, formation, motiva-
tion et encadrement devenaient les moteurs de la nouvelle stratégie.
A défaut d’augmenter les salaires, une meilleure organisation devait
permettre également étant donnée l’absence de crédits, de donner
la possibilité aux soignants de disposer de plus de jours de repos.
89
partit travailler. Elle, elle avait le temps, elle resta paresser, profi-
ter de l’instant. La vie gagnait du terrain.
Ce fut une journée délicieuse et divine. Elle apprécia le lieu,
le moment, l’atmosphère, se recoucha un peu dans l’odeur des
draps rappelant la douceur des émois partagés, Là encore, le
temps s’était arrêté et pouvait lui faire croire à une normalité.
Seul bémol, le breuvage synthétique qu’elle devait avaler dans
son verre dose, toutes les trente minutes ! La journée passa ain-
si nonchalamment et Gaïa sut la savourer. La soirée et la nuit
revinrent accompagnées de Lorenzo tout aussi amoureux que
prévenant.
•••
Onze jours avant l’opération, Gaïa avait passé deux jours chez
Noël, mais lui, contrairement à Lorenzo, n’était pas aussi patient
et surtout ne comprenait pas ses craintes ni son seuil de fatiga-
bilité, il ne savait plus la distraire. Sans doute aussi, arrivait-il
à ses propres limites, car il lui avait dit au cours d’une conver-
sation, qu’il avait lui aussi besoin de temps pour lui. Elle, elle
avait besoin de la patience et de la douceur d’autrui et surtout
que sa détresse et sa fatigue extrême soient prises en compte.
Mais Noël ne savait pas faire. Elle était sensible à sa présence
et voulait l’en remercier, mais il était maladroit car personne
dans sa vie et surtout pas sa famille ne lui avait donné d’aide,
ni de compassion et il ne savait plus comment agir. Tout cela
faisait du chagrin à Gaïa car affaiblie, elle se sentait de plus en
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Mais elle, savait bien qu’elle n’était pas encore sortie d’affaire et
que si la mort s’était éloignée un peu, elle rôdait encore bien trop
près. Frustrée de ne l’avoir point emportée. Gaïa devait se faire
petite et ruser pour survivre et trouver une bifurcation, une déri-
vation qui lui permettrait de se soustraire enfin aux délires des
autres.
« Je dois trouver le moyen de m’éloigner au plus vite dès que je
serai un peu mieux, afin d’échapper à ces vampires inconséquents
pompant mon énergie et ce qui me reste d’amour de la vie. »
thésie lui avaient permis de le rencontrer Lui, elle qui était la sœur
qui l’avait relayé quelques mois plus tard. Conçue par un père
résistant, en zone libre, au milieu des dangers d’une guerre inu-
tile allant se terminer. On eut pu les confondre, tant ils étaient
semblables, lui était un garçon et elle, ce fut une fille. La pre-
nant par la main, entrelaçant leurs doigts, ils franchissaient les
rues, et les obstacles, jouant à la marelle au milieu des oiseaux,
ramassant des cailloux, déplaçant les roseaux afin de faire jaillir
des herbes les plus secrètes, libellules colorées et agiles rainettes
vertes. Ils inspectèrent les nids des oisillons éclos, chassant tous
les dangers pouvant les menacer. Tressant des couronnes du blé
mur des moissons, ils se les offrirent, s’en parèrent, joyeux d’être
réunis, même dans l’éphémère. Il lui dit :
« Tu as réussi à me faire exister à ta façon à toi, ton côté garçon
je te l’ai transmis, nous étions tellement proches.
– Je sais, et je l’ai toujours su, lui répondit-elle. Je suis ta conti-
nuité puisque tu n’as pas pu naître, étant par accident mort in
utero, je ne suis pas et n’ai jamais été l’enfant de remplacement. »
Ils s’embrassèrent et pleurèrent dans les bras l’un de l’autre.
Cet espace extracorporel, dû à l’anesthésie où les âmes peuvent
s’envoler et se rejoindre, avait permis cet instant magique, oh
combien précieux, favorisant la rencontre et la réunification des
deux enfants issus de la même mère, l’un défunt, l’autre toujours
vivant. Puis ils reprirent leurs jeux, leurs joies, leurs éclats de rire,
sans hier, sans lendemain, au présent immuable. Ils occupèrent
l’espace de deux heures, hors du corps, en toute apesanteur.
Mais arriva l’instant de devoir s’en aller, les formes s’amenui-
saient. Un halo se formait.
« Je t’amène avec moi, tu ne me quitterais jamais ! Je t’aime.
Je t’aime. Tu sais. ! Oui, la paix est en moi désormais, je le sens,
retourne sur la terre, malgré toutes tes souffrances. quelque chose
à y est à faire par toi, à l’évidence. Mais protège-toi bien désor-
mais, je suis venu vers toi pour te dire cela ! »
Leurs larmes s’unirent en fleurs de jasmin, exhalant leur par-
fum délicat et suave, leurs doigts s’effleurèrent une ultime fois, et,
à cet instant-là, Gaïa se réveilla. Elle entendit le rire qui déferlait
au loin de la joie du bambin, alors, elle reconnut le sien.
nager pour tourner la page. Ce n’était pas chose aisée, car pour
des raisons strictement financières, elle était obligée de reprendre
l’ancien appartement loué à son ex-mari. Mais comme les deux
se trouvaient dans un état de délabrement impressionnant alors
qu’elle lui avait confié un logement flambant neuf, il allait fal-
loir tout nettoyer, repeindre, remettre en état et reloger le dit
ex-mari, qui se trouvait dans un état psychique et physique ter-
rible. Dépassé par les évènements et sans doute aussi parce que
cela l’arrangeait, il se faisait prendre en charge pour se reloger,
rêvant de reprendre le petit appartement avec terrasse qu’elle
occupait au-dessus de celui de sa fille, qui allait très mal vivre ce
nouveau changement. Non seulement nécessaire, cela s’avérait
même vital pour elle. Et après les souffrances physiques intolé-
rables qu’elle avait subies ces deux derniers mois, cette épreuve
de plus allait être excessivement douloureuse.
Après l’opération, il allait falloir se confronter à un éloignement
avec sa famille qui risquait de le vivre comme une séparation, à
moins qu’elle n’en fût soulagée. Il n’empêche que toute cette orga-
nisation, au-delà même des états d’âme que cela apportait, était
pénible matériellement et physiquement à mettre en place.
En effet, son ex-mari avait une dégénérescence psychique le
rendant inopérant, voire même récalcitrant à tout changement.
Et même s’il en avait exprimé le désir, sa lenteur allait sacrément
compliquer le déménagement. Sa fille allait peut-être même se
fâcher, mais Gaïa n’avait pas le choix.
Elle avait failli en mourir, ne pouvait pas l’oublier et devait
à l’évidence, s’éloigner d’éléments qu’elle ne gérait plus et qui,
surtout, la détruisaient peu à peu. Elle se dit qu’elle allait faire
venir une agence immobilière pour évaluer un prix de location
éventuel, qu’elle se laisserait le mois de juillet pour récupérer
physiquement de ses récents ennuis de santé et qu’en août, elle
commencerait les modifications de sa vie. Il était temps, elle se
sentait de plus en plus seule, car les membres de sa famille, enva-
his par leurs difficultés, ne pensaient qu’à eux et même Noël qui
n’en avait aucune, n’était pas stimulant et devenait très centré
sur lui-même. Certes, il avait été présent tous les soirs, l’épau-
lant, mais tout cela dans un silence et dans une non-perspective
120
C’est alors que son regard tomba sur le petit carnet rouge sur
lequel elle avait écrit, ou plutôt griffonné, juste avant d’être opé-
rée. Se lovant dans le canapé, Gaïa se mit à le lire à voix haute,
revivant chaque minute, chaque instant de ce douloureux mo-
ment, afin de l’exorciser à jamais, mais aussi pour ne pas oublier
jusqu’où ces huit dernières années l’avaient amenée et malmenée,
avec toutes ces blessures infligées. Prononçant les mots lentement,
elle en martela les voyelles.
Le Carnet Rouge :
Mardi 19 Juin 2012
21 juin 2012 :
Je me réveille avec une boule au ventre. La peur sans doute ! J’essaye
de visualiser des images positives. On verra bien...
A six heures du matin, réveil brutal, pourtant je dormais bien, pour
une nouvelle douche à la Bétadine, celle de la veille je l’ai supprimée, elle
ne servait à rien, j’en avais pris une le matin et ma peau commençait à
devenir rouge et irritée. Cette fois, l’infirmier a oublié les bas de conten-
tion, je les réclame et ceux que l’on me donne ne sont vraiment pas à ma
taille et me serrent, bon je ferais avec, il n’y en a pas d’autres. C’est un
vrai folklore cet hôpital.Si j’en sors indemne, c’est que j’ai de la chance !
Suis censée être opérée à treize heures. Que de stress aussi pour ma fille
qui est déjà épuisée. Je me sens bizarre. Envie d’aller aux toilettes. Alors
adieu le champ stérile, on ne peut échapper aux lois de la nature.
Je ne sais pourquoi, mais ces préparations me font penser aux
camps de concentration. Ce n’est pas un tatouage, mais un bracelet
en plastique blanc au poignet où est inscrit le nom. La douche a lieu
avec la peur au ventre et l’exécution aura lieu ensuite, il faut mourir
propre. C’est dans notre culture.
129
Neuf heures.
Je me calme un peu, c’est l’anxiolytique. Je trouve tout cela irréel et
cruel aussi. Subir encore et encore, c’est insupportable cette attente. C’est
vraiment invraisemblable, irréel est le mot et pourtant. Je le vis.
•••
Déménagement - L´hôtel
Changement de vie
Conclusion
Gaïa ne céda pas malgré son chagrin, car elle savait que tout
cela était essentiel pour elles deux et de plus, vital pour elle-
même. Une certaine distance serait posée limitant les déborde-
ments et facilitant la réorganisation de sa vie. Financièrement
elle n’avait eu que ce choix, sinon elle devrait se sacrifier encore,
et là, il n’en était pas question. Elle avait failli en mourir et cela
ne l’oublierait jamais.
En fait, les travaux durèrent plus longtemps que prévu, et
l’installation aussi. Exténuée, Gaïa n’arrivait pas à tout ranger,
malgré l’accompagnement de Lorenzo qui lui donnait des idées
de remaniement professionnel bien plus que personnel. Heu-
reusement Noël décida de l’emmener se reposer une semaine en
vacances. Ils fermèrent la porte de l’appartement en « jachère »,
ouvrirent grandes les fenêtres afin d’évacuer les restes des
miasmes de l’ancien locataire et partirent se détendre au bord de
la mer, dans un hôtel tout confort, pour enfin ne rien faire. Cela
aussi était un nouveau comportement, jamais avant Gaïa n’au-
rait accepté de partir sans avoir terminé un travail commencé,
mais l’heure n’était plus aux comportements répétitifs. Il fallait
lâcher prise, reprendre des forces et le reste viendrait peu à peu
par la suite.
« Qui veut voyager loin ménage sa monture »
Ce proverbe trottait dans la tête de Gaïa qui se dit qu’il s’agis-
sait bien d’elle et que le moment était en fait venu de la ménager
cette monture et de la mettre au pré !
L’image d’une pauvre haridelle enfin au repos et gambadant
d’aise, tout en croquant l’herbe verte la fit éclater de rire !
On verrait bien en rentrant.
139
Introduction : L’Asile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Prise de conscience. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Réminiscences et disfonctionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Lorenzo rêve - Travaux et pathologie : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Évacuer l’inutile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Consultation et construction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Le café. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Parallèle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Souvenir de Gaïa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Confidences et hospitalisation de Gaïa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
L’attente - Enlever et reconstruire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Aménagement - Souffrance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
L’appartement - Terrasse - Diversion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Le combat de Gaïa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
L’inattendu - L’amant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Rendez-vous - Pulsion de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Gaïa et Lorenzo : Première nuit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
J-13 - La vie de Gaïa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Le présent de Gaïa - L’hôpital. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Pré-opératooire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Réflexions thérapeutiques - La fête de la musique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Flirt avec Thanatos -Rêve sous anesthésie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Post-opératoire - Sortie d’hôpital . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Chacun sa vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Souffrance - Le carnet rouge. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Déménagement - L’hôtel - Changement de vie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
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