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XIXe SIÈCLE

Balzac
Doté d’une forte personnalité, aussi génial que
vaniteux, épris d’absolu, Honoré de Balzac a eu une
vie dont les bas sont aussi vertigineux que les hauts.
Le créateur de La comédie humaine a donné ses
lettres de noblesse à la littérature populaire.

«C était bien lui, la plus


forte tête commer-
ciale et littéraire du
XIXe siècle ; lui, le
cerveau poétique
tapissé de chiffres comme le cabinet
d’un financier ; c’était bien lui, l’homme
aux faillites mythologiques, aux entre-
prises hyperboliques et fantasmago-
riques dont il oublie toujours d’allumer
herculéen, truculent, rabelaisien, etc. Ce
dernier qualificatif est répété à l’envi
depuis le Balzac de Théophile Gautier
(1859). Ce rapprochement ne lui aurait
pas déplu, lui qui tenait Rabelais, son
« digne compatriote », pour « l’esternel
honneur de Tourayne ». Balzac a même
écrit des Contes drolatiques (1832-1833-
1837) en hommage au maître des pan-
tagruéliens. Balzac, qui s’est gardé de les
comparer aux plus grands. Ce tour
emphatique lui vient lorsqu’il veut épa-
ter une femme. Témoin, la lettre du
6 février 1844 à « l’Etrangère », la
fameuse Mme Hanska, future Eveline
de Balzac : « Quatre hommes auront eu
une vie immense : Napoléon, Cuvier,
O’Connell, et je veux être le quatrième.
Le premier a vécu de la vie de l’Europe ;
il s’est inoculé des armées ; le second
la lanterne ; le grand pourchasseur de intégrer à La comédie humaine, les a épousé le globe ; le troisième s’est
rêves, sans cesse à la recherche de l’ab- avait rédigés pour rompre avec la sinis- incarné un peuple ; moi, j’aurai porté une
solu ; lui, le personnage le plus curieux, trose affectée des romantiques, les exis- société tout entière dans ma tête. » De
le plus cocasse, le plus intéressant et tentialistes de l’époque, pour répondre fait, Balzac a su créer des personnages
le plus vaniteux des personnages de La aussi à l’épidémie de choléra qui fit treize romanesques et leur conférer une exis-
comédie humaine, lui, cet original aussi mille victimes à Paris en avril 1832 : « Le tence si spécifique que certains sont
insupportable dans la vie que délicieux rire est un besoin de la France.1 » Pour devenus des archétypes. Le monde où
dans ses écrits, ce gros enfant bouffi de autant Balzac n’a pas été ce « gros indé- évoluent ces figures romanesques
génie et de vanité, qui a tant de quali- cent » que fustige une George Sand peu devient celui de son Grand Œuvre, qu’en
tés et tant de travers que l’on hésite à réceptive à ces ribauderies. Il est, au 1842 il intitule, en hommage à Dante,
retrancher les uns de peur de perdre les contraire, de ces rares écrivains qui ont l’auteur de La divine comédie, La comé-
autres, et de gâter ainsi cette incorrigi- réussi à combler le fossé entre la créa- die humaine. Les proscrits, le plus
ble et fatale monstruosité ! » Le jeune tion littéraire et la littérature populaire. reculé dans le temps de ses récits et dont
poète émacié, le critique désargenté à Balzac ne cesse de se projeter à l’ex- l’action se déroule dans le Paris de 1308,
l’humour sardonique qui, dans le térieur. Ainsi, il s’est décrit physiquement voient Dante devenir lui-même un per-
Corsaire Satan du 24 novembre 1845, à diverses reprises, sous les traits de ses sonnage de La comédie humaine.
croque sous couvert d’anonymat un personnages : Albert Savarus dans le
Balzac alors au sommet de sa carrière roman du même nom, David Séchard DES PERSONNAGES
n’est autre que Charles Baudelaire. dans les Illusions perdues ou Wilfrid dans REPARAISSANTS
A propos de Balzac, difficile d’éviter Séraphita. Louis Lambert dans une nou- > L’entreprise balzacienne avait sa
l’exagération et les raccourcis : il est velle philosophique du même nom et nécessité externe : rembourser sa « dette
excessif en tout, surtout dans le travail. Raphaël de Valentin, héros principal de flottante ». En reprenant certaines
Enorme, puissant, jovial, prométhéen, La peau de chagrin, ont entrepris, œuvres déjà publiées et en établissant
comme lui, de rédiger un « traité de la un programme d’œuvres à écrire, La
« La mission de l’art volonté ». On trouve un peu de Balzac
dans la figure de l’ambitieux Rastignac
comédie humaine était censée libérer
Balzac de ses créanciers. Mais l’entre-
n’est pas de copier ou dans celle, plus inquiétante, de ce prise répond surtout à une nécessité
monstre de Vautrin : « Le romancier interne : la découverte d’un principe
la nature mais authentique crée ses personnages avec d’écriture propre à Balzac, celui des
les directions infinies de sa vie possible.2 »
de l’exprimer » Lorsqu’en dehors de ses romans il
« personnages reparaissants ». D’un
roman à l’autre, ils sont au service de
parle de lui-même, Balzac incline à se l’idée générale qu’il existe des espèces

48/HORS-SÉRIE LIRE
BIOGRAPHIE
20 mai 1799. Naissance à Tours.
1816. Clerc de notaire.
1828. Se lance dans l’imprimerie.
1829. Parution des Chouans.
Sa Physiologie du mariage
l’introduit dans les salons littéraires.
1831. La peau de chagrin.
1833. Eugénie Grandet.
1834. Reprend La Chronique
de Paris sans succès.
1836. Le lys dans la vallée.
1837. Illusions perdues, I.
1839. Illusions perdues, II.
1840. Fonde La Revue parisienne :
nouvel échec.
1843. Illusions perdues, III.
1845. Elabore le plan
de La comédie humaine.
1850. Mariage avec Eveline Hanska.
Meurt le 18 août.

BIBLIOGRAPHIE
Sur Balzac
• La comédie humaine de Balzac,
Gérard Gengembre, Pocket, 2004.
• Le monde de Balzac, Pierre
Barbéris, Kimé, 1999. • Prométhée
ou la vie de Balzac, André Maurois,
Robert Laffont, 1993. • Balzac,
le roman de sa vie, Stefan Zweig,
Albin Michel, 2000.
AKG

sociales à l’instar des espèces zoolo-


giques. « Les différences entre un soldat, « Balzac est excessif en tout : énorme,
un ouvrier, un administrateur, un avo-
cat, un oisif, un savant, un homme
puissant, jovial, prométhéen,
d’Etat, un commerçant, un marin, un
poète, un pauvre, un prêtre sont, quoique
herculéen, truculent et rabelaisien »
plus difficiles à saisir, aussi considéra-
bles que celles qui distinguent le loup, le
lion, l’âne, le corbeau, le requin, le veau ni une manière de vivre ni une profes- comme les Mille et Une Nuits de
marin, la brebis. » C’est entre 1830 et sion, ni une zone sociale, ni un pays fran- l’Occident. » De cette architecture gran-
1842 que prennent corps les principes çais, ni quoi que ce soit de l’enfance, de diose sort Le père Goriot (1835), premier
de l’œuvre, typiques du roman balzacien. la vieillesse, de l’âge mur, de la politique, roman à appliquer le principe du retour
de la justice ait été oublié. » Il s’agit de des personnages.
« LES MILLE ET UNE NUITS « reproduire toutes les figures et toutes A s’en tenir au projet initial, La comé-
DE L’OCCIDENT » les positions sociales » et de donner die humaine devait comporter
> L’idée du retour des personnages lui « une exacte représentation de la société 137 ouvrages et trois à quatre mille per-
est venue un matin de 18333. Balzac se dans tous ses effets ». « Ces individua- sonnages. Balzac n’en a écrit, sans tous
précipite chez sa sœur, Laure de Surville, lités typisées » doivent être complétées les terminer, « que » 91, et 2 504 per-
et expose le plan d’ensemble de son par « les types individualisés ». C’est la sonnages ou groupes de personnages
œuvre à venir : « Saluez-moi car je suis seconde assise de l’édifice : les Etudes dont 573 apparaissent plusieurs fois.
tout simplement en train de devenir un philosophiques. Le regard de l’effet se Certaines figures se détachent : les héros
génie ! » Une longue lettre à l’Etrangère déplace vers les causes : « Je dirai pour- balzaciens, comme autant de chevilles
datée du 26 octobre 1834 détaille les quoi les sentiments et pour quoi la vie. » entre les différents romans. Parmi les
intuitions fondamentales de l’écrivain. Enfin après les effets et les causes, les plus célèbres, Eugène de Rastignac (qui
« Les Etudes de mœurs représenteront Etudes analytiques sont censées dévoi- apparaît vingt-cinq fois), Lucien de
tous les effets sociaux sans que ni une ler les principes. « Ainsi, l’homme, la Rubempré et Vautrin dont Balzac écrit,
situation de la vie, ni une physionomie, société, l’humanité seront décrits, jugés, dans la préface à Splendeurs et misères
ni un caractère d’homme ou de femme, analysés […] dans une œuvre qui sera des courtisanes, qu’il est « une espèce >>

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BALZAC

>> de colonne vertébrale qui, par son hor-


« Pour Balzac,
souvent bénéficié de l’appui de femmes
rible influence, relie Le père Goriot à la vie ne se limite dont il fut l’amant et qui compensaient
Illusions perdues, et Illusions perdues à un manque d’affection maternelle. On
[Splendeurs] ». Tous sont pris dans un
pas à la littérature. retiendra la « Dilecta », Mme de Berny,
réseau foisonnant d’intrigues et de Il tente d’autres rencontrée en 1822. Cette mère de neuf
décors d’une société dont Balzac se veut enfants lui prodigue les conseils néces-
le « secrétaire ». voies et s’improvise saires pour faire carrière dans le monde.
La duchesse d’Abrantès finissante, veuve
UN RASTIGNAC NAÏF imprimeur » du maréchal Junot, le renseigne sur les
MAL-AIMÉ PAR SA MÈRE hauts personnages de l’Empire. Et sur-
> Le monde dans lequel le jeune Balzac tout, la fameuse Mme Hanska, avec qui
a grandi est bien ce théâtre où pullulent Balzac entretient, à partir de 1832, une
des Rastignac, des Nucingen et des Pour Honoré, les chemins de sa gloire relation d’abord épistolaire, puis une liai-
Vautrin prêts à tout pour arriver. Comme sont ceux de la vie. Et la vie ne se limite son épisodique. Devenue veuve du
ses modèles, imaginaires ou réels, pas à la littérature. C’est pourquoi il tente comte Hanski en 1841, elle consent à
comme tous ceux de sa génération, d’autres voies. Il s’improvise imprimeur épouser Balzac peu avant de la mort de
Balzac voulait « être célèbre et être (1828), fait faillite et s’endette pour le celui-ci.
aimé » et satisfaire une ambition nour- restant de sa vie. Après quoi il se fait
rie des récits des exploits glorieux du journaliste et connaît quelque succès. Il « JE NE VEUX PAS VIVRE
premier des napoléonides. Ses débuts se croit aussi homme d’affaires. Il pense SOUS LA RÉPUBLIQUE »
furent laborieux. Il garde par-devers lui pouvoir faire fortune en se lançant dans > Balzac est politiquement un conser-
projets de traité de philosophie et pièces l’exploitation de mines argentifères en vateur. Il a peur du peuple dont les mou-
de théâtre. Ses premières œuvres nar- Sardaigne (1838) ou en plantant sous vements profonds n’annoncent à ses
ratives publiées sous pseudonyme, sans serre dans sa propriété de Ville d’Avray yeux rien de bon. « L’audace avec
être toutes des « cochonneries litté- « cent mille pieds d’ananas ». Tocades laquelle le Communisme, cette logique
raires », ont davantage suscité de contro- et extravagances qui creusent la dette et vivante de la démocratie, attaque la
verses que convaincu4. le poussent à « faire gémir les presses ». Société dans l’ordre moral, annonce que,
Or Balzac n’est pas Baudelaire. Il ne Les premiers succès lui procurant dès aujourd’hui, le Samson populaire
croit pas à la littérature comme à une quelques illusions d’aisance, on le voit devenu prudent sape les colonnes
religion nouvelle et ne la conçoit pas courir les antiquaires et acheter à crédit sociales dans la cave, au lieu de les
comme le seul débouché de son génie. tout un bric-à-brac de bibelots, d’attrape- secouer dans la salle du festin », lit-on
Il n’est pas non plus Flaubert qui se retire nigauds et d’antiquités presque toujours dans Les paysans. Ce roman inachevé,
à Croisset pour polir ses chefs-d’œuvre. fausses ! Dans ces lubies, Balzac a le plus paru en 1844, se propose « d’aller au
fond des campagnes étudier la conspi-
ration permanente de ceux qui se croient
les forts, du paysan contre le riche ».
Personnage symptomatique de cette
vision du peuple et des pauvres, la figure
du père Fourchon, ancien fermier et pro-
priétaire déclassé : « Ouvrier buveur et
paresseux, méchant et hargneux, capa-
ble de tout comme les gens du peuple
qui, d’une sorte d’aisance, retombent
dans la misère. Cet homme que ses
connaissances pratiques, la lecture et la
science de l’écriture mettaient au-des-
sus des autres paysans, mais que ses
vices tenaient au-dessous des men-
diants… »
Fourchon, marginal, déviant, perdu de
vices, qui ne cesse d’intriguer contre les
riches incarne aux yeux de Balzac toute
la paysannerie un peu comme le « sau-
vageon » ou le « beur » seraient les sym-
boles de la banlieue d’aujourd’hui. Balzac
Caricature réactionnaire au point qu’il s’est inventé
de Balzac, par sa particule. Noblesse de pacotille sans
Plantier, parue doute ! Noblesse de plume qui vaut celles
dans La Mode, de la naissance, de l’argent ou de l’épée.
AKG

15 mars 1843. Malgré d’autres influences, celle de

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I XIXe SIÈCLE

Rousseau notamment, Balzac demeure où restent les plus petites. » En lisant les d’avoir pris le parti de dire les choses
un héritier de la pensée contre-révolu- Illusions perdues (1837), ils pourront telles qu’elles sont. Son refus d’exclure
tionnaire des Joseph de Maistre et des comprendre l’échec de l’imprimeur de la création littéraire des images et des
Louis de Bonald. La comédie humaine a David Séchard qui, bien qu’inventeur thèmes que la bienséance et l’élégance
été écrite « à la lueur de deux vérités éter- d’un procédé qui aurait pu (dû) lui per- auraient rejetés comme grossiers, popu-
nelles : la Religion, la Monarchie ». mettre de faire fortune, finit spolié par laires, faciles même, lui a sans doute
ses concurrents, les ignobles frères coûté, en 1849, son élection à l’Académie
LE RÉVOLUTIONNAIRE Cointet qui ont, eux, le sens des affaires. française. Balzac, alors presque mori-
MALGRÉ LUI Rien n’est plus utile enfin que de médi- bond, ne sera pas Immortel.
> Mais Balzac n’épargne pas pour ter le destin du parfumeur César
autant la « bourgeoisie de province, si Birotteau, martyr de la probité. Humble UN RÉALISME FANTASTIQUE
grassement satisfaite d’elle-même », ces et honnête boutiquier, il s’est élevé par > Quoi qu’il en soit, Balzac « réaliste »
gens qui « se [croient] le plexus solaire le travail. Mais il a eu le malheur de se ne se contente pas d’imiter le réel. Dans
de la France ». Le monarchiste forcené vouloir puissant commerçant, alors que Le chef-d’œuvre inconnu, il précise sa
a donné aux révolutionnaires de tout « comme tous les gens du petit com- méthode : « La mission de l’art n’est pas
poil la description la plus fine, la critique merce parisien, [il ignore] les mœurs et de copier la nature, mais de l’exprimer.
la moins complaisante de la société les hommes de la haute banque » : […] Nous avons à saisir l’esprit, l’âme,
bourgeoise en train d’imposer son funeste erreur qu’il lui faudra expier tel la physionomie des choses et des êtres. »
modèle : « Qu’est-ce que la France de un « Socrate bête buvant dans l’ombre Dans la toute première préface à La
1840 ? Un pays exclusivement occupé et goutte à goutte sa ciguë ». peau de chagrin, Balzac se représente
d’intérêts matériels, sans patriotisme, les écrivains comme des voyants qui
sans conscience où le pouvoir politique « ARCHÉOLOGUE inventent le vrai : « Il se passe chez les
n’élève que les médiocrités, où la force DU MOBILIER SOCIAL » poètes ou les écrivains réellement phi-
brutale (sic) est devenue nécessaire > Avec Balzac, pour la première fois losophiques un phénomène moral, inex-
contre les violences populaires et où la dans notre littérature, les personnages plicable, inouï, dont la science peut dif-
discussion étendue aux moindres choses romanesques sont décrits par le menu. ficilement rendre compte. C’est une
étouffe toute action du corps politique, Leurs habits, leurs mises, la couleur de sorte de seconde vue qui leur permet de
où l’argent domine toutes les questions, leurs cheveux, rien n’échappe au regard deviner la vérité de toutes les situations
où l’individualisme, produit horrible de de cet adepte de la physiognomonie. Il possibles ; ou mieux encore, je ne sais
la division des héritages qui supprime la a le sens du détail et de l’image, en quelle puissance qui les transporte là où
famille, dévorera tout, même la nation atteste la célèbre description de la pen- ils doivent être, où ils veulent être. Ils
que l’égoïsme livrera quelque jour à l’in- sion de Mme Vauquer dans Le père inventent le vrai par analogie… » Voilà
vasion. » Ecrivain réactionnaire soit, Goriot. Balzac sait à merveille incorpo- pourquoi « le peintre le plus chaud, le
mais en cela même écrivain révolution- rer personnages et lieux, faire de l’un plus exact de Florence n’a jamais été à
naire. Paul Lafargue, le gendre de Marx, l’expression de l’autre. Précisément de Florence » ! Si Victor Hugo incarne la
dans ses Souvenirs personnels sur Karl Mme Vauquer : « Toute sa personne volonté de réveiller par la poésie la
Marx, rapporte que celui-ci « avait une explique la pension comme la pension dimension épique, le véritable Homère
telle admiration pour Balzac qu’il se pro- implique sa personne. » du XIXe siècle, c’est bien Balzac. « Les
posait d’écrire un ouvrage critique sur Les héros balzaciens tiennent de la héros de l’Iliade ne vont qu’à votre che-
La comédie humaine dès qu’il aurait ter- monade leibnizienne : ils sont autant de ville, ô Vautrin, ô Rastignac, ô Birotteau
miné son œuvre économique ». miroirs de l’univers balzacien. A ce titre, […] et vous Honoré de Balzac, vous le
De fait, La comédie humaine dévoile ils sont autant de succédanés de l’écri- plus héroïque, le plus singulier, le plus
les rouages d’une société régie par la vain dont Balzac nous dit qu’il se doit romantique et le plus poétique des per-
quête sans frein de l’argent et du pro- « d’avoir en lui je ne sais quel miroir sonnages que vous avez tirés de votre
fit. Les futurs golden boys feraient leur concentrique où, suivant sa fantaisie, sein.5 » Cette clairvoyance de Baudelaire
miel de cette remarque de Balzac expli- l’univers vient se réfléchir ». Balzac, fait par avance litière de la réduction de
quant pourquoi l’habile Nucingen se tire « archéologue du mobilier social », Balzac au réalisme. Mieux : elle fait de
toujours des coups tordus : « Les lois « nomenclateur des passions », « secré- l’homme Balzac un personnage à part
sont des toiles d’araignée à travers les- taire du dix-neuvième siècle », a pour- entière de l’œuvre. Balzac, agonisant,
quelles passent les grosses mouches et tant été considéré comme un maître du aurait appelé, avant de perdre
réalisme en littérature ! Ce poncif de conscience, le docteur Bianchon, le
l’histoire littéraire n’est pas sans fonde- médecin de La comédie humaine.
« La mission de l’art ments même si le terme de « réalisme »
est flou et anachronique puisqu’il n’est
■ JEAN MONTENOT

n’est pas de copier apparu pour désigner une école littéraire 1. Article du 20 février 1830, paru dans La Mode.
2. Albert Thibaudet, recopié par André Gide,
qu’en 1857, après la mort de Balzac donc,
la nature mais sous la plume de Champfleury. Certes,
Journal des Faux-Monnayeurs, Gallimard, 1927,
p. 96. 3. André Maurois, Prométhée ou la vie de
de l’exprimer » celui-ci fut trois mois durant l’amant…
d’Eve, la veuve de Balzac. Il est néan-
Balzac, Hachette, p. 264. 4. Stéphane Vachon, arti-
cle de l’Année balzacienne 1998. 5. Baudelaire,
Salon de 1846.
moins juste de reconnaître à Balzac

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