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Controleur Pages&Action LoadPdfOuvrage&ID ARTICLE EMS GAILL 202 15
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Résumé
En contant nos expériences de collecte de données quantitatives
et qualitatives, nous partageons dans ce chapitre comment nous
sommes arrivées à constituer un récit de chiffres et de mots, du
passé et du présent pour nos thèses en sciences de gestion. Émilie
a collecté des données financières historiques dans les archives
(Bonhoure, 2020) et Nour a collecté des données qualitatives via
une immersion jour et nuit auprès des professionnels de santé
(Alrabie, 2019). À travers les deux contes de collectes de données,
nous mettons en lumière qu’une expérience de thèse bien souvent
solitaire peut être un lieu de rencontres et d’interactions sociales.
Enfin, nous partageons quelques apprentissages de nos deux ex-
périences.
Et si les données nous étaient contées… n 151
Nour dormira chez ses répon- Émilie se plongera dans les ar-
dants. Elle portera son regard chives du siècle passé. Elle por-
« vers l’avant » d’un monde en créa- tera son regard « vers l’arrière »
tion et théorisera une construction pour comprendre les évolutions
sociale du « ici et maintenant ». du monde entrepreneurial actuel.
Les données collectées par Émilie au début de sa thèse sont des don-
nées quantitatives. Plus exactement, des données financières historiques.
Il s’agit de caractéristiques et d’informations relatives aux entreprises
cotées sur le marché financier de Paris au début du XXe siècle (entre
1905 et 1909). Les données collectées par Nour sont qualitatives. Elles
portent sur des pratiques et des dynamiques organisationnelles. Ces sont
notamment des entretiens ouverts, du shadowing des professionnels de
1 Søren Aabye Kierkegaard (1813-1855) était un théologien, philosophe, poète, critique social et
auteur religieux danois qui est largement considéré comme le premier philosophe existentialiste.
Par cette citation, il résume son petit livre autobiographique nommée La répétition (1843).
152 n STRUCTURER ET OUTILLER SA RECHERCHE
propres à une époque) qui pourraient être adaptés aux entreprises mo-
dernes comme solutions à des problématiques bien modernes elles aussi.
Il est important de noter que la base de données constituée par Émilie
s’inscrit dans une logique de complémentarité à un travail commencé
antérieurement et toujours en cours : la base de données DFIH (Data
for Financial History5). Cette base a pour ambition de collecter et saisir
les informations relatives aux entreprises cotées à Paris entre 1796 et
1976. Elle contient déjà une grande quantité d’informations sur toutes
les périodes et sur plusieurs types d’entreprises. Par exemple, Émilie a
collecté dans sa base les caractéristiques relatives aux entreprises cotées
sur le marché financier parisien non couvert par la base DFIH au début
du XXe siècle. Elle a aussi saisi des informations non encore incluses
dans la base DFIH (par exemple, une règle de répartition des profits).
manger. Sans idée précise, il lui propose alors de dîner chez lui avec son
épouse et ses enfants. En s’apprêtant à prendre la route, il les prévient
par un SMS qui n’était même pas encore lu à leur arrivée ! Ces moments
de spontanéité et d’improvisation, ces invitations à partager le quotidien,
le dîner et le toit de ses informateurs, ainsi que le suivi de leurs rythmes
et horaires ont fait de la collecte de données une expérience mémorable
qui rend toute lecture des données sur la base retranscrit ou noté ima-
gé et qui rend les photos prises lors du séjour parlantes. Au-delà d’une
présence constante et quotidienne dans les MSP, l’informel a une puis-
sance particulière pour enrichir les données collectées, mais aussi pour
les digérer. Sur place, Nour partage sept dîners et huit petits-déjeuners
informels avec ses informateurs.
En perdant le contrôle et en s’ouvrant sur le monde réel de ses infor-
mateurs (Weick, 2003), Nour devient une partie de leur monde social
(Johannisson, 2018b), ce qui lui permet d’observer leurs actions et inte-
ractions quotidiennes, dans un état d’imprévisibilité pouvant générer des
résultats positifs et négatifs non intentionnels (Bourdieu, 1990 ; Chia &
Holt, 2009 ; de Certeau, 1984). Nour porte son attention sur ce qui existe
dans leur monde, mais aussi sur ce qui s’y passe, ce qui s’y passait et ce
qui en émerge. En faisant cela, son regard se porte moins sur les orga-
nisations, mais plutôt sur la pratique de l’organisation dans son registre
d’action et d’interactions (Weick, 1979, 1995). Ainsi, l’unité d’observa-
tion pour constituer sa base de données devient leurs paroles traduisant
leurs actes et leurs actes traduisant leurs paroles. Ces deux éléments
constituent les pratiques situées dans un contexte plus large, lui-même
façonné par les croyances, les désirs et les pratiques des professionnels
de santé.
Pendant les deux semaines de terrain, Nour comptabilise cent qua-
rante-deux heures d’observation. Elle y enregistre quarante-cinq entre-
tiens avec des coordinatrices administratives, des médecins généralistes,
des infirmiers, des sages-femmes, des dentistes, des kinésithérapeutes,
des orthophonistes, des psychologues et un podologue. Le matériau le
plus stimulant a été capturé via la prise de notes des échanges informels
et celle suite au shadowing7 d’un médecin et d’un infirmier qui faisaient
les visites à domicile. En outre, Nour assiste à sept réunions, dont deux
assemblés générales annuelles, une réunion mensuelle d’un groupe de
pairs de médecins8 de quatre MSP. Elle observe, de manière participa-
tive, douze heures du lancement d’un projet commun entre les quatre
7 Lors d’un shadowing (filature), on suit le répondant au plus près, et on peut le cas échéant, l’inter-
roger au cours de sa tâche.
8 Un groupe de pairs est constitué de médecins de la même spécialité qui se réunissent réguliè-
rement, sans hiérarchie entre eux, dans un climat de confiance favorisant la liberté de parole et
qui font une analyse argumentée de la pratique quotidienne centrée sur la présentation de cas
cliniques, tirés au sort, s’appuyant sur l’expertise collective.
Et si les données nous étaient contées… n 159
4. Quelques apprentissages
Quatre conseils
1. Prendre le temps pour sa collecte de données de thèse.
2. Se nourrir de ses échanges avec sa communauté académique.
3. Fréquenter les congrès de professionnels.
4. S’interroger sur la rareté/l’originalité et l’utilisation de ses don-
nées.
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Références
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