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Chemin de Soi

Conte de sagesse

Christine Marsan

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Du même auteur

Essai :
En quoi le mal nous rend plus humain. L’Harmattan, Paris,
2002.

Ouvrages professionnels :
Gérer les conflits de personne, de management et
d’organisation, Dunod, Paris, 2005.
Violences en entreprise, comment s’en sortir ?, de boeck, 2006.

Poèmes :
Le Chaos Hurlant, manuscrit.com, Paris, 2007.

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A ma mère, pour m’apprendre à aimer.
A mon père pour m’avoir appris
la liberté.

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Sommaire
A mon père pour m’avoir appris..........................................3
Chapitre 1 : Les instants de brume..............................................7
Une lanterne.............................................................................8
Chapitre 2 : Les errances….......................................................11
La vieille dame et sa clé.........................................................12
Le retour à la maison.............................................................14
Seule face à ses démons.........................................................16
Les paroles de l’arbre.............................................................19
Le labyrinthe..........................................................................20
Chapitre 3 : Les premiers pas…................................................25
Le puits..................................................................................25
La famille oignon...................................................................27
Les trois lutins.......................................................................28
Chapitre 4 : Des histoires d’amour............................................31
La conversation du lièvre et de la tortue................................31
Le monde parfait....................................................................32
Le scorpion fatigué................................................................40
Une histoire de bouteilles......................................................41
Grand Bonnet.........................................................................44
Le fil d’amour........................................................................46
Chapitre 5 : Dans le dédale des rencontres................................49
Alice au pays des merveilles..................................................49
Le chemin en cinq actes.........................................................51
Le chef d’orchestre................................................................53
Chapitre 6 : Le périple intérieur.................................................59
Cheval Fougueux...................................................................59
Le jeune apprenti...................................................................61
Ismaël dans le désert..............................................................64
Les vicissitudes de Surnâ.......................................................69
Le vieil homme......................................................................75
Chapitre 7 : Les enseignements.................................................81
L’huître qui voulait devenir sage...........................................81
Les perles de l’âme................................................................85
Les outils de petit Paul...........................................................87
La tour de Babel.....................................................................89
La sculpture...........................................................................92

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Chapitre 8 : Une révélation…....................................................95
Le fabuleux destin de David..................................................95
A la croisée des chemins......................................................100
Le message de la colombe...................................................102
Et soudain la mer.................................................................106
Chapitre 9 : Quand la lumière se lève enfin…........................109
L’instant de lumière.............................................................109
Les cadeaux des sept nains..................................................111
La fleur d’orchidée..............................................................113
Les tournesols......................................................................114
La fête du 21 juin.................................................................116

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Chapitre 1 : Les instants de brume

Il faisait gris au devant de ma fenêtre, l’air semblait las comme


l’étaient mes pensées. Je souhaitais qu’il fasse un nouveau rayon
de soleil, un espoir de printemps qui gommerait de ses couleurs
tous mes tourments et mes langueurs. J’étais fatiguée de vivre
sans cesse ces mêmes angoisses qui m’oppressaient, comme ça,
sans raison, au détour d’une rêverie ou d’une activité
quelconque.
Je ne me sentais pas libre. J’avais le sentiment d’être prisonnière
de je ne sais quelle entité qui me voulait plus de mal que de
bien.

Dehors, j’étais sûre qu’il faisait froid. Cela se voyait, tout


semblait immobile. La vie paraissait suspendue, ralentie comme
en hibernation. Et moi aussi j’étais absente à moi-même.
J’écrivais depuis des années des poèmes déchirants tels des
plaintes lancinantes adressées à je ne sais quel auditoire. Celui
de mes pensées, désespérées parfois et mutines le lendemain.
J’avais l’humeur changeante. Je me mettais dans de grandes
colères lorsque l’on me disait instable, probablement parce qu’il
y avait du vrai dans ces propos et que cette vérité ne me
convenait guère. Je voulais atteindre tout de suite la perfection
que je ne déclinais que sous les oripeaux de l’exigence. Je ne
devais guère être très agréable à fréquenter.

Des idées sombres traversaient mon esprit et je percevais bien


que cette angoisse familière et fort déplaisante revenait là
m’étreindre et me tirailler une fois encore. La seule solution que
je trouvais alors était de prendre la plume et d’écrire.
Je saisis donc une feuille et mon stylo à plume et les mots
défilèrent à toute allure comme pour exorciser une douleur
intense qui ne pouvait se contenir en moi et qui devait sortir
coûte que coûte.

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Une lanterne

J’en étais là de mes élucubrations, l’âme sombre et le cœur


humide de larmes prêtes à se déverser en un torrent turbulent. La
vie me souriait. Pourtant je ne savais y voir que les ténèbres de
mes humeurs tumultueuses, injustes et irrémédiablement
égoïstes. Je percevais que le refrain était toujours le même
depuis mon adolescence…. une sorte d’insatisfaction
permanente.

L’esprit divaguait sur une mer en émoi et mon regard naviguait


sur les feuilles qui bougeaient doucement sur la cime des arbres.

Lorsque soudain, je crus apercevoir une petite lumière, tout


d’abord assez diffuse et discrète mais qui m’attira. Etonnée, je
me redressais sur mon fauteuil afin d’être plus disponible au
spectacle que je pressentais. Oui, il y avait bien une lueur qui
chancelait dans le lointain. J’étais intriguée et c’était l’occasion
inespérée de me sortir de mes états d’âme. Je me mis à observer.
Et je vis distinctement la lumière se rapprocher, en se balançant
tout d’abord, comme une lanterne que l’on tenait jadis à la main
pour éclairer son chemin à l’époque où l’éclairage municipal
n’existait pas. Et tout en me faisant cette réflexion, je me rendis
compte qu’alentours, tout était bien noir.
Sans doute une panne de courant.

La lampe vacillante avançait fièrement, droit vers moi, d’un pas


ferme et décidé. Je ne voyais pas la main qui la tenait. Sans
doute la distance. Pourtant, au fur et à mesure que la lueur se
rapprochait de ma fenêtre, je ne distinguais toujours personne,
voilà qui était bien insolite.
De plus, la lumière éclairait un chemin que je découvrais pour la
première fois car il n’y avait jamais eu de sentier à cet endroit là.
Habitant ici depuis des années, j’étais bien sûre de mon fait.

Donc, voilà une lampe qui avançait toute seule sur un chemin
qui n’existait pas ! Peut-être était-ce la période automnale

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d’Halloween qui troublait les esprits et me jouait des tours ?
Toujours est-il que je restais captivée par le spectacle et que les
bizarreries de la situation ne faisaient en fait qu’éveiller ma
curiosité.
Après un certain temps de ce manège, la lumière se rapprochait
à chaque minute pour finalement venir s’immobiliser sous mon
balcon. Il n’y avait aucun doute possible personne ne tenait la
lampe ! L’inconnu qui s’était avancé jusque là entendait rester
discret. Je ne pouvais pas l’apercevoir et le plus surprenant c’est
qu’au fur et à mesure de son avancée vers le perron, il semblait
qu’il tirait le chemin vers la maison ! Comme si le sentier venait
à moi et apparemment je devais m’y engager.

Voilà bien la distraction idéale pour dépasser mes songeries


lugubres. J’avais le sentiment que le monde de mon enfance
resurgissait d’un coup sous mes yeux et qu’il ne tenait qu’à moi
d’en saisir l’opportunité. Pourtant cela semblait si peu
vraisemblable. J’en étais là de mes réflexions lorsque je
ressentis une irrésistible envie d’aller voir de plus près de quoi il
retournait.
Je pris mon manteau et mon écharpe et je sortis.

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Chapitre 2 : Les errances…

Il y avait bien un sentier qui venait de nulle part et qui s’arrêtait


aux pieds de la maison. Une réelle invitation à la promenade.
Qu’est-ce que je risquais ? Oh ! pas grand chose si ce n’est une
bonne marche dans les bois. La lanterne était toujours là et j’eus
le sentiment que la lumière était tout d’un coup plus vive au
moment où je mis le pied dehors, comme si cela lui faisait
plaisir de me voir. J’eus la perception que la lumière me souriait.
Cela peut paraître surprenant, cependant, c’est bien le souvenir
que je garde de cette rencontre.

Donc je décidais de me lancer dans l’aventure.


La lanterne vint tout naturellement à côté de moi.
Equipée du chemin et de la lumière je commençais à avancer.

Je ne pouvais manquer de faire la comparaison avec Alice aux


pays des merveilles, qui, comme beaucoup d’enfants, avait bercé
mes rêves de petite fille. Et si cela m’arrivait aussi à moi ?
Quelles bizarreries allais-je donc rencontrer ?

Pendant un long moment je marchais dans le noir, accompagnée


toujours par cette lumière venue de nulle part et j’avais le
sentiment que son rayonnement baissait comme pour me
conduire imperceptiblement vers l’obscurité.
Ainsi, au bout de quelques heures, tandis que la fatigue
s’installait, je trouvais assez ridicule d’être partie comme cela,
sans rien dans les poches, dans le noir, à l’aventure et sans
aucun repère. Je me demandais si je devais faire machine
arrière, attendre patiemment le lever du jour ou tout simplement
continuer vaille que vaille.

La vieille dame et sa clé

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Je commençais à sentir à nouveau des angoisses me tirailler et
j’avoue que je n’en menais pas large, aux prises avec mes
manques de confiance.

Puis tout d’un coup, je vis une clarté au loin. Tout d’abord je
crus qu’il s’agissait de ma lanterne et j’étais toute joyeuse à
l’idée de ne pas être abandonnée et de pouvoir reprendre le fil de
mon parcours. Mais, je me rendis compte bien vite qu’il
s’agissait de tout autre chose. On aurait dit un réverbère et tandis
que je me rapprochais, j’aperçus une vieille femme visiblement
affairée à chercher quelque chose. Ce qui me surprit c’est
qu’instantanément l’environnement sylvestre de la forêt avait
fait place à une ruelle de village médiéval. On se serait cru au
théâtre, au beau milieu des changements de décors.

J’observais un moment cette vieille femme et je m’approchais


d’elle remarquant qu’elle cherchait assidûment quelque chose
qu’apparemment elle ne trouvait pas. Peut-être pouvais-je lui
donner un coup de main ?
- Bonsoir. Est-ce que je peux vous aider ? 
- Eh bien pourquoi pas. 
- Que cherchez-vous ? 
- Je cherche la clé de chez moi.
Je me mis alors à regarder avec elle et après un long moment ne
trouvant pas de clé, ni rien d’autre d’ailleurs, je demandais à la
vieille dame :
- Etes-vous certaine d’avoir perdu votre clé au beau milieu de la
place ?
- Non. Je l’ai perdue chez moi et comme je n’ai plus de feu, je
suis venue ici car c’est le seul endroit où il y a de la lumière. 

Je dois reconnaître que j’étais un peu abasourdie et j’étais en


train de réfléchir à sa réponse lorsque je me rendis compte que,
tout comme la lanterne, la scène venait de disparaître. Je ne
pouvais même plus m’adresser à la vieille dame. Je compris
alors que j’étais bien entrée dans un périple imaginaire et qu’il
allait bien falloir que j’en trouve l’issue pour revenir dans le

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confort du cocon familial, quitte à y retrouver tous mes
fantômes.

Un peu désemparée malgré tout, je décidai de m’asseoir sur une


pierre afin de dégager le sens de ce que m’avait dit la vieille
dame. En fait, littéralement, c’est comme si elle cherchait à
l’extérieur ce qui était à l’intérieur… et je me rendis compte que
je faisais exactement la même chose. Tandis que j’écrivais un
poème pour rendre compte de mes tristesses et de mon mal-être,
j’étais partie à la première occasion à l’extérieur un peu comme
pour fuir ce que je devais regarder en moi. Et voici qu’en fait je
me retrouvais embarquée dans une aventure incroyable qui
ressemblait bien à une fable qui pourrait m’apprendre des choses
sur moi-même. Je me dis alors que cette histoire était aussi
fascinante qu’inquiétante.

Le retour à la maison

Après avoir réalisé dans quoi je m’étais embarquée, je cherchai


à revenir chez moi. Car c’était une option comme une autre,
après tout ! Alors je pris le chemin dans l’autre sens et je me dis
qu’au bout du même nombre de kilomètres, je retomberais bien
devant mon nid douillet. Logique !
Je me mis donc en route, assez contente, ne sentant plus la
fatigue.
Le cœur joyeux à l’idée de rentrer chez moi tout en sachant que
j’avais compris la leçon de la vieille dame. J’étais prête à faire
les introspections nécessaires pourvu que je revienne dans mon
antre.

Je marchais à vive allure, convaincue qu’assez rapidement je


serais devant ma fenêtre. A l’aller, j’avais marché beaucoup
moins vite, toute affairée que j’étais à regarder le paysage, à la
découverte de l’inconnu.
Je m’attendais à revoir la lanterne. Mais non ! Je marchais
toujours dans le noir, tout en écoutant les divers bruits des

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animaux de la nuit. Cependant je n’étais pas inquiète car je
savais que je connaissais le chemin du retour.

Ainsi après un long moment, j’aperçus un point lumineux et je


sentis mon cœur battre la chamade de joie. Je courais presque et
finalement je parvins à distinguer quelque chose. C’était bien
ma maison, mais elle semblait être encore distante de cinq à six
kilomètres. Ce n’était rien après tout, je venais d’en parcourir
bien plus.
Plus j’avançais et plus j’avais le sentiment que le point lumineux
s’éloignait. Il ne restait même pas à distance égale, il
s’estompait. Je commençais alors à sentir la colère me gagner.
Bon ! Le petit jeu était amusant, mais « les plaisanteries les plus
courtes sont toujours les meilleures » dit l’adage. Pourtant,
j’avais beau pester, rien n’y faisait. De plus, la maison n’était
pas simplement toujours en train de s’éloigner voici qu’en plus
elle n’était plus comme auparavant face à moi mais bien plutôt
en train de se déporter vers ma droite. Alors je me dis que je
venais peut-être de faire fausse route et qu’il y avait sans doute
plusieurs chemins. Peut-être l’obscurité m’avait-elle empêché de
les voir.

Ainsi, je me risquai à partir sur ma droite en sortant du sentier.


Le terrain avait l’air stable, il n’y avait pas de pente, mais la
végétation n’était guère hospitalière, les branches des arbres et
des arbustes étaient pleines de piquants qui me griffaient les
jambes, les bras et le visage. Je songeais bien à rebrousser
chemin mais c’était trop bête de s’arrêter à la première
anicroche et puis la maison semblait plus proche dans cette
direction. J’aperçus, grâce à un filet de lune inespéré, des vaches
en train de brouter.

Tandis que je poursuivais ma route, les arbustes se faisaient plus


denses. Il devenait de plus en plus difficile de poser un pied
devant l’autre. Je vis un passage dans lequel une vache avait élu
domicile, tout affairée à ruminer. J’avançai confiante et voici
que celle-ci me chargea, m’égratigna au passage, manquant de

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m’embrocher le bras. Je sentais mon cœur battre et j’eus
sacrément peur. Cette bestiole était folle !

D’un coup, je commençais à comprendre : il ne fallait pas que je


m’éloigne du chemin et comme je ne tenais pas à faire la
rencontre d’un troisième obstacle, je revins sur le sentier et
compris la leçon. Je devais rester sur cette voie et visiblement
elle avait des choses à m’enseigner.
Soit !
Je regardai dans la direction de la maison et je ne vis plus rien.
Tout était redevenu sombre. Je me mis alors à pleurer. Certes
j’avais des sautes d’humeur que je voulais corriger mais je
n’avais pas envie, pour autant, de me lancer dans un tel périple.
En fait, je ne souhaitais pas avoir à faire face à toutes mes peurs
et mes angoisses, comme ça sans préparation.

Seule face à ses démons

Là tout d’un coup devant mes yeux, comme sorties de nulle part,
des images électriques, synthétiques, surgissant de quelques
rêves, se mirent à danser devant mes yeux. J’étais terrorisée.
J’avais toujours eu horreur des grouillements d’animaux et
surtout d’insectes ou de vers. Et voilà que je croyais tomber
dans des trous profonds et nauséabonds et que toutes sortes de
bêtes malfaisantes m’agrippaient, me passaient partout sur le
corps. Je criais littéralement d’effroi. Je ressentais piqûres,
morsures, le venin des araignées et des serpents parcouraient
mes veines. Des chauves-souris en plein vol me lacéraient le
visage et des rats me mordaient les mollets. En fait tout ce qui
ressemblait à mes angoisses sortait de la nuit noire, mes ombres
venaient malmener mon imagination et me tourmenter sans
relâche.

Je compris ce que voulait dire la peur, je sentais mon estomac se


tordre, je n’osais plus bouger, ni même respirer, j’avais peur de
tout. Pourtant je savais qu’il n’y avait aucune autre issue que

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d’affronter tout ce qui s’était lové au plus profond de mon âme
pour le dépasser et envisager autre chose. Plus j’étais tétanisée et
plus mes horribles bestioles me parcouraient le corps et l’esprit.
Les tailles de chaque animal changeaient. Il y en avait des
milliers qui grouillaient partout autour de moi, des cafards, des
blattes, toutes sortes d’insectes et d’animaux hideux, réels ou
mythiques qui faisaient tous une sarabande terrible afin de me
terroriser. J’étais recroquevillée sur moi-même et je ne voyais
pas comment interrompre le processus.

Au fur et à mesure de l’épreuve, l’énergie vitale semblait quitter


mon corps et je perdais toute combativité. Je me sentais
exsangue et prête à passer dans l’autre monde, comme si la peur
me vampirisait et me tirait vers le trépas.

J’étais allongée sur le sol, inerte, lorsque je ressentis au plus


profond de moi, au sein de mon cœur une petite chaleur, telle
une luciole s’animer et réactiver ma vie. Une étincelle de
courage et d’amour, sortie de je ne sais où, qui me rappela que je
n’étais que dans un parcours imaginaire et que tout ce que je
vivais n’était qu’illusion. Rien n’était complètement réel et je
pouvais m’abandonner à mes peurs ou bien reprendre le dessus.
Il suffisait que je décide que cela cesse.
Ah ! C’était aussi simple que cela ? Je mis un temps infini pour
parvenir à mobiliser la volonté nécessaire et la motivation à agir.
Car je me sentais toujours assaillie par mes pires cauchemars.

Puis tout d’un coup, cette cohorte d’animaux monstrueux fit la


place à un aigle royal, qui avec son cri strident caractéristique,
élimina d’un coup d’ailes tous ces animaux rampants et
grinçants. Effrayés par la puissance de l’oiseau royal, il y eut de
grands gémissements et des crissements de toutes sortes et petit
à petit le terrain redevint serein et vierge de tout insecte et autre
bête terrorisante.

Je venais de faire l’expérience de la traversée de mes peurs et


seule la force de survie qui m’anime avait eu raison de ces

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angoisses déversées sous formes de bêtes plus effrayantes les
unes que les autres.
Que n’aurais-je donné pour me retrouver bien au chaud dans
mon lit à rêvasser ou lire un bon livre plutôt que de devenir la
proie consentante de toutes ces ombres qui venaient me tirailler
et raviver ce que je croyais bien enfoui et surtout dépassé !

Après cette détestable expérience de la matérialisation de mes


pires angoisses, le temps passa inerte et sans le moindre incident
pendant des heures. J’eus le sentiment que cela durait une
éternité, toujours seule et dans le noir. En plus, les nuits durent
des semaines dans ce pays ! Oui, j’avais vraiment l’impression
d’avoir atterri dans un monde parallèle, pas toujours
bienveillant.

Les paroles de l’arbre

Je commençais ainsi à me calmer, je sentais la terreur


s’estomper et la tranquillité m’habiter. Alors, aussi
soudainement que les scènes apocalyptiques venaient de
disparaître, je me retrouvai dans une belle forêt verdoyante de
bretagne.

C’est alors qu’un arbre que je regardais se mit à bouger. Oh ! A


peine, juste assez pour que je sois surprise et que je sursaute. Je
n’en croyais pas mes yeux.
Il prit ainsi la parole et me dit :
- Tu es sur un sentier qui s’appelle Chemin de Soi.
Certes le nom était séduisant mais j’en attendais plus. C’est
ainsi que trouvant enfin un interlocuteur depuis que j’avais
quitté mon domicile, je ne pouvais résister à la tentation de
dialoguer avec lui.
- Bonjour, bel arbre. Pourrais-tu m’en dire davantage ? Que
faut-il faire pour sortir du chemin ? Quand cela va-t-il cesser ?
Quand vais-je rentrer chez moi ? 

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J’étais intarissable mais l’arbre restait tout aussi silencieux, il
ne bougeait plus et ne semblait pas décidé à me parler à
nouveau.

Zut ! Je recommençais à sombrer dans le doute et le désespoir.


Et si ce chemin n’avait pas de fin et si je devais y rester toute ma
vie sans jamais pouvoir revenir à mon existence passée ?
Fallait-il que j’aille jusqu’au bout ? Mais combien de temps cela
allait- il durer ? Comment saurais-je que ce serait terminé ? Et
était-il possible de franchir vite les étapes afin de passer à autre
chose ? 
Je sentais bien que je n’étais pas la première à me poser ces
questions.
Les doutes sont au rendez-vous du pèlerin en route vers lui-
même, oubliant que le temps nécessaire au changement ne
connaît d’autre loi que celle de la patience des transformations
intérieures.

Le labyrinthe

Ainsi je n’aspirais qu’à une seule chose : que tout cela cesse.
J’étais pressée de passer à autre chose. Qu’à cela ne tienne ! Il
suffisait de penser dans ce monde pour que les choses se
réalisent. Seulement, ce n’était pas toujours de la manière dont
je m’y attendais.
C’est ainsi que jaillissant de la nuit, une nouvelle scène
m’apparut. Un très beau jardin à la française appartenant à un
magnifique château Renaissance au milieu duquel trônait un
immense labyrinthe.

Ils m’ont toujours fascinée. Je trouvais alors l’invitation


intéressante et c’était l’occasion de me divertir de ces moments
pénibles.
A l’entrée de la première haie, deux lions majestueux incitaient
à m’y risquer et inspiraient la force de la détermination. Je ne
croyais pas si bien dire.

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Je commençais donc à me diriger dans le dédale verdoyant
lorsque j’eus l’impression au bout d’un certain temps de tourner
en rond. Les statues que je rencontrais à l’intersection de
certains bosquets étaient identiques. Alors, soit il existait de
nombreuses copies afin de tromper le promeneur, soit je
revenais sans cesse sur mes pas. Mais comment savoir ?
Evidemment, je repensais au fil d’Ariane et je me mis à déchirer
un bout de mon tee-shirt et à en faire des petits morceaux que
j’attachais distinctement aux entrées de certaines croisées afin
de pouvoir me repérer. Je me sentais rassurée, j’avais trouvé une
solution qui avait fait ses preuves !

Je repris alors assurance et entrain et marchai à nouveau d’un


pied ferme et décidé. Mais quelle ne fut pas ma déconvenue, de
revoir à nouveau les mêmes petits arbustes, les mêmes statues et
de ne plus retrouver mes morceaux de tissu, ou alors de les
découvrir à un autre endroit et du coup de revenir exactement au
même point quelques minutes après ! Je commençais à
désespérer, à pester autant de tristesse que de rage. J’en voulais
à la terre entière, je râlais, j’envoyais toutes sortes de jurons bien
haut dans le ciel pour que l’on m’entende et que l’on cesse de
me faire tourner en bourrique.

Seulement, à peine ces moments de colère manifestés, les haies


se mirent à bouger et les écarts entre chacune d’entre elles, ainsi
que les allées se mirent à rétrécir. L’espace autour de moi se
resserrait. Et tandis que je me remettais en marche comme pour
échapper à ce sentiment d’étouffement naissant, les passages
que j’explorais, il y a encore quelques minutes, se fermaient les
uns après les autres. Je sentis alors une angoisse épouvantable
étreindre mon cœur et broyer mes entrailles. J’avais atrocement
peur et je ne pouvais m’empêcher de fulminer. Je tapais sur tout
ce que je rencontrais, illustrant ma détresse et mon besoin
impérieux de sortir de là. Plus paniquais et plus l’espace autour
de moi se réduisait. Je ne savais plus quoi faire. Je m’asphyxiais,
je commençais d’ailleurs à tousser comme si on m’étranglait.

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J’allais mourir là. Oh non ! Ce serait trop bête ! Il y avait
sûrement une autre voie. Je me mis à courir et je me heurtais
sans cesse aux haies et aux bosquets devenus plus épineux qu’au
début. Je m’égratignais et tandis que je criais la nature se
resserrait inexorablement autour de moi.

Je tombai à terre et me pris à pleurer, doucement, comme battue,


infiniment triste et désemparée, ne sachant plus que faire. Cela
dura très longtemps, je sanglotais, d’abord de manière
compulsive, puis de plus en plus faiblement comme une plainte
à moi-même, un appel à la ressource intérieure. Petit à petit je
sentis mon cœur s’alléger et je me dis que j’abandonnais la lutte,
que je décidais de rester là si tel était mon destin et que je ne
continuerais pas à me battre inutilement au prix de ma vie ou de
ma santé mentale.

Et tandis que je m’abandonnais à moi-même, que je baissais la


garde, j’eus le sentiment que la pression végétale autour de moi
diminuait. Ayant les yeux clos, je ressentis tout d’abord comme
un nouvel espace se créer tranquillement autour de moi. Je
percevais que mon souffle se calmait, mes poumons se libéraient
et comme si davantage d’air pouvait entrer. L’espace se dilatait
peu à peu. J’ouvris alors les yeux et je vis au fur et à mesure de
mon abandon réel et profond la nature reprendre sa place
initiale. Les ouvertures réapparurent et il me fallut encore un
long moment avant de me tenir debout.

Finalement, je me remis en marche, toujours un peu méfiante


malgré tout. J’allais quasiment à tâtons et puis petit à petit,
voyant la nature se dégager, je sentis mon cœur rependre
confiance et enthousiasme. J’accélérais alors un peu mon allure
et me laissais guider par les sons, par les chants des oiseaux, que
je n’avais tout d’abord quasiment pas entendu, par le doux
chuintement d’un petit ruisseau voisin. Et finalement par
l’écoute, disponible, ouverte à mon environnement, je trouvais
tranquillement la sortie, qui bien entendu n’était guère très loin.

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Elle était à portée de main, mais accessible uniquement une fois
que j’avais bien voulu abandonner la lutte.

A peine sortie du labyrinthe, la scène se volatilisa et je restai


alors en plein milieu du chemin debout à contempler les étoiles
et à méditer sur le sens de cet épisode.

Je sentais qu’il fallait que je remercie cette terre.


Je me mis alors à genoux et je baisais le sol tout en portant à ma
bouche un peu de cette mousse ramassée sur le bas côté. Il me
fallait absorber physiquement les bienfaits de ces
apprentissages. Ce chemin me faisait vraiment faire n’importe
quoi !

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Chapitre 3 : Les premiers pas…

Le puits

Puis le soleil se leva assez timidement, il restait comme en


suspens au ras de l’horizon et je vis non loin de l’arbre auquel
j’étais adossée une nouvelle scène tout aussi surprenante que la
précédente.
J’entendis un homme ronchonner et se plaindre mais dans les
premiers temps je ne le vis pas distinctement. Je m’approchais
dans sa direction et j’aperçus un puits d’où la voix semblait
provenir. Je me penchais à la margelle et je découvris un
homme d’une quarantaine d’années, vigoureux, qui était
accroché aux pierres de l’intérieur du puits, cherchant à
remonter et qui paraissait bloqué. Les efforts répétés se lisaient
sur son visage. Il disait en avoir assez de toutes ces souffrances
et des diverses mésaventures que la vie lui avait faites. C’était
toujours la même chose. Il tombait sans cesse dans des pièges et
qu’il ne pouvait faire confiance à personne et en rien, car on
voulait toujours le tromper et lui faire du mal.

Je l’écoutais et au bout d’un moment, je me mis à lui parler.


- Monsieur, voulez-vous que je vous aide à sortir ?
- Non merci. Et d’abord je ne vous ai rien demandé.
- C’est vrai, mais j’ai cru en vous écoutant que vous aviez
besoin d’aide.
- Eh bien ma petite la prochaine fois, vous passerez votre
chemin ! 

Dépitée, je tournais les talons, trouvant particulièrement injuste


son attitude. En effet, il avait l’air d’être dans le besoin, je
venais l’aider et il m’avait rabrouée. « Ah vraiment cela
m’apprendra à vouloir aider les gens, quel goujat ! » me disais-
je.
Je n’avais pas plutôt fini de bougonner dans mon coin que
j’entendis à nouveau le bonhomme râler dans le sien et je ne pus
m’empêcher de dresser l’oreille et d’écouter.

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« Et voilà, encore une fois, la même chose, quelqu’un vient
t’aider et toi comme un abruti tu es désagréable et tu fais fuir
les personnes bien intentionnées et à présent que vas-tu faire
tout seul, coincé dans ton puits ? »
En écoutant cela je me demandais si je devais revenir vers lui et
comme il me l’a conseillé lui demander s’il voulait que je l’aide.
Je me décidais à aller le secourir mais le mirage s’évanouit, la
scène avait disparu et me laissait une nouvelle fois dans
l’obligation d’en tirer les leçons et de garder pour moi les
sentiments qui y étaient attachés.

En effet, ce qui était particulièrement frustrant dans cette


aventure, c’était d’être dans l’incapacité de partager avec
quiconque les étapes du parcours.
Visiblement je n’avais droit qu’à une chose : marcher, tout droit
vers … mon destin ? Seule et sans pouvoir ni me reposer ni
revenir en arrière, charmant ! Quelle idée d’avoir été attirée par
cette lumière ! Pourtant au plus profond de moi, je ne pouvais
m’empêcher de la reconnaître. Elle était encore frêle et
frémissante et ne demandait qu’à s’épanouir et à sortir de ces
ténèbres intérieures.

J’avais noté que le soleil s’était interrompu dans sa course et à


présent il était bien haut dans le ciel.
Je regardais distraitement les bords du chemin, cueillant des
fleurs, respirant les odeurs, flânant en quelque sorte, contente
également d’avoir quelques minutes de répit.

La famille oignon

Soudain sortant des herbes hautes je vis défiler devant moi une
famille oignons. Le père, la mère et les trois enfants. Ah, ben ça
par exemple ! Je n’avais pas le temps de m’étonner que le père

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et la mère interrompirent mes réflexions de leur altercation
bruyante.
- Toi à chaque fois que tu as peur tu te rajoutes des
couches, on dirait un navet !
- Merci pour la comparaison ! Mais oui, quand je vais
bien je me débarrasse de mes surplus de peaux et
lorsque j’ai peur eh bien ! je m’habille davantage, et
après ?
- Ce n’est pas un bon exemple pour les enfants, regarde
Ursuline, elle est couverte comme si nous allions en
Sibérie.
- Dis-moi, tu es bien placé pour critiquer les autres et
lorsque tu es en colère, as-tu vu combien tes peaux se
mettent à fumer ? A chaque fois je crains de te voir
flamber et de finir veuve !

Tandis qu’ils se disputaient, le petit dernier Thomas était tout


chétif, la peau sur les os et pourtant il ne semblait pas craindre
le froid ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs.
- Et qu’as-tu à dire en ce qui concerne Thomas, il est si
frêlement vêtu que je crois toujours qu’il est à moitié
nu ?
- Thomas, c’est différent, répondit Samantha la deuxième
fille. Il a été envoyé par le Seigneur, il n’a plus peur de
rien, alors il brille tout simplement.

Et la famille oignon reprit son chemin, traversant la route pour


s’enfouir dans le champ de blé voisin.

Je restais songeuse et je me demandais combien de peaux


d’oignon j’avais encore sur moi pour camoufler mes craintes,
mes complexes ou mes doutes…..

Les trois lutins

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Ils étaient trois lutins qui s’amusaient dans les grandes herbes
de la clairière, ils gambadaient, jouaient à saute-mouton,
batifolaient dans les herbes lorsqu’un gros nuage obscurcit le
ciel et les conduisit à chercher refuge sous un gros champignon.
Ils attendaient que la pluie cesse et soudain Tito, le plus âgé, dit
d’une voix assurée et forte :
- Oh, c’est drôle là-bas on dirait une elfe au bord de la
clairière.
- Mais non, ce n’est qu’une grosse branche qui est tombée
tout à l’heure ! répondit Clarotin.
- Pas du tout, il s’agit du bout de la barrière du Père
Marmot qui est tordue et ne ferme plus et qui bouge à
cause du vent. 

Ils discutèrent un moment de la sorte. Au bout d’un certain


temps, Clarotin eut l’idée de proposer : « mettons-nous face à
face à tour de rôle et détaillons ce que nous voyons chez l’autre,
le troisième d’entre nous sera alors témoin et pourra dire ce
qu’il en pense. »

Tito se mit en place face à Barbibouille :


- Vas-y décris-moi le premier.
- Eh bien je vois un gros nez, des lunettes jaunes dessus et
un bonnet rouge.
- Ah, bon ? s’étonna Tito.
- Ne te laisse pas interrompre, continue l’exercice lui
demande Clarotin.
- Bon, bon. Alors moi je vois un petit nez maigrelet, des
lunettes vertes et un bonnet bleu.
- Ca alors ! s’exclama Clarotin, pour Tito, je vois un nez
rond, des lunettes rouges et un bonnet blanc et pour
Barbibouille un nez en galoche, des lunettes bleues et un
bonnet rayé noir et orange.
- Décidément nous n’en sortirons pas! soupira Tito.
- Mais si, regarde, il suffit d’enlever nos lunettes !
- Comment ça ?

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- Eh bien oui, j’ai ôté les miennes et je vois plus net
qu’avec, essaie.
- Ah, oui, la vue a changé.
- Et pour moi aussi.
- Alors recommençons l’expérience. Tito que vois-tu ?
- Pour toi Barbibouille, je vois un nez normal et tu portes
un petit bonnet bleu.
- Oui, c’est bien ça répondit-il.
- Moi aussi je vois la même chose dit Clarotin.
- Ah, ben ça par exemple ! Nous avions des lunettes qui
nous faisaient voir les choses tout différemment ! Où
donc les avons-nous prises ?
- Peu importe, lunettes ou pas, c’est pour tout le monde
pareil ! On croit voir la réalité et en fait on en voit qu’un
petit bout et en plus …
- ….Chacun voit ce qu’il veut bien voir…
- C’est rudement amusant !
- Tu parles ! 

J’avais trouvé très plaisante cette discussion des trois lutins.


Leurs allures affables m’avais fait oublié pour un temps les
tourments de mon cheminement. Je souriais, décontractée, enfin.
Et je vérifiais machinalement si je n’avais pas quelque lunette
sur le nez. On ne sait jamais !

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Chapitre 4 : Des histoires d’amour

La conversation du lièvre et de la tortue

Tandis que je revenais peu à peu de mes étonnements voici que


nos célèbres compères le lièvre et la tortue attirèrent mon
attention d’aventurière.
Ils avaient terminé leur course et le lièvre était tout affairé à
expliquer à la tortue qu’en fait elle ne pouvait pas avoir gagné
car il était bien trop rapide. Par déférence, il avait eu la
délicatesse de la laisser gagner et elle de sourire face à ces
justifications puériles.
Ils en étaient là de leurs échanges lorsque maître renard, tiré
pour quelque temps de ses habituelles querelles avec le loup vint
faire l’arbitre de ces palabres stériles.
- Pourquoi donc, demanda le renard au lièvre, as-tu
besoin de trouver des excuses à ta défaite ?
- Comment ça des excuses, mais c’est un fait, je cours bien
plus vite que la tortue, répondit le lièvre.
- Certes, sauf que dans les circonstances présentes, c’est
bien elle qui a gagné.
- Merci, maître renard, dit doctement dame tortue.
- Parce qu’un lièvre ne peut pas être battu par une tortue,
ce serait un déshonneur.
- Ah oui et pourquoi donc ? questionna le renard.
- Ce serait contre-nature, répondit le lièvre.
- Mais qui se soucie donc ici de nature ? demanda la
tortue.
- Eh bien moi ! Comment continuer à être un lièvre si je
vais plus lentement qu’une tortue ?
- Alors ce qui te détermine, c’est de courir vite comme un
lièvre ?
- Eh bien évidemment !
- Je veux dire d’être à n’importe quel moment comme tous
les lièvres ?
- Mais que signifie ce questionnement ?

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- Le renard veut dire que tu peux être un lièvre et pour
une fois agir différemment…
- A toi la tortue ça va bien, après m’avoir ridiculisé, voilà
que tu me donnes des leçons à présent !
- Ne le prends pas mal, je crois simplement que nous
sommes tous confrontés un jour ou l’autre à prendre de
la distance par rapport à ce que nous sommes. 

Ainsi parla le renard. Et le lièvre dépité, s’enfuit en trois sauts


dans un fourré afin de méditer cette dure journée. La tortue pas
peu fière, décida de profiter du soleil pour se reposer de tant
d’efforts.

Je me demandais à qui je pouvais le plus ressembler au lièvre ou


à la tortue ? Et si les conditionnements de mon espèce ou de ma
famille ne me jouaient pas aussi quelques vilains tours.

Et je vis alors sortir des brumes matinales un paysage assez


incroyable, une sorte de tableau à mi-chemin entre le détail du
naïf et la fresque naturaliste. Il s’agissait apparemment d’un bien
curieux monde.

Le monde parfait

Le roi Gardias avait bâti un monde parfait où le bonheur


s’énonçait au travers de règles simples. Il fallait éviter les
troubles et les imperfections. Alors rien ne bougeait, il n’existait
pas d’innovateurs, seuls des artisans qui construisaient
inlassablement les pièces de tout ce qui existait. Il fallait
pouvoir remplacer à volonté tout élément défectueux dans
l’heure afin que l’harmonie de l’ensemble du royaume ne soit
pas rompue. Les habitants avaient été élevés dans le respect de
ce monde parfait et merveilleux et pour qu’il le reste, il était
essentiel de ne rien déranger, briser ou déplacer.

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Les jardins préférés du roi étaient ceux taillés à la française,
avec de nombreuses statues dont l’immobilisme et la pureté
étaient garantis.
Quant à la reine, elle s’occupait sans cesse de son apparence
afin de rester toujours aussi belle, sans le moindre flétrissement
de l’âge, d’ailleurs son fidèle miroir lui rappelait bien souvent
l’état de sa beauté.

Le roi était heureux de son merveilleux royaume où tout était


bien en ordre. Il ne fallait rien changer. La joie n’existait pas
car cela troublait l’ordre public, la beauté était dans un écrin
pour ne pas l’abîmer, les enfants dans des chambres bien
fermées pour ne pas attraper de microbes, faire du bruit et
risquer de créer du désordre.
Enfin, la reine mit au monde l’heureux événement tant attendu.
Ce fut un fils. Les réjouissances furent longues et pour une fois
assez gaies, cependant les amusements étaient contrôlés et
préparés à l’avance pour éviter tout débordement intempestif.

Matthieu, le petit prince ne ressemblait absolument pas aux


desseins de son père. Il était vif, turbulent, querelleur, farceur,
espiègle, etc. A croire qu’il avait dressé la liste de tout ce qui
exaspérait son père et qu’il avait décidé de l’incarner, tout en
un.
Non content que son caractère ne correspondait à aucun des
traits de perfection attendue par son père, en plus il ne faisait
que des bêtises, renversait, cassait, criait. On aurait pu penser
qu’il prenait un malin plaisir à le contrarier.

Bien entendu, une chambre particulière lui était réservée. Il lui


était interdit de rendre visite au monde et ce dernier ne venait
pas non plus l’importuner. Au moins, de cette manière, le roi,
son père, évitait tout risque de contamination sur la jeunesse du
royaume.

Et voilà que notre petit prince, ne s’arrêtait pas au fait d’avoir


le mode d’emploi inversé du monde parfait du roi Gradias. Il

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avait en plus des capacités hors du commun. Ainsi, il pouvait
voir le petit peuple de la terre, c’est-à-dire les lutins, les nains,
les elfes et toutes ces créatures légendaires qui habitent l’esprit
des enfants et que les adultes décrivent de manière intarissable
comme s’ils en gardaient une certaine nostalgie.

Du coup, Matthieu devient « plus sage », son père en fut ravi et


attribua ce changement d’attitude aux effets de son éducation
autoritaire. Il avait bien su dresser son fils et celui-ci décidait
enfin de rentrer dans le rang.

Pourtant, il n’en était rien, Matthieu s’amusait comme un fou


avec ses nombreux amis, mais il avait compris que s’il voulait
recouvrer la liberté, il lui fallait être rusé.
Petit à petit sa joyeuse compagnie lui raconta comment était le
monde, l’univers, la nature etc. Et Matthieu écoutait médusé. Sa
curiosité était sacrément aiguisée et il ne rêvait que d’une chose
c’était de parcourir le vaste monde. Cependant, il ne voyait
guère comment s’y prendre compte-tenu des contrôles
incessants qu’exerçait son père.

Alors ses petits compagnons eurent une idée. Et pourquoi ne


pourrait-il pas se rendre invisible aux adultes comme ils
l’étaient eux-mêmes ? Ah voilà une idée extraordinaire. La
question résidait dans comment y parvenir. Car le petit peuple
de la terre savait que les humains ne pouvaient pas les voir et
que seuls certains enfants y parvenaient mais il ne savait pas à
quoi attribuer ce miracle.

Matthieu fut alors bien triste, se sentant encore davantage pris


au piège et ne trouvant guère d’issue commençait à dépérir. Si
ses turbulences dérangeaient son père, le voir s’amenuiser
contrevenait tout autant à ses projets perfectionnistes. Ainsi, il
fit venir les meilleurs médecins du royaume afin qu’ils enrayent
au plus vite cette tendance catastrophique. Mais rien n’y fit. Le
temps passait et Matthieu dépérissait de jour en jour,

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malheureux, il devenait aussi mélancolique avec ses amis qui ne
savaient plus comment le consoler.

Ils tinrent alors un conciliabule afin de trouver une solution.


Seule la fée de la forêt enchantée savait. Mais comment la faire
venir puisqu’elle ne sortait jamais de son antre magique et
comment y conduire Matthieu qui ne pouvait pas sortir de sa
prison dorée ?

Un des nains eut une idée. Allons voir la bonne fée et


demandons-lui conseil. Celle-ci les reçut avec gentillesse et ils
lui exposèrent la situation. Elle les écouta attentivement et elle
leur donna une clé simple pour élucider le mystère.
Ils n’osaient pas y croire.

Elle leur apprit alors que ce qui faisait que les enfants voyaient
le petit monde de la terre et non plus les adultes, c’est qu’ils
avaient un cœur tout neuf, quasiment vierge et qu’ils étaient
encore empreints des magies de l’univers. Elles étaient encore
là présentes dans leur esprit et leur âme et c’est pourquoi ils
pouvaient voir ses multiples dimensions.
Ensuite ils passaient dans le monde des adultes et apprenaient
des choses sérieuses et petit à petit les multiples fenêtres sur le
monde se refermaient et ils ne voyaient plus que les misères et
les souffrances.

Ainsi, il fallait que Matthieu se blottisse au plus profond de son


cœur et prie très fort pour retrouver sa pureté d’origine. Alors il
pourrait passer parmi les humains, comme s’il était invisible.

Il essaya plusieurs fois et échoua souvent. Il était à la fois très


impatient d’accéder au résultat et de plus en plus triste de ne
pas y parvenir. Il resta alors plusieurs jours tout seul et attendit
de trouver en lui les ressorts de la transformation.

Puis un matin d’avril, il se sentit prêt, il essaya et passa devant


le garde de sa chambre sans qu’il le vit. Il tourna autour, lui fit

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des pieds de nez et rien ! Youpi ! Ca marchait. Il ne put
s’empêcher de claironner son succès ce qui fit revenir à la hâte
tous ses amis à qui il manquait cruellement. Il se promena ainsi
dans le palais et constata que personne ne faisait attention à lui.
Alors, suivant ses guides, il se risqua à l’extérieur et découvrit
le monde.

Que c’était beau ! Cette nature, ces animaux, et tous ces gens
qu’il ignorait. Comme c’était vaste.
Il se dit que c’était bien là qu’il voulait vivre.
Toutefois, afin de ne pas éveiller les soupçons, il devait rester
prudent et rentrer régulièrement pour les repas et la nuit. Ce qui
l’obligeait à rester dans un périmètre restreint. C’est ainsi, que
les premières joies de la découverte passées, ses escapades lui
parurent trop étriquées.

A présent, il rêvait d’explorer le monde sans limites et sans


contraintes.
Cela impliquait qu’il parte. Il savait que cela ferait beaucoup de
peine à sa mère et à sa famille et quant à son père, lui, verrait
surtout la rupture du parfait équilibre et lancerait toutes ses
troupes à sa recherche.
Cela nécessitait donc réflexion et préparation.

Le temps passa, il profitait toujours de ses sorties quotidiennes,


pourtant celles-ci se réduisaient à vue d’œil, car son père avait
décidé qu’il fallait qu’il apprenne les choses de la vie. De fait
son emploi du temps se remplissait d’activités raisonnables et
cela lui devenait franchement insupportable.
C’est ainsi que son plan fut finalement arrêté.
La seule chance qu’il avait de pouvoir être libre était qu’il
apaise son père de son besoin perpétuel de perfection.
Et il ne voyait que la fée capable de savoir quoi faire.

Il prépara son périple et un beau jour, partit avec ses amis


ayant laissé derrière lui un certain nombre de leurres dont il
savait qu’ils ne tromperaient pas longtemps leur monde. Ils lui

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feraient sans doute gagner quelques heures voire un jour ou
deux.

Le temps pour lui de rejoindre la fée et de chercher un moyen de


sauver le royaume de son perfectionnisme morbide.
Lorsqu’il la rencontra enfin, elle lui apprit qu’elle l’attendait
depuis longtemps.
- Ah, bon et pourquoi ?
- Parce que tu es le seul à pouvoir sauver ton père.
- C’est amusant, je venais justement à ce sujet !
- Je sais.
- Et que dois-je faire ?
- Ton père souffre d’une malédiction. Un mauvais
génie lui a planté une épine dans le cœur qui lui a tordu
le sens du bonheur.
- Ah ! oui. Il nous tyrannise tous en fait.
- Oui, parce qu’il souffre. Il a mal et ne sait pas
faire autrement pour rendre son environnement heureux.
- Eh bien il s’y prend tout à l’envers!
- Eh oui ! Donc, il faut que tu lui enlèves l’épine
du cœur et alors, il ne souffrira plus. Il verra à nouveau
les couleurs et la beauté du monde et desserrera son
étau insupportable.
- Merci.
Matthieu se précipita vers ses amis et leur dit qu’il avait grande
hâte de revenir au palais afin de soulager son père. Mais le petit
nain le mit en garde :
- Mais comment vas-tu t’y prendre pour enlever cette
épine ? Ton père se protège sans cesse et il déteste les
contacts physiques.
- Ah, oui c’est vrai ?
- ….J’ai une idée….

En revenant au palais, Matthieu se prépara pour réussir son


projet du premier coup. Sachant se rendre invisible, il pourrait
facilement se glisser dans la chambre du roi et déjouer sa
garde. C’est ce qu’il fit et après avoir délicatement dégagé le

33
torse de son père, il découvrit l’énorme épine noire enfoncée
dans son cœur. Cherchant un ustensile qui pourrait l’aider,
finalement, il prit le morceau de bois à pleines dents et tire d’un
coup. Le roi se réveilla en hurlant de douleur. Matthieu tomba
par terre et du coup redevint visible. Sa mère réveillée en
sursaut, poussa un cri strident qui fit entrer les gardes affolés
dans la chambre royale.

Pourtant, après quelques minutes de grand tumulte, le roi reprit


ses esprits et son visage était devenu serein, ses traditionnelles
rides d’angoisse et de sérieux avaient disparu. Il saisit son fils
dans ses bras et le remercia. Il était enfin libéré !

Le royaume se réveilla ce matin là avec d’autres parfums. La


joie, le bonheur et les cris des enfants revinrent fleurir les cours
des fermes et les rues s’animèrent à nouveau des bruits de la
vie.

Je me demandais, voyant la scène disparaître doucement dans un


voile de fumée rosée, s’il existait un monde où les gens savaient
vivre sans épine dans le cœur.
J’étais consciente de la mienne, je tirais dessus de toutes mes
forces mais il en restait encore beaucoup à l’intérieur.
J’étais encore trop souvent aux prise avec mes émotions, mes
doutes, mes faiblesses en un mot.
Pour autant, je conservais le message et je me disais, qu’un jour
peut-être je serais capable d’aimer aussi. Qui sait ?

Tandis que je continuais ma promenade, je vis de loin un très


beau chat, roux, qui s’amusait entre des bambous. Il se
rapprocha de moi et vint se frotter à mes jambes.
« Chic! » me dis-je « c’est bien la première fois que j’ai un
compagnon sur ce chemin, pourvu que ça dure ! » Je me levais
et je me mis en route pour voir si l’animal restait là, figé dans
cette belle scène bucolique ou s’il me suivait. Le chat se mit à
trottiner derrière moi. Ca y est je n’allais désormais plus être

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seule dans ma quête. Cela me soulageait vivement. Je le
nommais Samedi en hommage à l’histoire de Robinson Crusoë.
Et Samedi miaula comme pour apprivoiser ce nouveau baptême.

Le scorpion fatigué

Voici l’histoire de Basile un scorpion d’âge mûr. Il sentait le


poids des années peser sur ses épaules. Son humeur était
variable, car nombreux de ses anciens amis s’éteignaient les uns
après les autres et pour beaucoup dans de douloureuses
souffrances. L’ombre de la mort planait alors plus qu’à
l’ordinaire sur ses états-d’âme mélancoliques. Il avait l’esprit
chagrin et était venu se réchauffer à l’optimisme de ses amies
les grenouilles. Pourtant, elles ne partageaient pas le même
enthousiasme à le voir les rejoindre. En effet, l’une d’entre elles
avait payé de sa vie la confiance qu’elle lui portait. Car un jour
qu’il traversait sur son dos, le scorpion ne résista pas à la
tentation de la piquer au risque de mourir lui-même. En
l’occurrence, Basile s’en était sorti mais la grenouille avait
péri. Autant dire que sa réputation était faite et la communauté
croassante ne l’accueillait pas avec grande amitié.
Il avait fait le serment devant maître corbeau de ne plus jamais
renouveler un tel crime.

Toujours est-il qu’il voulait qu’on s’occupât de lui, que


quelqu’un l’aimât. Bigre, la demande était légitime, mais il n’y
avait plus guère de candidats !

Une jeune grenouille, plutôt effrontée, n’avait pas envie de


croire tous ces ronchons, car le vieux scorpion avait l’air tout
rabougri, triste et déprimé et elle se dit qu’elle pourrait peut-
être faire quelque chose pour lui. Elle avait l’âme altruiste. Elle
le prit dans ses bras et au bout d’un certain temps, il redevint
joyeux et gai. Avoir été aimé, ne serait-ce que quelques minutes
était déjà, une grande joie pour lui. Il semblait vraiment

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toujours manquer d’amour et du coup ne savait comment faire
pour attirer l’attention.

Il s’était alors mis à faire des tours de magie, cela plaisait à tout
le monde et il était sûr de toujours avoir un public attentif, en
admiration et qui en redemandait.
Ainsi, après avoir été câliné par Natasha la grenouille intrépide,
il proposa de présenter ses tours. Très vite celle-ci en comprit
un et il l’encouragea à le faire devant tout le monde. Elle réalisa
une belle performance et en guise de conclusion le scorpion
s’écria : « bien à présent je vais vous montrer comment on peut
faire tout ceci plus adroitement et plus vite. » Natasha se sentit
blessée.
Pourquoi fallait-il qu’il lui propose quelque chose si c’était
pour ensuite dénigrer sa prestation ? Une petite voix lui
répondit qu’il ne pouvait s’empêcher de piquer ceux qu’il aime,
ni d’attirer l’attention même au prix de l’amitié.
C’était l’esprit de la petite grenouille qui était morte pour
l’avoir sauvée de la noyade.

Je me sentais triste pour ce scorpion qui ne savait pas aimer et je


me demandais d’ailleurs si j’étais très adroite dans cet exercice.
Mais je n’eus pas le temps de m’appesantir. Une scène citadine
vint rompre le charme de ces paysages bucoliques.

Une histoire de bouteilles

Dans ce drôle de monde les hommes et les femmes, pour se


rencontrer, passaient dans une sorte de supermarché où une
partie d’eux-mêmes était conservée. Ils étaient tous rangés par
taille et étaient mis en bouteille. Donc, lorsque un homme ou
une femme cherchait un partenaire, il venait dans ce grand
magasin et devait remplir à l’entrée un formulaire sur lequel il
inscrivait ses critères, ce qu’il voulait vivre comme vie et
donnait également sa description précise.

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L’ordinateur faisait alors une sélection et le candidat à l’amour
était poussé sur un petit chemin mécanique vers le rayon des
bouteilles qui lui correspondaient. Là, se trouvaient des
bouteilles d’alcool, de champagne, de bières, de cidre, de jus de
fruits, de sodas, de lait et d’eau, comme aux rayons liquides des
supermarchés classiques.

C’est ainsi que Samirah était arrivée un jour face aux bouteilles
correspondant à sa sélection. Elle savait déjà ce qu’elle voulait.
Elle vit de suite la bouteille qui la fit craquer, c’était une
bouteille de lait, simple, blanche et bleue, demi-écrémé, d’un
litre. Elle ne regarda même pas les autres et la prit dans ses
bras, toute réjouie et enthousiaste ! Elle arriva ainsi au rayon
« transformation », elle plaça sa bouteille de lait sous le
portique de détecteur de défauts, qui continua sa course sur un
tapis roulant. Cette dernière fit le périple nécessaire pour qu’à
la sortie elle devienne le bel homme de ses rêves.

Samirah devint toute rouge lorsqu’elle le vit, après des heures


d’attente. Il était grand, blond, au type nordique, comme elle les
aimait, les yeux bleus, apparemment calme de caractère et
souriant, affable. Oh, chouette ! Elle avait enfin trouvé celui
qu’elle attendait depuis si longtemps.
Comme elle n’était pas parvenue à le rencontrer par les voies
habituelles du hasard, elle avait fait appel à la société :
« l’amour en bouteilles ». Il s’agissait d’une agence
matrimoniale d’un genre nouveau.
Et voilà comment Samirah rentra chez elle avec son ami, Bjorn.

Les premiers temps n’eurent rien à envier aux plus belles


passions historiques. Leurs amours étaient magnifiques,
enflammées. Ils étaient beaux ensemble, on les sentait
inséparables.

Toutefois, l’exaltation des débuts fit place aux petites rugosités


de la vie quotidienne. Les détails envahirent le nid douillet. La
routine rongea la passion et les différences empiétèrent sur le

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bonheur du couple. Des choses stupides, telles que le rangement
des vêtements, la manière de dresser la table ou encore, plus
essentiellement, savoir comment éduquer les enfants prirent des
proportions incroyables. Samirah voulait toujours avoir raison
que ce soit sur la manière de « bien » faire la vaisselle ou de
gérer le budget. Tout devint occasion de comparaison et de
dispute. On entendait plus souvent : « dans ma famille on a
toujours fait comme ça » que « je t’aime ». Bjorn ne ressemblait
finalement pas à l’homme idéal dont rêvait Samirah.

Mais quelle manie de vouloir épouser des bouteilles de lait tout


en cherchant à ce qu’elles deviennent des bouteilles d’eau ! Si
vous voulez une bouteille d’eau ou de whisky, choisissez-en une
et ne piochez pas dans le rayon d’à côté !

Cela me fit rire, toutefois, rassemblant mes souvenirs, je dus


reconnaître qu’il n’y avait rien de risible. La comparaison était
même aigre-douce. Je comprenais que jusqu’ici je n’avais
jamais su accueillir qui que ce soit dans mon cœur. J’avais
toujours voulu les changer…

Je me disais que l’amour était une chose bien compliquée ma


foi.
Je n’eus pas le temps de continuer mon raisonnement qu’un
bruit de pas me fit relever la tête. C’était Grand Bonnet.

Grand Bonnet

Grand Bonnet était vagabond de son état, à moitié fripon, à


moitié clochard, passant de maison en maison, cherchant un
quignon de pain pour éviter d’avoir faim. Un soir, Grand
Bonnet frappa à la porte d’une maisonnette isolée, à l’extérieur
du village.
Il entendit une voix de femme mûre lui répondre : « qu’est-ce
que c’est ?

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- Je suis voyageur et je suis fatigué, affamé, j’aimerais me
reposer quelques temps chez vous.
- Il n’en est pas question, partez.
- Mais gente dame, si vous touchez ma bosse vous aurez
abondance et bonheur toute votre vie. 

La curiosité de la femme était piquée au vif, elle entrouvrit sa


porte et dévisagea le malandrin. Il avait l’air débonnaire, elle
décida de le laisser entrer. Mais à sa grande surprise il n’était
pas bossu.
- Dis-moi l’animal, tu me racontes des sornettes, tu me dis
que si je touche ta bosse alors je serai riche et ce n’est
pas vrai, tu es droit comme un « i ». Elle commençait à
l’empoigner pour le remettre dehors, mais le voyageur
lui répondit.
- Mais qui a dit que ma bosse était dans mon dos ? 
Et il souleva son bonnet et une bosse grosse comme un œuf
apparut sur le sommet du crâne du bonhomme.
- Ah, par exemple, je n’avais jamais rien vu de tel ! 
s’exclama la femme. Tu n’as pas menti. Pour la peine
assieds-toi. 
Elle en profita pour toucher la bosse du vagabond. Elle perçut
une décharge comme un choc électrique. Elle retira vite sa
main.
- Dis-moi l’ami elle est bien bizarre ta bosse, voilà que je
prends l’électricité avec !
- Cela veut dire que tu recevras beaucoup.
- A la bonne heure ! Et la femme se remit à vaquer dans sa
maison.
- Dis-moi femme, n’aurais-tu pas de la soupe pour que je
me réchauffe ?
- Si bien sûr, je vais te donner une assiette. 
Elle le servit. Il commença à manger. Puis notre homme lui
demanda à nouveau :
- Tu n’aurais pas de pain par hasard pour accompagner
ma soupe ?
- Si. Mais vraiment tu es toujours en train de quémander !

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- Et aussi du sel pour corser le goût ?
- Et puis quoi encore ?

Le silence s’installa dans la chaumière, la ménagère affairée et


bougonne et notre vagabond mangeant bruyamment sa soupe.
Puis au bout d’un moment, elle ouvrit un placard et en sortit une
bouteille de vin et deux verres.
- Et du vin pour accompagner ta soupe, ça irait ?
demanda gauchement la vieille femme.
- Pardi ! Je vais me régaler.

Ils se mirent à parler et au fur et à mesure que les verres de vin


se vidaient, la bonne humeur régnait dans la maison. Et au bout
de plusieurs heures nos compères riaient aux éclats. Ils se
couchèrent bien tard après avoir bu de nombreuses bouteilles !

Le lendemain, le vagabond remercia la vielle femme qui lui


proposa de rester se reposer quelques jours s’il le
souhaitait. Mais il déclina son offre et partit son baluchon sur le
dos.
La femme le regarda s’éloigner et ne rentra chez elle que
longtemps après. Il avait disparu depuis belle lurette, mais elle
restait songeuse.
Elle ouvrit tous ses volets clos depuis des années, fit un grand
ménage, farfouilla dans ses veilles armoires prit sa plus belle
robe, ses souliers neufs qui n’avaient jamais servi depuis la
mort de son mari et ressortit de son grenier quelques beaux
accessoires. Ainsi parée, elle décida de retrouver le village et
ses habitants auxquels elle n’avait pas rendu visite depuis de
trop nombreuses années.

Le fil d’amour

J’avançais un peu au hasard, je flânais en fait, pendant ce temps,


Samedi jouait avec quelque chose par terre qui faisait du bruit en
roulant sur le sol. Je regardais de plus près et je constatais que

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c’étaient des perles. Les perles d’un collier. Eparses elles
jonchaient le sol. Je demandais alors à Samedi de m’aider à les
retrouver ce qu’il fit en agitant les herbes avec sa patte.

Une fois, toutes les perles réunies, je les regardais, il y en avait


de toutes les couleurs, chacune avait un éclat singulier et
lorsque je les pris dans les mains, je sentis qu’une à une elles
dégageaient une sensation particulière. Puis à tour de rôle, elles
se présentèrent. Ainsi une voix rauque dit : « Je suis Jehan».
Une voix claironnante chanta : « moi, c’est Emilie. » Le défilé
se poursuivit. Chaque perle énonça son prénom selon sa
personnalité, jusqu’à Estelle qui le murmura d’une voix douce
et aimante. A l’écoute de ce concert de sonorités multicolores,
j’eus l’impression qu’il s’agissait d’une famille. Au point où j’en
étais des bizarreries, je me pris à parler à Estelle qui arborait
une parure dorée, rutilante :
- Mais que vous est-il arrivé ?
- Nous nous sommes disputées, répondit Estelle. Et alors
le collier s’est rompu et les perles se sont répandues sur
le sol.
- Et nous sommes tristes finalement, éparpillées comme
ça, qui sous les feuilles, qui dans un trou, l’autre sous le
soleil de plomb, ajouta Clément a la voix enfantine. Nous
regrettons l’heureux temps de notre collier.
- Car en fait, nous constituons un foyer assez uni
d’ordinaire, se lamenta Emilie.

Tout d’un coup un souffle de vent vint disperser les perles et


soulever une question : comment faire pour garder l’éclat des
perles, chacune avec sa singularité tout en conservant
l’esthétique de l’ensemble ?

C’est Samedi qui vint apporter la réponse. Il miaulait depuis


quelques minutes et je me tournais vers lui et éclatais de rire. Il
était tout empêtré dans un fil de coton avec lequel il venait de
jouer et ce dernier s’était accroché à l’une de ses griffes. Alors,

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cherchant à s’en dégager, il s’était tourné dans tous les sens et
s’était emmêlé dedans.
- Eh oui, bien sûr ! c’était le fil qui faisait le collier
comme les perles d’ailleurs ! me dis-je.
- Oui mais pas n’importe quel fil ajouta César.
- Ah bon ?
- Oui. Il y a le fil de fer, froid et tenace, le fil de coton plus
agréable mais cassant, le fil d’or plus rutilant et
résistant et il y a aussi….
- ….le fil d’amour interrompit Estelle. Sans amour, rien ne
tient. C’est avec ce fil d’amour inconditionnel que les
perles peuvent donner le meilleur de leur éclat,
s’accommoder de leurs différences et restituer la beauté
de l’harmonie d’ensemble.

J’étais très émue et pensais, à mon tour, avec nostalgie à ma


famille. Que devenait-elle ? Avait-on remarqué mon absence ?
Ils me manquaient cruellement tout à coup.
Pourtant, chez moi aussi, il y avait des disputes et des querelles
et le fil d’amour était loin d’être tendu tous les jours entre
chacune des perles…Cependant, je les aimais et j’avais très
envie de les serrer dans mes bras et peut-être également de leur
raconter les aventures extraordinaires que je vivais dans ce
voyage !

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Chapitre 5 : Dans le dédale des rencontres.

Alice au pays des merveilles

Tout d’un coup un charivari terrible me fit tourner la tête, voilà


que je vis passer … Alice. Oui c’est cela Alice au Pays des
merveilles… Elle courait comme d’habitude après le lapin et je
les entendis tomber droit sur le fauteuil géant du Chapelier
prenant le thé avec le lièvre de mars.
J’en avais toujours rêvé, fêter un non-anniversaire qu’elle joie !
J’avais le sentiment de retomber en enfance. Mais je ne savais
pas très bien comment m’adresser à eux.. En effet parler à des
personnages légendaires n’était pas si simple ! Croyant les
connaître, je me sentais finalement plus intimidée
qu’auparavant avec mes autres rencontres.

- Non, mais qui me bouscule ? Vous m’avez fait renverser


mon thé, sacrilège ! s’écrira le Chapelier tout affairé à
deviser avec son compère.
- Vous n’auriez pas vu la reine, demanda le lapin ?
toujours aux prises avec sa montre et perpétuellement en
retard.
- Mais que nous vaut ce tumulte ? Mon amie voulez-vous
une tasse ? proposa le lièvre de Mars s’adressant à
Alice.
- Eh bien ! oui, je vous remercie… Je voudrais vous
demander….
- Bien alors mon ami où en étions-nous ? 

Et nos deux amis continuèrent à célébrer leurs multiples non-


anniversaires, à boire des théières entières sans faire le moindre
cas de ces invités inattendus.
Alice essaya à maintes reprises d’attirer leur attention et de se
faire écouter mais sans aucun succès. Quant à moi j’avais
timidement tenté de parler à Alice mais j’eus le sentiment d’être
invisible. Personne ne m’écoutait, ni ne me regardait. Le lièvre
m’avait confié son chapeau, Alice un ruban, le Chapelier sa

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canne mais personne ne semblait réaliser que j’étais là. J’avais
l’impression de faire tapisserie, j’aurais pu être une statue cela
aurait été sans doute la même chose. C’était insupportable !

La scène disparut assez vite emportant avec elle tous ses acteurs
pressés et excités comme des puces. Et moi, je restais au bord
des bosquets, l’âme un peu triste car je sentais bien que
remontaient en moi tous les souvenirs de ces multiples occasions
où j’avais cherché à prendre ma place au sein des différents
groupes que je rencontrais. Et cela se terminait toujours dans de
grandes souffrances. On me demandait des services, on
m’utilisait comme confidente mais en fait personne ne me voyait
vraiment et je pleurais fréquemment dans mon coin aux prises
avec ma tristesse et ma mélancolie. Et voici que mes héros me
faisaient subir, à leur tour, les mêmes douleurs ! Je n’existais
pour personne !

C’est alors qu’Alice réapparut et me glissa un mouchoir dans


lequel se cachait un petit mot et disparut comme elle était venue
dans un nuage.
J’éclatais en sanglots mais d’émotion cette fois. Quelque chose
changeait dans ma vie, enfin ! On prenait conscience de mon
chagrin.
Puis je dépliais le morceau de papier et lus l’histoire suivante.

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Le chemin en cinq actes

Acte 1 :

Pierre était entre deux âges. Il avait oublié de regarder passer


les jours dans sa vie et partait comme chaque jour vers ses
champs pour remuer la terre. Il fallait faire du bon travail car
son châtelain était exigeant. Il sortit de chez lui et prit le chemin
habituel qui le menait au coteau où poussaient les belles vignes
du Vézelay. Il fit quelques pas et tomba dans un trou. Il se fit
mal, très mal, il eut des difficultés à s’en sortir. Il pesta, se
releva et arriva aux vignes en retard. Ses compagnons restèrent
silencieux, voyant qu’il souffrait et qu’il n’était pas disposé à
parler. Il se mit au travail.

Acte 2 :

Le lendemain, Pierre, repris dans le flot de ses pensées vides et


sans objet, partit comme à l’accoutumée, au petit matin, et prit
le chemin habituel qui le conduisait au coteau. Il fit quelques
pas et tomba dans le trou. Il se fit mal, très mal, il eut des
difficultés bà s’en sortir. Il pesta, se releva et arriva à son
travail en retard. Personne n’osa lui parler, ils voyaient trop sa
mine contrariée. Il se mit au travail, tout en bougonnant.

Acte 3 :

Le surlendemain, Pierre prit le même chemin, sa femme Juliette


lui fit un petit signe de la main en partant au lavoir nettoyer les
draps et il tomba dans le même trou. Il se fit mal mais il
commença à se demander s’il n’y était pas pour quelque chose.
Il était en colère, il avait encore très mal. Il arriva encore en
retard et plus furibond que la veille. Tous ses compagnons le
regardaient mais restaient silencieux ne voulaient pas recevoir
les foudres de sa colère. L’incompréhension se lisaient dans
leurs yeux et pour quelques uns, une certaine compassion
silencieuse.

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Acte 4 :

Le quatrième jour, Pierre sortit de chez lui et se dit : « que cette


fois-ci on ne l’y reprendrait plus » ! Il prit le même chemin,
cependant il fit attention au trou, il n’y tomba plus et ne se mit
plus en colère. Il arriva à l’heure à la vigne. Ses compagnons
étaient tous souriants et ils burent un petit canon pour se
réconforter. Personne ne parla des événements récents. C’était
trop intime.

Acte 5 :

Le jour suivant Pierre prit un autre chemin. Il souriait et


ramassa un brin d’herbe. Et chose qu’il ne faisait plus depuis
bien longtemps, il regarda attentivement le soleil se lever sur les
forets et les coteaux. Il était heureux. Il arriva en avance et
prépara le petit canon pour ses amis en sifflotant.

Je souris à mon tour et décidai de me reposer quelques temps de


toutes ces péripéties. Je découvris non loin du chemin, un étang.
Je m’y rendis et déposai mes affaires sur la berge et commençai
à me baigner. Quel plaisir de nager, de se détendre et j’eus le
sentiment que courbatures, soucis et préoccupations
s’évanouissaient dans l’eau.

Je profitai de ces instants de plaisir et d’insouciance et tandis


que je barbotai avec délice j’entendis une musique délicieuse.
Tendant l’oreille j’assistai, bien malgré moi, à un drôle de
concert.

Le chef d’orchestre

Jeannot lapin rêvait de devenir chef d’orchestre. Depuis tout


petit, il brandissait des bouts de bois dans les terriers comme
dans les clairières, seul ou avec ses amis, il aimait jouer au chef

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d’orchestre. Il faisait asseoir tout le monde, qui prenait une
brindille, qui une noix ou encore deux herbes et chacun mimait
l’orchestre de Jeannot. Quel délice ! Au fur et à mesure, il
maniait bien la baguette comme il avait vu maître écureuil
conduire le concert des hauts vents lors des fêtes du printemps
dernier.
Petit à petit, ses amis grandirent et se fatiguaient un peu de
jouer les mêmes ritournelles. De plus, Jeannot prenait sans
cesse la première place et avait toujours raison, ne laissant
alors guère d’espace à ses amis. Avec le temps, seuls les plus
dociles restèrent, les autres entrèrent en conflit ouvert avec
Jeannot et la plupart l’abandonnèrent, le trouvant trop têtu.
Il se disait à chaque nouveau départ : « Ils ne comprennent rien
à la musique ! Tant pis pour eux ». Pourtant, les mois passaient
et il était de plus en plus seul.

Un matin, il rencontra dans la forêt maître Gentin, l’écureuil,


chef d’orchestre de son état, et ne put s’empêcher de lui poser la
question suivante :
- Maître, pourriez-vous m’expliquer la clé de la réussite
du chef d’orchestre ?
- Eh bien te voilà bien impertinent ! Tu me demandes de te
livrer le secret de mon succès alors que c’est le fruit de
toute une carrière et de nombres d’heures de travail ?
Tu ne manques pas de toupet !
- Pardon ! Je voulais juste savoir… car je voudrais aussi
un jour être chef d’orchestre et je ne sais pas finalement
si je m’y prends comme il faut.
- Tiens, viens me voir la semaine prochaine, lundi à 19h00
pour la répétition, tu comprendras mieux.
- Oh, merci !
- Attends de voir avant de dire merci ! 

Jeannot ne tenait pas en place, tant il était impatient d’être au


lundi suivant.
Enfin, c’était lundi matin. Il se demandait comment il devait
s’habiller et ce qu’il devait faire. Il était insupportable,

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totalement excité et comptait les heures. Il fut ainsi bien une
heure en avance, ne voulant surtout pas manquer le rendez-vous
donné par le maître écureuil.
Il vit ainsi arriver l’un après l’autre et parfois par petits
groupes les différents musiciens de l’orchestre. Chacun
s’installa à sa place et commença à accorder son instrument. Au
bout d’un quart d’heure lorsque tout le monde fut en place cela
ressemblait à un véritable charivari, c’était une horreur. C’est à
ce moment que le chef d’orchestre décida de s’adresser à
Jeannot et il lui demanda :
- Que penses-tu de l’orchestre en ce moment ?
- Est-ce que je peux répondre honnêtement ?
- Bien entendu.
- Eh bien, balbutia-t-il, c’est atroce!
- Tout juste ! Et pourquoi mon ami ?
- Eh bien parce que chacun joue dans son coin.
- Nous sommes bien d’accord. Alors prends ma baguette
et fais donc un orchestre harmonieux.
- Mais ?…..
- Pas de discussion. Tu en as toujours rêvé, alors vas-y.
Ne t‘inquiète pas, ils sont prévenus. 

Et Jeannot stupéfait, monta timidement sur l’estrade et se mit à


regarder furtivement les musiciens qui d’ailleurs pour le
moment ne s’occupaient guère de lui. Il sentit qu’il fallait qu’il
tape de sa baguette sur son pupitre afin d’obtenir leur attention.
Une fois que ce fut fait, il se sentit tout penaud face à tous ces
yeux qui le regardaient et qui attendaient.
Plein d’émotion, il prit son courage à deux mains et commença
à jouer de la baguette. Lisant attentivement la partition, il
réalisait les gestes qu’il avait appris méthodiquement afin de
faire marcher tout le monde à l’unisson.

Au bout d’une dizaine de minutes, le chef l’interrompit.


- Que penses-tu de ce que tu viens de faire ?
- Eh bien, je ne suis guère satisfait.

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- Voudrais-tu demander aux musiciens ce qu’ils en
pensent.
- Oh, non !
- Ah tiens et pourquoi ?
- Parce qu’ils vont me dire que c’est affreux.
- Et pourquoi est-ce « affreux » comme tu dis ?
- Parce que ça sonne faux, tout le monde joue de son côté,
il n’y a pas d’harmonie.
- Oui, je suis d’accord. Mais pourrais-tu dire pour quelle
raison ?
- Eh bien justement j’ai du mal à l’expliquer. Il me semble
avoir tout fait comme j’avais appris et pourtant le
résultat n’est pas là.
- Tu as raison, tu fais comme tu as appris et le résultat
n’est pas au rendez-vous. Alors ?
- Je cherche à les guider mais ils ne suivent pas très bien.
Peut-être sont-ils trop habitués à vous…
- Et si tu cherchais une autre raison à ton échec que la
responsabilité d’autrui ?
- Vous voulez dire que c’est de ma faute ?
- Qui parle de faute ? Je parle de responsabilité dans la
situation, c’est différent.
- Ah… oui. S’il y a tant de nuances dans notre vocabulaire
c’est bien pour rendre compte des merveilles de la vie.
Donc ?
- Peut-être que je cherchais trop à les guider…
- Oui… et ?
- Et du coup, je n’ai peut-être pas tenu compte de ce qu’ils
faisaient et comment ils jouaient ?
- Nous y voilà. Bien. Tu as pour toi la lucidité et bientôt
l’autocritique spontanée. Alors que manque-t-il pour que
l’orchestre produise un concert harmonieux ?
- De l’expérience.
- Oui et aussi ?
- Se connaître entre nous, c’est-à-dire les musiciens et le
chef d’orchestre…
- D’accord. Autre chose ?

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- …..Ecouter chacun.
- Oui, tout juste, c’est ça. Il est essentiel d’écouter la
musique, le chant de chacun des instruments,
l’expression particulière de chaque musicien…
- ….L’harmonie qui se dégage ou les à-coups dans le
rythme, les démarrages ratés et les reprises trop lentes…
- Voilà, tu as saisi.
- Il faut être à l’écoute des autres et de soi-même, de la
partition du compositeur et du jeu des musiciens.
- Oui, bien, bravo.
- Et peut-être aussi… Non, vous allez me trouver bête.
- Pas du tout, vas-y ?
- Eh bien je pensais qu’en fait il suffit d’écouter son
cœur ?
- Félicitations, tu es le plus merveilleux disciple que je
n’ai jamais eu. La musique comme la réussite d’un
orchestre repose sur le fait que chacun et surtout le chef
d’orchestre doit écouter avec son cœur. Jeannot, je te dis
adieu, tu as tout compris, tu peux continuer ta route.
- Déjà ? 

Jeannot n’eut pas le temps de dire au revoir au chef d’orchestre


et aux musiciens que la scène s’effaça.

J’étais toute joyeuse, je sentais que je venais de recevoir une


merveilleuse leçon et un immense cadeau. Je m’assis alors sur
un gros rocher et regardais le cours d’un ruisseau gambader
allègrement entre des berges verdoyantes et j’appréciais la
chaleur du soleil qui me léchait le visage.

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Chapitre 6 : Le périple intérieur

Je me retrouvai comme par enchantement assise, devant un


magnifique paysage des grandes plaines d’Amérique du Nord.
Un indien, visiblement l’homme-médecine du village, tira sur sa
pipe et se mit à conter une histoire que l’on se transmettait de
père en fils.

Cheval Fougueux

Dans les plaines du sud Crète rouge était bien connu pour être
un cheval original, tout le monde le connaissait, on ne pouvait
pas l’éviter. Quand il était jeune il avait beaucoup rué dans les
brancards, n’avait jamais supporté de se faire dompter et en
avait fait voir à ses parents. Mais les terres de ses aïeux étaient
trop étroites pour lui, les perspectives d’avenir trop restreintes,
il rêvait des grandes plaines, là-bas au-delà des garrigues et des
forêts. Un jour il irait….

Le temps a passé, fier et entêté, Crète Rouge franchit très vite la


barrière désespérant son entourage. Il gravit les collines et les
montagnes, rencontra de nombreux obstacles, tomba, se releva,
se mit peu à peu à comprendre. Et comme il était ambitieux, à
chaque fois qu’il croyait avoir atteint un seuil, de nouvelles
épreuves l’attendaient. Face à son entêtement les éléments se
déchaînèrent pour qu’il plie, il connut le froid et les frustrations
et du coup quelques bribes d’humilité. Alors il décida de
réfléchir et accepta de vouloir changer. Cette aventure qu’il
trouva aussi passionnante qu’exigeante structura sa vie. Et c’est
ainsi que sans s’en rendre compte, un beau jour il se retrouva
dans les grandes plaines. Il s’était tellement impliqué dans le
combat avec lui-même, qu’il avait omis de savourer le paysage.

Cependant alors qu’il se croyait installé dans le bonheur


d’avoir atteint son rêve, il prit douloureusement conscience
qu’il n’en n’était qu’au seuil et que tout pouvait encore

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basculer, tout dépendait de lui. Soit il sombrait encore dans sa
fougue première, enthousiaste mais envahissante, soit il savait
expérimenter cette sagesse à laquelle il aspirait et la faisait
sienne. Et là il rentrerait dans les grandes plaines et peut-être
pourrait-il même s’y installer. Tout reposait sur ses épaules.
En fait, tout dépendait s’il décidait, une bonne fois pour toutes,
de reconnaître qu’il existait aussi des maîtres sur cette terre.
Jusqu’ici il avait fui tout ce qui pouvait représenter des liens,
des attachements, il avait cassé son box et s’était enfui dans la
forêt. Il avait brisé sa longe et avait rué blessant le palefrenier.
Mais par dessus tout ce qu’il avait le plus de mal à supporter
c’était ces hommes qui voulaient absolument monter sur son
dos, lui mettre une selle, le dresser et lui imposer des rênes qui
lui blessaient la bouche. Ces autorités qui lui volaient une part
de son indépendance. A plusieurs reprises, il avait ainsi échappé
au lasso.

Pourtant, il savait qu’au seuil des grandes plaines il y avait un


passeur, il l’avait vu dans ses rêves, il savait que c’était un
maître, aussi puissant, exigeant qu’infiniment humain et s’il ne
savait pas le reconnaître il ne pourrait jamais paître
paisiblement dans les grandes plaines. Alors ce pays
merveilleux était-il un rêve ou Crète rouge décidait-il de laisser
là son orgueil, sa fougue et sa rébellion et de se plier pour une
fois à ce passeur dont il savait qu’il avait raison ?

Un orage brisa le ciel anthracite d’un éclair strident et il sut


qu’il devait choisir, il ne pouvait plus reculer, pour une fois, il
devait vraiment s’engager.

Trempé jusqu’aux os, blessé dans son cœur, la tête bravant les
intempéries et le cœur en colère de ses niaiseries, il plia le
genou et comprit.
D’un pas calme et décidé il se campa devant le passeur et il
attendit un signe.
Il avait fait le premier pas, il était prêt à faire les autres.

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Je n’avais pas plutôt fini d’expliquer à Samedi le fruit de mes
réflexions que je me trouvai transportée en Asie, assise en plein
milieu d’une grande rizière où je fis la rencontre de Chan-Li.

Le jeune apprenti

Maître Xian Hu était affairé c’était bientôt la mousson, on ne


pouvait plus attendre il fallait rentrer le riz avant qu’il ne
pourrisse sur place. De tous les côtés, amis, famille et même des
saisonniers venaient prêter main forte pour la récolte.
Le temps pressait, déjà le ciel tournait à l’orage, les nuages se
rassemblaient, assombrissant l’horizon, il n’y avait pas de
temps à perdre, il fallait aller vite. Tout le monde travaillait dur,
les joues crispées par la pression des échéances. Un jeune
commis arrivait pour donner main forte mais en fait il ne
connaissait que la cueillette du thé. Il était volontaire et voulait
apporter son sang-neuf, son enthousiasme et sa bonne volonté
au travail d’ensemble. Cependant, il passait son temps à
déranger ses voisins car il s’y prenait mal. Le thé et le riz ce
n’est pas la même chose, le tour de main est différent, c’est une
question d’habitude. Alors Chen, son plus proche voisin, lui
répondait certes, lui expliquait comment faire mais on pouvait
sentir sa gêne, il était sans cesse empêché de travailler pour
former ce jeune apprenti.

Maître Xian Hu sentit à distance que l’orage grondait non plus


dans le ciel, celui-ci s’était au contraire apaisé quelque temps,
mais bien plutôt parmi les hommes. Il lui fallait intervenir et
pourtant il avait tant d’autres chats à fouetter ! Il convoqua
Chan Li afin de lui faire part de son embarras et du fait qu’il
perturbait ses camarades avec ses incessantes questions, et
combien il troublait l’équilibre par son besoin de se rendre
utile.
Il n’avait qu’à observer, commencer doucement et au fur et à
mesure, il saurait faire. Cela lui éviterait de déranger les autres
et le calme reviendrait dans la rizière. Maître Xian Hu lui
expliqua en effet, qu’il n’était pas bon de créer le trouble durant

54
la récolte, cela pouvait nuire à la qualité du riz et de toute
manière, il ne pourrait pas le reprendre si ce dernier ne
comprenait pas le rythme qu’on attendait de lui.
Chan Li sentait bien, lui aussi, le malaise et il ne savait que
faire pour apaiser l’atmosphère. Alors il crut bon d’amener des
cadeaux pour adoucir les échanges, mais ceux-ci ne furent pas
accueillis comme il le pensait. Chen gardait toujours un visage
tendu car il se devait à présent de le remercier alors qu’il
souhaitait surtout qu’il lui fiche la paix. C’en était trop, la
tension augmentait sous des couverts de bonhomie policée.

Triste, désemparé, Chan Li fit des offrandes aux esprits afin de


leur demander conseil. Il fut entendu et de rudes journées
défilèrent devant lui. Il eut le sentiment d'être piétiné par des
dizaines de buffles. Les métamorphoses exigées de lui arrivaient
à vive allure et il voyait sans cesse émerger de nouvelles
composantes à ses transformations. Le souffle du dragon le
traversa, il sentit la force et la tranquillité l’habiter tout à coup.
Le message du dragon était le suivant : « Il aurait durant son
voyage à gérer le trop plein et le manque. Le trop plein
viendrait de son besoin de communiquer avec les autres et le
manque de ne pas pouvoir le faire justement puisqu’il serait
seul. Cette expérience lui ferait le plus grand bien et le
conduirait à savoir gérer les paradoxes. »

Il revit Maître Xian Hu et leur échange fut harmonieux comme


la flûte lors de la cérémonie d’abondance. Un parfum de lotus
exhalait de la pièce où assis en tailleur, ils dialoguaient. Ils
étaient tous deux d’accord. Chan Li devait partir faire la route
de la soie, seul, un peu comme un pèlerinage. Et lorsqu’il en
reviendrait, il en sortirait certainement transformé, peut-être
même sage. Et ce n’est qu’alors qu’il pourrait rendre visite à
Maître Xian Hu afin de lui montrer les propositions qu’il
pourrait lui faire pour améliorer ses techniques de récolte tout
en respectant les enseignements des plus anciens.
Et ils se quittèrent en se saluant comme l’exige le code
d’allégeance Kou Tou.

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Je ne manquai pas de constater que cela faisait bien deux fois
déjà que l’on me parlait de maître. Décidément, ils étaient
« têtus » sur ce chemin. Moi aussi, cela tombait bien ! A peine
eus-je prononcé ces quelques mots qu’un épouvantable orage de
grêle se déclencha. Les éclairs succédaient aux détonations de
foudre, je me serais cru quelques temps en enfer. Je cherchais à
me protéger, mais rien ne parvenait à m’abriter, j’étais trempée
et commençais à comprendre que sur ce chemin imaginaire, tout
prenait sens et vie, rien n’était laissé au hasard. Il me fallait être
prudente ou peut-être laisser un peu tomber mon orgueil ? Les
avertissements se succédaient et je continuais à jouer la forte
tête.

Je regardais Samedi qui se léchait les poils afin d’essuyer les


effets humides de la tempête que ma compagnie lui avait fait
vivre. Je cherchais son regard dans l’espoir de lire de la
compassion dans ses yeux. Mais il ne daigna pas répondre à ma
demande. A la place, une scène désertique se profila devant mes
yeux et je fus attirée par un personnage que je vis au loin…

Ismaël dans le désert

Sans très bien savoir ce qu’il faisait, Ismaël était parti en


voyage dans le désert et de plus, pour la première fois, il partit
seul, une vraie folie.
Tout le monde lui avait conseillé de s’intégrer à une caravane
ou de partir en groupe, il prendrait moins de risques, mais il
tenait à faire le chemin comme un pèlerin en quête de lui-même.
Et il voulait passer des épreuves difficiles, supposant que c’était
dans la douleur que l’illumination pouvait survenir.
Il avait beaucoup lu sur le sujet et pensait pouvoir se débrouiller
seul.

Il commença ainsi son périple par un désert qu’il connaissait


déjà, le Wadi Rum. Il y avait des collines rocheuses, cela le
rassurait d’une certaine manière, comme si la roche changeait

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quelque chose à la chaleur, au manque d’eau, à la solitude et à
l’angoisse si elle devait se présenter.

Il partit à pied de Petra en Jordanie et avec une carte et une


boussole il se dirigea d’abord vers le sud. Marcher seul dans
des sommets rocheux qui se ressemblaient tous s’avéra bien plus
difficile qu’il ne se le figurait. Il lui semblait ne pas progresser.
Il fatiguait vite, le soleil l’épuisait et il ne savait comment il
allait continuer.

Il avait prévu de marcher durant sept jours, il était malgré tout


resté prudent pour un début.
La première journée s’était déroulée dans la joie et
l’enthousiasme. Il adorait cet espace tout à lui, ces étendues
colorées dont les ocres et les blancs rosissaient vers la tombée
du jour pour s’éteindre brusquement dès lors que le soleil
disparaissait là-bas à l’horizon. Le deuxième jour, l’épreuve
arriva, il se prit à se retourner et ne vit tout autour de lui que
désert et solitude, rien. L’angoisse de se perdre, de mourir ou
pire, de se blesser, l’obsédait. Alors il sentit remonter de
terribles craintes qui se mirent à l’étouffer. La splendeur du lieu
disparaissait sous la pesanteur des contraintes. Chaleur
accablante, sécheresse, solitude, peurs, manque d’eau car il
n’en avait pas pris assez, assurément ! Tout devenait lourd et
difficile.

Ah, qu’il était plus facile d’imaginer le bonheur du désert dans


le confort douillet occidental et combien il devenait odieux
d’avoir fait ce choix et de se sentir, paradoxe suprême,
prisonnier de l’immensité, prisonnier de soi-même aux prises
avec la cohorte de troubles irrésolus ! Il avait envie de crier, il
ne se retint pas d’ailleurs et il entendit la texture de son cri lui
revenir en écho. Tandis qu’il pensait avoir exprimé une
immense colère, il perçut la vibration de la peur qui s’exhortait
en hurlement. « Mais comment vais-je sortir de là ? » se
demanda-t-il aux prises avec les pires angoisses, celles qu’il

57
n’imaginait même pas auparavant. Il se sentait malheureux,
broyé, meurtri, désolé et perdu, bête !

Il savait qu’il était venu là pour mourir à lui-même et il ignorait


ce que cela voudrait dire. A présent, il le vivait dans sa chair qui
se brûlait au soleil. Les jours passaient et rien ne pouvait le
calmer, il gelait la nuit et ne savait comment se réchauffer
tandis que la journée il cuisait. Mais quelle horreur ces
extrêmes qui lui causaient tant de turbulences et de violence.
N’y avait-il pas quelque voie d’équilibre entre ces tentations,
ces doutes qui lui tordaient le cœur et ces températures
excessives qui l’épuisaient ? Car il était maintenant consumé
par la fièvre, ayant eu peur de trop s’alourdir durant la journée,
il n’avait pas assez pour se couvrir la nuit et il avait pris froid.
Trembler et suer sous le soleil impitoyable était horrible, il
frémissait, grelottait puis brûlait tout d’un coup. Tout son corps
était le réceptacle de son combat intérieur. Il fulminait autant de
son malaise interne que de s’être mis dans une telle situation.
Mais ne serait-il pas possible de trouver la paix ?

Aux premières lueurs du cinquième jour, il ressentit comme une


secousse interne, une sorte de décharge électrique qui parcourut
tout son corps et il eut le sentiment que quelque chose venait de
s’ouvrir des pieds à la tête, délivrant de l’intérieur de son corps
une grande puissance. Il était tout préoccupé par son ressenti
lorsqu’il eut le sentiment d’entendre une voix dans sa tête :
« crois en toi et ouvre-toi davantage et tu recevras ».
Mais qu’était-ce que ce curieux message ? Il eut sur l’instant la
conviction que c’était son ange gardien qui lui adressait
réconfort et assurance afin qu’il puise en lui le courage qui lui
était nécessaire pour se transformer. Il s’assit alors face au
soleil levant et se laissa parcourir par les couleurs
merveilleuses qui changeaient le ciel en une superbe toile. Elles
y peignaient chaque seconde des tableaux différents s’agençant
avec harmonie les uns aux autres pour représenter finalement la
quintessence de la beauté, à la fois de la terre et du divin.

58
« Là, te voilà sur le bon chemin! » Lui dit à nouveau la même
voix.

Il comprit alors qu’il avait été aux prises avec le diable durant
tous ces jours, à la fois ces démons du désert craints depuis la
nuit des temps par les Egyptiens mais surtout que l’essentiel de
son tumulte était interne. Il n’existait nulle part de Satan pire
que celui qui se lovait dans ses entrailles, prêt à lui broyer
l’intérieur dès qu’il serait à nouveau confronté à ses doutes, ses
peurs et ses ombres. Et dès l’instant qu’il s’ouvrait vers la
lumière qui rayonnait en lui alors tout devenait simple et
limpide. La confiance lui donnait des ailes. Il se leva, descendit
la montagne et décida d’aller vers le nord, avec une aisance et
une certitude qu’il ne soupçonnait même pas.

Il marcha peut-être longtemps, il perdait la notion du temps et


cela n’avait plus d’importance tout à coup. Le périple lui parut
simple et facile, il avançait même à vive allure compte tenu de
ses fatigues précédentes. Il réalisa après plusieurs heures que sa
fièvre avait également disparu. Il s’était mis à prier tout en
marchant, récitant sans cesse des louanges et des remerciements
et avant la fin de la journée, le soleil déclinait mais ne
s’éteignait pas encore lorsqu’il vit se profiler les premiers
signes d’une oasis et il sut que ce n’était pas un mirage, il n’en
avait plus besoin.
Il avait su faire le choix, celui de la force, de la tranquillité, de
l’obéissance, de la confiance en lui et dans les événements.
Cette foi en lui-même et dans le divin lui apportait alors la terre
promise, l’abondance.

La scène désertique disparut comme les autres précédemment et


j’attendais un signe, une voix. Mais rien, le silence à nouveau. Je
trouvais ce conte très beau et je mis quelques minutes pour
réaliser que peut-être Ismaël c’était moi et là, je trouvai la
plaisanterie fort peu amusante.
A peine cette colère était-elle venue poindre le bout de son nez
que le désert réapparut tout autour de moi pour que finalement

59
j’y sois plongée à mon tour. Eh oui mes pensées façonnaient la
réalité ! Cela pouvait être merveilleux pourtant pour le moment,
je pestais à l’idée de devoir vivre la même chose qu’Ismaël.

Je marchai ainsi des heures et des heures, tout comme lui,


connaissant les mêmes affres, râlant, grognant, jusqu’à ce que je
comprenne. En effet, croyant qu’il suffisait de penser quelque
chose pour que cela arrive, je rêvais d’oasis, de maisons
merveilleuses aux piscines à l’eau de mer. Mais le charme
n’opérait plus. Le bon génie avait dû s’absenter quelques temps
car je restais coincée dans mon désert, à souffrir de la chaleur, à
voir ma chair se brûler petit à petit sous le soleil.

Ce que je compris c’est qu’en fait je devais lâcher ma colère. Ce


qui faisait prolonger l’épreuve ce n’était pas que j’aie songé à un
désert comme l’histoire d’Ismaël mais plutôt que je devais
dépasser l’un de mes principaux défauts. Et ce conte n’était que
l’apéritif. Vivre l’épreuve constituait le plat de résistance. Tout
dépendait de moi. Plus je luttais et plus je souffrais dans ma
chair de mon entêtement.
Je commençais à saisir ce que voulait dire ce lâcher-prise dont
j’avais aperçu de nombreux ouvrages dans les librairies,
convaincue de ne pas avoir besoin de les lire car je pensais avoir
compris. Certes, il me manquait juste la pratique !
Pourtant l’épreuve du labyrinthe aurait dû me suffire ! Mais non,
j’étais entêtée et surtout accrochée à mes vieux schémas. Et je
compris combien il était difficile de changer !

J’aspirais donc à quelques instants de répit afin de méditer ces


épreuves qui s’enchaînaient à vive allure. Mais ce chemin en
avait décidé autrement. Une vieille femme était face à moi. Le
repos n’était visiblement pas au programme des festivités.
Elle me dit de m’asseoir sous un arbre et d’écouter
attentivement l’histoire qu’elle allait me transmettre.

60
Les vicissitudes de Surnâ.

Surnâ était un bel africain, grand, athlétique, une force de la


nature. Il était paysan et cultivait son arpent de terre et faisait
fructifier son troupeau comme ses amis dans le village.
Cependant bien vite le chef du village vit en lui des capacités de
guerrier inexploitées. En effet, régulièrement les troupes des
villages voisins venaient empoisonner la vie du clan. Les
Samarii, c’était le nom de leur clan, n’étaient pas belliqueux et
cela se savait. Les excités de la région savaient qu’ils trouvaient
là fort peu de résistance et qu’il leur suffisait de monter des
velléités de guerre pour que les récoltes et le bétail leur soit
donné. Ils parvenaient à faire respecter tant bien que mal leurs
femmes, mais malheureusement souvent les enfants étaient
kidnappés grossissant les rangs des tribus avoisinantes.

Le chef du village recueillait la grogne des villageois, à la fois


terrorisés, et aussi trouvant injustes d’être sans cesse
rançonnés.
C’est pourquoi, il demanda à Surnâ de bien vouloir s’entraîner
afin de résister aux attaques. Il apprit les arts de la guerre et
forma une petite milice parmi les hommes les mieux bâtis.
Un conseil du village fut tenu, car le risque à changer de
tactique c’était de créer davantage de violence et de fait le sang
risquait de couler et les hommes de mourir.
Le cœur gros, l’ensemble du groupe se prononça pour qu’un
corps de guerriers soit constitué.

L’entraînement commença avec Braten le chef du village et


Naomao le sorcier, l’un maniant la lance et l’arc et l’autre
connaissant des tours de magie qui seraient fort utiles à nos
combattants novices.

L’apprentissage fut fulgurant pour Surnâ comme s’il était prêt à


emmagasiner toutes ces nouvelles connaissances. S’il
démontrait d’une grande habilité au javelot, il l’était plus

61
encore à manier l’énergie, la magie et toutes les formes de
sorcellerie que lui enseignait le vieux Naomao.

En quelques semaines ils étaient prêts et Surnâ fut sans conteste


le chef de ce petit groupe en regard de sa force et de sa maîtrise
des forces invisibles.

Il ne fallut pas attendre longtemps avant de voir poindre, à


nouveau, les avides voisins. Quelle ne fut pas leur surprise de
trouver face à eux un rempart d’hommes armés et maniant les
armes physiques et magiques avec autant de brio.
Apeurés, ils partirent comme une volée de corbeaux et ne
revinrent pas de sitôt se mesurer à la tribu de Braten.

Au fur et à mesure toutes les tribus vinrent se frotter à Surnâ et


à ses hommes et chacune essuya autant de déconvenues que la
première. Il n’y eut qu’une perte humaine à déplorer.
Avec le temps, exerçant ses connaissances fraîchement acquises,
Surnâ devient très habile dans la sorcellerie. Naomao lui apprit
alors tout ce qu’il savait pour soigner les hommes et la terre
blessée. Il comprit comment parler à la nature et elle lui
enseigna beaucoup. Après quelques mois sa réputation de grand
sorcier traversa les régions pour atteindre les grands royaumes
d’Ethiopie, de Nubie et d’Egypte.

Même pharaon fit appel à ses services au grand-dam de ses


habituels magiciens qui ne voyaient pas arriver ce sorcier noir
d’un très bon œil. Pourtant, il fut le seul à pourvoir soigner le
fils de pharaon touché par un mal incurable, qui ressemblait
fort à une malédiction portée par un des ennemis de l’empire
égyptien.
Il obtint comme récompense, une merveilleuse demeure et de
nombreux serviteurs. Il s’y installa avec sa famille, prit
plusieurs femmes et commença à goûter le succès et la richesse.

62
Le temps passait et il devenait de plus en plus fier et prétentieux.
Chacun de ses actes coûtait un prix exorbitant et il n’y avait
jamais assez de cadeaux pour honorer sa venue.

Pourtant, Noamao l’avait prévenu, il ne devait en aucun cas


monnayer ses dons et surtout ne pas en abuser sans quoi il
pourrait en pâtir durement.

Mais Surnâ avait la tête tournée par l’opulence et l’admiration


qu’il suscitait autour de lui.
Il ne prit alors pas garde que si certains étaient fascinés par lui
d’autres le jalousaient et ne rêvaient que de sa déchéance.
Ne songeant plus à faire les actes d’humilité que lui avaient
appris Naomao, consistant à rendre grâce à Mère nature et aux
esprits qui le secondaient dans ses soins. Il fut frappé
douloureusement dans sa chair. Il perdit l’une de ses filles
chéries qui mourut d’une maladie qu’il ne put guérir.
Evidemment la nouvelle se répandit comme une traînée de
poudre, son aura diminua. Ses femmes dépitées le quittaient
l’une après l’autre. Ses détracteurs profitèrent de sa déconfiture
pour l’accabler de toutes sortes de rumeurs. Des sorts lui furent
jetés.
Au bout de plusieurs mois de ce régime, il fut totalement ruiné,
seul, et avait perdu quasiment tous ses pouvoirs.

Il resta longtemps seul entre le désert et les régions arides de la


savane, sans but avoué et revint finalement dans sa tribu en fort
piteux état.
Ses pas l’avaient guidé malgré lui vers son foyer d’origine.

L’accueil fut froid et distant, toutefois Naomao s’approcha de


lui après l’avoir laissé mijoter plusieurs jours et lui dit :
- Je t’avais mis en garde avant ton départ. Ces pouvoirs
sont exceptionnels, ils ne sont pas donnés à n’importe
qui. Il faut en être digne et savoir honorer ceux qui te les
ont transmis. Tu t’es laissé berner. Tu t’es pris pour un
Dieu et  « Ils » n’aiment pas ça. Tu as tout perdu, c’est

63
ta punition. A présent, si tu veux recouvrer tes pouvoirs
il va te falloir faire preuve d’humilité, d'obéissance et
nettoyer ton cœur de cet orgueil qui t’a tant illusionné.
- Je ne veux plus toucher à tout cela. J’ai trop souffert.
- Tu n’as pas compris, tu n’as pas le choix. Tu as été
choisi. Ne crois pas t’en tirer à si bon compte. « Ils » ne
vont pas te laisser en paix. Tu es dans l’obligation de
retrouver tes pouvoirs et de soigner ta vie durant de par
le monde, gratuitement, pour laver ton orgueil.

Surnâ soupira et dormit sur sa couche des jours et des jours. On


le crut même mort. Il absorbait l’information et se transformait
comme un papillon dans sa chrysalide afin d’être au niveau de
ce que l’on exigeait à présent de lui.

Pour une fois, la vieille femme resta quelque temps. Quelle


aubaine ! Je pouvais enfin trouver un interlocuteur qui ne
disparaissait pas tout d’un coup.
Ainsi je commençais ma discussion avec elle.
- Pourquoi me racontez-vous cette histoire ? Je ne suis
pas magicienne.
- Non, mais tu es poussée vers ton destin. Nous avons tous
des talents. Et il ne faudrait pas que les tiens te tournent
la tête. Tu ne dois pas oublier que si tu as des qualités
pour guider les gens vers leur cheminement intérieur,
ces dons ne te sont donnés que pour aider ton prochain
non pas pour ta gloire personnelle.
- Mais de quoi parlez-vous ?
- Ce chemin que tu parcours à présent, lorsque tu l’auras
terminé, tu vas conduire d’autres personnes à le suivre
et chacun vivra une expérience différente.
- Ah ?
- Oui. Il n’est rien d’innocent ici bas. Ce qui t’a été donné,
tu auras à le restituer à ton tour et pour cela, il te faudra
avoir le cœur pur et les intentions honnêtes.

64
- Je comprends ce que vous me dites. Pour autant, je n’ai
pas l’impression d’avoir des dons particuliers… 

J’en étais là de ma réponse et voilà qu’elle disparut elle aussi !


C’était une manie sur ce chemin ! Je devais donc conserver à
l’esprit sa mise en garde en me disant que, quels que soient mon
destin et mes capacités, la vigilance devait malgré tout
s’appliquer en toutes circonstances.
L’aventure de Surnâ me laissa un goût amer. Je ne me sentais
nullement partie pour un destin extraordinaire. Si je pouvais me
défaire de mes lourdeurs quotidiennes ce ne serait déjà pas si
mal.

D’autant que ce que la vieille femme décrivait me semblait le lot


de tous. Et je vis bien là le piège de l’orgueil et je compris alors
mieux l’histoire de Surnâ. Elle me mettait en garde contre le
besoin de se sentir exceptionnel !
Car pour celui qui s’engage sur le chemin de la sagesse, il est un
temps où il reçoit et un temps où il transmet. Tout simplement.
Et ceci ne confère pas de titre honorifique particulier. Au
contraire seule l’humilité permet la réelle sagesse.

Je restais songeuse et je me disais que j’avais bien apprécié


trouver quelqu’un à qui parler. Cependant elle avait disparu si
vite que je me retrouvai à nouveau bien seule face à mon chemin
ou à mon destin. Je ne savais plus que penser.
Voilà que d’un côté je voulais agir par moi-même et de l’autre
j’étais triste d’être seule au monde ! Faudrait savoir ! Mon Dieu
que la nature humaine était pleine de contradictions ! J’étais
encore loin du juste milieu… !

C’est alors que le message de maître Xian Hu me revint à


l’esprit, « le trop plein et le manque », « la route à faire seul, le
pèlerinage »….Cependant il n’était pas toujours facile d’être
seul, résolument seul face à soi-même, à ce que l’on est et à ce
que l’on devient…..

65
Le vieil homme

J’en étais là de mes cogitations lorsque je vis face à moi un tout


petit homme, rabougri, qui semblait gémir au bord de la route,
ses maigres affaires éparses. Une sorte d’intuition me fit dire
que je ferais bien de m’arrêter et une autre voix intérieure
m’intimait, bien au contraire de passer mon chemin. « Ah, ça
mais ! C’est à n’y rien comprendre, voici qu’ils sont plusieurs à
me dicter la loi et dans ma tête en plus ! Existera-t-il un lieu où
je pourrai être en paix ? Dans mes songes, il ne fallait plus y
compter, ils avaient aussi envahi cette intimité ! »

Mais je n’eus pas le temps de tergiverser davantage, le vieil


homme m’interpella.
- Porte moi jusqu’à mon village.
- Euh…
- Il n’y a pas de « euh » qui tienne. Monte moi sur ton dos
et tout de suite.
Ah je n’aimais guère que l’on me parle de la sorte. Non mais ça
n’allait pas finir à la fin ! Mais quelle idée j'avais eu de sortir
de chez moi !!!
- Une excellente idée !
- Et vous pouvez lire mes pensées aussi ?
- Bien entendu.
Quelle horreur ! je me sentais coincée, plus aucun espace
privatif, j'avais le sentiment que j’allais étouffer. Le labyrinthe,
le désert, les orages, tout cela m’avait suffit. Et tandis que je me
lamentais sur mon sort cherchant une issue, sachant que je ne
pouvais pas l’envisager sans être épiée, je ressentis que le
bonhomme était de plus en plus pesant sur mes épaules.

- Mais que faites-vous ? Vous êtes si lourd tout à coup.


- Je ne fais rien. C’est toi qui ne sais pas saisir les
opportunités.
- Mais qu’est-ce que cela veut dire ?demandai-je en
colère.

66
Et comme je m’irritais à nouveau, le poids fut encore plus
difficile à porter. J’étais prête à déposer le vieil homme par
terre, mais comme s’il avait des doigts crochus ou quelque
ventouse sous le ventre, il ne faisait qu’un avec mon corps.
Impossible de m’en débarrasser ! Ah, mais j’en ai vraiment
assez de ce pèlerinage ! J’étais vraiment disposée à dire en tête
à tête à qui le voulait ses quatre nobles vérités à la fin !

Le vieil homme reprit la parole :


- Dis-moi que tu n’as jamais songé à vivre un grand
destin.
- Ah, c’est donc ça ! Mais non je n’aspire pas à devenir
quelqu’un de célèbre.
- Ce n’est pas vrai.
- Non, mais c’est quelque chose! Vous me posez des
questions et lorsque je vous réponds vous ne me croyez
pas.
- Non. Car tout le monde rêve au plus profond de lui
d’être connu, de voir son nom sur les magazines ou
d’avoir succès et triomphes.
- Et donc moi aussi ?
- Oui.

Je restai songeuse, tout en pliant sous le poids du vieil homme.


Et s’il avait raison après tout ? Et si finalement toute ma vie je
n’avais en fait cherché à faire des choses que pour en tirer
gloire et profit ? Pour l’instant je n’y étais guère parvenue, mais
je sentais que l’examen de conscience s’imposait. Au fur et à
mesure de mon introspection le poids s’allégea. Au moins,
j’avais obtenu quelque chose dans l’histoire. Et je ne pus
m’empêcher de le questionner.
- Et quand bien même j’aurais souhaité avoir une destinée
extraordinaire en quoi est-ce un problème ?
- Ce n’en est pas un en soi, la question est de savoir si tu
le mérites et si tu pourrais en faire bon usage.
- Oh que j’en ai assez d’entendre parler de mérite. Des
siècles ont passé et avec eux leur morale dévastatrice.

67
- Peut-être. Pourtant, tu ne pourras pas accomplir de
grandes choses si tu ne te débarrasses de cet orgueil
incommensurable qui est le tien.
- Ah, bon, je n’avais pas l’impression d’être à ce point
fière et arrogante.
- Si !

Ah, vraiment j’aurais souhaité bien autre chose que de faire


cette rencontre ! J’avais le sentiment qu’il ne me lâcherait
jamais ce petit vieux racorni. Si j’étais orgueilleuse eh bien lui
était sacrément opiniâtre.
Toujours est-il que le temps passait, il était toujours sur mon
dos et son poids ne s’était guère arrangé.
J’étais dans l’impasse.
Après tout je ne formais pas tous les matins des rêves de
conquête, alors pourquoi cette nouvelle épreuve ?

Tandis que je continuais ma route, les éléments se déchaînèrent.


Ils pouvaient bien se joindre à notre petite sauterie !
Un vent d’une violence extrême me forçait à m’agenouiller,
j’avais bien essayé de m’asseoir mais il n’en était pas question.
Le vieillard me tirait les cheveux jusqu’à ce que je me relève.
Charmante compagnie !
Cette effroyable bourrasque se transforma en vent du désert, le
sable cinglant mon visage et entra partout dans mes yeux, ma
bouche, mes oreilles. Je croyais que j’allais mourir. Je
m’étouffais. Et lorsque je toussais, je manquais m’asphyxier.
De plus, la chaleur était intenable et mon passager clandestin
me brisait les reins.
Je rêvais de fraîcheur.

A la seconde, le ciel libéra une foudre éblouissante et une


tornade éclata, laminant le ciel de ses zébrures, assourdissant
les oreilles et m’inondant d’une pluie torrentielle. Je
commençais à comprendre ce que signifiaient les sept plaies
d’Egypte. Cela ne semblait jamais vouloir cesser.
Tout y passait, pluie, grêle, vent, orage, giboulées.

68
Je ne voyais pas d’issue. Je ne sentais plus mon corps tant il
était meurtri par les courbatures et malmené par les éléments en
furie.
Finalement, je m’écroulai et priai pour que cela cesse.

Aucun coup de pied, ni pincement du vieillard n’y firent. Je ne


pouvais plus bouger, j’étais rompue. Je me demandais si je
pourrais tout simplement me relever.
- Alors, as-tu compris ?
- Quoi donc ? fis-je dans un pénible gémissement.
- Que tu es minuscule et vulnérable.
- Ah, pour ça, je crois avoir saisi le message. Cela fait
plusieurs fois que ce chemin cherche à me faire passer
de vie à trépas, j’ai bien compris que je ne maîtrisais pas
les événements.
- Bien. Mais encore. Reconnais-tu que tu n’es pas toute
puissante ?
- C’est comme ça que vous faites des adeptes ? Vous avez
de drôles de procédés.
- Fais bien attention à ne pas jouer les impertinentes, tu
risquerais de vivre encore d’autres aventures
déplaisantes.
- Je n’aime pas les chantages.
- Cela n’en ai pas un.
- J’ai l’impression de vivre les aventures de Job.
- Peut-être quelque chose comme cela, en effet.
- Eh bien ce n’est pas juste. Je trouve détestable de forcer
la main aux gens et de les faire souffrir pour qu’ils
craquent.
- Mais tu n’as donc rien compris, bougre d’idiote !
- Merci, maintenant les insultes, c’est vrai cela manquait !
- Ah ! On m’avait dit que tu étais une dure à cuire, mais
c’est bien vrai.
Je ne pus m’empêcher de ricaner comme une écolière. Cela me
valut un coup de pied aux fesses. Ah, je le vous recommande ce
chemin de soi pour les week-end, un vrai parcours de santé !

69
Le vieillard reprit.
- Ce que veut le divin ce ne sont pas des gens dociles qui
sont à sa merci, il souhaite que les gens découvrent en
eux la flamme de la foi. Et lorsqu’il perçoit que nous
sommes enfin ouverts à sa lumière, il nous fait passer
des épreuves d’initiation en quelque sorte afin de vérifier
que nous avons bien la trempe et la foi de résister à tout
et de continuer Son chemin.
- Je crois que je comprends mais je suis fatiguée. Je ne me
sens pas appelée par quoi que ce soit. J’aspire à la paix
et je voudrais être seule quelques temps….

Le vieillard disparut et je ressentis une impression de douceur et


de chaleur comme si j’étais enveloppée soudain par un amour
immense.
Epuisée, je m’endormis comme une masse.

70
Chapitre 7 : Les enseignements

L’huître qui voulait devenir sage

Il était une fois une petite huître qui voulait être grande. Elle
rêvait d’être sage, mais elle ne savait pas très bien comment s’y
prendre.
Elle parcourut les vastes étendues du monde, neigeuses, arides
parfois, verdoyantes ou rudes et aussi luxuriantes et généreuses,
un peu au hasard des rencontres. Elle entendait parler de
maîtres, elle ne comprenait pas très bien ce que cela voulait dire
et à chaque fois qu’elle croyait en rencontrer un, un événement
survenait qui la forçait à continuer à cheminer seule.

Elle sentait bien qu’il fallait qu’elle améliore un certain nombre


de choses, toutefois, parmi ses nombreux défauts, celui qui
l’embêtait le plus était le fait de critiquer systématiquement son
environnement. Ainsi, souvent elle se surprenait à médire alors
qu’elle voulait l’instant d’avant aider son prochain. Elle avait
conscience de très mal s’y prendre mais elle ne savait guère
faire autrement.

Dans son périple, certains lui avaient dit que la clé résidait dans
une plus grande compassion, ce qui la conduirait à développer
sa tolérance en acceptant plus facilement les autres dans leur
différence et leurs particularités. Le plus difficile apparaissait
surtout dans le changement de comportement. Elle était bien
d’accord sur le principe, mais qu’il était compliqué d’agir
différemment de ses habitudes !

De plus, le fond des océans est un milieu aride sous ses aspects
généreux et variés. La mort rôde et menace toujours les
insouciants. La mer est impitoyable et il n’existe guère de place
pour les faibles. Ce qui avait alors créé une ambiance de
compétition. Et cela ressemblait davantage à une jungle où
seuls régnaient les plus forts, qu’à une oasis de calme comme en
rêvaient les humains là-haut sur la terre.

71
L’huître savait que vouloir être sage dans ces conditions n’était
pas une mince affaire. Elle devait refuser les tentations de
bataille, de lutte, de comparaison et de coups bas propices à
éliminer les moins opiniâtres.
Elle était pourtant convaincue qu’il était possible de vivre en
harmonie entre coquillages, poissons, crabes et étoiles de mer
sans qu’il faille toujours en passer par la mort des uns pour
assurer la survie des autres.
Elle ne savait pas comment s’y prendre mais elle était sûre de
son fait, il existait d’autres voies.
Sans très bien savoir d’où lui venait cette certitude, elle savait.

Un beau matin elle partit s’isoler dans une grotte qu’elle avait
toujours regardé avec envie. Aujourd’hui c’était le jour J, celui
de la rencontre avec… En fait, elle ne savait pas très bien avec
quoi. Mais elle avait la conviction que cette aventure allait la
transformer radicalement.

Elle trouva un petit trou confortable dans lequel elle se blottit,


bien cachée sous le sable, afin de ne pas être importunée ni par
des prédateurs ni par des congénères en mal de compagnie. Elle
ferma sa coquille et attendit.
Elle resta ainsi dans le silence, le noir, l’abstinence et
l’isolement. A plusieurs reprises elle eut envie de tout quitter et
de rejoindre ses amis, car le noir complet, le jeûne étaient
finalement de sacrées épreuves qu’elle avait minimisé. Mais elle
tenut bon, elle s’accrocha à sa détermination, à son courage et
fit confiance dans le divin.

Au bout d’un temps qui lui parut une éternité, elle eut
l’impression de rêver.

Elle vit un bien étrange pays des hommes où tous les habitants
avaient les yeux bridés et la peau jaune. Ils habitaient un pays
immense et parlaient des langues différentes mais qui
semblaient avoir en commun des intonations très aiguës. Quelle

72
drôle de contrée où le chef était toujours habillé de rouge et
d’or. D’ailleurs, c’est lui qui vint sur le devant de la scène
demander de l’aide au plus grand sage du royaume, retranché
des hommes dans la grotte de la montagne sacrée.

Les temps étaient devenus soudainement amers. Alors que


l’abondance régnait toujours dans l’empire, soudain famine,
misère, maladies et envahisseurs submergèrent le pays et le
conduisirent au bord du chaos.
A l’approche de l’empereur et ses ministres, le sage s’enfuit et
se retira dans une contrée encore plus désolée et l’on n’entendit
plus jamais parler de lui.

Les jours, les mois passèrent et les inondations cessèrent, les


récoltes redevinrent généreuses, les famines disparurent et les
envahisseurs furent repoussés aux frontières. La paix et la
prospérité revinrent…
L’empereur, fort étonné de cette amélioration spectaculaire et
voyant bien qu’il ne pouvait s’en attribuer seul le mérite, voulut
en comprendre la cause et chercha, à nouveau, à rencontrer le
sage. Son voyage jusqu’à la retraite de l’ermite fut long et
périlleux. Lorsqu’il le vit enfin, il lui posa la question suivante :
- Maître, mais qu’avez-vous fait pour que la paix et la
prospérité refleurissent dans mon royaume ? 
Et le sage répondit :
 - J’ai remis de l’ordre en moi-même ! 1

L’huître fut tout émue par cette belle histoire et comprit alors
pourquoi elle s’était terrée loin de ceux qu’elle aimait. Elle se
demandait si le temps était venu qu’elle retrouve ses amis. Elle
avait hâte de savoir si une quelconque transformation avait eu
lieu. Elle tergiversait lorsqu’un gros crabe vint s’enfouir à son
tour tout près d’elle. Le signe ne trompait pas, il était temps
qu’elle sorte !

1
Passage inspiré de Conte de l’Or-riant. Robert Mougeot. D’après un
enseignement traditionnel oriental.

73
Elle ignorait si son cœur avait enfin pu s’ouvrir pour accueillir
avec bienveillance ses amis. Alors pour en avoir le cœur net,
elle décida d’organiser un grand rassemblement de ses
connaissances et d’apprécier si son regard avait changé sur
eux.

Etaient présents tous ceux avec lesquels il y avait eu des


querelles, des jalousies, des mesquineries ou des jugements. Ils
avaient eu eux aussi envie de la revoir.
Il y eut un grand bonheur à se retrouver. Les critiques avaient
fait place à la compassion, au bonheur du dialogue retrouvé, à
la tolérance d’être différent tout simplement.

Je me disais que j’étais loin de ressembler à cette petite huître.


Nombreux étaient encore les jours où je pestais contre autrui. Et
ceux durant lesquels je ne savais pas encore faire preuve de
générosité.

Ainsi ce mendiant au bord de la route qui me demanda du pain.


Il me fallut du temps avant de réaliser sa présence. Ma première
réaction avait été un réflexe de repli. Lorsqu’enfin, je réalisai ce
qu’il voulait et me décidai à lui venir en aide. C’était trop tard. Il
était parti.

La générosité rime avec spontanéité et immédiateté. J’hésitais


trop encore …. !

Les perles de l’âme

Je trouvai à mes pieds un collier cassé. Je le ramassai et cherchai


aux alentours si quelques perles ne seraient pas tombées de ci,
de là. Je pensais qu’il s’agissait des perles enroulées autour du
fil d’amour. Mais non, elles ne parlaient pas.
Je récupérai ce que je pus et je me mis en quête de quelque
chose qui pourrait faire office de fil. Entre deux arbres, je
découvris une toile d’araignée, que je distinguai grâce aux

74
rayons du soleil et je me dis que c’était bien l’occasion de
recomposer le collier.

Je savais que le fil d’araignée pouvait devenir très solide.


J’entrepris de le tresser de manière à ce qu’il soit assez robuste
pour soutenir le poids des perles. Elles étaient très belles dans
les tons de rouge, vermillon, ocre, rouille et jaune, cela donnait
l’impression d’une langue de feu qui voulait reprendre vie.
Machinalement, je comptai les perles et découvris, non sans
amusement, que le nombre correspondait à mon âge. Alors
j’enfilai une à une les perles tout en repensant à toutes ces
années qui s’étaient écoulées. Je me disais que j’avais envie de
ressentir pour chacune soit une sensation, soit percevoir une
image, un son ou encore un parfum. Quelque chose de
particulier qui me rappellerait la singularité d’un événement et
me rendrait une perspective originale de ma vie.

Les premières années étaient bien difficiles à me remémorer.


Pourtant au bout d’un certain temps, mon esprit se prit au jeu,
une avalanche de souvenirs me revint. J’eus du mal à les classer,
et savoir quand exactement les choses s’étaient passées, mais
quel cadeau ! C’était comme au cinéma, chaque perle apportait
son cortège d’amusements ou de tristesses, cela dépendait des
cas. Ma famille était bien sûr très présente et j’aimais ce voyage
au cœur du passé, j’avais l’impression d’en tirer de nombreux
enseignements.

Bercée par le manège de mes souvenirs, les perles s’enfilaient et


le collier s’allongeait, j’étais comme emportée dans une douce
rêverie, toute aux prises avec moi-même.

Après de longues heures, je réalisai soudain que mon ouvrage


était immense, il faisait plusieurs mètres de long et bien que
cherchant à compter les perles, je perçus que je n’y parviendrais
pas, il y en avait trop. Je compris alors que j’allais vivre
indéfiniment, que j’avais d’ailleurs toujours vécu. Ma vie
actuelle n’était qu’un passage. Avec cette avalanche de

75
mémoires, je prenais conscience que de nombreux épisodes
n’avaient en fait pas encore été vécus ou qu’ils appartenaient
soit à quelqu’un d’autre ou alors, qui sait, à une autre vie ?

Je venais de faire un périple incroyable au creux de mon essence


de vie. Mon âme tout entière avait défilé sous mes yeux, ainsi
que les différentes étapes de mon évolution. C’était une
expérience inoubliable et dont j’appréciais la douceur, pour une
fois...

Les outils de petit Paul

Le compagnon suivait le maître et conduisait son apprenti en lui


disant de bien penser à reprendre ses deux outils principaux,
le ciseau et la truelle.

L’apprenti n’osait pas encore trop poser de questions pour ne


pas paraître bêta et surtout parce que la loi du silence était de
règle parmi les compagnons. Les maîtres parlaient pour
enseigner, les compagnons suivaient pour apprendre la manière
d’enseigner à leur tour et les apprentis apprenaient. Et ils
devaient écouter. Ce qui signifiait se taire.
Pourtant petit Paul avait des questions plein la tête et des
pourquoi en pagaille et souvent il voulait interrompre le maître
parce qu’il ne comprenait pas tout de ce qu’il lui disait. Ce
dernier parlait vite et puis il employait des mots inconnus,
parfois même dans des langues mystérieuses et petit Paul avait
du mal à suivre.

Ils parcoururent des kilomètres, toujours en chemin pour aller


construire une église ou réparer une cathédrale ou encore
prêter main forte à d’autres compagnons sur de grands
chantiers commandités par les moines aux robes blanches ou
noires, selon leur ordre d’appartenance.
Ce que ne comprenait pas petit Paul c’est pourquoi le maître lui
avait dit de ne prendre que ces deux outils. Sans être encore

76
expert en la matière, il savait bien que la trousse du compagnon
était bien plus remplie que de ces deux simples outils.
Et pourquoi justement ces deux là ?

Petit Paul ne put résister à la tentation de savoir et posa la


question à Germain le compagnon.
« Tu dois apprendre la patience. Tu sauras bien assez tôt. » lui
répondit Germain. Petit Paul n’était pas plus avancé et en plus
il s’était fait passer le savon de la morale !!!

Le temps s’écoulait, ils avaient déjà passé bien des jours sur un
nouveau chantier et s’apprêtaient à repartir. Et à chaque
occasion, le maître lui disait de ne pas oublier ses deux outils.
Les jours et les semaines filaient et petit Paul recevait toujours
des enseignements sur les constructions, les mesures, les
symboles, les origines mythiques, réelles et symboliques des
ornements et composantes des cathédrales mais jamais rien
concernant la raison pour laquelle il ne devait jamais oublier
ces deux outils.

Au bout d’un mois, il n’y tint plus et interrompit le maître en


pleine explication.
- Je ne parviens plus à vous écouter car cette histoire de
deux outils me tourmente, je ne comprends pas et j’en
perds le sommeil.
- Voilà bien notre bonhomme ! répondit maître Guillaume,
impatient, anxieux et impertinent par dessus le marché !
Tu mériterais que je ne réponde jamais et que je cesse de
t’enseigner.
- Oh, non je vous en prie.
- Aujourd’hui je suis de clémente humeur, alors je veux
bien t’expliquer. A ton avis à quoi sert un ciseau ?
- A dégrossir la pierre ?
- Et la truelle ?
- C’est pour rendre la figure belle, lui ôter ses dernières
imperfections.
- Eh bien voilà, tu as la réponse.

77
- Ah, ce n’est pas juste, cela je le savais déjà ! Pourquoi
ne me faire prendre que ces deux outils ?
- Parce que le ciseau symbolise l’incessant travail de
dégrossissement de son temple intérieur et il est l’outil
donné au début de l’initiation. Et la truelle évoque que
pour parvenir à l’état de perfection tu dois ôter toute
matière superflue. Elle est le dernier outil donné sur le
chemin de la maîtrise.

Et moi quels étaient mes outils ? Où en étais-je de mon


initiation ? Voilà que petit Paul me faisait me poser bien des
questions.
Je passai ainsi des heures à réfléchir tout en marchant dans les
sous-bois. Puis le soir venu, je m’arrangeai un coin confortable
pour dormir sous un grand tilleul.

La tour de Babel

Dans mon rêve, je me trouvais face à une grande montagne à


l’apparence familière.

Il y a bien longtemps, Dieu, qui en avait assez de ces hommes


désobéissants, leur avait donné autant de langues qu’il y avait
de races sur la terre et très vite plus personne ne put plus se
comprendre.
Depuis, nous vivions tous dans un monde aux langues multiples
et où personne ne se comprenait ! Ceci était valable pour le
commerce et aussi pour toutes les autres affaires des hommes.
Ainsi lorsqu’ils se mirent en quête de trouver Dieu, chacun
également avait le Sien et Celui des autres n’était pas le Vrai.

Des querelles sans fin animèrent alors les hommes et bien vite
ils en vinrent aux mains et firent même des croisades et toutes
sortes de guerres sanglantes en Son nom. Ce dernier avait
disparu depuis longtemps de leurs cœurs batailleurs et égoïstes.

78
Pourtant, Il était toujours là, unique et prêt à aimer ses enfants
qui sauraient le reconnaître.

Le temps passait et selon les époques, Il devenait une multitude


de Dieux aux têtes d’animaux étranges ou se transformait en
une série de panthéons aux mythologies rocambolesques. Et
depuis quelque temps des religions au Dieu unique semblaient
se rapprocher de lui. Bien qu’elles parlent toutes la même
langue du cœur, à nouveau les hommes se battaient pour
prouver que seule leur tradition était la seule véritable,
l’Unique.

Les temps changeant encore, aujourd’hui chacun prenait son


bâton et parcourait son propre chemin et ainsi, au bas de la
montagne, les sentiers étaient foison et chacun avait raison. La
vérité divine prenait des couleurs et des formes aussi variées
qu’il y avait d’êtres pour la réinventer. Cependant, au fur et à
mesure de l’ascension de la montagne, les chemins
convergeaient pour n’en faire plus qu’un tout là-haut. Les
langues multiples résonnaient enfin à l’unisson, celui de
l’amour du Seigneur, du Divin, de l’Unique qui resplendit en
nous et que nous rencontrions enfin sous les rayons du soleil
levant ou couchant, selon l’heure à laquelle nous y parvenions.
Quel que soit Son nom, il était là, qui attendait patiemment le
pèlerin qui déciderait de le rejoindre.

Les querelles intestines étaient celles d’en bas et il était


essentiel de penser à redescendre, une fois le sommet atteint,
afin de redonner la merveille du message. Quelle qu’était notre
couleur de peau, notre langue, notre race et notre religion,
l’amour divin rayonnait sans limite et avec générosité tout là-
haut. Il nous attendait. Et quand nous serions au sommet nous
comprendrions que tout était bien là en germe, en nous.

Je me réveillai doucement, bercée par une légère brise et


caressée par Samedi qui avait réapparu, après quelques temps

79
d’absence, s’étant mis à l’abri des turbulences dont j’étais
victime.

Je pensai à ces dernières aventures je me disais qu’ils avaient de


la suite dans les idées « là-haut ». Les épreuves tissaient une très
belle tapisserie dont les motifs avaient un air de revenez-y!
J’appréciai leur malice et je crois que je commençais enfin à
comprendre le sens de leur refrain. La répétition avait lieu tant
que je résistais et que je m’accrochais à mes anciens
conditionnements, à mes limites, à mes vieilles images de moi.

Un gland chuta du chêne sous lequel je mangeais mon déjeuner


et tomba au sommet de mon crâne, au beau milieu. Et tandis que
le gland était fort petit j’eus très mal ! Je ne pus m’empêcher d’y
voir un signe. « On me tapait sur la tête » et avant que de
nouvelles foudres ne s’abattent sur moi il me fallait comprendre
sur le champ de quoi il était question.
Et c’est ainsi que je réalisai alors que personne d’autre que moi
n’avait fait appel à ce sentier !
En fait, j'avais senti l’appel intérieur de quelque voix invisible
qui m’incitait à rejoindre mon Créateur. Pour une fois apaisée,
docile presque, je pris un bout de bois sur le bas côté et m’en fis
un bourdon. J’empruntais enfin en conscience le chemin. Mon
chemin !

Aussitôt pensé, voici que je me retrouvai projetée dans un atelier


de sculpture et assistai, émue, à la grande œuvre de Marie.

La sculpture

Marie percevait que ce qu’elle entreprenait serait son chef


d’œuvre. Ce que l’on appelle l’œuvre de toute une vie. Elle avait
choisi, pour réaliser sa vision, un magnifique marbre blanc, issu
des carrières d’Italie. Il était beau et expressif avant même
qu’elle ne lui ait apporté le premier coup de ciseau.
Elle envisageait de sculpter une scène avec plusieurs
personnages illustrant l’accomplissement, elle aurait aussi pu

80
l’appeler le bonheur parfait. De toute manière, le titre venait
plus précisément à la fin, comme pour un livre, une fois
l’ouvrage achevé. Alors l’énergie particulière de l’œuvre dictait
son nom, cela s’imposait naturellement.

Marie commença donc à donner les premiers coups. Le marbre


volait en éclats, la poussière blanche envahissait la pièce et
aussi ses narines. Elle avait le sentiment de ne plus faire qu’un
avec la pierre, les heures passaient et le marteau frappait sans
relâche.
De temps à autre, elle prenait du recul pour voir ce qu’elle
venait de réaliser. Les personnages prenaient forme. Elle
sculpta sans cesse comme cela plusieurs jours. Elle ne pouvait
pas s’arrêter, elle mangeait à peine, buvait quelques gorgées et
ne s’interrompait que quelques minutes et uniquement
lorsqu’elle ne pouvait pas faire autrement.

Son mari vint poindre le bout de son nez pour lui rappeler
qu’elle avait une famille et il reçut pour réponse une porte qui
se referma sur la fin de sa phrase. Marie était comme
hypnotisée, elle ne pouvait rien faire d’autre que sculpter. Elle
avait mal aux mains, au dos, au bras. Son corps commençait à
souffrir de ce régime infernal, comme une turbine emballée qui
ne trouvait plus de respiration.

Après deux jours la physionomie globale était nette, on pouvait


voir un couple enlacé amoureusement, une enfant dans leur bras
et quelques animaux autour. L’impression qui se dégageait était
bonheur et joie de vivre. Le style rappelait les scènes grecques
en pleine nature. Il ne manquait pas grand-chose pour que
l’œuvre soit terminée. Marie continua et une journée plus tard,
tout avait disparu, il ne restait plus qu’un être, dont le sexe
n’était pas clairement déterminé à l’attitude pensive, un peu
comme en extase, mais l’expression ne paraissait pas totalement
arrêtée.
Tandis que Marie affinait son travail, au bout d’une journée et
demie plus tard, il y avait quasiment plus de pierre par terre et

81
dans l’atelier que sur la table de travail. Elle continuait de taper
au marteau, les précisions des ciseaux n’étaient pas encore au
rendez-vous, et la forme changeait sans cesse.

Puis au bout de sept jours, elle s’arrêta finalement, heureuse,


épuisée, elle avait atteint son objectif, elle venait de terminer
son chef d’œuvre. Elle appela son mari et sa fille, tout excitée
pour qu’ils viennent voir à leur tour ce dont elle venait
d’accoucher !

Quel ne fut pas leur étonnement au premier abord d’avoir


l’impression de ne rien voir. Ils hésitèrent à demander où se
trouvait l’œuvre, ils ne voyaient rien. Puis habitués au fait que
c’est toujours sur le même établi que Marie travaillait, ils se
rapprochèrent et virent, une toute petite boule blanche, polie,
parfaitement ronde sur un support discret. Ils avaient du mal à
prononcer un mot, ne sachant pas quoi dire.

En effet, chaque fois que Daniel, son mari, ne l’entendait plus,


supposant qu’elle s’était endormie, il venait voir l’avancement
de la sculpture, un moyen aussi pour comprendre ce besoin de
s’enfermer sans forcément échanger avec le monde extérieur. Et
puis il avait aussi l’habitude de prendre des photos des étapes
du travail de sa femme. La première fois qu’il avait fait cela,
elle avait mal réagi puis avec le temps, elle trouvait intéressant
finalement de pouvoir revoir les étapes de ses créations.
Cependant, comme un jeu codifié, il fallait qu’il le fasse en
catimini, lorsqu’elle se reposait car elle ne voulait pas être
dérangée. Elle ne supportait pas l’idée d’être obligée
d’expliquer, de justifier, etc. Il ne fallait pas que des mots
viennent perturber son travail de création, après c’était
différent.
Ainsi, Daniel avait-il quelques clichés des précédentes étapes et
il ne comprenait pas pourquoi elle en était arrivée là.

Marie rompit le silence et leur dit : « alors vous n’avez rien à


me dire ? » Et Daniel lui répondit, maladroit : « je ne

82
comprends pas, il n’y a que ça ? » Etrangement, Marie ne
s’irrita pas comme à l’accoutumée devant l’incompréhension
quasi chronique de son entourage face à ses créations. Elle lui
dit : « Ceci, c’est moi, c’est mon essentiel, ce presque rien. Tout
est à l’intérieur, c’est un condensé duquel tout aurait pu sortir
ou tout peut y rester, en germe. C’est mon aboutissement à
moi ! »
Il n’y avait rien d’autre à rajouter.

83
Chapitre 8 : Une révélation…

Voici qu’apparut au bout de l’horizon la silhouette d’un homme


assez mince qui disait se nommer David et il vint s’asseoir à
côté de moi me proposant de me raconter son incroyable
histoire.

Le fabuleux destin de David

David était parti bien loin au fin fond du Tibet, aux confins de
l’Himalaya, pour se retirer du monde et comprendre ce qui se
passait en lui. Sa vie durant, il avait cherché à être et faire
comme tout le monde afin de s’intégrer à la norme. Il avait tenté
de mener une vie ordinaire et toutes ses tentatives s’étaient
soldées par des échecs cuisants. A chaque fois cela achoppait. Il
ne pouvait absolument pas hypothéquer sa liberté. Du plus
profond de son être, quelque chose le poussait à abandonner
d’une manière ou d’une autre les engagements routiniers qu’il
prenait.

A la suite d’une récente déception fort douloureuse, lassé de


vivre toujours les mêmes essais et d’obtenir les résultats aussi
négatifs. Il décida de marcher seul dans la neige afin de
comprendre, de trouver une réponse et ne plus stagner dans
l’incompréhension. Il choisit l’errance.

Tout en avalant les kilomètres, ses pensées défilaient repassant


le cours de sa vie.
Ainsi, il dut bien reconnaître que depuis toujours son
environnement lui renvoyait une image qui n’avait rien de
banal. Tout le monde le trouvait bizarre. Pour certains il passait
pour un original, pour d’autres, il était un génie.
Cependant, il avait longtemps refusé cette différence, ayant trop
peur d’être rejeté. Car il voulait être aimé tout simplement.
Ainsi, plus il cherchait à s’intégrer et moins il y parvenait. Sa
différence était trop criante et s’il ne la sentait pas toujours, les

84
autres la percevaient immédiatement. Trop occupé qu’il était à
chercher à se faire accepter plutôt qu’à être lui-même.

Il s’assit sur un rocher et se sentit bien triste, il ne voyait guère


ce qu’il pouvait faire. Il était aux prises avec ses contradictions,
d’un côté profiter de sa liberté et être ce qu’il sentait avoir
besoin d’exprimer et de l’autre respecter ce qu’il lui avait été
inculqué, à savoir mener une vie traditionnelle. Il souffrait,
comme s’il manquait d’espace pour être lui-même.

Il sentit son cœur s’ouvrir et un élan lui intimait l’ordre de


redresser la tête. Il vit alors droit devant lui, au loin dans
l’horizon, Moïse ! En voilà une rencontre. Il pensait qu’il
s’agissait tout simplement d’un voyageur ou encore d’un
nomade, mais sa voix intérieure lui dit : « C’est Moïse. Va vers
lui. » Bien que la situation soit pour le moins incongrue, David
sentit qu’il devait avancer et le rejoindre. Ainsi dans
l’immensité de ce désert blanc balayé par les vents froids, au
milieu des toundras et des glaciers arrivait, digne, enturbanné,
Moïse, marchant, l’allure altière, son bâton à la main.
David se demandait comment il allait entrer en communication
avec lui et de quoi ils pourraient bien parler. Il était
impressionné de rencontrer un tel homme, comme ça dans les
solitudes des sommets. Il avait bien fait de partir à la recherche
de lui-même, voilà qu’il tombait sur l’Histoire en marche !

Plus ils se rapprochaient et plus les traits de Moïse


commençaient à lui apparaître et David fut étonné après un
certain temps de se trouver des ressemblances avec cet homme
mythique. Tandis qu’il cherchait à se remémorer son destin,
cette question de la ressemblance le turlupinait.
La distance réduisait considérablement et David pouvait très
distinctement voir Moïse.
C’était lui !

Ce n’était pas possible, il esquissa un mouvement de recul mais


sa voix intérieure lui intima l’ordre de continuer à avancer.

85
David voulut dire une sorte de bonjour mais les mots
s’étranglèrent dans sa gorge. Et il n’offrit à Moïse comme
cadeau de rencontre qu’une bouche béante et muette.
Celui-ci ne semblait pas vouloir parler non plus. Il marchait
toujours tout droit. Et lorsqu’ils ne furent qu’à quelques
centimètres, tout à coup, l’impensable eut lieu. Moïse entra dans
David, tel un fantôme. Et comme ce dernier mettait du temps à
comprendre, Dieu qui était, bien entendu, cette petite voix, lui
dit : « Tu n’as pas compris ? Tu es Moïse. »

David atterré, s’agenouilla et fondit en larmes :


- Mais comment est-ce possible ? Pourquoi ? Pourquoi
moi ? Je ne peux pas être Moïse, c’était un grand
homme…
- Je t’ai choisi aussi. Tu ne parviens pas à aimer qui tu es,
alors voilà. A présent accepte ton destin, écoute ton cœur
et avance, je serai toujours à tes côtés. 
« Mais qu’est-ce que cela veut dire être Moïse au XXI° siècle ?
Qu’est-ce que je dois faire ? Comment assumer un tel
destin ? » se demandait David.

Si souvent David s’était senti perdu et seul face aux durs choix
de la vie, cette fois-ci, il percevait bien au fond de lui qu’il
détenait les réponses.
A chaque fois qu’il tentait, intérieurement, de se dire que ce
n’était que des balivernes, immédiatement la voix intérieure
reprenait le dessus et lui intimait l’ordre d’accepter sa destinée
et de l’assumer !
Il sentait qu’il ne pouvait plus reculer, comme s’il avait passé
tout un pan de sa vie à tourner autour du pot mais que
maintenant, la plaisanterie était terminée, il fallait donner aux
hommes ce pour quoi il était venu sur terre !

Il devait accepter son destin, assumer sa différence et


reconnaître ses talents.
Il était différent et ceci lui avait été donné afin d’aider les
autres, les plus pauvres, les plus défavorisés à retrouver leur

86
dignité. Son peuple d’Israël était en fait le peuple des déshérités
et la terre promise était le fait qu’ils recouvrent le courage, la
foi et confiance en eux pour devenir eux-mêmes et réussir leur
vie. Car pendant longtemps David avait été lui-même un
déshérité, il avait perdu ses racines et n’avait jamais su qui il
était. Moïse venait alors lui donner le courage d’être.

David en s’acceptant dénoua une énergie physique


extraordinaire et sentit une confiance à soulever des montagnes
et il sut qu’il en aurait besoin pour son entreprise.

Il remercia le ciel pour tous ces dons et sut qu’il lui faudrait un
amour en Dieu sans faille, une foi extraordinaire pour remplir
sa mission. Il se sentait messager de Dieu et comprenait que
c’était bien dans l’obéissance qu’il rendrait le meilleur service à
ses frères les hommes. Et ceci dans l’anonymat et l’humilité.

Il reprit son bâton et fit le chemin inverse, il savait qu’il avait


terminé son périple. Il s’était accepté, il avait pris le courage
d’être lui-même et à présent, il n’avait plus qu’à transmettre la
bonne nouvelle.

David me confia que depuis qu’il s’était finalement accepté le


bonheur entrait à flots chez lui. L’abondance était partout, tout
d’abord dans son cœur et aussi dans tous les aspects de sa vie et
il ne pensait qu’à une chose, en faire bénéficier chacun.

Il s’interrompit, se mit face à moi et enfonça ses yeux dans les


miens. Je crus que j’allais fondre face à une telle intensité.
J’aurais voulu réagir, dire mille choses, mais aucun son ne
sortait de ma bouche. L’instant était si puissant, magique,
comme suspendu. Nos âmes communiaient silencieusement par
nos regards infinis.

J’eus le sentiment de ressentir tout l’amour de Dieu m’inonder


et je perçus mon cœur grossir au point d’avoir l’impression qu’il

87
sortait de ma poitrine. C’était si merveilleux que je sentis le
besoin de fermer les yeux pour me délecter de ce cadeau.
Lorsque je les rouvris, de longues minutes plus tard pour
remercier David, bien entendu, avait disparu.
L’essentiel avait été transmis.

Un parfum de rose délicieux, subtil et délicat flottait dans l’air,


seul témoin de cet instant béni.

88
A la croisée des chemins

Tandis que je me sentais soulagée d’avoir accompli le plus gros


du chemin et que mon âme était alerte et mon énergie
effervescente tout à coup une drôle d’impression survint.
Je perçus une grande confusion, tous mes beaux projets
n’évoquaient plus rien, je n’avais guère envie de faire quoi que
ce soit, j’hésitais, je me sentais en plein désarroi et perdue en
quelque sorte !!!

Un instant je me croyais revenue au début de mon périple et


j'avais les bras ballants, pensant que tous ces efforts et ces
souffrances endurés n’avaient, en quelque sorte, servi à rien.
Une grande agitation m’étreignait.
J’eus l’impression qu’une immense remue-ménage avait lieu au
cœur de mon être. Je me sentais brassée comme dans une
machine à laver.
Tout était sans dessus-dessous.

J’en étais là de mes réflexions lorsque je vis marcher à la fois


doucement et de manière alerte un moine, aux vêtements
sombres.
Lorsqu’il passa à ma hauteur je le hélai.

- Monsieur ?
Mon interlocuteur ne se formalisa pas du fait que je ne
respectais pas son titre. Il eut la gentillesse de me répondre,
avec une voix douce et profonde, comme la gravité de la
sagesse.
- Oui ?
- Voilà, je me sens perdue, pouvez-vous m’aider ?
- Peut-être.

J’hésitai quelque temps ne sachant pas s’il s’agissait d’une


invitation à parler. Je décidai de continuer.
- Voilà, j’ai parcouru un long chemin et je pense avoir
beaucoup progressé.

89
- Tu as raison.
- Toutefois, je me sens perdue et je ne sais pas quoi faire.
- Tu as raison.
- En fait, je voulais vous demander votre aide pour y voir
clair.
- Tu as raison.

Il y eut un silence. Je restais interdite, est-ce qu’il se moquait de


moi ou alors peut-être ne m’écoutait-il pas ? Je perçus un
soupçon d’impatience poindre. Déjà que je me sentais en plein
désarroi voilà qu’il me rabâchait tout le temps la même chose !
- Mais si vous me dites sans cesse « tu as raison » vous ne
m’aidez pas !
- Tu as raison.
- Flûte à la fin ! Si c’est pour entendre toujours la même
réponse eh bien je vais me débrouiller toute seule.
- Tu as bien raison !

J’allais répliquer qu’un seul mot avait changé et que donc, peut-
être ?… un dialogue allait pouvoir s’engager. Mais le moine
avait disparu. Je restais perplexe, songeuse, à la fois encore
tiraillée par cette grande confusion qui m’habitait tout en
comprenant bien qu’il est une partie du chemin qui doit
résolument se parcourir seule !
Bien !

Le message de la colombe

Seulement voilà, mes états-d’âme n’avait guère évolué et si


j'avais compris intellectuellement ce que m’avait dit ce sage
toutefois mes émotions étaient toujours en ébullition et mon
esprit dispersé. J’aurais tellement voulu que l’on m’aide à y voir
clair !

Comme s’il avait compris ce qui se passait Samedi avait disparu


afin que je reste seule avec moi-même.

90
Et tout à coup je réalisai qu’il y avait bien deux solitudes. La
première, celle qui faisait mal, qui créait tant de tristesses et de
souffrances car elle reposait sur le manque crucial de l’autre qui
n’est recherché que pour combler nos vides. Et là, je goûtais
fraîchement toute la richesse et la densité de la solitude choisie,
celle qui permet de se retrouver en paix avec soi-même. Et
soudain je compris au creux de mes cellules tout ce que ce
chemin m’avait enseigné. Au centre de moi, dans mon cœur,
l’expérience s’inscrivait comme un témoignage de mon
apprentissage.

Cessant de marcher de long en large et de m’agiter inutilement,


je m’assis en tailleur et je fermai les yeux. Je sentis le silence
m’envahir et je ne percevais plus que ma respiration régulière et
calme.

En toute simplicité je me laissai couler dans la rivière de mon


tourment et de mon désarroi. Ainsi au lieu de l’éviter comme je
l'avais fait tant de fois auparavant, j’accueillis ces sentiments
avec tendresse et acceptation. Je rentrai dans les turbulences et
me sentis ballottée entre les eaux de ces émotions chaotiques. Je
retrouvais les ressentis du début du chemin mais ils ne me
faisaient plus mal. Je vivais une autre réalité, un peu comme au
cinéma, une certaine distance s’était créée entre moi et ces
souffrances.

Le cabotage dura un certain temps, très court en fait, et soudain


comme un rêve cette confusion s’envola, le nuage s’évapora à
tel point que je crus qu’il s’agissait d’une illusion.

Et c’est alors que je pris conscience que je vivais pleinement


l’instant que la vie m’offrait, qu’il fut joyeux, colérique ou
confus. Rien ne me faisait plus mal en fait. Cela glissait en moi
tout simplement.
Et je compris alors avec mon cœur et ma chair tous ces principes
que j'avais lu précédemment. Ces milliers de livres qui disent
tous comment cheminer pour trouver la lumière.

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Mon cœur rayonnait d’une sérénité inconnue jusqu’alors. J’eus
le sentiment qu’il s’ouvrait tout grand et qu’il changeait de
taille, à l’étroit dans ma cage thoracique. Tout autour de moi
devenait lumineux, les couleurs étaient plus éclatantes.
Et je vis alors face à moi, entre les branches des chênes qui me
faisaient face, une sorte de flamme, telle celle d’une bougie, qui
se consumait dans le vide sans rien de réel pour l’alimenter.
L’instant fut fugace et merveilleux.

C’est alors qu’une colombe voleta autour de moi. Je ne l’avais


pas vu arriver et dans ce monde merveilleux, je dirai bien
qu’elle survenait de « nulle part » !
Durant cette réflexion, elle se posa sur une branche d’olivier
face à moi et se mit à me parler :
- A présent que tu es plus calme et que tu as compris, nous
pouvons dialoguer.
- Tu sais je n’ose plus dire que j’ai compris quelque
chose.. à chaque fois l’on m’a taxé d’orgueilleuse.
- Eh bien tu vois les choses changent et tu évolues….
- C’est vrai….
- Qu’as-tu découvert ?
- Oh ! Cela va être long de tout te raconter.
- Eh bien justement donne-moi l’essentiel de ce que tu as
retenu.

Il y eut un silence, je réfléchissais, la question semblait simple et


pourtant… Je me disais pour moi-même :
« Les signes étaient si nombreux, multiples et omniprésents qu’il
fallait bien être auparavant dans l’aveuglement de quelque
envoûtement pour ne pas les voir ! »
- J’aimerais que tu me fasses profiter de tes découvertes.
J’avais oublié que dans ce monde toutes mes rencontres sont
télépathes !
- Tu n’as pas perdu ton humour !
- Pourquoi il fallait ?

92
- Non, cela apporte de la légèreté car l’essentiel est
joyeux.
- Je me disais que j’avais été bien aveugle jusqu’ici et que
j’avais l’impression d’être envoûtée par un sorcier.
- Et ça te convient comme explication ?
- Non, bien entendu ! J’ai bien compris qu’il n’y avait pas
d’autre sorcier que moi-même. La vielle dame du début
du chemin l’avait bien dit avec sa clé… « inutile de
chercher à l’extérieur ce qui est à l’intérieur »…
- Sauf qu’il t’a fallu de nombreuses épreuves pour le
comprendre.
- Eh oui et j’ai découvert l’intelligence du cœur, car c’est
là que s’inscrit l’expérience…
- Et en rapport avec les clés ??
- J’ai également réalisé que j’étais seule à détenir les clés
de ma prison, je l’avais moi-même laissé se construire.
Car c’est bien en moi qu’étaient les portes, les serrures
et les clés. Il m’appartenait de les voir et de les retrouver
et alors je pouvais ouvrir la cage de ma liberté.

La colombe me sourit et s’envola.

Je me remémorais que la colombe symbolisait la liberté, l’Esprit


Saint et la paix…..alors à mon tour je souris.

93
Et soudain la mer

Voilà que sous mes yeux, au bout milieu de la prairie qui


jouxtait il y a encore quelques instants la bordure du chemin, le
ressac de la mer attira mon attention. L’océan était là à mes
pieds, une belle plage de sable fin vint m’inviter au bain.
Et pourquoi pas après tout ?

Au lieu de me précipiter en courant dans l’eau comme je l’aurais


fait jadis et disons il n’y a encore pas si longtemps, j’eus envie
de lenteur. J’avançai ainsi à pas comptés et je me sentis entrer,
en méditation, au plus profond de moi pour rencontrer cet
élément magnifique qu’est la mer.
La marche fut silencieuse, concentrée, recueillie.
Mes pieds furent léchés par l’écume frémissante de la vague qui
s’éteignait doucement sur la grève. J’entrai progressivement
dans cette eau qui m’attendait et me recevait sans brusquerie.
Mon corps respirait différemment, emprunt d’une harmonie
toute particulière. Un retour aux sources en quelque sorte.

Lorsque je fus totalement immergée les vagues plus vigoureuses


m’ensevelirent dans leur cavalcade vagabonde. Je m’y
étourdissais avec bonheur et abandon et je sentais qu’à chaque
nouveau reflux de vieilles peaux disparaissaient dans les flots. Il
me semblait me nettoyer de fond en comble. Cela prit un temps
dont je n’eus aucune conscience. Ce ne fut que lorsque je fus
fourbue, exténuée d’avoir été ainsi brassée en tous sens que je
me décidai à sortir, poussée par l’océan qui m’incitait à
reprendre ma route.

Je restai là, allongée sur le sable fin et chaud, séchant au soleil


généreux qui régénérait mes cellules et je songeai. Je repensais à
ces multiples aventures et aussi aux réflexions que j'avais pu me
faire jusque là et je perçus tout le dérisoire de ma volonté
acharnée, têtue, impatiente et rebelle. J’en voyais les limites,
l’effronterie, la naïveté.

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Je souriais pourtant avec douceur et bienveillance, car c’était
bien moi aussi. Ce que je suis aujourd’hui est bien bâti sur ce
que j’étais hier. Nul ressentiment, nulle culpabilité, mais plutôt
la compassion de l’acceptation. Car si je pouvais m’apporter de
l’amour alors peut-être parviendrai-je à aimer mon prochain, qui
sait ?

Ce bain de mer inespéré m’apporta détachement, vide et


tranquillité. Je comprenais combien mes batailles contre ces soit
disant maîtres n’avait guère de sens, si ce n’est de vieux
comptes à régler avec quelques autorités mal digérées. Tout
apprenait sur le chemin, du caillou à la perle, au vent, ou à la
pluie. Chacun à sa manière m’apportait un morceau du puzzle de
moi-même, si je l’écoutais avec attention alors je grandissais, je
devenais de plus en plus lumineuse et sereine.
Si je les ignorais, alors la douleur était plus cuisante, j’en avais
déjà fait les frais.

Je ressentais ces moments, pourtant fort récents, comme très


anciens, éloignés, d’un autre temps. Quelque chose avait été
transformé dans l’eau, une digue avait lâché et l’eau circulait
plus fluide au cœur de moi.

Merci à toi la mer !

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Chapitre 9 : Quand la lumière se lève enfin…

L’instant de lumière

Je me sentis envahie peu à peu d’une chaleur réconfortante,


rayonnant de l’intérieur, émanant du plus profond de mon cœur.
Elle s’épanouit, m’irradiant totalement.
Puis peu à peu je me sentis changer, m’éloigner du sol et
regardant en bas, je découvris que je me métamorphosais
progressivement en lotus.
Le rêve éveillé s’estompa, je venais de vivre un instant de
paradis, un moment béni, de pur amour.

C’est ainsi que le lendemain le jour se leva, certes comme les


autres matins, cependant la lumière en était différente, quelque
chose avait changé, c’était réellement un autre jour.

Ce matin là, les ombres des feuilles d’eucalyptus jouaient sur


mon visage créant des images changeantes, mouvantes,
superbes. Leur reflet me faisait rêver et je croyais percevoir
l’odeur délicate au travers des murmures de brise légère qui
indécise allait de ci, de là.
En fait, ce qui avait changé, c’était…moi.

La vie était multicolore, magnifique, comme un torrent


perpétuel de joies. J’avais découvert l’amour. L’amour infini,
celui qui coule dans toutes les veines. Lui qui fait sourire au
moindre petit signe, comme cette plume, là sous mes pieds,
indiquant la piste d’un nouveau choix, ou le craquement du bois
qui marquait comme une sanction la décision à prendre.
L’intuition était soutenue d’un réchauffement du corps.

Aujourd’hui j’avais définitivement recouvré la vue! Que le


paysage était grandiose! Les sources, les torrents, les montagnes
et les lacs enchantaient mes yeux même lorsque j’étais aux
prises avec ces odeurs lugubres des villes qui s’asphyxiaient. Ou
encore au milieu des cris de ceux qui se disputaient à nouveau

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ou alors sous la pluie qui agaçait toujours tant de gens, je
continuais à sourire.
Car tout n’était que beauté.
Ce n’était qu’une question de point de vue. La réalité était
toujours là, multiple et radieuse. Tout était une gradation plus ou
moins intense vers le merveilleux. Du plus douloureux au plus
discret des bonheurs, un camaïeu de nuances se dessinaient sous
mes yeux ébahis.

Habitée par cet amour infini, il n’existait plus de manque, ni de


souffrance, chaque minute était une joie, je chantais, le matin et
aussi le soir, dans la rue comme dans la forêt. Les paysages faits
des mains des hommes comme ceux de la nature généreuse
m’enchantaient ou m’étonnaient tour à tour. Et alors c’était la
beauté qui coulait au travers des couleurs, des odeurs, des
sensations et des rencontres, un délice en continu.
Ne changez rien !

Les remerciements étaient légion, être dans ce bonheur


intarissable, sans trouble, sans hésitation, sans peur, avec cette
infinie confiance qui rendait le monde merveilleux et les
hommes familiers.
Et dans la lumière de cette aube nouvelle arrivait une pluie de
cadeaux.
J’eus le sentiment de me réveiller du rêve dans lequel j’étais
plongée et que le chemin pouvait s’arrêter.

Les cadeaux des sept nains

Tandis que je pensais la route enfin terminée, voici qu’un


nouveau tableau se présenta à moi. C’était Samedi qui tirait un
grand panneau blanc de cinéma et me miaula l’invitation à
regarder ce dernier spectacle.

Dans une merveilleuse forêt d’automne, un sifflement joyeux me


rappela des souvenirs… Mais oui c’était les sept nains « qui

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rentraient du boulot ». Ah, oui ! qu’il était agréable de les
retrouver ; pourtant bien vite, je réalisai que chacun avait une
triste mine. La pioche sur l’épaule ils s’assirent en rond et
tinrent une sorte de conciliabule.
- Pourquoi es-tu si triste Prof ?
- Parce que jamais nous ne pourrons nous arrêter de
travailler.
- Et pourquoi demanda Simplet ?
- Parce que Dieu nous a oublié.
- Mais que dis-tu, tu es fou ! marmonna Grincheux, aussi
superstitieux à ses heures. Tu vas fâcher notre Seigneur.
- Et pourquoi ça ? C’est vrai, voilà des années que nous
puisons des pierres à la mine, nous nous tuons au travail
et nous n’avons jamais aucun répit ! reprit Prof.
- Ah, mais ça par exemple, comme vous y allez ! mais vous
êtes aveugles ou quoi, répliqua Dormeur, pour une fois
l’œil bien vif.
- Mais que veux-tu dire ? demanda Grincheux.
- Eh bien oui, nous croulons sous les cadeaux et nous
sommes incapables de les voir.
- Explique, intima Prof.
- Nous avons toujours eu une vie agréable, même dans la
mine nous avons toujours chanté et bu gaiement preuve
que notre travail n’était pas si dur, pas vrai ?
- Pour sûr !
- Et puis, nous avons eu Blanche Neige, ne fut-elle pas un
cadeau du ciel ?
- Ah si alors ! soupira Simplet.
- Et depuis, elle nous a couvert de présents alors pourquoi
continuons-nous à travailler, hein ?
- Parce que nous ne savons pas faire autrement ? se
risqua Atchoum.
- Et voilà ! dit Dormeur. Tellement habitués à n’envisager
le bonheur qu’après des efforts interminables et un
travail harassant, nous n’avons pas pris garde que nos
vœux étaient exaucés. Cela ne sert à rien de toujours
réclamer l’abondance si nous ne sommes pas capables

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de la recevoir et de la reconnaître lorsqu’elle vient
jusqu’à nous.
- Bien parlé, Dormeur, répliqua Prof. Sauf que ce n’est
pas si facile de se départir de ces fardeaux qui pèsent sur
nos épaules.
- C’est dur de faire autrement ! bougonna Simplet.
- Je suis d’accord dit Joyeux. Pourtant voici ce que je
propose, enterrons nos pioches et à partir de demain
nous allons apprendre à nous reposer, à jardiner à
profiter de la vie en un mot.
- Youpi ! s’écrièrent unanimement tous les nains.

La soirée se termina par de belles chansons et les gobelets


s’entrechoquaient joyeusement laissant couler à flots la bière et
l’hydromel.

La fleur d’orchidée

Voilà qu’une feuille vola vers moi. Je la ramassais intriguée et


lus un petit texte, sans signature à l’écriture agréable et fine.

La fleur d’orchidée est un trésor de la nature et elle est bien


capricieuse. On peut l’attendre des années, lui prodiguant
amour, soins, soleil tamisé et humidité. Rien n’y fait. Tant
qu’elle n’est pas prête, elle ne sort pas des entrailles de ses
racines. Et puis un jour lorsque l’on s’y attend le moins, lorsque
l’attention est passée sur d’autres plantes moins coriaces, voici
qu’elle se décide et sort alors tous ses atours. Parfois même
d’un jet. Au détour d’une absence voilà que la transformation a
eu lieu et que la fleur est là épanouie, immobile. Dans le silence
magique de ces moments de solitude, lorsque tout le monde l’a
oubliée, elle se détend et se libère enfin laissant alors éclater sa
beauté, son bonheur et toute la force de sa vitalité.

C’est ainsi qu’elle durera alors des mois, sans flétrir, comme un
instant d’éternité se déployant sous les parures de la grâce.

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Je me sentais une fleur d’orchidée qui avait mis tant de temps à
accepter de se libérer et de fleurir et qui s’épanouissait enfin,
heureuse, tranquille, joyeuse et sereine à la fois.

Les tournesols

Léa prit la main de son petit frère Jean et lui proposa de


regarder devant lui ce grand champ jaune dont les fleurs
dansent doucement avec leur grosse tête tournée vers le soleil.
- Dis, Léa ils n’ont pas mal au cou les soleils de la terre à
regarder toujours en haut dans le ciel ?
- Mais non ils n’ont pas mal, c’est fait exprès.
- Ca veut dire quoi, c’est fait exprès ?
- Eh bien les tournesols ce sont des grandes fleurs qui
regardent le soleil. Quand elles le regardent elles sont
en bonne santé. Elles respirent bien et elles font de belles
graines.
- Et quand il ne fait pas soleil alors ?
- Elles sont tristes et elles baissent la tête.
- Elles meurent ?
- Non elles attendent.
- Et elles attendent quoi ?
- Qu’il revienne.
- Le soleil ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il leur réchauffe le cœur.
- Et quand il n’est pas là alors ?
- Alors ils sont tristes et ils ont froid au cœur.
- Mais moi aussi des fois j’ai froid au cœur.
- Tu as raison, nous les hommes nous sommes comme les
tournesols. La terre est un immense champ de
tournesols. Et les tournesols ce sont les hommes.
- Alors nous regardons tous vers le soleil ?

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- Oui c’est ça. Le soleil est la Lumière et toute la vie sur la
terre n’existe que parce qu’il nous envoie sa lumière.
Alors nous l’aimons aussi.
- Alors le soleil c’est Dieu ?
- Pour beaucoup oui, et pour d’autres c’est tout comme.
- Mais les vrais tournesols ils ne sont pas tous pareils, il y
en a des plus petits, est-ce qu’ils voient la lumière ?
- Dans toute la nature l’équilibre réside dans le fait que
les plus grands arbres qui voient le soleil cachent la
lumière aux plus petits qui meurent bien souvent. La
grandeur des uns cause de l’ombre aux autres et cela
crée la mort des plus faibles.
- Elle est méchante la nature.
- La nature n’a pas d’intention mais les hommes si.
- Ca veut dire quoi ?
- Qu’à la différence de la nature, nous pouvons décider
lorsque nous touchons la lumière de ne pas faire de
l’ombre aux autres et au contraire de la diffuser à tous
ceux qui sont en dessous de nous, qui sont plus petits. La
responsabilité des grands tournesols est alors de
permettre aux plus petits de grandir, de devenir grands à
leur tour et de baigner eux aussi dans la lumière.
- Alors il n’y aura que des grands tournesols ?
- Il y a aura surtout plusieurs tailles de tournesols qui
s’épanouiront tous au soleil. Aujourd’hui des tournesols 
ne savent pas encore qu’il existe une lumière pour eux.
Et il y en a même qui refusent cette lumière et qui
poussent horizontalement, presque couchés par terre
pour rester dans l’ombre.
- Alors ça veut dire que je peux décider de pousser vers la
lumière ou pas ?
- Oui, tu as toujours le choix. Et si tu veux aller plus loin
vers la lumière tu trouveras toujours de plus grands
tournesols pour t’aider à parcourir la route.
- Pourquoi ? Il y a un chemin pour y arriver ?

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- Grandir, cela prend du temps alors on peut considérer
que c’est comme si tu gravissais des barreaux d’une
échelle ou que tu parcourais un chemin.
- Quand est-ce qu’on y va ?
- Je crois que nous y sommes déjà.
- Ahh !

La fête du 21 juin

C’est ainsi que le chemin se termina car j’avais touché à


l’essentiel. J’avais trouvé cette lumière fondamentale, cet écrin
de divinité qui est en chacun de nous. J'avais découvert les fruits
de l’abondance, la beauté de l’instant, cueilli la libération et fait
exploser la joie de la vie qui s’éveille enfin sortant de sa
torpeur !

Et surtout, je m’étais trouvée, Moi.


Je m’étais acceptée telle que j’étais, avec mes défauts et mes
limitations. J'avais su me libérer des fardeaux des contingences.
En être libre je contemplais le soleil. Moment merveilleux,
comme tous les instants.
Et à peine avais-je songé à tout cela que je me retrouvai devant
le perron de ma demeure. La porte était entrouverte. La vie
m’accueillait pour un nouveau départ.
Merci Chemin de Soi.

Et une grande fête m’attendait. J’avais le sentiment d’être partie


des années tandis que je n’avais cheminé que quelques mois. Je
ne sais comment, par magie sans doute, tout le monde sut que
j’étais revenue. Tous les amis avec lesquels je voulais partager
cette fantastique aventure étaient là.
C’était le 21 juin, le soleil était éclatant, accueillant avec joie
l’été naissant. J’étais ravie de célébrer ma métamorphose dans la
joie et l’amitié. Un papillon se posa sur ma main et resta ainsi de
longues minutes.

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Il y eut beaucoup de rires, le buffet était aussi varié qu’exotique,
à croire que les rois mages étaient passés porter les présents de
tous les continents. Les cotillons, les danses et les rondes
rythmaient la journée. Des trouvères charmèrent nos oreilles de
contes et de belles musiques médiévales. Un spectacle de clown
agrémenta la soirée, leurs pitreries nous firent rire aux éclats.

Ce qui m’époustoufla c’est de découvrir tout à coup, les lutins et


les nains qui s’étaient joints à la fête, et aussi Samedi, le lapin,
Alice, petit Paul et bien d’autres personnages, mais je crois que
j’étais seule à les voir…

Un aigle poussa son cri royal et toute la compagnie leva la tête


pour observer son vol majestueux dans les airs. Le plus
extraordinaire c’est qu’il fut rejoint par un autre plus petit, qui
semblait apprendre à ses côtés.
Je souris…

La fête était quasiment terminée, chacun se mit à ranger et un


invité de la dernière heure fit son apparition, cherchant
visiblement quelque chose. Nous l’accueillîmes dans la joie et la
bonne humeur, il semblait perdu.
C’est alors que le chemin que nous avions oublié se mit à
rayonner d’une manière qui m’était devenue familière. Il était
venu te chercher, oui, toi ami lecteur.

Bon voyage !

Christine Marsan

2004-2006.

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Christine Marsan vous accompagne également pour réaliser ce
chemin de soi. N’hésitez pas à me joindre :
christine.marsan@wanadoo.fr

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