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Alain Dierkens. Réflexions Sur Le Miracle Au Haut Moyen Age
Alain Dierkens. Réflexions Sur Le Miracle Au Haut Moyen Age
Dierkens Alain. Réflexions sur le miracle au haut Moyen Age. In: Actes des congrès de la Société des historiens
médiévistes de l'enseignement supérieur public, 25ᵉ congrès, Orléans, 1994. Miracles , prodiges et merveilles au Moyen
Age. pp. 9-30;
doi : https://doi.org/10.3406/shmes.1994.1648
https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1995_act_25_1_1648
1 . Le présent article reprend quelques idées de l'exposé liminaire du congrès consacré aux
Miracles, prodiges et merveilles au Moyen Age (XXVe Congrès de la Société des Historiens
Médiévistes de l'Enseignement Supérieur Public, Orléans, 3-5 juin 1994). Je tiens à remercier
de tout coeur les organisateurs du colloque et ceux qui m'ont fait l'honneur de me demander
ce rapport, en particulier André Vauchez, Jean-Patrice Boudet et Michel Balard, auxquels
j'associe mes amis Claude Lorren et Stéphane Lebecq.
2. Je pense surtout à sa thèse La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age,
d'après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Paris, De Boccard,
1981 [2e éd. 1988] (Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome, lère série, 241),
p. 11-162 et abondante bibliographie.
3. En plus de sa thèse, Stylisation biblique et condition humaine dans l'hagiographie
mérovingienne (600-750), Bruxelles, Palais des Académies, 1987 (Verhandelingen van de
Koninklijke Académie voor Wetenschappen, Lettteren en Schone Kunsten van België, Klasse
der Letteren, 49, 1987, nr 120) [voir le long compte rendu de la soutenance par J. Fontaine,
« Bible et hagiographie dans le royaume franc mérovingien (600-750). Une soutenance
remarquée à l'Université de Gand », Analecta Bollandiana, 97 (1979), p. 387-396], je me
contente ici de citer son article fondamental « La controverse biblique et patristique autour du
miracle, et ses répercussions sur l'hagiographie dans l'Antiquité tardive et le haut Moyen Age
latin », dans Hagiographie, cultures et sociétés IV-XIIe siècles, Paris, Etudes Augustiniennes,
1981, p. 205-233, ainsi qu'une mise au point récente « Die Vita im Spannungsfeld von
Légende, Biographik und Geschichte », dans A. Scharer, G. Scheibelreiter (sous la direction
de), Historiographie im friihen Mittelalter, Vienne-Munich, Oldenbourg Verlag, 1994
10 Alain DŒRKENS
11. Sur ces définitions, voir, par exemple, A. Dierkens (sous la direction de), Apparitions
et miracles, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1991 (Problèmes d'Histoire des
Religions, 2), surtout p. 185-190. Dans le même ordre d'idées, voir A. Angenendt, Das
Fruhmittelalter. Die abendlândische Christenheit von 400 bis 900, Stuttgart-Berlin-Cologne,
VerlagW. Kohlhammer, 1990, par ex. p. 182-189.
12. B. Ward, Miracles and the Medieval Mind., op. cit. Les principaux articles de Soeur
Benedicta Ward ont été récemment réimprimés dans un volume intitulé Signs and Wonders.
Saints, Miracles and Prayers from the 4th to the 14th Century, Hampshire, Variorum, 1992
(Collected Studies Series, CS 361).
13. Dans divers articles, M. Van Uytfanghe a cité des exemples éloquents de ces visions
pessimistes caricaturales : ainsi La controverse biblique... , op. cit. , p. 205.
12 Alain DIERKENS
Dans l'Ancien Testament, on le sait 14, le miracle n'existe pas en tant que
tel : la Nature en elle-même reflète la volonté ou l'action divine et tout
phénomène a priori inexplicable doit être interprété comme message de
Dieu ; la condamnation des miracles magiques — dont l'existence n'est pas
niée et apparaît donc comme dangereuse — n'en est que plus forte (Exode
XXII, 17 : « Tu ne laisseras pas vivre une sorcière », etc.). Avec le Nouveau
Testament, une des difficultés nouvelles qui se font jour est relative d'abord
au rôle respectif du Père et du Fils dans le miracle, puis au statut des
miracles réalisés par les apôtres. Comme l'a relevé Marc Van Uytfanghe,
« Jésus lui-même attribue au Père les oeuvres qu'il accomplit mais il est
également conscient "qu'une force sort de lui, qui guérit tous" (Me V, 30 ; Le
VI, 19) [...], il transmet le pouvoir thaumaturgique à ses disciples, voire à
tous ceux qui croiront en lui » 15 : la foi est préalable au miracle « qui n'est
pas quelque chose de mécanique, mais qui est indissociablement lié à la
prédisposition subjective du miraculé » 16. Par ailleurs, en ce qui concerne
les apôtres, « les virtutes accomplies au nom du Seigneur sont autant de
gages divins de la nouvelle foi et jouent un rôle décisif dans son expansion
rapide » 17. En somme, les miracles sont essentiellement destinés aux non-
croyants qu'il s'agit de convaincre de la puissance du Dieu des chrétiens ; ce
rôle particulier — on le verra — est attesté dans l'histoire ultérieure de la
christianisation (« Tatmission »). Mais, aux IIe et IIIe siècles, on se
demandait s'il fallait lier le miracle directement au Christ et aux apôtres ou si
l'on pouvait en imaginer ou, mieux, en voir une suite historique ; la tendance
majoritaire semble alors bien être que les miracles avaient cessé ig et que le
14. Pour tout ce qui suit, je reprends les arguments — à mon sens, décisifs — de M. Van
Uytfanghe, La controverse biblique..., op. cit. Voir aussi, du même auteur, « Scepticisme
doctrinal au seuil du Moyen Age ? Les objections du diacre Pierre dans les Dialogues de
Grégoire le Grand», dans Grégoire le Grand, Paris, Ed. du CNRS, 1986 (Colloques
internationaux du CNRS), p. 315-326 et « Modèles bibliques dans l'hagiographie», dans P.
Riche, G. Lobrichon (sous la direction de), Le Moyen Age et la Bible, Paris, Beauchesne,
1984 (Bible de tous les temps, 4), p. 449-488.
15. M. Van Uytfanghe, La controverse biblique..., op. cit. , p. 207.
16. Ibid., p. 207.
17. Ibid., p. 208. A resituer dans une perspective eschatologique, cf. M. Van Uytfanghe,
« L'essor du culte des saints et la question de l'eschatologie », dans Les fonctions des saints...,
op. cit., p. 91-107. Pour le Bas-Empire en général, L. Cracco Ruggini, « II miracolo nella
cultura del tardo impero : concetto e funzione », dans Hagiographie. Cultures et sociétés, op.
cit., p. 161-204.
18. Ibid, p. 210.
RÉFLEXIONS SUR LE MIRACLE AU HAUT MOYEN AGE 13
Deux exemples du milieu du VIIIe siècle fixeront les idées. Le premier est
celui de ce prêtre franc, Adelbert, condamné comme hérétique et comme
schismatique tant au concile de Soissons de mars 744 qu'au synode romain
de 745 : Adelbert aurait prétendu pouvoir demander n'importe quoi à Dieu
et, fort de cette simulatio, aurait réalisé de nombreux prodiges (signa et
prodigia multa fecisset) ; il aurait mis sur le même plan des reliques de saint
Pierre et des ongles, des cheveux provenant de son corps ; il se serait arrogé
le pouvoir de remettre les péchés ; etc. Nulle part, dans les documents
ecclésiastiques conservés sur cette affaire, on ne met en doute la réalité des
miracles réalisés ; c'est la personne d' Adelbert qui est directement mise en
cause et condamnée sans appel 27. L'autre est la liste de « superstitions et
25. Indications sur les faits « magiques » dans l'Ancien et le Nouveau Testament dans M.
Van Uytfanghe, La controverse biblique..., op. cit. , p. 206-208.
26. Sur la législation carolingienne en matière de sainteté (et de reliques), voir notamment
N. Herrmann-Mascard, Les reliques des saints. Formation coutumière d'un droit, Paris,
Klincksieck, 1975, surtout p. 23-67, ainsi que l'état de la question commode fourni par J.
Chélini, L'aube du Moyen Age. Naissance de la chrétienté occidentale. La vie religieuse des
laïcs dans l'Europe carolingienne (750-900), Paris, Picard, 1991, p. 315-359.
27. A ma connaissance, les positions hérétiques d'Adelbert n'ont pas encore fait l'objet de
recherches spécifiques. On trouvera une édition des textes de base sur cette affaire dans la
RÉFLEXIONS SUR LE MIRACLE AU HAUT MOYEN AGE 15
pratiques païennes » jointe aux actes du concile des Estinnes de mars 744 ;
dans cet Indiculus superstitionum et paganianim, sont notamment relevés (et
condamnés de la façon la plus nette) des coutumes et fêtes d'origine païenne,
des pratiques cultuelles considérées comme païennes (sources, pierres,
forêts, ...), des éléments de divination ou de magie (incantations, augures,
observation du vol des oiseaux ou des excréments de bovidés, ...) mais aussi
des usages impropres du nom ou des qualités des saints (de incertis locis que
colunt pro sanctis ou de petendo quod boni vocant Sanctae Mariae ou
encore de eo quod sibi sanctos fingunt quoslibet mortuos) 28. Une nouvelle
fois, on ne nie pas l'efficacité des pratiques condamnées, on en met en
question l'intention et la compatibilité avec la foi et la doctrine. Il n'en est
que plus significatif que certaines coutumes, relevées comme païennes en
744, ont par la suite été acceptées sans difficulté (ex-voto, processions avec
statue) 29.
série des Leges (Concilia) des M.G.H. (éd. Werminghoff, 1893) ou, plus récemment, dans R.
Rau, Briefe des Bonifatius. Willibalds Leben des Bonifatius, Darmstadt, Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1968 (Ausgewàhlte Quellen zur deutschen Geschichte des Mittelalters),
p. 378-401.
28. Edition de X Indiculus et des actes du concile des Estinnes, en dernier lieu, dans R.
Rau, Briefe des Bonifatius..., op. cit., p. 444-448. On trouvera une bibliographie plus
complète sur ce texte capital pour l'histoire des mentalités dans A. Dierkens, « Superstitions,
christianisme et paganisme à la fin de l'époque mérovingienne. A propos de l'Indiculus
superstitionum et paganiarum », dans H. Hasquin (sous la direction de), Magie, sorcellerie,
parapsychologie, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1984, p. 9-26.
29. Sur Y Indiculus, voir surtout H. Homann, Der Indiculus Superstitionum et Paganiarum
undverwandte Denkmâler, Diss., Gôttingen, 1965.
30. Voir, par exemple, M. Heinzelmann, Une source de base..., op. cit., p. 243-244 ou G.
Barone, « Une hagiographie sans miracles. Observations en marge de quelques vies du Xe
siècle », dans Les fonctions des saints... , op. cit. , p. 435-446.
16 Alain DIERKENS
31. En plus de la création toute récente (1994) d'une revue annuelle consacrée à
l'hagiographie (Hagiographica, Turnhout, Brepols) et de la fondation, plus récente encore
(1995), d'un «Atelier belge d'Etudes sur la sainteté» (Hagiologia), on mentionnera les
ouvrages de R. Grégoire, Manuale d'agiologia, San Silvestro, 1986, et de D. von der Nahmer,
Die lateinsiche Heiligenvita. Eine Einfuhrung in die lateinische Hagiographie, Darmstadt,
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994. Voir aussi supra, n. 6.
32. D faut souligner le rôle essentiel en la matière de la Typologie des sources du Moyen
Age occidental fondée par L. Genicot ; c'est dans ce cadre qu'est née la vaste entreprise
Hagiographies citée supra, n. 6.
33. On en trouvera mentionnés (et rectifiés) d'éloquents exemples dans la thèse, sous
presse, d'A.-M. Helvétius, Abbayes, évêques et laïques : une politique du pouvoir en Hainaut
au Moyen Age (VIIe -XIe siècles), Bruxelles, Crédit Communal de Belgique, 1995 (Coll.
Histoire, 89).
34. L. Genicot, « Discordiae concordantium. Sur l'intérêt des textes hagiographiques »,
Bulletin de la Classe des Lettres [...] de l'Académie Royale de Belgique, 5e série, 51 (1965),
p. 65-75.
35. Sur tout ceci, introduction commode dans J. Dubois et J.-L. Lemaître, Sources et
méthodes de l'hagiographie médiévale, Paris, Cerf, 1993, ou dans J. Berlioz, « Vies de saints
et motifs hagiographiques », dans J. Berlioz et coll., Identifier sources et citations, Turnhout,
Brepols, 1994 (L'Atelier du Médiéviste, 1), p. 191-200.
36. B. Guenée, Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, Aubier,
1980 (Collection Historique), p. 77-120 ; P.-A. Sigal, « Le travail des hagiographes aux XIe et
xne siècles : sources d'information et méthodes de rédaction », Francia, 15 (1987), p. 149-
182 ; F. Dolbeau, « Les hagiographes au travail : collecte et traitement des documents écrits
RÉFLEXIONS SUR LE MIRACLE AU HAUT MOYEN AGE 17
Il n'est pas toujours possible de dissocier les Miracula ou les Virtutes des
autres types de récits hagiographiques, comme les Vitae ou les
Translationes . Il n'en reste pas moins que, progressivement, sont apparus des
recueils séparés de Miracula, non au sens (bien connu de l'hagiographie dès
le IVe ou le Ve siècle) de miracles de type biblique (guérisons, prophéties,
etc.) qu'un saint aurait réalisés de son vivant, mais bien qu'il aurait effectués
après sa mort, soit lors de la translation ou de l'élévation de ses reliques, soit
sur ses reliques. Un exemple caractéristique de ce genre de recueils se trouve
dans l'oeuvre de Grégoire de Tours, surtout dans le livre des miracles de
saint Julien de Brioude 38 et dans les quatre livres des miracles de saint
Martin 39
disparition totale pour un texte dont il n'existe pas de copie hors de ladite
communauté 47.
Par la force des choses, la (quasi-) totalité des miracles consignés dans
des recueils indépendants de Miracula concerne — je l'ai dit — des miracles
réalisés post mortem, les miracles in vita étant insérés dans le corps de la
Vita au sens technique du mot (la biographie d'un saint contenant alors le
récit de la mort et, éventuellement, de l'un ou l'autre prodige survenu après
ce décès) 48. Dès lors, la multiplication des reliques (par fractionnement d'un
corps, notamment) et des lieux de culte, très sensible dès l'époque
carolingienne, va impliquer une prolifération des miracles 49, qui emplissent
aussi d'autres types de récits hagiographiques, en particulier les
Translationes . On a, dans ce contexte, souvent mis en évidence le caractère
exemplaire du point de vue des genres littéraires, de la Translatio sanctorum
Marcellini et Pétri qu'Eginhard rédigea vers 830 50, Quoi qu'il en soit, les
sources hagiographiques des XI? et XIIe siècles accordent une place
prépondérante au miracle et détaillent les circonstances précises de celui-ci,
particulièrement en ce qui concerne les miracles de guérison 51.
47. On connaît de très nombreux exemples de Virtutes perdues, qu'il s'agisse de saints
mineurs (comme saint Bérégise : voir A. Dierkens, « Note sur un passage de la Vie de saint
Bérégise (B.H.L. 1180)», dans Le Luxembourg en Lotharingie. Luxemburg im
lotharingischen Raum. Mélanges/Festschrift Paul Morgue, Luxembourg, Editions Saint-Paul,
1993, p. 101-111, à la p. 103) ou de saints majeurs (comme saint Denis : voir M.
Heinzelmann, Une source de base... , op. cit., p. 254, n. 87 où on rappelle que la fameuse
Clausula de unctione Pippini provient d'un recueil perdu de miracles de Denis).
48. M. Heinzelmann, Une source de base..., op. cit., p. 243-244. ; P.-A. Sigal, « Miracle
in vita et miracle posthume aux XF et XIIe siècles », dans Histoire des miracles, Angers,
Presses de l'Université, 1983, p. 41-49.
49. M. Heinzelmann, Une source de base... , op. cit. , p. 245.
50. M. Heinzelmann, Une source de base..., op. cit., p. 244-246 : M. Heinzelmann,
Translationsberichte... , op. cit., p. 43-65 et 94-99 (où il insiste surtout sur une source
antérieure, la Translatio sancti Germani de 756). Sur ce texte, voir M. Bondois, La
Translation des saints Marcelin et Pierre. Etude sur Eginhard et sa vie politique de 827 à
834, Paris, 1907 (Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes, 160).
51. Sur ce point, je me contente de renvoyer aux études-modèles de P.-A. Sigal,
particulièrement sa thèse (L'homme et le miracle..., op. cit.) et un article récent (« Reliques,
pèlerinage et miracles dans l'Eglise médiévale (XIe -XHF siècles) », RHEF, 76 (1990), p. 193-
211) où l'on trouvera utilisés d'abondants exemples et une importante bibliographie
complémentaire.
20 Alain DIERKENS
Plutôt que de reprendre ici, une fois de plus, les définitions de la sainteté
pendant le haut Moyen Age ou de tenter de caractériser le rôle ou la fonction
des saints depuis la société de l'Antiquité tardive 63, je me contenterai ici
d'évoquer, un peu arbitrairement, quelques pistes de recherche.
direction de), Sainteté et martyre dans les religions du Livre, Bruxelles, Editions de
l'Université de Bruxelles, 1989 (Problèmes d'Histoire du Christianisme, 19), p. 47-56 ; A.
Legner (sous la direction de), Reliquien. Verehrung und Verklàrung, Cologne, Schniitgen-
Museum, 1989 [fondamental] ; A. Angenendt, Heilige und Reliquien. Die Geschichte ihres
Kultes vomfrûhen Christentum bis zur Gegenwart, Munich, C.H. Beck, 1994, surtout p. 149-
166 ; etc.
58. D va sans dire que les reliques indirectes représentent la (quasi-)totalité des reliques
du Christ et de la Vierge après l'Ascension et l'Assomption.
59. Sur les « trésors » et collections de reliques, on trouvera des renseignements
bibliographiques complémentaires dans A. Dierkens, Reliques et reliquaires.., op. cit., p. 55,
n. 31 et dans X. Barrai i Altet, « Reliques, trésors d'église et création artistique », dans R.
Delort, D. Iogna-Prat (sous la direction de), La France de l'an Mil, Paris, Seuil, 1990 (Points-
Histoire, H 130), p. 184-213.
60. Sur les authentiques (qui mériteraient une étude spécifique), bibliographie
complémentaire dans N. Hemnann-Mascard, Les reliques des saints, op. cit., p. 113-125 ; M.
Heinzelmann, Translationsberichte , op. cit. , p. 83-88 ; ainsi que diverses études de P. George,
dont Les reliques de Stavelot-Malmédy. Nouveaux documents, Malmédy, Malmédy Art et
Histoire, 1989.
61. Sur ces questions, qui ont fait l'objet d'innombrables publications tant dans le cadre du
douzième centenaire du concile de Nicée II (en particulier la contribution d'A. Boureau à
Nicée II 787-1989. Douze siècles d'images religieuses, Paris, Cerf, 1987) que dans celui de la
première mention de la ville de Francfort (par ex. 794. Karl der Grosse in Frankfurt am
Main. Ein Kônig bei der Arbeit, Sigmaringen, Thorbecke, 1994), je renvoie globalement à
Testo e immagine nell'alto Medioevo, Spolète, Centro Italiano di Studi suU'Alto Medioevo,
1994 (Settimane di Studio del Centro..., 41).
62. Cette question fait l'objet des recherches actuelles de Jean-Marie Sansterre, qui
annonce plusieurs articles sur le sujet à paraître en 1995 et 1996.
63. Je renvoie globalement à la synthèse récente d'A. Angenendt, Heilige und Reliquien,
op. cit. et à son article « Der Heilige : auf Erden-im Himmel », dans J. Petersohn (sous la
direction de), Politik und Heiligenverehrung im Hochmittelalter, Sigmaringen, Thorbecke,
1994 (Vortrage und Forschungen, 42), p. 11-52. On trouvera là de plus amples indications
bibliographiques.
22 Alain DffiRKENS
propagande politique 70. Par l'abondance des miracles qui se produisent sur
le trajet emprunté par le pieux cortège, les Translationes témoignent à la fois
de ce que le saint agrée la décision politique qui a présidé au transfert de ses
reliques et créent un itinéraire sacré, jalonné d'étapes qui sont autant de
souvenirs de miracles 71. Le miracle participe ici de phénomènes beaucoup
plus vastes : établissement de liens de confraternité 72, échange de dons
d'amitié au sein de l'Empire carolingien 73, affirmation d'un pouvoir
politique indirectement cautionné par Dieu, etc.
défunt évêque est enterré dans une église du siège de l'évêché, Maastricht ; à
quelques centaines de mètres de là, était honoré saint Servais, évêque de
Tongres mais mort et honoré à Maastricht depuis le IV* siècle 78 Pour une
série de raisons complexes, le successeur de Lambert sur le siège episcopal,
saint Hubert, a dissocié spatialement ces deux cultes ; presque
simultanément vers 720, il présida à une élévation des reliques de Servais
dans l'église Saint-Servais de Maastricht (et donna à ce culte une nouvelle
impulsion) et suscita le transfert du corps de Lambert de Maastricht à Liège,
lieu de son martyre 79. Quand Hubert mourut, en 727, on l'enterra à Liège,
dans une église située non loin de celle où il avait fait transférer Lambert ;
une élévation de ses reliques eut lieu en 743 et suscita, notamment, la
rédaction d'une première Vita 80. En 825, peu de temps après que Liège soit
devenu la sedes principalis du diocèse, l'évêque Walcaud dissocia les deux
cultes concurrents de Lambert et d'Hubert et, maintenant Lambert à Liège, il
favorisa le transfert du corps d'Hubert dans les Ardennes, dans une abbaye
bénédictine qu'il venait de contribuer à restaurer aux confins méridionaux du
diocèse, à Andage (la future Saint-Hubert) *i. Ce transfert suscita la
Châsses et reliquaires
90. X. Barrai i Altet, Reliques, trésors.., op. cit. : C. Sapin, La Bourgogne préromane.
Construction, décor et fonction des édifices religieux, Paris, Picard, 1986 ; P.-A. Sigal,
Reliques, pèlerinages..., op. cit., p. 193-199 ; etc.
91. Un exemple illustre : celui de Saint- Demetrios de Thessalonique.
92. P.-A. Sigal, Reliques, pèlerinages.. .. op. cit., p. 200-201.
93. P.-A. Sigal, Reliques, pèlerinages..., op. cit. , p. 209-210.
94. A. Dierkens, « Recherches sur les pèlerinages aux abbayes à l'époque carolingienne »,
dans A. Dierkens, J.-L. Kupper, J.-M. Sansterre (sous la direction de). Voyages et voyageurs à
Byzance et en Occident, du VIe au XIe siècle, Liège, 1995 (Bibliothèque de la Faculté de
Philosophie et Lettres de l'Université de Liège), sous presse.
95. P.-A. Sigal, Reliques, pèlerinages.... op. cit. , p. 210.
96. C'est, par exemple, le cas à Saint-Hubert souvent cité ci-dessus.
97. Ainsi à l'abbaye de Nivelles, à côté de l'église de la communauté (Notre-Dame) se
trouve l'église Saint-Pierre (qui deviendra Sainte-Gertrude), lieu de pèlerinage sur les reliques
de la première abbesse. Voir J. Mertens, Le sous-sol archéologique de la collégiale de
Nivelles, Nivelles, Musées Communaux, 1979 et « L'abbaye de Nivelles avant 1046 », Le
Folklore Brabançon, 243-244 (1984), p. 567-582.
28 Alain DIERKENS
distance respectable de celle-ci 98, une église où tout est fait pour l'accueil
des pèlerins et l'accès au tombeau ou à la châsse. Ou encore adopter un plan
et une conception architecturale de l'église où les pèlerins perturbent le
moins possible la vie de la communauté (isolement du choeur par des grilles
ou un chancel, système de la crypte extérieure, chapelle avec dispositif
d'accès particulier, etc.).
Dans tous ces cas, le culte d'un saint implique un personnel adapté. Une
place exceptionnelle est — on le sait — réservée aux coûtres, aux custodes,
tant pour la gestion journalière des offrandes et des messes, pour la
surveillance du tombeau ou de la châsse (avec les dangers de vols ou de
dégradation, liés notamment à l'attrait des reliques indirectes) que pour la
mise par écrit des miracles constatés et pour la divulgation de ceux-ci ".
98. Ainsi à l'abbaye de Lobbes, sur la colline qui dominait l'église abbatiale Saint-Pierre,
fut construite une église à finalité funéraire et paroissiale, qui deviendra l'église de pèlerinage
à saint Ursmer ; cf. A. Dierkens, Abbayes et chapitres..., op. cit. , p. 314-317.
99. Voir supra, n. 43 et P.-A. Sigal, Reliques, pèlerinage ..., op. cit. , p. 207.
100. Voir supra, n. 84.
101. Pour les XIe -XIIe siècles, la recherche a été faite par P.-A. Sigal, L'homme et le
miracle, op. cit. , surtout p. 1 17-164.
RÉFLEXIONS SUR LE MIRACLE AU HAUT MOYEN AGE 29
En guise de conclusion
Pour les théologiens, c'est toujours Dieu — et non le saint — qui fait le
miracle. Il n'en reste pas moins que, dans les consciences, dans le langage, la
part du saint dans le miracle se marque de plus en plus. C'est pourquoi, au
cours des siècles, un soin de plus en plus grand a été accordé à la procédure
de reconnaissance de sainteté, aboutissant, au début du XIIIe siècle, à la
formulation de la réserve pontificale en matière de canonisation et au
développement d'étapes longues préalables au « procès de canonisation » 104.
102. Le dossier a été récemment repris, avec références ad hoc, par H. Platelle,
« Agobard, évêque de Lyon (t 840), les soucoupes volantes, les convulsionnaires », dans A.
Dierkens (sous la direction de), Apparitions et miracles, op. cit., p. 85-93. De façon plus
générale, sur la critique en matière de miracles ou de reliques, voir K. Schreiner, « Discrimen
veri etfalsi. Ansâtze und Formen der Kritik in der Heiligen- und Reliquienverehrung des
Mittelalters », Archiv JUr Kulturgeschichte, 48 (1966), p. 1-53, ainsi que S. Boesch Gajano,
« Uso e abuso del miracolo nella cultura altomedioevale », dans Les fonctions des saints...,
op. cit., p. 109-122.
103. Guibert de Nogent, De Sanctis et eorum pigneribus, éd. R.B.C. Huygens, Turnhout,
Brepols, 1993 (Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis, 127). Sur ce traité
passionnant, l'ouvrage de base est celui de K. Guth, Guibert von Nogent und die
hochmittelalterliche Kritik an der Reliquienverehrung , Ottobeuren, 1970.
104. Surtout A.Vauchez, La sainteté en Occident, op. cit.
30 Alain DffiRKENS
Enfin, au cours des siècles, le miracle, mieux contrôlé, est mieux décrit
dans la littérature hagiographique. Le culte du saint s'accompagne d'objets
liturgiques spécifiques, de châsses et de reliquaires ; il s'inscrit dans un
bâtiment adapté à ses besoins. Du point de vue de l'historien, le parallèle
peut d'ailleurs être fréquemment fait entre la rédaction d'une Vita (ou de
Miracula), la construction d'une crypte, la réalisation d'une châsse,
l'adaptation d'un calendrier ... 105, n y a là un superbe domaine d'étude
pluridisciplinaire 106.
105 . Un exemple récent : A.-M. Helvétius, Hagiographie et architecture, op. cit., p. 27-
45.
106. C'est délibérément que, dans ce bref article, je n'ai pas envisagé la question de la
nature des miracles et, en particulier, des types de guérison. Pour cette question, tout à fait
fondamentale, on dispose d'excellentes études de P.-A. Sigal (notamment sa thèse, L'homme
et le miracle, op. cit., p. 227-310). Pour les périodes antérieures, voir notamment A.
Rousselle, Croire et guérir. La foi en Gaule dans l'Antiquité tardive, Paris, Fayard, 1990 et
M. Rouche, « Miracles, maladies et psychologie de la foi à l'époque carolingienne en
Francie », dans Hagiographie. Cultures et sociétés, op. cit. , p. 319-337.