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QUATRIÈME PARTIE

Intégrer des communautés


Chapitre 12.
Un programme doctoral hors-les-murs :
le cas du CEFAG

Christelle Aubert-Hassouni, Fabienne Perez, Sandra Renou


et Margaux Vales

Résumé
Le programme du CEFAG, formation reconnue et complémen-
taire à celles des écoles doctorales, est une aventure particulière
qui change l’expérience de réalisation d’une thèse en sciences de
gestion. À l’aide de témoignages de participants, ce chapitre per-
met aux futurs doctorants de se rendre compte du vécu « de l’inté-
rieur ». Ces témoignages nous permettent aussi d’identifier quatre
caractéristiques du CEFAG : motivation, évaluation par les pairs,
compagnonnage cognitif et perfectionnement par le voyage. Ces
caractéristiques, vues par le prisme des théories de l’identité au
travail, éclairent le processus de construction d’une identité d’en-
seignant-chercheur.
Un programme doctoral hors-les-murs  n 227

« Très beau programme », « Formidable outil de réseau »,


« Accélérateur de thèse et de carrière qui permet de comprendre les
règles du jeu, une vraie valeur ajoutée » (Ateliers de Thésée, 2017) :
alors que le réseau du CEFAG compte à ce jour plus de 530 membres,
ceux-ci témoignent généralement de manière très positive de cette ex-
périence.
Le Centre Européen de Formation Approfondie à la Gestion (CEFAG)
a été fondé par la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion
des entreprises (FNEGE) en 1986, en lien avec sa mission d’améliorer
la qualité des formations françaises à la gestion. Le CEFAG subven-
tionnait alors des doctorants en France afin qu’ils partent étudier dans
des universités étrangères, en complément de leurs formations initiales.
Aujourd’hui, le CEFAG s’inscrit dans la continuité de ses premières
missions : il continue d’offrir des formations complémentaires à celles
des institutions de rattachement des doctorants, tout en restant exigeant
quant à la qualité de leurs contenus. L’ensemble des autrices de ce cha-
pitre, toutes anciennes participantes du CEFAG, dressent le constat com-
mun d’y avoir vécu une expérience humaine et intellectuelle qui marque
fortement ses membres. Les liens qui unissent les CEFAGiennes et les
CEFAGiens vont en effet bien au-delà du programme lui-même, per-
mettant d’identifier des collègues aux habitudes de travail communes,
rigoureuses et ambitieuses. Le CEFAG apparait comme un vecteur de
reconnaissance et d’entraide important.
En quoi le CEFAG est-il un programme qui consolide les parcours
doctoraux ? Appuyé par des témoignages divers collectés auprès d’an-
ciens CEFAGiens, en janvier 2022 par l’intermédiaire d’un question-
naire envoyé par les Ateliers de Thésée – l’association des alumni du
CEFAG – et par des témoignages plus approfondis de plusieurs membres
du bureau des Ateliers de Thésée, nous avons cherché à répondre à cette
question en faisant des liens avec le compagnonnage et la construction
de l’identité de l’enseignant-chercheur. D’une part, les témoignages nous
permettent d’éclairer les caractéristiques du CEFAG, et notamment sa
similarité avec le compagnonnage (De Castéra, 2018), modèle de forma-
tion séculaire, représentant depuis longtemps l’excellence en artisanat.
D’autre part, ces caractéristiques, vues à travers les théories de l’identité
au travail, nous permettent d’identifier les différentes facettes d’un ap-
prentissage marqué par des doutes et des incertitudes, et les modalités
du processus de construction identitaire (Alvesson et Willmott, 2002 ;
Caza, Vough & Puranik, 2018), aux niveaux individuel, collectif et pro-
fessionnel.
Ce chapitre est constitué de deux parties, pouvant être lues de manière
relativement indépendante. La première est plutôt destinée aux étudiants
en master ou doctorat, afin de retracer le parcours du CEFAG tel que
228 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

chacune des autrices, CEFAGiennes et membres du bureau des Ateliers


de Thésée, l’a vécu. Nous souhaitons ainsi, à travers nos récits, que les
futurs candidats au CEFAG puissent se représenter cette expérience. La
deuxième partie propose d’analyser ce cycle de formation à la lumière
du modèle compagnonnique et de l’identité au travail. Cette analyse per-
met de distinguer le CEFAG des formations initiales reçues dans les
institutions de rattachement de thèse. Ce chapitre montre ainsi que la
prise de recul fournie au cours des séminaires offre de nombreuses clés
de réussite professionnelle, que nous transmettons à notre tour ici. Cette
prise de confiance des participants permet au CEFAG de se revendiquer
comme « accélérateur de carrière ».

1. Le parcours du CEFAG : le recrutement, la formation et


l’insertion professionnelle
Le programme du CEFAG est composé de trois séminaires de grande
qualité, faisant intervenir des enseignants-chercheurs renommés.
L’ensemble des intervenants experts établissent un lien de proximité
fort et se rendent facilement accessibles, principalement en proposant de
garder contact à l’issue du CEFAG. En particulier, les directrices et di-
recteurs du CEFAG suivent nos évolutions pendant plus d’un an et nous
pouvons garder avec eux des contacts privilégiés.
Lors de ces séminaires, toutes les questions peuvent être posées. Cela
permet de casser les tabous et de trouver des réponses aux questions
difficilement abordables ailleurs. Qui oserait demander à un profes-
seur le nombre de desk reject qu’il a vécus ? Ou encore la face cachée
des échanges lors d’élections en conseil d’Unité de Formation et de
Recherche (UFR) ?
Ces séminaires, qui nécessitent beaucoup de travail de préparation en
amont, apportent généralement un coup d’accélérateur à sa recherche. Le
travail est également intense après la candidature. En effet, une fois sé-
lectionnés, les participants affinent leur sujet de recherche et démarrent
la rédaction d’articles en vue d’une publication lors des différents ate-
liers. De plus, le CEFAG ne se limite pas non plus aux séminaires :
l’étape de préparation ainsi que la vie après le CEFAG comptent autant
que le temps de travail.
La section suivante raconte nos histoires, vécues à toutes les étapes
du CEFAG : lors de la préparation, pendant les séminaires et après la
thèse. Chaque récit présente des disparités du fait de nos différences
professionnelles (thèse à la suite du master ou après plusieurs années de
carrière en entreprise), de nos appartenances disciplinaires (marketing,
finance, stratégie, comptabilité…) et institutionnelles (écoles de com-
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merce, universités, IAE, IUT…) et personnelles (célibataire ou non, avec


ou sans enfants). Pourtant, tous les récits partagent le même enthou-
siasme et la même volonté d’encourager à démarrer une thèse et à parti-
ciper au CEFAG.

Étape 1 : la préparation du dossier de candidature


La possibilité de candidater au CEFAG apparait assez tôt dans le par-
cours doctoral :
« Peu après avoir intégré mon école doctorale, ma directrice de
thèse me parle du programme CEFAG, que je ne connaissais pas.
Cette recommandation venant de ma directrice, j’envisage de dépo-
ser ma candidature pour décembre. À ce stade, ma motivation est
surtout d’ajouter une expérience nouvelle valorisante sur mon CV. »
Ainsi, les CEFAGiens sont, pour 66 % d’entre eux, en 2e année de
thèse lors de leur participation au CEFAG (Ateliers de Thésée, 2017).
La candidature est généralement motivée par la propre expérience de
prescripteurs, tels que les directeurs de thèse, dans près de 60 % des cas,
ou les anciens participants au programme, dans plus de 23 % des cas
(Ateliers de Thésée, 2017).
L’investissement nécessaire dans la phase de candidature est très
important. L’étape d’admissibilité requiert la constitution d’un dossier
conséquent, avec la rédaction du premier CV académique, le projet de
thèse, les projets d’articles, les projets de séjour à l’étranger (visiting), le
score obtenu à l’examen TOEIC ou TOEFL. Les admissibles doivent en-
suite préparer une vidéo de présentation d’un article, avant d’être reçus
en entretien par deux enseignants-chercheurs en vue de l’admission.
L’entretien d’admission se déroule dans les locaux de la FNEGE à
Paris. Chaque candidat est reçu par deux enseignants-chercheurs, eux-
mêmes CEFAGiens ou intervenants dans les différents séminaires du
CEFAG. Durant une trentaine de minutes, les échanges portent sur les
différents éléments du dossier. Cet entretien permet de mieux com-
prendre la personnalité du candidat, sa détermination ainsi que sa ca-
pacité à débattre avec des doctorants d’autres disciplines des sciences
de gestion. Il vise également à s’assurer que le candidat est à un niveau
d’avancement médian, ce qui permettra de profiter pleinement de cette
formation.
Cette étape qui peut paraitre stressante est enrichissante à plusieurs
égards. D’une part, sur le fond, cette phase permet d’améliorer ses
propres recherches et d’enrichir sa thèse. D’autre part, elle permet de se
préparer aux processus de recrutement des enseignants-chercheurs, en
230 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

vue d’une carrière académique après la thèse (le processus d’admission


étant similaire au processus de recrutement des enseignants-chercheurs).
« J’ai beaucoup aimé l’entretien de sélection. J’ai tout de suite
senti que je basculais vers un autre univers, où les échanges seraient
d’un niveau élevé, stimulants mais sans pression particulière (même
si les questions étaient pointues, je n’ai à aucun moment senti qu’on
cherchait à me déstabiliser ou à me fragiliser, ce qui n’a pas toujours
été le cas dans mon parcours doctoral…). »
Chaque année, entre dix et quinze doctorants sont sélectionnés,
constituant ainsi à ce jour un réseau de plus de 530 alumni.
Cette étape initiale témoigne d’un premier élément essentiel au pro-
cessus de professionnalisation du CEFAG : la motivation. La candida-
ture représente en effet un travail conséquent, tant sur le fond, car il faut
que le projet soit suffisamment avancé, que sur la forme, afin de corres-
pondre aux standards académiques. Ainsi, lorsque le doctorant se plonge
dans le dossier de candidature, il développe de nouvelles compétences :
synthèse de ses réalisations, vulgarisation de ses thématiques, créativité.
La préparation du dossier de candidature est le premier jalon du pro-
cessus de construction identitaire du candidat. Le processus de sélection
s’apparentant à un concours, il s’agit en effet de se positionner, de définir
clairement ses thématiques de recherche, et de se démarquer en mettant
en avant ses qualités et son potentiel.

Encadré 1 : Quelques conseils pour candidater au CEFAG


1) Réfléchissez à votre candidature dès la première année de thèse :
– Prenez contact avec d’anciens CEFAGiens pour échanger ;
– Établissez des contacts avec des chercheurs basés à l’étranger en
vue de l’organisation du visiting. Vous pouvez soit les contacter
directement, soit demander à votre directeur ou directrice de thèse
d’être mis en contact avec ses co-auteurs à l’étranger, ou encore
profiter de participer à un séminaire doctoral lors d’une confé-
rence internationale pour entrer en relation avec des chercheurs
étrangers.
2) Commencez à préparer votre dossier de candidature dès le mois
de septembre :
– Prévoyez du temps pour pouvoir prendre le recul nécessaire à la
proposition de projets d’articles ;
– Anticipez les inscriptions aux examens du TOEIC ou TOEFL (les
sessions d’hiver étant souvent très prisées).
3) Envisagez la candidature au CEFAG comme une étape dans votre
parcours de chercheur : même si vous n’êtes pas retenu pour le pro-
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gramme, cet exercice permet de vous positionner comme jeune cher-


cheur et non plus seulement comme étudiant.

Étape 2 : les séminaires et le visiting


Le CEFAG comprend trois séminaires que nous allons décrire ci-
après. Ces séminaires peuvent se dérouler dans des lieux différents.
Le contenu des séminaires est resté stable ces dernières années. Ainsi
nous vous présentons les trois séminaires selon les thématiques que nous
avons vécues : « la thèse en chantier », « la publication d’un article » et
« les carrières dans l’enseignement-recherche ».

Premier séminaire : la thèse en chantier


Ce séminaire nécessite plusieurs travaux préparatoires : la formalisa-
tion de son propre projet de thèse, la lecture de deux autres projets de
thèse qui seront ensuite discutés devant leurs auteurs et avec l’ensemble
de la promotion, la mise en récit créative de son projet de thèse (au tra-
vers d’une nouvelle, d’un poème, d’une bande dessinée, d’une animation
audiovisuelle, etc.), et enfin l’analyse d’une thèse primée par une associa-
tion académique en sciences de gestion.
« Comme les suivants, ce séminaire m’aura demandé de la pré-
paration : formalisation du projet de thèse, quête d’originalité dans
la « mise en récit de la thèse » (mais exercice que j’ai trouvé parti-
culièrement drôle à préparer et pour lequel j’ai éprouvé beaucoup
de plaisir), lecture attentive des autres projets de thèse, quel que soit
le champ disciplinaire auquel ils appartiennent, et discussion plus
approfondie de certains d’entre eux. »
À nouveau, l’investissement nécessaire à la préparation de ces divers
travaux témoigne de la motivation des CEFAGiens comme élément-clé
de leur parcours de formation professionnelle. Et le « retour sur investis-
sement » est conséquent, tant les apports de ce premier séminaire sont
importants. En effet, les différents regards portés par des pairs, docto-
rants ou chercheurs expérimentés, ainsi que leurs analyses approfondies
permettent de s’interroger sur le sens de sa recherche. Cette évaluation
par les pairs représente un autre attribut du CEFAG qui le rapproche
d’un modèle compagnonnique (cf. seconde partie). Réelle immersion
dans le débat académique, ce séminaire marque vraiment une première
entrée dans la recherche scientifique, où la discussion entre pairs joue
pleinement son rôle.
« C’était également la première fois que je me retrouvais à discu-
ter de projets de recherche de manière aussi collaborative. Et j’ai
232 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

alors trouvé que les remarques des autres doctorants CEFAGiens


étaient très réfléchies (tout le monde avait bien travaillé) et perti-
nentes (tout le monde était assez pointu). Ces remarques sur mon
projet de thèse me suivront longtemps. […] À la fin du séminaire,
j’ai aussi eu le sentiment qu’une très grosse pression retombait par
rapport à ce que je devais être capable de faire. »
De plus, le CEFAG privilégie l’interdisciplinarité. En effet, les parti-
cipants au programme se rattachent souvent à des disciplines de gestion
différentes : marketing pour 30% des doctorants, puis comptabilité pour
27 %, stratégie pour 22 %, finance pour 13 %… (Ateliers de Thésée,
2017). Les organisateurs du programme encouragent la discussion,
contre tout enfermement dans sa discipline de prédilection. Au CEFAG,
les sciences de gestion sont envisagées comme un ensemble, ce qui favo-
rise l’interdisciplinarité et permet de nourrir la discussion.
« L’encadrement d’Hervé et Géraldine [directeurs actuels du pro-
gramme au moment de la rédaction de ce chapitre] pendant tout
ce parcours CEFAG est déterminant : vrais gardiens du temple et
maîtres d’apprentissage, ils nous font en fil rouge des remarques
bienveillantes, pertinentes, intéressantes, précieuses. Très sincère-
ment, je leur voue un attachement très fort. »
Le CEFAG peut donc s’apparenter à un processus de construction
identitaire, cette fois plus collectif, puisque cette construction passe par
une socialisation importante des participants, à travers les liens noués
entre eux et avec les intervenants.
« À ce stade de la thèse, on est encore dans une relation assez li-
néaire, entre un ou des directeur(s) de thèse et le doctorant ; avec ce
premier séminaire, on fait l’expérience d’autres relations de travail,
axées davantage sur l’échange et le partage de commentaires. »
Enfin, le cadre de ce séminaire contribue aussi beaucoup à l’échange
et au partage.
« La Baule, ce sont aussi les bons souvenirs “hors recherche” :
un cadre exceptionnel, dans un hôtel-villa style Belle Époque, des
footings matinaux au bord de la plage, un temps magnifique, des
repas gastronomiques… et la rencontre d’autres doctorants issus
d’universités, écoles et laboratoires de toute la France. On échange
sur les différentes pratiques : « vies de labo » plus ou moins riches
et actives, rythmes de travail, ou encore les parcours antérieurs de
chacun. »
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Deuxième séminaire : la publication d’un article


Le deuxième séminaire suit à peu près le même format que le pre-
mier, c’est pourquoi nous détaillerons peu ses aspects. Ce séminaire est
l’occasion de présenter un projet d’article, avec pour objectif de publier
celui-ci dans une revue de haut rang, si possible internationale. Ainsi
plusieurs questions autour du processus de publication sont abordées :
quelle stratégie de publication adopter ? Quelle revue viser ? Sous quel
délai envoyer son papier ? Comment rédiger une cover letter ? Comment
répondre aux évaluations une fois le premier tour passé ?
« Cette fois, il n’y a plus la timidité du début : on connait les
autres participants, avec qui on va partager la chambre, on connait
le rythme du séminaire mais on a eu les « grandes vacances » pour
s’y préparer. »
À l’issue des deux premiers séminaires, l’ensemble des questions
propres à l’exercice de recherche et du métier de chercheur ont pu
être abordées. Il reste alors à mieux comprendre la profession d’ensei-
gnant-chercheur sous toutes ses facettes.

Troisième séminaire : les carrières dans l’enseignement-recherche


Le troisième séminaire est beaucoup plus professionnalisant. Il aborde
tous les rouages du métier d’enseignant-chercheur, du processus de re-
crutement aux perspectives de carrières, en passant par les conditions
d’embauche et de réalisation du travail. Il intègre les problématiques
d’enseignement, de responsabilités administratives et d’intégration dans
les institutions d’enseignement supérieur (universités – UFR, IAE ou
IUT –, écoles de commerce ou d’ingénieurs, CNRS, carrière en France
ou à l’international...). Ce dernier séminaire est l’occasion de réfléchir à
son projet de carrière.
« Pour moi, ce séminaire est très important : venant de l’univers
des business schools, je m’interrogeais sur une orientation en uni-
versité, et j’ai trouvé la réponse à ma question. De plus, je me posais
quelques questions plus personnelles et certaines interventions ont
été déterminantes pour moi. Ainsi j’ai trouvé toutes les réponses aux
questions que j’aurais difficilement pu trouver ailleurs, et avec beau-
coup de bienveillance. »
Lors de ce séminaire en particulier, l’informel occupent une place
importante compte tenu des sujets abordés, qui peuvent être sensibles
et relativement tabous dans le métier, comme par exemple les grilles de
salaire (pour des carrières en écoles), les primes ou les budgets de re-
cherche. L’intervention d’anciens CEFAGiens occupant actuellement des
postes aux profils divers permet également à chaque participant d’iden-
234 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

tifier des figures modèles, assimilables à des mentors, selon la carrière


envisagée et les institutions visées.
Ce séminaire est aussi l’occasion de faire le bilan des dix-huit mois
écoulés, tant du côté des organisateurs (rythme des séminaires, interven-
tions et thématiques abordées, améliorations possibles pour la promo-
tion suivante) que des participants (sur les apports du programme à leur
parcours professionnel).
Enfin, « le fait que ce séminaire se tienne à la FNEGE, là où se
sont également tenus les oraux de sélection et où se tiennent, tradi-
tionnellement, certains Ateliers de Thésée [des séminaires entre anciens
participants du CEFAG – cf. infra], est aussi le signe que la boucle est
bouclée. »

Le visiting
La FNEGE soutient financièrement les CEFAGiens pour leur per-
mettre d’effectuer un séjour à l’étranger. Ainsi à la suite de ces sémi-
naires, les CEFAGiens partent en séjour de recherche à l’étranger (vi-
siting). Certains CEFAGiens font ce séjour de recherche au cours du
programme, entre deux séminaires.
73 % des CEFAGiens réalisent un séjour à l’étranger durant leur doc-
torat. Ce séjour est réalisé majoritairement dans des pays anglo-saxons :
États-Unis (35 %), Grande-Bretagne (21 %), Canada (17 %), Australie ;
mais également en Belgique, et dans beaucoup d’autres pays (Ateliers de
Thésée, 2017). Enfin ces séjours à l’étranger donnent souvent lieu à des
collaborations de recherche (35,6 %).
« Pour ma part, j’ai effectué mon visiting aux États-Unis. Même
si les formalités administratives liées au visa et à l’inscription en
université américaine n’ont pas été faciles (sans compter que je suis
partie début 2020, aux prémices de l’épidémie de Covid-19), j’en
garde un souvenir fabuleux. Une fois sur place le processus d’inser-
tion s’est avéré très fluide. Je connaissais déjà un peu les États-Unis,
pour y avoir déjà été quelques fois en voyage, mais l’expérience de
l’université américaine a été pour moi très enrichissante, et m’a per-
mis de « toucher du doigt » certains facteurs qui pourraient expliquer
pourquoi chercheurs européens et américains ne publient pas dans
les mêmes revues, ne participent pas aux mêmes conférences... »
Ce voyage est une étape importante dans le programme de forma-
tion, et autonomise réellement les participants. Alors que les séminaires
résidentiels étaient cadrés et plus condensés, le visiting est entièrement
préparé par le doctorant lui-même, certes avec l’aide de ses directeurs
et encadrants de thèse, mais de manière beaucoup plus individuelle. Ce
Un programme doctoral hors-les-murs  n 235

voyage vient parfaire la formation, permettant d’ouvrir le réseau interna-


tional des doctorants, de vivre une expérience de recherche à l’étranger,
et de lancer de nouvelles collaborations de recherche ; ces différents
aspects étant souvent attendus lors des candidatures aux postes d’ensei-
gnants-chercheurs.

Encadré 2 : Quelques conseils sur l’importance


de la socialisation
1. Profitez au maximum de votre thèse : la carrière d’enseignant cher-
cheur est tout sauf solitaire, la thèse ne doit pas l’être non plus ;
2. Allez à la rencontre des doctorants travaillant dans d’autres disci-
plines de gestion : il est fort utile d’avoir une vision transversale
des sciences de gestion, en plus de celle de votre champ de re-
cherche ;
3. Créez-vous un groupe de discussion avec d’autres doctorants,
échangez une fois par mois minimum, organisez des présentations
entre vous, aménagez-vous des espaces (physiques ou virtuels) où
l’erreur est permise et encouragée, et où la prise de risque est sans
danger.

Étape 3 : l’après-CEFAG
Le CEFAG se poursuit bien au-delà des trois séminaires que nous ve-
nons de décrire, et constitue une véritable formation professionnalisante
dans sa globalité. D’une part, il permet aux participants d’entrer dans
un réseau, aussi bien avec les membres de leur promotion qu’avec des
membres d’autres promotions, rencontrés au cours d’événements comme
ceux organisés par les Ateliers de Thésée. D’autre part, il est un véri-
table marqueur professionnel lors de l’entrée dans la carrière d’ensei-
gnant-chercheur en France.

Le réseau CEFAG
Une fois le CEFAG terminé, beaucoup de CEFAGiens restent en
contact, car le CEFAG a permis à beaucoup de créer de nouvelles ami-
tiés (Ateliers de Thésée, 2017). Ainsi, 68 % des CEFAGiens interrogés
en janvier 2022 déclarent que le CEFAG leur a apporté des amis. Le
contact est également maintenu virtuellement avec sa promotion, à tra-
vers les réseaux sociaux.
« On se sent toujours libre de se poser des questions par cet inter-
médiaire, de s’entraider, et de se donner des nouvelles, tant profes-
sionnelles que personnelles. »
236 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

Le CEFAG permet donc aussi l’intégration d’un réseau et une solida-


rité de corps, qui s’expriment de différentes manières, allant par exemple
du simple conseil à la co-écriture et collaboration de recherche.
« Le CEFAG m’a permis de rencontrer d’autres CEFAGiens, deve-
nus co-auteurs et réels soutiens dans mon parcours de recherche. »
De façon plus large, les Ateliers de Thésée, l’association des alumni
du CEFAG, permettent de prolonger l’expérience du CEFAG, à travers
des séminaires et mini-conférences sur des thèmes d’actualité, des par-
tages d’expérience de publication, etc.
« Les Ateliers de Thésée me permettent d’appartenir à une com-
munauté de chercheurs, d’organiser des ateliers sur des sujets de
recherche, de mieux connaître la communauté de la recherche en
France. »
Ces ateliers sont un moyen de poursuivre l’évaluation par les pairs
engagée lors des séminaires de formation, de façon plus autonome
puisqu’ils sont cette fois organisés par d’anciens participants en début de
carrière et non des enseignants-chercheurs chevronnés.

L’entrée en carrière et la trajectoire professionnelle


Le CEFAG constitue pour les participants un véritable accélérateur
de carrière comme en atteste le fait que la plupart des membres mènent
leurs projets de thèse à terme dans un délai de moins de 5 ans, et que
32 % des CEFAGiens reçoivent un prix de thèse (Ateliers de Thésée,
2017).
À la fin de leur thèse, les CEFAGiens sont, pour une grande majorité
(89,2 %), qualifiés aux fonctions de Maître de conférences, et 73 % oc-
cupent ensuite un poste d’enseignant-chercheur à l’université (Ateliers
de Thésée, 2017). Les autres CEFAGiens, qualification obtenue ou non,
sont enseignants-chercheurs en école de commerce. Une minorité (3 %)
exerce un emploi dans le secteur privé. Enfin, les CEFAGiens restent
majoritairement en France ; seuls 8 % d’entre eux exercent à l’étranger.

2. Le CEFAG au prisme du compagnonnage et de la


construction de l’identité de chercheur
Les récits de la première partie ont permis de rendre plus concrète
l’expérience du CEFAG. Ils nous sensibilisent à l’aspect collectif et col-
laboratif de la recherche, en opposition à l’image surannée du doctorant
enfermé dans sa solitude. Ils montrent également que l’ensemble du par-
cours amène chaque CEFAGien à une réflexivité sur sa posture de cher-
Un programme doctoral hors-les-murs  n 237

cheur : lors de la constitution du dossier, lors de la sélection (« pourquoi


moi ? »), dans la préparation des séminaires et lors des séminaires (avec
des échanges riches, mais aussi parfois sources de remises en question
importantes). Ce parcours permet ainsi d’apprendre à s’autonomiser et à
créer sa propre identité de chercheur.
Ceci nous amène à nous interroger plus en profondeur sur notre ques-
tion principale : « Quels sont les mécanismes mobilisés par le CEFAG
qui permettent de transformer un doctorant ès sciences de gestion en
chercheur ? » Pour éclairer cette question, nous proposons d’observer
cette formation à travers deux prismes : le compagnonnage d’une part et
l’identité au travail d’autre part. Ces deux approches invitent le lecteur
à mieux saisir les enjeux et implications d’une telle formation ainsi que
ses intérêts dans la construction d’une carrière professionnelle.

2.1. Le CEFAG, un parcours de compagnonnage ?

2.1.1. Qu’est-ce que le compagnonnage ?


Le compagnonnage, « organisation d’ouvriers, d’artisans, axée sur la
formation professionnelle et la solidarité » (Robert, 2010), désigne un
système traditionnel de transmission de connaissances et de formation
à un métier, qui s’ancre dans des communautés de compagnons dont le
but est de s’assurer entraide, protection, éducation, et transmission des
connaissances. Le compagnonnage, reconnu comme un moyen unique
de transmettre des savoirs et savoir-faire, a été inscrit à l’Inventaire du
patrimoine culturel immatériel en France, puis au patrimoine culturel
immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2010 sous le titre « Le com-
pagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le
métier ».
Le compagnonnage est basé sur la réalisation d’activités profession-
nelles en présence d’un pair qui transmet à l’apprenant ses connais-
sances et son savoir-faire. La démonstration, le temps long passé en-
semble, l’intégration à un groupe permettent l’acquisition de règles et de
valeurs spécifiques. L’apprenant réalise ses tâches en tenant compte des
valeurs de son « monde » d’appartenance, qui deviendra son système
de référence. Ainsi le compagnonnage est très différent du tutorat. Le
compagnonnage concerne surtout les métiers manuels : les métiers de
la pierre (compagnons bâtisseurs de cathédrales), métiers du bois, du
métal, du cuir et des textiles, et aussi les métiers de bouche, avec une
extension progressive ces dernières années vers d’autres métiers tels que
les métiers du vivant (vigneron, jardinier paysagiste). Le compagnon-
nage est identifié comme le dernier mouvement à enseigner certaines
techniques professionnelles anciennes. Sur une durée de cinq ans, un
238 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

aspirant compagnon se forme à un métier au sein de la communauté de


compagnons qu’il souhaite rejoindre suivant des modalités bien spéci-
fiques : enseignement scolaire, itinérance éducative à l’échelle nationale
(le « Tour de France ») voire internationale, rituels d’initiation, appren-
tissage technique. À la fin de son parcours de compagnonnage, l’apprenti
doit réaliser un « chef-d’œuvre », évalué par les compagnons. Il rejoint
alors sa corporation.
Le compagnonnage est historiquement peu renseigné, mais ses évo-
lutions sont liées à celles de l’organisation du travail. Par exemple, dans
l’Ancien Régime, leur statut était ratifié par des lettres patentes du roi,
permettant ainsi de réglementer et d’organiser l’exercice de chaque mé-
tier, de garantir la qualité du travail effectué, de préciser les conditions
de l’apprentissage et d’accès à la maitrise (Osty, 2003).
Pour finir, les organisations de compagnonnage ont très souvent
été critiquées pour leurs rites secrets, obscurs et cachés, leur dimen-
sion religieuse très présente, ainsi que pour les conditions financières
et matérielles d’entrée dans les corporations et de réalisation d’un chef
d’œuvre. C’est pourquoi elles ont été interdites avec l’ordonnance de
Villers-Cotterêts, formulée en 1539 sous François Ier, ou encore la loi
Le Chapelier de juin 1791 qui supprime le droit de formation de tout
groupement professionnel. Dans ce contexte, nous soulignons que nous
faisons appel dans le cadre de ce chapitre aux codes du compagnonnage
pour ses apports éducatifs, reconnus par l’UNESCO ; en aucune ma-
nière nous ne faisons référence à un certain corporatisme obscur. Nous
nous opposons à toute mauvaise interprétation dans ce sens. S’il persiste
une solidarité très forte entre CEFAGiens, elle ne va pas au-delà de l’en-
traide, au service de la recherche et de nos institutions.

2.1.2. Le CEFAG et le compagnonnage : quels attributs communs ?


Le CEFAG possède selon nous quatre attributs similaires au compa-
gnonnage : la motivation, l’évaluation par les pairs, le compagnonnage
cognitif et le perfectionnement par le voyage (ces attributs sont définis
par les auteurs, Figure 1).
Un programme doctoral hors-les-murs  n 239

Figure 1 : Attributs compagnonniques du CEFAG

– La motivation
Les apprenants compagnons comme les CEFAGiens ne sont pas for-
cément les meilleurs, mais ce sont toujours des personnes très motivées,
qui ont envie de travailler, qui ont envie de donner le meilleur d’eux-
mêmes. En d’autres termes, la motivation est plus importante que l’ex-
cellence.
Cette motivation se traduit dans le cadre du CEFAG à travers, d’une
part le travail préparatoire conséquent pour être sélectionné dans ces
programmes, d’autre part le travail nécessaire au moment de la for-
mation, enfin la bonne compréhension des attentes complexes et nom-
breuses du parcours doctoral.
Cette motivation est une base nécessaire et obligatoire pour intégrer
correctement la culture et les valeurs qui seront transmises.
– L’évaluation par les pairs
Tout au long du parcours du CEFAG, les CEFAGiens sont évalués par
des pairs : soit des doctorants, soit des enseignants-chercheurs interve-
nant ou dirigeant le programme. Il en est de même pour le compagnon-
nage.
Cette évaluation par les pairs repose sur une règle de bienveillance et
de discrétion. Elle permet la transmission du savoir et des traditions par
les anciens du CEFAG et professeurs renommés qui interviennent. Elle
permet d’apprendre par l’erreur. Le voyage et la rencontre comptent plus
que le résultat lui-même. Ils permettent le développement d’un sentiment
d’appartenance et de fierté, et la constitution d’une communauté frater-
nelle. Ainsi, au-delà de la transmission d’un savoir, ce sont des valeurs
de liberté, de solidarité et d’entraide qui sont transmises : il n’y a pas de
science sans conscience.
240 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

– Le compagnonnage cognitif
« Le compagnonnage cognitif postule que la construction du sa-
voir chez l’apprenant, dans le cadre des situations d’acquisition des
connaissances, est facilitée par un travail d’encadrement adéquat of-
fert par l’accompagnateur qui suscite l’engagement cognitif et métaco-
gnitif de l’étudiant » (Vierset, Frenay & Bédard, 2015 : 5).
Le compagnonnage cognitif réside dans le travail d’encadrement mis
en place pour susciter l’engagement de l’apprenant et l’intégration du
savoir. L’apprentissage par les pratiques est un fondement du compa-
gnonnage cognitif. Ce compagnonnage permet notamment de dévelop-
per deux types de compétences : l’engagement cognitif et métacognitif.
L’engagement cognitif correspond à la disposition d’un apprenant à être
actif en situation d’apprentissage, tandis que l’engagement métacognitif
fait référence à la connaissance dont un individu dispose sur son propre
fonctionnement cognitif.
Dans ce contexte, le langage verbal connoté de non-verbal est un vé-
hicule essentiel de la formation. L’apprentissage par les pratiques relève
également de l’affectif et du social : c’est dans l’interaction que nous
apprenons. Ainsi Meurger (2016) a montré dans sa thèse de doctorat que
les processus d’action et de compréhension (Piaget, 1974), la dialectique
des questions et des réponses, ainsi que les observations commentées
participent au développement de l’individu.
Le CEFAG propose un environnement favorisant le compagnonnage
cognitif. En effet, à travers les séminaires longs, les différents ateliers et
les échanges entre pairs, le CEFAG permet de prendre le temps néces-
saire pour développer le non-verbal et la socialisation, tout comme le
compagnonnage.
– Le perfectionnement par le voyage
Le voyage est un marqueur important du CEFAG, qui s’est renfor-
cé au fil des années. En effet, les séminaires résidentiels ne se tiennent
pas dans un cadre académique, mais sont au contraire « délocalisés »
en-dehors des universités et écoles, comme à La Baule ou Florence ces
dernières années.
« La première chose que je retiendrais surtout, c’est le cadre idyl-
lique de ce séminaire ! Nous avons tout de même beaucoup travaillé,
avec encore une fois le sentiment de casser les tabous. Ainsi à la fin
du séminaire, je me suis sentie capable d’écrire et de bien écrire des
articles scientifiques. »
Le visiting témoigne également de la dimension « voyage » que re-
couvre le CEFAG, puisque les participants sont incités à partir à l’étran-
ger, pour une durée plus ou moins longue, afin de renforcer leur expé-
Un programme doctoral hors-les-murs  n 241

rience en côtoyant d’autres cultures de recherche. Nous le rapprochons


des « Tours de France » des compagnons, qui sont de plus en plus des
« Tours du Monde ».
Le voyage est avant tout la meilleure manière de faire de nouvelles
rencontres, et d’observer d’autres manières de vivre et surtout de travail-
ler. Ainsi, comme en témoignent quelques CEFAGiens :
« Le CEFAG m’a aussi ouvert des opportunités que je n’aurais
certainement pas tentées comme le séjour à l’étranger qui a été à
l’origine de nombreuses opportunités », « Ce programme m’a sur-
tout, permis de partir aux États-Unis et d’y apprendre à travail-
ler vraiment avec des chercheurs incroyables en marketing (réseau
d’amis que j’ai toujours conservé). »
Le voyage permet également de mieux se découvrir soi-même, de
prendre conscience de ses capacités. Ainsi le perfectionnement par le
voyage, réalisé à l’issue d’une formation longue et éprouvante, est l’étape
ultime de la transformation et de la prise de conscience de son identi-
té professionnelle, que nous allons explorer sous l’angle de l’identité au
travail.

Encadré 3 : Conseils pour faire de votre thèse une expérience


de compagnonnage
1. Motivez vos pairs, acceptez leurs encouragements et rendez-les-
leur ;
2. Soumettez des papiers à des conférences ou à des séminaires à
l’étranger, et à ces occasions, interrogez vos collègues sur l’orga-
nisation d’une thèse, les liens entre doctorant et directeur, les for-
mations à destination des doctorants, les opportunités profession-
nelles, la perception du doctorat dans leur pays, etc. ;
3. Soyez présent aux réunions de votre laboratoire, essayez d’assister
aux réunions d’autres laboratoires ou d’autres disciplines, notez
les différences, débattez-en avec les doctorants des autres disci-
plines ;
4. Choisissez et inspirez-vous de mentors ;
5. Demandez à votre directeur/directrice de thèse si vous pouvez
co-évaluer un papier pour une conférence ou un journal avec lui/
elle.
242 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

2.2. Le CEFAG, catalyseur de la construction identitaire de l’ensei-


gnant-chercheur
Le CEFAG, grâce à ses attributs proches du compagnonnage, permet
d’apporter une réponse aux défis de la thèse. Dans cette dernière partie,
nous proposons d’apporter un autre regard sur les enjeux du CEFAG
face aux défis de la thèse, à travers le prisme de l’identité au travail.
Nous montrons ainsi dans quelle mesure le CEFAG est un catalyseur de
la construction identitaire de l’enseignant-chercheur.

2.2.1. Les défis de la thèse


Nous identifions plusieurs défis à la thèse : le flou sur les attentes de la
thèse ou face aux nombreuses remises en cause de son sujet au cours de
ses années de formation doctorale, l’angoisse de l’après-thèse en raison
de la complexité de l’écosystème de la recherche-enseignement en ges-
tion (post-doctorat, carrière en universités ou écoles, recherche en entre-
prise), ou encore la solitude, renforcée par des contraintes temporelles et
matérielles. Nous résumons dans le schéma suivant les défis de la thèse
autour de trois axes : transformation, difficultés de compréhension des
enjeux et de l’écosystème de l’enseignement supérieur, et solitude.

Figure 2 : Des difficultés du parcours doctoral aux apports du CEFAG


face aux défis de la thèse
Un programme doctoral hors-les-murs  n 243

Pour répondre à ces difficultés, le CEFAG apporte un cadre de gestion


des connaissances qui rassemble toutes les facettes d’un apprentissage
complet : la construction d’une identité de chercheur (en réponse au sen-
timent de transformation du doctorant), la compréhension des ficelles du
métier (en réponse au sentiment d’incompréhension du doctorant face à
un écosystème complexe) et l’appartenance à une communauté (en ré-
ponse au sentiment de solitude du doctorant).

2.2.2. Une construction identitaire


Le métier d’enseignant-chercheur s’est progressivement transformé
au fil des années, faisant en sorte que les activités des doctorants au-
jourd’hui diffèrent de celles de leur directeur de thèse (Monin, 2017),
tant par les modalités d’accès que par la diversité des missions. La di-
versité des postes et des parcours possibles, tant dans le secteur public
que privé, ainsi que les différentes caractéristiques du métier d’ensei-
gnant-chercheur confèrent à ce dernier une identité spécifique et mul-
tiple, précédemment qualifiée d’identité professionnelle incertaine ou
morcelée (Fave-Bonnet, 2003).
L’identité du nouvel arrivant dans la profession va se définir de façon
plurielle, en étant à la fois reliée à l’identité sociale, de rôle ou d’appar-
tenance (Ashforth & Mael, 1989) et à l’identité professionnelle à travers
une « recherche de reconnaissance par les pairs dans le cadre de l’espace
de travail » (Sainsaulieu, 1985) ou comme un « processus de socialisa-
tion à travers les expériences singulières de travail » (Dubar, 1991).
En ce sens, le CEFAG participe à la construction de l’identité d’en-
seignant-chercheur, en facilitant celle-ci. Il contribue à la socialisation
des doctorants en les initiant aux différentes facettes de la profession en
clarifiant très tôt les attentes du milieu, mais également en explicitant les
ficelles du métier.
D’abord, chaque enseignant-chercheur se définit à la fois à travers sa
discipline de recherche (marketing, finance, ressources humaines, straté-
gie, etc.), et à travers ses fonctions d’enseignement, pour lesquelles il n’a
pas spécifiquement de formation, contrairement aux autres catégories
d’enseignants (Rege Colet & Berthiaume, 2009). Intégrer ce métier né-
cessite à la fois de se positionner dans un champ disciplinaire spécifique
tout en intégrant une communauté plus large d’enseignants-chercheurs.
Ainsi, le CEFAG inscrit les participants dans la confrontation avec les
autres membres et chercheurs expérimentés de leur propre discipline,
tout en permettant l’ouverture aux autres champs.
La socialisation se fait à différents stades, en amont, pendant et après
l’intégration dans le métier. La transmission de savoirs et les échanges
dans le CEFAG pendant la formation doctorale permettent aux parti-
244 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

cipants de bâtir des normes communes. Le maintien des liens après le


programme ancre également les normes et valeurs de ce groupe de ré-
férence. Cette socialisation se traduit par des « expériences initiatiques
et d’apprentissage communes » (Allen & Meyer, 1990) dans le cadre du
programme.
Dans ce contexte d’évolution du métier des enseignants-chercheurs,
au regard de leur double mission dans des configurations diverses, le
CEFAG apparait comme un facilitateur de construction identitaire. Ce
travail identitaire, défini comme l’ensemble des actions dans lesquelles
les individus s’engagent pour « former, réparer, maintenir, renforcer ou
réviser » leur identité (Alvesson & Willmott, 2002 : 626) prend ainsi
forme au sein de ce programme.
Parmi les différentes dimensions que recouvre ce travail identitaire
(Caza, Vough & Puranik, 2018), nous pouvons voir à l’œuvre dans le
programme :
– La dimension cognitive, liée aux efforts pour construire l’identité
tout au long des séminaires ;
– La dimension discursive, liée aux discours des intervenants pour
guider l’appropriation des ficelles du métier ;
– La dimension physique, liée à l’environnement de travail ;
– La dimension comportementale, qui apparait dans les nombreux
ateliers et événements permettant de mettre en application les va-
leurs du métier.
La construction de l’identité de chaque chercheur se trouve ainsi faci-
litée par l’accompagnement collectif, le tutorat et la transmission par les
pairs dans le cadre du CEFAG.

2.2.3. La découverte et l’appropriation des ficelles du métier


Le métier d’enseignant-chercheur s’inscrit dans un écosystème com-
plexe et évolutif, tant en France qu’à l’international. Le modèle standard
du « prof de fac », aussi qualifié de « décathlonien » (Monin, 2017),
se trouve bouleversé par la multiplicité des activités, des configurations
et des acteurs présents dans les milieux dans lesquels il évolue. Pour
s’adapter à cet environnement changeant tout en restant un « maître à
penser », voire un « maître à renouveler la pensée », l’enseignant-cher-
cheur doit être sensible à la mission de ses institutions et à son propre
rôle institutionnel (Garreau & de Montmorillon, 2019).
Intégrer ce métier nécessite ainsi de comprendre les attendus en ma-
tière d’activités et de missions du poste, mais également en termes de
rôles à tenir. Dans cette perspective, la transmission et l’apprentissage
des ficelles du métier à travers le CEFAG permettent de rendre explicites
Un programme doctoral hors-les-murs  n 245

de nombreux éléments implicites. Par exemple, les différentes étapes du


processus de publication, qui nécessitent de nombreux échanges avec les
éditeurs (cover letter, réponses aux évaluateurs, etc.) sont souvent tacites,
et sous-estimées, alors qu’elles s’avèrent des dimensions essentielles du
processus de publication. Les différentes facettes de cette initiation (sur
les activités et les rôles) facilitent ainsi le processus de socialisation
(Feldman, 1976).

2.2.4. Force de la communauté et du collectif


Si les communautés d’origine, à travers les établissements et les écoles
doctorales, ont une place centrale dans l’apprentissage du métier, la com-
munauté du CEFAG à travers la FNEGE occupe une place particulière
pour les chercheurs en sciences de gestion. Les participants évoquent
souvent le sentiment fort d’appartenance à ce vivier de chercheurs en
sciences de gestion en France.
L’apprentissage du métier se fait ainsi à travers la communauté, lors
des séminaires qui permettent non seulement d’échanger sur ses diffi-
cultés, son sentiment d’isolement, de manque de temps ou de moyens,
mais surtout de se constituer sa famille de chercheurs. Les séminaires
représentent à la fois des occasions de rencontrer de futurs collègues/
co-auteurs, mais constituent aussi des moments privilégiés d’échanges
et de convivialité.
Les séminaires sont ainsi des moyens de travailler à travers une immer-
sion, et développent le sentiment de faire partie d’un groupe : « Le modèle
du compagnonnage est […] un modèle d’autonomie dans la construction
de la professionnalité. […] l’accompagnement et la transmission se font
lors d’un co-cheminement entre pairs. Les apprentis, puis les compa-
gnons échangent entre pairs sur leurs pratiques dans un but de perfec-
tionnement humain et technique. Il en résulte une progression des deux
parties prenantes. » (Debski et al., 2019 : 4).
En intégrant une nouvelle communauté, dans un processus de socia-
lisation, le chercheur en sciences de gestion va progressivement acqué-
rir les codes et principes de fonctionnement de ses pairs. La construc-
tion de l’identité professionnelle de l’apprenant favorise son intégration
au sein d’une culture identitaire qui dispose de ses référents, de ses
normes.
Le réseau des anciens avec les Ateliers de Thésée représente ainsi
une ressource forte pour les doctorants et jeunes docteurs, à l’instar des
réseaux d’anciens diplômés, en leur permettant de se constituer à la fois
un capital social et un avantage concurrentiel (Ventolini & Mercier,
2017).
246 n INTÉGRER DES COMMUNAUTÉS

Encadré 4 : Conseils pour construire votre propre identité


de chercheur
1) Construisez votre expertise :
– Identifiez clairement votre discipline et votre champ d’étude ;
– Sentez-vous capable de revendiquer une expertise spécifique ;
2) Appropriez-vous les ficelles du métier, principalement lors des
moments informels de votre laboratoire. Interrogez vos collègues sur
leurs parcours professionnels, leurs difficultés, le meilleur conseil
qu’ils aient reçu ;
3) Appuyez-vous sur la force du collectif en vous engageant dans une
communauté : de nombreuses associations accompagnent les jeunes
chercheurs (l’association de doctorants de votre université ou l’asso-
ciation de votre discipline par exemple).

En conclusion : le CEFAG, du doctorant au docteur

Programme complémentaire au cursus proposé par les écoles doc-


torales, le CEFAG enrichit l’expérience de la réalisation d’une thèse
en management et sciences de gestion. Le programme reconnu dans la
communauté des chercheurs en sciences de gestion, semble sans équiva-
lent dans les autres disciplines.
Dans ce chapitre, nous avons d’abord raconté le programme du CEFAG
à travers les témoignages de participants. Les différents séminaires du
CEFAG sont ainsi présentés par ceux qui ont vécu ce programme « de
l’intérieur ». Puis, afin d’illustrer son apport pour les doctorants dans
leur parcours de thèse, en lien avec les différents témoignages recueillis,
nous avons précisé en quoi le CEFAG pouvait s’apparenter à du com-
pagnonnage, à travers les différents attributs du programme. Grâce à la
transmission des savoirs, des bonnes pratiques et ficelles du métier, les
CEFAGiens perpétuent une image complète et réfléchie du métier per-
mettant aux nouveaux participants de se construire leur propre identité
d’enseignant-chercheur.
Si ce programme de formation procure de nombreux avantages que
nous démontrons tout au long de ce chapitre, nous devons toutefois en
souligner ses limites. D’une part, il pourrait être intéressant de renfor-
cer l’ancrage international qu’implique la profession d’enseignant-cher-
cheur, au-delà du séjour à l’étranger, avec par exemple plus d’échanges
avec d’anciens CEFAGiens en poste en-dehors de la France. D’autre
part, l’accroissement des exigences des processus de recrutement néces-
siterait une préparation plus intense à ceux-ci. Enfin, on peut regretter un
manque de diversité des projets professionnels des jeunes CEFAGiens,
Un programme doctoral hors-les-murs  n 247

lié à l’homogénéité des compétences développées dans ce programme.


En effet, en 2017, seuls 3% des CEFAGiens se tournaient vers des métiers
hors enseignement-recherche (Ateliers de Thésée, 2017). Or le marché
du travail se transforme, notamment avec le déploiement de nouveaux
dispositifs tels que les Jeunes Chercheurs en Entreprise, les Chercheurs-
Entrepreneurs ou les Jeunes Entreprises Innovantes, qui facilitent la pré-
sence de chercheurs en entreprise et dans les start-up. Certes, les écoles
doctorales proposent des formations complémentaires en ce sens, mais
les Ateliers de Thésée pourraient également mettre en avant d’autres
parcours professionnels non-académiques, en organisant des formations
ou des séminaires sur ces sujets.
Au vu de la qualité de ce programme et des nombreuses ressources
professionnelles qu’il procure, nous ne pouvons qu’encourager les futurs
doctorants et doctorantes à tenter leur chance pour participer à cette
formation qui marquera certainement toute leur carrière. À travers la
transmission et l’accompagnement dont bénéficient les participants,
nous ne saurons qu’être reconnaissants envers les intervenants et les
anciens CEFAGiens, qui contribuent à faire rayonner notre discipline
dans l’enseignement, la recherche, et de façon plus large auprès des en-
treprises, des organisations et des institutions. Nous encourageons ainsi
les anciens, actuels et futurs participants à faire vivre ce programme et
perpétuer la transmission de ces « compagnons du savoir ».

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