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Angebert, Jean-Michel (2015) Les Mystiques Du Soleil D'Akhenaton À Mao Tsé-Toung
Angebert, Jean-Michel (2015) Les Mystiques Du Soleil D'Akhenaton À Mao Tsé-Toung
www.camionnoir.com
ISBN physique : 978-2-35779-601-0
ISBN numérique : 978-2-35779-602-7
Dépôt légal : mai 2015
Illustration de couverture : Akhenaton.
Préface à l’édition 2015
Quarante ans séparent l’actuelle édition des « Mystiques du Soleil » du
premier tirage de cet ouvrage qui n’a pourtant rien perdu de son actualité.
Une actualité qui plonge ses racines dans la pérennité du Cosmos au sein
duquel évolue l’incompréhensible destin de l’Homme qui doit son
existence, à la vie, le mouvement et l’être à la lumière de l’Astre qui nous
gouverne comme un roi.1
Tant il est vrai que les grandes cosmogonies, les récits fondateurs de
religions placent le mythe solaire au centre de leur conception du monde.
Les cycles de l’humanité, fidèles au principe de l’ « éternel retour »
mesurent le temps à l’échelle de l’année solaire et de la course de notre
planète autour du Soleil dans ce qui est convenu d’appeler sa « révolution. »
Quand les peuples choisissent la lune comme astre de référence, ils ne font
que s’en rapporter dans leurs mesures à ce reflet de la lumière centrale de
notre système planétaire, miroir féminin du Logos, le « premier moteur »
d’Aristote et de Platon.
Trois sortes d’hommes régissent le destin de l’humanité dans leur
relation au temps qui s’écoule, inexorable, dans notre univers
tridimensionnel : ceux qui suivent la marche du temps déterminent leurs
actes en utilisant les instincts des masses et laissent dans l’histoire une trace
sanglante, honnis, après leur chute, après avoir été adulés de leur vivant.
Ceux qui luttent contre le temps, refusant l’injustice de l’ordre établi et
prétendent imposer de nouvelles normes en réaction contre les anciennes,
d’autres enfin, plus nobles qui parviennent à surmonter le temps en se
référant aux lois éternelles des grands instructeurs laissent dans l’histoire
une trace lumineuse.
Ainsi investis d’une mission prophétique, ils peuvent entraîner les
hommes vers un destin glorieux mais aussi, par leur démesure, provoquer
des catastrophes à la hauteur de leurs ambitions sans limites. On pense à
Napoléon. N’écoutant plus que leur orgueil et leur volonté de puissance, ils
deviennent les artisans du chaos et sont broyés par les forces tutélaires qui
leurs imposaient de n’utiliser que la magie blanche en vue de réaliser
l’IMPERIUM SOLAIRE.
Au lieu de quoi, les énergies qui proviennent de la lumière solaire et du
rayonnement cosmique, se transforment en vecteurs de mort et de
destruction.
Ainsi, on peut regarder Akhenaton, « Joie du Soleil », comme un grand
instructeur, un fondateur et un prophète en même temps qu’un prêtre et un
roi, un homme « au-dessus du temps » ; il partage ce destin hors du
commun de réformateur religieux avec Zoroastre (Zarathoustra), le grand
prophète de l’Iran, « Aryanamvaejo », la « Terre de Lumière ».
A un degré médian prennent place Alexandre le Grand, conquérant du
plus vaste empire de l’Antiquité, Frédéric II Hohenstaufen, restaurateur de
la pourpre impériale au Moyen-Âge ; ce sont des hommes contre le temps
qui connurent le prix de ce combat. Napoléon est également de ceux-là.
Enfin, la dernière catégorie est celle des hommes « dans le temps » qui
utilisent les grands courants d’énergie présents dans le peuple, la terre et le
sang et sont responsables de catastrophes ou de malheurs inouïs. On peut
ranger parmi eux Hitler et Mao Tsé-Toung en raison des millions de
victimes immolées en leur nom, ils laissent dans l’histoire une trace
sanglante et des blessures profondes parmi leur peuple.
Que conclure ?
La mystique solaire n’a pas dit son dernier mot avec la fin du XXe siècle
et l’entrée de l’humanité dans le troisième millénaire. Les grandes
prophéties d’inspiration religieuse (Christianisme, Judaïsme, Islam)
prédisent la « naissance » d’un être d’exception qui viendra « renouveler la
face de la terre » et combattra les hordes du Mal sous la bannière de
sinople, portant l’étendard du « Soleil de Justice », appelé par les uns le
Mahdi, par les autres le Grand Monarque annonçant le Christ de la Seconde
venue et un nouvel « Âge d’or » avant la fin des temps, c’est-à-dire du
cycle terrestre sous la gouvernance du Soleil.
A l’opposé se dressera l’Antéchrist ou Seigneur de l’Ombre, armé de la
puissance terrifiante du Soleil Noir (l’arme absolue de l’antimatière) ; lui
aussi se proclamera « Fils du Soleil » mais son masque d’usurpateur et
d’imposteur sera arraché à l’issue de longs combats et de terribles
événements.
Telle est du moins la prophétie qui marque ce troisième millénaire et doit
s’accomplir comme la révolution zodiacale des douze signes. Alors ?
SOLEIL DES VIVANTS ou SOLEIL DES MORTS ? Les deux se
rejoignent dans la « fin des temps » ou huitième jour qui réconcilie les
inconciliables Soleil visible et Soleil invisible.
Nous dédions la nouvelle édition de cet ouvrage à la mémoire de
Georges Soulès, prophète incompris dans son pays, auteur du livre-clé « Les
Yeux d’Ezéchiel sont ouverts » et dont l’écrivain voyant Jean Parvulesco a
décrypté le message dans LE SOLEIL ROUGE DE RAYMOND
ABELLIO.
Vincit Omnia Veritas.
J.M. ANGEBERT
1. Il nous a néanmoins semblé semblé nécessaire de réactualiser certains passages à la lumière des
événements survenus depuis 1971 en tenant compte des travaux historiques et des recherches les plus
récentes concernant notre sujet. De même d’y ajouter des notes explicatives susceptibles d’éclairer le
lecteur de 2015 en approfondissant plusieurs thèmes majeurs et en ouvrant de nouvelles perspectives.
Avant-propos
Sol Invictus ! Par cette exclamation, les adorateurs de Mithra saluaient
l’astre du jour, comme bien avant eux le tout-puissant pharaon d’Égypte,
Akhenaton (« Aimé du Soleil »), qui fit du Soleil : Râ, le dieu unique,
émanation de l’Innommé, comme plus tard les mazdéens, guidés par
Zoroastre, honoreront Ormuzd, le dieu-Lumière de l’Iran, avant Alexandre
le Grand, fils de Zeus-Amon, conquérant de l’Univers, et l’empereur
romain Julien, injustement nommé l’Apostat, qui reçut, aux derniers feux
du paganisme, l’initiation du suprême LOGOS.
Ces quatre noms sont associés, dans le déroulement des siècles qui
forment l’ère du Bélier, puis du Taureau, aux plus grands événements de
l’Antiquité. Un lien mystérieux, tissé dans une aura surnaturelle, unit ces
hommes qui furent tous des « mystiques du Soleil » en même temps que des
chefs spirituels et temporels ayant eu le plus souvent à gouverner un
immense empire. Enfants du Ciel, ils se sont placés sous la protection du
Feu cosmique et ce n’est pas en vain que les dynasties royales, au Japon
comme au Pérou, ont vu leurs monarques se proclamer « fils du Soleil ». La
science moderne elle-même, n’en déplaise aux sceptiques, vient conforter
encore les anciennes légendes, puisque, retrouvant le système
héliocentrique découvert par les Anciens, elle a démontré que toutes les
planètes constituant notre univers immédiat, y compris la Terre, étaient des
particules détachées du Soleil. L’astre rayonnant est donc bien notre père
dans le domaine céleste, comme il l’est dans l’ordre des choses visibles et
invisibles.
Expliquons-nous : partout, depuis le fabuleux Empire « hyperboréen »,
qui vit grandir la race des « Géants », depuis les glorieuses et mythiques
dynasties des rois-pontifes de l’Atlantide, mère de nos civilisations, le
disque d’or, centre de notre univers planétaire, symbole de vie fécondante et
de joie, lumière rayonnante de puissance et de force, est salué par tous les
peuples de l’hémisphère boréal comme le vivant symbole, l’incarnation
triomphante de la Divinité, le vainqueur des forces inertes et stériles issues
du chaos, et celui qui renaît chaque jour après la longue attente nocturne
peut bien apparaître comme l’image éternelle d’un miracle sans cesse
renouvelé.
Dans sa mystérieuse alchimie, le Soleil condense, sur le plan astral, les
forces inorganiques et les énergies immenses contenues dans le cosmos, et
cette vitalité prodigieuse, qui semble constamment renouvelée, participe
vraiment de la puissance divine si, derrière le Soleil visible, éclatant
luminaire, demeure, brasier immense infiniment plus vaste et plus terrible,
le Soleil invisible, le Soleil noir des alchimistes et des mages, ainsi nommé
pour son terrible éclat, émanation dissimulée à nos yeux du logos divin…
Aussi bien, il n’est pas donné aux humains, dans cette vie tout au moins, de
contempler ce feu spirituel, tellement brillant qu’il brûlerait notre âme pour
l’éternité. Par contre, les textes sacrés de l’humanité, tels le Livre des morts
égyptien ou le Bardo Thôdol (« Livre des morts ») tibétain, font état de
cette lumière qu’il nous sera donné de contempler de l’autre côté du miroir,
c’est-à-dire après notre mort terrestre. C’est le Soleil d’Osiris des prêtres de
Memphis, la « Lumière bleue » du Plan bouddhique, le « Soleil des morts »,
celui qui, seul, guide les âmes vers l’Esprit et transcende le mystère de la
Suprême Connaissance. Le secret du logos, la connaissance du Soleil noir,
chemin de la vie et de la mort, telle était la clé des grands mystères connus
autrefois des collèges d’initiation, pontifes atlantéens, prêtres égyptiens, et
grands druides, avant que le flambeau de la tradition ne s’éteigne, soufflé
par un « vent de folie » né quelque part en Judée.
Depuis lors, la grande chaîne des initiés solaires s’est rompue et seule la
magie, science à double tranchant, peut encore ressusciter un instant les
secrets de la connaissance perdue. C’est ici que se noue le drame du monde
moderne : par les méthodes et les procédés qu’elle implique, la magie,
lorsqu’elle n’est pas dans les mains d’hommes absolument purs et sans
défaut, conduit presque fatalement au déchaînement des « forces noires »,
canaux d’énergies inconnues et terriblement dangereuses, tenues à l’écart
par les membres des collèges d’initiation aux temps révolus qui voyaient
l’homme converser avec l’Univers.
Lorsque ces forces immenses sont délivrées de leur prison matérielle,
rien ne peut plus arrêter leur pouvoir de destruction et de mort. « Ce qui est
en haut est comme ce qui est en bas », a écrit Hermès Trismégiste (le « trois
fois grand ») dans la « Table d’Émeraude », et l’alchimie, cette science
suprême, peut indifféremment servir le Bien ou le Mal, donner la pierre de
Sagesse des philosophes ou libérer les atomes de la bombe thermonucléaire.
Et c’est bien pour retrouver cette science, pour renouer avec le fil de la
tradition atlantéenne occultée par le christianisme que des hommes ont
repris, après la ruine du monde antique, la quête « sacrée » un moment
interrompue. Mais, cette fois, le Soleil des hommes ne peut plus les guider,
obscurci par l’ombre gigantesque de la croix, et le chemin à rebours qui
conduit vers la mystérieuse Terre verte, la royale Hyperborée, siège de la
mystique Thulé, passe par les pratiques magiques. Qu’il s’agisse de
l’alchimie, art royal, de l’astrologie, mère des sciences hermétiques, ou de
tout autre instrument de recherche, la voie se révèle infiniment périlleuse et
le chemin étroit, bordé de précipices. Trois hommes, marqués par le sceau
du Destin, sans qu’il soit question de les juger ici, ont osé porter le « fer
rouge » dans l’histoire de l’Europe, sans toutefois réussir à briser le « cercle
de fer de l’ignorance », et ces trois noms résonnent comme les trois coups
annonçant la naissance d’une tragédie : Frédéric II, l’empereur
d’Allemagne, domine le Moyen Age, Napoléon éclipse toutes les gloires
des Temps modernes, Hitler, dans sa folie et sa démesure, détruit les images
des hommes politiques contemporains.
Ces trois hommes, aussi éloignés qu’ils semblent être par le destin,
l’époque, la mentalité, sont, en réalité, au-delà des contingences humaines,
unis par des liens puissants et secrets. Tous trois ont eu à lutter, pour asseoir
leur hégémonie spirituelle et temporelle, contre l’Église, ennemie de la
pourpre impériale, reflet de la majesté solaire, tous trois, dans leur quête
désespérée, n’ont pu réaliser leurs mystiques desseins, et leur destin
tragique s’éteignit dans un crépuscule de sang. La « queste » de la
connaissance perdue est toujours ouverte et le « siège périlleux » des
romans de la Table ronde attend encore son « chevalier fol et pur ». Ni
Frédéric II, empereur des Allemagnes, roi des Romains, dans sa tentative
suprême de retrouver, à la lumière de l’intelligence, le Soleil des
alchimistes, le « Lion rouge » des philosophes, ni le grand Napoléon, dans
sa quête héroïque et guerrière autour du Zodiaque, tel l’Aigle de
l’apocalypse, ni enfin Hitler, ce nouveau Galaad wagnérien, errant à la
poursuite d’un GRAAL inaccessible et du Soleil noir, n’ont réussi à
retrouver la lumière occultée depuis qu’un terrible cataclysme engloutit, il y
a dix mille ans, l’Atlantide et sa capitale Poseidonis sous les flots
tumulaires de l’Océan.
Si, pourtant, le trésor spirituel légué jadis par la « race divine » des
« hommes de Thulé » ne fut pas perdu grâce aux premières dynasties
solaires d’Égypte, son message devint peu à peu inintelligible aux hommes
déchus et les textes tronqués et dégradés furent à jamais consumés le jour
où retentit ce cri de désespoir : « Le Grand Pan est mort ! »
Ainsi, le Soleil des vivants a disparu et seul demeure, à ce jour, le Soleil
des morts. Pourtant, d’après le calendrier de l’Univers inscrit dans le
Zodiaque, notre ère actuelle, dominée par le signe des POISSONS (symbole
du christianisme), doit bientôt prendre fin pour voir lui succéder l’ère du
VERSEAU ou de l’ « échanson des dieux », Ganymède, enlevé par l’aigle
de Zeus (Jupiter). Après cette dernière phase, les événements doivent se
précipiter, et si nous approchons vraiment de la fin du cycle terrestre actuel,
celui que les Hindous, dans leur sagesse millénaire, nomment le KALI-
YUGA (qui signifie le triomphe de Kali, déesse de la Mort et du Sexe),
c’est-à-dire l’âge de fer, qui succède aux âges d’or, d’argent et d’airain, la
destruction de notre vieux monde pourrait devenir une solution à envisager
sans dépit, s’il est vrai qu’à l’Orient, lieu où le Soleil se lève, bien loin de la
petite Palestine, apparaît une lueur rouge, annonciatrice d’une nouvelle
aurore.
La Chine, l’Empire céleste, dragon ensommeillé depuis mille ans, s’est
réveillée brusquement, enflammée par le SOLEIL ROUGE de Mao Tsé-
Toung, et la révolution chinoise risque fort de mettre bientôt un terme à
l’ère des Poissons. Cette flamme, allumée au bûcher de la révolte de
l’Esprit, devra-t-elle embraser toute la planète ?1
Nous ne saurions répondre à cette angoissante question que nous
développerons en conclusion et, puisque nous ne sommes pas encore arrivés
au terme de ce bouleversement, même si la perspective d’une rénovation
intégrale par le feu n’est plus tellement éloignée, c’est pour ressusciter les
figures à la fois inquiétantes et grandioses des sept personnages,
poursuivant leur « queste » solaire comme les sept planètes de l’astrologie
traditionnelle, que ce livre a été écrit. Les quatre premiers « Grands Êtres »
se vouèrent au Soleil des vivants, les trois derniers au Soleil des morts ; et
parce que, un jour secret, ces « mystiques du Soleil », ces hommes qui
n’étaient plus tout à fait des « hommes », reçurent l’étincelle farouche de
l’initiation, ils se heurtèrent au mur de l’incompréhension et du chaos ou
basculèrent dans le vertige de l’orgueil. Entre Zoroastre et Hitler, il y a
peut-être une moins grande distance qu’entre Bouddha et Jésus. La
métaphysique hindoue enseigne la croyance dans la réincarnation des âmes
au cours de vies successives. Qui nous expliquera autrement le mystère de
la filiation solaire qui rattache un Alexandre à un Napoléon ? La roue du
Samsâra des brahmanes aryens, roue du Temps, roue du Soleil, peut
prendre la forme du Svastika, ou croix gammée, sans que jamais s’arrête
son incessante giration qui nous entraîne dans le tourbillon de la vie et de la
mort. Hypnotisés par ce spectacle, aurions-nous été trompés en contemplant
le monde de l’Illusion ?… Cette aventure occulte, qui ne ressemble pas à un
conte, contribuera, espérons-le, à dissiper bien des nuées et bien des fausses
croyances.
1. La mort de Mao le « grand Timonier » en 1976, survenue avant le nouveau commencement du
Vingt et unième siècle a ouvert pour l’Empire du Milieu une nouvelle Ere dont on ignore si elle
débouchera sur un troisième conflit mondial et un asservissement temporaire de l’Europe, vaincue
par le « péril jaune » ou sur une disparition complète de la civilisation sous l’effet de guerres à
l’immense pouvoir de destruction (par la glace et le feu), en conformité avec les prophéties
concernant la « fin du monde ».
Introduction
On a dit des étoiles qu’elles étaient l’horloge de la destinée, les douze
signes du Zodiaque formant le cadran, le Soleil et les planètes l’aiguille des
heures indiquant l’année ; la Lune, quant à elle, représente l’aiguille des
minutes indiquant dans quel mois de l’année le destin de chaque individu
s’accomplira…
L’astrologie, art royal par excellence, est à la base de tous les mythes
religieux : nous voulons parler des mythes « astrologiques », et non
« astronomiques », cette réflexion étant à même de nous éclairer pleinement
sur le choix du Soleil comme symbole religieux replacé dans son contexte
ésotérique.
Si l’on veut bien supposer l’existence, dans la nuit des temps, d’une
« astrologie intégrale » comprise comme science et comme tradition
primordiale, l’initié, ou l’astrologue, disposant d’une telle connaissance des
secrets de l’Univers se trouvera capable de réaliser ce que l’on pourrait
qualifier aujourd’hui de « prodiges scientifiques », voire de véritables
« miracles » au regard des profanes. Un tel homme, possédant le monopole
de la connaissance, invoquera immanquablement l’inspiration de Dieu, ne
serait-ce que pour éviter l’envie et la cupidité de ses semblables.
Qu’un deuxième astrologue apparaisse maintenant : l’un comme l’autre
placeront leurs travaux sous les auspices d’une divinité particulière dans le
but de différencier leur science. Ainsi le premier choisira la paternité du
Soleil, le second celle de la Lune. Viennent d’autres « mages », ils agiront
de même, multipliant à l’infini les divinités, créant de nouveaux temples et
de nouvelles religions. La dégénérescence d’un « savoir » originellement
pur est alors fatale.
L’astrologue s’est transformé en prêtre, il s’enfonce de plus en plus dans
la mystification qui fait de lui un « thaumaturge » auteur de guérisons
imaginaires dont les « miracles » sont attribués arbitrairement au dieu de tel
ou tel temple. Telle divinité devient « spécialiste » de tel miracle, telle autre
est invoquée pour tel « article », et ainsi de suite.
C’est dans cette direction qu’il faut chercher si l’on veut comprendre la
genèse de notre civilisation judéo-chrétienne et ses difficultés présentes.
Dès que dans un sanctuaire le « miracle » ne se produit plus, dès que
l’Oracle ne rend plus son verdict, le scepticisme naît et mine les dogmes.
C’est alors la ruine d’une civilisation fondée sur la « magie » et sur les
principes dogmatiques qui en sont dérivés.
Notre effondrement est tellement visible, la crise que nous traversons
tellement profonde que nos dirigeants n’essaient même plus de nous le
cacher ; c’est à peine s’ils préconisent — avec une sorte d’ennui — des
remèdes inutiles. Voyons la réalité en face : notre monde actuel est
condamné sans rémission.
Pour mieux saisir l’origine et la portée d’un tel débat de conscience, il
est indispensable de se pencher sur les mythes et les symboles qui forment
l’« état civil » de notre cosmogonie et le « moule en creux » dont nous
avons tous subi l’empreinte. Nous prenons alors conscience de l’importance
exceptionnelle du mythe solaire que nous retrouvons à l’origine de tous les
livres sacrés, et la Bible n’y fait pas exception. La tradition « occulte » nous
apprend en effet qu’il y eut une époque où l’obscurité régnait sur les
profondeurs de l’espace : c’était le « grand silence » et la « grande nuit »
chère aux occultistes. Cette période fut suivie par une autre phase, placée
sous le signe de la luminosité : c’est l’époque du « brouillard de feu », de la
« mer d’airain »… Enfin s’ouvrit le troisième âge, dominé par le froid qui
provoqua, par répétition du bouillonnement des eaux suivi d’une
évaporation continue, la naissance de notre croûte terrestre et son
peuplement par nos ancêtres, après solidification.
Mais quel est, dans tout cela, le rapport avec le Soleil, fera-t-on
observer ?
Il s’agit — oserons-nous dire — d’un « rapport » direct, car la Terre et la
Lune, dans une époque reculée, ont à l’origine fait partie du Soleil mais se
sont par la suite détachées de cet astre. C’est du moins ce que nous enseigne
la « grande tradition », rejoignant ainsi les dernières hypothèses
scientifiques. Une preuve a contrario de cette dépendance Terre-Lune et
Terre-Soleil nous est fournie — selon les critères de l’astrologie — par
l’influence qu’exercent les deux luminaires sur les individus. On peut
résumer cette réflexion en constatant chez certains êtres la primauté de
l’élément « solaire » ou bien « lunaire » dans leur caractère et leur
comportement… Ainsi le Soleil détermine les qualités viriles du courage et
de la volonté alors que la Lune suscite les qualités féminines de la
sensualité et de l’imagination… En développant ce dernier point, nous
comprenons mieux, par exemple, l’influence des cycles lunaires sur
l’organisme féminin ou dans le domaine du symbolisme, le mythe de l’
« androgyne » ou de l’ « hermaphrodite ».
Mais, ce qui est plus important encore, c’est le « support » religieux et
mystique apporté par ces deux astres, le Soleil et la Lune. De là sont dérivés
le « feu » et « l’eau », forces de « relais » que nous retrouvons, le premier
chez les Parsis (adorateurs du feu et modernes descendants de Zoroastre), le
second chez les chrétiens dont les fonts baptismaux (dans l’Antiquité les
piscines d’eau lustrale) figurent l’épreuve de l’eau. Soulignons ici que le
mariage de ces deux éléments a été célébré dans les temples du monde
entier à toutes les époques de l’humanité : l’union du « feu solaire »
(principe masculin) avec « la terre et l’eau » (élément féminin) a été repris
dans l’union mystique « du pain1 et du vin » dont le caractère sacré est
représenté par la fusion des deux éléments.
A la lumière de ces explications, nous pouvons constater aisément les
différents emprunts du christianisme à la religion solaire : il est juste,
maintenant, d’analyser le mythe du « temple de Salomon », qui fit de
nombreux adeptes et servit de point de départ à de célèbres mouvements
ésotériques. Nous nous apercevons, ici encore, que, si l’on examine le côté
cosmique de cette construction, le temple de Salomon est l’Univers solaire
par excellence dont le grand maître : Hiram (l’ancêtre des francs-maçons),
est le soleil lui-même. Ce dernier voyage autour des douze signes du
Zodiaque où voit s’accomplir le drame mystique de la légende maçonnique.
C’est donc à bon droit que l’on peut parler d’initiation solaire chez les
maçons. Et, ici, nous touchons à un autre « point d’éclatement » de cette
mystique solaire : nous voulons parler des mythes nordiques et
hyperboréens qui eurent le succès que l’on sait dans la cosmogonie
hitlérienne : que l’on songe au fameux « marteau de Thor » (dieu de la
mythologie nordique) frappé du svastika (croix gammée). En effet, la
légende maçonnique révèle à ses initiés que le grand maître, Hiram, se
servit d’un marteau pour appeler ses ouvriers ; ce même marteau avec
lequel Thor fit sortir le feu du ciel (c’est-à-dire la foudre de Jupiter : autre
exemple de l’unité de toutes les traditions humaines). C’est en partant de
l’instrument du grand dieu nordique et de la légende guerrière qui lui sert de
corollaire (les Vanirs, ou divinités des Eaux, ayant été vaincus par les
Aesirs, ou divinités du Feu) que le savant nazi Horbiger put bâtir sa
cosmogonie, c’est-à-dire l’origine de notre système planétaire, en voyant
dans la lutte millénaire du feu (d’origine solaire) et de la glace (d’origine
lunaire) la justification de ses conceptions.
Cela étant posé, le problème commence à trouver un début d’explication
et ainsi s’éclairent les nombreux symboles qui accompagnent la mystique
solaire : le plus représentatif pouvant être trouvé dans l’aigle, l’oiseau du
Soleil. Ce choix, qui répond à des considérations purement ésotériques
(l’aigle étant le seul oiseau qui puisse regarder le Soleil en face), trouve son
illustration dans l’oiseau de Zeus consacré au Soleil par tous les anciens
peuples et qui fut, chez les druides, le symbole de la déité suprême. De la
même manière, les kabbalistes juifs, les gnostiques chrétiens et préchrétiens
l’adoptèrent, avant que les R + C ne le placent au pied de la croix… Bel
exemple de filiation solaire dont l’explication occulte réside dans le fait
qu’il est le symbole de chaque « voyant » interrogeant la « lumière astrale »
et y découvrant l’ombre du passé, du présent, de l’avenir, et ce aussi
facilement que l’aigle « fixe » le Soleil…
Nous revenons, à ce point de notre recherche, sur les traces de
l’astrologie, cet art royal aujourd’hui si controversé mais dont l’influence
demeure incontestable dans la création des mythes religieux, comme nous
venons de le constater. Est-ce à dire que ces mythes « astrologiques » sont
aujourd’hui perdus et que nos civilisations sont condamnées à disparaître
avec les religions mortes qui les accompagnent ? La sagesse nous
commande de répondre par la négative car l’histoire rappelle qu’il y eut des
hommes, comme Galilée, pour déclarer que la Terre était ronde et tournait
sur elle-même dans sa révolution autour du Soleil au risque de se faire
brûler comme de vulgaires sorciers : chose qui — entre parenthèses — était
connue et enseignée dix mille ans avant le Christ et même Moïse. L’histoire
nous enseigne qu’il y eut aussi, beaucoup plus près de nous, des hommes,
comme Schliemann, pour partir à la découverte de Troie en s’appuyant sur
la légende de l’Iliade, n’en déplaise aux sceptiques !
La conjuration du silence, servie par nos modernes sectateurs
matérialistes, qui refusent aux autres le droit imprescriptible à la vérité, est
appelée à céder le pas devant les exigences proprement métaphysiques du
genre humain : les cléricalismes de tout acabit n’ont pu que retarder
l’échéance, ils sont désormais impuissants à empêcher l’homme de
réfléchir : la dernière guerre mondiale, avec le déchaînement du
matérialisme, n’a fait que renforcer ce processus.
Les sceptiques ou les esprits superficiels qui qualifient de « trafiquants
de lumière » les adeptes de l’ésotérisme ne se rendent pas compte de la
somme d’efforts qu’il a fallu aux alchimistes, chercheurs, kabbalistes et
occultistes de toutes les époques pour continuer leurs travaux malgré les
persécutions de tous genres dont ils ont été les victimes de la part des
religions « officielles ». De quel côté sont alors les « trafiquants de
lumière » ? Du côté de la Bible, peut-être, car ce n’est pas nous qui avons
arrêté le Soleil sur l’ordre de Josué ! Il est vrai que Jéhovah ne peut se voir
traité d’imposteur…
Nous préférons élever le débat et penser qu’il est des esprits dont la
raison se noie dans des phrases et des dogmes ; la foi étant pour ces gens-là
le premier et seul facteur de salut. Libres à eux de cultiver cette sorte
d’obéissance aveugle. Credo quia absurdum (« C’est parce que c’est
absurde que je crois »), disait Pascal : rien n’est nouveau sous le Soleil ! La
phrase de saint Luc répond à cette affirmation : « Vous avez volé la clé de la
science, vous n’y êtes pas entrés, mais ceux qui voulaient y entrer, vous les
en avez empêchés » (XI, 52).
L’hypothèse solaire de la création du globe terrestre et son influence
sur les êtres humains
Malgré l’énergie et les efforts déployés par les premiers chrétiens pour
effacer toute trace de l’histoire préchrétienne, les résultats n’ont pas été
toujours conformes à leurs vœux. On doit se féliciter de cette défaite du
pharisaïsme et de la stupidité, mais c’est avec prudence que l’on doit se
glisser par les issues « non obstruées » vers le « paradis perdu ». S’il n’est
pas encore ruiné, le rempart compliqué érigé par les premiers Pères de
l’Église réserve cependant quelques échappées laissant pénétrer comme à
regret la « lumière originelle » ; mais les chausse-trappes restent
nombreuses sur un chemin qui emprunte pour beaucoup la voie de la
facilité.
Il est universellement reconnu dans toutes les traditions que deux
symboles expliquent notre création : il s’agit de l’ « œuf du monde » et du
« serpent » qui lui sert de support. Le premier de ces symboles est complété
par l’ « arbre de vie » en étroite relation avec le Soleil, comme nous allons
le voir.
Dans la Genèse, il est dit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la
terre » ; on a beaucoup ergoté sur cette phrase alors que la réponse est tout
entière contenue dans la forme de l’ « œuf du monde » dont les deux
moitiés, en se séparant, formèrent respectivement le ciel et la terre… Si
nous remplaçons le mot « ciel » par le mot « soleil », nous comprendrons
mieux pourquoi le ciel est représenté universellement sous la forme d’un
disque. Le symbole de l’ « arbre de vie » doit donc être interprété comme
l’image d’un « pont » menant de la Terre au Soleil et gardé par le fameux
serpent.
En développant rapidement ce symbolisme solaire, voici ce que nous
obtenons : la « Toison d’or » des Argonautes est placée sur un arbre et la
garde en est confiée à un serpent ; il en est de même pour les « pommes
d’or » du jardin des Hespérides, qui sont assimilables aux douze soleils
(Adityas) de la tradition hindoue. Il en résulte donc que, dans toutes ces
traditions, les fruits de l’ « arbre de vie » sont autant de « projections » du
soleil et autant de manifestations de son essence unique et invisible. Il est
remarquable que ces douze soleils se retrouvent en Chine et dans les signes
du Zodiaque ou les douze mois de l’année. On se rappellera enfin le serpent
du « paradis terrestre » que l’on rapprochera du kneph égyptien qui
s’apparente au serpent druidique, ces deux serpents étant représentés tenant
l’ « œuf du monde » dans la bouche. Ces éléments sont à retenir pour qui
veut comprendre le phénomène de la « cosmogenèse », ou naissance de
notre cosmos.
L’ensemble de ce symbolisme solaire est dit « polaire » et il faut ici
ouvrir une parenthèse : nombreux sont ceux qui emploient l’adjectif
« polaire » sans discernement. Ce qui apparaît en réalité comme probant
c’est la constatation que la « solidification » d’une planète commence
toujours par le pôle, car c’est l’endroit où sa rotation est la plus lente. Il est
admis que la partie la plus « visqueuse » de cette planète se fraye
graduellement un chemin vers l’équateur, suivant les lois de la force
centrifuge. Ainsi, c’est bien au pôle que la vie terrestre a dû apparaître et se
développer pour la première fois. Ce n’est pas pour une autre raison que les
fameux « Hyperboréens » sont situés au pôle. Comment expliquer dans ce
cas l’état désertique et glacé de cette partie du globe ? Il faut bien admettre
que celle-ci a, au moins une fois, changé d’emplacement comme si la Terre
avait basculé sur son axe après avoir reçu un gigantesque « coup de poing »
encore perceptible dans le léger déphasage entre pôle magnétique et pôle
géographique.
Il est aujourd’hui acquis, pour une raison ou pour une autre, que la vie
est bien apparue dans la région « boréale » actuelle. Ce phénomène « vital »
est en étroite corrélation avec le symbolisme du svastika dont les deux sens
de rotation (senestrogyre et dextrogyre) représentent les deux axes de
giration autour des deux pôles (Nord et Sud) à la manière d’une hélice
d’avion. L’axe de cette rotation se confond ici avec l’ « arbre de vie »,
encore appelé « axe de monde ». Ajoutons — pour ceux que cela intéresse
— que le serpent, dans la symbolique hyperboréenne, était remplacé par le
cygne, le Soleil étant représenté sous la forme de l’Apollon hyperboréen.
Si nous reprenons successivement les termes de notre « enquête », nous
en arrivons tout naturellement à la conclusion suivante : la partie séparée du
Soleil devenue la Terre le fut à la fin de l’époque hyperboréenne. Notre
planète se solidifia lentement à partir des pôles (dans le cas contraire, la
masse solidifiée aurait été rejetée dans l’espace), qui virent apparaître les
premiers habitants évolués de notre globe… Le Soleil devint l’objet de leur
vénération. C’est ainsi que les mêmes mythes originels et les mêmes
symboles furent adorés par les descendants de ces premiers habitants qui
essaimèrent par la suite sur toute la planète. Plus tard, la Lune et d’autres
astres, eux-mêmes éjectés du Soleil, firent leur apparition, parmi lesquels
Vénus (les premiers chrétiens ne connaissaient que six planètes, malgré les
recherches astrologiques des Babyloniens).
Ainsi résumées, les diverses traditions rapportent les mêmes
cosmogonies avec plus ou moins de précisions. Malheureusement, dès le
départ, il semble que les êtres humains n’aient pas vécu dans une harmonie
parfaite : les traditions nous rapportent d’abord la séparation des sexes
(expliquée par Platon dans le Banquet), ensuite les influences astrologiques
qui marquèrent de leur empreinte progressive les habitants de notre planète.
C’est dans cette direction — croyons-nous — qu’il faut chercher la lutte des
Géants contre les hommes et la victoire de ces derniers.
Le public moderne se passionne pour tout ce qui concerne cette
recherche — que l’on se souvienne du Troisième Œil, de T. Lobsang
Rampa2, encore dans toutes les mémoires — avec raison, même si le récit
de la découverte, en Asie centrale, de momies de « Géants » est bien
antérieur à l’époque des fusées. A la fin du XIXe siècle, le voyageur
militaire russe Prjevalski mit au jour, près de l’oasis de Tchertchen, les
ruines de deux cités énormes dont la plus ancienne, d’après la tradition
locale, fut détruite il y a trois mille ans par un « héros géant », et l’autre par
les Mongols, au Xe siècle de notre ère, donc à une époque relativement
récente. L’écrivain russe nous rapporte qu’on y trouvait de temps à autre des
cercueils, faits d’un bois impérissable, contenant des corps embaumés en
parfait état de conservation… Toutes les momies mâles sont celles
d’hommes exceptionnellement grands et fortement bâtis, avec de longs
cheveux ondulés. Mais l’écrivain et explorateur poursuivait :
- Une autre fois, dans un cercueil à part, nous avons découvert une jeune
fille… Ses yeux étaient fermés par des disques dorés, et les mâchoires
solidement retenues par un anneau d’or qui passait sous le menton et sur le
sommet de la tête. Elle était vêtue d’une étroite tunique de laine, son sein
était couvert d’étoiles dorées, et ses pieds étaient nus.
Le narrateur rappelle ensuite que, tout le long de la rivière Tchertchen,
on rapportait des légendes au sujet de vingt-trois villes ensevelies dans les
sables du désert.
Nous nous pencherons un instant sur cette momie de la jeune femme
pour prêter attention aux disques d’or et à la symbolique stellaire de sa
parure qu’envieraient les girls du Lido. Dans toutes ces descriptions, une
chose nous frappe plus particulièrement : c’est cette « religion du cosmos »,
cet accord parfait avec notre système solaire. Le fait, en lui-même, n’est pas
spécifique au Tibet et à l’Asie centrale, l’Amérique latine recelant
également des mystères « solaires » en très grand nombre.
Dans son ouvrage, Hommes et Civilisations fantastiques, Serge Hutin,
dont la réputation et le sérieux font autorité, nous rapporte le compte rendu
d’une expédition organisée par la « Main rouge », ordre éminemment secret
émanant de la R + C, dans la jungle sud-américaine :
Nous apprenons ainsi ce qu’était le gigantesque disque d’or translucide
qui se trouve conservé dans le temple le plus sacré des Incas, suspendu au
plafond par des cordes elles-mêmes d’or pur. Ce disque provenait de
l’ancienne Lémurie, d’où il avait été apporté par un couple divin, dans un
navire aérien appelé « Aiguille d’argent »… Ce disque n’était pas seulement
un objet d’adoration et de représentation symbolique du Soleil, mais aussi
un instrument scientifique dont la puissance était le secret de l’ancienne
race des temps passés. Utilisé en connexion avec un système de miroirs d’or
pur, de réflecteurs et de lentilles, il guérissait les malades qui étaient dans le
temple de lumière. De plus, il était un point focal de concentration de
qualité dimensionnelle ; frappé d’une certaine façon, il émettait des
vibrations qui pouvaient provoquer des séismes et même un changement
dans la rotation de la Terre. Réglé à la longueur d’onde particulière d’un
individu, il permettait à ce dernier de se transporter partout où il voulait,
simplement par représentation mentale du lieu où il désirait aller3.
Nous retrouvons donc, ici encore, la dévotion solaire accompagnée cette
fois de pouvoirs surnaturels et sous-tendue par le règne des géants de
Tihuanaco, qui n’est pas très éloigné du lieu de cette exploration. Faut-il
alors concevoir une force d’attraction planétaire plus forte que de nos jours
et qui expliquerait la taille gigantesque de ces constructeurs cyclopéens ?
Cette hypothèse ne doit pas être écartée puisqu’elle se trouve confirmée par
le calendrier « vénusien » de la porte du Soleil à Tihuanaco…
Des extraterrestres seraient-ils venus de la planète Vénus, issus de cette
« race de maîtres tombés du ciel » ? Si cette hypothèse est vraie, c’est dans
cette direction qu’il faut chercher le mystère de l’érection des statues
colossales de l’île de Pâques, car certains de ces blocs, pesant plusieurs
dizaines de tonnes, ont bien été transportés « par-dessus » d’autres sans
laisser la moindre trace.
Nous prenons conscience progressivement des multiples questions
soulevées par l’existence de ces civilisations « solaires » qui n’ont pas livré
tous leurs secrets et qui, aujourd’hui encore, influencent l’homme dans sa
vie quotidienne et ses habitudes religieuses, souvent à son insu.
Que dire alors des prétendus « initiés » qui oublient le sens profond du
symbolisme ésotérique de la religion, dans notre XXe siècle, si l’on veut
bien se rappeler que les voûtes des cathédrales et des églises, grecques ou
romaines, étaient, il n’y a pas si longtemps encore, peintes en bleu et
parsemées d’étoiles d’or en souvenir de la voûte céleste. Il paraît
impossible, en 1971, de faire admettre que cette voûte était copiée sur celle
des temples égyptiens où le Soleil et les étoiles étaient l’objet de l’adoration
des fidèles… Et pourtant !
La même chose se reproduit en ce qui concerne la symbolique des loges
maçonniques et ce n’est pas pour rien que la « Porte du roi de gloire »
(désignant autrefois le Soleil) fait face à l’est dans le temple…
Ce Soleil, symbole visible du Créateur, n’est pourtant qu’un voile devant
une réalité insoutenable pour nos yeux de mortels, pièce centrale de la
mystique solaire : nous voulons parler du Soleil noir.
Le Soleil noir
Les adeptes du culte solaire ont toujours eu en vue un deuxième soleil,
mystique celui-là, et que les mages et les alchimistes ont fait connaître sous
le nom de « Soleil noir ». Pour les fils du Soleil, en effet, une évolution
ultérieure était réservée aux planètes : la Terre, comme les autres, se
transformerait en soleil quand son développement serait terminé. Ce
nouveau soleil éclaterait à son tour quand son maximum d’intensité aurait
été atteint, et ainsi de suite. Au terme de cette analyse nous apercevons
comment pouvait naître un nouveau zodiaque, une nouvelle matrice pour
notre système solaire.
Mais, sur le plan humain, les êtres insuffisamment évolués restaient
prisonniers du Soleil et ne bénéficiaient pas de ce nouveau transfert. Nous
pouvons ainsi remarquer la profonde discrimination établie par cette
grandiose cosmogenèse.
Le Soleil visible, pour les Anciens, n’était pas le centre et le père des
autres planètes : il n’était qu’une émanation du Soleil central, le fameux
« Soleil noir ». Seul ce dernier était la source invisible et spirituelle de la
mécanique céleste : une véritable « centrale d’énergie », de spiritualité
« condensée » d’où les âmes émanaient et où elles retournaient finalement.
Ce disque lumineux, sorte de contretype de notre Soleil apparent, fut
« récupéré » par les alchimistes et les mages qui en firent l’émanation du
logos divin, brûlant notre âme pour l’éternité. Son apparition n’est
supportable que pour les seuls « initiés » ; des conquérants comme
Cambyse, roi de Perse, qui voulurent le regarder en face, devinrent fous et
se perdirent dans les sables du désert. Seule une illumination comparable à
celle que reçut un Zoroastre, un Akhenaton ou un Julien reste concevable.
Frédéric II de Hohenstaufen, en tant qu’adepte de l’alchimie et de
l’astrologie, invoqua lui aussi le « Soleil noir », comme Hitler devait le faire
plus tard, pour son plus grand malheur et celui des peuples tenus ignorants
de cette démarche.
L’art royal, ou alchimie, enseigne en effet la transmutation du plomb en
argent et en or, mais cette transformation, qui modifie la structure atomique
de la matière, ne peut se faire comme une vulgaire « recette de cuisine ».
L’alchimiste, qu’il ne faut pas confondre avec son imitateur, le « faiseur
d’or » ou « souffleur », en même temps qu’il purifie la matière dans son
fourneau ou « athanor », doit passer lui aussi par le même état, ce qui
signifie que son âme, à l’image de la Création, doit s’élever vers le principe
supérieur qui se confond avec l’essence divine. A ce prix seulement, il
parviendra au « grand œuvre », c’est-à-dire à l’illumination par la
connaissance. Tout le symbolisme alchimique est ainsi pénétré par la
cosmogonie solaire : l’Athanor, ou fourneau magique, est figuré comme l’
« œuf philosophal », véritable « matrice » miniature à l’image géante du
cosmos. Le petit œuvre, qui a nom aussi Ergon, aboutit à la fabrication de
l’argent et son symbole planétaire est la Lune. Le grand œuvre, ou obtention
de l’or, c’est le Parergon ou « œuvre parfaite », que l’on assimile au Soleil.
Quant à la pierre philosophale, qui donne la « poudre de projection » dont le
contact transforme les métaux en or, elle est traditionnellement rouge et son
allégorie est le Lion, signe du Zodiaque placé au zénith et dont la demeure
se trouve dans le Soleil. La possession du Parergon implique la
connaissance du « Soleil noir », qui est le principe caché de l’énergie du
logos. Tous ceux qui prétendent être des adeptes et qui n’ont pu atteindre
cet état de sublimation du corps ne sont que de vulgaires imposteurs.
Il existe bien un moyen d’atteindre directement le « Soleil noir », mais
cette voie est terriblement dangereuse, puisqu’elle risque de foudroyer celui
qui l’utiliserait malgré tout. Seuls les Adeptes, ou « Frères d’Héliopolis »,
détenteurs des secrets légués à la Rose + Croix par le pharaon Akhenaton
seraient, selon la tradition alchimique, capables d’emprunter cette « voie
périlleuse ».4
Nous avons déjà souligné — dans un précédent ouvrage6 — les liens qui
rattachaient Hitler au courant ésotérique par la filiation gnose-catharisme-
templarisme. De nouvelles perspectives s’ouvrent dès lors au chercheur.
L’émeraude verte, le Graal, tombé du front de Lucifer, fut-elle « occultée »
par Hitler dont le nom, décomposé en chiffres, correspond au nombre de
l’archange « porteur de lumière » (Lucifer) : 7, déchu par Dieu et condamné
aux ténèbres ?
C’est alors que commence la magie noire.
Tournons-nous donc du côté de la lumière resplendissante, qui ne peut
nous tromper, car il est dit : « Enfin, elle [la pierre philosophale] purifie et
illumine tellement le corps et l’âme que celui qui la possède voit comme en
un miroir tous les mouvements célestes des constellations et les influences
des astres, sans même regarder le firmament, les fenêtres fermées, dans sa
chambre7. »
Aussi loin que nous cherchions, c’est en nous-mêmes que se trouve le
Soleil de l’esprit. Ce livre n’a d’autre but que de faire comprendre cette
vérité. Chaque homme est à lui seul un soleil qui cherche désespérément à
retrouver la Grande Lumière, au-delà de la vie et de la mort.
Tête de Bouddha gréco-indien : synthèse de la beauté grecque et de la sagesse orientale
1. Le pain, élément féminin, prend un caractère « solaire » avec l’hostie. (Voir, pour plus de détails,
Laurence Talbot, Abrégé d’histoire profane, 3 vol., Dervy éd., Paris.)
2. En 1971, nombreux furent les lecteurs à considérer l’auteur du « Troisième oeil » comme un
authentique lama tibétain, alors qu’il s’agissait d’un mystificateur de talent ayant puisé ses récits dans
les ouvrages théosophiques du XIXe siècle écrits par des Européens gnostiques, à commencer par la
célèbre H.P. Blawatsky, fondatrice de la Société Théosophique. Il n’en reste pas moins que la
tradition concernant Schamballah et la civilisation des Géants relève des « mystères de l’ésotérisme
bouddhistes » (cf le rituel de Kalachakra en relation avec le « Centre du monde »).
3. Serge Hutin, Hommes et Civilisations fantastiques (Coll. « J’ai lu », 1970, pp. 110-111).
4. Dans un ouvrage très éclairant La science hermétique (Paris, L’originel, 1999) Sébastien
Caracciolo définit ainsi le terme de la voie alchimique : « celui qui accomplit l’oeuvre au Rouge est
couronné Roi, il devient Vivant, un « Eveillé » ; il devient la lumière, tout comme le Chevalier, qui
pose la question, guérit le Roi et en assume la fonction, devenant lui-même le Graal » (pages 124-
125).
5. Rudolf Hess, dit « L’Egyptien », aurait-il été, comme certains l’ont soutenu, l’ « initiateur »
d’Adolf Hitler pendant leur détention commune à la prison de Landsberg ? Hess était le successeur
désigné du Führer.
7. S. Hutin et M. Caron, Les alchimistes (Le Seuil, collection « Le temps qui court »).
Première partie - Le Soleil des vivants
« L’histoire primitive de l’Égypte est liée à celle – perdue – de
l’Atlantide » (Paul Brunton).
« A l’enfant de la Lumière vivant « au-dessus du temps » -dans la vérité
pour l’éternité – Akhenaton, fondateur de la glorieuse religion du Disque »
(Savitri Devi).
Chapitre 1 - Akhenaton : « Joie du Soleil »
Introduction
La croyance des mondes grec et romain, qui voyaient dans l’Égypte le
berceau de la science hermétique, a persisté jusqu’à nos jours. Aujourd’hui
encore, les seuls mots d’obélisques et de pyramides évoquent pour nous les
plus impénétrables mystères.
Rien d’étonnant, dès lors, si rosicruciens et francs-maçons s’entourent de
symboles et de hiéroglyphes évoquant la terre des pharaons.
Pourtant, hormis le fait que cette contrée bénie des dieux se soit trouvée
aux avant-postes de l’histoire de l’humanité, qu’est-ce qui fait donc l’attrait
de cette civilisation disparue, à l’ère de la conquête de l’espace ?
Tout simplement la méconnaissance où nous nous trouvons de son
origine. Bien sûr, nous pourrions interroger de doctes égyptologues, mais
rassurons-nous ! Sur l’origine de cette extraordinaire civilisation, ils n’en
savent pas plus que le commun des mortels !… Allez donc établir une
chronologie sérieuse pour les quatre premières dynasties pharaoniques !
(c’est-à-dire la période archaïque de l’Ancien Empire). Vous m’en direz des
nouvelles !
De même, des milliers de touristes peuvent bien « mitrailler » à grand
renfort de pellicules photographiques l’immémorial plateau de Gizeh !
Croirez-vous pour autant que les Pyramides et le Sphinx vont livrer leur
antique secret ?
Redevenons sérieux et penchons-nous plutôt sur la seule réalité qui
comptait vraiment en ce temps-là : la religion et les mythes qui
l’entouraient.
Cette réalité nous apprend que l’Égypte est sans conteste la patrie du
culte solaire. C’est lui le Soleil qui se lève à l’est sous le nom d’Horus et
qui se couche à l’ouest sous celui d’Aton, de Toum ou encore de Aw. Nous
touchons là, dans le cadre de l’Égypte ancienne, à la « mission
civilisatrice » authentique de tout un peuple.
Chaque peuple, en effet, reçoit traditionnellement une « mission
historique » : les « guides spirituels », Hermès Trismégiste en l’espèce, en
sont les lumières visibles. C’est sans nul doute Hermès, le « trois fois
grand », qui prit en charge la « mission » de l’Égypte, pour reprendre une
expression chère à l’ésotériste Saint-Yves d’Alveydre1.
Qui nous expliquera autrement la naissance en Égypte du concept
infiniment plus subtil de « Soleil invisible », de « Soleil noir », considéré
comme le « Soleil nocturne » dans sa course elliptique inaccessible à nos
investigations, le modèle des évolutions mystérieuses de la matière entre la
mort et le retour à la vie… Le prototype de l’alchimie et de la moderne
psychanalyse !
Louis Claude de Saint-Martin, justement surnommé le « Philosophe
inconnu », fut le premier penseur chrétien qui tenta, au XVIIIe siècle, de
ramener l’homme dans le chemin de la tradition. Il enseigna le rattachement
du christianisme à l’Atlantide à travers l’Égypte, le druidisme et le
mosaïsme primitif du Livre d’Enoch.
Cette filiation fut soutenue récemment par le regretté Paul Le Cour,
fondateur de la revue d’archéologie traditionnelle Atlantis. Le culte du
Soleil serait ainsi parvenu aux Égyptiens par le canal de l’Atlandide ; ce
culte, oublié par les descendants des premiers pharaons, aurait été remis au
goût du jour par l’initié qui fait l’objet de notre étude : Akhenaton.
- Chez les Égyptiens — écrit Paul Le Cour — existait la croyance en un
Dieu suprême et à un second dieu, le Soleil créateur. Une stèle du musée de
Berlin appelle le Soleil « fils de Dieu ». Sur la porte du temple de Medinet-
Abou, on lit : « C’est lui le Soleil qui a fait tout ce qui est, et rien n’a été fait
sans lui jamais », ce que saint Jean dira quatorze siècles plus tard en parlant
du Christ2.
Rappelons pour le lecteur qu’Akhenaton vivait quatorze siècles avant
Jésus-Christ.
Dans le même texte, Paul Le Cour développait sa thèse en profondeur :
- Le Christ solaire semble avoir eu deux incarnations au moins, l’une
dans l’Inde, sous le nom de Krishna, l’autre en Judée, sous celui de Christ
(nom presque identique, ce qui expliquerait l’étrange similitude de la
bhagavad-gita et des évangiles) (Ibid.,p. 82).
Partant de là, l’auteur de l’Ère du Verseau précisait sa pensée et en tirait
une conclusion à laquelle il serait difficile de ne pas souscrire :
- Le premier foyer de la religion solaire fut vraisemblablement
l’Atlantide ou une contrée située vers le 50è degré de latitude nord
(l’Hyperborée)3. Là fut créée la première sphère céleste, supportée
d’ailleurs par Atlas, et créé le Zodiaque, qui constitue en quelque sorte
l’horloge de la religion solaire dont il marque les fêtes annuelles ainsi que
les transformations à travers les siècles. En effet de l’Atlantide, la religion
solaire passa au Mexique, au Pérou, en Égypte, en Chaldée. Réunis par une
commune tradition, celle des Atlantes, que l’on a appelés « le Peuple du
Soleil », les Égyptiens, les Mexicains, les Babyloniens édifièrent des
temples au fronton desquels se voyait le disque solaire accompagné de deux
ailes4… La religion hyperboréenne était solaire, comme le fut celle des
druides ; le culte de Dionysos était solaire, celui de Mithra le fut également
et notre christianisme est solaire dans son essence et dans son symbolisme5.
Nous touchons, à ce point précis du raisonnement, au véritable
phénomène que représente Akhenaton dans l’histoire de notre humanité :
celui d’un véritable « relais » entre la tradition atlante et hyperboréenne (ou
grande tradition) et notre époque actuelle : la civilisation judéo-chrétienne.
Et nous ferons nôtre cette conclusion du grand auteur mystique
Merejkowsky : « L’Atlantide, voilà ce qui est au fond de la vertigineuse, de
l’effroyable antiquité égyptienne. »
Atlantes et rois-pontifes
Le mythe du continent perdu, de l’Atlandide, se rattache à la théorie des
cycles de l’humanité, chère à Platon et reprise depuis par toute la tradition
ésotérique jusqu’à nos jours.
Les prêtres de l’Égypte ancienne avaient conservé, et leurs livres sacrés
en font foi, le souvenir d’un vaste continent qui se serait étendu jadis au
milieu de l’océan Atlantique, dans un espace délimité à l’ouest par les îles
Açores et, à l’est, par la cassure géologique du détroit de Gibraltar.
C’est le Critias de Platon qui nous décrit longuement une ville du
continent englouti : Poséidonis, cité aux gigantesques portes d’or, bâtie en
gradins, avec ses temples gigantesques et son système de gouvernement
dirigé par des rois-prêtres, détenteurs des lois édictées par les dieux, au
premier rang desquels prend place Poséidon ou Neptune, roi des Mers, armé
de son trident. Toujours selon Platon, l’île de Poséidonis, dernier fragment
de l’Atlantide, fut engloutie neuf mille ans avant l’époque du sage Solon.
Le géographe grec Strabon ainsi que Proclus confirment les affirmations
de Platon. Comment Solon aurait-il eu connaissance de la tradition
atlantéenne ? Une seule réponse semble cohérente : les prêtres égyptiens,
qui prétendaient tenir l’information des Atlantes eux-mêmes, l’ont
transmise aux voyageurs grecs qui visitèrent souvent leur Pays.
Les prêtres égyptiens de Saïs pouvaient-ils connaître une tradition
remontant à la date admise pour la submersion et la disparition de ce
continent fabuleux? Les données des sciences naturelles, de la préhistoire et
de l’anthropologie s’accordent toutes avec cette date6…
Il reste à démontrer qu’il existait bien un peuple égyptien au IXè
millénaire de notre ère. Or, les études récentes semblent bien le prouver.
Si une civilisation ancienne et formée existait déjà neuf mille ans avant
le Christ, rien ne s’opposerait à ce qu’elle ait joué un rôle de réceptacle,
puis de véhicule à la civilisation atlantéenne. Nous en relevons les traces
dans le monument le plus ancien de l’Égypte : le Sphinx de Giseh.
Le grand Sphinx contemporain de l’Atlantide ? Pourquoi pas ? Que l’on
se souvienne de son désensablement effectué par Touthmès IV : il fit l’objet
d’une constatation ahurissante ; les membres du colosse avaient été
restaurés dès les premières dynasties… A l’époque de ce pharaon qui régna
trente-quatre siècles avant notre ère, le Sphinx avait, au moins mille cent
années d’âge !
Mais que représente exactement ce géant, moitié homme, moitié
animal ? L’idée selon laquelle il reproduirait les traits d’un pharaon ne
s’appuie sur aucun document. Par contre, son nom même paraît établir à lui
seul un rapport troublant avec le continent disparu de l’Atlantide.
Qu’on en juge plutôt. La stèle de Touthmès Ier (troisième roi de la
XVIIIe dynastie : celle qui nous intéresse) nous apprend quel nom était
alors donné au colosse de pierre : « Routy » (ligne 2082 du « texte des
pyramides »)… Or, d’après la légende (qui contient toujours un fond de
vérité), les deux dernières îles de grande importance de l’Atlantide, avant sa
submersion totale, s’appelaient « Routa » et « Daitya » : la coïncidence est
pour le moins troublante !
Ce qui renforce encore l’hypothèse selon laquelle les premières
dynasties pharaoniques seraient celles des rois atlantes eux-mêmes, c’est la
présence des mastabas (ou tombeaux) des souverains en question, tous
situés dans les environs immédiats du grand Sphinx de Gizeh…
Les premières dynasties égyptiennes
Ces monarques de la Ière dynastie étaient ensevelis à Peker, à deux
kilomètres environ du temple d’Osiris, situé à Abydos. Et ici nous touchons
à un deuxième point de contact avec la tradition atlantéenne. C’est à
Abydos, en effet, qu’a été retrouvée la stèle d’I-Cher-Nofret, haut
fonctionnaire du roi Sésostris III (1887-1849 av. J.-C.) qui nous relate une
initiation aux mystères… Cette même initiation dont Hérodote se bornait à
déclarer : « Les prêtres d’Osiris, liés par une vieille tradition, ne pouvaient
rien dire de la mort de leur Dieu… » Or, sur cette stèle, il est fait mention de
l’initiateur Thot, qui n’est autre qu’Hermès Trismégiste, celui qui « a ouvert
au dieu la voie qui conduit à son tombeau, à Peker », et qui a organisé la
« grande sortie », en « mettant en mouvement le navire »…
De là à conclure que les premiers Égyptiens, ou tout au moins leurs
« initiateurs », ont fui sur des barques la catastrophe qui vit
l’engloutissement du continent disparu, il n’y a qu’un pas à franchir.
La dernière partie de la description des mystères ne se termine-t-elle pas
par la déclaration suivante : « Je l’ai fait entrer dans le navire… J’ai dilaté
de joie le cœur des habitants de l’Orient (les vivants) et j’ai suscité
l’enthousiasme chez les habitants de l’Occident (les morts)… La barque a
abordé à Abydos et conduit Osiris, le premier des habitants de l’Occident,
le seigneur d’Abydos, à son palais » ?
Nous remarquons que l’Occident est représenté comme le séjour des
morts. En effet, pour les Égyptiens, Pount, la terre des grands ancêtres,
située par eux à l’extrémité de la Libye (qui s’étendait jusqu’au Maroc
actuel) était l’objet de leur culte posthume. Quand on aura rappelé que les
Égyptiens ne vivaient que pour l’Au-Delà, on comprendra mieux qu’ils
cherchaient ainsi à se rapprocher de leur pays d’origine : l’Atlantide
engloutie, selon toute vraisemblance.
Faut-il, à ce stade, mettre en doute l’existence de l’Atlantide, affirmée
dans l’Antiquité par Homère, Solon, Hérodote, Platon, Strabon, Diodore ?
Nous ne le croyons pas, car les Anciens situaient bien le continent disparu
« à l’autre bout de la Libye, là où le Soleil se couche… ».
Ainsi s’explique tout naturellement la consanguinité des familles
régnantes, moyen assuré de conserver la pureté du sang atlante7 selon la
prescription édictée par le grand Hermès.
L’origine atlantéenne des anciens Égyptiens trouve une confirmation
supplémentaire dans la coutume considérablement ancienne de l’ocre rouge,
dont on enduisait les cadavres. Le premier exemple que nous connaissions
de cette pratique nous est donné par l’homme de Cro-Magnon, de race
blanche, qui vivait il y a près de quarante mille ans. Cet homme, mis au jour
aux Eyzies (en France), mesurant plus de 1,90 m, baignait en effet dans
l’ocre rouge. Quand on saura que les Atlantes étaient surnommés la « race
rouge », et réputés pour leur taille gigantesque, on pourra se demander si
l’homme de Cro-Magnon n’était pas de la race des Atlantes. Il n’est pas
invraisemblable de le croire si l’on songe que :
- Le souvenir écrasant de cette ascendance était si puissamment apprécié
en terre nilotique que c’était pour en conserver les particularités physiques
et morales que furent instituées, dès l’aurore des temps, deux des plus
extraordinaires lois de la tradition pharaonique :
1. Le souverain épouse sa sœur ;
2. Le roi, les grands prêtres et tous les purs descendants mâles de la race
originelle se passent le corps à l’ocre rouge… Les coutumes iront
s’affaiblissant… Il n’y aura plus, vers les dernières dynasties, que le
pharaon et l’Hiérophante qui s’enduiront de peinture rouge8.
Mme Szumlanska situe la décadence de cette race dirigeante en Égypte
aux alentours de la XVIIIe dynastie, soit à l’époque qui nous intéresse, celle
du pharaon Akhenaton. Ce fut sous cette dynastie que l’Égypte connut son
« chant du cygne » : « Une splendeur inouïe s’étendit sur la terre d’Égypte
avec la XVIIIe dynastie. Horus, le dieu originaire du pays de Pount vit
refleurir sa merveilleuse légende. »
Les premiers Égyptiens, ancêtres des survivants de l’Atlantide, seraient
parvenus dans la vallée du Nil, par l’intermédiaire de l’Afrique du Nord,
venant des îles Canaries. Or, en 1882-1886, le savant Verneau publia son
Rapport sur une mission scientifique dans l’archipel canarien dans lequel il
fournissait une documentation considérable sur les hommes de Cro-
Magnon, à l’issue d’une recherche de cinq années. L’idée première de
Verneau se fondait sur une parenté atlante chez les Guanches, ancêtres des
habitants des Canaries. N’oublions pas que l’Atlantide, à sa disparition,
devait laisser émerger les crêtes de ses chaînes montagneuses dont le pic de
Tenerife pourrait être un des vestiges.
Le savant français remarqua sur les momies qu’il put examiner une
énorme capacité crânienne (1790 cm3 en moyenne), une taille élevée (2,10
m) et surtout une déformation postcoronale spécifiquement cromagnoïde
« qui n’est pas due à une déformation rituelle comme chez les Sémites,
mais toujours à un point précis et se retrouvant parmi les peuples où
n’existe pas ce rite, notamment chez les Égyptiens ».
Il nous reste, au terme de ce chapitre, à décrire l’innovation monothéiste
symbolisée par le culte solaire qui fait son apparition avec l’Homo sapiens
de Cro-Magnon et son rite de l’ocre rouge pour se continuer dans l’Égypte
pharaonique et aboutir à un idéal plus subtil et plus pur de cette même
religion solaire : la substitution du disque au Soleil lui-même.
La cosmogonie sacrée des Égyptiens : le « Livre des morts »
La cosmogonie des Égyptiens est tout entière contenue dans le fameux
Livre des morts, destiné aux cénacles initiatiques de l’ancienne Égypte, la
mort étant considérée par les Égyptiens comme une sorte d’initiation (du
latin initium : « renaître à la vie »).
Parmi toutes les visions que le livre décrit, celle de la barque solaire est
la plus fréquente. Cette vision centrale où nous retrouvons les deux
luminaires (la barque, symbolisant le croissant de Lune, porte le disque
solaire : Râ) formait le noyau de toute la cosmogonie sacrée.
Pour les Égyptiens, la Lune, considérée d’un point de vue spirituel,
n’était nullement inférieure au Soleil ; mais leur union symbolise
l’involution ou, pour employer le langage de la Bible, l’étape originelle de
la « chute ». Sur le plan spirituel donc, ce phénomène d’involution aggrave
la chute initiale du genre humain dont les conséquences sont représentées
respectivement par le sexe et la mort ; car I’être originel était, selon la
tradition, bisexué et immortel. Ce concept de I’androgynat primordial se
retrouve dans le fameux dialogue de Platon : le Banquet. Pour le Divin
Maître, initié aux mystères égyptiens et ardent défenseur de la thèse
« atlante », il existait une race originelle « dont l’essence est désormais
éteinte », race d’individus qui portaient en eux les deux principes,
masculins et féminins, et donc androgynes. Les êtres de cette espèce
« étaient d’une force et d’une audace extraordinaires et ils nourrissaient
dans leur cœur des projets orgueilleux jusqu’à attaquer même les dieux ».
Cette tentation d’escalader les cieux n’est pas nouvelle ; c’est le mythe de
Prométhée, celui des Géants et des Titans. Dans la Bible même, n’évoque-t-
on pas la « promesse de devenir semblable aux dieux » (Genèse, III, 5) !
Mais ce qu’il y a de plus étrange, dans le texte de Platon, directement
dérivé des Mystères de l’Égypte, c’est le fait que les Dieux, pour se
défendre, ne foudroient pas les Androgynes comme ils ont foudroyé les
Titans : ils paralysent leur action et leur puissance en les séparant en deux.
Désormais, l’Homme et la Femme sont nés de la séparation des sexes ou
des principes, le masculin et le féminin9.
Il en va de même pour la Lune et le Soleil, tous deux par référence à
notre Terre. La tradition ésotérique, nous l’avons vu, enseigne que ces deux
astres étaient unis à l’origine et faisaient corps, puis ils se séparèrent…
Nous retrouvons ce couple initial Soleil-Lune réuni dans le dieu Osiris dont
les attaches, tant lunaires que solaires, ont été maintes fois soulignées par
les égyptologues. La résurrection d’Osiris, figé dans la mort, enserré dans
ses bandelettes de momie (allusion au monde lui-même, soumis à
l’implacable « loi de nature »), signifiait le rétablissement de l’unité dans le
retour à l’intégrité originelle.
La mort, ce mystère au sens occulte du terme, est vaincue magiquement
grâce à ce véritable « passeport » pour l’au-delà que constitue le Livre des
morts égyptien. Le voyage de l’âme est décrit en détail par analogie avec le
voyage diurne de la barque de Râ, la barque solaire, sur la voûte du ciel…
L’exemple du « dieu-échec » : Osiris restait présent dans toutes les
mémoires : il symbolisait la « chute ».
Devant ce peuple amoral, rêveur et indolent, des Égyptiens, le grand
Hermès brandissait l’exemple de la discipline et de l’équilibre cosmique :
l’élite égyptienne qu’il réussit à former croyait en l’existence d’une « âme
du monde » dont le Soleil, la Lune et les planètes étaient les « lumières »
visibles. Cette « religion du Cosmos » ouvrit à l’Égyptien moyen des
visions insoupçonnées : il se lança avec joie dans cette « préparation à la
mort » que son élite lui proposait… La morale devenait un lien vivant entre
l’homme et l’Univers par l’intercession des dieux cosmiques.
Les dieux cosmiques : Horus-Osiris, Amon-Râ
Horus, étant l’héritier de son père Osiris, peut être considéré comme
l’héritier du monde divin pris dans son ensemble ; il apparaît comme le
successeur de tous les autres dieux. Ainsi, devant le vieillissement de
l’humanité, les initiés se voyaient appelés à prendre en charge le
« gouvernement cosmique ». Horus, dans cette optique, apparaissait comme
la divinité humaine par excellence. Sa légende même est significative.
A l’origine, Horus est considéré comme le « vengeur de son père »
(Osiris) tué par Seth. Mais tout détesté qu’il soit, Seth n’en est pas moins
nécessaire à l’équilibre cosmique : le mal devant exister pour que le bien
puisse en triompher ! Nous retrouvons ici l’idée d’un être divin se sacrifiant
délibérément pour le salut de l’humanité (un Christos), Osiris, en l’espèce ;
le but d’un tel sacrifice étant de conduire l’homme vers la libération de ses
instincts supérieurs par la destruction de sa nature inférieure. C’est ce que
nous enseignent, à travers une terminologie qui nous paraît parfois
embrouillée, les religions qui précédèrent le christianisme et dont les
« sauveurs » sont : Adonis, Orphée, Dionysos, Baldur, Mithra…
Tout différent de celui d’Horus, donc, apparaît le rôle d’Osiris ; et l’on
peut se demander pourquoi I’osirianisme ne s’est point fondu avec le
christianisme naissant ? Il faut voir dans l’intransigeance des premiers Pères
de l’Église et dans leur désir de rendre le christianisme « accessible » aux
masses, en rejetant les éléments ésotériques, une cause de l’échec de cette
fusion. Seulement, l’élite égyptienne devait prendre une décision lourde de
conséquences pour l’humanité : les traditions ésotériques de l’osirianisme
devaient être préservées à tout prix. Ainsi naquirent, lors de la disparition
de l’Égypte en tant que civilisation, la gnose et le manichéisme, I’alchimie
puis le mouvement templier, qui devait donner naissance à la FRANC-
MAÇONNERIE.
L’élite égyptienne avait deviné dans le Décalogue de Moïse et
l’« optimisme béat » du christianisme, le piège fatal : affirmer que tout
s’arrangera « automatiquement » et comme par la force des choses, c’est
endormir le monde10.
Cette mise au point était nécessaire pour comprendre l’importance d’un
autre dieu cosmique et surtout celle de la confrérie secrète qui l’entourait :
la Fraternité d’Héliopolis qui s’était vouée au dieu-Soleil : Râ, d’où son
importance politique et religieuse au sein de l’Égypte antique.
Le dieu Râ, que nous avons déjà rencontré dans la barque solaire, était
considéré comme le « premier des pharaons ».
Il symbolisait le Soleil passant par les « quatre maisons du monde »,
étant représenté comme le vainqueur du serpent ; nous nous trouvons ici en
présence de tous les mythes originaires des diverses religions qui
succédèrent à la première cosmogonie égyptienne. Le dieu Râ devait, sous
la XIIe dynastie, retrouver une seconde jeunesse : son assimilation au dieu
de Thèbes, Amon, devant donner naissance au couple Amon-Râ.
Nous observerons de la même manière que le grand prêtre
d’Héliopolis11 portait une peau de léopard garnie d’étoiles car il était le
« chef suprême des secrets du ciel » et le « grand voyant ». La ville
d’Héliopolis, dans le delta du Nil, était un des trois centres de mystères les
plus importants avec celui d’Hermopolis (la ville d’Hermès) et celui
d’Abydos, d’origine atlantéenne.
L’importance d’Héliopolis est attestée jusque dans le christianisme
puisque, d’après le Nouveau Testament, c’est à Héliopolis que la Sainte
Famille se serait reposée lors de la « fuite en Égypte ».
Le clergé de cette cité sacrée jetait un « pont magique » au-dessus de
l’abîme de la mort selon des procédés qui sont aujourd’hui
irrémédiablement perdus. Le peu que nous en connaissons ne nous permet
pas d’avancer des hypothèses aventureuses… Il est probable, toutefois, que
certaines confréries occultes détiennent des précisions à cet égard. Nous
ajouterons seulement que ce sont des égyptologues allemands qui
s’occupèrent des fouilles d’Héliopolis.
Plus significatif encore, quant à son essence solaire, est le grand dieu
Amon-Râ dont l’adoration était centrée autour de Thèbes dans le
gigantesque ensemble monumental : Louksor-Karnak. Ici, plus question de
mystères : la religion seule est admise et, malheureusement (comme c’est
presque toujours le cas), elle va vouloir déborder sur des secteurs où elle
n’a rien à faire : la direction administrative, puis politique du pays. Ce sera
chose accomplie sous la XXIe dynastie ; encore quelques siècles d’histoire
et l’Égypte s’effondrerait.
La toute-puissance du clergé d’Amon
Cette prépondérance du clergé d’Amon allait éclater sous la XVIIIe
dynastie. La situation financière des prêtres (les temples de Karnak et
Louksor couvraient une superficie de plusieurs dizaines d’hectares) n’était
pas étrangère à cette monopolisation de la direction spirituelle à cette
époque. Sous le Nouvel Empire, les pharaons ayant concédé au clergé
d’Amon la haute main sur les autres temples, le danger qui en résulta pour
l’État s’aggrava d’autant.
Le « premier prêtre d’Amon » était désormais, non seulement chef des
prêtres des dieux de Thèbes, mais, en même temps, « directeur des prêtes de
tous les dieux de la Haute et de la Basse-Égypte » ; tout le reste du clergé
lui était subordonné. Il suffisait d’être le « second prêtre d’Amon » pour
avoir la direction du temple d’Héliopolis et avoir ainsi accès aux mystères
qui, auparavant, lui étaient interdits.
Mais les prêtres d’Amon ne devaient pas s’arrêter en si bon chemin : ils
créèrent des « milices » pour protéger les temples, des prisons pour
enfermer les fidèles « réfractaires »…
Le clergé d’Amon ne devait pas être dans le besoin si l’on en juge par les
nombreux monuments que nous ont laissés les barbiers et les gardiens de
toute sorte affectés à son service.
De même, il est significatif que les hauts fonctionnaires du temple aient
été en même temps fonctionnaires de l’État. De pareilles situations sont
toujours des signes avant-coureurs de la décadence d’un royaume soumis,
comme l’Égypte, à l’emprise croissante du cléricalisme.
Mais il appartenait à un pharaon de la XVIIIe dynastie d’essayer de
briser cette toute-puissance du clergé d’Amon et de retourner au culte de ses
ancêtres atlantes : la religion du « disque solaire », débarrassée du fatras
superstitieux qui encombrait le panthéon égyptien. Ce pharaon, Aménophis
IV, est plus connu dans l’histoire sous son second nom : AKHENATON, ce
qui signifie : joie du soleil.
Le « retour » au culte solaire : l’invasion mitannienne
Vers 1500 av. J.-C., l’État du Mitanni, situé en Haute Mésopotamie,
commença à déborder sur ses voisins. Les Mitanniens, descendants des
tribus hyksos, de race indo-aryenne, étaient jusque-là installés le long du
fleuve Khabour ; ils adoraient les dieux de l’Inde ancienne : Indra, Varouna
et Mithra ; c’est dire le caractère solaire de leurs croyances !
Déjà, au IIIe millénaire, ils avaient déferlé, venant d’Asie, jusqu’à la
vallée du Nil, mais sans résultat décisif. Cette fois, leur invasion de
l’Égypte promettait d’avoir des conséquences plus durables.
La première chose qui nous frappe, c’est le fait que ces tribus aryennes
et nomades de la steppe apportaient avec elles la croix gammée, le svastika
(roue solaire qui devait évoluer en motif tournoyant). Pour l’historien Z.
Mayani12 :
- Un des témoignages les plus anciens de cette association du Soleil et
du cheval est le svastika, qui apparaît en Iran à l’époque néolithique, en
Elam et dans l’Inde préaryenne dès la fin du IVe millénaire. Déchelette y
voyait l’emblème du Soleil en mouvement et l’équivalent d’une roue.
Cependant, certaines représentations de l’art scythique indiquent qu’avec le
temps le svastika commence à exprimer une conception nouvelle : c’est
l’image des quatre chevaux, attelage du char solaire, dont les têtes, tournées
vers les quatre points cardinaux, créent l’impression d’un mouvement
rotatif.
Nous voyons bien ici le rapport étroit existant entre le cheval (emblème
spécifique des Hyksos nomades, par opposition aux sédentaires de la vallée
du Nil) et le svastika, symbole solaire à l’origine. S’appuyant d’ailleurs sur
les travaux de Léger et du Pr Skazkin13, l’auteur élargit le champ de cette
influence :
- Un des dieux les plus puissants des Slaves était Sviatovit, à la fois
divinité de la Guerre et de la Fertilité des champs. Son idole avait quatre
têtes tournées vers quatre côtés différents. Elle se dressait dans son temple
de l’île de Rügen. A la main droite, Sviatovit avait un rhyton14 rempli de
boisson alcoolique. Auprès de la statue étaient déposées une selle, une bride
et une épée. Un cheval « blanc comme la neige », consacré à Sviatovit, était
gardé dans l’enceinte du temple… Or, en accord avec la position de ses
quatre têtes, Sviatovit était essentiellement un dieu « tout voyant15 »…
D’autre part, l’origine solaire de ce dieu est évidente. Il se peut donc que
certains traits de Sviatovit remontent aux temps qui sont antérieurs aux
Slaves. Dans ce cas, les quatre pointes de l’ancien svastika symbolisent
peut-être non seulement le Soleil en mouvement, mais aussi le Soleil
embrassant de son regard les quatre côtés de l’horizon, le Soleil « tout
voyant ».
Il est symptomatique d’observer que, soixante siècles plus tard, cette
même île de Rügen devait servir de lieu d’expérimentation aux essais
scientifiques ultra-secrets des « initiés » nazis se réclamant eux aussi de la
croix gammée…
Le fait demeure, pourtant, que les Égyptiens furent profondément
marqués par les invasions mitanniennes. Le premier historien égyptien
connu, Manethon, a évoqué cet épisode guerrier :
- Je ne sais comment, la colère divine souffla sur nous, et, à l’improviste,
un peuple de race inconnue, venu de l’Orient, eut l’audace d’envahir notre
pays. Grâce à leur force, ils s’en emparèrent sans coup férir. Ils se saisirent
des chefs, incendièrent sauvagement les villes, rasèrent les temples des
dieux et traitèrent les indigènes avec la dernière cruauté, égorgeant les uns,
emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres (Rapporté
par l’historien juif Flavius Josèphe).
Les pharaons de la XVIIIe dynastie n’eurent d’autre ressource que de
composer avec ces envahisseurs qui dévastaient périodiquement les
colonies égyptiennes de Syrie et de Palestine. C’est ainsi que des alliances
matrimoniales furent scellées, alliances dont nous ne soulignerons jamais
assez l’importance pour expliquer les faits qui vont suivre. Ces nomades,
qui révéraient l’aigle et le faucon, oiseaux du Soleil, devaient jouer le rôle
de rénovateurs de la religion en Égypte.
C’est ainsi que nous arrivons tout naturellement à notre pharaon :
Akhenaton. Comme le note si justement Mayani :
- Ce n’est pas aux sources sémitiques qu’Aménophis IV va puiser son
inspiration religieuse… A première vue, il ne continue que ce qu’il a reçu
de ses prédécesseurs et de toutes ces princesses mitanniennes qui
dominaient la cour : un culte convenant à leur goût, celui d’Aton, du disque
solaire. Ce culte apparaît déjà sous Touthmosis IV. Aménophis III marque
pour cette hypostase du Soleil une dévotion personnelle. Il possède sur le
lac de Thèbes une barque de plaisance surnommée « Splendeur d’Aton. »
Ce culte s’adresse au Soleil directement ; il se passe des vieux temples
obscurs ; il fait penser aux temples solaires à ciel ouvert de la Ve dynastie
(comme celui d’Héliopolis) et, encore mieux, à l’adoration directe et
spontanée du Feu sacré par les nomades de la steppe. Aménophis IV,
désormais Akhenaton, se livre à ce culte avec toute la fougue de sa nature
qui ne connaît pas de compromis. Il le magnifie et le rend absolu et
exclusif. Il lui insuffle aussi sa philosophie pleine d’optimisme, ivre de
liberté, de la joie de vivre, de l’amour de la nature. Aton est le père et la
mère de toutes les créatures16 17…
Ainsi, par le biais de cette influence maternelle et familiale, nous nous
trouvons ramenés au centre du sujet : Akhenaton est bien à la base de ce fil
d’or de la tradition ésotérique indo-européenne. Le seul écrivain qui ait
confusément perçu cette vérité est, nous l’avons dit, Z. Mayani :
- Il y a une certaine affinité — écrit-il — ne serait-ce que la religion
solaire, entre les Hyksos, qui étaient probablement guidés par les Indo-
Aryens, et Akhenaton, plus indo-aryen qu’Égyptien ; et il y a, d’autre part,
un lien, peut-être d’ordre affectif, entre le roi réformateur et les Mitanniens,
adeptes également d’un monisme solaire particulier18.
Quoi d’étonnant, dès lors, si Akhenaton a une mère mitannienne : la
reine douairière Tiy ; et, surtout, une princesse mitannienne pour femme :
nous voulons parler de la belle et énigmatique Néfertiti.
Cette généalogie nous fait prendre conscience de la pénétration hyksos
dans la famille régnante, au demeurant fort mystérieuse elle-même.
Akhenaton : le pharaon Atlante
La personnalité du pharaon
Akhenaton (1372-1354 av. J.-C.), à son avènement, est semblable à tous
les autres pharaons.
Fils d’Aménophis III et de son épouse principale Tyi, il avait fait preuve
d’une remarquable force de caractère et, surtout, descendait d’une illustre
lignée, trop puissante pour être évincée.
La personnalité de ce monarque, monté sur le trône du plus vaste empire
de son temps à l’âge de douze ans et terminant son action réformatrice
quatre ans plus tard, ne peut que susciter un prodigieux intérêt quand on sait
qu’il posa les bases d’un monothéisme cosmique quelque quatorze cents
ans avant la venue de Jésus.
Bien sûr, le destin voulut que ce pharaon de la XVIIIe dynastie prît les
rênes du pouvoir au moment où l’Égypte connaissait une expansion
religieuse et culturelle sans précédent ; tout naturellement, Akhenaton
devait être amené à guider la réforme religieuse à laquelle le prédestinait
son caractère d’ascète et de mystique. Son père et ses prédécesseurs de la
XVIIIe dynastie avaient déjà fait naître un nouveau concept religieux dans
la pensée égyptienne ; celui du Soleil représenté par son disque, Aton. Mais
il fallut attendre l’avènement d’Aménophis IV (Akhenaton) pour que ce
symbole religieux devienne le dieu unique de la terre, y compris les pays
qui ne relevaient pas de la souveraineté égyptienne.
Ce pharaon, qui prêcha la doctrine de l’amour universel, mérite plus que
tout autre le titre de précurseur et d’homme « au-dessus du temps ». De
même, dans l’art aussi bien que dans le domaine « social », l’esprit novateur
de ce souverain surprend aujourd’hui encore les historiens.
Que penser enfin de son aspect physique, tellement irréel qu’il paraît
sortir tout droit de quelque fantasmagorie onirique :
… Sur un cou trop gracile, la lourde tête pèse, au crâne énorme, que la
couronne bleue des bas pays du Nil surcharge encore, comme pour
l’écraser. L’uraeus d’or s’y dresse, le cobra sacré de l’Égypte, et
l’orgueilleux bijou s’assortit mal à ces traits androgynes où tout est retenue,
douceur, quiétude. A travers le granit ou le marbre des statues qui
l’évoquent, la méditation profonde est encore sensible. C’est là, n’en
doutons pas, le visage d’un malade, d’un homme encore jeune, mais aux
jours précocement comptés, l’extrême aboutissement d’une très vieille race,
une image de décadence et de suprême perfection19.
Ce physique étrange a été repris par nombre d’auteurs qui tous ont mis
l’accent sur l’aspect androgyne du personnage. Dans le palais de Tcharouk,
près de Thèbes, où Akhenaton était né et où il avait passé son enfance, son
image sculptée était celle d’un bambin qui ressemblait à une fillette : un
visage rond comme un œuf, empreint d’un charme enfantin et virginal. Par
la suite, cet aspect physique ne fit que s’accentuer jusqu’à nous donner
l’image que nous a laissé la postérité :
- Qui était-ce, qu’était-ce ? Un homme ? Non, un autre être, qui, sous
une forme humaine, n’avait rien de terrestre. Ni un homme, ni une femme,
ni un vieillard, un eunuque et une eunuque, un avorton décrépit. Des bras et
des jambes effroyablement maigres, comme des os de squelette, des épaules
d’enfant étroites, mais des hanches larges et rondes, une poitrine creuse aux
seins proéminents comme ceux d’une femme, un ventre enflé de femme
enceinte, une tête énorme au crâne en forme de courge, lourdement penchée
sur un petit cou mince, long et flexible comme la tige d’une fleur, un front
fuyant, un menton pendant, un regard figé et, sur les lèvres, le sourire errant
d’un fou20.
Bien entendu, cette description de l’écrivain russe Merejkovsky force un
peu trop la note étrange au préjudice de la réalité historique, mais il est un
fait reconnu que les touristes visitant le site solaire d’El-Amarna, ont un
sursaut de surprise quand on leur révèle que les images en bas-relief qu’ils
avaient pris pour la représentation de deux reines sont en réalité celle du
pharaon Akhenaton et de son épouse Néfertiti.
La preuve de cette ambiguïté, c’est qu’il est encore difficile, aujourd’hui,
de faire la différence entre les images du pharaon et celles de son épouse,
surtout lorsque le premier est représenté avec la courte perruque que ses
femmes portaient fréquemment. En se fondant sur des paramètres
anatomiques, il est, de la même façon, presque impossible de savoir si les
torses des statues brisées retrouvés à El-Amarna sont ceux d’Akhenaton ou
de Néfertiti.
Que l’on en juge plutôt : Akhenaton est dépeint avec un cou de cygne,
des hanches larges et la même poitrine proéminente que celle de Néfertiti.
La représentation du pharaon muni de sa longue robe est ahurissante et
appelle de notre part une enquête en rapport avec l’étrangeté du
phénomène.
Akhenaton, le pharaon androgyne, un dieu parmi les hommes
Tous les enseignements initiatiques font mention de l’androgynat de
notre race primitive. Ainsi, les Rose-Croix nous apprennent quelles
relations existaient entre le Soleil et nos ancêtres androgynes :
- Pendant les premiers temps de l’époque hyperboréenne, alors que la
Terre était encore unie au Soleil, les forces solaires fournissaient à l’homme
tout ce dont il avait besoin pour sa subsistance, et l’homme en irradiait
inconsciemment le surplus dans un but de reproduction.
Mais voici qui est beaucoup plus instructif encore, dans cette tradition
rosicrucienne :
- Alors que la matière dont la Terre et la Lune furent plus tard formées
faisait encore partie du Soleil, le corps de l’homme en devenir était encore
plastique. Les forces émanées par la partie qui devint plus tard le Soleil et
par la partie qui est maintenant la Lune étaient facilement actives dans tous
les corps, en sorte que l’homme de l’époque hyperboréenne était
hermaphrodite, capable de produire un nouvel être sans avoir de relations
sexuelles avec un autre être… Quand la Terre fut séparée du Soleil, et que,
peu après, elle lança la Lune dans l’espace, les forces des deux astres
n’affectèrent plus uniformément tous les êtres comme par le passé. Certains
corps furent plus affectés par un astre et certains le furent davantage par les
forces de l’autre21.
Nous avons, dans ce texte, un reflet de la tradition primordiale et du
mythe de l’androgynat, phénomène que nous avions déjà rencontré dans le
célèbre dialogue de Platon : le Banquet.
Le lecteur ne sera donc pas surpris si nous lui révélons que, pour les
traditionalistes, comme pour les théosophes, le CULTE SOLAIRE EST LIÉ
A l’ANDROGYNE, PREMIER REPRÉSENTANT DE L’ESPÈCE
HUMAINE SUR NOTRE PLANÈTE. On saisit toute l’importance d’une
telle affirmation, tant au point de vue philosophique que religieux.
Pour Mme Blavatsky, la fondatrice de la Société théosophique et l’auteur
de la fameuse Doctrine secrète, « le Dieu unique Jéhovah avait un ancien
aspect androgyne dans les premiers chapitres de la Genèse, avant de devenir
(par certaines transformations kabbalistiques) entièrement masculin, caïnite
et phallique… » On saisit tout l’intérêt du point de départ de la race
humaine.
Nous aurons l’occasion de revenir sur Moïse et sur les emprunts
supposés de cet « initié égyptien » au culte du pharaon Akhenaton ;
bornons-nous pour l’heure à remonter à la source de ces diverses traditions.
Nous retrouvons ici encore, Platon, expliquant que le geste éternel de
l’Éros réside dans le subconscient de l’homme et de la femme de ne faire
qu’un, comme ils l’étaient aux origines de l’humanité :
… C’est depuis ces temps reculés que l’Amour pousse les êtres humains
les uns vers les autres, cette tentation est innée dans la nature humaine et
tend à rétablir la nature première en tentant d’unir deux êtres distincts en un
seul et de guérir ainsi la nature humaine.
Plus explicitement encore, Platon nous dévoile le fond de sa pensée :
- L’âme de chacun des deux partenaires tend à quelque chose de différent
qu’elle ne sait pas exprimer, mais qu’elle sent et révèle mystérieusement
(ibid., 192 C).
Et Platon demande aux amants :
- Ce que vous convoitez, n’est-ce pas une fusion parfaite de l’un avec
l’autre, de façon à ne jamais vous séparer l’un de l’autre, ni jour ni nuit ? Si
tel est votre désir, je peux bien vous fondre ensemble et vous souder avec la
force du feu en un même individu, de telle sorte que, de deux que vous
étiez, je vous réduise en un seul être, si bien que vous viviez unis l’un à
l’autre tant que durera votre vie, et qu’une fois morts, là-bas, dans l’Hadès,
au lieu d’être deux, vous ne soyez qu’un, pris tous deux par un commun
sort. Et bien, voyez si c’est à cela que vous aspirez et si vous pouvez vous
en tenir pour satisfaits.
Nous sommes loin, ici, de l’anthropologie matérialiste qui ne voit dans
l’acte de chair que « l’instinct de conservation de l’espèce. » Il est
remarquable, cependant, de constater que le mythe de l’androgynat a circulé
sur tous les continents et à toutes les époques, et ce de façon souterraine :
depuis les milieux mystériosophiques égyptiens jusqu’aux gnostiques et à
l’ère moderne elle-même, en passant, bien entendu, par les auteurs du
Moyen Age.
Si nous revenons à l’Égypte et à Akhenaton, nous noterons avec une
certaine surprise que les pharaons ne se sont jamais référés officiellement à
leur chef-d’œuvre national par excellence : nous voulons parler du grand
sphinx de Gizeh.
Nous avons déjà vu ce qu’il fallait penser du nom du sphinx, qui est en
étroite corrélation avec l’île Routa de l’Atlantide ; plus curieux encore est
son aspect morphologique.
Mme Weissen-Szumlanska s’est longuement penchée sur l’énigme du
grand sphinx et sa conclusion rejoint notre hypothèse de départ quand elle
écrit :
- Les innombrables sphinx de tout acabit des divers centres du bassin
méditerranéen représentaient parfois des portraits, mais plus fréquemment
des légendes. Ainsi, l’un d’eux, datant de la période romaine, est composé
d’une tête de femme sur le corps léonin d’un mâle22. Serait-ce une allusion
à l’androgyne… L’allure de ce monstre au visage douloureux, au regard
sans paupières, perdu au-dessus de l’horizon, dans une fixité hagarde, a
quelque chose de bouleversant… En définitive, ce qui domine dans cette
effigie, c’est l’impression d’une puissance d’homme paralysée dans
l’animal, horrifiée, mais domptée, résignée, annihilée23.
Le sphinx de Gizeh, bien antérieur aux pyramides, exprime l’avatar
terrible des débuts de notre humanité, la déchéance infernale d’un être
originellement beau, le réceptacle d’un secret incommunicable aux profanes
sous peine de mort… Est-ce de lui dont Moïse s’est inspiré pour sa genèse ?
«… L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de
l’homme… »
Le moins qu’on puisse dire est que la création de notre nouvelle espèce,
issue de l’androgynat primitif, fut loin d’être une réussite puisque Adam et
Ève furent chassés du paradis terrestre. Faut-il imaginer alors que Moïse ait
combiné les deux événements : évolution de la race androgyne et départ des
Atlantes en un seul et unique « acte de vengeance » du Créateur ? Cela n’est
pas impossible…
De toute façon, le secret de nos origines fut bien gardé et seuls
aujourd’hui quelques groupes initiatiques se réclamant de la filiation
égyptienne peuvent nous en apprendre davantage. Il ne faut pas oublier
qu’un initié aux mystères égyptiens comme Platon ne pouvait divulguer son
enseignement qu’aux plus dignes de ses disciples, sous peine des plus
terribles sanctions.
Ce berceau de la science sacrée que fut l’Égypte reçut successivement
les plus grands esprits du monde antique qui subirent l’initiation de la main
des prêtres d’Héliopobs : Orphée, Moïse (fondateur des mystères hébreux),
Pythagore (qui resta vingt-deux ans sur cette terre avant de créer son école
de Crotone), enfin Platon qui devait être le plus grand de tous et qui légua
— en termes voilés — le résultat de son « illumination ».
L’exemple d’Akhenaton, dont l’aspect physique hermaphrodite
rejoignait celui de l’androgyne primordial, fut pris comme modèle, par les
initiés de toute obédience, pour le symbole d’immortalité qu’il représentait.
En faisant abstraction de la mythologie, nous pouvons comprendre tout ce
qui s’enchaîne comme conséquence d’un tel état : l’amour platonicien ne
s’applique-t-il pas admirablement aux jeunes gens et aux jeunes filles de
1971, dont on ne sait plus de quel sexe ils sont ? En passant par les
troubadours, l’amour courtois et la théorie même de la beauté, tout se tient,
tant il est vrai que l’ésotérisme soulève le voile des problèmes permanents
qui agitent l’humanité à toutes les époques. Il est un fait significatif, à
savoir que les canons de la beauté féminine idéale ne sont plus, en 1971,
ceux de la « Vénus de Milo », mais ceux de la reine Néfertiti, pourtant
antérieure de quinze siècles ! Il y a là un indice révélateur de cet état de
choses que le monde profane appelle « mode » et les initiés « cycle ».
Akhenaton et Néfertiti : précurseurs du monothéisme
Si Akhenaton, qui régna sur presque la moitié du monde civilisé,
quatorze siècles avant notre ère, a fait couler beaucoup d’encre, il en va de
même pour sa première épouse, la reine Néfertiti.
Cette représentation d’une beauté de tous les temps nous apparaît
souvent en compagnie du pharaon et de ses filles.
Ce qu’il y a de remarquable, c’est le fait que, pour la première fois, la
reine était représentée coiffée d’une curieuse mitre conique, la distinguant
de toutes les autres reines et faisant d’elle l’équivalent d’une divinité
solaire.
Si l’on veut bien se rappeler le principe « lunaire » ou intuitif de la
femme, par opposition au principe « solaire » ou volontariste de l’homme,
nous sentirons mieux ce qu’il y a d’unique dans le cas historique de la belle
Néfertiti.
Il faut préciser que la reine avait suivi son époux dans la réforme
religieuse entreprise par ce dernier. On a l’impression qu’en étalant sur les
bas-reliefs les scènes de sa vie familiale, contrairement à la coutume, le
pharaon ait voulu mettre l’accent sur la nécessité d’une adoration de sa
famille divinisée.
Ainsi, un autre élément de rénovation religieuse qui se produisit sous ce
pharaon mystique fut, toujours avec quatorze siècles d’avance sur le
christianisme, l’adoration de la trinité familiale (le Saint-Esprit symbolisant
le pôle féminin de la divinité). Dans la religion d’Aton, l’adoration trinitaire
prenait la forme de celle d’un groupe divin représentant le père, la mère et
l’enfant, cette association correspondant bien au sentiment familial profond
des Égyptiens pour lesquels la cellule familiale était le véritable noyau de la
société.
Plus caractéristique de l’importance attribuée à la souveraine est la
présence de Néfertiti dans le culte rendu par ses sujets. Le pharaon étant le
fils d’Aton, la reine participe de la divinité et, comme le couple royal n’a
pas de fils, ce sont leurs trois filles qui apparaissent à ses côtés dans
l’adoration du peuple.
Ces disparités apparentes servent à nous faire comprendre pourquoi
Akhenaton avait fait entrer tous les siens dans le panthéon divin, car, bien
que le pharaon et son épouse aient formé un couple parfait de souverains
régnants, ils n’ont pas eu d’héritier mâle pour compléter leur trinité solaire,
et c’est leur fille aînée, Meryt-Aton, qui prit la place laissée vacante et fut
l’objet d’une vénération particulière avant de remplacer sa mère, à la mort
de celle-ci, dans le cœur du pharaon.
L’histoire de l’Égypte nous apprend qu’une longue tradition, d’essence
solaire, réservait aux hommes le trône d’Égypte24. De nombreuses reines
s’illustrèrent tout au long de cette époque, en tant qu’épouse de pharaon,
mais bien peu ont exercé personnellement une influence déterminante dans
les affaires publiques. A ce sujet, deux reines, dont l’histoire a retenu le
nom, font exception à la règle générale : Hatshepout et Néfertiti. La
première accéda au poste de régente durant la minorité de son beau-fils
Thoutmès III ; bien mieux, elle prit en main totalement la direction des
affaires du royaume et n’hésita pas à porter la barbe rituelle prescrite par
l’étiquette (barbe postiche, évidemment !). L’Égypte nous a conservé de
cette souveraine hors ligne le fameux temple qui porte son nom, à Deir el-
Bahari, rappelant les hauts faits de la reine et les événements marquants de
son règne qui s’étendit sur une vingtaine d’années25.
Pourtant, la physionomie de Néfertiti est bien plus attachante ; outre le
charme qui se dégageait de son corps harmonieux, Néfertiti signifiait : «
avènement de la beauté sur la Terre », et son élévation à un statut quasi
pharaonique ne se retrouve nulle part.
Une représentation de la « barque royale » est parvenue jusqu’à nous,
décorée d’une scène unique dans les annales égyptiennes. Néfertiti y
apparaît coiffée de la haute couronne, saisissant un ennemi par les cheveux
et l’abattant à l’aide d’une massue. C’est sans doute vers cette époque que
Néfertiti, suivant l’exemple de son mari, devait changer son nom en
accolant au sien l’épithète de NEFERNEFEROU-ATON (« juste est la
bonté d’Aton »).
Ce fut vers la douzième année de son règne que Néfertiti devait tomber
en disgrâce, quand sa deuxième fille, la princesse Meket-Aton, mourut et
fut inhumée dans le sanctuaire royal d’El-Amarna où des bas-reliefs nous
restituent la scène, devant la famille en pleurs.
Cette disgrâce est généralement située quelques temps après ce cruel
événement, et l’on peut se demander quelle a été la vie familiale de ces
deux êtres si mal assortis sur le plan physique. L’éloignement de Néfertiti
nous est connu depuis la découverte à El-Amarna de son ancien palais, où
son nom a été effacé au bénéfice de celui de sa fille aînée : Meryt-Aton
(ancienne femme du corégent nommé par le pharaon pour lui succéder).
Meryt-Aton, d’ailleurs, devait suivre de peu sa mère dans la tombe et
leur influence, à toutes deux, fut remplacée par celle de la troisième fille du
pharaon : Ankhes-En-Pa-Aton, qui était devenue la future souveraine en
épousant le successeur officiel de son père : Tout-Ankh-Aton, devenu (ou
redevenu) par la suite Tout-Ankh-Amon quand le clergé d’Amon le fit
revenir au polythéisme abandonné par Akhenaton. Les foules modernes ont
d’ailleurs fait à Tout-Ankh-Amon (ou plus exactement à sa momie) un
accueil enthousiaste qu’il est loin de mériter, car son règne est le plus court
de l’Égypte ancienne.
A la lumière de ce qui précède, nous nous apercevons que la vie
sentimentale du grand prêtre d’Aton ne fut pas des plus fastes. Akhenaton
avait vu mourir successivement le corégent, Smenkh-Ka-Ré26 (peut-être
son frère), deux de ses trois filles, dont une était devenue sa seconde
femme, la reine douairière Tyi, et surtout celle sur laquelle il s’était appuyé
durant douze ans de règne : la belle et mystérieuse Néfertiti, pour imposer
sa religion du disque ; cette religion du disque dont on peut se demander où
Akhenaton était allé chercher l’inspiration.
L’inspiration du disque
Il semble que cette inspiration ait été trouvée dans la tradition qui
rapportait que les « ancêtres » atlantes l’adoraient dans l’île de Routa. En
voici un exemple : les partisans de l’existence d’un continent englouti
affirment que les preuves d’une survivance du rite solaire des « rois-
pontifes » de l’Atlantide doivent être recherchées en Égypte et dans le
Yucatan, dernier endroit où les conquistadores espagnols se sont aventurés
après leur implantation en Amérique centrale. Or, que nous révèlent les
récentes fouilles effectuées dans cette région du globe ?
Tout simplement que, en 1937, au Mexique, plus précisément dans le
Yucatan, fut mis au jour un autel solaire en parfait état de conservation. Cet
autel, situé à Chichen-Itza, porte en effet en son milieu un disque solaire en
mosaïque bleu pâle qui servait de « miroir » au feu sacré que les prêtres y
entretenaient, car on aperçoit nettement des traces de flammes27.
Faut-il dès lors rejeter l’hypothèse de liens entre les connaissances
égyptiennes et mayas ? Nous ne le pensons pas, ramenés que nous sommes
à une période antérieure lointaine qui vit une civilisation historiquement
disparue léguer une somme prodigieuse de connaissances à plusieurs
continents. Seule la notion de « disque solaire », qui prend sa source dans
cette Atlantide si méconnue, correspond admirablement au legs commun
d’un concept civilisateur unique valable pour tous les peuples.
Lorsque Platon, arrivé en Égypte, se rendit à Héliopolis pour y étudier
pendant treize longues années, les prêtres de ce temple lui communiquèrent
des renseignements extraits de leurs archives antédiluviennes, c’est-à-dire
atlantéennes28.
Entre autres informations, les hiérophantes d’Héliopolis lui apprirent
ainsi qu’une immense pyramide se dressait jadis au centre le l’île de
Poséidon (c’est-à-dire Routa) et, raffinement de précision, lui révélèrent que
son sommet comportait une plate-forme destinée à recevoir le disque
solaire.
Les.émigrants qui mirent le cap sur l’Égypte apportèrent avec eux leur
religion et leur goût de la statuaire gigantesque que l’on peut retrouver au
Yucatan, au Mexique et au Pérou. Ainsi en est-il non seulement pour les
pyramides mais aussi pour les statues monumentales qui foisonnent le long
des avenues y conduisant. L’air de parenté ne peut échapper à l’observateur.
Dans cette optique, la position géographique même du sphinx est une
pièce supplémentaire à verser à notre dossier : on constate en effet que sa
face est exactement dirigée vers l’orient, ses yeux fixant le point de
l’horizon où le Soleil apparaît. Dans sa fixité hiératique et muette, que n’a-
t-il observé de ses yeux de pierre ?
- Combien de myriades, tour à tour, a-t-il vues arriver, lui poser du
regard leurs questions toujours vaines, puis s’éloigner, déconcertées. Il vit,
sans broncher, le monde des Atlantes disparaître à jamais, submergé. Son
imperceptible sourire fut témoin de l’entreprise audacieuse d’un Ména, le
premier des pharaons, détournant le cours du Nil chéri des Égyptiens et le
contraignant à occuper un nouveau lit. Son silence empreint de regrets a vu
Moïse, le grave, le taciturne Moïse, le saluer d’un suprême adieu. Toujours
muet, endolori, il contempla les souffrances de son pays ravagé, ruiné après
qu’eût fondu sur l’Égypte l’incursion du cruel Cambyse, empereur persan.
A la fois charmé et méprisant, il vit l’altière Cléopâtre aux boucles soyeuses
descendre d’un vaisseau dont la poupe était d’or, les voiles de pourpre et les
rames d’argent. Il vit avec bonheur le jeune Jésus en route, à la recherche de
la sagesse de l’Orient, étape préparatoire pour l’œuvre fixée à sa mission
publique, l’heure où son père l’enverra délivrer le divin message de
miséricorde et d’amour. Non sans un secret plaisir, il bénit le jeune noble,
aussi brave que généreux et lettré, que fut Saladin, et Saladin, lance dressée
en l’air avec la verte banderole portant l’image du croissant, entreprit la
chevauchée qui devait l’acheminer jusqu’au trône du sultan d’Égypte. Muet
signal avertisseur, le sphinx salua Bonaparte, instrument des destinées
européennes, le nom de Napoléon devant éclipser tous les autres, avant que
le même personnage, morne et sombre, vînt poser le pied sur le
Bellérophon, il vit, le sphinx, non sans quelque mélancolie, l’attention du
monde entier se fixer sur son pays lorsque la tombe d’un de ses fiers
pharaons fut ouverte, livrant à la curiosité moderne la royale momie et ses
nobles atours29.
Oui, les yeux de pierre ont vu ces choses et beaucoup d’autres. Que
voient-ils maintenant ? Dédaignant les humains qui s’usent et s’agitent, en
proie aux labeurs vulgaires et transitoires, indifférents au défilé
interminable des joies et des souffrances… les yeux de pierre, du fond de
leurs vastes orbites, fixent l’éternité… Immuables, à travers les vicissitudes
du temps, ils regardent les commencements du monde, les ténèbres de
l’inconnu30.
Le culte du Soleil
Aton : Dieu unique
La religion du disque nous apparaît comme un monothéisme
impersonnel : aucune représentation d’Aton ne nous est parvenue autrement
que sous la forme du disque solaire dont les rayons, orientés vers le bas,
sont terminés par des mains tenant souvent l’Ankh ou croix égyptienne
(symbole de vie).
Nous voyons dans la représentation de cette divinité une adoration de
l’énergie cosmique, puisque le pharaon Akhenaton se dit « fait » de cette
substance. Cette nature impersonnelle est très différente de la conception
des rois divins des dynasties pharaoniques. Il faut ajouter que cette énergie
cosmique implique une adoration universelle pour tous les peuples, sans
exception ni préférence. Ainsi, des territoires coloniaux comme la Syrie et
la Nubie sont placés avant l’Égypte dans l’Hymne à Aton, nouveau
catéchisme composé par Akhenaton lui-même. C’est assez dire quelle
conception universaliste préside à cette adoration, véritable religion du
cosmos.
Un autre point important est le refus de toute espèce de symbolisme,
pourtant si cher au cœur des Égyptiens. La religion officielle d’Aton ne fait
appel à aucune mythologie, à aucune légende, à aucun miracle. Le jeune
pharaon réformateur met sans cesse l’accent sur le mot vérité et en fait la
pierre angulaire de son système philosophique. C’est le même souci de
vérité qui lui fait changer son nom d’Aménophis IV en celui d’Akhenaton,
au grand déplaisir du clergé d’Amon.
Nous avons déjà remarqué que la fusion d’Amon (alors le dieu le plus
populaire) avec le Soleil : Râ, était déjà chose faite à l’époque qui nous
intéresse. Cependant, malgré cette fusion, les prêtres du vieux culte officiel
étaient toujours demeurés figés dans leur opposition irréductible au
monothéisme. Le polythéisme, ou adoration de plusieurs divinités, étant
coiffé par le clergé d’Amon, celui-ci accumulait prébendes et privilèges. De
son côté, ce n’est pas en faisant d’Amon-Râ la seule divinité de l’Égypte
que le nouveau pharaon pouvait espérer briser ce polythéisme ; il fut ainsi
contraint de procéder par étapes.
Son premier soin fut de transporter sa nouvelle capitale en un lieu
éloigné de Thèbes, baptisé Akhet-Aton (l’actuel site d’El-Amarna) en
hommage à la nouvelle divinité : le Soleil, symbolisé par un disque d’or
pur. Cette ville d’Akhet-Aton se situait à 300 kilomètres au nord de Thèbes,
position qui offrait l’avantage d’être à l’abri des intrigues du clergé d’Amon
tout en gardant un œil sur la puissante métropole religieuse. Dans sa
nouvelle capitale, Akhenaton fit bâtir un ensemble monumental de palais et
de temples pour lui-même et la nouvelle divinité. Ces bâtiments devaient
être d’une singulière beauté, si l’on en juge par les fouilles effectuées voici
un demi-siècle.
Cette nouvelle métropole, rivale de Thèbes, enjambait le Nil, à mi-
chemin du Delta et de l’ancienne capitale. Dans l’éclat de sa magnificence
toute récente, elle surgissait de l’horizon, aussi irréelle qu’un mirage dans le
désert, au terme d’un labeur acharné de quatre ans. Par la suite, d’autres
villes semblables devaient être construites sur ce modèle, l’une en Syrie,
l’autre au Soudan, soit aux deux extrémités de l’Empire égyptien, comme
pour témoigner de l’universalité de la nouvelle mystique religieuse.
Akhenaton, dans la sixième année de son règne, s’installa officiellement
dans sa nouvelle capitale et fit le serment de ne plus jamais en sortir de son
vivant. Le grand temple du culte solaire, véritable Vatican du culte
d’Aton31, centre « mondial » de la nouvelle religion, fut taillé dans les
falaises qui dominaient l’oued. Dans le calme de ce lieu éloigné de
l’agitation bruyante des villes, Akhenaton pouvait, en toute sérénité, se
consacrer à l’adoration mystique de son dieu, renouant ainsi avec la
tradition atlantéenne des rois-pontifes.
A la différence de son père, qui aimait à se retirer pour prier au plus
profond des temples, le jeune souverain sacerdotal célébrait le culte d’Aton
au grand jour, sur un autel de pierre dressé au sommet d’une pyramide ;
mais écoutons plutôt cette description :
- Le roi, montant sur l’autel, en haut de la pyramide, jeta dans le feu une
poignée d’encens. La flamme, jaillissant, pâlit au Soleil ; une fumée d’un
blanc rosé tourbillonna, et, dans les sept cours, la même fumée s’éleva des
365 autels : quelqu’un qui aurait regardé de loin aurait cru qu’il y avait dans
la ville un incendie. Levant lentement les bras au ciel, comme pour offrir
une invisible victime, le roi proclama :
« Tout ce qui est dans ce NOME, de la montagne du lever à la montagne
du coucher — terres, eaux, villages, plantes, bêtes et hommes — tout t’est
offert en sacrifice, à toi, Soleil vivant, Aton : ô Père, que ton règne soit sur
la Terre comme au ciel ! »
La sombre moisson des têtes humaines se courba comme les épis se
courbent sous le vent. Trompettes, flûtes, sistres, luths, psaltérions,
tympanons, kinnars se confondirent en un seul chœur assourdissant avec la
multiple rumeur de la foule.
« Chantez au Seigneur l’hymne nouveau ! Que toute la Terre chante le
Seigneur ! Peuples, rendez au Seigneur gloire et honneur ! Que les deux se
réjouissent et que la Terre triomphe ! Réjouis-toi, Joie du Soleil, fils unique
du Soleil, Akhenaton »32.
Cette description d’une cérémonie solaire n’est pas très éloignée de
l’idée que l’on peut se faire d’une cérémonie maya…. ou atlante. En effet,
le grand temple d’Aton, tel le Soleil trônant au milieu de l’Univers, se
dressait au cœur de la ville, entouré de sept enceintes et de sept cours
comme les sept planètes traditionnelles de notre système solaire et les sept
enceintes de Poséidonis, capitale de l’Atlantide décrite par Platon.
Dans le sanctuaire richement décoré de peintures polychromes et de
statues de rois, devant l’autel de porphyre vert dominant un escalier
monumental, le pharaon « aimé du Soleil », revêtu du costume sacerdotal,
officiait seul, intermédiaire mystique entre la splendeur d’Aton et le
commun des hommes. Trois fois par jour, à l’aube, à midi, au coucher du
Soleil, le roi saluait le glorieux disque d’or qui, tel le Père céleste, envoyait
à son fils spirituel les rayons bienfaisants de son amour universel.
Tout au long de l’année, seulement rythmée par la succession des jours
et des nuits, se déroulaient des cérémonies et des prières en l’honneur
d’Aton. L’encens ne cessait jamais de brûler dans les vasques d’or et l’écho
des chants sacrés berçait le sommeil des époux royaux. Dans le jardin en
forme de croix, symbole du rayonnement de la foi, les essences exotiques
les plus rares se mêlaient à la floraison luxuriante des lotus, des nénuphars
et des tamaris, dans le murmure des bassins d’albâtre où ruisselait une eau
scintillante puisée aux sources natives de la Terre.
Une multitude d’artistes, d’artisans et d’ouvriers, de scribes et de
fonctionnaires vivait dans l’orbite du souverain ou travaillait à embellir les
temples.
Lorsque le roi, fatigué des conseils et du protocole, voulait prendre
quelque repos, il traversait ce parc merveilleux, rempli d’animaux de toutes
espèces : paons, ibis, flamants, gazelles, guépards apprivoisés, et, par l’allée
centrale semée de sable rose, gagnait le petit kiosque à colonnes ornées de
banderoles et d’uraeus, écoutant Néfertiti jouer un air de harpe, alors que
les enfants royaux s’amusaient à ses pieds.
Le voyageur qui, venant du désert, s’approchait de cette oasis de paix
apercevait de loin la ceinture écarlate de brique émaillée constituant
l’enceinte extérieure de la ville, longue de plusieurs kilomètres. Une fois
cette première enceinte franchie, il se trouvait au milieu des riantes maisons
des fonctionnaires royaux, disposant toutes d’un petit jardin et d’une pièce
d’eau. S’il poursuivait sa route en suivant la grande avenue du Soleil, il
arrivait au pied du gigantesque portique donnant accès au palais de son roi,
et, s’il avait de la chance, en pénétrant dans la première cour, il pouvait
contempler la divine silhouette du pharaon, paraissant au balcon de ses
appartements. Mais laissons la parole au grand historien Herman qui nous
conduit à l’intérieur du palais :
- Pour les audiences proprement dites, les grands du royaume étaient
naturellement reçus à l’intérieur du palais, et nous ne risquons pas de nous
tromper en désignant la salle à colonnes, située derrière le balcon, comme
étant la salle de réception du roi. La destination de la seconde pièce,
flanquée de deux chambres latérales, est parfaitement claire : c’est la grande
salle à manger dont le plafond est supporté par des colonnes. Au centre, se
trouve une large table couverte de plats, de corbeilles à fruits et de pains ;
de plus petites tables sont garnies de rôtis et d’autres mets, il y a là aussi des
fleurs et des colliers multicolores, accessoires obligés de tout repas
égyptien. Dans les chambres latérales, sont rangées de longues files de
cruches à vin. De part et d’autre de la table, sont placés deux sièges
rembourrés et, devant ceux-ci, deux escabeaux destinés au roi et à la reine.
Un couloir, attenant à la salle à manger, donne accès aux diverses chambres
à provisions, ainsi qu’à la chambre à coucher du roi ; le vaste lit, garni de
coussins et de couvertures, de même que le chevet, ne laissent aucun doute
sur la destination de cette pièce33.
Il existait de même dans ce palais somptueux de nombreuses salles de
bains, témoin cette inscription retrouvée dans les ruines d’El-Amarna, à la
mémoire du « directeur de la salle de bains de la grande maison ».
C’est dans ce cadre à la fois mystique et grandiose d’Akhet-Aton que
vécut le pharaon réformateur, avant que sa mémoire, ruinée par les prêtres
d’Amon, ne soit maudite par la postérité.
La lutte contre le clergé d’Amon
Hostile au monothéisme solaire, le clergé d’Amon était, par définition,
opposé au pharaon réformateur. De plus, ayant organisé les bases de la
nouvelle religion, Akhenaton entreprit de faire disparaître toute trace des
dieux anciens : il fit marteler les cartouches de hiéroglyphes qui portaient le
nom d’Amon et fit fermer les temples dédiés à ce dieu. Tout cela ne se fit
pas sans mal, comme on peut l’imaginer…
Ces mesures de représailles avaient eu pour origine une tentative de
révolution fomentée par les prêtres d’Amon à Thèbes, ces derniers ne se
consolant pas d’avoir été évincés de la direction des affaires publiques.
La fureur iconoclaste d’Akhenaton s’exerça dès lors contre toutes les
inscriptions qui contenaient le nom abhorré d’Amon : il n’hésita pas à faire
ainsi rouvrir le tombeau de la reine Tyi pour en marteler les cartouches
relatifs à Aménophis III, qui faisaient allusion à ce dieu.
De cette rage de destruction frénétique s’emparant de tout un peuple,
l’écrivain Merejkovsky nous trace un tableau haut en couleurs dans son
ouvrage consacré à l’ « Élu du Soleil » :
… Ils s’approchèrent des portes occidentales du temple d’Amon dont les
plaques d’or rouge, brillant au soleil comme de la braise, portaient trois
mots hiéroglyphiques en bronze mat : «Amon, Grand Esprit ». Le mot
Amon avait été martelé, mais les deux qui restaient n’en contenaient qu’une
louange plus grande pour l’innommé.
Le garde se tenait près des portes fermées et scellées. Des gens
prosternés baisaient la poussière des dalles sacrées et priaient tout bas, car
celui qui prononçait à haute voix le nom d’Amon était saisi et
emprisonné… Ils pénétrèrent dans la cour intérieure où se dressaient des
rangées de colonnes, des faisceaux de tiges de papyrus, si gigantesques
qu’on avait peine à croire que ce fût l’oeuvre de mains humaines : il
semblait que le Grand Esprit lui-même eût entassé ces pierres éternelles en
un hymne muet à soi-même, l’innommé. De la cour, ils passèrent dans une
galerie où une lumière rare filtrait par d’étroites fenêtres touchant au
plafond. La cour était pleine de Soleil, mais là c’était déjà le crépuscule qui
rendait plus colossale encore l’impénétrable forêt des colonnes, toute
imprégnée d’encens, comme une vraie forêt est imprégnée de l’odeur des
résines. Et le calme y était aussi profond que dans une vraie forêt : à peine
entendait-on, quelque part, en haut, de faibles coups comme si des piverts
frappaient le tronc des arbres… Pareils à des araignées dans leurs toiles, des
maçons, dans des claies attachées à de longues cordes, planaient en l’air,
près des murs et des colonnes qu’ils frappaient de leurs marteaux… A
mesure qu’ils s’enfonçaient dans l’intérieur du temple, les murs se
resserraient, les plafonds s’abaissaient, toujours plus sombres, plus
redoutables, plus mystérieux ; enfin ils furent entourés d’une obscurité
presque complète ; seule, au loin, luisait vaguement une veilleuse. C’était le
saint des saints, le Sekhem, petit tabernacle creusé dans un bloc massif de
granit rouge où jadis était cachée derrière des rideaux de lin — les voiles de
la barque sacrée — une statuette en or du dieu Amon, haute d’une coudée.
Maintenant le Sekhem était vide.
Un passage étroit comme une fente conduisait à un autre petit tabernacle
où autrefois était couché sur un lit de pourpre, dans la perpétuelle fumée des
aromates, le grand bouc d’Amon, la bête divine, cœur vivant du temple.
Mais maintenant cette niche-là aussi était vide, et l’on disait que, pour
souiller le lieu saint, on y avait jeté les os d’un chien mort34.
Ces quelques lignes résument suffisamment le caractère implacable de la
lutte qui devait se poursuivre dix ans encore. Tout naturellement, le bas
peuple était dérouté par cette réforme religieuse ; il devenait de plus en plus
perméable aux critiques adressées au pharaon par les prêtres d’Amon qui ne
se consolaient pas de leur misère subite.
Pourtant, ce bas peuple devait rester fidèle à Akhenaton jusqu’à sa mort.
Il faut dire que ce souverain avait fait beaucoup pour lui. On a retrouvé, en
effet, à quelque distance de la capitale, les restes d’une cité ouvrière
modèle, construite pour les travailleurs qui édifiaient les tombes des
dignitaires dans la falaise. Chaque famille disposait, pour son hébergement,
d’une maison de quatre pièces avec jardin. On notera les peintures murales :
preuve de l’existence de loisirs et surtout d’une grande liberté d’esprit.
Quant à la religion, la découverte de statuettes de divinités interdites prouve
la permanence des croyances polythéistes chez les sujets du pharaon, mais
aussi sa tolérance.
Les ruines d’Akhet-Aton nous donnent aussi l’exemple d’un art figuratif
très différent du style conventionnel figé de l’Égypte antique. Car cette
réforme religieuse contre les prêtres d’Amon se doublait d’une révolte
artistique et morale aussi importante et révélatrice de l’état d’esprit de
l’époque : une véritable libération intellectuelle.
Ainsi, aucun souverain égyptien n’aurait autorisé, comme le fit
Akhenaton, son sculpteur officiel à le représenter autrement que dans une
attitude hiératique ou conventionnelle, à plus forte raison dans les gestes et
les attitudes de la vie quotidienne35, en dehors du style traditionnel de la
statuaire égyptienne.36
Il faut donc concevoir que ce fut le pharaon lui-même qui demanda le
rejet des règles classiques et des images idéalisées qui étaient censées le
représenter. Une preuve de cette assertion nous est fournie par le sculpteur
officiel, Bek, déclarant, sur un bas-relief d’Assouan, « qu’il a été enseigné
par le pharaon ».
Ainsi, réformes religieuse, sociale et artistique allaient de pair pour ce
monarque « au-dessus du temps ».
L’exemple même de sa fin ajoute un voile supplémentaire au mystère de
cette personnalité hors du commun.
La fin d’Akhenaton et le retour à l’orthodoxie
Comme tout réformateur, il fallait du temps au « fils d’Aton » pour
accomplir son œuvre et l’installer de façon durable dans l’esprit des
générations futures. Comme il advient souvent en pareil cas, le temps lui fit
défaut.
Il avait reçu pourtant, dans sa lutte contre le clergé officiel, l’appui des
chefs militaires, mais sa politique extérieure devait mettre un terme à cette
alliance de choix.
Bellicistes, comme tout militaire qui se respecte, les chefs de l’armée
étaient de plus en plus inquiets des résultats de la politique pacifiste du
pharaon, qui détachait de l’Égypte ses plus belles colonies du nord-est.
Faut-il croire que le souverain d’Égypte se soit désintéressé de ses
possessions extérieures ? Exemple unique dans l’histoire si l’on veut bien
imaginer que le pharaon ne leva pas le petit doigt pour défendre la Syrie,
grenier à blé de l’Égypte, contre les invasions hittites.
Akhenaton avait, en effet, si l’on en croit les apparences, poussé les
conséquences de sa doctrine de l’amour universel jusqu’à l’extrême limite.
On a retrouvé presque toute la correspondance échangée durant cette
période entre le souverain et les gouverneurs des territoires menacés
d’invasion. Ces tablettes — rédigées en écriture cunéiforme — nous
renseignent sur l’état d’esprit des alliés du pharaon, qui demandent sans
cesse des secours à la métropole pour faire face aux invasions hittites.
Il y a peut-être une autre explication, outre le fait que le pharaon
Akhenaton répugnait à l’emploi de la force : nous connaissons maintenant
son origine mitanienne. Or, les Hittites dont les armées menaçaient les
colonies égyptiennes, étaient un peuple frère, très proche des Mitaniens. Il
est probable qu’Aménophis IV éprouvait un sentiment de rejet
insurmontable à l’idée de combattre ses frères de race, d’où son attitude
passive en la circonstance, alors qu’il aurait pu aisément envoyer des
renforts et repousser les envahisseurs. Tous ces territoires, situés au nord-est
de l’Égypte (Proche-Orient actuel), furent perdus.
L’écrivain russe Merejkovsky place dans la bouche du pharaon ce
testament spirituel que ne renieraient pas, en 1970, les tenants du Flower
Power :
- Le plus grand roi d’Égypte est Amenemkhet, qui fit écrire sur son
tombeau : Sous mon règne les hommes vécurent en paix et en grâce. Sous
mon règne les arcs et les glaives restèrent oisifs. Dieu se réjouit en entrant
dans la bataille et en voyant le sang, dit l’inscription triomphale du roi
Touthmès III le Conquérant, en invoquant le dieu Amon. AMON EST LE
DIEU DE LA GUERRE, ATON LE DIEU DE LA PAIX. Il faut choisir
entre eux, j’ai choisi.
Il y aura la guerre tant qu’il y aura beaucoup de peuples et beaucoup de
dieux ; mais lorsqu’il n’y aura plus qu’un seul Dieu, qu’un seul peuple, ce
sera la paix37.
Ce ne fut que vers la fin de son règne, qui apparaît comme confuse, que
des troubles paraissent s’être déclenchés ; mais il était déjà trop tard ; le
pharaon « ivre de Dieu » mourut dans la dix-septième année de son
« pontificat ».
Il appartenait à l’armée, qui avait rendu possible cette rupture avec la
« tradition », de ramener le pays dans la voie de l’orthodoxie. Les prêtres
d’Amon reprenaient leur revanche et effacèrent jusqu’au nom sacré du
pharaon « hérétique ». Les fonctionnaires de la cour quittèrent la jeune
capitale pour suivre le nouveau souverain Tout Ankh Aton — lequel devait
bientôt changer son nom en Tout Ankh Amon — à Memphis. La ville d’El-
Amarna, singulier retour des choses, fut livrée à la furie iconoclaste des
sectaires d’Amon.
1. Cet auteur a écrit ainsi Mission de l’Inde, Mission des juifs, Mission des souverains, etc. Par
contre, il n’a jamais écrit « Mission de l’Égypte », et c’est fort dommage.
2. Paul Le Cour : Dieu et les dieux, Dervy éd., Paris, 1951, p. 37.
3. N’oublions pas que, avant le basculement de la Terre sur son axe, le pôle du froid gisait près de
Paris, si l’on en croit du moins certaines théories.
4. Les deux ailes symbolisent le dualisme du démiurge et celui de notre personnage suivant :
Zoroastre. On retrouve ce dualisme sous le nom de manichéisme (bien-mal, lumière- ténèbres) chez
les Cathares… Pour les Celtes, on se souvient des temples solaires de Glastonbury et de Stonehenge.
5. Paul Le Cour : op. cit., p. 114-115. Se rappeler, au sujet du christianisme, que l’hostie, principe
lumineux, se transforme, quand elle est élevée au-dessus du calice, en principe solaire.
6. Par « sciences naturelles », nous entendons géologie, biologie et physique du globe : pour la
géologie, ce sont les derniers effondrements de terrain que l’on situe au Quaternaire (apparition de
l’homme sur la Terre selon la science officielle) ; pour la physique du globe, c’est la présence d’un
vaste plateau sous-marin séparé des anciens rivages par des fosses de plus de six mille mètres de
profondeur ; pour la biologie, c’est la preuve de l’existence de « ponts » à travers l’Atlantique,
existence confirmée par les nombreuses similitudes constatées dans la flore et la faune des deux côtés
de l’Atlantique. Bien entendu, on peut y ajouter d’autres faits, tels que : légendes et cosmogonies
communes, symboles identiques de part et d’autre de cet océan, etc.
7. Cette pratique de l’ « endogamie » est fermement établie, aujourd’hui encore, chez les Bohémiens,
dans le dessein d’acquérir une « seconde vue ». Héritier du « sang commun » de la tribu, le
descendant se considère comme la « réincarnation » de ses ancêtres. Il en est de même dans la
religion hébraïque ; l’affirmation de la Bible selon laquelle les patriarches vécurent des siècles
s’explique naturellement si l’on veut bien admettre qu’ils vécurent dans la « conscience » de leurs
descendants. Ceux-ci pourraient ainsi « voir » tous les événements des vies passées de leur famille.
Dans cette optique, un David est aussi le « fils d’Abraham », un Joseph, le « fils de David ».
Remarquons la démarche inverse des « progressistes » qui voient dans le mélange des sangs une
manière d’ouvrir la voie à l’humanitarisme. Mais n’aboutira-t-on pas de la sorte à la création de
nouvelles races, tout simplement !
8. Marcelle Weissen-Szumlanska, Les Hommes rouges, Adyar, Paris, 1952, p. 267. On trouve dans la
Bible une allusion à ce rite de l’ocre rouge : c’est l’ « argile rouge » dont l’homme a été « pétri ». Il
est à remarquer, et ceci a son importance, que les Hymrites fondèrent Tyr : les Grecs traduisirent par
« Phéniciens », ce qui signifie « hommes rouges », le nom de ce peuple. De même, plus tard, le
philosophe Malk, élève de Plotin, prendra le nom de Porphyre (en français : pourpre). Nous
retrouvons encore cette couleur, symbole de l’initiation solaire, dans le chapitre que nous consacrons
à Napoléon, avec « l’Homme rouge des Tuileries ». Signalons enfin que les hauts grades de la F.M.
sont dits « rouges ».
10. Les jansénistes seuls, au XVIIe s., ont pressenti cette dangereuse facilité intellectuelle et les périls
qu’elle faisait courir à la foi. « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde ; il ne faut pas dormir
pendant ce temps-là », a écrit Blaise Pascal.
11. En grec, Héliopolis signifie : « ville du Soleil », cette dénomination ayant remplacé, à l’époque
hellénistique, l’ancien nom égyptien qui avait le même sens.
12. Z. Mayani, Les Hyksos et le monde de la Bible, Payot, 1956, pp. 12 et 13.
13. Pr. Skazkin, Livre des lectures sur l’histoire du Moyen Age, Moscou, 1940.
17. Un autre fait majeur induit par le culte d’Amon : l’embaumement de tous les defunts, considéré
comme essentiel à la survie de l’âme après la mort dans la religion adoptée par le clergé d’Amon
après la première révolution antidynastique contemporaine de l’Ancien Empire (jusque là, seuls les
Pharaons et les membres de la famille royale étaient embaumés alors que les autres sujets étaient
incinérés). Cet embaumement devint superflu dans la perspective d’un culte monothéiste où Osiris
(Dieu des morts) perd sa place de psychopompe, entraînant des perspectives incalculables.
18. Les traditions rapportent que, après le déluge, les Indo-Aryens se réfugièrent dans les montagnes
de l’Asie centrale et de l’Iran. Il est révélateur que l’on retrouve les mêmes indices céphaliques et les
mêmes déformations crâniennes sur les squelettes de l’âge de fer découverts dans le Caucase (voir E.
Chantre, Recherches dans le Caucase, 1885, t. 2, pp. 110-112). A rapprocher des momies Guanches
des Canaries.
19. Daniel-Rops, le Roi ivre de Dieu, éd. Le Roux, Paris, 1951, p. 10.
21. Max Heindel, Cosmogonie des Rose + Croix, 6e édition, JEP, Paris, 1959, pp. 298 et 299.
23. Marcelle Weissen-Szumlanska, Origines atlantiques des anciens Égyptiens, Omnium littéraire,
Paris, 1965, pp. 111 et 112.
24. L’application de ce « principe solaire » aux souverains régnants est également une caractéristique
des royaumes d’origine celte comme la France. Dans ce pays, en effet, les femmes furent écartées du
trône en arguant de la fameuse phrase (découverte par hasard !) de la Bible selon laquelle « les lis ne
filent point » phrase dans laquelle on a vu une allusion aux quenouilles féminines et aux lis de la
maison de France. En quoi, souvent, les textes ne sont que des prétextes.
25. Pour donner une idée de ce record de longévité politique, il faut préciser que Thoutmès III devait
être par la suite le Napoléon de son empire : c’est à lui en effet que l’Égypte est redevable de ses
conquêtes territoriales. Il faut ajouter que, à la mort de la régente, qui était en même temps sa tante et
sa belle-mère (le cas n’est pas unique dans les annales de l’Égypte), Thoutmès III (s’inspirant en cela
des coutumes de tout nouveau pharaon) s’empressa de faire disparaître le plus de traces possibles de
sa devancière.
26. Sa sépulture devait être découverte en 1907 par Théodore Davis, à quelques centaines de mètres
de celle où, en 1922, Howard Carter devait mettre au jour le sarcophage du gendre de Néfertiti : Tout
Ankh Amon.
27. Nous avons déjà fait mention, dans l’introduction à cet ouvrage, de l’expédition de la « Main
rouge », cette branche souterraine de la Rose + Croix. Cette expédition confirme l’existence du
« disque d’or » géant qu’utilisaient les descendant des Atlantes en Amérique centrale, à des fins
médico-magiques.
28. Nous savons de façon certaine que ces documents ont réellement existé. Si l’on veut bien se
rendre compte que la « Fraternité d’Héliopolis » compta à un moment plus de dix mille étudiants
(époque de sa splendeur) et disposait d’une bibliothèque renommée dans tout le monde antique (elle
servit d’ailleurs de « noyau » à celle d’Alexandrie — plus de 500 000 manuscrits et ouvrages, dont
certaines tablettes considérablement anciennes en argile rouge), on jugera du niveau de connaissance
de l’Égypte pharaonique. Malheureusement, en 390 (ère chrétienne) l’empereur chrétien Théodose
incendia le serapeum d’Alexandrie et les trésors de connaissance qu’il contenait. Cet acte criminel
reçut sa juste récompense, puisque c’est en 395 que l’on situe la « fin du monde romain ».
29. Il s’agit bien sûr du successeur d’Akhenaton : Tout Ankh Amon, dont le tombeau, inviolé, fut
découvert en 1922.
31. Lorsqu’il s’installa définitivement dans la nouvelle cité, Akhenaton fit ériger des stèles frontières
aux confins du site qu’il avait choisi : sur ces stèles, il fit graver le serment qu’il prononça de ne
jamais sortir des limites qu’il s’était fixées. Nous avons pris l’exemple du Vatican parce qu’il éclaire
le cas égyptien : le pape, de même que le pharaon, était enfermé dans la Ville sainte pour le restant de
ses jours. Mais la règle fut transgressée bien des fois — à la différence de ce que fit Akhenaton.
33. Herman et Ranke, La civilisation égyptienne, Payot, Paris, 1963, pp. 95-96.
35. Akhenaton se faisait ainsi représenter avec ses défauts physiques les plus évidents, sans aucune
concession aux conventions de l’époque. Des fouilles conduites à Thèbes ont permis, vers 1931, de
mettre au jour l’immense sanctuaire consacré à Aton : dans ces ruines, proches de Karnak furent
dégagées de gigantesques statues d’Akhenaton ; leur originalité réside dans le fait qu’elles ne
permettent pas de donner une signification humaine à celui qui se trouve représenté dans le roc.
Certains égyptologues, ne comprenant pas leur signification mystique, les ont qualifiées de
« franchement hideuses »… La plus signifiante représente Akhenaton entièrement nu, sans aucun
signe des parties génitales. Cette représentation est doublement contradictoire quand on sait que le
pharaon est, par essence, un « roi de fertilité » et que la pudeur n’a jamais été le fait de la statuaire
égyptienne. Nombreuses sont les explications plus ou moins embarrassées des égyptologues. Une
seule — la plus récente — semble valable à notre avis : elle fait de cette statue asexuée la
représentation du concept théologique de la bisexualité attribuée au Créateur, c’est-à-dire au « disque
solaire ». Que l’on se reporte au passage où nous expliquons le « mythe » de l’Androgyne.
36. Le magnifique buste polychrome de la reine Nefertiti, épouse d’Akhenaton (musée de Berlin),
découvert dans les ruines de Tel-El-Amarna, témoigne du réalisme de la sculture amarnienne,
étonnamment proche de l’art classique de l’Antiquité dont il reproduit les canons (le pouce égyptien
comme mesure).
37. Dimitri Merejkovsky, op. cit., p. 249.
38. Comment le tombeau de Tout Ankh Amon a-t-il pu parvenir intact jusqu’à nous ? Il faut sans
doute voir dans ce « miracle » unique un effet de la providence.
39. Les Égyptiens croyaient que l’âme du défunt avait besoin d’un « support » matériel pour
entreprendre son voyage dans l’au-delà. Pour cette raison, la destruction du corps était une
catastrophe épouvantable car elle condamnait l’esprit du mort à errer éternellement.
41. Une légende rapportée par Plutarque et reprise par Novalis nous apprend qu’une statue féminine
voilée s’offrait aux regards des « élèves » pénétrant dans le grand temple de Saïs : le même temple
où Platon apprit l’existence de l’Atlantide. La déesse tenait dans ses mains une tablette avec
l’inscription suivante : Je suis Isis la Grande ; celle qui fut, celle qui est, celle qui sera,
éternellement. Nul mortel n’a jamais soulevé mon voile.
42. Moïse n’est pas connu sous son nom biblique dans les annales égyptiennes, mais sous celui
d’Osarsiph, et a des parents égyptiens. (Son beau-père Jethro l’aurait « enseigné ».) Manéthon le juge
sévèrement, tout en lui reconnaissant le rôle de libérateur du peuple Hébreu. Diodore de Sicile le
considère comme un des prêtres du collège d’Héliopolis. Enfin, Clément d’Alexandrie (évêque
chrétien) met l’accent sur son grand savoir en matière d’écriture sacrée (hiéroglyphes).
43. On lira avec intérêt l’essai percutant de S. Freud, le célèbre père de la psychanalyse, sur la
personnalité de Moïse et la tradition juive : L’homme Moïse et la religion monothéïste (1938). Pour
Freud, Moïse n’était pas un juif mais un égyptien de sang princier ayant imposé le Dieu unique
d’Akhenaton aux hébreux qu’il entraîna à fuir l’Egypte pharaonique revenue au polythéisme avant de
finir probablement assasiné par des juifs idolâtres d’un certain Yahvé, « Dieu des volcans ».
45. Jacques Duchaussoy, Bacon, Shakespeare ou Saint- Germain, Paris, 1962, éd. de la Colombe, p.
192.
47. Il en est ainsi du rite dit « de Menphis - Misraïm » ne relevant pas de l’obédience du Grand
Orient (en France) ainsi que des loges napolitaines d’inspiration osiriaque, implantées en Italie du
Sud et à Venise, relevant de la tradition hermétique du collège des rites fondé par Cagliostro au
XVIIIe siècle.
Chapitre 2 - Zoroastre ou le « fils de la lumière »
Le voyageur qui visite l’Iran, en contemplant les sites désolés qui
s’étendent, à l’est de Téhéran, dans ce désert brûlé par le Soleil d’Ahoura-
Mazda, ce dieu de Lumière, a l’impression de visiter un champ de bataille
ravagé par un cataclysme nucléaire, une aire bouleversée par quelque
combat gigantesque livré par des Titans, comme si le pays tout entier avait
été brûlé par le feu céleste. Et les ruines de Suse, les restes impressionnants
des palais de Persépolis, le tombeau de Cyrus le Grand, perdu dans la plaine
chaotique de Pasargades, sont autant de témoignages attestant que ce pays
connut dans le passé un destin prestigieux.
Devant le mausolée de Darius, dont les proportions écrasantes sont un
défi à la condition humaine, plus d’un voyageur s’est interrogé sur la
signification de ces sculptures aux symboles intemporels.
Situés dans un hypogée creusé dans le roc, les tombeaux des rois perses,
qui se dénommaient « fils du Soleil », sont taillés au flanc d’une montagne
abrupte et l’entrée des salles souterraines, située à plus de trente mètres du
sol, exige pour y pénétrer l’utilisation d’un véritable matériel d’escalade. Le
portique monumental qui donne accès aux tombeaux est entouré de
colonnes surmontées de bas-reliefs à personnages. Cet ensemble imposant
n’est pas sans rappeler, chose significative, les monuments de l’Égypte
ancienne, comme si les temples colossaux de Thèbes avaient produit en ce
lieu quelque mystérieuse excroissance.
Les conquérants musulmans se sont acharnés sur ces bas-reliefs
sassanides et les visages mutilés des souverains perses semblent aujourd’hui
confondus dans une horreur pétrifiée. On reconnaît pourtant ici et là des
scènes de batailles, se détachant sur la roche basanée par les intempéries. Là
où aujourd’hui règne le désert, s’étendait une ville, rasée par la volonté du
calife Omar.
Seuls demeurent debout, témoins d’un culte grandiose, pathétiques sous
le ciel métallique des hauts plateaux, les autels du Feu, lumière d’Ahoura-
Mazda, reflets du Soleil cosmique et vestiges émouvants de la religion
fondée par Zoroastre. Pierre Loti, ce grand voyageur, pèlerin nostalgique de
toutes les civilisations disparues, nous fait de ces hauts lieux une
description saisissante.
Zoroastre, le prophète de l’Iran, naquit à Bactres vers l’an 600 av. J.-C.,
selon les estimations les plus récentes, car on ne connaît pas la date exacte
de sa venue au monde2.
La Bactriane, région orientale de la Perse ayant eu pour capitale la cité
qui lui a donné son nom, se situe aux confins de trois pays : la Chine, l’Inde
et l’Afghanistan. Cette région prend alors figure d’un boulevard de la
civilisation, placée au carrefour des grandes migrations de peuples et de
toutes les influences spirituelles. Le magnétisme de cette terre ne pouvait
que produire des maîtres de sagesse. Successeur d’une lignée d’initiés dont
l’origine se perd dans la nuit de l’Atlantide, Zoroastre est bien le fils du
Principe lumineux, de ce Logos qui anime le monde à travers les « Grands
Êtres » envoyés par la providence, qu’ils s’appellent Akhenaton, Zoroastre
ou Alexandre.
L’antique tradition aryenne est leur héritage commun, s’exprimant dans
l’originalité de leur personnalité et la variété de leur génie. Tel un fleuve qui
remonterait vers sa source, Zoroastre, en poète et en inspiré, est remonté
vers le Soleil, le verbe lumineux qui lui a inspiré ses plus beaux chants ; et
pouvait-il en être autrement, dans un pays qui ne connaît que la gloire de
l’astre du jour vers qui s’exalte une nature splendide ?
- Au nord s’étendait une chaîne de montagnes dont les sommets
étincelants de neige se relevaient à une hauteur majestueuse : c’était
l’Elbourz, cette immense crête qui unit l’Hindou Kouch aux montagnes de
la Géorgie, le Caucase indien au Caucase de Prométhée, et, au-dessus de
cette chaîne, la dominant comme un géant, s’élançait dans les airs l’énorme
dôme pointu du Demavend, blanc de la tête au pied… Pas de détails qui
arrêtent la pensée, c’est un infini comme la mer, c’est un horizon d’une
couleur merveilleuse, un ciel dont rien, ni parole ni palette, ne peut
exprimer la transparence et l’éclat, une plaine qui, d’ondulation en
ondulation, gagne graduellement les pieds de l’Elbourz, se relie et se
confond avec ses grandeurs. De temps en temps, des trombes de poussière
se forment, s’arrondissent, s’élèvent, montent vers l’azur, semblent le
toucher de leur faîte tourbillonnant, courent au hasard et retombent. On
n’oublie pas un tel tableau.
La nature a disposé l’Asie centrale comme un immense escalier, au
sommet duquel elle semble avoir tenu à honneur de porter au-dessus des
autres régions du globe le berceau antique de notre race. Entre la
Méditerranée, le golfe Persique et la mer Noire, le sol va s’élevant d’étage
en étage. Des croupes énormes placées en assises, le Taurus, les monts
Gordiens, les chaînes du Laristan, soulèvent et soutiennent les provinces. Le
Caucase, l’Elbourz, les montagnes de Chiraz et d’Ispahan y ajoutent un
colossal gradin plus haut encore. Cette énorme plate-forme, étalant en
plaines ses développements majestueux du côté des monts Soleyman et de
l’Hindou Kouch, aboutit d’une part au Turkestan qui conduit à la Chine, de
l’autre aux rives de l’Indus, frontière d’un non moins vaste monde. La note
dominante de cette nature, le sentiment qu’elle éveille par-dessus tous les
autres, est celui de l’immensité et du mystère3.
Et, ajouterons-nous, Gobineau ne s’y trompait pas ; le mystère et les
« mystères » appartiennent au berceau de la civilisation aryenne. De même
que le pharaon Akhenaton, issu d’une famille indo-européenne de Mitanni,
restaura le culte du dieu unique dans le disque brillant d’Aton, de même
Zoroastre — en védique Zarathoustra — sauva l’antique religion des Aryas
en la préservant de la superstition et de la magie noire, distillées comme un
poison par les Assyriens de Babylone, ces sectateurs de la Nuit.
Primitivement, la religion des tribus aryennes, installées entre la mer
Caspienne et la mer d’Aral dès le IIIe millénaire, était liée à l’aspect féodal
de leur organisation sociale.
En effet, à cette époque reculée, la société n’était pas encore devenue
sédentaire ; les Aryas, qui donnèrent leur nom au pays iranien (Aîriyânâm
vaêjô : « le domaine des Aryens »)4 étaient des bergers nomades poussant
leurs immenses troupeaux de bovins et de chevaux à travers la steppe vers
de nouveaux pâturages. Une noblesse de rois et de princes, appuyée sur une
caste sacerdotale puissante, dirigeait ce peuple indomptable qui allait
bientôt faire parler de lui. Alors qu’une partie des Indo-Européens occupait
les vastes étendues de la Perse, une autre migration se produisait, venant
toujours de l’Asie centrale, et pénétrant par les passes de l’Afghanistan,
celles-là mêmes qu’empruntera Alexandre le Grand bien des siècles plus
tard, envahissant l’Inde et y établissant la religion et la civilisation
brahmaniques, cependant qu’un troisième courant se dirigeait vers l’Europe
occidentale sans rencontrer de résistance. Cette commune origine des
peuples que nous croyons si différents explique les ressemblances qui
existent entre le panthéon védique de l’Inde, la cosmogonie iranienne et la
mythologie grecque, sans parler des légendes germaniques plus récentes.5
Bientôt pourtant, ces nomades commencent à vivre en sédentaires,
créant des villes fortifiées, ancêtres des premiers châteaux forts, et qui
feront l’admiration des Assyriens. Dans ces citadelles règnent des princes
dont le pouvoir tend à devenir héréditaire. Ce qu’il y a de remarquable, chez
les Aryens, dès l’époque la plus reculée de leur histoire, c’est ce sentiment
de l’union nécessaire des deux pouvoirs : le temporel et le spirituel, le
sacerdoce et l’empire, et cette notion, on la retrouvera intacte chez les
Romains, puis chez les empereurs germaniques du Moyen Age, parmi
lesquels éclate la grande personnalité de Frédéric II.
L’Imperium et l’Augurium, le Brahman et le Kshatram, voilà des
constantes de la société indo-européenne, en Occident comme en Orient.
Ces deux piliers de la vie, symbolisés dans le portique du Soleil, à la fois
dispensateur d’énergie matérielle et de forces spirituelles, sont représentés,
d’un côté, par la caste des guerriers, de l’autre, par la caste des prêtres. A la
tête du clergé est placé un grand prêtre, attaché à la personne du roi. Les
deux pouvoirs coexistent pacifiquement et vivent l’un de l’autre, bien qu’il
existe parfois certaines frictions, mais l’idéal reste l’union des deux
principes, ancrée dans le cœur des Aryas comme un chêne indéracinable.
Zoroastre priera et œuvrera de toutes ses forces pour l’instauration d’un seul
« royaume » confondant l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel.
Dans cette perspective, le monde d’ici-bas est un reflet du monde d’en
haut. Tout acte, qu’il s’agisse de la célébration du culte, de manier l’épée ou
de labourer la terre, prend alors une signification religieuse et sacrée. Une
infinité de dieux président à chaque action de la vie quotidienne qui se
déroule au rythme d’un temps sacré lié à l’ordre du monde. Les grandes
forces de la nature, le ciel, l’eau, le feu sont des puissances vivifiantes.
Ainsi l’homme de ce temps est tenu à une conduite rigoureuse : honorer
les dieux, agir droitement, seront ses devoirs essentiels.
Sacrifier, c’est rendre aux divinités une part des bienfaits qu’elles
accordent. C’est même un devoir pour tout homme libre de sacrifier trois
fois par jour : au lever du Soleil, à midi et au coucher du Soleil. Les
libations, les chants, les danses, les prières et les sacrifices forment la trame
de l’existence. Il y a cependant un point noir dans ces pratiques : les
sacrifices sanglants. Le clergé, par les offrandes des fidèles, amasse
d’énormes richesses et l’holocauste des troupeaux, bien précieux entre tous,
appauvrit ce peuple de pasteurs. Au cours de certaines cérémonies, cent
bœufs étaient sacrifiés en holocauste et des réformes religieuses s’imposent
qui dépouilleront le culte des scories qu’il traîne encore avec lui, souvenir
encore vivace des horribles sacrifices humains. Un autre danger menace
l’antique religion, c’est le ritualisme ; l’abus des formules figées et de la
magie cérémonielle, venue d’Assyrie et qui cherche à capter dans un but
égoïste les grandes forces cosmiques détenues par les dieux.
De tous ces dieux justement, il en est un qui émerge par sa noblesse et sa
grandeur : c’est Agni, le feu, homonyme d’Ahoura-Mazda, gardien de
l’ordre sacré, puissance lumineuse s’opposant virtuellement aux puissances
telluriques des profondeurs, personnifiées par le nocturne Varouna. Il est
temps de réagir et d’opérer certaines « révisions déchirantes », faute de quoi
le peuple aryen risque de sombrer un jour dans l’idolâtrie et la magie noire
si éloignée de son génie propre.
Dans ce combat contre les forces élémentaires du chaos, Zoroastre se
dresse, personnage lumineux et baigné d’un halo légendaire.
En invoquant le nom de « Zoroastre », « fils d’Oromazès » (Alcibiade,
122 A) nom hellénisé de Zarathoustra, que Nietzsche a porté aux nues dans
ses stances demeurées célèbres, Platon reconnaissait la sagesse et la
grandeur du prophète de l’Iran, cité aussi par Aristote comme une figure
marquante de l’histoire des hommes.
On a longtemps hésité pour fixer définitivement la date de naissance du
mage de l’Iran. La date la plus ancienne qui a été proposée est 6000 av. J.-
C.6, mais elle paraît difficilement acceptable. L’historien babylonien Bérose
qui vécut au IVe siècle av. J.-C. estimait que Zoroastre avait vécu vers 2000
av. J.-C. Pline le dit pour sa part de mille ans antérieur à Moïse. Les
historiens en sont arrivés cependant à une date plus récente qui fait
aujourd’hui presque l’unanimité : l’an 600 av. J.-C., un peu avant l’arrivée
de Cyrus le Grand et la formation de l’Empire perse, tout au moins en ce
qui concerne le Zoroastre historique.
A cette époque, l’Iran oriental était partagé entre plusieurs petits
royaumes cependant que les rois mèdes unifiaient l’Iran occidental et
envahissaient l’Assyrie et la Mésopotamie.
Zarathoustra était issu d’une famille noble, traditionnellement vouée au
sacerdoce. Sa mère s’appelait Dughdhovâ et son père Pourushâspa.
Comment les deux époux se rencontrèrent-ils ? Cela nous est expliqué dans
l’Évangile de Zoroastre : Pourushâspa était originaire de l’Azerbaïdjan
(Atropène antique), pays des mages et des Mèdes, dans le royaume d’Arak
que gouvernait son père, le roi Paitâraspa. Il aurait fallu une circonstance
bien extraordinaire pour qu’il rencontrât Dughdhovâ, qui vivait bien loin de
là, dans la ville de Raga, située près de la moderne Téhéran. Dughdhovâ qui
était belle et sage vivait heureuse au sein d’une famille princière et rien ne
semblait la destiner à connaître un destin particulier. Cependant, vers l’âge
de quinze ans, de nombreux soupirants commencèrent à lui faire la cour,
mais, sans doute à cause de la protection divine, la jeune fille fut alors
entourée d’un halo de lumière surnaturelle, inspirant à tous une crainte
sacrée. Les mages, emplis de jalousie, interprétèrent cet événement comme
un signe néfaste et déclarèrent que Dughdhovâ devait être mise à mort. Son
père, au désespoir, ne put se résoudre à mettre cette affreuse sentence à
exécution et exila sa fille dans les montagnes du nord-ouest, sous la garde
de son ami le souverain d’Arak, Paitarâspa. Or, le fils de celui-ci venait
d’arriver en âge de se marier. Ainsi s’accomplirent les desseins de la
providence, qui voulait que se produise la rencontre des deux jeunes gens.
Les noces furent célébrées à Bactres, cité éloignée où n’existaient pas de
magiciens et Dughdhovâ découvrit bientôt qu’elle était enceinte. Il faut bien
comprendre que, dans l’esprit des peuples du temps, la venue au monde de
Zoroastre coïncidait avec l’époque la plus noire que traversait la religion.
Arhiman, l’esprit du mal, était sur le point de triompher et, sans nul doute,
l’embrasement final mettrait un terme à cette ère d’iniquité, symbolisée par
l’âge de fer. Alors seulement, d’un petit groupe de justes ayant continué à
porter le flambeau de la lumière, après la fin du cycle, renaîtrait l’âge d’or.
Nous retrouvons cette idée cyclique d’anéantissement suivi de renaissance
dans l’Inde brahmanique et jusque dans le monde romain : que l’on songe
aux vers de Virgile annonçant le retour de l’âge d’or.
Cela prouve en tout cas, que ce mythe de l’ « éternel retour », chanté par
Platon, comme un écho lointain de la destruction de l’Atlantide, hantait les
Anciens en leur rappelant la première catastrophe du déluge universel.
Le redressement nécessaire allait se réaliser en la personne de Zoroastre,
envoyé sur terre par les forces de lumière. C’est ainsi que s’expriment les
textes sacrés :
- Au temps où le monde était troublé par les méchants, il n’y avait ni
instruction, ni direction, ni autorité parmi les hommes étourdis ; ignorant
Dieu et ses commandements, ils s’étaient détournés du culte divin.
L’Univers ayant succombé sous la volonté du démon maudit, tout le monde
s’éloignait de la justice et de la loi. Le cœur d’Ahriman était joyeux et
riant ; il était réjoui de l’égarement des hommes ; mais Dieu fit grâce à la
foule malheureuse et eut pitié d’elle ; il résolut de susciter un guide.
Le Dênkart rapporte que des archanges « fabriquèrent ensemble une tige
de hom (la plante Haomà), de la hauteur d’un homme, excellente en couleur
et juteuse lorsqu’elle était fraîche », dans laquelle l’esprit qui veillait sur
Zoroastre décida d’entrer. En exprimant le suc de cette plante et en le
mélangeant à du lait, Dughdhovâ confectionna un breuvage sacré, le Sôma
qu’elle but avec son mari. Dans la mythologie iranienne, cette liqueur est la
boisson des dieux, comparable à l’ambroisie des Germains. Les Védas nous
assurent que la boire procurait une ivresse mettant l’homme en relation avec
les dieux. S’agissait-il d’une drogue hallucinogène ressemblant au
haschish ? Sommes-nous en présence d’une résurgence symbolique de l’
« eau primordiale », ce liquide ayant donné naissance à toute vie terrestre
par la fécondation des rayons solaires ? Les deux ne sont pas impossibles et
expliqueraient en tout cas la convergence des symboles majeurs. Le secret
du Sôma est aujourd’hui perdu et son succédané actuel, utilisé par les
Parsis, n’a pas la propriété de monter à la tête !
On a même affirmé que Zarathoustra était né miraculeusement d’une
vierge. Cela nous rapproche singulièrement de l’évangile chrétien, au point
que l’on peut se demander dans quelle mesure le texte de la Vulgate7 n’a
pas emprunté à la religion de l’Iran ancien « et là se produisit une
combinaison de l’esprit glorieux de l’ange gardien et de la nature terrestre
de Zarathoustra sous la forme d’un enfant d’homme ». La jeune mère fut
avertie en songe, comme Marie le fut par l’archange Gabriel, que l’enfant
qu’elle portait en elle sauverait les bons de l’emprise des forces du mal, et
Dughdhovâ, nous dit le poète, « abreuva son âme du vin de la joie et son
cœur s’en réjouit, comme se réjouit de l’eau celui qui a soif. »
C’est au printemps, alors que le soleil inonde la nature de sa chaleur
bienfaisante, amorçant le cycle des renaissances initiatiques et astrales, que
naît Zoroastre. En fait, tout semble indiquer que Zarathoustra vit le jour
entre le 21 mars et le 20 avril, dans le signe solaire du Bélier, comme plus
tard Alexandre le Grand qui marchera sur ses traces. L’équinoxe de
printemps marque en effet le début de l’année solaire et le réformateur de
l’Iran fera du Soleil le principe lumineux qu’anime Ormuzd ou Ahoura-
Mazda, le Dieu bon. A. Volguine souligne les traits caractéristiques donnés
par le premier signe du Zodiaque qui correspondent parfaitement à la
personnalité de Zoroastre : « Le caractère que donne cet ascendant est
entier, ambitieux, viril, généreux, courageux, aimant les situations nettes,
apte à s’enthousiasmer facilement, ardent et indépendant. » Ajoutons que si
chaque signe gouverne une partie du corps, le Bélier correspond à la tête
qui est la partie la plus noble de l’individu.
Mais laissons encore une fois la parole aux textes anciens :
- Au moment où le matin du temps répandit la lumière, le bienheureux
Zarathoustra vint au monde. Il riait en quittant le sein de sa mère et de son
rire le palais fut empli de lumière. Émerveillé de ce rire et de la radieuse
beauté de son fils, le père comprit que c’était là la Gloire de Dieu, car sauf
lui tous les enfants, en naissant, pleurent. On lui donna le nom de
Zarathoustra et tout le monde sut ce qui s’était passé…
Les femmes, jalouses du rire et de la beauté radieuse de l’enfant, se
passionnaient dans la crainte qu’il leur inspirait. Jamais, disaient-elles, on
n’a vu choses pareilles ! Nous ne savons pas ce qui en adviendra ni ce qui
en résultera dans le monde, car jamais ne se vit pareil enfant, sur la Terre il
n’a pas d’égal en beauté !
Bientôt le bruit de la beauté et du rire de l’enfant se répandit dans la ville
et tous ceux qui étaient impurs et partisans de la mauvaise loi en
ressentirent comme un dard dans le cœur.
Ce fait extraordinaire frappa vivement l’imagination des contemporains,
car Pline lui-même, bien plus tard, écrit (Histoire naturelle) « que Zoroastre
fut le seul homme à avoir ri le jour où il naquit ».
Bien entendu, les forces du mal, représentées par les tenants de
l’ancienne religion, cherchèrent à se débarrasser de l’enfant et tentèrent par
six fois de le faire disparaître, mais par six fois elles échouèrent. Tout
d’abord, Dûrâsrad, un noble adonné à la magie voulut poignarder
Zarathoustra :
- Il était en ces temps un roi du nom de Dûrâsrab ; c’était le chef des
magiciens et un homme égaré. Lorsqu’il eut appris la nouvelle de la
naissance de Zarathoustra, sa face devint instantanément jaune comme la
paille. Aussitôt, il monta à cheval et se rendit à la maison de Pourushâspa.
S’étant approché de la couche du nourrisson, il vit, pareille au jeune
printemps, une figure d’où émanait la Gloire de Dieu. Il comprit le mystère
et, devenu livide comme le fiel, ordonna à un de ses serviteurs de s’emparer
de Zarathoustra et de le délivrer de sa présence. Ainsi fut fait, et cet être
immonde saisit un glaive brillant afin de couper en deux Zarathoustra et de
délivrer son propre cœur de la crainte et de l’angoisse ; mais soudain, par la
volonté du Maître de la vie, du Bienveillant, son bras devint sec et son
corps fut envahi de souffrances ; on eût dit qu’il luttait contre la mort. A
contrecœur, et frappé de maladie, Dûrâsrab s’éloigna aussitôt de la couche
de Zarathoustra. La vie de celui qui a Dieu pour protecteur et ami est
assurée contre tous les maux !
Ce fait est à rapprocher une fois de plus de l’Histoire sainte. En effet,
Marie dut cacher l’enfant Jésus pour le soustraire au massacre des Innocents
ordonné par Hérode qui avait appris des mages la naissance de l’enfant-
Dieu.
Une autre fois, les ennemis du bien cherchèrent à supprimer l’enfant de
Dughdhovâ :
- En proie à un grand trouble, les sorciers ravirent Zarathoustra à son
père. Puis ils s’en allèrent dans le désert où ils entassèrent une montagne de
bois qu’ils enduisirent de bitume noir et de soufre jaune.
Ayant allumé une flamme énorme, ils y jetèrent Zarathoustra. Mais, par
ordre du Dieu victorieux, il ne lui arriva aucun mal ; les flammes ardentes
se firent pour lui douces comme l’eau et il s’endormit au milieu d’elles.
Cette aventure fait apparaître Zoroastre comme le phénix qui renaît de
ses cendres, oiseau victorieux lié à l’épiphanie de l’astre du jour.
Les sorciers eurent l’idée de voler le bébé et de le faire piétiner par un
troupeau de vaches, en déposant l’enfant à la sortie d’un enclos à bestiaux.
Mais le stratagème échoua parce que la première bête du troupeau protégea
le bébé de ses flancs.
« Jusqu’à ce que tous fussent partis, la vache protectrice ne bougea pas
de sa place, puis tel le faucon qui s’envole vers son nid, elle rejoignit le
troupeau. »
La cinquième tentative fut identique mais eut lieu avec des chevaux. Elle
ne réussit pas plus, ce qui signifiait que le jeune Zoroastre ne pouvait être
atteint par les forces de la terre symbolisées par la vache féconde, figure de
l’élément féminin passif, pas plus que par les forces de l’air, actives et
masculines, symbolisées par le cheval, animal lié au « char du Soleil ».
L’homme était venu pour réconcilier les deux forces antagonistes, le logos
créateur et l’univers créé8.
Dans le dernier cas, le miracle eut pour cause le fait que l’esprit de Dieu
et Scaocha l’Obéissant « amenèrent une brebis laineuse avec une mamelle
pleine de lait dans la caverne, et celle-ci donna du lait à Zarathoustra, en
gorgées vivifiantes, jusqu’à l’aurore. » Si l’on ajoute que l’enfant, à sa
naissance, fut déposé sur une peau de mouton, ce bestiaire symbolique
renforce la tradition qui fait de l’enfant un être signé par le Bélier « à la
toison d’or ».
Comme le Bouddha, qui prêcha la « doctrine de l’Eveil » en Inde, il
arriva à Zoroastre, tout jeune, de « regarder longtemps vers le haut, puis
vers le bas, puis tout autour de lui ». Ce fait, qui semble insignifiant, revêt
pourtant un sens occulte de la plus haute importance. En portant son regard
au sud, au nord, à l’ouest et à l’est, Zoroastre entend prendre possession de
toutes ces contrées, sur le plan spirituel. Cet embrassement des quatre
points cardinaux forme graphiquement une croix, symbole du centre du
monde qu’il ne faut pas confondre avec la croix chrétienne, instrument de
supplice du Sauveur.
A l’âge de raison, Zoroastre fut confié à un précepteur religieux qui lui
donna le premier degré d’initiation, ainsi qu’il est coutume, aujourd’hui
encore, en Inde, sous le nom d’Upanayana. Zarathoustra montrant très tôt
des dispositions religieuses, il fut dirigé vers la caste des prêtres. Lorsque le
père avait remis l’enfant pour faire son éducation, celui qu’on venait de
choisir comme « maître spirituel » avait déclaré : « Confie-moi
Zarathoustra, ce Soleil du ciel, afin que je l’élève avec amour ; je le garderai
comme un fils bien-aimé ; comme la prunelle de mes yeux je le préserverai
de tout mal ! Remets-moi ce digne enfant, que je sois le gardien de cette
âme précieuse ! »
Vers l’âge de quatorze ans, la science de l’adolescent était telle qu’il
confondit un jour les docteurs de la Loi, exactement comme les Évangiles
rapportent le fait pour Jésus, et bien qu’ils aient été écrits bien plus tard !
Bien entendu, ces prêtres pratiquaient des rites magiques et
s’enorgueillissaient de leur puissance. Zarathoustra confondit les magiciens
en indiquant que de telles pratiques relevaient du démon : « La fin des
sorciers est l’enfer ! Le résultat de leurs œuvres, malheur et misère ! »
- A l’âge de quinze ans, dit le poète, le saint Zarathoustra ne se relâchait
pas une heure du respect et de la crainte de Dieu ; nuit et jour il restait
prosterné devant l’Auteur de la création. N’attachant point son âme aux
choses de ce monde périssable, il tourmentait son corps et le faisait souffrir
dans l’exercice de sa dévotion. Il fit beaucoup de bien dans le monde, autant
en public qu’en secret. Y avait-il quelque part un homme privé de tous
moyens de subsistance, Zarathoustra le faisait venir en secret, l’appelait
près de lui, le soignait et lui donnait bien des choses. Y avait-il quelqu’un
dans la misère, éprouvé par la souffrance et par l’adversité, Zarathoustra lui
donnait de quoi se vêtir et ce dont il avait besoin pour vivre et arrangeait ses
affaires. Pour lui, le monde et les choses de ce monde, tout ensemble,
n’avaient pas grande importance ; jour et nuit, il n’avait d’autre soin que
d’adorer le Dieu créateur. Et sa bonne gloire se répandit dans le monde
auprès des grands et auprès des humbles.
A partir de cette époque le jeune homme prit l’habitude de se retirer
fréquemment dans la solitude des montagnes de l’Iran oriental. Là, méditant
dans une grotte, Zoroastre reçut la visite d’un sage qui l’instruisit dans les
doctrines et les sciences secrètes et lui fit connaître les plus hauts degrés de
l’initiation, préparant son âme à la « grande révélation » qui devait venir
plus tard. Le nom même de Zarathoustra qui signifie « étoile d’or », ou
« splendeur du Soleil », n’annonçait-il pas le destin prodigieux du prophète
de l’Iran, placé sous la protection de l’astre qui préside aux grandes
initiations ?
Le patriarche déclara au jeune homme : « Tu seras l’apôtre d’Ahoura-
Mazda, qui est l’auréole de l’Omniscient, l’Esprit vivant de l’Univers ! »
Alors, n’ayant plus rien à apprendre, Zoroastre se retira dans la solitude,
en attendant l’illumination d’Ahoura-Mazda, le suprême logos. Vivant dans
les cavernes montagneuses, tel un yoghi de l’Inde, il se nourrissait
exclusivement de racines et de fromage, pratiquant l’ascèse végétarienne
qui procure l’illumination. Les épreuves se succédèrent, envoyées par
l’esprit du mal, Ahriman. Après la tentation de la femme, ce fut l’assaut des
mirages et des hallucinations démoniaques. Enfin, après avoir triomphé de
toutes ces épreuves, Zoroastre reçut un jour l’illumination d’Ahoura-
Mazda ; Ormuzd, le Verbe solaire, lui apparut sous la forme humaine.
- Vêtu de beauté, de force et de lumière, il fulgurait sur un trône de feu.
Un taureau et un lion ailés supportaient son trône des deux côtés et un aigle
gigantesque étendait ses ailes sous sa base. Autour de lui resplendissaient,
en trois demi-cercles, sept kéroubim aux ailes d’or, sept élohim aux ailes
d’azur et sept archanges aux ailes de pourpre. D’instant en instant, un éclair
partait d’Ormuzd et pénétrait les trois mondes de sa lumière. Alors les
kéroubim, les élohim et les archanges reluisaient comme Ormuzd lui-même
de l’éclat de la neige, pour reprendre aussitôt leur couleur propre. Noyés
dans la gloire d’Ormuzd, ils manifestaient l’unité de Dieu ; brillants comme
l’or, l’azur et la pourpre, ils devenaient son prisme. Et Zoroastre entendit
une voix formidable, mais mélodieuse et vaste comme l’Univers. Elle
disait : « Je suis Ahoura-Mazda, celui qui t’a créé, celui qui t’a élu.
Maintenant, écoute ma voix, ô ! Zarathoustra, le meilleur des hommes ! Ma
voix te parlera jour et nuit et te dictera la parole vivante. »
Alors il y eut une fulguration aveuglante d’Ormuzd avec ses trois cercles
d’archanges, d’élohim et de kéroubim. Le groupe, devenu colossal, occupait
toute la largeur du gouffre et cachait les cimes hérissées de l’Albordj. Mais
il pâlit en s’éloignant pour envahir le firmament. Pendant quelques instants,
les constellations scintillèrent à travers les ailes des kéroubim, puis la vision
se dilua dans l’immensité. Mais l’écho de la voix d’Ahoura-Mazda
retentissait encore dans la montagne comme un tonnerre lointain et
s’éteignit avec le frémissement d’un bouclier d’airain9 .
Au cours de dix années consécutives, comme Moïse sur la montagne,
Zoroastre reçut la science d’Ahoura-Mazda qui lui enseigna les vérités de la
bonne religion.
Alors seulement le prophète descendit des montagnes vers les plaines
pour enseigner sa doctrine, en opposition avec les croyances du temps. Le
missionnaire avait maintenant sa bible, livre de la sagesse céleste, appelé
plus tard l’Avesta.
Au début, Zarathoustra fut mal accueilli et même chassé à coups de
pierres. Les prêtres du culte officiel, les karpans, voyaient d’un mauvais œil
ce réformateur, prêchant la vie simple et dépouillée, en communion avec la
nature lumineuse, dispensée aux pauvres comme aux rois. Contraint de fuir
dans des régions de plus en plus lointaines, Zoroastre gagna le Séistan,
région située aux confins de l’Afghanistan, où il tenta vainement de gagner
à sa foi un prince nommé Parshat. Pourquoi le nouvel « évangile » du sage
persan suscitait-il l’incompréhension ou la haine de ses contemporains ?
A ce problème, il est facile de répondre. Bouddha, Jésus, tous les grands
réformateurs religieux se sont heurtés, au début de leur prédication, à
l’hostilité du clergé de leur temps, accroché à ses privilèges et soucieux de
garder son emprise sur les foules soumises. Mais, comme la clarté du Soleil
déchirant les nuages, le message de Zarathoustra devait triompher de ses
ennemis.
L’enseignement du sage était simple et génial à la fois. Zoroastre
proscrivait les sacrifices sanglants d’animaux comme indignes du peuple
aryen. Un seul Dieu, représenté par la lumière solaire d’Ahoura-Mazda, ne
pouvait accepter d’holocauste en sa faveur. Fini le panthéon innombrable
des anciens dieux, finis les daevas multiples auxquels s’adressaient plaintes
et supplications. Relégués au rang des entités démoniaques, ils s’étaient
dépouillés de toute leur puissance protectrice et seul Ormuzd, le Dieu bon,
méritait les prières des fidèles. Les divinités mauvaises, assoiffées de sang,
disparaissaient dans l’enfer du mal, représenté par Ahriman, le principe
mauvais luttant contre le bien en ce monde.
Cependant, Zoroastre ne répudiait pas le cadre général de la religion
ancienne. On pouvait conserver les anciens rites, à condition qu’ils
s’adressent désormais à un seul dieu, Ahoura- Mazda, dont la grandeur était
symbolisée par le pur culte du Feu, expression de la « sainteté rayonnante »
du Seigneur sage. De même que le feu cosmique rénove l’Univers dans ce
creuset gigantesque qu’est notre galaxie, de même le feu spirituel de la
religion nouvelle devait assurer la purification des anciennes croyances :
Igne natura renovatur integra (la nature est intégralement rénovée par le
feu), la devise des alchimistes n’est pas nouvelle, tant il est vrai que le
symbolisme est l’arche sacrée de la connaissance traditionnelle.
Dans la doctrine zoroastrienne, la lutte entre le bien et le mal, qui
aboutira plus tard au manichéisme et au catharisme, est représentative d’une
conception dynamique du monde, en accord avec les données de la science
moderne qui enseigne la ronde incessante des atomes au sein de la matière,
qualifiée autrefois « d’inanimée et d’inerte ». L’action de l’Univers emporte
l’existence d’un pôle positif, mais il y a aussi un pôle négatif qui est son
répondant, dans ce miroir gigantesque qu’est le cosmos. Celui qui se fie à
l’image inversée, mirage trompeur, cède aux forces du mal et devient un
magicien, absorbé par le tourbillon de l’illusion karmique. En peu de mots,
Zarathoustra expliquait au peuple cette dualité du bien et du mal et sommait
ses auditeurs de choisir entre les deux. On comprend que certains aient été
fort embarrassés devant ce choix, quand ils n’avaient pas déjà opté pour la
« magie noire », fléau de tous les temps.
Malgré cela, il ne faudrait pas croire que cette doctrine rejette la vie et le
monde. Bien au contraire, Zoroastre soulignait la beauté de l’existence, au
service de Dieu ; il exaltait tout ce qui, dans la nature, rappelait le triomphe
de la lumière sur les ténèbres : le Soleil d’abord, source de toute joie et de
toute vie, la Création ensuite, qui exalte l’œuvre d’Ormuzd et, comme plus
tard François d’Assise, le saint continuateur des troubadours, Zoroastre se
penchait sur les nouveau-nés, les fleurs, les plantes et vouait une tendresse
particulière aux animaux domestiques, sauvegarde du foyer : « C’est le
devoir du fidèle de veiller sur tout être fécondé, qu’il ait deux pieds ou
quatre pattes, sur toute femme ou toute femelle enceinte » (Vendidad) et
encore ceci : « Quiconque tue un chien, celui-là tue son âme pour neuf
générations » (Vendidad). La croyance dans la réincarnation des âmes après
la mort traditionnelle chez les Anciens (on la retrouve dans le bouddhisme,
chez les pythagoriciens, et jusque dans le catharisme et la Rose-Croix) était
respectée comme une vérité éternelle.
Dans les rites prônés par le réformateur iranien, on retrouve le
symbolisme inhérent à la lutte d’Ahoura-Mazda, puissance lumineuse,
contre Ahriman, puissance des ténèbres. Mithra, le dieu-Soleil, bien loin
d’être expulsé, fut adoré à la fois comme le feu céleste et loué dans la
plupart des hymnes sacrés. Haoma, le taureau dont le sang généreux entrait
dans la plante donnant le Sôma, breuvage sacré, survécut à travers le rite du
calice, ancêtre lointain du mythe du Graal. Il fut prescrit en outre de prier
vers l’Orient en contemplant la splendeur de l’astre du jour et l’arc-en-ciel,
ce symbole hyperboréen, était regardé, ainsi que dans la Genèse, comme
« un signe donné d’en haut par les êtres spirituels aux êtres terrestres ».
L’habitude d’entretenir un feu perpétuel au foyer devint une obligation pour
les zoroastriens fidèles dans une religion qui glorifiait la famille planétaire
et la famille terrestre.
Quant au message moral de Zoroastre, il est accessible à tous. Les bons
seront récompensés et les méchants punis. La famille est glorifiée comme la
base des institutions sociales et le pays des Aryens : Aryana Vaejo, est
considéré comme le plus beau de tous les pays, œuvre d’Ahoura-Mazda,
dont les Iraniens sont les fils. L’enterrement est considéré comme une
abomination car la chair se corrompt et doit se consumer dans le feu
purificateur.
Enfin, le devoir de l’homme consiste à être pieux, à fonder un foyer et à
honorer son Seigneur.
Cette théologie s’exprime dans des hymnes, les Gâtas, recueillis de la
bouche de Zoroastre mais écrits après coup. Les neuf (chiffre sacré)
attributs de Dieu sont :
- Les deux Manus : confèrent « l’initiation » ;
- Rta : ordre et justice (qui correspond à la souveraineté divine) ;
- Manas : « pensée » (correspond à souveraineté humaine) ;
- Kshatra : l’empire ;
- Sarvatât : l’intégrité ;
- Amrta : l’immortalité ;
- Aramati : la dévotion ;
- Agni : le feu.
Ces notions reflètent la conception hiérarchisée de l’ordre divin selon
Zoroastre. Noblesse, honneur, conduite droite et loyale sont des signes
distinctifs de la « doctrine ».
Dieu ne peut être représenté par des images, hormis le disque solaire. Et
le prophète commence par ces mots :
Je veux vous adorer en vous louant, ô ! Seigneur sage
En même temps que la justice, la meilleure pensée et l’empire
Qui sont désirés des ardents.
Les actes que je ferai et ceux que j’ai faits auparavant
Et ce qui, par la bonne pensée est précieux pour l’œil :
La lumière du Soleil, l’aube scintillante des jours
Tout cela vous loue en tant que justice, ô ! Seigneur sage !
La justice, l’empire et la bonne pensée forment la triade sacrée sur
laquelle s’appuie Ahoura-Mazda et ses trois attributs principaux. Une
strophe rappelle aux initiés qu’ils ont un rôle particulier à tenir,
intermédiaires entre Dieu et les autres hommes :
Pour l’initié, la meilleure des doctrines
Est celle qu’enseigne, en tant que justice,
Le bienfaisant seigneur saint que tu es,
Toi qui sais aussi, ! Sage !
Par la force de la bonne pensée, les doctrines secrètes.
Zoroastre, en effet, ne pouvait ni ne voulait révéler aux masses qu’il
enseignait la totalité du message qu’il avait reçu et qui n’aurait pas été
compris s’il l’avait fait. Sa « doctrine secrète » fut transmise aux
« hiérophantes » et aux gardiens des mystères, choisis parmi les fidèles les
plus dignes. Il en allait de même en Égypte lorsque Akhenaton lança la
grande réforme d’Aton.
Tout au long de cet immense poème qui se déroule comme un fleuve
majestueux, l’auteur des Gathas exalte l’œuvre divine et particulièrement le
feu, qui est l’émanation directe de l’énergie du logos :
Ton feu, Seigneur, nous souhaitons que, par la justice,
Très rapide, agressif, il soit pour celui qui t’exalte
Une aide resplendissante ; mais qu’il soit pour l’ennemi, ô ! Sage!
Selon les pouvoirs de ta main, l’éclairement de ses fautes !
Quant à la sorcellerie, aux sacrifices et à la magie noire, Zoroastre
manifeste sa colère et sa réprobation :
Les faux dieux ont-ils donc été de bons maîtres ?
Je le demande à ceux qui, en culte à ceux-là,
Regardent le sacrificateur et l’usig livrer le bœuf à la fureur
Et le prince-sorcier le faire gémir en son âme,
Et qui n’arrosent pas de purin la prairie pour la faire prospérer par la
justice.
Avant de reprendre sa marche inlassable, vers des contrées qui lui
réserveront cette fois un accueil favorable, le prophète fut cependant assailli
par le découragement et il l’exprime dans ce poème :
Vers quel pays fuir ? Où fuir, où aller ?
On m’écarte de ma famille et de ma tribu ;
Ni le village ni les chefs méchants du pays ne me sont favorables :
Comment puis-je, Seigneur, m’assurer ta faveur ?
Prenant son bâton de pèlerin, à pied, cheminant au milieu du froid et des
bourrasques, Zoroastre, vêtu d’une robe de laine blanche, vêtement des
initiés, ses longs cheveux flottants sur ses épaules, gagne, à travers des
chemins escarpés, les régions montagneuses de sa Bactriane natale où ses
efforts trouveront enfin leur récompense.
La conversion de la Perse à la religion du feu
Dans la ville de Bactres (Balkh) régnait le noble prince Vishtâpa,
cinquième souverain de la dynastie des Kayanides : le destin de
Zarathoustra allait se jouer ici et décider de son sort :
- Or le saint Zarathoustra, le pur, se mit en route pour Balkh, en vue de
gagner la cour du roi Vishtâpa. Il y arriva à une époque fortunée, se reposa
quelque temps dans le palais royal puis, après avoir, avec ferveur, invoqué
le nom de Dieu, chercha à approcher le roi. Fièrement, il entra dans la salle
d’audience et fixa son regard sur le roi, le diadème et le trône. Il vit d’abord
les chefs du royaume rangés sur deux rangs, debout et les flancs ceints, les
grands du pays d’Iran et ceux de toutes les autres régions, les chefs ou les
princes ; on eût dit que Vénus, le Soleil et la Lune remplissaient le palais de
leur lumière. Devant eux, il vit, assis sur deux rangs, pleins de dignité et de
noblesse, les docteurs, puis, autour du trône du roi Vishtâpa, deux autres
rangs de courtisans. On distinguait la valeur de chacun d’eux et s’il
possédait beaucoup ou peu de science ; et ils disputaient les uns avec les
autres devant le triomphal roi des rois ; celui qui était plus savant se trouvait
le plus proche du roi, et le roi des rois, le front ceint de la couronne de
turquoises siégeait sur le trône d’ivoire.
En pénétrant dans cette assemblée qui lui était hostile, Zoroastre savait
qu’il aurait à lutter avec les prêtres et les théologiens les plus éloquents du
royaume qui chercheraient à le confondre auprès du souverain. Mais le
prophète était aussi un très grand savant et, au cours de ses initiations, il
avait appris bien des secrets qu’ignoraient les hommes de son temps. Le
monarque bactrien fit donc approcher Zarathoustra :
Le roi des rois, ayant appelé Zarathoustra, le fit asseoir à côté de lui et
lui adressa maintes questions sur les traditions et les sciences anciennes.
Zarathoustra dûment, rendit réponse sur tout et contenta grandement le
cœur du roi, et le monarque lui donna un château fort, près de sa résidence.
Tous les sages, le cœur serré et troublés devant le roi des rois, s’en allèrent,
comptant revenir le lendemain matin, afin de reprendre la discussion avec
l’homme de la loi et le couvrir d’opprobre devant le roi ; ils ne
comprenaient pas que c’était Dieu qui rendait sa gloire éclatante.
Zarathoustra revint plusieurs fois à la cour et, ridiculisant les karpans,
convertit le roi à la nouvelle foi :
- Comme de tous les sages aucun ne demeurait qui osât souffler mot
devant Zarathoustra, celui-ci, plein de grandeur et de dignité, prenant place
au-dessus de tous, parla à Vishtâpa :
Ô Maître du monde, je suis le prophète que Dieu a envoyé au devant de
toi, Dieu par la volonté duquel les sept cieux et la Terre apparurent, et qui
créa les astres tels qu’ils sont devant ceux qui les contemplent ; Dieu qui
donna la vie et qui distribue le pain quotidien, sans reprocher ce bienfait à
ces créatures ; Dieu qui, sans que tu en prennes souci, t’a déféré la royauté,
le trône et la couronne, qui, du néant, t’a appelé à l’existence, par ordre
duquel il t’est échu de régner sur tous les hommes.
La conversion du roi entraîna celle de son peuple. Désormais, Zoroastre
disposait d’un territoire suffisamment grand pour que la religion réformée
du Soleil, faisant tache d’huile, se répande dans tout l’Iran. L’ambition
suprême du prophète était de voir la patrie de la race aryenne tout entière,
des contreforts du Caucase jusqu’au massif de l’Hindou Kousch, embrasser
le monothéisme ; unifié dans ce moule d’airain — la croyance en un seul
Dieu — formant un seul peuple et un seul empire, dominé par un seul roi, le
peuple antique de l’Iran pourrait alors, reflet lumineux de la création divine,
gagner le monde entier à la nouvelle vérité. Cette union du pouvoir civil et
religieux dans les mains d’un souverain éclairé, entouré d’un conseil de
savants et de sages, ainsi que le Soleil dans le ciel entouré par les planètes
fortifierait la « religion des Aryens » et apporterait le bonheur à son peuple.
Mais, pour l’heure, Zoroastre avait à faire face à des problèmes plus
immédiats que l’organisation de la planète, et ce rêve d’unité humaine,
toujours renouvelé dans l’histoire, depuis Akhenaton, était encore loin de se
réaliser.
Comme privilège de sa fonction de prophète, Zarathoustra reçut d’abord
le droit de prêcher la « bonne loi » dans tout le royaume.
Ensuite, Vishtâpa s’engagea à convertir, au besoin par la « guerre
sainte », les rois des alentours.
Enfin, le roi proclama la nouvelle foi, religion officielle dans ses États.
Si l’on réfléchit à la deuxième promesse du roi, on aperçoit plus
clairement les desseins du fils spirituel d’Ahoura-Mazda : volonté de
cimenter, au besoin par la force, l’union des tribus nombreuses de la Perse,
et, au-delà, volonté de créer un État fort, bastion inexpugnable de la « loi ».
Ainsi Zoroastre n’apparaît pas seulement comme un réformateur religieux,
inspiré par l’esprit, mais comme un homme d’action et même un
conquérant ouvrant la voie aux futurs empereurs achéménides et même
ressemblant, par certains côtés, à un Alexandre le Grand et, plus près de
nous, à un Frédéric II. On aurait tort de voir dans l’hommage rendu au
Soleil par tous ces hommes, qu’il s’agisse de Julien ou de Napoléon,
uniquement le signe d’une confiance aveugle dans leur destinée ; l’éclat de
l’astre du jour, et, au-delà, les fulgurations du Soleil noir, brillaient pour
tous leurs peuples et encourageaient une mystique collective du devenir
susceptible de forger une humanité nouvelle à l’image des empires défunts
de l’Hyperborée et de l’Atlantide.
Cela est si vrai pour Zarathoustra que la légende, qui recèle toujours une
profonde vérité, reporte sur le roi Vishtâpa une partie des bienfaits accordés
à Zarathoustra, signe d’union sacrée du sacerdoce et de l’empire.
Le souverain avait en effet demandé à Zoroastre quatre choses : « La
première — avait-il dit — est que mon âme soit éclairée sur la place que
j’occuperai dans l’autre monde ; la seconde, que mon corps devienne tel
qu’il n’ait cure de l’attaque des ennemis, qu’aucune arme n’ait prise sur lui
dans le tumulte des combats, car, pour propager la loi, il faudra que je fasse
encore bien des guerres. Troisièmement, que je sache d’avance ce qui va
survenir dans ce monde, de bien et de mal, manifeste ou occulte, que je
connaisse tous les événements futurs et l’avenir du monde, exactement. Le
quatrième souhait, c’est que, jusqu’à la résurrection, mon âme ne s’enfuie
pas de mon corps. »
Zarathoustra accepta, faute de quoi il aurait fait de Vishtâpa l’égal de
Dieu, de réaliser une seule de ses prières. Le roi porta son choix sur la
première. Des quatre vœux, Vishtâpa avait choisi le plus noble, ce qui était
digne d’un vrai mazdéen.
Zoroastre exauça le désir du roi et celui-ci eut par la suite deux visions
extatiques : dans la première, il fut mis en présence de deux archanges :
l’Esprit-Saint et l’Ordre sacré qu’accompagnait le Soleil invisible, le « Feu
du Seigneur ». Une autre fois, le roi se vit ravi au ciel, au cours de la
célébration d’un sacrifice. Ayant bu le vin offert par Zarathoustra, le roi
tomba en extase.
Désormais, la religion mazdéenne allait gagner tout l’Iran et jusqu’à la
Médie. Les mages, d’abord acharnés à perdre le prophète, se rallièrent à la
« religion de lumière » et les autels du feu, dédiés à la gloire solaire du
logos se dressèrent comme autant de torches vivantes de l’Esprit, reflets
terrestres des lumières du cosmos.
Ahriman, le dieu du Mal, n’était pourtant pas désarmé et restait tapi dans
le royaume ténébreux du chaos et de l’ombre. Les ennemis de l’Iran
veillaient aux frontières, et les Touraniens aux yeux bridés, nomades
parcourant les steppes de l’Asie centrale, ancêtres des Turcs et des Tartares,
sorciers et idolâtres, convoitaient les riches terres des Aryens.
Zoroastre savait que toute œuvre humaine est périssable, et son but
secret, au-delà des conquêtes temporelles et spirituelles, était de préparer les
temps futurs. Ormuzd, son dieu, lui avait prédit au cours de son
illumination, que le cycle présent de l’humanité approchait de son terme ;
bientôt prendrait fin l’âge de fer, l’âge sombre, et de cette alchimie
planétaire naîtrait la rénovation du monde. Préparer les temps futurs, former
une élite inébranlable, un roc au milieu des tempêtes, telle était la mission
de Zoroastre et du peuple iranien qui lui obéissait.
Devant les nuages lourds de menaces qui s’accumulaient dans le ciel de
l’Iran, Zarathoustra sentait que le Seigneur ne tarderait plus à le rappeler à
lui. Les Touraniens, de plus en plus menaçants, envahirent le royaume de
Vishtâpa et, pénétrant dans la ville de Bactres au moment où Zoroastre
officiait en personne devant le feu sacré, ils le transpercèrent d’un coup
d’épée dans le dos.
On était en 533 et Zarathoustra était âgé de soixante-dix-sept ans.
La Perse après Zoroastre : l’Empire du disque solaire
Après la mort du prophète, auréolé de la palme du martyre, les mages,
convertis au mazdéisme, prirent une importance de plus en plus grande
auprès des souverains mèdes et, lorsque le grand conquérant perse Cyrus,
unifiant l’Iran, mit fin à la dynastie des anciens rois et instaura l’Empire
achéménide, il fit appel au clergé de Zoroastre comme à la seule force
spirituelle existante.
Après la conquête par Cyrus II (en 539 av. J.-C.) des provinces de
Palestine et de Babylonie à l’Ouest, le monothéisme des adeptes de
Zoroastre se répand dans toute l’Asie antérieure.
L’édit de Darius Ier avait déjà proclamé le zoroastrisme religion d’État
dans l’Empire achéménide et cette profession de foi ressemble à la
révolution amarnienne d’Akhenaton, balayant l’ancien culte d’Amon. Sur
les palais et les temples grandioses construits par Cyrus, Cambyse, Xerxès,
le disque ailé du Soleil comme un leit-motiv obsédant, proclame le
triomphe de la « religion de lumière » et la gloire de l’Empire aryen. Le
calendrier zoroastrien, qui fonde le calcul des jours sur l’épiphanie solaire
et qui repousse de la sorte l’ancien décompte lunaire, est adopté par Xerxès
et le feu sacré accompagne désormais partout les rois perses dans leurs
expéditions guerrières, cependant que les mages astrologues, avant la
bataille, entonnent l’hymne sacré à Ormuzd.
Une inscription antique nous rappelle la foi mazdéenne du grand roi
Xerxès :
Quand je devins roi, des troubles agitaient ce pays que je viens
d’énumérer. Alors Ahoura-Mazda me prêta aide ; selon la volonté
d’Ahoura-Mazda, je vainquis ces pays et les remis à leur place. Et dans ces
pays il y avait un endroit où auparavant les daiva 10 étaient adorés. Alors
je détruisis, par la volonté d’Ahoura-Mazda, ce sanctuaire de daiva et
j’ordonnai : « Que les daiva ne soient pas adorés. » Là où auparavant les
daiva étaient adorés, j’adorai Ahoura-Mazda.
Lorsque, presque trois cents ans plus tard, Alexandre le Grand, pénétrant
au cœur de l’Empire du Soleil, s’interrogera sur la signification de ces
autels du feu élevés dans le désert, les mages lui répondront en lui dévoilant
le message lumineux de Zoroastre et le Macédonien sera émerveillé de
constater la similitude existant entre les grands dieux solaires : Amon-Râ,
Zeus, Ahoura-Mazda, car, à l’origine, ainsi qu’il était dit, existait seulement
« la Lumière de la Lumière, semblable à un flambeau enfermé dans un
cristal » et de cette source primordiale émanèrent d’autres entités
lumineuses, archanges ou éons qui créèrent à leur tour les myriades
d’étoiles scintillantes formant le Zodiaque et le Soleil à qui nous devons la
vie. Face aux « grandes lumières », dans l’image inversée du cosmos
régnaient les « réceptacles ténébreux », les forces négatives du pôle
inférieur.
Alexandre pouvait songer à Homère, frère hellénique de Zoroastre, car
tous deux enfantèrent pour leur peuple une « tradition d’or ». Ainsi la
mystique des nombres, présente dans l’Iliade et l’Odyssée, rejoint dans la
« perfection une » développée par Pythagore, l’essence du logos solaire.
Orphée, le divin musicien, qui vécut tel un Christ dans le pays natal
d’Alexandre, a inspiré de ses accords lyriques la harpe du poète aveugle.
Dans l’Inde voisine, Bouddha est un contemporain puîné de Zarathoustra et,
en Chine, Confucius prêche son admirable philosophie. Quant aux Gâthâs,
ces poèmes sacrés, les premières strophes commencent par ces mots : « Je
te le demande, réponds-moi en vérité, ô ! Seigneur ! » Et l’on retrouve la
même formule dans le poème nordique de l’Edda, transposition lointaine du
« mythe primordial » cher à la tradition indo-européenne et — ajouterons-
nous — atlante.
Le grand conquérant reprend en main le « flambeau de l’initiation »
lorsque les rois perses ont, de toute évidence, failli à leur mission impériale
de cosmocrator. Puis, la chaîne reste intacte avec les Ptolémées d’Égypte
qui consacrent la mission de Rome avant que la pourpre solaire ne s’abîme
pour un temps dans la nuit de l’ « âge sombre ». Pourtant il aura fallu
l’invasion arabe du VIIe siècle pour que l’on voie s’écrouler le dernier
Empire perse sassanide et que disparaisse la religion mazdéenne en Orient.
La religion d’Ormuzd avait cependant rempli sa mission en se répandant
comme le feu d’une torche dans le monde antique ; quel ne fut pas le succès
de Mithra, dieu iranien, vivante incarnation du « Soleil vainqueur de la
nuit », auprès des légions romaines, à tel point que l’empereur Julien fera
d’Hélios-roi le dieu officiel de Rome, ressuscitant le mazdéisme en
Occident, avec ce taurobole ou sacrifice du « sang pur » qui n’est autre que
la religion de l’Atlantide, berceau présumé de nos civilisations !
Quand Alexandre, dans un geste d’inspiration géniale, se proclama roi
d’Asie, souverain d’Orient et d’Occident en coiffant la tiare de Darius, il
devint de ce fait le protecteur de la « religion du feu », tant il est vrai qu’à
travers toute une lignée de destins prodigieux se manifeste l’éclat d’une
étoile qui ne pâlit jamais : le Soleil.
Aujourd’hui encore, le mazdéisme primitif n’a pas encore disparu
complètement11 et vit toujours, amoindri mais tenace, au sein des petites
communautés religieuses dispersées en Iran et en Inde, principalement
autour de Bombay où l’on peut encore voir brûler la flamme sacrée,
fascinante dans sa vasque de cuivre, au cœur des temples Parsis. On lit
toujours, dans les sanctuaires, les Gâthâs ou textes sacrés recueillis par
« Spitama » évoquant les divines paroles du maître :
Celui qui, le premier, par la pensée, a rempli de lumière les espaces
bienheureux,
Celui-là, par sa force mentale, a créé la justice…
4. Le shah de Perse, jusqu’à Riza Pahlevi (1975) portait le titre traditionnel de « Protecteur des
Aryens ».
5. Le grand ethnologue et historien Georges Dumézil a mis en évidence dans ses travaux la commune
origine des panthéons de l’Inde, de l’Iran, de la Grèce et de Rome, relevant de la répartition tripartite
en des castes dans les sociétés indo-européennes (prêtres, guerriers, agriculteurs, artisans ou
marchands).
6. Cette confusion est due au fait qu’il y eut trois Zoroastre, le premier faisant figure de mythe.
8. Cette légende n’est que la transposition des sept degrés d’un rituel initiatique.
11. Persécuté par l’islam, le mazdéisme régressa peu à peu pour se réfugier dans les régions
montagneuses où il subsista péniblement. Plutôt que d’abjurer leur loi, la plus grande partie des
mazdéens émigra dans l’Inde où le pouvoir se montrait tolérant.
Chapitre 3 - Alexandre le grand, ou le « Fils d’Amon »
Introduction
Alexandre ! Ce nom, aujourd’hui encore, résonne à nos oreilles comme
le symbole éternel de la jeunesse et de la victoire, et, en effet, la destinée
d’un tel homme est tellement exceptionnelle qu’elle paraît sortir tout droit
de la légende et non de l’histoire. Les contemporains d’Alexandre eux-
mêmes en furent tellement émerveillés que, pour le distinguer de tous les
autres personnages ayant porté ce nom, ils l’appelèrent le Grand et cette
splendide épithète, mieux que tous les éloges, couronne le front du
prodigieux héros qui, tel Jason, partit à la conquête de la merveilleuse
Toison d’or.
Et pourtant, ce demi-dieu, cet être qu’on dirait descendu de l’Olympe,
immortalisé par la statuaire antique dans l’éclat de ses vingt ans, tellement
beau qu’il semble être davantage la figuration de quelque Apollon
hyperboréen plutôt qu’un simple mortel, appartient à l’histoire ; des
hommes l’ont approché, l’ont connu, et les descriptions qu’ils nous ont
laissées ressuscitent pour nous le jeune roi de Macédoine, et ce n’est pas là
le moindre prodige. A travers une suite ininterrompue de victoires
foudroyantes, le fils de Zeus parvint, à l’aube de sa trentième année, à
toucher, sur les bords de l’Hydaspe, à l’Empire du monde. Un suprême
effort, et sans doute l’Inde millénaire ouvrait ses portes au fils du Soleil en
lui dévoilant les sources de la lumière. Le gouffre de la mort engloutit ce
rêve démesuré. Terrassé par la maladie, à peine âgé de trente-trois ans,
chiffre fatidique, Alexandre emporta le secret de son génie dans le mausolée
de cristal et d’or qui accueillit son corps en Égypte.
Ce n’est pas en relisant les historiens modernes du grand capitaine,
acharnés à chercher, dans le déroulement de la politique et le tourbillon des
batailles, la clef d’un destin incommunicable, que nous pourrons répondre à
l’ultime interrogation : qui fut vraiment Alexandre ?
La réponse à cette unique question, et qui les contient toutes, ne peut être
trouvée dans un horizon rationnel. Délivrons-nous un instant des images
toutes faites et des clichés conventionnels qui nous tracent le portrait
rassurant d’un Alexandre théâtral figé dans le carton fade d’une tapisserie
des Gobelins. Les faits, pour importants qu’ils soient, ne sont pas le miroir
de la vérité. Au-delà des événements politiques, des conquêtes militaires, et
de tous les faits, grands ou petits, qui pleuvent sur nous comme une grêle
d’orage, il nous faut déceler la magique essence de la divinité qui se
présente devant nos yeux comme la lumière déchirant les nuées.
Alexandre fut un grand esprit mystique, profondément pénétré du
sentiment de son origine supra-humaine et des conséquences qui
découlaient d’une pareille vision. Fils spirituel d’Amon-Râ, ce dieu
suprême tenant dans ses mains les attributs cosmiques du feu créateur, la
foudre et le Soleil, le plus grand héros de l’Antiquité s’inscrit bien dans
cette lignée de créatures divines engendrées par la volonté du logos.
Et si, comme nous allons le voir, le destin d’Alexandre fut celui d’un
météore, pouvait-il en être autrement ?
Le tombeau d’Alexandre
« Où se trouve, dites-moi, le tombeau d’Alexandre ? » demandait déjà, à
la fin du IVe siècle de notre ère, saint Jean Chrysostome, et, aujourd’hui,
bien des touristes visitant Alexandrie posent naïvement cette question,
comme si la présence du corps du grand conquérant dans cette
« mégalopolis », allait de soi !
Pourtant, la dépouille mortelle d’Alexandre fut bien enterrée dans cette
ville d’Égypte, il y aura bientôt vingt-trois siècles.
En mourant, Alexandre le Grand emportait le secret de son prodigieux
destin avec lui et la clé du mystère fut peut-être enfermée dans sa tombe.
Mais avant d’en venir là, il faut sans doute expliquer par quel chemin le
corps du héros parvint des bords de l’Euphrate aux rivages du Nil. L’idée
d’être enterré en Égypte venait-elle d’Alexandre lui-même, désireux de
retrouver pour l’éternité la terre sacrée de son dieu tutélaire, Amon-Râ, le
Soleil vivant ? L’historien grec Lucien lui attribue ces paroles en réponse à
une question de Diogène : « Voilà trois jours que je suis gisant à Babylone ;
mais Ptolémée a promis de me faire porter en Égypte pour y être enseveli et
mis au rang des dieux. » Vrais ou faux, ces propos correspondent en tout
cas aux sentiments profonds du jeune roi, mort dans sa trente-troisième
année. Sa visite à l’oracle d’Amon, qui lui avait promis l’Empire de
l’univers, l’avait trop profondément marqué pour qu’il ne souhaitât pas
reposer dans la terre des pharaons. Plusieurs fois déjà, au cours de sa vie, il
avait confié à ses proches son désir d’être inhumé, sinon dans Alexandrie
même, la ville qu’il avait fondée, du moins dans le sanctuaire qui lui
rappelait sa foudroyante ascension, au cœur de l’oasis libyenne cernée de
tous côtés par les feux du dieu-Soleil.
Malgré cette volonté bien déterminée, la dispute fut grande dans le camp
des héritiers pour savoir qui, des Macédoniens, des Syriens ou des
Égyptiens aurait le corps d’Alexandre. Les premiers le réclamaient avec
insistance, comme leur revenant de droit puisqu’il s’agissait de leur roi. Ils
voulaient donc le déposer dans leur capitale d’Aegae en Macédoine.
Finalement, Ptolémée, un des généraux d’Alexandre qui s’était emparé de
l’Égypte, déroba la dépouille qu’il fit transporter vers Alexandrie après
l’avoir embaumée, au milieu d’une pompe grandiose que nous a décrite très
fidèlement l’écrivain ancien Diodore de Sicile :
2. Dans la symbolique des animaux, le bouquetin ou bélier est la représentation traditionnelle du dieu
Amon, père spirituel d’Alexandre. En astrologie, science particulièrement prisée dans l’Antiquité, le
signe du Bélier est un signe d’air et, en ce qui concerne le conquérant, il représente la course du
Soleil, Râ, dans le temps du Bélier. Sur de nombreuses pièces de monnaie, Alexandre est figuré le
front orné des cornes sacrées du bélier solaire.
7. Qu’il ne faut pas confondre avec Alexandre le Grand ou Alexandre III de Macédoine.
9. L’origine des Cabires se rattache aux Pélasges, peuples préhelléniques dont l’histoire se perd dans
la nuit des temps. Leur présence dans l’île de Samothrace est soulignée par la légende selon laquelle
c’est dans cette île de la mer Égée que furent initiés Jason, les Argonautes, Pythagore et Orphée. Les
Cabires sont considérés comme des « théurges du feu » et comme des précurseurs dans le travail des
métaux (ou « métallurges ») et les pères de l’alchimie.
10. Les foyers de Vulcain symbolisent le Soleil intérieur de la Terre, double du Soleil céleste.
18. L’oracle de Delphes était le plus célèbre de la Grèce. Les consultants arrivant dans le sanctuaire
d’Apollon devaient d’abord faire une offrande au dieu et accomplir un sacrifice. Si les augures
s’avéraient favorables, les prêtres admettaient le consultant à pénétrer dans le temple et allaient
chercher la Pythie afin de l’ « introduire ». Celle-ci devait être âgée d’au moins cinquante ans, bien
qu’elle fut vêtue comme une jeune fille. Elle était choisie entre toutes les Delphiennes pour la pureté
de ses mœurs, car, à partir de son entrée en fonction, elle devenait l’épouse du dieu. Avant chaque
consultation, la Pythie se rendait à la fontaine Castalie où elle procédait aux ablutions rituelles qui
devaient la rendre absolument pure. Elle gagnait ensuite la grande salle (cella) où se dressait l’autel
de Poséidon et le célèbre Omphalos, ce nombril du monde fait d’une pierre « tombée du ciel » que les
Anciens appelaient un « bétyle ». La prophétesse se retirait alors dans le « saint des saints » après
avoir procédé à des fumigations consacrées de laurier. La pièce souterraine où elle « communiquait »
avec Apollon était seulement garnie d’un trépied sur lequel la Pythie se plaçait, et d’une statue en or
du dieu solaire. Là, respirant les émanations de la terre, elle entrait en « enthousiasme », c’est-à-dire
dans un délire sacré. La réponse oraculaire était interprétée par les prêtres qui la remettaient au
consultant sous la forme d’une plaquette rédigée en vers. L’oracle ne pouvait être consulté que
certains jours. Alexandre se présenta un jour « néfaste », c’est pourquoi la Pythie ne voulut pas lui
donner de réponse. Impressionnée par l’allure du jeune prince, elle ne put retenir cependant la phrase
célèbre que nous connaissons.
20. Ami d’enfance très proche d’Alexandre, Hephestion fut associé par le grand conquérant à toutes
ses victoires. Les deux hommes étaient unis par un « pacte d’amitié » scellé dans le sang et
indissoluble. La mort d’Hephestion, tué au combat, fut pour Alexandre une perte irréparable où il vit
l’annonce de sa propre fin. Alexandre aimait à comparer son amitié pour Hephestion à celle,
légendaire, d’Achille pour Patrocle.
21. Les chakras sont les centres de force dans l’homme. Le terme est hindou et signifie « roue ». Au
nombre de sept (chiffre sacré), ces centres, connus des initiés depuis la plus haute Antiquité, ont été
redécouverts en Occident au xxè siècle par la pratique du yoga. Les différents chakras sont, en
partant du bas : le chakra-racine (à la base de la colonne vertébrale), le chakra de la rate, le chakra
ombilical, le chakra du cœur, le chakra de la gorge, le chakra du front et enfin le chakra du lotus
(sommet du crâne). Chaque centre est un point d’énergie, soleil miniature placé le long du courant
d’énergie vitale formé par le « serpent de feu » circulant le long de l’épine dorsale. L’éveil des
différents chakras, selon des techniques secrètes, entraîne l’apparition de pouvoirs supranormaux liés
à une progression spirituelle correspondante. Quant à l’origine de ce courant d’énergie véritablement
prodigieux, on ne peut l’expliquer que par la condensation dans l’homme des forces solaires
véhiculées par l’éther (Pour de plus amples développements, voir l’ouvrage de Tara Michaël, Les
chakras).
23. Mircéa Eliade, Traité d’histoire des religions, Payot, Paris, 1970, p. 197.
24. Certains n’ont pas hésité à penser que ce » talisman » porté par Alexandre le Grand n’était autre
que la table d’émeraude d’Hermès Trismégiste, initiateur de l’Égypte.
26. Arnold Toynbee, Entre l’Oxus et la Jumna, Oxford, 1961, pp. 92-95.
27. Alexandre poussa au nord jusqu’au Khazakstan actuel, au nord du fleuve Iaxartes, qui va se jeter
dans la mer d’Aral. Cette steppe était alors sillonnée par des guerriers nomades, les Scythes. C’est sur
les bords de ce fleuve que le conquérant fonda « Alexandrie-du-bout-du-monde ».
28. Dans la capitale du royaume de Porus, Taxila, Apollonius de Tyane, ce théurge pythagoricien qui
vécut au Ier siècle, découvrit avec une joie mêlée de surprise que le souvenir d’Alexandre était
toujours vivace après trois siècles : « Apollonius et Damis entrèrent dans un temple qui se dressait
tout près, mais en dehors de l’enceinte des murs. Des colonnes de porphyre entouraient une cella
centrale dont les parois recouvertes de bas-reliefs en bronze perpétuaient le souvenir des exploits qui
rendirent la mémoire de Porus inséparable de celle d’Alexandre. Sur un fond noir, l’or, l’orichalque
et l’argent faisaient étinceler, avec un art somptueux de la couleur et une science parfaite du relief et
du creux, les cuirasses, les casques et les boucliers des guerriers. Ce temple magnifique avait été
construit à la gloire d’Alexandre par Porus lui-même : c’était l’insigne monument d’une gratitude
durable. » Ainsi, jusque dans l’Inde, Alexandre fut vénéré comme un dieu et, chose plus étonnante,
comme un dieu solaire. Dans le temple du Soleil de la même cité, Apollonius put encore contempler
la momie d’un éléphant de guerre qu’Alexandre, en souvenir du héros de l’Iliade, avait nommé Ajax
et consacré au Soleil. Sur un anneau d’or qui entourait une défense, on pouvait lire : Alexandre, fils
de Zeus, consacra Ajax au Soleil. Et, fait plus significatif encore, la statue d’Alexandre avait été
placée dans ce dernier sanctuaire. (In : Apollonius de Tyane, par Mario Meunier, Grasset, 1936, p.
75).
29. La légende relaie ici l’histoire et consacre l’ « ascension d’Alexandre » vers le Soleil. Des
nombreuses scènes, sculptures, peintures et même bijoux représentent cette apothéose. Rome à son
tour élèvera Alexandre au rang des dieux et le grand Macédonien possédera ses temples dans la Ville
éternelle. Pour en revenir aux représentations de l’ « ascension » du héros, on y voit le plus souvent
Alexandre debout sur le char d’Hélios (le Soleil) traîné par des griffons ou des lions ; un autre type
de représentation le montre enlevé sur son trône ; un troisième groupe fait enlever Alexandre par des
aigles qui l’emportent vers l’astre éternel. Sur toutes ces figurations, une étoile brille au-dessus de la
tête du personnage, symbole astrologique évident de Sirius, l’astre qui préside aux destinées des rois
selon les Égyptiens et les Chaldéens qui l’appelèrent Sarrus, le roi ou le « maître des cieux ». Son
apparition dans le ciel, comme nous l’avons expliqué (infra), correspond à l’épiphanie du Soleil au
solstice.
Alexandre le Grand : il voulut dépasser les dieux (photo Boudot-Lamotte)
Chapitre 4 - Julien ou « Hélios-Roi »
Je suis en effet l’adepte du roi Hélios (Julien).
Si le hasard d’un voyage dans la Ville éternelle vous pousse à visiter le
musée du Capitole, sans doute ne remarquerez-vous pas, au milieu de
sculptures splendides rappelant les fastes des mécènes romains, un buste de
marbre ou le ciseau du sculpteur a voulu figer les traits austères de
l’empereur Julien, qui régna de 361 à 363, et demeure une des plus belles
figures de l’Antiquité, malgré toutes les calomnies qui ont entouré sa
mémoire et lui ont valu l’injuste surnom d’« Apostat ».
Regardant le masque impassible du César qui, mieux que les statues les
plus belles, évoque la grandeur de Rome, j’ai vu, aux approches de midi, le
visage de l’empereur se nimber d’un halo doré envoyé par les rayons de
l’astre du jour et, devant ce miracle solaire, apothéose renouvelée du
glorieux Hélios-roi, mon esprit se trouva transporté seize cents ans en
arrière, lorsque le flambeau de la religion antique jetait ses derniers feux sur
un monde exténué et près de sombrer dans le long sommeil de la
décadence.
Il fait nuit. Dans le palais de Constantinople, siège de l’Empire romain
restauré par Constantin, des gardes avancent silencieusement : ils ont
l’horrible mission de massacrer par surprise les membres de la famille
royale et de les exterminer jusqu’au dernier. L’ordre a été donné par
l’empereur Constance lui-même, qui veut ainsi se débarrasser de tous ses
rivaux en puissance, car ce grand souverain, ce chrétien pieux se voit
entouré de poignards ; ayant usurpé le trône, il a peur d’être renversé par un
coup de force qui porterait au pouvoir un représentant légitime de la famille
impériale.
Les soldats pénètrent soudain dans les chambres, éblouissant les
dormeurs avec des torches allumées, et, ne leur laissant pas même le temps
d’implorer la vie sauve, ils se ruent, le glaive haut, sur les enfants et les
vieillards dont les cris s’éteignent dans un râle sanglant. Bientôt le dallage
de marbre se couvre d’un épais ruisseau de sang où se débattent les victimes
agonisantes. C’en est fait de la glorieuse dynastie des Flaviens ; pas
complètement pourtant, car, dans leur hâte homicide, les bourreaux ont
oublié deux enfants, livides et tremblants de tous leurs membres, dissimulés
derrière une tenture. Lorsque les gardes palatins s’aperçoivent de leur oubli,
la soif de meurtre leur a passé et ils n’osent tuer de sang-froid les deux
bambins qui se serrent l’un contre l’autre afin de se protéger mutuellement,
au comble de la terreur.
De cette épouvantable nuit, Julien se souviendra toute sa vie, entendant
encore, dans un cauchemar sans fin, le cri de ses parents que l’on égorgeait.
C’était en 337. Pourtant, le meurtrier était l’oncle de Julien et ce dernier,
dans une lettre aux Athéniens, déclara plus tard :
- C’est chose notoire que je tire mon origine de la même lignée
paternelle que Constance : mon père [Jules Constance] et le sien
[Constantin] étaient frères consanguins. Et pourtant, malgré les liens de
parenté intime qui les unissaient, voici comment nous traita ce souverain si
humain : six de mes cousins et des siens ; mon père et un autre oncle
commun du côté de mon père furent mis à mort sur son ordre sans autre
forme de procès. Quant à moi et à mon frère [Gallus], il voulait nous tuer
aussi. Mais il préféra, tout compte fait, nous condamner à l’exil.
En effet, après le massacre de leur famille, Julien et Gallus furent exilés
dans la ville de Nicomédie, non loin de Constantinople, mais sur la rive
asiatique de la Propontide.
Nicomédie fut à une certaine époque la capitale de l’Empire oriental.
Quand Julien y arriva, elle n’était plus qu’une ville déchue conservant
encore, de sa grandeur passée, le surnom de « Perle de l’Asie ». Sa rade
merveilleuse toujours teintée de ce bleu violet qui semble sorti de la palette
d’un peintre d’émaux, ses temples aux marbres dorés, ses bains et ses
thermes immenses et fastueux, le cirque de montagnes bleutées qui barrait
l’horizon de ses palais rappelaient trop les fastes impériaux et la beauté
d’un site qui ne pouvait que blesser le jeune enfant, séquestré dans les
appartements d’une villa des faubourgs. Julien s’échappait parfois de la
tutelle de son tuteur Eusèbe, qui faisait plutôt figure d’espion placé par
Constance, pour folâtrer dans la campagne environnante ou sur les bords de
la mer de Marmara. Julien a décrit lui- même la maison de Bythinie où il
séjourna un temps :
- Cette campagne se trouve à peine à vingt stades de la mer, et l’on n’y
est point importuné par le marchand ou le matelot bavard et insolent.
Pourtant, l’endroit n’est pas privé tout à fait des faveurs de Nérée : on y
trouve toujours du poisson frais et palpitant, et si, sortant de la maison, tu
montes sur un certain tertre, tu apercevras la mer Propontide, ses rives, et la
ville qui porte le nom du grand empereur. Tu ne marcheras pas sur des
algues et des mousses… Tu ne fouleras que le smilax, le thym et des gazons
odoriférants. Tu trouveras un calme profond, et si tu veux t’y coucher en
parcourant un livre ; puis, pour reposer tes yeux, rien de plus agréable que
le spectacle des vaisseaux et de la mer. Lorsque j’étais tout jeune, ce séjour
d’été me semblait délicieux : il a des eaux excellentes, un bain charmant, un
jardin et des arbres. Homme fait, je demeure épris de ce vieil asile du
passé : j’y revins souvent, et jamais il ne me revit sans que je fisse leur part
aux lettres dans les loisirs1.
Ce que Julien ne confesse pas dans cette lettre, c’est l’expérience
initiatique qu’il reçut du logos solaire, signe d’un destin fixé par les astres,
alors que, tout jeune garçon, il se reposait sur les collines qui surplombent
la mer. Bercé par le bruit monotone du ressac, Julien s’endormit : il se sentit
ainsi transporté au-dessus des flots et aspiré par une grande source
lumineuse : le Soleil. Alors retentit l’appel cent fois répété de son nom :
Julien… Julien… Julien ! Et ce son allait crescendo, grondant comme la
voix du tonnerre. Hélios, le Soleil-dieu de l’Orient, appelait son fils bien-
aimé, et dans ses veines, l’enfant sentit passer le fluide brûlant de la
divinité, lui, le descendant d’une lignée d’empereurs dévoués au culte du
Soleil, père des grandes initiations ; cette clarté aveuglante l’étourdit ; il se
sentit aspiré par un abîme vertigineux. Alors, il se réveilla. L’astre s’abîmait
dans les flots, jetant ses derniers feux sur l’horizon teinté de pourpre.
Transfiguré, Julien regagna à pas lents la villa blanche, entourée de lauriers
et d’oliviers, qui lui servait de prison dorée.
Le garçon de douze ans songeait-il en cet instant à l’antique tradition du
culte solaire, dont il venait de connaître la révélation ? Déjà, aux premiers
temps de l’Empire romain, Auguste, féru d’astrologie et de sciences
occultes (n’oublions pas qu’il était natif du Capricorne, ce signe cher aux
initiés) vénérait en Apollon le dieu-Soleil, père de la Rome éternelle, et fit
transporter d’Égypte, pour marquer cette protection d’Hélios, un obélisque
en pierre noire qui, depuis bien des siècles, se dressait dans la ville sacrée
d’Héliopolis, érigé sur l’ordre du pharaon Aménophis III, le père
d’Akhenaton qui, le premier, consacra la prééminence du dieu solaire Aton.
Dressé sur le forum romain, le monolithe rappelait à tous les empereurs les
devoirs sacrés dus au divin logos.
Par la suite, l’empereur Hadrien se fit initier aux mystères de Mithra, le
Soleil ressuscité, et Septime Sévère adorait Zeus-Hélios, dans le temple de
Baal’Beck, en Syrie, rappel émouvant de la « religion de lumière »
instaurée en Orient par Zoroastre. Plus tard, c’était déjà le Bas-Empire et le
christianisme commençait à triompher des anciens cultes. Aurélien, qui était
fils d’une prêtresse du Soleil, en devenant le premier empereur de la
dynastie illyrienne, exprima sa dévotion en proclamant la royauté de
I’invincible soleil (Sol invictus). Il voyait dans ce culte le bien de l’Empire
et la garantie de son unité, menacée par les « galiléens ». Les chroniqueurs
rapportent qu’Aurélien, avant de livrer combat à l’ennemi, vit l’apparition
du dieu-Soleil en personne qui lui donna la victoire. Afin de marquer ce
triomphe, l’Auguste fit élever un temple du Soleil dans Rome même enrichi
des dépouilles de Palmyre qui venait d’être vaincue. On institua un collège
de prêtres pour servir la déité omnipotente et des jeux quadriennaux furent
créés en son honneur.
En fait, ainsi que le souligne Stewart Perowne, tout fut mis en œuvre
pour installer une religion officielle qui donnât satisfaction aux aspirations
du monothéisme.
N’était-ce pas également le sens de la réforme religieuse d’Akhenaton et
de Zoroastre dont le but occulte était la création d’une fraternité d’initiés,
les « Frères d’Héliopolis » ? Plus près de nous, Alexandre n’avait-il pas
marché sur les traces des « inspirés » en se proclamant COSMOCRATOR,
appelé à gouverner l’Univers par la grâce de Zeus-Amon ?
Le paganisme romain, ainsi que les vieilles religions de l’Orient, était
tout pénétré de cette conception solaire de l’initiation que l’on retrouve chez
les ROSE + CROIX et dans la franc-maçonnerie, preuve d’une tradition
immémoriale. Léon Homo l’a très bien perçut quand il écrit :
- Les divinités séparées, Jupiter, Apollon, Mars, Sérapis, Attis, les Baals
orientaux, Mithra, apparaissent toutes de plus en plus comme autant
d’incarnations, autant d’exactes représentations d’une divinité supérieure,
c’est-à-dire du Soleil.
Constantin le Grand lui-même, qui se rallia au christianisme, hésita
longtemps entre le culte de Mithra et la religion du Christ. Ce n’est qu’à la
fin de sa vie qu’il promulgua son fameux édit faisant du christianisme la
religion officielle de l’Empire, sans toutefois proscrire l’ancien culte romain
dont il demeura grand pontife ; c’est que, en effet, ces empereurs illyriens
descendants de princes germaniques ralliés à Rome portaient dans leur sang
cette communion avec la nature qui s’exalte dans le panthéisme solaire et
Julien laissait parler en lui la voix impérieuse de sa race.
Bientôt, estimant dangereux un exil si proche de la capitale, Constance
fit transférer Julien et son frère dans une région plus lointaine, au cœur de la
sauvage Cappadoce, une contrée montagneuse couverte d’épaisses forêts.
Là se dressait la forteresse impériale de Macellum. Ici, au moins, les jeunes
otages ne seraient pas tentés de comploter contre le prince. Coupés du
monde extérieur, la seule distraction des prisonniers était la chasse au gibier
qui foisonnait dans les bois environnants.
L’éducation de Julien se devait d’être chrétienne, puisque l’empereur
avait adopté ce nouveau culte. A cet effet, l’évêque Georges de Cappadoce
fut attaché à son éducation. Dans la riche bibliothèque du prélat, le jeune
garçon, très éveillé à la culture hellénique, trouva un aliment à son goût. En
dehors des auteurs chrétiens, Origène, Lucien d’Antioche et Eusèbe de
Césarée, Julien découvrit les philosophes néoplatoniciens : Plotin, Porphyre
et enfin Jamblique, dont les Mystères d’Égypte devaient laisser en lui une
profonde impression. Apparemment soumis et catéchumène docile, Julien
commençait à échafauder une conception du monde assez éloignée, en
réalité, des principes chrétiens. Pourtant, dans la pensée de ses éducateurs,
le jeune prince devait être orienté vers la carrière ecclésiastique ; la
théologie l’écarterait de la politique.
Après quelques années de surveillance, Julien fut jugé inoffensif. On lui
permit ainsi de se rendre à Constantinople où il pourrait continuer ses
études. Écoles et bibliothèques rivalisaient de richesse dans la métropole
orientale qui se flattait de posséder quelques-uns des meilleurs rhéteurs du
monde antique : Nicoclès et Libanius. Écoutant les commentaires d’Homère
et d’Hésiode, qui le ravissaient, Julien s’imprégnait de plus en plus de
l’esprit hellénique, aussi éloigné que possible des textes de l’Ancien et du
Nouveau Testament.
Le prince continuait pourtant à fréquenter les églises et assistait
régulièrement aux offices. On commençait à connaître le petit-fils de
Constance Chlore, et dans les milieux érudits comme dans le peuple, le
jeune prince plaisait par son intelligence et sa simplicité :
- Dans la mise la plus simple, sans autre escorte que celle de pédagogues
austères, on le voyait se rendre ponctuellement à ses leçons. Lui, le petit-fils
de Constance Chlore, le neveu de Constantin, le cousin de l’empereur
régnant, n’avait aucun souci de garder son rang. Il répondait aux invitations
et, nulle part, il ne réclamait la préséance. A l’école, il obéissait avec le
même empressement que les autres ; il partait en même temps que les
autres ; il ne demandait rien de plus que les autres. Si, brusquement, l’on
avait fait irruption dans la salle où il se trouvait, on aurait eu beau le
chercher des yeux parmi les élèves : on n’aurait pu le reconnaître par
aucune des marques par lesquelles s’affirment d’ordinaire les situations
éminentes… Cependant, malgré son effacement volontaire, ce qu’il y avait
de royal dans sa nature se révélait par des indices frappants2.
Au physique, l’historien Bidez nous trace du jeune prince un portrait très
vivant :
- Julien, en effet, approchait de sa vingtième année, et il était dans toute
la beauté de son adolescence. De stature moyenne, il avait les épaules
larges, le corps bien fait, et, surtout, une physionomie attrayante. Ses yeux
étaient pleins d’éclat et il avait le regard émouvant d’une jeunesse ardente
et prête à s’exalter pour tout ce qui paraissait juste et noble. Si l’on ajoute
qu’il était ouvert, vif et enjoué, autant que simple et affable ; que, dans la
rue, il se laissait aborder par les plus humbles sans emprunter la morgue
hautaine, la rigidité hiératique que Constance s’étudiait à prêter à son
attitude quand il paraissait en public, on s’expliquera le malaise et les
alarmes de l’empereur, lorsqu’il apprit par des délations la popularité
grandissante de son cousin3.
En effet, Julien reçut bientôt l’ordre de quitter Constantinople pour
revenir à Nicomédie, où il avait passé la première partie de sa jeunesse.
Heureusement pour lui, la métropole de Bythinie venait, en la personne du
rhéteur Libanius, d’acquérir une gloire nouvelle. Au contact du maître,
Julien reçut les leçons de dialectique qui lui manquaient et acquit ce bon
goût, ce ton juste qui sont le signe d’une éducation parfaite. De plus,
Libanius était un païen, ce qui ne pouvait déplaire à son nouveau disciple.
La venue du jeune prince à Nicomédie était un encouragement discret
aux sociétés secrètes païennes que fréquentait Libanius et qui n’allaient pas
tarder à séduire Julien, malgré l’étroite surveillance exercée par la police
impériale. Cette arrivée, pour reprendre les termes de Libanius lui-même,
« fut le principe des plus grands biens, et pour lui-même et pour toute la
Terre. En effet, il y avait encore en cet endroit même une étincelle d’art
divinatoire, qui avait échappé avec peine aux mains des impies. Cette lueur
permit à Julien de chercher la trace de ce qui lui était caché. Il réprima sa
haine violente contre les dieux, et il se laissa adoucir par les prédictions des
oracles4 ».
Quelle était donc cette « théurgie » ou « magie cérémonielle » pratiquée
par les sociétés secrètes de l’époque ? Quel était le secret de ces réunions
ésotériques se terminant par la célébration de mystères auxquels Julien
allait bientôt être initié ? Lui qui, par amour de l’hellénisme, voulait
rehausser le prestige de l’antique religion aux lumières de la philosophie
néoplatonicienne voyait déjà les progrès extraordinaires du christianisme
dont le succès était assuré auprès des masses.
La ligne tracée par l’ésotérisme, savoir réservé à une élite, pouvait-elle
créer une aristocratie devenant la citadelle inexpugnable du monde romain
battu par les flots de la décadence ?
Il est bien difficile de répondre à l’heure actuelle à une telle question qui
met en cause bien des enseignements reçus.
En tout cas, on peut constater que la dernière époque du paganisme
romain, avant sa défaite totale devant l’Église de Pierre, devait compter les
philosophes les plus brillants de l’Antiquité, depuis la mort du divin Platon.
Mais, pour en revenir à ce que les Pères de l’Église ont appelé « sectes »
et « temples de Satan », nous avons quelques renseignements à leur sujet :
En dehors des oracles proprement dits, très nombreux dans l’Antiquité,
et dont les plus célèbres furent ceux de Delphes, sous la protection de
l’Apollon solaire, et d’Amon en Égypte, sans évoquer les prophéties de
Dodone et de Trophonios, il y eut des sanctuaires réputés pour les
« miracles » qui s’y déroulaient occasionnellement et d’où la prédiction
n’était pas exclue. Dans l’esprit des Anciens, les dieux vivaient presque
côte à côte avec les humains, intervenant constamment pour infléchir leur
destin ; aussi bien, la providence leur apparaissait comme un phénomène
naturel lié à l’ordre du monde.
Dans cette catégorie vient se placer le temple d’Héliopolis à Baal’Beck,
rappelant la théologie solaire fort appréciée à cette époque. Macrobe dit à ce
sujet :
- La statue d’or du dieu est portée sur un brancard par les notables du
pays, qui ont la tête rasée et se sont purifiés par une continence prolongée.
Ils sont mus par un esprit divin et vont alors, non pas où il leur plaît, mais là
où le dieu les pousse.
De même à Hiérapolis, en Syrie, où, selon le pseudo-Lucien, l’Apollon
syrien se meut tout seul et rend lui-même ses oracles. Voici comment.
Quand il veut parler, il [c’est-à-dire évidemment sa statue] commence par
s’agiter sur son trône. Aussitôt, les prêtres l’enlèvent. S’ils ne le font pas, il
s’agite et sue de plus en plus. Lorsqu’ils le transportent sur leurs épaules, il
les fait tourner sur eux-mêmes et passer d’un endroit à l’autre. Enfin, le
grand prêtre se présente à lui et lui adresse toutes sortes de questions. Si le
dieu désapprouve, il recule ; s’il approuve, il fait marcher les porteurs en
avant, et les conduit comme avec des rênes. C’est ainsi que l’on recueille
ses oracles, sans lesquels on n’entreprend aucun acte religieux ou profane.
Pour croire de telles choses, on peut supposer que les fidèles devaient
être plongés dans un état de transe hypnotique.
Cela dit, il convient de noter que l’Évangile n’est pas le seul texte sacré
à rapporter l’existence de miracles. Jésus lui-même eut un contemporain en
la personne du thaumaturge et philosophe Apollonius de Tyane, qui
accomplit de nombreux prodiges et dont la renommée survécut longtemps à
sa disparition au point que Napoléon, encore adolescent, écrivit, au collège
de Brienne, une apologie du célèbre « mage ». Julien, encore bien
davantage, vénérait ce disciple de Pythagore, initié à de nombreux
« mystères ».
A ce propos, il faudrait évoquer trois « confréries » de l’Antiquité, assez
secrètes, il est vrai, dans lesquelles Julien, en dehors de l’affiliation
mithriaque bien connue, reçut l’initiation réservée aux meilleurs d’entre les
fidèles. Citons les noms d’Attis, de Sérapis et d’Isis. Nous ne connaissons,
hélas ! les cérémonies et les rites de ces cultes en apparence si différents,
mais en réalité bien proches, que par des témoignages indirects, la
révélation des « mystères » aux profanes étant punie de mort. Ce que nous
savons, c’est l’expérience prodigieuse que constituait l’initiation
traditionnelle : le néophyte passait par plusieurs états dont le premier était la
mort spirituelle, bien proche, par ses angoisses, de la disparition physique.
Le second état était la résurrection du disciple suivie de sa « régénération »
par la lumière divine. Entrer en contact avec notre « moi profond » qui
participe de la substance cosmique, tel était le but de ces épreuves et de ces
pratiques religieuses destinées à nous affranchir, par une catharsis
libératrice, de notre vieux corps, ainsi que fait le serpent au moment de la
mue. A un moindre degré, c’est ce que fait le psychanalyste avec son
patient. C’est à la lumière de tels enseignements qu’il faut comprendre la
théosophie antique et les cultes que nous allons évoquer.
Le culte d’Attis et de Cybèle fut le premier à se répandre, depuis la
Grèce, dans l’Empire romain. A l’occasion des guerres contre Carthage,
l’oracle sibyllin prescrivit de transporter à Rome la « Grande Déesse »
(Cybèle), qui se trouvait sur le mont Ida. Chose curieuse, le symbole de la
déesse était enfermé à Pergame (en Asie Mineure), sous la forme d’un
météorite noir ou bétyle, c’est-à-dire une pierre tombée des cieux : lapis ex
coelis. Nous retrouvons ici une analogie avec le mythe du Graal, pierre
céleste tombée du front de Lucifer, le démiurge. Quand on sait que Cybèle
est considérée comme la « mère des dieux », on comprend mieux cette
signification stellaire liée à l’apparition de l’ « œuf du monde » et de la
« Voie lactée » ; le feu de la terre et le feu du ciel sont issus de la même
source divine, à la fois mâle et femelle, ou androgyne, qualité de l’être
primordial. La pierre fut conduite à Rome en 205 av. J.-C., au milieu de
grandes solennités. La récolte fut cette année-là extrêmement abondante, ce
qui souligne le pouvoir créateur et fécondant de la déesse. Un temple lui fut
élevé à Rome, sur le mont Palatin, et des jeux furent célébrés chaque année
en son honneur. En liaison avec le symbolisme androgyne de la divinité, les
prêtres de Cybèle faisaient le sacrifice de leur virilité en devenant des
eunuques, et s’habillaient en femme. Le personnage central du mythe, Attis,
était, selon la légende, le fils ou l’amant de Cybèle, élément masculin de la
dyade. Les fidèles, en se mutilant au cours de cérémonies orgiaques,
offraient à la Grande Mère leur force génératrice, en espérant que cette
sanglante offrande stimulerait les forces vitales de la nature.
Parallèlement à ces manifestations extérieures se déroulaient, dans les
temples, des cérémonies beaucoup plus secrètes : cette association fermée
reproduisait les rites du culte phrygien primitif. A cette « secte » fut affilié
Julien.
Afin de garder le secret, une aile entière du sanctuaire était réservée à
ces mystérieuses pratiques religieuses. Là, dans une grande salle, se trouvait
un trône sur lequel se dressait la statue du dieu Attis représenté sous la
forme d’un beau jeune homme. Les « mystères » comportaient deux degrés,
ainsi que dans les « grands mystères » d’Eleusis. Le premier degré
s’appelait « initiation », le second, « seuil du temple ». Le candidat au
premier degré longeait un long couloir plongé dans l’obscurité, puis, après
différentes purifications, il débouchait dans le centre de la salle par quelque
voûte et se présentait devant le trône du dieu où il était procédé à différents
rites que nous ignorons, symbolisant son union avec la divinité et par là
même sa propre divinisation. L’une des vieilles formules utilisées à cette
occasion nous a été conservée : Heureux et béni, tu deviendras dieu au lieu
de mortel.
Il semble bien que le myste, au cours de l’épreuve, buvait dans une
coupe un breuvage sacré analogue au Soma de Zoroastre. Cet « Or
liquide », ou « liqueur des dieux », permettait de « visualiser » le monde
divin.
Julien fut tellement transporté par ces « mystères » qu’il écrivit en une
nuit son fameux Discours sur la Mère des dieux, où il exalte Cybèle : le
prince philosophe conçoit Attis comme la substance de l’intelligence
féconde et créatrice qui engendre tout jusqu’au dernier degré de la matière,
qui contient toutes les raisons et toutes les causes des formes matérielles…
Les causes premières ne contenant pas les formes des éléments ultimes…
Émanation d’Hélios — le troisième créateur — Attis descend jusque sur la
Terre, sous l’effet de l’excédent de sa fécondité5.
Le « bonnet aux ornements d’étoiles » dont Cybèle couvre Attis (le
bonnet phrygien) symbolise le ciel apparent et le gallos, la Voie lactée « où
s’effectue le mélange du corps paisible et du mouvement circulaire du
cinquième corps » ; Attis alors descend dans l’antre où il a commerce avec
la nymphe, laquelle représente le « principe humain de la matière ». Quant à
la mère des dieux « mère et épouse de Zeus, maîtresse de toute vie », elle
possède en elle-même, pour reprendre une expression de M. Gabriel
Rochefort, les causes de tous les dieux intelligibles ou hypercosmiques, elle
est la « source des dieux intellectuels », et comme elle détient « les causes
des formes matérielles, elle ordonne à son assistant d’enfanter dans
l’intelligible, pour éviter sa progression vers la matière ». Attis poursuit
cependant sa descente jusqu’aux extrémités de celle-ci ; il est découvert par
le lion — principe igné — et se mutile dans un accès de folie, marquant
ainsi l’arrêt de sa « course à l’infini ». La mère le rappelle enfin vers elle, et
il reçoit pour escorte les Corybantes, qui sont les trois hypostases
souveraines des races supérieures venant après les dieux.
Il n’était pas étonnant que cette interprétation « gnostique » de l’homme-
dieu chère à Julien trouvât un écho favorable chez un auteur moderne
comme Rosenberg, philosophe officiel de Hitler qui fera de Julien, dans son
Mythe du XXe siècle, l’un des héros de l’épopée « aryenne ». Ces
correspondances, à seize siècles d’intervalle, ne sont pas faites pour nous
étonner s’il est vrai qu’il existe, de par le monde, une chaîne
d’« initiateurs » se situant au-delà du temps.
Les mystères de Sérapis
S’il y a lieu d’évoquer maintenant les mystères de Sérapis, c’est parce
que ce dieu est lié une fois de plus à la théologie solaire élaborée par l’école
néoplatonicienne et reprise par Julien.
Sérapis est un dieu gréco-égyptien, formé d’Osiris, le dieu des Morts, et
d’Apis, le taureau fécond. En rapport avec le culte de Mithra et du Soleil,
l’adoration de ce dieu fut très répandue dans l’Antiquité romaine. Les
Ptolémées propagèrent les premiers ce culte dans le Proche-Orient.
On sait qu’Osiris est le guide des morts dans le royaume des ténèbres ; il
est la lumière divine, le « Soleil caché », symbole de la course occulte de
l’astre dans le royaume de la nuit. Apis, le dieu-taureau représente l’élément
vital de la dyade, par la valeur sanctificatrice et fécondante du sang qui
sacralise le sacrifice divin en concentrant dans son essence le rayonnement
du logos solaire, comme le Graal, ou vase du sang pur, exalte la communion
mystique avec Dieu.
Apis fut assimilé à Osiris dans les mystères et son corps embaumé fut
enterré dans les chambres souterraines du serapeum de Memphis, où l’on
célébrait le culte d’Osiris-Apis.
Sérapis devint alors le dieu principal du panthéon égyptien jusqu’à se
transformer — selon l’expression de O. E. Briem — en une déité
universelle, absorbant par assimilation les autres dieux. « Il fut le souverain
suprême, apte à assurer le pouvoir mondial aux princes qui le
vénéraient ! » (Cela explique la dévotion des Ptolémées pour ce dieu, eux
qui régnaient sur l’Égypte, et plus près de nous celle de Julien, appelé à
gouverner l’Empire romain.) On pouvait appliquer au monarque protégé par
Sérapis…
… les paroles que le vieux souverain du panthéon égyptien Amon avait
prononcées à l’adresse du pharaon Thoutmôsis III : « Je te donne le pouvoir
et le triomphe sur tous les pays. Tous les peuples connaîtront la frayeur en
présence de ton âme, et ils te craindront jusqu’aux extrémités les plus
reculées du monde, où sont les quatre colonnes qui supportent le ciel. » Il
fut pour ses adorateurs le dieu unique, qualité constamment mise en relief
dans les louanges qui lui étaient décernées et une formule des actes officiels
proclame : « Un est Zeus-Sérapis. » De même que déjà dans la vieille
religion égyptienne Osiris avait été associé au soleil, Sérapis fut identifié à
Hélios ; cette conception s’accordait bien d’ailleurs avec le panthéisme
solaire qui se répandit à la faveur de l’Hellénisme sur tout l’Occident et qui
devint, comme nous l’avons vu, le nerf de la doctrine théologique du
paganisme expirant6.
Abordons enfin les mystères d’Isis, dont l’intérêt est très grand, car ils
ressuscitent l’atmosphère théurgique du paganisme au IVe siècle. Apulée
nous fait une description merveilleuse d’une cérémonie d’initiation ; et
d’abord, il nous montre la déesse dans son sanctuaire :
De longs cheveux très fournis, bouclés et tombant sans apprêt, flottaient
mollement sur une nuque divine. Sous une couronne de fleurs diverses, au-
dessus du front, un disque plat en forme de miroir, image de la Lune,
rayonnait d’une blanche lumière. En support à cet attribut, à droite et à
gauche de la tête, des vipères dressaient leur tête flexible et des épis de blé
se balançaient. La couleur changeante de la robe de lin était tour à tour
blanche comme le lis, dorée comme le safran, pourprée comme la rose. Et
ce qui me frappa le plus vivement, ce fut un grand manteau absolument
noir, d’un noir resplendissant, qui enserrait tout le corps de la déesse,
passant de la hanche droite à l’épaule gauche, tel un bouclier, avec un pan
tombant en mille plis gracieux, et tout autour un joli flottement de franges.
La bordure comme le tissu étincelaient d’étoiles par myriades, au milieu
desquelles une lune dans son plein lançait des regards de feu. Ce n’était pas
tout, une broderie ininterrompue, où toutes les fleurs étaient avec tous les
fruits, faisait le tour du manteau. En outre, que d’attributs différents ! Dans
la main droite un sistre d’airain, dont la mince plaque incurvée en forme de
baudrier, sous le coup de quelques petites baguettes, quand la déesse
remuait le bras, tintait d’un son aigu. A la main gauche pendait une lampe
d’or, dont l’anse, à sa courbe la plus savante, portait un aspic dressant la tête
et gonflant très fort le cou. Enfin, les sandales qui chaussaient les pieds de
l’immortelle étaient tissées de fibres tirées du palmier, arbre de victoire.
Telle était la déesse souveraine, et elle embaumait les parfums d’Arabie.
Après cette évocation de la « grande déesse », Apulée nous fait assister à
la procession rituelle dans les rues d’Isis, patronne des navigateurs7 :
Des femmes aux splendides robes blanches, et joyeuses de leurs attributs
variés, couronnées aux couleurs du printemps, avaient des brassées de
petites fleurs dont elles jonchaient le chemin par où s’avançait la
procession. D’autres femmes marchaient, portant au dos des miroirs qui
précédaient immédiatement la déesse et dans lesquels elle pouvait
contempler la suite du cortège. Il y en avait qui maniaient des peignes
d’ivoire ; au mouvement de leur bras, à l’inflexion de leurs doigts, elles
avaient l’air de coiffer leur reine. D’autres encore, munies de baumes et de
parfums, en aspergeaient le sol goutte à goutte.
Toute une foule d’hommes et de femmes suivait avec des lanternes, des
torches, des bougies et toutes sortes de lumières pour se rendre favorable à
la déesse qui a créé les astres du ciel.
Les pontifes, ces grands maîtres du culte, revêtus d’une grande robe de
lin blanc serrée à la taille et descendant jusqu’aux pieds, portaient les
insignes augustes des toutes-puissantes divinités. Le premier tenait une
lampe à la vive clarté, bien différente des lampes dont nous éclairons nos
repas du soir ; en or, creusée comme une barque, une grande flamme
jaillissait de ses flancs. Le second, semblablement vêtu, soutenait de ses
deux mains des autels appelés « secours », nom qu’ils doivent à la vigilance
secourable de la déesse souveraine. Un troisième s’avançait avec dans ses
mains levées un rameau d’or artistement ciselé et le caducée de Mercure. Le
quatrième montrait à tous l’emblème de la justice : c’était une main gauche
bien ouverte ; une paresse naturelle, point de promptitude, point d’habileté,
avaient certainement fait préférer la main gauche à la droite pour
symboliser congrûment la justice. Ce même pontife tenait aussi un petit
vase d’or arrondi en forme de sein et il en tirait des libations de lait. Un
cinquième s’était chargé d’un vase d’or où des rameaux d’or s’entassaient ;
un dernier, enfin, portait une amphore.
Le tableau auquel nous venons d’assister nous donne une idée de ce que
pouvaient être la richesse et la magnificence des fêtes d’Isis. Mais nous ne
sommes pas au bout de nos découvertes. Lorsque le néophyte désirait être
initié aux mystères de la déesse, il s’adressait au grand prêtre et, si celui-ci
le jugeait digne, il lui donnait le temps de bien réfléchir en le conduisant
dans une pièce où l’apprenti méditait sur sa condition. En maçonnerie, ce
lieu s’appelle aujourd’hui le « cabinet de réflexion ». Après cela le
néophyte se purifiait par des bains d’eau lustrale qui le débarrassaient des
mauvaises influences et, revêtu de la seule tunique de lin, il était conduit
dans le sanctuaire.
Malheureusement, Apulée, qui fut un initié, était tenu au secret et il nous
avertit qu’il ne pourra nous dévoiler que les cérémonies extérieures et non
les rites initiatiques :
Sans doute vas-tu m’interroger anxieusement, lecteur attentif, pour
savoir ce qui fut dit par la suite, ce qui fut fait ? Je le dirais, si cela se
pouvait, tu l’apprendrais s’il était permis de l’entendre. Mais pour les
oreilles et pour la langue, ce serait pareille faute qu’une aussi téméraire
curiosité. Cependant, c’est peut-être un pieux désir qui te tient en suspens,
aussi ne ferai-je pas durer longtemps ton impatience.
Écoute donc, mais crois-moi, car je dis la vérité. J’ai atteint les confins
de la mort ; ayant foulé le seuil de Proserpine, je suis revenu porté à travers
tous les éléments. Au milieu de la nuit, j’ai vu le Soleil resplendir de son
pur éclat : les dieux infernaux et les dieux célestes, j’ai pu contempler leur
face et c’est de près que je les ai adorés. Voilà ce que je puis te rapporter.
Mais tu as beau avoir entendu mes paroles, tu en ignoreras le sens : le destin
le veut.
[…] Or donc, tout ce qui peut être communiqué sans sacrilège à des
esprits profanes, c’est cela que je vais vous rapporter. Le matin brilla, les
cérémonies prirent fin : alors je m’avançai revêtu de douze robes
sacerdotales : si rituel que fût cet appareil, rien ne m’interdit d’en parler, car
à ce moment-là, toute la foule le vit. Au centre même du temple, devant la
statue de la déesse, un haut degré de bois avait été dressé, et c’est là-dessus
qu’on m’avait fait prendre place ; un vêtement de lin, à fleurs peintes, me
désignait. De mes épaules pendait dans mon dos et jusqu’aux talons une
superbe chlamyde. De quelque côté qu’on me regardât, on me voyait décoré
d’animaux de toutes couleurs : ici des dragons de l’Inde, là des griffons
hyperboréens, ces quadrupèdes ailés comme les oiseaux et que produit un
autre monde. Cette chlamyde est ce que les prêtres appellent une étole
d’Olympie. De la main droite, je tenais un flambeau allumé, j’avais la tête
ceinte d’une couronne faite d’une palme dont les feuilles pointaient comme
des rayons. Ainsi paré à l’imitation du Soleil8 posé là comme une statue,
j’apparus quand tout d’un coup l’on tira les rideaux, aux yeux ardents de la
foule. Dans la suite, ce beau jour, le jour anniversaire de ma renaissance au
sein des mystères, je l’ai toujours fêté par des repas délicats, par de joyeux
banquets. La troisième journée vit se dérouler les mêmes cérémonies, puis
eut lieu le déjeuner sacré : l’initiation était accomplie.
Le deuxième degré des mystères d’Isis était formé par « les mystères
nocturnes du dieu suprême », ce qui nous ramène à Sérapis-Osiris, dieu
suprême, élément masculin de la dyade. Ainsi le polythéisme des Anciens
apparaît beaucoup plus formel que réel. L’unité transcendante de
« l’Innommé », c’est ce que Julien, philosophe clairvoyant, avait compris.
Dans son esprit, le christianisme représentait plutôt un appauvrissement par
rapport à la richesse symbolique des anciens cultes, très bien diversifiés et
adaptés à la mentalité de chaque peuple et même de chaque individu.
Pythagore déjà, au VIè siècle av. J.-C., enseignait l’unité de dieu et la
doctrine de la réincarnation prêchée par le brahmanisme et le bouddhisme.
A cette conception très élevée, le philosophe mathématicien ajoutait une
connaissance approfondie de la nature végétale et animale, progressant
jusqu’à la réalité du cosmos. Julien se proclame bien souvent, dans ses
lettres, l’héritier de Pythagore, comme ses maîtres vénérés, Proclus et
Jamblique. Platon et plus tard son disciple tardif Plotin se réclameront tous
du philosophe de Crotone et de sa révélation astrale. En Occident, le
théurge et mage initié en Égypte peut être considéré comme le père de la
science ésotérique traditionnelle grecque et romaine. Louis Rougier n’écrit-
il pas à ce propos dans son petit livre La Religion astrale des pythagoriciens
(p. 100, P. U. F., 1959) :
Le cosmos bipartite de Pythagore, de Platon et d’Aristote était un cadre
merveilleusement approprié à accueillir la vision du monde des économies
de salut et des religions de mystères de l’Orient méditerranéen : astrolâtrie
chaldéenne, mazdéisme, cultes anatoliens et syriens, gnosticisme,
hermétisme, judaïsme de la Diaspora et judaïsme palestinien, essénisme,
mithriacisme, christianisme, néoplatonisme, manichéisme, théurgie,
alchimie et astrologie qui, après la conquête d’Alexandre, déferlèrent en
vagues mystiques successives sur le monde gréco-romain.
Le pythagorisme introduisait en outre une mystique des nombres
attribuant aux chiffres une valeur sacrée correspondant à une couleur, une
note musicale et une vibration cosmique. De cette suprême « harmonie »,
de cette « musique des sphères » s’élevant jusqu’à l’échelle divine, nous
ignorons tout à l’heure actuelle, mais à l’époque de Julien, ces
connaissances étaient encore répandues parmi les initiés de « haut grade »,
et Julien, avant d’être empereur, en fut un, ce qui explique sa foudroyante
ascension et son élévation à la magistrature suprême.
Pour l’heure, le prince ne nourrissait pas de si ambitieux projets et se
contentait d’étudier, avec toute sa juvénile ardeur, « la science des maîtres
de sagesse », au premier rang desquels figurait Jamblique l’Égyptien.
Arrêtons-nous un instant sur la théologie solaire du philosophe alexandrin
que Julien devait magnifier quelques années plus tard dans son Discours sur
Hélios-roi.
Jamblique, ce philosophe néoplatonicien du IVè siècle, élève de
Porphyre, renouvela entièrement la métaphysique du paganisme en faisant
une large place aux dieux traditionnels de l’Antiquité et à la science de
l’Égypte.
Dans son œuvre maîtresse, Mystères de l’Égypte, le philosophe
d’Alexandrie établit une sorte de syncrétisme religieux à base de théurgie,
d’astrologie et de connaissances ésotériques.
Rejetant ou, mieux, dépassant les vieilles mythologies, Jamblique
apporte une explication du monde, une cosmogonie et une cosmogenèse
éclairant la spiritualité à la lumière de la connaissance.
Déjà Plotin, dans ses Ennéades avait placé, au sommet du cosmos, le
logos divin, émanation du dieu unique et innommé vers lequel toutes les
âmes jetées dans le monde aspiraient à retourner dans une ascension
graduelle à travers les mondes de plus en plus subtils de la matière, de l’air
et de I’éther.
Porphyre complétait cette conception en affirmant que les nombreux
dieux de la mythologie grecque n’étaient que les attributs et apparences
multiples d’une réalité divine une dans son principe. Une hiérarchie
s’établissait naturellement entre ces apparitions symboliques et les « grands
dieux », tels Jupiter ou Apollon liés à l’épiphanie du Soleil, principe actif de
notre Univers où ils occupaient la première place.
Jamblique apporta son couronnement à cette œuvre grandiose qui, sous
de nombreux rapports, offre un lien de parenté avec la conception gnostique
dont on connaît l’influence sur les « hérésies » chrétiennes, notamment le
catharisme.
La phrase de Platon : « Tu conviendras que le Soleil confère aux objets
visibles non seulement la faculté d’être vus mais encore la genèse,
l’accroissement et la vie, bien qu’il ne soit pas lui-même la genèse », avait
impressionné l’Alexandrin et l’avait amené à penser que le Soleil qui nous
éclaire n’était pas le véritable Soleil, principe actif de notre cosmos, mais
plutôt son miroir ou son image.
Cet astre supérieur, « transcendant » et « intemporel », conduisait à la
croyance dans deux mondes parallèles et distincts. Jamblique réduit cette
antinomie en imaginant un troisième monde intermédiaire guidé par un
médiateur. A l’intérieur et à la tête de chacun de ces trois mondes se
trouvent des entités spirituelles distinctes.
On revient ici à la TRINITÉ adoptée aussi bien par le christianisme que
par la philosophie celtique des druides (la triade) ou les pythagoriciens.
Le monde le plus bas était constitué par notre Univers visible avec ses
planètes et son SOLEIL PHYSIQUE.
Le monde PROCOSMIQUE formait l’Univers intermédiaire, gouverné
par un MÉDIATEUR surgi de l’essence féconde du BIEN.
Il s’agit d’une autre réalisation du divin Numa30 : tandis que tous les
autres peuples comptent les mois en se réglant, pour ainsi dire, sur la Lune ;
nous sommes, depuis ce roi, les seuls, avec les Égyptiens, a mesurer les
jours de chaque année d’après les mouvements du Soleil. Si je déclare après
cela que nous vénérons Mithra et que, en l’honneur d’Hélios, nous
célébrons des jeux quadriennaux, on me jugera trop moderne31…
Cet hymne au Soleil, couronnement de toute une vie passée à étudier la
philosophie ésotérique et à sonder les mystères, devait être pour Julien sont
« chant du cygne ». La mort, sous la forme d’un trait acéré décoché par un
traître, attendait l’empereur de l’autre côté du fleuve. Lancé sur les pas du
mage Apollonius de Tyane, ce thaumaturge de génie contemporain du
Christ, imitant la marche triomphale du divin Alexandre, qu’il admirait si
fort, Julien rejoignit, dans la « chaîne des morts », l’âme éthérique de ses
glorieux devanciers : le pharaon Akhenaton, le divin Zoroastre et Alexandre
le Grand, car il fut le dernier homme d’Occident qui put adorer le Soleil au
grand jour. Après lui, la « grande lumière » est définitivement occultée par
le christianisme triomphant, et ce n’est pas une surprise pour nous de
constater que l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Frédéric II,
successeur spirituel de la Rome solaire et païenne, toujours vivante dans
l’aigle impérial allemand, ait eu à lutter farouchement contre la papauté,
ennemie d’un royaume universel qui s’établirait sans elle. L’Église a ainsi
empêché l’Europe de se faire sous le signe du lion et de l’aigle qui
s’incarnera à nouveau dans Napoléon, ce météore traversant le ciel de notre
continent.
Quant à Julien, mort en plein ciel de gloire alors qu’il venait d’écraser
l’armée perse de Sapor Ier, rappelons simplement sa fin émouvante et le
récit légendaire de ses derniers instants32.
Alors que la bataille faisait rage autour de lui, Julien reçut en pleine
poitrine un javelot romain lancé par la main scélérate d’un homme « qui
refusait d’honorer les dieux », selon l’expression de l’historiographe
Libanius.
Comme on transportait l’empereur dans sa tente, Julien demanda le nom
du lieu où il se trouvait. Un centurion lui répondit que l’on était dans les
« Champs phrygiens ». Or, une prédiction du mage Maxime d’Éphèse avait
annoncé à l’empereur qu’il ne devrait jamais se diriger vers ce lieu. Tout
s’accomplissait à son heure. Et le prince n’en fut pas étonné. Car, selon un
mot de Chateaubriand, « Julien se fit écraser par les générations qu’il
prétendait retenir : elles le jetèrent par terre malgré sa force et lui passèrent
sur la poitrine. »
Les amis de Julien, le préfet Salluste, le théurge Maxime et tous les
officiers de sa garde vinrent au chevet de l’agonisant. « C’est une
humiliation pour nous tous, dit-il, que vous pleuriez un prince dont l’âme va
bientôt remonter vers le ciel et s’y confondre avec le feu des étoiles. » Les
derniers moments de Julien sont alors employés à disserter avec Maxime et
Priscus sur la vie future et l’immortalité de l’âme et ce texte fut lu au
mourant par ses « directeurs spirituels » :
Quand à ton sceptre tu auras soumis la race des Perses,
Jusqu’à Séleucie les pourchassant à coups d’épée,
Alors vers l’Olympe tu monteras dans un char de feu
Que la région des tempêtes secouera dans ses tourbillons.
Délivré de la douloureuse souffrance de tes membres mortels
Tu arriveras à la lumière éthérée de la cour royale de ton père
D’où tu t’égaras jadis quand tu vins demeurer dans le corps d’un
homme.
Lorsque l’empereur rendit le dernier soupir, la légende nous dit qu’on vit
deux âmes s’échapper de son corps, la sienne et celle d’Alexandre,
réincarnée dans Julien. Telles deux boules de feu, elles s’élancèrent dans la
nuit, étoiles filantes rejoignant la « grande lumière ».
L’empereur Julien, fils d’Hélios (photo Roger-Viollet)
2. LIBANIUS, Oeuvres.
3. J. Bidez, Vie de l’empereur Julien, Ëd. des Belles-Lettres, Paris, 1930, pp. 53-54.
7. Il est en effet curieux de remarquer l’analogie frappante entre le culte d’Isis et celui de la Vierge
dans la religion catholique. Il semble bien que Marie ait succédé à Isis dans la dévotion des marins à
la divinité de la Mer. Bien souvent, d’ailleurs, les fidèles ont reporté leur adoration sur d’anciennes
statues d’Isis (les « Vierges noires ») rebaptisées chrétiennes pour la circonstance.
8. Le Soleil évoqué ici par Apulée n’est pas le Soleil physique, mais son double éthérique, situé dans
l’Univers spirituel, invisible à l’œil ordinaire. Le Soleil visible est, en effet, selon la tradition occulte,
une émanation du Soleil central, qui est la source cachée de tout ce qui est dans notre système
solaire. Notre Soleil visible n’est que le miroir dans lequel sont réfléchis les rayons d’énergie émanés
du Soleil spirituel. Le Soleil réel est aussi invisible que l’homme réel aux yeux du profane.
9. le Soleil noir et la science : l’existence du Soleil noir n’est pas niée par tous les savants dont
certains n’hésitent pas à lui donner une valeur objective en dehors de sa signification occulte. Ainsi,
pour Louis Claude Vincent et le docteur Rousseau, qui ont passé une grande partie de leur existence à
observer le Soleil et à réaliser des expériences sur la lumière, la lumière terrestre proviendrait de
l’illumination électromagnétique de l’ionosphère solaire : « Le Soleil serait un astre froid et glacé, de
nature ferro-magnétique ; le vrai Soleil n’émettrait pas plus de lumière que de chaleur, mais des
ondes électromagnétiques. Nous serions donc en présence d’un phénomène d’ionisation et tout se
passerait comme dans un tube au néon car le Soleil se déplace en spirale autour d’un circuit
électrique équipotentiel de la Galaxie, lequel est perpendiculaire à l’axe magnétique. Le Soleil noir et
réel, situé à 149 500 000 km, dans le froid absolu, émettrait des rayons électromagnétiques qui
provoqueraient sur la pointe de l’ionosphère solaire une image lumineuse située à environ 800 000
km de distance. Ainsi, d’après Louis Claude Vincent, nous ne voyons qu’une image du Soleil à
travers notre atmosphère » (Jean-Pierre Bayard, le Monde souterrain, Flammarion, 1961, p. 170).
L’alchimie évoque aussi le Soleil noir qui serait situé en opposition avec le Soleil brillant, au second
foyer de l’ellipse, et donc invisible. Derrière ce « disque sombre » se trouverait la vraie et suprême
source lumineuse émanant le rayon vert, couleur sacrée en liaison avec le Graal et la race primordiale
prétendument originaire de Vénus, la « planète verte ». Notons que la lumière coronale de notre
Soleil est bien verte, ainsi que l’ont observé les savants (quant à l’espace, il est froid et obscur, ainsi
que l’ont constaté les cosmonautes), et plonge « dans le ravissement ». Dans les Upanishad hindous,
on trouve un écho du « double Soleil » dans cet hymne : « ô Soleil, partout présent, fils du Seigneur
de la Création, commande à tes rayons, retire ta lumière. Ôte le voile afin que je puisse voir sa race ;
sa face voilée par ton disque d’or. Car celui qui est là, cet être-là, il est moi-même ».
10. Originaire de l’Orient, le culte de Mithra remonte à l’époque lointaine où l’Inde et l’Iran
communiaient dans la même religion. Par la suite, ce culte subsista dans la Perse mazdéenne, car
Mithra fut considéré par Zoroastre comme un des izeds (génies des quatre éléments). Dans sa
première forme, Mithra est assimilé au Soleil. Seigneur du jour et de la lumière céleste, il est aussi le
« dieu des serments » ; mais sa fonction essentielle est celle d’un grand dieu vital principe de la
végétation et de la fertilité. Ennemi du mal sous toutes ses formes, Mithra apparaît comme le Soleil à
l’aube, sur son char attelé de quatre chevaux blancs, et traverse le firmament. Le jour où le Soleil est
le plus haut dans le ciel (21 juin) lui est consacré. Après la chute de l’Empire perse, vaincu par
Alexandre, le culte mithriaque connut un nouvel essor dans les royaumes hellénistiques, puis à
Rome : les mythes qui entourent la naissance du dieu sont significatifs de sa suprématie sur toute
autre divinité. Associé à la lumière, Mithra est sorti du rocher issu de la voûte céleste (petra genitrix).
Cette « pierre féconde » était vénérée symboliquement dans les temples. Reposant dans les arbres
sacrés et les plantes, Mithra, coiffé du bonnet phrygien, fut adoré par les génies de la Terre.
Combattant le taureau, il le vainquit et le tua. Du flanc de l’animal s’échappèrent toutes sortes
d’herbes et de plantes, mais surtout le sang du taureau fut changé en vin. C’est du taureau ressuscité
que naquit la puissance de Mithra, qui prend figure de régénérateur de la vie terrestre. C’est sur cette
légende que s’instaura le culte de sol invictus mithra, très répandu chez les soldats dans les légions
romaines. Son succès fut tel qu’il faillit un instant l’emporter sur le christianisme. Certains grades
initiatiques semblent revêtir un caractère purement militaire, chose normale dans une religion virile
qui exalte l’action et la pureté. Le culte fut propagé principalement par l’armée qui laissait des
vétérans s’installer dans toutes les provinces conquises. Les empereurs romains tenaient Mithra en
faveur particulière et Commode, Dioclétien, Aurélien furent de fervents adorateurs de ce dieu,
proclamé « protecteur de l’Empire mondial romain ». Les « mystères » de Mithra comportaient
traditionnellement sept degrés, chiffre de l’initiation. Les néophytes étaient tour à tour corbeau
(Corax), occulte (Cryphius), soldat (Miles), lion (Léo), perse (Perses), courrier du soleil
(Heliodromos) et pater (Père). Ces noms correspondaient à un symbolisme riche de signification. Les
trois premiers degrés correspondent à des échelons préparatoires. Avec le troisième degré, le myste
commençait à pénétrer dans l’arcane des mystères. Devenu soldat, l’initié recevait la couronne de
Mithra qu’il devait s’abstenir de porter. Au cours du quatrième degré, le myste était oint de miel en
vue d’écarter de lui l’impureté. L’adepte devenait alors un « participant ». A l’échelon suivant, il
revêtait un costume perse et se coiffait du bonnet phrygien. Parvenu au degré de Heliodromos, il
devenait « compagnon du Soleil ». Le cérémonial du dernier degré (Pater) nous est inconnu. Au
sommet se trouvait le « père des pères » revêtu de hautes fonctions ecclésiastiques. Les prêtres de
Mithra étaient à la fois des officiants et des conducteurs d’âmes. Au matin, au milieu du jour et le
soir, ils rendaient grâce au Soleil, respectivement tournés vers l’orient, le sud et l’occident. Le
sanctuaire de Mithra était toujours souterrain ; il comprenait un vestibule, sorte de « salle d’attente »
pour les candidats à l’initiation, un Pronaos ou seuil du temple qui donnait accès à la « salle des
mystères ». On y descendait par un escalier. Cette « crypte » symbolisait l’Univers et la voûte en était
garnie d’étoiles. Au fond de la crypte se tenait la statue de Mithra sous la forme d’un jeune homme
immolant un taureau. Après la cérémonie, les mystes communiaient dans un repas sacramentel ; sous
la forme du pain et du vin. Le nom de la cérémonie, Epifania, a directement trait au culte solaire en
souvenir du dernier repas pris par Mithra en compagnie d’Hélios. La religion de Mithra était une
véritable foi, comparable à la métaphysique du christianisme, ce qui a fait dire à Renan que : « Si le
christianisme avait été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été
mithriaste ».
11. Philosophe néoplatonicien, célèbre pour ses controverses avec les Docteurs chrétiens qui le
tenaient pour très dangereux.
18. Idem.
23. La forme octogonale de la cuve baptismale rappelle symboliquement les huit os du crâne humain
où s’achève la montée des énergies cosmiques.
27. Julien, Œuvres II, 2e partie, p. 121, Ëd, des Belles- Lettres, Paris, 1964.
Château de Castel del Monte : la demeure d’un grand initié, Frédéric II (photo Boudot-Lamotte).
1. La légende de sa naissance rapporte que sa mère, Constance de Sicile, fut « visitée » par un
dragon : le parallèle avec Olympias, mère d’Alexandre, est ici remarquable. Signalons que le dragon
est le « gardien » solaire par excellence et s’apparente, dans la symbolique, au serpent du mythe de l’
« arbre du monde ».
2. Les visions de cette mystique du XIXe siècle, recueillies et transcrites par le romantique Brentano
ont fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des polémiques en replaçant la jeunesse - inconnue
des Evangiles - de Jesus de Nazareth dans le cadre de la spiritualité orientale - bouddhiste en
l’occurence - de l’Inde et du Tibet.
3. Cette ressemblance avec l’Antique, cette fraternité qui unit Frédéric II à un Julien, au-delà des
contingences terrestres, Marcel Brion l’a bien sentie lorsqu’il écrit : « Les temps n’étaient pas venus.
Frédéric II avait le tort, aussi, aux yeux de la masse, d’incarner en même temps un idéal trop
imprécis, parce que projeté trop loin dans le futur, et trop enraciné dans le passé. Il ressemble
beaucoup, en cela, à Julien l’Apostat, avec lequel il possède d’ailleurs tant de traits en commun.
Admirateur passionné de Rome et de la romanité, Frédéric rêvait de ressusciter l’Empire des césars.
Peut-être même son système religieux englobait-il un certain paganisme officiel, pareil à la religion
d’État de l’antique Rome, dominé par la « divinité » de l’empereur ? » (Frédéric II de Hohenstaufen,
Paris, Tallandier, 1948, p. 224).
4. Ce prêtre Jean n’a rien de commun avec celui que l’on recherchera à la fin du xve siècle dans la
région de l’Ethiopie actuelle : il s’agit, ici, du « roi du monde ».
5. De là l’utilité des harems qui permettaient d’attendre l’instant astrologique propice pour la
procréation « idéale » de l’héritier par la favorite.
6. Chiffre de l’infini dans la numérologie sacrée, le huit est également celui du « huitième jour » de
l’Apocalypse qui doit marquer l’entrée de l’humanité dans l’ère du Saint Esprit, celui de la réunion
des trois monothéismes sous l’égide du Christ de la Seconde Venue, d’essence solaire réalisant un
« monde nouveau ».
7. Il est bon de signaler que c’est un architecte français, Philippe Chinard, qui fut le maître d’œuvre
de Castel del Monte.
8. Ainsi, l’année est divisée en quatre saisons, il y a quatre points cardinaux, quatre éléments, quatre
règnes sur notre planète (minéral, végétal, animal et humain), il y a quatre Évangiles et la croix a
quatre branches. Mais, ce qui est plus important, c’est, qu’astronomiquement, la position du Soleil à
chaque saison coïncide avec, quatre étoiles : Aldebaran, dans le Taureau, Régulus, dans le Lion,
Altaïr, dans l’Aigle, Fomalhaut, dans le Verseau, signes-symboles de l’homme qui nous rappellent les
quatre êtres vivants.
9. Pour la première fois, en effet, un effort était accompli pour utiliser l’interprétation allégorique à
des fins autres que dogmatiques ou morales, mais aussi comme moyen de prévision historique.
Joachim de Fiore prétendait avoir découvert la clé permettant de déchiffrer le sens de l’histoire et ses
étapes futures en prenant comme base de réflexion les deux Testaments et surtout l’Apocalypse.
11. Julius Evola, Le Mystère du Graal et l’idée impériale gibeline, Éd. Traditionnelles, Paris, 1967,
pp. 27 et 60-61.
12. Les Templiers portaient le manteau blanc à croix rouge (croix noire pour les teutoniques) ; les
chevaliers hospitaliers portaient le manteau noir ou rouge à croix blanche.
13. On précisera qu’un auteur comme Philéas Lebesgue a soutenu la théorie de l’existence d’un
groupement secret teutonique perpétuant à des fins nationalistes et pangermanistes les théories
gibelines. Le dernier représentant visible de ce groupement fut, toujours selon cet auteur, le maréchal
von Luddendorf. Philéas Lebesgue, et nous le suivons ici, affirme qu’une preuve de cette filiation
résidait dans la maison d’Autriche-Hongrie, dont la devise : A. E. I. O. U., traduite du latin en
français, signifiait : « Les empereurs d’Autriche sont destinés à dominer le monde », et ce fut
Luddendorf qui fit de l’Autrichien Hitler le Führer du IIIe Reich, après qu’il eut marché à ses côtés
en lui apportant sa caution, lors du putsch manqué de Munich en 1923.
14. Ce type de mandala sert originairement pour les temples de l’Inde dédiés à Shiva, dieu du
Renouvellement et de la Transformation, qui brûle tout de son « œil central » (le troisième œil).
Notons enfin que 81 x 64 x 5 (représentant respectivement dans la symbolique templière : le temps,
l’espace et la vie) = 25 920 (nombre cyclique fondamental encore appelé « grande année
platonicienne ») ; or, l’épaisseur des murailles du Castel del Monte correspond bien à cette
symbolique : 2,59 m… Nous pouvons faire état, à ce stade, de curieux rapprochements chiffrés : la
Terre se déplace sur sa trajectoire à la vitesse de 29,77 km/s, en moyenne elle parcourt donc 940 000
000 km par an, soit : 2 592 000 km par jour ! Le pouls d’un être humain bat, en moyenne, 72 fois en
une minute, et comme il respire 18 fois par minute (soit 18 x 60 = 1 080 fois par heure), nous
obtenons curieusement : 1 080 x 24 heures = 25 920 fois par jour. On voit, d’après ces quelques
exemples, à quel degré l’homme se voit soumis à la loi du cosmos.
15. L’écrivain allemand féru d’ésotérisme Zacharias Werner dans un ouvrage à clé intitulé Les fils de
la Vallée (non traduit en français) fait état d’une organisation très mystérieuse, noyau initiatique de
L’Ordre du Temple, intitulé « La Vallée » rassemblant une élite très restreinte d’initiés donnant aux
chevaliers instructions et lignes d’action. « La Vallée » aurait décidé la disparition du Temple au
début du XIVe siècle, l’ordre ne correspondant plus à ses objectifs initiaux d’établissement d’un
empire universel sous son égide.
16. Cité par Robert Charroux, dans Le Livre des secrets trahis, Êd. Robert Laffont, Paris, 1965, pp.
224 et 225.
17. La secte des assassins musulmans vit le jour en 1090 sous les auspices du sheik Al-Jebal : le
fameux « Vieux de la Montagne ». Le nom de la secte provenait de l’emploi du hachisch (ou chanvre
indien), qui les fanatisait. Leur implantation en Syrie avait posé d’insolubles problèmes aux
chrétiens ; leur similitude d’organisation avec celle des templiers a été maintes fois soulignée.
18. Nous touchons ici à une autre escroquerie de la science officielle, qui nous déclare que
Christophe Colomb, partant à la découverte des Indes, découvrit l’Amérique : 1° Au XVe siècle, on
situait très exactement les Indes. 2° Les cartes de l’amiral turc Piri Reis font mention du continent
américain ; sans parler des Vikings ayant découvert le « Vinland » (Amérique du nord) au Xeme siècle
en partant de l’Islande. 3° Depuis un siècle déjà, les pilotes des îles de l’Atlantique devaient
obligatoirement prendre leur retraite dans un « lieu surveillé ». N’était-ce pas la preuve qu’ils
connaissaient déjà l’existence du Brazil ?… Ce n’est pas pour rien que les caravelles de Colomb
portaient la croix templière sur leurs voiles.
19. Les légendes à fond cathare signalent maintes fois ce prêtre Jean comme des leurs. Wolfram von
Eschenbach le donne comme fils de l’union de Parsifal et d’Esclarmonde de Foix… fils spirituel sans
aucun doute. Et l’Arioste n’omet pas de mentionner ce prêtre Jean aux côtés de la suave Angélique,
reine des « Cathais » (c’est-à-dire des cathares), figure sœur d’Esclarmonde.
21. René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, N. R. F., 1962, pp. 114 à 119 ; et
surtout : K. E. Matwood, A Guide to Glastonbury’s Temple of the Stars, its giant effigies described
from air views, maps, and from the hight history of the holy Graal, Londres, John Watkins.
22. L’importance de ce site et des pierres mystérieuses, dites « pierres bleues » ou « pierres solaires »,
n’est plus à dire ici. Tous les ans, au matin du solstice d’été, 300 000 personnes y viennent encore,
tant il est vrai que les monuments antiques savent parler à ceux qui se donnent la peine de les
comprendre.
24. Le Kali-Yuga, ou âge sombre, est la domination absolue de la matière sur l’esprit. Il est encore
appelé âge de fer par les hindous et succédée aux âges d’OR, d’ARGENT et d’AIRAIN.
25. A propos de Frédéric II, A. Gautier-Walter écrit, dans La Chevalerie et les aspects secrets de
l’histoire : « Comme Frédéric croyait à la réincarnation (ainsi que Laurent et Dante), il est tout à fait
possible que cette hantise du siècle d’Auguste, qui l’habitait, vint de la croyance d’être, lui-même,
une réincarnation de l’empereur romain… Les siècles se court-circuitent… Le temps et l’espace
interfèrent leurs cycles cachés… Le phénix veille sur les aigles et notre passé est le présage de notre
avenir. L’ « Iman caché » de la chevalerie méditerranéenne attend, dans sa « grotte », si bien peinte
par l’initié Léonard de Vinci, que nous, hommes du XXe siècle, soyons enfin prêts et capables
d’accueillir dignement le retour imminent de l’empereur de justice et du « roi « de chevalerie »,
Arthur et ses chevaliers, Charlemagne, Auguste ou Frédéric… » (pp. 35-36).
27. Les musulmans comparaient Frédéric à Alexandre le Grand, c’est dire l’admiration qu’ils lui
portaient. L’Orient était suspendu à ses réalisations, témoin l’ambassade et les secours en argent qui
lui furent expédiés par le souverain grec de Nicée.
28. Pierre Boulle, L’Étrange Croisade de l’empereur Frédéric II, Flammarion, 1968, p. 89.
30. Il s’agit de la mosquée qui brûla en 1969, soulevant la colère du monde musulman. L’incendiaire
était un déséquilibré australien qui se prenait pour le descendant du roi David, chargé par le ciel de
reconstruire le temple de Salomon.
33. Le royaume de Sicile avait été organisé en s’inspirant des ordres de chevalerie : un véritable État
militaire.
34. En particulier, le pape avait envoyé un cardinal-légat en Allemagne pour prêcher la désobéissance
à l’égard de Frédéric, poussant même Louis de Bavière à entrer en dissidence.
36. Dans sa fameuse biographie Frédéric II, l’historien allemand Kantorowitz analyse avec un grand
discernement les motivations de l’empereur à la veille de son entrée dans la « ville éternelle ».
37. Outre sa réputation de « faiseur d’or », Scott était astrologue, médecin, mathématicien, peintre et
alchimiste. Il s’intéressait également à la zoologie et à la botanique. Les sciences humaines ne lui
étaient pas non plus étrangères. Il fut le traducteur du De Cœlo et du De anima d’Aristote, avec les
commentaires d’Averroès ; son Liber animalium est célèbre, ainsi que ses Histoires d’animaux ; il
publia dix-neuf traités avant de rédiger des écrits commerciaux avec les seigneurs arabes, comme sa
fonction de greffier impérial lui en faisait obligation. Il fut envoyé comme ambassadeur à Tunis et eut
en outre le temps de confectionner pour la cour quantité de remèdes et potions dont l’une à base de
confiture de violettes. Un esprit complet, comme on peut s’en rendre compte à l’énoncé de sa
biographie ! Frédéric II, quant à lui, n’avait rien à envier à son confident. Les chroniqueurs nous
rapportent qu’il parlait sept langues et en comprenait neuf autres ; ses connaissances en philosophie
et en théologie étaient réputées. La scolastique lui était familière et il avait une prédilection marquée
pour les mathématiques : c’est à lui que l’on doit les premières assises scientifiques qui se tinrent à
Pise sous sa présidence et où il fit preuve de connaissances surprenantes pour un esprit aussi
« universel ». N’oublions pas ses talents d’administrateur, de militaire, d’occultiste, et ses dons de
ruse et de paillardise, car c’est le seul empereur d’Occident qui entretint un harem pour ses besoins
personnels…
38. Les funérailles de l’empereur furent empreintes d’une triste solennité. « Le 28 décembre, dit un
témoin oculaire, j’appris que le corps de l’empereur, qu’on portait à Tarente, allait passer, et je me
rendis à Bitonto pour le voir. Il était déposé dans une litière recouverte d’un drap cramoisi, la garde
sarrasine à pied l’entourait avec six compagnies de cavaliers armés de toutes pièces. Ils marchaient
tristement, pleurant l’empereur dans tous les lieux où ils passaient. Un grand nombre de barons vêtus
de noir et les syndics des villes du royaume fermaient le cortège. » Le corps embaumé du souverain
fut déposé dans un sarcophage de porphyre rouge, couleur impériale, et ce cercueil ressemble
étonnamment à celui de Napoléon. Au XVIII siècle, on ouvrit le tombeau et on découvrit le corps
intact, le front orné d’une couronne fleuronnée, vêtu d’un riche costume, chaussé de sandales sur
lesquelles étaient brodés des cerfs. Le globe et l’épée, signes de majesté, étaient à ses côtés et l’on eût
dit que Frédéric allait se réveiller.
39. De tout temps, en effet, le symbolisme paraît s’être développé de l’axe ou, plus exactement, du
centre vers la circonférence. Ainsi en est-il pour le symbolisme floral (lotus, lis, rose), qui est un
rayonnement autour du centre. L’exemple classique, en la matière, est le lotus de la tradition
hindoue : figure centrée par excellence qui émerge de l’onde pour s’ouvrir aux rayons solaires. Mais,
fait plus important, et souligné par Guénon : « Lorsque la fleur est considérée comme représentant le
développement de la manifestation, il y a aussi équivalence entre elle et d’autres symboles, parmi
lesquels il faut noter tout spécialement celui de la roue, qui se rencontre à peu près partout. Les types
les plus habituels sont les roues à six ou huit rayons… » (Dans : Symboles fondamentaux de la
science sacrée, N. R. F., 1962, pp. 96-97.) Nous ne pouvons ici nous empêcher de penser au plan
bien particulier de Castel del Monte, dont la vue aérienne révèle la ressemblance de son architecture
avec celle d’une rose à huit pétales ou encore d’une roue à huit rayons.
40. René Nelli, Dictionnaire des hérésies méridionales, Privât, Toulouse, 1968, pp. 148-149.
41. Nous avons emprunté cette traduction du Gamaléon à Norman Cohn, dans : Les Fanatiques de
l’apocalypse, Paris, Julliard, 1962, p. 112.
42. Qui date de 1510 : on voit que la légende de Frédéric se perfectionnait avec les siècles…
43. René Nelli, op. cit., p. 149. L’auteur retrouve, avec raison, des influences manichéennes dans
cette prophétie.
45. Ainsi peut s’expliquer la lutte de Napoléon contre Rome et son essai de réveil de l’ordre des
Templiers, en 1808. Rappelons que les pièces du procès des chevaliers du Temple furent transférées
du Vatican à la Bibliothèque nationale de Paris, par caisses entières (plus de 3001) et ne furent pas
toutes rendues après la chute de l’Empire. On peut supposer qu’elles ne furent pas perdues pour tout
le monde.
46. H. de Ziegler, Vie de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, Paris, 1935, pp. 215-216.
47. Il est à remarquer que Constance de Sicile mit son fils au monde non à Palerme mais à Jesi, une
petite ville située près d’Ancône. Empereur, son fils Frédéric II fêtera son lieu de naissance dans une
lettre magnifique : il appelait Jesi sa Bethléem et il mettait sur le même plan sa « mère divine » qui
l’avait mis au monde en ce lieu et la mère du Sauveur Jésus-Christ. Or, fait curieux et troublant, les
légendes firent état en 1294 du transport de la Vierge Marie par les anges, de Nazareth en Dalmatie,
puis à Loreto (district d’Ancône, à peu de distance de Jesi) : soit un demi-siècle après la mort de
Frédéric. La maison de la Vierge, ou Santa Casa, de Loreto (Lorette en français) est à peu près
invisible tant elle est recouverte d’une riche ornementation de marbre, dessinée par Bramante, à
l’extérieur, et de plaques d’or et d’argent à l’intérieur. Elle est, de plus, renfermée dans une église
construite par le même Bramante de 1464 à 1513. La ville de Loreto est le plus célèbre lieu de
pèlerinage de l’Italie. L’histoire présente, décidément, de bien troublantes coïncidences, puisque le
pape Pie VI dut puiser dans le trésor de la basilique pour satisfaire les exigences de Bonaparte et du
Directoire.
Chapitre 6 - Napoléon ou « L’Aigle vole au soleil »
Napoléon a été la dernière incarnation du dieu soleil, d’Apollon
(Frédéric NIETZSCHE).
Introduction
Napoléon fait tout naturellement suite à Frédéric II : l’idée de « messie
impérial », de rassembleur de l’Europe » est un trait d’union trop visible
pour que la rencontre de ces deux personnages soit autre chose qu’une
simple recette littéraire. Il faut regretter cependant l’esprit cartésien de nos
compatriotes qui ne peuvent se détacher des événements, car alors,
comment expliquer le génie en des termes humains ?
Récemment, l’histoire ayant voulu que l’on traitât du sujet lors de la
commémoration du bicentenaire de la naissance du grand homme, les
journalistes et historiens s’essayèrent dans l’art du « bonapartisme » et, bien
entendu, ne réussirent qu’à rendre plus obscur le personnage.
En effet, Napoléon Bonaparte demeure pour nous une énigme : plus on
parle de lui et moins on le connaît : cinquante mille ouvrages forment son
piédestal comme pour l’élever sans cesse au-dessus des critiques.
Nous n’avons pas la prétention ici d’épuiser un sujet sur lequel tant
d’écrivains (et non des moindres) se sont « cassé le nez ». Le génie n’étant
explicable qu’en termes transhumains, nous voulons lui donner un éclairage
original et peu connu : celui de I’astrologie au service de la cause
impériale1.
Combien d’écrivains ont-ils songé à replacer le « petit caporal » dans
une mystique solaire et occulte dont il forme un maillon éclatant ? Aucun à
notre connaissance, et pourtant…
Présents aux fêtes du bicentenaire, nous avons suivi avec intérêt les
émissions télévisées se rapportant au personnage.
Quelle ne fut pas notre surprise d’entendre un commentateur se gausser
des prétendus « signes solaires » dont la carrière de Napoléon était, paraît-
il, émaillée, et terminer son propos par cette boutade : « Austerlitz ? Et
pourquoi pas le roi-Soleil ? » Nous dédions les chapitres suivants à ce
commentateur : qu’il veuille y trouver, avec nos remerciements, la réponse
à la question posée par son subconscient.
Les signes du destin
Le 8 août 1769, soit sept jours avant la naissance de Napoléon, une
comète apparut qui fut étudiée à l’Observatoire de Paris par l’astronome
Missier.
L’effervescence qu’elle devait susciter nous apparaîtrait aujourd’hui
comme disproportionnée par rapport au phénomène… Il faut préciser
cependant que les « queues de siècle », comme les queues de comètes
d’ailleurs, sont toujours fertiles en agitations prophétiques et la nôtre
n’échappe pas (tant s’en faut !) à cette règle : ne sommes-nous pas dans
l’ère du Verseau ?
Le fait est que cette fameuse comète était de belle taille et qu’elle
annonçait, par conséquent (aux dires des astrologues et des mages de
l’époque), un bouleversement « en gestation »… Ils se montraient bons
prophètes en l’espèce, puisque les événements devaient leur donner raison,
mais a posteriori comme d’habitude dans ce genre de prédiction. Ces
« prophètes » n’étaient pas seulement des « Cassandre », puisqu’ils
annonçaient, au mois de septembre 17692, que la queue de la dite comète
(qui brillait d’un magnifique éclat) atteignait 60 degrés de longueur et
qu’elle s’approchait progressivement du Soleil… comme pour se confondre
avec lui… La naissance d’un nouvel Alexandre semblait chose imminente,
si ce n’était déjà chose faite…
Cette « étoile » de Napoléon, qui (déjà !) le mettait en relation étroite
avec l’astre de nos jours, devait se rappeler à lui avec d’autant plus
d’insistance qu’elle souligna les épisodes marquants de son séjour
terrestre…
Napoléon, sur ce point (et il est remarquable de le constater ici), non
seulement se référait sans cesse à « son étoile », mais, de plus, se
complaisait à tracer des comparaisons « astrologiques » qui nous laissent
aujourd’hui curieusement perplexes : « L’infortuné, je le plains !, écrit-il en
1791, alors jeune lieutenant d’artillerie inconnu, il sera l’admiration et
l’envie de ses semblables et le plus misérable de tous. Les hommes de génie
sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle3 », concluait-il
en parlant de l’homme de génie en général et de lui-même en particulier.
Véritable météore, sa trajectoire terrestre était, sans conteste, inscrite
dans les astres. Nous ferons grâce au lecteur de développer ici l’affirmation
de la Table d’Émeraude qui veut que « ce qui est en haut est comme ce qui
est en bas », affirmation soulignant que l’homme (microcosme) a sa
réplique (son répondant si l’on préfère) dans le système céleste (ou
macrocosme).
Bornons-nous à constater que, trois mois avant sa mort, une nouvelle
comète se rappela à l’attention de l’Empereur, alors captif de l’Anglais sur
le rocher de Sainte-Hélène. Aux premiers jours de février 1821, en effet,
une comète apparut au-dessus de cette île. Il est remarquable de souligner
qu’elle fut visible dans les deux hémisphères, c’est-à-dire dans tout l’océan
Atlantique, route suprême de Napoléon.
- Cette comète, écrit l’astronome Faye, a été découverte à Paris, le 11
janvier, et est devenue visible, à l’œil nu, en février, avec une queue de 7°
de longueur. Elle a été observée en Europe et, même, du 21 avril au 3 mai à
Valparaiso…
Les captifs de Sainte-Hélène n’ont pas manqué de l’observer, de leur
côté, et nous trouvons trace de cet événement dans le Journal du médecin
de l’Empereur : Antonmarchi. A la date du 2 avril 1821, on peut lire, sous
sa plume4 :
- J’arrivai au milieu du trouble où ce rapport avait mis Napoléon. « Une
comète ! » s’écria l’Empereur avec émotion. Ce fut le signe précurseur de la
mort de César… Je suis à bout, tout me l’annonce.
Le 5 mai, Napoléon expirait alors que l’astronome Faye nous révèle :
- Le jour de la mort de Napoléon, la comète devait être encore visible
avec une lunette à l’île Sainte- Hélène, en s’éloignant de plus en plus de la
Terre…
Quelques jours auparavant, poussé par on ne sait quelle volonté qui est
autre chose qu’un simple pressentiment, l’Empereur avait fait noter dans le
célèbre Mémorial de Sainte- Hélène : « Je suis une parcelle du rocher lancé
dans l’espace5. » L’élève officier qui écrivait dans son cahier de géographie
à Brienne : Sainte-Hélène, petite île, a la sensation qu’il a été lancé dans
notre monde comme on lance une pierre. L’écrivain russe qui semble le
mieux l’avoir compris est Dmitri Merejkovski ; n’écrit-il pas :
- Dans notre monde, il ne fait que continuer la parabole infinie
commencée dans un autre monde, là d’où il est lancé, et il traverse notre
sphère terrestre comme un météore6…
L’Empereur avait toujours ressenti ce lien charnel et mystérieux
(zodiacal, diraient les astrologues) qui l’unissait aux astres et au Soleil,
pièce maîtresse de notre mécanique céleste. De nombreux philosophes,
historiens et chercheurs ont senti également ce lien mystérieux : Nietzsche,
dont les visions démentielles effrayent notre pensée cartésienne, n’a-t-il pas
écrit : « Napoléon a été la dernière incarnation du dieu-Soleil, d’Apollon » ;
mais, plus près de nous, un génie comme Goethe a été proche de la vérité
intuitive : « La vie de Napoléon fut la vie d’un demi-dieu ; elle est toute
radieuse », nous pourrions y ajouter le qualificatif solaire que cette phrase
ne perdrait pas son sens mythologique. Bien au contraire, pour un occultiste
ou un ésotériste convaincu, le caractère « solaire » éclaire un grand nombre
de points historiques incompréhensibles sans cela : nous pensons au fameux
« contact » que ressentaient les fidèles, au « magnétisme », à l’aura
magnifique qui, aujourd’hui encore, nous empêchent de sonder cette
personnalité historique et humaine à la dimension quasi divine.
Ici encore, Dmitri Merejkovski nous livre une piste intéressante :
- Qu’a donc fait ce petit lieutenant pour mépriser ainsi les hommes ? Et
que veut-il signifier en disant que tous les hommes sont « la clarté de la
Lune » et que lui seul est « celle du Soleil » ? Nous ne le savons pas, mais,
mieux que tout autre, le savait peut-être ce vieux grenadier qui, par vingt
degrés de froid, marchait à côté de l’Empereur, à la Bérézina : « Tu as
froid ? — Moi, mon Empereur ? Allons donc, quand je vous vois, cela me
réchauffe… »
Et l’écrivain mystique russe conclut :
- Il sait, il sent de tout son corps qui se gèle que tous les hommes sont
froids, « lunaires », et que seul l’Empereur est chaud, « Solaire »7.
Ce vieux grognard ignorait que son général en chef, à peine âgé de dix-
sept ans, écrivait, pensant peut-être aux hommes qu’il devrait commander
plus tard :
- Ma vie m’est à charge, parce que je ne goûte aucun plaisir et que tout
est peine pour moi. Elle m’est à charge, parce que les hommes avec qui je
vis et vivrai probablement toujours ont des mœurs aussi éloignées des
miennes que la clarté de la lune diffère de celle du soleil8.
Nous avons eu l’occasion de revenir plus longuement sur l’aspect
symbolique et « polaire » des deux astres que sont le Soleil et la Lune.
Rappelons pour mémoire que la Lune est l’aspect féminin et froid de la
nature, alors que le Soleil représente le pôle chaud et masculin. Cette
dichotomie que l’on retrouve dans tout homme et jusque dans la divinité,
aux dires des théosophes, a de nombreux prolongements dans le domaine
intellectuel et intuitif : si nous prenons un exemple politique contemporain
de cette époque, la Convention et la Révolution française, fondées sur la
raison, ont un aspect lunaire pour tout occultiste de bonne foi et observateur
attentif des phénomènes cycliques.
Dompteur de l’hydre révolutionnaire et de la raison « lunaire »,
Napoléon sent en lui-même un chaos intérieur qu’il s’efforce de maîtriser :
Ah ! deux âmes habitent mon sein !… Deux âmes, deux consciences :
l’une diurne, éveillée, superficielle ; l’autre nocturne, endormie, profonde…
La seconde se meut suivant les lois d’une logique ignorée de nous, dans les
pressentiments, les visions, les intuitions, et donne à la civilisation un
aspect vivant, organique ou, comme auraient dit les anciens, magique9.
« J’ai porté le monde sur mes épaules », confiait-il dans son Mémorial
(III, p. 514) et peut-être est-ce bien grâce à sa magie que l’Europe a vécu si
longtemps sur son héritage. C’est peut-être grâce à elle que l’armée entière
n’était qu’un seul corps, une seule âme dans ses mains :
- Le sultan français est un sorcier qui tient ses soldats liés par une grosse
corde blanche et, selon qu’il la tire d’un côté ou d’un autre, ils vont à droite
ou à gauche, se remuant tout d’une pièce10.
Tel est le jugement que portaient les mameluks égyptiens au lendemain
de la victoire des Pyramides,
Cette « corde blanche », c’est la puissance magique du verbe : de Thèbes
à Moscou, Napoléon, dernier héros solaire de son époque, accomplit lui
aussi le chemin du Soleil qui mène de l’Orient à l’Occident avant de
prolonger sa course dans l’Océan comme pour retrouver son élément
premier. Il naquit dans une île, lutta toute sa vie contre une île, fut déporté
dans une autre et mourut à Sainte-Hélène… Sainte-Hélène, petite île de
l’Atlantique austral.
Il est un mage, metteur en scène de pièces gigantesques où l’on se
demande si le héros est un « charlatan », un « demi-dieu » ou un « initié ».
Une telle personnalité ne souffre pas la critique, tellement elle est au-
dessus du jugement humain : il se permet de signer le livre des visiteurs du
monastère du mont Sinaï, lors de la campagne d’Égypte, et son nom fait
tout naturellement suite à celui d’Abraham.
Il joue un rôle et ne se réveille qu’avant de comparaître devant son
Créateur : il refuse de prendre des remèdes, son fatalisme réapparaît sur son
lit de mort, car si son œuvre est tournée vers l’avenir, le personnage, lui, est
tourné vers le passé : « Ce qui est écrit est écrit », déclara-t-il à Sainte-
Hélène, rejoignant en cela les pensées du grand Hermès. A la veille de la
campagne de Russie, à son oncle, le cardinal et primat des Gaules, Fesch,
qui le morigénait en lui reprochant de s’attaquer à Dieu, c’est-à-dire à
l’Église romaine, Napoléon répondit en l’entraînant vers la fenêtre du palais
de Fontainebleau où le ciel d’un midi de décembre rendait pâle la voûte
céleste :
- Regardez là-haut, voyez-vous quelque chose ?
- Non, je ne vois rien, lui répondit Fesch.
- Eh bien, sachez donc vous taire ; moi, je vois mon étoile : c’est elle qui
me guide11.
Son oncle le regarda et ne comprit jamais que la grande étoile dont
parlait son neveu, en plein midi, ne pouvait être que le Soleil.
Et nous ne pouvons que faire nôtre les derniers mots que l’écrivain
mystique et théosophe, Merejkovski12, consacrait à son « dieu » :
Napoléon est le dernier héros de l’Occident :
Arrivés à l’Occident du Soleil
Apercevant la lumière du soir
Nous célébrons le Père, le Fils et l’Esprit-Dieu !
chantaient les chrétiens des premiers siècles ; nous ne célébrons plus
personne, en contemplant la lumière vespérale de l’Occident qui auréole
d’un nimbe de gloire notre dernier héros. La lumière du soir est derrière
lui : voilà pourquoi son visage est si obscur, si invisible, si inconnu pour
nous, et pourquoi, à mesure que la lumière s’éteint, il devient de plus en
plus obscur, de plus en plus inconnu. Mais peut-être n’est-ce pas en vain
qu’il est tourné vers l’Orient [sa position dans le Sarcophage des
Invalides…] : le Soleil levant l’éclairera de son premier rayon et alors nous
le verrons et nous le connaîtrons13.
La voie solaire
Il a fallu attendre la parution des Manuscrits inédits du grand homme
pour retrouver l’influence des mythes solaires qui le possédèrent, tout jeune
encore, et qu’il transcrivit à Brienne et à Auxonne, sa seconde ville de
garnison. L’inconscient mythique qui l’habitait, il nous l’a fait partager dans
son original récit que l’on pourrait intituler : « la Gorgone »…
Dans ce manuscrit, qui a trait à la « vendetta collective » du peuple corse
contre son conquérant, le peuple français, Bonaparte exhale sa haine contre
les oppresseurs de son pays et ne tarit pas d’éloges sur ceux qui allaient
devenir plus tard ses pires ennemis ; les Anglais, alors fidèles soutiens de la
cause corse en Méditerranée.
Mais voyons quel est le thème de ce récit qui est sorti tout enfiévré de
l’imagination délirante du jeune corse exilé loin de sa terre natale.
Le conteur de cette aventure est sujet de Sa Majesté britannique,
embarqué à Livourne pour se rendre en Espagne. Notre héros est contraint
d’accoster dans une petite île, non loin de la Corse, île totalement
inhospitalière et battue par les fureurs de la mer Tyrrhénienne. Il plante sa
tente et s’endort sans appréhension tant il a été séduit par la majestueuse
solitude des lieux… et tout à coup c’est le drame : sa tente s’enflamme
tandis qu’une voix prophétique lui hurle aux oreilles : « Malheureux ! Tu
périras ! » Réveillé en sursaut et passablement affolé (on le serait à moins !)
notre Anglais parvient, à grand-peine, à se mettre hors de portée du sinistre
et apprend, avec surprise, que l’île est habitée par un couple de Corses qui
ont fui leur continent : un vieillard et son unique fille. Partant à leur
recherche, il finit par les découvrir avec l’aide de son équipage et apprend
le nom de l’île où ils ont débarqué : c’est l’île de la Gorgona (île de
l’archipel toscan au nord du cap Corse). Apprenant qu’il est Anglais, le
vieillard le reçoit comme son hôte et excuse sa fille qui l’a pris pour un
Français ! Nous pénétrons alors, à la suite de l’ésotériste Bonaparte, dans un
monde de sacrifices solaires.
Le vieillard s’est battu, durant de longues années, contre les conquérants
de son pays : Génois, Autrichiens et Français. Lorsque ces derniers eurent
écrasé les Corses à Ponte-Nuovo, il quitta l’île et se réfugia à la Gorgona où
sa dernière fille vint le rejoindre. Sa famille ayant été entièrement
massacrée, il résolut de poursuivre sa guérilla et massacra les rescapés des
nombreux navires français qui venaient se fracasser sur les récifs de l’île :
« Lorsque leurs bâtiments se brisent contre les rochers de l’île, après les
avoir secourus comme hommes, nous les tuons comme Français… »
Réfugié dans un monastère désaffecté, se nourrissant de glands et de
poissons, l’irascible vieillard poursuit sa terrible vengeance jusqu’au jour
où un événement imprévisible se produit :
- L’année passée, un des bateaux qui font la correspondance de l’île de
Corse avec la France vint échouer ici. Les cris épouvantables de ces
malheureux m’attendrirent… J’allumai donc un feu vers l’endroit où ils
pouvaient aborder et, par ce moyen, je les sauvai… Ils me reconnurent
comme Corse et prétendirent me conduire avec eux… Ils firent plus, ils
m’enchaînèrent…
J’allais expier par les supplices ma fâcheuse mollesse… Mes ancêtres
irrités se vengeaient de ce que j’avais trahi la vengeance due à leurs mânes.
Cependant, le ciel, qui connaissait mon repentir, me sauva. Le bâtiment fut
retenu sept jours. Au bout de ce terme, ils manquèrent d’eau. Il fallait savoir
où l’on pourrait en puiser. Il fallut me promettre la liberté. L’on me délia. Je
profitai de ce moment et j’enfonçai le stylet de la vengeance dans le cœur
de deux de ces perfides. Je vis pour la première fois, alors, l’astre de la
nature (il s’agit du Soleil). Que sa splendeur me parut brillante ! Cependant,
ma fille était à bord, garrottée… Je me revêtis de l’habit d’un des soldats
que j’avais tué. Armé de deux pistolets que je trouvai sur lui, de son sabre,
de mes quatre stylets, j’arrivai au bâtiment. Le patron et un mousse furent
les premiers qui sentirent le glaive de mon indignation. Les autres
tombèrent également sous le coup de ma fureur… Nous traînâmes leurs
corps au pied de notre autel et là, nous les consumâmes. Ce nouvel encens
parut être favorable à la divinité14.
Ainsi que le note si justement Merejkovski :
- Nouvel encens ? Non, très ancien. Seuls les rochers primitifs de la
Gorgona se souviennent encore de ces temps où l’on faisait des sacrifices
humains à Moloch, à Baal, à Samas, et aux autres dieux soleils, plus anciens
encore — d’une Antiquité peut-être antédiluvienne15. C’est ce sacrifice
sanglant qui souille l’autel chrétien (de la chapelle désaffectée) où jadis se
célébrait le sacrifice pur du sang. Le vieux Corse de l’histoire ne voit pas le
Soleil : « Les malheurs qui ont empoisonné mes jours m’ont rendu la clarté
du Soleil importune. Il ne luit jamais pour moi… », il vit dans les ténèbres,
tant qu’il n’a pas enfoncé le couteau, comme le prêtre de Moloch, dans le
cœur de la victime humaine : alors seulement le Soleil resplendit de
nouveau à ses yeux… et Merejkovski ajoute :
- Il n’est que trop évident qu’un homme dont de telles pensées, de tels
blocs enflammés traversent l’âme, comme des météores dans la nuit, n’est
ni corse, ni italien, ni français, ni européen, ni même un homme de notre
histoire, ni peut-être de notre éon cosmique. Nourrisson d’autres siècles,
« solaire », il étouffe dans ce siècle « lunaire », où le Soleil vieillissant est
pâle comme la Lune. Il nous écrase involontairement par sa pesante
énormité, tel un monstre antédiluvien16.
Cette voie solaire dont parle Merejkovski, Bonaparte devait attendre huit
ans encore, avant de la redécouvrir, dans le jardin des Tuileries, alors que
son regard se portait sur un placard ainsi conçu :
***
BONAVENTURE GUYON, PROFESSEUR
DE MATHÉMATIQUES CÉLESTES,
13, rue de l’Estrapade, 13
donne des consultations infaillibles sur tout ce qui peut intéresser
I’avenir heureux ou malheureux des citoyennes et citoyens de Paris. Il
prédit, en particulier, les futurs triomphes de la Patrie. Il révèle aux jeunes
filles le séducteur qui les menace, et l’époux qui ferait leur bonheur. Il
dévoile aux parents la carrière dans laquelle leurs fils trouveront la fortune
et la célébrité. Et pour ces prophéties patriotiques, il n’accepte qu’une
rétribution volontaire, et dans le cas seulement où il a prouvé sa science des
choses futures par la très exacte révélation DES CHOSES PASSÉES.
s’adresser TOUS LES JOURS
DANS LA MAISON SUSDITE DEPUIS LE LEVER JUSQU’AU
COUCHER DU SOLEIL
Le Cabinet de consultation est au dernier étage, en face l’escalier
13, rue de l’Estrapade, 13
***
Sans s’en douter l’occultisme venait de lui faire signe et s’apprêtait à lui
révéler la prodigieuse aventure dont il allait être le héros. Officier sans
affectation et, donc, libre de tout engagement, Napoléon se dirigea sans plus
tarder vers la rue de l’Estrapade…
L’oracle du destin
C’est sur ce plateau de la montagne Sainte-Geneviève que se situait la
rue de l’Estrapade ; l’ayant repérée, Bonaparte se dirigea vers le n° 13 et
entreprit d’escalader les marches. Il reprit son souffle, car l’ascension, au
cinquième étage, ne semblait pas terminée : une échelle de meunier
conduisait plus haut encore, à une espèce de soupente… L’ayant gravie, il
entreprit de frapper plusieurs coups secs à la porte du galetas. Nous étions
le mercredi 12 août 1795…
Un être innommable vint lui ouvrir :
- Depuis trois ans qu’il perchait, comme une cigogne antique, entre les
cheminées de la rue de l’Estrapade, le père Bonaventure ne s’était lié avec
personne… L’étude, toujours l’étude, c’était son mets favori, et il s’en
régalait au-delà de toute plénitude… On eut donc vainement cherché à
savoir quelles étaient sa profession d’autrefois et ses ressources
d’aujourd’hui17.
A la vue de cette apparition, le visiteur se demanda ce qu’il pouvait bien
faire, et surtout ce qu’il était venu chercher chez cette ruine humaine. La
conversation s’engagea, cependant, et le vieillard (il avait soixante-seize
ans) entreprit, pour le mettre en confiance, de lui raconter sa vie : véritable
roman d’aventures.
Né en 1720, il embrassa la carrière ecclésiastique et fut nommé, sous le
règne de Louis XV par bulle spéciale du pape, de l’abbaye de la Trappe au
poste de prieur de l’abbaye de Lagny en 1763.
Très tôt initié aux arcanes de la kabbale, il croyait au jugement sans
appel des douze maisons solaires sur le Zodiaque hermétique : l’homme
étant appelé à créer en lui-même l’image de Dieu et à se diviniser par
degrés. Étant tombé très tôt sur des documents magiques et, en particulier,
sur un petit opuscule portant le nom de tarot, ou oracle samaritain, rédigé
par quelques lévites juifs, échappés à la captivité de Babylone, et donc
héritiers des antiques secrets des mages chaldéens, le père Bonaventure se
vit détenir la suprême connaissance.
Il commença par tirer des horoscopes pour les personnalités en vue de la
cour et ce, avec le plus grand succès. Malheureusement pour lui, les
bavardages indiscrets de l’évêque de Senlis éveillèrent contre le prieur de
Lagny la colère de Mme du Barry, en dépit de laquelle, dom Bonaventure
Guyon (car c’est là son véritable nom) tentait de prévenir le roi.
La hiérarchie ecclésiastique chargea Mgr de Rohan d’enquêter sur ce
mystérieux prieur de l’ordre des bénédictins. Le cardinal vit tout le parti
qu’il pouvait tirer de la situation et surtout des dons de divination et
d’interprétation de ce curieux personnage ; il lui demanda donc quelle
serait, à son avis, la marche de la royauté dans l’année en cours18.
Comme en 1774, ces prédictions s’étaient réalisées : Louis XV était mort
et Mgr de Rohan était devenu premier aumônier du roi ; son éminence vint
à nouveau consulter le mage sur l’avenir du nouveau règne auquel il avait
lié son destin. Le moins qu’on puisse en dire est que l’avenir du nouveau
règne n’était pas rose !
« Le Roi se garde d’être mis à mort par sentence judiciaire avant
quarante ans.
- Mais, s’indigna le premier aumônier, on ne condamne pas les
souverains à mort ?
- Souvenez-vous de Charles Stuart ! Du reste, monseigneur, voici
l’horoscope de monseigneur le Dauphin tel que je l’ai établi l’an dernier
après votre visite. »
Et, point par point, dom Guyon expliqua au prélat le principe de
l’horoscope d’après les règles immuables des mathématiques célestes dont
il consentit à lui dévoiler le mécanisme.
Atterré, le cardinal de Rohan demanda : « Mais comment le roi pourra-t-
il échapper à cet affreux destin ?
Nous allons essayer d’un autre procédé pour vérifier le sinistre présage :
Voulez-vous, monseigneur, écrire sur cette feuille de papier les noms et
qualificatifs de Sa Majesté ? »
Le Cardinal écrivit :
LOUIS XVI AUGUSTE, DUC DE BERRI, ROI DE FRANCE ET DE
NAVARRE.
Le Prieur contempla ce texte puis, biffant les lettres, il les retranscrivit
au-dessous en un ordre différent. Il contempla son œuvre et, la plaçant sous
les yeux du cardinal :
« Regardez ces lettres, monseigneur, elles traduisent elles-mêmes le sort
du prince : de Louis XVI navrera et décidera de funeste augure. Ce qui veut
dire que le nombre 16 indique son sort, et XVI est l’arcane du tarot qui
s’exprime par la tour décapitée ! Mais il reste 4 lettres inemployées, je les
traduis : DONC CONDAMNATION BOURBON ROI
Certains de nos pères préféraient employer le latin, plus concis, pour ces
lettres isolées… mais je n’ose…
« Parlez, je vous en conjure.
Damnatur capite belli reus (condamné à avoir la tête tranchée pour
chose de guerre) : faut-il vous traduire ?
Mais comment sauver le roi ?
En le persuadant d’abdiquer. Le présage concerne davantage le roi Louis
XVI que l’homme.
Vous êtes fou !
Puisque vous me parlez ainsi, souffrez que je considère cet entretien
comme terminé, répliqua sèchement le prieur.
Vous savez quelles accusations ont, l’an dernier, pesé sur vous, monsieur
le prieur ? Voulez-vous que s’y ajoute celle de comploter contre le roi ?
Je n’ai rien à ajouter, monseigneur, nous sommes entre les mains de
Dieu. Craignez plutôt pour vous qui refusez d’en écouter les avis… Votre
destin à vous aussi est en jeu19… »
Furieux, le Cardinal remonta en voiture… Quelques jours plus tard, un
officier de la maison du roi, muni d’une lettre de cachet, venait arrêter dom
Guyon pour le conduire à la Bastille où, pendant quinze longues années, il
eut le loisir de méditer sur le danger d’avertir les puissants de la Terre des
coups que leur réserve le sort20.
« Hermétiquement » claquemuré dans la tour de la Bertaudière, le prieur
des bénédictins de Saint-Pierre de Lagny put prévoir, avec quinze ans
d’avance sur les événements, l’heureux dénouement de cette première
aventure.
Le 14 juillet 1789, en effet, il fut l’un des sept prisonniers de la Bastille
délivré par la révolte commençante et promené triomphalement dans les
rues de Paris.
Malheureusement pour lui, la Constitution de l’an II, et avant elle la
Révolution française, avait supprimé les ordres monastiques et confisqué
les biens du clergé ; dom Bonaventure Guyon se vit réduit à la misère. Il ne
lui restait plus qu’à mettre son talent de devin à la portée du peuple lui-
même. Il faut croire que l’ambition est proportionnelle à la situation sociale
occupée, car les clients furent rares et la position financière de notre ermite
ne tarda guère à devenir critique. Ce fut ce moment-là que Bonaparte
choisit pour lui rendre visite — tellement son avenir lui paraissait sombre.
Le jeune général, mis en confiance par le récit des aventures du ci-devant
prieur, accepta de jouer le jeu ; mais laissons Christian, bibliothécaire de
Napoléon III et occultiste de talent, nous raconter cette consultation :
…Vous vous nommez donc Napoléon Bonaparte, rien de plus. Quel est
votre pays ?
L’île de Corse,
Vous êtes Italien ?
Non pas !… Je suis Français ! monsieur de Lagny, tout à fait Français !
Sans doute, sans doute, depuis 1768 ; mais cela ne vous empêche point
d’avoir une physionomie toute romaine, monsieur Bonaparte. Je ne suis
point ignare en histoire universelle, et le nom que vous portez est de haute
origine patricienne : c’est là une chance d’état que l’astrologie ne peut
négliger. Mais, d’abord, vos noms sont italiens, je dirais même presque
latins, car l’italien, comme le français, n’est guère que du latin
transformé… napoleo bona parte fruitur (« Napoléon se fait la bonne
part », la part du lion). Qu’en dites-vous? Ce nom de Bonaparte, en sa
vieille étymologie, bona parte, c’est presque un horoscope… Prenez cette
carte, elle contient les lettres de notre alphabet avec les nombres qui leur
correspondent… Calculez vous-même Napoléon et BONAPARTE…
Ce dernier tira de sa poche un crayon, et opéra sur le revers d’une page
du fameux manuscrit du père Guyon.
En habit d’empereur56.
Oui, le 15 novembre 1840, jour du retour des cendres de l’Empereur,
restera l’une des dates les plus émouvantes de l’histoire de France :
- Par cette bise glaciale, que va-t-il se passer à la barrière de l’Étoile dont
les grilles ont été enlevées ? L’arc de triomphe est surmonté d’une
apothéose, et, de son sommet au bas des socles, retombent de longues
guirlandes de lauriers et de fleurs. Aux angles du monument, d’énormes
trépieds antiques brûlent en flammes de couleurs ; aux coins de l’attique,
deux « renommées » à cheval représentent la Gloire et la Grandeur. Autour
de l’arc, douze mâts pavoisés sont ornés de boucliers, de trophées d’armes
et de bannières tricolores, et sur la place même stationnent deux batteries
d’artillerie. De la barrière de l’Étoile à la place de la Concorde, on ne voit
que colonnes triomphales et statues de victoires. Dans les Champs-Élysées,
plus de 400 000 spectateurs attendent avec anxiété, dans un silence
religieux, maintenus par une haie de gardes nationaux et de troupes de
ligne. Il est onze heures et demie ; le soleil brille, le canon tonne ; sur la
route de Neuilly s’avance, traîné par seize chevaux noirs caparaçonnés de
drap d’or, un splendide char funèbre sur lequel sont placées quatorze
cariatides supportant un cercueil ; le cortège fait halte sous l’arc de
triomphe. Un cri spontané : «Vive l’Empereur ! » sort de toutes les
poitrines : ce sont les cendres du héros qui, de Sainte-Hélène, rentrent
triomphalement à Paris, ramenées par le prince de Joinville57.
Le 2 décembre de cette même année 1840, un groupe de vétérans des
armées impériales, qui était venu à l’arc de triomphe de l’Étoile pour fêter
l’anniversaire d’Austerlitz et du sacre (car le 2 décembre est bien la date
glorieuse par excellence des bonapartistes), remontait l’avenue des
Champs-Élysées en direction de l’esplanade de l’Étoile…
Soudain, déchirant les nuées, le Soleil apparut progressivement sous la
voûte centrale, dans l’axe parfait des Champs-Élysées, et se mit à décliner
progressivement jusqu’à se coucher définitivement dans la direction de
l’avenue de la Grande-Armée… Depuis ce jour, tous les 2 décembre, le
Soleil d’Austerlitz est au rendez-vous de l’arc de triomphe… et de
Napoléon.
Napoléon Ier en costume de sacre : le rêve solaire d’un nouvel empereur romain (photo Giraudon)
1. Son plus irréductible ennemi, et néanmoins compatriote, le duc Pozzo di Borgo, ne s’y est point
trompé. Comme on lui demandait quelle image la postérité garderait du grand homme, il répondit :
« Pour l’histoire, nous ne serons que des planètes qui tourneront autour du Soleil. »
2. Rappelons que Napoléon Bonaparte est né entre ces deux dates : le 15 août 1769.
7. Idem, p. 82.
17. P. Christian, l’Homme rouge des Tuileries, Éd. Dorbon, Paris, 1931, p. 20, réédition.
18. Paul Bouchet, Le Mystère de Perrière-les-Chênes, éd. chez l’auteur, 1955, pp. 80 sqq.
19. Le cardinal de Rohan aimait à s’entourer de mages de toutes sortes dont le plus célèbre fut
Cagliostro : l’Affaire du collier de la reine ne tarda pas à donner raison au prieur de Lagny.
20. Paul Bouchet recoupe ici le récit de Christian, successeur de Guyon au poste de bibliothécaire
impérial.
21. 1804 étant l’année du sacre à Notre-Dame.
23. Nom du kabbaliste juif dont on peut supposer qu’il avait réussi à déchiffrer les arcanes des mages
chaldéens durant la captivité forcée des Hébreux à Babylone.
24. Emil Ludwig, Napoléon, Payot, 1928, citation de Raynal par l’auteur, p. 18.
25. Nous ne faisons que rappeler le sort du Zodiaque noir de Tentyris, Denderah ou Tentyra,
découvert par Desaix, qui fut apporté à Marseille en 1821, exposé au Louvre quarante jours après : le
jour même où Napoléon, fidèle aux prédictions, mourait à Sainte-Hélène…
26. Barthélemy et Méry, Napoléon en Égypte, Paris, 1835, chant Y, pp. 128 et 130.
27. Proclamation du 1er nivôse an VII, correspondance de Napoléon Ier, tome V, pp. 221 et 222.
29. Dans Vues sur Napoléon, le célèbre écrivain d’avant- guerre André Suarès (Grasset, 1933, pp.
263, 264) écrit : « Râ… Dans la vie de Napoléon, incomparable en prodiges visibles, Rivoli, Iéna,
Austerlitz et les plus fameuses victoires sont moins frappantes et moins belles que l’énergie
imperturbable de l’esprit qui les conçoit et les prépare, et de la volonté qui les remporte et les exige.
A cet égard, Napoléon est digne du culte qu’on lui rend. Sa vie tourne sans peine au mythe solaire, de
cette naissance obscure dans l’orient de la Mer à ce coucher immense et sanglant dans l’occident de
l’Atlantique. Cette courbe doit avoir été celle des plus antiques dieux solaires, tous conquérants : Râ,
Ammon, le Serpent à plumes, et tous les maîtres de la Terre, témoins légendaires d’hommes tout-
puissants qui ont conquis un monde et qui, semblables à lui, furent les vrais frères de Napoléon.
Parabole qui enferme pour un temps donné le destin de l’espèce, elle laisse dans l’esprit la trace
d’une admiration presque douloureuse, splendide et dure à l’égal d’un céleste projectile… »
30. Les traits communs entre le druidisme et les mystères égyptiens étant d’essence solaire.
31. Exact : l’auteur ayant été témoin de semblables transmissions « spirituelles ». Les expériences de
télépathie restent présentes dans toutes les mémoires.
33. Dans l’ouvrage de Marco de Saint-Hilaire, Souvenirs intimes du temps de l’Empire, paru en 1851
à Paris, on trouve la rencontre, qui ne manque pas de grandeur, du général Bonaparte avec la Grande
Pyramide de Gizeh. Le général en chef de l’armée d’Egypte serait bien entré seul dans les galeries du
monument, accompagné d’un guide qui aurait déclaré qu’il allait lui montrer ce qu’Alexandre le
Grand avait été le dernier à contempler ! Bonaparte ayant juré le silence, il ne répondit pas à la
question de son aide de camp, Junot, ajoutant qu’il avait promis de ne rien révéler de ce qui s’était
passé dans le monument. Il refusa toujours d’accéder à la demande de ses intimes et, s’il faut en
croire Marco de Saint-Hilaire, il aurait presque été sur le point de s’en ouvrir à Las Cases sur son lit
de mort, à Sainte-Hélène. Mais, se reprenant bien vite, il aurait avoué : « A quoi bon, vous ne me
croiriez pas… » Cette visite mémorable à Gizeh nous est d’ailleurs rapportée par diverses sources
dont la moins sérieuse n’est pas le journal officiel de l’époque, Le Moniteur. En effet, dans son
numéro du 7 frimaire an VII (novembre 1798), on peut lire, sous la plume d’un rédacteur : « Ce
jourd’hui, 25 thermidor de l’an VI de la République française, une et indivisible, répondant au 28 de
la Lune de Mucharem, l’an de l’hégire 1213, le général en chef, accompagné des officiers de son
état-major, de plusieurs membres de l’Institut national, ainsi que d’un interprète et d’un détachement
de troupe, s’est transporté à la Grande Pyramide et y a été introduit par l’iman Muhamed, chargé de
lui en montrer la construction intérieure. A neuf heures du matin, il est arrivé avec sa suite sur la
croupe des montagnes de Gizeh, au nord-ouest de Memphis. Après avoir examiné avec attention les
pyramides inférieures, il s’est arrêté à la pyramide de Chéops… « Le général en chef et sa suite,
ayant pénétré dans l’intérieur de ladite pyramide, ont trouvé d’abord un canal de cent pieds de long et
de trois pieds de large, qui les a conduits, par une pente rapide, vers la vallée qui sert de tombeau à
celui des pharaons qui érigea ce monument ; un second canal, très dégradé et remontant vers le
sommet de la pyramide, les a amenés successivement sur deux plates-formes, et de là à une galerie
voûtée de la longueur de cent dix-huit pieds, aboutissant au vestibule du tombeau principal. Cette
dernière salle, dans laquelle le général en chef est enfin parvenu, est à voûte plate et longue de trente-
deux pieds, sur seize de large et dix-neuf de haut. On ignore si les Arabes spoliateurs ont jamais
pénétré dans ce sanctuaire de la pyramide, dont l’entrée semblait murée, cependant le général y a
pénétré, seulement accompagné de l’interprète et de l’iman qui lui avait servi de conducteur… » Que
se passa-t-il entre les trois hommes ? Nous en sommes réduits aux suppositions : Bonaparte eut-il
accès aux « mystères » de la chambre du roi ? Lui confirma-t-on son prodigieux destin ? Seule la
Grande Pyramide pourrait répondre, et ce n’est pas là le moindre de ses secrets…
34. Note très curieuse en vérité. Qu’est-ce que Napoléon a entendu par « revoir » et par
« retrouver » ?
35. Saint-Georges de Bouhélier, Napoléon, grandeurs et misères, Paris, Fasquelle, 1938, p. 81.
36. L’auteur a choisi l’orthographe exacte de pantacle, et non pentacle, comme la donnent les
dictionnaires : ce mot ne dérivant pas de penta (cinq), mais de pan (tout) et signifiant exactement un
objet renfermant le tout, synthèse du « macrocosme ».
39. Ces lignes sont largement inspirées de l’Homme rouge des Tuileries, de P. Christian.
40. Les historiens savent que l’année 1808 allait être celle du début de la guerre d’Espagne où allait
s’enferrer la Grande Armée, guerre qui allait être, selon le jugement de Talleyrand : « le
commencement de la fin »…
43. Rapporté à Christian par un ancien serviteur des palais impériaux, mort en 1840.
44. Bonaparte, encore jeune, fut-il surpris par cette tradition celtique ? Celte, Napoléon l’était, au
moins pour moitié. Il n’y a qu’à contempler, sur ses portraits, ces yeux bleus, reflet de l’océan dans
un masque latin d’empereur romain. La Corse, ne l’oublions pas, fut colonisée par les Celtes, témoins
les nombreux mégalithes retrouvés à Filitosa et ailleurs. Faut-il encore préciser que Napoléon était un
familier des poèmes d’Ossian, cette épopée bardique d’Écosse qui ne le quittait jamais dans ses
nombreux déplacements.
45. Serge Hutin, Histoire des R + C, Ed. du Courrier du livre, Paris, 1962, pp. 45 sqq.
47. Ainsi, de nos jours, un F.-. M.-., en cas de nécessité absolue, peut nier son appartenance à la
franc-maçonnerie.
48. Nom du kabbaliste juif dont on peut supposer qu’il avait réussi à déchiffrer les arcanes des mages
chaldéens durant la captivité forcée des Hébreux à Babylone.
50. Paul Bouchet, op. cit. Paul Bouchet n’est autre que l’actuel « grand druide des Gaules ».
53. De la même façon, il est permis de soupçonner la même couverture des cathares dans l’ordre des
franciscains « spirituels ».
54. Certains historiens ont affirmé que la Sainte Ampoule du Sacre ayant été brisée par le
représentant du peuple Rühl dans la cathédrale de Reims (1793), l’onction royale par l’archevêque de
Reims était devenue impossible, en tout cas dénuée de toute efficacité.
2. Montagne que l’on peut situer dans le Caucase, selon toute vraisemblance.
3. Julius Evola, Le Mystère du graal et la tradition impériale gibeline, Éditions traditionnelles, 1967,
p. 33.
5. Que l’on se rappelle les étranges origines du « groupe Thulé » qui patronna Adolf Hitler. Voir
notre ouvrage : Hitler et la tradition cathare.
6. J. Evola, op. cit., p. 33.
9. Cette réponse est fournie par l’oracle à la question : « Qui est Celui qui attend ? »
10. Selon l’ésotériste hitlérien Miguel Serrano (El Cordon dorado), écrivant dans les années 80,
l’esprit (l’influence) d’Adolf Hitler continuerait de vivre (en mode parallèle) avec d’autres initiés
ayant pour centre spirituel l’étoile Sirius. D’après les fidèles de ce courant néo-hitlérien pour obtenir
la date du « grand retour », il faudrait multiplier le chiffre 13 (résurection) par 5 (5 années = un
lustre), ce qui aboutirait à un délai de 65 ans à partir de 1945, soit à la date finale de 2010.
11. Soleil noir symbolisé par la croix gammée (noire sur fond blanc).
12. L’Eglise cathare et gnostique fut fondée ou « restituée » vers 1890 par Fabre des Essarts (le
patriarche Synésius). Dans son acte constitutif. l’Église, gnostique prétendait remonter aux albigeois.
Quant à Fabre des Essarts, il se proclama évêque de Paris et de Montségur. Pour diffuser la « doctrine
s, fut créée eu 1909 la revue La Gnose, organe de l’Église gnostique universelle. Le directeur de cette
publication, connu sous le pseudonyme de Palingenius, n’était autre que le jeune René Guénon,
auteur du livre mystérieux Le Roi du monde, très intéressant résumé des doctrines hyperboréennes
relatives à la tradition primordiale et à la mystérieuse « île Blanche » de Thulé.
13. La « Rose + Croix, d’or », pour être précis, affiliée à la Golden Dawn britannique.
16. René Guénon, dans Le Symbolisme de la croix, Nouvelle Édition, Plon, p. 156.
17. Une preuve en est apportée par les statues gauloises qui se trouvent au musée Borély de
Marseille. Sur l’épaule d’une de ces divinités, on peut remarquer la présence d’une croix gammée
sculptée.
19. A ce sujet, l’Allemand Fröbenius a fait en Afrique d’intéressantes découvertes dans certaines
régions qu’aurait pénétré jadis la civilisation atlante : « Tandis que dans toutes les profondeurs de
l’Afrique la Lune est masculine et a pour amante Vénus, dans le domaine atlantique le Soleil est
masculin et la Lune féminine. C’est seulement dans ce même domaine que sont indigènes les trois
symboles sacrés, la main, la rosette a huit folioles et le svastika qui, tous les trois, sont absents, en
tant qu’ayant ce caractère, dans toute l’immense Afrique. » On peut ajouter que la main ouverte se
retrouve sous la forme du salut germanique et romain typique de l’Occident et liée au culte solaire.
On a également trouvé une main sacrée en stéatite à reflets verts dans les Pyrénées, autour de
Montségur. Cet emblème serait d’origine celte.
20. En particulier à Wewelsburg, château abritant le centre le plus secret de l’Ordre Noir où le
svastika figure comme le leit-motiv central.
21. Dernier grand maître des chevaliers du Temple, condamné à mort sur l’ordre de Philippe le Bel et
mort sur le bûcher en 1314.
22. Ce dernier écrit en effet dans son Histoire philosophique du genre humain (Éditions
traditionnelles, Paris, 1966-1967, 2 volumes) : « Je dois m’attacher seulement à la race blanche, à
laquelle nous appartenons, et en crayonner l’histoire depuis l’époque de sa dernière apparition aux
environs du pôle boréal… Il est assurément très difficile de dire à quelle époque la race blanche, ou
hyperboréenne, commença à se réunir par quelques formes de civilisation et encore moins à quelle
époque plus reculée elle commença à exister. Moïse, qui en parle au sixième chapitre du Béroeshit (la
Genèse), sous le nom de Ghiboréens, dont les noms étaient si célèbres, dit-il, dans la profondeur des
temps, rapporte leur origine aux premiers âges du monde. » (P. 82.) Plus loin, Fabre d’Olivet écrit ces
lignes, datées de 1821 (dans le tome II, chapitre VI, « Mission d’Odin ») : « Aucune des
circonstances heureuses qui pouvaient le [Odin] favoriser n’échappèrent au disciple de Zoroastre ; il
vit d’un coup d’œil cette immense région qui s’étend depuis la Volga, sur les confins de l’Asie,
jusqu’aux bords de l’Armorique et de la Bretagne, aux extrémités de l’Europe promise à ses dieux et
à ses armes. » (P. 44.) Ce passage ne s’applique-t-il pas admirablement aux conquêtes d’Adolf Hitler,
ce nouvel Odin ? L’écrivain français ajoute, quant à lui : « Sa valeur, chantée par les bardes, ses
disciples, a été transformée par eux en une vertu surnaturelle. Ils ont, par la suite du temps, renfermé
dans son histoire particulière tout ce qui appartenait à l’histoire générale de la race boréenne, à cause
de Bore qu’il s’était donné pour ancêtre. » (P. 49.) La boucle est ainsi fermée, observerons-nous !
23. A propos de la croix gammée et du rapport entre ce symbole et le dieu germanique Odin ou
Wotan, Mme Blavatsky écrit, dans sa Doctrine secrète (tome III, p. 15, Librairie de l’Art
indépendant, Paris, 1904) : « C’est le marteau de Thor, l’arme magique forgée par les nains pour s’en
servir contre les géants, ou les forces titaniques précosmiques de la nature qui se révoltent et qui,
pendant qu’elles sont vivantes dans la région de la matière, ne veulent pas être domptées par les
dieux — les agents de l’harmonie universelle — mais doivent être d’abord détruites. C’est pour cela
que le monde est formé de débris de l’Ymir égorgé. Le Svastika est le Mjôlnir, le « marteau de
l’orage », et c’est pour cela, dit-on, que lorsque les Ases, les dieux saints, après avoir été purifiés par
le feu — le feu des passions et des souffrances, durant leurs incarnations — deviendront dignes
d’habiter dans Ida, dans une paix éternelle, le Mjôlnir deviendra inutile. » Quant à l’occultiste déjà
cité, Fabre d’Olivet, il affirme que le grand dieu de la mythologie germanique « appelé Frighe, fils de
Fridulphe, surnommé Wotan par les Scandinaves, nous est connu sous le nom d’Odin… » Et il
ajoute : « Frighe (homme divinisé) était Celte ou Scythe d’origine, ainsi que son nom l’indique assez.
Un ancien historien de Norvège assure qu’il commandait aux Ases, peuple d’origine CELTIQUE,
DONT LA PATRIE ÉTAIT SITUÉE ENTRE LE PONT- EUXIN ET LA MER CASPIENNE. »
(FABRE D’OLlVET.,op cit pp. 42-43). Cette affirmation, qui situe justement la demeure des Ases
dans l’Ossétie actuelle et sa capitale d’Asgard, la moderne Stalingrad, coïncide parfaitement avec la
thèse de Lang, et ce n’est pas le fait le moins surprenant quand on sait que Fabre d’Olivet écrivait en
1821. Plus loin, l’auteur n’en écrivait pas moins (p. 44) : « Frighe était sectateur de Zoroastre, il
connaissait d’ailleurs toutes les traditions des Chaldéens et des Grecs, ainsi que plusieurs des
institutions qu’il a laissées dans la Scandinavie le prouvent invinciblement. Il était initié aux mystères
de Mithra. » Nous n’ajouterons rien d’autre.
24. C’est le moment de rappeler ici la prophétie de l’écrivain allemand Henri Heine. Elle a été
rédigée un soir du mois de mars 1840, par un homme en proie à une transe indescriptible, attablé
devant une chope de bière, dans une petite brasserie de Munich. D’une main fiévreuse et tremblante,
le grand penseur allemand que fut Heine, traçait ces lignes prophétiques et terribles : « Le
christianisme a adouci la brutale ardeur belliqueuse des Germains, mais il n’a pu la détruire, et quand
la croix, ce talisman qui l’enchaîne, viendra à se briser, alors débordera de nouveau la férocité des
anciens guerriers… Thor se dressera avec son marteau gigantesque et démolira les cathédrales
gothiques. Quand vous entendrez les vacarmes et le tumulte, soyez sur vos gardes, chers voisins de
France. La pensée précède l’action comme l’éclair le tonnerre. Le tonnerre d’Allemagne est
allemand, à la vérité. Il n’est pas très leste et roule avec lenteur. Mais il viendra, et quand vous
entendrez un craquement comme jamais craquement ne s’est fait entendre dans l’histoire du monde,
sachez que le tonnerre allemand aura enfin touché le but. On exécutera alors un drame auprès duquel
la Révolution française n’aura été qu’une innocente idylle… »
26. Idem
27. Rienzi (Colas) : homme politique italien, il s’efforça de réformer les institutions romaines.
Gibelin, il fut vaincu par les partisans du pape et fut massacré par la populace en 1354. Wagner
s’inspira de ce tribun du peuple dans un opéra.
28. Cité par Joseph Greiner dans Hitler, les années obscures par Ernst Hanfstangl, Paris, 1969.
30. Qui n’est autre que Bernard de Clairvaux, le protecteur des templiers.
31. Une telle attitude est à rapprocher du jugement de Rosenberg sur Zoroastre : « Zarathoustra s’en
rapporte au sang Aryen qui doit obliger tout Persan à servir le Dieu de la Lumière » qui doit
triompher d’Angromanyu (ahriman). » Aujourd’hui, au Centre et dans le Nord de l’Europe. cette
même âme de la Race qui vivait jadis avec Zarathoustra, se réveille avec une force mythique et prend
une plus haute conscience d’elle-même. » ( le Mythe du XXe siècle, traduction française de Pierre
Grosclaude, pp. 22-23).
35. Dans Hitler m’a dit, de Rauschning, on peut lire : « L’espèce humaine, disait-il (Hitler], subissait
depuis l’origine une prodigieuse expérience cyclique. Elle traversait des épreuves de
perfectionnement d’un millénaire à l’autre.La période solaire de l’homme touchait a son terme ; on
pouvait déjà discerner les premiers échantillons du surhomme… » Sans commentaires.
37. Il ne s’agissait pas de l’épouse allemande du tsar Nicolas II attirée par les « magiciens » et les
« sciences occultes », assassinée à Iékatérinenburg, avec la famille impériale par les bolcheviks. Dans
son agonie, elle avait tracé, sur le mur de la maison Ipatiev, où elle était détenue, une croix
gammée… C’est le point de départ d’une « curieuse aventure » dont les services secrets français se
sont inspirés pour « faire paraître » un livre d’espionnage sous forme romancée (avant 1939)… Livre
destiné à faire comprendre aux dirigeants nazis qu’ils n’étaient pas les seuls à s’intéresser de très près
à « l’énigme du Dragon vert »… Mais cela est une autre histoire qui nous entraînerait fort loin.
38. A propos de la carrière « messianique » et proprement religieuse d’Adolf Hitler, on peut citer ce
passage effarant trouvé dans un organe nazi : « L’Oint du Seigneur est notre camarade de lutte. Dieu
nous a envoyé un Sauveur, notre Führer. » (Cité par G. Welter, dans : Histoire des sectes chrétiennes,
Payot, 1950, Paris, p. 264).
39. Coïncidence ou non, c’est également le 30 avril que tombe traditionnellement la « nuit de
Walpurgis » qui voit les fantômes libérés de leurs chaînes revenir parmi les vivants ; cette légende est
typiquement germanique.
Épilogue - Mao Tsé-Toung ou « Le Soleil Rouge »
La pensée de Mao Tsé-Toung est un Soleil qui ne se couche jamais
(Radio-Pékin).
La multiplicité et la répétition des « révolutions culturelles » qui
secouent périodiquement notre globe font penser à quelques-uns qu’une
immense conjuration était en marche vers on ne sait quel but mystérieux.
Si l’on applique le vieil adage selon lequel il faut chercher à qui le crime
profite, on se trouve tout naturellement amené à tourner ses regards vers
l’Empire du Céleste Milieu. Mais cette explication laisse de côté un grand
nombre de questions qui demeurent sans réponse.
Lorsque, en 1900, John Buchan prophétisait dans la Centrale d’énergie,
le réveil de nations comme la Chine, il ajoutait en corollaire et selon le bon
vieux principe des vases communicants :
Il suffirait de quelques modifications infimes pour réduire la Grande-
Bretagne au niveau de la république de l’Équateur, ou pour donner à la
Chine la clé de la richesse mondiale.
En approfondissant cette pensée visionnaire on peut se rendre compte de
la décadence progressive et ininterrompue de l’Angleterre, pourtant
victorieuse dans le dernier conflit mondial où elle participa au partage du
monde à Yalta aux côtés de l’U. R. S. S. et des États-Unis, seuls
bénéficiaires de cet escamotage.
Comment la « reine des nations » en est-elle arrivée là ? Il y a un aspect
exotérique des choses que nos doctes économistes rapportent avec soin et
un aspect ésotérique que l’on se garde bien de communiquer si l’on en croit
le mot de Disraeli : « Le monde est gouverné par de tout autres personnages
que ne se l’imaginent ceux dont l’œil ne plonge pas dans les coulisses… »
Si nous soulevons le voile mercantile qui recouvre l’après-guerre, nous
découvrons que, jusqu’en 1956, le Royaume-Uni dut faire face à une
inflation gigantesque dont les causes véritables laissèrent quelque peu
pantois les spécialistes monétaires : treize centres d’émission de fausses
livres sterling s’étaient soudain mis à fonctionner simultanément sur tous
les points du globe : l’hémorragie fut telle que la Banque d’Angleterre ne
put jamais s’en relever.
Bien entendu, cette vaste « opération » s’est déroulée… et peut se
reproduire au bénéfice d’une quelconque « centrale d’énergie » dont les
chefs restent prudemment dans l’ombre.
Les fonds énormes ainsi recueillis, échangés contre dollars ou francs
suisses, en espèces sonnantes et de bon aloi, sont-ils allés rejoindre l’or de
la Reichsbank dont on n’a jamais retrouvé la trace ? Que dire alors des
richesses de toutes sortes drainées par les nazis pendant cinq années
d’occupation, provenant du pillage en règle de l’Europe entière ?
Faut-il rapprocher cette activité souterraine de ce passage de Buchan :
Vous voyez simplement les créations de gens de second ordre qui sont
pressés de conquérir la richesse et la gloire. Le vrai savoir, le savoir
redoutable est encore tenu secret. Mais, croyez-moi, il existe… Ce furent
des exemples qui me donnèrent l’éveil. Ils étaient de différents ordres : une
grande catastrophe, une soudaine rupture entre deux peuples, une maladie
détruisant une récolte essentielle, une guerre, une épidémie.
Et l’auteur de cette intéressante nouvelle qu’est la Centrale d’énergie,
après avoir annoncé le succès futur du nazisme, se tournait vers la Chine
pour écrire ces lignes révélatrices des événements que nous vivons :
Supposez l’anarchie instruite par la civilisation et devenue
internationale. Oh ! je ne parle pas de ces bandes de bourriques qui
s’intitulent à grand fracas « Union internationale des travailleurs » ou autres
stupidités analogues ! J’entends que la vraie substance pensante du monde
serait internationalisée. Supposez que les mailles du cordon civilisé
subissent l’induction d’autres mailles constituant une chaîne beaucoup plus
puissante. La terre regorge d’énergies incohérentes et d’intelligences
inorganisées. Avez-vous jamais songé au cas de la Chine. Elle renferme des
millions de cerveaux pensants, étouffés en des activités illusoires. Ils n’ont
ni directives, ni énergie conductrice, tant et si bien que la résultante de leurs
efforts est égale à zéro, et que le monde entier se moque de la Chine.
L’Europe lui jette de temps à autre un prêt de quelques millions, et elle, en
retour, se recommande cyniquement aux prières de la Chrétienté. Mais, dis-
je, supposez…
Oui, supposons que les efforts combinés de quelques groupes fanatiques
se rejoignent… Supposons que les centrales nazies, aujourd’hui en
sommeil, collaborent à ce plan démoniaque dont nous voyons la trame se
tisser sous nos yeux. Supposons un milliard de Chinois animés des plus
mauvaises intentions à notre égard… La conclusion vient d’elle-même sous
la plume d’un auteur comme Jean Cau, qui a pu écrire dans l’Agonie de la
vieille [notre civilisation !] :
La situation… laisse prévoir un tremblement de terre capable d’engloutir
notre Atlantide… Trois catholicismes s’effondrent : le catholicisme de
Rome, celui de Washington et celui de Moscou. — et sur leurs ruines
pousse sourdement l’ivraie du nationalisme […). Suprême dérision : si un
sentiment international naît, demain, il trouvera ses pulsions et son ciment
dans la menace que représenteront un milliard de Chinois nationalistes,
xénophobes et armés jusqu’aux dents. Il sera donc, blanc et raciste. Ce jour-
là, sur l’immense champ de ruines de la morale judéo-chrétienne (dont la
morale socialiste n’aura été qu’une traduction moderne), un ordre nazifiant
étendra le vaste empennage de ses ailes. Du Walhalla, Hitler pourra faire
cette réflexion : « Je ne m’étais trompé que de date. J’ai été trop pressé. »
Oui. le président Mao, « Soleil rouge irradiant, gloire de l’univers et
fleur merveilleuse de la Création », pense-t-il à la réaction qu’il risque de
déclencher ou bien est-il tellement confiant dans l’inéluctable décadence de
la société occidentale ? On sait qu’Allemands et Japonais ont payé très cher
cette tendance à sous-estimer l’adversaire !… En ira-t-il de même demain ?
Il est temps de se pencher, en attendant l’avenir, sur la genèse de cette
« troublante aventure » qu’est le maoïsme. Il paraît bien être allé chercher
son inspiration dans un taoïsme remis à la mode du jour, appuyé par une
chaîne de sociétés secrètes d’où est sortie la « cryptocratie » du
gouvernement chinois.
La cryptocratie chinoise
L’examen de l’équipe dirigeante chinoise nous révèle son caractère
occulte de « centrale d’énergie » ou, si l’on préfère, de cryptocratie, c’est-à-
dire de société secrète politique de type supérieur analogue à la synarchie
capitaliste ou à la « troisième force noire » d’inspiration fasciste. La
complexité des structures et de l’organigramme du parti communiste
chinois fait de celui-ci l’une des associations dirigeantes les plus fermées
qui soient. Nous savons qu’il existe, aujourd’hui encore, des sociétés
secrètes chinoises aux États-Unis, en Malaisie, aux Philippines, en Afrique,
en Angleterre et, de manière générale, dans toute l’Asie du Sud-Est. Ces
sociétés secrètes se réclament toutes de l’organisation Hung, analogue à
notre F.-. M.\ occidentale : c’est dire le caractère « solaire » de leur
initiation. Il semble donc évident que la connaissance des théories
particulières du communisme chinois passe par la connaissance de la
pensée traditionnelle de la Chine, cette pensée traditionnelle jouant, au sein
de la Chine actuelle, un rôle beaucoup plus important que les apparences
voudraient bien le laisser croire.
Déjà, en 1935, un auteur comme B. Favre notait le caractère politique de
l’organisation Hung ou Triade, particulièrement dans les troubles
d’Indochine et de Malaisie. Ce rôle politique est inséparable de leur
caractère populaire : les sociétés secrètes chinoises s’appuyant sur ce que le
marxisme a coutume d’appeler le prolétariat. Selon Jean Chesnaux, les
communistes, vers 1925, ne mettaient pas en doute le caractère populaire et
révolutionnaire de ces organisations. En conclusion :
Elles ont été intimement liées aux luttes que le peuple chinois livre
inlassablement à ses adversaires de l’intérieur et de l’extérieur 1.
En juillet 1936, le « Soleil rouge irradiant », le vaillant et futur président
Mao Tsé-Toung, n’avait-il pas adressé, au nom du Comité central du P. C.,
un appel aux frères de la « société des Aînés et des Anciens », qui se
terminait par ces mots :
[…] Nous espérons, nous désirons accueillir avec enthousiasme les chefs
des Aînés et des Anciens de tout le pays, les chefs de toutes les « loges de la
montagne », les frères chinois des quatre points cardinaux qui enverront les
représentants de tous les groupes, et tous ceux qui viendront en personne,
réaliser avec nous notre projet de sauver le pays. Nous vous attendons, et
nous vous accueillerons chaleureusement.
Faites renaître l’ancien esprit révolutionnaire des Aînés et des Anciens !
Que les Aînés et les Anciens et tout le peuple chinois s’unissent pour
abattre le Japon et sauver la Chine !
Longue vie à la Libération nationale chinoise !
Le président du gouvernement populaire soviétique chinois Mao Tsé-
Toung.
A dater de cette époque et jusqu’à la victoire contre les troupes du Kuo-
Min-Tang, soit en 1947, les rapprochements entre le P. C. chinois et les
sociétés secrètes issues du mouvement Hung vont se multiplier.
L’étude de celles-ci était d’ailleurs inscrite au programme de
l’instruction des cadres de la révolution chinoise pendant la période de
collaboration des communistes avec le Kuo-Min-Tang. Or, c’était Mao qui
en était le directeur et qui mit à profit ses connaissances en la matière
pendant la « Longue Marche ». Lors de cette expédition, un des chefs de la
« Triade » se rangea aux côtés de Mao et se vit même confier d’importantes
responsabilités : il s’agissait de Liu-zhi-dan.
Le fameux maréchal Zhu-de, futur commandant en chef de l’Armée
populaire chinoise, surnommé le « Napoléon rouge », était issu également
de la « Triade » .
La pénétration de ces sociétés dans le parti communiste révèle donc une
importance certaine aux yeux des observateurs que n’aveugle pas une
insondable ignorance. Aujourd’hui, un grand nombre de dirigeants
communistes proviennent directement des sociétés secrètes.
Le grand maître de la société des Aînés et des Anciens : Wu-chi-wang,
devint le doyen du Comité central du P. C., et c’est sans doute à son
initiative que furent créées des sociétés secrètes directement rattachées au
parti.
Dans ce bouillon de culture qui n’est pas sans rappeler la période qui
précéda l’arrivée de Hitler au pouvoir, les sociétés secrètes chinoises misent
sur trois chevaux différents : les unes forment la cinquième colonne
japonaise, les autres l’armature de la police nationaliste, les dernières enfin
les futurs cadres du parti communiste. Leur seul point commun étant leur
haine des Occidentaux, qu’ils soient russes ou britanniques, hollandais ou
français.
En effet, dans un manuscrit en notre possession, le rôle de la société
Hung dans le soulèvement des anciennes possessions hollandaises
d’Insulinde est largement mis en évidence.
De même, les activités de la société Hung en Indochine française furent
déterminantes dans les transferts politiques au bénéfice du parti communiste
vietnamien naissant. Les ouvrages de Louis Roubaud, parus avant 1939 et
traitant de la situation (en apparence calme) dans cette partie du monde,
font état de l’appui que les nationalistes indochinois trouvèrent dans ces
« loges » établies principalement à Cholon2.
Il est donc naturel de voir Mao payer ses dettes en 1946 et articuler son
parti suivant le schéma des sociétés secrètes. L’organisation même du P. C.
chinois rend très difficile tout jugement, en 1970, sur les véritables buts de
la société Hung, par exemple.
2. En 1885, le croiseur français La Galissonnière, venu à Hong-kong pour réparer les avaries qu’il
avait subies lors de l’action punitive contre Formose, provoqua par sa seule présence dans la rade une
grève de solidarité des ouvriers de l’arsenal qui, avertis par des émissaires de la société Hung
formosane (30 000 adhérents environ à cette époque, rien que dans cette île, nous apprend
Chesneaux) forcèrent le navire français à quitter le port britannique : c’est dire l’importance, à
l’extérieur comme à l’intérieur, de cette société secrète.
3. Encyclopédie Planète, Les Sociétés secrètes, 1964, article de René Alleau, p. 180.
9. La société Hung pratique aujourd’hui encore, à Hongkong, le vol et le brigandage : cela n’est pas
inscrit dans ses statuts, que l’on sache !
10. Les sandales de paille à base carrée permettent (en remplaçant les chaussures ordinaires) au
postulant à l’initiation de condenser, en l’isolant, le courant, l’influx spirituel qu’il va recevoir…
12. Un film a cependant été réalisé par les membres de l’expédition, projeté pour Hitler, Himmler et
les principaux chefs nazis (1942). De même, un important ouvrage sur l’expédition allemande de
1939 accessible à un public sélectionné a été tiré à un petit nombre d’exemplaires. Ces documents
sont aujourd’hui accessibles aux historiens et aux chercheurs.
13. Frida Wion, La Chine, Éd. Nalys, 65, rue de Courcelles, Paris.
14. Ce phénomène, que la tradition chrétienne nous a légué sous la forme du mystère de la
« lévitation » des saints, est également rapporté par les traditions d’Amérique latine : « Dans les
temps anciens, tous les hommes avaient le pouvoir de voler… », nous dit le Popol-Vuh ; de la même
manière, les traditions africaines font mention des hommes volants de Zimbabwe. Quant à la tradition
proprement atlantéenne du Vril, elle doit être recherchée dans les « plats volants » des anciens Incas.
15. Robert Charroux, Le Livre du mystérieux inconnu, Éd. Robert Laffont, 1969.
16. Eugène Lennhoff, Histoire des sociétés politiques secrètes au XIXe siècle, Paris, Payot, 1934, p.
249.
17. Les derniers Taï-p’ing débarrassèrent la scène politique de façon très chinoise : le gouvernement
mandchou les envoya se battre contre les Français en Indochine ; ils formèrent ainsi la bande des
« Pavillons noirs » qui donnèrent beaucoup de fil à retordre à nos troupes.
18. Pou-Yi, évincé du pouvoir, prisonnier dans la « cité interdite » de Pékin, devait devenir
l’éphémère empereur du Manchoukouo, Etat satellite des Japonais, avant de tomber aux mains des
communistes chinois en 1945.
19. Capitale des iles Hawaii où prospérait une importante colonie chinoise.
22. Autobiographie du général Zhu-de recueillie par la journaliste communiste américaine Agnès
Smedley. On doit à Jean Chesneaux la relation de l’entretien des deux personnages, dans son ouvrage
déjà cité, p. 206.
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Pour être complète, cette liste devrait contenir quelques centaines
d’autres titres et surtout le résultat de recherches personnelles qui n’ont pas
leur place ici.
Nos remerciements s’adressent aux chercheurs qui nous ont permis de
faire état de leurs travaux, et, en particulier, à M. Sinibaldi (pour le général
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Kubizek (August), Adolf Hitler, mon ami d’enfance, Gallimard, 1954.
Landon (Perceval), A Lhassa, Hachette, 1906.
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Trevor-Roper (H. R.), Les Derniers Jours d’Hitler, Calmann- Lévy,
1964.
Zam Bothiva, Asia mysteriosa, Dorbon, Paris, 1929.
MAO TSÉ-TOUNG :
Alleau (René), Les Sociétés secrètes, Paris, Éd. Planète, 1964.
Chesneaux (Jean), Les Sociétés secrètes en Chine, Paris, Julliard, 1965.
Chesneaux (J.), Feiling Davis, Nguyen Nguyet Ho, Mouvements
populaires et sociétés secrètes en Chine aux XIXe et XXe siècles, Maspéro,
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Chassin (général), L’Ascension de Mao Tsé-Toung, Payot, Paris, 1953.
Creel (H. G.), La Pensée chinoise, Payot, Paris, 1955.
Favre (colonel B.), Les Sociétés secrètes en Chine, Éd. G. P.
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Gieu (Jimmy), L’Ordre vert, Éd. Fleuve noir, Paris, 1969.
Granet (Marcel), La Pensée chinoise, Albin Michel, Paris, 1934.
Lennhoff (Eugène), Histoire des sociétés secrètes politiques au XIXe
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Marquès-Rivière (Jean), La Chine dans le monde, Payot, Paris, 1935.
Morgan (W. P.), Triad Socielies in Hong-kong, Hong-kong, 1960.
Schlegel (Gustave), Rituel d’initiation Hung (manuscrit en notre
possession).
Ward et Stirling, The Hung Society, Londres, 1926.
Wion (Frida), La Chine, Éd. Nalys, Paris, 65, rue de Courcelles.
Wion (Frida), Les Symboles de la Chine, Le Courrier du Livre, Paris,
1970.
Il convient d’ajouter à cette bibliographie succincte les ouvrages relatifs
à l’histoire générale de la Chine.
Table des matières
Préface à l’édition 2015
Avant-propos
Introduction
Bibliographie