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Les grandes régions géologiques du Maroc ; diversité et soulèvement


d’ensemble

Article · October 2017

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5 authors, including:

André Michard Omar Saddiqi


Université Paris-Sud 11 Université Hassan II de Casablanca
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Yves Missenard Mostafa Oukassou


Université Paris-Sud 11 Université Hassan II de Casablanca
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séries marines du Jurassique, financement CNRS View project

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0 Géologues Couv.194 26/09/2017 9:55 Page 1

Numéro 194 - septembre 2017 - 20 € - ISSN 0016.7916 - Trimestriel

Géologues n°194 (03 • septembre 2017)


REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE
Géosciences appliquées

Haut Atlas de Marrakech, à 10 km au NO du col de Tizi n’Tichka. Cliché : H. Ouanaimi.

REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE

Cliché : H. Ouanaimi.
Le Maroc, paradis des géologues
géologie fondamentale :
état des connaissances et résultats récents

Les grandes régions géologiques du Maroc ;


diversité et soulèvement d’ensemble
André Michard 1 , Omar Saddiqi 2 , Yves Missenard 3 , Mostafa Oukassou 4 , Jocelyn Barbarand 5 .

« Maroc, le paradis des géologues ! » Le pays est tel- découvrir de préférence ? Deux ouvrages récents répondent
lement étendu du nord au sud, des chaînes méditerra- à ces questions : un ouvrage collectif en anglais (Michard
néennes au craton de l’Afrique occidentale, et son relief est et al., eds., 2008) et une série de guides géologiques en
si accentué (n’y trouve-t-on pas le plus haut sommet non français (Michard et al., eds., 2011). Ici, nous résumons
volcanique d’Afrique, le J. Toubkal, 4167 m ?) que presque d’abord les grands traits de la géologie du pays, région par
toutes les roches de nature et d’âge variés, presque toutes région, en nous appuyant sur quelques cartes et coupes
les structures s’y trouvent directement observables. Climat générales. Cette introduction servira de base aux articles
favorable, végétation pas trop dense, hospitalité prover- suivants, qui ciblent les points acquis récemment et les
biale des habitants, infrastructure routière et hôtelière chantiers en cours d’étude dans chacune de ces régions.
excellente, voici qui complète l’attrait que ce pays exerce Cependant, à la fin de cette introduction, nous nous arrê-
sur les géologues et les paléontologues du monde entier. terons aussi sur une question fondamentale, celle des
Last but not least, les études géologiques y ont été déve- mouvements verticaux qui ont affecté presque toutes les
loppées très tôt (création du premier Service des Mines et régions géologiques du Maroc au cours des temps post-her-
de la Carte géologique en 1921 sous l’impulsion de cyniens,provoquant des lacunes stratigraphiques majeures
Lyautey ; publication de six cartes au 1/500 000 couvrant et finalement un relief très contrasté. Cette question a jus-
le pays en 1952 au Congrès d’Alger ; cf. Missenard et al., tifié de nombreuses recherches ces dernières années, et a
2008 ; Medioni, 2011) et se sont poursuivies sans relâche. conduit à s’intéresser non seulement aux roches présentes
Qui veut aborder le Maroc aujourd’hui dispose d’une carte en surface, mais jusqu’aux anomalies du manteau.
d’ensemble au 1/1 000 000 (1985), de
nombreuses cartes au 1/200 000 ou
au 1/100 000, de cartes thématiques
diverses (magnétiques,géochimiques,
etc.) et surtout de cartes au 1/50 000
couvrant déjà l’essentiel du pays et
dont le lever, commencé au nord dès
l’Indépendance, se poursuit encore
activement (www.mem.gov.ma). La
bibliographie géologique du Maroc,
déjà très riche, ne cesse d’augmen-
ter du fait même de l’intérêt que le
pays présente pour les chercheurs.
Des questions stimulantes telles que
la structure des chaînes de montagne
ou les crises biologiques trouvent des
éléments de réponse dans ce pays.
Encore ne parle-t-on ici que de géo-
logie fondamentale ! Le Maroc est
aussi un pays minier, la prospection
des hydrocarbures y est active off-
shore et onshore, et les problèmes
d’hydrogéologie ou de géologie appli-
quée y sont prégnants.
Quels sont les grands traits de Figure 1. Le relief du Maroc et des pays voisins au NW de l’Afrique (Michard et al.,2008). Le Rif et les Cordillères
4 la géologie du Maroc ? Où aller la bétiques du sud de l’Ibérie forment l’arc de Gibraltar, l’un des oroclines les plus refermés au monde.

1. Professeur émérite à l’Université de Paris-Sud, ex-directeur du Laboratoire de Géologie structurale de Strasbourg. Courriel : andremichard@orange.fr
2. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, Doyen de la Faculté des Sciences Aïn Chock. Courriel : omarsaddiqi@yahoo.fr
3. Professeur à l’Université Paris-Sud, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences d’Orsay. Courriel : yves.missenard@u-psud.fr
4. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, Faculté des Sciences Aïn Chock. Courriel : mostafa.oukassou@gmail.com
5. Professeur à l’Université Paris-Sud, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences d’Orsay. Courriel : jocelyn.barbarand@u-psud.fr

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Généralités la collision paléoprotérozoïque fondatrice du craton vers


2 Ga. Ensuite, plus de trace d’orogenèse, sauf sur les bords.
Les domaines géologiques du Maroc se lisent dans Dans l’Anti-Atlas,l’histoire enregistrée débute au Paléopro-
son relief (Fig. 1). Ils sont au nombre de cinq, du sud au térozoïque (c’est le bord nord du craton), avant d’être mar-
nord : le domaine saharien, correspondant au Craton quée par le cycle orogénique panafricain qui s’étale entre
Ouest-Africain (en anglais : le WAC) ; l’Anti-Atlas et les 760 et 550 Ma. Plus au nord encore, mais aussi à l’ouest,
bassins qui le bordent localement (Sous et Ouarzazate) ; l’orogenèse hercynienne ou varisque (360-290 Ma) s’expri-
le système des Atlas (Haut Atlas, Moyen Atlas), qui s’étend me fortement dans les massifs mésétiens, dans le socle
vers l’est en Algérie et Tunisie, alors que l’Anti-Atlas est atlasique et dans les nappes des Mauritanides septentrio-
une spécificité marocaine ; les massifs anciens du domai- nales (Oulad Dlim). La chaîne varisque, comme la chaîne
ne de la Meseta, en partie cachés sous des plateaux et panafricaine avant elle,tend à se mouler sur le craton.Enfin,
qui forment le socle des Atlas ; le Rif, branche sud de l’Arc le cycle orogénique alpin va faire surgir les Atlas et le Rif au
de Gibraltar et extrémité occidentale des chaînes alpines Cénozoïque (depuis ~35-40 - Ma), avec deux styles diffé-
de Méditerranée occidentale. Cependant, à ces cinq rents : une chaîne intracontinentale dans le domaine atla-
domaines majeurs, constitutifs du continent, vient s’ajou- sique,dont les unités sont essentiellement autochtones ;une
ter un sixième domaine qui les prend tous en écharpe de chaîne alpinotype dans le Rif, dont tous les éléments sont
manière plus ou moins complexe : la marge atlantique, charriés sur la marge africaine,certains,les plus internes,pro-
dont la partie proximale est visible à terre, et qui n’est venant même de la marge européenne de la Téthys.
restée une marge passive typique qu’au sud de l’Atlas.
Les domaines géologiques si visibles dans le relief du Le domaine saharien
Maroc se calquent sur autant de domaines structuraux (Fig.2). Le domaine saharien du Maroc comporte trois par-
Tout au sud, dans le craton, l’histoire tectonique commen- ties (voir Fig. 2), d’est en ouest et du plus profond au plus
ce à l’Archéen, il y a quelque 3 Ga, pour se poursuivre par superficiel : 1) une partie orientale appartenant au Craton
Ouest-Africain, 2) une partie centrale où affleurent les
nappes des Mauritanides, charriées sur le craton, et 3) une
partie occidentale constituée des terrains d’âge Crétacé-
Tertiaire appartenant à la marge atlantique proximale.

Le craton
Il correspond à une petite partie de la Dorsale ou
Bouclier Reguibat, montrant ici les terrains archéens du
noyau du Craton Ouest-Africain, avec des âges autour de
3 Ga. Le reste de la dorsale, affleurant en Mauritanie et en
Algérie, est fait de terrains paléoprotérozoïques soudés au
noyau archéen lors de l’orogenèse éburnéenne-birri-
mienne, vers 2 Ga. Les terrains archéens de la dorsale
affleurent au Maroc autour d’Aoussert (Awsard) et Tichla
(Rjimati et al., 2011). Ils comportent un large éventail de gra-
nites, migmatites et intrusions diverses, et des éléments
de ceintures de roches vertes (Tichla). Plus au sud, en Mau-
ritanie (région du Tasiast-Tijirit-Chami), ces terrains ont
été datés récemment à 2,97 Ga pour les migmatites, à
2,96 pour les volcanites acides de la ceinture de Chami
(Key et al., 2008). La ceinture de roches vertes du Tasiast
est considérée comme charriée vers l’ouest avant 2,83 Ga
Figure 2. Les domaines structuraux du Maroc et des régions voisines, (Heron et al., 2016). Au Maroc, les roches archéennes de la
résultat d’une évolution géologique commencée il y a 3 Ga (Archéen du région d’Awsard-Tichla ainsi que celles des unités char-
Craton Ouest-Africain). Hachures: zone des Sferiat, à unités chevauchantes
archéennes découpées pendant la collision éburnéenne. FSA : Faille sud- riées les plus basses ont fait l’objet d’une cartographie au
atlasique. AAMF : Accident majeur de l’Anti-Atlas ; BC : Bloc côtier ; 1/50.000 (Rjimati et al., 2002 à 2011), puis ont été étudiées
Jb : Jebilet ; MC : Meseta centrale ; MSZ : Suture mésorifaine ; OZZ :
Ouarzazate ; R : Rehamna ; T : Tazekka ; Ta : Tamelelt. D’après Michard et en détail du point de vue géochimique et géochronolo-
al., 2011. Les traces 3 (A, B) à 8 localisent les coupes des figures suivantes. gique, comme exposé plus loin (Montero et al., ce vol.). 5

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Les nappes des Oulad Dlim-Adrar Souttouf s’intercalent entre la première nappe de socle et les quart-
zites conglomératiques de l’Ordovicien supérieur, discor-
Le massif des Oulad Dlim-Adrar Souttouf permet
dants sur l’Archéen (voir Fig. 3A). Ce n’est que plus au nord
d’observer l’extrémité septentrionale de la chaîne des
encore (Dhlou, Zemmour) que la couverture du craton
Mauritanides, une « chaîne de montagnes » qui ne dépas-
s’épaississant, une chaîne plissée d’avant-pays apparaît
se guère 400 m d’altitude, formée d’unités charriées vers
au front des nappes (Fig. 3B), annonçant le passage vers
l’est sur le bord du craton. Cette chaîne au sens tecto-
l’Anti-Atlas. La réduction extrême de la couverture du cra-
nique du terme s’allonge sur plus de 1500 km vers le sud
ton sur le transect des Oulad Dlim s’explique d’abord par
jusqu’au Sénégal, pour une largeur généralement voisine
l’érosion glaciaire ordovicienne ayant précédé le dépôt
de 150 km. L’empilement des unités qui la forment et leur
des quartzites conglomératiques, ensuite par une subsi-
charriage sur le craton résultent pour une part de l’oro-
dence particulièrement faible de la région au Paléozoïque
genèse varisque, comme le montre l’implication du Dévo-
moyen, peut-être du fait de sa position en épaulement
nien dans ses unités frontales (Fig. 3) ainsi que les mesures
de la marge de l’océan Rhéique.
K/Ar et 40Ar/39Ar de 310-290 Ma, obtenues dans les unités
internes (Villeneuve et al., 2006 ; Caby & Kiénast, 2009).
Des assemblages métamorphiques de haute pression- La marge atlantique au sud de l’Atlas
basse température,attribuables à l’orogenèse varisque,ont La marge atlantique du Maroc (Hafid et al., 2008 ;
été mis en évidence en Mauritanie (Le Goff et al., 2001 ; Klingelhofer et al., 2016) s’est formée suite au rifting du
Caby & Kiénast, 2009). Cependant, cette chaîne porte Trias lors de l’ouverture de l’Atlantique Central, rifting
aussi témoignage d’événements néoprotérozoïques culminant avec les émissions basaltiques de la CAMP
rattachés à l’évolution de la chaîne panafricaine et révé- (Central Atlantic Magmatic Province) vers 200 Ma. La
lés par la géochronologie U-Pb zircon. Montero et al. (ce partie saharienne de la marge (Fig. 4) montre les dépôts
vol.) brossent l’état des lieux concernant les nappes des synrifts du Trias, recouverts par une plateforme carbo-
Oulad Dlim,notamment la nature et l’âge de leur matériel. natée jurassique tronquée par les couches détritiques
Du point de vue structural, le transect des Oulad du Crétacé inférieur, continentales dans le domaine proxi-
Dlim est remarquable parce que les nappes crustales mal, et suivis enfin par les séries marines du Crétacé
métamorphiques se superposent directement par endroit supérieur et du Tertiaire. Au sud de l’Atlas, cette série de
sur la croûte de leur avant-pays, sans interposition d’uni- marge passive est seulement déformée par la tectonique
tés sédimentaires parautochtones. C’est le cas au sud, au salifère (Tari et al., 2003 ; Davison & Dailly, 2010). L’insta-
niveau de Tichla, tandis que vers le nord des écailles de bilité gravitaire liée aux pentes du talus détermine en
métaquartzites attribuables au Cambrien (Gärtner et al., outre la déformation des couches éocènes à quaternaires
2017) et une mince semelle siluro-dévonienne plissée (Benabdellouahed et al., 2016).

Figure 3. Le front des nappes mauritaniennes et leur avant-pays cratonique à Aousserd (A) et Guelta Zemmour (B), d’après Michard et al. (2010). Le domai-
6 ne cratonique est colorié, les nappes et les terrains paléozoïques décollés sont laissés en blanc..

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Figure 4. Coupe des séries sédimentaires de la marge atlantique à Tarfaya, dans la partie nord du bassin de Boujdour (Hafid et al., 2008).

L’Anti-Atlas Le résumé des connaissances actuelles sur la chaî-


ne panafricaine de l’Anti-Atlas est présenté plus loin par
Entre l’embouchure de l’oued Dra et la hamada du
Soulaimani et al. (ce vol.). Quant à l’orogenèse varisque, elle
Guir à l’ouest de Béchar (voir Fig. 1), l’Anti-Atlas apparaît
reste ici modérée : l’Anti-Atlas correspond à une chaîne
comme une chaîne montagneuse trapue (750 x 150 km) d’avant-pays au front des zones métamorphiques des
et d’altitude moyenne, modérée. Elle culmine à 3 200 m au Mauritanides, à l’ouest, et du domaine de la Meseta, au
J. Siroua, là où elle est collée au Haut Atlas, au sud de Mar- nord. Cette chaîne montre un style « pachydermique »
rakech (voir Fig. 2). L’axe le plus surélevé de l’Anti-Atlas est (thick-skinned) dans la mesure où la déformation implique
marqué par l’alignement des « boutonnières » (des mas- son socle (voir Fig. 5). Les accidents du socle précambrien
sifs généralement en creux) qui font affleurer le socle pré- sont réactivés au cours de l’évolution paléozoïque (Sou-
cambrien métamorphique sous les terrains paléozoïques laimani et al., 2014), d’abord en failles normales (rifting
plissés (Fig. 5). Sur le flanc nord de la chaîne, les couches cambrien), puis en failles inverses décrochantes (collision
crétacées et tertiaires des deux bassins du Sous (Agadir) varisque), aboutissant à un canevas de plis complexes. La
et de Ouarzazate montrent un pendage nord et s’appuient complexité du plissement est d’autant plus importante
en discordance sur le Paléozoïque déformé. Ainsi l’Anti- (figures d’interférence) que la direction de compression
Atlas est une « poupée-gigogne » géologique : une mon- semble tourner pendant le Carbonifère supérieur-Per-
tagne surélevée au Cénozoïque à l’instar de l’Atlas,reprenant mien inférieur, passant de la direction NW-SE (Anti-Atlas
une ancienne chaîne hercynienne,elle-même superposée à occidental) à la direction N-S puis NE-SW dans le Tafilalt
un domaine complexe où se trouvent les témoins de deux et l’Ougarta (Baidder et al., 2016).
cycles orogéniques précambriens, celui du Néoprotéro-
zoïque, qui a édifié l’immense chaîne panafricaine, et celui Le domaine mésétien
du Paléoprotérozoïque, qui a présidé à l’édification du cra- Ce domaine se définit dans les massifs anciens où
ton ouest-africain. les terrains paléozoïques sont affectés de plissements

Figure 5. Coupe du flanc sud de l’Anti-Atlas occidental, d’après Burkhard et al. (2006), modifiée in Michard et al. (2010). Localisation : Fig. 2. Abréviations :
Fig. 3, sauf PIII = ancienne désignation de l’Ediacarien supérieur discordant. 7

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de la Meseta occidentale ou la zone de


faille du Tazekka, 2) l’étalement des
phases de compression syn-métamor-
phiques avec une phase précoce dans le
bloc Sehoul (granite à 367 Ma ;Tahiri et al.,
2010) et dans la Meseta orientale, avant
la transgression du Dinantien (Hoepff-
ner et al., 2006 ; Michard et al., 2010), 3)
l’importance du magmatisme synoro-
génique, avec un magmatisme gab-
broïque précoce, dévono-dinantien, et
un magmatisme granitique syn- à post-
tectonique. Les plus vieux terrains à
l’affleurement sont d’âge Ediacarien
supérieur. La présence d’une croûte
précambrienne ancienne de type gond-
Figure 6. A : Coupe schématique de l’orogène mésétien (Hoepffner et al., 2006). B : Coupe générale de wanien est attestée par l’âge des zircons
la chaîne varisque marocaine replaçant la coupe A dans son cadre général à la fin du Paléozoïque
(Michard et al., 2010). TFZ : Zone de faille du Tazekka, coïncidant avec la zone de racine des nappes, hérités (2000 Ma, 700 Ma), ramenés
charriées vers l’ouest. Abréviations stratigraphiques usuelles en anglais. S1, S2 : clivage schisteux par diverses roches magmatiques (e.g.,
éovarisque/varisque.
Dostal et al., 2005), bien que cette
croûte ancienne ait été profondément
intenses synmétamorphiques et recoupés par de vastes
rajeunie pendant les phases de subduction et de collision
intrusions granitiques. Il appartient à la chaîne varisque
varisque.
ou hercynienne qui s’allongeait d’Europe en Afrique
occidentale après la collision Laurussia-Gondwana. Les La chaîne mésétienne arasée au Permien constitue
terrains primaires les plus jeunes sont ceux des fossés en règle générale le socle du système des Atlas. Le Massif
permiens volcano-détritiques, liés à des ancien du Haut Atlas occidental, le massif du Tazekka, les
décrochements tardi-hercyniens. Ce socle
paléozoïque forme des massifs (Massif
central, Rehamna, Jebilet, Bloc côtier ; voir
Fig. 2) entourés par les couches discor-
dantes des bassins triasiques ou des pla-
teaux crétacés-tertiaires (dont le fameux
Plateau des Phosphates entre le Massif
central et les Rehamna), ou encore des
bassins miocènes (celui de Fès-Meknès
au nord,du Tadla et de Marrakech au sud).
Le même socle varisque se retrouve en
massifs dispersés dans le domaine atla-
sique, où ce sont des dépôts triasiques et
jurassiques qui le recouvrent. En interpo-
lant les données d’un massif à l’autre, il
est possible de proposer une coupe de
l’orogène mésétien (Fig. 6A), et de repla-
cer celle-ci dans l’ensemble de la chaîne
varisque marocaine (Fig. 6B).
Le contraste est frappant avec la
chaîne plissée d’avant-pays de l’Anti-Atlas Figure 7. Coupes du Haut Atlas central (A) et de l’Atlas de Marrakech (B), respectivement d’après
(voir Fig. 5). On note en particulier : 1) le Michard et al. (2011) et Missenard et al. (2007). C : Coupe du rift triasique sur le transect oriental de
l’Atlas de Marrakech vers la transition Trias-Lias (200 Ma), d’après El Arabi (2007), in Frizon de Lamotte
découpage de l’orogène par des failles et al. (2008). I-V : succession des séquences continentales du Permien (I) et du Trias (II-V). En vert : trapps
8 majeures comme la Zone de cisaillement basaltiques et dykes de la CAMP.

Géologues n°194
géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

horsts du Moyen Atlas nord-oriental, le massif de Midelt, Tazekka, où s’enracinent les nappes varisques, et de la
le nord du Tamelelt dans l’Atlas oriental appartiennent zone faillée de Meseta occidentale.
au socle mésétien. En revanche, le socle du Haut Atlas de L’organisation des montagnes atlasiques est mar-
Marrakech présente une géologie de type anti-atlasique, quée par la prédominance de failles longitudinales, héri-
sans empreinte métamorphique varisque : c’est le « pro- tées des failles normales du rift correspondant. Ces failles
montoire de l’Ouzellarh » où se trouve le J. Toubkal. Une normales découpaient des blocs allongés et plus ou moins
faille varisque majeure le sépare de l’orogène mésétien, la basculés transversalement. Ce découpage va guider en
Faille sud-mésétienne (SMF), qui inclut à l’ouest la faille du partie la répartition des plis atlasiques, caractérisés par des
Tizi n’Test mais se poursuit vers l’est jusqu’en Algérie. Les anticlinaux aigus entre de larges synclinaux à fond plat
relations paléogéographiques entre Meseta et Anti-Atlas (Fig. 7). Le rifting triasique s’est trouvé réactivé au Lias,
ont été récemment éclairées par les études stratigra- avec une reprise du volcanisme associé. Le remplissage
phiques et structurales, comme l’exposent plus loin Oua-
marin du rift se poursuit jusqu’au Jurassique moyen, avec
naimi et Hoepffner (ce vol.).
des dépôts plus épais et en général plus profonds dans l’axe
Les couches de houille du Carbonifère supérieur du bassin. Dans le même temps, le sel triasique sous-
ont été exploitées dans la Meseta orientale (Jerada), jacent commence à fluer et à s’organiser en diapirs au-des-
et les minéralisations sulfurées liées au magmatisme sus des failles. Une régression s’installe au Jurassique
de la Meseta occidentale ont un intérêt économique moyen, enregistrée par le dépôt de couches rouges. Celles-
important. Cependant, la chaîne varisque marocaine dans ci sont célèbres par leur restes et empreintes de dino-
son ensemble offre bien des sujets d’étude de géologie saures. Les dépôts rouges se poursuivent jusqu’au Créta-
fondamentale, qu’il s’agisse de l’interprétation de la cul- cé inférieur. L’érosion de l’Atlas de Marrakech commence
mination métamorphique des Rehamna et des Jebilet dès cette époque et alimente en partie ces dépôts rouges.
(Wernert et al., 2016 ; Delchini et al., 2016), des corréla- Dans la même période se déclenche un magmatisme,
tions avec la chaîne varisque d’Europe et de la tectonique tant intrusif que volcanique, de nature gabbroïque à ten-
des plaques associée à cette orogenèse (Kroner, 2016). dance alcaline, associé à des syénites. Il traduit l’exten-
sion crustale et la remontée de l’asthénosphère (Frizon
Le système des Atlas
de Lamotte et al., 2009).
Les Atlas (Haut Atlas et Moyen Atlas, voir Fig. 2) La transgression majeure du début du Crétacé
sont des chaînes intra-continentales d’âge alpin résultant supérieur a probablement recouvert toute la chaîne.
de l’inversion de rifts d’âge triasico-jurassique (Frizon de L’émersion va se faire vers la fin de cette période et les
Lamotte et al., 2000, 2008 ; Teixell et al., 2007 ; Domène- failles vont commencer à s’inverser quand la convergen-
ch et al., 2015). Ces rifts assuraient une connexion entre le ce Afrique-Europe s’enclenchera (80 Ma). De nouveaux
rift de l’Atlantique central et la Néo-Téthys, concurrem- dépôts rouges apparaissent au début du Tertiaire. Charrière
ment au rift passant plus au nord et rattachant l’Atlantique et Haddoumi (ce vol.) reviennent sur les méthodes de
naissant à la Téthys alpine. Contrairement à leurs voisins datation de ces divers dépôts rouges et sur leur signifi-
du nord, les rifts atlasiques ont avorté au Jurassique supé- cation géodynamique.
rieur, sans aller jusqu’à l’ouverture océanique. Les rifts
atlasiques se sont ouverts dans la chaîne
mésétienne érodée et effondrée, à
l’instar du rift atlantique s’ouvrant sur
les ruines de la chaîne appalachienne-
hercynienne, en réutilisant en failles
normales nombre de failles inverses ou
de décrochements anciens. C’est ce qui
explique que le plan des chaînes atla-
siques se calque sur celui de l’orogène
mésétien. Ainsi, la Faille sud-atlasique
suit à peu près le même trajet que la
Faille sud-mésétienne, c’est une structu- Figure 8. Coupe schématique du Rif et du sud du bassin d’Alboran, d’après Chalouan et al., 2008,
re héritée typique. De même, la direction modifié. Localisation : voir Fig. 2. Abréviations : B., Beni ; C, Crétacé ; J, Jurassique inférieur-moyen ;
LCKE, Crétacé inférieur de Ketama ; LMM, Miocène inférieur-moyen ; MM, Miocène moyen ; MSZ :
NE-SW du Moyen Atlas correspond à suture mésorifaine ; Pd, Prédorsalien ; T, Trias ; Tg, Unité de Tanger ; UM, Miocène supérieur (1, Torto-
l’orientation de la zone de faille du nien anté-nappe ; 2, Tortonien-Messinien-Pliocène post-nappe) ; UJ-C, Jurassique supérieur-Crétacé. 9

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

Le raccourcissement transversal des Atlas s’accen- séries y sont de plus en plus pélagiques vers le nord jus-
tue au Miocène, entraînant le chevauchement du Haut qu’au Crétacé supérieur-Eocène, puis se terminent par
Atlas et du Moyen Atlas sur leurs bordures respectives des sédiments détritiques miocènes.
(voir Fig. 7A). La géométrie des failles inverses dans le socle Or, par-dessus le Miocène mésorifain qui affleure
est encore mal connue,faute de profil de sismique réflexion. en fenêtres anticlinales,s’observe la « nappe des Senhadja »
Cependant, le massif ancien du Haut Atlas occidental révè- hétéroclite, qui inclut aussi bien des unités de couvertu-
le un découpage du Paléozoïque en blocs imbriqués, déli- re calcaire que des écailles à affinités ophiolitiques :
mités par des failles inverses en replats et rampes (Fekkak serpentinites (Beni Malek), gabbros, diabases, avec leur
et al., soumis). Le raccourcissement n’excède sans doute couverture d’ophicalcite, de brèches et de sables ophioli-
pas 15 à 25% de la largeur initiale du bassin, ce qui pose le tiques, de calcaires à clastes ophiolitiques et de radiolarites
problème de l’altitude considérable de cette chaîne presque (Michard et al., 1992, 2007, 2014 ; Benzaggagh et al., 2014).
sans racine. Ce point est discuté à la fin du présent article, C’est la suture mésorifaine, qui peut se suivre en Algérie
tandis qu’une discussion de la tectonique atlasique est au moins jusqu’en Oranais (voir Fig. 2). Cette suture est
proposée plus loin par Ibouh et Chafiki. (ce vol.). interprétée comme issue de la marge distale africaine, de
type hyper-étirée, avec exhumation du manteau, intru-
Le Rif sion et exhumation de gabbros, et présence d’allochtones
La Meseta marocaine occidentale et les plateaux continentaux (Senhadja, Intrarif). L’article de D. Frizon de
du Moyen Atlas tabulaire s’enfoncent vers le nord sous Lamotte et al. (ce vol.) montre tout l’intérêt de cette zone
les sédiments mio-plio-quaternaires du sillon sud-rifain en terme de géodynamique.
(voir Fig. 2). À partir de là, la géologie change du tout au La suture mésorifaine n’est pas la seule suture du
tout, on entre dans le domaine rifain, chaîne alpine typique Rif, il y a aussi celle que marquent les Flyschs maghrébins,
où toutes les unités rocheuses sont déplacées peu ou prou au nord de l’Intrarif. Ces flyschs sont des séries sédimen-
vers le sud ou le sud-ouest par-dessus la bordure de taires de mer profonde dont l’âge va du Crétacé inférieur
l’Afrique nord-occidentale. Les lignes qui suivent résu- au Miocène inférieur. Aujourd’hui, ils sont disposés en
ment la synthèse récente proposée par Chalouan et al. nappes au-dessus des unités intrarifaines, mais sont inter-
(2008), sauf mention particulière. prétées comme issues d’un bassin océanique étroit entre le
Les petites montagnes qui apparaissent d’abord domaine de la marge hyper-étirée mésorifaine au sud et
au nord de Fès et Meknès appartiennent encore à l’avant- le domaine d’Alboran au nord, rattaché à la marge ibé-
pays de la chaîne (Fig. 8). Ce sont les Rides prérifaines, rique sud-est. La suture des Flyschs ne montre que
dalles de roches jurassico-crétacées décollées du socle sur quelques écailles de basaltes en coussins dans le Rif, mais
les évaporites triasiques. Cette tectonique de serrage au les ophiolites font leur apparition en Algérie au sud de la
front du Rif est très récente et a contribué à fermer au Petite Kabylie, avant de se développer considérablement
cours du Messinien le sillon sud-rifain qui était l’une en Calabre, dans une situation tectonique équivalente.
des voies de communication entre la Méditerranée et Au-delà de la suture des Flyschs, se développe le
l’Atlantique. Ceci a provoqué la crise salifère de la Médi- domaine d’Alboran. Marge passive de la plaque ibérique du
terranée jusqu’à ce que s’ouvre en grand le détroit de Jurassique à l’Eocène, c’est aujourd’hui un empilement de
Gibraltar au Pliocène (e.g. Achalhi et al., 2016). nappes, affecté par un métamorphisme alpin de haut
Au-dessus de la série parautochtone des Rides, la degré dans les unités les plus profondes. Ce domaine for-
première nappe rencontrée est la nappe prérifaine, faite me aussi la croûte étirée du bassin méditerranéen d’Albo-
de marnes crétacées à Miocène supérieur ayant glissé par ran et réapparaît dans les Cordillères bétiques. Les nappes
gravité vers l’avant-fosse du sillon sud-rifain, au cours du qui le constituent sont semblables au sud et au nord du bas-
Miocène supérieur. Les masses d’évaporites y sont fré- sin, incluant de haut en bas, i) la Dorsale calcaire où sont
quentes (diapirisme crétacé à miocène). Cette nappe a empilées les unités de couverture de la paléomarge, ii) les
transporté avec elle une autre nappe, dite d’Ouezzane, Ghomarides-Malaguides, ensemble de nappes à matériel
d’origine plus interne (Intrarif). Un alignement de reliefs paléozoïque affecté par l’orogenèse varisque, et iii) les Seb-
rocheux (carbonates jurassico-crétacés) appelés « sofs » tides-Alpujarrides, incluant un matériel crustal ayant subi
marque la limite du Prérif interne. Dans ces unités, com- également l’orogenèse varisque, et un matériel manté-
me dans celles qui suivent vers l’intérieur et appartiennent lique formant les massifs de péridotites des Beni Bousera
au Mésorif (nomenclature héritée de Suter, 1980), on peut dans le Rif et de Ronda dans les Bétiques. Le métamor-
reconnaître les éléments de la marge passive proximale de phisme alpin affecte essentiellement les Sebtides, avec un
10 l’Afrique, au sud de la Téthys liguro-maghrébienne. Les pic thermique vers 20 Ma, précédant de peu l’effondre-

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géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents

ment du cœur de la chaîne, l’ouverture du bassin d’Albo- malgré l’inversion cénozoïque. Il en est de même dans les
ran et le développement du volcanisme andésitique. bassins périphériques, comme le bassin d’Essaouira, ou
L’interprétation géodynamique de cet arc de Gibraltar si le long de la marge passive Atlantique.
resserré alimente de nombreuses controverses et des études Plus au Sud, l’Anti-Atlas subit dans le même temps
incessantes (e.g. Mazzoli & Martin-Algarra, 2014 ; Frasca et une phase d’exhumation lente mais persistante (Ruiz et
al., 2015). Les mouvements récents qui affectent cette al., 2011 ; Oukassou et al., 2013 ; Sehrt et al., 2017). Cette
région et y provoquent de fréquents séismes font l’objet de phase d’exhumation, qui va se poursuivre jusqu’au Cré-
la contribution de Chalouan et al. (ce vol.). tacé inférieur, est à l’origine de l’érosion de plusieurs kilo-
mètres de couverture paléozoïque. Les séries triasico-lia-
Les mouvements verticaux du Maroc siques n’ont jamais recouvert ce domaine. Enfin, le
et son relief actuel domaine saharien partage une histoire commune avec
l’Anti-Atlas pour cette période, puisque les données de
Les enseignements de la thermochronologie basse- thermochronologie basse température indiquent là enco-
température
re une exhumation lente mais persistante pendant le Trias
Nous avons souligné au début de cet article l’alti- et le Jurassique inférieur (Leprêtre et al., 2013).
tude particulièrement importante du relief marocain par Une étape de cette histoire est particulièrement
rapport au reste de l’Afrique du Nord (voir figure 1). La ther- intrigante : celle qui va du Jurassique supérieur au Créta-
mochronologie basse température (essentiellement par cé inférieur et voit une grande partie du Maroc affectée par
la méthode des traces de fission sur apatite) permet de une érosion majeure. Les sédiments triasico-liasiques de
préciser l’évolution du relief depuis le début du Secondaire, la Meseta occidentale sont alors totalement érodés. L’éro-
offrant ainsi un éclairage nouveau sur les lacunes sédi- sion atteint aussi 1 à 2 km dans l’Anti-Atlas. Le bouclier
mentaires qui caractérisent la Meseta et l’Atlas de Marra- Reguibat subit 3 à 4 km d’érosion à l’ouest, et 1 à 1.5 km à
kech (la « Dorsale de la Meseta occidentale », en anglais l’est. Les produits d’érosion viennent alimenter de vastes
« West Moroccan Arch ». On découvre une succession de deltas sur la marge passive atlantique, au niveau de
périodes de surrection et de périodes de subsidence durant Boujdour et de Tarfaya. Cet épisode d’érosion qui suit, à
le Méso-Cénozoïque, y compris pour les massifs anciens, plusieurs dizaines de millions d’années de distance, les
traditionnellement considérés comme « stables » depuis riftings atlantiques et téthysiens, reste une énigme. Il
l’orogenèse varisque (Leprêtre et al., 2015). s’agit probablement d’un phénomène de très grande lon-
Le démantèlement de la chaîne varisque s’achève gueur d’onde, peut-être associé à la dynamique du man-
au Permien. Dans le contexte de la fragmentation de la teau. La fin en est marquée par l’arrivée de la mer céno-
Pangée, les séries détritiques du Trias, les trapps basal- mano-turonienne sur l’ensemble du domaine,à l’exception
tiques du Trias-Lias et les carbonates du Lias ont vrai- de la partie sud de la dorsale Reguibat. À la fin du Créta-
semblablement recouvert tout le domaine atlaso-mésé- cé supérieur, les prémices des déformations alpines se
tien. De fait, l’inversion des données de traces de fission font sentir, enregistrés par des discordances locales dans
sur apatite dans les massifs mésétiens montre qu’ils ont les Atlas (Frizon de Lamotte et al., 2008, fig. 4.20). De plus,
été recouverts par des couches dont l’épaisseur a pu la totalité de la dorsale Reguibat est de nouveau livrée à
atteindre 1,5 à 3 km avant la discordance du Jurassique l’érosion, tout comme, probablement, l’Anti-Atlas. Ces
supérieur et/ou du Crétacé inférieur, suivant les lieux (Ghor- deux domaines forment ainsi des antiformes d’échelle
bal et al., 2008 ; Saddiqi et al., 2009). L’image ancienne lithosphérique, plis de grande longueur d’onde associés à
« d’îles paléozoïques » émergeant au milieu des mers épi- la convergence Afrique-Europe. Cette convergence abou-
continentales du Lias, est aujourd’hui caduque ; elle doit tit à un premier épisode d’inversion des bassins atlasiques
être remplacée par celle d’une dorsale émergée au Juras- au cours de l’Eocène moyen-supérieur: c’est la phase atla-
sique supérieur-Crétacé inférieur. La question reste posée sique, bien connue en Algérie et en Tunisie grâce aux don-
pour le Haut Atlas de Marrakech, à la croisée des rifts Atla- nées de sub-surface et à un enregistrement sédimentai-
sique et Atlantique. Il semble n’avoir pas été recouvert de re continu. Au Maroc, les données de sub-surface sont
sédiments avant le Trias supérieur (Domènech et al., 2015), parcellaires, et l’enregistrement sédimentaire dans les
et les séries jurassiques, qui s’amincissent à son pied, ne bassins est incomplet. Il faut alors utiliser, outre les traces
s’y sont jamais déposées. Dans les domaines voisins, affec- de fission sur apatite, des thermochronomètres ayant des
tés par l’extension (Haut Atlas Occidental, Haut Atlas Cen- températures de fermeture différentes (méthode U-Th/He
tral, Moyen Atlas), ce sont des séries pluri-kilométriques sur apatite), pour mettre en évidence cette phase de défor-
qui s’accumulent au Mésozoïque, et qui sont préservées mation (Leprêtre et al., 2015). 11

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deux phases volcaniques, l’une au Miocène, entre 14,6 et


5,5 Ma, l’autre au Quaternaire, entre 1,8 et 0,5 Ma. Les
néphélinites sont ici plus rares et forment les plus
anciennes coulées, suivies par des laves moins alcalines
(basaltes subalcalins dominants). Les caractères géochi-
miques de ces laves sont compatibles avec l’idée d’un
panache asthénosphérique mis en place sous les Canaries
et le Maroc atlaso-mésétien à partir de l’Eocène (des intru-
sions sont datées de cet âge dans l’Atlas central-oriental)
et qui aurait provoqué l’érosion thermique de la base de
la lithosphère, suivant une « ligne chaude du Maroc »
allant du Siroua à Oujda.
Or, l’amincissement lithosphérique invoqué se trou-
ve bien confirmé par les études géophysiques. Dès 1996,
Seber et al. ont montré, en s’appuyant sur des données de
télésismique, que la lithosphère marocaine est particu-
lièrement chaude. Au milieu des années 2000, la confir-
Figure 9. Topographie de la limite lithosphère-asthénosphère sous le Maroc mation d’une lithosphère atypique est donnée par Mis-
et les domaines adjacents, modèle basé sur l’anomalie du géoïde (Fullea senard et al. (2006) et Fullea Urchulutegi et al. (2007).
Urchulutegui et al., 2007). La zone de lithosphère amincie concerne
l’Anti-Atlas au Sud, le Haut Atlas Central, le Moyen Atlas, et semble se L’amincissement de la lithosphère (Fig. 9) est caractérisé
poursuivre au Nord en mer d’Alboran. par : 1) une limite lithosphère-asthénosphère remontant
à 70 km localement, 2) une géométrie allongée, depuis
L’anomalie chaude de la lithosphère marocaine l’Anti-Atlas occidental jusqu’au Rif oriental, 3) une indé-
Au cours de l’Oligocène et du Miocène, tout le Maroc pendance vis-à-vis des structures crustales, 4) un mag-
au sud du Rif est caractérisé par un soulèvement qui en matisme à l’aplomb du secteur aminci, mis en place en
fait une terre émergée. Les chaînes atlasiques s’érigent et deux phases distinctes, l’une à l’Eocène, l’autre au Plio-
les molasses syntectoniques viennent alimenter des Quaternaire, sans qu’une migration dans l’espace de ce
bassins internes ou périphériques continentaux. Le ser- magmatisme puisse clairement être identifiée, et enfin 5)
rage se poursuit au cours du Pliocène et du Quaternaire, un soulèvement de la croûte de l’ordre de 1000 m, qui
déformant les premières molasses. Cependant, le rac- s’ajoute à la topographie générée par l’épaississement
courcissement des Atlas reste faible, de l’ordre de 15 % à crustal dans le Haut Atlas et le Moyen Atlas.
l’Ouest et de 25 % à l’Est, valeurs insuffisantes pour justi- Il apparaît impossible de relier cet amincissement
fier, par simple isostasie, l’altitude considérable qu’attei- lithosphérique à un phénomène de rifting, car il n’y a
gnent ces chaînes. D’où l’idée que ce soulèvement soit en aucun indice d’extension en surface. Un processus de type
partie contrôlé par des processus profonds, comme le sug- panache, évoqué plus haut, est également délicat à envi-
gérait déjà Louis Gentil en 1901 (cf. Missenard et al., 2008). sager étant donné la géométrie allongée (1000 km par
L’existence d’un volcanisme Miocène à Quaternai- 100 km) de la structure et la présence de deux épisodes dis-
re d’affinité alcaline relativement abondant dans l’Anti- tincts de magmatisme. Difficile enfin d’envisager un phé-
Atlas, le Haut Atlas Central, le Moyen Atlas, la Meseta cen- nomène de délamination (Bezada et al., 2013), qui néces-
trale et orientale (plateau du Rekkame) et le Rif oriental siterait un sur-épaississement crustal, sur-épaississement
est l’indice que des processus profonds, mantelliques, ont qui n’existe pas dans le domaine atlasique et encore moins
été à l’œuvre sous la croûte continentale marocaine (cf. dans l’Anti-Atlas, étant donné les faibles taux de raccour-
Maury, in Frizon de Lamotte et al., 2008, p. 183-188). Le vol- cissement et le faible épaississement crustal associé. Plu-
canisme est daté de 10,8 à 2,7 Ma dans le Siroua, entre les sieurs équipes se sont attachées à essayer de contraindre
bassins de Ouarzazate et du Souss, avec des éruptions les processus à l’origine de cette structure si particulière.
trachytiques, rhyolitiques, des dômes de phonolites. Les Par exemple, Missenard et Cadoux (2012), évoquent une
néphélinites et autres laves alcalines du Saghro sont de convection en bordure du craton de l’Ouest Africain, mais
même âge. Les volcans sont plus jeunes dans le Maroc on est encore loin d’une solution claire.
central (2,8-0,3 Ma autour d’Oulmès), avec le même type NB. Bibliographie reportée pour l’ensemble des
12 de roches alcalines. Dans le Moyen Atlas on reconnaît articles du chapitre géologie fondamentale en page 42.

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