Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Dans la grande cité de Sparte, les petits enfants vivent avec les femmes. Agénor est élevé
par sa mère. Un jour, son grand frère Kiros est passé les voir. Il était fou de joie :
« C’est génial ! Avec Père, je vais participer aux Jeux d’Olympie. »
Agénor n’avait que cinq ans lorsqu’il a entendu ces mots. Il n’a pas tout compris, mais il
rêve d’y participer un jour.
« Les jeux d’Olympie, c’est réservé aux hommes, lui a dit sa mère. Tu dois d’abord
apprendre à lire, à écrire, à chanter, à jouer de la flûte... »
En attendant de devenir grand, il apprend et il s’amuse avec ses deux copains, Zéphir et
Basile. Zéphir est long et frêle comme un roseau et Basile, rond comme un oignon, est un
gros avaleur de fromage blanc au miel et de galettes aux amandes. Ensemble, ils ont
découvert les dés, les toupies, les osselets, le lancer de noix* et d’autres jeux encore.
Et puis, l’année de ses sept ans, un homme vêtu de rouge est entré dans la maison.
Longs cheveux, barbe noire, visage sévère. Agénor ne le voit presque jamais, mais il l’a
reconnu.
C’est son père, Théodoros, un chef spartiate.
« Mon fils, tu vas quitter notre maison. Comme ton frère Kiros, tu vas maintenant vivre et
grandir avec les hommes. Je te conduis auprès de celui qui s’occupera de toi. Ce sera ton
Maître. »
Le maître attend, debout devant une dizaine d’enfants. Agénor est un peu rassuré en
retrouvant Zéphir et Basile. Le maître les regarde d’un air méprisant.
« Moi, je ne garderai que les meilleurs. Si vous êtes des faibles, vous deviendrez des
paysans, des artisans, des commerçants...Pas de vrais Spartiates. Un Spartiate, c’est un
athlète, ce qui veut dire combattant. »
Du bout de sa baguette, il désigne un olivier.
« Vous allez courir jusqu’à cet arbre, tourner autour et vite revenir. Le dernier arrivé
goûtera de ma férule*. »
Les voilà partis. Ils reviennent au galop. Agénor est premier. Zéphir est troisième. Basile
finit bon dernier. Il a gagné un coup de baguettes sur les fesses.
« Un peu de lutte, maintenant. Chacun va essayer de renverser l’autre, et de lui faire
toucher les épaules contre terre. Ensuite, les vainqueurs s’affronteront entre eux. A la fin,
seul le meilleur restera debout. »
Basile et Zéphir perdent leur premier combat. Agénor perd le deuxième. Le Maître a l’air
furieux.
Le Maître place les enfants deux à deux, face à face.
« Il va falloir maigrir et vous muscler. Avec moi, vous allez souffrir. »
Au bout de quelques jours, Basile a été renvoyé chez lui.
Zéphir a tenu quelques mois.
Agénor a résisté.
A la course, il gagne toujours. Le Maître a l’air à moitié content.
Chaque fois, il lui répète :
« Tu dois faire mieux. »
A l’âge de douze ans, Agénor est admis dans la classe supérieure. Il a maintenant un
nouveau Maître. On l’appelle l’Entraîneur.
Torses nus, pieds nus et crânes tondus, les élèves s’entraînent du lever jusqu’au coucher du
soleil.
Ils courent, ils luttent, ils sautent, ils grimpent. Ils soulèvent des poids, ils lancent le javelot,
ils nagent dans les eaux, chaudes ou glaciales. Et ils chantent ensemble pour se donner du
courage.
L’hiver, on leur permet de porter une tunique de laine grossière.
Comme tous ses compagnons, Agénor reçoit chaque jour, pour seule nourriture, un
morceau de pain sec et un oignon, parfois un bout de vieux fromage ou une poignée
d’olives noires.
« Si vous avez faim, leur a dit l’Entraîneur, profitez de vos heures de repos. Servez-vous de
vos javelots pour chasser et de vos dix doigts pour grappiller* les épis et les fruits oubliés. »
De temps en temps, il les emmène assister à l’entraînement des grands. Agénor a le plaisir
d’admirer son frère Kiros, rapide et léger comme une gazelle.
*férule : longue tige d’une plante, qui servait autrefois de baguette pour punir les élèves
Un matin d’été, Agénor voit Kiros venir parler à l’Entraîneur. Aussitôt celui-ci
rassemble ses élèves.
« Grande nouvelle : Kiros vient d’être sélectionné pour représenter notre cité aux
jeux d’Olympie.
Il affrontera des champions de course venus de toutes les cités de Grèce : d’Athènes,
d’Ithaque, de Crotone, de Thèbes...Il y aura aussi les sauteurs en longueur, les
lutteurs, les lanceurs de disque et de javelot. »
Le Maître pose la main sur l’épaule d’Agénor.
« Tu iras là-bas avec ton frère. Quand tu reviendras, tu nous raconteras. »
Conduit par Théodoros, le père d’Agénor, le convoi s’est mis en route, au son de la
flûte, avec une vingtaine d’athlètes, accompagnés de leurs pères, de leurs frères, de
leurs entraîneurs et de quelques prêtres. Pas une seule femme.
« Celui-là, lui dit Kiros, c’est notre champion de lutte. On l’appelle L’indéracinable. »
Dans le convoi, Agénor ne voit aucun char de combat, aucun guerrier en armes.
Toutes les cités de Grèce envoient leurs champions à Olympie ; alors, elles
s’interdisent de se faire la guerre pendant les Jeux.
Durant de longues heures, les Spartiates chevauchent sous le soleil brûlant.
Enfin, à la nuit tombante, ils s’arrêtent.
Agénor remarque un gros chaudron. Une drôle d’odeur se mêle à la fumée.
« C’est le brouet* spartiate, lui dit son frère. Une potion magique qui donne de la
force. »
On distribue des écuelles*.
Agénor renifle la bouillie rougeâtre qui tremblote dans son écuelle. Pas très
appétissante à regarder mais à goûter, c’est encore pire. Il met la main sur sa bouche
pour ne pas vomir.
Il entend de gros éclats de rire. Et quelqu’un lui donne la recette :
« Des bouts de vieille viande salée, cuits dans un mélange de vin, de vinaigre et de
sang de cochon. C’est délicieux... »
Deux jours plus tard, ils aperçoivent des collines au bout de leur route.
« On est bientôt arrivés, annonce Théodoros. »
Ils chevauchent jusqu’au sommet d’une colline. Et ils découvrent enfin la cité
d’Olympie*.
Agénor s’attendait à voir une ville immense et majestueuse. Mais non, juste
quelques temples et quelques modestes bâtiments.
Théodoros se tourne vers les athlètes.
« Ce lieu sacré a été construit en l’honneur des dieux de l’Olympe. C’est là que vous
lancerez le javelot et le disque, là que vous sauterez, là que vous courrez, là que vous
lutterez pour l’honneur de Sparte. Vous apercevez un long rectangle de terre
blanche, on l’appelle le dromos ou encore le stadion*. Regardez tout autour, ces
centaines de cabanes et de tentes. C’est un village olympique où nous serons
logés. »
*Olympe : montagne de Grèce. Autrefois, on racontait que c’était là que les dieux
habitaient.
Agénor et son père n’ont pas voulu manquer le concours de lutte. Comme prévu,
L’Indéracinable est parvenu en finale. Il va affronter Milon*, le champion de la cité
de Crotone.
Frictionnés d’huile, les corps musculeux des deux adversaires luisent sous le soleil.
Ils frottent leurs mains dans un seau de sable et s’empoignent.
Milon n’arrive pas à déséquilibrer L’indéracinable. L’Indéracinable n’arrive pas à
aggriper Milon, souple comme une anguille.
Et puis, soudain, sur une poussée du Spartiate, Milon bascule en arrière.
« On va gagner ! » s’écrie Agénor.
Emportés par l’élan, les pieds de L’Indéracinable ont décollé du sol. Au dernier
moment, Milon, de la main gauche, tire sur le bras droit de son adversaire et, de la
main droite, pousse l’autre épaule. Il le fait tourner, et s’aplatit sur lui en tombant.
Les épaules de L’indéracinable frappent la terre. Milon les bloque trois secondes
contre le sol. Il a gagné.
Agénor s’étonne d’entendre la voix de son père se mêler aux acclamations qui
saluent cette étonnante victoire.
Théodoros se tourne vers lui.
« Mon fils, retiens bien la leçon : la force peut tomber face à l’intelligence. Milon de
Crotone a fait semblant de tomber en arrière. Il a sacrifié son équilibre en utilisant la
force de l’adversaire. »
Encore un peu déçus tout de même, ils assistent le lendemain et le surlendemain
aux concours de sauts et de lancers. Mais, à chaque fois, les champions de Sparte
trouvent meilleurs qu’eux. Seul Kiros peut sauver l’honneur en gagnant une course.
Le grand moment est arrivé : la course du stadion*, six cent pieds* à parcourir. Kiros
va entrer en piste.
Les trompettes résonnent. Plus un mot. On annonce le nom des finalistes. L’un d’eux
déclenche une ovation* : Phanas de Pellène*, déjà vainqueur aux précédents Jeux
Olympiques.
Les coureurs sont debout, prêts à partir, derrière une corde tendue.
Coup de trompette.
La corde tombe.
Phanas a jailli le premier. Kiros est quatrième. Le voilà troisième. Il termine
deuxième. Mais seule compte la victoire.
Pourtant, Kiros conserve une dernière chance : l’après-midi, il doit encore courir le
double stadion*.
Agénor vient d’avoir une idée pour aider son frère à gagner.
*Milon de Crotone : athlète grec ayant gagné cinq fois le concours de lutte aux Jeux
d’Olympie.
De nouveau, les coureurs se sont alignés, debout derrière la corde. Kiros, lui, s’est
accroupi. Il se redresse légèrement. Il fixe le bout de la piste.
La trompette retentit.
La corde tombe.
Phanas est encore parti le premier, mais Kiros est juste derrière lui. Phanas arrive en
tête au bout du stadion, il tourne autour du pilier. Kiros est sur ses talons*.
« Kiros le rattrape ! Hurle Agénor. Une fois lancé, c’est lui le plus rapide. »
L’un après l’autre, les gagnants montent sur le podium. Un héraut proclame leur
nom, celui de leur cité et celui de leur père. Puis, au milieu d’une immense ovation,
le Maître de cérémonie pose sur leur tête une couronne d’olivier sauvage. Vient le
nom de Kiros.
« Vainqueur du double stadion, Kiros de Sparte, fils de Théodoros. »
Le coeur d’Agénor se gonfle de bonheur, c’est un peu sa victoire. Son père tremble
de fierté, mais il demeure droit comme une statue.