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Ohadata D-23-13

L’OPPOSABILITÉ DU GAGE EN DROIT FRANÇAIS ET


OHADA
Par

Mon-espoir MFINI
Juriste en Droit des Affaires, Chercheur en Droit
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole de Droit

Email : angymfini1976@gmail.com

Article sélectionné par le Conseil scientifique - Association Henri Capitant


https://www.henricapitant.org
Résumé

La situation du débiteur n’étant pas toujours heureuse et paisible, le créancier va pouvoir exiger
de celui-ci une sûreté, afin de se prémunir contre tout risque d’insolvabilité. En ce sens, il peut
lui être donné en garantie un bien meuble corporel, donc un gage. Lorsque toutes les conditions
de mise en garantie du gage sont respectées, celui-ci devient de facto opposable aux tiers. Mais,
cette opposabilité est relative selon que le gage a été donné avec ou sans dépossession. C’est
tout le sens de la présente étude.

Introduction

1. L’incertitude ne peut s’inscrire paisiblement dans le droit du crédit1. Ainsi, celui qui fait
crédit va être amené à exiger de la part du débiteur une garantie tendant à le mettre à l’abris
d’une éventuelle insolvabilité2 de son débiteur. C’est en ce sens que l’une des dimensions les
plus importantes de la sûreté offerte au créancier est-elle celle qui va restreindre cette
incertitude, en améliorant les chances du créancier d’être payé, en réduisant le risque d’impayé.
En effet, le Professeur Pierre Crocq a su revêtir la notion de sûreté d’une définition étroite en
affirmant qu’elle « est l’affectation à la satisfaction du créancier d’un bien, d’un ensemble de
biens ou d’un patrimoine, par l’adjonction aux droits résultant normalement pour lui du contrat
de base, d’un droit d’agir, accessoire de son droit de créance, qui améliore sa situation juridique
en remédiant aux insuffisances de son droit de gage général, sans être pour autant une source
de profit, et dont la mise en œuvre satisfait le créancier en éteignant la créance en tout ou partie,
directement ou indirectement »3. La tâche n’était pas aisée4, mais elle a eu pour effet
d’empêcher le risque de « dilution » de la notion de sûreté5. C’est ainsi que les sûretés se
distinguent des garanties, en ce que ces dernières représentent une enveloppe plus large,
englobant à la fois les sûretés au sens strict mais aussi « les garantie de paiement »6 qui rassurent
la confiance du créancier en lui conférant des « avantages spécifiques dont la finalité est de
permettre de suppléer à l’exécution régulière d’une obligation ou d’en prévenir l’inexécution »7.
Ainsi, selon l’auteur, si la garantie présente les trois traits caractéristiques de la sûreté, alors elle
pourra revêtir la qualification8. In fine, les sûretés sont des garanties mais les garanties ne sont

1
v. G. Piette, Droit des sûretés, 15e éd. Gualino, 2022.
2
v. M.-E. Mfini, Droit OHADA des sûretés, 1er éd. (A paraître).
3
P. Crocq, Propriété et garantie, préf. M. Gobert, LGDJ, Bibl. dr. privé, 1995, n° 282.
4
v. en ce sens : M. Cabrillac, Ch. Mouly et Ph. Petel, Droit des sûretés, LexisNexis, coll. Manuel, 15e éd., 2015,
n° 2.
5
Ph. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés., n°5, p. 16 ; H.L.J. Mazeaud et F.
Chabas, Leçon de droit civil, t. III, vol. 1, Sûretés et publicité foncière, Montchrestien, 7e éd., par Y. Picod, 1999,
n° 5-1.
6
P. Crocq, thèse préc., n° 287.
7
P. Crocq, thèse préc., n° 287 : l’auteur explique la nécessité d’adopter une définition large de la notion de garantie
« dans la mesure où la garantie est une notion fonctionnelle et non pas conceptuelle comme la sûreté ». Il en déduit
« ainsi doivent recevoir entre autres, car l’énumération est loin d’être exhaustive, cette qualification : le droit de
rétention, la compensation, l’action résolutoire, l’exception d’inexécution, la solidarité, l’astreinte, la clause
pénale, les « sûretés » négatives, la clause de domiciliation, la clause de fidélité, la clause pari-passu et la
délégation ».
8
P. Crocq, ibid. : les trois traits caractéristiques mis en exergue par M. Crocq sont : la finalité, en
ce que la sûreté assure une amélioration des droits du créancier ; l’effet de la sûreté qui est la satisfaction du
créancier ; la technique employée qui est celle de l’accessoire dont la force est susceptible de degrés.

2
pas nécessairement des sûretés9. Depuis, la doctrine majoritaire admet une acception
conceptuelle de la notion de sûreté et fonctionnelle de la notion de garantie10. Aussi, les sûretés
sont-elles réparties en classes. Le critère de distinction consacré au sein du Code civil et de
l’Acte uniforme portant organisation des sûretés de 2010 se loge dans l’assiette de la sûreté
opposant ainsi les sûretés personnelles dont l’assiette est le patrimoine du garant aux sûretés
réelles qui reposent quant à elles sur un ou plusieurs biens du constituant. En ce sens, aux termes
de l’article 4, al. 1er de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, « les sûretés personnes,
au sens du présent Acte uniforme, consistent en l’engagement d’une personne de répondre de
l’obligation du débiteur principal en cas de défaillance de celui-ci ou à première demande du
bénéficiaire de la garantie ». En d’autres termes, les sûretés personnelles consistent en
l’engagement d’un tiers à garantir la dette du débiteur principal, permettant au créancier
d’exercer son droit de gage général sur un patrimoine autre que celui du débiteur en cas de
défaillance11. L’adjonction de débiteur constitue ici l’effet de garantie. En revanche, les sûretés
réelles au sens de l’article 4, al. 2 de l’Acte uniforme sous commentaire, « consistent soit dans
le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de la réalisation d’un bien affecté
à la garantie de l’obligation de son débiteur, soit dans le droit de recouvrer la libre disposition
d’un bien dont il est propriétaire à titre de garantie de cette obligation ». C’est dire que les
sûretés réelles confèrent au constituant le droit d’affecter un bien en garantie de la dette
principale, octroyant ainsi au créancier un droit réel sur la chose pouvant être un droit de
préférence ou un droit de propriété sur la valeur12. La summa divisio ainsi fait l’objet de sous-
distinctions. Plus précisément, au sein des sûretés personnelles, le caractère accessoire de
l’engagement du garant déterminera le régime de la garantie et permettra de départir les sûretés
personnelles entre elles. Il suffit dès lors de se poser la question de savoir si le garant s’est
engagé à payer ce que doit le débiteur ou s’il doit s’exécuter de manière autonome à l’égard du
rapport de base. Cette distinction permet d’opposer le cautionnement en tant que sûreté
personnelle accessoire aux autres garanties personnelles non accessoires telles que la garantie
autonome et la lettre d’intention13. Quant aux sûretés réelles, les législateurs français et
OHADA distinguent une fois encore selon l’assiette de la sûreté. Ainsi les sûretés sur les
meubles sont séparées des sûretés sur immeubles, reprenant la summa divisio des biens. Or avec

9
H.L.J. Mazeaud et F. Chabas, ibid. : les auteurs expliquent que « Dans cette conception, les « sûretés » ne sont
qu’un sous-ensemble de la catégorie plus vaste des « garanties », notions souvent employées par commodité
comme synonymes ».
10
Contra. Ph. Théry, Sûretés et publicité foncière, PUF, coll. « Droit fondamental », 2e éd. 1998, n° 6.
11
Pour une définition de la sûreté personnelle, v. notamment : L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit
des sûretés, Defrénois, 14e éd., 2020, n° 5 ; M. Cabrillac, Ch. Mouly et Ph. Petel, op. cit., n° 23 et s. ; Ph.
Dupichot, thèse préc., n° 5 ; J. Francois, Traité de droit civil, Les sûretés personnelles, coll. Droit civil, dir.
Ch. Larroumet, Economica, n° 1 ; H.L.J. Mazeaud et F. Chabas, op. cit., n°6-4 : « La sûreté personnelle est
l’engagement d’un tiers à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur. Le garant ajoute ici son
engagement à celui du débiteur garanti. Du coup, plusieurs patrimoines répondent de la même dette ».
12
L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, op. cit., n° 400 : les auteurs mettent en avant une évolution dans la
conception de la sûreté réelle comme octroyant un droit préférentiel accessoire en constant que « les sûretés réelles
traditionnelles, c’est-à-dire celles qui confèrent un droit de préférence au créancier (privilège, hypothèque et
nantissement) constituent des droits réels accessoires, en un double sens. (...). Réduites des avantages
exclusivement juridiques, à la différence de droits réels autonomes, les sûretés réelles n’existent que par la créance
à laquelle elles sont attachées. Elles disparaissent et ne se transmettent en même temps que le droit qu’elles
servent ». Ils soulignent ensuite que « cette conception traditionnelle des sûretés réelles est cependant à nuancer
aujourd’hui, et ce pour deux raisons : d’une part, l’émergence de sûretés conférant non pas un simple droit de
préférence mais un droit exclusif au créancier, la propriété, a suffisamment montré qu’un droit réel principal
pouvait lui aussi parfaitement constituer un droit accessoire ; et, d’autre part, la consécration de sûretés dites
« rechargeables » (…) a montré qu’une sûreté réelle pouvait ne pas être accessoire ou, à tout le moins, ne l’être
que partiellement et cela, aussi bien lorsqu’elle confère un simple droit de préférence (…).
13
Le législateur OHADA ne consacre que deux sûretés personnelles : le cautionnement et la garantie autonome.
En revanche, le législateur français consacre une troisième sûreté personnelle : la lettre d’intention.

3
l’avènement des propriétés-garanties, nous pouvons constater l’émergence d’une classification
entre les sûretés réelles conférant un simple droit de préférence et les sûretés offrant un droit de
propriété à titre de garantie. Toutefois, en matière de sûretés réelles mobilières, on note tant en
législation française qu’en législation OHADA une autre summa divisio entre d’un côté le gage
ou les gages14 et de l’autre le nantissement ou les nantissements15. Or, dans le cadre de la
présente étude, seul nous intéressera, le gage, plus encore, il est question d’aborder
l’opposabilité du gage tant en droit français qu’en droit de l’OHADA. Mais avant, encore faut-
il s’accorder sur les notions de gage et d’opposabilité.

2. Le gage est défini par l’article 2333 du Code civil comme la « convention par laquelle le
constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers
sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels présents ou futurs ». Cette
définition est similaire à celle consacrée par l’Acte uniforme portant organisation des sûretés,
notamment à l’article 92. C’est dire que le gage est au sens technique du terme une sûreté
mobilière, c’est dans sa conception originaire, la plus naturelle des sûretés réelles, puisqu’un
débiteur peu fortuné va remettre à son créancier l’un de ses biens, en garantie de sa dette. Ainsi,
le gage a-t-il permis aux plus démunis d’obtenir du crédit, avec les abus qui ont pu en résulter.
C’est en ce sens, que jadis, il fut perçu comme un moyen d’exploitation de la misère par les
usuriers. Aussi, les juristes ont-ils dénoncé sans atermoiement ce phénomène. Partant de toutes
ces critiques, l’image du gage s’est améliorée durant le XXe siècle sous l’effet de plusieurs
facteurs. En effet, le développement du crédit a favorisé le recours massif au gage, le rendant
ainsi à la fois incontournable et moins avilissant. L'accroissement de la valeur des biens
mobiliers a étendu les possibilités du gage. Enfin, l'œuvre législative postérieure au Code civil
et à l’Acte uniforme sur les sûretés a créé de nouveaux gages « qui ont été supprimés pour
certains », ce qui a favorisé une utilisation massive de cette sûreté dans les relations d'affaires.

3. En revanche, l’opposabilité est le caractère de ce qui est opposable. En d’autres termes,


l’opposabilité, est une notion juridique qui signifie qu’un « droit » qui a été reconnu à un
individu, mieux à une personne, est opposable au reste des personnes qui ne sont pas
bénéficiaires de ce droit.

4. Le gage en ce qu’il produit un droit, il est inéluctable qu’il soit opposable aux tiers. En ce
sens, par sa publicité16, le gage est opposable aux tiers. Par ailleurs, le gage est également
opposable aux tiers par la dépossession du bien qui en fait l’objet. Autrement dit, s’agissant du
gage sans dépossession, la publicité est le seul moyen de rendre le gage opposable aux tiers,
alors qu’à propos du gage avec dépossession, la dépossession suffit mais en peut parfaitement
organiser une publicité pour la renforcer. C’est dire que l’opposabilité du gage aux tiers, et
notamment aux autres créanciers du débiteur, peut s’opérer de deux manières.

5. On perçoit ici tout le sens de la présente étude, qui est censée interroger les législations
choisies sur l’opposabilité du gage, c’est-à-dire les procédés permettant au gage d’être
opposable aux tiers. C’est ainsi qu’il convient d’aborder dans un premier temps l’opposabilité
du gage conclu sans dépossession (I), avant d’envisager dans un second temps l’opposabilité
du gage conclu avec dépossession (II). Tout l’intérêt de ce sujet réside dans la compréhension
des procédés d’opposabilité du gage, tant il est vrai que l’une des manifestations les plus

14
En droit de l’OHADA, on parle de gage au pluriel, tant il est vrai que le législateur consacre à côté du gage de
droit commun, des régimes spéciaux du gage.
15
Idem.
16
Art. 97 de l’AUS et art. 2337, al. 1er du C. civ.

4
tangibles de la mise en garantie d’un bien meuble corporelle est son opposabilité aux tiers, afin
de réduire le contentieux y afférent.

I. L’opposabilité du gage sans dépossession

6. Révolution copernicienne, c’est devenu un cliché que d’affirmer que l’adage res mobilis res
vilis ne cadre plus avec la réalité qui nous entoure. Les biens mobiliers ont en effet cessé depuis
longtemps d’être considérés comme des choses de peu de valeur et partant d’intérêt négligeable
et cette évolution est telle qu’elle prend figure de révolution. La notion de richesse mobilière a
conquis définitivement ses lettres de noblesse et fait perdre tout sens à l’adage ancien. Cette
émergence de l’importance économique des biens mobiliers et les besoins sans cesse croissants
de crédit allaient inévitablement amener une profonde transformation du droit des sûretés
réelles dont la manifestation la plus concrète est l’apparition des sûretés mobilières
conventionnelles sans dépossession. Il en est ainsi du gage sans dépossession qui a fait son
entrée dans le Code civil avec la réforme du 23 mars 2006 et dans l’Acte uniforme portant
organisation des sûretés, avec la réforme de 2010. Le gage sans dépossession est un véritable
gage. C’est pourquoi un paragraphe spécial ne lui est pas consacré. En effet, seules quelques
dispositions déduisent les conséquences de l’absence de dépossession. En l’absence de
dépossession, le constituant du gage conserve le bien à sa disposition tandis que les tiers sont
informés de l’existence de la sûreté par le mécanisme d’une publicité effectuée sur un registre
unique17 depuis le 1er janvier 2023 ou effectué au RCCM pour ce qu’est de la législation
OHADA. Parce que le constituant peut menacer les droits du créancier en abdiquant la
possession du meuble entre les mains d’autrui, se pose la question de l’opposabilité de ce gage
aux tiers.

7. En droit de l’OHADA, lorsque le bien gagé reste entre les mains du constituant, le gage est
rendu opposable18 aux tiers par une inscription au RCCM19, c’est-à-dire que lorsque le bien
donné en garantie reste aux mains du constituant et que le gage a été régulièrement inscrit,
l’article 97, al. 2 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, protège le créancier
gagiste contre tout risque de distraction du bien, en interdisant aux ayants cause à titre
particulier du constituant de se prévaloir d’une possession de bonne foi. Conformément à
l’article 98 de l’Acte uniforme sous commentaire, le gage demeure opposable jusqu’au
« paiement intégral de la dette garantie en principal, intérêts et autres accessoires ».

8. Même son de cloche en droit français. En effet, comme nous l’avons écrit, la réforme
française de 2006 a consacré dans le code civil le gage sans dépossession. Les amateurs du droit
des sûretés auront reconnu l’article 2337, al. 3, du Code civil tel qu’issu de l’ordonnance n°
2006-346 du 23 mars 2006. Depuis lors, le gage de droit commun est devenu une sûreté qui
porte sur les meubles corporels20 du constituant et qui peut opérer avec ou sans dépossession.
Ainsi, il n’est plus ce contrat réel formé par la remise de la chose au créancier. La publicité sur
le registre unique est dès lors devenue la condition sine qua non d’opposabilité du gage sans

17
Décret no 2021-1887 du 29 décembre 2021. Avant cette date, les modalités restent fixées par le décret no 2006-
1804 du 23 décembre 2006.
18
v. CA Abidjan, n° 895, 12-7-2002 : C. A. c/ P. F., Ohadata J-03-15.
19
v. M.-E. Mfini, op. cit.
20
v. not. F. Terré et Ph. Simler, Les biens, 7e éd., 2006, Dalloz, n° 426 ; M.-L. Mathieu-Izorche, Droit civil, Les
biens, Sirey, 2006, n° 975 ; C. Larroumet, Droit civil, t. II, Les biens, droits réels principaux, 5e éd., Economica,
2006, n° 917.

5
dépossession. C’est à juste titre ce que prévoit l’article 2337 du Code civil, lorsqu’il dispose
d’entrée de jeu que « le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite ». En ce
sens, la publicité du gage remplace la remise de la chose entre les mains du créancier bénéficiant
de la garantie. Avec la réforme du 15 septembre 2021, un registre unique est prévu pour
l’ensemble des sûretés mobilière à l’exception toutefois du gage sur véhicule automobile.

9. En outre, le registre sur lequel est porté l’inscription du gage sans dépossession est tenu par
le greffier compétent, qui est selon le cas, le greffier du tribunal de commerce ou du tribunal
judiciaire statuant commercialement ou encore du tribunal mixte de commerce dans le ressort
duquel le débiteur, ou le propriétaire du bien grevé s’il n’est pas débiteur, est immatriculé à titre
principal au Registre du commerce et des sociétés. En ce sens, l’article R. 521-5 du Code de
commerce, dispose que, « Si le débiteur ou le propriétaire du bien grevé s'il n'est pas le débiteur
n'est pas soumis à l'obligation d'immatriculation au Registre du commerce et des sociétés,
l'inscription est portée sur le registre dans le ressort duquel est situé son siège ou à défaut son
établissement principal ou, s'il n'existe ni siège, ni établissement principal, son lieu d'exercice
de l'activité ou l'adresse de l'entreprise fixée au local d'habitation. S'il s'agit d'une personne
physique dont la dette garantie a été contractée à titre non professionnel, l'inscription est portée
sur le registre dans le ressort duquel est situé son domicile personnel. À défaut
d'immatriculation au Registre du commerce et des sociétés, de siège, d'établissement principal,
de lieu d'exercice de l'activité ou de domicile personnel sur le territoire français, le greffier
compétent est celui du tribunal de commerce de Paris ». Lorsque le gage est régulièrement
inscrit, les ayants cause à titre particulier du constituant entrés en possession du bien, ne peuvent
invoquer l’article 2279 du Code civil pour échapper à l’opposabilité de la sûreté dès lors que
celle-ci est publiée, puisqu’on suppose que par la publicité de la sûreté, le tiers est de facto
informé de l’existence de la sûreté, donc de la mise en gage du bien. Ainsi, il ne peut se prévaloir
de la règle posée à l’article 2279 du Code civil, lequel dispose que « en fait de meubles, la
possession vaut titre », puisque la règle en question repose sur la bonne foi du possesseur. En
revanche, lorsque la sûreté n’est pas publiée, qu’il s’agisse du droit français ou du droit de
l’OHADA, il peut être considéré comme de bonne foi et se prévaloir inexorablement de sa
possession pour échapper à la sûreté.

10. Si la théorie est toute aussi aisée et simple, la pratique est toute complexe, tant il est vrai
que cette nouvelle possibilité offerte par l’article 2337 du Code civil et l’article 97 de l’Acte
uniforme portant organisation des sûretés, conduit à s’interroger à nouveau comme ce fut déjà
le cas de par le passé, de la pertinence du recours à l’article 2279. A notre sens, parce que le
texte de l’article 2279 du Code civil repose sur une acquisition a non domino, il n’a pas vocation
à s’appliquer aux ayants cause à titre particulier, tant est-il que ceux-ci tiennent leur droit du
constituant, et que le texte en question n’a aucune incidence sur l’opposabilité de la sûreté. Plus
encore, d’un point de vue pratique, la nouvelle possibilité alourdie plus ou moins les opérations
relatives aux meubles corporels, dans la mesure où tout acquéreur d’un meuble corporel devra
consulter le fichier unique afin de vérifier que le bien n’est pas grevé. A cet effet, l’article R.
521-29 du Code civil dispose qu’ « afin de garantir la publicité des informations inscrites, le
Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce met en place et assure la gestion du
portail national mentionné à l’article R. 521-1 ». Il est ajouté que, « sous réserve des
dispositions de la présente section, les dispositions du titre XXI du livre Ier du Code de
procédure civile s’appliquent à la communication électronique des actes de procédure que
permet ce portail électronique ».

11. Par ailleurs, au sens de l’article 2337, al. 3, du Code civil et de l’article 97, al. 2, de l’Acte
uniforme portant organisation des sûretés, les ayants cause à titre particulier du constituant, sont

6
les personnes devant subir l’opposabilité du gage. A ce propos, plusieurs questions sont
susceptibles de nous intéresser. Mais une devra plus retenir notre attention : les textes susvisés,
renvoient-ils à tous les acquéreurs successifs du bien, ou du seul ayant cause du constituant,
quel que soit son titre d’acquisition ? En réponse à cette question, il sied de relever que rien
n’empêche de considérer que le gage sera opposable aux ayants cause successifs, notamment
au sous-acquéreur, tant il est vrai que le propre de tout droit subjectif, et spécialement des droits
réels est de de s’appliquer erga omnes. Mais plus encore, ce qui conditionne l’opposabilité du
droit réel, c’est la connaissance que peuvent en avoir les tiers. Le gage doit donc pouvoir être
opposé aux acquéreurs a non domino, alors même qu’il est formellement établi que l’article
2337 du Code civil et 97 de l’Acte uniforme sur les sûretés ne visent que les « ayants cause à
titre particulier ». Les acquéreurs ne tenant pas le bien du véritable propriétaire restent en
principe protégés par l’article 2279 du Code civil. Ici, il s’agit du cas dans lequel le propriétaire
du bien gagé, qui en est lui-même le constituant, l’a constitué sans dépossession et l’a publié.
Dans la mesure où une tiers personnes, entrée ensuite en possession du bien sans en être devenue
propriétaire faute de possession utile et de bonne foi, cède ce bien à un tiers, ce tiers est
acquéreur du bien a non domino, ce qui pose alors la lancinante question de l’opposabilité à son
endroit de la sûreté constituée précédemment par le véritable propriétaire de la chose grevée.
En réponse à cette réflexion, peut-on relever que parce que le texte du Code civil ici exploité et
de l’Acte uniforme sur les sûretés, ne vise que les ayants cause à titre particulier, l’acquéreur a
non domino semble être à l’abri de l’opposabilité de la sûreté, même si le doute est toutefois
permis. Cependant, sur le fondement de l’article 2279 du Code civil, le possesseur par l’effet
de sa possession est devenu propriétaire. Ainsi, parce qu’il s’agit d’une acquisition originaire,
la sûreté ne devrait pas lui être opposée. Or, rien n’empêche que la sûreté soit opposable au
possesseur devenu propriétaire par l’effet de l’article 2279 du Code civil, puisque même si l’on
considère que le droit de propriété est nouveau, la chose, elle demeure, avec toutes ses
composantes matérielles et juridiques.

12. L’acquéreur qui devient propriétaire de la chose par l’effet de la possession, prend ladite
chose avec les prérogatives qui la grèvent, dès lors que ces prérogatives lui sont opposables.
C’est en ce sens que « si la publicité de la sûreté organisée par l’ordre juridique permet à tous
les tiers d’en avoir connaissance, ou encore si la connaissance effective par le possesseur de
la sûreté est établie, celui-ci doit subir l’opposabilité de la sûreté ».

13. De ce qui précède il sied de noter que les parties peuvent opter pour l’inscription de la sûreté
sur un registre tenu par le greffe du tribunal de commerce ou au RCCM pour ce qu’est de
l’OHADA. En droit français comme en droit de l’OHADA, l’article 2337, al. 3 du Code civil
et 97 de l’Acte uniforme sur les sûretés, neutralisent les effets de la possession du tiers acquéreur
(mais non celle du sous-acquéreur) ; l’article 2286, 4° du Code civil lui confère un droit de
rétention fictif21 cette prérogative, tout comme le droit de rétention « effectif », qui résultent
d’un gage avec dépossession, confère un avantage décisif en cas de défaillance du débiteur,
prérogative inexpugnable qui prive bien souvent d’intérêt les modes de réalisation que sont
l’exercice du droit de préférence, l’attribution judiciaire ou le pacte commissoire22.

14. En clair, à propos du gage sans dépossession, l’opposabilité aux tiers prend effet à partir de
la date de publicité de la sûreté. Quid cependant du gage avec dépossession ?

21
A. Aynès, « L’extension du droit de rétention dans le projet de réforme des procédures collectives », JCP G,
2008, act. 300 ; S. Piedelièvre, » Le nouvel article 2286 », 4° C. civ., D., 2008, p. 2950.
22
Sur l’ensemble de la question v. C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, Dalloz, coll. Nouvelle
bibliothèque de thèses, t. 190, 2019.

7
II. L’opposabilité du gage avec dépossession

15. En présence d’un gage avec dépossession, c’est la dépossession elle-même qui devient la
condition d’opposabilité à l’égard des tiers. En ce sens, l’article 97 de l’Acte uniforme portant
organisation des sûretés dispose que, « le contrat de gage est opposable aux tiers, soit par
l’inscription au Registre du commerce et du crédit mobilier, soit par la remise du bien gagé
entre les mains du créancier gagiste ou d’un tiers convenu entre les parties ». Cette exigence
transparaît aussi dans le Code civil français, notamment à l’article 2337, al. 2. En effet, dans la
mesure où la dépossession n’est plus de l’essence du gage, celle-ci ne peut que conditionner
l’opposabilité du contrat au tiers, revêtant ainsi une fonction publicitaire. C’est dire donc que
la seule rédaction d’un écrit permet la formation du contrat de gage, tandis que la dépossession,
qui peut avoir lieu soit entre les mains du créancier, soit entre celles d’un tiers convenu, est
relative à l’opposabilité au tiers. A cet égard, le créancier peut confier les marchandises à un
magasin général chargé de posséder pour son compte, même si les locaux d’entreposage sont
ceux du constituant, mis à disposition du tiers convenu23, voire si les salariés du constituant sont
mandatés par le tiers convenu pour gérer lesdits entrepôts24.

16. Par ailleurs, il faut veiller à ce que cette dépossession soit effective, apparente et non
équivoque. En effet, lorsque le tiers convenu possède les marchandises gagées dans des locaux
mis à disposition du constituant aux termes d’un bail commercial, sans que le bailleur n’ait
autorisé cette seconde mise à disposition, la Cour du Quai d’Horloge dans un récent arrêt25 a
considéré que le tiers qui détient la marchandise n’était pas mis en possession. L’arrêt ici
rapporté se prononçait sur la qualité de tiers détenteur dans le cadre d’un gage avec dépossession
portant sur des marchandises. En l’espèce, la Cour de régulation a eu à trancher un litige
opposant le bailleur de locaux commerciaux et un banquier se prévalant d’un gage sans
dépossession sur des marchandises détenues par un tiers convenu. Concrètement, les
marchandises en question étaient stockées au profit d’une société, en sa qualité de tiers
détenteur, mais dans une partie des locaux que le constituant-preneur avait mis à sa disposition
en vertu d’un prêt à usage. Or, le contrat de bail commercial précisait bien que le preneur ne
pouvait ni céder son droit de bail, ni sous-louer tout ou partie de ses locaux sans le consentement
exprès et écrit du bailleur. Dès lors, la question qui se posait était celle de savoir si cette modalité
d’exécution du gage permettait de rendre celui-ci opposable aux tiers, et en particulier au
bailleur des locaux qui avait fait pratiquer une saisie-vente des marchandises, saisie-vente qui
s’était heurtés à la réalisation des marchandises par la banque gagiste. Pour la Cour de cassation,
lorsque le tiers convenu possède les marchandises gagées dans des locaux mis à la disposition
du constituant aux termes d’un bail commercial, sans que le bailleur n’ait autorisé cette seconde
mise à disposition, la dépossession est considérée comme fictive et le gage inopposable au
bailleur.

17. Comme nous l’avons déjà écrit, depuis 2006, en droit français, l’opposabilité du gage de
droit commun résulte soit d’une formalité de publicité, soit de la dépossession entre les mains
du créancier ou d’un tiers convenu. Dans le second cas, il est incontestable que la dépossession

23
Dès lors que le tiers a les clés.
24
Cass. com., 12 janv. 2010, RDC 2010. 1336, obs. A. Aynès ; JCP G 2010. Doct. 708, n° 15. obs. Ph. Delebecque ;
RD banc. fin. 2010, n° 61, obs. D. Legeais ; Dr. et patr. sept. 2010, p. 93, obs. Ph. Dupichot.
25
Cass. com., 23 sept. 2014, n° 12-26203.

8
du constituant et l’entrée en possession du créancier jouent le rôle d’une formalité de publicité,
tel qu’envisagé d’ailleurs à l’article 97 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés.
Mais, plus encore, faut-il que la remise de la possession présente chez l’accipiens les caractères
habituels de la possession tel que prévu par le droit commun. C’est dire qu’elle doit être
effective, apparente et non équivoque26.

26
Cass. com., 8 avr. 2005, RD bancaire et fin. 2015, comm. 82, obs. D. Legeais.

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