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CINQUIÈME PARTIE

Trouver sa voie
Chapitre 17.
Postdoc or not Postdoc ?
Enquête dans la boîte noire de l’après-thèse

Albane Grandazzi et Juliette Senn

Résumé
Si la période du doctorat est largement documentée, l’après-thèse
l’est beaucoup moins, et en particulier les mois – ou années – entre
la soutenance de thèse et l’obtention d’un premier poste d’ensei-
gnant-chercheur. Ce chapitre vise donc à explorer la boîte noire de
l’après-thèse en sciences de gestion, en partant de l’expérience des
deux autrices. Ni plaidoyer, ni réquisitoire, ce chapitre veut avant
tout donner à voir les possibilités offertes par le postdoctorat, mais
aussi les risques parfois peu visibles pour les doctorants s’enga-
geant dans cette voie. Ce chapitre offre également des conseils
pratiques dans la recherche d’un postdoctorat en sciences de ges-
tion, ainsi que certains points de vigilance.
Postdoc or not Postdoc ? n 323

L’après-thèse est souvent considérée au travers de l’insertion profes-


sionnelle des docteurs, où les sciences économiques et de gestion se
situent dans le peloton de tête : plus de 90 % des docteurs ont un em-
ploi un an après l’obtention de leur diplôme. En revanche, à peine 60 %
d’entre eux présentent un emploi stable1. Se développe des contrats à
durée déterminée comme le postdoctorat, soit poste de transition entre
le doctorat et un poste dit « permanent », parfois considéré comme pré-
caire par leur durée à vocation limitée.
Le postdoctorat apparaît de plus en plus comme la suite logique du
doctorat, valorisé dans la plupart des disciplines en sciences de gestion.
Cependant, il est surtout connu au départ dans les domaines des sciences
dites « dures ». Si le postdoctorat marque le début de carrière de re-
cherche et d’enseignement, il peut revêtir de multiples formes selon les
disciplines et les institutions. Tantôt pour rejoindre un groupe de cher-
cheurs travaillant sur un sujet précis que pour se consacrer à son propre
projet de recherche, les formats sont divers : attaché temporaire d’ensei-
gnement et de recherche (ATER), contrat de postdoctorat au sein d’un
laboratoire ou d’une chaire, cumul entre un poste d’enseignement et des
missions de recherches, etc. Chacun de ces contrats présente des réalités
très différentes de ce qui est bien souvent présenté comme « un » post-
doctorat au singulier.
Dans ce chapitre, nous nous centrons sur le postdoctorat comme une
étape clef dans la carrière académique, en nous concentrant sur les post-
doctorats dans des institutions académiques, qu’elles soient publiques
ou privées2. Cette étape est étroitement liée à la recherche d’un poste, et
à l’entrée dans la carrière académique, thématiques traitées respective-
ment dans les chapitres 18 et 20 du présent ouvrage.
Des études soulignent les zones d’ombres associées aux réalités mul-
tiples du postdoctorat et notamment l’absence de définition systématique
de ces postes (voir, par exemple, Åkerlind, 2005). Ce flou entretient la
précarité de ce statut : après avoir soutenu leur thèse, les postdocto-
rants occupent des « postes universitaires de recherche uniquement non
permanents dont les titulaires ont un doctorat » (Marceau & Preston,
1996). Le postdoctorat est donc une étape ponctuelle, d’abord axée sur
la recherche, et d’une durée variant généralement d’un à trois ans. Pour
autant, en France, en sciences de gestion, il n’est ni clairement identifié
ni visible, notamment dans les offres d’emplois. Cette absence d’iden-
tification est à notre sens problématique : faire un postdoctorat a pu (et
peut encore) être considéré par certains comme un choix par défaut.
1 Les enquêtes IPDoc 2015 et 2017 du SIES, rapportées dans : Le doctorat en France : du choix à la
poursuite de carrière, Rapport IGÉSR n°2020-114, juillet 2020, piloté par S. Kallenbach.
2 Le « contrat postdoctoral de droit privé » a été créé par l’article 7 de la LPR, avec un décret
d’application publié au Journal Officiel le 26 septembre 2021, dont l’objectif est de créer un cadre
juridique pour cette période de transition de la carrière scientifique.
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Nous pensons qu’il devient de plus en plus, parmi nos jeunes collègues,
un moyen souvent nécessaire pour débuter sa carrière avec un poste qui
correspond à nos qualifications et à nos attentes. Reste à savoir pour
notre lecteur dans quelles conditions.
L’objectif de ce chapitre est de décoder ces faces multiples du post-
doctorat afin d’en donner une vision claire aux doctorants et jeunes
docteurs. « Postdoctorat » ou encore « post-doctorat », nous utiliserons
dans ce chapitre son abrégé « postdoc », largement employé dans le lan-
gage courant. Il présente ainsi les coulisses du postdoc, en proposant un
exercice réflexif à partir de nos expériences respectives. La première
partie est l’occasion de réfléchir aux multiples raisons, bonnes, parfois
risquées, voire mauvaises du postdoctorat. Face aux défis et doutes que
nous avons rencontrés, la deuxième partie ouvre la boîte noire de cette
étape professionnelle, dans sa mise en œuvre pratique (recherche, points
de vigilance).

Encadré 1 : Un bref aperçu de nos parcours et postdocs


respectifs
Juliette – J’ai réalisé mon postdoc au sein de l’Universidad de
Burgos (Espagne) et du groupe de recherche ERGO spécialisé en
comptabilité sociale et environnementale. Mon financement prove-
nait essentiellement d’un projet européen du programme Horizon
2020 visant à développer un modèle innovant de représentation de
l’impact de la recherche dans le domaine de la santé. J’ai rejoint le
projet en cours de route (deuxième année) et j’ai intégré une équipe
de 10 chercheurs européens et plusieurs acteurs de ce secteur (pa-
tients, citoyens, décideurs politiques, industriels, chercheurs). Ayant
enseigné plus de 350 heures au cours de ma thèse, l’objectif était de
poursuivre la dynamique de publication alors engagée, notamment
en développant de nouveaux projets de recherche.

Albane – J’ai réalisé mon postdoc entre Grenoble École de


Management, où j’avais un projet de recherche au sein d’une nou-
velle chaire de l’école, et à l’École Polytechnique, où j’enseignais
plusieurs cours en management et théories des organisations. Mon
financement était donc au départ double, de la part de ces deux
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institutions. En recherche, ce temps m’a permis l’écriture d’articles


sur le matériau de ma thèse monographique. L’enseignement était
également pour moi une priorité dans l’objectif de l’obtention d’un
poste, car j’avais finalement peu enseigné au cours de ma thèse en
contrat CIFRE.

1. Pourquoi se lancer dans l’aventure folle du postdoc ?

1.1. Les bonnes raisons d’effectuer un postdoc


Comme mentionné en introduction, le postdoc recouvre une multipli-
cité de réalités. Plutôt qu’un contrat, il serait plus adéquat de parler d’une
période de transition entre la thèse et la prise de poste, tout comme le
décrit le récent Code de la recherche qui statue sur les différentes « mo-
dalités particulières d’emploi scientifique3 ». En pratique, le chemin peut
être long et parsemé d’embûches, d’autant plus qu’il intervient déjà après
la longue période de la thèse. Cette transition nous paraît un bon choix
si le postdoc donne les bons outils pour obtenir le poste que l’on vise
ensuite. Il faut donc l’envisager comme une première étape dans sa car-
rière. En effet, « faire un postdoc pour faire un postdoc » n’est pas une
bonne option. En revanche, trois raisons nous semblent particulièrement
pertinentes pour poursuivre dans cette voie.

1.1.1. Développement des compétences pour trouver un poste


Le postdoc est avant tout un bon moyen de compléter son profil de
recherche, qui passe souvent par la publication de travaux liés à la thèse,
et le bien nommé « job market paper » dans le monde anglo-saxon. La
tendance du postdoc est donc largement soutenue par la nécessité de
publier à l’ère du « Publish or Perish ». C’est donc l’occasion de publier
des résultats de sa thèse par exemple, ou d’un autre projet de recherche
débuté en parallèle. Comme explicité plus haut dans l’introduction, il
n’est pas dans cette optique un moyen de retarder la prise de poste, en-
courageant les postures indécises.
3 La partie législative couvre les articles L111-1 à L547-1 : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/
article_lc/LEGIARTI000042752265
326 n TROUVER SA VOIE

Ce serait biaisé pour autant de ne penser uniquement le postdoc au


travers de la recherche. Il permet de compléter son profil dans tous ses
aspects, par exemple celui de l’enseignement dans le cas où l’on aurait
peu enseigné : par exemple, lors des thèses CIFRE où l’enseignement
est optionnel. Il permet également de développer son « réseau », à savoir
s’intégrer dans des communautés scientifiques françaises et internatio-
nales. Ainsi, le postdoc va pouvoir se construire un statut dans sa com-
munauté, ce qui pourra lui offrir des opportunités de carrière.
Enfin, il est un moment privilégié pour sa recherche de poste : un
moyen de gérer la « file d’attente » découlant du fait qu’il y a beaucoup
plus de docteurs que de postes disponibles. Les postes de maîtres de
conférences (MCF) sont en déclin depuis 10 ans alors que le nombre de
candidats qualifiés augmente, même si cela dépend des disciplines. À
titre d’illustration, il est très difficile de trouver des candidats en comp-
tabilité. Par ailleurs, il permet de répondre à une internationalisation
du marché du travail, en particulier dans des écoles où le recrutement
s’étend largement au-delà de nos frontières : les doctorants Français,
ayant soutenu leur thèse de doctorat en université, sont en concurrence
avec des PhD qui ont quatre à cinq ans d’expérience, avec des publica-
tions déjà intégrées à leur thèse. De ce point de vue, s’engager dans un
postdoc après l’obtention d’un doctorat français peut paraître logique
si l’on désire obtenir un poste en école où le recrutement est fortement
internationalisé. À noter que le postdoc est aussi courant pour des PhD
ayant déjà quatre à cinq ans d’expérience.

1.1.2. Cultiver la dimension internationale


L’évolution de la formation doctorale encourage une culture acadé-
mique internationale. Pour autant, faire un postdoc n’implique pas né-
cessairement de partir dans un pays étranger. Tout dépend de l’endroit
où l’on souhaite poursuivre sa carrière. Partir à l’étranger pendant la
période postdoctorale peut paraître en effet comme un atout : style d’en-
seignement, nouvelles idées qui façonnent le travail de recherche, ou en-
core l’exposition à une culture académique différente. La dimension in-
ternationale est surtout synonyme de nouvelles connexions avec d’autres
chercheurs internationaux, ouvrant les portes à plus d’opportunités de
co-écriture en particulier. En cela, c’est avant tout un élargissement des
perspectives de recherche, de la visibilité de son travail, et des codes
appris jusqu’alors. Cependant, il nous semble important de mentionner
qu’« internationaliser » son postdoc est également envisageable en res-
tant dans son pays d’origine. Par exemple, beaucoup de grandes écoles
de commerce sont insérées dans des réseaux internationaux du fait de
leur recrutement. Le chercheur peut donc s’engager dans cette dimen-
sion internationale à plusieurs niveaux.
Postdoc or not Postdoc ? n 327

Encadré 2 : Juliette – lien visiting-postdoc dans


l’internationalisation de mon projet
L’idée du postdoc m’a toujours séduite. Désirant partir à l’étran-
ger, il répondait à une envie personnelle, et il se présentait alors
comme la suite logique de mon parcours doctoral. Mes années de
thèse ont été l’occasion de réaliser un séjour de recherche à l’étran-
ger dans le cadre du programme du CEFAG de la FNEGE. S’étalant
sur deux mois, j’ai rejoint l’Universidad de Burgos (Espagne) et le
groupe de recherche ERGO spécialisé en comptabilité sociale et en-
vironnementale. J’ai eu la chance d’être intégrée dans un groupe
bienveillant, et cela a beaucoup joué dans mes choix et l’interna-
tionalisation de mon projet dès les premières étapes de la carrière
académique. Bien qu’assez court, le séjour a été scientifiquement
très riche. Les échanges avec l’ensemble des chercheurs et en par-
ticulier le directeur du groupe de recherche, expert international
dans ce domaine, m’ont permis de développer le cadre théorique de
ma thèse et de l’inviter à en être rapporteur. L’aventure doctorale
finie, j’ai rapidement candidaté de manière spontanée et écrit à des
chercheurs internationaux dont le travail m’intéressait, ou que je
connaissais dans l’objectif de trouver un postdoc, en parallèle d’une
recherche de postdoc par des canaux plus officiels. L’expérience
s’est finalement poursuivie dans le même laboratoire et auprès du
même Professeur en Espagne, dans le cadre du programme Horizon
2020 de l’Union Européenne. Cet espace de recherche unique a sur-
tout été l’occasion de renforcer ma maturité et mon indépendance
de chercheure, en nourrissant le caractère interdisciplinaire de ma
recherche. Au-delà, cette période m’a permis d’enrichir mon CV et
de tisser des liens de collaboration multiples.

1.1.3. L’émancipation du jeune chercheur


Enfin, un des atouts indéniables du postdoc est de s’émanciper de son
laboratoire d’origine, de son directeur ou directrice de thèse, d’affirmer
son projet, et en fin de compte, de contribuer grandement à construire
son identité d’académique. Pour Olivier Germain et Laurent Taskin
« toute relation entre le directeur et son doctorant devrait constituer
un espace d’émancipation et de confrontation » (Germain & Taskin,
2017 : 10), discutant l’étude de Wright, Murray et Geale (2007) sur la
typologie des rôles de directeurs de thèse et leurs finalités.
En effet, le doctorat en France, reste très marqué par la présence visible
d’un directeur ou d’une directrice de thèse. Cette personne guide tant les
recherches, que les réseaux académiques dans lesquels « son » doctorant
(le pronom possessif étant lui-même révélateur) s’inscrit. Même si on
note des évolutions importantes sur ce point, en particulier avec la forte
augmentation des thèses co-dirigées depuis dix ans, ou par l’instauration
de comités de thèse qui suivent l’évolution du doctorant avec des profes-
328 n TROUVER SA VOIE

seurs externes, il n’en demeure pas moins que le doctorat à la française


privilégie encore une relation bilatérale. Nous ne souhaitons pas criti-
quer cet aspect : c’est aussi ici que se joue la beauté du compagnonnage
académique selon nous, même s’il n’est pas exempt de certaines dérives,
et nous pouvons que le déplorer. Pour autant, il nous semble important
qu’un jeune docteur puisse travailler en direct avec d’autres collègues,
professeurs, au sein d’un laboratoire qui n’est pas celui qui l’a d’abord vu
comme doctorant.
Par ailleurs, au-delà de cet aspect identitaire, cela lui apportera aus-
si de nouvelles méthodes de travail, de fonctionnement d’un départe-
ment, d’une équipe de recherche, des traditions théoriques pouvant être
complémentaires. Les relations entre collègues, l’environnement de
recherche et d’enseignement, les relations avec les étudiants, sont des
points qui peuvent varier fortement d’une institution à l’autre. Le post-
doc permet donc de développer sa recherche qui peut être vue comme
un processus d’apprentissage qui s’étire parfois jusqu’à plusieurs années
après l’obtention du doctorat (Höhle & Teichler, 2013). Ce processus
structure l’identité du chercheur. En cela, le postdoc permet de dévelop-
per sa propre identité scientifique et de sortir de ce qui est parfois consi-
déré comme la « coupe » du directeur ou directrice de thèse.
En ce sens, le postdoc peut permettre de savoir quoi viser précisément
dans sa recherche de poste. D’après les retours d’expériences dont nous
disposons, il est parfois un temps nécessaire pour affiner son projet pro-
fessionnel, en découvrant d’autres univers académiques. C’est donc un
jeu d’équilibriste entre chercher un postdoc cohérent avec son projet pro-
fessionnel, tout en conservant une certaine latitude pour le faire évoluer.

1.2. Les risques et les pièges


Pour autant, nous avons conscience que le postdoc est souvent néces-
saire pour obtenir un poste, tant les exigences sont multiples et élevées
et parfois contradictoires : avoir conduit une recherche doctorale de qua-
lité, avoir publié pendant sa thèse ou montrer des projets de publications
déjà bien développés, avoir enseigné un nombre suffisant d’heures au-
près de publics variés, être intégré dans les réseaux de sa communauté
scientifique, être engagé dans la vie de son département et/ou de son
équipe, etc. Le postdoc serait donc à ce titre l’étape souvent indispen-
sable, et parfois non désirée par le doctorant lui-même, pour construire
ce qu’on appelle souvent un profil du « mouton à cinq pattes ». À ce titre,
il entraîne un certain nombre de risques et de pièges, qu’il nous semble
particulièrement important de discuter ici.
Postdoc or not Postdoc ? n 329

1.2.1. Le postdoc, à la recherche du temps perdu ?


En premier lieu, le postdoc présente le risque de ne pas bien négocier le
contenu exact de son poste, en particulier son temps de recherche. Les ac-
tivités sont souvent mêlées entre recherche collective, personnelle, les ser-
vices au laboratoire, des missions plutôt orientées sur la gestion de projet,
l’organisation d’évènements scientifiques ou à destination de professionnels.
Il est alors aisé de s’y perdre. Quel équilibre viser entre tous ces éléments ?
Il est important d’expliciter le temps de recherche dont on veut disposer
dans la négociation de son poste. C’est là une condition importante pour
accepter ou non la proposition que vous aurez. D’après notre expérience et
de celles de nos jeunes collègues, avoir 50 % du temps dédié à la recherche
personnelle dans un postdoc constitue un bon équilibre. Ce chiffre pourrait
paraître élevé dans certains contextes institutionnels, mais il est souvent
indispensable pour pousser ses projets de l’après-thèse et trouver un poste
permanent. Cela place réellement le postdoctorant dans une posture d’en-
seignant-chercheur, prêt à démarrer son premier poste académique.

1.2.2. L’engagement dans une institution


Le postdoc est souvent vu comme un temps précieux pour se concen-
trer sur son développement intellectuel, parfois en privilégiant certains
aspects par rapport à d’autres. À l’inverse d’un poste d’enseignant-cher-
cheur donc, il n’est pas surprenant d’observer une participation plus
minime à la vie de l’institution : responsabilités administratives, pro-
jet d’encadrement, programme d’enseignement, service et même l’atta-
chement affectif ne doit pas être comparable entre le postdoctorat et le
poste. Notre propos n’est pas ici de décourager un investissement dans
l’institution du postdoc, bien au contraire, mais de veiller toujours à res-
pecter un certain équilibre entre cet engagement institutionnel et le dé-
veloppement de votre recherche.
En particulier si le jeune docteur se trouve bien identifié dans une ins-
titution, une sorte de « sur » engagement est parfois la pente naturelle que
prennent de nombreux collègues. Sans présager de mauvaises intentions
de la part des institutions qui les accueillent, les chercheurs postdoc-
toraux sont rarement encouragés, et encore moins obligés, à consacrer
du temps à préparer une prise de poste future. Les méthodes de travail
distribuées et souvent individuelles du métier académique ne permettent
pas de donner à voir tous ces éléments aux yeux de l’institution qui vous
emploie. Pour autant, la recherche et la préparation d’une prise de poste
constituent une stratégie essentielle. Là aussi, c’est au postdoc de trouver
le bon équilibre entre sa recherche personnelle, dont il doit veiller à la
protection, et le développement de ses réseaux académiques, éléments
indispensables dans l’obtention d’un poste permanent.
330 n TROUVER SA VOIE

1.2.3. Les raisons personnelles


La décision de faire un postdoc est intrinsèquement liée à nos condi-
tions et à nos étapes de vie personnelles. Cela peut paraître évident,
mais pour réussir son postdoc, il faut pouvoir le réaliser dans de bonnes
conditions, dans l’objectif de chercher un emploi par la suite. La pré-
carité de ce type de contrat est bien trop souvent mise en avant, mais
les situations sont variables d’une institution à l’autre. Sa situation per-
sonnelle, en particulier sa situation conjugale, mais aussi familiale et
amicale, est essentielle à considérer. À notre sens, elle ne doit pas rester
un des multiples éléments dans la balance, mais offrir les conditions de
possibilités d’un postdoc conduit avec succès.
En confrontant nos expériences respectives, on peut par exemple trou-
ver de nombreuses tensions caractérisées par notre statut de chercheur
féminine qui mettent à jour une tendance à invisibiliser la question du
genre dans les carrières académiques. L’équilibre vie personnelle-pro-
fessionnelle est souvent construit comme une tâche impossible et préju-
diciable à la carrière des femmes (Toffoletti & Starr, 2016). La maternité
est par exemple souvent reculée à l’obtention d’un poste permanent (voir,
par exemple, Huppatz et al., 2019). Autre exemple, les couples peuvent
être à distance, à des centaines, et parfois des milliers de kilomètres.
Notre intention n’est pas ici de donner un avis personnel, ou un guide
de conduite à suivre. Pour autant, il nous semble important d’avoir ces
éléments en tête pour poser un choix éclairé. Le postdoc peut ouvrir des
portes professionnelles. Reste à savoir à quel prix…

2. Comment faire un postdoc ?


Dans cette partie, nous avons choisi de développer les outils pratiques
orientés vers l’obtention d’un postdoc. Comme développé en introduc-
tion, le postdoc reste encore peu visible en sciences de gestion, et il peut
paraître souvent difficile de s’y projeter, tant les offres sont peu nom-
breuses. Nous présenterons et discuterons les multiples possibilités s’of-
frant au doctorant, qui doit savoir anticiper cette recherche de postdoc
pendant sa thèse.

2.1. Le postdoc : de la fiche de poste à la candidature spontanée


Le réseau personnel ainsi que celui de la direction et du jury de
thèse jouent un rôle très important et peuvent offrir une garantie de la
qualité du postdoc. En effet, comme nous l’avons vu dans les raisons de
faire (ou de ne pas faire) un postdoc, ce type de contrat peut aussi être
décevant étant donné ses activités réelles. Il s’agît donc de ne pas prendre
Postdoc or not Postdoc ? n 331

à la légère l’étape de sélection dans le contrat de postdoc, toujours dans


cet objectif d’une cohérence entre ses recherches personnelles, et les op-
portunités offertes par le laboratoire ou l’équipe d’accueil. Ce serait une
erreur de s’arrêter aux offres formelles, même si elles existent, comme
nous le verrons ci-dessous. Nous distinguons ainsi les offres formelles
et informelles.
De manière formelle, en France et à l’international, des sites généra-
listes4 peuvent fournir quelques offres dans nos domaines, en intégrant
d’autres disciplines que les sciences de gestion, encore peu répertoriées
comme telles. Des sites transverses peuvent afficher certains contrats
comme EURAXESS5, et on peut aussi obtenir des informations sur des
sites tels que jobs.ac.uk (Angleterre). À notre sens, ces sites peuvent être
utiles pour les jeunes collègues cherchant des opportunités dans des
zones géographiques précises, ainsi que des collègues dont l’approche
est à la frontière de plusieurs disciplines. Ensuite, des sites plus spé-
cifiques en management existent. L’un d’entre eux, assez connu dans
notre discipline car dédié aux offres en management, est AKADEUS6.
Un grand nombre d’institutions internationales y sont présentes. C’est
également le cas de de Global Academy7 qui présente la même cible.
Ces sites sont utiles pour avoir une vue d’ensemble des opportunités
dans notre discipline, mais ils présentent le défaut de leur aspect gé-
néraliste en proposant des offres en management au sens large. Ainsi,
finance, marketing et comptabilité s’entremêlent pour différents types
de contrats (doctorat, postdoc, ou poste de chercheur), et vu le nombre
important de publications chaque jour, il est très facile de s’y perdre.
Nous notons aussi que certaines institutions y sont (très) présentes, alors
que d’autres demeurent (désespérément) absentes de ce type de canaux.
En parallèle, la plupart des institutions publient leurs offres de postdocs
sur SSRN8 (Social Science Research Network), où elles sont classées par
disciplines.
D’après notre expérience, les sites d’associations scientifiques sont
particulièrement précieux. Certes les offres sont moins nombreuses,
mais elles sont ciblées selon le profil du doctorant, avec des offres co-
hérentes dans sa communauté scientifique. Citons tout d’abord le cas
de la FNEGE9 qui répertorie un certain nombre d’offre d’emplois dans
les institutions francophones. Ensuite, des associations comme l’AIMS
(Association Internationale de Management stratégique), SMS (Strategic
Management Society), l’EAA (European Accounting Association) et
l’AFC (Association Francophone de Comptabilité) publient régulière-
4 https://academicpositions.com ; https://www.timeshighereducation.com
5  https://euraxess.ec.europa.eu
6  https://www.akadeus.com
7  https://www.globalacademyjobs.com
8  https://www.ssrn.com/index.cfm/en/
9  https://www.fnege.org
332 n TROUVER SA VOIE

ment des annonces, et la création d’alertes mails est également possible.


Ces outils ne sont pas exclusifs les uns des autres, et il nous semble judi-
cieux de pouvoir les combiner selon son projet. Comme nous avons ten-
té brièvement de l’expliquer, les objectifs sont différents selon les sites
présentés ici.
Il est pour autant important de souligner ici que les offres de postdoc
proposées par les laboratoires de recherche français ne sont pas nom-
breuses : en effet, toutes les possibilités ne sont pas publiées en offre for-
melle, loin de là... C’est ici que la candidature spontanée prend tout son
sens. Nos expériences respectives prouvent que de nombreux postdocs
démarrent par un simple mail. Cela s’explique en partie par le finance-
ment de ce type de contrat pouvant encore s’apparenter à une sorte de
« bricolage », qu’il s’agît pour le jeune chercheur de contribuer à fabri-
quer. Ainsi, il est important de contacter, voire de rencontrer, les per-
sonnes avec qui nous souhaitons collaborer et développer de nouvelles
recherches. À ce stade, le choix de contact se justifie par la nature des
recherches et par l’orientation que le chercheur souhaite donner à son
profil. La prise de contact sera facilitée par une rencontre en personne.
Cela peut être bien-sûr le cas en conférence, mais également lors de
séminaires internes. Nous sortons – ou du moins l’espérons – de deux
années de pandémie qui ont particulièrement mis à mal ces rencontres
fortuites.

Encadré 3 : Albane – retour d’expérience sur la recherche


d’un postdoc
Pendant les premiers mois après ma thèse, j’étais déjà en contrat
à l’École Polytechnique, et je cherchais alors activement un post-
doc pour l’année académique qui se profilait (2019-2020). J’ai eu
alors deux propositions de postdoc, presque concomitantes : l’une
dans une école de commerce au sein d’une chaire de recherche et
d’enseignement, école que j’ai choisie, où j’ai été ensuite recrutée
pour un poste permanent (Grenoble École de Management, GEM) ;
une autre dans une université européenne de renom, accueillie par
un professeur, sur un projet de recherche conduit avec des parte-
naires extérieurs (entreprises). Je ne m’attarderai pas sur les carac-
téristiques de ces deux offres, mais elles étaient assez comparables
dans leur potentiel, en particulier sur le style et le niveau de leur
recherche. Les raisons personnelles ont pu jouer, car un poste était
en France, et un autre à l’étranger. Je voudrais ici pointer l’impor-
tance qu’a eu la rencontre et la discussion en face à face avec des
membres de l’équipe de GEM dans le choix que j’ai posé. En effet,
dans un cas (le postdoc à GEM), j’avais pu rencontrer et échan-
ger avec des membres de l’équipe en face à face, lors d’une confé-
rence. Dans l’autre cas (le postdoc dans une université européenne),
j’avais eu des échanges avec des personnes de l’équipe sans jamais
Postdoc or not Postdoc ? n 333

avoir eu l’opportunité de les rencontrer de visu. Indéniablement, la


rencontre « en chair et en os » m’a permis de me projeter dans mes
potentielles futures missions, de voir tous les aspects invisibles dans
ce postdoc, sa réalité, somme toute de « sentir » là où je mettrai les
pieds quelques mois plus tard. Je ne saurais alors que recomman-
der ces rencontres et ces discussions avec des académiques d’autres
institutions pour savoir se projeter dans son postdoc, et de poser un
choix éclairé.

2.2. Outils financiers


Le postdoc demande une certaine anticipation notamment en ce qui
concerne les outils financiers mis à disposition pour de tels contrats.
L’institution d’accueil dispose parfois de budgets postdoctoraux. Nous
identifions deux cas de figure. Soit l’institution a une ligne financière
spécifique pour la réalisation d’un postdoc, ce qui reste rare, d’après
notre expérience. Soit, et c’est plus souvent le cas, l’offre est adossée à
un projet de recherche comme un projet ANR (Agence Nationale de la
Recherche) en France, une chaire de recherche et/ou d’enseignements, un
projet appuyé par un ministère (comme la DARES), voire un partenaire
privé via un contrat de recherche. Tout peut être imaginable et possible
pour une institution, si le support financier du postdoc ne vient pas de
ses propres fonds. Toutes ces options que nous venons de citer peuvent
ainsi être autant de pistes à considérer, voire à co-construire. Ces projets
peuvent être portés par un ou plusieurs professeurs dans l’institution, et
c’est là que vous pourrez alors conduire votre postdoc. Le sujet de re-
cherche financé est généralement proposé en amont et il s’avère revêtir
une importance considérable dans la bonne réalisation du postdoc : une
activité de recherche riche de sens rend heureux !
Le financement européen constitue une alternative. Le plus connu reste
le programme européen Marie Sklodowska-Curie Actions Individual
Fellowship10. Il se présente sous forme de bourses individuelles pour
chercheurs en début de carrière (titulaires d’un diplôme de doctorat ou
d’au moins quatre ans d’expérience dans le domaine de la recherche).
Les domaines de recherche sont ici librement choisis par les candidats
d’une manière entièrement bottom-up. Un exemple récent sont les pro-
jets financés par le programme Horizon 2020, l’un des programmes de
financement postdoctoral les plus attractifs et les plus compétitifs au
monde. À noter que ce type de financement est intéressant dans le cadre
d’une deuxième année de postdoc. Le dossier de candidature demande
une certaine préparation généralement réalisée en collaboration avec un
10  https://marie-sklodowska-curie-actions.ec.europa.eu/
334 n TROUVER SA VOIE

chercheur déjà identifié et sur un projet réfléchi avec plusieurs parties


prenantes.
Le dernier outil, et sûrement le moins stable, est le bricolage de son fi-
nancement. Même s’il revêt un statut plutôt précaire, ce dernier peut être
intéressant à considérer. Bien évidemment, tout dépend de ses condi-
tions. Par exemple, le format peut s’apparenter à une partie payée par
l’institution, et une partie payée par des cours en vacation réalisés en
parallèle. Ou encore, une partie payée par des prestations de conseils
et une partie payée par un projet de recherche intégré, par exemple, à
une chaire. Tout est possible, et parfois acceptable, si le projet offre des
conditions soutenables à la bonne réalisation de son projet de recherche.
Cela serait dommage de se priver de ces options, si elles permettent une
transition vers un cadre plus stable.

Figure 1 : Les outils financiers du postdoc

Conclusion
Si toutes les expériences postdoctorales sont uniques, vous l’aurez
compris : il s’agit d’un projet avant tout axé sur la recherche. Nos expé-
riences respectives du postdoc ont été un véritable tremplin en matière
de recherches, mais aussi d’enseignements, de culture et de projets insti-
tutionnels, valorisés à plus long terme. Cela nous permet de développer
ici le lien, encore souvent invisible, entre un postdoc et une prise de poste
dans une institution académique, thème développé dans le chapitre 19.
Dans certaines institutions, et selon les équipes de recherches, il peut
être tout à fait essentiel voire presque indispensable de réaliser un post-
doc avant une prise de poste dans ces mêmes institutions. Cela peut
Postdoc or not Postdoc ? n 335

être le cas en université, avec des contrats à durée déterminée avant un


poste titularisé, ou en école de commerce, avec des contrats bien ciblés
de postdocs. Cette nécessité n’est pas toujours clairement affichée. Dans
certains cas, elle peut être clairement assumée, dans d’autres, c’est un
non-dit, mais structurant dans la pratique. Elle fait partie des codes sou-
vent implicites de notre « milieu » académique. En ce sens, le postdoc
est très souvent l’occasion de « faire ses preuves » : il est garant de nos
capacités à satisfaire les exigences de publication, tout en maintenant
un certain engagement dans la vie de son institution et auprès de ses
collègues.
Alors, à la question « postdoc or not postdoc ? », nous répondons
comme suit. Si la décision de se lancer dans l’aventure et les raisons
que vous pourrez lui donner vous appartiennent, voici trois conseils qui
vous seront utiles, du moins nous l’espérons : (1) avoir un projet pro-
fessionnel cohérent avec le postdoc, (2) trouver le juste équilibre pour
développer ses projets recherche, et (3) préserver son équilibre personnel
et ne pas s’engager dans un postdoc sans maintenir les conditions né-
cessaires à sa bonne réalisation. Bien évidemment, le postdoc dans une
institution académique n’est pas la seule voie envisageable pour un jeune
docteur, en particulier s’il souhaite ne pas poursuivre dans l’unique voie
de la recherche et l’enseignement. Le chapitre 18 porte sur ce thème de
« l’après-thèse en dehors des institutions ».

Références
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pects. Higher Education Research & Development, 24(1), 21-40.
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