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© Camion Blanc, 2015

www.camionnoir.com
ISBN physique : 978-2-35779-601-0
ISBN numérique : 978-2-35779-602-7
Dépôt légal : mai 2015
Illustration de couverture : Akhenaton.
Préface à l’édition 2015
Quarante ans séparent l’actuelle édition des « Mystiques du Soleil » du
premier tirage de cet ouvrage qui n’a pourtant rien perdu de son actualité.
Une actualité qui plonge ses racines dans la pérennité du Cosmos au sein
duquel évolue l’incompréhensible destin de l’Homme qui doit son
existence, à la vie, le mouvement et l’être à la lumière de l’Astre qui nous
gouverne comme un roi.1
Tant il est vrai que les grandes cosmogonies, les récits fondateurs de
religions placent le mythe solaire au centre de leur conception du monde.
Les cycles de l’humanité, fidèles au principe de l’ « éternel retour »
mesurent le temps à l’échelle de l’année solaire et de la course de notre
planète autour du Soleil dans ce qui est convenu d’appeler sa « révolution. »
Quand les peuples choisissent la lune comme astre de référence, ils ne font
que s’en rapporter dans leurs mesures à ce reflet de la lumière centrale de
notre système planétaire, miroir féminin du Logos, le « premier moteur »
d’Aristote et de Platon.
Trois sortes d’hommes régissent le destin de l’humanité dans leur
relation au temps qui s’écoule, inexorable, dans notre univers
tridimensionnel : ceux qui suivent la marche du temps déterminent leurs
actes en utilisant les instincts des masses et laissent dans l’histoire une trace
sanglante, honnis, après leur chute, après avoir été adulés de leur vivant.
Ceux qui luttent contre le temps, refusant l’injustice de l’ordre établi et
prétendent imposer de nouvelles normes en réaction contre les anciennes,
d’autres enfin, plus nobles qui parviennent à surmonter le temps en se
référant aux lois éternelles des grands instructeurs laissent dans l’histoire
une trace lumineuse.
Ainsi investis d’une mission prophétique, ils peuvent entraîner les
hommes vers un destin glorieux mais aussi, par leur démesure, provoquer
des catastrophes à la hauteur de leurs ambitions sans limites. On pense à
Napoléon. N’écoutant plus que leur orgueil et leur volonté de puissance, ils
deviennent les artisans du chaos et sont broyés par les forces tutélaires qui
leurs imposaient de n’utiliser que la magie blanche en vue de réaliser
l’IMPERIUM SOLAIRE.
Au lieu de quoi, les énergies qui proviennent de la lumière solaire et du
rayonnement cosmique, se transforment en vecteurs de mort et de
destruction.
Ainsi, on peut regarder Akhenaton, « Joie du Soleil », comme un grand
instructeur, un fondateur et un prophète en même temps qu’un prêtre et un
roi, un homme « au-dessus du temps » ; il partage ce destin hors du
commun de réformateur religieux avec Zoroastre (Zarathoustra), le grand
prophète de l’Iran, « Aryanamvaejo », la « Terre de Lumière ».
A un degré médian prennent place Alexandre le Grand, conquérant du
plus vaste empire de l’Antiquité, Frédéric II Hohenstaufen, restaurateur de
la pourpre impériale au Moyen-Âge ; ce sont des hommes contre le temps
qui connurent le prix de ce combat. Napoléon est également de ceux-là.
Enfin, la dernière catégorie est celle des hommes « dans le temps » qui
utilisent les grands courants d’énergie présents dans le peuple, la terre et le
sang et sont responsables de catastrophes ou de malheurs inouïs. On peut
ranger parmi eux Hitler et Mao Tsé-Toung en raison des millions de
victimes immolées en leur nom, ils laissent dans l’histoire une trace
sanglante et des blessures profondes parmi leur peuple.
Que conclure ?
La mystique solaire n’a pas dit son dernier mot avec la fin du XXe siècle
et l’entrée de l’humanité dans le troisième millénaire. Les grandes
prophéties d’inspiration religieuse (Christianisme, Judaïsme, Islam)
prédisent la « naissance » d’un être d’exception qui viendra « renouveler la
face de la terre » et combattra les hordes du Mal sous la bannière de
sinople, portant l’étendard du « Soleil de Justice », appelé par les uns le
Mahdi, par les autres le Grand Monarque annonçant le Christ de la Seconde
venue et un nouvel « Âge d’or » avant la fin des temps, c’est-à-dire du
cycle terrestre sous la gouvernance du Soleil.
A l’opposé se dressera l’Antéchrist ou Seigneur de l’Ombre, armé de la
puissance terrifiante du Soleil Noir (l’arme absolue de l’antimatière) ; lui
aussi se proclamera « Fils du Soleil » mais son masque d’usurpateur et
d’imposteur sera arraché à l’issue de longs combats et de terribles
événements.
Telle est du moins la prophétie qui marque ce troisième millénaire et doit
s’accomplir comme la révolution zodiacale des douze signes. Alors ?
SOLEIL DES VIVANTS ou SOLEIL DES MORTS ? Les deux se
rejoignent dans la « fin des temps » ou huitième jour qui réconcilie les
inconciliables Soleil visible et Soleil invisible.
Nous dédions la nouvelle édition de cet ouvrage à la mémoire de
Georges Soulès, prophète incompris dans son pays, auteur du livre-clé « Les
Yeux d’Ezéchiel sont ouverts » et dont l’écrivain voyant Jean Parvulesco a
décrypté le message dans LE SOLEIL ROUGE DE RAYMOND
ABELLIO.
Vincit Omnia Veritas.
J.M. ANGEBERT
1. Il nous a néanmoins semblé semblé nécessaire de réactualiser certains passages à la lumière des
événements survenus depuis 1971 en tenant compte des travaux historiques et des recherches les plus
récentes concernant notre sujet. De même d’y ajouter des notes explicatives susceptibles d’éclairer le
lecteur de 2015 en approfondissant plusieurs thèmes majeurs et en ouvrant de nouvelles perspectives.
Avant-propos
Sol Invictus ! Par cette exclamation, les adorateurs de Mithra saluaient
l’astre du jour, comme bien avant eux le tout-puissant pharaon d’Égypte,
Akhenaton (« Aimé du Soleil »), qui fit du Soleil : Râ, le dieu unique,
émanation de l’Innommé, comme plus tard les mazdéens, guidés par
Zoroastre, honoreront Ormuzd, le dieu-Lumière de l’Iran, avant Alexandre
le Grand, fils de Zeus-Amon, conquérant de l’Univers, et l’empereur
romain Julien, injustement nommé l’Apostat, qui reçut, aux derniers feux
du paganisme, l’initiation du suprême LOGOS.
Ces quatre noms sont associés, dans le déroulement des siècles qui
forment l’ère du Bélier, puis du Taureau, aux plus grands événements de
l’Antiquité. Un lien mystérieux, tissé dans une aura surnaturelle, unit ces
hommes qui furent tous des « mystiques du Soleil » en même temps que des
chefs spirituels et temporels ayant eu le plus souvent à gouverner un
immense empire. Enfants du Ciel, ils se sont placés sous la protection du
Feu cosmique et ce n’est pas en vain que les dynasties royales, au Japon
comme au Pérou, ont vu leurs monarques se proclamer « fils du Soleil ». La
science moderne elle-même, n’en déplaise aux sceptiques, vient conforter
encore les anciennes légendes, puisque, retrouvant le système
héliocentrique découvert par les Anciens, elle a démontré que toutes les
planètes constituant notre univers immédiat, y compris la Terre, étaient des
particules détachées du Soleil. L’astre rayonnant est donc bien notre père
dans le domaine céleste, comme il l’est dans l’ordre des choses visibles et
invisibles.
Expliquons-nous : partout, depuis le fabuleux Empire « hyperboréen »,
qui vit grandir la race des « Géants », depuis les glorieuses et mythiques
dynasties des rois-pontifes de l’Atlantide, mère de nos civilisations, le
disque d’or, centre de notre univers planétaire, symbole de vie fécondante et
de joie, lumière rayonnante de puissance et de force, est salué par tous les
peuples de l’hémisphère boréal comme le vivant symbole, l’incarnation
triomphante de la Divinité, le vainqueur des forces inertes et stériles issues
du chaos, et celui qui renaît chaque jour après la longue attente nocturne
peut bien apparaître comme l’image éternelle d’un miracle sans cesse
renouvelé.
Dans sa mystérieuse alchimie, le Soleil condense, sur le plan astral, les
forces inorganiques et les énergies immenses contenues dans le cosmos, et
cette vitalité prodigieuse, qui semble constamment renouvelée, participe
vraiment de la puissance divine si, derrière le Soleil visible, éclatant
luminaire, demeure, brasier immense infiniment plus vaste et plus terrible,
le Soleil invisible, le Soleil noir des alchimistes et des mages, ainsi nommé
pour son terrible éclat, émanation dissimulée à nos yeux du logos divin…
Aussi bien, il n’est pas donné aux humains, dans cette vie tout au moins, de
contempler ce feu spirituel, tellement brillant qu’il brûlerait notre âme pour
l’éternité. Par contre, les textes sacrés de l’humanité, tels le Livre des morts
égyptien ou le Bardo Thôdol (« Livre des morts ») tibétain, font état de
cette lumière qu’il nous sera donné de contempler de l’autre côté du miroir,
c’est-à-dire après notre mort terrestre. C’est le Soleil d’Osiris des prêtres de
Memphis, la « Lumière bleue » du Plan bouddhique, le « Soleil des morts »,
celui qui, seul, guide les âmes vers l’Esprit et transcende le mystère de la
Suprême Connaissance. Le secret du logos, la connaissance du Soleil noir,
chemin de la vie et de la mort, telle était la clé des grands mystères connus
autrefois des collèges d’initiation, pontifes atlantéens, prêtres égyptiens, et
grands druides, avant que le flambeau de la tradition ne s’éteigne, soufflé
par un « vent de folie » né quelque part en Judée.
Depuis lors, la grande chaîne des initiés solaires s’est rompue et seule la
magie, science à double tranchant, peut encore ressusciter un instant les
secrets de la connaissance perdue. C’est ici que se noue le drame du monde
moderne : par les méthodes et les procédés qu’elle implique, la magie,
lorsqu’elle n’est pas dans les mains d’hommes absolument purs et sans
défaut, conduit presque fatalement au déchaînement des « forces noires »,
canaux d’énergies inconnues et terriblement dangereuses, tenues à l’écart
par les membres des collèges d’initiation aux temps révolus qui voyaient
l’homme converser avec l’Univers.
Lorsque ces forces immenses sont délivrées de leur prison matérielle,
rien ne peut plus arrêter leur pouvoir de destruction et de mort. « Ce qui est
en haut est comme ce qui est en bas », a écrit Hermès Trismégiste (le « trois
fois grand ») dans la « Table d’Émeraude », et l’alchimie, cette science
suprême, peut indifféremment servir le Bien ou le Mal, donner la pierre de
Sagesse des philosophes ou libérer les atomes de la bombe thermonucléaire.
Et c’est bien pour retrouver cette science, pour renouer avec le fil de la
tradition atlantéenne occultée par le christianisme que des hommes ont
repris, après la ruine du monde antique, la quête « sacrée » un moment
interrompue. Mais, cette fois, le Soleil des hommes ne peut plus les guider,
obscurci par l’ombre gigantesque de la croix, et le chemin à rebours qui
conduit vers la mystérieuse Terre verte, la royale Hyperborée, siège de la
mystique Thulé, passe par les pratiques magiques. Qu’il s’agisse de
l’alchimie, art royal, de l’astrologie, mère des sciences hermétiques, ou de
tout autre instrument de recherche, la voie se révèle infiniment périlleuse et
le chemin étroit, bordé de précipices. Trois hommes, marqués par le sceau
du Destin, sans qu’il soit question de les juger ici, ont osé porter le « fer
rouge » dans l’histoire de l’Europe, sans toutefois réussir à briser le « cercle
de fer de l’ignorance », et ces trois noms résonnent comme les trois coups
annonçant la naissance d’une tragédie : Frédéric II, l’empereur
d’Allemagne, domine le Moyen Age, Napoléon éclipse toutes les gloires
des Temps modernes, Hitler, dans sa folie et sa démesure, détruit les images
des hommes politiques contemporains.
Ces trois hommes, aussi éloignés qu’ils semblent être par le destin,
l’époque, la mentalité, sont, en réalité, au-delà des contingences humaines,
unis par des liens puissants et secrets. Tous trois ont eu à lutter, pour asseoir
leur hégémonie spirituelle et temporelle, contre l’Église, ennemie de la
pourpre impériale, reflet de la majesté solaire, tous trois, dans leur quête
désespérée, n’ont pu réaliser leurs mystiques desseins, et leur destin
tragique s’éteignit dans un crépuscule de sang. La « queste » de la
connaissance perdue est toujours ouverte et le « siège périlleux » des
romans de la Table ronde attend encore son « chevalier fol et pur ». Ni
Frédéric II, empereur des Allemagnes, roi des Romains, dans sa tentative
suprême de retrouver, à la lumière de l’intelligence, le Soleil des
alchimistes, le « Lion rouge » des philosophes, ni le grand Napoléon, dans
sa quête héroïque et guerrière autour du Zodiaque, tel l’Aigle de
l’apocalypse, ni enfin Hitler, ce nouveau Galaad wagnérien, errant à la
poursuite d’un GRAAL inaccessible et du Soleil noir, n’ont réussi à
retrouver la lumière occultée depuis qu’un terrible cataclysme engloutit, il y
a dix mille ans, l’Atlantide et sa capitale Poseidonis sous les flots
tumulaires de l’Océan.
Si, pourtant, le trésor spirituel légué jadis par la « race divine » des
« hommes de Thulé » ne fut pas perdu grâce aux premières dynasties
solaires d’Égypte, son message devint peu à peu inintelligible aux hommes
déchus et les textes tronqués et dégradés furent à jamais consumés le jour
où retentit ce cri de désespoir : « Le Grand Pan est mort ! »
Ainsi, le Soleil des vivants a disparu et seul demeure, à ce jour, le Soleil
des morts. Pourtant, d’après le calendrier de l’Univers inscrit dans le
Zodiaque, notre ère actuelle, dominée par le signe des POISSONS (symbole
du christianisme), doit bientôt prendre fin pour voir lui succéder l’ère du
VERSEAU ou de l’ « échanson des dieux », Ganymède, enlevé par l’aigle
de Zeus (Jupiter). Après cette dernière phase, les événements doivent se
précipiter, et si nous approchons vraiment de la fin du cycle terrestre actuel,
celui que les Hindous, dans leur sagesse millénaire, nomment le KALI-
YUGA (qui signifie le triomphe de Kali, déesse de la Mort et du Sexe),
c’est-à-dire l’âge de fer, qui succède aux âges d’or, d’argent et d’airain, la
destruction de notre vieux monde pourrait devenir une solution à envisager
sans dépit, s’il est vrai qu’à l’Orient, lieu où le Soleil se lève, bien loin de la
petite Palestine, apparaît une lueur rouge, annonciatrice d’une nouvelle
aurore.
La Chine, l’Empire céleste, dragon ensommeillé depuis mille ans, s’est
réveillée brusquement, enflammée par le SOLEIL ROUGE de Mao Tsé-
Toung, et la révolution chinoise risque fort de mettre bientôt un terme à
l’ère des Poissons. Cette flamme, allumée au bûcher de la révolte de
l’Esprit, devra-t-elle embraser toute la planète ?1
Nous ne saurions répondre à cette angoissante question que nous
développerons en conclusion et, puisque nous ne sommes pas encore arrivés
au terme de ce bouleversement, même si la perspective d’une rénovation
intégrale par le feu n’est plus tellement éloignée, c’est pour ressusciter les
figures à la fois inquiétantes et grandioses des sept personnages,
poursuivant leur « queste » solaire comme les sept planètes de l’astrologie
traditionnelle, que ce livre a été écrit. Les quatre premiers « Grands Êtres »
se vouèrent au Soleil des vivants, les trois derniers au Soleil des morts ; et
parce que, un jour secret, ces « mystiques du Soleil », ces hommes qui
n’étaient plus tout à fait des « hommes », reçurent l’étincelle farouche de
l’initiation, ils se heurtèrent au mur de l’incompréhension et du chaos ou
basculèrent dans le vertige de l’orgueil. Entre Zoroastre et Hitler, il y a
peut-être une moins grande distance qu’entre Bouddha et Jésus. La
métaphysique hindoue enseigne la croyance dans la réincarnation des âmes
au cours de vies successives. Qui nous expliquera autrement le mystère de
la filiation solaire qui rattache un Alexandre à un Napoléon ? La roue du
Samsâra des brahmanes aryens, roue du Temps, roue du Soleil, peut
prendre la forme du Svastika, ou croix gammée, sans que jamais s’arrête
son incessante giration qui nous entraîne dans le tourbillon de la vie et de la
mort. Hypnotisés par ce spectacle, aurions-nous été trompés en contemplant
le monde de l’Illusion ?… Cette aventure occulte, qui ne ressemble pas à un
conte, contribuera, espérons-le, à dissiper bien des nuées et bien des fausses
croyances.
1. La mort de Mao le « grand Timonier » en 1976, survenue avant le nouveau commencement du
Vingt et unième siècle a ouvert pour l’Empire du Milieu une nouvelle Ere dont on ignore si elle
débouchera sur un troisième conflit mondial et un asservissement temporaire de l’Europe, vaincue
par le « péril jaune » ou sur une disparition complète de la civilisation sous l’effet de guerres à
l’immense pouvoir de destruction (par la glace et le feu), en conformité avec les prophéties
concernant la « fin du monde ».
Introduction
On a dit des étoiles qu’elles étaient l’horloge de la destinée, les douze
signes du Zodiaque formant le cadran, le Soleil et les planètes l’aiguille des
heures indiquant l’année ; la Lune, quant à elle, représente l’aiguille des
minutes indiquant dans quel mois de l’année le destin de chaque individu
s’accomplira…
L’astrologie, art royal par excellence, est à la base de tous les mythes
religieux : nous voulons parler des mythes « astrologiques », et non
« astronomiques », cette réflexion étant à même de nous éclairer pleinement
sur le choix du Soleil comme symbole religieux replacé dans son contexte
ésotérique.
Si l’on veut bien supposer l’existence, dans la nuit des temps, d’une
« astrologie intégrale » comprise comme science et comme tradition
primordiale, l’initié, ou l’astrologue, disposant d’une telle connaissance des
secrets de l’Univers se trouvera capable de réaliser ce que l’on pourrait
qualifier aujourd’hui de « prodiges scientifiques », voire de véritables
« miracles » au regard des profanes. Un tel homme, possédant le monopole
de la connaissance, invoquera immanquablement l’inspiration de Dieu, ne
serait-ce que pour éviter l’envie et la cupidité de ses semblables.
Qu’un deuxième astrologue apparaisse maintenant : l’un comme l’autre
placeront leurs travaux sous les auspices d’une divinité particulière dans le
but de différencier leur science. Ainsi le premier choisira la paternité du
Soleil, le second celle de la Lune. Viennent d’autres « mages », ils agiront
de même, multipliant à l’infini les divinités, créant de nouveaux temples et
de nouvelles religions. La dégénérescence d’un « savoir » originellement
pur est alors fatale.
L’astrologue s’est transformé en prêtre, il s’enfonce de plus en plus dans
la mystification qui fait de lui un « thaumaturge » auteur de guérisons
imaginaires dont les « miracles » sont attribués arbitrairement au dieu de tel
ou tel temple. Telle divinité devient « spécialiste » de tel miracle, telle autre
est invoquée pour tel « article », et ainsi de suite.
C’est dans cette direction qu’il faut chercher si l’on veut comprendre la
genèse de notre civilisation judéo-chrétienne et ses difficultés présentes.
Dès que dans un sanctuaire le « miracle » ne se produit plus, dès que
l’Oracle ne rend plus son verdict, le scepticisme naît et mine les dogmes.
C’est alors la ruine d’une civilisation fondée sur la « magie » et sur les
principes dogmatiques qui en sont dérivés.
Notre effondrement est tellement visible, la crise que nous traversons
tellement profonde que nos dirigeants n’essaient même plus de nous le
cacher ; c’est à peine s’ils préconisent — avec une sorte d’ennui — des
remèdes inutiles. Voyons la réalité en face : notre monde actuel est
condamné sans rémission.
Pour mieux saisir l’origine et la portée d’un tel débat de conscience, il
est indispensable de se pencher sur les mythes et les symboles qui forment
l’« état civil » de notre cosmogonie et le « moule en creux » dont nous
avons tous subi l’empreinte. Nous prenons alors conscience de l’importance
exceptionnelle du mythe solaire que nous retrouvons à l’origine de tous les
livres sacrés, et la Bible n’y fait pas exception. La tradition « occulte » nous
apprend en effet qu’il y eut une époque où l’obscurité régnait sur les
profondeurs de l’espace : c’était le « grand silence » et la « grande nuit »
chère aux occultistes. Cette période fut suivie par une autre phase, placée
sous le signe de la luminosité : c’est l’époque du « brouillard de feu », de la
« mer d’airain »… Enfin s’ouvrit le troisième âge, dominé par le froid qui
provoqua, par répétition du bouillonnement des eaux suivi d’une
évaporation continue, la naissance de notre croûte terrestre et son
peuplement par nos ancêtres, après solidification.
Mais quel est, dans tout cela, le rapport avec le Soleil, fera-t-on
observer ?
Il s’agit — oserons-nous dire — d’un « rapport » direct, car la Terre et la
Lune, dans une époque reculée, ont à l’origine fait partie du Soleil mais se
sont par la suite détachées de cet astre. C’est du moins ce que nous enseigne
la « grande tradition », rejoignant ainsi les dernières hypothèses
scientifiques. Une preuve a contrario de cette dépendance Terre-Lune et
Terre-Soleil nous est fournie — selon les critères de l’astrologie — par
l’influence qu’exercent les deux luminaires sur les individus. On peut
résumer cette réflexion en constatant chez certains êtres la primauté de
l’élément « solaire » ou bien « lunaire » dans leur caractère et leur
comportement… Ainsi le Soleil détermine les qualités viriles du courage et
de la volonté alors que la Lune suscite les qualités féminines de la
sensualité et de l’imagination… En développant ce dernier point, nous
comprenons mieux, par exemple, l’influence des cycles lunaires sur
l’organisme féminin ou dans le domaine du symbolisme, le mythe de l’
« androgyne » ou de l’ « hermaphrodite ».
Mais, ce qui est plus important encore, c’est le « support » religieux et
mystique apporté par ces deux astres, le Soleil et la Lune. De là sont dérivés
le « feu » et « l’eau », forces de « relais » que nous retrouvons, le premier
chez les Parsis (adorateurs du feu et modernes descendants de Zoroastre), le
second chez les chrétiens dont les fonts baptismaux (dans l’Antiquité les
piscines d’eau lustrale) figurent l’épreuve de l’eau. Soulignons ici que le
mariage de ces deux éléments a été célébré dans les temples du monde
entier à toutes les époques de l’humanité : l’union du « feu solaire »
(principe masculin) avec « la terre et l’eau » (élément féminin) a été repris
dans l’union mystique « du pain1 et du vin » dont le caractère sacré est
représenté par la fusion des deux éléments.
A la lumière de ces explications, nous pouvons constater aisément les
différents emprunts du christianisme à la religion solaire : il est juste,
maintenant, d’analyser le mythe du « temple de Salomon », qui fit de
nombreux adeptes et servit de point de départ à de célèbres mouvements
ésotériques. Nous nous apercevons, ici encore, que, si l’on examine le côté
cosmique de cette construction, le temple de Salomon est l’Univers solaire
par excellence dont le grand maître : Hiram (l’ancêtre des francs-maçons),
est le soleil lui-même. Ce dernier voyage autour des douze signes du
Zodiaque où voit s’accomplir le drame mystique de la légende maçonnique.
C’est donc à bon droit que l’on peut parler d’initiation solaire chez les
maçons. Et, ici, nous touchons à un autre « point d’éclatement » de cette
mystique solaire : nous voulons parler des mythes nordiques et
hyperboréens qui eurent le succès que l’on sait dans la cosmogonie
hitlérienne : que l’on songe au fameux « marteau de Thor » (dieu de la
mythologie nordique) frappé du svastika (croix gammée). En effet, la
légende maçonnique révèle à ses initiés que le grand maître, Hiram, se
servit d’un marteau pour appeler ses ouvriers ; ce même marteau avec
lequel Thor fit sortir le feu du ciel (c’est-à-dire la foudre de Jupiter : autre
exemple de l’unité de toutes les traditions humaines). C’est en partant de
l’instrument du grand dieu nordique et de la légende guerrière qui lui sert de
corollaire (les Vanirs, ou divinités des Eaux, ayant été vaincus par les
Aesirs, ou divinités du Feu) que le savant nazi Horbiger put bâtir sa
cosmogonie, c’est-à-dire l’origine de notre système planétaire, en voyant
dans la lutte millénaire du feu (d’origine solaire) et de la glace (d’origine
lunaire) la justification de ses conceptions.
Cela étant posé, le problème commence à trouver un début d’explication
et ainsi s’éclairent les nombreux symboles qui accompagnent la mystique
solaire : le plus représentatif pouvant être trouvé dans l’aigle, l’oiseau du
Soleil. Ce choix, qui répond à des considérations purement ésotériques
(l’aigle étant le seul oiseau qui puisse regarder le Soleil en face), trouve son
illustration dans l’oiseau de Zeus consacré au Soleil par tous les anciens
peuples et qui fut, chez les druides, le symbole de la déité suprême. De la
même manière, les kabbalistes juifs, les gnostiques chrétiens et préchrétiens
l’adoptèrent, avant que les R + C ne le placent au pied de la croix… Bel
exemple de filiation solaire dont l’explication occulte réside dans le fait
qu’il est le symbole de chaque « voyant » interrogeant la « lumière astrale »
et y découvrant l’ombre du passé, du présent, de l’avenir, et ce aussi
facilement que l’aigle « fixe » le Soleil…
Nous revenons, à ce point de notre recherche, sur les traces de
l’astrologie, cet art royal aujourd’hui si controversé mais dont l’influence
demeure incontestable dans la création des mythes religieux, comme nous
venons de le constater. Est-ce à dire que ces mythes « astrologiques » sont
aujourd’hui perdus et que nos civilisations sont condamnées à disparaître
avec les religions mortes qui les accompagnent ? La sagesse nous
commande de répondre par la négative car l’histoire rappelle qu’il y eut des
hommes, comme Galilée, pour déclarer que la Terre était ronde et tournait
sur elle-même dans sa révolution autour du Soleil au risque de se faire
brûler comme de vulgaires sorciers : chose qui — entre parenthèses — était
connue et enseignée dix mille ans avant le Christ et même Moïse. L’histoire
nous enseigne qu’il y eut aussi, beaucoup plus près de nous, des hommes,
comme Schliemann, pour partir à la découverte de Troie en s’appuyant sur
la légende de l’Iliade, n’en déplaise aux sceptiques !
La conjuration du silence, servie par nos modernes sectateurs
matérialistes, qui refusent aux autres le droit imprescriptible à la vérité, est
appelée à céder le pas devant les exigences proprement métaphysiques du
genre humain : les cléricalismes de tout acabit n’ont pu que retarder
l’échéance, ils sont désormais impuissants à empêcher l’homme de
réfléchir : la dernière guerre mondiale, avec le déchaînement du
matérialisme, n’a fait que renforcer ce processus.
Les sceptiques ou les esprits superficiels qui qualifient de « trafiquants
de lumière » les adeptes de l’ésotérisme ne se rendent pas compte de la
somme d’efforts qu’il a fallu aux alchimistes, chercheurs, kabbalistes et
occultistes de toutes les époques pour continuer leurs travaux malgré les
persécutions de tous genres dont ils ont été les victimes de la part des
religions « officielles ». De quel côté sont alors les « trafiquants de
lumière » ? Du côté de la Bible, peut-être, car ce n’est pas nous qui avons
arrêté le Soleil sur l’ordre de Josué ! Il est vrai que Jéhovah ne peut se voir
traité d’imposteur…
Nous préférons élever le débat et penser qu’il est des esprits dont la
raison se noie dans des phrases et des dogmes ; la foi étant pour ces gens-là
le premier et seul facteur de salut. Libres à eux de cultiver cette sorte
d’obéissance aveugle. Credo quia absurdum (« C’est parce que c’est
absurde que je crois »), disait Pascal : rien n’est nouveau sous le Soleil ! La
phrase de saint Luc répond à cette affirmation : « Vous avez volé la clé de la
science, vous n’y êtes pas entrés, mais ceux qui voulaient y entrer, vous les
en avez empêchés » (XI, 52).
L’hypothèse solaire de la création du globe terrestre et son influence
sur les êtres humains
Malgré l’énergie et les efforts déployés par les premiers chrétiens pour
effacer toute trace de l’histoire préchrétienne, les résultats n’ont pas été
toujours conformes à leurs vœux. On doit se féliciter de cette défaite du
pharisaïsme et de la stupidité, mais c’est avec prudence que l’on doit se
glisser par les issues « non obstruées » vers le « paradis perdu ». S’il n’est
pas encore ruiné, le rempart compliqué érigé par les premiers Pères de
l’Église réserve cependant quelques échappées laissant pénétrer comme à
regret la « lumière originelle » ; mais les chausse-trappes restent
nombreuses sur un chemin qui emprunte pour beaucoup la voie de la
facilité.
Il est universellement reconnu dans toutes les traditions que deux
symboles expliquent notre création : il s’agit de l’ « œuf du monde » et du
« serpent » qui lui sert de support. Le premier de ces symboles est complété
par l’ « arbre de vie » en étroite relation avec le Soleil, comme nous allons
le voir.
Dans la Genèse, il est dit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la
terre » ; on a beaucoup ergoté sur cette phrase alors que la réponse est tout
entière contenue dans la forme de l’ « œuf du monde » dont les deux
moitiés, en se séparant, formèrent respectivement le ciel et la terre… Si
nous remplaçons le mot « ciel » par le mot « soleil », nous comprendrons
mieux pourquoi le ciel est représenté universellement sous la forme d’un
disque. Le symbole de l’ « arbre de vie » doit donc être interprété comme
l’image d’un « pont » menant de la Terre au Soleil et gardé par le fameux
serpent.
En développant rapidement ce symbolisme solaire, voici ce que nous
obtenons : la « Toison d’or » des Argonautes est placée sur un arbre et la
garde en est confiée à un serpent ; il en est de même pour les « pommes
d’or » du jardin des Hespérides, qui sont assimilables aux douze soleils
(Adityas) de la tradition hindoue. Il en résulte donc que, dans toutes ces
traditions, les fruits de l’ « arbre de vie » sont autant de « projections » du
soleil et autant de manifestations de son essence unique et invisible. Il est
remarquable que ces douze soleils se retrouvent en Chine et dans les signes
du Zodiaque ou les douze mois de l’année. On se rappellera enfin le serpent
du « paradis terrestre » que l’on rapprochera du kneph égyptien qui
s’apparente au serpent druidique, ces deux serpents étant représentés tenant
l’ « œuf du monde » dans la bouche. Ces éléments sont à retenir pour qui
veut comprendre le phénomène de la « cosmogenèse », ou naissance de
notre cosmos.
L’ensemble de ce symbolisme solaire est dit « polaire » et il faut ici
ouvrir une parenthèse : nombreux sont ceux qui emploient l’adjectif
« polaire » sans discernement. Ce qui apparaît en réalité comme probant
c’est la constatation que la « solidification » d’une planète commence
toujours par le pôle, car c’est l’endroit où sa rotation est la plus lente. Il est
admis que la partie la plus « visqueuse » de cette planète se fraye
graduellement un chemin vers l’équateur, suivant les lois de la force
centrifuge. Ainsi, c’est bien au pôle que la vie terrestre a dû apparaître et se
développer pour la première fois. Ce n’est pas pour une autre raison que les
fameux « Hyperboréens » sont situés au pôle. Comment expliquer dans ce
cas l’état désertique et glacé de cette partie du globe ? Il faut bien admettre
que celle-ci a, au moins une fois, changé d’emplacement comme si la Terre
avait basculé sur son axe après avoir reçu un gigantesque « coup de poing »
encore perceptible dans le léger déphasage entre pôle magnétique et pôle
géographique.
Il est aujourd’hui acquis, pour une raison ou pour une autre, que la vie
est bien apparue dans la région « boréale » actuelle. Ce phénomène « vital »
est en étroite corrélation avec le symbolisme du svastika dont les deux sens
de rotation (senestrogyre et dextrogyre) représentent les deux axes de
giration autour des deux pôles (Nord et Sud) à la manière d’une hélice
d’avion. L’axe de cette rotation se confond ici avec l’ « arbre de vie »,
encore appelé « axe de monde ». Ajoutons — pour ceux que cela intéresse
— que le serpent, dans la symbolique hyperboréenne, était remplacé par le
cygne, le Soleil étant représenté sous la forme de l’Apollon hyperboréen.
Si nous reprenons successivement les termes de notre « enquête », nous
en arrivons tout naturellement à la conclusion suivante : la partie séparée du
Soleil devenue la Terre le fut à la fin de l’époque hyperboréenne. Notre
planète se solidifia lentement à partir des pôles (dans le cas contraire, la
masse solidifiée aurait été rejetée dans l’espace), qui virent apparaître les
premiers habitants évolués de notre globe… Le Soleil devint l’objet de leur
vénération. C’est ainsi que les mêmes mythes originels et les mêmes
symboles furent adorés par les descendants de ces premiers habitants qui
essaimèrent par la suite sur toute la planète. Plus tard, la Lune et d’autres
astres, eux-mêmes éjectés du Soleil, firent leur apparition, parmi lesquels
Vénus (les premiers chrétiens ne connaissaient que six planètes, malgré les
recherches astrologiques des Babyloniens).
Ainsi résumées, les diverses traditions rapportent les mêmes
cosmogonies avec plus ou moins de précisions. Malheureusement, dès le
départ, il semble que les êtres humains n’aient pas vécu dans une harmonie
parfaite : les traditions nous rapportent d’abord la séparation des sexes
(expliquée par Platon dans le Banquet), ensuite les influences astrologiques
qui marquèrent de leur empreinte progressive les habitants de notre planète.
C’est dans cette direction — croyons-nous — qu’il faut chercher la lutte des
Géants contre les hommes et la victoire de ces derniers.
Le public moderne se passionne pour tout ce qui concerne cette
recherche — que l’on se souvienne du Troisième Œil, de T. Lobsang
Rampa2, encore dans toutes les mémoires — avec raison, même si le récit
de la découverte, en Asie centrale, de momies de « Géants » est bien
antérieur à l’époque des fusées. A la fin du XIXe siècle, le voyageur
militaire russe Prjevalski mit au jour, près de l’oasis de Tchertchen, les
ruines de deux cités énormes dont la plus ancienne, d’après la tradition
locale, fut détruite il y a trois mille ans par un « héros géant », et l’autre par
les Mongols, au Xe siècle de notre ère, donc à une époque relativement
récente. L’écrivain russe nous rapporte qu’on y trouvait de temps à autre des
cercueils, faits d’un bois impérissable, contenant des corps embaumés en
parfait état de conservation… Toutes les momies mâles sont celles
d’hommes exceptionnellement grands et fortement bâtis, avec de longs
cheveux ondulés. Mais l’écrivain et explorateur poursuivait :
- Une autre fois, dans un cercueil à part, nous avons découvert une jeune
fille… Ses yeux étaient fermés par des disques dorés, et les mâchoires
solidement retenues par un anneau d’or qui passait sous le menton et sur le
sommet de la tête. Elle était vêtue d’une étroite tunique de laine, son sein
était couvert d’étoiles dorées, et ses pieds étaient nus.
Le narrateur rappelle ensuite que, tout le long de la rivière Tchertchen,
on rapportait des légendes au sujet de vingt-trois villes ensevelies dans les
sables du désert.
Nous nous pencherons un instant sur cette momie de la jeune femme
pour prêter attention aux disques d’or et à la symbolique stellaire de sa
parure qu’envieraient les girls du Lido. Dans toutes ces descriptions, une
chose nous frappe plus particulièrement : c’est cette « religion du cosmos »,
cet accord parfait avec notre système solaire. Le fait, en lui-même, n’est pas
spécifique au Tibet et à l’Asie centrale, l’Amérique latine recelant
également des mystères « solaires » en très grand nombre.
Dans son ouvrage, Hommes et Civilisations fantastiques, Serge Hutin,
dont la réputation et le sérieux font autorité, nous rapporte le compte rendu
d’une expédition organisée par la « Main rouge », ordre éminemment secret
émanant de la R + C, dans la jungle sud-américaine :
Nous apprenons ainsi ce qu’était le gigantesque disque d’or translucide
qui se trouve conservé dans le temple le plus sacré des Incas, suspendu au
plafond par des cordes elles-mêmes d’or pur. Ce disque provenait de
l’ancienne Lémurie, d’où il avait été apporté par un couple divin, dans un
navire aérien appelé « Aiguille d’argent »… Ce disque n’était pas seulement
un objet d’adoration et de représentation symbolique du Soleil, mais aussi
un instrument scientifique dont la puissance était le secret de l’ancienne
race des temps passés. Utilisé en connexion avec un système de miroirs d’or
pur, de réflecteurs et de lentilles, il guérissait les malades qui étaient dans le
temple de lumière. De plus, il était un point focal de concentration de
qualité dimensionnelle ; frappé d’une certaine façon, il émettait des
vibrations qui pouvaient provoquer des séismes et même un changement
dans la rotation de la Terre. Réglé à la longueur d’onde particulière d’un
individu, il permettait à ce dernier de se transporter partout où il voulait,
simplement par représentation mentale du lieu où il désirait aller3.
Nous retrouvons donc, ici encore, la dévotion solaire accompagnée cette
fois de pouvoirs surnaturels et sous-tendue par le règne des géants de
Tihuanaco, qui n’est pas très éloigné du lieu de cette exploration. Faut-il
alors concevoir une force d’attraction planétaire plus forte que de nos jours
et qui expliquerait la taille gigantesque de ces constructeurs cyclopéens ?
Cette hypothèse ne doit pas être écartée puisqu’elle se trouve confirmée par
le calendrier « vénusien » de la porte du Soleil à Tihuanaco…
Des extraterrestres seraient-ils venus de la planète Vénus, issus de cette
« race de maîtres tombés du ciel » ? Si cette hypothèse est vraie, c’est dans
cette direction qu’il faut chercher le mystère de l’érection des statues
colossales de l’île de Pâques, car certains de ces blocs, pesant plusieurs
dizaines de tonnes, ont bien été transportés « par-dessus » d’autres sans
laisser la moindre trace.
Nous prenons conscience progressivement des multiples questions
soulevées par l’existence de ces civilisations « solaires » qui n’ont pas livré
tous leurs secrets et qui, aujourd’hui encore, influencent l’homme dans sa
vie quotidienne et ses habitudes religieuses, souvent à son insu.
Que dire alors des prétendus « initiés » qui oublient le sens profond du
symbolisme ésotérique de la religion, dans notre XXe siècle, si l’on veut
bien se rappeler que les voûtes des cathédrales et des églises, grecques ou
romaines, étaient, il n’y a pas si longtemps encore, peintes en bleu et
parsemées d’étoiles d’or en souvenir de la voûte céleste. Il paraît
impossible, en 1971, de faire admettre que cette voûte était copiée sur celle
des temples égyptiens où le Soleil et les étoiles étaient l’objet de l’adoration
des fidèles… Et pourtant !
La même chose se reproduit en ce qui concerne la symbolique des loges
maçonniques et ce n’est pas pour rien que la « Porte du roi de gloire »
(désignant autrefois le Soleil) fait face à l’est dans le temple…
Ce Soleil, symbole visible du Créateur, n’est pourtant qu’un voile devant
une réalité insoutenable pour nos yeux de mortels, pièce centrale de la
mystique solaire : nous voulons parler du Soleil noir.
Le Soleil noir
Les adeptes du culte solaire ont toujours eu en vue un deuxième soleil,
mystique celui-là, et que les mages et les alchimistes ont fait connaître sous
le nom de « Soleil noir ». Pour les fils du Soleil, en effet, une évolution
ultérieure était réservée aux planètes : la Terre, comme les autres, se
transformerait en soleil quand son développement serait terminé. Ce
nouveau soleil éclaterait à son tour quand son maximum d’intensité aurait
été atteint, et ainsi de suite. Au terme de cette analyse nous apercevons
comment pouvait naître un nouveau zodiaque, une nouvelle matrice pour
notre système solaire.
Mais, sur le plan humain, les êtres insuffisamment évolués restaient
prisonniers du Soleil et ne bénéficiaient pas de ce nouveau transfert. Nous
pouvons ainsi remarquer la profonde discrimination établie par cette
grandiose cosmogenèse.
Le Soleil visible, pour les Anciens, n’était pas le centre et le père des
autres planètes : il n’était qu’une émanation du Soleil central, le fameux
« Soleil noir ». Seul ce dernier était la source invisible et spirituelle de la
mécanique céleste : une véritable « centrale d’énergie », de spiritualité
« condensée » d’où les âmes émanaient et où elles retournaient finalement.
Ce disque lumineux, sorte de contretype de notre Soleil apparent, fut
« récupéré » par les alchimistes et les mages qui en firent l’émanation du
logos divin, brûlant notre âme pour l’éternité. Son apparition n’est
supportable que pour les seuls « initiés » ; des conquérants comme
Cambyse, roi de Perse, qui voulurent le regarder en face, devinrent fous et
se perdirent dans les sables du désert. Seule une illumination comparable à
celle que reçut un Zoroastre, un Akhenaton ou un Julien reste concevable.
Frédéric II de Hohenstaufen, en tant qu’adepte de l’alchimie et de
l’astrologie, invoqua lui aussi le « Soleil noir », comme Hitler devait le faire
plus tard, pour son plus grand malheur et celui des peuples tenus ignorants
de cette démarche.
L’art royal, ou alchimie, enseigne en effet la transmutation du plomb en
argent et en or, mais cette transformation, qui modifie la structure atomique
de la matière, ne peut se faire comme une vulgaire « recette de cuisine ».
L’alchimiste, qu’il ne faut pas confondre avec son imitateur, le « faiseur
d’or » ou « souffleur », en même temps qu’il purifie la matière dans son
fourneau ou « athanor », doit passer lui aussi par le même état, ce qui
signifie que son âme, à l’image de la Création, doit s’élever vers le principe
supérieur qui se confond avec l’essence divine. A ce prix seulement, il
parviendra au « grand œuvre », c’est-à-dire à l’illumination par la
connaissance. Tout le symbolisme alchimique est ainsi pénétré par la
cosmogonie solaire : l’Athanor, ou fourneau magique, est figuré comme l’
« œuf philosophal », véritable « matrice » miniature à l’image géante du
cosmos. Le petit œuvre, qui a nom aussi Ergon, aboutit à la fabrication de
l’argent et son symbole planétaire est la Lune. Le grand œuvre, ou obtention
de l’or, c’est le Parergon ou « œuvre parfaite », que l’on assimile au Soleil.
Quant à la pierre philosophale, qui donne la « poudre de projection » dont le
contact transforme les métaux en or, elle est traditionnellement rouge et son
allégorie est le Lion, signe du Zodiaque placé au zénith et dont la demeure
se trouve dans le Soleil. La possession du Parergon implique la
connaissance du « Soleil noir », qui est le principe caché de l’énergie du
logos. Tous ceux qui prétendent être des adeptes et qui n’ont pu atteindre
cet état de sublimation du corps ne sont que de vulgaires imposteurs.
Il existe bien un moyen d’atteindre directement le « Soleil noir », mais
cette voie est terriblement dangereuse, puisqu’elle risque de foudroyer celui
qui l’utiliserait malgré tout. Seuls les Adeptes, ou « Frères d’Héliopolis »,
détenteurs des secrets légués à la Rose + Croix par le pharaon Akhenaton
seraient, selon la tradition alchimique, capables d’emprunter cette « voie
périlleuse ».4

Cela pose le grave problème de l’initiation de Hitler5. Si le Führer a pris


pour signe de ralliement l’étendard à croix gammée noire, sur cercle blanc
entouré de rouge, croyons-nous que ce soit un effet du hasard, alors que
justement ces trois couleurs symboliques sont celles des trois phases de la
préparation du grand œuvre ? L’ « œuvre au noir » correspond à la
putréfaction de la matière qui doit se décomposer avant de renaître ; l’
« œuvre au blanc », c’est l’obtention de l’argent, alors que l’ « œuvre au
rouge » est le stade suprême qui permet d’obtenir la « pierre des
philosophes ».

Nous avons déjà souligné — dans un précédent ouvrage6 — les liens qui
rattachaient Hitler au courant ésotérique par la filiation gnose-catharisme-
templarisme. De nouvelles perspectives s’ouvrent dès lors au chercheur.
L’émeraude verte, le Graal, tombé du front de Lucifer, fut-elle « occultée »
par Hitler dont le nom, décomposé en chiffres, correspond au nombre de
l’archange « porteur de lumière » (Lucifer) : 7, déchu par Dieu et condamné
aux ténèbres ?
C’est alors que commence la magie noire.
Tournons-nous donc du côté de la lumière resplendissante, qui ne peut
nous tromper, car il est dit : « Enfin, elle [la pierre philosophale] purifie et
illumine tellement le corps et l’âme que celui qui la possède voit comme en
un miroir tous les mouvements célestes des constellations et les influences
des astres, sans même regarder le firmament, les fenêtres fermées, dans sa
chambre7. »
Aussi loin que nous cherchions, c’est en nous-mêmes que se trouve le
Soleil de l’esprit. Ce livre n’a d’autre but que de faire comprendre cette
vérité. Chaque homme est à lui seul un soleil qui cherche désespérément à
retrouver la Grande Lumière, au-delà de la vie et de la mort.
Tête de Bouddha gréco-indien : synthèse de la beauté grecque et de la sagesse orientale
1. Le pain, élément féminin, prend un caractère « solaire » avec l’hostie. (Voir, pour plus de détails,
Laurence Talbot, Abrégé d’histoire profane, 3 vol., Dervy éd., Paris.)

2. En 1971, nombreux furent les lecteurs à considérer l’auteur du « Troisième oeil » comme un
authentique lama tibétain, alors qu’il s’agissait d’un mystificateur de talent ayant puisé ses récits dans
les ouvrages théosophiques du XIXe siècle écrits par des Européens gnostiques, à commencer par la
célèbre H.P. Blawatsky, fondatrice de la Société Théosophique. Il n’en reste pas moins que la
tradition concernant Schamballah et la civilisation des Géants relève des « mystères de l’ésotérisme
bouddhistes » (cf le rituel de Kalachakra en relation avec le « Centre du monde »).

3. Serge Hutin, Hommes et Civilisations fantastiques (Coll. « J’ai lu », 1970, pp. 110-111).

4. Dans un ouvrage très éclairant La science hermétique (Paris, L’originel, 1999) Sébastien
Caracciolo définit ainsi le terme de la voie alchimique : « celui qui accomplit l’oeuvre au Rouge est
couronné Roi, il devient Vivant, un « Eveillé » ; il devient la lumière, tout comme le Chevalier, qui
pose la question, guérit le Roi et en assume la fonction, devenant lui-même le Graal » (pages 124-
125).

5. Rudolf Hess, dit « L’Egyptien », aurait-il été, comme certains l’ont soutenu, l’ « initiateur »
d’Adolf Hitler pendant leur détention commune à la prison de Landsberg ? Hess était le successeur
désigné du Führer.

6. J.-M. Angebert, Hitler et la tradition cathare (Paris, Robert Laffont, 1971)..

7. S. Hutin et M. Caron, Les alchimistes (Le Seuil, collection « Le temps qui court »).
Première partie - Le Soleil des vivants
« L’histoire primitive de l’Égypte est liée à celle – perdue – de
l’Atlantide » (Paul Brunton).
« A l’enfant de la Lumière vivant « au-dessus du temps » -dans la vérité
pour l’éternité – Akhenaton, fondateur de la glorieuse religion du Disque »
(Savitri Devi).
Chapitre 1 - Akhenaton : « Joie du Soleil »
Introduction
La croyance des mondes grec et romain, qui voyaient dans l’Égypte le
berceau de la science hermétique, a persisté jusqu’à nos jours. Aujourd’hui
encore, les seuls mots d’obélisques et de pyramides évoquent pour nous les
plus impénétrables mystères.
Rien d’étonnant, dès lors, si rosicruciens et francs-maçons s’entourent de
symboles et de hiéroglyphes évoquant la terre des pharaons.
Pourtant, hormis le fait que cette contrée bénie des dieux se soit trouvée
aux avant-postes de l’histoire de l’humanité, qu’est-ce qui fait donc l’attrait
de cette civilisation disparue, à l’ère de la conquête de l’espace ?
Tout simplement la méconnaissance où nous nous trouvons de son
origine. Bien sûr, nous pourrions interroger de doctes égyptologues, mais
rassurons-nous ! Sur l’origine de cette extraordinaire civilisation, ils n’en
savent pas plus que le commun des mortels !… Allez donc établir une
chronologie sérieuse pour les quatre premières dynasties pharaoniques !
(c’est-à-dire la période archaïque de l’Ancien Empire). Vous m’en direz des
nouvelles !
De même, des milliers de touristes peuvent bien « mitrailler » à grand
renfort de pellicules photographiques l’immémorial plateau de Gizeh !
Croirez-vous pour autant que les Pyramides et le Sphinx vont livrer leur
antique secret ?
Redevenons sérieux et penchons-nous plutôt sur la seule réalité qui
comptait vraiment en ce temps-là : la religion et les mythes qui
l’entouraient.
Cette réalité nous apprend que l’Égypte est sans conteste la patrie du
culte solaire. C’est lui le Soleil qui se lève à l’est sous le nom d’Horus et
qui se couche à l’ouest sous celui d’Aton, de Toum ou encore de Aw. Nous
touchons là, dans le cadre de l’Égypte ancienne, à la « mission
civilisatrice » authentique de tout un peuple.
Chaque peuple, en effet, reçoit traditionnellement une « mission
historique » : les « guides spirituels », Hermès Trismégiste en l’espèce, en
sont les lumières visibles. C’est sans nul doute Hermès, le « trois fois
grand », qui prit en charge la « mission » de l’Égypte, pour reprendre une
expression chère à l’ésotériste Saint-Yves d’Alveydre1.
Qui nous expliquera autrement la naissance en Égypte du concept
infiniment plus subtil de « Soleil invisible », de « Soleil noir », considéré
comme le « Soleil nocturne » dans sa course elliptique inaccessible à nos
investigations, le modèle des évolutions mystérieuses de la matière entre la
mort et le retour à la vie… Le prototype de l’alchimie et de la moderne
psychanalyse !
Louis Claude de Saint-Martin, justement surnommé le « Philosophe
inconnu », fut le premier penseur chrétien qui tenta, au XVIIIe siècle, de
ramener l’homme dans le chemin de la tradition. Il enseigna le rattachement
du christianisme à l’Atlantide à travers l’Égypte, le druidisme et le
mosaïsme primitif du Livre d’Enoch.
Cette filiation fut soutenue récemment par le regretté Paul Le Cour,
fondateur de la revue d’archéologie traditionnelle Atlantis. Le culte du
Soleil serait ainsi parvenu aux Égyptiens par le canal de l’Atlandide ; ce
culte, oublié par les descendants des premiers pharaons, aurait été remis au
goût du jour par l’initié qui fait l’objet de notre étude : Akhenaton.
- Chez les Égyptiens — écrit Paul Le Cour — existait la croyance en un
Dieu suprême et à un second dieu, le Soleil créateur. Une stèle du musée de
Berlin appelle le Soleil « fils de Dieu ». Sur la porte du temple de Medinet-
Abou, on lit : « C’est lui le Soleil qui a fait tout ce qui est, et rien n’a été fait
sans lui jamais », ce que saint Jean dira quatorze siècles plus tard en parlant
du Christ2.
Rappelons pour le lecteur qu’Akhenaton vivait quatorze siècles avant
Jésus-Christ.
Dans le même texte, Paul Le Cour développait sa thèse en profondeur :
- Le Christ solaire semble avoir eu deux incarnations au moins, l’une
dans l’Inde, sous le nom de Krishna, l’autre en Judée, sous celui de Christ
(nom presque identique, ce qui expliquerait l’étrange similitude de la
bhagavad-gita et des évangiles) (Ibid.,p. 82).
Partant de là, l’auteur de l’Ère du Verseau précisait sa pensée et en tirait
une conclusion à laquelle il serait difficile de ne pas souscrire :
- Le premier foyer de la religion solaire fut vraisemblablement
l’Atlantide ou une contrée située vers le 50è degré de latitude nord
(l’Hyperborée)3. Là fut créée la première sphère céleste, supportée
d’ailleurs par Atlas, et créé le Zodiaque, qui constitue en quelque sorte
l’horloge de la religion solaire dont il marque les fêtes annuelles ainsi que
les transformations à travers les siècles. En effet de l’Atlantide, la religion
solaire passa au Mexique, au Pérou, en Égypte, en Chaldée. Réunis par une
commune tradition, celle des Atlantes, que l’on a appelés « le Peuple du
Soleil », les Égyptiens, les Mexicains, les Babyloniens édifièrent des
temples au fronton desquels se voyait le disque solaire accompagné de deux
ailes4… La religion hyperboréenne était solaire, comme le fut celle des
druides ; le culte de Dionysos était solaire, celui de Mithra le fut également
et notre christianisme est solaire dans son essence et dans son symbolisme5.
Nous touchons, à ce point précis du raisonnement, au véritable
phénomène que représente Akhenaton dans l’histoire de notre humanité :
celui d’un véritable « relais » entre la tradition atlante et hyperboréenne (ou
grande tradition) et notre époque actuelle : la civilisation judéo-chrétienne.
Et nous ferons nôtre cette conclusion du grand auteur mystique
Merejkowsky : « L’Atlantide, voilà ce qui est au fond de la vertigineuse, de
l’effroyable antiquité égyptienne. »
Atlantes et rois-pontifes
Le mythe du continent perdu, de l’Atlandide, se rattache à la théorie des
cycles de l’humanité, chère à Platon et reprise depuis par toute la tradition
ésotérique jusqu’à nos jours.
Les prêtres de l’Égypte ancienne avaient conservé, et leurs livres sacrés
en font foi, le souvenir d’un vaste continent qui se serait étendu jadis au
milieu de l’océan Atlantique, dans un espace délimité à l’ouest par les îles
Açores et, à l’est, par la cassure géologique du détroit de Gibraltar.
C’est le Critias de Platon qui nous décrit longuement une ville du
continent englouti : Poséidonis, cité aux gigantesques portes d’or, bâtie en
gradins, avec ses temples gigantesques et son système de gouvernement
dirigé par des rois-prêtres, détenteurs des lois édictées par les dieux, au
premier rang desquels prend place Poséidon ou Neptune, roi des Mers, armé
de son trident. Toujours selon Platon, l’île de Poséidonis, dernier fragment
de l’Atlantide, fut engloutie neuf mille ans avant l’époque du sage Solon.
Le géographe grec Strabon ainsi que Proclus confirment les affirmations
de Platon. Comment Solon aurait-il eu connaissance de la tradition
atlantéenne ? Une seule réponse semble cohérente : les prêtres égyptiens,
qui prétendaient tenir l’information des Atlantes eux-mêmes, l’ont
transmise aux voyageurs grecs qui visitèrent souvent leur Pays.
Les prêtres égyptiens de Saïs pouvaient-ils connaître une tradition
remontant à la date admise pour la submersion et la disparition de ce
continent fabuleux? Les données des sciences naturelles, de la préhistoire et
de l’anthropologie s’accordent toutes avec cette date6…
Il reste à démontrer qu’il existait bien un peuple égyptien au IXè
millénaire de notre ère. Or, les études récentes semblent bien le prouver.
Si une civilisation ancienne et formée existait déjà neuf mille ans avant
le Christ, rien ne s’opposerait à ce qu’elle ait joué un rôle de réceptacle,
puis de véhicule à la civilisation atlantéenne. Nous en relevons les traces
dans le monument le plus ancien de l’Égypte : le Sphinx de Giseh.
Le grand Sphinx contemporain de l’Atlantide ? Pourquoi pas ? Que l’on
se souvienne de son désensablement effectué par Touthmès IV : il fit l’objet
d’une constatation ahurissante ; les membres du colosse avaient été
restaurés dès les premières dynasties… A l’époque de ce pharaon qui régna
trente-quatre siècles avant notre ère, le Sphinx avait, au moins mille cent
années d’âge !
Mais que représente exactement ce géant, moitié homme, moitié
animal ? L’idée selon laquelle il reproduirait les traits d’un pharaon ne
s’appuie sur aucun document. Par contre, son nom même paraît établir à lui
seul un rapport troublant avec le continent disparu de l’Atlantide.
Qu’on en juge plutôt. La stèle de Touthmès Ier (troisième roi de la
XVIIIe dynastie : celle qui nous intéresse) nous apprend quel nom était
alors donné au colosse de pierre : « Routy » (ligne 2082 du « texte des
pyramides »)… Or, d’après la légende (qui contient toujours un fond de
vérité), les deux dernières îles de grande importance de l’Atlantide, avant sa
submersion totale, s’appelaient « Routa » et « Daitya » : la coïncidence est
pour le moins troublante !
Ce qui renforce encore l’hypothèse selon laquelle les premières
dynasties pharaoniques seraient celles des rois atlantes eux-mêmes, c’est la
présence des mastabas (ou tombeaux) des souverains en question, tous
situés dans les environs immédiats du grand Sphinx de Gizeh…
Les premières dynasties égyptiennes
Ces monarques de la Ière dynastie étaient ensevelis à Peker, à deux
kilomètres environ du temple d’Osiris, situé à Abydos. Et ici nous touchons
à un deuxième point de contact avec la tradition atlantéenne. C’est à
Abydos, en effet, qu’a été retrouvée la stèle d’I-Cher-Nofret, haut
fonctionnaire du roi Sésostris III (1887-1849 av. J.-C.) qui nous relate une
initiation aux mystères… Cette même initiation dont Hérodote se bornait à
déclarer : « Les prêtres d’Osiris, liés par une vieille tradition, ne pouvaient
rien dire de la mort de leur Dieu… » Or, sur cette stèle, il est fait mention de
l’initiateur Thot, qui n’est autre qu’Hermès Trismégiste, celui qui « a ouvert
au dieu la voie qui conduit à son tombeau, à Peker », et qui a organisé la
« grande sortie », en « mettant en mouvement le navire »…
De là à conclure que les premiers Égyptiens, ou tout au moins leurs
« initiateurs », ont fui sur des barques la catastrophe qui vit
l’engloutissement du continent disparu, il n’y a qu’un pas à franchir.
La dernière partie de la description des mystères ne se termine-t-elle pas
par la déclaration suivante : « Je l’ai fait entrer dans le navire… J’ai dilaté
de joie le cœur des habitants de l’Orient (les vivants) et j’ai suscité
l’enthousiasme chez les habitants de l’Occident (les morts)… La barque a
abordé à Abydos et conduit Osiris, le premier des habitants de l’Occident,
le seigneur d’Abydos, à son palais » ?
Nous remarquons que l’Occident est représenté comme le séjour des
morts. En effet, pour les Égyptiens, Pount, la terre des grands ancêtres,
située par eux à l’extrémité de la Libye (qui s’étendait jusqu’au Maroc
actuel) était l’objet de leur culte posthume. Quand on aura rappelé que les
Égyptiens ne vivaient que pour l’Au-Delà, on comprendra mieux qu’ils
cherchaient ainsi à se rapprocher de leur pays d’origine : l’Atlantide
engloutie, selon toute vraisemblance.
Faut-il, à ce stade, mettre en doute l’existence de l’Atlantide, affirmée
dans l’Antiquité par Homère, Solon, Hérodote, Platon, Strabon, Diodore ?
Nous ne le croyons pas, car les Anciens situaient bien le continent disparu
« à l’autre bout de la Libye, là où le Soleil se couche… ».
Ainsi s’explique tout naturellement la consanguinité des familles
régnantes, moyen assuré de conserver la pureté du sang atlante7 selon la
prescription édictée par le grand Hermès.
L’origine atlantéenne des anciens Égyptiens trouve une confirmation
supplémentaire dans la coutume considérablement ancienne de l’ocre rouge,
dont on enduisait les cadavres. Le premier exemple que nous connaissions
de cette pratique nous est donné par l’homme de Cro-Magnon, de race
blanche, qui vivait il y a près de quarante mille ans. Cet homme, mis au jour
aux Eyzies (en France), mesurant plus de 1,90 m, baignait en effet dans
l’ocre rouge. Quand on saura que les Atlantes étaient surnommés la « race
rouge », et réputés pour leur taille gigantesque, on pourra se demander si
l’homme de Cro-Magnon n’était pas de la race des Atlantes. Il n’est pas
invraisemblable de le croire si l’on songe que :
- Le souvenir écrasant de cette ascendance était si puissamment apprécié
en terre nilotique que c’était pour en conserver les particularités physiques
et morales que furent instituées, dès l’aurore des temps, deux des plus
extraordinaires lois de la tradition pharaonique :
1. Le souverain épouse sa sœur ;
2. Le roi, les grands prêtres et tous les purs descendants mâles de la race
originelle se passent le corps à l’ocre rouge… Les coutumes iront
s’affaiblissant… Il n’y aura plus, vers les dernières dynasties, que le
pharaon et l’Hiérophante qui s’enduiront de peinture rouge8.
Mme Szumlanska situe la décadence de cette race dirigeante en Égypte
aux alentours de la XVIIIe dynastie, soit à l’époque qui nous intéresse, celle
du pharaon Akhenaton. Ce fut sous cette dynastie que l’Égypte connut son
« chant du cygne » : « Une splendeur inouïe s’étendit sur la terre d’Égypte
avec la XVIIIe dynastie. Horus, le dieu originaire du pays de Pount vit
refleurir sa merveilleuse légende. »
Les premiers Égyptiens, ancêtres des survivants de l’Atlantide, seraient
parvenus dans la vallée du Nil, par l’intermédiaire de l’Afrique du Nord,
venant des îles Canaries. Or, en 1882-1886, le savant Verneau publia son
Rapport sur une mission scientifique dans l’archipel canarien dans lequel il
fournissait une documentation considérable sur les hommes de Cro-
Magnon, à l’issue d’une recherche de cinq années. L’idée première de
Verneau se fondait sur une parenté atlante chez les Guanches, ancêtres des
habitants des Canaries. N’oublions pas que l’Atlantide, à sa disparition,
devait laisser émerger les crêtes de ses chaînes montagneuses dont le pic de
Tenerife pourrait être un des vestiges.
Le savant français remarqua sur les momies qu’il put examiner une
énorme capacité crânienne (1790 cm3 en moyenne), une taille élevée (2,10
m) et surtout une déformation postcoronale spécifiquement cromagnoïde
« qui n’est pas due à une déformation rituelle comme chez les Sémites,
mais toujours à un point précis et se retrouvant parmi les peuples où
n’existe pas ce rite, notamment chez les Égyptiens ».
Il nous reste, au terme de ce chapitre, à décrire l’innovation monothéiste
symbolisée par le culte solaire qui fait son apparition avec l’Homo sapiens
de Cro-Magnon et son rite de l’ocre rouge pour se continuer dans l’Égypte
pharaonique et aboutir à un idéal plus subtil et plus pur de cette même
religion solaire : la substitution du disque au Soleil lui-même.
La cosmogonie sacrée des Égyptiens : le « Livre des morts »
La cosmogonie des Égyptiens est tout entière contenue dans le fameux
Livre des morts, destiné aux cénacles initiatiques de l’ancienne Égypte, la
mort étant considérée par les Égyptiens comme une sorte d’initiation (du
latin initium : « renaître à la vie »).
Parmi toutes les visions que le livre décrit, celle de la barque solaire est
la plus fréquente. Cette vision centrale où nous retrouvons les deux
luminaires (la barque, symbolisant le croissant de Lune, porte le disque
solaire : Râ) formait le noyau de toute la cosmogonie sacrée.
Pour les Égyptiens, la Lune, considérée d’un point de vue spirituel,
n’était nullement inférieure au Soleil ; mais leur union symbolise
l’involution ou, pour employer le langage de la Bible, l’étape originelle de
la « chute ». Sur le plan spirituel donc, ce phénomène d’involution aggrave
la chute initiale du genre humain dont les conséquences sont représentées
respectivement par le sexe et la mort ; car I’être originel était, selon la
tradition, bisexué et immortel. Ce concept de I’androgynat primordial se
retrouve dans le fameux dialogue de Platon : le Banquet. Pour le Divin
Maître, initié aux mystères égyptiens et ardent défenseur de la thèse
« atlante », il existait une race originelle « dont l’essence est désormais
éteinte », race d’individus qui portaient en eux les deux principes,
masculins et féminins, et donc androgynes. Les êtres de cette espèce
« étaient d’une force et d’une audace extraordinaires et ils nourrissaient
dans leur cœur des projets orgueilleux jusqu’à attaquer même les dieux ».
Cette tentation d’escalader les cieux n’est pas nouvelle ; c’est le mythe de
Prométhée, celui des Géants et des Titans. Dans la Bible même, n’évoque-t-
on pas la « promesse de devenir semblable aux dieux » (Genèse, III, 5) !
Mais ce qu’il y a de plus étrange, dans le texte de Platon, directement
dérivé des Mystères de l’Égypte, c’est le fait que les Dieux, pour se
défendre, ne foudroient pas les Androgynes comme ils ont foudroyé les
Titans : ils paralysent leur action et leur puissance en les séparant en deux.
Désormais, l’Homme et la Femme sont nés de la séparation des sexes ou
des principes, le masculin et le féminin9.
Il en va de même pour la Lune et le Soleil, tous deux par référence à
notre Terre. La tradition ésotérique, nous l’avons vu, enseigne que ces deux
astres étaient unis à l’origine et faisaient corps, puis ils se séparèrent…
Nous retrouvons ce couple initial Soleil-Lune réuni dans le dieu Osiris dont
les attaches, tant lunaires que solaires, ont été maintes fois soulignées par
les égyptologues. La résurrection d’Osiris, figé dans la mort, enserré dans
ses bandelettes de momie (allusion au monde lui-même, soumis à
l’implacable « loi de nature »), signifiait le rétablissement de l’unité dans le
retour à l’intégrité originelle.
La mort, ce mystère au sens occulte du terme, est vaincue magiquement
grâce à ce véritable « passeport » pour l’au-delà que constitue le Livre des
morts égyptien. Le voyage de l’âme est décrit en détail par analogie avec le
voyage diurne de la barque de Râ, la barque solaire, sur la voûte du ciel…
L’exemple du « dieu-échec » : Osiris restait présent dans toutes les
mémoires : il symbolisait la « chute ».
Devant ce peuple amoral, rêveur et indolent, des Égyptiens, le grand
Hermès brandissait l’exemple de la discipline et de l’équilibre cosmique :
l’élite égyptienne qu’il réussit à former croyait en l’existence d’une « âme
du monde » dont le Soleil, la Lune et les planètes étaient les « lumières »
visibles. Cette « religion du Cosmos » ouvrit à l’Égyptien moyen des
visions insoupçonnées : il se lança avec joie dans cette « préparation à la
mort » que son élite lui proposait… La morale devenait un lien vivant entre
l’homme et l’Univers par l’intercession des dieux cosmiques.
Les dieux cosmiques : Horus-Osiris, Amon-Râ
Horus, étant l’héritier de son père Osiris, peut être considéré comme
l’héritier du monde divin pris dans son ensemble ; il apparaît comme le
successeur de tous les autres dieux. Ainsi, devant le vieillissement de
l’humanité, les initiés se voyaient appelés à prendre en charge le
« gouvernement cosmique ». Horus, dans cette optique, apparaissait comme
la divinité humaine par excellence. Sa légende même est significative.
A l’origine, Horus est considéré comme le « vengeur de son père »
(Osiris) tué par Seth. Mais tout détesté qu’il soit, Seth n’en est pas moins
nécessaire à l’équilibre cosmique : le mal devant exister pour que le bien
puisse en triompher ! Nous retrouvons ici l’idée d’un être divin se sacrifiant
délibérément pour le salut de l’humanité (un Christos), Osiris, en l’espèce ;
le but d’un tel sacrifice étant de conduire l’homme vers la libération de ses
instincts supérieurs par la destruction de sa nature inférieure. C’est ce que
nous enseignent, à travers une terminologie qui nous paraît parfois
embrouillée, les religions qui précédèrent le christianisme et dont les
« sauveurs » sont : Adonis, Orphée, Dionysos, Baldur, Mithra…
Tout différent de celui d’Horus, donc, apparaît le rôle d’Osiris ; et l’on
peut se demander pourquoi I’osirianisme ne s’est point fondu avec le
christianisme naissant ? Il faut voir dans l’intransigeance des premiers Pères
de l’Église et dans leur désir de rendre le christianisme « accessible » aux
masses, en rejetant les éléments ésotériques, une cause de l’échec de cette
fusion. Seulement, l’élite égyptienne devait prendre une décision lourde de
conséquences pour l’humanité : les traditions ésotériques de l’osirianisme
devaient être préservées à tout prix. Ainsi naquirent, lors de la disparition
de l’Égypte en tant que civilisation, la gnose et le manichéisme, I’alchimie
puis le mouvement templier, qui devait donner naissance à la FRANC-
MAÇONNERIE.
L’élite égyptienne avait deviné dans le Décalogue de Moïse et
l’« optimisme béat » du christianisme, le piège fatal : affirmer que tout
s’arrangera « automatiquement » et comme par la force des choses, c’est
endormir le monde10.
Cette mise au point était nécessaire pour comprendre l’importance d’un
autre dieu cosmique et surtout celle de la confrérie secrète qui l’entourait :
la Fraternité d’Héliopolis qui s’était vouée au dieu-Soleil : Râ, d’où son
importance politique et religieuse au sein de l’Égypte antique.
Le dieu Râ, que nous avons déjà rencontré dans la barque solaire, était
considéré comme le « premier des pharaons ».
Il symbolisait le Soleil passant par les « quatre maisons du monde »,
étant représenté comme le vainqueur du serpent ; nous nous trouvons ici en
présence de tous les mythes originaires des diverses religions qui
succédèrent à la première cosmogonie égyptienne. Le dieu Râ devait, sous
la XIIe dynastie, retrouver une seconde jeunesse : son assimilation au dieu
de Thèbes, Amon, devant donner naissance au couple Amon-Râ.
Nous observerons de la même manière que le grand prêtre
d’Héliopolis11 portait une peau de léopard garnie d’étoiles car il était le
« chef suprême des secrets du ciel » et le « grand voyant ». La ville
d’Héliopolis, dans le delta du Nil, était un des trois centres de mystères les
plus importants avec celui d’Hermopolis (la ville d’Hermès) et celui
d’Abydos, d’origine atlantéenne.
L’importance d’Héliopolis est attestée jusque dans le christianisme
puisque, d’après le Nouveau Testament, c’est à Héliopolis que la Sainte
Famille se serait reposée lors de la « fuite en Égypte ».
Le clergé de cette cité sacrée jetait un « pont magique » au-dessus de
l’abîme de la mort selon des procédés qui sont aujourd’hui
irrémédiablement perdus. Le peu que nous en connaissons ne nous permet
pas d’avancer des hypothèses aventureuses… Il est probable, toutefois, que
certaines confréries occultes détiennent des précisions à cet égard. Nous
ajouterons seulement que ce sont des égyptologues allemands qui
s’occupèrent des fouilles d’Héliopolis.
Plus significatif encore, quant à son essence solaire, est le grand dieu
Amon-Râ dont l’adoration était centrée autour de Thèbes dans le
gigantesque ensemble monumental : Louksor-Karnak. Ici, plus question de
mystères : la religion seule est admise et, malheureusement (comme c’est
presque toujours le cas), elle va vouloir déborder sur des secteurs où elle
n’a rien à faire : la direction administrative, puis politique du pays. Ce sera
chose accomplie sous la XXIe dynastie ; encore quelques siècles d’histoire
et l’Égypte s’effondrerait.
La toute-puissance du clergé d’Amon
Cette prépondérance du clergé d’Amon allait éclater sous la XVIIIe
dynastie. La situation financière des prêtres (les temples de Karnak et
Louksor couvraient une superficie de plusieurs dizaines d’hectares) n’était
pas étrangère à cette monopolisation de la direction spirituelle à cette
époque. Sous le Nouvel Empire, les pharaons ayant concédé au clergé
d’Amon la haute main sur les autres temples, le danger qui en résulta pour
l’État s’aggrava d’autant.
Le « premier prêtre d’Amon » était désormais, non seulement chef des
prêtres des dieux de Thèbes, mais, en même temps, « directeur des prêtes de
tous les dieux de la Haute et de la Basse-Égypte » ; tout le reste du clergé
lui était subordonné. Il suffisait d’être le « second prêtre d’Amon » pour
avoir la direction du temple d’Héliopolis et avoir ainsi accès aux mystères
qui, auparavant, lui étaient interdits.
Mais les prêtres d’Amon ne devaient pas s’arrêter en si bon chemin : ils
créèrent des « milices » pour protéger les temples, des prisons pour
enfermer les fidèles « réfractaires »…
Le clergé d’Amon ne devait pas être dans le besoin si l’on en juge par les
nombreux monuments que nous ont laissés les barbiers et les gardiens de
toute sorte affectés à son service.
De même, il est significatif que les hauts fonctionnaires du temple aient
été en même temps fonctionnaires de l’État. De pareilles situations sont
toujours des signes avant-coureurs de la décadence d’un royaume soumis,
comme l’Égypte, à l’emprise croissante du cléricalisme.
Mais il appartenait à un pharaon de la XVIIIe dynastie d’essayer de
briser cette toute-puissance du clergé d’Amon et de retourner au culte de ses
ancêtres atlantes : la religion du « disque solaire », débarrassée du fatras
superstitieux qui encombrait le panthéon égyptien. Ce pharaon, Aménophis
IV, est plus connu dans l’histoire sous son second nom : AKHENATON, ce
qui signifie : joie du soleil.
Le « retour » au culte solaire : l’invasion mitannienne
Vers 1500 av. J.-C., l’État du Mitanni, situé en Haute Mésopotamie,
commença à déborder sur ses voisins. Les Mitanniens, descendants des
tribus hyksos, de race indo-aryenne, étaient jusque-là installés le long du
fleuve Khabour ; ils adoraient les dieux de l’Inde ancienne : Indra, Varouna
et Mithra ; c’est dire le caractère solaire de leurs croyances !
Déjà, au IIIe millénaire, ils avaient déferlé, venant d’Asie, jusqu’à la
vallée du Nil, mais sans résultat décisif. Cette fois, leur invasion de
l’Égypte promettait d’avoir des conséquences plus durables.
La première chose qui nous frappe, c’est le fait que ces tribus aryennes
et nomades de la steppe apportaient avec elles la croix gammée, le svastika
(roue solaire qui devait évoluer en motif tournoyant). Pour l’historien Z.
Mayani12 :
- Un des témoignages les plus anciens de cette association du Soleil et
du cheval est le svastika, qui apparaît en Iran à l’époque néolithique, en
Elam et dans l’Inde préaryenne dès la fin du IVe millénaire. Déchelette y
voyait l’emblème du Soleil en mouvement et l’équivalent d’une roue.
Cependant, certaines représentations de l’art scythique indiquent qu’avec le
temps le svastika commence à exprimer une conception nouvelle : c’est
l’image des quatre chevaux, attelage du char solaire, dont les têtes, tournées
vers les quatre points cardinaux, créent l’impression d’un mouvement
rotatif.
Nous voyons bien ici le rapport étroit existant entre le cheval (emblème
spécifique des Hyksos nomades, par opposition aux sédentaires de la vallée
du Nil) et le svastika, symbole solaire à l’origine. S’appuyant d’ailleurs sur
les travaux de Léger et du Pr Skazkin13, l’auteur élargit le champ de cette
influence :
- Un des dieux les plus puissants des Slaves était Sviatovit, à la fois
divinité de la Guerre et de la Fertilité des champs. Son idole avait quatre
têtes tournées vers quatre côtés différents. Elle se dressait dans son temple
de l’île de Rügen. A la main droite, Sviatovit avait un rhyton14 rempli de
boisson alcoolique. Auprès de la statue étaient déposées une selle, une bride
et une épée. Un cheval « blanc comme la neige », consacré à Sviatovit, était
gardé dans l’enceinte du temple… Or, en accord avec la position de ses
quatre têtes, Sviatovit était essentiellement un dieu « tout voyant15 »…
D’autre part, l’origine solaire de ce dieu est évidente. Il se peut donc que
certains traits de Sviatovit remontent aux temps qui sont antérieurs aux
Slaves. Dans ce cas, les quatre pointes de l’ancien svastika symbolisent
peut-être non seulement le Soleil en mouvement, mais aussi le Soleil
embrassant de son regard les quatre côtés de l’horizon, le Soleil « tout
voyant ».
Il est symptomatique d’observer que, soixante siècles plus tard, cette
même île de Rügen devait servir de lieu d’expérimentation aux essais
scientifiques ultra-secrets des « initiés » nazis se réclamant eux aussi de la
croix gammée…
Le fait demeure, pourtant, que les Égyptiens furent profondément
marqués par les invasions mitanniennes. Le premier historien égyptien
connu, Manethon, a évoqué cet épisode guerrier :
- Je ne sais comment, la colère divine souffla sur nous, et, à l’improviste,
un peuple de race inconnue, venu de l’Orient, eut l’audace d’envahir notre
pays. Grâce à leur force, ils s’en emparèrent sans coup férir. Ils se saisirent
des chefs, incendièrent sauvagement les villes, rasèrent les temples des
dieux et traitèrent les indigènes avec la dernière cruauté, égorgeant les uns,
emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres (Rapporté
par l’historien juif Flavius Josèphe).
Les pharaons de la XVIIIe dynastie n’eurent d’autre ressource que de
composer avec ces envahisseurs qui dévastaient périodiquement les
colonies égyptiennes de Syrie et de Palestine. C’est ainsi que des alliances
matrimoniales furent scellées, alliances dont nous ne soulignerons jamais
assez l’importance pour expliquer les faits qui vont suivre. Ces nomades,
qui révéraient l’aigle et le faucon, oiseaux du Soleil, devaient jouer le rôle
de rénovateurs de la religion en Égypte.
C’est ainsi que nous arrivons tout naturellement à notre pharaon :
Akhenaton. Comme le note si justement Mayani :
- Ce n’est pas aux sources sémitiques qu’Aménophis IV va puiser son
inspiration religieuse… A première vue, il ne continue que ce qu’il a reçu
de ses prédécesseurs et de toutes ces princesses mitanniennes qui
dominaient la cour : un culte convenant à leur goût, celui d’Aton, du disque
solaire. Ce culte apparaît déjà sous Touthmosis IV. Aménophis III marque
pour cette hypostase du Soleil une dévotion personnelle. Il possède sur le
lac de Thèbes une barque de plaisance surnommée « Splendeur d’Aton. »
Ce culte s’adresse au Soleil directement ; il se passe des vieux temples
obscurs ; il fait penser aux temples solaires à ciel ouvert de la Ve dynastie
(comme celui d’Héliopolis) et, encore mieux, à l’adoration directe et
spontanée du Feu sacré par les nomades de la steppe. Aménophis IV,
désormais Akhenaton, se livre à ce culte avec toute la fougue de sa nature
qui ne connaît pas de compromis. Il le magnifie et le rend absolu et
exclusif. Il lui insuffle aussi sa philosophie pleine d’optimisme, ivre de
liberté, de la joie de vivre, de l’amour de la nature. Aton est le père et la
mère de toutes les créatures16 17…
Ainsi, par le biais de cette influence maternelle et familiale, nous nous
trouvons ramenés au centre du sujet : Akhenaton est bien à la base de ce fil
d’or de la tradition ésotérique indo-européenne. Le seul écrivain qui ait
confusément perçu cette vérité est, nous l’avons dit, Z. Mayani :
- Il y a une certaine affinité — écrit-il — ne serait-ce que la religion
solaire, entre les Hyksos, qui étaient probablement guidés par les Indo-
Aryens, et Akhenaton, plus indo-aryen qu’Égyptien ; et il y a, d’autre part,
un lien, peut-être d’ordre affectif, entre le roi réformateur et les Mitanniens,
adeptes également d’un monisme solaire particulier18.
Quoi d’étonnant, dès lors, si Akhenaton a une mère mitannienne : la
reine douairière Tiy ; et, surtout, une princesse mitannienne pour femme :
nous voulons parler de la belle et énigmatique Néfertiti.
Cette généalogie nous fait prendre conscience de la pénétration hyksos
dans la famille régnante, au demeurant fort mystérieuse elle-même.
Akhenaton : le pharaon Atlante
La personnalité du pharaon
Akhenaton (1372-1354 av. J.-C.), à son avènement, est semblable à tous
les autres pharaons.
Fils d’Aménophis III et de son épouse principale Tyi, il avait fait preuve
d’une remarquable force de caractère et, surtout, descendait d’une illustre
lignée, trop puissante pour être évincée.
La personnalité de ce monarque, monté sur le trône du plus vaste empire
de son temps à l’âge de douze ans et terminant son action réformatrice
quatre ans plus tard, ne peut que susciter un prodigieux intérêt quand on sait
qu’il posa les bases d’un monothéisme cosmique quelque quatorze cents
ans avant la venue de Jésus.
Bien sûr, le destin voulut que ce pharaon de la XVIIIe dynastie prît les
rênes du pouvoir au moment où l’Égypte connaissait une expansion
religieuse et culturelle sans précédent ; tout naturellement, Akhenaton
devait être amené à guider la réforme religieuse à laquelle le prédestinait
son caractère d’ascète et de mystique. Son père et ses prédécesseurs de la
XVIIIe dynastie avaient déjà fait naître un nouveau concept religieux dans
la pensée égyptienne ; celui du Soleil représenté par son disque, Aton. Mais
il fallut attendre l’avènement d’Aménophis IV (Akhenaton) pour que ce
symbole religieux devienne le dieu unique de la terre, y compris les pays
qui ne relevaient pas de la souveraineté égyptienne.
Ce pharaon, qui prêcha la doctrine de l’amour universel, mérite plus que
tout autre le titre de précurseur et d’homme « au-dessus du temps ». De
même, dans l’art aussi bien que dans le domaine « social », l’esprit novateur
de ce souverain surprend aujourd’hui encore les historiens.
Que penser enfin de son aspect physique, tellement irréel qu’il paraît
sortir tout droit de quelque fantasmagorie onirique :
… Sur un cou trop gracile, la lourde tête pèse, au crâne énorme, que la
couronne bleue des bas pays du Nil surcharge encore, comme pour
l’écraser. L’uraeus d’or s’y dresse, le cobra sacré de l’Égypte, et
l’orgueilleux bijou s’assortit mal à ces traits androgynes où tout est retenue,
douceur, quiétude. A travers le granit ou le marbre des statues qui
l’évoquent, la méditation profonde est encore sensible. C’est là, n’en
doutons pas, le visage d’un malade, d’un homme encore jeune, mais aux
jours précocement comptés, l’extrême aboutissement d’une très vieille race,
une image de décadence et de suprême perfection19.
Ce physique étrange a été repris par nombre d’auteurs qui tous ont mis
l’accent sur l’aspect androgyne du personnage. Dans le palais de Tcharouk,
près de Thèbes, où Akhenaton était né et où il avait passé son enfance, son
image sculptée était celle d’un bambin qui ressemblait à une fillette : un
visage rond comme un œuf, empreint d’un charme enfantin et virginal. Par
la suite, cet aspect physique ne fit que s’accentuer jusqu’à nous donner
l’image que nous a laissé la postérité :
- Qui était-ce, qu’était-ce ? Un homme ? Non, un autre être, qui, sous
une forme humaine, n’avait rien de terrestre. Ni un homme, ni une femme,
ni un vieillard, un eunuque et une eunuque, un avorton décrépit. Des bras et
des jambes effroyablement maigres, comme des os de squelette, des épaules
d’enfant étroites, mais des hanches larges et rondes, une poitrine creuse aux
seins proéminents comme ceux d’une femme, un ventre enflé de femme
enceinte, une tête énorme au crâne en forme de courge, lourdement penchée
sur un petit cou mince, long et flexible comme la tige d’une fleur, un front
fuyant, un menton pendant, un regard figé et, sur les lèvres, le sourire errant
d’un fou20.
Bien entendu, cette description de l’écrivain russe Merejkovsky force un
peu trop la note étrange au préjudice de la réalité historique, mais il est un
fait reconnu que les touristes visitant le site solaire d’El-Amarna, ont un
sursaut de surprise quand on leur révèle que les images en bas-relief qu’ils
avaient pris pour la représentation de deux reines sont en réalité celle du
pharaon Akhenaton et de son épouse Néfertiti.
La preuve de cette ambiguïté, c’est qu’il est encore difficile, aujourd’hui,
de faire la différence entre les images du pharaon et celles de son épouse,
surtout lorsque le premier est représenté avec la courte perruque que ses
femmes portaient fréquemment. En se fondant sur des paramètres
anatomiques, il est, de la même façon, presque impossible de savoir si les
torses des statues brisées retrouvés à El-Amarna sont ceux d’Akhenaton ou
de Néfertiti.
Que l’on en juge plutôt : Akhenaton est dépeint avec un cou de cygne,
des hanches larges et la même poitrine proéminente que celle de Néfertiti.
La représentation du pharaon muni de sa longue robe est ahurissante et
appelle de notre part une enquête en rapport avec l’étrangeté du
phénomène.
Akhenaton, le pharaon androgyne, un dieu parmi les hommes
Tous les enseignements initiatiques font mention de l’androgynat de
notre race primitive. Ainsi, les Rose-Croix nous apprennent quelles
relations existaient entre le Soleil et nos ancêtres androgynes :
- Pendant les premiers temps de l’époque hyperboréenne, alors que la
Terre était encore unie au Soleil, les forces solaires fournissaient à l’homme
tout ce dont il avait besoin pour sa subsistance, et l’homme en irradiait
inconsciemment le surplus dans un but de reproduction.
Mais voici qui est beaucoup plus instructif encore, dans cette tradition
rosicrucienne :
- Alors que la matière dont la Terre et la Lune furent plus tard formées
faisait encore partie du Soleil, le corps de l’homme en devenir était encore
plastique. Les forces émanées par la partie qui devint plus tard le Soleil et
par la partie qui est maintenant la Lune étaient facilement actives dans tous
les corps, en sorte que l’homme de l’époque hyperboréenne était
hermaphrodite, capable de produire un nouvel être sans avoir de relations
sexuelles avec un autre être… Quand la Terre fut séparée du Soleil, et que,
peu après, elle lança la Lune dans l’espace, les forces des deux astres
n’affectèrent plus uniformément tous les êtres comme par le passé. Certains
corps furent plus affectés par un astre et certains le furent davantage par les
forces de l’autre21.
Nous avons, dans ce texte, un reflet de la tradition primordiale et du
mythe de l’androgynat, phénomène que nous avions déjà rencontré dans le
célèbre dialogue de Platon : le Banquet.
Le lecteur ne sera donc pas surpris si nous lui révélons que, pour les
traditionalistes, comme pour les théosophes, le CULTE SOLAIRE EST LIÉ
A l’ANDROGYNE, PREMIER REPRÉSENTANT DE L’ESPÈCE
HUMAINE SUR NOTRE PLANÈTE. On saisit toute l’importance d’une
telle affirmation, tant au point de vue philosophique que religieux.
Pour Mme Blavatsky, la fondatrice de la Société théosophique et l’auteur
de la fameuse Doctrine secrète, « le Dieu unique Jéhovah avait un ancien
aspect androgyne dans les premiers chapitres de la Genèse, avant de devenir
(par certaines transformations kabbalistiques) entièrement masculin, caïnite
et phallique… » On saisit tout l’intérêt du point de départ de la race
humaine.
Nous aurons l’occasion de revenir sur Moïse et sur les emprunts
supposés de cet « initié égyptien » au culte du pharaon Akhenaton ;
bornons-nous pour l’heure à remonter à la source de ces diverses traditions.
Nous retrouvons ici encore, Platon, expliquant que le geste éternel de
l’Éros réside dans le subconscient de l’homme et de la femme de ne faire
qu’un, comme ils l’étaient aux origines de l’humanité :
… C’est depuis ces temps reculés que l’Amour pousse les êtres humains
les uns vers les autres, cette tentation est innée dans la nature humaine et
tend à rétablir la nature première en tentant d’unir deux êtres distincts en un
seul et de guérir ainsi la nature humaine.
Plus explicitement encore, Platon nous dévoile le fond de sa pensée :
- L’âme de chacun des deux partenaires tend à quelque chose de différent
qu’elle ne sait pas exprimer, mais qu’elle sent et révèle mystérieusement
(ibid., 192 C).
Et Platon demande aux amants :
- Ce que vous convoitez, n’est-ce pas une fusion parfaite de l’un avec
l’autre, de façon à ne jamais vous séparer l’un de l’autre, ni jour ni nuit ? Si
tel est votre désir, je peux bien vous fondre ensemble et vous souder avec la
force du feu en un même individu, de telle sorte que, de deux que vous
étiez, je vous réduise en un seul être, si bien que vous viviez unis l’un à
l’autre tant que durera votre vie, et qu’une fois morts, là-bas, dans l’Hadès,
au lieu d’être deux, vous ne soyez qu’un, pris tous deux par un commun
sort. Et bien, voyez si c’est à cela que vous aspirez et si vous pouvez vous
en tenir pour satisfaits.
Nous sommes loin, ici, de l’anthropologie matérialiste qui ne voit dans
l’acte de chair que « l’instinct de conservation de l’espèce. » Il est
remarquable, cependant, de constater que le mythe de l’androgynat a circulé
sur tous les continents et à toutes les époques, et ce de façon souterraine :
depuis les milieux mystériosophiques égyptiens jusqu’aux gnostiques et à
l’ère moderne elle-même, en passant, bien entendu, par les auteurs du
Moyen Age.
Si nous revenons à l’Égypte et à Akhenaton, nous noterons avec une
certaine surprise que les pharaons ne se sont jamais référés officiellement à
leur chef-d’œuvre national par excellence : nous voulons parler du grand
sphinx de Gizeh.
Nous avons déjà vu ce qu’il fallait penser du nom du sphinx, qui est en
étroite corrélation avec l’île Routa de l’Atlantide ; plus curieux encore est
son aspect morphologique.
Mme Weissen-Szumlanska s’est longuement penchée sur l’énigme du
grand sphinx et sa conclusion rejoint notre hypothèse de départ quand elle
écrit :
- Les innombrables sphinx de tout acabit des divers centres du bassin
méditerranéen représentaient parfois des portraits, mais plus fréquemment
des légendes. Ainsi, l’un d’eux, datant de la période romaine, est composé
d’une tête de femme sur le corps léonin d’un mâle22. Serait-ce une allusion
à l’androgyne… L’allure de ce monstre au visage douloureux, au regard
sans paupières, perdu au-dessus de l’horizon, dans une fixité hagarde, a
quelque chose de bouleversant… En définitive, ce qui domine dans cette
effigie, c’est l’impression d’une puissance d’homme paralysée dans
l’animal, horrifiée, mais domptée, résignée, annihilée23.
Le sphinx de Gizeh, bien antérieur aux pyramides, exprime l’avatar
terrible des débuts de notre humanité, la déchéance infernale d’un être
originellement beau, le réceptacle d’un secret incommunicable aux profanes
sous peine de mort… Est-ce de lui dont Moïse s’est inspiré pour sa genèse ?
«… L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de
l’homme… »
Le moins qu’on puisse dire est que la création de notre nouvelle espèce,
issue de l’androgynat primitif, fut loin d’être une réussite puisque Adam et
Ève furent chassés du paradis terrestre. Faut-il imaginer alors que Moïse ait
combiné les deux événements : évolution de la race androgyne et départ des
Atlantes en un seul et unique « acte de vengeance » du Créateur ? Cela n’est
pas impossible…
De toute façon, le secret de nos origines fut bien gardé et seuls
aujourd’hui quelques groupes initiatiques se réclamant de la filiation
égyptienne peuvent nous en apprendre davantage. Il ne faut pas oublier
qu’un initié aux mystères égyptiens comme Platon ne pouvait divulguer son
enseignement qu’aux plus dignes de ses disciples, sous peine des plus
terribles sanctions.
Ce berceau de la science sacrée que fut l’Égypte reçut successivement
les plus grands esprits du monde antique qui subirent l’initiation de la main
des prêtres d’Héliopobs : Orphée, Moïse (fondateur des mystères hébreux),
Pythagore (qui resta vingt-deux ans sur cette terre avant de créer son école
de Crotone), enfin Platon qui devait être le plus grand de tous et qui légua
— en termes voilés — le résultat de son « illumination ».
L’exemple d’Akhenaton, dont l’aspect physique hermaphrodite
rejoignait celui de l’androgyne primordial, fut pris comme modèle, par les
initiés de toute obédience, pour le symbole d’immortalité qu’il représentait.
En faisant abstraction de la mythologie, nous pouvons comprendre tout ce
qui s’enchaîne comme conséquence d’un tel état : l’amour platonicien ne
s’applique-t-il pas admirablement aux jeunes gens et aux jeunes filles de
1971, dont on ne sait plus de quel sexe ils sont ? En passant par les
troubadours, l’amour courtois et la théorie même de la beauté, tout se tient,
tant il est vrai que l’ésotérisme soulève le voile des problèmes permanents
qui agitent l’humanité à toutes les époques. Il est un fait significatif, à
savoir que les canons de la beauté féminine idéale ne sont plus, en 1971,
ceux de la « Vénus de Milo », mais ceux de la reine Néfertiti, pourtant
antérieure de quinze siècles ! Il y a là un indice révélateur de cet état de
choses que le monde profane appelle « mode » et les initiés « cycle ».
Akhenaton et Néfertiti : précurseurs du monothéisme
Si Akhenaton, qui régna sur presque la moitié du monde civilisé,
quatorze siècles avant notre ère, a fait couler beaucoup d’encre, il en va de
même pour sa première épouse, la reine Néfertiti.
Cette représentation d’une beauté de tous les temps nous apparaît
souvent en compagnie du pharaon et de ses filles.
Ce qu’il y a de remarquable, c’est le fait que, pour la première fois, la
reine était représentée coiffée d’une curieuse mitre conique, la distinguant
de toutes les autres reines et faisant d’elle l’équivalent d’une divinité
solaire.
Si l’on veut bien se rappeler le principe « lunaire » ou intuitif de la
femme, par opposition au principe « solaire » ou volontariste de l’homme,
nous sentirons mieux ce qu’il y a d’unique dans le cas historique de la belle
Néfertiti.
Il faut préciser que la reine avait suivi son époux dans la réforme
religieuse entreprise par ce dernier. On a l’impression qu’en étalant sur les
bas-reliefs les scènes de sa vie familiale, contrairement à la coutume, le
pharaon ait voulu mettre l’accent sur la nécessité d’une adoration de sa
famille divinisée.
Ainsi, un autre élément de rénovation religieuse qui se produisit sous ce
pharaon mystique fut, toujours avec quatorze siècles d’avance sur le
christianisme, l’adoration de la trinité familiale (le Saint-Esprit symbolisant
le pôle féminin de la divinité). Dans la religion d’Aton, l’adoration trinitaire
prenait la forme de celle d’un groupe divin représentant le père, la mère et
l’enfant, cette association correspondant bien au sentiment familial profond
des Égyptiens pour lesquels la cellule familiale était le véritable noyau de la
société.
Plus caractéristique de l’importance attribuée à la souveraine est la
présence de Néfertiti dans le culte rendu par ses sujets. Le pharaon étant le
fils d’Aton, la reine participe de la divinité et, comme le couple royal n’a
pas de fils, ce sont leurs trois filles qui apparaissent à ses côtés dans
l’adoration du peuple.
Ces disparités apparentes servent à nous faire comprendre pourquoi
Akhenaton avait fait entrer tous les siens dans le panthéon divin, car, bien
que le pharaon et son épouse aient formé un couple parfait de souverains
régnants, ils n’ont pas eu d’héritier mâle pour compléter leur trinité solaire,
et c’est leur fille aînée, Meryt-Aton, qui prit la place laissée vacante et fut
l’objet d’une vénération particulière avant de remplacer sa mère, à la mort
de celle-ci, dans le cœur du pharaon.
L’histoire de l’Égypte nous apprend qu’une longue tradition, d’essence
solaire, réservait aux hommes le trône d’Égypte24. De nombreuses reines
s’illustrèrent tout au long de cette époque, en tant qu’épouse de pharaon,
mais bien peu ont exercé personnellement une influence déterminante dans
les affaires publiques. A ce sujet, deux reines, dont l’histoire a retenu le
nom, font exception à la règle générale : Hatshepout et Néfertiti. La
première accéda au poste de régente durant la minorité de son beau-fils
Thoutmès III ; bien mieux, elle prit en main totalement la direction des
affaires du royaume et n’hésita pas à porter la barbe rituelle prescrite par
l’étiquette (barbe postiche, évidemment !). L’Égypte nous a conservé de
cette souveraine hors ligne le fameux temple qui porte son nom, à Deir el-
Bahari, rappelant les hauts faits de la reine et les événements marquants de
son règne qui s’étendit sur une vingtaine d’années25.
Pourtant, la physionomie de Néfertiti est bien plus attachante ; outre le
charme qui se dégageait de son corps harmonieux, Néfertiti signifiait : «
avènement de la beauté sur la Terre », et son élévation à un statut quasi
pharaonique ne se retrouve nulle part.
Une représentation de la « barque royale » est parvenue jusqu’à nous,
décorée d’une scène unique dans les annales égyptiennes. Néfertiti y
apparaît coiffée de la haute couronne, saisissant un ennemi par les cheveux
et l’abattant à l’aide d’une massue. C’est sans doute vers cette époque que
Néfertiti, suivant l’exemple de son mari, devait changer son nom en
accolant au sien l’épithète de NEFERNEFEROU-ATON (« juste est la
bonté d’Aton »).
Ce fut vers la douzième année de son règne que Néfertiti devait tomber
en disgrâce, quand sa deuxième fille, la princesse Meket-Aton, mourut et
fut inhumée dans le sanctuaire royal d’El-Amarna où des bas-reliefs nous
restituent la scène, devant la famille en pleurs.
Cette disgrâce est généralement située quelques temps après ce cruel
événement, et l’on peut se demander quelle a été la vie familiale de ces
deux êtres si mal assortis sur le plan physique. L’éloignement de Néfertiti
nous est connu depuis la découverte à El-Amarna de son ancien palais, où
son nom a été effacé au bénéfice de celui de sa fille aînée : Meryt-Aton
(ancienne femme du corégent nommé par le pharaon pour lui succéder).
Meryt-Aton, d’ailleurs, devait suivre de peu sa mère dans la tombe et
leur influence, à toutes deux, fut remplacée par celle de la troisième fille du
pharaon : Ankhes-En-Pa-Aton, qui était devenue la future souveraine en
épousant le successeur officiel de son père : Tout-Ankh-Aton, devenu (ou
redevenu) par la suite Tout-Ankh-Amon quand le clergé d’Amon le fit
revenir au polythéisme abandonné par Akhenaton. Les foules modernes ont
d’ailleurs fait à Tout-Ankh-Amon (ou plus exactement à sa momie) un
accueil enthousiaste qu’il est loin de mériter, car son règne est le plus court
de l’Égypte ancienne.
A la lumière de ce qui précède, nous nous apercevons que la vie
sentimentale du grand prêtre d’Aton ne fut pas des plus fastes. Akhenaton
avait vu mourir successivement le corégent, Smenkh-Ka-Ré26 (peut-être
son frère), deux de ses trois filles, dont une était devenue sa seconde
femme, la reine douairière Tyi, et surtout celle sur laquelle il s’était appuyé
durant douze ans de règne : la belle et mystérieuse Néfertiti, pour imposer
sa religion du disque ; cette religion du disque dont on peut se demander où
Akhenaton était allé chercher l’inspiration.
L’inspiration du disque
Il semble que cette inspiration ait été trouvée dans la tradition qui
rapportait que les « ancêtres » atlantes l’adoraient dans l’île de Routa. En
voici un exemple : les partisans de l’existence d’un continent englouti
affirment que les preuves d’une survivance du rite solaire des « rois-
pontifes » de l’Atlantide doivent être recherchées en Égypte et dans le
Yucatan, dernier endroit où les conquistadores espagnols se sont aventurés
après leur implantation en Amérique centrale. Or, que nous révèlent les
récentes fouilles effectuées dans cette région du globe ?
Tout simplement que, en 1937, au Mexique, plus précisément dans le
Yucatan, fut mis au jour un autel solaire en parfait état de conservation. Cet
autel, situé à Chichen-Itza, porte en effet en son milieu un disque solaire en
mosaïque bleu pâle qui servait de « miroir » au feu sacré que les prêtres y
entretenaient, car on aperçoit nettement des traces de flammes27.
Faut-il dès lors rejeter l’hypothèse de liens entre les connaissances
égyptiennes et mayas ? Nous ne le pensons pas, ramenés que nous sommes
à une période antérieure lointaine qui vit une civilisation historiquement
disparue léguer une somme prodigieuse de connaissances à plusieurs
continents. Seule la notion de « disque solaire », qui prend sa source dans
cette Atlantide si méconnue, correspond admirablement au legs commun
d’un concept civilisateur unique valable pour tous les peuples.
Lorsque Platon, arrivé en Égypte, se rendit à Héliopolis pour y étudier
pendant treize longues années, les prêtres de ce temple lui communiquèrent
des renseignements extraits de leurs archives antédiluviennes, c’est-à-dire
atlantéennes28.
Entre autres informations, les hiérophantes d’Héliopolis lui apprirent
ainsi qu’une immense pyramide se dressait jadis au centre le l’île de
Poséidon (c’est-à-dire Routa) et, raffinement de précision, lui révélèrent que
son sommet comportait une plate-forme destinée à recevoir le disque
solaire.
Les.émigrants qui mirent le cap sur l’Égypte apportèrent avec eux leur
religion et leur goût de la statuaire gigantesque que l’on peut retrouver au
Yucatan, au Mexique et au Pérou. Ainsi en est-il non seulement pour les
pyramides mais aussi pour les statues monumentales qui foisonnent le long
des avenues y conduisant. L’air de parenté ne peut échapper à l’observateur.
Dans cette optique, la position géographique même du sphinx est une
pièce supplémentaire à verser à notre dossier : on constate en effet que sa
face est exactement dirigée vers l’orient, ses yeux fixant le point de
l’horizon où le Soleil apparaît. Dans sa fixité hiératique et muette, que n’a-
t-il observé de ses yeux de pierre ?
- Combien de myriades, tour à tour, a-t-il vues arriver, lui poser du
regard leurs questions toujours vaines, puis s’éloigner, déconcertées. Il vit,
sans broncher, le monde des Atlantes disparaître à jamais, submergé. Son
imperceptible sourire fut témoin de l’entreprise audacieuse d’un Ména, le
premier des pharaons, détournant le cours du Nil chéri des Égyptiens et le
contraignant à occuper un nouveau lit. Son silence empreint de regrets a vu
Moïse, le grave, le taciturne Moïse, le saluer d’un suprême adieu. Toujours
muet, endolori, il contempla les souffrances de son pays ravagé, ruiné après
qu’eût fondu sur l’Égypte l’incursion du cruel Cambyse, empereur persan.
A la fois charmé et méprisant, il vit l’altière Cléopâtre aux boucles soyeuses
descendre d’un vaisseau dont la poupe était d’or, les voiles de pourpre et les
rames d’argent. Il vit avec bonheur le jeune Jésus en route, à la recherche de
la sagesse de l’Orient, étape préparatoire pour l’œuvre fixée à sa mission
publique, l’heure où son père l’enverra délivrer le divin message de
miséricorde et d’amour. Non sans un secret plaisir, il bénit le jeune noble,
aussi brave que généreux et lettré, que fut Saladin, et Saladin, lance dressée
en l’air avec la verte banderole portant l’image du croissant, entreprit la
chevauchée qui devait l’acheminer jusqu’au trône du sultan d’Égypte. Muet
signal avertisseur, le sphinx salua Bonaparte, instrument des destinées
européennes, le nom de Napoléon devant éclipser tous les autres, avant que
le même personnage, morne et sombre, vînt poser le pied sur le
Bellérophon, il vit, le sphinx, non sans quelque mélancolie, l’attention du
monde entier se fixer sur son pays lorsque la tombe d’un de ses fiers
pharaons fut ouverte, livrant à la curiosité moderne la royale momie et ses
nobles atours29.
Oui, les yeux de pierre ont vu ces choses et beaucoup d’autres. Que
voient-ils maintenant ? Dédaignant les humains qui s’usent et s’agitent, en
proie aux labeurs vulgaires et transitoires, indifférents au défilé
interminable des joies et des souffrances… les yeux de pierre, du fond de
leurs vastes orbites, fixent l’éternité… Immuables, à travers les vicissitudes
du temps, ils regardent les commencements du monde, les ténèbres de
l’inconnu30.
Le culte du Soleil
Aton : Dieu unique
La religion du disque nous apparaît comme un monothéisme
impersonnel : aucune représentation d’Aton ne nous est parvenue autrement
que sous la forme du disque solaire dont les rayons, orientés vers le bas,
sont terminés par des mains tenant souvent l’Ankh ou croix égyptienne
(symbole de vie).
Nous voyons dans la représentation de cette divinité une adoration de
l’énergie cosmique, puisque le pharaon Akhenaton se dit « fait » de cette
substance. Cette nature impersonnelle est très différente de la conception
des rois divins des dynasties pharaoniques. Il faut ajouter que cette énergie
cosmique implique une adoration universelle pour tous les peuples, sans
exception ni préférence. Ainsi, des territoires coloniaux comme la Syrie et
la Nubie sont placés avant l’Égypte dans l’Hymne à Aton, nouveau
catéchisme composé par Akhenaton lui-même. C’est assez dire quelle
conception universaliste préside à cette adoration, véritable religion du
cosmos.
Un autre point important est le refus de toute espèce de symbolisme,
pourtant si cher au cœur des Égyptiens. La religion officielle d’Aton ne fait
appel à aucune mythologie, à aucune légende, à aucun miracle. Le jeune
pharaon réformateur met sans cesse l’accent sur le mot vérité et en fait la
pierre angulaire de son système philosophique. C’est le même souci de
vérité qui lui fait changer son nom d’Aménophis IV en celui d’Akhenaton,
au grand déplaisir du clergé d’Amon.
Nous avons déjà remarqué que la fusion d’Amon (alors le dieu le plus
populaire) avec le Soleil : Râ, était déjà chose faite à l’époque qui nous
intéresse. Cependant, malgré cette fusion, les prêtres du vieux culte officiel
étaient toujours demeurés figés dans leur opposition irréductible au
monothéisme. Le polythéisme, ou adoration de plusieurs divinités, étant
coiffé par le clergé d’Amon, celui-ci accumulait prébendes et privilèges. De
son côté, ce n’est pas en faisant d’Amon-Râ la seule divinité de l’Égypte
que le nouveau pharaon pouvait espérer briser ce polythéisme ; il fut ainsi
contraint de procéder par étapes.
Son premier soin fut de transporter sa nouvelle capitale en un lieu
éloigné de Thèbes, baptisé Akhet-Aton (l’actuel site d’El-Amarna) en
hommage à la nouvelle divinité : le Soleil, symbolisé par un disque d’or
pur. Cette ville d’Akhet-Aton se situait à 300 kilomètres au nord de Thèbes,
position qui offrait l’avantage d’être à l’abri des intrigues du clergé d’Amon
tout en gardant un œil sur la puissante métropole religieuse. Dans sa
nouvelle capitale, Akhenaton fit bâtir un ensemble monumental de palais et
de temples pour lui-même et la nouvelle divinité. Ces bâtiments devaient
être d’une singulière beauté, si l’on en juge par les fouilles effectuées voici
un demi-siècle.
Cette nouvelle métropole, rivale de Thèbes, enjambait le Nil, à mi-
chemin du Delta et de l’ancienne capitale. Dans l’éclat de sa magnificence
toute récente, elle surgissait de l’horizon, aussi irréelle qu’un mirage dans le
désert, au terme d’un labeur acharné de quatre ans. Par la suite, d’autres
villes semblables devaient être construites sur ce modèle, l’une en Syrie,
l’autre au Soudan, soit aux deux extrémités de l’Empire égyptien, comme
pour témoigner de l’universalité de la nouvelle mystique religieuse.
Akhenaton, dans la sixième année de son règne, s’installa officiellement
dans sa nouvelle capitale et fit le serment de ne plus jamais en sortir de son
vivant. Le grand temple du culte solaire, véritable Vatican du culte
d’Aton31, centre « mondial » de la nouvelle religion, fut taillé dans les
falaises qui dominaient l’oued. Dans le calme de ce lieu éloigné de
l’agitation bruyante des villes, Akhenaton pouvait, en toute sérénité, se
consacrer à l’adoration mystique de son dieu, renouant ainsi avec la
tradition atlantéenne des rois-pontifes.
A la différence de son père, qui aimait à se retirer pour prier au plus
profond des temples, le jeune souverain sacerdotal célébrait le culte d’Aton
au grand jour, sur un autel de pierre dressé au sommet d’une pyramide ;
mais écoutons plutôt cette description :
- Le roi, montant sur l’autel, en haut de la pyramide, jeta dans le feu une
poignée d’encens. La flamme, jaillissant, pâlit au Soleil ; une fumée d’un
blanc rosé tourbillonna, et, dans les sept cours, la même fumée s’éleva des
365 autels : quelqu’un qui aurait regardé de loin aurait cru qu’il y avait dans
la ville un incendie. Levant lentement les bras au ciel, comme pour offrir
une invisible victime, le roi proclama :
« Tout ce qui est dans ce NOME, de la montagne du lever à la montagne
du coucher — terres, eaux, villages, plantes, bêtes et hommes — tout t’est
offert en sacrifice, à toi, Soleil vivant, Aton : ô Père, que ton règne soit sur
la Terre comme au ciel ! »
La sombre moisson des têtes humaines se courba comme les épis se
courbent sous le vent. Trompettes, flûtes, sistres, luths, psaltérions,
tympanons, kinnars se confondirent en un seul chœur assourdissant avec la
multiple rumeur de la foule.
« Chantez au Seigneur l’hymne nouveau ! Que toute la Terre chante le
Seigneur ! Peuples, rendez au Seigneur gloire et honneur ! Que les deux se
réjouissent et que la Terre triomphe ! Réjouis-toi, Joie du Soleil, fils unique
du Soleil, Akhenaton »32.
Cette description d’une cérémonie solaire n’est pas très éloignée de
l’idée que l’on peut se faire d’une cérémonie maya…. ou atlante. En effet,
le grand temple d’Aton, tel le Soleil trônant au milieu de l’Univers, se
dressait au cœur de la ville, entouré de sept enceintes et de sept cours
comme les sept planètes traditionnelles de notre système solaire et les sept
enceintes de Poséidonis, capitale de l’Atlantide décrite par Platon.
Dans le sanctuaire richement décoré de peintures polychromes et de
statues de rois, devant l’autel de porphyre vert dominant un escalier
monumental, le pharaon « aimé du Soleil », revêtu du costume sacerdotal,
officiait seul, intermédiaire mystique entre la splendeur d’Aton et le
commun des hommes. Trois fois par jour, à l’aube, à midi, au coucher du
Soleil, le roi saluait le glorieux disque d’or qui, tel le Père céleste, envoyait
à son fils spirituel les rayons bienfaisants de son amour universel.
Tout au long de l’année, seulement rythmée par la succession des jours
et des nuits, se déroulaient des cérémonies et des prières en l’honneur
d’Aton. L’encens ne cessait jamais de brûler dans les vasques d’or et l’écho
des chants sacrés berçait le sommeil des époux royaux. Dans le jardin en
forme de croix, symbole du rayonnement de la foi, les essences exotiques
les plus rares se mêlaient à la floraison luxuriante des lotus, des nénuphars
et des tamaris, dans le murmure des bassins d’albâtre où ruisselait une eau
scintillante puisée aux sources natives de la Terre.
Une multitude d’artistes, d’artisans et d’ouvriers, de scribes et de
fonctionnaires vivait dans l’orbite du souverain ou travaillait à embellir les
temples.
Lorsque le roi, fatigué des conseils et du protocole, voulait prendre
quelque repos, il traversait ce parc merveilleux, rempli d’animaux de toutes
espèces : paons, ibis, flamants, gazelles, guépards apprivoisés, et, par l’allée
centrale semée de sable rose, gagnait le petit kiosque à colonnes ornées de
banderoles et d’uraeus, écoutant Néfertiti jouer un air de harpe, alors que
les enfants royaux s’amusaient à ses pieds.
Le voyageur qui, venant du désert, s’approchait de cette oasis de paix
apercevait de loin la ceinture écarlate de brique émaillée constituant
l’enceinte extérieure de la ville, longue de plusieurs kilomètres. Une fois
cette première enceinte franchie, il se trouvait au milieu des riantes maisons
des fonctionnaires royaux, disposant toutes d’un petit jardin et d’une pièce
d’eau. S’il poursuivait sa route en suivant la grande avenue du Soleil, il
arrivait au pied du gigantesque portique donnant accès au palais de son roi,
et, s’il avait de la chance, en pénétrant dans la première cour, il pouvait
contempler la divine silhouette du pharaon, paraissant au balcon de ses
appartements. Mais laissons la parole au grand historien Herman qui nous
conduit à l’intérieur du palais :
- Pour les audiences proprement dites, les grands du royaume étaient
naturellement reçus à l’intérieur du palais, et nous ne risquons pas de nous
tromper en désignant la salle à colonnes, située derrière le balcon, comme
étant la salle de réception du roi. La destination de la seconde pièce,
flanquée de deux chambres latérales, est parfaitement claire : c’est la grande
salle à manger dont le plafond est supporté par des colonnes. Au centre, se
trouve une large table couverte de plats, de corbeilles à fruits et de pains ;
de plus petites tables sont garnies de rôtis et d’autres mets, il y a là aussi des
fleurs et des colliers multicolores, accessoires obligés de tout repas
égyptien. Dans les chambres latérales, sont rangées de longues files de
cruches à vin. De part et d’autre de la table, sont placés deux sièges
rembourrés et, devant ceux-ci, deux escabeaux destinés au roi et à la reine.
Un couloir, attenant à la salle à manger, donne accès aux diverses chambres
à provisions, ainsi qu’à la chambre à coucher du roi ; le vaste lit, garni de
coussins et de couvertures, de même que le chevet, ne laissent aucun doute
sur la destination de cette pièce33.
Il existait de même dans ce palais somptueux de nombreuses salles de
bains, témoin cette inscription retrouvée dans les ruines d’El-Amarna, à la
mémoire du « directeur de la salle de bains de la grande maison ».
C’est dans ce cadre à la fois mystique et grandiose d’Akhet-Aton que
vécut le pharaon réformateur, avant que sa mémoire, ruinée par les prêtres
d’Amon, ne soit maudite par la postérité.
La lutte contre le clergé d’Amon
Hostile au monothéisme solaire, le clergé d’Amon était, par définition,
opposé au pharaon réformateur. De plus, ayant organisé les bases de la
nouvelle religion, Akhenaton entreprit de faire disparaître toute trace des
dieux anciens : il fit marteler les cartouches de hiéroglyphes qui portaient le
nom d’Amon et fit fermer les temples dédiés à ce dieu. Tout cela ne se fit
pas sans mal, comme on peut l’imaginer…
Ces mesures de représailles avaient eu pour origine une tentative de
révolution fomentée par les prêtres d’Amon à Thèbes, ces derniers ne se
consolant pas d’avoir été évincés de la direction des affaires publiques.
La fureur iconoclaste d’Akhenaton s’exerça dès lors contre toutes les
inscriptions qui contenaient le nom abhorré d’Amon : il n’hésita pas à faire
ainsi rouvrir le tombeau de la reine Tyi pour en marteler les cartouches
relatifs à Aménophis III, qui faisaient allusion à ce dieu.
De cette rage de destruction frénétique s’emparant de tout un peuple,
l’écrivain Merejkovsky nous trace un tableau haut en couleurs dans son
ouvrage consacré à l’ « Élu du Soleil » :
… Ils s’approchèrent des portes occidentales du temple d’Amon dont les
plaques d’or rouge, brillant au soleil comme de la braise, portaient trois
mots hiéroglyphiques en bronze mat : «Amon, Grand Esprit ». Le mot
Amon avait été martelé, mais les deux qui restaient n’en contenaient qu’une
louange plus grande pour l’innommé.
Le garde se tenait près des portes fermées et scellées. Des gens
prosternés baisaient la poussière des dalles sacrées et priaient tout bas, car
celui qui prononçait à haute voix le nom d’Amon était saisi et
emprisonné… Ils pénétrèrent dans la cour intérieure où se dressaient des
rangées de colonnes, des faisceaux de tiges de papyrus, si gigantesques
qu’on avait peine à croire que ce fût l’oeuvre de mains humaines : il
semblait que le Grand Esprit lui-même eût entassé ces pierres éternelles en
un hymne muet à soi-même, l’innommé. De la cour, ils passèrent dans une
galerie où une lumière rare filtrait par d’étroites fenêtres touchant au
plafond. La cour était pleine de Soleil, mais là c’était déjà le crépuscule qui
rendait plus colossale encore l’impénétrable forêt des colonnes, toute
imprégnée d’encens, comme une vraie forêt est imprégnée de l’odeur des
résines. Et le calme y était aussi profond que dans une vraie forêt : à peine
entendait-on, quelque part, en haut, de faibles coups comme si des piverts
frappaient le tronc des arbres… Pareils à des araignées dans leurs toiles, des
maçons, dans des claies attachées à de longues cordes, planaient en l’air,
près des murs et des colonnes qu’ils frappaient de leurs marteaux… A
mesure qu’ils s’enfonçaient dans l’intérieur du temple, les murs se
resserraient, les plafonds s’abaissaient, toujours plus sombres, plus
redoutables, plus mystérieux ; enfin ils furent entourés d’une obscurité
presque complète ; seule, au loin, luisait vaguement une veilleuse. C’était le
saint des saints, le Sekhem, petit tabernacle creusé dans un bloc massif de
granit rouge où jadis était cachée derrière des rideaux de lin — les voiles de
la barque sacrée — une statuette en or du dieu Amon, haute d’une coudée.
Maintenant le Sekhem était vide.
Un passage étroit comme une fente conduisait à un autre petit tabernacle
où autrefois était couché sur un lit de pourpre, dans la perpétuelle fumée des
aromates, le grand bouc d’Amon, la bête divine, cœur vivant du temple.
Mais maintenant cette niche-là aussi était vide, et l’on disait que, pour
souiller le lieu saint, on y avait jeté les os d’un chien mort34.
Ces quelques lignes résument suffisamment le caractère implacable de la
lutte qui devait se poursuivre dix ans encore. Tout naturellement, le bas
peuple était dérouté par cette réforme religieuse ; il devenait de plus en plus
perméable aux critiques adressées au pharaon par les prêtres d’Amon qui ne
se consolaient pas de leur misère subite.
Pourtant, ce bas peuple devait rester fidèle à Akhenaton jusqu’à sa mort.
Il faut dire que ce souverain avait fait beaucoup pour lui. On a retrouvé, en
effet, à quelque distance de la capitale, les restes d’une cité ouvrière
modèle, construite pour les travailleurs qui édifiaient les tombes des
dignitaires dans la falaise. Chaque famille disposait, pour son hébergement,
d’une maison de quatre pièces avec jardin. On notera les peintures murales :
preuve de l’existence de loisirs et surtout d’une grande liberté d’esprit.
Quant à la religion, la découverte de statuettes de divinités interdites prouve
la permanence des croyances polythéistes chez les sujets du pharaon, mais
aussi sa tolérance.
Les ruines d’Akhet-Aton nous donnent aussi l’exemple d’un art figuratif
très différent du style conventionnel figé de l’Égypte antique. Car cette
réforme religieuse contre les prêtres d’Amon se doublait d’une révolte
artistique et morale aussi importante et révélatrice de l’état d’esprit de
l’époque : une véritable libération intellectuelle.
Ainsi, aucun souverain égyptien n’aurait autorisé, comme le fit
Akhenaton, son sculpteur officiel à le représenter autrement que dans une
attitude hiératique ou conventionnelle, à plus forte raison dans les gestes et
les attitudes de la vie quotidienne35, en dehors du style traditionnel de la
statuaire égyptienne.36
Il faut donc concevoir que ce fut le pharaon lui-même qui demanda le
rejet des règles classiques et des images idéalisées qui étaient censées le
représenter. Une preuve de cette assertion nous est fournie par le sculpteur
officiel, Bek, déclarant, sur un bas-relief d’Assouan, « qu’il a été enseigné
par le pharaon ».
Ainsi, réformes religieuse, sociale et artistique allaient de pair pour ce
monarque « au-dessus du temps ».
L’exemple même de sa fin ajoute un voile supplémentaire au mystère de
cette personnalité hors du commun.
La fin d’Akhenaton et le retour à l’orthodoxie
Comme tout réformateur, il fallait du temps au « fils d’Aton » pour
accomplir son œuvre et l’installer de façon durable dans l’esprit des
générations futures. Comme il advient souvent en pareil cas, le temps lui fit
défaut.
Il avait reçu pourtant, dans sa lutte contre le clergé officiel, l’appui des
chefs militaires, mais sa politique extérieure devait mettre un terme à cette
alliance de choix.
Bellicistes, comme tout militaire qui se respecte, les chefs de l’armée
étaient de plus en plus inquiets des résultats de la politique pacifiste du
pharaon, qui détachait de l’Égypte ses plus belles colonies du nord-est.
Faut-il croire que le souverain d’Égypte se soit désintéressé de ses
possessions extérieures ? Exemple unique dans l’histoire si l’on veut bien
imaginer que le pharaon ne leva pas le petit doigt pour défendre la Syrie,
grenier à blé de l’Égypte, contre les invasions hittites.
Akhenaton avait, en effet, si l’on en croit les apparences, poussé les
conséquences de sa doctrine de l’amour universel jusqu’à l’extrême limite.
On a retrouvé presque toute la correspondance échangée durant cette
période entre le souverain et les gouverneurs des territoires menacés
d’invasion. Ces tablettes — rédigées en écriture cunéiforme — nous
renseignent sur l’état d’esprit des alliés du pharaon, qui demandent sans
cesse des secours à la métropole pour faire face aux invasions hittites.
Il y a peut-être une autre explication, outre le fait que le pharaon
Akhenaton répugnait à l’emploi de la force : nous connaissons maintenant
son origine mitanienne. Or, les Hittites dont les armées menaçaient les
colonies égyptiennes, étaient un peuple frère, très proche des Mitaniens. Il
est probable qu’Aménophis IV éprouvait un sentiment de rejet
insurmontable à l’idée de combattre ses frères de race, d’où son attitude
passive en la circonstance, alors qu’il aurait pu aisément envoyer des
renforts et repousser les envahisseurs. Tous ces territoires, situés au nord-est
de l’Égypte (Proche-Orient actuel), furent perdus.
L’écrivain russe Merejkovsky place dans la bouche du pharaon ce
testament spirituel que ne renieraient pas, en 1970, les tenants du Flower
Power :
- Le plus grand roi d’Égypte est Amenemkhet, qui fit écrire sur son
tombeau : Sous mon règne les hommes vécurent en paix et en grâce. Sous
mon règne les arcs et les glaives restèrent oisifs. Dieu se réjouit en entrant
dans la bataille et en voyant le sang, dit l’inscription triomphale du roi
Touthmès III le Conquérant, en invoquant le dieu Amon. AMON EST LE
DIEU DE LA GUERRE, ATON LE DIEU DE LA PAIX. Il faut choisir
entre eux, j’ai choisi.
Il y aura la guerre tant qu’il y aura beaucoup de peuples et beaucoup de
dieux ; mais lorsqu’il n’y aura plus qu’un seul Dieu, qu’un seul peuple, ce
sera la paix37.
Ce ne fut que vers la fin de son règne, qui apparaît comme confuse, que
des troubles paraissent s’être déclenchés ; mais il était déjà trop tard ; le
pharaon « ivre de Dieu » mourut dans la dix-septième année de son
« pontificat ».
Il appartenait à l’armée, qui avait rendu possible cette rupture avec la
« tradition », de ramener le pays dans la voie de l’orthodoxie. Les prêtres
d’Amon reprenaient leur revanche et effacèrent jusqu’au nom sacré du
pharaon « hérétique ». Les fonctionnaires de la cour quittèrent la jeune
capitale pour suivre le nouveau souverain Tout Ankh Aton — lequel devait
bientôt changer son nom en Tout Ankh Amon — à Memphis. La ville d’El-
Amarna, singulier retour des choses, fut livrée à la furie iconoclaste des
sectaires d’Amon.

Après la mort prématurée de Tout Ankh Amon38 ce fut la fin de la


XVIIIe dynastie et le début de celle des Ramessides qui commencèrent à
faire disparaître toute trace de ce « criminel d’Akhet-Aton » (car il était
désormais interdit de prononcer le nom maudit d’« Akhenaton », afin que sa
mémoire tombe à jamais dans l’oubli). Le nom du pharaon fut
soigneusement martelé partout où les regards des hommes pouvaient se
porter, et les listes des pharaons ayant régné sur l’Égypte furent falsifiées de
façon à en exclure l’exécrable Aménophis IV. Les bâtiments d’El-Amarna
furent rasés jusqu’au sol et les pierres récupérées furent utilisées pour
établir les fondations des temples d’Hermopolis que Ramsès II fit construire
sur la rive opposée du Nil.
Mais qu’était-il advenu de la momie du pharaon hérétique ? Akhenaton
laissait une cour bouleversée qui dut l’enterrer dans le tombeau qu’il s’était
fait construire à El-Amarna, à l’est de cette « Ville de l’horizon d’Aton ».
Son sarcophage était bien plus somptueux que celui de son successeur,
découvert en 1922 : s’il faut en croire les chroniques de l’époque, son corps,
enveloppé d’or, fut placé dans un magnifique sarcophage plaqué lui-même
d’or pur sur le couvercle duquel on pouvait lire :
Le Beau Prince, l’Élu du Soleil, roi de la Haute- et de la Basse-Égypte,
vivant dans la VÉRITÉ, maître du double pays, Akhenaton, le bel enfant du
vivant ATON, dont le nom demeurera à jamais.
Une courte prière fut encore déposée au pied du cercueil et en appelait
au Dieu-Soleil ; elle se terminait par ces mots :
Appelle-moi par mon Nom jusqu’à l’éternité et je ne manquerai jamais
de répondre…
Quand la cour revint s’installer à Thèbes, on ramena le corps du pharaon
défunt, et, si l’on doit en croire l’historien Arthur Weigall, il rejoignit ses
ancêtres dans la Vallée des rois.
A la mort du dernier représentant de la XVIIIe dynastie, soit en 1341 av.
J.-C., le commandant en chef de l’armée, Horemheb, s’empara du pouvoir.
Il régularisa son accession au trône en épousant la sœur de Néfertiti :
Nedjemmout…
Mais, au cours de ce règne, les fidèles d’Aton, qui s’étaient regroupés,
furent taxés d’« hérésie » et leurs temples détruits. Enfin, on rouvrit le
tombeau d’Akhenaton où reposait sa momie… et celle-ci disparut.
Or, en 1907, l’archéologue Davis trouva une tombe (aujourd’hui
cataloguée sous le n° 55) de dimensions tout à fait modestes : cette
sépulture avait manifestement été violée et son contenu profané, les noms et
qualités du défunt avaient été grattés partout où ils se trouvaient inscrits sur
les objets constituant le mobilier funéraire. Dans un sarcophage en bois
pourri gisaient les pauvres restes d’une momie putréfiée. Aussitôt, les
suppositions allèrent bon train et certains n’hésitèrent pas à affirmer qu’il
s’agissait bien là du corps du « pharaon maudit », Akhenaton, dont on avait
perdu la trace.
La momie royale, après sa disgrâce posthume, avait-elle été retirée de
son sarcophage somptueux pour être reléguée dans une obscure sépulture ?
De nombreuses explications ont été données à ce sujet, bien qu’aucune
ne soit décisive. On a même affirmé que le corps d’Akhenaton était toujours
dans la Vallée des rois, quelque part…

Il paraît pourtant plus réaliste de croire que — châtiment suprême39 —


le corps du « pharaon maudit » fut exhumé de sa tombe et brûlé par les
prêtres d’Amon. A l’appui de cette thèse, nous allons fournir quelques
précisions.
Les anciens Égyptiens connaissaient très bien les différentes techniques
de la « magie noire », tel l’envoûtement, et pratiquaient les passes
magnétiques dont ils chargeaient littéralement les défunts lors de leur
embaumement. De la même manière, les différents objets qui remplissaient
les tombes étaient également chargés de magnétisme — les personnes qui
possèdent des amulettes ou talismans anciens nous comprendront. De là est
née d’ailleurs la fameuse malédiction des pharaons dont on a tant parlé à
propos de la découverte de Tout Ankh Amon et des morts « mystérieuses »
qui ont frappé ses découvreurs.
Il semble que ce procédé « magique » trouve une confirmation dans
l’ouvrage de Paul Brunton : L’Egypte secrète, lorsque cet auteur rapporte
l’entretien qu’il eut dans les ruines du temple de Louxor avec un « adepte »
de la « Fraternité d’Héliopolis. » Voici ce que ce dernier lui aurait déclaré,
en 1937 :
- Ceux qui ouvrirent les tombes de l’ancienne Égypte ont libéré sur le
monde des forces dangereuses pour lui. Les archéologues, aussi bien que les
pillards de jadis, ont involontairement mis au jour les tombes de gens qui
s’adonnaient à la magie noire. Car, dans la dernière période de l’histoire de
l’Égypte, les gens instruits, le clergé, avaient grandement dégénéré ; on
pratiquait communément la sorcellerie et les arts occultes. Lorsque la pure
lumière de la vérité, primitivement répandue dans la religion égyptienne
authentique, se mit à s’assombrir et que les ombres malfaisantes de
doctrines fausses, matérialistes, s’y substituèrent de plus en plus, on vit
apparaître la fabrication des momies, avec tous les rituels compliqués qui
l’accompagnaient. Toutefois, au-dessous des enseignements pervertis,
décevants et de mauvais aloi qui avaient inspiré cette pratique, il subsistait
une secrète préoccupation, l’effort en vue de conserver un lien durable avec
le monde physique, au moyen de l’embaumement du cadavre.
Cette pratique, à l’origine, n’avait été appliquée qu’aux rois-adeptes de
l’âge d’or de la Préhistoire égyptienne et aux grands prêtres spirituellement
avancés, vrais messagers de Dieu, afin que leur corps matériel, imprégné de
leur saint pouvoir, pût continuer à exister et à servir de foyer d’où ce
pouvoir rayonnât sur le monde…
Ces dernières lignes de l’adepte d’Héliopolis nous font immédiatement
penser à Akhenaton et, comme pour nous le confirmer, cet étrange « initié »
poursuit :
… Toute ouverture d’une ancienne tombe égyptienne peut vous mettre
en rapport avec d’invisibles forces de nature dangereuse. Même s’il s’agit
de la tombe d’un roi dont l’âme était bonne et qui possédait des pouvoirs
développés, il se peut que le monde ait à en souffrir, et soit ainsi puni
d’avoir troublé la sépulture d’une âme d’élite… Le roi Tout Ankh Amon,
par exemple, fut tel. Il possédait une grande connaissance occulte et une
âme spirituelle. L’ouverture de sa tombe a fait souffrir ceux qui l’opérèrent,
ainsi que, par des voies indéfinissables, le monde, au loin. Pendant les
prochaines années, le monde souffrira encore et paiera le prix de semblables
profanations des morts de l’Égypte ; cependant, ces troubles matériels
aboutiront à un avantage spirituel…
Si Tout Ankh Amon était un souverain doté de connaissances occultes,
que faut-il alors penser d’Akhenaton ? Nous préférons, pour notre part,
laisser au lecteur le soin de conclure et d’imaginer quel a été le premier soin
des prêtres d’Amon qui connaissaient l’emplacement du tombeau du
pharaon défunt. Il est presque de notoriété publique, et Brunton confirme
cela, que le clergé d’Amon sombra dans la magie noire dans les derniers
temps de l’Égypte pharaonique, à l’exception d’une poignée d’initiés, et
que son enseignement se pervertit au point que le peuple lui-même, ayant
perdu tout sens du sacré, se mit à piller les tombes ! Arrivés à ce point de
réflexion, on comprend mieux les raisons qui poussèrent Akhenaton à
réaliser sa grande réforme religieuse qui, tel un grain de sénevé, allait
germer dans le monde entier et donner naissance au monothéisme
hébraïque, puis à la religion chrétienne.
Akhenaton : le pharaon initié
Le précurseur du christianisme
Selon certains égyptologues, tel Arthur Weigall, l’exode des juifs hors
d’Égypte se situerait sous Tout Ankh Amon, soit vers 1346 av. J.-C. Selon
Eusèbe, Manéthon affirmait que l’un des chefs du parti hébreu sous
Akhenaton était Moïse. Cette affirmation, qui se trouve dans le Contra
Apion de l’historien juif Flavius Josèphe, prend un relief considérable si
l’on veut bien se rappeler l’état de désorganisation politique dans lequel se
trouvait l’Égypte à la mort du « pharaon mystique ».
Cette princesse égyptienne dont parle l’Exode (dans la Bible) serait-elle
Néfertiti ? Relisons le passage biblique :
- Or, la fille de Pharaon descendit au fleuve pour se laver, et ses filles se
promenaient sur le bord du fleuve ; et ayant vu le coffret au milieu des
roseaux, elle envoya une de ses filles pour le prendre. Et l’ayant ouvert, elle
vit l’enfant ; et voici, l’enfant pleurait. Elle en fut touchée de compassion, et
elle dit : « C’est un des enfants des Hébreux. » Alors la sœur de l’enfant dit
à la fille de Pharaon : « Irai-je appeler une nourrice d’entre les femmes des
Hébreux, et elle t’allaitera cet l’enfant ? » Et la fille de Pharaon lui
répondit : « Va. » Et la jeune fille s’en alla, et appela la mère de l’enfant. Et
la fille de Pharaon lui dit : « Emporte cet enfant, et me l’allaite et je te
donnerai ton salaire », et la femme prit l’enfant et l’allaita.
Et quand l’enfant fut devenu grand, elle l’amena à la fille de Pharaon,
qui l’adopta pour son fils ; et elle le nomma Moïse, « parce que, dit-elle, je
l’ai tiré des eaux »40.
Ce récit, où la légende se mêle à l’histoire, fait abstraction des sources
selon lesquelles Moïse aurait eu du sang égyptien dans les veines (ce qui est
la version la plus communément admise aujourd’hui) : ne parle-t-on pas de
lui comme d’un « prince égyptien » et, surtout, le Nouveau Testament ne
révèle-t-il pas qu’il eût accès aux mystères ? « Moïse fut instruit dans toute
la sagesse des Égyptiens », est-il écrit. Cette phrase ne peut signifier autre
chose que la connaissance communiquée par les mystères. La dévoilait-on
au premier étranger venu, serait-il le fils adoptif du pharaon? Nous ne le
pensons pas.
Bien plus, le Nouveau Testament nous confirme cette initiation en
déclarant que l’enseignement communiqué par Moïse était inspiré de
l’ésotérisme égyptien : « Moïse couvrait son visage d’un voile » et, dans la
deuxième épître aux Corinthiens, saint Paul écrit : « Jusqu’à ce jour, le
même voile demeure sur la lecture de l’Ancien Testament… »
Ce voile, qui a un rapport certain avec le fameux « voile d’Isis » ou, si
l’on préfère, avec la connaissance « voilée »41 n’était autre que le sens
sacré des hiéroglyphes, ou « troisième sens », si l’on préfère. Donnons un
exemple : supposons le décryptage de l’hiéroglyphe signifiant « bélier » ;
une fois ce travail fait, il faudra encore faire le rapprochement avec le culte
d’Amon dont le bélier est le symbole central ; il faudra enfin découvrir le
sens spirituel sacré de ce graphisme, autrement dit le « troisième sens ». Il
s’agit là d’un immense travail !
Moïse n’a pas dû procéder autrement dans sa rédaction du Pentateuque :
celui-ci n’a-t-il pas été rédigé en hiéroglyphes égyptiens ? Le temps passa et
les israélites fixés en Palestine perdirent le sens des signes sacrés. Les écrits
de Moïse ne furent transcrits en hébreu que mille ans après l’Exode, et
quand on sait que les Égyptiens du IVe siècle de notre ère avaient eux-
mêmes perdu le sens de leurs caractères sacrés, on réalise la masse d’erreurs
que les Hébreux durent commettre en s’essayant à cet art.
L’initiation égyptienne que reçut Moïse dans le grand temple
d’Héliopolis comportait plusieurs degrés. Sans nul doute, le patriarche fut
initié aux derniers mystères sous le règne d’Akhenaton, ainsi que cela
apparaît clairement aux yeux du chercheur42.
Il suffit de comparer le Psaume 104 de la Bible avec l’Hymne d’Aton,
qui lui est antérieur, pour en être convaincu :
Psaume 104
Mon âme, bénis l’Éternel !
O ! Éternel, mon Dieu ! Tu es si grand !
Tu es revêtu de majesté et de magnificence !
Tu t’enveloppes de lumière comme d’un vêtement.
Tu étends les deux comme un pavillon.
Tu lambrisses tes chambres hautes entre les eaux…
Tu fais des vents tes messagers…
Tu as fondé la Terre…
Tu l’avais couverte de l’abîme
Et les eaux se tenaient sur les montagnes.
Les eaux s’enfuirent à ta menace…
Les montagnes se dressèrent
Et les vallées s’abaissèrent…
Tu leur as mis une borne qu’elles ne passeront point…
Tu conduis les fontaines par les vallées.
Elles abreuvent les bêtes des champs…
Les oiseaux des deux y habitent…
Tu arroses les montagnes et la terre est rassasiée.
Tu fais germer le foin pour le bétail
Et l’herbe pour le service des hommes…
Et le vin qui fortifie le cœur de l’homme…
Les arbres les plus hauts,
Les cèdres du Liban sont rassasiés.
Afin que les oiseaux y fassent leurs nids…
Les hautes montagnes sont pour le chamois…
Tu as fait la Lune pour marquer les temps
Et le Soleil connaît son coucher.
Tu amènes les ténèbres…
Les lionceaux rugissent après la proie
Et pour demander aux dieux forts leur pâture.
Le soleil se lève-t-il : ils se retirent…
Alors l’homme sort à son ouvrage
Et à son travail jusqu’au soir.
O! Éternel! Que tes œuvres sont en grand nombre !
Tu les as toutes faites avec sagesse,
La Terre est pleine de tes richesses.
Hymne à Aton
Tu apparais merveilleux à l’horizon du ciel,
Toi, Aton vivant, commencement de la vie !
Une fois que tu t’es levé au-dessus de l’horizon oriental,
Tu as conféré ta beauté à tous les pays.
Tu es gracieux, grand, brillant et haut au-dessus des pays ;
Tes rayons atteignent les terres situées à la limite de tout ce que tu as
créé.
Bien que tu sois loin, tes rayons sont sur terre,
Bien que tu sois en vue des hommes,
aucun d’eux ne connaît tes voies.
Lorsque tu disparais à l’horizon occidental,
Le pays est dans l’obscurité et semble comme mort…
Les lions sortent de leur antre…
L’obscurité est comme un linceul et la terre est silencieuse…
A l’aube lorsque tu te lèves à l’horizon…
Tu chasses l’obscurité et donnes tes rayons…
Les hommes font leur travail.
Toutes les bêtes sont heureuses sur leurs pâturages ; Arbres et plantes
sont florissants,
Les oiseaux qui s’envolent de leurs nids…
Tous les animaux sautent sur leurs pieds.
Tout ce qui vole et se pose…
O ! Dieu unique, semblable à nul autre !
Tu créas le monde selon ton désir,
Alors que Tu étais seul…
Combien efficaces sont tes plans, ô ! Seigneur d’éternité…
Tu es dans mon cœur,
Et là, il n’y a personne d’autre qui te connaisse…
Nous arrêtons là ces deux poèmes sacrés, dont le rapprochement est pour
le moins troublant, en laissant le lecteur juge de l’identité du contenu et de
la forme d’expression. Dans le texte du psalmiste, c’est la Lune, chère aux
peuples sémites, qui joue le rôle principal, alors que dans le texte (écrit par
Akhenaton lui-même) égyptien ce rôle est dévolu au Soleil.
Précurseur du christianisme, par le biais de la religion hébraïque,
Akhenaton devait être, sans contestation possible, le précurseur du
« paganisme solaire ».
Le précurseur du paganisme solaire
Avec la disparition du « roi ivre de Dieu », le rôle de réceptacle de
l’initiation solaire attribué à l’Égypte était terminé, sauf en ce qui concerne
le petit noyau d’adeptes groupés dans la « Fraternité d’Héliopolis » dont la
tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours.
Manethon fut en effet chargé, en tant que grand prêtre d’Héliopolis, de
rédiger l’Histoire complète de l’Égypte, car les temps approchaient qui
verraient l’oubli et la profanation…
C’est toujours à Héliopolis que vinrent Solon et Pythagore, ce dernier
avant de fonder à Crotone (Sicile) une loge initiatique se réclamant de la
tradition primordiale.
C’est encore Salomon qui, tout en poursuivant l’héritage de Moïse, vint
à son tour recevoir l’illumination et la légua à son peuple en copiant son
fameux temple sur le modèle du temple d’El-Amarna, c’est-à-dire en forme
de croix, en y faisant entrer le symbole solaire sous l’aspect du disque.
A partir de Salomon, le paganisme solaire, qui s’est développé
indépendamment de la religion hébraïque, va connaître une impulsion
décisive.
Véhiculé par les tribus aryennes qui déferlent de l’État du Mitanni, ce
paganisme solaire va conquérir droit de cité en Perse, en Médie, en Scythie,
chez les ressortissants de la steppe de l’époque postérieure à celle des
Hyksos.
L’écrivain britannique Huart décrit ainsi le culte du Feu, dérivé du
Soleil, chez ces différents peuples :
… Ahura-Mazda, le dieu suprême des Iraniens, c’est le Soleil symbolisé
par le Feu ; il n’a, il ne peut avoir d’image. Dans les sanctuaires des
mages… les noms que portaient les feux sacrés des Mèdes attestent le triple
aspect de la religion de la steppe (Soleil, Feu, Cheval). Sous les Sassanides
(224-728), on adorait un feu de la maison, un feu du clan, un feu du canton ;
les feux des trois sanctuaires étaient considérés comme protecteurs des trois
castes, le plus célèbre, celui des prêtres, se trouvait en Chorasmie…
Plus tard, ce seront les mystères grecs qui prendront le relais avant
d’aboutir au culte de Mithra, solaire dans son essence.
Puis, la colonie d’Héliopolis du Liban (Baal’Beck) édifiera un temple à
la requête du dieu-Soleil, transmise par le biais d’un oracle, sous Septime
Sévère ; ce même Septime Sévère qui fit un voyage sur le Nil et entendit «
chanter » la célèbre statue d’Aménophis III quand la frappèrent les rayons
du soleil levant.
C’est sous le règne de cet empereur romain que les deux courants du
mysticisme solaire se rejoignirent, car, pour la première fois, un Sémite était
devenu le maître de Rome.
Ces deux courants se divisèrent à nouveau avec le triomphe du
christianisme qui entraîna un grand bouleversement des idées et des
hommes. Julien, l’empereur illyrien, tenta de barrer la route au
christianisme, dans un suprême effort, en renouant avec la mystique solaire,
mais son œuvre ne survécut pas à sa mort.
On assiste alors à un repli général du paganisme et cette « mystique »
s’occulte presque complètement. Notons cependant que c’est d’Égypte que
prit son essor l’École néoplatonicienne de Plotin présente dans la ville
d’Alexandrie.
Au milieu de l’océan bouillonnant des luttes idéologiques, des phares
balaient l’écume des événements : c’est d’abord Alexandre qui se fait sacrer
pharaon, dans ce même pays où se rendit Napoléon, après qu’il eût reçu
l’initiation maçonnique à la loge égyptienne d’Hermès en Italie.
Comme par hasard, c’est ce même pays qui vit passer un von
Sebottendorf et naître un Rudolf Hess. On peut supposer que les
connaissances accumulées dans ce pays ne furent pas perdues pour tout le
monde. On se rendra mieux compte de cette attirance pour l’Orient cher au
cœur des « initiés » nazis en relisant l’ouvrage de Sebottendorf traitant de
« l’exposé du rituel, de la doctrine et des signes de reconnaissance de la F.-.
M. orientale » (livre paru en 1924 à Leipzig). Pour ces mêmes personnes,
Moïse aurait profité de la bonté d’Akhenaton pour piller sans vergogne
l’enseignement ésotérique des temples égyptiens, bâtir son « idole »
nationale : Yahveh, et conduire l’Occident à la décadence.43
Mais, arrivés au terme de notre étude sur Akhenaton, une question
viendra naturellement à l’esprit : comment de tels secrets ont-ils pu, à
trente-cinq siècles de distance, parvenir jusqu’à certains groupes occultes
qu’il vaut mieux ne pas nommer ?
C’est ici qu’interviennent les « sociétés secrètes », gardiennes d’un
« dépôt sacré », et dont nous devons pour finir faire état.
Akhenaton, le précurseur des sociétés secrètes
L’audace d’Akhenaton, qui fait de lui un pharaon d’exception, ne
pouvait manquer d’attirer sur son règne les feux des « projecteurs »
initiatiques. En effet, l’examen des sociétés initiatiques contemporaines
nous révèle que ces groupements, au demeurant fort discrets sur leurs
travaux, se réclament tous, peu ou prou, de l’initiation solaire dont ce
pharaon fut l’instaurateur ou le restaurateur. Toutes se réfèrent en effet à
l’existence d’une « Grande Fraternité blanche » (encore appelée « Grande
Loge blanche »), petit groupe existant depuis des temps immémoriaux et
dont les membres ont pour mission de guider la race humaine dans la voie
du perfectionnement moral.
La seule société initiatique qui nous donne quelques détails sur la
composition et l’origine de cette grande loge d’initiés supérieurs est l’ordre
rosicrucien A.M.O.R.C.44. Mais écoutons plutôt :
Les documents écrits permettent de remonter les généalogies de la
Grande Fraternité jusqu’à la création du Nouvel Empire thébain avec la
XVIIIe dynastie (1580-1321). Il va sans dire que les empires et les
dynasties précédents ne furent pas pour autant privées d’instructeurs…
Mais c’est historiquement avec Amosis Ier, fondateur de la XVIIIe
dynastie, que nous voyons s’établir, pour les esprits cultivés de l’Empire,
des classes de sciences secrètes qui se tenaient dans les appartements privés
du pharaon. Les élèves devenant de plus en plus sélectionnés, les
enseignements plus profonds et les discussions plus dialectiques, ces classes
finirent par se transformer en une société secrète autocratique. Ainsi furent
posées les bases de ce qui deviendra la « Grande Fraternité blanche »…
Et l’auteur, qui a dû être autorisé par ses supérieurs à en dire plus, nous
apprend :
Aménophis III fit construire le temple de Louqsor pour la Fraternité et
eut un fils, Aménophis IV, plus connu sous le nom qu’il prit : Akhenaton,
qui fut créé grand maître, par décret du Conseil, le 9 avril 1365, dans ce
temple. Lorsqu’il quitta Thèbes pour El- Amarna, il y fit construire pour la
Fraternité le premier grand temple connu en forme de croix ainsi que des
maisons pour loger les membres : 283 frères et 62 sœurs… Ce fut
Akhenaton qui choisit, dit-on, (ou retrouva), le symbole de la rose et de la
croix45.
Après ce luxe de précisions, Jacques Duchaussoy précise enfin que les
documents historiques dont ces lignes sont inspirées se trouvent au musée
rosicrucien de San Diego, en Californie, siège et dépôt des archives de la R
+ C « A.M.O.R.C.46 ».
Nous voyons, par ce seul exemple, quelle importance représente ce
pharaon pour certains traditionalistes, puisqu’ils n’hésitent pas à le placer
en tête de leurs maîtres spirituels. Ajoutons qu’il en va de même pour
certaines branches, ou plus exactement certaines obédiences de la franc-
maçonnerie mondiale, qui font partir leur initiation « solaire » de l’Égypte
ancienne47 (par opposition avec la franc-maçonnerie française qui, dans
son ensemble, prend pour point de départ le christianisme ou la tradition
hébraïque).
L’obédience maçonnique mixte du « Droit humain » quant à elle, fait
remonter sa filiation à l’Égypte pharaonique et, plus précisément encore, à
Akhenaton, « lumière solaire » par excellence.
Nous avons évoqué, il y a un instant, le cas des sociétés initiatiques
hitlériennes et nous pensons plus particulièrement à elles à travers un
ouvrage paru en 1958 sous la signature de Savitri Devi et publié à Calcutta
sous le titre : The Lightning and the Sun. Dans ce curieux ouvrage, l’auteur
dresse un parallèle admiratif entre Genghis khan, Akhenaton et Hitler en les
qualifiant « d’hommes contre le temps » et de dépositaires d’un « antique
savoir ». Contentons-nous de rappeler que le « groupe Thulé », qui appuya
Hitler jusqu’à la prise du pouvoir par les nazis en 1933, était lui-même très
lié à la « Golden Dawn » britannique, déviation raciste de la Rose + Croix
dont le mage noir, Aleister Crowley, s’affirmait le « prédécesseur d’Adolf
Hitler » !
Les autres personnages de notre « Heptade » se réclamant aussi de
l’initiation égyptienne sont Frédéric II de Hohenstaufen (par le biais
musulman et templier) et Julien, dit l’Apostat, par le culte mithriaque,
confluent de plusieurs traditions.
Il est temps maintenant de se pencher sur le destin de celui qui fut appelé
à relayer cette tradition dans notre hémisphère : Zoroastre, père de la
religion aryenne, apôtre du Feu et de la Mystique solaire, dont les derniers
représentants officiels sont aujourd’hui les Parsis de l’Inde et leurs « tours
du silence ».
Le sourire énigmatique du Pharaon Akhenaton (photo Hassia)

1. Cet auteur a écrit ainsi Mission de l’Inde, Mission des juifs, Mission des souverains, etc. Par
contre, il n’a jamais écrit « Mission de l’Égypte », et c’est fort dommage.

2. Paul Le Cour : Dieu et les dieux, Dervy éd., Paris, 1951, p. 37.
3. N’oublions pas que, avant le basculement de la Terre sur son axe, le pôle du froid gisait près de
Paris, si l’on en croit du moins certaines théories.

4. Les deux ailes symbolisent le dualisme du démiurge et celui de notre personnage suivant :
Zoroastre. On retrouve ce dualisme sous le nom de manichéisme (bien-mal, lumière- ténèbres) chez
les Cathares… Pour les Celtes, on se souvient des temples solaires de Glastonbury et de Stonehenge.

5. Paul Le Cour : op. cit., p. 114-115. Se rappeler, au sujet du christianisme, que l’hostie, principe
lumineux, se transforme, quand elle est élevée au-dessus du calice, en principe solaire.

6. Par « sciences naturelles », nous entendons géologie, biologie et physique du globe : pour la
géologie, ce sont les derniers effondrements de terrain que l’on situe au Quaternaire (apparition de
l’homme sur la Terre selon la science officielle) ; pour la physique du globe, c’est la présence d’un
vaste plateau sous-marin séparé des anciens rivages par des fosses de plus de six mille mètres de
profondeur ; pour la biologie, c’est la preuve de l’existence de « ponts » à travers l’Atlantique,
existence confirmée par les nombreuses similitudes constatées dans la flore et la faune des deux côtés
de l’Atlantique. Bien entendu, on peut y ajouter d’autres faits, tels que : légendes et cosmogonies
communes, symboles identiques de part et d’autre de cet océan, etc.

7. Cette pratique de l’ « endogamie » est fermement établie, aujourd’hui encore, chez les Bohémiens,
dans le dessein d’acquérir une « seconde vue ». Héritier du « sang commun » de la tribu, le
descendant se considère comme la « réincarnation » de ses ancêtres. Il en est de même dans la
religion hébraïque ; l’affirmation de la Bible selon laquelle les patriarches vécurent des siècles
s’explique naturellement si l’on veut bien admettre qu’ils vécurent dans la « conscience » de leurs
descendants. Ceux-ci pourraient ainsi « voir » tous les événements des vies passées de leur famille.
Dans cette optique, un David est aussi le « fils d’Abraham », un Joseph, le « fils de David ».
Remarquons la démarche inverse des « progressistes » qui voient dans le mélange des sangs une
manière d’ouvrir la voie à l’humanitarisme. Mais n’aboutira-t-on pas de la sorte à la création de
nouvelles races, tout simplement !

8. Marcelle Weissen-Szumlanska, Les Hommes rouges, Adyar, Paris, 1952, p. 267. On trouve dans la
Bible une allusion à ce rite de l’ocre rouge : c’est l’ « argile rouge » dont l’homme a été « pétri ». Il
est à remarquer, et ceci a son importance, que les Hymrites fondèrent Tyr : les Grecs traduisirent par
« Phéniciens », ce qui signifie « hommes rouges », le nom de ce peuple. De même, plus tard, le
philosophe Malk, élève de Plotin, prendra le nom de Porphyre (en français : pourpre). Nous
retrouvons encore cette couleur, symbole de l’initiation solaire, dans le chapitre que nous consacrons
à Napoléon, avec « l’Homme rouge des Tuileries ». Signalons enfin que les hauts grades de la F.M.
sont dits « rouges ».

9. Platon, Le Banquet, XIV, XV, et, en particulier, 189 C et 190 C.

10. Les jansénistes seuls, au XVIIe s., ont pressenti cette dangereuse facilité intellectuelle et les périls
qu’elle faisait courir à la foi. « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde ; il ne faut pas dormir
pendant ce temps-là », a écrit Blaise Pascal.

11. En grec, Héliopolis signifie : « ville du Soleil », cette dénomination ayant remplacé, à l’époque
hellénistique, l’ancien nom égyptien qui avait le même sens.

12. Z. Mayani, Les Hyksos et le monde de la Bible, Payot, 1956, pp. 12 et 13.
13. Pr. Skazkin, Livre des lectures sur l’histoire du Moyen Age, Moscou, 1940.

14. Vase à boire en forme d’animal (cheval, bélier, mouflon).

15. Comme celui d’Héliopolis.

16. Z. Mayani : op. cit., pp. 129 ssq

17. Un autre fait majeur induit par le culte d’Amon : l’embaumement de tous les defunts, considéré
comme essentiel à la survie de l’âme après la mort dans la religion adoptée par le clergé d’Amon
après la première révolution antidynastique contemporaine de l’Ancien Empire (jusque là, seuls les
Pharaons et les membres de la famille royale étaient embaumés alors que les autres sujets étaient
incinérés). Cet embaumement devint superflu dans la perspective d’un culte monothéiste où Osiris
(Dieu des morts) perd sa place de psychopompe, entraînant des perspectives incalculables.

18. Les traditions rapportent que, après le déluge, les Indo-Aryens se réfugièrent dans les montagnes
de l’Asie centrale et de l’Iran. Il est révélateur que l’on retrouve les mêmes indices céphaliques et les
mêmes déformations crâniennes sur les squelettes de l’âge de fer découverts dans le Caucase (voir E.
Chantre, Recherches dans le Caucase, 1885, t. 2, pp. 110-112). A rapprocher des momies Guanches
des Canaries.

19. Daniel-Rops, le Roi ivre de Dieu, éd. Le Roux, Paris, 1951, p. 10.

20. D. Merejkovsky, Akhenaton, Calmann-Lévy, Paris, p. 62.

21. Max Heindel, Cosmogonie des Rose + Croix, 6e édition, JEP, Paris, 1959, pp. 298 et 299.

22. Se rapporter à la fameuse statuette des rites templiers : le Baphomet-Androgyne, symbole de la


bisexualité et, sans doute, de l’état originaire de notre espèce.

23. Marcelle Weissen-Szumlanska, Origines atlantiques des anciens Égyptiens, Omnium littéraire,
Paris, 1965, pp. 111 et 112.

24. L’application de ce « principe solaire » aux souverains régnants est également une caractéristique
des royaumes d’origine celte comme la France. Dans ce pays, en effet, les femmes furent écartées du
trône en arguant de la fameuse phrase (découverte par hasard !) de la Bible selon laquelle « les lis ne
filent point » phrase dans laquelle on a vu une allusion aux quenouilles féminines et aux lis de la
maison de France. En quoi, souvent, les textes ne sont que des prétextes.

25. Pour donner une idée de ce record de longévité politique, il faut préciser que Thoutmès III devait
être par la suite le Napoléon de son empire : c’est à lui en effet que l’Égypte est redevable de ses
conquêtes territoriales. Il faut ajouter que, à la mort de la régente, qui était en même temps sa tante et
sa belle-mère (le cas n’est pas unique dans les annales de l’Égypte), Thoutmès III (s’inspirant en cela
des coutumes de tout nouveau pharaon) s’empressa de faire disparaître le plus de traces possibles de
sa devancière.

26. Sa sépulture devait être découverte en 1907 par Théodore Davis, à quelques centaines de mètres
de celle où, en 1922, Howard Carter devait mettre au jour le sarcophage du gendre de Néfertiti : Tout
Ankh Amon.
27. Nous avons déjà fait mention, dans l’introduction à cet ouvrage, de l’expédition de la « Main
rouge », cette branche souterraine de la Rose + Croix. Cette expédition confirme l’existence du
« disque d’or » géant qu’utilisaient les descendant des Atlantes en Amérique centrale, à des fins
médico-magiques.

28. Nous savons de façon certaine que ces documents ont réellement existé. Si l’on veut bien se
rendre compte que la « Fraternité d’Héliopolis » compta à un moment plus de dix mille étudiants
(époque de sa splendeur) et disposait d’une bibliothèque renommée dans tout le monde antique (elle
servit d’ailleurs de « noyau » à celle d’Alexandrie — plus de 500 000 manuscrits et ouvrages, dont
certaines tablettes considérablement anciennes en argile rouge), on jugera du niveau de connaissance
de l’Égypte pharaonique. Malheureusement, en 390 (ère chrétienne) l’empereur chrétien Théodose
incendia le serapeum d’Alexandrie et les trésors de connaissance qu’il contenait. Cet acte criminel
reçut sa juste récompense, puisque c’est en 395 que l’on situe la « fin du monde romain ».

29. Il s’agit bien sûr du successeur d’Akhenaton : Tout Ankh Amon, dont le tombeau, inviolé, fut
découvert en 1922.

30. Paul Brunton, l’Égypte secrète, Payot, 1947, pp. 10 et 11.

31. Lorsqu’il s’installa définitivement dans la nouvelle cité, Akhenaton fit ériger des stèles frontières
aux confins du site qu’il avait choisi : sur ces stèles, il fit graver le serment qu’il prononça de ne
jamais sortir des limites qu’il s’était fixées. Nous avons pris l’exemple du Vatican parce qu’il éclaire
le cas égyptien : le pape, de même que le pharaon, était enfermé dans la Ville sainte pour le restant de
ses jours. Mais la règle fut transgressée bien des fois — à la différence de ce que fit Akhenaton.

32. Dimitri Merejkovsky, Akhenaton — Joie du Soleil, pp. 168-169.

33. Herman et Ranke, La civilisation égyptienne, Payot, Paris, 1963, pp. 95-96.

34. Dimitri Merejkovsky, op. cit., pp. 58 à 61.

35. Akhenaton se faisait ainsi représenter avec ses défauts physiques les plus évidents, sans aucune
concession aux conventions de l’époque. Des fouilles conduites à Thèbes ont permis, vers 1931, de
mettre au jour l’immense sanctuaire consacré à Aton : dans ces ruines, proches de Karnak furent
dégagées de gigantesques statues d’Akhenaton ; leur originalité réside dans le fait qu’elles ne
permettent pas de donner une signification humaine à celui qui se trouve représenté dans le roc.
Certains égyptologues, ne comprenant pas leur signification mystique, les ont qualifiées de
« franchement hideuses »… La plus signifiante représente Akhenaton entièrement nu, sans aucun
signe des parties génitales. Cette représentation est doublement contradictoire quand on sait que le
pharaon est, par essence, un « roi de fertilité » et que la pudeur n’a jamais été le fait de la statuaire
égyptienne. Nombreuses sont les explications plus ou moins embarrassées des égyptologues. Une
seule — la plus récente — semble valable à notre avis : elle fait de cette statue asexuée la
représentation du concept théologique de la bisexualité attribuée au Créateur, c’est-à-dire au « disque
solaire ». Que l’on se reporte au passage où nous expliquons le « mythe » de l’Androgyne.

36. Le magnifique buste polychrome de la reine Nefertiti, épouse d’Akhenaton (musée de Berlin),
découvert dans les ruines de Tel-El-Amarna, témoigne du réalisme de la sculture amarnienne,
étonnamment proche de l’art classique de l’Antiquité dont il reproduit les canons (le pouce égyptien
comme mesure).
37. Dimitri Merejkovsky, op. cit., p. 249.

38. Comment le tombeau de Tout Ankh Amon a-t-il pu parvenir intact jusqu’à nous ? Il faut sans
doute voir dans ce « miracle » unique un effet de la providence.

39. Les Égyptiens croyaient que l’âme du défunt avait besoin d’un « support » matériel pour
entreprendre son voyage dans l’au-delà. Pour cette raison, la destruction du corps était une
catastrophe épouvantable car elle condamnait l’esprit du mort à errer éternellement.

40. Exode, II, 5 à 10.

41. Une légende rapportée par Plutarque et reprise par Novalis nous apprend qu’une statue féminine
voilée s’offrait aux regards des « élèves » pénétrant dans le grand temple de Saïs : le même temple
où Platon apprit l’existence de l’Atlantide. La déesse tenait dans ses mains une tablette avec
l’inscription suivante : Je suis Isis la Grande ; celle qui fut, celle qui est, celle qui sera,
éternellement. Nul mortel n’a jamais soulevé mon voile.

42. Moïse n’est pas connu sous son nom biblique dans les annales égyptiennes, mais sous celui
d’Osarsiph, et a des parents égyptiens. (Son beau-père Jethro l’aurait « enseigné ».) Manéthon le juge
sévèrement, tout en lui reconnaissant le rôle de libérateur du peuple Hébreu. Diodore de Sicile le
considère comme un des prêtres du collège d’Héliopolis. Enfin, Clément d’Alexandrie (évêque
chrétien) met l’accent sur son grand savoir en matière d’écriture sacrée (hiéroglyphes).

43. On lira avec intérêt l’essai percutant de S. Freud, le célèbre père de la psychanalyse, sur la
personnalité de Moïse et la tradition juive : L’homme Moïse et la religion monothéïste (1938). Pour
Freud, Moïse n’était pas un juif mais un égyptien de sang princier ayant imposé le Dieu unique
d’Akhenaton aux hébreux qu’il entraîna à fuir l’Egypte pharaonique revenue au polythéisme avant de
finir probablement assasiné par des juifs idolâtres d’un certain Yahvé, « Dieu des volcans ».

44. Siège en France : Château d’Omonville - 27110 Le Tremblay.

45. Jacques Duchaussoy, Bacon, Shakespeare ou Saint- Germain, Paris, 1962, éd. de la Colombe, p.
192.

46. Le sigle AMORC signifie : « Ancien et Mystique Ordre Rose + Croix ».

47. Il en est ainsi du rite dit « de Menphis - Misraïm » ne relevant pas de l’obédience du Grand
Orient (en France) ainsi que des loges napolitaines d’inspiration osiriaque, implantées en Italie du
Sud et à Venise, relevant de la tradition hermétique du collège des rites fondé par Cagliostro au
XVIIIe siècle.
Chapitre 2 - Zoroastre ou le « fils de la lumière »
Le voyageur qui visite l’Iran, en contemplant les sites désolés qui
s’étendent, à l’est de Téhéran, dans ce désert brûlé par le Soleil d’Ahoura-
Mazda, ce dieu de Lumière, a l’impression de visiter un champ de bataille
ravagé par un cataclysme nucléaire, une aire bouleversée par quelque
combat gigantesque livré par des Titans, comme si le pays tout entier avait
été brûlé par le feu céleste. Et les ruines de Suse, les restes impressionnants
des palais de Persépolis, le tombeau de Cyrus le Grand, perdu dans la plaine
chaotique de Pasargades, sont autant de témoignages attestant que ce pays
connut dans le passé un destin prestigieux.
Devant le mausolée de Darius, dont les proportions écrasantes sont un
défi à la condition humaine, plus d’un voyageur s’est interrogé sur la
signification de ces sculptures aux symboles intemporels.
Situés dans un hypogée creusé dans le roc, les tombeaux des rois perses,
qui se dénommaient « fils du Soleil », sont taillés au flanc d’une montagne
abrupte et l’entrée des salles souterraines, située à plus de trente mètres du
sol, exige pour y pénétrer l’utilisation d’un véritable matériel d’escalade. Le
portique monumental qui donne accès aux tombeaux est entouré de
colonnes surmontées de bas-reliefs à personnages. Cet ensemble imposant
n’est pas sans rappeler, chose significative, les monuments de l’Égypte
ancienne, comme si les temples colossaux de Thèbes avaient produit en ce
lieu quelque mystérieuse excroissance.
Les conquérants musulmans se sont acharnés sur ces bas-reliefs
sassanides et les visages mutilés des souverains perses semblent aujourd’hui
confondus dans une horreur pétrifiée. On reconnaît pourtant ici et là des
scènes de batailles, se détachant sur la roche basanée par les intempéries. Là
où aujourd’hui règne le désert, s’étendait une ville, rasée par la volonté du
calife Omar.
Seuls demeurent debout, témoins d’un culte grandiose, pathétiques sous
le ciel métallique des hauts plateaux, les autels du Feu, lumière d’Ahoura-
Mazda, reflets du Soleil cosmique et vestiges émouvants de la religion
fondée par Zoroastre. Pierre Loti, ce grand voyageur, pèlerin nostalgique de
toutes les civilisations disparues, nous fait de ces hauts lieux une
description saisissante.

Ruines de Persépolis : sous l’empire d’Ahuramazda (photo Roger-Viollet).

- Je cherchais des yeux, parmi tant d’informes débris, un monument plus


ancien que les autres et plus étrange, que des zoroastriens émigrés dans
l’Inde m’avaient signalé comme existant toujours. Et voici qu’il m’apparaît,
très proche, farouche et morne sur un bloc de rochers en piédestal. D’après
la description qui m’en avait été faite, je le reconnais au premier abord, et
son identité m’est d’ailleurs confirmée par la désignation du tcharvadar :
« Ateuchka ! », où je retrouve le mot turc Ateuch qui signifie « le feu ».
Deux lourdes et naïves pyramides tronquées, que couronne une dentelure
barbare ; deux autels jumeaux pour le culte du feu, qui datent des premiers
mages qui ont précédé de plusieurs siècles tout le colossal travail de
Persépolis et de la montagne sculptée ; ils étaient déjà des choses très
antiques et vénérables quand les Achéménides firent choix de ce lieu pour y
bâtir leurs palais, leur ville et leurs tombeaux ; ils se dressaient là dans les
temps obscurs où les roches aux hypogées étaient encore intactes et vierges,
et où de tranquilles plaines s’étendaient à la place de tant d’immenses
esplanades de pierre ; ils ont vu croître et passer des civilisations
magnifiques, et ils demeurent toujours à peu près les mêmes, sur leur socle,
les deux Ateuchkas, inusables et quasi éternels dans leur solide rudesse.
Aujourd’hui, les adorateurs du feu, comme on le sait, disparaissent de plus
en plus de leur pays d’origine, et même du monde ; ceux qui restent sont
disséminés, un peu comme le peuple d’Israël ; à Yezd, cependant, ville du
désert que je laisserai sur la droite de ma route, ils persistent en groupe
assez compact encore ; on en trouve quelques-uns en Arabie, d’autres à
Téhéran ; et, enfin, ils forment une colonie importante et riche à Bombay,
où ils ont installé leurs grandes tours macabres. Mais, de tous les points de
la Terre où leur destinée les a conduits, ils ne cessent de revenir ici même,
en pèlerinage devant ces deux pyramides effroyablement vieilles, qui sont
leurs autels les plus sacrés1.
En effet, la religion de Zoroastre n’est pas morte, bien qu’elle compte
aujourd’hui un petit nombre de fidèles, et la flamme sacrée brûle toujours
dans les temples parsis de l’Inde. Pourtant, le disque ailé du Soleil, sculpté
au fronton des palais de Persépolis, n’est plus le symbole religieux de tout
un peuple, éclairé par la splendeur majestueuse de ses monarques
représentés comme le lion couronné, tenant en ses griffes tous les royaumes
d’Asie qui s’étendent à perte de vue depuis les rivages de la Méditerranée
jusqu’au lointain fleuve Indus. La religion de la « vie bonne », transcrite
dans les Gâtas, ces textes sacrés reprenant les paroles du grand prophète
mazdéen Zoroastre, fut longtemps religion d’État en Iran, sous les
monarques sassanides, du Ier siècle au VIe siècle de notre ère. L’antique
religion des Aryens, adorateurs du Soleil et sacrificateurs de chevaux, avait
ainsi trouvé son accomplissement définitif.
Celui qui aborde les ruines de la capitale achéménide, dans le jour
crépusculaire ou à l’aube naissante, verra se détacher sur le fond ocre des
montagnes, la noire silhouette des ruines cyclopéennes, forteresses bâties à
l’image du ciel. Sur les immenses terrasses de pierre, les prêtres scrutaient
autrefois le ciel nocturne à la recherche des configurations stellaires
annonciatrices d’événements extraordinaires, et le jour, ils rendaient grâce à
la lumière solaire, vivant reflet de la majesté divine.
Sur cette esplanade, une forêt de colonnes jaillissait jadis vers le ciel et
les monolithes brisés gisent maintenant à terre comme les arbres d’une forêt
foudroyée. Il en reste cependant quelques-unes debout, avec leurs
chapiteaux fantastiques d’un gris de silex, étranges représentations d’un
bestiaire sacré. La cité morte est gardée par deux figures colossales, deux
taureaux ailés à tête d’homme, symbole éternel de l’union nécessaire des
deux pouvoirs, le temporel et le spirituel. Ici encore, suivons l’auteur de
Vers Ispahan dans cet univers magique :
- Les esplanades se superposent, les escaliers se succèdent à mesure que
l’on approche des salles où trôna le roi Darius. Et la face de chaque assise
nouvelle est toujours couverte de patients bas-reliefs, représentant des
centaines de personnages, aux nobles raideurs, aux barbes et aux chevelures
frisées en petites boucles : des phalanges d’archers, tous pareils et inscrits
de profil ; des défilés rituels, des monarques s’avançant sous de grands
parasols que tiennent des esclaves ; des taureaux, des dromadaires, des
monstres. En quelle pierre merveilleuse tout cela a-t-il été ciselé, pour que
tant de siècles n’aient même pu rien dépolir ? (p. 133-134).
On peut encore déchiffrer les inscriptions des voyageurs de passage sur
ces murs millénaires et celle-ci, digne d’un poète et d’un philosophe, n’est
sans doute pas la moins troublante :
Où sont-ils les souverains qui régnèrent dans ce palais jusqu’au jour où
la mort les invita à boire sa coupe ? Combien de cités furent bâties le matin,
qui tombèrent en ruine le soir ?
Ces orgueilleuses constructions sont aujourd’hui à terre, mais
qu’importe, après tout, puisque l’essentiel a été sauvé à travers le message
spirituel qui est parvenu jusqu’à nous. Le souffle de l’esprit et l’ardeur
religieuse qui ont inspiré les constructeurs de ces temples, guidés par
l’architecte invisible, sont dus au grand réformateur spirituel que fut
Zoroastre, ce mage inspiré, qui prend place parmi les « grands initiés » et
dont il faut maintenant évoquer la magistrale figure.
Bactres : la cité interdite, porte de l’Agartha ? (photo Almasy)

Zoroastre, le prophète de l’Iran, naquit à Bactres vers l’an 600 av. J.-C.,
selon les estimations les plus récentes, car on ne connaît pas la date exacte
de sa venue au monde2.
La Bactriane, région orientale de la Perse ayant eu pour capitale la cité
qui lui a donné son nom, se situe aux confins de trois pays : la Chine, l’Inde
et l’Afghanistan. Cette région prend alors figure d’un boulevard de la
civilisation, placée au carrefour des grandes migrations de peuples et de
toutes les influences spirituelles. Le magnétisme de cette terre ne pouvait
que produire des maîtres de sagesse. Successeur d’une lignée d’initiés dont
l’origine se perd dans la nuit de l’Atlantide, Zoroastre est bien le fils du
Principe lumineux, de ce Logos qui anime le monde à travers les « Grands
Êtres » envoyés par la providence, qu’ils s’appellent Akhenaton, Zoroastre
ou Alexandre.
L’antique tradition aryenne est leur héritage commun, s’exprimant dans
l’originalité de leur personnalité et la variété de leur génie. Tel un fleuve qui
remonterait vers sa source, Zoroastre, en poète et en inspiré, est remonté
vers le Soleil, le verbe lumineux qui lui a inspiré ses plus beaux chants ; et
pouvait-il en être autrement, dans un pays qui ne connaît que la gloire de
l’astre du jour vers qui s’exalte une nature splendide ?
- Au nord s’étendait une chaîne de montagnes dont les sommets
étincelants de neige se relevaient à une hauteur majestueuse : c’était
l’Elbourz, cette immense crête qui unit l’Hindou Kouch aux montagnes de
la Géorgie, le Caucase indien au Caucase de Prométhée, et, au-dessus de
cette chaîne, la dominant comme un géant, s’élançait dans les airs l’énorme
dôme pointu du Demavend, blanc de la tête au pied… Pas de détails qui
arrêtent la pensée, c’est un infini comme la mer, c’est un horizon d’une
couleur merveilleuse, un ciel dont rien, ni parole ni palette, ne peut
exprimer la transparence et l’éclat, une plaine qui, d’ondulation en
ondulation, gagne graduellement les pieds de l’Elbourz, se relie et se
confond avec ses grandeurs. De temps en temps, des trombes de poussière
se forment, s’arrondissent, s’élèvent, montent vers l’azur, semblent le
toucher de leur faîte tourbillonnant, courent au hasard et retombent. On
n’oublie pas un tel tableau.
La nature a disposé l’Asie centrale comme un immense escalier, au
sommet duquel elle semble avoir tenu à honneur de porter au-dessus des
autres régions du globe le berceau antique de notre race. Entre la
Méditerranée, le golfe Persique et la mer Noire, le sol va s’élevant d’étage
en étage. Des croupes énormes placées en assises, le Taurus, les monts
Gordiens, les chaînes du Laristan, soulèvent et soutiennent les provinces. Le
Caucase, l’Elbourz, les montagnes de Chiraz et d’Ispahan y ajoutent un
colossal gradin plus haut encore. Cette énorme plate-forme, étalant en
plaines ses développements majestueux du côté des monts Soleyman et de
l’Hindou Kouch, aboutit d’une part au Turkestan qui conduit à la Chine, de
l’autre aux rives de l’Indus, frontière d’un non moins vaste monde. La note
dominante de cette nature, le sentiment qu’elle éveille par-dessus tous les
autres, est celui de l’immensité et du mystère3.
Et, ajouterons-nous, Gobineau ne s’y trompait pas ; le mystère et les
« mystères » appartiennent au berceau de la civilisation aryenne. De même
que le pharaon Akhenaton, issu d’une famille indo-européenne de Mitanni,
restaura le culte du dieu unique dans le disque brillant d’Aton, de même
Zoroastre — en védique Zarathoustra — sauva l’antique religion des Aryas
en la préservant de la superstition et de la magie noire, distillées comme un
poison par les Assyriens de Babylone, ces sectateurs de la Nuit.
Primitivement, la religion des tribus aryennes, installées entre la mer
Caspienne et la mer d’Aral dès le IIIe millénaire, était liée à l’aspect féodal
de leur organisation sociale.
En effet, à cette époque reculée, la société n’était pas encore devenue
sédentaire ; les Aryas, qui donnèrent leur nom au pays iranien (Aîriyânâm
vaêjô : « le domaine des Aryens »)4 étaient des bergers nomades poussant
leurs immenses troupeaux de bovins et de chevaux à travers la steppe vers
de nouveaux pâturages. Une noblesse de rois et de princes, appuyée sur une
caste sacerdotale puissante, dirigeait ce peuple indomptable qui allait
bientôt faire parler de lui. Alors qu’une partie des Indo-Européens occupait
les vastes étendues de la Perse, une autre migration se produisait, venant
toujours de l’Asie centrale, et pénétrant par les passes de l’Afghanistan,
celles-là mêmes qu’empruntera Alexandre le Grand bien des siècles plus
tard, envahissant l’Inde et y établissant la religion et la civilisation
brahmaniques, cependant qu’un troisième courant se dirigeait vers l’Europe
occidentale sans rencontrer de résistance. Cette commune origine des
peuples que nous croyons si différents explique les ressemblances qui
existent entre le panthéon védique de l’Inde, la cosmogonie iranienne et la
mythologie grecque, sans parler des légendes germaniques plus récentes.5
Bientôt pourtant, ces nomades commencent à vivre en sédentaires,
créant des villes fortifiées, ancêtres des premiers châteaux forts, et qui
feront l’admiration des Assyriens. Dans ces citadelles règnent des princes
dont le pouvoir tend à devenir héréditaire. Ce qu’il y a de remarquable, chez
les Aryens, dès l’époque la plus reculée de leur histoire, c’est ce sentiment
de l’union nécessaire des deux pouvoirs : le temporel et le spirituel, le
sacerdoce et l’empire, et cette notion, on la retrouvera intacte chez les
Romains, puis chez les empereurs germaniques du Moyen Age, parmi
lesquels éclate la grande personnalité de Frédéric II.
L’Imperium et l’Augurium, le Brahman et le Kshatram, voilà des
constantes de la société indo-européenne, en Occident comme en Orient.
Ces deux piliers de la vie, symbolisés dans le portique du Soleil, à la fois
dispensateur d’énergie matérielle et de forces spirituelles, sont représentés,
d’un côté, par la caste des guerriers, de l’autre, par la caste des prêtres. A la
tête du clergé est placé un grand prêtre, attaché à la personne du roi. Les
deux pouvoirs coexistent pacifiquement et vivent l’un de l’autre, bien qu’il
existe parfois certaines frictions, mais l’idéal reste l’union des deux
principes, ancrée dans le cœur des Aryas comme un chêne indéracinable.
Zoroastre priera et œuvrera de toutes ses forces pour l’instauration d’un seul
« royaume » confondant l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel.
Dans cette perspective, le monde d’ici-bas est un reflet du monde d’en
haut. Tout acte, qu’il s’agisse de la célébration du culte, de manier l’épée ou
de labourer la terre, prend alors une signification religieuse et sacrée. Une
infinité de dieux président à chaque action de la vie quotidienne qui se
déroule au rythme d’un temps sacré lié à l’ordre du monde. Les grandes
forces de la nature, le ciel, l’eau, le feu sont des puissances vivifiantes.
Ainsi l’homme de ce temps est tenu à une conduite rigoureuse : honorer
les dieux, agir droitement, seront ses devoirs essentiels.
Sacrifier, c’est rendre aux divinités une part des bienfaits qu’elles
accordent. C’est même un devoir pour tout homme libre de sacrifier trois
fois par jour : au lever du Soleil, à midi et au coucher du Soleil. Les
libations, les chants, les danses, les prières et les sacrifices forment la trame
de l’existence. Il y a cependant un point noir dans ces pratiques : les
sacrifices sanglants. Le clergé, par les offrandes des fidèles, amasse
d’énormes richesses et l’holocauste des troupeaux, bien précieux entre tous,
appauvrit ce peuple de pasteurs. Au cours de certaines cérémonies, cent
bœufs étaient sacrifiés en holocauste et des réformes religieuses s’imposent
qui dépouilleront le culte des scories qu’il traîne encore avec lui, souvenir
encore vivace des horribles sacrifices humains. Un autre danger menace
l’antique religion, c’est le ritualisme ; l’abus des formules figées et de la
magie cérémonielle, venue d’Assyrie et qui cherche à capter dans un but
égoïste les grandes forces cosmiques détenues par les dieux.
De tous ces dieux justement, il en est un qui émerge par sa noblesse et sa
grandeur : c’est Agni, le feu, homonyme d’Ahoura-Mazda, gardien de
l’ordre sacré, puissance lumineuse s’opposant virtuellement aux puissances
telluriques des profondeurs, personnifiées par le nocturne Varouna. Il est
temps de réagir et d’opérer certaines « révisions déchirantes », faute de quoi
le peuple aryen risque de sombrer un jour dans l’idolâtrie et la magie noire
si éloignée de son génie propre.
Dans ce combat contre les forces élémentaires du chaos, Zoroastre se
dresse, personnage lumineux et baigné d’un halo légendaire.
En invoquant le nom de « Zoroastre », « fils d’Oromazès » (Alcibiade,
122 A) nom hellénisé de Zarathoustra, que Nietzsche a porté aux nues dans
ses stances demeurées célèbres, Platon reconnaissait la sagesse et la
grandeur du prophète de l’Iran, cité aussi par Aristote comme une figure
marquante de l’histoire des hommes.
On a longtemps hésité pour fixer définitivement la date de naissance du
mage de l’Iran. La date la plus ancienne qui a été proposée est 6000 av. J.-
C.6, mais elle paraît difficilement acceptable. L’historien babylonien Bérose
qui vécut au IVe siècle av. J.-C. estimait que Zoroastre avait vécu vers 2000
av. J.-C. Pline le dit pour sa part de mille ans antérieur à Moïse. Les
historiens en sont arrivés cependant à une date plus récente qui fait
aujourd’hui presque l’unanimité : l’an 600 av. J.-C., un peu avant l’arrivée
de Cyrus le Grand et la formation de l’Empire perse, tout au moins en ce
qui concerne le Zoroastre historique.
A cette époque, l’Iran oriental était partagé entre plusieurs petits
royaumes cependant que les rois mèdes unifiaient l’Iran occidental et
envahissaient l’Assyrie et la Mésopotamie.
Zarathoustra était issu d’une famille noble, traditionnellement vouée au
sacerdoce. Sa mère s’appelait Dughdhovâ et son père Pourushâspa.
Comment les deux époux se rencontrèrent-ils ? Cela nous est expliqué dans
l’Évangile de Zoroastre : Pourushâspa était originaire de l’Azerbaïdjan
(Atropène antique), pays des mages et des Mèdes, dans le royaume d’Arak
que gouvernait son père, le roi Paitâraspa. Il aurait fallu une circonstance
bien extraordinaire pour qu’il rencontrât Dughdhovâ, qui vivait bien loin de
là, dans la ville de Raga, située près de la moderne Téhéran. Dughdhovâ qui
était belle et sage vivait heureuse au sein d’une famille princière et rien ne
semblait la destiner à connaître un destin particulier. Cependant, vers l’âge
de quinze ans, de nombreux soupirants commencèrent à lui faire la cour,
mais, sans doute à cause de la protection divine, la jeune fille fut alors
entourée d’un halo de lumière surnaturelle, inspirant à tous une crainte
sacrée. Les mages, emplis de jalousie, interprétèrent cet événement comme
un signe néfaste et déclarèrent que Dughdhovâ devait être mise à mort. Son
père, au désespoir, ne put se résoudre à mettre cette affreuse sentence à
exécution et exila sa fille dans les montagnes du nord-ouest, sous la garde
de son ami le souverain d’Arak, Paitarâspa. Or, le fils de celui-ci venait
d’arriver en âge de se marier. Ainsi s’accomplirent les desseins de la
providence, qui voulait que se produise la rencontre des deux jeunes gens.
Les noces furent célébrées à Bactres, cité éloignée où n’existaient pas de
magiciens et Dughdhovâ découvrit bientôt qu’elle était enceinte. Il faut bien
comprendre que, dans l’esprit des peuples du temps, la venue au monde de
Zoroastre coïncidait avec l’époque la plus noire que traversait la religion.
Arhiman, l’esprit du mal, était sur le point de triompher et, sans nul doute,
l’embrasement final mettrait un terme à cette ère d’iniquité, symbolisée par
l’âge de fer. Alors seulement, d’un petit groupe de justes ayant continué à
porter le flambeau de la lumière, après la fin du cycle, renaîtrait l’âge d’or.
Nous retrouvons cette idée cyclique d’anéantissement suivi de renaissance
dans l’Inde brahmanique et jusque dans le monde romain : que l’on songe
aux vers de Virgile annonçant le retour de l’âge d’or.
Cela prouve en tout cas, que ce mythe de l’ « éternel retour », chanté par
Platon, comme un écho lointain de la destruction de l’Atlantide, hantait les
Anciens en leur rappelant la première catastrophe du déluge universel.
Le redressement nécessaire allait se réaliser en la personne de Zoroastre,
envoyé sur terre par les forces de lumière. C’est ainsi que s’expriment les
textes sacrés :
- Au temps où le monde était troublé par les méchants, il n’y avait ni
instruction, ni direction, ni autorité parmi les hommes étourdis ; ignorant
Dieu et ses commandements, ils s’étaient détournés du culte divin.
L’Univers ayant succombé sous la volonté du démon maudit, tout le monde
s’éloignait de la justice et de la loi. Le cœur d’Ahriman était joyeux et
riant ; il était réjoui de l’égarement des hommes ; mais Dieu fit grâce à la
foule malheureuse et eut pitié d’elle ; il résolut de susciter un guide.
Le Dênkart rapporte que des archanges « fabriquèrent ensemble une tige
de hom (la plante Haomà), de la hauteur d’un homme, excellente en couleur
et juteuse lorsqu’elle était fraîche », dans laquelle l’esprit qui veillait sur
Zoroastre décida d’entrer. En exprimant le suc de cette plante et en le
mélangeant à du lait, Dughdhovâ confectionna un breuvage sacré, le Sôma
qu’elle but avec son mari. Dans la mythologie iranienne, cette liqueur est la
boisson des dieux, comparable à l’ambroisie des Germains. Les Védas nous
assurent que la boire procurait une ivresse mettant l’homme en relation avec
les dieux. S’agissait-il d’une drogue hallucinogène ressemblant au
haschish ? Sommes-nous en présence d’une résurgence symbolique de l’
« eau primordiale », ce liquide ayant donné naissance à toute vie terrestre
par la fécondation des rayons solaires ? Les deux ne sont pas impossibles et
expliqueraient en tout cas la convergence des symboles majeurs. Le secret
du Sôma est aujourd’hui perdu et son succédané actuel, utilisé par les
Parsis, n’a pas la propriété de monter à la tête !
On a même affirmé que Zarathoustra était né miraculeusement d’une
vierge. Cela nous rapproche singulièrement de l’évangile chrétien, au point
que l’on peut se demander dans quelle mesure le texte de la Vulgate7 n’a
pas emprunté à la religion de l’Iran ancien « et là se produisit une
combinaison de l’esprit glorieux de l’ange gardien et de la nature terrestre
de Zarathoustra sous la forme d’un enfant d’homme ». La jeune mère fut
avertie en songe, comme Marie le fut par l’archange Gabriel, que l’enfant
qu’elle portait en elle sauverait les bons de l’emprise des forces du mal, et
Dughdhovâ, nous dit le poète, « abreuva son âme du vin de la joie et son
cœur s’en réjouit, comme se réjouit de l’eau celui qui a soif. »
C’est au printemps, alors que le soleil inonde la nature de sa chaleur
bienfaisante, amorçant le cycle des renaissances initiatiques et astrales, que
naît Zoroastre. En fait, tout semble indiquer que Zarathoustra vit le jour
entre le 21 mars et le 20 avril, dans le signe solaire du Bélier, comme plus
tard Alexandre le Grand qui marchera sur ses traces. L’équinoxe de
printemps marque en effet le début de l’année solaire et le réformateur de
l’Iran fera du Soleil le principe lumineux qu’anime Ormuzd ou Ahoura-
Mazda, le Dieu bon. A. Volguine souligne les traits caractéristiques donnés
par le premier signe du Zodiaque qui correspondent parfaitement à la
personnalité de Zoroastre : « Le caractère que donne cet ascendant est
entier, ambitieux, viril, généreux, courageux, aimant les situations nettes,
apte à s’enthousiasmer facilement, ardent et indépendant. » Ajoutons que si
chaque signe gouverne une partie du corps, le Bélier correspond à la tête
qui est la partie la plus noble de l’individu.
Mais laissons encore une fois la parole aux textes anciens :
- Au moment où le matin du temps répandit la lumière, le bienheureux
Zarathoustra vint au monde. Il riait en quittant le sein de sa mère et de son
rire le palais fut empli de lumière. Émerveillé de ce rire et de la radieuse
beauté de son fils, le père comprit que c’était là la Gloire de Dieu, car sauf
lui tous les enfants, en naissant, pleurent. On lui donna le nom de
Zarathoustra et tout le monde sut ce qui s’était passé…
Les femmes, jalouses du rire et de la beauté radieuse de l’enfant, se
passionnaient dans la crainte qu’il leur inspirait. Jamais, disaient-elles, on
n’a vu choses pareilles ! Nous ne savons pas ce qui en adviendra ni ce qui
en résultera dans le monde, car jamais ne se vit pareil enfant, sur la Terre il
n’a pas d’égal en beauté !
Bientôt le bruit de la beauté et du rire de l’enfant se répandit dans la ville
et tous ceux qui étaient impurs et partisans de la mauvaise loi en
ressentirent comme un dard dans le cœur.
Ce fait extraordinaire frappa vivement l’imagination des contemporains,
car Pline lui-même, bien plus tard, écrit (Histoire naturelle) « que Zoroastre
fut le seul homme à avoir ri le jour où il naquit ».
Bien entendu, les forces du mal, représentées par les tenants de
l’ancienne religion, cherchèrent à se débarrasser de l’enfant et tentèrent par
six fois de le faire disparaître, mais par six fois elles échouèrent. Tout
d’abord, Dûrâsrad, un noble adonné à la magie voulut poignarder
Zarathoustra :
- Il était en ces temps un roi du nom de Dûrâsrab ; c’était le chef des
magiciens et un homme égaré. Lorsqu’il eut appris la nouvelle de la
naissance de Zarathoustra, sa face devint instantanément jaune comme la
paille. Aussitôt, il monta à cheval et se rendit à la maison de Pourushâspa.
S’étant approché de la couche du nourrisson, il vit, pareille au jeune
printemps, une figure d’où émanait la Gloire de Dieu. Il comprit le mystère
et, devenu livide comme le fiel, ordonna à un de ses serviteurs de s’emparer
de Zarathoustra et de le délivrer de sa présence. Ainsi fut fait, et cet être
immonde saisit un glaive brillant afin de couper en deux Zarathoustra et de
délivrer son propre cœur de la crainte et de l’angoisse ; mais soudain, par la
volonté du Maître de la vie, du Bienveillant, son bras devint sec et son
corps fut envahi de souffrances ; on eût dit qu’il luttait contre la mort. A
contrecœur, et frappé de maladie, Dûrâsrab s’éloigna aussitôt de la couche
de Zarathoustra. La vie de celui qui a Dieu pour protecteur et ami est
assurée contre tous les maux !
Ce fait est à rapprocher une fois de plus de l’Histoire sainte. En effet,
Marie dut cacher l’enfant Jésus pour le soustraire au massacre des Innocents
ordonné par Hérode qui avait appris des mages la naissance de l’enfant-
Dieu.
Une autre fois, les ennemis du bien cherchèrent à supprimer l’enfant de
Dughdhovâ :
- En proie à un grand trouble, les sorciers ravirent Zarathoustra à son
père. Puis ils s’en allèrent dans le désert où ils entassèrent une montagne de
bois qu’ils enduisirent de bitume noir et de soufre jaune.
Ayant allumé une flamme énorme, ils y jetèrent Zarathoustra. Mais, par
ordre du Dieu victorieux, il ne lui arriva aucun mal ; les flammes ardentes
se firent pour lui douces comme l’eau et il s’endormit au milieu d’elles.
Cette aventure fait apparaître Zoroastre comme le phénix qui renaît de
ses cendres, oiseau victorieux lié à l’épiphanie de l’astre du jour.
Les sorciers eurent l’idée de voler le bébé et de le faire piétiner par un
troupeau de vaches, en déposant l’enfant à la sortie d’un enclos à bestiaux.
Mais le stratagème échoua parce que la première bête du troupeau protégea
le bébé de ses flancs.
« Jusqu’à ce que tous fussent partis, la vache protectrice ne bougea pas
de sa place, puis tel le faucon qui s’envole vers son nid, elle rejoignit le
troupeau. »
La cinquième tentative fut identique mais eut lieu avec des chevaux. Elle
ne réussit pas plus, ce qui signifiait que le jeune Zoroastre ne pouvait être
atteint par les forces de la terre symbolisées par la vache féconde, figure de
l’élément féminin passif, pas plus que par les forces de l’air, actives et
masculines, symbolisées par le cheval, animal lié au « char du Soleil ».
L’homme était venu pour réconcilier les deux forces antagonistes, le logos
créateur et l’univers créé8.
Dans le dernier cas, le miracle eut pour cause le fait que l’esprit de Dieu
et Scaocha l’Obéissant « amenèrent une brebis laineuse avec une mamelle
pleine de lait dans la caverne, et celle-ci donna du lait à Zarathoustra, en
gorgées vivifiantes, jusqu’à l’aurore. » Si l’on ajoute que l’enfant, à sa
naissance, fut déposé sur une peau de mouton, ce bestiaire symbolique
renforce la tradition qui fait de l’enfant un être signé par le Bélier « à la
toison d’or ».
Comme le Bouddha, qui prêcha la « doctrine de l’Eveil » en Inde, il
arriva à Zoroastre, tout jeune, de « regarder longtemps vers le haut, puis
vers le bas, puis tout autour de lui ». Ce fait, qui semble insignifiant, revêt
pourtant un sens occulte de la plus haute importance. En portant son regard
au sud, au nord, à l’ouest et à l’est, Zoroastre entend prendre possession de
toutes ces contrées, sur le plan spirituel. Cet embrassement des quatre
points cardinaux forme graphiquement une croix, symbole du centre du
monde qu’il ne faut pas confondre avec la croix chrétienne, instrument de
supplice du Sauveur.
A l’âge de raison, Zoroastre fut confié à un précepteur religieux qui lui
donna le premier degré d’initiation, ainsi qu’il est coutume, aujourd’hui
encore, en Inde, sous le nom d’Upanayana. Zarathoustra montrant très tôt
des dispositions religieuses, il fut dirigé vers la caste des prêtres. Lorsque le
père avait remis l’enfant pour faire son éducation, celui qu’on venait de
choisir comme « maître spirituel » avait déclaré : « Confie-moi
Zarathoustra, ce Soleil du ciel, afin que je l’élève avec amour ; je le garderai
comme un fils bien-aimé ; comme la prunelle de mes yeux je le préserverai
de tout mal ! Remets-moi ce digne enfant, que je sois le gardien de cette
âme précieuse ! »
Vers l’âge de quatorze ans, la science de l’adolescent était telle qu’il
confondit un jour les docteurs de la Loi, exactement comme les Évangiles
rapportent le fait pour Jésus, et bien qu’ils aient été écrits bien plus tard !
Bien entendu, ces prêtres pratiquaient des rites magiques et
s’enorgueillissaient de leur puissance. Zarathoustra confondit les magiciens
en indiquant que de telles pratiques relevaient du démon : « La fin des
sorciers est l’enfer ! Le résultat de leurs œuvres, malheur et misère ! »
- A l’âge de quinze ans, dit le poète, le saint Zarathoustra ne se relâchait
pas une heure du respect et de la crainte de Dieu ; nuit et jour il restait
prosterné devant l’Auteur de la création. N’attachant point son âme aux
choses de ce monde périssable, il tourmentait son corps et le faisait souffrir
dans l’exercice de sa dévotion. Il fit beaucoup de bien dans le monde, autant
en public qu’en secret. Y avait-il quelque part un homme privé de tous
moyens de subsistance, Zarathoustra le faisait venir en secret, l’appelait
près de lui, le soignait et lui donnait bien des choses. Y avait-il quelqu’un
dans la misère, éprouvé par la souffrance et par l’adversité, Zarathoustra lui
donnait de quoi se vêtir et ce dont il avait besoin pour vivre et arrangeait ses
affaires. Pour lui, le monde et les choses de ce monde, tout ensemble,
n’avaient pas grande importance ; jour et nuit, il n’avait d’autre soin que
d’adorer le Dieu créateur. Et sa bonne gloire se répandit dans le monde
auprès des grands et auprès des humbles.
A partir de cette époque le jeune homme prit l’habitude de se retirer
fréquemment dans la solitude des montagnes de l’Iran oriental. Là, méditant
dans une grotte, Zoroastre reçut la visite d’un sage qui l’instruisit dans les
doctrines et les sciences secrètes et lui fit connaître les plus hauts degrés de
l’initiation, préparant son âme à la « grande révélation » qui devait venir
plus tard. Le nom même de Zarathoustra qui signifie « étoile d’or », ou
« splendeur du Soleil », n’annonçait-il pas le destin prodigieux du prophète
de l’Iran, placé sous la protection de l’astre qui préside aux grandes
initiations ?
Le patriarche déclara au jeune homme : « Tu seras l’apôtre d’Ahoura-
Mazda, qui est l’auréole de l’Omniscient, l’Esprit vivant de l’Univers ! »
Alors, n’ayant plus rien à apprendre, Zoroastre se retira dans la solitude,
en attendant l’illumination d’Ahoura-Mazda, le suprême logos. Vivant dans
les cavernes montagneuses, tel un yoghi de l’Inde, il se nourrissait
exclusivement de racines et de fromage, pratiquant l’ascèse végétarienne
qui procure l’illumination. Les épreuves se succédèrent, envoyées par
l’esprit du mal, Ahriman. Après la tentation de la femme, ce fut l’assaut des
mirages et des hallucinations démoniaques. Enfin, après avoir triomphé de
toutes ces épreuves, Zoroastre reçut un jour l’illumination d’Ahoura-
Mazda ; Ormuzd, le Verbe solaire, lui apparut sous la forme humaine.
- Vêtu de beauté, de force et de lumière, il fulgurait sur un trône de feu.
Un taureau et un lion ailés supportaient son trône des deux côtés et un aigle
gigantesque étendait ses ailes sous sa base. Autour de lui resplendissaient,
en trois demi-cercles, sept kéroubim aux ailes d’or, sept élohim aux ailes
d’azur et sept archanges aux ailes de pourpre. D’instant en instant, un éclair
partait d’Ormuzd et pénétrait les trois mondes de sa lumière. Alors les
kéroubim, les élohim et les archanges reluisaient comme Ormuzd lui-même
de l’éclat de la neige, pour reprendre aussitôt leur couleur propre. Noyés
dans la gloire d’Ormuzd, ils manifestaient l’unité de Dieu ; brillants comme
l’or, l’azur et la pourpre, ils devenaient son prisme. Et Zoroastre entendit
une voix formidable, mais mélodieuse et vaste comme l’Univers. Elle
disait : « Je suis Ahoura-Mazda, celui qui t’a créé, celui qui t’a élu.
Maintenant, écoute ma voix, ô ! Zarathoustra, le meilleur des hommes ! Ma
voix te parlera jour et nuit et te dictera la parole vivante. »
Alors il y eut une fulguration aveuglante d’Ormuzd avec ses trois cercles
d’archanges, d’élohim et de kéroubim. Le groupe, devenu colossal, occupait
toute la largeur du gouffre et cachait les cimes hérissées de l’Albordj. Mais
il pâlit en s’éloignant pour envahir le firmament. Pendant quelques instants,
les constellations scintillèrent à travers les ailes des kéroubim, puis la vision
se dilua dans l’immensité. Mais l’écho de la voix d’Ahoura-Mazda
retentissait encore dans la montagne comme un tonnerre lointain et
s’éteignit avec le frémissement d’un bouclier d’airain9 .
Au cours de dix années consécutives, comme Moïse sur la montagne,
Zoroastre reçut la science d’Ahoura-Mazda qui lui enseigna les vérités de la
bonne religion.
Alors seulement le prophète descendit des montagnes vers les plaines
pour enseigner sa doctrine, en opposition avec les croyances du temps. Le
missionnaire avait maintenant sa bible, livre de la sagesse céleste, appelé
plus tard l’Avesta.
Au début, Zarathoustra fut mal accueilli et même chassé à coups de
pierres. Les prêtres du culte officiel, les karpans, voyaient d’un mauvais œil
ce réformateur, prêchant la vie simple et dépouillée, en communion avec la
nature lumineuse, dispensée aux pauvres comme aux rois. Contraint de fuir
dans des régions de plus en plus lointaines, Zoroastre gagna le Séistan,
région située aux confins de l’Afghanistan, où il tenta vainement de gagner
à sa foi un prince nommé Parshat. Pourquoi le nouvel « évangile » du sage
persan suscitait-il l’incompréhension ou la haine de ses contemporains ?
A ce problème, il est facile de répondre. Bouddha, Jésus, tous les grands
réformateurs religieux se sont heurtés, au début de leur prédication, à
l’hostilité du clergé de leur temps, accroché à ses privilèges et soucieux de
garder son emprise sur les foules soumises. Mais, comme la clarté du Soleil
déchirant les nuages, le message de Zarathoustra devait triompher de ses
ennemis.
L’enseignement du sage était simple et génial à la fois. Zoroastre
proscrivait les sacrifices sanglants d’animaux comme indignes du peuple
aryen. Un seul Dieu, représenté par la lumière solaire d’Ahoura-Mazda, ne
pouvait accepter d’holocauste en sa faveur. Fini le panthéon innombrable
des anciens dieux, finis les daevas multiples auxquels s’adressaient plaintes
et supplications. Relégués au rang des entités démoniaques, ils s’étaient
dépouillés de toute leur puissance protectrice et seul Ormuzd, le Dieu bon,
méritait les prières des fidèles. Les divinités mauvaises, assoiffées de sang,
disparaissaient dans l’enfer du mal, représenté par Ahriman, le principe
mauvais luttant contre le bien en ce monde.
Cependant, Zoroastre ne répudiait pas le cadre général de la religion
ancienne. On pouvait conserver les anciens rites, à condition qu’ils
s’adressent désormais à un seul dieu, Ahoura- Mazda, dont la grandeur était
symbolisée par le pur culte du Feu, expression de la « sainteté rayonnante »
du Seigneur sage. De même que le feu cosmique rénove l’Univers dans ce
creuset gigantesque qu’est notre galaxie, de même le feu spirituel de la
religion nouvelle devait assurer la purification des anciennes croyances :
Igne natura renovatur integra (la nature est intégralement rénovée par le
feu), la devise des alchimistes n’est pas nouvelle, tant il est vrai que le
symbolisme est l’arche sacrée de la connaissance traditionnelle.
Dans la doctrine zoroastrienne, la lutte entre le bien et le mal, qui
aboutira plus tard au manichéisme et au catharisme, est représentative d’une
conception dynamique du monde, en accord avec les données de la science
moderne qui enseigne la ronde incessante des atomes au sein de la matière,
qualifiée autrefois « d’inanimée et d’inerte ». L’action de l’Univers emporte
l’existence d’un pôle positif, mais il y a aussi un pôle négatif qui est son
répondant, dans ce miroir gigantesque qu’est le cosmos. Celui qui se fie à
l’image inversée, mirage trompeur, cède aux forces du mal et devient un
magicien, absorbé par le tourbillon de l’illusion karmique. En peu de mots,
Zarathoustra expliquait au peuple cette dualité du bien et du mal et sommait
ses auditeurs de choisir entre les deux. On comprend que certains aient été
fort embarrassés devant ce choix, quand ils n’avaient pas déjà opté pour la
« magie noire », fléau de tous les temps.
Malgré cela, il ne faudrait pas croire que cette doctrine rejette la vie et le
monde. Bien au contraire, Zoroastre soulignait la beauté de l’existence, au
service de Dieu ; il exaltait tout ce qui, dans la nature, rappelait le triomphe
de la lumière sur les ténèbres : le Soleil d’abord, source de toute joie et de
toute vie, la Création ensuite, qui exalte l’œuvre d’Ormuzd et, comme plus
tard François d’Assise, le saint continuateur des troubadours, Zoroastre se
penchait sur les nouveau-nés, les fleurs, les plantes et vouait une tendresse
particulière aux animaux domestiques, sauvegarde du foyer : « C’est le
devoir du fidèle de veiller sur tout être fécondé, qu’il ait deux pieds ou
quatre pattes, sur toute femme ou toute femelle enceinte » (Vendidad) et
encore ceci : « Quiconque tue un chien, celui-là tue son âme pour neuf
générations » (Vendidad). La croyance dans la réincarnation des âmes après
la mort traditionnelle chez les Anciens (on la retrouve dans le bouddhisme,
chez les pythagoriciens, et jusque dans le catharisme et la Rose-Croix) était
respectée comme une vérité éternelle.
Dans les rites prônés par le réformateur iranien, on retrouve le
symbolisme inhérent à la lutte d’Ahoura-Mazda, puissance lumineuse,
contre Ahriman, puissance des ténèbres. Mithra, le dieu-Soleil, bien loin
d’être expulsé, fut adoré à la fois comme le feu céleste et loué dans la
plupart des hymnes sacrés. Haoma, le taureau dont le sang généreux entrait
dans la plante donnant le Sôma, breuvage sacré, survécut à travers le rite du
calice, ancêtre lointain du mythe du Graal. Il fut prescrit en outre de prier
vers l’Orient en contemplant la splendeur de l’astre du jour et l’arc-en-ciel,
ce symbole hyperboréen, était regardé, ainsi que dans la Genèse, comme
« un signe donné d’en haut par les êtres spirituels aux êtres terrestres ».
L’habitude d’entretenir un feu perpétuel au foyer devint une obligation pour
les zoroastriens fidèles dans une religion qui glorifiait la famille planétaire
et la famille terrestre.
Quant au message moral de Zoroastre, il est accessible à tous. Les bons
seront récompensés et les méchants punis. La famille est glorifiée comme la
base des institutions sociales et le pays des Aryens : Aryana Vaejo, est
considéré comme le plus beau de tous les pays, œuvre d’Ahoura-Mazda,
dont les Iraniens sont les fils. L’enterrement est considéré comme une
abomination car la chair se corrompt et doit se consumer dans le feu
purificateur.
Enfin, le devoir de l’homme consiste à être pieux, à fonder un foyer et à
honorer son Seigneur.
Cette théologie s’exprime dans des hymnes, les Gâtas, recueillis de la
bouche de Zoroastre mais écrits après coup. Les neuf (chiffre sacré)
attributs de Dieu sont :
- Les deux Manus : confèrent « l’initiation » ;
- Rta : ordre et justice (qui correspond à la souveraineté divine) ;
- Manas : « pensée » (correspond à souveraineté humaine) ;
- Kshatra : l’empire ;
- Sarvatât : l’intégrité ;
- Amrta : l’immortalité ;
- Aramati : la dévotion ;
- Agni : le feu.
Ces notions reflètent la conception hiérarchisée de l’ordre divin selon
Zoroastre. Noblesse, honneur, conduite droite et loyale sont des signes
distinctifs de la « doctrine ».
Dieu ne peut être représenté par des images, hormis le disque solaire. Et
le prophète commence par ces mots :
Je veux vous adorer en vous louant, ô ! Seigneur sage
En même temps que la justice, la meilleure pensée et l’empire
Qui sont désirés des ardents.
Les actes que je ferai et ceux que j’ai faits auparavant
Et ce qui, par la bonne pensée est précieux pour l’œil :
La lumière du Soleil, l’aube scintillante des jours
Tout cela vous loue en tant que justice, ô ! Seigneur sage !
La justice, l’empire et la bonne pensée forment la triade sacrée sur
laquelle s’appuie Ahoura-Mazda et ses trois attributs principaux. Une
strophe rappelle aux initiés qu’ils ont un rôle particulier à tenir,
intermédiaires entre Dieu et les autres hommes :
Pour l’initié, la meilleure des doctrines
Est celle qu’enseigne, en tant que justice,
Le bienfaisant seigneur saint que tu es,
Toi qui sais aussi, ! Sage !
Par la force de la bonne pensée, les doctrines secrètes.
Zoroastre, en effet, ne pouvait ni ne voulait révéler aux masses qu’il
enseignait la totalité du message qu’il avait reçu et qui n’aurait pas été
compris s’il l’avait fait. Sa « doctrine secrète » fut transmise aux
« hiérophantes » et aux gardiens des mystères, choisis parmi les fidèles les
plus dignes. Il en allait de même en Égypte lorsque Akhenaton lança la
grande réforme d’Aton.
Tout au long de cet immense poème qui se déroule comme un fleuve
majestueux, l’auteur des Gathas exalte l’œuvre divine et particulièrement le
feu, qui est l’émanation directe de l’énergie du logos :
Ton feu, Seigneur, nous souhaitons que, par la justice,
Très rapide, agressif, il soit pour celui qui t’exalte
Une aide resplendissante ; mais qu’il soit pour l’ennemi, ô ! Sage!
Selon les pouvoirs de ta main, l’éclairement de ses fautes !
Quant à la sorcellerie, aux sacrifices et à la magie noire, Zoroastre
manifeste sa colère et sa réprobation :
Les faux dieux ont-ils donc été de bons maîtres ?
Je le demande à ceux qui, en culte à ceux-là,
Regardent le sacrificateur et l’usig livrer le bœuf à la fureur
Et le prince-sorcier le faire gémir en son âme,
Et qui n’arrosent pas de purin la prairie pour la faire prospérer par la
justice.
Avant de reprendre sa marche inlassable, vers des contrées qui lui
réserveront cette fois un accueil favorable, le prophète fut cependant assailli
par le découragement et il l’exprime dans ce poème :
Vers quel pays fuir ? Où fuir, où aller ?
On m’écarte de ma famille et de ma tribu ;
Ni le village ni les chefs méchants du pays ne me sont favorables :
Comment puis-je, Seigneur, m’assurer ta faveur ?
Prenant son bâton de pèlerin, à pied, cheminant au milieu du froid et des
bourrasques, Zoroastre, vêtu d’une robe de laine blanche, vêtement des
initiés, ses longs cheveux flottants sur ses épaules, gagne, à travers des
chemins escarpés, les régions montagneuses de sa Bactriane natale où ses
efforts trouveront enfin leur récompense.
La conversion de la Perse à la religion du feu
Dans la ville de Bactres (Balkh) régnait le noble prince Vishtâpa,
cinquième souverain de la dynastie des Kayanides : le destin de
Zarathoustra allait se jouer ici et décider de son sort :
- Or le saint Zarathoustra, le pur, se mit en route pour Balkh, en vue de
gagner la cour du roi Vishtâpa. Il y arriva à une époque fortunée, se reposa
quelque temps dans le palais royal puis, après avoir, avec ferveur, invoqué
le nom de Dieu, chercha à approcher le roi. Fièrement, il entra dans la salle
d’audience et fixa son regard sur le roi, le diadème et le trône. Il vit d’abord
les chefs du royaume rangés sur deux rangs, debout et les flancs ceints, les
grands du pays d’Iran et ceux de toutes les autres régions, les chefs ou les
princes ; on eût dit que Vénus, le Soleil et la Lune remplissaient le palais de
leur lumière. Devant eux, il vit, assis sur deux rangs, pleins de dignité et de
noblesse, les docteurs, puis, autour du trône du roi Vishtâpa, deux autres
rangs de courtisans. On distinguait la valeur de chacun d’eux et s’il
possédait beaucoup ou peu de science ; et ils disputaient les uns avec les
autres devant le triomphal roi des rois ; celui qui était plus savant se trouvait
le plus proche du roi, et le roi des rois, le front ceint de la couronne de
turquoises siégeait sur le trône d’ivoire.
En pénétrant dans cette assemblée qui lui était hostile, Zoroastre savait
qu’il aurait à lutter avec les prêtres et les théologiens les plus éloquents du
royaume qui chercheraient à le confondre auprès du souverain. Mais le
prophète était aussi un très grand savant et, au cours de ses initiations, il
avait appris bien des secrets qu’ignoraient les hommes de son temps. Le
monarque bactrien fit donc approcher Zarathoustra :
Le roi des rois, ayant appelé Zarathoustra, le fit asseoir à côté de lui et
lui adressa maintes questions sur les traditions et les sciences anciennes.
Zarathoustra dûment, rendit réponse sur tout et contenta grandement le
cœur du roi, et le monarque lui donna un château fort, près de sa résidence.
Tous les sages, le cœur serré et troublés devant le roi des rois, s’en allèrent,
comptant revenir le lendemain matin, afin de reprendre la discussion avec
l’homme de la loi et le couvrir d’opprobre devant le roi ; ils ne
comprenaient pas que c’était Dieu qui rendait sa gloire éclatante.
Zarathoustra revint plusieurs fois à la cour et, ridiculisant les karpans,
convertit le roi à la nouvelle foi :
- Comme de tous les sages aucun ne demeurait qui osât souffler mot
devant Zarathoustra, celui-ci, plein de grandeur et de dignité, prenant place
au-dessus de tous, parla à Vishtâpa :
Ô Maître du monde, je suis le prophète que Dieu a envoyé au devant de
toi, Dieu par la volonté duquel les sept cieux et la Terre apparurent, et qui
créa les astres tels qu’ils sont devant ceux qui les contemplent ; Dieu qui
donna la vie et qui distribue le pain quotidien, sans reprocher ce bienfait à
ces créatures ; Dieu qui, sans que tu en prennes souci, t’a déféré la royauté,
le trône et la couronne, qui, du néant, t’a appelé à l’existence, par ordre
duquel il t’est échu de régner sur tous les hommes.
La conversion du roi entraîna celle de son peuple. Désormais, Zoroastre
disposait d’un territoire suffisamment grand pour que la religion réformée
du Soleil, faisant tache d’huile, se répande dans tout l’Iran. L’ambition
suprême du prophète était de voir la patrie de la race aryenne tout entière,
des contreforts du Caucase jusqu’au massif de l’Hindou Kousch, embrasser
le monothéisme ; unifié dans ce moule d’airain — la croyance en un seul
Dieu — formant un seul peuple et un seul empire, dominé par un seul roi, le
peuple antique de l’Iran pourrait alors, reflet lumineux de la création divine,
gagner le monde entier à la nouvelle vérité. Cette union du pouvoir civil et
religieux dans les mains d’un souverain éclairé, entouré d’un conseil de
savants et de sages, ainsi que le Soleil dans le ciel entouré par les planètes
fortifierait la « religion des Aryens » et apporterait le bonheur à son peuple.
Mais, pour l’heure, Zoroastre avait à faire face à des problèmes plus
immédiats que l’organisation de la planète, et ce rêve d’unité humaine,
toujours renouvelé dans l’histoire, depuis Akhenaton, était encore loin de se
réaliser.
Comme privilège de sa fonction de prophète, Zarathoustra reçut d’abord
le droit de prêcher la « bonne loi » dans tout le royaume.
Ensuite, Vishtâpa s’engagea à convertir, au besoin par la « guerre
sainte », les rois des alentours.
Enfin, le roi proclama la nouvelle foi, religion officielle dans ses États.
Si l’on réfléchit à la deuxième promesse du roi, on aperçoit plus
clairement les desseins du fils spirituel d’Ahoura-Mazda : volonté de
cimenter, au besoin par la force, l’union des tribus nombreuses de la Perse,
et, au-delà, volonté de créer un État fort, bastion inexpugnable de la « loi ».
Ainsi Zoroastre n’apparaît pas seulement comme un réformateur religieux,
inspiré par l’esprit, mais comme un homme d’action et même un
conquérant ouvrant la voie aux futurs empereurs achéménides et même
ressemblant, par certains côtés, à un Alexandre le Grand et, plus près de
nous, à un Frédéric II. On aurait tort de voir dans l’hommage rendu au
Soleil par tous ces hommes, qu’il s’agisse de Julien ou de Napoléon,
uniquement le signe d’une confiance aveugle dans leur destinée ; l’éclat de
l’astre du jour, et, au-delà, les fulgurations du Soleil noir, brillaient pour
tous leurs peuples et encourageaient une mystique collective du devenir
susceptible de forger une humanité nouvelle à l’image des empires défunts
de l’Hyperborée et de l’Atlantide.
Cela est si vrai pour Zarathoustra que la légende, qui recèle toujours une
profonde vérité, reporte sur le roi Vishtâpa une partie des bienfaits accordés
à Zarathoustra, signe d’union sacrée du sacerdoce et de l’empire.
Le souverain avait en effet demandé à Zoroastre quatre choses : « La
première — avait-il dit — est que mon âme soit éclairée sur la place que
j’occuperai dans l’autre monde ; la seconde, que mon corps devienne tel
qu’il n’ait cure de l’attaque des ennemis, qu’aucune arme n’ait prise sur lui
dans le tumulte des combats, car, pour propager la loi, il faudra que je fasse
encore bien des guerres. Troisièmement, que je sache d’avance ce qui va
survenir dans ce monde, de bien et de mal, manifeste ou occulte, que je
connaisse tous les événements futurs et l’avenir du monde, exactement. Le
quatrième souhait, c’est que, jusqu’à la résurrection, mon âme ne s’enfuie
pas de mon corps. »
Zarathoustra accepta, faute de quoi il aurait fait de Vishtâpa l’égal de
Dieu, de réaliser une seule de ses prières. Le roi porta son choix sur la
première. Des quatre vœux, Vishtâpa avait choisi le plus noble, ce qui était
digne d’un vrai mazdéen.
Zoroastre exauça le désir du roi et celui-ci eut par la suite deux visions
extatiques : dans la première, il fut mis en présence de deux archanges :
l’Esprit-Saint et l’Ordre sacré qu’accompagnait le Soleil invisible, le « Feu
du Seigneur ». Une autre fois, le roi se vit ravi au ciel, au cours de la
célébration d’un sacrifice. Ayant bu le vin offert par Zarathoustra, le roi
tomba en extase.
Désormais, la religion mazdéenne allait gagner tout l’Iran et jusqu’à la
Médie. Les mages, d’abord acharnés à perdre le prophète, se rallièrent à la
« religion de lumière » et les autels du feu, dédiés à la gloire solaire du
logos se dressèrent comme autant de torches vivantes de l’Esprit, reflets
terrestres des lumières du cosmos.
Ahriman, le dieu du Mal, n’était pourtant pas désarmé et restait tapi dans
le royaume ténébreux du chaos et de l’ombre. Les ennemis de l’Iran
veillaient aux frontières, et les Touraniens aux yeux bridés, nomades
parcourant les steppes de l’Asie centrale, ancêtres des Turcs et des Tartares,
sorciers et idolâtres, convoitaient les riches terres des Aryens.
Zoroastre savait que toute œuvre humaine est périssable, et son but
secret, au-delà des conquêtes temporelles et spirituelles, était de préparer les
temps futurs. Ormuzd, son dieu, lui avait prédit au cours de son
illumination, que le cycle présent de l’humanité approchait de son terme ;
bientôt prendrait fin l’âge de fer, l’âge sombre, et de cette alchimie
planétaire naîtrait la rénovation du monde. Préparer les temps futurs, former
une élite inébranlable, un roc au milieu des tempêtes, telle était la mission
de Zoroastre et du peuple iranien qui lui obéissait.
Devant les nuages lourds de menaces qui s’accumulaient dans le ciel de
l’Iran, Zarathoustra sentait que le Seigneur ne tarderait plus à le rappeler à
lui. Les Touraniens, de plus en plus menaçants, envahirent le royaume de
Vishtâpa et, pénétrant dans la ville de Bactres au moment où Zoroastre
officiait en personne devant le feu sacré, ils le transpercèrent d’un coup
d’épée dans le dos.
On était en 533 et Zarathoustra était âgé de soixante-dix-sept ans.
La Perse après Zoroastre : l’Empire du disque solaire
Après la mort du prophète, auréolé de la palme du martyre, les mages,
convertis au mazdéisme, prirent une importance de plus en plus grande
auprès des souverains mèdes et, lorsque le grand conquérant perse Cyrus,
unifiant l’Iran, mit fin à la dynastie des anciens rois et instaura l’Empire
achéménide, il fit appel au clergé de Zoroastre comme à la seule force
spirituelle existante.
Après la conquête par Cyrus II (en 539 av. J.-C.) des provinces de
Palestine et de Babylonie à l’Ouest, le monothéisme des adeptes de
Zoroastre se répand dans toute l’Asie antérieure.
L’édit de Darius Ier avait déjà proclamé le zoroastrisme religion d’État
dans l’Empire achéménide et cette profession de foi ressemble à la
révolution amarnienne d’Akhenaton, balayant l’ancien culte d’Amon. Sur
les palais et les temples grandioses construits par Cyrus, Cambyse, Xerxès,
le disque ailé du Soleil comme un leit-motiv obsédant, proclame le
triomphe de la « religion de lumière » et la gloire de l’Empire aryen. Le
calendrier zoroastrien, qui fonde le calcul des jours sur l’épiphanie solaire
et qui repousse de la sorte l’ancien décompte lunaire, est adopté par Xerxès
et le feu sacré accompagne désormais partout les rois perses dans leurs
expéditions guerrières, cependant que les mages astrologues, avant la
bataille, entonnent l’hymne sacré à Ormuzd.
Une inscription antique nous rappelle la foi mazdéenne du grand roi
Xerxès :
Quand je devins roi, des troubles agitaient ce pays que je viens
d’énumérer. Alors Ahoura-Mazda me prêta aide ; selon la volonté
d’Ahoura-Mazda, je vainquis ces pays et les remis à leur place. Et dans ces
pays il y avait un endroit où auparavant les daiva 10 étaient adorés. Alors
je détruisis, par la volonté d’Ahoura-Mazda, ce sanctuaire de daiva et
j’ordonnai : « Que les daiva ne soient pas adorés. » Là où auparavant les
daiva étaient adorés, j’adorai Ahoura-Mazda.
Lorsque, presque trois cents ans plus tard, Alexandre le Grand, pénétrant
au cœur de l’Empire du Soleil, s’interrogera sur la signification de ces
autels du feu élevés dans le désert, les mages lui répondront en lui dévoilant
le message lumineux de Zoroastre et le Macédonien sera émerveillé de
constater la similitude existant entre les grands dieux solaires : Amon-Râ,
Zeus, Ahoura-Mazda, car, à l’origine, ainsi qu’il était dit, existait seulement
« la Lumière de la Lumière, semblable à un flambeau enfermé dans un
cristal » et de cette source primordiale émanèrent d’autres entités
lumineuses, archanges ou éons qui créèrent à leur tour les myriades
d’étoiles scintillantes formant le Zodiaque et le Soleil à qui nous devons la
vie. Face aux « grandes lumières », dans l’image inversée du cosmos
régnaient les « réceptacles ténébreux », les forces négatives du pôle
inférieur.
Alexandre pouvait songer à Homère, frère hellénique de Zoroastre, car
tous deux enfantèrent pour leur peuple une « tradition d’or ». Ainsi la
mystique des nombres, présente dans l’Iliade et l’Odyssée, rejoint dans la
« perfection une » développée par Pythagore, l’essence du logos solaire.
Orphée, le divin musicien, qui vécut tel un Christ dans le pays natal
d’Alexandre, a inspiré de ses accords lyriques la harpe du poète aveugle.
Dans l’Inde voisine, Bouddha est un contemporain puîné de Zarathoustra et,
en Chine, Confucius prêche son admirable philosophie. Quant aux Gâthâs,
ces poèmes sacrés, les premières strophes commencent par ces mots : « Je
te le demande, réponds-moi en vérité, ô ! Seigneur ! » Et l’on retrouve la
même formule dans le poème nordique de l’Edda, transposition lointaine du
« mythe primordial » cher à la tradition indo-européenne et — ajouterons-
nous — atlante.
Le grand conquérant reprend en main le « flambeau de l’initiation »
lorsque les rois perses ont, de toute évidence, failli à leur mission impériale
de cosmocrator. Puis, la chaîne reste intacte avec les Ptolémées d’Égypte
qui consacrent la mission de Rome avant que la pourpre solaire ne s’abîme
pour un temps dans la nuit de l’ « âge sombre ». Pourtant il aura fallu
l’invasion arabe du VIIe siècle pour que l’on voie s’écrouler le dernier
Empire perse sassanide et que disparaisse la religion mazdéenne en Orient.
La religion d’Ormuzd avait cependant rempli sa mission en se répandant
comme le feu d’une torche dans le monde antique ; quel ne fut pas le succès
de Mithra, dieu iranien, vivante incarnation du « Soleil vainqueur de la
nuit », auprès des légions romaines, à tel point que l’empereur Julien fera
d’Hélios-roi le dieu officiel de Rome, ressuscitant le mazdéisme en
Occident, avec ce taurobole ou sacrifice du « sang pur » qui n’est autre que
la religion de l’Atlantide, berceau présumé de nos civilisations !
Quand Alexandre, dans un geste d’inspiration géniale, se proclama roi
d’Asie, souverain d’Orient et d’Occident en coiffant la tiare de Darius, il
devint de ce fait le protecteur de la « religion du feu », tant il est vrai qu’à
travers toute une lignée de destins prodigieux se manifeste l’éclat d’une
étoile qui ne pâlit jamais : le Soleil.
Aujourd’hui encore, le mazdéisme primitif n’a pas encore disparu
complètement11 et vit toujours, amoindri mais tenace, au sein des petites
communautés religieuses dispersées en Iran et en Inde, principalement
autour de Bombay où l’on peut encore voir brûler la flamme sacrée,
fascinante dans sa vasque de cuivre, au cœur des temples Parsis. On lit
toujours, dans les sanctuaires, les Gâthâs ou textes sacrés recueillis par
« Spitama » évoquant les divines paroles du maître :
Celui qui, le premier, par la pensée, a rempli de lumière les espaces
bienheureux,
Celui-là, par sa force mentale, a créé la justice…

Tombeau de Cyrus à Pasargades (photo Roger-Viollet)

1. Pierre LOTI, Vers Ispahan, p.145-146.

2. La difficulté quant à la datation de la venue de ce grand instructeur de l’humanité provient du fait


que la tradition connaît TROIS Zoroastre différents ayant vécu, selon cette hypothèse, à une époque
distincte. Le personnage que nous évoquons ici serait le dernier de cette lignée spirituelle. Dans un
précédent ouvrage : Hitler et la tradition cathare (Laffont, 1971), nous avons retracé la vie
légendaire du premier Zarathoustra, dont la naissance est située vers 4500 avant notre ère. Nous
savons fort peu de chose du second Zoroastre, qui serait venu en Iran vers 1500 av. J.-C., et sa seule
existence nous est connue par les Grecs. Annie Besant, l’un des chefs de la Société théosophique
entre 1914 et 1930, évoque cette trilogie dans son ouvrage : L’Homme, d’où il vient, où il va (éd.
Adyar, Paris, 1917).

3. Gobineau, Trois Ans en Asie, Plon, Paris.

4. Le shah de Perse, jusqu’à Riza Pahlevi (1975) portait le titre traditionnel de « Protecteur des
Aryens ».

5. Le grand ethnologue et historien Georges Dumézil a mis en évidence dans ses travaux la commune
origine des panthéons de l’Inde, de l’Iran, de la Grèce et de Rome, relevant de la répartition tripartite
en des castes dans les sociétés indo-européennes (prêtres, guerriers, agriculteurs, artisans ou
marchands).

6. Cette confusion est due au fait qu’il y eut trois Zoroastre, le premier faisant figure de mythe.

7. Texte latin des Évangiles parvenu jusqu’à nous et traduit du grec.

8. Cette légende n’est que la transposition des sept degrés d’un rituel initiatique.

9. Édouard Schuré, l’Évolution divine, p. 199-200.

10. Daiva ou dévas : anciens dieux de la mythologie iranienne.

11. Persécuté par l’islam, le mazdéisme régressa peu à peu pour se réfugier dans les régions
montagneuses où il subsista péniblement. Plutôt que d’abjurer leur loi, la plus grande partie des
mazdéens émigra dans l’Inde où le pouvoir se montrait tolérant.
Chapitre 3 - Alexandre le grand, ou le « Fils d’Amon »
Introduction
Alexandre ! Ce nom, aujourd’hui encore, résonne à nos oreilles comme
le symbole éternel de la jeunesse et de la victoire, et, en effet, la destinée
d’un tel homme est tellement exceptionnelle qu’elle paraît sortir tout droit
de la légende et non de l’histoire. Les contemporains d’Alexandre eux-
mêmes en furent tellement émerveillés que, pour le distinguer de tous les
autres personnages ayant porté ce nom, ils l’appelèrent le Grand et cette
splendide épithète, mieux que tous les éloges, couronne le front du
prodigieux héros qui, tel Jason, partit à la conquête de la merveilleuse
Toison d’or.
Et pourtant, ce demi-dieu, cet être qu’on dirait descendu de l’Olympe,
immortalisé par la statuaire antique dans l’éclat de ses vingt ans, tellement
beau qu’il semble être davantage la figuration de quelque Apollon
hyperboréen plutôt qu’un simple mortel, appartient à l’histoire ; des
hommes l’ont approché, l’ont connu, et les descriptions qu’ils nous ont
laissées ressuscitent pour nous le jeune roi de Macédoine, et ce n’est pas là
le moindre prodige. A travers une suite ininterrompue de victoires
foudroyantes, le fils de Zeus parvint, à l’aube de sa trentième année, à
toucher, sur les bords de l’Hydaspe, à l’Empire du monde. Un suprême
effort, et sans doute l’Inde millénaire ouvrait ses portes au fils du Soleil en
lui dévoilant les sources de la lumière. Le gouffre de la mort engloutit ce
rêve démesuré. Terrassé par la maladie, à peine âgé de trente-trois ans,
chiffre fatidique, Alexandre emporta le secret de son génie dans le mausolée
de cristal et d’or qui accueillit son corps en Égypte.
Ce n’est pas en relisant les historiens modernes du grand capitaine,
acharnés à chercher, dans le déroulement de la politique et le tourbillon des
batailles, la clef d’un destin incommunicable, que nous pourrons répondre à
l’ultime interrogation : qui fut vraiment Alexandre ?
La réponse à cette unique question, et qui les contient toutes, ne peut être
trouvée dans un horizon rationnel. Délivrons-nous un instant des images
toutes faites et des clichés conventionnels qui nous tracent le portrait
rassurant d’un Alexandre théâtral figé dans le carton fade d’une tapisserie
des Gobelins. Les faits, pour importants qu’ils soient, ne sont pas le miroir
de la vérité. Au-delà des événements politiques, des conquêtes militaires, et
de tous les faits, grands ou petits, qui pleuvent sur nous comme une grêle
d’orage, il nous faut déceler la magique essence de la divinité qui se
présente devant nos yeux comme la lumière déchirant les nuées.
Alexandre fut un grand esprit mystique, profondément pénétré du
sentiment de son origine supra-humaine et des conséquences qui
découlaient d’une pareille vision. Fils spirituel d’Amon-Râ, ce dieu
suprême tenant dans ses mains les attributs cosmiques du feu créateur, la
foudre et le Soleil, le plus grand héros de l’Antiquité s’inscrit bien dans
cette lignée de créatures divines engendrées par la volonté du logos.
Et si, comme nous allons le voir, le destin d’Alexandre fut celui d’un
météore, pouvait-il en être autrement ?
Le tombeau d’Alexandre
« Où se trouve, dites-moi, le tombeau d’Alexandre ? » demandait déjà, à
la fin du IVe siècle de notre ère, saint Jean Chrysostome, et, aujourd’hui,
bien des touristes visitant Alexandrie posent naïvement cette question,
comme si la présence du corps du grand conquérant dans cette
« mégalopolis », allait de soi !
Pourtant, la dépouille mortelle d’Alexandre fut bien enterrée dans cette
ville d’Égypte, il y aura bientôt vingt-trois siècles.
En mourant, Alexandre le Grand emportait le secret de son prodigieux
destin avec lui et la clé du mystère fut peut-être enfermée dans sa tombe.
Mais avant d’en venir là, il faut sans doute expliquer par quel chemin le
corps du héros parvint des bords de l’Euphrate aux rivages du Nil. L’idée
d’être enterré en Égypte venait-elle d’Alexandre lui-même, désireux de
retrouver pour l’éternité la terre sacrée de son dieu tutélaire, Amon-Râ, le
Soleil vivant ? L’historien grec Lucien lui attribue ces paroles en réponse à
une question de Diogène : « Voilà trois jours que je suis gisant à Babylone ;
mais Ptolémée a promis de me faire porter en Égypte pour y être enseveli et
mis au rang des dieux. » Vrais ou faux, ces propos correspondent en tout
cas aux sentiments profonds du jeune roi, mort dans sa trente-troisième
année. Sa visite à l’oracle d’Amon, qui lui avait promis l’Empire de
l’univers, l’avait trop profondément marqué pour qu’il ne souhaitât pas
reposer dans la terre des pharaons. Plusieurs fois déjà, au cours de sa vie, il
avait confié à ses proches son désir d’être inhumé, sinon dans Alexandrie
même, la ville qu’il avait fondée, du moins dans le sanctuaire qui lui
rappelait sa foudroyante ascension, au cœur de l’oasis libyenne cernée de
tous côtés par les feux du dieu-Soleil.
Malgré cette volonté bien déterminée, la dispute fut grande dans le camp
des héritiers pour savoir qui, des Macédoniens, des Syriens ou des
Égyptiens aurait le corps d’Alexandre. Les premiers le réclamaient avec
insistance, comme leur revenant de droit puisqu’il s’agissait de leur roi. Ils
voulaient donc le déposer dans leur capitale d’Aegae en Macédoine.
Finalement, Ptolémée, un des généraux d’Alexandre qui s’était emparé de
l’Égypte, déroba la dépouille qu’il fit transporter vers Alexandrie après
l’avoir embaumée, au milieu d’une pompe grandiose que nous a décrite très
fidèlement l’écrivain ancien Diodore de Sicile :

Dans cette année1 Arrhidée, chargé du soin de transporter le corps


d’Alexandre, avait fait construire le char qui devait servir à ce transport, et
avait achevé les préparatifs de cette solennité, digne de la gloire
d’Alexandre. Elle se distinguait de toutes les solennités de ce genre, tant par
les énormes dépenses qu’elle occasionna que par la magnificence qui y fut
déployée. Nous croyons donc convenable d’entrer ici dans quelques détails.
On avait d’abord construit un premier cercueil, recouvert d’or laminé et
rempli d’aromates, tout à la fois pour procurer une bonne odeur et pour
conserver le cadavre. Ce cercueil était fermé par un couvercle d’or,
s’adaptant parfaitement à la partie supérieure de la surface. Sur ce couvercle
était jetée une belle draperie d’or et de pourpre, sur laquelle étaient
déposées les armes du défunt, afin qu’il ne manquât rien de ce qui peut
frapper l’imagination dans de pareilles circonstances. Après cela, on
s’occupa de la construction du char qui devait transporter le corps : le
sommet représentait une voûte d’or, ornée de mosaïques disposées en
écailles, de huit coudées de long. Au-dessous de cette voûte était placé un
trône d’or occupant l’espace de tout l’œuvre ; il était de forme carrée, orné
de mufles de bouquetins2, auxquels étaient fixées des agrafes d’or de deux
palmes d’épaisseur ; à ces agrafes était suspendue une guirlande funèbre,
dont les couleurs resplendissantes imitaient des fleurs naturelles. Au
sommet était attaché un filet portant de grandes cloches qui, par leur bruit,
annonçaient au loin l’approche du convoi. A chaque angle de la voûte
s’élevait une victoire d’or portant des trophées. Toute la voûte avec ses
dépendances reposait sur des colonnes à chapiteaux ioniques. En dedans du
péristyle, on voyait un réseau d’or, dont les fils, de l’épaisseur d’un doigt,
portaient quatre tableaux de la même hauteur que le péristyle et parallèles
aux colonnes.
Le premier de ces tableaux représentait un char orné de ciselures, sur
lequel était assis Alexandre tenant dans ses mains un sceptre très beau.
Autour du roi était placée en armes sa maison militaire, composée de
Macédoniens, de Perses mélophores, précédés des écuyers. Le second
tableau représentait, comme suite de la maison militaire, des éléphants
équipés en guerre, montés en avant par des conducteurs indiens, et en
arrière par des Macédoniens revêtus de leurs armes ordinaires. Sur le
troisième tableau, on avait figuré des escadrons de cavalerie faisant des
évolutions et des manœuvres militaires. Enfin, le quatrième tableau
représentait des vaisseaux armés en guerre, préparés à un combat naval. Au
bord de la voûte se voyaient des lions d’or fixant leurs regards sur ceux qui
s’approchaient du char. Dans les interstices des colonnes se voyaient des
acanthes d’or, le dos s’élevant presque jusqu’aux chapiteaux des colonnes.
Sur le dos de la voûte était étendue une draperie de pourpre sur laquelle
reposait une immense couronne d’olivier en or ; les rayons du Soleil
tombant sur cette couronne produisaient au loin, par leur réflexion, l’effet
d’éclairs éblouissants. Tout le train reposait sur deux essieux autour
desquels tournaient quatre roues persiques dont les moyeux et les rayons
étaient dorés, et dont les jantes étaient garnies de fer. Les saillies des
essieux étaient en or et portaient des mufles de lion tenant entre les dents le
fer d’une lance. Au milieu du fond du char, d’une part, et au milieu de la
voûte, de l’autre, était fixé dans toute la hauteur du monument un
mécanisme tournant pour protéger la voûte des secousses qu’aurait pu lui
imprimer le char en roulant sur un terrain inégal et raboteux. Quatre timons
étaient fixés au char, et à chaque timon un train de quatre jougs, composé de
quatre mulets, ce qui formait un attelage de soixante-quatre mulets, choisis
parmi les plus vigoureux et les plus élancés. Chacun de ces animaux portait
sur sa tête une couronne d’or ; aux deux mâchoires étaient suspendues deux
sonnettes d’or, et les cols étaient ornés de colliers de pierres précieuses.
Tel était l’appareil de ce char, plus beau à voir qu’on ne peut le faire
comprendre par une simple description. Grand était le nombre de
spectateurs qu’attirait la magnificence de ce convoi funèbre.
La foule accourait de toutes parts dans les villes où il devait passer, et ne
pouvait se rassasier de l’admirer ; et cette foule, se confondant avec les
voyageurs, les artistes et les soldats qui suivaient le convoi, ajoutait encore
à la pompe de ces splendides funérailles. Arrhidée, qui avait employé
presque deux ans aux travaux de ces obsèques, s’était donc mis en marche
pour transporter, de Babylone en Égypte, les dépouilles du roi. Ptolémée,
pour rendre les honneurs à Alexandre, alla avec son armée au-devant du
convoi jusqu’en Syrie. Il reçut le corps avec les plus grandes marques de
respect. Il jugea plus convenable de le transporter pour le moment, non dans
le temple de Jupiter-Amon, mais dans la ville fondée par Alexandre, et qui
était déjà devenue presque la plus célèbre du monde. Il y fit construire un
temple qui, par sa grandeur et sa beauté, était digne de la gloire
d’Alexandre ; il y célébra un service funèbre par des sacrifices héroïques et
par des solennités de concours. Ptolémée fut récompensé par les hommes et
par les dieux pour avoir ainsi honoré la mémoire d’Alexandre. La
générosité et la grandeur d’âme de Ptolémée firent accourir à Alexandrie
une multitude d’étrangers empressés de servir dans son armée ; et
quoiqu’ils eussent bientôt à combattre dans l’armée royale, et qu’ils
n’ignorassent pas les dangers auxquels ils s’exposaient, ils étaient tout prêts
à donner leur vie pour Ptolémée. Les dieux, en récompense de tant de
vertus, sauvèrent utilement Ptolémée des plus grands périls.
Cette valeur prophylactique du tombeau d’Alexandre, soulignée par
Diodore, avait trouvé crédit auprès de l’armée et du peuple dès la mort du
conquérant. Les mages rapportaient que la terre abritant le corps
d’Alexandre jouirait de la protection éternelle des dieux, et, en fait, de tous
les royaumes hellénistiques, l’Égypte des Ptolémées fut le plus prospère et
le plus durable et l’étoile d’Alexandre, voué par la légende à une apothéose
mystique, brilla encore longtemps, illuminant l’Antiquité tout entière.
Quant au tombeau lui-même, d’après ce que nous en laissent croire les
auteurs anciens, il était d’une splendeur encore inégalée : surmontée d’une
coupole de marbre richement incrustée d’onyx et de jaspe, la salle funéraire,
de forme octogonale, était soutenue par une forêt de colonnes élancées, et
sa surface tout entière était revêtue de marbre noir, légèrement veiné de
blanc, d’un splendide effet. Un cercueil en or massif, doublé de pourpre,
supportait la royale momie. Le sarcophage était posé sur un piédestal de
jade blanc, envoyé de l’Inde par le roi Sandracottus, symbole des qualités
idéales et des perfections inaccessibles du défunt. La dépouille du
conquérant fut entourée d’un mobilier funéraire d’une richesse inouïe,
coffres en bois précieux, trônes incrustés d’ivoire et de gemmes, vases à
parfum, statues d’Apollon, de Zeus et d’Amon en chryséléphantine3 ou en
albâtre, objets de culte et bijoux en or. La richesse de la sépulture était telle
que l’un des Ptolémées (Ptolémée X, roi de 107 à 90 av. J.-C.), souverain
avide de richesses, pilla le tombeau dans un accès de cupidité. Il remplaça
le sarcophage en or massif par un cercueil de verre dans lequel on put
désormais admirer Alexandre, parfaitement conservé et figé dans un
sommeil éternel.
C’est ici qu’intervient une tradition très ancienne qui veut qu’Alexandre,
au moment de mourir, ait fait placer autour de son cou un tube d’or
contenant un papyrus très précieux que lui auraient donné les prêtres
d’Amon à l’oasis de Siaouah : ce manuscrit, d’essence magique, contenait-
il le secret de l’Univers, ce qui aurait fait d’Alexandre l’égal d’un dieu ?
Qu’en est-il en réalité ? Ne s’agissait-il pas plutôt d’une sorte
particulière de talisman ayant pour effet de rendre invincible son porteur ?
Le texte gravé sur le papyrus aurait été dans ce cas un arcane hermétique
compréhensible des seuls initiés. Quoi qu’il en ait été, nous ne connaîtrons
la vérité que le jour où les archéologues retrouveront l’emplacement du
mausolée d’Alexandre, dont nous ignorons présentement l’emplacement
exact.
Il n’en a pas toujours été ainsi, bien que les visites à la sépulture royale
aient cessé complètement à partir du IIIè siècle ap. J.-C. A compter de cette
époque, il semble que l’on ait oublié l’emplacement du tombeau. Comment
un tel fait a-t-il pu se produire ? Dans l’Antiquité, en effet, la visite au
tombeau d’Alexandre, célèbre dans tout le monde gréco-romain, était un
pèlerinage extrêmement connu, et le privilège d’approcher la dépouille du
conquérant, considéré comme un immense honneur, n’était accordé qu’aux
plus grands personnages.
Les empereurs romains pour leur part, en tant que restaurateurs de
l’Empire universel, se considéraient comme les héritiers spirituels
d’Alexandre le Grand. Ainsi Auguste, fondateur de la première dynastie
romaine des césars voulut-il visiter le Sema4. L’empereur put voir et
toucher le corps du conquérant avec lequel il se sentait lié par de profondes
attaches. N’était-il pas lui aussi un adorateur du dieu-Soleil : Apollon-
Hélios ? En signe de vénération, Auguste déposa une couronne d’or et des
fleurs au pied du sarcophage, refusant avec dédain de voir en même temps
la tombe des Ptolémées : « Je suis, dit-il, venu voir un roi et non des
morts. » A sa suite, Caligula et Septime Sévère vinrent s’incliner, une fois
couronnés empereurs, devant la dépouille royale. Septime Sévère ne fut pas
le dernier visiteur du mausolée, puisque son fils, Caracalla, devait, en fait,
être le dernier empereur à pouvoir contempler la dépouille mortelle. On dit
que celui-ci, encore enfant, accompagna son père dans sa visite au Sema. Il
put ainsi voir Septime Sévère, tout sanglotant d’émotion, déposer son
manteau de pourpre sur le cercueil de verre. A cette occasion, l’empereur
syrien, qui était également un fervent adorateur du Soleil, à travers le
Jupiter héliopolitain de Baal’Beck et d’Antioche, déposa dans le tombeau
un grand nombre de manuscrits précieux, contenant les principaux secrets
de la sagesse antique, car, pensait-il, personne ne serait bientôt plus capable
d’en comprendre le sens caché. Caracalla fut lui-même très troublé par ce
tête-à-tête solitaire avec la momie et il en perdit quelque peu l’esprit, allant
jusqu’à se prendre pour la réincarnation d’Alexandre. Il ordonna qu’après
lui le tombeau fût scellé, afin d’être le dernier mortel qui se soit trouvé face
à face avec le dieu. Et cette volonté trouva son accomplissement moins de
cinquante ans plus tard, lorsqu’un tremblement de terre secoua Alexandrie,
bouleversant le quartier du Sema. Dès lors on perd la trace du tombeau, ce
qui justifie l’interrogation de Jean Chrysostome. On peut cependant
supposer que les chrétiens, qui venaient alors de triompher du paganisme
dans tout le bassin du Proche-Orient, ne firent pas de grands efforts pour
retrouver la sépulture de celui que les sectateurs de l’ancien culte adoraient
comme un dieu. Les nostalgiques accusèrent même les « galiléens » d’avoir
construit une basilique sur l’emplacement du mausolée, afin d’en effacer
toute trace. L’architecte chargé de la construction de l’édifice religieux5,
Johannès de Corinthe, était pourtant un admirateur secret de l’ancienne
religion, ce qui a fait dire que, en creusant les fondations de l’église, il avait
rencontré, enfouies sous la terre, les murailles du tombeau, tellement
épaisses qu’elles avaient résisté au séisme ancien.
Johannès déplaça alors légèrement l’emplacement de l’église en
modifiant son orientation, et fit creuser, à partir des cryptes de la basilique,
une galerie en pente qui conduisait au tombeau d’Alexandre et à ceux des
Ptolémées qui avaient disparu en même temps. Ces derniers passaient pour
être remplis de richesses accumulées au cours des siècles et l’on connaît,
par les Anciens, la réputation du tombeau de Stratonice, fait d’agathe et de
cristal.
Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas en mesure de vérifier si de tels
travaux ont eu réellement lieu puisque nous ignorons l’endroit exact où fut
bâtie l’église Saint-Marc.
Les Arabes, devenus les maîtres de l’Égypte au VIIè siècle,
connaissaient le personnage légendaire d’Alexandre qu’ils vénéraient sous
le nom d’Ishkandar, mais il ne semble pas qu’ils aient retrouvé le fameux
Sema, à moins que les califes d’Égypte, jaloux de la gloire du conquérant,
aient fait faire des recherches fructueuses en gardant le secret pour eux.
Cela semble être confirmé par le fait suivant : c’est dans le « quartier
d’Alexandre » que fut construite la mosquée Nabi Daniel qui renferme le
tombeau de Saïd pacha, du prince Hassan et de différents membres de la
famille royale. Or, si l’on en croit les astronomes arabes, la légende du
prophète Daniel, qui donna son nom à la mosquée, présente de curieuses
coïncidences avec le destin d’Alexandre :
- Un jeune juif, Daniel, chassé de Syrie par les idolâtres qu’il voulait
convertir, aperçut en songe un vieillard qui lui ordonna de faire la guerre à
ces mécréants, lui promettant la victoire sur toute l’Asie. Daniel se fit de
nombreux partisans en Égypte, où il s’était réfugié, bâtit Alexandrie et,
après une heureuse expédition, revint à Alexandrie où il mourut très vieux.
Son corps fut mis dans un cercueil d’or et de pierres précieuses, mais les
juifs le volèrent pour en battre monnaie et le remplacèrent par un
sarcophage de pierre.
A travers cette histoire très déformée, on retrouve le souvenir du cercueil
d’or et de la violation de la sépulture par Ptolémée X, ce qui prouve que la
tradition du Sema n’était pas perdue. Cette mosquée, bâtie au XVIIIè siècle,
fut restaurée en 1823 par le sultan Méhemet-Ali sans que rien ait transpiré
du secret.
Nous croyons pour notre part que le mausolée fut bien découvert par les
sultans qui continuèrent à le faire visiter à leurs hôtes de marque. Sinon,
comment expliquer les propos du géographe arabe Léon l’Africain qui
écrivait en 1517 :
- Les mahométans affirmaient que, dans une certaine petite maison ayant
la forme d’une église, située au milieu des ruines, était conservé le corps
d’Alexandre, grand prophète et roi, ainsi qu’on lit dans l’Al-Coran. Et
beaucoup d’étrangers venaient même de bien loin pour voir et vénérer ladite
sépulture en laissant en ce lieu de considérables aumônes.
L’affaire fut relancée en 1850, passionnant l’élite des savants du monde
entier, lorsqu’un certain Ambroise Schilizzi, drogman au consulat de Russie
à Alexandrie, confia à l’historien Max de Zogheb l’aventure suivante :
- Cet homme après avoir descendu et longé un corridor, se trouva en face
d’une porte vermoulue à travers les fentes de laquelle il put apercevoir, dans
une espèce de cage en verre, un corps humain dont la tête était surmontée
d’un diadème, et qui paraissait à demi ployé sur une sorte d’élévation ou de
trône. Quantité de livres et de papyrus étaient épars à l’entour. Le temps lui
manqua pour se rendre un compte plus exact de ce qui excitait si fort sa
curiosité, car il fut aussitôt tiré en arrière, son guide, un des religieux de la
mosquée, se refusant à le laisser jouir du spectacle. Toutefois, il tint, dit-il, à
consigner le résultat de cette visite dans un rapport détaillé, dont il remit
copie tant au consul général de Russie, auprès duquel il exerçait une charge
honorifique, qu’au patriarche grec orthodoxe, son chef spirituel ; mais,
malgré ses démarches ultérieures, il ne lui fut jamais plus donné de pouvoir
aborder le caveau mystérieux, et le silence se fit sur cet événement.
Cette curieuse histoire est corroborée par l’architecte Mahmoud el-
Falaki, lequel visita les salles souterraines de la mosquée Nabi Daniel, lors
des sondages effectués pour l’établissement de la carte d’Alexandrie, en
1861. Il nous a laissé la narration suivante :
- Lors de ma visite dans les cryptes de cet édifice, je suis entré dans une
grande salle voûtée construite sur le sol de la vieille ville. De cette salle
dallée partaient, dans quatre directions différentes, des corridors en voûte
que je n’ai pu entièrement parcourir à cause de leur longueur et de leur
mauvais état. La richesse des pierres employées dans la construction et bien
d’autres indices m’ont confirmé dans l’idée que ces souterrains devaient
aboutir au tombeau d’Alexandre le Grand ; aussi je me réservais de pousser
plus loin une autre fois mes investigations, lorsque malheureusement un
ordre supérieur fut donné de murer toutes les issues.
Ici encore, le mur du silence fut le plus fort ; il faut donc qu’un intérêt
très grand ait existé pour qu’on tînt secret l’emplacement de l’hypogée, en
poussant même la précaution jusqu’à faire boucher toutes les issues du
mausolée, afin d’en interdire définitivement l’accès. Et ce mystère
supplémentaire vient s’ajouter à ceux qui règnent autour du personnage
d’Alexandre le Grand.
Des sondages ont bien été faits par la suite, en 1931, mais soit qu’ils
furent hâtivement faits, soit qu’on ait voulu prouver qu’il n’y avait rien, le
résultat en fut entièrement négatif.
A l’heure actuelle, et dans l’état des connaissances archéologiques, il est
possible de localiser l’emplacement du tombeau d’Alexandre. Encore faut-il
qu’une équipe compétente et sérieuse puisse entreprendre des fouilles
méthodiques dans l’ancien quartier du Sema, sans être entravée par des
ordres venus d’en haut.
Quant à l’histoire du tombeau d’Alexandre, qui n’est peut-être pas
terminée, elle prouve l’attachement mystique, sensible aujourd’hui encore,
des hommes à celui qui fut un héros de son vivant et un dieu après sa mort.
A travers les épisodes les plus saillants de la vie d’Alexandre, on peut se
demander quelle étoile autre que le Soleil pouvait présider à une telle
destinée.
Le destin d’Alexandre
Au IVe siècle avant notre ère, la Macédoine n’était pas très différente de
ce qu’elle est aujourd’hui, à savoir un pays grandiose et sauvage fait de
montagnes couvertes de forêts et de vallées profondes, semées de prairies
ou de pâturages, au fond desquelles coulaient d’impétueux cours d’eau
descendus des cimes. Cette contrée, qui fait aujourd’hui partie de la
Yougoslavie, s’étend entre l’Albanie, à l’ouest, et la Bulgarie, à l’est ; la
Grèce délimite sa frontière méridionale.
A l’époque du royaume macédonien, cette région formait un État
puissant qui faisait déjà trembler les cités grecques, inquiètes de ce
turbulent voisin nordique.
La légende qui rapporte la naissance du royaume de Macédoine vaut la
peine d’être contée. Elle indique en effet, une parenté de ses souverains
avec le Soleil, parenté que le jeune Alexandre devait faire éclater au grand
jour.
Au fin fond de la barbare Illyrie, vers la fin du VIIIè siècle (av. J.-C.),
trois frères de race grecque, nommés Gayanes, Aeropus et Perdiccas, venant
d’Argos (ville du Péloponnèse) s’installèrent en Haute Macédoine, où ils se
firent pasteurs et bergers. Descendants lointains du puissant Héraklès (ou
Hercule), lui-même fils de Zeus, nos trois héros ne pouvaient connaître un
destin ordinaire.
Un jour, l’un des frères, Perdiccas, qui était d’une grande beauté, séduisit
l’épouse d’un chef de troupeaux, chez qui les trois jeunes gens étaient
employés. Le mari, soupçonnant le manège, se mit dans une colère terrible
et chassa nos héros ; comme ceux-ci réclamaient que leur soit réglé leurs
salaires, le chef, désignant le Soleil qui dardait ses rayons par l’ouverture du
logis, leur répondit ironiquement : « Voilà tout le salaire que vous méritez,
prenez ce Soleil, je vous le donne. » Perdiccas, qui avait de la repartie,
rétorqua qu’il acceptait le paiement et, traçant un cercle dans l’espace
délimité par la lumière de l’astre, il proclama qu’il se considérait désormais
comme le seigneur et le roi de cette terre et, joignant le geste à la parole, il
s’avança devant le Soleil et lui offrit par trois fois sa poitrine nue en signe
de reconnaissance.
Par la suite, Perdiccas, aidé par ses frères, devint le premier roi de
Macédoine, tenant ainsi parole. A ce premier monarque succéda Amynthas
Ier, suivi par toute une lignée royale ininterrompue jusqu’à Philippe, futur
père d’Alexandre le Grand.
Grands admirateurs de la civilisation hellénique, les souverains
macédoniens adoptèrent la langue et la culture grecques qu’ils imposèrent à
leurs sujets. Eux-mêmes firent venir des architectes et des artistes
d’Athènes et d’autres cités, pour édifier une capitale sur le modèle grec.
Cette ville prit le nom d’Aegee. Son emplacement, en plein cœur du
royaume, sur un promontoire rocheux dominant les plaines environnantes,
faisait d’elle un point stratégique et une place militaire de première
importance.
Du haut des remparts, on pouvait contempler à perte de vue le
moutonnement des forêts qu’on disait peuplées de nymphes et de satyres.
Au loin se dessinait, vers le sud, la silhouette majestueuse du mont Olympe,
élevant à trois mille mètres d’altitude sa couronne neigeuse, demeure de
Zeus et des douze grands dieux6.
Dans cette contrée circumvoisine, nommée Pierie, sur les pentes
septentrionales de l’Olympe, s’étendait l’Empire des divinités
mythologiques, la demeure traditionnelle des Muses, abritant le tombeau
d’Orphée, le dieu musicien, au milieu d’un fleurissement de roseraies
sauvages d’où s’échappait le chant harmonieux des passereaux. Bien que
macédonienne, c’est-à-dire presque barbare, cette terre était vénérée par les
Grecs qui la considéraient comme inviolable. Non loin de là s’étendait la
ville d’Hérakléia (la cité d’Héraklès). A ses pieds coulait une rivière dont
les eaux passaient pour être aussi capiteuses que du vin.
La réalité, à l’égal de la légende, était-elle aussi séduisante ? Le climat
de la Macédoine, en tout cas, ne correspond pas à cette description
édénique : très rude en hiver avec des pluies de printemps abondantes, il
comportait des étés brûlants, coupés de terribles orages.
Le pays, quoique sauvage, était assez fertile, malgré de grandes étendues
incultes, et, dans le fond des vallées ou sur les pentes des collines, on
cultivait le blé ou l’avoine dans des champs parsemés ici et là de figuiers et
d’oliviers.
Les Macédoniens, peuple fruste et guerrier, appartenaient aux peuples
doriens, cette race indo-européenne intrépide venue conquérir la Grèce bien
des années auparavant. Au physique, c’étaient des hommes grands,
vigoureux, avec des yeux presque toujours bleus et des cheveux blonds
descendant sur leur cou en chevelure épaisse. Alexandre héritera de ce
physique nordique et sa belle prestance ne contribuera pas faiblement à son
succès car les Grecs admiraient beaucoup les hommes blonds, dont ils
avaient fait le type idéal de la beauté.

Alexandre, premier de ce nom7, fit reconnaître son ascendance hellène


et transporta sa capitale à Pella, plus au sud, qui vit affluer bientôt une
pléiade d’écrivains et d’artistes célèbres, si bien que le roi Achelaüs, fils de
Perdiccas II, donna asile au grand dramaturge Euripide qui put y écrire ses
Bacchides. Séjournèrent également à Pella : Timothée, musicien et poète
qui fut un temps l’idole d’Athènes, et le brillant Agathon, compagnon du
Banquet8 de Platon.
Lorsque Philippe, qui devait devenir le père d’Alexandre le Grand,
monta sur le trône à l’âge de vingt-trois ans, il avait pu à loisir admirer les
institutions politiques et militaires de la Grèce, puisqu’il avait passé trois
années de sa jeunesse à Thèbes, ville célèbre pour son organisation militaire
et sa discipline martiale. Le nouveau roi était non moins féru que ses
prédécesseurs de culture athénienne, et le fait qu’il fût lui-même d’origine
montagnarde accentuait encore sa vénération pour l’État-cité.
Philippe était un homme ambitieux, avec des qualités d’intelligence et de
courage et une certaine tendance à l’impulsivité et aux coups de tête. Il
n’hésitait pas, en sportif accompli, à participer aux concours de jeux et de
luttes, et ses beuveries, accompagnées de terribles colères, inspiraient de la
crainte à ses proches. Grand amateur de femmes, il avait une autre passion,
l’armée, qu’il réorganisa sur le modèle thébain d’austérité et de discipline,
dressant un corps de cavalerie : les « Compagnons » ou Hetaroi, recrutés
parmi les jeunes gens de l’aristocratie ; l’infanterie fut à son tour
développée et dressée à combattre en formation serrée sur le modèle des
« phalanges » grecques.
Cette « phalange » macédonienne devait devenir un instrument de
combat redoutable et assurer le succès des campagnes futures d’Alexandre.
L’armée tout entière, comptant à peu près dix mille hommes très bien
entraînés, pleine d’ardeur patriotique, formée de soldats de métier, était
toute dévouée à son roi et ne demandait qu’à servir.
En l’an 357, comme il entrait dans sa vingt-cinquième année, Philippe
connut un de ces accès soudains de religiosité coutumiers aux esprits
passionnés. En proie à une exaltation bien digne d’un Grec, il se rendit dans
l’île de Samothrace, en mer Égée, dont on lui avait vanté les prodiges, pour
y assister aux mystères religieux célébrés une fois l’an et connus de toute la
Grèce. Cette île était en effet le siège du culte des Cabires9, ces êtres
mystérieux qui, selon Strabon, étaient les petits-fils de Vulcain, le dieu
souterrain forgeant ses armes dans le feu des volcans, restaient, aux yeux de
tous, les habitants semi-divins des mondes souterrains, obscurs génies de la
Terre, chassés de la surface lumineuse10. Ces gnomes sont bien connus des
légendes germaniques relatées par l’Edda islandais et ce n’est pas la chose
la moins extraordinaire de constater cette parenté entre la mythologie
nordique et celle de la Grèce antique. Pourtant, une telle ressemblance, que
l’on pourrait pousser très loin, n’est pas tellement étonnante si l’on songe
qu’on se trouve en présence d’un fond commun à la famille indo-
européenne qui envahit l’Europe et le Proche-Orient dans un lointain passé.
Ces dieux « nains » ont été tour à tour considérés comme les patrons de la
Fertilité et comme les génies tutélaires de la Navigation se manifestant aux
marins en détresse sous la forme de lueurs spectrales couronnant les mâts
des navires par les soirs de tempête, plus connus sous le nom de « feux
Saint-Elme ».
Si l’on en croit l’historien Weigall :
- Les rites secrets et les orgies des Cabires étaient parmi les plus fameux
des « mystères » de l’Antiquité ; et quoiqu’il y eût plusieurs endroits où ils
s’accomplissaient — notamment l’île volcanique de Lemnos, à un jour de
navigation au sud — Samothrace était le centre réel du culte, les mystères
s’y accomplissant dans un temple près de la ville principale, dont les
maisons se cramponnaient ainsi que des arapèdes aux rochers de la côte
nord. La petite île semblait fort bien destinée par la nature à être le domaine
de ces cérémonies ésotériques, car ses rivages inhospitaliers et sans havres
surgissaient des flots de l’Égée en une poétique magnificence ; les pentes
abruptes et les précipices se superposaient jusqu’à un sommet central
atteignant plus de quinze cents mètres au-dessus de la mer. L’île entière
ressemble à une unique montagne magique qui d’elle-même serait sortie de
l’océan par une incantation mystérieuse et s’apprêterait à s’évanouir tout
d’un coup11.
Philippe de Macédoine mit pied à terre dans l’unique port de l’île, à
Paléopolis. Les mystères commencèrent dès le lendemain, attirant une foule
énorme de pèlerins venus d’Europe et d’Asie. En tant que roi, Philippe fut
accueilli par le grand prêtre du culte revêtu de ses habits sacerdotaux. Le roi
put ainsi assister aux cérémonies les plus secrètes dont on sait seulement
qu’elles consistaient en une débauche sexuelle, visant à procurer, par
l’exaltation sensuelle, la communication avec le dieu. De telles pratiques
sont très proches du tantrisme asiatique, tel qu’il est encore pratiqué dans
l’Inde. C’est au cours d’une de ces orgies sacrées que Philippe vit pour la
première fois la belle Olympias, prêtresse du culte cabire vouée aux
débauches sacrées. Philippe fut littéralement subjugué par cette beauté
sauvage qui, au son frémissant des lyres et des tambours, dansait avec de
monstrueux serpents pythons. Dévote zélée de Zeus-Amon, la jeune femme,
à peine âgée de seize ans, participa à tous les mystères, tout au long des dix
jours et dix nuits que se déroula cette fête religieuse. On y invoqua les
esprits des morts, au cours de cérémonies où l’on éteignit et ralluma tour à
tour les feux sacrés apportés de Délos, île consacrée au dieu solaire
Apollon. Initié aux petits mystères, ou mystères mineurs, Philippe se sentait
indissolublement lié à cette prêtresse aux longs cheveux dorés qui le fixait
de son étrange regard bleu. A l’issue des derniers sacrifices qui l’avaient
purifié de toute faute, il emmena la jeune femme avec lui sous promesse
d’en faire la reine de ses États.
Olympias n’en attendait pas moins du monarque, elle qui était de race
princière, fille du feu roi Neptolème Ier d’Épire, qui faisait remonter son
origine au fils d’Achille, héros immortel de l’Iliade. Cette filiation semi-
divine frappera le jeune Alexandre qui prit pour modèle et pour guide, dans
ses premières conquêtes, le grand héros de la guerre de Troie.
L’Épire, patrie d’origine de la future reine, était alors une contrée plus
sauvage encore que la fruste Macédoine ; c’était la terre d’élection de ces
êtres semi-légendaires, les « Bacchantes », ces femmes en folie qui
célébraient, au cours de cérémonies frénétiques, des rites associés aux
débauches sexuelles de toute nature. Si l’on en croit le romain Plutarque,
Olympias était « une dévote zélée de ces exercices effrénés et orgiaques »,
ce qui en dit long sur son caractère déséquilibré. Participant au culte de la
Nature, offrant son corps au Soleil, source de toute vie, c’était une mystique
sincère pour qui les débordements des sens s’associaient étroitement aux
transports religieux, dans une magia sexualis dont on n’a pas fini d’épuiser
les immenses possibilités, au sein de certains cénacles ésotériques très
fermés.
Bientôt, les noces royales furent annoncées à grand son de trompes dans
toutes les villes du pays. La cérémonie fut entourée de toutes les splendeurs
que méritait un tel événement au milieu des festins et des jeux offerts avec
largesse.
Pourtant, déjà, Olympias, aux fastes un peu froids de la cour et au luxe
figé du palais, préférait les forêts de chêne de son Épire natale et regrettait
le temps où, adorée par tout un peuple, elle célébrait les mystères cabires de
Samothrace.
Ayant désormais pour horizon les fortifications de Pella, notre jeune
reine se réfugia dans le culte mystique de son dieu d’élection : Zeus-Amon,
en lui vouant l’enfant qu’elle désirait plus que tout mettre au monde.
Comme il était loin, le pays froid et venté, ami de l’orage et les ancêtres
Pélasges, tribu aryenne arrêtée au pied du mont Tomaros par la voix du
grand Zeus lui-même, au milieu des chênes agités par la tempête. Depuis
cette époque lointaine, l’oracle de Dodone avait acquis une renommée qui
dépassa très vite les frontières de l’Épire et l’on vint de tous les coins de la
Grèce pour le consulter. Olympias, dans son enfance, avait coutume de
rendre visite à l’enceinte sacrée, elle qui était la fille du roi, le protecteur de
l’oracle.
- A Dodone, écrit un mythographe, il y avait un chêne consacré à Zeus,
et, dans ce chêne, était un oracle dont les femmes (les Pléiades) étaient les
prophétesses. Les consultants s’approchaient du chêne, et l’arbre s’agitait
un instant, après quoi les femmes prenaient la parole en disant : « Zeus
annonce, écoute-le. » Si l’on excepte Delphes, Dodone, en Épire, et
Siaouah, en Égypte, étaient les deux oracles les plus fréquentés par les
Grecs, qui les considéraient comme jumeaux, les deux institutions étant
supposées avoir une origine identique, et le procédé oraculaire aux deux
endroits étant très analogue. De même que le sanctuaire de Dodone était
situé dans les bois, le sanctuaire de Siaouah — celui que visitera Alexandre
le Grand — se trouvait dans une oasis ombreuse connue des Égyptiens sous
le nom de Sekhet-Iemy, « l’endroit des arbres ». Amon était le dieu du
sanctuaire de Siaouah, et Zeus, la divinité présidant à Dodone, était identifié
avec lui dans toute la Grèce sous le nom de Zeus-Amon ou, dans la
terminologie latine qui nous est plus familière, de Jupiter-Amon12.
Zeus représentait l’élément cosmique divin présent dans la foudre et le
tonnerre alors qu’Amon symbolisait le côté lumineux de la divinité figuré
par le Soleil éclairant l’Univers. Les deux divinités associées complétaient
le logos ou principe supérieur.
Quoi d’étonnant dès lors à ce que l’Égypte fut regardée par les Grecs
comme la terre sacrée par excellence, dotée d’une immense sagesse,
puisque tous les grands esprits de l’Hellade, aussi bien Platon que
Pythagore, furent initiés dans ses temples ; et ce souvenir de l’Égypte, fille
de l’Atlantide et mère des civilisations, apparaît très nettement dans la
mythologie grecque, au milieu de l’épisode qui vit se dérouler
l’affrontement entre Zeus et le géant Typhon. Fuyant ce monstre, démon
issu du Tartare, les dieux de l’Olympe, à la vue du géant attaquant le ciel,
gagnèrent la terre d’Égypte où ils se métamorphosèrent sous la forme
d’animaux.
La prière d’Olympias ne resta pas sans écho ; le dieu gréco-égyptien de
Dodone et de Siaouah, ce « dieu mystique de la Fécondité » dont le pouvoir
se manifestait par les étoiles filantes et par les foudres, et dont la voix,
entendue sous la forme du vent dans les arbres, avait conseillé ses ancêtres
de temps immémorial13, lui apprit, au cours d’un rêve, qu’elle allait être
enceinte. Dans ce songe, Zeus lui apparut sous la forme de la foudre
tombant du ciel et ce feu céleste qui descendait sur elle l’embrasa tout
entière comme une torche. L’enfant qui devait naître sous de tels auspices
ne pouvait avoir qu’une destinée exceptionnelle.
La nuit qui suivit la célébration du mariage, Philippe, quant à lui, fit un
autre rêve, aussi troublant que celui de son épouse : au cours de, ce songe, il
fermait le sexe de sa jeune femme avec un sceau portant la marque du
Lion14. Or on sait que cet emblème solaire est réservé aux dieux et à leur
descendance. Aristandre de Telmessos, magicien de la cour, interpréta ce
rêve comme l’annonce d’un événement heureux. « On ne cachète pas une
outre vide », déclara-t-il, et cette phrase imagée signifiait qu’Olympias était
enceinte et qu’elle mettrait au monde un garçon au cœur de lion. Et bientôt,
Olympias accoucha d’un fils qu’elle n’hésita pas à considérer comme un
« être fatidique », fils d’Amon-Râ, dieu tutélaire de l’Égypte occulte. A
l’instant de la naissance, des signes prodigieux se manifestèrent sur la terre
et dans le ciel : des tremblements de terre secouèrent le sol et des tempêtes
s’abattirent sur les flots, faisant éclater la voix de Zeus au milieu des éclairs
flamboyants. Durant l’accouchement, deux aigles, dit-on, restèrent perchés
ensemble sur le toit des appartements de la reine, présage annonçant que
l’enfant régnerait un jour sur deux empires. Le nouveau-né reçut le nom
d’Alexandre, en souvenir des rois de Macédoine qui avaient porté ce nom.
Philippe, absent de la capitale, apprit la naissance alors qu’il guerroyait
sur ses territoires. Presque en même temps lui fut annoncée la nouvelle que
Parménion, l’un de ses lieutenants, venait de remporter une écrasante
victoire sur les Illyriens, que la colonie grecque de Potidée s’était rendue à
ses troupes et qu’un cheval de ses écuries venait de gagner une course à
Olympie. Ces trois nouvelles triomphales furent interprétées par les devins
comme l’annonce d’une éclatante destinée pour l’enfant nouveau-né. La
même nuit, le grand temple d’Artémis à Éphèse, sanctuaire vénéré entre
tous, fut ravagé par un grand incendie qui détruisit l’édifice jusqu’aux
fondations. Et les mages, apprenant la nouvelle s’écrièrent : « Cette nuit-là
s’est allumée quelque part dans le monde une torche qui embrasera tout
l’Orient. » Cette torche, Alexandre allait en porter la flamme au cœur de
l’Asie et, en la ranimant au feu sacré de Zoroastre, illuminer le monde à sa
lumière solaire.
Avant d’aborder la vie d’Alexandre, il faut expliquer la signification
légendaire de sa parenté divine. Si Zeus-Amon fut le père spirituel du héros,
cette protection s’étendit sur toute sa vie. Et, dès cet instant, on doit
analyser le comportement d’Alexandre à travers la mythologie sacrée de la
Grèce et de l’Égypte.
Dans la religion grecque, Zeus est le roi des dieux, siégeant sur
l’Olympe. Son histoire semble être le modèle de la destinée d’Alexandre :
élevé par sa mère, Rhea, Zeus lutta pour détrôner son père, le dieu Cronos
et, dans ce combat, il dut affronter les Titans, alliés contre lui. Pour en venir
à bout, Zeus libéra les Cyclopes et les géants, jusqu’ici enfermés sous terre
dans une sorte d’enfer, le Tartare. Avec l’aide de ces êtres monstrueux, il
parvint ainsi à supplanter son père. Cronos et les Titans furent à leur tour
enchaînés et jetés dans le Tartare. Ainsi prit fin « cette titanomachie, ou
guerre des Titans, qui chassa du pouvoir la génération primordiale et y
installa les premiers olympiens15 ».
Mais Zeus n’était pas encore le maître incontesté. Les géants qui
l’avaient aidé dans sa conquête se retournèrent contre lui et commencèrent à
lapider le ciel. Zeus, s’armant alors de la foudre, forgée par les Cyclopes,
terrassa cette première génération mortelle en révolte contre les dieux.
Toutefois, avant d’asseoir définitivement sa puissance, Zeus devait
encore subir une épreuve, la lutte contre Typhon. Plus grand que les géants,
ce monstre heurtait de sa tête les étoiles. « Au lieu de doigts, il possédait,
aux mains, cent têtes de dragons. A partir de la ceinture jusqu’aux pieds,
son corps était entouré de vipères. Il était ailé et ses yeux lançaient des
flammes. »
Après bien des épisodes, Zeus finit par triompher de Typhon, qu’il
écrasa sous l’Etna, en Sicile.
Typhon fut le dernier adversaire de Zeus. L’âge des monstres était
révolu. Alors furent créés les hommes façonnés dans de la terre glaise.
Prométhée, qui se fit le protecteur de la race humaine, voulut, pour les
donner aux hommes, soustraire à Zeus les « semences du feu » issues de
« la roue du Soleil ». Cette fois, la vengeance du dieu fut terrible.
Prométhée fut enchaîné sur le Caucase et un aigle, oiseau vengeur du Soleil,
lui dévora le foie, toujours renaissant. Ensuite, Zeus demanda à Héphaïstos
de créer la femme, ce qui eut lieu. La plupart des grands dieux de l’Olympe,
au nombre de douze, sont fils ou filles de Zeus, ce qui lui valut le nom de
« père des dieux ».
Les divinités issues de Zeus sont : Aphrodite, Apollon, Artémis,
Héphaïstos, Athéna, Arès, Hermès et Dionysos.
Zeus se présente ainsi comme un dieu guerrier, supérieur à tous les
autres, maître du ciel, détenteur de l’arme céleste, la foudre, née du Soleil.
C’est bien pour Alexandre une parenté royale dans l’ordre divin. Nous
allons voir que son vis-à-vis égyptien, Amon-Râ, ne lui est pas inférieur.
Amon est le dieu tutélaire de l’Ancien Empire égyptien. A travers la
monarchie pharaonique, il symbolise la suprématie du principe divin
supérieur, inexprimé et inexprimable. Son nom est tiré de la racine ’imm qui
signifie l’être caché. Dérivé de l’ancien dieu Atoum, adoré à Héliopolis, Râ
est venu compléter le principe unique figuré par Amon, en symbolisant le
côté apparent de la puissance divine, agissant sur la matière, face à la
signification occulte de son jumeau. La gloire de Râ est tout entière
contenue dans l’épiphanie du Soleil, signifiant par-là le triomphe définitif
de la lumière sur les ténèbres.
En tant que fils d’Amon, le pharaon s’identifiait avec la « divinité du
ciel » descendue sur la Terre pour accomplir l’apothéose de Râ. En tant que
fils de Râ, le pharaon s’identifiait avec le Soleil, souverain de tous les
astres, et, comme lui, se proclamait immortel, triomphateur de la nuit et de
la mort. Fils d’Amon-Râ, le roi réunissait, en sa personne, la conception
eschatologique héroïque, initiatique, des divinités « solarisées ». Ces
qualités, primordiales au regard des Anciens, Alexandre les réunit sur sa
tête lorsqu’il fut couronné pharaon, en vertu d’une tradition qui se perd dans
la nuit des temps.
L’enfance d’Alexandre fut calme et heureuse. Partageant son temps entre
la Palestre16, la marche et l’étude, le fils d’Olympias et de Philippe
devenait bientôt un adolescent vigoureux, entraîné aux exercices physiques
et rompu à la gymnastique intellectuelle sous la direction de son maître le
grand philosophe et médecin grec, Aristote. Léonidas, un rigide officier de
la Garde de son père, fut son précepteur militaire, éduquant le garçon à la
dure manière Spartiate. A cette école, Alexandre trempa son caractère, qui
devait s’affirmer bientôt avec force. Au physique, l’adolescent au teint clair
et aux cheveux d’or portait déjà sur son visage, illuminé par ses yeux bleus,
le prestige naturel et la belle mine qui sont l’apanage du héros antique. Au
demeurant, Alexandre était un écolier doux et studieux, se passionnant pour
la mythologie, connaissant Homère par cœur ; son héros préféré était le bel
Achille, personnage central de l’Iliade, dont il mettait la vie en parallèle
avec la sienne ; son pédagogue, Lysimaque, flattait ce penchant pour
l’assimilation héroïque en lui faisant remarquer que la famille de sa mère
faisait remonter son origine jusqu’au fameux guerrier.
Fils du roi de Thessalie, Pélée, et de la reine Thétis, Achille « aux pieds
rapides », avait été élevé par le pédagogue Phénix, que Lysimaque ne
manquait pas de comparer avec lui-même, et, tout enfant, on lui avait
annoncé qu’il dépasserait son père en exploits et en héroïsme, prophétie qui
se révéla exacte. L’analogie était tentante entre Thétis et Olympias, d’autant
plus que cette dernière, comme la reine légendaire, était délaissée par son
époux qui la craignait comme une magicienne, depuis qu’il avait vu un
serpent se glisser une nuit dans la couche royale. Le nom même d’Achille,
chose remarquable, est dérivé du mot echis, qui signifie « serpent » et
pourrait désigner ainsi le héros de la guerre de Troie comme le fils « né du
serpent ». Olympias, avec son tempérament exalté et mystique, était
persuadée, et elle en fit courir le bruit dans le palais, que Philippe n’était
pas le vrai père de l’enfant ; Zeus-Amon, la visitant sous l’apparence d’un
reptile, avait fécondé la reine qui, dès lors, devint la mère d’un enfant divin.
Dans son amour des choses ésotériques, Olympias transmit son
enthousiasme prophétique et sa passion religieuse à son fils. Ainsi, elle
l’envoya, dès l’âge de treize ans, dans la ville sacrée de Mezia où il fut
initié dans la grotte des Nymphes aux mystères orphiques. Nul doute que de
telles cérémonies firent sur l’adolescent une profonde impression et eurent
une influence décisive dans la formation de sa sensibilité. Ainsi, à cet âge
précoce, Alexandre « était encore tout prêt à se croire l’enfant du destin, né
parmi les signes et les prodiges pour accomplir le dessein des dieux17 ».
C’est vers cette époque que se place l’épisode le plus caractéristique et le
plus célèbre de la jeunesse du héros.
Philippe avait acheté à un marchand thessalien un magnifique coursier
noir d’une taille exceptionnelle nommé Bucéphale. Or, la bête se révéla
indomptable et tous ceux qui essayaient de la monter, même les plus fins
cavaliers, étaient jetés à terre. Alexandre demanda à son père la permission
d’essayer lui aussi. Philippe, mi-rieur mi-curieux, accepta. S’approchant
alors du cheval, Alexandre lui tourna la tête face au Soleil et tandis qu’il le
flattait doucement de la voix, il s’élança sur la monture, la poussant à toute
bride. L’adolescent venait de gagner son pari. Aussitôt qu’il fut descendu de
cheval, son père l’embrassa en lui disant : « Mon fils, cherche ailleurs un
royaume digne de toi ; la Macédoine est trop petite pour te suffire ! »
Pendant toute cette période, Philippe, intrépide, poursuivit les guerres de
conquête qui devaient faire de la Macédoine un État grec à part entière
destiné à soumettre à son autorité l’Hellade tout entière ; et pouvait-il en
être autrement d’un pays ayant donné naissance au fils d’un dieu solaire ?
Précisément, et l’on peut y voir plus qu’une coïncidence, le roi de
Macédoine participa bientôt à une guerre imposée pour des motifs religieux,
même si elle eût pour conséquence de fortifier la puissance de Philippe. La
genèse de ce conflit mérite d’être expliquée car elle projette sur l’histoire
une lueur surnaturelle envoyée par le Soleil d’Apollon. Peu après la
naissance d’Alexandre, il advint que les Phocidiens, peuple voisin
méridional des Thessaliens, dont le territoire touchait au domaine sacré de
Delphes, s’emparèrent, dans un raid sacrilège, des trésors enfermés dans le
sanctuaire d’Apollon à Delphes.
Indigné, le Conseil amphyctionique, sorte de parlement réunissant tous
les États grecs en un symposium religieux, déclara la « guerre sacrée »
contre les Phocidiens. Invité à participer à la coalition, Philippe accepta
d’enthousiasme, trop heureux d’être admis au sein de la communauté
hellénique. Le roi de Macédoine se posa aussitôt en champion des traditions
grecques et fut placé à la tête des troupes destinées à chasser les Phocidiens
sacrilèges. Vaincu dans une première bataille, Philippe revint à la charge,
après avoir fait des prières et invocations au dieu Apollon afin qu’il lui
accorde la victoire. Il décora ses étendards et les casques de ses soldats de
feuilles de laurier, comme lors d’une cérémonie delphique ; s’adressant à
ses troupes, dans un discours enflammé, il leur demanda de se placer tous
sous la protection de l’Apollon solaire ; ainsi, ils deviendraient invincibles.
En effet, les soldats, galvanisés, s’élancèrent sur l’ennemi en chantant des
hymnes en l’honneur du dieu, sous la direction de Philippe, ayant l’air dans
la circonstance d’un prophète vengeur. La victoire des Macédoniens fut
complète. Philippe aurait aimé pousser jusqu’à Delphes afin de recevoir en
grande pompe les remerciements des prêtres d’Apollon, sous les
acclamations de la foule enivrée, au son des trompettes d’airain résonnant à
travers les vallons et les précipices ; mais les Athéniens ne tenaient
nullement à voir Philippe s’installer si près de leurs territoires et ils
postèrent des troupes dans le défilé des Thermopyles. Le roi de Macédoine
n’insista pas, mais se considéra néanmoins comme le protecteur des temples
de Delphes, et Alexandre, en esprit exalté et mystique, allait suivre
brillamment les traces d’Apollon, ce fils aimé de Zeus, figurant la splendeur
d’Hélios.
Arrivé en âge de porter les armes, le fils de Philippe avait-il reçu
l’éducation qu’aurait souhaitée son père ? On peut, sans crainte de se
tromper, répondre par la négative. Philippe, bon viveur et quoique d’esprit
religieux comme tous les Grecs de son temps, n’aimait pas beaucoup la
magie dans laquelle se complaisait Olympias et il voyait d’un mauvais œil
le jeune Alexandre assister très assidûment aux sacrifices dans les temples,
étudiant sous la direction de sa mère « l’art mystérieux de l’augure et de la
divination, dont la forme la plus connue était l’examen des entrailles des
oiseaux sacrifiés et l’observation de leurs marques, couleurs et
circonvolutions qui avaient toutes une signification reconnue ». Le jeune
homme apprit aussi I’empyromancie, ou divination par le feu, et
I’ornytomancie, art d’interpréter le vol des oiseaux. Il étudia encore
I’astrologie, cette science des Chaldéens qui lui prédisait une ascension
foudroyante : son thème de naissance était signé par le Bélier, premier signe
du Zodiaque symbolisé par l’animal solitaire d’Amon. Quand l’astre du jour
le traverse, la nature s’éveille et renaît à la vie, embrasée par le feu du ciel.
A la naissance d’Alexandre, entre dix heures et minuit, le Soleil entrait dans
le Lion et le signe ascendant à l’horizon oriental était le Bélier. Cette double
paternité correspondait bien à la vocation de l’enfant : celle d’un conquérant
et celle d’un esprit mystique sous la double signature d’Amon-Râ.
Il était « éduqué » comme un futur grand prêtre, ou prophète ; et nous
lisons que, dès sa première enfance, il prenait plaisir à adorer les dieux et à
leur offrir d’opulents sacrifices. Sa mère lui farcissait l’esprit de la magie et
du mysticisme qui était pour elle le manger et le boire. Léonidas l’instruisait
dans la subordination du corps à l’intelligence ; et tous deux le tenaient le
plus possible à l’écart du cercle que formaient autour de Philippe ses
officiers et ses compagnons, solides guerriers, solides travailleurs et solides
buveurs.
Néanmoins, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette éducation
ne nuisit pas à Alexandre et convenait parfaitement à son caractère orienté à
la fois vers les rêves célestes et les ambitions terrestres. En 340 av. J.-C.,
Philippe, engagé au loin dans une guerre contre les États du Nord, confia la
régence à son fils. C’était pour Alexandre une occasion de montrer sa
valeur politique et militaire. Âgé maintenant de seize ans, il commençait à
éprouver une certaine désaffection pour son père, qu’il trouvait grossier et
débauché, alors que lui-même vivait presque en ascète. La révolte d’une
tribu du Nord de la Macédoine, les Médares, fut le signal du départ en
campagne. Alexandre, prenant la tête de ses troupes, sortit de Pella, sa
capitale, dans la splendeur nouvelle de sa tenue guerrière. Auparavant, il
n’avait pas manqué de sacrifier aux dieux, invoquant l’aide du puissant
Amon, au milieu des incantations et des nuages d’encens.
L’expédition militaire fut couronnée de succès. Nous ne retracerons pas
les épisodes de la guerre qu’eurent à mener Alexandre et Philippe contre les
cités grecques qui refusaient de se soumettre à la suprématie macédonienne.
On sait que finalement cette résistance, menée par Athènes, se termina par
le désastre de Chéronée, qui consacra la victoire des phalanges
macédoniennes et mit un point final aux guerres entre cités voisines.
Alexandre, au cours de cette bataille, manifesta une bravoure sans égale.
Quant à Philippe, il se montra généreux envers les vaincus, se présentant
comme l’unificateur de la Grèce et non comme un conquérant. L’Hellade,
pour la première fois, était devenue une nation. Cette fois, Philippe pouvait
enfin se préparer à mettre son grand projet à exécution : à savoir l’invasion
de la Perse, cet Empire qui, depuis les guerres médiques, menaçait
l’indépendance des Hellènes.
Sur ces entrefaites, Philippe mourut en 336, assassiné par un de ses
compagnons de débauche, Pausanias, que la reine Olympias, de plus en plus
délaissée, avait secrètement armé.
En devenant roi de Macédoine, Alexandre, qui n’avait pas tout à fait
vingt ans, allait donner la mesure de son génie. Les préparatifs de
l’expédition contre les Perses furent hâtés et le jeune roi, qui se regardait
comme le nouvel Achille, une sorte de Christos, oint par les dieux pour
accomplir la volonté du ciel, s’embarqua, à la tête d’une flotte importante, à
destination de l’Asie Mineure… En contemplant les flots de la mer Égée,
Alexandre se rappelait la réponse de l’oracle de Delphes18, qu’il était venu
consulter quelques temps auparavant. Comme il pressait la Pythie de lui
répondre sans délai, celle-ci, dans une phrase restée célèbre, lui répondit :
« Mon fils, tu es invincible ! »
L’Empire perse, auquel s’attaquait Alexandre, était le plus vaste
ensemble territorial gouverné par une tête couronnée. Le « Grand Roi »
Darius, de la dynastie des Achéménides, pouvait ainsi contempler avec
satisfaction son immense royaume édifié par toute une lignée de
conquérants prestigieux : Cyrus, Cambyse, Darius Ier. Des rivages de la
Méditerranée jusqu’à l’océan Indien, de l’Égypte jusqu’à l’Afghanistan,
tout était sous la domination des Perses.
La possession d’un tel empire était à la mesure des projets d’Alexandre,
mais désirait-il vraiment, dès ce temps-là, conquérir tous ces territoires ? On
aurait tort de croire qu’Alexandre fut poussé uniquement par une soif de
conquête démesurée. En vérité, la soif de connaître, le désir de Dieu, cette
passion de l’âme étaient ses guides. Son père spirituel, Amon-Râ, lui avait
inspiré cette campagne et il se devait de lui obéir. Le sanctuaire d’Amon ne
se trouvait-il pas au cœur de l’Égypte, cette terre sacrée entre toutes,
humiliée et bafouée dans ses croyances millénaires par la domination
insupportable des Perses ? Il fallait délivrer l’Égypte, ceindre la double
couronne des pharaons et proclamer la victoire du dieu-Soleil ! Alors
seulement, Amon serait apaisé et Alexandre pourrait entreprendre la
conquête du monde.
Le chemin de l’Égypte passait par l’Asie Mineure. Le conquérant devait
donc parer au plus pressé et battre les armées perses sur les bords de la mer
Égée avant d’esquisser son grand mouvement tournant vers la Palestine et
la vallée du Nil.
L’historien Weigall souligne cette pensée d’Alexandre :
- L’ultima Thulé de sa présente vision de conquête ne résidait pas dans le
lointain Orient où le destin l’entraîna par la suite ; elle résidait, à mon avis,
dans le désert à l’ouest de l’Égypte, à deux cent quatre-vingts kilomètres en
arrière de la côte de la Méditerranée. Là était l’oasis de Siaouah, la demeure
du dieu Amon dont, en un sens mystique, il se croyait le fils ; par cette
conquête du littoral de la Méditerranée orientale il créerait une grand-route
grecque jalonnée de cités grecques, faisant le tour depuis la sacro-sainte
Siaouah au sud jusqu’à la Macédoine au nord, et de là à Dodone, la
demeure de Zeus-Amon, le lieu saint des compatriotes de sa mère.
En même temps, Alexandre, en débarquant sur cette terre d’Asie, déjà
foulée par les guerriers d’Homère, marchait dans les pas d’Achille auquel il
ressemblait étonnamment, dans l’éclat de ses vingt et un ans, revêtu de sa
cuirasse jetant mille feux au Soleil, coiffé d’un casque d’argent à hautes
plumes blanches, qui le faisait reconnaître du plus loin par ses soldats. Sur
la galère royale un sacrifice fut offert à Poséidon, dieu des Mers, et le sang
d’un taureau blanc rougit l’écume du rivage. Ainsi était rendu hommage à
Thétis, la nymphe des Eaux, mère d’Achille et aïeule d’Alexandre.
Dès que le navire eût touché le sable de la côte, Alexandre sauta sur le
rivage. Le jeune roi se mit à réciter des vers de l’Iliade, puis il déclara
prendre possession du pays par le droit des armes.
De nouveaux autels furent élevés à Zeus, Athéna et Hercule. Enfin,
Alexandre, en l’absence d’ennemis, désira visiter le site de l’ancienne Troie
ou Ilion, qui avait vu se dérouler les exploits de l’héroïsme grec. Dans le
temple d’Athéna, le jeune roi s’empara des armes qui, dit-on, avaient
appartenu à Achille, et, à la place, posa son bouclier incrusté d’or. Par la
suite, cette armure troyenne l’accompagna toujours pendant les batailles
« comme un symbole magique de son affinité avec les héros homériques de
jadis 19».
Le tombeau d’Achille fut ensuite l’objet de sa visite. Il pleura sur le
souvenir du héros et, déposant des fleurs sur le marbre, il versa une libation
dans une coupe d’or.
Les Perses attendaient Alexandre sur les bords du fleuve Granique, mais
celui-ci ne leur donna pas le temps de se déployer. Poussant en avant sa
cavalerie d’élite, il traversa le fleuve et coupa en deux les lignes adverses,
transformant bientôt la défaite des Perses en désastre. Alexandre, pendant
toute la bataille eut le soleil dans le dos. L’astre du jour était avec lui pour
lui accorder la victoire.
Fonçant rapidement vers le Sud, le Conquérant s’empara au passage de
la Phrygie puis, traversant les « Portes de Cilicie », il déboucha en Syrie,
s’empara de Tarse et se retrouva devant Soches. Là, Darius l’attendait avec
une armée considérable, beaucoup plus nombreuse en tout cas que la petite
troupe macédonienne. On estime les effectifs du Grand Roi, mercenaires
compris, à deux cent mille hommes. En face, Alexandre n’en alignait que
trente mille.
Arrivant dans la Plaine d’Issus, le Conquérant, une nouvelle fois, prit
l’initiative des opérations. Dans une charge irrésistible, Alexandre atteignit
le centre du dispositif ennemi et se retrouva à portée de lance de Darius.
Celui-ci, voyant la tournure des événements, prit la fuite sur un char.
Bientôt l’armée grecque tailla en pièces les Perses : le désastre fut bien pire
qu’au Granique et la bataille d’Issus reste une des plus belles victoires
d’Alexandre.
Les portes de l’Égypte étaient désormais ouvertes.
Alexandre rencontra encore une résistance devant le port de Tyr, dont le
siège dura six mois, de janvier à juillet 332, et qu’il ne voulait pas laisser en
arrière. Il se passa alors un fait extraordinaire : la prise de la ville
correspondit à la date astronomique du lever héliaque de Sirius, l’étoile du
Chien, ce qui signifie que l’Astre, absent du ciel pendant toute une période
de l’année réapparut à l’horizon oriental pour marquer la victoire
d’Alexandre et lui annoncer qu’il porterait bientôt la tiare des Pharaons.
Dans l’astrologie égyptienne, Sirius revêt en effet une importance de
première grandeur et la « Grande Pourvoyeuse » est constamment évoquée
dans les textes des Pyramides : « Isis vient à toi (Osiris) joyeuse de ton
amour ; Ta semence monte en elle, pénétrante comme Sirius, Horus
pénétrant sort de toi en son nom de : Horus qui est dans Sirius » (Pyr, 1635-
1636).
Sirius, dans l’ésotérisme du Temple Égyptien, joue le rôle du Grand Feu
Central pour notre Soleil. Or la Science Moderne nous apprend que cette
étoile double, dont la densité est extrêmement lourde, pourrait bien suggérer
l’existence d’un système atomique cosmique ayant pour noyau l’ancienne
« Sothis » (ou Sirius). S’agirait-il du Soleil Intermédiaire annoncé par
Jamblique ?
Quoi qu’il en soit, Alexandre le Grand, en pieux fils d’Amon, modifia le
calendrier grec afin que désormais l’instant du lever de Sirius marque le
commencement de l’année nouvelle, ainsi qu’il était fait en Égypte.
Poursuivant sa marche, l’armée macédonienne enleva Gaza, le verrou de
la vallée du Nil. Constatant que toute résistance était inutile, le gouverneur
perse rendit le pays sans combat.
C’est en libérateur, au milieu de l’enthousiasme populaire, qu’Alexandre
fait son entrée en Égypte. L’armée de terre et l’armée de mer, commandée
par Héphestion20, se rejoignent à Héliopolis, la ville du Soleil, symbole de
victoire, et à Memphis, la capitale des rois, où il a fixé sa résidence,
Alexandre accueille le collège sacré des prêtres d’Amon (son protecteur)
qui viennent lui offrir la tiare des pharaons.
Dans le temple de Ptâh, au cours d’une cérémonie, accessible aux seuls
initiés, a lieu le sacre ; le grand prêtre de Ptâh a dépouillé Alexandre de ses
vêtements et celui-ci s’est alors purifié dans un bain d’eau lustrale ; le grand
prêtre lui a imposé les mains puis il l’a oint de l’huile sainte, à tous les
endroits du corps qui sont les centres occultes de vie21, puis on l’a revêtu
des vêtements de la royauté ; il s’est assis sur le trône doré, il a coiffé la
mitre blanche de Basse-Égypte et le mortier rouge de Haute-Égypte ; la
couronne Atef du dieu Râ, le bandeau de tête Seshed, la couronne de peau
bleue ou khé-peresch, la couronne ibes, enfin le diadème fait de hautes
plumes d’autruche. Alors Alexandre accomplit la « montée royale »,
pénétrant dans un grand « naos » de granit rose, posé sur un socle de grès et
entouré à l’est et à l’ouest des colosses osiriaques. Dans la pénombre
impressionnante, il est appelé le « fils d’Amon » et, grâce à lui, il régnera
sur tous les domaines du Soleil22. On lui remet enfin les signes de la
royauté : le sceptre ansé, symbole de toute vie et le flabellum, ou fouet,
signe de toute-puissance. Alors seulement, il est investi du grand nom, et
l’on énumère l’énoncé de sa titulature royale : « fils d’Horus, roi de la
Haute- et de la Basse-Égypte, élu du dieu-Soleil, Alexandrès, bien-aimé
d’Amon, seigneur des ascensions comme le dieu-Soleil pour toute
éternité ».
Se reconnaissant comme l’héritier du dernier pharaon, chassé par les
Perses, Alexandre se prosterne devant la statue de Nectanébo qu’il
embrasse sur la bouche pour recueillir le souffle de son prédécesseur.
Visitant son nouveau royaume, il décide d’édifier un grand port dans le
delta du Nil, qui s’appellera Alexandrie, en souvenir de lui. Les plans sont
confiés au grand architecte grec Dinocrate et la ville deviendra la capitale
de la culture hellénique. Profitant du répit que lui donnait l’interruption de
la guerre, Alexandre voulut alors accomplir un pèlerinage qu’il méditait
depuis longtemps : la visite à l’oracle d’Amon. Avant le combat décisif
contre Darius, il lui fallait rester en tête à tête avec son « père spirituel ».
Accompagné seulement de Hephestion et de quelques fidèles, Alexandre
se mit en route pour l’oasis de Siaouah qui se trouvait dans le désert de
Libye, à trois cents kilomètres à l’intérieur des terres. Ce n’était pas une
promenade, mais un voyage qui durait huit jours, à pied — on n’utilisait pas
les chameaux à cette époque — à travers un désert de sable brûlant.
Alexandre se trouva pris dans une tempête de sable qui lui fit perdre sa
route, mais le vol des oiseaux guida la petite troupe jusqu’à l’oasis. La soif
se fit aussi sentir, car il n’y avait pas de point d’eau, mais Alexandre ne
s’apercevait de rien : il était transporté par son rêve et comme dans un état
second, et lorsqu’il arriva au pied du petit temple, caché dans un bouquet de
palmiers, il tomba à genoux en remerciant le ciel. Alexandre fut reçu par les
prêtres d’Amon et introduit seul dans le sanctuaire. Il put y contempler la
barque symbolique qui contenait l’image divine ; Diodore de Sicile en parle
ainsi :
- L’idole du dieu Amon est couverte d’émeraudes et d’autres parures, et
elle rend des oracles d’une façon très particulière. Elle est portée sur une
longue barque d’or par quatre-vingts prêtres. Ceux-ci, soutenant leur dieu
sur leurs épaules, se dirigent automatiquement là où les pousse la volonté
divine. Et derrière eux vient la procession des jeunes filles et des femmes
qui chantent sur toute la route des péans et des hymnes.
L’image d’Amon n’était pas une statue, comme on l’a souvent pensé,
mais un météorite, une pierre tombée du ciel, selon l’expression des
Anciens. Ces « bétyles » ont toujours été vénérés dans l’Antiquité parce
qu’il présentaient, de par leur origine, un caractère sacré. Ces « pierres de
foudre » étaient pour les Grecs l’attribut de Zeus qui gouverne le ciel et
donc, en ce qui concerne l’oracle égyptien, cette puissance se confondait
avec celle d’Amon, dieu cosmique du panthéon égyptien. Mircéa Eliade
considère en outre que ces météorites « représentent le centre du monde », à
la fois « symboles et emblèmes ». Leur caractère sacré suppose une théorie
cosmologique en même temps qu’une conception précise de la dialectique
hiérophanique23. Ces pierres représentent en effet la « maison de Dieu »,
provenant d’un fragment détaché de la divinité centrale, le Soleil.
Alexandre demanda au grand prêtre de se faire son interprète auprès
d’Amon, puis il posa la question qui lui brûlait les lèvres : serait-il le maître
du monde ? Il lui fut répondu que oui. Demandant ensuite si tous les
meurtriers de son père (Philippe) avaient été punis, l’oracle répondit :
« Exprime toi mieux, car nul mortel ne peut tuer ton père (qui est Amon) ;
mais tous les meurtriers de Philippe ont été punis. » Alexandre posa encore
d’autres questions dont il garda les réponses secrètes.
Les prêtres lui remirent en même temps un manuscrit magique, talisman
qui devait le protéger toute sa vie et lui révéler le secret de l’Univers. C’est
ce papyrus, enfermé dans un tube d’or, qui fut peut-être enterré avec la
momie d’Alexandre24.
Désormais paré de l’auréole divine, le conquérant revint en Égypte où il
poursuivit activement les projets grandioses qu’il avait conçus pour
Alexandrie : fondation d’une bibliothèque immense, élévation d’un phare
gigantesque, construction d’un port en eau profonde, percement de grandes
avenues rectilignes.
A partir de cette date, la « divinité » d’Alexandre fut acceptée par les
Grecs sinon par les Macédoniens. L’oracle d’Apollon à Branchides et celui
d’Érythrée le reconnurent comme un dieu et lui-même ne cessa plus de
considérer qu’il avait pour père Zeus-Amon, allant même jusqu’à s’adresser
aux Athéniens en ces termes, faisant allusion à Philippe comme à quelqu’un
« qui dans le passé fut appelé mon père ». A compter de cet instant,
Alexandre se mit à porter autour de sa tête la résille d’or ornée des deux
cornes de bélier, emblème solaire de sa divinité, ressemblant ainsi, avec ses
cheveux blonds, au dieu Amon lui-même.
Le jeune roi pouvait désormais se consacrer tout entier à son projet
suprême : conquérir l’empire de Darius et atteindre les limites du monde
civilisé.
Au moment de se lancer dans sa grande aventure orientale, Alexandre
avait le sentiment de percer les portes du mystère, car enfin, qu’est-ce que
les Grecs et à plus forte raison les Macédoniens savaient au juste sur
l’Empire des Achéménides ?
Peu de choses, en vérité, et le plus souvent des histoires colportées de
bouche à oreille, assez éloignées de la réalité. On racontait, par exemple,
que les Perses étaient des barbares, tout juste bons à construire des maisons
de torchis, des adorateurs du feu voués à un culte primitif, des esclaves
dominés par un tyran asiatique despotique et cruel.
Les soldats hellènes connaissaient à peine le nom de Babylone, cette
énorme métropole vingt fois plus grande qu’Athènes, et Suse, Persépolis,
Ecbatane, ces opulentes et vastes cités, restaient pour eux des noms
inconnus. Soupçonnaient-ils même l’immense étendue des territoires
dominés par les monarques Achéménides ? Hormis l’Asie Mineure et la
Babylonie, que représentaient pour eux ces provinces aussi vastes que des
mondes : la Susiane, la Médie, l’Hyrcanie, la Bactriane, la Sogdiane ? Des
contrées inconnues et presque mythiques enrobées d’un épais mystère.
Guidés seulement par le sentiment de supériorité que leur donnait la
qualité de citoyen grec et confiants dans l’étoile de leur général qu’ils
admiraient plus que tout, ces hommes se lancèrent à l’assaut d’un monde
qu’ils n’auraient sans doute jamais affronté s’ils avaient su la vérité.
Quarante mille fantassins et huit mille cavaliers se mirent en marche
vers l’Euphrate. Franchissant ensuite le Tigre par surprise, l’armée grecque
se trouva soudain en face d’une troupe innombrable. Darius avait regroupé
dans la plaine de Gaugamèles une armée immense composée de Perses, de
Bactriens et même d’indiens, de Scythes, de Parthes et de Mèdes,
contingents levés dans toutes les parties de son immense empire. En tout, le
Grand Roi alignait au moins deux cent cinquante mille hommes. De plus,
Darius comptait beaucoup sur ses éléphants de guerre et ses chars de
combat armés de faux tranchantes comme des rasoirs. Mais il était dit que
ce déploiement de forces ne servirait à rien. Alexandre était l’envoyé des
dieux ; les astrologues de Memphis que le conquérant avait emmené avec
lui devaient se prononcer ; or, ce même jour, se produisit une éclipse de
Lune. On sait que la Lune, sous la forme de la déesse Astarté, était vénérée
à Babylone. Cet obscurcissement de l’astre nocturne passa, aux yeux
d’Alexandre pour un signal de son père Amon-Râ, le dieu-Soleil, qui lui
annonçait la victoire, et les devins dirent qu’il en était bien ainsi.
Dès lors, Alexandre n’hésita plus. Au petit jour, il rassembla son armée
et, renouvelant la manœuvre d’Issus, il se jeta dans la mêlée avec sa fougue
habituelle, entraînant sa cavalerie sur le centre du dispositif ennemi pendant
que ses phalanges soutenaient le choc de la cavalerie perse ; arrivant sur son
coursier magnifique, Bucéphale, Alexandre se trouva face à face avec
Darius qui, pris d’une terreur folle, sauta à bas de son char et monta sur un
cheval qui s’éloigna au galop. A la nouvelle de la fuite du roi, l’armée perse
se débanda ou se rendit à merci. Reçu avec tous les honneurs par les
dignitaires civils et religieux, Alexandre fit son entrée dans Babylone par
des rues jonchées de fleurs. Devant cet accueil, le conquérant décida de
respecter la ville et de ne pas la livrer au pillage. Les Macédoniens furent
stupéfaits de voir, non une étendue de masures, mais une cité aux remparts
gigantesques hérissés de tours monumentales. Avec ses jardins suspendus,
ses palais décorés de faïence et d’or, la ville éclipsait tout ce que les soldats
avaient vu jusque-là. Au cœur de Babylone se dressait, tour immense et
multicolore, la ziggourat centrale, cette « tour de Babel » biblique, qui
semblait vouloir escalader le ciel.
Ses sept étages, chacun d’une couleur différente, symbolisaient, miroir
terrestre de l’au-delà, les sept jours de la semaine et « rappelaient »
l’ascension de l’âme humaine pendant toute l’évolution planétaire, depuis
sa sortie du chaos pendant la période saturnienne, jusqu’à son retour au
Soleil divin à travers les métamorphoses de notre monde. Et la pyramide,
caméléon aux couleurs changeantes, semblait participer elle-même à cette
épuration graduelle. Car elle passait du noir de Saturne à la blancheur
d’albâtre de Vénus, et, par le rose pâle de Jupiter, par le bleu chatoyant de
Mercure au rouge foncé de Mars, pour s’affiner, comme le pistil d’une fleur,
dans le temple argenté de la Lune et dans la chapelle dorée de Bel25.
Alexandre lui-même, depuis le début de la campagne, allait
d’étonnement en étonnement. Maintenant, il ne se considérait plus comme
un envahisseur, mais comme un prophète et un libérateur venu porter à
l’Asie offerte le message grec de la liberté. En revanche, il commençait à
voir toute la beauté et la richesse spirituelle de l’Orient et il se mit à étudier
la religion et la philosophie des Perses.
Après Babylone, les autres grandes cités, Suse, Pasargades, Persépolis la
capitale, tombaient entre les mains du conquérant. Mais Ecbatane, la
résidence d’été de Darius, devait réserver aux Macédoniens une dernière
surprise. Dans un cadre éblouissant de montagnes bleutées couronnées de
sommets neigeux, la riche cité, capitale de la Médie, étalait ses palais et ses
jardins.
La ville, nous dit Hérodote, comportait sept enceintes concentriques,
l’une dépassant l’autre de la hauteur de ses créneaux. Ceux de la première
enceinte étaient faits de pierres blanches ; ceux de la seconde de pierres
noires ; ceux de la troisième étaient de couleur pourpre ; ceux de la
quatrième bleus ; ceux de la cinquième, rouge de sardoine. Quant aux deux
derniers murs, ils étaient plaqués d’argent et d’or. Tout au centre se trouvait
la résidence du roi.
On retrouve ici, chez les Perses, la cosmogonie planétaire de Babylone ;
mais alors que chez les Sémites assyriens la Lune est exaltée, chez les
Aryens de l’Iran, pénétrés par la doctrine de Zoroastre, c’est le système
héliocentrique qui se trouve exalté et, de même que le Soleil dans le cosmos
attire les autres planètes, le roi de Perse, au milieu de son palais, lumière de
son empire, attire tous les peuples autour de sa toute-puissance.
Alexandre comprit ce fabuleux enseignement et, se proclamant roi
d’Asie, ayant vocation à gouverner tous les territoires de cet immense
continent, il entendit réunir tous les peuples sous une même loi et dans une
même religion, celle d’Ormuzd, celle de Zoroastre, celle d’Amon-Râ.
Succédant à Darius qui vient d’être assassiné par ses propres officiers, il
dépose son manteau de pourpre sur le corps du roi et se proclame son
héritier. Il porte la tiare des Mèdes et revêt le costume oriental, exigeant
désormais qu’on se prosterne à ses pieds, dans cette proskinesis qui est une
marque d’adoration.
Des soldats et des officiers perses sont introduits dans l’infanterie et la
cavalerie. L’armée purement grecque se transforme en une gigantesque
mosaïque militaire groupant tous les peuples de l’empire, et puisque
Alexandre est le successeur de Darius, les assassins du Grand Roi seront
châtiés. Bessus, un des satrapes ayant participé au complot, est poursuivi,
arrêté et condamné à mort. Alexandre s’identifie totalement avec l’ancien
roi et prétend régner sur tous les territoires de l’empire en réconciliant
l’Orient et l’Occident, toujours antagonistes. Le Soleil levant et le Soleil
couchant ne diffusent-ils pas la même lumière ? Alexandre sentait
maintenant toute la profonde sagesse de l’Asie, faite d’intuition et non de
raison logique.
Son dessein, écrit Plutarque, ne fut pas de courir fourrager l’Asie,
comme un capitaine de larrons ; ni de la saccager et de la piller, comme si
une félicité inespérée eût résidé dans le ravage et le butin… Sa volonté fut
de rendre toute la terre habitable sujette à la même raison, et tous les
hommes citoyens d’un même État et d’un même gouvernement. Si le grand
dieu qui avait envoyé l’âme d’Alexandre ici-bas ne l’avait pas
soudainement rappelée à lui, il n’y aurait eu, à l’avenir, qu’une seule loi
régissant tous les vivants et l’Univers entier eût été gouverné sous une
même justice, comme sous une même lumière. La façon dont il réalisa son
expédition nous montre qu’il agit en vrai philosophe, non point pour
conquérir de plantureuses richesses, mais pour faire régner la paix
universelle, la concorde, l’union, et assurer la communication de tous les
hommes les uns avec les autres. S’estimant envoyé par le ciel pour être le
commun réformateur, le gouverneur et le réconciliateur de l’Univers, il
assembla le tout en un, de tous côtés, en les faisant boire tous, pour ainsi
dire, à une même coupe de félicité. Mêlant ensemble les vies, les mœurs, les
mariages et les coutumes, il commanda à tous les hommes vivants de
considérer la totalité de la terre habitable comme leur patrie et invita tous
les gens de bien à se sentir parents les uns des autres, les méchants seuls
étant exclus.
Afin de bien marquer aux yeux de tous cette volonté de continuité,
Alexandre rend visite au mausolée du grand conquérant Cyrus que l’on peut
encore contempler aujourd’hui dans la plaine de Pasargades. Il pénètre dans
le tombeau par une étroite ouverture et, dans cette solitude qui le met face à
face avec la mort, Alexandre déchiffre l’inscription du sarcophage qui laisse
en lui un grand trouble :
« Je suis Cyrus, qui ai conquis aux Perses cet empire. Ne m’envie pas
l’infime poignée de terre qui recouvre mon corps. »
En effet, il n’existe pas que des royaumes matériels et le nouveau « roi
d’Asie » comprend qu’il doit devenir un « cosmocrator », c’est-à-dire un
monarque dominant l’Univers matériel et un chef sacerdotal, intermédiaire
entre dieu et les hommes, en se plaçant sous la double protection de Cyrus
et de Zoroastre, cet instaurateur de la religion de lumière dont il suit les
traces, lui, le fils du Soleil par la grâce de Zeus-Amon.
Or, de conquête en conquête, de Médie en Hyrcanie, des sables brûlants
de la Gédrosie à la verdoyante Parthie, le disque d’or du Soleil, toujours
plus brillant et plus chaud, appelle à poursuivre la route vers ses sources
lumineuses. Cet immense périple conduit Alexandre vers des terres toujours
plus lointaines et, maintenant, il s’enfonce vers le nord, dans ces terrae
incognitae de Bactriane et de Sogdiane où la population lui oppose une
résistance farouche, dont il parvient difficilement à briser la révolte, lui, le
vainqueur d’innombrables combats. Dans ces contrées montagneuses,
chaque piton rocheux est une forteresse qu’il faut assiéger. On dirait que se
concentre en cet endroit une ultime résistance recouvrant quelque
impressionnant secret.
Mais cette fois encore, Alexandre est décidé à vaincre, poussé par une
angoisse mystérieuse. Il sent l’appel du Soleil, et parce que la Bactriane et
la Sogdiane sont le pays de Zoroastre, où le prophète a enseigné sa religion
grandiose, il lui faut ces provinces tout imprégnées d’influence spirituelle.
Une fois occupée cette terre sacrée, Alexandre savait qu’il ne pouvait plus
être vaincu, et c’est également pour des motifs religieux et mystiques que
les derniers lieutenants de Darius, les généraux et satrapes d’Orient,
opposèrent au conquérant une résistance farouche. Ils savaient l’enjeu de la
bataille, la possession de Bactres, la ville de naissance de Zoroastre, la cité
magique visitée par les « supérieurs inconnus » de l’Inde, la cité
magnétique reliée au cœur du monde, constituant l’une des entrées du
royaume souterrain de l’Agartha, cet empire mystérieux où siège le « roi du
monde », sous les montagnes de l’Asie centrale.
Faisant son entrée dans Bactres en 329, Alexandre y reste deux ans qu’il
met à profit pour étudier la doctrine des « maîtres de sagesse » dont nous ne
savons plus rien.
L’antique cité est encore debout aujourd’hui et ses vestiges, s’élevant
dans un cadre sauvage, recèlent une majesté qui a frappé tous les visiteurs.
Toynbee qui visita la ville en 1960 nous dit :
- Aujourd’hui, j’ai vu Balkh de mes propres yeux et j’ai pu en recueillir
une collection d’images. La première fut celle de son rempart méridional tel
qu’on l’aperçoit de la route venant du sud. La seconde fut le vaste espace
intérieur de la ville, contemplé du haut du Bordj-I-Ayran, un pavillon
perché à l’angle sud-ouest de ses murailles. La troisième fut prise de la
citadelle (qui est, à elle seule, une cité dans la cité). La quatrième fut prise
du sommet de la citadelle, d’où le regard ne découvre pas seulement le
pourtour de la ville et la majeure partie du circuit de ses remparts, mais une
large portion de la campagne environnante. La cinquième fut de nouveau le
rempart méridional, mais vu cette fois-ci de la dernière terrasse d’un des
deux temples de Zoroastre qui flanquent de part et d’autre les approches de
la ville quand on l’aborde de ce côté. La dernière image fut la face sud-est
de ses murailles, aperçue par-dessus mon épaule, tandis que ma voiture
quittait Balkh en empruntant la nouvelle route qui conduit à Mazar-I-Sharif.
Certes le périmètre enclos dans les remparts extérieurs de Balkh est
dérisoire quand on le compare à la surface construite de Chicago ou de Los
Angeles, où chaque point est séparé des autres par une cinquantaine de
kilomètres. Et cependant, Chicago et Los Angeles m’ont laissé froid, tandis
que Balkh — cette coquille vide d’une cité défunte — m’a littéralement
terrassé. J’étais pourtant sur mes gardes. Je m’attendais à être impressionné
par sa grandeur. Je m’étais longuement penché sur les photographies et les
cartes. J’avais lu toutes les descriptions que j’avais pu m’en procurer. Mais
l’image que je m’en étais faite ne répondait en rien à la réalité. Que les
touristes qui s’extasient sur Chicago en prennent de la graine ! Je suis
certain que les Alexandrins qui visitaient Balkh au temps où elle était la
capitale de l’Empire gréco-bactrien ont dû être frappés de stupeur. Et je suis
certain que les Romains qui la visitèrent au temps où elle était une des
capitales de l’Empire du Kouchân ont éprouvé le même sentiment. Pour ma
part, j’en suis resté abasourdi. Ces murailles cyclopéennes, ces tours, ces
amoncellements de terre, même dans leur état de délabrement actuel,
donnent une haute idée de la majesté à laquelle peut atteindre un effort
humain soutenu sans défaillance à travers douze siècles…
Quel est l’âge de Balkh ? Nul ne saurait le dire. Elle s’enorgueillit d’être
la mère des cités. Mais rien ne permet de vérifier cette assertion. On peut
dater toute une période de civilisation grâce à un seul tesson d’amphore.
Mais des murailles de terre, même lorsqu’elles atteignent des proportions
aussi colossales, ne livrent pas leur secret aux archéologues. Les briques
séchées au Soleil n’ont pas d’âge. Elles peuvent appartenir aussi bien à un
millénaire qu’à un autre.
De sorte que tout ce que nous pouvons savoir du passé de Balkh, en
interrogeant les vestiges titanesques de ses remparts, est qu’elle a été une
des plus grandes métropoles de l’Univers, durant quatre-vingt-cinq pour
cent du temps qui s’est écoulé depuis l’apparition sur terre de ce que nous
appelons la civilisation. C’est seulement au cours des sept cent cinquante
dernières années que Balkh a sombré dans les ténèbres de l’oubli26.
Mais encore une fois la « grande lumière » était plus loin. Les prêtres de
Zoroastre avaient bien expliqué au roi comment, à l’origine, tout était
lumière « semblable à un flambeau enfermé dans un cristal ». A l’opposé
étaient les « réceptacles ténébreux » ou forces du mal. Mais, si Alexandre
voulait en savoir davantage, dirent-ils, il devait aller jusque dans l’Inde, sur
les bords du fleuve Ganga où se trouvaient les « hommes sages » méditant
dans leurs temples en forme de lotus. Là, Alexandre connaîtrait la sagesse
suprême enseignée par Çakyamouni, le Bouddha, bien des années
auparavant.
L’inde ! Ainsi il y avait autre chose au-delà de l’Empire perse et le
Grand Océan bouillonnant qui entoure la terre devait se situer plus loin.
Alexandre décida d’envahir l’Inde fabuleuse.
L’armée, grossie des contingents étrangers maintenant assimilés dans le
creuset militaire, se mit en route vers le sud. Le roi de Perse et d’Asie allait
avoir trente ans et voulait fêter cet anniversaire dans la capitale du royaume
hindou, après avoir fondé, tout au long de son chemin, des villes portant son
nom27.
Un obstacle énorme barrait le passage vers les plaines de l’Indus :
l’Hindou Kousch, ce massif montagneux qui se dresse aux portes de
l’Afghanistan. Les Grecs, en franchissant la passe de Kahybar, empruntant
dans l’autre sens la route des grandes migrations aryennes, se demandaient
ce qu’ils allaient trouver de l’autre côté : les bruits les plus extraordinaires
circulaient sur ce pays ; on parlait d’hommes à deux têtes, d’êtres
androgynes, d’oiseaux multicolores auxquels on enseignait la parole. Ne se
servait-on pas d’éléphants pour tirer des fardeaux et de lions pour garder les
maisons ? Les palais des rois étaient, paraît-il, incrustés de pierres
précieuses et les temples possédaient des toits en or massif.
Cependant, la vraie richesse n’était pas là, mais chez ces hommes au
crâne rasé, revêtus de la robe jaune de Bouddha.
Déjà, les signes du destin s’accumulent, invitant l’antique tribu aryenne
des Macédoniens à rejoindre ses frères de race : en s’emparant de la
forteresse d’Aornos, qui lui barre le passage, Alexandre apprend qu’elle a
résisté victorieusement à Krishna ; or ce prophète et messager de l’Inde fut
en même temps un guerrier et un chef spirituel, et cette figure héroïque
frappe le « roi d’Asie et de Perse », comme l’image d’un destin parallèle au
sien, et ce d’autant plus que les Grecs, se souvenant du temps où Hindous et
Hellènes formaient un seul peuple, dominant les grandes steppes de l’Asie
centrale, assimilent Krishna, le héros solaire, à Héraklès, qui accomplit ses
fameux douze travaux en faveur des hommes.
Sur son chemin, Alexandre aperçoit les premiers ermitages qu’habitent
les brahmanes, ces prêtres détenteurs d’une sagesse millénaire. Le roi les
questionne et ils lui répondent en montrant les livres sacrés : la Baghavad-
Gita, le Mahabârata. Ces textes ont déjà rayonné sur toute l’Asie. Par
Krishna, le Verbe solaire s’est répandu en Perse à travers Zoroastre qui
enseigne le culte d’un seul dieu de lumière, et Mithra par ses mystères
gagne déjà le Proche-Orient. En Égypte, Akhenaton, unique descendant de
princes aryens, les Mitanniens, a restauré le culte du disque d’or et la Grèce
acclame Apollon, le dieu du Soleil et de la Lyre cependant que Dyonisos, le
triomphateur de la mort ressuscite les âmes. Ce dernier ne parcourut-il pas
l’Égypte et la Syrie pour finalement gagner l’Inde où l’on perd sa trace, si
l’on en croit la mythologie grecque ? Et voici que le miracle se renouvelle :
suivant le fleuve Indus, Alexandre découvre une mystérieuse cité appelée
Nysa, et lorsque le chef des Anciens lui conte l’histoire de la ville, il ne
doute plus : c’est bien une fresque mythologique grandiose qui se déroule
devant lui, et Dyonisos, Héraklès, Amon et Ormuzd lui apparaissent comme
autant de symboles multiples, autant d’images diverses envoyées par le
principe lumineux qui se cache dans le Soleil : la ville a été fondée par
Dyonisos lui-même sur la montagne qui s’appelle mont Mérou, le Méros
grec. Or ce lieu est en même temps la montagne sacrée qui vit l’apothéose
de Krishna. Les Macédoniens sont émerveillés : le lierre et la vigne
croissent sur cette terre comme dans les bois de Dyonisos en Grèce ; ils se
couvrent de guirlandes et de pampres, célébrant pendant dix jours une
incroyable bacchanale qui réjouit Alexandre. Certains se mettent à
prophétiser ou tombent en extase. Ce n’est plus une armée, c’est un chœur
de hiérophantes qui s’ébranle enfin et s’apprête à traverser l’Indus pour
entrer dans le pays de Taxila, contrée amie dont le souverain a fait alliance
avec le conquérant.
Au printemps de 326, Alexandre célèbre des jeux et des sacrifices dans
la capitale de l’État vassal, prélude à une nouvelle campagne. Porus, le
maharadja qui règne de l’autre côté de l’Hydaspe, a refusé de se soumettre
et met les Grecs au défi ; une armée d’éléphants est son arme secrète. Mais
Alexandre ne se laisse pas surprendre ; il traverse l’Hydaspe avec le gros de
son armée et prend à revers les troupes ennemies qui sont bientôt
encerclées. Porus combat jusqu’à la fin avec courage et Alexandre le laisse
à la tête de ses États28.
Mais cette fois, l’armée de l’envahisseur est épuisée. Les Macédoniens
n’ont plus de ressort et ne pensent qu’à retourner dans leur patrie où ils
pourront jouir d’un repos bien mérité, et lorsque Alexandre, poursuivant
son rêve éternel de conquête, se prépare à envahir la plaine du Gange en
traversant l’Hyphase, ses troupes, pour la première fois, refusent de le
suivre. C’est un déchirement pour le conquérant et son cœur se brise de
douleur. Général toujours victorieux, roi absolu d’un immense empire, élu
du dieu-Soleil, Alexandre se voit arrêté par l’inertie de son armée qui ne le
comprend plus. Les hommes ne sont plus à l’échelle de ses projets. Pour
avoir cru son destin être l’égal de celui d’un dieu, le fils d’Olympias
découvre qu’il commande à des hommes et non à des titans. II ne connaîtra
pas les temples des « hommes sages », il ne sera pas l’hôte du « roi du
monde » dans la cité de Schamballah, et son rêve inachevé, un autre devra
le poursuivre sans pouvoir y mettre fin. Julien, fils d’Hélios-roi, marchera
sur les traces d’Alexandre appelé par la voix grondante du Soleil.
Moins de trois ans plus tard, en 323, Alexandre s’éteignait, terrassé par
le paludisme, dans la ville de Babylone. Tels des fauves, ses lieutenants se
disputèrent son empire et s’en partagèrent finalement les lambeaux. Dans sa
demeure céleste, Alexandre avait rejoint le Soleil29, ces péripéties ne
l’intéressaient plus. La Grèce avait vécu. Rome allait reprendre le flambeau
et, dans son rêve universaliste, continuer d’attester l’« Unique ».
1. Les préparatifs funèbres prirent deux ans : donc la date de la translation des cendres est 321.

2. Dans la symbolique des animaux, le bouquetin ou bélier est la représentation traditionnelle du dieu
Amon, père spirituel d’Alexandre. En astrologie, science particulièrement prisée dans l’Antiquité, le
signe du Bélier est un signe d’air et, en ce qui concerne le conquérant, il représente la course du
Soleil, Râ, dans le temps du Bélier. Sur de nombreuses pièces de monnaie, Alexandre est figuré le
front orné des cornes sacrées du bélier solaire.

3. Alliage d’or et d’ivoire.

4. Nom grec du tombeau d’Alexandre.

5. L’église Saint-Marc, croyons-nous.

6. Remarquons, ici encore, la parenté avec les douze signes du Zodiaque.

7. Qu’il ne faut pas confondre avec Alexandre le Grand ou Alexandre III de Macédoine.

8. Pour l’importance du Banquet, voir notre chapitre relatif à Akhenaton.

9. L’origine des Cabires se rattache aux Pélasges, peuples préhelléniques dont l’histoire se perd dans
la nuit des temps. Leur présence dans l’île de Samothrace est soulignée par la légende selon laquelle
c’est dans cette île de la mer Égée que furent initiés Jason, les Argonautes, Pythagore et Orphée. Les
Cabires sont considérés comme des « théurges du feu » et comme des précurseurs dans le travail des
métaux (ou « métallurges ») et les pères de l’alchimie.
10. Les foyers de Vulcain symbolisent le Soleil intérieur de la Terre, double du Soleil céleste.

11. A. Weigall, Alexandre le Grand, pp. 46-47.

12. A. Weigall, op. cil., p. 51.

13. A. Weigall, op. cit., p. 52.

14. Comparaison avec la naissance de Jésus-Christ et la virginité de Marie.

15. Pierre Grimal, La Mythologie grecque, P. U. F., Paris, 1953, p. 25.

16. Stade où se pratiquaient tous les sports.

17. A. Weigall, op. cit, p. 94.

18. L’oracle de Delphes était le plus célèbre de la Grèce. Les consultants arrivant dans le sanctuaire
d’Apollon devaient d’abord faire une offrande au dieu et accomplir un sacrifice. Si les augures
s’avéraient favorables, les prêtres admettaient le consultant à pénétrer dans le temple et allaient
chercher la Pythie afin de l’ « introduire ». Celle-ci devait être âgée d’au moins cinquante ans, bien
qu’elle fut vêtue comme une jeune fille. Elle était choisie entre toutes les Delphiennes pour la pureté
de ses mœurs, car, à partir de son entrée en fonction, elle devenait l’épouse du dieu. Avant chaque
consultation, la Pythie se rendait à la fontaine Castalie où elle procédait aux ablutions rituelles qui
devaient la rendre absolument pure. Elle gagnait ensuite la grande salle (cella) où se dressait l’autel
de Poséidon et le célèbre Omphalos, ce nombril du monde fait d’une pierre « tombée du ciel » que les
Anciens appelaient un « bétyle ». La prophétesse se retirait alors dans le « saint des saints » après
avoir procédé à des fumigations consacrées de laurier. La pièce souterraine où elle « communiquait »
avec Apollon était seulement garnie d’un trépied sur lequel la Pythie se plaçait, et d’une statue en or
du dieu solaire. Là, respirant les émanations de la terre, elle entrait en « enthousiasme », c’est-à-dire
dans un délire sacré. La réponse oraculaire était interprétée par les prêtres qui la remettaient au
consultant sous la forme d’une plaquette rédigée en vers. L’oracle ne pouvait être consulté que
certains jours. Alexandre se présenta un jour « néfaste », c’est pourquoi la Pythie ne voulut pas lui
donner de réponse. Impressionnée par l’allure du jeune prince, elle ne put retenir cependant la phrase
célèbre que nous connaissons.

19. A. Weigall, op. cit.

20. Ami d’enfance très proche d’Alexandre, Hephestion fut associé par le grand conquérant à toutes
ses victoires. Les deux hommes étaient unis par un « pacte d’amitié » scellé dans le sang et
indissoluble. La mort d’Hephestion, tué au combat, fut pour Alexandre une perte irréparable où il vit
l’annonce de sa propre fin. Alexandre aimait à comparer son amitié pour Hephestion à celle,
légendaire, d’Achille pour Patrocle.

21. Les chakras sont les centres de force dans l’homme. Le terme est hindou et signifie « roue ». Au
nombre de sept (chiffre sacré), ces centres, connus des initiés depuis la plus haute Antiquité, ont été
redécouverts en Occident au xxè siècle par la pratique du yoga. Les différents chakras sont, en
partant du bas : le chakra-racine (à la base de la colonne vertébrale), le chakra de la rate, le chakra
ombilical, le chakra du cœur, le chakra de la gorge, le chakra du front et enfin le chakra du lotus
(sommet du crâne). Chaque centre est un point d’énergie, soleil miniature placé le long du courant
d’énergie vitale formé par le « serpent de feu » circulant le long de l’épine dorsale. L’éveil des
différents chakras, selon des techniques secrètes, entraîne l’apparition de pouvoirs supranormaux liés
à une progression spirituelle correspondante. Quant à l’origine de ce courant d’énergie véritablement
prodigieux, on ne peut l’expliquer que par la condensation dans l’homme des forces solaires
véhiculées par l’éther (Pour de plus amples développements, voir l’ouvrage de Tara Michaël, Les
chakras).

22. C. Desroches-Noblecourt, Vie et Mort d’un pharaon, Hachette, 1968, p. 175.

23. Mircéa Eliade, Traité d’histoire des religions, Payot, Paris, 1970, p. 197.

24. Certains n’ont pas hésité à penser que ce » talisman » porté par Alexandre le Grand n’était autre
que la table d’émeraude d’Hermès Trismégiste, initiateur de l’Égypte.

25. Édouard Schuré, L’Évolution divine, L. A. P., p. 222.

26. Arnold Toynbee, Entre l’Oxus et la Jumna, Oxford, 1961, pp. 92-95.

27. Alexandre poussa au nord jusqu’au Khazakstan actuel, au nord du fleuve Iaxartes, qui va se jeter
dans la mer d’Aral. Cette steppe était alors sillonnée par des guerriers nomades, les Scythes. C’est sur
les bords de ce fleuve que le conquérant fonda « Alexandrie-du-bout-du-monde ».

28. Dans la capitale du royaume de Porus, Taxila, Apollonius de Tyane, ce théurge pythagoricien qui
vécut au Ier siècle, découvrit avec une joie mêlée de surprise que le souvenir d’Alexandre était
toujours vivace après trois siècles : « Apollonius et Damis entrèrent dans un temple qui se dressait
tout près, mais en dehors de l’enceinte des murs. Des colonnes de porphyre entouraient une cella
centrale dont les parois recouvertes de bas-reliefs en bronze perpétuaient le souvenir des exploits qui
rendirent la mémoire de Porus inséparable de celle d’Alexandre. Sur un fond noir, l’or, l’orichalque
et l’argent faisaient étinceler, avec un art somptueux de la couleur et une science parfaite du relief et
du creux, les cuirasses, les casques et les boucliers des guerriers. Ce temple magnifique avait été
construit à la gloire d’Alexandre par Porus lui-même : c’était l’insigne monument d’une gratitude
durable. » Ainsi, jusque dans l’Inde, Alexandre fut vénéré comme un dieu et, chose plus étonnante,
comme un dieu solaire. Dans le temple du Soleil de la même cité, Apollonius put encore contempler
la momie d’un éléphant de guerre qu’Alexandre, en souvenir du héros de l’Iliade, avait nommé Ajax
et consacré au Soleil. Sur un anneau d’or qui entourait une défense, on pouvait lire : Alexandre, fils
de Zeus, consacra Ajax au Soleil. Et, fait plus significatif encore, la statue d’Alexandre avait été
placée dans ce dernier sanctuaire. (In : Apollonius de Tyane, par Mario Meunier, Grasset, 1936, p.
75).

29. La légende relaie ici l’histoire et consacre l’ « ascension d’Alexandre » vers le Soleil. Des
nombreuses scènes, sculptures, peintures et même bijoux représentent cette apothéose. Rome à son
tour élèvera Alexandre au rang des dieux et le grand Macédonien possédera ses temples dans la Ville
éternelle. Pour en revenir aux représentations de l’ « ascension » du héros, on y voit le plus souvent
Alexandre debout sur le char d’Hélios (le Soleil) traîné par des griffons ou des lions ; un autre type
de représentation le montre enlevé sur son trône ; un troisième groupe fait enlever Alexandre par des
aigles qui l’emportent vers l’astre éternel. Sur toutes ces figurations, une étoile brille au-dessus de la
tête du personnage, symbole astrologique évident de Sirius, l’astre qui préside aux destinées des rois
selon les Égyptiens et les Chaldéens qui l’appelèrent Sarrus, le roi ou le « maître des cieux ». Son
apparition dans le ciel, comme nous l’avons expliqué (infra), correspond à l’épiphanie du Soleil au
solstice.
Alexandre le Grand : il voulut dépasser les dieux (photo Boudot-Lamotte)
Chapitre 4 - Julien ou « Hélios-Roi »
Je suis en effet l’adepte du roi Hélios (Julien).
Si le hasard d’un voyage dans la Ville éternelle vous pousse à visiter le
musée du Capitole, sans doute ne remarquerez-vous pas, au milieu de
sculptures splendides rappelant les fastes des mécènes romains, un buste de
marbre ou le ciseau du sculpteur a voulu figer les traits austères de
l’empereur Julien, qui régna de 361 à 363, et demeure une des plus belles
figures de l’Antiquité, malgré toutes les calomnies qui ont entouré sa
mémoire et lui ont valu l’injuste surnom d’« Apostat ».
Regardant le masque impassible du César qui, mieux que les statues les
plus belles, évoque la grandeur de Rome, j’ai vu, aux approches de midi, le
visage de l’empereur se nimber d’un halo doré envoyé par les rayons de
l’astre du jour et, devant ce miracle solaire, apothéose renouvelée du
glorieux Hélios-roi, mon esprit se trouva transporté seize cents ans en
arrière, lorsque le flambeau de la religion antique jetait ses derniers feux sur
un monde exténué et près de sombrer dans le long sommeil de la
décadence.
Il fait nuit. Dans le palais de Constantinople, siège de l’Empire romain
restauré par Constantin, des gardes avancent silencieusement : ils ont
l’horrible mission de massacrer par surprise les membres de la famille
royale et de les exterminer jusqu’au dernier. L’ordre a été donné par
l’empereur Constance lui-même, qui veut ainsi se débarrasser de tous ses
rivaux en puissance, car ce grand souverain, ce chrétien pieux se voit
entouré de poignards ; ayant usurpé le trône, il a peur d’être renversé par un
coup de force qui porterait au pouvoir un représentant légitime de la famille
impériale.
Les soldats pénètrent soudain dans les chambres, éblouissant les
dormeurs avec des torches allumées, et, ne leur laissant pas même le temps
d’implorer la vie sauve, ils se ruent, le glaive haut, sur les enfants et les
vieillards dont les cris s’éteignent dans un râle sanglant. Bientôt le dallage
de marbre se couvre d’un épais ruisseau de sang où se débattent les victimes
agonisantes. C’en est fait de la glorieuse dynastie des Flaviens ; pas
complètement pourtant, car, dans leur hâte homicide, les bourreaux ont
oublié deux enfants, livides et tremblants de tous leurs membres, dissimulés
derrière une tenture. Lorsque les gardes palatins s’aperçoivent de leur oubli,
la soif de meurtre leur a passé et ils n’osent tuer de sang-froid les deux
bambins qui se serrent l’un contre l’autre afin de se protéger mutuellement,
au comble de la terreur.
De cette épouvantable nuit, Julien se souviendra toute sa vie, entendant
encore, dans un cauchemar sans fin, le cri de ses parents que l’on égorgeait.
C’était en 337. Pourtant, le meurtrier était l’oncle de Julien et ce dernier,
dans une lettre aux Athéniens, déclara plus tard :
- C’est chose notoire que je tire mon origine de la même lignée
paternelle que Constance : mon père [Jules Constance] et le sien
[Constantin] étaient frères consanguins. Et pourtant, malgré les liens de
parenté intime qui les unissaient, voici comment nous traita ce souverain si
humain : six de mes cousins et des siens ; mon père et un autre oncle
commun du côté de mon père furent mis à mort sur son ordre sans autre
forme de procès. Quant à moi et à mon frère [Gallus], il voulait nous tuer
aussi. Mais il préféra, tout compte fait, nous condamner à l’exil.
En effet, après le massacre de leur famille, Julien et Gallus furent exilés
dans la ville de Nicomédie, non loin de Constantinople, mais sur la rive
asiatique de la Propontide.
Nicomédie fut à une certaine époque la capitale de l’Empire oriental.
Quand Julien y arriva, elle n’était plus qu’une ville déchue conservant
encore, de sa grandeur passée, le surnom de « Perle de l’Asie ». Sa rade
merveilleuse toujours teintée de ce bleu violet qui semble sorti de la palette
d’un peintre d’émaux, ses temples aux marbres dorés, ses bains et ses
thermes immenses et fastueux, le cirque de montagnes bleutées qui barrait
l’horizon de ses palais rappelaient trop les fastes impériaux et la beauté
d’un site qui ne pouvait que blesser le jeune enfant, séquestré dans les
appartements d’une villa des faubourgs. Julien s’échappait parfois de la
tutelle de son tuteur Eusèbe, qui faisait plutôt figure d’espion placé par
Constance, pour folâtrer dans la campagne environnante ou sur les bords de
la mer de Marmara. Julien a décrit lui- même la maison de Bythinie où il
séjourna un temps :
- Cette campagne se trouve à peine à vingt stades de la mer, et l’on n’y
est point importuné par le marchand ou le matelot bavard et insolent.
Pourtant, l’endroit n’est pas privé tout à fait des faveurs de Nérée : on y
trouve toujours du poisson frais et palpitant, et si, sortant de la maison, tu
montes sur un certain tertre, tu apercevras la mer Propontide, ses rives, et la
ville qui porte le nom du grand empereur. Tu ne marcheras pas sur des
algues et des mousses… Tu ne fouleras que le smilax, le thym et des gazons
odoriférants. Tu trouveras un calme profond, et si tu veux t’y coucher en
parcourant un livre ; puis, pour reposer tes yeux, rien de plus agréable que
le spectacle des vaisseaux et de la mer. Lorsque j’étais tout jeune, ce séjour
d’été me semblait délicieux : il a des eaux excellentes, un bain charmant, un
jardin et des arbres. Homme fait, je demeure épris de ce vieil asile du
passé : j’y revins souvent, et jamais il ne me revit sans que je fisse leur part
aux lettres dans les loisirs1.
Ce que Julien ne confesse pas dans cette lettre, c’est l’expérience
initiatique qu’il reçut du logos solaire, signe d’un destin fixé par les astres,
alors que, tout jeune garçon, il se reposait sur les collines qui surplombent
la mer. Bercé par le bruit monotone du ressac, Julien s’endormit : il se sentit
ainsi transporté au-dessus des flots et aspiré par une grande source
lumineuse : le Soleil. Alors retentit l’appel cent fois répété de son nom :
Julien… Julien… Julien ! Et ce son allait crescendo, grondant comme la
voix du tonnerre. Hélios, le Soleil-dieu de l’Orient, appelait son fils bien-
aimé, et dans ses veines, l’enfant sentit passer le fluide brûlant de la
divinité, lui, le descendant d’une lignée d’empereurs dévoués au culte du
Soleil, père des grandes initiations ; cette clarté aveuglante l’étourdit ; il se
sentit aspiré par un abîme vertigineux. Alors, il se réveilla. L’astre s’abîmait
dans les flots, jetant ses derniers feux sur l’horizon teinté de pourpre.
Transfiguré, Julien regagna à pas lents la villa blanche, entourée de lauriers
et d’oliviers, qui lui servait de prison dorée.
Le garçon de douze ans songeait-il en cet instant à l’antique tradition du
culte solaire, dont il venait de connaître la révélation ? Déjà, aux premiers
temps de l’Empire romain, Auguste, féru d’astrologie et de sciences
occultes (n’oublions pas qu’il était natif du Capricorne, ce signe cher aux
initiés) vénérait en Apollon le dieu-Soleil, père de la Rome éternelle, et fit
transporter d’Égypte, pour marquer cette protection d’Hélios, un obélisque
en pierre noire qui, depuis bien des siècles, se dressait dans la ville sacrée
d’Héliopolis, érigé sur l’ordre du pharaon Aménophis III, le père
d’Akhenaton qui, le premier, consacra la prééminence du dieu solaire Aton.
Dressé sur le forum romain, le monolithe rappelait à tous les empereurs les
devoirs sacrés dus au divin logos.
Par la suite, l’empereur Hadrien se fit initier aux mystères de Mithra, le
Soleil ressuscité, et Septime Sévère adorait Zeus-Hélios, dans le temple de
Baal’Beck, en Syrie, rappel émouvant de la « religion de lumière »
instaurée en Orient par Zoroastre. Plus tard, c’était déjà le Bas-Empire et le
christianisme commençait à triompher des anciens cultes. Aurélien, qui était
fils d’une prêtresse du Soleil, en devenant le premier empereur de la
dynastie illyrienne, exprima sa dévotion en proclamant la royauté de
I’invincible soleil (Sol invictus). Il voyait dans ce culte le bien de l’Empire
et la garantie de son unité, menacée par les « galiléens ». Les chroniqueurs
rapportent qu’Aurélien, avant de livrer combat à l’ennemi, vit l’apparition
du dieu-Soleil en personne qui lui donna la victoire. Afin de marquer ce
triomphe, l’Auguste fit élever un temple du Soleil dans Rome même enrichi
des dépouilles de Palmyre qui venait d’être vaincue. On institua un collège
de prêtres pour servir la déité omnipotente et des jeux quadriennaux furent
créés en son honneur.
En fait, ainsi que le souligne Stewart Perowne, tout fut mis en œuvre
pour installer une religion officielle qui donnât satisfaction aux aspirations
du monothéisme.
N’était-ce pas également le sens de la réforme religieuse d’Akhenaton et
de Zoroastre dont le but occulte était la création d’une fraternité d’initiés,
les « Frères d’Héliopolis » ? Plus près de nous, Alexandre n’avait-il pas
marché sur les traces des « inspirés » en se proclamant COSMOCRATOR,
appelé à gouverner l’Univers par la grâce de Zeus-Amon ?
Le paganisme romain, ainsi que les vieilles religions de l’Orient, était
tout pénétré de cette conception solaire de l’initiation que l’on retrouve chez
les ROSE + CROIX et dans la franc-maçonnerie, preuve d’une tradition
immémoriale. Léon Homo l’a très bien perçut quand il écrit :
- Les divinités séparées, Jupiter, Apollon, Mars, Sérapis, Attis, les Baals
orientaux, Mithra, apparaissent toutes de plus en plus comme autant
d’incarnations, autant d’exactes représentations d’une divinité supérieure,
c’est-à-dire du Soleil.
Constantin le Grand lui-même, qui se rallia au christianisme, hésita
longtemps entre le culte de Mithra et la religion du Christ. Ce n’est qu’à la
fin de sa vie qu’il promulgua son fameux édit faisant du christianisme la
religion officielle de l’Empire, sans toutefois proscrire l’ancien culte romain
dont il demeura grand pontife ; c’est que, en effet, ces empereurs illyriens
descendants de princes germaniques ralliés à Rome portaient dans leur sang
cette communion avec la nature qui s’exalte dans le panthéisme solaire et
Julien laissait parler en lui la voix impérieuse de sa race.
Bientôt, estimant dangereux un exil si proche de la capitale, Constance
fit transférer Julien et son frère dans une région plus lointaine, au cœur de la
sauvage Cappadoce, une contrée montagneuse couverte d’épaisses forêts.
Là se dressait la forteresse impériale de Macellum. Ici, au moins, les jeunes
otages ne seraient pas tentés de comploter contre le prince. Coupés du
monde extérieur, la seule distraction des prisonniers était la chasse au gibier
qui foisonnait dans les bois environnants.
L’éducation de Julien se devait d’être chrétienne, puisque l’empereur
avait adopté ce nouveau culte. A cet effet, l’évêque Georges de Cappadoce
fut attaché à son éducation. Dans la riche bibliothèque du prélat, le jeune
garçon, très éveillé à la culture hellénique, trouva un aliment à son goût. En
dehors des auteurs chrétiens, Origène, Lucien d’Antioche et Eusèbe de
Césarée, Julien découvrit les philosophes néoplatoniciens : Plotin, Porphyre
et enfin Jamblique, dont les Mystères d’Égypte devaient laisser en lui une
profonde impression. Apparemment soumis et catéchumène docile, Julien
commençait à échafauder une conception du monde assez éloignée, en
réalité, des principes chrétiens. Pourtant, dans la pensée de ses éducateurs,
le jeune prince devait être orienté vers la carrière ecclésiastique ; la
théologie l’écarterait de la politique.
Après quelques années de surveillance, Julien fut jugé inoffensif. On lui
permit ainsi de se rendre à Constantinople où il pourrait continuer ses
études. Écoles et bibliothèques rivalisaient de richesse dans la métropole
orientale qui se flattait de posséder quelques-uns des meilleurs rhéteurs du
monde antique : Nicoclès et Libanius. Écoutant les commentaires d’Homère
et d’Hésiode, qui le ravissaient, Julien s’imprégnait de plus en plus de
l’esprit hellénique, aussi éloigné que possible des textes de l’Ancien et du
Nouveau Testament.
Le prince continuait pourtant à fréquenter les églises et assistait
régulièrement aux offices. On commençait à connaître le petit-fils de
Constance Chlore, et dans les milieux érudits comme dans le peuple, le
jeune prince plaisait par son intelligence et sa simplicité :
- Dans la mise la plus simple, sans autre escorte que celle de pédagogues
austères, on le voyait se rendre ponctuellement à ses leçons. Lui, le petit-fils
de Constance Chlore, le neveu de Constantin, le cousin de l’empereur
régnant, n’avait aucun souci de garder son rang. Il répondait aux invitations
et, nulle part, il ne réclamait la préséance. A l’école, il obéissait avec le
même empressement que les autres ; il partait en même temps que les
autres ; il ne demandait rien de plus que les autres. Si, brusquement, l’on
avait fait irruption dans la salle où il se trouvait, on aurait eu beau le
chercher des yeux parmi les élèves : on n’aurait pu le reconnaître par
aucune des marques par lesquelles s’affirment d’ordinaire les situations
éminentes… Cependant, malgré son effacement volontaire, ce qu’il y avait
de royal dans sa nature se révélait par des indices frappants2.
Au physique, l’historien Bidez nous trace du jeune prince un portrait très
vivant :
- Julien, en effet, approchait de sa vingtième année, et il était dans toute
la beauté de son adolescence. De stature moyenne, il avait les épaules
larges, le corps bien fait, et, surtout, une physionomie attrayante. Ses yeux
étaient pleins d’éclat et il avait le regard émouvant d’une jeunesse ardente
et prête à s’exalter pour tout ce qui paraissait juste et noble. Si l’on ajoute
qu’il était ouvert, vif et enjoué, autant que simple et affable ; que, dans la
rue, il se laissait aborder par les plus humbles sans emprunter la morgue
hautaine, la rigidité hiératique que Constance s’étudiait à prêter à son
attitude quand il paraissait en public, on s’expliquera le malaise et les
alarmes de l’empereur, lorsqu’il apprit par des délations la popularité
grandissante de son cousin3.
En effet, Julien reçut bientôt l’ordre de quitter Constantinople pour
revenir à Nicomédie, où il avait passé la première partie de sa jeunesse.
Heureusement pour lui, la métropole de Bythinie venait, en la personne du
rhéteur Libanius, d’acquérir une gloire nouvelle. Au contact du maître,
Julien reçut les leçons de dialectique qui lui manquaient et acquit ce bon
goût, ce ton juste qui sont le signe d’une éducation parfaite. De plus,
Libanius était un païen, ce qui ne pouvait déplaire à son nouveau disciple.
La venue du jeune prince à Nicomédie était un encouragement discret
aux sociétés secrètes païennes que fréquentait Libanius et qui n’allaient pas
tarder à séduire Julien, malgré l’étroite surveillance exercée par la police
impériale. Cette arrivée, pour reprendre les termes de Libanius lui-même,
« fut le principe des plus grands biens, et pour lui-même et pour toute la
Terre. En effet, il y avait encore en cet endroit même une étincelle d’art
divinatoire, qui avait échappé avec peine aux mains des impies. Cette lueur
permit à Julien de chercher la trace de ce qui lui était caché. Il réprima sa
haine violente contre les dieux, et il se laissa adoucir par les prédictions des
oracles4 ».
Quelle était donc cette « théurgie » ou « magie cérémonielle » pratiquée
par les sociétés secrètes de l’époque ? Quel était le secret de ces réunions
ésotériques se terminant par la célébration de mystères auxquels Julien
allait bientôt être initié ? Lui qui, par amour de l’hellénisme, voulait
rehausser le prestige de l’antique religion aux lumières de la philosophie
néoplatonicienne voyait déjà les progrès extraordinaires du christianisme
dont le succès était assuré auprès des masses.
La ligne tracée par l’ésotérisme, savoir réservé à une élite, pouvait-elle
créer une aristocratie devenant la citadelle inexpugnable du monde romain
battu par les flots de la décadence ?
Il est bien difficile de répondre à l’heure actuelle à une telle question qui
met en cause bien des enseignements reçus.
En tout cas, on peut constater que la dernière époque du paganisme
romain, avant sa défaite totale devant l’Église de Pierre, devait compter les
philosophes les plus brillants de l’Antiquité, depuis la mort du divin Platon.
Mais, pour en revenir à ce que les Pères de l’Église ont appelé « sectes »
et « temples de Satan », nous avons quelques renseignements à leur sujet :
En dehors des oracles proprement dits, très nombreux dans l’Antiquité,
et dont les plus célèbres furent ceux de Delphes, sous la protection de
l’Apollon solaire, et d’Amon en Égypte, sans évoquer les prophéties de
Dodone et de Trophonios, il y eut des sanctuaires réputés pour les
« miracles » qui s’y déroulaient occasionnellement et d’où la prédiction
n’était pas exclue. Dans l’esprit des Anciens, les dieux vivaient presque
côte à côte avec les humains, intervenant constamment pour infléchir leur
destin ; aussi bien, la providence leur apparaissait comme un phénomène
naturel lié à l’ordre du monde.
Dans cette catégorie vient se placer le temple d’Héliopolis à Baal’Beck,
rappelant la théologie solaire fort appréciée à cette époque. Macrobe dit à ce
sujet :
- La statue d’or du dieu est portée sur un brancard par les notables du
pays, qui ont la tête rasée et se sont purifiés par une continence prolongée.
Ils sont mus par un esprit divin et vont alors, non pas où il leur plaît, mais là
où le dieu les pousse.
De même à Hiérapolis, en Syrie, où, selon le pseudo-Lucien, l’Apollon
syrien se meut tout seul et rend lui-même ses oracles. Voici comment.
Quand il veut parler, il [c’est-à-dire évidemment sa statue] commence par
s’agiter sur son trône. Aussitôt, les prêtres l’enlèvent. S’ils ne le font pas, il
s’agite et sue de plus en plus. Lorsqu’ils le transportent sur leurs épaules, il
les fait tourner sur eux-mêmes et passer d’un endroit à l’autre. Enfin, le
grand prêtre se présente à lui et lui adresse toutes sortes de questions. Si le
dieu désapprouve, il recule ; s’il approuve, il fait marcher les porteurs en
avant, et les conduit comme avec des rênes. C’est ainsi que l’on recueille
ses oracles, sans lesquels on n’entreprend aucun acte religieux ou profane.
Pour croire de telles choses, on peut supposer que les fidèles devaient
être plongés dans un état de transe hypnotique.
Cela dit, il convient de noter que l’Évangile n’est pas le seul texte sacré
à rapporter l’existence de miracles. Jésus lui-même eut un contemporain en
la personne du thaumaturge et philosophe Apollonius de Tyane, qui
accomplit de nombreux prodiges et dont la renommée survécut longtemps à
sa disparition au point que Napoléon, encore adolescent, écrivit, au collège
de Brienne, une apologie du célèbre « mage ». Julien, encore bien
davantage, vénérait ce disciple de Pythagore, initié à de nombreux
« mystères ».
A ce propos, il faudrait évoquer trois « confréries » de l’Antiquité, assez
secrètes, il est vrai, dans lesquelles Julien, en dehors de l’affiliation
mithriaque bien connue, reçut l’initiation réservée aux meilleurs d’entre les
fidèles. Citons les noms d’Attis, de Sérapis et d’Isis. Nous ne connaissons,
hélas ! les cérémonies et les rites de ces cultes en apparence si différents,
mais en réalité bien proches, que par des témoignages indirects, la
révélation des « mystères » aux profanes étant punie de mort. Ce que nous
savons, c’est l’expérience prodigieuse que constituait l’initiation
traditionnelle : le néophyte passait par plusieurs états dont le premier était la
mort spirituelle, bien proche, par ses angoisses, de la disparition physique.
Le second état était la résurrection du disciple suivie de sa « régénération »
par la lumière divine. Entrer en contact avec notre « moi profond » qui
participe de la substance cosmique, tel était le but de ces épreuves et de ces
pratiques religieuses destinées à nous affranchir, par une catharsis
libératrice, de notre vieux corps, ainsi que fait le serpent au moment de la
mue. A un moindre degré, c’est ce que fait le psychanalyste avec son
patient. C’est à la lumière de tels enseignements qu’il faut comprendre la
théosophie antique et les cultes que nous allons évoquer.
Le culte d’Attis et de Cybèle fut le premier à se répandre, depuis la
Grèce, dans l’Empire romain. A l’occasion des guerres contre Carthage,
l’oracle sibyllin prescrivit de transporter à Rome la « Grande Déesse »
(Cybèle), qui se trouvait sur le mont Ida. Chose curieuse, le symbole de la
déesse était enfermé à Pergame (en Asie Mineure), sous la forme d’un
météorite noir ou bétyle, c’est-à-dire une pierre tombée des cieux : lapis ex
coelis. Nous retrouvons ici une analogie avec le mythe du Graal, pierre
céleste tombée du front de Lucifer, le démiurge. Quand on sait que Cybèle
est considérée comme la « mère des dieux », on comprend mieux cette
signification stellaire liée à l’apparition de l’ « œuf du monde » et de la
« Voie lactée » ; le feu de la terre et le feu du ciel sont issus de la même
source divine, à la fois mâle et femelle, ou androgyne, qualité de l’être
primordial. La pierre fut conduite à Rome en 205 av. J.-C., au milieu de
grandes solennités. La récolte fut cette année-là extrêmement abondante, ce
qui souligne le pouvoir créateur et fécondant de la déesse. Un temple lui fut
élevé à Rome, sur le mont Palatin, et des jeux furent célébrés chaque année
en son honneur. En liaison avec le symbolisme androgyne de la divinité, les
prêtres de Cybèle faisaient le sacrifice de leur virilité en devenant des
eunuques, et s’habillaient en femme. Le personnage central du mythe, Attis,
était, selon la légende, le fils ou l’amant de Cybèle, élément masculin de la
dyade. Les fidèles, en se mutilant au cours de cérémonies orgiaques,
offraient à la Grande Mère leur force génératrice, en espérant que cette
sanglante offrande stimulerait les forces vitales de la nature.
Parallèlement à ces manifestations extérieures se déroulaient, dans les
temples, des cérémonies beaucoup plus secrètes : cette association fermée
reproduisait les rites du culte phrygien primitif. A cette « secte » fut affilié
Julien.
Afin de garder le secret, une aile entière du sanctuaire était réservée à
ces mystérieuses pratiques religieuses. Là, dans une grande salle, se trouvait
un trône sur lequel se dressait la statue du dieu Attis représenté sous la
forme d’un beau jeune homme. Les « mystères » comportaient deux degrés,
ainsi que dans les « grands mystères » d’Eleusis. Le premier degré
s’appelait « initiation », le second, « seuil du temple ». Le candidat au
premier degré longeait un long couloir plongé dans l’obscurité, puis, après
différentes purifications, il débouchait dans le centre de la salle par quelque
voûte et se présentait devant le trône du dieu où il était procédé à différents
rites que nous ignorons, symbolisant son union avec la divinité et par là
même sa propre divinisation. L’une des vieilles formules utilisées à cette
occasion nous a été conservée : Heureux et béni, tu deviendras dieu au lieu
de mortel.
Il semble bien que le myste, au cours de l’épreuve, buvait dans une
coupe un breuvage sacré analogue au Soma de Zoroastre. Cet « Or
liquide », ou « liqueur des dieux », permettait de « visualiser » le monde
divin.
Julien fut tellement transporté par ces « mystères » qu’il écrivit en une
nuit son fameux Discours sur la Mère des dieux, où il exalte Cybèle : le
prince philosophe conçoit Attis comme la substance de l’intelligence
féconde et créatrice qui engendre tout jusqu’au dernier degré de la matière,
qui contient toutes les raisons et toutes les causes des formes matérielles…
Les causes premières ne contenant pas les formes des éléments ultimes…
Émanation d’Hélios — le troisième créateur — Attis descend jusque sur la
Terre, sous l’effet de l’excédent de sa fécondité5.
Le « bonnet aux ornements d’étoiles » dont Cybèle couvre Attis (le
bonnet phrygien) symbolise le ciel apparent et le gallos, la Voie lactée « où
s’effectue le mélange du corps paisible et du mouvement circulaire du
cinquième corps » ; Attis alors descend dans l’antre où il a commerce avec
la nymphe, laquelle représente le « principe humain de la matière ». Quant à
la mère des dieux « mère et épouse de Zeus, maîtresse de toute vie », elle
possède en elle-même, pour reprendre une expression de M. Gabriel
Rochefort, les causes de tous les dieux intelligibles ou hypercosmiques, elle
est la « source des dieux intellectuels », et comme elle détient « les causes
des formes matérielles, elle ordonne à son assistant d’enfanter dans
l’intelligible, pour éviter sa progression vers la matière ». Attis poursuit
cependant sa descente jusqu’aux extrémités de celle-ci ; il est découvert par
le lion — principe igné — et se mutile dans un accès de folie, marquant
ainsi l’arrêt de sa « course à l’infini ». La mère le rappelle enfin vers elle, et
il reçoit pour escorte les Corybantes, qui sont les trois hypostases
souveraines des races supérieures venant après les dieux.
Il n’était pas étonnant que cette interprétation « gnostique » de l’homme-
dieu chère à Julien trouvât un écho favorable chez un auteur moderne
comme Rosenberg, philosophe officiel de Hitler qui fera de Julien, dans son
Mythe du XXe siècle, l’un des héros de l’épopée « aryenne ». Ces
correspondances, à seize siècles d’intervalle, ne sont pas faites pour nous
étonner s’il est vrai qu’il existe, de par le monde, une chaîne
d’« initiateurs » se situant au-delà du temps.
Les mystères de Sérapis
S’il y a lieu d’évoquer maintenant les mystères de Sérapis, c’est parce
que ce dieu est lié une fois de plus à la théologie solaire élaborée par l’école
néoplatonicienne et reprise par Julien.
Sérapis est un dieu gréco-égyptien, formé d’Osiris, le dieu des Morts, et
d’Apis, le taureau fécond. En rapport avec le culte de Mithra et du Soleil,
l’adoration de ce dieu fut très répandue dans l’Antiquité romaine. Les
Ptolémées propagèrent les premiers ce culte dans le Proche-Orient.
On sait qu’Osiris est le guide des morts dans le royaume des ténèbres ; il
est la lumière divine, le « Soleil caché », symbole de la course occulte de
l’astre dans le royaume de la nuit. Apis, le dieu-taureau représente l’élément
vital de la dyade, par la valeur sanctificatrice et fécondante du sang qui
sacralise le sacrifice divin en concentrant dans son essence le rayonnement
du logos solaire, comme le Graal, ou vase du sang pur, exalte la communion
mystique avec Dieu.
Apis fut assimilé à Osiris dans les mystères et son corps embaumé fut
enterré dans les chambres souterraines du serapeum de Memphis, où l’on
célébrait le culte d’Osiris-Apis.
Sérapis devint alors le dieu principal du panthéon égyptien jusqu’à se
transformer — selon l’expression de O. E. Briem — en une déité
universelle, absorbant par assimilation les autres dieux. « Il fut le souverain
suprême, apte à assurer le pouvoir mondial aux princes qui le
vénéraient ! » (Cela explique la dévotion des Ptolémées pour ce dieu, eux
qui régnaient sur l’Égypte, et plus près de nous celle de Julien, appelé à
gouverner l’Empire romain.) On pouvait appliquer au monarque protégé par
Sérapis…
… les paroles que le vieux souverain du panthéon égyptien Amon avait
prononcées à l’adresse du pharaon Thoutmôsis III : « Je te donne le pouvoir
et le triomphe sur tous les pays. Tous les peuples connaîtront la frayeur en
présence de ton âme, et ils te craindront jusqu’aux extrémités les plus
reculées du monde, où sont les quatre colonnes qui supportent le ciel. » Il
fut pour ses adorateurs le dieu unique, qualité constamment mise en relief
dans les louanges qui lui étaient décernées et une formule des actes officiels
proclame : « Un est Zeus-Sérapis. » De même que déjà dans la vieille
religion égyptienne Osiris avait été associé au soleil, Sérapis fut identifié à
Hélios ; cette conception s’accordait bien d’ailleurs avec le panthéisme
solaire qui se répandit à la faveur de l’Hellénisme sur tout l’Occident et qui
devint, comme nous l’avons vu, le nerf de la doctrine théologique du
paganisme expirant6.
Abordons enfin les mystères d’Isis, dont l’intérêt est très grand, car ils
ressuscitent l’atmosphère théurgique du paganisme au IVe siècle. Apulée
nous fait une description merveilleuse d’une cérémonie d’initiation ; et
d’abord, il nous montre la déesse dans son sanctuaire :
De longs cheveux très fournis, bouclés et tombant sans apprêt, flottaient
mollement sur une nuque divine. Sous une couronne de fleurs diverses, au-
dessus du front, un disque plat en forme de miroir, image de la Lune,
rayonnait d’une blanche lumière. En support à cet attribut, à droite et à
gauche de la tête, des vipères dressaient leur tête flexible et des épis de blé
se balançaient. La couleur changeante de la robe de lin était tour à tour
blanche comme le lis, dorée comme le safran, pourprée comme la rose. Et
ce qui me frappa le plus vivement, ce fut un grand manteau absolument
noir, d’un noir resplendissant, qui enserrait tout le corps de la déesse,
passant de la hanche droite à l’épaule gauche, tel un bouclier, avec un pan
tombant en mille plis gracieux, et tout autour un joli flottement de franges.
La bordure comme le tissu étincelaient d’étoiles par myriades, au milieu
desquelles une lune dans son plein lançait des regards de feu. Ce n’était pas
tout, une broderie ininterrompue, où toutes les fleurs étaient avec tous les
fruits, faisait le tour du manteau. En outre, que d’attributs différents ! Dans
la main droite un sistre d’airain, dont la mince plaque incurvée en forme de
baudrier, sous le coup de quelques petites baguettes, quand la déesse
remuait le bras, tintait d’un son aigu. A la main gauche pendait une lampe
d’or, dont l’anse, à sa courbe la plus savante, portait un aspic dressant la tête
et gonflant très fort le cou. Enfin, les sandales qui chaussaient les pieds de
l’immortelle étaient tissées de fibres tirées du palmier, arbre de victoire.
Telle était la déesse souveraine, et elle embaumait les parfums d’Arabie.
Après cette évocation de la « grande déesse », Apulée nous fait assister à
la procession rituelle dans les rues d’Isis, patronne des navigateurs7 :
Des femmes aux splendides robes blanches, et joyeuses de leurs attributs
variés, couronnées aux couleurs du printemps, avaient des brassées de
petites fleurs dont elles jonchaient le chemin par où s’avançait la
procession. D’autres femmes marchaient, portant au dos des miroirs qui
précédaient immédiatement la déesse et dans lesquels elle pouvait
contempler la suite du cortège. Il y en avait qui maniaient des peignes
d’ivoire ; au mouvement de leur bras, à l’inflexion de leurs doigts, elles
avaient l’air de coiffer leur reine. D’autres encore, munies de baumes et de
parfums, en aspergeaient le sol goutte à goutte.
Toute une foule d’hommes et de femmes suivait avec des lanternes, des
torches, des bougies et toutes sortes de lumières pour se rendre favorable à
la déesse qui a créé les astres du ciel.
Les pontifes, ces grands maîtres du culte, revêtus d’une grande robe de
lin blanc serrée à la taille et descendant jusqu’aux pieds, portaient les
insignes augustes des toutes-puissantes divinités. Le premier tenait une
lampe à la vive clarté, bien différente des lampes dont nous éclairons nos
repas du soir ; en or, creusée comme une barque, une grande flamme
jaillissait de ses flancs. Le second, semblablement vêtu, soutenait de ses
deux mains des autels appelés « secours », nom qu’ils doivent à la vigilance
secourable de la déesse souveraine. Un troisième s’avançait avec dans ses
mains levées un rameau d’or artistement ciselé et le caducée de Mercure. Le
quatrième montrait à tous l’emblème de la justice : c’était une main gauche
bien ouverte ; une paresse naturelle, point de promptitude, point d’habileté,
avaient certainement fait préférer la main gauche à la droite pour
symboliser congrûment la justice. Ce même pontife tenait aussi un petit
vase d’or arrondi en forme de sein et il en tirait des libations de lait. Un
cinquième s’était chargé d’un vase d’or où des rameaux d’or s’entassaient ;
un dernier, enfin, portait une amphore.
Le tableau auquel nous venons d’assister nous donne une idée de ce que
pouvaient être la richesse et la magnificence des fêtes d’Isis. Mais nous ne
sommes pas au bout de nos découvertes. Lorsque le néophyte désirait être
initié aux mystères de la déesse, il s’adressait au grand prêtre et, si celui-ci
le jugeait digne, il lui donnait le temps de bien réfléchir en le conduisant
dans une pièce où l’apprenti méditait sur sa condition. En maçonnerie, ce
lieu s’appelle aujourd’hui le « cabinet de réflexion ». Après cela le
néophyte se purifiait par des bains d’eau lustrale qui le débarrassaient des
mauvaises influences et, revêtu de la seule tunique de lin, il était conduit
dans le sanctuaire.
Malheureusement, Apulée, qui fut un initié, était tenu au secret et il nous
avertit qu’il ne pourra nous dévoiler que les cérémonies extérieures et non
les rites initiatiques :
Sans doute vas-tu m’interroger anxieusement, lecteur attentif, pour
savoir ce qui fut dit par la suite, ce qui fut fait ? Je le dirais, si cela se
pouvait, tu l’apprendrais s’il était permis de l’entendre. Mais pour les
oreilles et pour la langue, ce serait pareille faute qu’une aussi téméraire
curiosité. Cependant, c’est peut-être un pieux désir qui te tient en suspens,
aussi ne ferai-je pas durer longtemps ton impatience.
Écoute donc, mais crois-moi, car je dis la vérité. J’ai atteint les confins
de la mort ; ayant foulé le seuil de Proserpine, je suis revenu porté à travers
tous les éléments. Au milieu de la nuit, j’ai vu le Soleil resplendir de son
pur éclat : les dieux infernaux et les dieux célestes, j’ai pu contempler leur
face et c’est de près que je les ai adorés. Voilà ce que je puis te rapporter.
Mais tu as beau avoir entendu mes paroles, tu en ignoreras le sens : le destin
le veut.
[…] Or donc, tout ce qui peut être communiqué sans sacrilège à des
esprits profanes, c’est cela que je vais vous rapporter. Le matin brilla, les
cérémonies prirent fin : alors je m’avançai revêtu de douze robes
sacerdotales : si rituel que fût cet appareil, rien ne m’interdit d’en parler, car
à ce moment-là, toute la foule le vit. Au centre même du temple, devant la
statue de la déesse, un haut degré de bois avait été dressé, et c’est là-dessus
qu’on m’avait fait prendre place ; un vêtement de lin, à fleurs peintes, me
désignait. De mes épaules pendait dans mon dos et jusqu’aux talons une
superbe chlamyde. De quelque côté qu’on me regardât, on me voyait décoré
d’animaux de toutes couleurs : ici des dragons de l’Inde, là des griffons
hyperboréens, ces quadrupèdes ailés comme les oiseaux et que produit un
autre monde. Cette chlamyde est ce que les prêtres appellent une étole
d’Olympie. De la main droite, je tenais un flambeau allumé, j’avais la tête
ceinte d’une couronne faite d’une palme dont les feuilles pointaient comme
des rayons. Ainsi paré à l’imitation du Soleil8 posé là comme une statue,
j’apparus quand tout d’un coup l’on tira les rideaux, aux yeux ardents de la
foule. Dans la suite, ce beau jour, le jour anniversaire de ma renaissance au
sein des mystères, je l’ai toujours fêté par des repas délicats, par de joyeux
banquets. La troisième journée vit se dérouler les mêmes cérémonies, puis
eut lieu le déjeuner sacré : l’initiation était accomplie.
Le deuxième degré des mystères d’Isis était formé par « les mystères
nocturnes du dieu suprême », ce qui nous ramène à Sérapis-Osiris, dieu
suprême, élément masculin de la dyade. Ainsi le polythéisme des Anciens
apparaît beaucoup plus formel que réel. L’unité transcendante de
« l’Innommé », c’est ce que Julien, philosophe clairvoyant, avait compris.
Dans son esprit, le christianisme représentait plutôt un appauvrissement par
rapport à la richesse symbolique des anciens cultes, très bien diversifiés et
adaptés à la mentalité de chaque peuple et même de chaque individu.
Pythagore déjà, au VIè siècle av. J.-C., enseignait l’unité de dieu et la
doctrine de la réincarnation prêchée par le brahmanisme et le bouddhisme.
A cette conception très élevée, le philosophe mathématicien ajoutait une
connaissance approfondie de la nature végétale et animale, progressant
jusqu’à la réalité du cosmos. Julien se proclame bien souvent, dans ses
lettres, l’héritier de Pythagore, comme ses maîtres vénérés, Proclus et
Jamblique. Platon et plus tard son disciple tardif Plotin se réclameront tous
du philosophe de Crotone et de sa révélation astrale. En Occident, le
théurge et mage initié en Égypte peut être considéré comme le père de la
science ésotérique traditionnelle grecque et romaine. Louis Rougier n’écrit-
il pas à ce propos dans son petit livre La Religion astrale des pythagoriciens
(p. 100, P. U. F., 1959) :
Le cosmos bipartite de Pythagore, de Platon et d’Aristote était un cadre
merveilleusement approprié à accueillir la vision du monde des économies
de salut et des religions de mystères de l’Orient méditerranéen : astrolâtrie
chaldéenne, mazdéisme, cultes anatoliens et syriens, gnosticisme,
hermétisme, judaïsme de la Diaspora et judaïsme palestinien, essénisme,
mithriacisme, christianisme, néoplatonisme, manichéisme, théurgie,
alchimie et astrologie qui, après la conquête d’Alexandre, déferlèrent en
vagues mystiques successives sur le monde gréco-romain.
Le pythagorisme introduisait en outre une mystique des nombres
attribuant aux chiffres une valeur sacrée correspondant à une couleur, une
note musicale et une vibration cosmique. De cette suprême « harmonie »,
de cette « musique des sphères » s’élevant jusqu’à l’échelle divine, nous
ignorons tout à l’heure actuelle, mais à l’époque de Julien, ces
connaissances étaient encore répandues parmi les initiés de « haut grade »,
et Julien, avant d’être empereur, en fut un, ce qui explique sa foudroyante
ascension et son élévation à la magistrature suprême.
Pour l’heure, le prince ne nourrissait pas de si ambitieux projets et se
contentait d’étudier, avec toute sa juvénile ardeur, « la science des maîtres
de sagesse », au premier rang desquels figurait Jamblique l’Égyptien.
Arrêtons-nous un instant sur la théologie solaire du philosophe alexandrin
que Julien devait magnifier quelques années plus tard dans son Discours sur
Hélios-roi.
Jamblique, ce philosophe néoplatonicien du IVè siècle, élève de
Porphyre, renouvela entièrement la métaphysique du paganisme en faisant
une large place aux dieux traditionnels de l’Antiquité et à la science de
l’Égypte.
Dans son œuvre maîtresse, Mystères de l’Égypte, le philosophe
d’Alexandrie établit une sorte de syncrétisme religieux à base de théurgie,
d’astrologie et de connaissances ésotériques.
Rejetant ou, mieux, dépassant les vieilles mythologies, Jamblique
apporte une explication du monde, une cosmogonie et une cosmogenèse
éclairant la spiritualité à la lumière de la connaissance.
Déjà Plotin, dans ses Ennéades avait placé, au sommet du cosmos, le
logos divin, émanation du dieu unique et innommé vers lequel toutes les
âmes jetées dans le monde aspiraient à retourner dans une ascension
graduelle à travers les mondes de plus en plus subtils de la matière, de l’air
et de I’éther.
Porphyre complétait cette conception en affirmant que les nombreux
dieux de la mythologie grecque n’étaient que les attributs et apparences
multiples d’une réalité divine une dans son principe. Une hiérarchie
s’établissait naturellement entre ces apparitions symboliques et les « grands
dieux », tels Jupiter ou Apollon liés à l’épiphanie du Soleil, principe actif de
notre Univers où ils occupaient la première place.
Jamblique apporta son couronnement à cette œuvre grandiose qui, sous
de nombreux rapports, offre un lien de parenté avec la conception gnostique
dont on connaît l’influence sur les « hérésies » chrétiennes, notamment le
catharisme.
La phrase de Platon : « Tu conviendras que le Soleil confère aux objets
visibles non seulement la faculté d’être vus mais encore la genèse,
l’accroissement et la vie, bien qu’il ne soit pas lui-même la genèse », avait
impressionné l’Alexandrin et l’avait amené à penser que le Soleil qui nous
éclaire n’était pas le véritable Soleil, principe actif de notre cosmos, mais
plutôt son miroir ou son image.
Cet astre supérieur, « transcendant » et « intemporel », conduisait à la
croyance dans deux mondes parallèles et distincts. Jamblique réduit cette
antinomie en imaginant un troisième monde intermédiaire guidé par un
médiateur. A l’intérieur et à la tête de chacun de ces trois mondes se
trouvent des entités spirituelles distinctes.
On revient ici à la TRINITÉ adoptée aussi bien par le christianisme que
par la philosophie celtique des druides (la triade) ou les pythagoriciens.
Le monde le plus bas était constitué par notre Univers visible avec ses
planètes et son SOLEIL PHYSIQUE.
Le monde PROCOSMIQUE formait l’Univers intermédiaire, gouverné
par un MÉDIATEUR surgi de l’essence féconde du BIEN.

Enfin, le monde hypercosmique couronné par le Soleil noir9, principe


suprême de toute la création, formait la sphère supérieure de cette trilogie.
Le monde intermédiaire empêchait toute rupture entre l’homme et dieu en
assurant la continuité de l’Être.
Julien fut séduit par cette construction qui parlait aussi bien à son désir
brûlant de mysticisme qu’à son intelligence avide de compréhension et de
connaissance. L’héliolatrie naturelle du prince trouvait enfin un aliment à
son ardeur. Désormais, l’image du Christ s’efface pour faire place à un
monothéisme d’essence solaire seul capable à ses yeux de redonner vie à ce
corps exsangue qu’est devenu l’Empire romain.
Mais comprendre n’est pas tout ; il faut aussi « vivre » ses croyances.
C’est ce que Julien sentit du premier abord. Aussi voulut-il se faire initier
aux « mystères essentiels » du culte héliaque, à savoir les mystères de
Mithra10.
De Nicomédie, Julien pouvait facilement se rendre dans les provinces
limitrophes du Pont-Euxin, en Bythinie et en Cappadoce. Le demi-exil où il
était confiné lui permettait de visiter les villes d’Éphèse et de Pergame, où il
put se mettre en rapport avec des sectateurs de Mithra.
Un jour, Maxime d’Éphèse, théurge célèbre auquel le prince Flavien
s’était lié d’amitié, le convia à célébrer le premier degré d’initiation
mithriaque. Ce fut un grand jour pour Julien.
On le conduisit au bord des rochers surplombant la mer, à quelques
lieues de la ville de Pergame. Là un vieillard vêtu de blanc l’attendait et
l’invita à le suivre. Les deux hommes pénétrèrent dans une grotte qui
s’ouvrait sur un promontoire rocheux surplombant la mer. Le soleil
couchant caressait de ses derniers rayons l’entrée de la caverne. Alors le
vieillard, qui était le grand prêtre de Mithra, invita Julien à se dépouiller de
ses vêtements et lui passa une robe de lin blanche car la laine d’origine
animale est impure. Le hiérophante précéda Julien dans un souterrain plus
étroit, sorte de boyau aboutissant dans une vaste salle voûtée taillée à même
le roc, ressemblant étrangement à une crypte ou à un tombeau. La clarté
vacillante d’une lampe de bronze donnait à toutes choses une lueur
spectrale. Julien fut pris d’une angoisse soudaine. Cette pièce n’allait-elle
pas devenir sa dernière demeure ? Le vieillard lui demanda d’une voix
grave s’il était prêt à connaître l’initiation… et à mourir ! Surmontant une
crainte grandissante, le jeune homme répondit que oui. Alors, le prêtre se
retira, laissant Julien dans la solitude. Une lourde pierre fut roulée devant
l’orifice. Puis ce fut le silence. Saisi d’une intense frayeur et croyant sa
dernière heure arrivée, le néophyte se rua sur la paroi qu’il se mit à marteler
de ses poings, mais seul l’écho de ses cris lui répondit. Alors se calmant peu
à peu, il s’abîma dans la méditation, comprenant le sens de cette épreuve.
Au bout d’un jour, l’huile de la lampe s’épuisa et la caverne fut plongée
dans l’obscurité. Dans les ténèbres qui l’entouraient, Julien ne se sentait
plus seul. Une lumière bleutée et scintillante brillait maintenant au fond de
la caverne… mais se trouvait-il toujours enfermé, il n’aurait su le dire,
tellement il se sentait léger et délivré de toute entrave physique. Le jeûne
prolongé purifiait son corps et son esprit et une grande sensation de paix
pénétrait tout son être. Il se sentait léger comme une plume et son corps lui
parut flotter dans les airs. Il resta ainsi, ayant perdu la notion du temps, trois
jours et trois nuits, ayant pour toute nourriture l’eau d’une cruche de terre.
Enfin, au terme du troisième jour, la lumière inonda le sépulcre et Julien
connut une nouvelle naissance dans la matrice de la Terre. Le vieillard
conduisit le jeune homme au grand jour, puis il le fit entrer dans une pièce
très claire ; le temple de Mithra. Au fond du sanctuaire se dressait une
statue en marbre blanc du dieu-SoIeil représenté sous les traits d’un jeune
homme coiffé du bonnet phrygien et tenant dans ses mains deux flambeaux.
Tout autour se tenaient les hiérophantes silencieux et dignes, revêtus de la
robe blanche des initiés.
Sur l’ordre du pontife d’Hécate, Julien s’étendit sur le sol, les bras en
croix et le visage tourné vers le ciel. A ce moment un hymne très doux se fit
entendre, chanté par le cœur des hiérophantes, et Julien, ravi dans l’extase,
entendit à nouveau la voix puissante qui l’appelait : « Je suis Hélios, ton
père ! » Le dieu lui demanda de restaurer le culte des dieux et de Rome et
de garder la foi. Julien promit de garder LA VOIE OUVERTE AU
SOLEIL.
Quand, revenu de son extase, il ouvrit les yeux, le nouvel initié aperçut
les visages rayonnants de ses « frères » en Mithra. Les membres de la
communauté, tour à tour, lui donnèrent l’accolade et, murmurant à son
oreille, le pontife lui dit : « Garde la voie ouverte ! »
Alors, la cérémonie prit fin et Julien fut reconduit à l’air libre, hors du
sanctuaire, pour reprendre la route de Pergame.
Désormais, le prince Flavien était devenu l’ennemi du christianisme et
cette lutte n’allait se terminer que par la défaite de l’adversaire.
Plus tard, Julien, se souvenant de cette journée, racontera à ses amis le
message d’Hélios :
Observe combien l’Empire est menacé, combien la dynastie qui le
gouverne est éprouvée ! C’est que le vrai dieu, le Soleil invincible, le
sauveur qui répand ses libéralités sur l’Univers entier et dont la splendeur
éclate partout à nos yeux, celui qui produit l’été et l’hiver, et les animaux et
les plantes, celui qui conduit le chœur des astres et qui dirige la divine
harmonie des sphères, le chef de la cité du monde, Hélios, est méprisé et ses
prêtres sont honnis. Or qui es-tu toi-même, toi qu’un odieux persécuteur a
ravalé dans les rangs d’une vile cléricature ? Le dernier représentant de la
plus divine des dynasties, de celles à qui un sceptre glorieux est promis. Ton
âme est descendue ici-bas avec une étincelle du feu divin, maître de la vie et
père du Soleil visible. Le Dieu a son regard fixé sur toi. A l’heure où il
faudra sauver l’hellénisme et l’Empire, il t’appellera peut-être.
Et cette heure allait sonner bientôt. En attendant, Constance surveillait
de plus en plus son cousin, ayant quelques soupçons quant à sa parfaite
orthodoxie chrétienne.
Finalement, après l’avoir convoqué en Italie, il revint sur sa décision et
permit à Julien de fréquenter Athènes, pensant que la rhétorique était un
moindre mal que la politique.
Julien voyait ainsi exaucé, par un caprice de l’empereur, son plus cher
désir. Connaître la capitale de la pensée antique, la cité de Platon et de
Périclès, la ville de la sagesse, rayonnant comme un phare de culture sur le
monde romain ! Quel bonheur à cette pensée, longtemps caressée comme
une chimère ! Cette faveur était due en réalité à l’impératrice Eusébie qui
avait pris Julien en affection à l’énoncé de ses malheurs familiaux.
Dans le courant de l’été 355, le navire qui transportait Julien mouilla
dans le port du Pirée. Un patricien d’Antioche, du nom de Celse11,
accueillit Julien dans son élégante demeure.
Bien qu’il ne fût pas un habitué des salles de cours, Julien trouva à
Athènes un aliment au feu intérieur qui le dévorait. Lisant beaucoup, surtout
les cours des professeurs les plus notoires, Julien, en même temps, trouvait
dans la ville de l’Attique une atmosphère paisible, un esprit brillant et subtil
que n’avaient pas encore transformé les atteintes du christianisme à peine
connu des Athéniens qui manifestaient peu d’intérêt à son égard.
Julien aimait flâner dans la merveilleuse campagne entourant la ville, au
milieu de ces collines portant les doux noms d’Hymette, de Pentélique, de
Lycabette. Le chemin des loisirs était parfois celui de la philosophie.
La route qu’il suivit de préférence fut celle des jardins d’Académus, dont
les avenues s’allongeaient au Nord de la ville, dans la direction de Colone.
L’école de Platon, en effet, s’y survivait, pareille à une sorte d’institut
monastique, avec ses vastes installations et ses « reposants ombrages12».
Indépendante financièrement, cette école pouvait donner librement un
enseignement dégagé de toute contrainte.
Une fois au moins, par la porte du Dipylon, et la voie sacrée, Julien se
dirigea vers Éleusis ; il passa sous les bois d’oliviers chantés par Sophocle ;
il déboucha sur le golfe de Salamine et pénétra dans le temple des deux
déesses. A Éphèse, en effet, Maxime lui avait prescrit d’aller achever son
initiation chez l’hiérophante de Déméter, en l’assurant qu’il y trouverait
beaucoup à apprendre13.
Après s’être préparé, devant le temple, par des ablutions et des
purifications rituelles, le Prince, couronné de myrtes, pénétra dans le
vénérable sanctuaire des divinités souterraines. Il fut admis à contempler
tous les symboles contenus dans la mystérieuse corbeille ; il vit le serpent
familier de Triptolème se glisser au milieu des grenades et des branches de
figuier ; il prit part au repas symbolique ; il but le cycéon et toucha aux
gâteaux sacrés ; dans l’ombre de la nuit, il vit les statues miraculeuses
s’illuminer ; il assista aux représentations et aux danses ; il entendit
l’hiérophante, dans sa longue robe, les cheveux flottants sous le bandeau de
pourpre, réciter les commandements imposés aux initiés. Julien eut de longs
entretiens avec ce « divin maître » et il puisa abondamment aux sources de
sa sagesse14.
Recommandé par Maxime d’Éphèse, le prince Flavien fit la
connaissance d’un théurge renommé d’Athènes, Priscus.
En dehors de l’Attique, Julien visita également les autres cités de la
Grèce et, dans une lettre à l’impératrice Eusébie, il confiait :
- La philosophie n’a point abandonné Athènes, ni Sparte, ni Corinthe, et
ses sources arrosent abondamment Argos l’altérée, jaillissant soit dans la
ville même, soit, devant la ville, près de l’antique Masès, son port.
Toujours, dit Libanius, on voyait tourbillonner autour de Julien, en
Grèce, des essaims de jeunes gens, de vieillards, de philosophes, de
rhéteurs. Les dieux eux-mêmes dirigeaient sur lui leurs regards, sachant
qu’il rétablirait en leur faveur les traditions ancestrales. Si tous les hommes
appréciaient sa douceur, les meilleurs seulement recevaient ses
confidences15.
Le séjour de Julien à Athènes fut sans histoire, mais son caractère
enjoué, sa simplicité, son absence d’orgueil lui ralliaient tous les suffrages
et cette popularité naissante portait ombrage à Constance.
Un ordre arriva bientôt qui enjoignait au prince de quitter Athènes et de
rejoindre l’empereur à Milan.
Très inquiet sur son sort, car il vient d’apprendre que son frère Gallus,
élevé par Constance à la dignité de César, est brusquement tombé en
disgrâce, Julien obéit au décret impérial. Dans son émoi, il adresse à Pallas
Athénée, la déesse protectrice d’Athènes, une fervente prière :
- Que de torrents de larmes je répandis, écrit-il dans son épître aux
Athéniens, que de gémissements, les mains levées vers l’acropole de votre
cité, appelant Athéna, la conjurant de sauver son serviteur et de ne pas
l’abandonner. Beaucoup d’entre vous l’ont vu ; ils peuvent m’en rendre
témoignage. La déesse elle-même, mieux que personne, sait que, à Athènes,
je lui demandai de mourir plutôt que de revenir à la cour. Mais elle ne trahit
pas son suppliant ; elle ne le livra point ; les faits le prouvent. Elle me guida
partout ; partout elle m’envoya des anges gardiens, fournis par Hélios et
Séléné16.
En cours de route, le jeune prince apprend la nouvelle de la mort de
Gallus, décapité comme un malfaiteur au fond d’un cachot humide. Quel
sort lui réserve maintenant le tortueux Constance, assailli par une méfiance
maladive ?
Dans le fond de son cœur, l’empereur commence à se repentir de son
geste criminel. Est-ce d’ailleurs une bonne politique d’exterminer les
membres de sa famille, alors que les militaires continuent à comploter
contre lui ? Constance réfléchit et ajourne sa décision. Il verra d’abord
Julien et décidera de son sort ensuite.
Arrivé au palais, Julien, très inquiet, passe entre les mains des masseurs,
perruquiers, coiffeurs, barbiers, qui prolifèrent à la cour comme une nuée de
parasites. On le maquille, on le parfume, on lui passe une riche dalmatique
de soie brodée et on le chausse de sandales dorées. Dans cet appareil, il est
introduit dans l’immense salle d’apparat où siège l’auguste, brillant de
pierreries, coiffé du diadème impérial, drapé dans un manteau de pourpre,
étincelant de broderies et d’or.
Julien s’agenouille devant le maître du monde. Constance le relève et se
met à parler. A sa grande surprise, Julien apprend de la bouche même de
l’Auguste qu’il est nommé César en reconnaissance de son dévouement
filial.
Le 6 novembre eut lieu sur le champ de Mars la cérémonie d’investiture.
Là, sur une immense esplanade, se trouvaient rassemblées toutes les légions
d’Italie. Plus de vingt mille hommes, dont les casques et les cuirasses
étincelant au soleil, étaient alignés au pied de la tribune impériale.
Constance prit la parole, présentant à l’armée la situation très grave qui
menaçait l’Empire pressé par les Barbares.
- Voici Julien conclut-il, fils du frère de mon père. Sa modestie me le
rend aussi cher que les liens du sang. Déjà, sa jeunesse studieuse a fait
briller son ardeur au travail. Je souhaite me l’adjoindre, en l’élevant au rang
de César. Si le choix vous paraît heureux, je vous demande de le ratifier par
votre approbation17.
Un murmure de satisfaction accueillit ces paroles. L’armée pensait qu’un
décret divin et non la volonté humaine était la cause réelle de cette décision.
L’empereur poursuivit alors :
- Votre assentiment m’est témoigné par le frémissement de joie que je
viens d’entendre. Qu’il soit donc élevé à cet honneur insigne, le jeune
homme à qui le sang-froid s’allie à la vigueur. Mieux vaut imiter la réserve
qui est le fond de son caractère que d’en prononcer l’éloge.
Et l’Auguste conclut par ces paroles :
- Par le choix que j’ai fait de lui, j’ai d’ailleurs pleinement rendu
hommage aux qualités qu’il tient de la nature et d’une éducation excellente.
Ainsi donc, avec le consentement du dieu du ciel, je vais le couvrir du
manteau princier.18
Et, joignant le geste à la parole, il revêt Julien de la pourpre et le
proclame César.
Une acclamation unanime accueillit ces paroles. La troupe, à très peu
d’exceptions près, pour témoigner son enthousiasme du choix que venait de
faire son empereur, fit résonner avec fracas le bouclier sur le genou (ce qui
exprimait chez le soldat le comble de l’allégresse). Une juste admiration
accueillit le jeune César, rayonnant d’éclat dans la pourpre impériale. On ne
se lassait pas de contempler ces yeux à la fois terribles et pleins de charme,
et cette physionomie à laquelle l’émotion donnait de la grâce. Les soldats en
tiraient I’horoscope du prince, comme s’ils avaient étudié les vieux livres
où l’on apprend à discerner dans les traits du corps les secrets des âmes.
Si gauche encore naguère, le jeune César, transfiguré, se sentait porté par
l’enthousiasme des soldats et gagné par une énergie extraordinaire.
La cérémonie terminée, Julien prit place aux côtés de Constance sur le
char impérial et gagna le palais.
Cela se passait le 6 novembre 355 et Julien était alors âgé de vingt-
quatre ans.
A l’issue de cette proclamation, Julien se mit en route pour la Gaule
envahie par les Barbares, où il devait exercer officiellement ses nouvelles
fonctions de César, officiellement, car en secret Constance avait donné des
ordres à ses subordonnés pour que le rôle de Julien se bornât à une
démonstration protocolaire dénuée de l’effectivité du pouvoir.
Le nouveau César ne l’entendait pas de cette oreille et il le fit savoir. Le
préfet du prétoire pour la Gaule, Florentius, dut s’incliner le premier devant
l’autorité de Julien. Celui-ci, en quelques semaines, prit réellement le
commandement de la province et décida de marcher sur le Rhin, aussitôt
l’armée rassemblée.
En attendant, Julien s’astreignit à la dure discipline des camps,
s’obligeant à apprendre l’escrime et à marcher au pas au son de la
pyrrhique. Il murmurait alors : « O Platon, si tu me voyais ! »
Mais les Germains ne lui laissèrent pas le temps de s’organiser, déferlant
sur la Gaule en pillant et dévastant villes et campagnes.
II en fallait davantage pour décourager le César des Gaules. De plus,
Julien eut la chance de trouver dans son entourage militaire un officier de
grand talent, tout dévoué au paganisme et à la cause impériale, Salluste, à
qui nous devons un vivant récit de la vie de Julien.
Vers le solstice d’été, le prince rejoignit ses légions à Autun, et de là, ne
prenant avec lui qu’une troupe de cataphractaires (cavaliers) et de
balistaires (artilleurs), il gagna rapidement Auxerre, qu’il délivra en
dispersant d’importantes bandes d’Alamans.
Ensuite, il obliqua sur Reims, où il apprit un nouveau malheur :
l’occupation de l’Alsace et de ses principales villes, Strasbourg, Saverne,
Brumath, ainsi que de toute la rive gauche du Rhin avec Mayence. Se
mettant aussitôt en campagne, les légions romaines balayèrent les tribus
d’envahisseurs ; après quoi, Julien, heureux de son succès, prit ses quartiers
d’hiver à Sens. Cependant, Strasbourg demeurait aux mains des Barbares,
ayant échappé à l’encerclement.
L’année 357 vit Julien quitter Sens avec des forces considérables. Deux
armées, l’une venant de l’ouest, l’autre du sud, devaient prendre les
Barbares en tenaille et les anéantir. Compliquant les choses, les rois
germains de l’autre côté du Rhin vinrent prêter main forte à leurs
congénères en difficulté.
Employant judicieusement ses troupes, Julien, habile stratège, sut éviter
le pire et, après quelques flottements, écrasa les Barbares coalisés non loin
de Strasbourg où il fit une entrée triomphale. Les Germains défaits furent
poursuivis par Julien au-delà du Rhin. Les opérations prirent fin au mois de
janvier.
C’est à Paris (Lutèce), où il avait fixé ses quartiers, que le César attendit
la fin de l’hiver. Loin de se laisser aller à une trompeuse insouciance après
ses victoires retentissantes dont le bruit était parvenu à la cour de
Constance, Julien déploya dans l’administration de la Gaule dévastée une
activité fébrile. Des colons furent réinstallés dans les campagnes, la
fiscalité, trop lourde, fut réformée et allégée, les abus des gouverneurs
furent corrigés, les bandes de pillards qui ravageaient la province furent
mises à la raison si bien que la Gaule entière, au bout d’un an, retrouva une
prospérité qu’elle n’avait pas connue depuis longtemps. Quant aux soldats,
ils reconnaissaient les mérites de leur chef et la popularité de Julien
grandissait dans la troupe non sans inquiéter Constance, informé par de
nombreux rapports.
En 359, Julien dut encore remettre en état de défense sept villes du
Limes19. Ensuite, il passa à nouveau le Rhin et soumit les princes
germaniques Vadomir, Ursicin et Velstrap, qui implorèrent la paix. Julien
retrace lui-même un bilan de ces années d’efforts couronnées de succès :
- Étant encore césar, j’ai traversé trois fois le Rhin, et j’ai fait rendre par
les Barbares vingt mille prisonniers qui étaient au-delà du fleuve. Deux
batailles (celle de Strasbourg et celle de Toxandrie), puis la prise d’une
forteresse m’ont fourni un millier de captifs, capables de servir et à la fleur
de l’âge ; j’ai envoyé à Constance quatre cohortes de fantassins excellents,
trois autres de plus ordinaires, et deux escadrons de cavaliers d’élite ; avec
l’aide des dieux, j’ai repris à présent toutes nos villes, et, n’étant encore que
césar, j’en avais déjà reconquis près de quarante20.
C’est à Lutèce que, pour Julien, tout allait se décider.
A la suite des malversations de Florentius, préfet du Prétoire et protégé
de Constance, Salluste, le meilleur conseiller du prince, nommé questeur,
fut rappelé en Italie, car une machination ourdie par l’entourage servile et
intriguant de l’empereur voyait dans l’accusation portée contre Florentius
un soufflet jeté à la face de la cour.
Julien fut très peiné de ce rappel qui le privait d’une amitié précieuse et
d’un conseil efficace. Les griefs s’accumulaient ainsi contre l’entourage de
l’Auguste et Constance lui-même, coupable de s’intéresser davantage à
déjouer d’imaginaires complots plutôt que d’employer ses forces à sauver
l’Empire, accaparé par une nuée d’évêques et de clercs avides de fonctions
lucratives et honorifiques.
Cependant, la popularité du César grandissait en Gaule où les « païens »
restaient la majorité dans ce peuple gallo-romain, ami de l’ordre et
respectueux de la grandeur de l’Empire. En Orient même, les partisans d’un
retour à l’hellénisme se félicitaient secrètement et réclamaient de tous leurs
vœux le respect de la tradition.
Les riverains de l’Oronte se réjouissaient d’apprendre que le Rhin était
de nouveau ouvert aux flottes romaines. Chacun, ou bien à part soi, ou bien
dans les associations qui groupaient les mêmes volontés, ne cessait de prier
les dieux de mettre fin au fléau qui ruinait le monde, et de donner au reste
de la Terre une part des avantages accordés aux Gaulois21.
Julien fut encouragé dans ses ambitions par son médecin et confident,
Oribase, qui avait cru reconnaître des présages menaçants pour l’empereur.
Le César n’aspirait déjà plus qu’à prendre la place du despote.
De son côté, Constance ne voyait pas sans appréhension se dégager la
puissante personnalité de Julien qu’il avait tout d’abord jugé insignifiant.
Prenant pour motif une campagne contre les Perses en Orient, l’Auguste
envoya en Gaule un plénipotentiaire, Decentius, avec ordre de retirer à
Julien toutes les troupes qu’il avait sous son commandement. L’armée
devait rejoindre l’empereur à Constantinople et marcher sur la
Mésopotamie. Le César ne conserverait que des troupes auxiliaires, à
l’exception des Hérules, des Bataves, des Pétulants et des Celtes, ces tribus
ralliées qui formaient l’armature de son corps de bataille.
Arrivé en Gaule en janvier 360, Decentius se heurta aussitôt à l’hostilité
des Germains qui ne s’étaient pas ralliés à l’Empire pour se voir transportés
loin de leurs terres dans une contrée inconnue.
A Lutèce, ce fut l’émeute. L’édit de l’empereur fut brûlé par les officiers
et, bientôt, à la nuit tombante, un immense cortège de soldats porteurs de
torches s’ébranla vers le palais de Julien situé dans l’île de la Cité pour lui
demander d’annuler la décision de ramener l’armée en Orient. Quoi, ces
soldats victorieux, entendait-on dans les rangs, « on les reléguait au bout du
monde comme des malfaiteurs, comme des condamnés. De nouveau, le
joug de l’ennemi allait peser sur ceux qu’ils aimaient et que, au prix de tant
de sanglants combats, ils avaient libéré d’une première captivité ».
Bientôt, Julien, qui veillait dans son cabinet de travail, entendit les cris
des légionnaires et, apercevant cette foule énorme au milieu de laquelle
brillaient les armes et les casques, il crut tout d’abord à une révolte, mais,
apprenant le motif de ce rassemblement, il fut plongé dans la perplexité.
Devait-il céder aux instances de ses officiers et se laisser proclamer
empereur ? Déjà, au dehors, les soldats acclamaient son nom et
demandaient à voir le nouvel Auguste. Attendre, tergiverser, c’était prendre
parti pour Constance et risquer un bouleversement sanglant, voire un coup
d’État. La troupe commençait déjà à s’impatienter et se faisait plus
pressante, menaçant d’envahir le palais.
Dès lors, la décision de Julien était prise. Puisque le destin faisait appel à
lui, il ne se déroberait pas et ratifierait cet arrêt voulu par les dieux.
Le jour venu, sortant de l’édifice, Julien veut parler aux soldats, mais sa
voix est couverte par un tonnerre d’acclamations et, comme lors de son
élévation à la dignité de César, les légionnaires font résonner leurs boucliers
de bronze en signe de jubilation. Julien, à la manière germanique, est élevé
sur le bouclier d’un fantassin, il est élu sur le pavois et, comme on ne trouve
pas de couronne pour coiffer le nouvel empereur, un soldat détache de son
cou le collier de porte-étendard et le place sur la tête du nouvel auguste. Les
rites sont accomplis. Les dés sont jetés. Hélios veille sur son protégé.
Constance, apprenant la nouvelle du soulèvement, écume de rage et se
prépare à défendre son trône. Il rassemble des troupes fidèles en deçà des
Alpes et se garantit d’une attaque en direction de l’Italie.
De son côté, Julien est très calme, confiant dans les dieux, bien que ses
forces soient inférieures à celles de son rival ; il se met en marche après un
rêve étrange et prophétique qui l’a assailli une nuit ; un brillant fantôme lui
est apparu sous la forme du Génie de Rome qui lui répète les vers de
l’oracle annonçant la mort de celui qui est désormais son ennemi :
Au moment ou Jupiter (la planète royale) sera PRÈS DE SORTIR DU
VERSEAU ET QUE SATURNE marchera sur le vingt-cinquième degré de
la Vierge, alors, l’empereur Constance, sur le sol de l’Asie, atteindra de sa
vie le terme REDOUTABLE ET DOULOUREUX.
La fortune, dès le début, sourit à Julien et, au seul bruit de son approche,
Taurus, préfet d’Italie, s’enfuit, entraînant dans sa terreur panique
Florentius, nommé par Constance préfet d’Illyrie. La population des
provinces, massée au bord des routes, acclame ce jeune empereur de vingt-
cinq ans qui vient remettre de l’ordre dans un empire épuisé. Le but de cette
avance à marches forcées : Constantinople, où siège encore l’orgueilleux
Constance, entouré de sa cour d’ecclésiastiques qui l’adjurent de vaincre au
nom de la croix.
Le Danube est bientôt atteint et franchi, comme dans un rêve. C’est une
« torche », un « torrent de feu », un « brandon incendiaire », que cette folle
expédition, placée sous le signe d’Helios l’invincible roi.
A Sirmium, clé de l’Empire d’Orient, Julien arrive sans crier gare et la
population lui ouvre les portes de la ville, l’accueillant avec des colliers de
fleurs.
Se hâtant de faire la paix avec le roi perse Sapor, Constance retourne en
toute hâte ses forces vers l’Occident. Mais l’étoile de l’Auguste est à son
déclin. Près d’Antioche, Constance est pris d’une fièvre brûlante qui le
cloue sur son lit. Après une longue agonie, il expire le 3 novembre.
Auparavant, il a voulu in extremis recevoir le baptême chrétien.
Julien, très inquiet, apprend la stupéfiante nouvelle. La voie de
Constantinople lui est ouverte et le « Monde Romain » tout entier le
reconnaît maintenant pour le successeur légitime de Constance.
Lorsque la nouvelle de son arrivée parvint à Constantinople, la
population de tout âge et de tout sexe se répandit hors des murs, comme
pour voir un messager du ciel. Julien fit son entrée solennelle dans la ville
le trois des Ides (le 11) du mois de décembre, salué par l’hommage
respectueux du Sénat et les acclamations unanimes du peuple, heureux de
fêter le premier Empereur né à Byzance. Un concours prodigieux de troupes
et de citoyens l’escortait, tandis que les regards de la multitude se portaient
sur lui seul, avec une admiration profonde. Et en effet, ce Prince, homme à
peine, cette petite taille, ces gigantesques exploits d’un dompteur de rois et
de nations, ces soudaines apparitions de ville en ville, où sans cesse le
conquérant se procurait des ressources et des forces nouvelles ; cette
domination se propageant comme une flamme, et ce Principat enfin occupé
comme par une grâce divine, sans qu’il en coûtât une seule ruine à l’État,
tout cela semblait l’illusion d’un songe22.
Cette marche triomphale, ajouterons-nous, ne ressemble-t-elle pas au
« vol de l’aigle », lorsque Napoléon, bien des siècles plus tard, marchera sur
Paris, protégé par la même divinité solaire ?
Dans le mithraeum du palais de Constantinople, Julien, nouvel
empereur, n’eut plus de raison de cacher sa dévotion à Mithra et, en sa
qualité d’Auguste, il reçut successivement les grades d’occulte, soldat, lion
et perse. La première initiation, celle de corbeau, lui ayant été conférée à
Pergame, Julien fut ainsi élevé d’emblée à la dignité de courrier du soleil
(Héliodromos) et se prépara dans le jeûne et la solitude à recevoir ce dernier
grade.
La cérémonie du TAUROBOLE perpétuant la victoire de Mithra et le
sacrifice solaire du sang était très impressionnante.
Le sanctuaire souterrain était formé par une crypte profonde soutenue
par deux rangées de sept colonnes symbolisant les sept degrés d’initiation.
Au fond de la nef était placée une statue de Mithra dans la pose de
sacrificateur du taureau sacré.
Le sacrifice du taureau, apanage de l’Héliodromos, avait lieu dans une
petite salle octogonale analogue aux anciens baptistères de nos églises.23
Après avoir subi les épreuves de purification et les ablutions rituelles,
Julien fut rasé complètement, à l’exception des cheveux, puis il descendit
dans un réduit obscur par un escalier conduisant exactement en dessous de
la salle octogonale. Une claire-voie laissait filtrer un peu de lumière.
Au-dessus, des hommes s’affairaient, poussant un taureau blanc, purifié
par sept bains lustraux. La bête poussa soudain un beuglement terrible et
s’affaissa sur la claie qui servait de plafond.
Au même instant, Julien sentit un liquide épais et tiède couler sur son
visage puis, ce fut un véritable ruissellement. Une robe de pourpre
enveloppa tout son corps, le purifiant et le régénérant, comme si le sang du
taureau contenait quelque énergie secrète et d’essence divine. En
promulguant son édit de tolérance, Julien permettait aux chrétiens jugés non
orthodoxes, ariens, gnostiques et autres, de prêcher librement leur doctrine
et d’exercer leur culte sans être inquiétés.
Cette politique apaisante eut d’heureux effets et, si l’on s’est acharné par
la suite à salir la mémoire de Julien, traité injustement d’APOSTAT, des
témoignages sont demeurés gravés dans la pierre en l’honneur de ce prince
« né pour le bien de l’État, toujours invincible, perpétuel triomphateur,
extirpant les vices des temps passés, destructeur de la superstition,
restaurateur des temples et du règne de la liberté ».
Car Julien était populaire, même chez ses sujets chrétiens, grâce à ses
nombreuses réformes qui ne se limitèrent pas au terrain religieux.
Rompant avec le despotisme oriental de ses prédécesseurs, l’empereur
réforma aussi bien la cour que l’administration des provinces, l’armée aussi
bien que la justice.
Depuis Constantin et même avant, les empereurs romains avaient pris
l’habitude de se faire adorer comme des dieux, enveloppés dans un
cérémonial compliqué où s’étalait leur majesté divine revêtue des attributs
sacrés : le globe, le diadème et la pourpre. Autour de l’empereur, paré du
titre de deus et dominus, salué à l’orientale par la proskinesis (génuflexion
s’accompagnant du baisement du manteau impérial) évoluait une nuée de
personnages officiels aux titres ronflants, qualifiés, selon leur rang, de
nobilissimes, patrices, illustres, spectabiles, clarissimes, et j’en oublie. En
outre, la cour s’encombrait de myriades d’eunuques et de serviteurs, plus
occupés à arrondir leur patrimoine en exploitant les finances impériales
qu’à rendre de réels services.
Julien mit fin à tous ces abus, à cette pompe dispendieuse qui contrastait
avec la simplicité de l’ancienne Rome et la quasi-totalité de cette
domesticité parasitaire fut congédiée séance tenante. La situation du trésor
s’en trouva aussitôt considérablement améliorée.
Dans l’administration, la réforme ne fut pas moins importante. Le
népotisme et le favoritisme qui sévissaient dans les emplois publics furent
proscrits. Le sénat, vénérable institution romaine, retrouva les honneurs et
la dignité, et Julien n’admit plus que les édiles restâssent debout en sa
présence comme cela se faisait sur l’ordre orgueilleux de Constance.
La poste publique était exploitée par les notables, prêtres et évêques
chrétiens qui l’utilisaient aux seules fins d’éviter une dépense. Cette
pratique généralisée ruinait l’État et accumulait les lenteurs dans
l’acheminement des messages et des courriers impériaux. Les
fonctionnaires perdirent le droit de délivrer des permis de transport gratuit
et des mandats en blanc. Les édits de Julien se multipliant, l’autorité des
municipalités fut rétablie et l’exode vers les campagnes qui dépeuplait les
cités fut enrayé.
A coups redoublés et de tous les côtés à la fois, ses décrets s’efforçaient
de boucher les lézardes d’un système prêt à s’écrouler24.
L’armée fut tout particulièrement l’objet des soins de l’empereur qui
améliora les conditions de vie du soldat, plaça toutes les légions sur un pied
d’égalité et remplaça le Labarum de Constantin, marqué du monogramme
du Christ, par l’étendard de Mithra portant l’inscription : au soleil invaincu
( Soli invicto). Tous les dimanches, enfin, les soldats, comme sous Aurélien,
le promoteur du culte héliaque, durent adresser une prière « au dieu qui
donne la victoire », c’est-à-dire au Soleil.
Enfin, pour réprimer tous les abus dus principalement à la corruption,
Julien institua à Chalcédoine une cour de justice et, sur ce chapitre, se
montra impitoyable. Les ennemis de l’Empire, Eusèbe, Florentius et autres,
furent exécutés.
L’œuvre entreprise fut gigantesque et, pourrait-on dire, démesurée. Un
vent de réforme et un esprit de rajeunissement soufflaient sur le vieil
Empire romain, mais le court règne de Julien, de 361 à 363, ne put mettre
sur pied une oeuvre durable, comme nous allons le constater.
Pourtant l’activité inlassable de l’empereur, servi par des collaborateurs
zélés et efficaces rappelés d’exil auprès de lui, se déployait dans tous les
domaines et particulièrement en matière de philosophie et de religion, car
Julien, rappelons-le, était un fin lettré en même temps qu’un esprit mystique
porté vers les plus hautes spéculations métaphysiques. « Rendre la santé
aux âmes » était à ses yeux une tâche encore plus exaltante pour le médecin
qui avait déjà rendu la vie à ce grand corps exsangue qu’était devenu
l’Empire.
Julien, empereur du Soleil : le « discours sur Hélios-roi »
Le successeur de Constance, nous rappelle Benoist- Méchin, s’était fait
aménager un oratoire privé dans le palais impérial, sorte de Vatican avant la
lettre, où il célébrait, chaque matin, l’office de la trinité solaire. Il s’était
opposé à ce que le Sénat l’appelât « seigneur et maître », mais avait tenu
expressément à conserver le titre et les prérogatives de pontifex maximus,
qui lui donnait la haute main sur toute la vie religieuse de l’Empire. Aussi
n’est-ce pas en tant qu’empereur qu’il promulgua toute une série de
réformes dans ce domaine, mais en sa qualité de SOUVERAIN PONTIFE,
de VICAIRE DU SOLEIL25.
C’est à Antioche, avant de partir en expédition vers cet Orient qui voit
l’astre se lever, que Julien composa son fameux Discours sur Hélios-Roi, en
décembre 362, en hommage à Rome, la cité souveraine qui célébrait alors,
le 25 décembre, les fêtes en l’honneur du Soleil. Point de polémique dans
cet ouvrage, mais un exposé philosophique, une synthèse puissante de
toutes les croyances de l’empereur sur le dieu-Soleil conçu comme la
divinité suprême. Tous les matins, Julien se promène sur les bords de
l’Oronte vers le temple du mont Cassios, pour assister au lever de l’astre du
jour, et c’est dans un état d’exaltation mystique qu’il écrit fiévreusement en
quelques nuits ces pages lumineuses.
Il y a dans le Discours de Julien toute une cosmogonie sacrée qui rejoint
sur bien des points l’explication des textes védiques de l’Inde et de
Zoroastre. C’est la plus grandiose explication du monde qui ait jamais été
tentée dans le cadre du paganisme et dans la ligne de la pensée
platonicienne. Ainsi, soulignons-le, il existe un môle inattaquable dans
l’essai de Julien et cette vérité demeure inébranlable au cœur du fidèle. Il
existe un dieu unique en trois hypostases. Le disque lumineux, le Soleil du
monde sensible, qui vivifie la Terre et ramène le cours alterné des saisons,
est au plus bas degré de la hiérarchie. La plus sublime hypostase, celle qui
préside aux essences intelligibles, échappe ineffablement à l’esprit humain.
En conséquence, Hélios médiateur, démiurge et roi omnipotent de toutes les
forces surnaturelles où la fable a reconnu ses dieux, représente, au regard de
Julien, la plus haute forme de divinité qu’il soit donné à l’intelligence de
concevoir26.
Pour goûter pleinement la qualité de ce néoplatonisme, offrant un
raccourci étonnant de la pensée antique de Platon jusqu’à Jamblique en
passant par Plotin, Proclus et Porphyre, il faudrait citer de très longs
passages du Discours sur Hélios-roi. Qu’il nous soit permis cependant d’en
extraire quelques courtes citations qui nous rappellent l’origine commune
de la tradition primordiale, issue de l’Hyperborée et de l’Atlantide, ces
continents « mythiques » de l’ « homme premier ».
La lumière apparaît ainsi comme le premier attribut de la divinité, car
« autour d’Hélios le monde apparent a existé de toute éternité, et de toute
éternité, la lumière qui environne ce monde est établie à demeure, sans
alternance ni variation, constamment identique »27.
Plus près de nous, Julien rejoint, dans le symbolisme qui anime son
œuvre, la tradition qui fait de Thulé le centre solaire du monde et qui sera
reprise plus tard par les théoriciens nazis disciples du savant Horbiger, et ce
n’est pas là le rapprochement le moins intéressant que nous puissions faire.
En effet, pour Julien, c’est bien dans l’océan, d’où justement a jailli
l’Hyperborée, qu’est née la vie, et l’auteur s’en explique :
… pour ne pas nous attarder davantage sur le même sujet, disons encore
que le Soleil, par ses conversions solsticiales est, comme on sait, le père des
heures, et que, comme il n’abandonne jamais les pôles, il est sans doute
l’océan, régnant sur une double substance.
Mais l’initié ne peut tout avouer, aussi ajoute-t-il aussitôt à l’adresse des
« connaisseurs ».
Serais-je encore obscur dans mes paroles ? Avant nous la même idée
n’a-t-elle pas été émise dans ce vers d’Homère :
L’océan qui donna le jour à toutes choses, aux hommes et aux dieux
bienheureux, pour emprunter son langage ? Oui, vraiment, il n’est rien dans
l’Univers qui ne doive son origine à l’essence de cet océan. Quel rapport
dira-t-on avec les pôles ? Veut-on que je m’explique ? Bien que le silence
soit peut-être préférable, osons parler28.
Et Julien de nous expliquer les lois divines de I’astrologie où le Soleil
occupe une position centrale et, sans entrer dans le secret de l’ésotérisme
pythagoricien, le Soleil « n’occuperait pas le centre de planètes, mais celui
des trois mondes. Ainsi le veulent les hypothèses mystiques29… »
Enfin, Julien considère qu’Hélios est bien le dieu protecteur de Rome et
sa sauvegarde :
- Dois-je encore invoquer, écrit-il, à l’appui de ces dires, l’œuvre du roi
Numa ? C’est à la garde de l’éternelle flamme, issue d’Hélios, que sont
préposées chez nous des vierges consacrées, comparables aux heures
incorruptibles qui veillent sur le feu divin, dont la Terre, au-dessous de la
Lune, est entourée. Encore suis-je en mesure de vous fournir une preuve
plus forte de l’action exercée parmi nous par notre dieu.

Il s’agit d’une autre réalisation du divin Numa30 : tandis que tous les
autres peuples comptent les mois en se réglant, pour ainsi dire, sur la Lune ;
nous sommes, depuis ce roi, les seuls, avec les Égyptiens, a mesurer les
jours de chaque année d’après les mouvements du Soleil. Si je déclare après
cela que nous vénérons Mithra et que, en l’honneur d’Hélios, nous
célébrons des jeux quadriennaux, on me jugera trop moderne31…
Cet hymne au Soleil, couronnement de toute une vie passée à étudier la
philosophie ésotérique et à sonder les mystères, devait être pour Julien sont
« chant du cygne ». La mort, sous la forme d’un trait acéré décoché par un
traître, attendait l’empereur de l’autre côté du fleuve. Lancé sur les pas du
mage Apollonius de Tyane, ce thaumaturge de génie contemporain du
Christ, imitant la marche triomphale du divin Alexandre, qu’il admirait si
fort, Julien rejoignit, dans la « chaîne des morts », l’âme éthérique de ses
glorieux devanciers : le pharaon Akhenaton, le divin Zoroastre et Alexandre
le Grand, car il fut le dernier homme d’Occident qui put adorer le Soleil au
grand jour. Après lui, la « grande lumière » est définitivement occultée par
le christianisme triomphant, et ce n’est pas une surprise pour nous de
constater que l’empereur du Saint-Empire romain germanique, Frédéric II,
successeur spirituel de la Rome solaire et païenne, toujours vivante dans
l’aigle impérial allemand, ait eu à lutter farouchement contre la papauté,
ennemie d’un royaume universel qui s’établirait sans elle. L’Église a ainsi
empêché l’Europe de se faire sous le signe du lion et de l’aigle qui
s’incarnera à nouveau dans Napoléon, ce météore traversant le ciel de notre
continent.
Quant à Julien, mort en plein ciel de gloire alors qu’il venait d’écraser
l’armée perse de Sapor Ier, rappelons simplement sa fin émouvante et le
récit légendaire de ses derniers instants32.
Alors que la bataille faisait rage autour de lui, Julien reçut en pleine
poitrine un javelot romain lancé par la main scélérate d’un homme « qui
refusait d’honorer les dieux », selon l’expression de l’historiographe
Libanius.
Comme on transportait l’empereur dans sa tente, Julien demanda le nom
du lieu où il se trouvait. Un centurion lui répondit que l’on était dans les
« Champs phrygiens ». Or, une prédiction du mage Maxime d’Éphèse avait
annoncé à l’empereur qu’il ne devrait jamais se diriger vers ce lieu. Tout
s’accomplissait à son heure. Et le prince n’en fut pas étonné. Car, selon un
mot de Chateaubriand, « Julien se fit écraser par les générations qu’il
prétendait retenir : elles le jetèrent par terre malgré sa force et lui passèrent
sur la poitrine. »
Les amis de Julien, le préfet Salluste, le théurge Maxime et tous les
officiers de sa garde vinrent au chevet de l’agonisant. « C’est une
humiliation pour nous tous, dit-il, que vous pleuriez un prince dont l’âme va
bientôt remonter vers le ciel et s’y confondre avec le feu des étoiles. » Les
derniers moments de Julien sont alors employés à disserter avec Maxime et
Priscus sur la vie future et l’immortalité de l’âme et ce texte fut lu au
mourant par ses « directeurs spirituels » :
Quand à ton sceptre tu auras soumis la race des Perses,
Jusqu’à Séleucie les pourchassant à coups d’épée,
Alors vers l’Olympe tu monteras dans un char de feu
Que la région des tempêtes secouera dans ses tourbillons.
Délivré de la douloureuse souffrance de tes membres mortels
Tu arriveras à la lumière éthérée de la cour royale de ton père
D’où tu t’égaras jadis quand tu vins demeurer dans le corps d’un
homme.
Lorsque l’empereur rendit le dernier soupir, la légende nous dit qu’on vit
deux âmes s’échapper de son corps, la sienne et celle d’Alexandre,
réincarnée dans Julien. Telles deux boules de feu, elles s’élancèrent dans la
nuit, étoiles filantes rejoignant la « grande lumière ».
L’empereur Julien, fils d’Hélios (photo Roger-Viollet)

1. Lettres écrites en Gaule, 4, éd. Les Belles-Lettres, t.1, 2, pp. 12-13.

2. LIBANIUS, Oeuvres.
3. J. Bidez, Vie de l’empereur Julien, Ëd. des Belles-Lettres, Paris, 1930, pp. 53-54.

4. Libanius, Oral. XII, 11.

5. Discours sur la mère des dieux, 161 C, 161 D et 162 A.

6. O. E. Briem, Les Sociétés secrètes de mystères, Payot, pp. 352-353.

7. Il est en effet curieux de remarquer l’analogie frappante entre le culte d’Isis et celui de la Vierge
dans la religion catholique. Il semble bien que Marie ait succédé à Isis dans la dévotion des marins à
la divinité de la Mer. Bien souvent, d’ailleurs, les fidèles ont reporté leur adoration sur d’anciennes
statues d’Isis (les « Vierges noires ») rebaptisées chrétiennes pour la circonstance.

8. Le Soleil évoqué ici par Apulée n’est pas le Soleil physique, mais son double éthérique, situé dans
l’Univers spirituel, invisible à l’œil ordinaire. Le Soleil visible est, en effet, selon la tradition occulte,
une émanation du Soleil central, qui est la source cachée de tout ce qui est dans notre système
solaire. Notre Soleil visible n’est que le miroir dans lequel sont réfléchis les rayons d’énergie émanés
du Soleil spirituel. Le Soleil réel est aussi invisible que l’homme réel aux yeux du profane.

9. le Soleil noir et la science : l’existence du Soleil noir n’est pas niée par tous les savants dont
certains n’hésitent pas à lui donner une valeur objective en dehors de sa signification occulte. Ainsi,
pour Louis Claude Vincent et le docteur Rousseau, qui ont passé une grande partie de leur existence à
observer le Soleil et à réaliser des expériences sur la lumière, la lumière terrestre proviendrait de
l’illumination électromagnétique de l’ionosphère solaire : « Le Soleil serait un astre froid et glacé, de
nature ferro-magnétique ; le vrai Soleil n’émettrait pas plus de lumière que de chaleur, mais des
ondes électromagnétiques. Nous serions donc en présence d’un phénomène d’ionisation et tout se
passerait comme dans un tube au néon car le Soleil se déplace en spirale autour d’un circuit
électrique équipotentiel de la Galaxie, lequel est perpendiculaire à l’axe magnétique. Le Soleil noir et
réel, situé à 149 500 000 km, dans le froid absolu, émettrait des rayons électromagnétiques qui
provoqueraient sur la pointe de l’ionosphère solaire une image lumineuse située à environ 800 000
km de distance. Ainsi, d’après Louis Claude Vincent, nous ne voyons qu’une image du Soleil à
travers notre atmosphère » (Jean-Pierre Bayard, le Monde souterrain, Flammarion, 1961, p. 170).
L’alchimie évoque aussi le Soleil noir qui serait situé en opposition avec le Soleil brillant, au second
foyer de l’ellipse, et donc invisible. Derrière ce « disque sombre » se trouverait la vraie et suprême
source lumineuse émanant le rayon vert, couleur sacrée en liaison avec le Graal et la race primordiale
prétendument originaire de Vénus, la « planète verte ». Notons que la lumière coronale de notre
Soleil est bien verte, ainsi que l’ont observé les savants (quant à l’espace, il est froid et obscur, ainsi
que l’ont constaté les cosmonautes), et plonge « dans le ravissement ». Dans les Upanishad hindous,
on trouve un écho du « double Soleil » dans cet hymne : « ô Soleil, partout présent, fils du Seigneur
de la Création, commande à tes rayons, retire ta lumière. Ôte le voile afin que je puisse voir sa race ;
sa face voilée par ton disque d’or. Car celui qui est là, cet être-là, il est moi-même ».

10. Originaire de l’Orient, le culte de Mithra remonte à l’époque lointaine où l’Inde et l’Iran
communiaient dans la même religion. Par la suite, ce culte subsista dans la Perse mazdéenne, car
Mithra fut considéré par Zoroastre comme un des izeds (génies des quatre éléments). Dans sa
première forme, Mithra est assimilé au Soleil. Seigneur du jour et de la lumière céleste, il est aussi le
« dieu des serments » ; mais sa fonction essentielle est celle d’un grand dieu vital principe de la
végétation et de la fertilité. Ennemi du mal sous toutes ses formes, Mithra apparaît comme le Soleil à
l’aube, sur son char attelé de quatre chevaux blancs, et traverse le firmament. Le jour où le Soleil est
le plus haut dans le ciel (21 juin) lui est consacré. Après la chute de l’Empire perse, vaincu par
Alexandre, le culte mithriaque connut un nouvel essor dans les royaumes hellénistiques, puis à
Rome : les mythes qui entourent la naissance du dieu sont significatifs de sa suprématie sur toute
autre divinité. Associé à la lumière, Mithra est sorti du rocher issu de la voûte céleste (petra genitrix).
Cette « pierre féconde » était vénérée symboliquement dans les temples. Reposant dans les arbres
sacrés et les plantes, Mithra, coiffé du bonnet phrygien, fut adoré par les génies de la Terre.
Combattant le taureau, il le vainquit et le tua. Du flanc de l’animal s’échappèrent toutes sortes
d’herbes et de plantes, mais surtout le sang du taureau fut changé en vin. C’est du taureau ressuscité
que naquit la puissance de Mithra, qui prend figure de régénérateur de la vie terrestre. C’est sur cette
légende que s’instaura le culte de sol invictus mithra, très répandu chez les soldats dans les légions
romaines. Son succès fut tel qu’il faillit un instant l’emporter sur le christianisme. Certains grades
initiatiques semblent revêtir un caractère purement militaire, chose normale dans une religion virile
qui exalte l’action et la pureté. Le culte fut propagé principalement par l’armée qui laissait des
vétérans s’installer dans toutes les provinces conquises. Les empereurs romains tenaient Mithra en
faveur particulière et Commode, Dioclétien, Aurélien furent de fervents adorateurs de ce dieu,
proclamé « protecteur de l’Empire mondial romain ». Les « mystères » de Mithra comportaient
traditionnellement sept degrés, chiffre de l’initiation. Les néophytes étaient tour à tour corbeau
(Corax), occulte (Cryphius), soldat (Miles), lion (Léo), perse (Perses), courrier du soleil
(Heliodromos) et pater (Père). Ces noms correspondaient à un symbolisme riche de signification. Les
trois premiers degrés correspondent à des échelons préparatoires. Avec le troisième degré, le myste
commençait à pénétrer dans l’arcane des mystères. Devenu soldat, l’initié recevait la couronne de
Mithra qu’il devait s’abstenir de porter. Au cours du quatrième degré, le myste était oint de miel en
vue d’écarter de lui l’impureté. L’adepte devenait alors un « participant ». A l’échelon suivant, il
revêtait un costume perse et se coiffait du bonnet phrygien. Parvenu au degré de Heliodromos, il
devenait « compagnon du Soleil ». Le cérémonial du dernier degré (Pater) nous est inconnu. Au
sommet se trouvait le « père des pères » revêtu de hautes fonctions ecclésiastiques. Les prêtres de
Mithra étaient à la fois des officiants et des conducteurs d’âmes. Au matin, au milieu du jour et le
soir, ils rendaient grâce au Soleil, respectivement tournés vers l’orient, le sud et l’occident. Le
sanctuaire de Mithra était toujours souterrain ; il comprenait un vestibule, sorte de « salle d’attente »
pour les candidats à l’initiation, un Pronaos ou seuil du temple qui donnait accès à la « salle des
mystères ». On y descendait par un escalier. Cette « crypte » symbolisait l’Univers et la voûte en était
garnie d’étoiles. Au fond de la crypte se tenait la statue de Mithra sous la forme d’un jeune homme
immolant un taureau. Après la cérémonie, les mystes communiaient dans un repas sacramentel ; sous
la forme du pain et du vin. Le nom de la cérémonie, Epifania, a directement trait au culte solaire en
souvenir du dernier repas pris par Mithra en compagnie d’Hélios. La religion de Mithra était une
véritable foi, comparable à la métaphysique du christianisme, ce qui a fait dire à Renan que : « Si le
christianisme avait été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été
mithriaste ».

11. Philosophe néoplatonicien, célèbre pour ses controverses avec les Docteurs chrétiens qui le
tenaient pour très dangereux.

12. J. Bidez, op. cit., p. 114.

13. J. Bidez, op. cit., p. 115.

14. J. Bidez, op. cit., p. 115.

15. Orat. XVIII, 29, suiv.


16. Julien, 274 B, 275 B.

17. Ammien, XV, 8, 4 sq.

18. Idem.

19. Frontière fortifiée de l’Empire romain.

20. Julien, 280 CD.

21. Libanius, Orat. XIV, 41.

22. Ammien, XXII, 2, 4.

23. La forme octogonale de la cuve baptismale rappelle symboliquement les huit os du crâne humain
où s’achève la montée des énergies cosmiques.

24. J. Bidez, op. cit., p. 237.

25. Benoist-Méchin Jacques, L’Empereur Julien, Clairefontaine, Lausanne, 1969, p. 249.

26. Julien, Œuvres, op. cit., p. 88, Christian Lacombrade (notice).

27. Julien, Œuvres II, 2e partie, p. 121, Ëd, des Belles- Lettres, Paris, 1964.

28. Idem, p. 123.

29. Idem, p. 124.

30. Premier roi du Latium, d’origine étrusque.

31. Idem, p. 134.

32. Julien mourut exactement le 27 juin 363, à l’âge de trente-deux ans.


Deuxième partie - Le Soleil des Morts
Le Soleil du monde s’est couché, qui luisait sur les peuples,
Le Soleil du droit, l’asile de paix.
(Lettre de Manfred à Conrad après la mort de Frédéric II.)
Nouveau Lucifer, il a tenté d’escalader le ciel
(ALBERT DE BAHAM, avocat pontifical, confident du pape.)
Chapitre 5 - Frédéric II ou le « Grand Œuvre Solaire »
Le visiteur qui s’égare dans le sud de l’Italie à la recherche de merveilles
architecturales ne manque pas d’être intrigué par une construction
exceptionnelle qui se dresse dans la commune d’Andria, située dans la
province des Pouilles.
Nous-mêmes en avons fait l’expérience, attirés comme tant d’autres
touristes, par un dépliant publicitaire qui vantait l’ « unique merveille » du
Moyen Age. Quelle ne fut pas notre surprise de trouver dans le Castel del
Monte un plan de construction sans précédent, révélateur d’une mystique
solaire à base alchimique chez celui qui l’avait fait construire voilà plus de
sept siècles : l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250).
Ce château, comme son nom ne l’indique pas (Castel del Monte
signifie : « le haut perché »), ne répond, en effet, à aucune considération
stratégique ou militaire. Bien plus, la visite des lieux ne révèle aucune pièce
habitable, et c’est avec désespoir que le visiteur cherche en vain une salle à
angle droit !
Et pour cause… Nous nous trouvons ici en présence d’une demeure
solaire, domus solatia comme auraient dit les Anciens qui savaient ce que
parler veut dire. Toute la demeure répond en cela à la symbolique sacrée,
mais avec une direction bien particulière : l’alchimie comme moyen
d’accéder au « grand œuvre ». On peut, dès lors, se demander quelles
recherches pouvait poursuivre le maître de céans, et c’est avec un mélange
de surprise et de joie que l’on découvre au hasard de la visite une
monumentalité orientale dans un décor proprement occidental.
L’étonnement s’accroît au fur et à mesure que la visite se déroule et l’on
ressent que majesté et grâce sont ici étroitement mêlées.
Qu’a donc voulu prouver et que cherchait Frédéric II, ce souverain
prestigieux, empereur d’Allemagne, roi des Romains, de Sicile et de
Jérusalem, en érigeant ce château fort, témoin des croisades et de
l’obscurantisme moyenâgeux ?
La personnalité de ce monarque, qui osait déclarer en public que
« Moïse, Jésus et Mahomet étaient trois grands imposteurs » (!), a de quoi
inquiéter les modernes exégètes pour lesquels le pouvoir pontifical
paraissait faire autour de lui l’unanimité du monde médiéval.
Dans l’histoire humaine, Frédéric II apparaît bien comme le plus
indépendant des souverains que l’Europe ait jamais connu : contemporain
du catharisme et de Saint Louis, il fallait une singulière dose de courage et
d’originalité à ce souverain d’exception pour s’intéresser par exemple à
l’exploration sous-marine ou pour traiter pacifiquement avec les
« infidèles » musulmans aux fins de reconquérir la Terre sainte sans verser
une goutte de sang !
De race germanique, mais latin de formation, ce monarque du XIIIe
siècle préfigure bien notre Europe en gestation et une telle individualité
mériterait beaucoup plus qu’un chapitre dans notre galerie de mystiques.
Ce n’est pourtant pas notre faute si, dans l’esprit de nombre de nos
contemporains, il est trop souvent confondu avec Frédéric II de
Hohenzollern, roi de Prusse, qui lui est pourtant postérieur de cinq siècles.
Pourtant quelles différences entre ces deux Allemands !
Pour l’heure, Frédéric II de Hohenstaufen se rapproche beaucoup plus à
nos yeux, d’Alexandre1 et de Napoléon, et leur rêve à tous trois : celui
d’unifier l’Orient et l’Occident sous un sceptre commun, est à jamais
évanoui.
Tous trois ont marché sur la terre de Palestine, à la recherche d’une
tradition primordiale dont il semble bien, hélas ! que le dépôt sacré soit à
rechercher en Orient et, plus précisément encore, « parmi les sages du Tibet
et de la Tartarie » comme Marie Catherine Emmerich en eut l’éblouissante
vision lorsqu’elle évoquait le Christ marchant, « entre dix-huit et trente
ans », vers la demeure des maîtres de sagesse.2
Cette vision n’a rien d’étonnant si l’on veut bien songer qu’Apollonius
de Thyane, le « second Christ », marcha sur les traces de son prédécesseur
sans parvenir à ramener un message intelligible aux yeux des profanes
d’alors.
On peut juger, à la lumière de ces lignes, quel rêve insensé poursuivaient
nos mystiques en se dirigeant vers la source du Soleil. Leurs rêves brisés ne
s’expliquent pas autrement : les sources de la grande tradition avaient reculé
sans cesse et leurs espoirs calcinés sont allés rejoindre à jamais les villes
englouties dans les sables du désert.
De Napoléon, qui proclame que « l’Inde et le Tibet sont à redécouvrir »,
à Alexandre, qui marche à la tête de son armée vers les sages à la robe
safran, de Julien3, qui tombe percé d’une flèche au moment où il croit tenir
son rêve, à Frédéric II, qui se fait sacrer Imperator Mundi par les ordres de
chevalerie rassemblés autour de lui à Saint-Jean-d’Acre, rien ne subsiste
plus, si ce n’est l’image éternelle du « roi du monde » qui déposera aux
pieds du prochain conquérant les présents du prêtre Jean4.
Castel del Monte : le château du mystère
Castel del Monte fut érigé en 1233 (d’aucuns disent en 1239), à la date
sacrée du solstice d’été (il occupe l’ancien emplacement d’un château qui
lui était antérieur de plusieurs siècles). Il faut souligner que I’astrologie
avait conquis une grande place à la cour de Frédéric II : ce dernier n’avait-il
pas reçu du sultan d’Égypte le roman Sidrach (« le livre du savoir ») qu’il
avait « échangé » contre les prophéties de Merlin traduites en arabe.
Par ailleurs, lors de son mariage avec Isabelle de Brienne (héritière du
royaume de Jérusalem) les chroniqueurs nous rapportent que l’empereur
n’avait daigné consacrer son union que très tôt le matin de sa nuit de noces,
parce que les astrologues lui avaient indiqué les heures favorables pour la
procréation5.
De même, il avait à sa cour le plus fameux astrologue de son temps, le
moine Michel Scott, dont certains n’ont pas manqué de faire le « jumeau
psychique » de l’empereur. C’est ce mage officiel du régime qui composa,
avec son Liber introdudiorius et son Liber particularis, une merveilleuse
encyclopédie des connaissances astrologiques et astronomiques de son
temps. Enfin, partout où se montrait Frédéric II, il était accompagné d’une
quantité d’astrologues qui lui indiquaient les heures favorables pour la
fondation d’une ville ou le départ d’une expédition militaire.
La solatia de l’empereur (ou demeure solaire de Castel del Monte) se
présente comme un octogone régulier fait de pierres de taille en calcaire
jaunâtre soigneusement polies et sans rainures, homogène comme un
monolithe.
La différence avec la construction du grand château de Foggia, dont
Frédéric II avait fait sa résidence impériale, apparaît clairement dans la
disposition octogonale de tout l’édifice. A chacune des huit arêtes des murs
d’enceinte correspond une tour à huit angles aux hauts murs aplatis. Dans la
cour intérieure, à huit angles également, ornée de sculptures antiques, se
dresse un grand bassin de marbre à huit côtés. Plus symptomatiques encore
que la composition octogonale de ce château inhabitable sont les grandes
salles en forme de trapèze qui composent les deux étages du bâtiment. Nous
trouvons, en effet, huit pièces à chaque étage, et quand nous aurons dit
qu’elles devaient accueillir les grands maîtres des huit ordres de chevalerie
existant au Moyen Age, nous en aurons terminé avec la description
proprement exotérique du plan de l’édifice.6
La décoration intérieure propose un intime mélange de l’Orient et de
l’Occident avec un portail Renaissance, des fenêtres gothiques et, entre les
murs d’enceinte, des espaces voûtés dont les sols sont recouverts de
mosaïque. Cette décoration est merveilleusement complétée de murs
habillés de plaques de porcelaine rouge de Brescia et de marbre blanc
supportées par des demi-colonnes aux chapiteaux corinthiens auxquels se
mêlent des pilastres de marbre blanc. Il est à supposer que ce luxe devait
éblouir les visiteurs occasionnels et leur faire oublier quelque peu le
manque de confort utilitaire, puisqu’on ne trouve nulle part de cuisine ou de
chambre à coucher7.
Les nouvelles et les contes nous rapportent d’ailleurs comment des
centaines de chevaliers de toutes nations furent reçus par l’empereur sous
des tentes de soie, donc hors de l’enceinte du fameux édifice, dont on peut
se demander quelle était, en fin de compte, l’utilité…
Une chronique, cependant, fait état de fêtes données dans l’enceinte du
Castel del Monte pour célébrer l’initiation conférée à de nombreux
participants. On se perd en conjectures sur ces rites d’initiation, marques
d’obtention d’une dignité secrète dont la signification est à jamais perdue.
La description que nous en a laissé le chroniqueur est cependant explicite :
- Toutes les catégories de réjouissances solennelles s’exprimaient à
Castel del Monte et on festoyait en découvrant le chatoiement des chœurs et
le cortège pourpre des jongleurs. Un grand nombre de participants furent
faits chevaliers, d’autres furent décorés d’un signe d’une dignité secrète…
Tout le jour on festoya joyeusement, et lorsqu’il arriva à sa fin, l’on
continua : la nuit fut passée en concours de lutte entre les jouteurs éclairés
çà et là par des flambeaux…
Il n’était pas, au dire de ce même chroniqueur, jusqu’au fils du roi
anglais, Richard de Cornouailles, qui n’ait participé à ces « banquets
d’initiation » :
- On l’égayait par toutes sortes de jeux… Il entendit toutes sortes
d’étranges mélodies sur d’étranges instruments, vit les jongleurs montrer
leur art et s’est réjoui à la vue des fillettes sarrasines à peine formées qui
tournoyaient au rythme des cymbales et des tambourins sur le parquet lisse
et coloré du hall…
Ces rites d’initiation, dont le banquet est comme le couronnement,
n’étaient-ils pas d’essence solaire ? Nous pensons répondre par
l’affirmative et voyons une confirmation à cette hypothèse dans le blason
même de l’édifice où se déroulaient ces mystérieuses réunions. La porte
d’accès de Castel del Monte est, en effet, surmontée d’un blason
représentant (entre les armoiries des chevaliers Teutoniques et les lions de
la maison de Souabe), une tête en marbre entourée de rayons : le symbole
du logos solaire, du maître du monde…
Le château du maître du monde
Si nous nous détachons quelque peu de l’interprétation littérale de notre
description, nous nous apercevrons que le chiffre huit déjà relevé revient
comme un leitmotiv dans la construction de l’édifice de Castel del Monte.
Dans la Kabbale des nombres, Huit est un double quaternaire : il
développe la signification de quatre. Nous n’apprendrons rien au lecteur en
disant que quatre représente le carré, qui représente lui-même deux binaires,
donc deux oppositions ; ainsi, quatre a, de tout temps, signifié stabilité et
immutabilité8.
Le nombre huit, tout naturellement, est à rapprocher des huit béatitudes
du « Sermon sur la montagne », du chemin aux huit sentiers de
l’enseignement de Bouddha et des huit trigrammes de Fou-hi. Ainsi, dans
un raccourci saisissant, le nombre huit, symbole d’ÉQUILIBRE et
d’INFINI, se présente dans toutes les traditions (judéo-chrétienne,
bouddhiste et chinoise), comme un trait commun pour la réalisation du
« grand œuvre » spirituel.
La destination du Castel del Monte s’explique alors tout naturellement si
nous voulons bien admettre que, en l’éclairant par la symbolique sacrée des
chiffres, nous nous trouvons en présence d’un lieu d’équilibre parfait, d’un
véritable « Athanor » alchimique pour l’obtention de la pierre de Sagesse.
Nous aurons l’occasion d’évoquer cette arme nouvelle que représentait
l’alchimie au Moyen Age, mais il ne faut pas faire abstraction de
l’atmosphère mystique de cette époque. Quelques décennies plus tôt, un
ermite calabrais du nom de Joachim de Fiore, après avoir consacré de
nombreuses années à l’étude des Écritures saintes, eut l’illumination de ce
qu’elles contenaient un sens ésotérique d’une valeur prophétique
inestimable9.
La terre des Pouilles était donc tout imprégnée par ces visions
millénaristes de l’auteur de l’Évangile éternel. A l’époque de Frédéric, soit
cinquante ans après cette découverte, l’expression même d’ « Évangile
éternel » était devenue le mot de passe d’un immense mouvement
messianique de libération intellectuelle.
Par cet essai de retour à la pureté originelle de l’Église, Joachim de
Fiore, en prophétisant l’avènement de l’ère du Saint-Esprit, qui devait tout
naturellement faire suite à celle du Père et du Fils, allait entraîner la
libération totale des instincts antipontificaux.

Nous avons déjà, dans notre ouvrage précédent10, démonté la genèse du


caractère explosif de cette doctrine sous la bannière de laquelle on retrouve
mêlés gibelins, cathares, « Impériaux », vaudois et franciscains, qui
appelaient de leurs vœux la réforme religieuse et la purification par le feu
de « l’Église de Satan ».
Ce n’est pas en vain que l’on retrouve la trace de saint François d’Assise
dans le palais impérial de Foggia où il était venu rendre visite à l’empereur
d’Occident, Frédéric II. Envers saint François, qui revenait de mission en
pays musulman, et pour lequel Frédéric avait beaucoup d’estime, on
rapporte que la curiosité insatiable du souverain se donna libre cours… Il fit
introduire une courtisane dans les appartements qu’il lui avait fait préparer
pour la nuit. Cette entrevue fut observée par Frédéric, qui s’était posté
derrière un judas pour constater les paramètres de l’état de sainteté…
Le Castel del Monte, quant à lui, si l’on arrive à percer sa symbolique
chiffrée et les mobiles mystiques qui ont présidé à sa construction, se
montre plus réticent pour livrer les mobiles des réunions mystérieuses qui
s’y tenaient.
Les touristes « intéressés » qui visitent aujourd’hui encore le petit musée
de ce sévère château se penchent avec avidité sur un des curieux bas-reliefs
reproduisant une femme devant un roi accompagné de ses capitaines et au-
dessus de laquelle on lit gravée l’inscription énigmatique suivante :
Ds I D Ca D B10 C L P S H A2
Ce mystérieux graffiti, qui donne peut-être la clé des réunions occultes
dont certaines se prolongeaient plusieurs jours et plusieurs nuits consécutifs
et auxquelles assistait tout l’état-major de Frédéric, ne représente-t-il pas
l’Église, pouvoir spirituel, agenouillé devant le Saint Empire romain
germanique, pouvoir temporel ? Cette supposition ne nous satisfait guère et
nous penchons plutôt pour la signification « dantesque » de cette femme,
signification dont nous aurons à reparler quand nous évoquerons les
rapports de l’Empire et de la papauté. Retenons, pour l’instant, le fait,
significatif en lui-même, que Dante ait placé Frédéric II dans le sixième
cercle de son Enfer : celui où gémissent les fondateurs de sectes et les
hérésiarques.
C’est dans ce bouillonnement artistique, culturel et religieux, servi et
magnifié par le millénarisme apocalyptique de Joachim de Fiore qu’il faut
replacer, si on veut la comprendre, la pratique alchimique et occultiste de
cet empereur hors du commun que fut Frédéric… Déjà, les astrologues de
Tolède — siège principal de la divination au Moyen Age — avaient prédit à
son aïeul, Frédéric Barberousse :
- UN EMPEREUR DE L’OUEST SERA RÉUNI A JÉRUSALEM
AVEC L’EMPEREUR DE L’EST ET L’ARBRE SEC VERDIRA A
NOUVEAU, AUSSITÔT QUE L’EMPEREUR OCCIDENTAL
SUSPENDRA SON BOUCLIER EN SIGNE DE SON DROIT.
Julius Evola, occultiste contemporain de talent et ardent défenseur de la
romanité, place en exergue cet essai de retour à l’origine solaire de l’Empire
romain :
- A l’âge d’or, succède l’âge d’argent, qui correspond à un type de
spiritualité sacerdotale, plus féminin que viril : nous qualifions cette
spiritualité de lunaire parce que, traditionnellement, le symbole de l’argent
est toujours dans le même rapport, vis-à-vis de celui de l’or, que la Lune
vis-à-vis du Soleil, et cette correspondance est particulièrement évidente
ici : la Lune est l’astre féminin qui ne porte plus en soi, comme le Soleil, le
principe de sa propre lumière…
La recherche de l’or philosophal et de la pierre de sagesse, dans le cas
bien précis de Frédéric II, est à replacer (toujours selon Evola) dans ce
contre-courant ésotérique qui vise à renouer avec l’initiation solaire
d’origine hyperboréenne ou atlante… Mais laissons la parole à notre
auteur :
- Déjà, sous Julien l’Apostat, le retour au culte païen d’essence solaire
parut signifier pour beaucoup un réveil de l’âge d’Or dont le roi Chronos fut
conçu comme vivant toujours, assoupi dans la région hyperboréenne. C’est
ainsi que César Auguste conçut une filiation solaire remontant à l’Apollon
hyperboréen et que les empereurs Hadrien et Antonin choisirent pour
symbole le phénix solaire renaissant de ses cendres…
Pendant la période byzantine, le mythe impérial reçoit de Méthode une
formation qui, plus ou moins liée à la légende d’Alexandre le Grand,
reprend quelques-uns des thèmes déjà mentionnés. Nous y trouvons, entre
autres, celui d’un roi tenu pour mort, qui s’éveille de son sommeil et crée
une Rome nouvelle ; mais, après un règne de courte durée, les gens de Gog
et Magog, auxquels Alexandre avait barré la route, font irruption, et la
dernière bataille s’engage. C’est le même thème qui, au moyen âge gibelin,
sera repris et amplement développé. L’empereur attendu, caché, jamais
mort, l’empereur qui s’était retiré dans un centre invisible ou inaccessible,
se transforme ici en l’un des plus grands représentants du Saint Empire
romain : Charlemagne, Frédéric Ier, Frédéric II. Et le thème
complémentaire d’un royaume dévasté ou devenu stérile, qui attend la
restauration, trouve son équivalent dans le thème de l’arbre sec. L’arbre sec,
associé à une figuration de la résidence du « roi du monde », reverdira lors
de la nouvelle manifestation impériale et de la victoire contre les forces de
l’âge sombre, présentées, d’une façon conforme à la nouvelle religion, sous
une forme biblique et chrétienne, comme les gens de Gog et Magog faisant
irruption à l’époque de l’antéchrist. Cela n’empêche pas que l’image de
Frédéric II ou du roi Arthur sur la montagne, de même que celle des
chevaliers d’Arthur qui s’élancent de la montagne pour chasser, nous
ramènent aux anciennes conceptions nordico-paiennes, au Walhalla en tant
que résidence montagneuse d’Odin, chef des « héros divins » et à la
phalange des âmes des héros choisis par les femmes — les Walkyries —
qui, de bande sauvage, de chasseurs, se transforment en armée mystique
pour livrer sous la conduite d’Odin, la dernière bataille contre les êtres
élémentaires.
A travers d’innombrables variantes, cette légende réapparaît durant la
période d’OR de la chevalerie occidentale et du gibelinisme. Au sein de la
fermentation prophétique, éveillée par l’idée de la venue du « IIIe
Frédéric », elle trouve sa conclusion dans la formule énigmatique de
l’empereur vivant et non vivant : « Il vit, il ne vit pas » : cette formule
sibylline contient le mystère de la civilisation médiévale au moment de son
déclin. Le roi blessé, le roi en léthargie, le roi qui est mort bien qu’il
paraisse vivant, et qui est vivant bien qu’il paraisse mort, etc., sont des
thèmes équivalents ou concordants, des thèmes exactement semblables à
ceux que nous retrouverons dans le cycle du Graal, animés d’une vie
particulière et d’une force suggestive à l’instant final du suprême effort de
l’Occident pour se reconstruire en tant que grande civilisation
spirituellement et TRADITIONNELLEMENT IMPÉRIALE11.
A la lecture de ces lignes, nous ne nous étonnerons pas, dès lors, si les
chroniques de l’époque médiévale font état d’un pacte secret, encore appelé
Pactio secreta, visant à faire de Frédéric II l’imperator mundi, l’empereur
du monde. Rien d’étonnant, non plus, de voir au premier rang des
signataires de ce Pacte les chevaliers Teutoniques et les Templiers… Les
Teutoniques, surtout, qui ont eu un rôle de premier plan dans l’accession de
Frédéric II à ce rôle de « messie impérial » promis à la chrétienté. Leur
grand maître se rendait souvent auprès de l’empereur et était volontaire
pour toutes les « missions spéciales » dont celui-ci voulait bien le charger.
C’est lui, Hermann de Salza, grand maître des Teutoniques, qui fut chargé
en particulier de la redoutable mission de frayer la route à la reconquête
pacifique de la Terre sainte, en traitant avec les chefs musulmans… C’est
pour le remercier de ce succès diplomatique que Frédéric obtint du pape le
droit de porter, pour les chevaliers Teutoniques, le même manteau blanc que
les Templiers12 : désormais, ces derniers ne jouiraient plus de ce monopole
vestimentaire et la position sociale des Teutoniques se verrait renforcée
d’autant.
C’est vers cette Pactio secreta que nous voulons entraîner le lecteur, il
comprendra mieux pourquoi la seule porte d’entrée de Castel del Monte,
qui mène à la cour octogonale centrale, dite « chambre du maître », est
orientée selon l’axe Andria-Jérusalem.
La « Pactio secreta »
A l’époque de Frédéric, les ordres de chevalerie, bien que la Terre sainte
ait été en partie perdue, ont pris une importance considérable.
A côté des Templiers, pénétrés d’influences arabes et juives, et qui
rêvent d’ériger le temple rapprochant l’Orient de l’Occident, se tiennent les
Teutoniques issus de la fusion des chevaliers des Deux-Épées et de l’ordre
des Porte-Glaive.
Au XIIIe siècle, ce sont les teutoniques qui avaient envahi la Prusse et
entrepris d’y faire disparaître le paganisme barbare. Ce sont ces mêmes
chevaliers qui portaient sur leur grand manteau blanc la croix de sable
(noire) pattée et alésée, appelée aujourd’hui croix de Fer13.
L’alliance de ces deux ordres de chevalerie sous les auspices de Frédéric
promettait d’être une opération avantageuse pour les partenaires.
La symbolique de ces deux ordres militaires évoque d’ailleurs la double
notion temporo-spirituelle et on peut en trouver un exemple frappant dans le
fameux beauséant, ou étendard des Templiers, qui était mi-partie noir et mi-
partie, blanc : symbole de I’androgyne primordial ou de l’homme universel.
De la même façon, la croix à huit pointes dont le manteau était orné,
ajoutait le symbolisme médiateur du chiffre huit à la signification centrale
de la croix. N’oublions pas que les hauts gradés des chevaliers du Temple
étaient des initiés et des alchimistes pour lesquels la symbolique
traditionnelle n’avait pas de secret. Le fait que l’on retrouve sans cesse le
nombre huit à Castel del Monte, comme l’on trouve huit pointes à la croix
des Templiers, nous permet de faire état d’une conférence donnée en 1962,
sur ce sujet, par M. Berger :
- La bannière des templiers était tout simplement la représentation
symbolique du temple… Son champ était « échiqueté » de 81 pièces de
sable et d’argent… Ce champ était donc en réalité ce que l’Orient nomme
un mandala (dessin sacré d’essence magique). Les plus classiques des
mandalas sont ceux contenant de grands carrés divisés en carrés mineurs de
nombres déterminés… 64 ou 81. Le carré de 81 se compose de 9 x 9 et
comporte une case centrale, c’est un carré céleste ; celui de 64 se forme de
8 x 8… Il est dédié à l’Éternelle Vierge mère de toutes les traditions. C’est
un carré terrestre.

Nous nous trouvons ici au contact d’initiés alchimistes14 maniant


parfaitement la symbolique des chiffres pour brouiller les pistes : la
multiplication du nombre 8 par lui-même correspondant à la transformation,
à la mutation, en langage alchimique : l’obtention du « grand œuvre ».
L’alliance de ces chevaliers, aussi bien templiers que teutoniques, au côté de
Frédéric recouvrait quelque chose de plus important, s’il est vrai, comme l’a
souligné l’écrivain René Briat, que « les templiers passaient pour être les
gardiens et les continuateurs d’un mystère d’une importance capitale et dont
tout profane, fut-il roi de France, ne devait être informé ».
Était-ce le Graal, symbole de la connaissance, première étape vers la
domination du monde ?
Il semble bien, en effet, que le rêve majeur de l’ordre, le but suprême de
ses activités ait été la résurgence du concept de l’Empire : sorte de
fédération d’États autonomes placés sous la direction de deux chefs, l’un
spirituel, le pape, l’autre politique, l’imperator, tous deux élus et
indépendants l’un de l’autre15.
Au-dessus de l’empereur et du pontife, une autorité suprême
mystérieuse16.
C’est à cette autorité suprême, mystérieuse, que Frédéric et ses alliés
s’étaient liés par un pacte secret, en 1228, à Saint-Jean d’Acre. Lors d’une
véritable conférence à laquelle assistaient les chefs de la chevalerie d’alors,
Frédéric II fut élu grand maître et représentant de ce mystérieux prêtre Jean
que d’aucuns qualifient de « Roi du Monde ».
S’étaient fait représenter à Saint-Jean-d’Acre les fameux « assassins »
musulmans17, les « rabites » d’Espagne, les « fâtas » turcs, les templiers,
les hospitaliers et les teutoniques.
A moins de supposer que tous ces gens rêvaient, on se trouve tout
naturellement amené à se poser la question de savoir qui était donc ce
fameux prêtre Jean dont l’existence déplaçait la fine fleur de la chevalerie…
Le prêtre Jean et le « roi du monde »
Une vieille chronique italienne rapporte que le prêtre Jean, très noble
seigneur de l’Inde, envoya une ambassade à Frédéric pour lui remettre des
présents et, en particulier, trois pierres aux propriétés merveilleuses.
L’une d’entre elles avait, paraît-il, le pouvoir de rendre invisible, et il
était dit « qu’elle valait plus que tout l’Empire de Frédéric »…
Remarquons, pour les deux autres pierres, que l’une avait la vertu de « faire
vivre sous l’eau », et l’autre, « de rendre invulnérable » ; ces trois pierres
étaient montées sur un anneau, ce qui n’est pas pour nous surprendre (voir
l’anneau des Niebelungen).
Selon une autre chronique, conservée par Oswald der Schreiber,
l’empereur devait également se voir offrir un vêtement en peau de
salamandre dont la propriété principale aurait été de lui permettre de
traverser le feu sans se brûler…
Les historiens de l’époque situaient le royaume du prêtre Jean dans une
des régions montagneuses de l’Asie centrale : Mongolie, Inde ou Tibet. Ce
ne fut qu’au xve siècle que l’on commença à confondre ce royaume avec
celui d’Éthiopie.
Aux lecteurs qui pourraient s’étonner des facilités de communication à
cette époque de l’histoire du monde, nous rappellerons qu’en 1245 plusieurs
ambassades du pape quittèrent l’Europe pour se rendre chez les Tartares, en
mission de représentation diplomatique auprès de la Horde d’or18.
II n’y a donc là rien de surprenant, et l’on peut envisager un voyage « en
sens inverse » du prêtre Jean à la même époque, surtout si nous voulons
bien admettre que son existence se doublait d’un mythe universellement
reconnu : celui de centre suprême ou « résidence du prêtre Jean »19.
Ce mythe se rattache, dans toutes les traditions, à quelque chose qui est
perdu ou caché. Les légendes relatives aux mondes souterrains sont
communes à un grand nombre de peuples et on peut y rattacher le culte des
cavernes. Ce culte est lié à celui de centre suprême, ou lieu central, dont
l’exemple le plus célèbre est la fameuse Agartha tibétaine ou « séjour de la
paix » dont la signification est l’inaccessibilité… Depuis des temps
immémoriaux, il est fait allusion à cette « centrale du secret » d’où
partiraient consignes et mots d’ordre pour les initiés.
Pour nombre d’occultistes, c’est pour se tenir en relation avec le « maître
du monde », résidant dans ce « centre suprême » que Frédéric II de
Hohenstaufen fit construire le Castel del Monte à mi-chemin entre
Jérusalem et l’île d’Avalon (berceau de la tradition celte), dont certains
n’ont pas tardé à situer le lieu : Glastonbury, dans le Somersetshire 20.
C’est à cet endroit, en effet, qu’à été découvert le plus grand zodiaque
Solaire de l’humanité et où, curieusement, devait s’établir Joseph
d’Arimathie après sa venue en Grande-Bretagne. Quand nous aurons
précisé que la tradition chrétienne et occidentale fait de Joseph d’Arimathie
le dépositaire du saint-Graal (dans lequel il aurait recueilli le sang du
Crucifié), nous verrons quelle importance représentait Castel del Monte,
placé entre les deux pôles de la tradition occidentale : Jérusalem et
Glastonbury.
René Guénon, s’appuyant sur les travaux de K. E. Matwood, nous a
décrit cette terre du Soleil dont l’importance ésotérique et religieuse
dépasse de beaucoup le cadre britannique :
Glastonbury et la région avoisinante du Somerset auraient constitué, à
une époque fort reculée et qui peut être dite préhistorique, un immense
temple stellaire, déterminé par le tracé sur le sol d’effigies gigantesques
représentant les constellations et disposées en une figure circulaire qui est
comme une image de la voûte céleste projetée sur la surface de la Terre. Si
ces figures ont pu se conserver de façon à être encore reconnaissables de
nos jours, c’est, suppose-t-on, que les moines de Glastonbury, jusqu’à
l’époque de la Réforme, les entretinrent soigneusement, ce qui implique
qu’ils devaient avoir gardé la connaissance de la tradition héritée de leurs
lointains prédécesseurs, les Druides et sans doute d’autres encore avant
ceux-ci car, si les déductions tirées de la position des constellations
représentées sont exactes, l’origine de ces figures remonterait à près de trois
mille ans avant l’ère chrétienne.
Dans son ensemble, la figure circulaire dont il s’agit est un immense
zodiaque dans lequel l’auteur veut voir le prototype de la Table ronde et, en
fait, celle-ci, autour de laquelle siègent 12 personnages principaux, est bien
réellement liée à une représentation du cycle zodiacal ; mais cela ne veut
point dire que ces personnages ne soient pas autre chose que les
constellations, interprétation trop « naturaliste », car la vérité est que les
constellations elles-mêmes ne sont que des symboles ; et il convient aussi
de rappeler que cette constitution zodiacale se retrouve très généralement
dans les centres spirituels correspondant à des formes traditionnelles
diverses.
Et, René Guénon développant les recherches de K. E. Matwood sur
Glastonbury21, se lance dans l’explication hyperboréenne et polaire du site
dont il s’agit :
- Il importe de remarquer que le zodiaque de Glastonbury présente
quelques particularités qui, à notre point de vue, pourraient être regardées
comme des marques de son « authenticité » ; et, tout d’abord, il semble bien
que le signe de la balance en soit absent. Or, comme nous l’avons expliqué
ailleurs, la balance céleste ne fut pas toujours zodiacale, mais elle fut
d’abord polaire, ce nom ayant été appliqué primitivement soit à la Grande
Ourse, soit à l’ensemble de la Grande Ourse et de la Petite Ourse,
constellation au symbolisme desquelles, par une remarquable coïncidence,
le nom d’Arthur se rattache directement… et, d’autre part, ce qui est
particulièrement important à considérer, le symbole de la balance polaire est
en rapport avec le nom de Tula (Thulé) donné originairement au centre
hyperboréen de la tradition primordiale, centre dont le temple stellaire dont
il s’agit (celui de Glastonbury) fut sans doute une des images constituées,
dans la suite des temps, comme siège de pouvoirs spirituels émanés ou
dérivés plus ou moins directement de cette même tradition…
Développant sa thèse hyperboréenne, Guénon règle son compte à
l’hypothèse rivale — et ô combien à la mode — des « Phéniciens », ces
hardis navigateurs :
- Ces considérations nous amènent à d’autres constatations peut-être plus
étranges encore : une idée apparemment inexplicable à première vue est
celle de rapporter aux Phéniciens l’origine du zodiaque de Glastonbury ; il
est vrai qu’on a coutume d’attribuer à ce peuple beaucoup de choses plus
ou moins hypothétiques, mais l’affirmation même de son existence à une
époque aussi reculée nous paraît encore plus contestable. Seulement, ce qui
est à remarquer, c’est que les Phéniciens habitaient la Syrie « historique » ;
le nom du peuple aurait-il été l’objet du même transfert que celui du pays
lui-même ? Ce qui donnerait tout au moins à le supposer, c’est sa connexion
avec le symbolisme du phénix ; en effet, d’après Josèphe, la capitale de la
Syrie primitive était Héliopolis et non pas celle d’Égypte à laquelle ce
symbolisme cyclique du phénix et de ses renaissances devrait être rapporté
en réalité. Or, suivant Diodore de Sicile, un des fils d’Hélios ou du Soleil,
nommé Actis, fonda la ville d’Héliopolis ; et il se trouve que ce nom d’Actis
existe comme nom de lieu au voisinage de Glastonbury, et dans des
conditions qui le mettent précisément en rapport avec le phénix, en lequel,
selon d’autres rapprochements, ce prince d’Héliopolis, lui-même, aurait été
transformé. Naturellement, l’auteur, trompé par les applications multiples et
successives des mêmes noms, croit qu’il s’agit ici de l’Héliopolis d’Égypte,
comme il croit pouvoir parler littéralement des Phéniciens « historiques »,
ce qui est en somme d’autant plus excusable que les Anciens, à l’époque
classique, faisaient déjà assez souvent de pareilles confusions ; la
CONNAISSANCE DE LA VÉRITABLE ORIGINE HYPERBORÉENNE
des traditions, qu’il ne paraît pas soupçonner, peut seule permettre de
rétablir le sens réel de toutes ces désignations.
Nous verrons, dans notre chapitre sur « Les Polaires », à quel courant il
convient de rattacher ces dernières lignes… Qu’il nous soit permis,
cependant, de souligner un fait qui a son importance : en effet, il semble que
les Templiers aient eu une certaine part dans la conservation du site de
Glastonbury : ce qui nous ramène tout naturellement à notre hypothèse de
départ selon laquelle les templiers et les chevaliers de la Table ronde
(dépositaires d’un antique secret sur nos origines) ne feraient qu’UN SEUL
ORDRE.
Partant de là, on constate avec surprise que les commanderies templières
sont fréquemment situées au voisinage de sites mégalithiques, dits
« préhistoriques », et c’est là plus qu’une banale coïncidence ! Ainsi en est-
il pour le haut lieu du culte solaire européen, situé lui aussi en Grande-
Bretagne, dans le Wiltshire : nous voulons parler de Stonehenge22.
Rien d’étonnant, dès lors, si, il y a quelques années à peine, un chercheur
de l’université d’État de New York, L. B. Borst, amené à faire de curieux
rapprochements entre les édifices mégalithiques et certaines cathédrales
anglaises, a trouvé une exacte reproduction, dans la crypte de Canterbury,
des monuments mégalithiques de Stonehenge.
Une telle « coïncidence », outre qu’elle suppose un dépôt de la « science
éternelle », prouve (s’il en était encore besoin) l’existence de civilisations
antérieures à la nôtre. Civilisations dont les bases religieuses devaient être à
caractéristiques SOLAIRES.
Julius Evola replace Frédéric II de Hohenstaufen dans cet essai de retour
au culte solaire, symbolisé par la queste du Graal :
Le Moyen Age attendait le héros du Graal, afin que le chef du Saint
Empire romain devînt une image ou une manifestation du « roi du monde »
lui-même, en sorte que toutes les forces reçussent une nouvelle impulsion,
que l’arbre sec refleurît, qu’une action absolue triomphât de toutes les
usurpations, de tous les antagonismes, de toutes les discordes, qu’il existât
vraiment un ordre solaire, que l’empereur invisible fut aussi l’empereur
visible et que l’ « âge du milieu » — le Moyen Age — eût aussi le sens
d’un AGE DU CENTRE23.
Cette période de décadence qu’il faut dépasser, cet essai de restauration
de l’aigle impérial, prend un sens nettement apocalyptique. Dans Hitler et
la tradition cathare, nous avons évoqué ce mythe de l’éternité du « Reich
de mille ans » qui est le pendant de l’immortalité dans le mythe du laurier
qui reverdit, après la chute de Montségur.
Or, cette sublimation de l’Empire dans le Reich éternel est attendue a la
fin des temps, car il est appuyé sur ce fameux mythe du renouveau ou de
I’éternel retour vers le point de départ de la tradition : c’est l’image bien
connue maintenant du « serpent se mordant la queue ». A l’âge sombre, ou
âge de fer, que nous traversons dans notre époque de matérialisme forcené,
est appelé à succéder un nouvel âge d’or, âge au cours duquel la spiritualité
servira à nouveau de moteur à la civilisation ; pour remonter à la surface, il
nous faut malheureusement toucher le fond : c’est le sens des
bouleversements de tous ordres que nous commençons à traverser…
Cette mythologie est commune à la France également : nous la
retrouvons, proprement nationale, dans la prophétie du grand monarque
dont les traditionalistes français ont fait le rassembleur de notre civilisation
occidentale, pendant l’âge sombre que nous sommes appelés à traverser et
que les hindous, dans leur sagesse millénaire, nomment Kali- Yuga24
Ce retour à l’ordre solaire, au véritable sens de l’éternité, c’est-à-dire à la
connaissance de la destinée humaine, n’est pas nouveau, on le sait. La
question de notre origine et de notre finalité sont deux maîtres mots sur
lesquels ont buté et buteront encore les civilisations terrestres. Que
pouvons-nous répondre à l’angoissante interrogation posée sous forme de
triade : « Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? » … Rien,
assurément. Comment, dès lors, concevoir un possible retour de cette
tradition, si l’on veut bien admettre (comme tous les traditionalistes de
bonne foi), le départ d’Europe des « organisations régulières » d’essence
solaire, au XVIIIe siècle ?
Comment, dès lors, concevoir un possible retour de cette tradition, si
l’on veut bien admettre que le filon secret de l’initiation à caractère solaire
est à jamais épuisé ? Ce « filon » solaire initiatique, qui, nous l’avons vu,
puise sa source dans les civilisations égyptienne et iranienne, a, par la suite,
revêtu la forme des mystères mithraïques puis hermético-alchimiques sous
Frédéric II.
Le but de cette initiation solaire étant toujours identique : à l’époque de
Frédéric, nous lisons que les rose+croix d’alors visaient « à réduire en
poussière le triple diadème du pape ». Ces R+C, qui revendiquaient pour
eux-mêmes et pour leurs représentants la véritable orthodoxie spirituelle,
considéraient Frédéric comme leur imperator, ou représentant du « roi du
monde », et ne lui ménagèrent pas leur appui.
C’est ce qui explique l’immortalité du culte qui s’attacha à Frédéric II et
dont nous reparlerons plus avant dans le corps de ce chapitre. Bornons-nous
à constater que cet essai de retour à la tradition d’origine solaire ne put être
réalisé sous cet empereur de la maison des Hohenstaufen. A ce stade, nous
pouvons considérer que son échec final n’est pas à imputer à ses alliés, mais
à l’idéal qu’il poursuivait et qui dépassait les forces humaines.
Pourtant, les succès initiaux de Frédéric II auraient pu lui faire espérer
l’immortalité historique et non pas mythique : sa croisade impossible nous
le rappelle.
La croisade impossible de l’empereur Frédéric II
L’Église pressentait le format de son adversaire : il est juste de lui rendre
cet hommage. Instinctivement, elle avait reconnu le danger de cette force
qui gagnait du terrain sur ses arrières en s’appuyant sur l’esprit
chevaleresque et l’idéal impérial du Graal. C’est cet instinct sûr qui permit à
la papauté, de la même façon, d’anéantir les chevaliers du Temple dont la
puissance et l’organisation militaire l’effrayaient. Tout le drame des
templiers provient de cette incertitude quant aux buts qu’ils poursuivaient
réellement.
Dans le même esprit, les relations de Frédéric II avec la papauté sont
révélateurs de cet esprit de concurrence pour la domination du monde.
En effet, bien qu’excommunié par l’Église, Frédéric devait mener à bien
la seule croisade réussie et accomplir l’exploit, unique dans les annales, de
reconquérir le royaume de Jérusalem sans verser une goutte de sang !
Pour recevoir le diadème impérial, il avait promis, en juillet 1215, de
« prendre la croix » et d’aller combattre les infidèles mahométans en Terre
sainte. Mais d’abord, il fit reconnaître son jeune fils Henri comme duc de
Souabe, puis vice-roi de Bourgogne, avant de le faire élire « roi des
Romains » le 26 avril 1220 : tout cela lui aurait été impossible sans les
promesses réitérées et sans cesse reportées de partir aussitôt après pour la
croisade.
D’ailleurs, quelques avant-gardes de celle-ci étaient déjà parties sous le
commandement du roi de Hongrie : ce qui devait se produire se produisit.
Insuffisamment nombreux et mal soutenus, les croisés furent écrasés à
Mansourah et durent rembarquer en juillet 1221. Pendant ce temps, que
faisait donc Frédéric25 ?
Il renvoyait sans cesse la date de départ de son expédition : du 24 juin
1219, il l’avait d’abord reportée au 29 septembre, puis au 21 mars de
l’année suivante. Mais ce n’était pas suffisant, puisqu’il la recula à
l’automne 1220 puis au printemps 1221.
Le pape, qui s’était laissé manœuvrer, ne savait plus à quel saint se
vouer, face à l’évidente mauvaise volonté de l’empereur. Sur ces entrefaites,
l’Apostole apprit l’incroyable nouvelle : le parjure descendait en Italie pour
le sacre impérial… Le pape l’attendait de pied ferme, bien décidé à le faire
plier et à lui arracher une date à laquelle il se tiendrait.
Le parjure arriva, comme si de rien n’était, en vue de la Ville éternelle :
mais, que faire en face d’un souverain qui proteste de sa bonne foi et parle
sans cesse de sa future croisade ? Rien, assurément, si ce n’est lui remettre
la couronne qu’il est venu chercher. La cérémonie accomplie, Frédéric
partit immédiatement pour la Sicile afin de poursuivre l’assimilation de son
immense royaume.
Pour remercier l’Église de ses bontés et de son appui pour l’obtention de
la pourpre impériale, il passa à l’action de façon inattendue : pour
commencer, il remplaça l’autorité pontificale à Città di Castello par la
sienne propre ! Après quoi, il déclencha tranquillement, en 1222, une
révolte à Viterbe, ville qui se trouvait sous la mouvance du pape, comme
l’on disait alors… Et ainsi, par le biais d’usurpations successives et
d’empiétements progressifs, il fit disparaître du duché de Spolète et de la
marche d’Ancône toute trace de l’administration pontificale. La méthode
manque d’élégance, mais elle est efficace : c’est celle du pompier
incendiaire :
« Désormais, dans ses rapports avec le Saint-Siège, sa tactique est
simple : si le pape Honorius III s’étonne et proteste, il cède, donne des
ordres dont le pape se déclare satisfait ; puis il revient aussitôt à la charge,
en y apportant de moins en moins de discrétion. Au début de 1226, à la
veille de partir pour la Lombardie, il notifie aux gens de Viterbe, « au nom
de la fidélité qu’ils lui doivent », de tenir prêt pour le lui envoyer au
premier appel un détachement de cavalerie ; puis il se met en route, traverse
le duché de Spolète et, sans autre forme de procès, exige des troupes pour
son escorte. Comme certains habitants résistent, rappelant qu’ils sont sujets
du pape et qu’ils ont reçu du souverain pontife des ordres contraires, il
répond avec une feinte indignation qu’il ne laissera pas ainsi fouler aux
pieds les droits dont il dispose sur tout le territoire pontifical en sa qualité d’
« avoué de l’Église »26.
Nous nous trouvons en 1226 et voilà bientôt neuf années que les
premiers membres de la croisade « impériale » sont revenus d’Égypte,
battus à plate couture… Mais que fait donc Frédéric ? Va-t-il se décider à
partir enfin pour la Terre sainte ?
Pas encore : il s’occupe de la Ligue lombarde, qui fait preuve à son
endroit de trop d’indépendance et menace de couper ses communications
avec les possessions germaniques de son immense empire.
Sur ces entrefaites, le pape Honorius III expire le 18 mars 1227 et son
successeur, Grégoire IX, semble vouloir lui faire tenir sa promesse de partir
pour les Lieux saints. Alors, le miracle tant attendu paraît enfin se dessiner.
Par son mariage avec Isabelle de Brienne, Frédéric II, se parant du titre
de « roi de Jérusalem », annonce tout à coup à grand fracas qu’il va partir
pour la Terre sainte reprendre possession de son bien. Et, de fait, le 8
septembre 1227, la flotte impériale lève l’ancre de la rade de Brindisi et
cingle vers la Méditerranée orientale, qu’elle n’atteindra pas…
Deux jours plus tard, en effet, cette même flotte relâche à Otrante où
l’empereur déclare que la croisade est suspendue « pour cause de maladie et
de chaleur ».
La réaction du nouveau pape à cette « fausse sortie » fut brutale : la
comédie avait assez duré et, le 29 septembre, Grégoire IX excommunia
l’empereur et renforça cette mesure en mars 1228 en jetant l’interdit sur
tous les lieux où résiderait l’excommunié.
Frédéric se voyait promu au rang d’ANTÉCHRIST, mais cela n’était pas
pour l’effrayer et il se retourna vers les musulmans.
En effet, à son arrivée en Sicile Frédéric s’était heurté aux Sarrasins qui
occupaient en masse son royaume. Leur réputation de guerriers redoutables
n’était plus à faire : ils tenaient en échec un capitaine aussi célèbre qu’Henri
de Malte et, pour en venir à bout, Frédéric n’eut d’autre ressource que de
les déporter dans la plaine des Pouilles. Cette politique avisée de transfert
de population devait porter ses fruits puisqu’elle permit la création d’une
colonie musulmane importante qui se livrait à l’artisanat des métaux autour
de la ville de Lucera. Mais Frédéric II alla plus loin : pour jouer son rôle de
« protecteur des Arabes », il enrôla dans son armée une légion musulmane,
inaugurant en cela la technique des futures « troupes coloniales ». On
imagine sans peine la stupéfaction de l’Occident chrétien à l’annonce de
telles réalisations27.
Cette politique habile eut un résultat inattendu : à la fin de l’année 1226,
une importante ambassade musulmane, conduite par l’émir Fachr ed-Dine
et représentant les intérêts du sultan Al-Camil (sultan d’Ëgypte contre
lequel Frédéric II avait fait vœu de « se croiser » !), se présenta au palais
impérial de Foggia. Mais laissons la parole à Pierre Boulle :
C’était une belle figure de seigneur arabe qui traversait la mer pour venir
saluer l’empereur d’Occident en cette fin d’année 1226, à la fois un guerrier
[« Le chef le plus prisé de toute la païennerie », nous dira de lui Joinville,
quelques années plus tard] et, lui aussi, un diplomate avisé. Un homme de
grande culture également : comme son souverain Al-Camil, et comme
Frédéric lui-même, il aimait s’entourer de savants et de philosophes et se
délectait à discuter avec eux pendant de longues heures. En plus de cela, un
magnifique cavalier, passionné de chevaux, et un expert de chasse au
faucon et de fauconnerie. Le sultan avait eu le choix heureux pour son
ambassade. Personne mieux que l’émir ne pouvait s’attirer les bonnes
grâces de l’empereur28…
On s’aperçoit que les craintes du Saint-Siège en une possible
« trahison » de l’empereur pouvaient se justifier. Bien plus, l’appréhension
d’une quelconque alliance avec les infidèles, de la part de Frédéric, parut
recevoir confirmation quand l’émir Fachr ed-Dine revint à Foggia en 1228
et se vit armer « chevalier chrétien » par l’empereur lui-même qui
l’autorisa, de surcroît, à porter les armes des Hohenstaufen en guise de
blason.
Pour le Saint-Siège, la coupe était pleine, et Grégoire IX fulminait contre
l’empereur excommunié qui allait, dans son outrecuidance, jusqu’à armer
chevalier un infidèle musulman !
Dans la situation délicate où il se trouvait placé par l’excommunication
papale, menacé d’une possible révolte de ses sujets, Frédéric, avec l’audace
qui le caractérisait, décida derechef de s’embarquer pour Jérusalem.
Le 28 juin 1228, les navires quittèrent la rade de Brindisi et arrivèrent,
sans encombre cette fois, à Saint-Jean-d’Acre, le 7 septembre de la même
année. Aux yeux de la chrétienté et du monde musulman commençait
l’aventure que l’histoire a retenu sous l’appellation curieuse mais évocatrice
de Stupor mundi.
Stupor mundi
L’empereur a donné dans son palais, à Acre, un repas à des Sarrasins et a
fait venir des courtisanes chrétiennes pour danser et jouer devant eux. On
assure même qu’il y a eu à cette occasion de nombreuses et honteuses
débauches. Il a dépouillé les chanoines du Saint-Sépulcre de toutes les
offrandes faites au dit Sépulcre, le patriarche, des offrandes au Calvaire et
au Golgotha, les chanoines du Saint Temple, des offrandes faites en ce
lieu29…
A la lecture de ces quelques lignes, nous nous apercevons que Frédéric
n’était nullement gêné par l’interdit qui pesait sur lui. Pourtant, quoique
reconnu à Saint-Jean-d’Acre, la nouvelle capitale de son royaume, Frédéric
avait pu se rendre compte des effets de l’excommunication lancée contre
lui : les autorités religieuses, patriarche de Jérusalem en tête, se
détournaient de lui, conformément aux instructions qu’ils avaient reçu de
Rome.
Du côté musulman, enfin, l’avenir ne paraissait guère plus brillant : la
mort du frère rival du sultan Al-Camil venait fort mal à propos. Il est juste
de souligner que Frédéric II n’avait appris cette fâcheuse nouvelle (le
privant d’un moyen de pression) qu’à son arrivée à Saint-Jean-d’Acre… De
plus, la mort de sa femme, Isabelle de Brienne, compliquait les rapports,
déjà tendus, avec son beau-père ; mais, là encore, Frédéric devait apporter
la preuve de sa diplomatie avisée, puisqu’une trêve de dix années fut
conclue le 18 février 1229.
Par cette trêve, l’empereur remportait un succès politique de première
grandeur ; profitant de la rivalité de l’émir de Damas et du sultan du Caire,
il arriva à ses fins, sans effusion de sang. Le sultan, alors maître de la
Palestine, restituait au royaume de Jérusalem (dont Frédéric était le nouveau
souverain) la Ville sainte elle-même. On imagine sans peine la surprise et
l’enthousiasme de la chrétienté à l’annonce de cette nouvelle inattendue ;
mais ce n’était pas tout. Par ce traité, le sultan restituait également au roi de
Jérusalem la ville de Bethléem et la route stratégique et historique de
Jérusalem à Acre, avec les villages la bordant, dont Nazareth. Par surcroît,
étaient remises aussi les villes de Jaffa, Césarée, Sidon, ainsi que sa région
avoisinante.
Et, en échange, que demandaient les musulmans ? Fort peu de choses, en
vérité : le droit de réserver deux mosquées de la Ville sainte à l’exercice de
leur culte : celle d’Omar et celle d’El-Aksa, cette dernière bâtie sur
l’emplacement de l’ancien temple de Salomon30.
Le royaume de Terre sainte avait, désormais, une vaste base territoriale,
et cela sans qu’un seul combat ait été livré ; bien plus, la possession de
Jérusalem, ville pour laquelle les armées chrétiennes avaient bataillé en vain
pendant près d’un demi-siècle, était un succès moral considérable.
Ces cessions territoriales étaient renforcées par la Pactio Secreta que
nous avons déjà évoquée, pacte secret qui liait les ennemis irréductibles
d’hier, réunis depuis sous les auspices de l’empereur. Ce dernier n’avait
plus qu’à quitter Saint-Jean-d’Acre pour faire une entrée triomphale dans sa
nouvelle capitale de Jérusalem.
Frédéric y entra le 17 mars 1229 et se rendit immédiatement à l’église du
Saint-Sépulcre qu’il avait fait rendre au culte chrétien. Là, il accomplit le
geste que Napoléon accomplira à son tour quelques siècles après lui, en
prenant la couronne royale et en s’en coiffant lui-même, sans l’aide de
personne. Puis il prononça un discours mesuré où il se lava des accusations
qui pesaient sur lui. Mais, déjà, les effets de l’excommunication se faisaient
plus désagréables : il était déplorable, en effet, de voir tout un cortège
d’ecclésiastiques suivre l’empereur à la trace en aspergeant d’eau bénite son
passage et en psalmodiant des litanies… Et, surtout, l’accès aux messes lui
était interdit et c’était un spectacle navrant que celui de l’empereur qui,
ayant rendu les églises au culte, s’en voyait interdire l’entrée au moment de
la célébration du sacrifice divin.
Les accrochages se multiplièrent par voie de conséquence : il est
d’ailleurs fort probable que Frédéric perdit son sang-froid. On en voit une
preuve dans l’incident rapporté par le Collier de perles31.
Un jour où l’empereur se promenait aux alentours de la célèbre mosquée
du Rocher, il aperçut (spectacle indigne !) un moine chrétien posté à
l’entrée de l’édifice32 qui se faisait remettre de l’argent par les visiteurs :
saisi de rage à cette vision, Frédéric le roua de coups en hurlant : « Porc !
Le sultan nous accorde gratuitement le droit de pèlerinage et toi, misérable
prêtre, tu oses agir ainsi ? Si je prends encore l’un de vous au même endroit,
je le ferai mettre à mort. » Et, au gardien du Rocher qui le remerciait, et par
qui nous connaissons les détails de cet événement, Frédéric demanda à quoi
pouvaient donc servir les grillages des nombreuses ouvertures de la
mosquée et, sur la réponse : « C’est pour empêcher les oiseaux d’y
pénétrer », le roi de Jérusalem aurait répondu : « Le Seigneur Dieu y fait
entrer, désormais, des porcs ! »
Pendant ce temps, le pape ne restait pas inactif et, déjà, se forgeait la
légende de Frédéric II, incarnation vivante de l’antéchrist, contre lequel la
chrétienté tout entière devait s’unir. Dans l’encyclique De mari, Grégoire
IX ne déclarait-il pas :
VOYEZ LA BÊTE QUI MONTE DU FOND DE LA MER ?
LA BOUCHE PLEINE DE BLASPHÈMES ? AVEC LES GRIFFES DE
l’OURS ET LA RAGE DU LION, LE CORPS PAREIL A CELUI DU
LÉOPARD. ELLE OUVRE SA GUEULE POUR VOMIR L’OUTRAGE
CONTRE DlEU.
Le départ de Frédéric pour la Palestine n’avait pas, tant s’en faut, calmé
le ressentiment du pape Grégoire IX dont la fureur s’était accrue à la suite
de la découverte des lettres-missives de l’empereur.
Celui-ci, avant de quitter l’Occident, avait laissé derrière lui un
document explosif dans lequel il accusait le pape d’exciter ses sujets à la
désobéissance et au désordre. Frédéric, dans une seconde missive, révoquait
solennellement les « bénéfices » qu’il avait eu la bonté de concéder à
l’Église romaine. Dans sa dernière lettre, il nommait son « cher et fidèle »
Rainald, duc de Spolète, « légat d’Empire », avec pouvoir de « remettre de
l’ordre » dans ses provinces d’Italie : c’est-à-dire avec mission de
poursuivre le grignotage des États pontificaux.
Le pape contre-attaqua devant cette suprême insolence en relevant de
leur fidélité tous les habitants de l’Empire et du royaume de Sicile33 ; l’or
coulait à flots pour répandre le bruit selon lequel les troupes sarrasines de
l’antéchrist marchaient contre les États du pape.
Et ce suprême paradoxe contenait un éclair de vérité, car le légat
impérial Rainald commandait des troupes sarrasines levées en Sicile.
Suivant le vieil adage : la meilleure défense est toujours l’attaque, il avait
commencé sa marche militaire à travers l’Ombrie et remportait de
nombreux succès. Contre la personne de Frédéric, qui, d’une part, ramenait
Jérusalem dans le giron de la chrétienté, mais qui, d’autre part, poussait ses
troupes musulmanes contre cette même chrétienté, le pape avait fort à
faire…
Ce rôle d’imperator, de représentant du « roi du monde », que Frédéric
s’était assigné, était cependant un trop lourd fardeau face à la puissance
pontificale sans laquelle aucune œuvre durable ne pouvait être édifiée au
Moyen Age. De toutes parts, en effet, arrivaient des renforts à Rome : il
n’était pas jusqu’aux pays Scandinaves qui n’envoyèrent des volontaires au
Saint-Père. L’armée pontificale, commandée par Jean de Brienne (l’ancien
beau-père de Frédéric), marcha, en janvier 1229, contre le royaume de
Sicile et le dévasta partiellement.
Sur ces entrefaites, Frédéric, tenu au courant de la situation inquiétante
dans laquelle se débattait son lieutenant, s’embarqua d’Acre sous les huées
d’une populace dressée contre lui et débarqua brusquement à Brindisi, le 10
juin 1229. Il trouvait une situation encore plus catastrophique qu’il ne
pouvait l’avoir imaginée34. Pourtant avec son courage et son originalité
coutumière, il prit la tête de ses troupes pour délivrer son royaume de
Sicile : il y parvint après de longs mois de combats ininterrompus. Les
préliminaires de paix qui s’ensuivirent comportaient de lourdes obligations
pour l’empereur, qui devait renoncer à poursuivre ses visées sur les États du
pape. Les historiens modernes trouvent cette interdiction tout à fait
naturelle, à ceci près que le Saint Empire romain germanique, s’il doit être
considéré comme le successeur de l’Empire romain d’Occident, ne pouvait
avoir qu’une seule capitale : la Ville éternelle. La frénésie avec laquelle les
empereurs (dont Frédéric II) essayèrent de reprendre « leur » ville se
heurtait à l’intransigeance des papes qui — depuis Innocent III — avaient
découvert les délices du pouvoir temporel.
Le cas de Frédéric II est caractéristique de ce combat des deux glaives :
mais, au glaive spirituel du pape s’alliait la puissance temporelle des États
de l’Église, soutenue par la Ligue lombarde et l’esprit d’indépendance des
Romains. La tâche d’unification des deux tronçons du Saint Empire n’était
pas chose facile et, d’ailleurs, les Hohenstaufen s’y épuisèrent
successivement.
Cependant, en signant la paix avec Grégoire IX, Frédéric ne s’avoue pas
encore vaincu, car, non seulement l’absolution lui était accordée, mais la
réconciliation avec le pontife était totale et sans réserve. Le 1er septembre
on eut à Anagni le spectacle de Grégoire accueillant l’empereur en ami et,
seul à seul, le recevant à sa table. La croisade que la veille encore on traitait
de simple guerre de piraterie et d’entreprise antichrétienne était maintenant
considérée comme une œuvre pie ; le traité signé avec le sultan du Caire
était officiellement approuvé, le patriarche de Jérusalem recevait de Rome
l’ordre de le faire respecter ; le grand maître du Temple était invité en
termes sévères à s’y conformer ; l’interdit jeté sur l’Église du Saint-
Sépulcre, à la suite de la cérémonie du sacre du 17 mars 1229, était levé.
D’autre part, les plus solennelles promesses d’amnistie n’empêchèrent pas
Frédéric de prendre, en 1231, dans son royaume de Sicile, des mesures
draconiennes pour éviter le retour des troubles que la diplomatie pontificale
y avait naguère fomentés : les fameuses constitutions promulguées à Melfi,
au mois d’août 1231, révèlent un maître impérieux, devant qui la féodalité
doit se plier, et la peine de mort que prévoit un des premiers articles contre
tout « comte, baron, chevalier ou contre quiconque fera publiquement la
guerre dans le royaume », indique dès l’abord que, si le souverain a fléchi le
genou devant le représentant de Dieu, il n’est cependant encore ni vaincu ni
désarmé35.
Et le miracle de la reconstruction du Saint Empire, sans cesse démantelé,
sans cesse reconstitué, va se reproduire : Frédéric se rend en 1232 en
Allemagne où il s’emploie à réparer les dégâts de la propagande du pape,
mais doit bientôt revenir en Italie où une révolte a éclaté dans son dos,
révolte sans doute alimentée par l’or pontifical ou lombard…
Alors, en 1235, Frédéric décide d’en finir une fois pour toutes : il pacifie
totalement la partie germanique de son immense domaine et entreprend la
soumission définitive de l’Italie du Nord où, par trois fois, la Ligue
lombarde lui a barré le passage. Le 27 novembre 1237, c’est la bataille de
Cortenuova (près de Bergame) où la Ligue laisse sur le terrain 6 000 morts
et 5 000 prisonniers dont le podestat de Milan et le fameux Carrocio, ou
char porte-étendard de la cité, symbole et orgueil de ses habitants.
Sans tarder, Frédéric l’expédie « au Sénat et au peuple romain », vers
lesquels il se dirige, explique-t-il, pour redonner à la Ville éternelle, « siège
de notre Empire », le luxe et la gloire d’antan.
Cette fois-ci, Frédéric pense avoir tout prévu : Rome sera bien la
dernière étape de sa marche triomphale, après Jérusalem et Milan ; de plus,
n’a-t-il pas de fidèles partisans dans la capitale des Etats pontificaux ?
Grégoire IX est vieux et malade : encore un petit effort et l’Imperium
mundi, l’Empire du monde, lui appartient…36
L’alchimie contre la croix
Désormais, le doute n’était plus possible : Frédéric II engageait la lutte
sur le plan spirituel : le Soleil des mages et des alchimistes se dressait
contre la croix.
En marchant sur Rome pour détruire le pouvoir pontifical, il commettait
un sacrilège et ne l’ignorait pas : seul Napoléon agira de même en chassant
le pape de ses États ; Hitler, lui-même, en dépit de toutes ses menaces
verbales, n’osera jamais franchir la frontière « symbolique » de la cité du
Vatican.
L’arme magique, forgée dans la « forteresse alchimique » de Castel del
Monte, allait entrer en action contre le mainteneur de la chrétienté. Celle-ci
se rappelait, maintenant avec effroi, les prophéties qui avaient accompagné
la naissance et l’enfance de Frédéric.
C’était d’abord Pierre d’Eboli qui, dès la Noël 1194, avait accueilli le
nouveau-né avec des paroles prophétiques. C’était ensuite l’enchanteur
breton Merlin qui avait prédit la « merveilleuse et inespérée » naissance de
l’enfant et aussi son caractère de lion enragé. C’était surtout Joachim de
Fiore qui avait reconnu dans ce prince des Hohenstaufen le futur
dominateur du monde qui devait remplir l’humanité de confusion ; l’ermite
calabrais avait rappelé à l’empereur le caractère sacré de sa naissance et la
grossesse « mystérieuse » de Constance de Sicile qu’il rapprochait de celles
d’Olympias (mère d’Alexandre le Grand) et d’Atia (mère d’Auguste), qui
avaient rêvé, elles aussi, qu’elles hébergeaient un dragon dans leur sein.
Mais, toutes ces prophéties n’étaient rien si on les comparait au discours
sibyllin de Godefroy de Viterbe, le précepteur d’Henri VI, qui avait loué
l’enfant comme un futur libérateur, comme le césar accompli de ce temps :
il avait prévenu son maître impérial que ce fils serait le tant attendu roi du
monde, destiné à réunir l’orient et l’occident, comme Tibère l’avait
annoncé.
Ces réactions à contre-temps de la chrétienté ne sont pas pour nous
surprendre, tant il est vrai qu’on ne se rappelle les prophéties que
lorsqu’elles ont des chances de se réaliser.
Son surnom d’ANTÉCHRIST, Frédéric le devait aux pratiques
alchimiques dont il aimait s’entourer. Le « mauvais génie » de l’empereur
aurait été le moine Michel Scott, dont on ne sait au juste s’il était écossais,
irlandais ou français ; mais le peu que nous connaissons sur son compte
suffit amplement à nous éclairer sur le personnage : véritable
« encyclopédie vivante37 », il rédigea un recueil de toutes les
connaissances secrètes dans le domaine de l’occultisme et sur les sujets les
plus scabreux.
C’est ainsi qu’il nous a légué son Liber perditionis animae et corporis,
qui contient les noms, repaires et pouvoirs des démons… Auteur
d’ouvrages de sorcellerie à l’aide desquels il invoquait (rapporte-t-on) les
puissances infernales, Scott occupe la première place à la cour impériale de
Frédéric. C’est ainsi que les chroniques font état de mets surgissant
« spontanément » sur la table absolument vide du château de Foggia, à la
simple demande du moine démoniaque… De la même façon, on évoque des
expériences de « pluies artificielles » devant les spectateurs médusés. Ces
diableries se doublaient d’un talent prophétique dont l’histoire n’a voulu
retenir que deux exemples, confirmés dans les faits.
La première de ces prophéties a trait au lieu de la mort de son souverain
et maître : Frédéric lui-même. Ce dernier avait demandé à l’étrange mage
de lui indiquer l’endroit de son décès : il se vit répondre qu’il aurait lieu sub
flore, c’est-à-dire dans une ville ou un lieu consacré à la fleur. Dès ce
moment, l’empereur évita soigneusement ces villes ou ces lieux, telle
Florence. Ce qui ne l’empêcha pas, sur son lit de mort, d’apprendre avec
effroi la redoutable puissance de son devin, puisque le village où il se
mourait en 1250 s’appelait Fiorentino !
Le deuxième exemple de cet extraordinaire don de divination s’applique
à Scott lui-même, qui avait prédit que sa mort se situerait dans une église ;
ce fut effectivement le cas, à la différence près que le ciel sembla se venger
d’une façon exemplaire de ce « mage noir » en le faisant périr d’une
manière violente et inattendue. Alors qu’il se trouvait en Écosse, dans la
petite chapelle de Holme-Coltrame, où il priait, un pan de mur entier
s’abattit sur lui et l’écrasa… On rapporte que sa mort fut accompagnée de
tels prodiges qu’on préféra enterrer ses œuvres dans sa tombe, afin que son
exemple ne fût point suivi.
La marche de Frédéric sur Rome, à la tête d’une telle escorte de mages,
devins, astrologues et alchimistes, prenait un sens terrible pour les esprits
éclairés : c’était Lucifer qui marchait contre Dieu à la tête de sa légion
d’archanges déchus. Et, comme pour prouver ce fait, les châteaux
impériaux se vidaient de leur étrange collection de magiciens qui
accouraient dans le sillage de l’empereur pour « aider » à
l’accomplissement des prophéties. Du Castel del Monte au château de
Cortopasso, où l’on trouvait d’étranges cartes du ciel et des symboles
alchimiques dans la « salle réservée », les initiés et les prophètes venaient
secourir leur souverain. Dans l’entourage même du pape, les trahisons se
multipliaient, comme si un plan démoniaque s’était mis en route.
La lutte fut terrible entre Frédéric et Grégoire IX : les deux adversaires
rivalisaient d’habileté mais, ni l’excommunication, ni les luttes désespérées
des deux républiques de Gênes et de Venise aux côtés du pape, ni les appels
à la révolte contre l’antéchrist en Allemagne et en Sicile ne semblaient
pouvoir emporter la décision. Sur ces entrefaites, le souverain Pontife se
décida à frapper un grand coup : la réunion d’un Concile général pour
mettre l’empereur au ban de la chrétienté.
Mais Frédéric, au courant de cette décision, captura la plus grande partie
des prélats dans un engagement naval au large de l’île de Monte Cristo : les
navires pisans et siciliens firent prisonniers plus de 4 000 marins génois, 3
légats, 12 cardinaux et plusieurs évêques et archevêques d’Italie qui furent
conduits à Naples, sous bonne escorte : l’empereur Frédéric semblait
concrétiser les prophéties de ses mages et alchimistes, puisqu’il avait fait
prisonnier le concile ou peu s’en fallait !
L’effet moral de cette défaite pontificale fut considérable ; exilé dans son
palais du Latran, le malheureux Grégoire IX ne pouvait que vouer à
l’exécration publique le « persécuteur de l’Église » qui venait d’écarser à
Pavie ses légats et leurs alliés milanais.
Frédéric, quant à lui, ne perdait pas de temps. Sur les conseils de ses
mages, il avait repris sa marche sur la Ville éternelle et traversait les États
du pape comme la foudre : il s’empara de Spolète, de Terni ; au mois
d’août, il avait atteint le cours du Tibre et campait à Tivoli. Il se trouvait
donc aux portes de Rome, sur les monts Albins, quand une nouvelle
stupéfiante lui parvint : succombant à l’émotion, Grégoire IX venait de
rendre le dernier soupir ; nous étions le 22 août 1241.
L’oracle des mages avait rendu son verdict : l’empereur sortait victorieux
de sa lutte contre la papauté et cette dernière devrait dorénavant se
subordonner au « roi du monde » et à son représentant terrestre :
l’Imperator mundi Frédéric II de Hohenstaufen…
Avec Grégoire IX disparaissait le dernier obstacle opposé à l’absorption
de l’Italie tout entière par l’Empire. L’aura d’invincibilité et d’immortalité
commence à se tisser autour du personnage de Frédéric, détenteur de
pouvoirs surnaturels. L’écrasement de Grégoire n’est qu’un signe isolé
parmi les prophéties que Scott fait circuler dans toute l’Italie, aidé en cela
par tout un réseau d’initiés, patiemment mis en place au cours des décennies
précédentes. De nombreux centres de propagande, parmi lesquels on peut
citer sans risque d’erreur les cathares, les gibelins, les teutoniques et, à un
degré moindre, les templiers, se mettent à fonctionner pour imposer l’image
de Frédéric comme celle du « messie » impérial que Joachim de Fiore a
annoncé, à grand renfort de précisions, un demi-siècle auparavant.
Mais il restait à pénétrer dans Rome, ce qui n’était pas une mince affaire,
car la détention des prélats avait ému la chrétienté qui poussait les Romains
à la résistance tant qu’un nouveau pape ne serait pas élu. L’empereur tenta
alors, sans succès, de bloquer Rome eu affamant les habitants pour les faire
céder ; il alla même jusqu’à dévaster la campagne environnante et, alternant
la manière forte avec la manière douce, se décida à remettre en liberté les
prélats qu’il détenait : l’élection du nouveau pape, dans cette optique, lui
apparut comme un triomphe personnel et définitif.
Le 25 juin 1243, le cardinal Sinibaldo Fieschi, Génois d’origine, fut élu
pape sous le nom d’Innocent IV. L’élection de ce « vieil ami » de
l’empereur parut, aux yeux de beaucoup, comme un triomphe personnel de
Frédéric, et l’annonce de la fin de la prépondérance pontificale.
Si Frédéric avait espéré cette interprétation de la réalité, il dût bien vite
déchanter. La nomination de ce nouveau pontife marquait pour lui la fin de
ses espoirs : LE SOLEIL HERETIQUE ALLAIT ETRE OCCULTE PAR
L’OMBRE DE LA CROIX.
Mort et résurrection de l’antéchrist
La mort de Frédéric II. — L’archevêque de Mayence, Siegfried
d’Epstein, leva le premier l’étendard de la révolte contre Frédéric ; il fut
suivi par son collègue de Cologne, tandis que le pape Innocent IV, tout en
promettant l’absolution à l’empereur, lui enlevait la ville de Viterbe et
s’enfuyait à Gênes, hors de sa portée. L’explication finale entre le sacerdoce
et l’empire commençait.
Dès lors, tout l’édifice patiemment construit par Frédéric s’effondre : les
musulmans reprennent Jérusalem et écrasent les troupes chrétiennes à la
bataille de Gaza.
Le pape, de son côté, ne reste pas inactif. Il a réuni, le 24 juin 1245, à
Lyon, un concile de 150 évêques qui condamne solennellement l’empereur
pour « parjures, sacrilèges, crimes de lèse-majesté, usurpation de territoires
et violences envers le clergé, complaisance et complicité avec le sultan
d’Égypte. » Mais, fait plus grave, ce concile de Lyon délivre les sujets de
l’Empire et du royaume de Sicile de leurs devoirs d’obéissance et de
fidélité… Les moines mendiants se répandent alors dans toute l’Europe
pour porter la bonne parole et prêcher la révolte contre le nouvel antéchrist.
Les résultats ne se font guère attendre : en 1246, l’empereur manque
d’être assassiné, des complots sont découverts dans son entourage ; la
nomination d’un antiroi en Allemagne et la menace des Lombards sur ses
arrières l’empêchent de reprendre la situation bien en main. De juillet 1248
à janvier 1249, il séjourne aux pieds des Alpes dans l’espoir insensé d’une
réconciliation avec le pape, mais ce dernier feint de l’ignorer. Les complots
et les tentatives d’assassinat se succèdent sans interruption, tout au long de
l’année 1249.
C’est dans cette atmosphère de trahison que Frédéric regagne Naples et
son royaume de Sicile, où il apprend la nouvelle de l’enlèvement de son fils
Enzio par les habitants de Bologne (26 mai 1249) ; mais il a beau tempêter
et menacer, les habitants de cette ville se bornent à lui faire répondre qu’ils
l’attendent pour lui remettre son bien. Cette fois, le lion de Souabe a les
griffes trop usées par ses courses continuelles à travers l’Europe…
Toutes les cités italiennes, encouragées par l’exemple de Bologne, se
soulèvent comme par enchantement. Partout, la puissance des Hohenstaufen
s’effondre comme châteaux de cartes : en Allemagne, deux antirois sont
face à face et se disputent le trône laissé vacant par Frédéric. Spectacle
lamentable que celui de la disparition du Saint Empire romain
germanique…
C’est volontairement que Frédéric, miné par les soucis et la maladie, se
retire dans un de ses châteaux, faisant courir le bruit qu’il part à la chasse.
En vérité, l’empereur est à bout. Le nom de la forteresse est
Castelfiorentino, or, les astrologues lui ont prédit un jour qu’il mourrait
« sous la fleur », c’est pourquoi, toute sa vie, il avait évité Florence. Mais
maintenant le jour est venu et Frédéric sait qu’il va mourir ici. La dysenterie
l’affaiblit de plus en plus et le 10 décembre, le « roi des Romains »
convoque les grands dignitaires du royaume et, d’une voix éteinte, dicte ses
dernières volontés. L’Eglise doit rendre les terres qu’elle a prises à
l’Empire. Les Templiers, cet ordre exemplaire, recevront en revanche un
legs considérable. Bientôt, le « lion de Sicile » entre en agonie ; il demande
pourquoi on a étendu une tapisserie sur un mur de sa chambre. On lui
répond qu’elle cache une porte de fer condamnée depuis longtemps.
Symbolisme de la voie initiatique : la porte étroite ! Frédéric se souvient des
paroles prophétiques de son mage, le fameux Michel Scott : « Sous la fleur
et près d’une porte de fer. » L’oracle est accompli.
Avant de rendre le dernier soupir, le 13 décembre 1250, il demande à
revêtir le scapulaire cistercien, cet habit blanc de l’initié druidique saint
Bernard, abbé de Cîteaux et réformateur des Bénédictins.
Mais, à sa mort, on l’enveloppe dans une splendide étoffe orientale,
signe de sa magnificence passée, symbole de la grandeur impériale ; un roi
d’Asie en avait fait cadeau à l’empereur Othon IV. Dans ce linceul de
pourpre, filigrané d’or et brodé d’animaux symboliques figurant un
fantastique zodiaque, Frédéric II rejoint le monde hypercosmique des sages
et des dieux38.
Sur son tombeau que l’on peut toujours contempler dans la cathédrale de
Palerme, l’archevêque Bérard a gravé cette épitaphe :
Si la probité, le talent, la grâce de tous les dons,
La magnificence, la noblesse de la race,
Peuvent résister à la mort,
Frédéric qui gît ici, N’EST PAS MORT.
A cette mort, longtemps le monde refusera de croire, et c’est ici que
commence la légende du « grand empereur », le mythe du « messie
impérial », porté par les ailes de l’épopée.
Frédéric II, mécène des troubadours et « protecteur » des cathares
Les troubadours ne sont pas étrangers à cette « transfiguration » de
Frédéric. Nous avons déjà signalé l’existence de ces centrales mystérieuses,
réparties dans toute l’Europe, et où l’on retrouvait mêlés cathares, gibelins
et ordres de chevalerie. Il est juste de faire une place de choix aux
troubadours méridionaux pour l’appui qu’ils apportaient à leur mécène.
Frédéric, de son vivant, aimait à s’entourer des artisans du « gai
savoir » : la cour de Palerme recevait des troubadours illustres : Pons de
Chapteuil, Ghilhem Augier Novella, Folquet de Romans, pour les
Provençaux, Rostico dei Filippi, Cecco Angioleri, pour les Italiens. Il n’est
pas jusqu’au fameux Walter d’Aquitaine qui n’ait été vu à la cour de
l’empereur. Pour se l’attacher, ce dernier lui proposa même l’un de ses plus
beaux châteaux, mais Walter refusa, préférant garder le bien le plus
précieux du troubadour : sa liberté.
Les poètes baladins aimaient ce souverain troubadour lui- même, car on
lui doit d’avoir mis en forme cet appareil « érotico-platonique », avec son
chancelier Pierre de Vignes. A côté de la poésie charnelle et souvent
obscène des trouvères, ces barbares du Nord, la poésie troubadouresque et
italienne de cette époque se montre chaste et idéale. Elle se double de sous-
entendus politiques et ésotériques visant à saper la toute-puissance
pontificale.
Nous en trouvons un exemple parfait dans le thème de la dame
mystérieuse, thème célébré à l’envi par Ranieri de Palerme, le Sicilien
Inghilfred, Hugues de Massa, Dante Alighieri et bien d’autres. Et nous
retrouvons ici ce bas-relief évocateur de la dame agenouillée devant les
chevaliers, sculptures dont nous avons fait état lors de la visite de Castel del
Monte. Cette dame mystérieuse, que les troubadours appellent « la Rose »,
ou « la Fleur », « la fleur d’en haut », « la fleur des fleurs »39, est encore
comparée à l’étoile d’Orient, par son épithète de « Syrienne » qui lui est
accolée. Nous retrouvons, ici encore (et cela n’est pas pour nous
surprendre), le saint Graal ou « étoile de la connaissance », dont Montségur
est l’écrin. L’importance occulte du site de Montségur n’est plus, ici, à
démontrer : c’est de la région ariégeoise, et de Toulouse plus
particulièrement (véritable Mecque des troubadours), que partaient et
arrivaient les consignes « antiromaines ». Nous n’en voulons pour preuve
que la date même de la chute de la forteresse cathare (1244) et les espoirs
que les assiégés nourrissaient d’une prochaine venue de Frédéric lui-même,
qu’ils attendaient comme un messie.
René Nelli nous a décrit l’espérance que sa venue libératrice avait fait
naître :
- Frédéric II prit, aux yeux des derniers défenseurs de Montségur, les
proportions d’un véritable mythe : mythe d’espoir et de salut. Le bruit
courait, en effet, en Occitanie, que le comte de Toulouse allait venir délivrer
la forteresse assiégée, avec l’aide d’une armée de secours envoyée par
Frédéric. Ce bruit n’était pas sans fondement. Le troubadour Uc de Saint-
Circ, francophile et dévoué à l’Église, avait composé, vers 1240, un
sirventes — que les cathares devaient connaître — où il prêtait à Frédéric
(occupé alors au siège de Faenza) l’intention « de venger le Toulousain, et
Béziers et le pays de Carcassonne ». De fait, en 1243, Frédéric avait rendu à
Raimon VII le marquisat de Provence et le Venaissin. Une campagne en
Occitanie ne paraissait pas tellement invraisemblable. Il est certain que la
mort de Frédéric, survenue en 1250, découragea — à tort ou à raison — les
derniers patriotes Occitans40.
Nous ne pouvons que souscrire sans réserve à la thèse de notre ami René
Nelli, dont la réputation et le sérieux en matière de catharisme sont
universellement reconnus. D’autant plus que, dans notre précédent ouvrage,
nous avions écrit, de notre côté :
- Dans la lutte gigantesque qui oppose l’empereur et le pape, deux clans,
où nous retrouvons mêlés cathares, vaudois, gibelins et templiers,
s’affrontent au cours des quatre siècles qui s’étendent de l’an 1000 à 1400.
Frédéric Barberousse Ier (1152-1190) eut de grandes difficultés avec le
pape, mais il ne sut pas comme ses prédécesseurs transposer la lutte sur le
plan des idées. Frédéric II, empereur de 1220 à 1250, emprunta la voie plus
subtile de l’ésotérisme… Par l’ésotérisme, il cherchait, lui aussi, la clé des
choses cachées par la queste de la connaissance à travers l’histoire de
Merlin l’Enchanteur et du Graal.
Cette queste solaire du Graal (queste solaire par sa course autour des
douze signes du Zodiaque), trouvait son originalité, dans le cas de Frédéric,
par le fait qu’il s’agissait, comme nous l’avons vu avec Castel del Monte,
d’une quête alchimique. Les vers du grand alchimiste Raymond Lulle nous
tracent cette étroite dépendance :
D’une once
De cette poudre de projection
Tu feras des soleils
En nombre infini.
Il n’y a rien de surprenant, dans cette optique, que l’histoire nous
rapporte la négation de la mort de Frédéric par la plupart de ses
contemporains. De nombreuses versions circulaient au sujet de sa
disparition : pour les uns, il avait été déporté par le pape, pour d’autres, il
s’en était allé volontairement, sur les conseils de son astrologue.
Les troubadours répandaient les plus folles suppositions, et cela n’est pas
pour nous surprendre si l’on veut bien imaginer le désastre que représentait
à leurs yeux la disparition de leur mécène. Il en allait de même en ce qui
concernait cathares et gibelins, pour ne rien dire des templiers…
La résurrection de Frédéric
Quelques mois seulement après la disparition de leur roi, les Siciliens
mettaient eu circulation la formule sibylline : « Il vit, il ne vit pas », ce qui,
en langage clair, parut signifier que l’empereur avait rejoint un « centre »
occulté au regard des humains.
La nouvelle prit une toute autre dimension quand un moine rapporta
avoir aperçu Frédéric, à la tête d’une légion de chevaliers, s’enfoncer dans
les entrailles de l’Etna. N’était-ce point la preuve évidente qu’il était allé
rejoindre les enfers et Lucifer, son maître ?
Telle ne fut pas l’interprétation de tout le monde : l’Etna passait pour
être la demeure des héros défunts et notamment celle du roi Arthur… Le
pauvre moine avait bien mal choisi son exemple !
En 1260, un imposteur plantait sa tente sur les flancs mêmes du volcan,
alors en sommeil. Il se présentait comme le « troisième Frédéric » et, bien
entendu, attira à lui une foule de disciples, car la rumeur de sa résurrection
ne pouvait que fasciner les partisans de la cause impériale. L’abus de
confiance dura jusqu’en 1262, date à laquelle le pseudo-empereur ressuscité
jugea plus prudent de disparaître.
Le mythe de la résurrection impériale voyage alors à travers l’Europe.
En 1284, nous retrouvons Frédéric à Worms, en Allemagne, puis à Lübeck,
où la foule lui réserve un accueil délirant d’enthousiasme ; nous le
retrouvons, la même année, dans les environs de Cologne : à Neuss, très
exactement. Des ambassades de l’Europe entière sont envoyées au
« nouveau » Frédéric jusqu’au moment où, la supercherie étant découverte,
« Frédéric » monte sur le bûcher pour crime de sorcellerie !
A la même époque, un nouvel imposteur était brûlé en Hollande… Les
flammes de son bûcher, à Utrecht, étaient à peine éteintes, qu’elles se
rallumèrent à Wetzlar pour un nouveau ressuscité… A la lecture de ces
lignes, on peut se rendre compte de l’ampleur du phénomène.
Mais, plus significatif encore, le mythe politique commence à faire son
apparition et l’hitlérisme est dépeint avec sept siècles d’avance : ne lit-on
pas dans le Gamaleon (pamphlet à la gloire de Frédéric) :
- L’empereur germanique renversera la monarchie française et la
papauté. Sa mission accomplie, le souvenir même de ce que fut la France
sera effacé ; les Hongrois et les Slaves seront totalement asservis et les juifs
écrasés à jamais. Les Allemands, au contraire, seront exaltés au-dessus de
tous les peuples. Une fois l’Église de Rome dépouillée de ses biens, tous les
prêtres seront exterminés. A la place du pape, un patriarche allemand
régnera à Mayence sur une Église rénovée et subordonnée à l’empereur,
« aigle de la race des aigles », nouveau Frédéric dont les ailes s’étendront
de mer en mer jusqu’aux confins du globe. Alors viendront les derniers
jours, puis le second avènement et le jugement dernier 41.
L’application de ce programme fut décrite en détail par le
« révolutionnaire du Haut-Rhin », vieillard fanatique et illuminé qui nous a
laissé le fameux Livre aux cent chapitres42, dans lequel il nous expose la
conspiration judéo-chrétienne et les remèdes proposés. Ainsi, ce « saint
homme » prévoit l’élimination physique de 2 300 ecclésiastiques par jour
pendant cinq ans… puis on passera aux usuriers, prêteurs et « capitalistes »
de tout poil. Alors seulement on pourrait s’occuper des peuples
méridionaux pour les asservir ; un programme prophétique comme on peut
en juger.
Mais, en France aussi, on attendait l’avènement d’un nouveau Frédéric :
il y eut Jeanne d’Arc… On l’avait tant attendue ! Le mythe retrouvera une
seconde jeunesse avec la prophétie du « grand monarque » chère à
Nostradamus.
En attendant cet avènement, on s’aperçoit que les derniers cathares
militants, groupés en 1310 autour de Bélibaste, attendaient toujours la
venue de Frédéric. Le mythe dure et même renaît : on espère en l’arrivée
d’un nouveau Frédéric, d’un troisième Frédéric.
On croit l’avoir trouvé en la personne de don Enrique d’Aragon, alors en
guerre contre le Saint-Siège et la France pour la possession de la Sicile.
« Un descendant de la race du roi d’Aragon, prophétise Bélibaste, donnera à
manger à son cheval sur l’autel de Rome… »43.
La résurrection de Frédéric prend donc, tout naturellement, une attitude
antipontificale et, plus précisément encore, antiromaine. On en trouve une
confirmation dans les prophéties qui annoncent la Réforme protestante
(dont l’Église ne se relèvera jamais), et, à plus long terme, l’annonce de la
Révolution française de 1789.
Les spécialistes qualifient ces prophéties de « millénarisme égalitaire ».
Le rapport est tellement évident que nous trouvons, dans le Mythe du XXe
siècle, du penseur nazi Rosenberg, un exposé enthousiaste de ces doctrines.
Il en est de même pour les communistes, qui se passionnent pour l’étude
des penseurs égalitaires du Moyen Age et les revendiquent comme autant
de leurs prédécesseurs (Karl Marx).
Norman Cohn, par une démarche opposée à la nôtre, en arrive à la même
conclusion : il remarque un renouveau apocalyptique et l’explique ainsi :
On ne saurait nier notamment que l’apparition fortuite d’hommes
exceptionnels n’ait joué un rôle considérable. Et pourtant, ni Lénine, ni
Hitler, ni (peut-on ajouter) : Mao Tsé-Toung, tous brillants tacticiens et
prophètes puissants, n’auraient pu accomplir leurs révolutions en l’absence
de certaines conditions sociales. Et l’on se demande quelles situations
sociales favorisent en fait le triomphe de groupes inspirés par la conscience
d’une mission quasi eschatologique et débordants de haine et d’espoirs
illimités, alors la longue histoire du millénarisme révolutionnaire médiéval
peut nous être de quelque secours44.
L’exemple de Frédéric, que nous avons replacé dans ce courant
traditionaliste, se trouve bien à la charnière des temps antiques et de notre
monde contemporain. Cela est si vrai que l’on peut suivre la trace du
millénarisme dans le successeur de Frédéric, désigné par le destin : nous
voulons parler de Napoléon.
L’empereur des Français se rattache bien à ce courant solaire : nous n’en
voulons pour preuve que son appartenance (maintenant reconnue) à la
franc-maçonnerie et, plus particulièrement, à l’initiation égyptienne de
celle-ci. Quand on connaît la différence existant entre cette sorte d’initiation
et le rite proprement chrétien des autres obédiences maçonniques, on n’en
est que plus conscient45.
Si l’on admet également l’appartenance précoce de Napoléon à l’
« illuminisme bavarois » (comme cela semble actuellement acquis), héritier
direct de l’illuminisme millénariste qui vit le jour avec la « résurrection » de
Frédéric… on est contraint d’admettre la vision cyclique de l’histoire ou,
tout au moins, la permanence de certains mythes.
Cela semble si vrai que nombre d’auteurs (et non des moindres) n’ont
pas manqué d’établir des comparaisons suggestives entre ces deux
empereurs d’Occident. Il leur manquait, cependant, la preuve de cette
filiation solaire que, pour notre part, nous retrouvons dans l’ésotérisme et
les sociétés dites initiatiques.
En exergue du destin exceptionnel de Frédéric II, brillant comme l’astre
solaire avec qui il se confond, nous ne pourrons que citer la magnifique
évocation de Ziegler 46 :
- En Frédéric II, un empereur était déifié pour la dernière fois « comme
une force attendue en l’éternité, comme le messie et le seigneur de
l’achèvement, maître dans le royaume apollinien qu’annoncèrent les
sibylles ». De son vivant déjà, on l’honora comme le « roi du Soleil ». Et
l’on pourrait lui rapporter une foule d’images messianiques. Manfred
écrivait au roi Conrad après la mort de leur père : « Le Soleil du monde
s’est couché, qui luisait sur les peuples, le Soleil du droit, l’asile de paix. »
Un mois après ce « coucher », des fidèles annonçaient à Tivoli, comme
l’eût pu faire la sibylle tiburtine, que, semblable au soleil, Frédéric avait
plongé dans la mer occidentale, laissant derrière lui son fils solaire, dont
l’aurore approchait. C’est toujours le culte du Sol invictus, rajeuni par les
prophéties, qui, mille ans plus tôt, s’était fondu dans le culte du Seigneur, et
qui prenait pour objet maintenant l’empereur Frédéric, né un jour après la
naissance du Soleil et la nativité du Christ, mort en décembre aussi, qui
reviendrait à la consommation du temps pour ériger le royaume de
Paradis47. (Albert de Baham, avocat pontifical, confident du pape.)
Buste de Frédéric II de Hohenstaufen (photo Lauros-Giraudon).

Château de Castel del Monte : la demeure d’un grand initié, Frédéric II (photo Boudot-Lamotte).

1. La légende de sa naissance rapporte que sa mère, Constance de Sicile, fut « visitée » par un
dragon : le parallèle avec Olympias, mère d’Alexandre, est ici remarquable. Signalons que le dragon
est le « gardien » solaire par excellence et s’apparente, dans la symbolique, au serpent du mythe de l’
« arbre du monde ».

2. Les visions de cette mystique du XIXe siècle, recueillies et transcrites par le romantique Brentano
ont fait couler beaucoup d’encre et suscité bien des polémiques en replaçant la jeunesse - inconnue
des Evangiles - de Jesus de Nazareth dans le cadre de la spiritualité orientale - bouddhiste en
l’occurence - de l’Inde et du Tibet.

3. Cette ressemblance avec l’Antique, cette fraternité qui unit Frédéric II à un Julien, au-delà des
contingences terrestres, Marcel Brion l’a bien sentie lorsqu’il écrit : « Les temps n’étaient pas venus.
Frédéric II avait le tort, aussi, aux yeux de la masse, d’incarner en même temps un idéal trop
imprécis, parce que projeté trop loin dans le futur, et trop enraciné dans le passé. Il ressemble
beaucoup, en cela, à Julien l’Apostat, avec lequel il possède d’ailleurs tant de traits en commun.
Admirateur passionné de Rome et de la romanité, Frédéric rêvait de ressusciter l’Empire des césars.
Peut-être même son système religieux englobait-il un certain paganisme officiel, pareil à la religion
d’État de l’antique Rome, dominé par la « divinité » de l’empereur ? » (Frédéric II de Hohenstaufen,
Paris, Tallandier, 1948, p. 224).

4. Ce prêtre Jean n’a rien de commun avec celui que l’on recherchera à la fin du xve siècle dans la
région de l’Ethiopie actuelle : il s’agit, ici, du « roi du monde ».

5. De là l’utilité des harems qui permettaient d’attendre l’instant astrologique propice pour la
procréation « idéale » de l’héritier par la favorite.
6. Chiffre de l’infini dans la numérologie sacrée, le huit est également celui du « huitième jour » de
l’Apocalypse qui doit marquer l’entrée de l’humanité dans l’ère du Saint Esprit, celui de la réunion
des trois monothéismes sous l’égide du Christ de la Seconde Venue, d’essence solaire réalisant un
« monde nouveau ».

7. Il est bon de signaler que c’est un architecte français, Philippe Chinard, qui fut le maître d’œuvre
de Castel del Monte.

8. Ainsi, l’année est divisée en quatre saisons, il y a quatre points cardinaux, quatre éléments, quatre
règnes sur notre planète (minéral, végétal, animal et humain), il y a quatre Évangiles et la croix a
quatre branches. Mais, ce qui est plus important, c’est, qu’astronomiquement, la position du Soleil à
chaque saison coïncide avec, quatre étoiles : Aldebaran, dans le Taureau, Régulus, dans le Lion,
Altaïr, dans l’Aigle, Fomalhaut, dans le Verseau, signes-symboles de l’homme qui nous rappellent les
quatre êtres vivants.

9. Pour la première fois, en effet, un effort était accompli pour utiliser l’interprétation allégorique à
des fins autres que dogmatiques ou morales, mais aussi comme moyen de prévision historique.
Joachim de Fiore prétendait avoir découvert la clé permettant de déchiffrer le sens de l’histoire et ses
étapes futures en prenant comme base de réflexion les deux Testaments et surtout l’Apocalypse.

10. Hitler et la tradition cathare, Éd. Robert Laffont, 1971.

11. Julius Evola, Le Mystère du Graal et l’idée impériale gibeline, Éd. Traditionnelles, Paris, 1967,
pp. 27 et 60-61.

12. Les Templiers portaient le manteau blanc à croix rouge (croix noire pour les teutoniques) ; les
chevaliers hospitaliers portaient le manteau noir ou rouge à croix blanche.

13. On précisera qu’un auteur comme Philéas Lebesgue a soutenu la théorie de l’existence d’un
groupement secret teutonique perpétuant à des fins nationalistes et pangermanistes les théories
gibelines. Le dernier représentant visible de ce groupement fut, toujours selon cet auteur, le maréchal
von Luddendorf. Philéas Lebesgue, et nous le suivons ici, affirme qu’une preuve de cette filiation
résidait dans la maison d’Autriche-Hongrie, dont la devise : A. E. I. O. U., traduite du latin en
français, signifiait : « Les empereurs d’Autriche sont destinés à dominer le monde », et ce fut
Luddendorf qui fit de l’Autrichien Hitler le Führer du IIIe Reich, après qu’il eut marché à ses côtés
en lui apportant sa caution, lors du putsch manqué de Munich en 1923.

14. Ce type de mandala sert originairement pour les temples de l’Inde dédiés à Shiva, dieu du
Renouvellement et de la Transformation, qui brûle tout de son « œil central » (le troisième œil).
Notons enfin que 81 x 64 x 5 (représentant respectivement dans la symbolique templière : le temps,
l’espace et la vie) = 25 920 (nombre cyclique fondamental encore appelé « grande année
platonicienne ») ; or, l’épaisseur des murailles du Castel del Monte correspond bien à cette
symbolique : 2,59 m… Nous pouvons faire état, à ce stade, de curieux rapprochements chiffrés : la
Terre se déplace sur sa trajectoire à la vitesse de 29,77 km/s, en moyenne elle parcourt donc 940 000
000 km par an, soit : 2 592 000 km par jour ! Le pouls d’un être humain bat, en moyenne, 72 fois en
une minute, et comme il respire 18 fois par minute (soit 18 x 60 = 1 080 fois par heure), nous
obtenons curieusement : 1 080 x 24 heures = 25 920 fois par jour. On voit, d’après ces quelques
exemples, à quel degré l’homme se voit soumis à la loi du cosmos.
15. L’écrivain allemand féru d’ésotérisme Zacharias Werner dans un ouvrage à clé intitulé Les fils de
la Vallée (non traduit en français) fait état d’une organisation très mystérieuse, noyau initiatique de
L’Ordre du Temple, intitulé « La Vallée » rassemblant une élite très restreinte d’initiés donnant aux
chevaliers instructions et lignes d’action. « La Vallée » aurait décidé la disparition du Temple au
début du XIVe siècle, l’ordre ne correspondant plus à ses objectifs initiaux d’établissement d’un
empire universel sous son égide.

16. Cité par Robert Charroux, dans Le Livre des secrets trahis, Êd. Robert Laffont, Paris, 1965, pp.
224 et 225.

17. La secte des assassins musulmans vit le jour en 1090 sous les auspices du sheik Al-Jebal : le
fameux « Vieux de la Montagne ». Le nom de la secte provenait de l’emploi du hachisch (ou chanvre
indien), qui les fanatisait. Leur implantation en Syrie avait posé d’insolubles problèmes aux
chrétiens ; leur similitude d’organisation avec celle des templiers a été maintes fois soulignée.

18. Nous touchons ici à une autre escroquerie de la science officielle, qui nous déclare que
Christophe Colomb, partant à la découverte des Indes, découvrit l’Amérique : 1° Au XVe siècle, on
situait très exactement les Indes. 2° Les cartes de l’amiral turc Piri Reis font mention du continent
américain ; sans parler des Vikings ayant découvert le « Vinland » (Amérique du nord) au Xeme siècle
en partant de l’Islande. 3° Depuis un siècle déjà, les pilotes des îles de l’Atlantique devaient
obligatoirement prendre leur retraite dans un « lieu surveillé ». N’était-ce pas la preuve qu’ils
connaissaient déjà l’existence du Brazil ?… Ce n’est pas pour rien que les caravelles de Colomb
portaient la croix templière sur leurs voiles.

19. Les légendes à fond cathare signalent maintes fois ce prêtre Jean comme des leurs. Wolfram von
Eschenbach le donne comme fils de l’union de Parsifal et d’Esclarmonde de Foix… fils spirituel sans
aucun doute. Et l’Arioste n’omet pas de mentionner ce prêtre Jean aux côtés de la suave Angélique,
reine des « Cathais » (c’est-à-dire des cathares), figure sœur d’Esclarmonde.

20. Somersetshire : comté du sud-ouest de l’Angleterre, à proximité de Bristol.

21. René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, N. R. F., 1962, pp. 114 à 119 ; et
surtout : K. E. Matwood, A Guide to Glastonbury’s Temple of the Stars, its giant effigies described
from air views, maps, and from the hight history of the holy Graal, Londres, John Watkins.

22. L’importance de ce site et des pierres mystérieuses, dites « pierres bleues » ou « pierres solaires »,
n’est plus à dire ici. Tous les ans, au matin du solstice d’été, 300 000 personnes y viennent encore,
tant il est vrai que les monuments antiques savent parler à ceux qui se donnent la peine de les
comprendre.

23. Evola, op. cit, p. 176 et sqq.

24. Le Kali-Yuga, ou âge sombre, est la domination absolue de la matière sur l’esprit. Il est encore
appelé âge de fer par les hindous et succédée aux âges d’OR, d’ARGENT et d’AIRAIN.

25. A propos de Frédéric II, A. Gautier-Walter écrit, dans La Chevalerie et les aspects secrets de
l’histoire : « Comme Frédéric croyait à la réincarnation (ainsi que Laurent et Dante), il est tout à fait
possible que cette hantise du siècle d’Auguste, qui l’habitait, vint de la croyance d’être, lui-même,
une réincarnation de l’empereur romain… Les siècles se court-circuitent… Le temps et l’espace
interfèrent leurs cycles cachés… Le phénix veille sur les aigles et notre passé est le présage de notre
avenir. L’ « Iman caché » de la chevalerie méditerranéenne attend, dans sa « grotte », si bien peinte
par l’initié Léonard de Vinci, que nous, hommes du XXe siècle, soyons enfin prêts et capables
d’accueillir dignement le retour imminent de l’empereur de justice et du « roi « de chevalerie »,
Arthur et ses chevaliers, Charlemagne, Auguste ou Frédéric… » (pp. 35-36).

26. Louis Halphen, L’Essor de l’Europe, Paris, Alcan, 1932, p. 340.

27. Les musulmans comparaient Frédéric à Alexandre le Grand, c’est dire l’admiration qu’ils lui
portaient. L’Orient était suspendu à ses réalisations, témoin l’ambassade et les secours en argent qui
lui furent expédiés par le souverain grec de Nicée.

28. Pierre Boulle, L’Étrange Croisade de l’empereur Frédéric II, Flammarion, 1968, p. 89.

29. Lettre apostolique de Grégoire IX, Mathieu Paris, La Grande Chronique.

30. Il s’agit de la mosquée qui brûla en 1969, soulevant la colère du monde musulman. L’incendiaire
était un déséquilibré australien qui se prenait pour le descendant du roi David, chargé par le ciel de
reconstruire le temple de Salomon.

31. Recueil musulman.

32. Où se trouve une empreinte du pied du prophète Mahomet.

33. Le royaume de Sicile avait été organisé en s’inspirant des ordres de chevalerie : un véritable État
militaire.

34. En particulier, le pape avait envoyé un cardinal-légat en Allemagne pour prêcher la désobéissance
à l’égard de Frédéric, poussant même Louis de Bavière à entrer en dissidence.

35. Louis Halphen, op. cit., p. 349.

36. Dans sa fameuse biographie Frédéric II, l’historien allemand Kantorowitz analyse avec un grand
discernement les motivations de l’empereur à la veille de son entrée dans la « ville éternelle ».

37. Outre sa réputation de « faiseur d’or », Scott était astrologue, médecin, mathématicien, peintre et
alchimiste. Il s’intéressait également à la zoologie et à la botanique. Les sciences humaines ne lui
étaient pas non plus étrangères. Il fut le traducteur du De Cœlo et du De anima d’Aristote, avec les
commentaires d’Averroès ; son Liber animalium est célèbre, ainsi que ses Histoires d’animaux ; il
publia dix-neuf traités avant de rédiger des écrits commerciaux avec les seigneurs arabes, comme sa
fonction de greffier impérial lui en faisait obligation. Il fut envoyé comme ambassadeur à Tunis et eut
en outre le temps de confectionner pour la cour quantité de remèdes et potions dont l’une à base de
confiture de violettes. Un esprit complet, comme on peut s’en rendre compte à l’énoncé de sa
biographie ! Frédéric II, quant à lui, n’avait rien à envier à son confident. Les chroniqueurs nous
rapportent qu’il parlait sept langues et en comprenait neuf autres ; ses connaissances en philosophie
et en théologie étaient réputées. La scolastique lui était familière et il avait une prédilection marquée
pour les mathématiques : c’est à lui que l’on doit les premières assises scientifiques qui se tinrent à
Pise sous sa présidence et où il fit preuve de connaissances surprenantes pour un esprit aussi
« universel ». N’oublions pas ses talents d’administrateur, de militaire, d’occultiste, et ses dons de
ruse et de paillardise, car c’est le seul empereur d’Occident qui entretint un harem pour ses besoins
personnels…

38. Les funérailles de l’empereur furent empreintes d’une triste solennité. « Le 28 décembre, dit un
témoin oculaire, j’appris que le corps de l’empereur, qu’on portait à Tarente, allait passer, et je me
rendis à Bitonto pour le voir. Il était déposé dans une litière recouverte d’un drap cramoisi, la garde
sarrasine à pied l’entourait avec six compagnies de cavaliers armés de toutes pièces. Ils marchaient
tristement, pleurant l’empereur dans tous les lieux où ils passaient. Un grand nombre de barons vêtus
de noir et les syndics des villes du royaume fermaient le cortège. » Le corps embaumé du souverain
fut déposé dans un sarcophage de porphyre rouge, couleur impériale, et ce cercueil ressemble
étonnamment à celui de Napoléon. Au XVIII siècle, on ouvrit le tombeau et on découvrit le corps
intact, le front orné d’une couronne fleuronnée, vêtu d’un riche costume, chaussé de sandales sur
lesquelles étaient brodés des cerfs. Le globe et l’épée, signes de majesté, étaient à ses côtés et l’on eût
dit que Frédéric allait se réveiller.

39. De tout temps, en effet, le symbolisme paraît s’être développé de l’axe ou, plus exactement, du
centre vers la circonférence. Ainsi en est-il pour le symbolisme floral (lotus, lis, rose), qui est un
rayonnement autour du centre. L’exemple classique, en la matière, est le lotus de la tradition
hindoue : figure centrée par excellence qui émerge de l’onde pour s’ouvrir aux rayons solaires. Mais,
fait plus important, et souligné par Guénon : « Lorsque la fleur est considérée comme représentant le
développement de la manifestation, il y a aussi équivalence entre elle et d’autres symboles, parmi
lesquels il faut noter tout spécialement celui de la roue, qui se rencontre à peu près partout. Les types
les plus habituels sont les roues à six ou huit rayons… » (Dans : Symboles fondamentaux de la
science sacrée, N. R. F., 1962, pp. 96-97.) Nous ne pouvons ici nous empêcher de penser au plan
bien particulier de Castel del Monte, dont la vue aérienne révèle la ressemblance de son architecture
avec celle d’une rose à huit pétales ou encore d’une roue à huit rayons.

40. René Nelli, Dictionnaire des hérésies méridionales, Privât, Toulouse, 1968, pp. 148-149.

41. Nous avons emprunté cette traduction du Gamaléon à Norman Cohn, dans : Les Fanatiques de
l’apocalypse, Paris, Julliard, 1962, p. 112.

42. Qui date de 1510 : on voit que la légende de Frédéric se perfectionnait avec les siècles…

43. René Nelli, op. cit., p. 149. L’auteur retrouve, avec raison, des influences manichéennes dans
cette prophétie.

44. Norman Cohn, op. cit., p. 301.

45. Ainsi peut s’expliquer la lutte de Napoléon contre Rome et son essai de réveil de l’ordre des
Templiers, en 1808. Rappelons que les pièces du procès des chevaliers du Temple furent transférées
du Vatican à la Bibliothèque nationale de Paris, par caisses entières (plus de 3001) et ne furent pas
toutes rendues après la chute de l’Empire. On peut supposer qu’elles ne furent pas perdues pour tout
le monde.

46. H. de Ziegler, Vie de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, Paris, 1935, pp. 215-216.

47. Il est à remarquer que Constance de Sicile mit son fils au monde non à Palerme mais à Jesi, une
petite ville située près d’Ancône. Empereur, son fils Frédéric II fêtera son lieu de naissance dans une
lettre magnifique : il appelait Jesi sa Bethléem et il mettait sur le même plan sa « mère divine » qui
l’avait mis au monde en ce lieu et la mère du Sauveur Jésus-Christ. Or, fait curieux et troublant, les
légendes firent état en 1294 du transport de la Vierge Marie par les anges, de Nazareth en Dalmatie,
puis à Loreto (district d’Ancône, à peu de distance de Jesi) : soit un demi-siècle après la mort de
Frédéric. La maison de la Vierge, ou Santa Casa, de Loreto (Lorette en français) est à peu près
invisible tant elle est recouverte d’une riche ornementation de marbre, dessinée par Bramante, à
l’extérieur, et de plaques d’or et d’argent à l’intérieur. Elle est, de plus, renfermée dans une église
construite par le même Bramante de 1464 à 1513. La ville de Loreto est le plus célèbre lieu de
pèlerinage de l’Italie. L’histoire présente, décidément, de bien troublantes coïncidences, puisque le
pape Pie VI dut puiser dans le trésor de la basilique pour satisfaire les exigences de Bonaparte et du
Directoire.
Chapitre 6 - Napoléon ou « L’Aigle vole au soleil »
Napoléon a été la dernière incarnation du dieu soleil, d’Apollon
(Frédéric NIETZSCHE).
Introduction
Napoléon fait tout naturellement suite à Frédéric II : l’idée de « messie
impérial », de rassembleur de l’Europe » est un trait d’union trop visible
pour que la rencontre de ces deux personnages soit autre chose qu’une
simple recette littéraire. Il faut regretter cependant l’esprit cartésien de nos
compatriotes qui ne peuvent se détacher des événements, car alors,
comment expliquer le génie en des termes humains ?
Récemment, l’histoire ayant voulu que l’on traitât du sujet lors de la
commémoration du bicentenaire de la naissance du grand homme, les
journalistes et historiens s’essayèrent dans l’art du « bonapartisme » et, bien
entendu, ne réussirent qu’à rendre plus obscur le personnage.
En effet, Napoléon Bonaparte demeure pour nous une énigme : plus on
parle de lui et moins on le connaît : cinquante mille ouvrages forment son
piédestal comme pour l’élever sans cesse au-dessus des critiques.
Nous n’avons pas la prétention ici d’épuiser un sujet sur lequel tant
d’écrivains (et non des moindres) se sont « cassé le nez ». Le génie n’étant
explicable qu’en termes transhumains, nous voulons lui donner un éclairage
original et peu connu : celui de I’astrologie au service de la cause
impériale1.
Combien d’écrivains ont-ils songé à replacer le « petit caporal » dans
une mystique solaire et occulte dont il forme un maillon éclatant ? Aucun à
notre connaissance, et pourtant…
Présents aux fêtes du bicentenaire, nous avons suivi avec intérêt les
émissions télévisées se rapportant au personnage.
Quelle ne fut pas notre surprise d’entendre un commentateur se gausser
des prétendus « signes solaires » dont la carrière de Napoléon était, paraît-
il, émaillée, et terminer son propos par cette boutade : « Austerlitz ? Et
pourquoi pas le roi-Soleil ? » Nous dédions les chapitres suivants à ce
commentateur : qu’il veuille y trouver, avec nos remerciements, la réponse
à la question posée par son subconscient.
Les signes du destin
Le 8 août 1769, soit sept jours avant la naissance de Napoléon, une
comète apparut qui fut étudiée à l’Observatoire de Paris par l’astronome
Missier.
L’effervescence qu’elle devait susciter nous apparaîtrait aujourd’hui
comme disproportionnée par rapport au phénomène… Il faut préciser
cependant que les « queues de siècle », comme les queues de comètes
d’ailleurs, sont toujours fertiles en agitations prophétiques et la nôtre
n’échappe pas (tant s’en faut !) à cette règle : ne sommes-nous pas dans
l’ère du Verseau ?
Le fait est que cette fameuse comète était de belle taille et qu’elle
annonçait, par conséquent (aux dires des astrologues et des mages de
l’époque), un bouleversement « en gestation »… Ils se montraient bons
prophètes en l’espèce, puisque les événements devaient leur donner raison,
mais a posteriori comme d’habitude dans ce genre de prédiction. Ces
« prophètes » n’étaient pas seulement des « Cassandre », puisqu’ils
annonçaient, au mois de septembre 17692, que la queue de la dite comète
(qui brillait d’un magnifique éclat) atteignait 60 degrés de longueur et
qu’elle s’approchait progressivement du Soleil… comme pour se confondre
avec lui… La naissance d’un nouvel Alexandre semblait chose imminente,
si ce n’était déjà chose faite…
Cette « étoile » de Napoléon, qui (déjà !) le mettait en relation étroite
avec l’astre de nos jours, devait se rappeler à lui avec d’autant plus
d’insistance qu’elle souligna les épisodes marquants de son séjour
terrestre…
Napoléon, sur ce point (et il est remarquable de le constater ici), non
seulement se référait sans cesse à « son étoile », mais, de plus, se
complaisait à tracer des comparaisons « astrologiques » qui nous laissent
aujourd’hui curieusement perplexes : « L’infortuné, je le plains !, écrit-il en
1791, alors jeune lieutenant d’artillerie inconnu, il sera l’admiration et
l’envie de ses semblables et le plus misérable de tous. Les hommes de génie
sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle3 », concluait-il
en parlant de l’homme de génie en général et de lui-même en particulier.
Véritable météore, sa trajectoire terrestre était, sans conteste, inscrite
dans les astres. Nous ferons grâce au lecteur de développer ici l’affirmation
de la Table d’Émeraude qui veut que « ce qui est en haut est comme ce qui
est en bas », affirmation soulignant que l’homme (microcosme) a sa
réplique (son répondant si l’on préfère) dans le système céleste (ou
macrocosme).
Bornons-nous à constater que, trois mois avant sa mort, une nouvelle
comète se rappela à l’attention de l’Empereur, alors captif de l’Anglais sur
le rocher de Sainte-Hélène. Aux premiers jours de février 1821, en effet,
une comète apparut au-dessus de cette île. Il est remarquable de souligner
qu’elle fut visible dans les deux hémisphères, c’est-à-dire dans tout l’océan
Atlantique, route suprême de Napoléon.
- Cette comète, écrit l’astronome Faye, a été découverte à Paris, le 11
janvier, et est devenue visible, à l’œil nu, en février, avec une queue de 7°
de longueur. Elle a été observée en Europe et, même, du 21 avril au 3 mai à
Valparaiso…
Les captifs de Sainte-Hélène n’ont pas manqué de l’observer, de leur
côté, et nous trouvons trace de cet événement dans le Journal du médecin
de l’Empereur : Antonmarchi. A la date du 2 avril 1821, on peut lire, sous
sa plume4 :
- J’arrivai au milieu du trouble où ce rapport avait mis Napoléon. « Une
comète ! » s’écria l’Empereur avec émotion. Ce fut le signe précurseur de la
mort de César… Je suis à bout, tout me l’annonce.
Le 5 mai, Napoléon expirait alors que l’astronome Faye nous révèle :
- Le jour de la mort de Napoléon, la comète devait être encore visible
avec une lunette à l’île Sainte- Hélène, en s’éloignant de plus en plus de la
Terre…
Quelques jours auparavant, poussé par on ne sait quelle volonté qui est
autre chose qu’un simple pressentiment, l’Empereur avait fait noter dans le
célèbre Mémorial de Sainte- Hélène : « Je suis une parcelle du rocher lancé
dans l’espace5. » L’élève officier qui écrivait dans son cahier de géographie
à Brienne : Sainte-Hélène, petite île, a la sensation qu’il a été lancé dans
notre monde comme on lance une pierre. L’écrivain russe qui semble le
mieux l’avoir compris est Dmitri Merejkovski ; n’écrit-il pas :
- Dans notre monde, il ne fait que continuer la parabole infinie
commencée dans un autre monde, là d’où il est lancé, et il traverse notre
sphère terrestre comme un météore6…
L’Empereur avait toujours ressenti ce lien charnel et mystérieux
(zodiacal, diraient les astrologues) qui l’unissait aux astres et au Soleil,
pièce maîtresse de notre mécanique céleste. De nombreux philosophes,
historiens et chercheurs ont senti également ce lien mystérieux : Nietzsche,
dont les visions démentielles effrayent notre pensée cartésienne, n’a-t-il pas
écrit : « Napoléon a été la dernière incarnation du dieu-Soleil, d’Apollon » ;
mais, plus près de nous, un génie comme Goethe a été proche de la vérité
intuitive : « La vie de Napoléon fut la vie d’un demi-dieu ; elle est toute
radieuse », nous pourrions y ajouter le qualificatif solaire que cette phrase
ne perdrait pas son sens mythologique. Bien au contraire, pour un occultiste
ou un ésotériste convaincu, le caractère « solaire » éclaire un grand nombre
de points historiques incompréhensibles sans cela : nous pensons au fameux
« contact » que ressentaient les fidèles, au « magnétisme », à l’aura
magnifique qui, aujourd’hui encore, nous empêchent de sonder cette
personnalité historique et humaine à la dimension quasi divine.
Ici encore, Dmitri Merejkovski nous livre une piste intéressante :
- Qu’a donc fait ce petit lieutenant pour mépriser ainsi les hommes ? Et
que veut-il signifier en disant que tous les hommes sont « la clarté de la
Lune » et que lui seul est « celle du Soleil » ? Nous ne le savons pas, mais,
mieux que tout autre, le savait peut-être ce vieux grenadier qui, par vingt
degrés de froid, marchait à côté de l’Empereur, à la Bérézina : « Tu as
froid ? — Moi, mon Empereur ? Allons donc, quand je vous vois, cela me
réchauffe… »
Et l’écrivain mystique russe conclut :
- Il sait, il sent de tout son corps qui se gèle que tous les hommes sont
froids, « lunaires », et que seul l’Empereur est chaud, « Solaire »7.
Ce vieux grognard ignorait que son général en chef, à peine âgé de dix-
sept ans, écrivait, pensant peut-être aux hommes qu’il devrait commander
plus tard :
- Ma vie m’est à charge, parce que je ne goûte aucun plaisir et que tout
est peine pour moi. Elle m’est à charge, parce que les hommes avec qui je
vis et vivrai probablement toujours ont des mœurs aussi éloignées des
miennes que la clarté de la lune diffère de celle du soleil8.
Nous avons eu l’occasion de revenir plus longuement sur l’aspect
symbolique et « polaire » des deux astres que sont le Soleil et la Lune.
Rappelons pour mémoire que la Lune est l’aspect féminin et froid de la
nature, alors que le Soleil représente le pôle chaud et masculin. Cette
dichotomie que l’on retrouve dans tout homme et jusque dans la divinité,
aux dires des théosophes, a de nombreux prolongements dans le domaine
intellectuel et intuitif : si nous prenons un exemple politique contemporain
de cette époque, la Convention et la Révolution française, fondées sur la
raison, ont un aspect lunaire pour tout occultiste de bonne foi et observateur
attentif des phénomènes cycliques.
Dompteur de l’hydre révolutionnaire et de la raison « lunaire »,
Napoléon sent en lui-même un chaos intérieur qu’il s’efforce de maîtriser :
Ah ! deux âmes habitent mon sein !… Deux âmes, deux consciences :
l’une diurne, éveillée, superficielle ; l’autre nocturne, endormie, profonde…
La seconde se meut suivant les lois d’une logique ignorée de nous, dans les
pressentiments, les visions, les intuitions, et donne à la civilisation un
aspect vivant, organique ou, comme auraient dit les anciens, magique9.
« J’ai porté le monde sur mes épaules », confiait-il dans son Mémorial
(III, p. 514) et peut-être est-ce bien grâce à sa magie que l’Europe a vécu si
longtemps sur son héritage. C’est peut-être grâce à elle que l’armée entière
n’était qu’un seul corps, une seule âme dans ses mains :
- Le sultan français est un sorcier qui tient ses soldats liés par une grosse
corde blanche et, selon qu’il la tire d’un côté ou d’un autre, ils vont à droite
ou à gauche, se remuant tout d’une pièce10.
Tel est le jugement que portaient les mameluks égyptiens au lendemain
de la victoire des Pyramides,
Cette « corde blanche », c’est la puissance magique du verbe : de Thèbes
à Moscou, Napoléon, dernier héros solaire de son époque, accomplit lui
aussi le chemin du Soleil qui mène de l’Orient à l’Occident avant de
prolonger sa course dans l’Océan comme pour retrouver son élément
premier. Il naquit dans une île, lutta toute sa vie contre une île, fut déporté
dans une autre et mourut à Sainte-Hélène… Sainte-Hélène, petite île de
l’Atlantique austral.
Il est un mage, metteur en scène de pièces gigantesques où l’on se
demande si le héros est un « charlatan », un « demi-dieu » ou un « initié ».
Une telle personnalité ne souffre pas la critique, tellement elle est au-
dessus du jugement humain : il se permet de signer le livre des visiteurs du
monastère du mont Sinaï, lors de la campagne d’Égypte, et son nom fait
tout naturellement suite à celui d’Abraham.
Il joue un rôle et ne se réveille qu’avant de comparaître devant son
Créateur : il refuse de prendre des remèdes, son fatalisme réapparaît sur son
lit de mort, car si son œuvre est tournée vers l’avenir, le personnage, lui, est
tourné vers le passé : « Ce qui est écrit est écrit », déclara-t-il à Sainte-
Hélène, rejoignant en cela les pensées du grand Hermès. A la veille de la
campagne de Russie, à son oncle, le cardinal et primat des Gaules, Fesch,
qui le morigénait en lui reprochant de s’attaquer à Dieu, c’est-à-dire à
l’Église romaine, Napoléon répondit en l’entraînant vers la fenêtre du palais
de Fontainebleau où le ciel d’un midi de décembre rendait pâle la voûte
céleste :
- Regardez là-haut, voyez-vous quelque chose ?
- Non, je ne vois rien, lui répondit Fesch.
- Eh bien, sachez donc vous taire ; moi, je vois mon étoile : c’est elle qui
me guide11.
Son oncle le regarda et ne comprit jamais que la grande étoile dont
parlait son neveu, en plein midi, ne pouvait être que le Soleil.
Et nous ne pouvons que faire nôtre les derniers mots que l’écrivain
mystique et théosophe, Merejkovski12, consacrait à son « dieu » :
Napoléon est le dernier héros de l’Occident :
Arrivés à l’Occident du Soleil
Apercevant la lumière du soir
Nous célébrons le Père, le Fils et l’Esprit-Dieu !
chantaient les chrétiens des premiers siècles ; nous ne célébrons plus
personne, en contemplant la lumière vespérale de l’Occident qui auréole
d’un nimbe de gloire notre dernier héros. La lumière du soir est derrière
lui : voilà pourquoi son visage est si obscur, si invisible, si inconnu pour
nous, et pourquoi, à mesure que la lumière s’éteint, il devient de plus en
plus obscur, de plus en plus inconnu. Mais peut-être n’est-ce pas en vain
qu’il est tourné vers l’Orient [sa position dans le Sarcophage des
Invalides…] : le Soleil levant l’éclairera de son premier rayon et alors nous
le verrons et nous le connaîtrons13.
La voie solaire
Il a fallu attendre la parution des Manuscrits inédits du grand homme
pour retrouver l’influence des mythes solaires qui le possédèrent, tout jeune
encore, et qu’il transcrivit à Brienne et à Auxonne, sa seconde ville de
garnison. L’inconscient mythique qui l’habitait, il nous l’a fait partager dans
son original récit que l’on pourrait intituler : « la Gorgone »…
Dans ce manuscrit, qui a trait à la « vendetta collective » du peuple corse
contre son conquérant, le peuple français, Bonaparte exhale sa haine contre
les oppresseurs de son pays et ne tarit pas d’éloges sur ceux qui allaient
devenir plus tard ses pires ennemis ; les Anglais, alors fidèles soutiens de la
cause corse en Méditerranée.
Mais voyons quel est le thème de ce récit qui est sorti tout enfiévré de
l’imagination délirante du jeune corse exilé loin de sa terre natale.
Le conteur de cette aventure est sujet de Sa Majesté britannique,
embarqué à Livourne pour se rendre en Espagne. Notre héros est contraint
d’accoster dans une petite île, non loin de la Corse, île totalement
inhospitalière et battue par les fureurs de la mer Tyrrhénienne. Il plante sa
tente et s’endort sans appréhension tant il a été séduit par la majestueuse
solitude des lieux… et tout à coup c’est le drame : sa tente s’enflamme
tandis qu’une voix prophétique lui hurle aux oreilles : « Malheureux ! Tu
périras ! » Réveillé en sursaut et passablement affolé (on le serait à moins !)
notre Anglais parvient, à grand-peine, à se mettre hors de portée du sinistre
et apprend, avec surprise, que l’île est habitée par un couple de Corses qui
ont fui leur continent : un vieillard et son unique fille. Partant à leur
recherche, il finit par les découvrir avec l’aide de son équipage et apprend
le nom de l’île où ils ont débarqué : c’est l’île de la Gorgona (île de
l’archipel toscan au nord du cap Corse). Apprenant qu’il est Anglais, le
vieillard le reçoit comme son hôte et excuse sa fille qui l’a pris pour un
Français ! Nous pénétrons alors, à la suite de l’ésotériste Bonaparte, dans un
monde de sacrifices solaires.
Le vieillard s’est battu, durant de longues années, contre les conquérants
de son pays : Génois, Autrichiens et Français. Lorsque ces derniers eurent
écrasé les Corses à Ponte-Nuovo, il quitta l’île et se réfugia à la Gorgona où
sa dernière fille vint le rejoindre. Sa famille ayant été entièrement
massacrée, il résolut de poursuivre sa guérilla et massacra les rescapés des
nombreux navires français qui venaient se fracasser sur les récifs de l’île :
« Lorsque leurs bâtiments se brisent contre les rochers de l’île, après les
avoir secourus comme hommes, nous les tuons comme Français… »
Réfugié dans un monastère désaffecté, se nourrissant de glands et de
poissons, l’irascible vieillard poursuit sa terrible vengeance jusqu’au jour
où un événement imprévisible se produit :
- L’année passée, un des bateaux qui font la correspondance de l’île de
Corse avec la France vint échouer ici. Les cris épouvantables de ces
malheureux m’attendrirent… J’allumai donc un feu vers l’endroit où ils
pouvaient aborder et, par ce moyen, je les sauvai… Ils me reconnurent
comme Corse et prétendirent me conduire avec eux… Ils firent plus, ils
m’enchaînèrent…
J’allais expier par les supplices ma fâcheuse mollesse… Mes ancêtres
irrités se vengeaient de ce que j’avais trahi la vengeance due à leurs mânes.
Cependant, le ciel, qui connaissait mon repentir, me sauva. Le bâtiment fut
retenu sept jours. Au bout de ce terme, ils manquèrent d’eau. Il fallait savoir
où l’on pourrait en puiser. Il fallut me promettre la liberté. L’on me délia. Je
profitai de ce moment et j’enfonçai le stylet de la vengeance dans le cœur
de deux de ces perfides. Je vis pour la première fois, alors, l’astre de la
nature (il s’agit du Soleil). Que sa splendeur me parut brillante ! Cependant,
ma fille était à bord, garrottée… Je me revêtis de l’habit d’un des soldats
que j’avais tué. Armé de deux pistolets que je trouvai sur lui, de son sabre,
de mes quatre stylets, j’arrivai au bâtiment. Le patron et un mousse furent
les premiers qui sentirent le glaive de mon indignation. Les autres
tombèrent également sous le coup de ma fureur… Nous traînâmes leurs
corps au pied de notre autel et là, nous les consumâmes. Ce nouvel encens
parut être favorable à la divinité14.
Ainsi que le note si justement Merejkovski :
- Nouvel encens ? Non, très ancien. Seuls les rochers primitifs de la
Gorgona se souviennent encore de ces temps où l’on faisait des sacrifices
humains à Moloch, à Baal, à Samas, et aux autres dieux soleils, plus anciens
encore — d’une Antiquité peut-être antédiluvienne15. C’est ce sacrifice
sanglant qui souille l’autel chrétien (de la chapelle désaffectée) où jadis se
célébrait le sacrifice pur du sang. Le vieux Corse de l’histoire ne voit pas le
Soleil : « Les malheurs qui ont empoisonné mes jours m’ont rendu la clarté
du Soleil importune. Il ne luit jamais pour moi… », il vit dans les ténèbres,
tant qu’il n’a pas enfoncé le couteau, comme le prêtre de Moloch, dans le
cœur de la victime humaine : alors seulement le Soleil resplendit de
nouveau à ses yeux… et Merejkovski ajoute :
- Il n’est que trop évident qu’un homme dont de telles pensées, de tels
blocs enflammés traversent l’âme, comme des météores dans la nuit, n’est
ni corse, ni italien, ni français, ni européen, ni même un homme de notre
histoire, ni peut-être de notre éon cosmique. Nourrisson d’autres siècles,
« solaire », il étouffe dans ce siècle « lunaire », où le Soleil vieillissant est
pâle comme la Lune. Il nous écrase involontairement par sa pesante
énormité, tel un monstre antédiluvien16.
Cette voie solaire dont parle Merejkovski, Bonaparte devait attendre huit
ans encore, avant de la redécouvrir, dans le jardin des Tuileries, alors que
son regard se portait sur un placard ainsi conçu :
***
BONAVENTURE GUYON, PROFESSEUR
DE MATHÉMATIQUES CÉLESTES,
13, rue de l’Estrapade, 13
donne des consultations infaillibles sur tout ce qui peut intéresser
I’avenir heureux ou malheureux des citoyennes et citoyens de Paris. Il
prédit, en particulier, les futurs triomphes de la Patrie. Il révèle aux jeunes
filles le séducteur qui les menace, et l’époux qui ferait leur bonheur. Il
dévoile aux parents la carrière dans laquelle leurs fils trouveront la fortune
et la célébrité. Et pour ces prophéties patriotiques, il n’accepte qu’une
rétribution volontaire, et dans le cas seulement où il a prouvé sa science des
choses futures par la très exacte révélation DES CHOSES PASSÉES.
s’adresser TOUS LES JOURS
DANS LA MAISON SUSDITE DEPUIS LE LEVER JUSQU’AU
COUCHER DU SOLEIL
Le Cabinet de consultation est au dernier étage, en face l’escalier
13, rue de l’Estrapade, 13
***
Sans s’en douter l’occultisme venait de lui faire signe et s’apprêtait à lui
révéler la prodigieuse aventure dont il allait être le héros. Officier sans
affectation et, donc, libre de tout engagement, Napoléon se dirigea sans plus
tarder vers la rue de l’Estrapade…
L’oracle du destin
C’est sur ce plateau de la montagne Sainte-Geneviève que se situait la
rue de l’Estrapade ; l’ayant repérée, Bonaparte se dirigea vers le n° 13 et
entreprit d’escalader les marches. Il reprit son souffle, car l’ascension, au
cinquième étage, ne semblait pas terminée : une échelle de meunier
conduisait plus haut encore, à une espèce de soupente… L’ayant gravie, il
entreprit de frapper plusieurs coups secs à la porte du galetas. Nous étions
le mercredi 12 août 1795…
Un être innommable vint lui ouvrir :
- Depuis trois ans qu’il perchait, comme une cigogne antique, entre les
cheminées de la rue de l’Estrapade, le père Bonaventure ne s’était lié avec
personne… L’étude, toujours l’étude, c’était son mets favori, et il s’en
régalait au-delà de toute plénitude… On eut donc vainement cherché à
savoir quelles étaient sa profession d’autrefois et ses ressources
d’aujourd’hui17.
A la vue de cette apparition, le visiteur se demanda ce qu’il pouvait bien
faire, et surtout ce qu’il était venu chercher chez cette ruine humaine. La
conversation s’engagea, cependant, et le vieillard (il avait soixante-seize
ans) entreprit, pour le mettre en confiance, de lui raconter sa vie : véritable
roman d’aventures.
Né en 1720, il embrassa la carrière ecclésiastique et fut nommé, sous le
règne de Louis XV par bulle spéciale du pape, de l’abbaye de la Trappe au
poste de prieur de l’abbaye de Lagny en 1763.
Très tôt initié aux arcanes de la kabbale, il croyait au jugement sans
appel des douze maisons solaires sur le Zodiaque hermétique : l’homme
étant appelé à créer en lui-même l’image de Dieu et à se diviniser par
degrés. Étant tombé très tôt sur des documents magiques et, en particulier,
sur un petit opuscule portant le nom de tarot, ou oracle samaritain, rédigé
par quelques lévites juifs, échappés à la captivité de Babylone, et donc
héritiers des antiques secrets des mages chaldéens, le père Bonaventure se
vit détenir la suprême connaissance.
Il commença par tirer des horoscopes pour les personnalités en vue de la
cour et ce, avec le plus grand succès. Malheureusement pour lui, les
bavardages indiscrets de l’évêque de Senlis éveillèrent contre le prieur de
Lagny la colère de Mme du Barry, en dépit de laquelle, dom Bonaventure
Guyon (car c’est là son véritable nom) tentait de prévenir le roi.
La hiérarchie ecclésiastique chargea Mgr de Rohan d’enquêter sur ce
mystérieux prieur de l’ordre des bénédictins. Le cardinal vit tout le parti
qu’il pouvait tirer de la situation et surtout des dons de divination et
d’interprétation de ce curieux personnage ; il lui demanda donc quelle
serait, à son avis, la marche de la royauté dans l’année en cours18.
Comme en 1774, ces prédictions s’étaient réalisées : Louis XV était mort
et Mgr de Rohan était devenu premier aumônier du roi ; son éminence vint
à nouveau consulter le mage sur l’avenir du nouveau règne auquel il avait
lié son destin. Le moins qu’on puisse en dire est que l’avenir du nouveau
règne n’était pas rose !
« Le Roi se garde d’être mis à mort par sentence judiciaire avant
quarante ans.
- Mais, s’indigna le premier aumônier, on ne condamne pas les
souverains à mort ?
- Souvenez-vous de Charles Stuart ! Du reste, monseigneur, voici
l’horoscope de monseigneur le Dauphin tel que je l’ai établi l’an dernier
après votre visite. »
Et, point par point, dom Guyon expliqua au prélat le principe de
l’horoscope d’après les règles immuables des mathématiques célestes dont
il consentit à lui dévoiler le mécanisme.
Atterré, le cardinal de Rohan demanda : « Mais comment le roi pourra-t-
il échapper à cet affreux destin ?
Nous allons essayer d’un autre procédé pour vérifier le sinistre présage :
Voulez-vous, monseigneur, écrire sur cette feuille de papier les noms et
qualificatifs de Sa Majesté ? »
Le Cardinal écrivit :
LOUIS XVI AUGUSTE, DUC DE BERRI, ROI DE FRANCE ET DE
NAVARRE.
Le Prieur contempla ce texte puis, biffant les lettres, il les retranscrivit
au-dessous en un ordre différent. Il contempla son œuvre et, la plaçant sous
les yeux du cardinal :
« Regardez ces lettres, monseigneur, elles traduisent elles-mêmes le sort
du prince : de Louis XVI navrera et décidera de funeste augure. Ce qui veut
dire que le nombre 16 indique son sort, et XVI est l’arcane du tarot qui
s’exprime par la tour décapitée ! Mais il reste 4 lettres inemployées, je les
traduis : DONC CONDAMNATION BOURBON ROI
Certains de nos pères préféraient employer le latin, plus concis, pour ces
lettres isolées… mais je n’ose…
« Parlez, je vous en conjure.
Damnatur capite belli reus (condamné à avoir la tête tranchée pour
chose de guerre) : faut-il vous traduire ?
Mais comment sauver le roi ?
En le persuadant d’abdiquer. Le présage concerne davantage le roi Louis
XVI que l’homme.
Vous êtes fou !
Puisque vous me parlez ainsi, souffrez que je considère cet entretien
comme terminé, répliqua sèchement le prieur.
Vous savez quelles accusations ont, l’an dernier, pesé sur vous, monsieur
le prieur ? Voulez-vous que s’y ajoute celle de comploter contre le roi ?
Je n’ai rien à ajouter, monseigneur, nous sommes entre les mains de
Dieu. Craignez plutôt pour vous qui refusez d’en écouter les avis… Votre
destin à vous aussi est en jeu19… »
Furieux, le Cardinal remonta en voiture… Quelques jours plus tard, un
officier de la maison du roi, muni d’une lettre de cachet, venait arrêter dom
Guyon pour le conduire à la Bastille où, pendant quinze longues années, il
eut le loisir de méditer sur le danger d’avertir les puissants de la Terre des
coups que leur réserve le sort20.
« Hermétiquement » claquemuré dans la tour de la Bertaudière, le prieur
des bénédictins de Saint-Pierre de Lagny put prévoir, avec quinze ans
d’avance sur les événements, l’heureux dénouement de cette première
aventure.
Le 14 juillet 1789, en effet, il fut l’un des sept prisonniers de la Bastille
délivré par la révolte commençante et promené triomphalement dans les
rues de Paris.
Malheureusement pour lui, la Constitution de l’an II, et avant elle la
Révolution française, avait supprimé les ordres monastiques et confisqué
les biens du clergé ; dom Bonaventure Guyon se vit réduit à la misère. Il ne
lui restait plus qu’à mettre son talent de devin à la portée du peuple lui-
même. Il faut croire que l’ambition est proportionnelle à la situation sociale
occupée, car les clients furent rares et la position financière de notre ermite
ne tarda guère à devenir critique. Ce fut ce moment-là que Bonaparte
choisit pour lui rendre visite — tellement son avenir lui paraissait sombre.
Le jeune général, mis en confiance par le récit des aventures du ci-devant
prieur, accepta de jouer le jeu ; mais laissons Christian, bibliothécaire de
Napoléon III et occultiste de talent, nous raconter cette consultation :
…Vous vous nommez donc Napoléon Bonaparte, rien de plus. Quel est
votre pays ?
L’île de Corse,
Vous êtes Italien ?
Non pas !… Je suis Français ! monsieur de Lagny, tout à fait Français !
Sans doute, sans doute, depuis 1768 ; mais cela ne vous empêche point
d’avoir une physionomie toute romaine, monsieur Bonaparte. Je ne suis
point ignare en histoire universelle, et le nom que vous portez est de haute
origine patricienne : c’est là une chance d’état que l’astrologie ne peut
négliger. Mais, d’abord, vos noms sont italiens, je dirais même presque
latins, car l’italien, comme le français, n’est guère que du latin
transformé… napoleo bona parte fruitur (« Napoléon se fait la bonne
part », la part du lion). Qu’en dites-vous? Ce nom de Bonaparte, en sa
vieille étymologie, bona parte, c’est presque un horoscope… Prenez cette
carte, elle contient les lettres de notre alphabet avec les nombres qui leur
correspondent… Calculez vous-même Napoléon et BONAPARTE…
Ce dernier tira de sa poche un crayon, et opéra sur le revers d’une page
du fameux manuscrit du père Guyon.

« A merveille, monsieur Bonaparte, reprit l’ancien bénédictin… Vous


êtes né en 1769, et vous savez que le 15 août correspond, sur le calendrier
thébaïque, au 23e degré du Lion. Formons l’échelle de ces nombres
mystérieux. 1769, année de la nativité ; + 5, nombre du Lion ; +2 + 3,
signes générateurs de 23, nombre du degré ; +1+3 + 5, générateurs de 135
— napoleo — ; +1+7 + 8, générateurs de 178 (Bonaparte), = 180421.
1804 ! s’écria Bonaparte. Je demande, comme monsieur de Rohan, ce
que cela signifie ?
Et je réponds, comme je répondais, en 1773, à l’évêque de Canope (titre
du duc de Rohan) : c’est une date et un symbole ; c’est le pôle opposé à
1769 ; c’est le haut ou le bas de l’échelle de la fortune. Contenez un peu
votre impatience… Or, cher monsieur, retenez bien ceci : le cœur du Lion
au 23e degré du Lion a le titre mystérieux d’étoile royale ; c’est l’indice
d’une haute ascension de fortune, et son présage en votre faveur ne
laisserait rien à désirer si le Soleil se trouvait en la première maison. Quoi
qu’il en soit, cette étoile vous dote de force d’âme pour aller au-devant de
l’avenir. L’étoile de Persée vous a fait aventureux et vous risquerez de
périlleuses témérités. Pégase vous rend ambitieux, bizarre en vos idées,
vaniteux, passez-moi cette déclaration : vous pouvez vous corriger. L’étoile
du Poisson austral confirme votre ascension de fortune, mais la coupe vous
menace de boire la lie du malheur. Le décan qui préside aux degrés 21 à 30
du Lion est le XVe dans le cycle du Zodiaque thébaïque. Il annonce
caractère inflexible dans le sentiment du droit, et opiniâtreté dans les
desseins, même au risque de se perdre. Ce décan est un esprit planétaire de
Mars, et il porte, avec le nombre de typhon, une menace de fatalité.
L’esprit de 3e (troisième) hiérarchie qui préside au degré astral de votre
nativité est figuré, dans les hiéroglyphes, par un homme à deux têtes,
regardant à la fois devant et derrière lui. C’est le présage d’une intelligence
puissante qui embrassera d’une même intuition le passé et l’avenir…
Vous me flattez, monsieur Guyon…
Je dis ce que je lis dans le langage des signes sacrés, voilà tout. Quel
intérêt aurais-je à vous flatter ? Nous ne nous reverrons peut-être jamais !…
Sept jours avant votre naissance, dans la nuit du 8 au 9 août, une grande
comète apparut dans les cieux. Elle fut aperçue par l’astronome Messier, de
l’observatoire de la Marine22, et vous en trouverez l’examen scientifique
dans les mémoires de l’Académie des sciences, imprimés en 1775, page
444, avec une carte de son cours, calculé à Paris, à Bologne, à Ténériffe, à
Cadix et à l’île Bourbon. Cette comète, qui se manifesta vers la fin du
Bélier, parcourut 242 degrés avant de s’immerger dans les rayons du Soleil.
Les comètes, comme les planètes, ne sont point causes, mais signes
annonciateurs des événements. L’astrologie apprécie ces phénomènes ignés
selon les maisons solaires et les régions de l’horoscope où commence, se
poursuit et s’achève leur évolution. Nous verrons tout à l’heure en quoi
celle-ci peut influer sur votre avenir : j’écris sa note sidérale à la fin du
Bélier (maison IX) et le 242e degré de sa course marque son extinction dans
la maison V. Votre figure généthliaque est complètement érigée. J’y
aperçois, au premier coup d’œil, deux grands contrastes, ascension et
chute…
Et, comme le prieur, instruit par l’expérience, ne voulait pas continuer
dans la voie des confidences qui risquaient de devenir dangereuses, le futur
empereur lui répondit : « Monsieur le prieur, je me crois plus d’aplomb que
n’en montrait monsieur de Rohan. Je ne veux pas tenter la providence, mais
je serais cependant heureux de pouvoir épeler quelques mots dans le livre
de ses desseins sur moi. Je me souviens qu’à son lit de mort, mon oncle,
l’archidiacre Lucien, qui n’était pas un petit esprit, disait à mes parents
assemblés autour de lui à ses derniers moments :
« Vous n’avez pas besoin de songer à la fortune de Napoléon, il la fera
lui-même. Joseph, ajouta-t-il en s’adressant à mon frère aîné, tu es l’aîné de
la famille, mais n’oublie jamais qu’il en est le chef. » On dit, monsieur le
prieur, que les mourants ont parfois la faculté d’entrevoir l’avenir des êtres
qui leur survivent. Mon oncle l’archidiacre n’a prophétisé qu’à moitié. J’ai
conquis au pas de course les épaulettes de général de brigade, mais me voilà
destitué par les intrigants qui mènent le ministère de la Guerre. Ascension et
chute, voilà mon horoscope accompli ; à moins que je ne relève ma fortune
en allant prendre du service chez le grand Mogol. Au surplus, l’Orient me
sourit ; depuis que je n’ai rien à faire, je dévore des récits de voyages et, ma
foi, la première occasion aidant, j’irai voir s’il y a encore des mages du côté
de l’Euphrate et de l’Indus. Voyons donc, monsieur le prieur, si mon voyage
sera plus heureux que celui du pauvre Louis XVI. »
Encouragé par cette réponse, le vieil homme continua son exposé du
thème astrologique :
Prenant le nombre 1804, ou somme de votre horoscope, je dispose ses
générateurs 1 + 8 + 0 + 4 sur les points de l’étoile (ou sceau de Salomon),
en commençant par le sommet, et allant de droite à gauche ; le générateur 4
est donc au fond du ciel. Procédant ensuite de la même manière, en allant
de gauche à droite, je place 8 et 0 sur les deux rayons vides, et j’obtiens une
figure autour de laquelle on lit 1804 en descendant du sommet vers la droite
ou vers la gauche. Indifféremment. La somme des 6 rayons du sceau de
Salomon, obtenue par le rapprochement des générateurs l + 8+ 0 + 4 + 0 +
8, égale 21. Le cycle des maisons solaires étant de 12, le restant de 21,
c’est-à-dire 9, me révèle que vous êtes entré dans la vie par la porte des
voyages, maison IXe de l’horoscope, voyager est, et sera un des principaux
caractères de votre existence, et vos voyages seront éclatants, car la comète
part de la maison IX pour se conjoindre, dans la maison X, à Jupiter,
symbole de la fortune majeure.
Le fait est, reprit Bonaparte, que, depuis mon enfance, j’ai bien voyagé.
D’abord, de la Corse à Brienne, puis à Paris ; de Paris à Valence ; puis au
siège de Toulon… Qu’est-ce que Dieu veut faire d’un général comme moi ?
Je vais vous le dire de sa part, puisqu’il lui a plu de vous amener à moi.
Dans le manuscrit que vous avez devant vous et qui contient une partie des
secrets que j’ai tirés du livre, aujourd’hui disparu, de Siméon bar Jochaï23,
l’arcane XXI du 10e cercle de la R + C, est une couronne d’or fleuronnée
de 7 étoiles, symbole de la plus haute élévation à laquelle un homme puisse
aspirer. C’est le talisman suprême de la fortune qui annonce à son
possesseur que tous les obstacles s’effaceront de sa route, et que l’ascension
de ses desseins n’a de limites que celles de sa volonté. Eh bien, monsieur
Bonaparte ce nombre 21, qui marque pour vous le sceau de Salomon, c’est
le signe de votre avenir pour 1804 (1 +8 + 0 + 4 + 0 + 8 = XXI). Vous
n’avez qu’à vouloir.
Allons donc ! Et que puis-je vouloir au milieu de cette pétaudière
politique où nous vivons ? Que puis-je espérer d’une Révolution qui, lasse
de guillotiner ses généraux, brise leur épée devant l’Europe en armes ?…
Encore une fois, monsieur, vous n’avez qu’à vouloir, et, la Révolution,
vous la mènerez en laisse avec la bride de votre cheval de bataille. Si vous
ne savez pas lire dans le livre des sorts, apprenez donc de moi à y épeler
l’avenir !… Révolution française, monsieur Bonaparte, voulez-vous savoir
tout de suite, et avant tout horoscope, ce que signifient pour vous-même ces
deux mots retentissants comme le canon des victoires ?… Prenez cette
plume… écrivez la prophétie contenue dans ces 19 lettres :
RÉVOLUTIONFRANÇAISE
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
Ces 19 lettres se combinent par des transpositions qui atteignent le
nombre de : 121, 610, 900, 408, 832, 000. Il faudrait être plus fort que vous
en mathématiques, avouez-le, pour découvrir sur le champ celle de ces
transpositions qui est précisément l’horoscope de la Révolution
française ?… Écrivez donc encore les nombres que je vais vous dicter : 6-
14-15-4-1-18-19-3-9-7-2-5-13-11-17-10-8-12-16. Rapprochez les nombres
des lettres et lisez !
Bonaparte écrivit, au-dessous des nombres, les lettres correspondantes
des deux mots : RÉVOLUTION FRANÇAISE, et lut à haute voix :
UN CORSE VOTÉ LA FINIRA
« C’est exactement cela, et vous êtes Corse, monsieur Bonaparte !…
s’écria l’ancien bénédictin. Soyez en donc certain : vers 1804, la
République française vous votera la couronne d’or fleuronnée de 7
étoiles !… »
Et la voix frémissante de dom Bonaventure Guyon vibrait comme l’écho
d’une fanfare sous le dôme indigent où la magie saluait le césar de
l’avenir… A ces mots, Bonaparte regarda une dernière fois le vieillard,
bondit de son siège et, jetant quelques pièces sur la table bancale, dévala
quatre à quatre les escaliers, au risque de se rompre le cou, en pensant :
« Cet homme est fou! » Ou plus simplement encore : « C’est un escroc ! »
Nous pouvons être certains que, durant cette descente vertigineuse dans les
ténèbres de l’escalier, jamais le jeune général, qu’un bureaucrate venait de
rayer des contrôles de l’armée d’active (!), ne songea que le vieux
Bonaventure ait pu lui dire la vérité.
Les événements ne devaient pas tarder à lui prouver le contraire,
puisque, le 5 octobre 1795, nommé général de la garnison de Paris, il devait
écraser, à l’aide de ses maigres troupes, 40 000 insurgés royalistes qui
voulaient renverser la République.
Au mois de mars de l’année suivante, le commandement en chef de
l’armée d’Italie allait lui ouvrir les portes de la gloire militaire. Il lui restait
à accomplir le rêve de sa jeunesse : la confirmation égyptienne.
La Confirmation égyptienne
Ayant rejoint son régiment à Valence, alors jeune lieutenant, Bonaparte
se jetait à corps perdu dans l’étude de l’Égypte antique : on a retrouvé les
cahiers sur lesquels il a couché quatre cents pages de notes de son écriture
enfiévrée.
Les extraits les plus complets portent sur les mesures de la Grande
Pyramide et sur le rêve brisé d’Alexandre :
« En face de l’Égypte, située entre deux mers, en réalité entre l’Orient et
l’Occident, Alexandre le Grand conçut le plan d’y transporter le siège de
son empire et de faire de l’Égypte le point central du commerce du monde.
Ce conquérant éclairé comprit que, le seul moyen de réunir toutes ses
conquêtes en un État, l’Égypte le lui offrirait en reliant l’Afrique et l’Asie à
l’Europe. » Ces mots, il les a lus si souvent que, trente ans plus tard, il s’en
souviendra encore 24.
Lors de ses visites au père Bonaventure Guyon, le lieutenant, devenu
général de l’armée de l’intérieur, montrera son intérêt pour la kabbale et les
clés de l’hermétisme égyptien. C’est là qu’il faut chercher, en partie,
l’attrait pour le « mirage égyptien » du futur empereur.
La traversée de la Méditerranée nous renseigne sur son état d’esprit :
entouré des savants qu’il a fait embarquer avec ses troupes en direction de
la patrie des pharaons, il anime des débats où les mêmes thèmes reviennent
sans cesse : la possibilité de l’existence d’habitants sur les autres planètes,
le problème de la création du monde… A Monge et à Laplace qui
s’évertuent à lui expliquer que tout dans la nature a été créé de façon
raisonnable, Bonaparte rétorque, en montrant les étoiles : « Vous avez beau
dire, Messieurs, qui a fait tout cela ? »
L’officier, qui avait été troublé, le mercredi 12 août 1795, par l’oracle
qui lui avait révélé : « Dans cinq ans, vous serez le maître de la France, et
avant dix ans toute l’Europe sera à vos pieds », se rappelait l’initiation aux
mathématiques célestes sur lesquelles le père Bonaventure fondait ses
horoscopes.
L’armée s’engagea donc sur cette terre d’Égypte à la suite de son général
pour découvrir le fameux « Zodiaque noir » de Denderah en Haute-
Égypte25.
Il foule ces déserts, tombeaux des villes mortes Abydus, Selimon, Luxor,
Thèbes aux cent portes ;
Le vieux temple d’Hermès, dont le long corridor
Brille d’un vif azur, semé d’étoiles d’or ;
Tentyris, qui gardait sous sa voûte profonde
Le Zodiaque noir, contemporain du monde ;
En vain dans ses caveaux les prêtres l’ont caché ;
Comme un tableau mouvant Desaix l’a détaché,
Et l’œuvre constellé d’un magique astronome
Est promis par l’Égypte à la nouvelle Rome.
Louvre, palais du monde, éternel Panthéon,
Meublé par la Victoire et par Napoléon !
Un jour sur le pavé de tes pompeuses salles,
Les Sphinx allongeront leurs griffes colossales ;
Le Zodiaque noir, gigantesque débris,
De son disque étoilé chargera tes lambris ;
Nos fils sauront alors quelle puissante fée
Aux murs de Tentyris a ravi ce trophée,
Bulletin de granit où leurs braves aïeux

Ont mêlé leur histoire à l’histoire des cieux26.


Ce Zodiaque noir qui, exposé par la suite à la Bibliothèque nationale,
devait soulever les plus vives controverses quant à sa date de construction :
certains n’hésitant pas à en faire le dernier legs d’un continent disparu.
Oui, l’armée suivait cet homme qui déclarait aux habitants du Caire, le
21 décembre 1798 :
Je pourrais demander compte à chacun de vous des sentiments les plus
secrets du cœur, car je sais tout, même ce que vous n’avez dit à personne ;
mais un jour viendra que tout le monde verra avec évidence que je suis
conduit par des ordres supérieurs et que tous les efforts humains ne peuvent
rien contre moi. Heureux ceux qui, de bonne foi, sont les premiers à se
mettre avec moi27.
Les musulmans, fatalistes, ne s’y trompaient pas, qui voyaient dans sa
personne un signe du destin : ils le surnommèrent le « sultan Kébir », « le
maître du feu ». Il peut être utile de rappeler l’image qu’il a voulu laisser de
lui-même à la postérité :
Oui, j’avais dérobé le feu du ciel pour en doter la France, le feu est
remonté à sa source et me voilà28 !

Ce feu, était-il allé le chercher dans le sanctuaire d’Osiris29, le grand


dieu des Morts ? Ce fut en effet l’un des membres de l’Institut d’Égypte,
créé pour étudier sur place les vestiges de cette antique civilisation, qui
proposa au général en chef de s’entretenir avec un des prêtres d’Osiris,
découvert par lui dans les ruines d’un temple où officiaient encore en secret
— devant de rares adeptes — les hiérophantes de l’ancienne religion.
Point par point, le mystagogue confirma la prédiction du prieur de
Lagny :
« Un vieillard de mon pays m’a dit la même chose à Paris, en 1795, alors
que, disgrâcié, sans emploi ni solde, je vendais mes livres pour manger.
Retourne en ton pays, noble étranger, et retrouve l’initié qui t’a fait ces
révélations ; elles ne peuvent émaner que d’un tenant de votre antique
religion, parente de la nôtre30. D’ailleurs je vais tenter d’entrer en
communication avec vos prêtres. Le lotus et le gland sont symboles
équivalents.
Et cet hiérophante a pu…
Tous les initiés aux vérités éternelles peuvent converser entre eux à
travers le temps et l’espace31. »
De Perrière à Memphis, sur les ondes invisibles, les pensées
s’échangèrent. Bonaparte fut mis au courant de la situation lamentable où se
trouvait la France, mais, sceptique, il se refusait à croire les renseignements
que cet obscur survivant d’un culte périmé pouvait lui transmettre.
Pourtant, les nouvelles qu’il reçut de France, le 15 thermidor an VII (2
août 1799), par des journaux apportés par un aviso anglais, lui confirmèrent
les dires du prêtre d’Osiris32.

Mais le futur empereur tenait à sa conquête égyptienne33 : son rêve


d’imperator mundi, il nous le révèle lui-même :
Je n’ai que faire de l’Europe, je n’ai même plus envie de la revoir !… En
Europe, tout m’est contraire, mon imagination n’y peut régner. En Égypte,
je me sens libre et, pour m’arrêter dans les entreprises, il n’y aurait que
moi-même. Le frein des civilisations étouffe en Europe les élans de la
nature. Je ne les subirai plus. Je rêve d’une religion que je créerai. Les vieux
dogmes sont à détruire, les vertus à réinventer, les bases des connaissances
humaines à retrouver et à forger à neuf. Les terres d’où les hommes sont
sortis n’ont pas dit leur dernier mot. Les Indes et le Thibet sont à revoir 34.
J’en retrouverai les secrets. Après quoi, je reparaîtrai sur notre vieux
continent. J’aurai réuni dans mon entreprise les expériences des deux
mondes, récupérant à mon profit les magnificences de toutes les histoires et
réalisant dans ma vie les légendes de toutes les Bibles35.
S’accrochait-il à sa conquête orientale, confiant en l’invincibilité de son
pantacle ? Ce talisman que lui avaient remis les prêtres égyptiens du culte
d’Amon-Râ, le dieu solaire par excellence.
Il est de fait que sa visite à l’oracle d’Amon ne passa pas inaperçue :
maints historiens nous rapportent la remise de ce « collier-pantacle36 »,
dont l’aventure devait être curieuse : selon Robert Charroux37, ce collier le
protégea durant toutes ses campagnes et même durant son avance
fulgurante en Russie. A Moscou, il l’oublia dans le tiroir d’un meuble et le
sort se retourna contre lui à dater de ce moment-là.
Le bijou passa dans une famille russe qui, à la Révolution de 1917
émigra à Nice… En 1956, après la première guerre israélo-arabe, le général
israélien Mosche-Dayan était très lié avec une journaliste française juive.
Par son entremise, il fit la connaissance de la famille russe, juive également
et résidant à Nice, qui possédait le précieux dépôt.
En hommage au vainqueur du Néguev, le collier lui fut offert et l’on sait
que le général Mosche-Dayan jouit, depuis cette époque, d’une
extraordinaire « baraka ».

Cette information de notre confrère qui lui vient du C. E. R. E. I. C.38


mérite, cependant, une petite rectification : Napoléon n’oublia pas ce
pantacle à Moscou, car il était bien trop superstitieux et ne s’en séparait
jamais ; ce fut pour amadouer la femme de l’ambassadeur d’Autriche et
impressionner son mari, le célèbre Metternich, qu’il le lui donna en disant :
« Prenez-le, je n’en ai plus besoin. » De là, ce talisman passa en Russie…
Ébranlé pourtant par les nombreuses confirmations qui lui arrivaient de
France, dépité par son échec devant Saint-Jean d’Acre qui lui fermait les
portes de l’Orient (il devait reprendre plus tard la même route par la Russie
avec le succès que l’on sait…), Bonaparte n’hésita plus : transmettant ses
instructions à Kléber, il quitta l’Égypte le 24 août 1799 et arrivait à Paris le
17 octobre.
En trois semaines, il devait devenir le maître incontesté du plus puissant
pays d’alors : la France ; mais il lui manquait une confirmation avant
d’engager le mécanisme de sa prise de pouvoir et nous le retrouvons, à la
veille de son coup d’État, rue de l’Estrapade, dans le galetas du père
Bonaventure, anxieux de connaître le déroulement de son destin.
Les prédictions de l’abbé de Lagny
Le jeudi 7 novembre 1799, l’avant-veille du coup d’État du 18 brumaire,
la porte du 13, rue de l’Estrapade, fut poussée par la même main ; le même
client pénétra dans le même galetas, avide de connaître la sentence des
sciences occultes.
« Mon cher Maître, attaqua-t-il d’emblée, point de façons ! Je suis le très
humble élève des mystères d’Isis. J’ai vu des sphinx, des pyramides, des
obélisques, des momies, des hiéroglyphes… Vous m’avez été fort utile là-
bas, pour apprendre à lire à mon pauvre Institut qui ne fait pas, je crois, une
fameuse besogne, malgré ses prétentions archéologiques. Me voici à
l’école ; causons d’Hermès !… »
A ces mots, dom Guyon feuilleta son énorme Bible et en tira ce qu’il
appelait sa relique…
« J’ai à faire le 9 novembre, reprit Bonaparte, c’est-à-dire après-demain.
Après-demain, 18 brumaire, nouveau style ?
Oui… une démarche que je ne crois pas sans quelque importance pour
mes petits intérêts personnels ; et cette démarche est de telle nature que le
succès ou l’insuccès doit être immédiat… »

Maniant ses tarots, le père Bonaventure commença à les interpréter39…


« La Lune annonce « facile entraînement » à des pensées imprudentes…
Mercure, en IXe maison, en conjonction avec la Lune vous annonce fortune
mobile et menace d’écroulement… Si vous étiez prince, Mars rayonnant
encore en maison VIe vous annoncerait le péril de sédition, de complot, de
révolution, vous n’êtes pas prince ; mais vous vous trouvez cette année dans
un mouvement révolutionnaire ; prenez-y garde… Enfin, continua l’ancien
prieur, Mars en IIIe maison, annonce querelles, et sa conjonction avec le
Soleil annonce que vous pourriez perdre votre position… Mais, conclut le
bénédictin, le Soleil couronné, uni à la force majeure, rayonne sur le
sommet du ciel, maison X… Vous franchirez le péril, et vous serez élevé
encore Plus Haut que vous n’êtes… mais, je le répète, soyez prudent…
Avant que l’année soit expirée, vous serez encore plus grand et plus
puissant que vous n’êtes à cette heure ».
Bonaparte qui était tendu et crispé lors de la première partie de la
consultation, s’était détendu progressivement et c’est le sourire aux lèvres
qu’il demanda à son professeur ès sciences occultes :
« Je vous remercie infiniment de vos bonnes intentions, mais quel
rapport cela a-t-il avec mes intérêts d’après-demain ?…
- Quoi que vous fassiez, la révolution de l’horoscope ne m’inspire
aucune inquiétude, car vous marchez, par une loi occulte, à
l’accomplissement des brillantes destinées qui vous attendent en 1804.
Qu’importent donc vos petits intérêts d’après-demain ? De quelque nature
qu’ils soient, fiez-vous à votre étoile. Tenez, veuillez prendre la plume, et
écrire un moment sous ma dictée. Le 18 brumaire ou le 9 novembre, comme
l’on voudra, correspond sur le calendrier thébaïque, au 18e degré de la
constellation du Scorpion, 8e signe du Zodiaque. — Soient donc l’année
1799 ; + 8, nombre du signe zodiacal ; + 1 + 8, signes générateurs du
nombre 18 qui marque le degré ; + 1 + 3, signes générateurs du nombre 13,
qui est la somme de votre horoscope, produite par les générateurs 1 + 8 + 0
+ 4. Le produit est 1820, dont la somme est 11 par l’addition des signes
générateurs + l+8+ 2 + 0. Cette somme 11 correspond, sur le 10e cercle de
la R + C à l’arcane XI, et vous promet pour votre affaire d’après-demain la
force, si vous avez foi en vous-même. Quel que soit votre projet, avancez :
l’obstacle est un fantôme. Pour pouvoir, il faut croire qu’on peut, et il me
semble que cela ne vous est pas difficile. Si vous étiez à la veille d’un
combat, je vous prédirais la victoire, car l’arcane XI est gravé sur le trône
planétaire de Samaël, génie de la Guerre, qui gouverne Mars.
Assez, pour cette fois, répliqua Bonaparte en se levant brusquement. Si
je suis content de vous je vous le ferai savoir », et il remit, cette fois-ci, en
guise d’honoraires, sa bourse rebondie.
On imagine l’angoisse avec laquelle le « mage officiel » du grand
homme suivit les péripéties du coup d’État et quelle joie sa réussite lui
procura.
Mais le plus beau restait à arriver puisque la promesse de Bonaparte se
réalisa le 31 décembre 1799. Ce jour-là on put lire dans les colonnes du
Moniteur (le journal officiel de l’époque) le décret suivant : « l’abbé
Bonaventure Guyon est nommé membre honoraire de l’Institut d’Égypte et
bibliothécaire du palais des Tuileries. » Bonaparte avait bien payé ses
consultations.
Ce cadeau de Nouvel An accompagné du déménagement de l’ex-ermite
de son galetas au pavillon de Flore, fut suivi de la visite impromptue du
maître de la France qui, après l’avoir félicité et s’être entendu remercié pour
ses étrennes occultes, lui demanda d’établir son horoscope complet et de le
lui remettre dès sa conclusion.
Quelques jours après, Bonaventure Guyon prédisait au nouveau maître
de la France l’attentat manqué de la rue Saint-Nicaise pour l’année 1800, lui
confiait les « preuves » de son accession au trône pour 1804 et annonçait le
tournant de son destin pour 180840.
Un an plus tard, le 24 décembre 1800 au soir, jour même de l’attentat
manqué contre sa personne, Bonaparte, qui était venu remercier le
« mage », se vit remettre un large pli, scellé d’un cachet rouge, qui
contenait son horoscope complet et l’annonce de sa fin tragique.
« Le signe du Lion préside à l’estomac, au foie, au diaphragme.
Dominant la nativité, il présage que si le consultant doit mourir de sa mort
naturelle, il succombera probablement à l’état morbide de l’un des organes
ci-dessus désignés…
« Le sceau de Salomon a déjà présagé au consultant la plus haute fortune
à laquelle un homme puisse aspirer. Le rayon projeté par Mercure dans la
maison XI annonce des appuis et des alliances qui favoriseront l’ascension
de cette fortune…
« Jupiter dans le Taureau signifie encore faveur et appui de personnages
puissants ; liaisons et alliances profitables, acquisition de biens par
l’influence des femmes…
« Jupiter rayonnant sur le Sagittaire, qui est son trône, annonce d’abord
fortune ascendante, emplois élevés, crédit auprès des hommes éminents…
« En aspect trigone avec la Lune, il présage encore ascension de fortune,
honneurs, renommée…
« En aspect sextile avec le Soleil, il présage toujours haute ascension,
acquisition de richesses. Il fait espérer la procréation d’un enfant, héritier de
cette fortune, mais le Soleil étant au-dessous de Jupiter, et placé en région
descendante de l’horoscope, cette naissance sera tardive…
« Saturne, dans le Verseau, qui est son trône, et projetant un rayon sur la
maison X, promet élévation au-dessus des autres hommes, dignités,
domination.
« Vénus, maîtresse de la Xe maison dans la IXe, annonce ascension de
fortune loin du pays natal. Mais comme le Bélier est son lieu d’exil, cet
aspect mêle aux présages fortunés un péril de chute…
Mercure, en maison II, promet ascension de fortune en quelque carrière
que ce soit ; et Mars, dans les Poissons, détermine qu’elle aura lieu par
l’épée. La comète qui s’allume à la fin du Bélier pour s’élancer au sommet
du ciel, montera au zénith de son destin à travers les fulgurations des
marches triomphales…
« Mais voici, hélas, le versant de la destinée… Saturne en aspect sextile
avec Vénus présage mariage de bonne heure avec une veuve, ou mariage
tardif avec une jeune fille ; et, maître de la maison VII, il présage chagrins
en mariages… Le rayon projeté par Mars sur la maison V annonce privation
d’enfants, ou, s’il en naissait, leur mort serait prématurée. De plus, la
comète qui resplendissait au sommet du ciel vient s’éteindre en cette même
Vè maison, et confirme cette privation de postérité, soit par stérilité des
parents, soit par mort des enfants… Le consultant sera marié deux fois… Le
rayon que projette Vénus sur la maison XI, partant du Bélier, lieu d’exil de
la planète, annonce dans l’avenir abandon par les amis, par l’épouse, par
l’enfant, s’il y en a un, et perte de prospérité. Ce délaissement, source
d’amers chagrins, s’unit à une menace de captivité, présagée par le rayon
que Mars projette dans la maison X, occupée par le Taureau, son lieu
d’exil… La perte de prospérité se confirme par l’opposition du Soleil et de
la Lune qui présage changement de fortune, alternative d’ascension et de
chute…
« Jupiter, en quadrature avec Saturne, présage perte de position ; grande
adversité, vains projets et efforts stériles contre la mauvaise fortune…
L’infortune sera dans la seconde phase de la vie du consultant qui aura une
fin malheureuse pour avoir entrepris des œuvres au-dessus de ses forces, ou
pour avoir témérairement bravé des ennemis trop puissants…
Le rayon projeté par le Soleil sur la maison III présage lointains
voyages, poursuite de la célébrité et de la fortune sur une terre étrangère, et
comme ce rayon frappe la Balance, lieu de chute du Soleil, il y aura éclipse
de fortune… Le rayon projeté par Saturne en maison III présage discordes
avec les frères ou proches parents, voyages pour des intérêts qui ne se
réaliseront point… Le rayon projeté par Vénus en maison III, partant du
Bélier, lieu d’exil de la planète, réitère le présage de discorde avec les frères
ou les proches, et annonce voyages malheureux… Le Soleil, en conjonction
avec Mars, présage ruine de position, péril de mort par incendie… La Lune,
maîtresse de la maison XII étant en la IIè, signifie que les possessions du
consultant seront disputées par des ennemis acharnés… Le rayon projeté
par le Soleil dans la maison XII, annonce péril de révolution contre les
princes et poursuites ennemis puissants, trahison de la part des subalternes,
spoliation de biens et menaces de captivité ou d’exil… Enfin, le rayon
projeté par Mars sur la maison IX présage perte d’amis, ruine de l’avenir
par délaissement, inimitiés redoutables, fuite du pays ou bannissement avec
menace de mort pour le consultant lors de son exil…
« Le Soleil et la Lune en mauvais aspect présagent toujours quelque
captivité. Mars, maître de la maison IX, son trône nocturne, se trouvant en
maison VIII, présage arrestation sur une route et captivité, et le signe de la
captivité, et le signe de la maison VIII étant signe d’eau, I’arrestation aura
lieu sur l’eau… Le Soleil, maître de la maison I, se trouvant en VIIIe et
infortuné par Mars, présage mort par captivité, loin du pays natal, et la
maison VIII étant occupée par un signe d’eau, la mort aura lieu sur eau ou
au-delà d’un voyage sur l’eau, ou dans un lieu entouré d’eau… »
C’est l’esprit vivement embarrassé que Bonaparte dut se coucher cette
nuit-là, après la lecture de son horoscope… Il eut beau se défendre des
appréhensions que ce rapport avait soulevé, il est juste de supposer qu’il ne
dormit point cette nuit.
Napoléon Ier ne devait plus jamais revoir le dernier prieur des
bénédictins de Lagny, car la prédiction de sa chute l’avait froissé. Selon
Christian, on ne trouve plus de traces de leurs rapports dans les fragments
manuscrits laissés par Bonaventure Guyon…
L’histoire n’a pas retenu son nom, mais la légende a retenu celui de
L’homme rouge des tuileries, c’est-à-dire, en langage hiéroglyphique, « le
maître de la lumière ». Les esprits de cette époque, qui prêtaient à Napoléon
Ier les avertissements d’un « génie familier », le prévenant des grandeurs et
des désastres de sa merveilleuse épopée, n’avaient pas affaire à une fable.
Ce « génie familier », qui rappelle celui de l’empereur Julien, ce fameux
« Homme rouge des Tuileries », est l’émanation d’une tradition secrète car,
comme l’a si bien rappelé le bibliothécaire de Napoléon III :
Toute légende est un symbole passager qui voile une vérité
permanente… On sait que Napoléon Ier fut l’esprit le plus mathématique de
son temps. De là, ses vastes intuitions, calcul quintessencié qui réduisait
devant lui toute affaire de la vie à une règle de proportions41… Ce calcul a
des clés mystérieuses, contemporaines à l’heure où notre globe enfanta
l’humanité. On ne les trouve dans aucun des livres qui ont eu jusqu’ici la
prétention d’effleurer le domaine des puissances occultes. Mais elles se
transmettent de siècle en siècle, par une tradition secrète, antérieure et
supérieure à nos fragiles sciences, entre les mains de quelques hommes qui
vivent, isolés de nos passions, de notre orgueil petit et de nos grandes
misères, dans la contemplation des lois immuables du mouvement
universel.
Ces clés des antiques sanctuaires de Chaldée sont offertes, quand il le
faut, comme d’infaillibles talismans, et par des rencontres qui nous
paraissent étranges, aux êtres que la providence prédestine à renouveler la
face de la Terre. Napoléon Ier les reçut dès sa jeunesse, et c’est pour avoir
une seule fois négligé de s’en armer, qu’il devint, comme un autre
Prométhée, la proie des forces qu’il avait vaincues42.
L’Homme rouge des Tuileries mourut le 20 mars 1804 dans des
circonstances tragiques : seul son manteau de drap rouge, « symbole de
lumière astrale », tomba entre les mains de mortels non initiés ; nous
verrons plus loin dans quelles circonstances exactes, qu’il nous suffise de
dire que les soldats d’Égypte (dont était composée la garde du futur
empereur) avaient rapporté d’Orient l’instinct du merveilleux. Ne trouvant
pas d’explication à la présence de ce manteau rouge, ils devaient conclure à
l’existence d’un génie invulnérable aux balles dont leur général avait fait la
connaissance au pied des pyramides et qui venait, de temps en temps,
s’entretenir familièrement avec lui pour l’aider dans la préparation de ses
futures victoires.
Ce «génie des pyramides », cet « Homme rouge des Tuileries », que la
croyance du peuple-soldat propagea dans nos campagnes et dans la petite
histoire, n’était autre que dom Bonaventure Guyon, premier mage solaire de
ce trône de lumière.
La fin de dom Bonaventure Guyon et son remplacement par Pierre
Le Clerc (:) rose-croix ou druidisme ?
Dans la nuit du 20 mars 1804, un grenadier de l’armée d’Égypte, en
faction dans le jardin des Tuileries, sur la terrasse parallèle au cours de la
Seine, entrevit une silhouette qui se glissait à travers les arbres du jardin et
semblait se diriger vers les Champs-Élysées, en direction du Pont-Tournant.
Le plus curieux, dans cette forme humaine, c’est qu’elle promenait devant
elle une lanterne dont les reflets éclaboussaient de rouge sa pâle lumière
ainsi que l’auraient fait des tâches de sang…
Vivement intriguée, la sentinelle s’avança vers cette lueur et, arrivée à la
distance réglementaire, la coucha en joue en criant par trois fois la semonce
prescrite : « Qui Vive ? »… Les sommations restant sans effet, le
factionnaire fit feu et la petite lumière s’éteignit comme par enchantement.
Le bruit de la détonation eut pour conséquence immédiate d’alerter le
poste de garde qui envoya une patrouille dans la direction d’où le coup de
feu était parti. Il faut dire que nous étions en pleine période de conspiration
puisque, un mois plus tôt, le complot de Cadoudal (le deuxième, plus
exactement !) avait failli coûter la vie au Premier Consul ; par voie de
conséquence, les mesures de protection autour de sa personne avaient été
renforcées et les sentinelles doublées pour parer aux menaces toujours
possibles de quelques « âmes damnées de la réaction ».
Au pas de charge, la patrouille opéra sa jonction avec la sentinelle isolée
et les hommes s’avancèrent dans la direction présumée de la lanterne :
celle-ci se trouvait bien là où le factionnaire avait cru l’atteindre, mais,
chose curieuse, un énorme manteau de drap rouge se trouvait à quelque
distance, comme si son légitime propriétaire s’en était vivement débarrassé
en le laissant choir. Les soldats portèrent ces deux pièces à conviction au
poste de garde où on les examina soigneusement sans que l’on puisse
découvrir le moindre indice sur leur éventuel possesseur, et on ne put, ce
soir-là, tenir le fin mot de cette énigme.
Il fallut attendre l’année 1840 (soit trente-six ans après cet événement)
pour que l’on apprenne ce qui s’était exactement passé :
Dom Guyon devenu fort triste depuis que son illustre élève ne se souciait
plus des arcanes, vivait dans une complète réclusion, et sa vieille cervelle
s’était peu à peu détraquée. Une de ses manies avait été de se faire acheter
une pièce de drap rouge, dans laquelle il avait taillé de ses mains un
manteau d’hiérophante. La couleur rouge était, disait-il, le symbole de la
lumière astrale, et chaque fois qu’il s’en revêtait, les sept génies de l’avenir
quittaient leur demeure éthérée pour venir illuminer ses travaux. Comme il
ne se montrait pas au-dehors en cet accoutrement, les serviteurs du palais
riaient de lui sans éclat, et le Premier Consul ne s’en occupait guère. Mais il
arriva que, dans la nuit du 20 mars, le pauvre vieillard eut fantaisie d’une
promenade ; peut-être, en sa pensée, allait-il, avec sa lanterne, au-devant
d’un de ses génies attardés. La sentinelle, n’étant point dans la confidence
du mystère, avait fait son métier. Le bonhomme, rappelé à la vie réelle par
la voix du fusil, s’était débarrassé de son manteau pour battre en retraite à
travers les ténèbres ; mais, en regagnant sa chambre, il tomba, foudroyé par
l’émotion, et ne se releva plus. « Pauvre diable ! murmura Bonaparte en
apprenant sa mort. Il n’avait pas prévu cela dans ses arcanes et ses
grimoires. Dieu lui fasse paix, et que le diable emporte ses folles
prédictions… Mon étoile est dans ma tête, et la fortune a signé, par la main
de la victoire, mon véritable horoscope, sur la plaine de Marengo !… »43.
Dom Guyon fut enterré secrètement pendant la nuit suivante, et défense
fut faite de publier ce tragique incident.
Mais, c’est là que la véritable histoire commence, car il semble que dom
Guyon ait eu immédiatement un remplaçant, comme si la première partie de
cette fantastique aventure n’avait été jusqu’à présent qu’un vulgaire hors-
d’œuvre !
Ce remplaçant du mage officiel de l’Empire est connu sous le
pseudonyme de Pierre le Clerc, et il paraît bien avoir assisté le père
Bonaventure dans ses travaux, de son vivant même, avant de le remplacer
aux fonctions de devin impérial.
Faut-il alors rattacher ces deux mystérieux personnages à un courant
précis dont ils n’auraient formé que le maillon visible ? Nous pensons qu’il
en est bien ainsi et nous allons nous engager, à leur suite, dans les deux
hypothèses les plus couramment admises : la filiation par la rose-croix et
celle, plus simple et plus réaliste, qui voit dans ces deux initiés les
représentants officiels du collège druidique auprès de la cour impériale44.
1. LE MANUSCRIT DE SlMÉON BAR JOCHAÏ ET L’ÉTERNEL
SECRET DES R + C
L’homme rouge, le « maître de la lumière », nous apparaît comme la
suprême incarnation de l’antique franc-maçonnerie orientale. Il vient
annoncer l’histoire anticipée de toute vie sur un manuscrit astrologique dont
l’origine égyptienne et la révélation, probablement surnaturelle,
disparaissent dans la nuit des temps.
Il est certain que les emprunts de la franc-maçonnerie occidentale sont
nombreux et variés :
- à l’initiation corporative des trois degrés fondamentaux (apprentis,
compagnons, maîtres), sont venus s’adjoindre toute une série de hauts
grades où revivent les anciens ordres de chevalerie, les templiers, les
hermétistes, les rose-croix, la gnose et même le tribunal secret de la Sainte-
Vehme45.
Seul ici l’hermétisme nous intéresse en tant que dépôt sacré de la R + C
dans la franc-maçonnerie occidentale. Il est indéniable que la Révolution de
1789 marque un tournant dans cette révélation, si l’on veut bien admettre
que les hauts-grades de la f.-. m. . occidentale avaient détenu, jusqu’en
1789, la connaissance des mystères de la R + C astrologique. Ils
possédaient ainsi le privilège de déchiffrer l’avenir des peuples en prenant
pour base l’horoscope de leurs souverains. Il est de notoriété que cette
franc-maçonnerie rouge, c’est-à-dire détenant la lumière, par opposition à
la franc-maçonnerie bleue, dont la F. M. actuelle semble découler, formait,
avant la Révolution française, la plus puissante des sociétés secrètes.
Faut-il croire, avec Christian, que cette F. M. rouge, enivrée d’orgueil et
abdiquant le rôle providentiel de maître de la lumière, oublia que la liberté
qui brise les trônes est une apostasie de l’intelligence ? Faut-il croire qu’elle
ne se souvint plus que l’abus de toute force nécessite une foudroyante
réaction qui précipita l’Europe dans une mer de sang ? Faut-il croire enfin
que, « pères de la terreur », ces F . M. . rouges se firent les sicaires de la
fatalité et que ce sphinx à tête de mort auquel ils donnaient pour base
l’échafaud, pour couronne le triangle tranchant de la guillotine, les dévora
jusqu’au dernier… faisant qu’avec eux disparut la Rose-Croix profanée ?
Alors, dom Bonaventure Guyon se situerait dans le courant R + C au
moment où celui-ci disparaît derrière notre F. M. moderne. Cette franc-
maçonnerie rouge qui se camoufle à cette époque derrière notre F. M.
humanitaire et athée paraît bien être plus qu’une simple hypothèse : la R +
C se cache en dégénérant dans la F. M.46
Déjà, dans l’antique Égypte, l’hiérophante disait à l’initié : « Sache te
taire sur tes desseins… Les sept génies de la R + C, gardiens de la clé qui
ferme le passé et qui ouvre l’avenir, poseront à ton front la couronne des
maîtres du temps ! »
Ces sept mêmes génies dont l’Église a conservé le même symbolisme :
pendant la grand-messe, l’autel est orné du tabernacle (symbole du « Christ-
Soleil ») et de six cierges (les six planètes, car les chrétiens n’en
connaissaient pas davantage)…
Ces sept génies que l’on retrouve dans l’Antiquité préchrétienne sous la
forme du Soleil physique considéré comme le Père et le Fils par les
premiers chrétiens ; que les païens célébraient lors de leurs
« lampadophories » en l’honneur de Minerve, Prométhée et Vulcain ! Ces
mêmes sept soleils dont nous avons fait le titre de notre ouvrage, on les
retrouve dans le chandelier à sept branches de la synagogue : « Le Soleil est
mon Seigneur ! » s’écrie David dans le psaume 95.
Ce Soleil, dont parle le philosophe païen Vigilantus : « L’Église s’éclaire
avec de mesquines chandelles, tandis que le Soleil est là nous éclairant de
mille lumières. »
Ce même Soleil, enfin, que les candidats chrétiens adorent quand ils
doivent prononcer le serment maçonnique, tournés vers l’Est, tandis que
leur vénérable reste du côté oriental de la loge, dans le temple éclairé par
trois lumières astrales (le Soleil, la Lune et l’étoile géométrique), et par
trois lumières vitales (l’hiérophante et ses deux surveillants), le tout sous
l’égide de la septième lumière : la « vérité lumineuse »… l’initiation
solaire.
Comment expliquer alors la qualité de moine bénédictin du père
Guyon ? Nous verrons plus loin l’hypothèse druidique s’essayer à répondre
à cette question : qu’il nous suffise de dire, pour l’instant, que de nombreux
hiérophantes et de hauts initiés furent obligés de devenir renégats pour
assurer la survivance des secrets de l’initiation solaire47 dans le cadre du
christianisme triomphant et fanatique : un archevêque de la Ptolémaïde, au
Vè siècle de notre ère, comme Synésius, n’était même pas baptisé ! II
n’accepta le baptême qu’à des conditions draconiennes posées par lui : ne
pas se séparer de sa femme, ne jamais abandonner sa philosophie
néoplatonicienne ni ses divertissements sportifs strictement interdits à tout
chrétien (les jeux Olympiques étant, à juste titre, considérés comme
cérémonies païennes par les Pères de l’Église).
Rien d’étonnant dès lors si un moine bénédictin du XVIIIè siècle a pu se
trouver être dépositaire d’un antique secret chaldéen (donc zoroastrien à son
origine), véhiculé par un lévite juif : Siméon bar Jochaï48, et mis au point
par de nombreux initiés par un hasard heureux dont seul l’occultisme a le
secret. C’est ainsi qu’il faut concevoir des phrases attribuées à dom Guyon
telles que : « La France vous votera la couronne fleuronnée à sept
étoiles ! », ou encore : « Dixième cercle de la Rose-Croix. »
Nous ne croyons pas que l’on puisse qualifier de système la « recette »
du prieur de Lagny, et surtout que l’on puisse la définir en quelques termes
simples, comme « tarot samaritain », « hiérogrammes égyptiens »,
« annales chaldéennes », ou « kabbale hébraïque », tant il est vrai que le
magisme traditionnel et ses représentants professent une doctrine
transcendantale faisant appel à toutes ces sources, sous-tendues et
magnifiées par des techniques divinatoires et interprétatives qui n’ont rien à
faire d’une quelconque méthode de progression.
Dans toutes ces sources, nous n’avons pas fait mention,
intentionnellement, de la tradition proprement occidentale, c’est-à-dire
celtique et druidique, c’est à elle que nous aurons affaire maintenant : cette
hypothèse beaucoup plus simple et réaliste n’écarte pas la précédente étude
rosicrucienne mais l’explique plutôt si l’on veut bien admettre, comme
René Guénon, l’unité transcendantale de toutes les religions et doctrines
ésotériques.
La prophétie d’Orval
Il existe une autre prophétie concernant Napoléon, c’est celle d’Orval.
Sa précision est tellement stupéfiante que certains ont douté de son
authenticité. Le célèbre occultiste du XIXe siècle, Stanislas de Guaïta, a
défendu avec vigueur la prophétie qu’il faisait remonter à la Renaissance.
Son auteur serait « le solitaire de l’abbaye d’Orval », sorte d’ermite
bénédictin disposant de pouvoirs de clairvoyance analogues à ceux des
lamas tibétains. N’oublions pas que les bénédictins sont, à l’intérieur de
l’Église, les dépositaires de la tradition druidique et celtique et le restent
jusqu’à nos jours.
Le monastère d’Orval se situe dans le Luxembourg. Quoi qu’il en soit,
voici le texte prophétique tel qu’il a été transcrit et commenté par Stanislas
de Guaïta dans la Clé de la magie noire (Paris, 1897).
En ce temps-là, un jeune homme [Napoléon] venu d’outre-mer [Corse]
dans le pays du Celte gaulois se manifestera par conseils de force [Toulon,
vendémiaire, campagne d’Italie] ; mais les grands qu’il ombragera [les
membres du Directoire] l’enverront guerroyer dans les pays de la captivité
[réminiscence biblique : Égypte, lieu de captivité d’Israël].
La victoire le ramènera au pays premier [retour d’Égypte]. Les fils de
Brutus [les Républicains], moult stupides, seront à son approche, car il les
dominera [18 brumaire] et prendra nom empereur [1804]. Moult hauts et
puissants roys seront en crainte vraye, et son aigle enlèvera moult sceptres
et moult couronnes. Piétons et cavaliers portant aigles et sang autant que
moucherons dans les airs, courront avec lui dans toute l’Europe, qui sera
moult esbahie et moult sanglante (guerres continuelles de l’Empire).
Il sera tant fort, que Dieu sera cru guerroyer d’avec Luy : l’Église de
Dieu moult désolée (par l’impiété révolutionnaire) se consolera tant peu en
voyant ouvrir les temples à ses brebis tout plein égarées (suites du
concordat) et Dieu sera béni.
Mais c’est fait, les lunes sont passées ; le vieillard de Sion [le pape]
maltraité [captivité de Fontainebleau] criera à Dieu, et voilà que le puissant
[Napoléon] sera aveuglé par péchés et crimes. Il quittera la grande ville
avec armée si belle que oncques fut jamais pareille [levée en masse pour la
campagne de Russie, 1812] ; mais oncques guerroyeur ne tiendra bon
contre la face du temps [anathème contre les conquérants, dont les jours
sont comptés]. La tierce part et encore la tierce part de son armée périra par
le froid du Seigneur puissant [c’est précis : retraite désastreuse de Moscou].
Alors deux lustres seront passés depuis le siècle de solation et voilà que les
veuves et les orphelins crieront à Dieu ; et voilà que les hauts abaissés
[princes français et nobles émigrés — ou encore les souverains étrangers]
reprendront force ; ils s’uniront pour abattre l’homme tant redouté.
Voicy venir avec maints guerroyers le vieux sang des siècles [retour des
Bourbons à la faveur des armées coalisées], qui reprendra place et lieu en la
grande ville [première Restauration : Louis XVIII, 1814] ; alors l’homme
tant redouté s’en ira tout abaissé [abdication de Fontainebleau] près le pays
d’outremer d’où il était advenu [l’île d’Elbe est à côté de la Corse],
Dieu seul est grand [cette exclamation, dans la prose du bon solitaire,
marque presque toujours un changement de règne]. La Lune onzième n’aura
pas encore reluy, et le fouet sanguinolent du Seigneur [Napoléon] reviendra
en la grande ville [fuite des Bourbons, 1815].
Dieu seul est grand ! Il aime son peuple et a le sang en haine. La
cinquième Lune reluyra sur maints guerroyers d’Orient [les Alliés, bataille
de Waterloo] ; la Gaule est couverte d’hommes et de machines de guerre
[seconde invasion des Alliés]. C’est fait de l’homme de mer [Napoléon
captif à Sainte-Hélène]…
Ici s’arrête le texte de la prophétie concernant Napoléon.
On est libre de croire ou de ne pas croire cette « prédiction ». Notre
devoir était d’en faire état, puisqu’elle s’inscrit dans la ligne traditionnelle
et millénariste, même si on s’est servi du « moine d’Orval » pour couvrir
des événements moins glorieux.
Jomini, ou le devin de l’empereur
A côté du père Guyon, personnage de « magicien » traditionnel, et dans
la lignée des « envoyés » occultes placés par une main inconnue auprès de
Napoléon pour le guider dans sa tâche écrasante d’imperator mundi, prend
place le fameux Jomini, dont les prédictions étonnantes ne devaient jamais
se démentir. Peut-être, si Napoléon l’avait gardé auprès de lui, aurait-il
conservé le trône ?
En 1779, en effet, le destin faisait naître à Payerne, en Suisse, Henri
Jomini, que l’histoire devait nommer le « devin de Napoléon ».
Enthousiasmé, comme tous ses contemporains, par les exploits de
Bonaparte, Jomini étudie la prestigieuse campagne d’Italie, analyse la
stratégie de l’illustre général et, appliquant à ses futures campagnes des
dons extraordinaires de déduction, va prédire les opérations et les
manœuvres de l’Empereur.
Son premier coup d’éclat sera, à vingt et un ans, de deviner que le
Premier Consul empruntera le passage du Grand-Saint-Bernard et
descendra par-là en Italie.
De tels dons de clairvoyance ne peuvent s’expliquer uniquement par les
qualités de l’intelligence et du calcul logique.
Qu’il s’agisse de « voyance » ou de « précognition », Jomini possédait
certains pouvoirs que l’on qualifierait aujourd’hui de « supranormaux », et
cela est si vrai que Napoléon, alarmé par cette faculté infaillible de
prédiction, appela le « devin » auprès de lui et lui fit promettre de garder le
secret sur son avenir, faute de quoi Jomini, alors jeune officier dans l’armée
française, finirait ses jours dans les cachots du donjon de Vincennes.
Attaché désormais à l’état-major du maréchal Ney (il atteignit le grade
de général de brigade), il anticipe sur les ordres de Napoléon et permet à
Ney de remporter la victoire d’Elchingen et de capturer l’armée
autrichienne à Ulm. L’année d’après, avant que la guerre ne soit déclarée à
la Prusse, il explique dans un mémoire que la bataille décisive se livrera à
Iéna.
Il accompagne Napoléon dans la funeste campagne de Russie, mais,
prévoyant le désastre, il ne veut pas aller à Moscou et, trois mois à l’avance,
il explore le cours de la Bérézina et découvre les gués qui permettront à la
Grande Armée d’échapper à un anéantissement total49.
C’est encore, l’année suivante, son don d’anticipation qui amène sur le
champ de bataille de Bautzen le corps d’armée de Ney et permet la victoire.
Mais Jomini s’est heurté à l’hostilité implacable de Berthier, qui jalouse
son génie, et finit par passer dans le camp des Alliés où le tsar Alexandre,
qui avait discerné ses dons, lui faisait depuis longtemps des avances. Ses
conseils évitent aux Alliés un désastre après la bataille de Dresde et
amènent la victoire à la célèbre bataille de Leipzig.
Après la chute de Napoléon, il partagera sa vie entre la Russie et la
France, qu’il aimait également, et vivra très vieux sans que sa clairvoyance
ait été jamais démentie.
En 1854, il annoncera au tsar, à l’avance, le débarquement des Alliés
devant Sébastopol. Plus tard, quand Napoléon III entreprendra à son tour sa
campagne d’Italie, c’est Jomini, consulté, qui lui indiquera les champs de
bataille de Magenta et de Solférino.
Il a même prévu les massacres des guerres mondiales de notre siècle.
Amateur passionné d’art militaire et écrivain infatigable, il rédigea une
monumentale Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution
(1805-1824, 15 vol. in-8), ainsi qu’une Vie politique et militaire de
Napoléon (1827, 4 vol.). Si l’on ajoute à ces ouvrages le Traité des grandes
opérations militaires (1819, 4 vol. in-8), on aura une idée de l’œuvre de ce
génial précurseur de la stratégie moderne.
Rien n’est plus étonnant que la destinée de cet homme exceptionnel,
mort en 1869, dont, comme l’a dit Sainte-Beuve, « la pendule était à l’heure
de l’Empereur ».
2. L’INITIATION DRUIDIQUE DE DOM BONAVENTURE GUYON,
PRIEUR DE LAGNY :

Selon Paul Bouchet50, l’alliance druidique avec les monarques français


est une tradition continue depuis la jonction historique des Gaulois et des
Celtes. Toujours, selon le même auteur, tous les rois de France ont reconnu
cette alliance et ont fait appel à l’appui druidique lors des guerres contre
l’étranger : la dernière en date étant celle de 1914…
Il n’y eut jamais plus fidèles alliés jusqu’à Louis XIV que les rois et nos
pères. Tous les monarques français sont venus ici, ont revêtu notre robe de
lin et, au pied de cet autel, ont assisté au divin sacrifice… Nous n’avons
jamais employé le latin ici… Rien que le français ou le celte. Et cet autel
devant lequel se sont agenouillés Charles le Grand, Philippe Auguste, Saint
Louis, Jeanne d’Arc et Louis XIV, est toujours le même depuis que, il y a
des millénaires, Hû Gadarn51 est venu sous les chênes y verser son sang
pour consacrer l’alliance des Gaulois et des Celtes52.
Cette théorie, séduisante au premier abord, mérite qu’on se penche plus
spécialement sur le règne de Napoléon Ier, afin de découvrir le rôle exact de
dom Guyon et de Pierre le Clerc.
Dom Guyon appartenait à cette longue chaîne d’initiés celtiques qui,
depuis les origines de la Gaule, ne cessaient de résister au conquérant
romain : militaire d’abord, religieux ensuite. Ce serait par l’intermédiaire de
l’ordre des bénédictins que le clergé druidique aurait pu survivre en se
camouflant sous la robe de bure de ces moines chrétiens53. Grâce à Benoît
d’Aniane, cette « couverture » ayant pu être réalisée, la reconversion du
druidisme se fit sans heurts. C’est à Richelieu et au cardinal de Guise que
les anciens prêtres celtes durent leur protection et surtout le réveil du
gallicanisme qui visait à réunifier catholiques et protestants français dans
une « réalité » celtique.
Le centre initial de ce druidisme politique celte se serait situé
successivement à l’abbaye de Cîteaux, puis enfin à Lagny. Paul Bouchet
nous apprend que l’un de ces druides : Auger Ferrier, fut le médecin et
surtout l’astrologue de Marie de Médicis. Le rapprochement avec dom
Guyon est facile à opérer si l’on veut bien admettre qu’il a bénéficié des
recherches de son prédécesseur en matière d’astrologie.
Malheureusement, les mariages dynastiques et politiques devaient
affaiblir le caractère celtique de la maison de France. Si l’on veut bien
admettre que les rois de France se faisaient sacrer successivement à Reims
et dans un haut lieu druidique, recevant ainsi un double baptême : romain et
celtique, il n’est pas faux de suivre la piste que nous livre Paul Bouchet et
d’admettre avec lui que le dernier souverain régnant qui se pliât à cette
coutume fut Louis XIV…
Et c’est sous le règne de son successeur, le beau mais faible Louis XV,
que dom Bonaventure Guyon devait faire son apparition : était-ce l’un des
neuf grands druides de la Gaule comme on se plaît à le faire remarquer ?
Peut-être, mais plus sûrement un grand imprudent si l’on veut bien imaginer
l’effet de bombe que dut avoir sa prédiction concernant Louis XVI et la
vision d’une Révolution balayant la royauté capétienne et celtique.
Dom Guyon, libéré de la prison de la Bastille où il avait été enfermé
comme « fou » à côté d’authentiques déments (le terme de folie
s’appliquant bien, aux yeux du monarque absolu, à un homme qui avait
prédit sa chute), dom Guyon résolut de se fixer à Paris, devenu, par la grâce
de la Révolution, le cœur de la France où l’on pouvait percevoir mieux
qu’ailleurs les battements de l’histoire en formation. C’est alors que
Napoléon Bonaparte fit sa connaissance : le père Guyon s’empressa alors
d’avertir le grand collège des druides de la découverte formidable qu’il
venait de faire, et c’est à partir de ce moment-là que les liens furent renoués
avec le pouvoir régnant ou en passe de l’être.
« Le Mystère de Perrière-les-Chênes » a l’insigne mérite de développer
la suite des événements tels qu’ils se seraient effectivement déroulés après
la nomination de dom Guyon au poste de bibliothécaire du palais des
Tuileries, la version que Paul Bouchet donne de la fin de cette aventure est
sensiblement différente de la « version officieuse »…
Les liens traditionnels entre le collège druidique de Perrière et la
nouvelle monarchie impériale étaient renoués. Le Concordat, signé le 15
juillet 1801, rétablissait la liberté des cultes, et nous pouvions espérer
puisque notre représentant le plus distingué était devenu le conseiller secret
du nouveau régime, voir nos traditions présider à la renaissance de l’Empire
celtique. Auprès de dom Guyon, dont l’âge obscurcissait maintenant les
merveilleuses qualités de devin, notre communauté désigna le meilleur des
disciples de dom Guyon pour l’assister et continuer son œuvre. Il fut connu
sous le pseudonyme de Pierre Le Clerc… Un mois à peine après le
couronnement que Napoléon voulut sanctionner par la présence du
souverain pontife, mais non imposé par lui, dom Guyon, sortant un soir
dans le jardin des Tuileries, vêtu de son manteau rouge dont il assurait que
les rayons aidaient à ses facultés divinatoires, fut pris par une sentinelle
pour un suspect et invité à circuler. Le vieux prieur n’ayant pas obtempéré
assez vite — il atteignait alors quatre-vingt-cinq ans — le soldat tira et
blessa notre vénéré père Bonaventure qui s’enfuit, abandonnant sur place
son manteau rouge. A l’Empereur accouru, il demanda d’être transporté ici
[à Perrière], où il mourut et fut enseveli selon nos rites…
Quel fut le rôle exact, si cette hypothèse est la bonne, de Pierre Le Clerc
auprès de l’Empereur ? Paul Bouchet nous l’explique :
- Pierre Le Clerc, installé à Saint-Cloud par l’Empereur, nous tint, par
courriers réguliers, au courant des événements pendant ces années de gloire.
Bien souvent, il mit l’Empereur en garde contre ses ennemis, et plus
souvent, hélas ! contre ceux qui se flattaient de le servir. Mais Napoléon ne
faisait plus, à Saint-Cloud, que de rares apparitions. Trop confiant en lui-
même, en son étoile (l’étoile royale du Lion), que dom Guyon lui avait
montrée en 1795 comme présidant à sa naissance, il ne songeait plus à
consulter le bénédictin. Près de s’éteindre, à soixante-dix-neuf ans, Pierre
Le Clerc envoya à l’Empereur comme un testament, une longue lettre dont
le double figure ici dans nos archives. Et lui, le dépositaire des antiques
secrets écrits en lettres de pierre par nos ancêtres sur notre sol gaulois, prit
la peine de mettre en garde son souverain, sur lequel se fondaient tant
d’espoirs, contre l’imminence des dangers qui menaçaient d’engloutir avec
lui sa dynastie et l’avènement de notre IIIe Empire… Pour autant que nous
le sachions, ce testament ne lui a jamais été remis… Notre vénéré frère
suppliait l’Empereur de limiter ses conquêtes à nos frontières naturelles
ethniques, qu’aucun conquérant ne peut dépasser sans heurt ni malheur ; il
reprenait — ce qu’il y a de plus curieux — les prophéties formulées par
dom Guyon dix ans auparavant, au moyen des cartons que l’ancien prieur
de Lagny avait soigneusement rangé en deux paquets… Soumettant les
mêmes questions à une nouvelle étude, écrivait Pierre Le Clerc, je vois s’en
dégager une nouvelle réponse plus sinistre encore que la première :
Napoléon, empereur vaincu en Europe, abattu, exilé, captif des anglais par
TROP DUR DESTIN, IRA MOURIR DANS SAINTE-HÉLÈNE, ILE DE
L’OCÉAN…
Ces dernières lignes et toutes ces précisions nous permettent de supposer
que Paul Bouchet est bien sur la véritable piste des « initiateurs » de
Napoléon. Une seule question, demeurée sans réponse, en trouve une avec
cet auteur : il paraît surprenant, en effet que, à la mort de Pierre Le Clerc, le
grand druide de France n’ait pas envoyé de remplaçant :
- Pierre Le Clerc mourut, mais notre prieur — le grand druide, si vous
préférez — ne jugea pas opportun d’envoyer un nouveau messager en
permanence auprès de la cour impériale… Par une lettre personnelle, il
avertit simplement Napoléon Ier du danger qu’il y avait à s’attaquer au pape
lorsqu’il fit enlever le pontife pour le conduire à Fontainebleau. Nul ne
porte la main sur un initié sans heurt ni malheur…
Mais, plus encore, s’il est vrai qu’on peut reconstituer, à l’aide de
l’ouvrage de Paul Bouchet, les traces des mages successifs de l’Empereur, il
n’en reste pas moins qu’il est curieux de constater une éclipse de près de
quarante années avant que les druides ne se décidassent à reporter leur
soutien sur Napoléon III. Est-ce à dire que Louis XVIII, Charles X et Louis-
Philippe d’Orléans, nos trois derniers rois de France postérieurs à Napoléon
Ier n’étaient pas d’essence solaire ou, si l’on préfère, dignes de régner sur le
peuple celtique ? Il est étrange de constater que le rapprochement ait déjà
été fait en ce qui concerne le sacre des derniers souverains. Seul Charles X
renoua à Reims la millénaire tradition. On sait le succès qu’il devait en
recueillir… cinq ans plus tard, la Révolution de 1830 le jetait à bas de son
trône.54
Certains n’ont pas hésité à dire que, si Louis XVIII ne se fit pas sacrer,
cela était dû au fait qu’il ne se considérait pas comme le prétendant
légitime. Faut-il soulever ici le voile épais cachant la mort ou la disparition
du petit Louis XVII ? Nous ne nous engagerons pas plus avant dans cette
épineuse voie dont l’issue apparaît peu claire.

Nous pensons, toutefois, que, si nos trois derniers monarques55 ont


rechigné devant la cérémonie du sacre catholique et rompu avec la tradition
initiatique druidique qui lui servait de corollaire, il faut voir là la disparition
d’une coutume celte et l’on peut se demander si le dernier refuge de cette
tradition antique ne réside pas essentiellement dans un corps de métier
comme les « Compagnons du devoir ».
Les « Compagnons du père Soubise », en effet, emploient dans leur
rituel et dans leurs procédés de construction des figures comme la fameuse
croix celtique, symbole du Soleil, objet de l’adoration de nos ancêtres.
Ces mêmes constructeurs, qui devaient laisser la trace de leur antique
science et de leurs réflexions astrologiques dans le plus grand monument
parisien à la gloire de Napoléon : nous voulons parler de l’arc de triomphe
de l’Étoile.
L’arc de triomphe et les signes du destin
Dans l’ÎIe de la Gorgona, Napoléon sacrifiait au dieu Soleil, à Sainte-
Hélène, c’est lui-même qui est sacrifié. « Le Soleil a fait pâlir son étoile,
écrit Merejkovski, mais ce qu’est ce Soleil, il ne le sait pas davantage et
croit aussi que c’est le destin.,. »
Il mourut dans cette petite île de Sainte-Hélène qu’il avait déjà
rencontrée dans son atlas de géographie, au début de sa foudroyante
carrière : nous étions au 5 mai 1821, mais personne ne s’aperçut que,
jusqu’au bout, il avait forcé son destin. S’il est vrai que « les choses ne sont
que l’apparence des nombres », comme l’a dit Hiéros Logos, citation que
n’auraient démentie ni le père Bonaventure ni Jomini, il était mort à l’âge
de cinquante et un ans, huit mois et vingt et un jours, combinaison exacte
du 5 mai 1821…
Cela faisait maintenant plus de dix-huit années que son corps reposait à
Sainte-Hélène, dans le petit cimetière de Longwood, et il n’y avait que
Victor Hugo, poète visionnaire s’il en fut, qui prophétisait dans son ode à
l’arc de triomphe :
Lève-toi jusqu’aux cieux, portique de victoire
Que le géant de notre gloire
Puisse passer sans se courber.
Napoléon pouvait-il prévoir qu’il passerait sous la voûte de l’arc de
triomphe qu’il avait donné l’ordre d’ériger par son décret du 18 février
1806 : « En l’honneur des armées françaises » ?
Sûrement pas, si l’on songe que le grandiose monument ne fut achevé
que bien plus tard… et pourtant, le 15 novembre 1840, répondant à la
prophétie de Victor Hugo, Paris, au nom de la France, lui rendait les
derniers honneurs :
Sire, vous reviendrez dans votre capitale,
Sans tocsin, sans combat, sans lutte et sans fureurs,
Traîné par huit chevaux, sous l’arche triomphale,

En habit d’empereur56.
Oui, le 15 novembre 1840, jour du retour des cendres de l’Empereur,
restera l’une des dates les plus émouvantes de l’histoire de France :
- Par cette bise glaciale, que va-t-il se passer à la barrière de l’Étoile dont
les grilles ont été enlevées ? L’arc de triomphe est surmonté d’une
apothéose, et, de son sommet au bas des socles, retombent de longues
guirlandes de lauriers et de fleurs. Aux angles du monument, d’énormes
trépieds antiques brûlent en flammes de couleurs ; aux coins de l’attique,
deux « renommées » à cheval représentent la Gloire et la Grandeur. Autour
de l’arc, douze mâts pavoisés sont ornés de boucliers, de trophées d’armes
et de bannières tricolores, et sur la place même stationnent deux batteries
d’artillerie. De la barrière de l’Étoile à la place de la Concorde, on ne voit
que colonnes triomphales et statues de victoires. Dans les Champs-Élysées,
plus de 400 000 spectateurs attendent avec anxiété, dans un silence
religieux, maintenus par une haie de gardes nationaux et de troupes de
ligne. Il est onze heures et demie ; le soleil brille, le canon tonne ; sur la
route de Neuilly s’avance, traîné par seize chevaux noirs caparaçonnés de
drap d’or, un splendide char funèbre sur lequel sont placées quatorze
cariatides supportant un cercueil ; le cortège fait halte sous l’arc de
triomphe. Un cri spontané : «Vive l’Empereur ! » sort de toutes les
poitrines : ce sont les cendres du héros qui, de Sainte-Hélène, rentrent
triomphalement à Paris, ramenées par le prince de Joinville57.
Le 2 décembre de cette même année 1840, un groupe de vétérans des
armées impériales, qui était venu à l’arc de triomphe de l’Étoile pour fêter
l’anniversaire d’Austerlitz et du sacre (car le 2 décembre est bien la date
glorieuse par excellence des bonapartistes), remontait l’avenue des
Champs-Élysées en direction de l’esplanade de l’Étoile…
Soudain, déchirant les nuées, le Soleil apparut progressivement sous la
voûte centrale, dans l’axe parfait des Champs-Élysées, et se mit à décliner
progressivement jusqu’à se coucher définitivement dans la direction de
l’avenue de la Grande-Armée… Depuis ce jour, tous les 2 décembre, le
Soleil d’Austerlitz est au rendez-vous de l’arc de triomphe… et de
Napoléon.
Napoléon Ier en costume de sacre : le rêve solaire d’un nouvel empereur romain (photo Giraudon)
1. Son plus irréductible ennemi, et néanmoins compatriote, le duc Pozzo di Borgo, ne s’y est point
trompé. Comme on lui demandait quelle image la postérité garderait du grand homme, il répondit :
« Pour l’histoire, nous ne serons que des planètes qui tourneront autour du Soleil. »

2. Rappelons que Napoléon Bonaparte est né entre ces deux dates : le 15 août 1769.

3. Dans Napoléon, Manuscrits inédits, p. 567.

4. Antonmarchi, II, p. 54.

5. Dans Mémorial, III, p. 226.

6. Dmitri Merejkovski, Napoléon, l’homme, Calmann- Lévy, p. 232.

7. Idem, p. 82.

8. Napoléon, Manuscrits inédits, pp. 5-6.

9. Dmitri Merejkovski, op. cit., p. 90.

10. De Lacroix, Napoléon, p. 250.

11. Marmont, Mémoires, III, p. 340.

12. L’écrivain russe Merejkovski, enthousiaste admirateur de Napoléon, appartenait-il à la secte


mystique des doukhobors, à laquelle adhéra auparavant Dostoïevski ? Cela n’est pas impossible, si
l’on songe surtout qu’une branche de cette secte, les napoleonovi, adoraient encore, en plein Moscou,
à la fin du XIXe siècle, l’ombre du grand empereur qu’ils représentaient sur des images montant au
ciel dans une apothéose, enlevé par l’aigle solaire, comme Alexandre le Grand. Un jour, disaient-ils,
Napoléon reviendrait, car il était immortel et monterait sur le trône de Russie. Nous sommes ici au
cœur du mythe du « messie impérial », de l’ « empereur endormi », reporté jadis sur Frédéric II de
Hohenstaufen, avant de faire retour à son successeur : Napoléon Ier.

13. Dmitri Merejkovski, op. cit., pp. 234-235.

14. Napoléon, Manuscrits inédits, pp. 381 à 389.

15. Est-ce là une allusion à la Préhistoire de la Corse et au fameux chromosome Y, chromosome


instable découvert récemment chez 80 p. 100 des habitants de cette île ?

16. Dmitri Merejkovski, op. cit., p. 85.

17. P. Christian, l’Homme rouge des Tuileries, Éd. Dorbon, Paris, 1931, p. 20, réédition.

18. Paul Bouchet, Le Mystère de Perrière-les-Chênes, éd. chez l’auteur, 1955, pp. 80 sqq.

19. Le cardinal de Rohan aimait à s’entourer de mages de toutes sortes dont le plus célèbre fut
Cagliostro : l’Affaire du collier de la reine ne tarda pas à donner raison au prieur de Lagny.

20. Paul Bouchet recoupe ici le récit de Christian, successeur de Guyon au poste de bibliothécaire
impérial.
21. 1804 étant l’année du sacre à Notre-Dame.

22. Se reporter au premier paragraphe de ce chapitre : « Les signes du destin ».

23. Nom du kabbaliste juif dont on peut supposer qu’il avait réussi à déchiffrer les arcanes des mages
chaldéens durant la captivité forcée des Hébreux à Babylone.

24. Emil Ludwig, Napoléon, Payot, 1928, citation de Raynal par l’auteur, p. 18.

25. Nous ne faisons que rappeler le sort du Zodiaque noir de Tentyris, Denderah ou Tentyra,
découvert par Desaix, qui fut apporté à Marseille en 1821, exposé au Louvre quarante jours après : le
jour même où Napoléon, fidèle aux prédictions, mourait à Sainte-Hélène…

26. Barthélemy et Méry, Napoléon en Égypte, Paris, 1835, chant Y, pp. 128 et 130.

27. Proclamation du 1er nivôse an VII, correspondance de Napoléon Ier, tome V, pp. 221 et 222.

28. Mémorial de Sainte-Hélène.

29. Dans Vues sur Napoléon, le célèbre écrivain d’avant- guerre André Suarès (Grasset, 1933, pp.
263, 264) écrit : « Râ… Dans la vie de Napoléon, incomparable en prodiges visibles, Rivoli, Iéna,
Austerlitz et les plus fameuses victoires sont moins frappantes et moins belles que l’énergie
imperturbable de l’esprit qui les conçoit et les prépare, et de la volonté qui les remporte et les exige.
A cet égard, Napoléon est digne du culte qu’on lui rend. Sa vie tourne sans peine au mythe solaire, de
cette naissance obscure dans l’orient de la Mer à ce coucher immense et sanglant dans l’occident de
l’Atlantique. Cette courbe doit avoir été celle des plus antiques dieux solaires, tous conquérants : Râ,
Ammon, le Serpent à plumes, et tous les maîtres de la Terre, témoins légendaires d’hommes tout-
puissants qui ont conquis un monde et qui, semblables à lui, furent les vrais frères de Napoléon.
Parabole qui enferme pour un temps donné le destin de l’espèce, elle laisse dans l’esprit la trace
d’une admiration presque douloureuse, splendide et dure à l’égal d’un céleste projectile… »

30. Les traits communs entre le druidisme et les mystères égyptiens étant d’essence solaire.

31. Exact : l’auteur ayant été témoin de semblables transmissions « spirituelles ». Les expériences de
télépathie restent présentes dans toutes les mémoires.

32. Paul Bouchet, op. cit., pp. 80 et suiv.

33. Dans l’ouvrage de Marco de Saint-Hilaire, Souvenirs intimes du temps de l’Empire, paru en 1851
à Paris, on trouve la rencontre, qui ne manque pas de grandeur, du général Bonaparte avec la Grande
Pyramide de Gizeh. Le général en chef de l’armée d’Egypte serait bien entré seul dans les galeries du
monument, accompagné d’un guide qui aurait déclaré qu’il allait lui montrer ce qu’Alexandre le
Grand avait été le dernier à contempler ! Bonaparte ayant juré le silence, il ne répondit pas à la
question de son aide de camp, Junot, ajoutant qu’il avait promis de ne rien révéler de ce qui s’était
passé dans le monument. Il refusa toujours d’accéder à la demande de ses intimes et, s’il faut en
croire Marco de Saint-Hilaire, il aurait presque été sur le point de s’en ouvrir à Las Cases sur son lit
de mort, à Sainte-Hélène. Mais, se reprenant bien vite, il aurait avoué : « A quoi bon, vous ne me
croiriez pas… » Cette visite mémorable à Gizeh nous est d’ailleurs rapportée par diverses sources
dont la moins sérieuse n’est pas le journal officiel de l’époque, Le Moniteur. En effet, dans son
numéro du 7 frimaire an VII (novembre 1798), on peut lire, sous la plume d’un rédacteur : « Ce
jourd’hui, 25 thermidor de l’an VI de la République française, une et indivisible, répondant au 28 de
la Lune de Mucharem, l’an de l’hégire 1213, le général en chef, accompagné des officiers de son
état-major, de plusieurs membres de l’Institut national, ainsi que d’un interprète et d’un détachement
de troupe, s’est transporté à la Grande Pyramide et y a été introduit par l’iman Muhamed, chargé de
lui en montrer la construction intérieure. A neuf heures du matin, il est arrivé avec sa suite sur la
croupe des montagnes de Gizeh, au nord-ouest de Memphis. Après avoir examiné avec attention les
pyramides inférieures, il s’est arrêté à la pyramide de Chéops… « Le général en chef et sa suite,
ayant pénétré dans l’intérieur de ladite pyramide, ont trouvé d’abord un canal de cent pieds de long et
de trois pieds de large, qui les a conduits, par une pente rapide, vers la vallée qui sert de tombeau à
celui des pharaons qui érigea ce monument ; un second canal, très dégradé et remontant vers le
sommet de la pyramide, les a amenés successivement sur deux plates-formes, et de là à une galerie
voûtée de la longueur de cent dix-huit pieds, aboutissant au vestibule du tombeau principal. Cette
dernière salle, dans laquelle le général en chef est enfin parvenu, est à voûte plate et longue de trente-
deux pieds, sur seize de large et dix-neuf de haut. On ignore si les Arabes spoliateurs ont jamais
pénétré dans ce sanctuaire de la pyramide, dont l’entrée semblait murée, cependant le général y a
pénétré, seulement accompagné de l’interprète et de l’iman qui lui avait servi de conducteur… » Que
se passa-t-il entre les trois hommes ? Nous en sommes réduits aux suppositions : Bonaparte eut-il
accès aux « mystères » de la chambre du roi ? Lui confirma-t-on son prodigieux destin ? Seule la
Grande Pyramide pourrait répondre, et ce n’est pas là le moindre de ses secrets…

34. Note très curieuse en vérité. Qu’est-ce que Napoléon a entendu par « revoir » et par
« retrouver » ?

35. Saint-Georges de Bouhélier, Napoléon, grandeurs et misères, Paris, Fasquelle, 1938, p. 81.

36. L’auteur a choisi l’orthographe exacte de pantacle, et non pentacle, comme la donnent les
dictionnaires : ce mot ne dérivant pas de penta (cinq), mais de pan (tout) et signifiant exactement un
objet renfermant le tout, synthèse du « macrocosme ».

37. R. Charroux, Le Livre du mystérieux inconnu, Robert Laffont, 1969, p. 330.

38. Centre d’études et de recherches des éléments inconnus de civilisation.

39. Ces lignes sont largement inspirées de l’Homme rouge des Tuileries, de P. Christian.

40. Les historiens savent que l’année 1808 allait être celle du début de la guerre d’Espagne où allait
s’enferrer la Grande Armée, guerre qui allait être, selon le jugement de Talleyrand : « le
commencement de la fin »…

41. Nous dirions, aujourd’hui : calcul de probabilités.

42. P. Christian, L’Homme rouge des Tuileries, préface.

43. Rapporté à Christian par un ancien serviteur des palais impériaux, mort en 1840.

44. Bonaparte, encore jeune, fut-il surpris par cette tradition celtique ? Celte, Napoléon l’était, au
moins pour moitié. Il n’y a qu’à contempler, sur ses portraits, ces yeux bleus, reflet de l’océan dans
un masque latin d’empereur romain. La Corse, ne l’oublions pas, fut colonisée par les Celtes, témoins
les nombreux mégalithes retrouvés à Filitosa et ailleurs. Faut-il encore préciser que Napoléon était un
familier des poèmes d’Ossian, cette épopée bardique d’Écosse qui ne le quittait jamais dans ses
nombreux déplacements.

45. Serge Hutin, Histoire des R + C, Ed. du Courrier du livre, Paris, 1962, pp. 45 sqq.

46. Napoléon et la franc-maçonnerie. On a longtemps contesté l’affiliation maçonnique de Napoléon.


Nous sommes aujourd’hui certains de l’appartenance de Bonaparte à la franc-maçonnerie. La preuve
se trouve dans les archives officielles du Grand Orient, qui reproduisent en ces termes le discours
prononcé par le F. M. Valleteau de Chabrefy à la loge Saint-Louis de la Martinique, le 22 janvier
1806 : « Enfin la maçonnerie, en butte à plusieurs siècles de persécutions, repose sous les auspices
d’un prince (S. M. Napoléon), puissant, qui s’est déclaré le protecteur de l’ordre maçonnique en
France après avoir lui-même participé a nos travaux, CONNU LA PURETÉ DE NOS PRINCIPES
ET LA SAGESSE DE NOS MYSTÈRES. » D’autre part, ainsi que le révèle Jean Palou dans son
livre sur la franc-maçonnerie, le Grand Orient d’Italie imprima en 1811 une brochure portant comme
titre : « Une datation en italien signifiant : Planches des travaux maçonniques consacrés à la
naissance du roi de Rome, premier-né du très puissant frère Napoléon, au Grand Orient d’Italie, le
13e jour du 3e mois de l’an de la Vraie Lumière, 5811 (1811). » De tout cela, il résulte que Bonaparte,
encore officier de la République, fut initié dans une loge égyptienne d’Hermès lors de sa première
campagne d’Italie (1794). En 1797, il est déjà maître et, lors de son passage à Nancy, au retour du
congrès de Rastadt, il est reçu avec tous les honneurs possibles, introduit sous la voûte d’acier, et le
vénérable lui offre le maillet (Charles Bernardin). Napoléon empereur a peut-être été affilié à la loge
des « Illuminés de Weishaupt » avec l’appui de Metternich en 1809, ce qui confirmerait, s’il en était
besoin, le parrainage « solaire » du grand empereur. La maçonnerie égyptienne place d’ailleurs ces
travaux sous le signe du Grand Luminaire depuis la résurrection du « disque d’or » sous le pharaon
Akhenaton.

47. Ainsi, de nos jours, un F.-. M.-., en cas de nécessité absolue, peut nier son appartenance à la
franc-maçonnerie.

48. Nom du kabbaliste juif dont on peut supposer qu’il avait réussi à déchiffrer les arcanes des mages
chaldéens durant la captivité forcée des Hébreux à Babylone.

49. René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée.

50. Paul Bouchet, op. cit. Paul Bouchet n’est autre que l’actuel « grand druide des Gaules ».

51. Hû Gadarn, héros celte de légende.

52. Paul Bouchet, op. cit., pp. 57 à 59.

53. De la même façon, il est permis de soupçonner la même couverture des cathares dans l’ordre des
franciscains « spirituels ».

54. Certains historiens ont affirmé que la Sainte Ampoule du Sacre ayant été brisée par le
représentant du peuple Rühl dans la cathédrale de Reims (1793), l’onction royale par l’archevêque de
Reims était devenue impossible, en tout cas dénuée de toute efficacité.

55. Louis XVIII, Louis-Philippe et Napoléon III.

56. Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres.


57. Gaston Duchesne, L’Arc de triomphe et la place de l’Étoile, Éd. Daragon, Paris, 1908, p. 47.
Chapitre 7 - Adolf Hitler ou le « Soleil Noir »
Oui, l’homme est quelque chose qu’il faut dépasser (Adolf Hitler).
1. — les Polaires
Nous sommes à Paris en 1929, au n° 36 de l’avenue Junot. Montons
l’escalier de ce bel immeuble et arrêtons-nous au palier du premier étage.
Nous voici dans l’appartement qui tient lieu de temple et de sanctuaire
initiatique à la mystérieuse et très restreinte Société des Polaires, dont le
nom rappelle curieusement les préoccupations hyperboréennes d’un certain
parti extrémiste d’outre-Rhin.
Que recouvre au juste ce nom étrange, et, d’abord, quelle peut être
l’origine de ce groupe occulte ?
Pour expliquer la genèse de cette troublante affaire qui nous entraînera
fort loin, il faut remonter à l’année 1918, la même qui vit Adolf Hitler se
lancer dans l’agitation politique.
A cette époque, un certain M. A… d’origine italienne, très versé dans
l’ésotérisme, et de son métier directeur d’une importante firme industrielle,
fit la connaissance d’un mystérieux personnage dont il vaut mieux taire le
nom. La rencontre eut lieu en Égypte, terre prédestinée aux échanges
magiques, s’il en fut.
Voici ce qu’apprit M. A… : lors d’un séjour en Italie, en 1908, notre
personnage, que nous appellerons pour plus de commodité M. X…, eut la
chance de rencontrer, dans un petit village de la région de Viterbe, un
envoyé de la « Grande Loge blanche » du Tibet, plus connu dans le pays
sous le nom de « père Julien ». Cet ermite peu orthodoxe vivait en marge
des habitants du village avec qui il frayait peu et se faisait remarquer en
n’allant pas à la messe… et pour cause, ajouterons-nous ! Cet homme, par
son origine, disposait de grands pouvoirs. Il se présenta comme un envoyé
de la Fraternité d’Héliopolis, cette confrérie de sages composée
d’authentiques Rose-Croix, c’est-à-dire d’hommes ayant atteint le degré
suprême dans la hiérarchie spirituelle. Ce « maître » eut tellement confiance
dans son interlocuteur qu’il alla jusqu’à lui confier une méthode secrète de
communication avec les maîtres de sagesse du Tibet groupés dans la loge de
l’Agartha, cette cité mystique située au cœur de l’Himalaya, à l’abri de
toutes investigations des profanes, et guidant les « grands » de ce monde
dans leur tâche écrasante auprès des peuples de la Terre.
Cette méthode, M. X… avoua l’avoir expérimentée avec succès : il
s’agissait d’une forme de communication télépathique transmise par le biais
de l’écriture : véritable code cryptographique analogue à celui qu’utilisent
les services secrets. Les messages ainsi transmis devaient, pour devenir
intelligibles, être traduits au moyen d’une « clé » chiffrée dévoilée par le
père Julien. Le nom de ce procédé éclairera peut-être le lecteur féru de
sciences occultes, puisqu’il s’intitulait oracle de force astrale. Le premier
essai de communication révéla que le « maître » Rose-Croix « avait regagné
son couvent de l’Himalaya ».
Pressé de questions, l’oracle voulut bien dévoiler que le « centre
ésotérique rosicrucien de l’Himalaya » jugeait opportun de voir se
constituer « l’avènement de l’esprit sous le signe de la rose et de la croix ».
A cette fin devait se reconstituer la vieille Fraternité des Polaires. De quoi
s’agissait-il en vérité ? Si l’on en croit l’écrivain ésotérique Jean Marquès-
Rivière1, cette croix, recouverte ou non d’une rose, ressemblerait plutôt à la
croix gammée. Que l’on en juge :
Le maître omnipotent, nous apprend la tradition, régnait (autrefois) en
Occident, sur une montagne2 entourée de grandes forêts, dans le pays
qu’habitent aujourd’hui les étrangers. Par ses fils spirituels, IL régnait alors
sur les quatre directions du monde. En ce temps-là, il existait la fleur sur le
svastika (c’est-à-dire la rose sur la croix)… Mais les cycles noirs ont chassé
le maître de l’Ouest et IL est venu en Orient, chez notre peuple, IL a alors
effacé la fleur et le svastika seul demeure, symbole du pouvoir central, du
« joyau du ciel ».
Mais, ajouterons-nous, la tradition veut qu’un jour les sages se
transportent à nouveau en Occident. A cette fin, la voie doit être préparée.
C’est le sens de la « légende » bouddhique qui veut que la prochaine
réincarnation de Bouddha, sous la forme du seigneur Maitreya, ait lieu en
Europe.
C’est également en 1918 que Hitler, soigné à l’hôpital militaire de
Pasewalk, à la suite de ses blessures de guerre, eut la vision d’une croix
gammée sur le mur de sa chambre. Il l’avoue lui-même dans Mein Kampf.
Peut-être ne s’agit-il en fait que d’une coïncidence.
Toujours est-il que M. X… et M. A… furent enthousiasmés par la
« révélation » de l’oracle. Les communications se multiplièrent, tant et si
bien que les deux hommes décidèrent, en 1929, d’obéir à l’ordre qui venait
de leur être donné de « former le groupe des Polaires ».
Pourquoi ce nom de « Polaires », demandera-t-on, et quel rapport
présente-t-il avec le Tibet ? Rosenberg, le théoricien nazi bien connu, nous
donne peut-être la réponse lorsqu’il écrit :
- Il ne paraît absolument pas impossible qu’à l’endroit où roulent
aujourd’hui les vagues de l’Atlantique, entraînant de gigantesques icebergs,
se soit dressé jadis un continent florissant sur lequel une race créatrice avait
développé une civilisation avancée, et d’où elle envoyait ses enfants à
travers le monde… Mais quand il serait démontré que cette hypothèse de
l’Atlantide n’est pas acceptable, il faudrait admettre l’existence d’un centre
nordique de civilisation préhistorique.
Ainsi l’auteur du Mythe du XXe siècle dévoile une partie de la doctrine
secrète des nazis et avoue sa croyance dans la mystérieuse Hyperborée d’où
seraient partis les « Aryens blonds aux yeux bleus » pour civiliser la Terre.
Les Polaires, ce sont les habitants de ce continent arctique disparu lorsque
la planète, basculant sur son axe, entraîna la submersion et le
bouleversement de ce « centre de civilisation ».
Que dit en effet un auteur comme Evola, que certains n’ont pas hésité à
qualifier de « mage de Mussolini » et qui se présente comme un fidèle de la
grande tradition et un proche de René Guénon, le même dont Bergier et
Pauwels (dans le Matin des magiciens) n’ont pas hésité à dire qu’il était le
modèle des occultistes nazis (« le national-socialisme, c’est le guénonisme
plus les Panzerdivisionnen3 »).
- La localisation du centre ou siège originel de la civilisation
« olympienne » du centre d’or dans une région boréale ou nordico-boréale
devenue inhabitable, correspond à un enseignement traditionnel
fondamental, que nous avons exposé ailleurs, avec des données
justificatives à l’appui. Une tradition hyperboréenne, dans sa forme
originelle olympienne ou dans ses résurgences de type « héroïque », se
trouve à la base d’actions civilisatrices accomplies par des races qui, durant
la période s’étendant entre la fin de l’ère glaciaire et le néolithique, se
propagèrent dans le continent euro-asiatique4.
On ne saurait mieux « expliciter » la pensée de Rosenberg, chose
normale, somme toute, pour le préfacier italien des Protocoles des sages de
Sion. Et notre auteur poursuit :
Le centre hyperboréen reçut, entre autres dénominations qui
s’appliquèrent ensuite, par voie de conséquence, au centre atlantique, celui
de Thulé5, d’île Blanche ou de la « Splendeur » — le çvetadvipa hindou,
l’île grecque Leuké — de « semence originelle de la race aryenne » —
Airyanem-Vaêjo — de « terre du Soleil » ou « terre d’Apollon », d’Avalon.
Dans toutes les traditions indo-européennes, des souvenirs concordants
parlent de cette terre, devenue mythique par la suite, en rapport avec une
congélation et un déluge6.
L’oracle de force astrale affirmait pour sa part :
- Les Polaires sont les continuateurs de la tradition boréale. A travers
les siècles, ils se sont divisés en trois branches qui ont pris trois noms
différents. Pendant un certain temps, le vieux tronc a continué à vivre,
dédaignant tout pouvoir, toute évolution. Les derniers Polaires Rose+Croix
furent obligés de se retirer en Asie. Maintenant, les Polaires se reforment
ET REVIENNENT SUR LA SCÈNE DU MONDE.
Or, que se passe-t-il en Allemagne en 1929 ? Hitler, le « favori » du
groupe Thulé, le disciple d’Horbiger et de ses théories de la glace, est en
train de remporter un immense succès auprès des foules, et, bientôt, le 14
septembre 1930, cent sept députés nazis entrent au Reichstag. La croix
gammée étend son ombre sur l’Allemagne, centre de l’Europe et pôle
mystique d’innombrables sociétés secrètes.
Mais, pour les Polaires, il s’agit de faire vite :
Car les temps sont proches, disent encore les sages, où les verges de feu
frapperont à nouveau certains pays de la Terre, et il faudra alors reconstruire
tout ce que la soif de l’or et l’égoïsme de l’homme auront contribué à
détruire.
On pense immédiatement à la Seconde Guerre mondiale et à son cortège
de catastrophes, et cette prédiction n’est pas la moins inquiétante.
Les sages qui dictent ces conseils sont, selon leurs propres dires, au
nombre de trois. Ils s’intitulent eux-mêmes les « trois petites lumières », par
rapport aux grandes lumières que sont les bodhisattva et qui participent de
l’illumination suprême du Soleil noir. A la tête de ces « trois lumières »
serait placé un « chevalier sage », un occidental — retenons bien ce mot —
qui s’appelle lui-même CELUI QUI ATTEND… Le pouvoir temporel, sans
doute, (estimerons-nous), afin de réunir dans ses mains le glaive de l’action
et le glaive de l’esprit. Hitler, en tout cas, n’agira pas autrement, en se
proclamant le chevalier de la nouvelle Allemagne destiné à instaurer un
règne de mille ans.
C’est pourtant à Paris que se noue l’intrigue. De hautes personnalités
bien connues des milieux ésotériques mordent à l’hameçon et
s’enthousiasment pour les Polaires et leur « oracle de force astrale ». Parmi
ces occultistes distingués, on retrouve les noms de René Guénon, champion
de la grande tradition hyperboréenne, Jean Marquès-Rivière, que nous
avons cité plus haut, et Fernand Divoire, alors directeur d’un très grand
quotidien parisien. Si l’on ajoute à ce triumvirat le nom de Maurice Magre,
l’écrivain inspiré et le chantre de l’épopée cathare, nous aurons fait un
panorama complet des personnages plus ou moins compromis avec le
groupe qui nous intéresse.
Les choses ne devaient pas en rester là, puisque M. A… décida de
révéler dans un livre une partie du message des Polaires. A cette fin, il
adopta le pseudonyme de Zam Bothiva et publia, sous le titre significatif
d’Asia mysteriosa, le contenu de ses méditations. Fernand Divoire, Jean
Marquès-Rivière et Maurice Magre fournirent tous les trois d’élogieuses
préfaces. Il est intéressant d’en citer quelques extraits :
Pour Maurice Magre :
L’existence de cette confrérie qu’on a appelée tour à tour l’Agartha et la
Grande Loge blanche est connue depuis bien longtemps, sans qu’elle soit
cependant prouvée par ces « preuves matérielles » dont est avide l’esprit
occidental. C’est pour l’atteindre qu’Apollonius de Tyane (cet initié du
Soleil) se rend dans l’Inde, dans ces montagnes « où les arbres ont des
pommes de couleur bleue, comme le calice de l’hyacinthe ». C’est d’elle
qu’il reçoit la mission pour laquelle il parcourt les rivages de la
Méditerranée et qui lui fait dire : « Je me souviens toujours de mes maîtres
et je voyage à travers le monde, enseignant ce que j’ai appris d’eux. »
Christian Rosenkreutz, dont on ne sait presque rien, si ce n’est qu’il est allé
chercher en Orient le message de vérité, semble ne s’être mis en marche de
son monastère d’Allemagne que pour communiquer avec les maîtres, dont il
connaissait l’existence par une ancienne tradition et dont il rencontra les
envoyés à Damas.
Et Jean Marquès-Rivière déclare pour sa part au sujet du retrait des
« maîtres en Orient » et de leur retour possible :
Il est dit par une tradition constante que les derniers représentants de ces
centres occidentaux, dont l’aspect extérieur a été souvent décrit sous le nom
de rose+croix, s’enfuirent en Orient à cette époque [XVIIè siècle] ; il est dit
également qu’ils s’établirent en Asie Centrale abandonnant « pour un
temps », l’Europe à sa misère.
Et l’écrivain s’interroge : « Le temps est-il révolu ? »
Asia Mysteriosa paraît en 1929. A la même date s’installe à Berlin un
moine tibétain surnommé « l’homme aux gants verts », par allusion à
l’énigmatique « Société des Verts » à laquelle il aurait appartenu. Ce lama,
qui rencontra plusieurs fois Hitler, annonça avec une étonnante précision le
nombre de députés nazis devant être élus au Reichstag. « L’homme aux
gants verts », chuchotait-on parmi les « initiés » hitlériens, était un envoyé
de l’Agartha.
Le réseau qui devait couvrir l’Europe commence dès lors à se tisser.
Mais revenons pour un instant à notre « bible » des Polaires. Nous y
ferons encore d’intéressantes découvertes : celle, par exemple, de la
filiation solaire du fameux « oracle de force astrale » identique à la
symbolique magique de Hitler, continuateur de la religion du Soleil en
Occident — et nous ne pensons pas seulement au signe solaire que fut la
croix gammée. Mais laissons la parole à M. A… :
Le leitmotiv symbolique des communications se fonde sur la lumière,
sur le Soleil.
A cette remarque capitale, l’auteur ajoute une note non moins importante
qui nous ramène — que le lecteur veuille bien nous en excuser — aux
prétentions catharisantes et graaliques7 du national-socialisme. Lisons
plutôt :
A ce sujet, il faut noter le rôle solaire attribué à l’arithmétique (la raison
illuminée) par les cathares. Le système scientifique de ces initiés était fondé
sur la doctrine des correspondances et, justement, l’arithmétique
correspondait au Soleil. (Asia mysteriosa, p. 58.)
Mais les choses vont se préciser avec plus de netteté. Nous sommes en
1929. Hitler accédera au pouvoir en 1933 ; et que lisons-nous à propos du
fameux « envoyé de l’Agartha » appelé « Celui qui attend » :
Il y a environ quatre ans (soit en 1925), nous notions, pour la première
fois, dans une communication aux allures prophétiques, une allusion assez
précise à l’ « instructeur » attendu par certains milieux ésotériques : « […]
Vivant en cette époque de chaos général, vous devez suivre le destin de
l’humanité entière, qui se débat dans des spasmes de folie [c’est l’oracle de
force astrale qui parle]. Et encore 00008 et encore 0000 jusqu’à ce que
vienne l’homme envoyé PAR L’INCONCEVABLE POUR REDONNER
AU GENRE humain le but de son existence et le sentiment réel des choses
pour lesquelles on vient au monde… »
Quelle ne fut pas notre stupéfaction de constater que la venue de l’
« instructeur » coïncidait exactement avec la date de l’avènement de Hitler.
En effet l’oracle prédit, en 1925… encore quatre ans : 1929 (premiers
succès du nazisme) + quatre ans = 1933 (Hitler est nommé chancelier).
Dès lors, les Polaires doivent travailler activement à préparer la venue de
l’envoyé : « Travaillez avec acharnement et ténacité jusqu’à ce que vous
connaissiez « Celui qui attend9»… Aujourd’hui il est inconnu et lointain,
mais demain ce sera un grand de par la volonté du Très-Haut. » [En 1925,
Hitler, inconnu en France, purge une peine de prison dans la forteresse de
Landsberg.]
« Il ne pouvait pas y avoir de doutes possibles, affirme Zam Bothiva :
l’homme envoyé par l’inconcevable et « Celui qui attend » étaient deux
définitions de la même entité.
Zam Bothiva et ses amis brûlaient de connaître l’ « homme
providentiel ». Il leur fut répondu simplement : « Beaucoup et beaucoup de
lunes passeront avant que vous ne rencontriez Celui qui attend. »
Évidemment, on ne pouvait pas dévoiler l’identité DU MAITRE.
Les « trois petites lumières » du Tibet voulurent bien préciser, toutefois,
que Celui qui attend ne serait pas le futur manu de l’humanité. Expliquons-
nous : en théosophie le manu est « l’intelligence qui doit présider au
prochain cycle humain et lui donner sa loi » et qui, dans aucun cas, ne
saurait être un homme.
Il ne s’agirait donc que d’une « petite lumière », terme qui s’applique
exactement à l’ « initié » Adolf Hitler, « guide de la race aryenne pour le
présent cycle. » La ressemblance est confirmée par le développement
symbolique autour de l’ « instructeur » : il a pour chiffre 12 et 13, « car les
nombres 12 13, inscrits dans les deux triangles, signifient les 12 portes de
l’initiation et la mort et la résurrection initiatique ».
Or, Hitler devient Führer en 1933 et se suicide en 1945 (mort
initiatique : son corps est purifié par le feu). L’intervalle est de douze ans.
13 est le chiffre de la résurrection, ce qui signifierait que Hitler devrait se
réincarner un jour dans un autre personnage (le phénix qui renaît de ses
cendres).10
Voici, en outre, les « attributs terrestres » de Celui qui attend, toujours
selon Asia mysteriosa :
PUISSANCE
PAROLE
RELIGION
COMMANDEMENT
SAGESSE
JUSTICE
BUT
Si l’on se livre à une petite exégèse, on constatera que Hitler répond aux
quatre premières qualités : il obtint la puissance en devenant le maître de
l’Allemagne. Son éloquence magnétique correspond au don de parole ; il
fonda une religion : le nazisme, avec son culte solaire : le svastika et son
temple de Nuremberg. Devenu chef suprême de l’armée, il obtient le
commandement. Seules les trois dernières qualités ne sont pas remplies,
puisque Hitler détourna à son profit les pouvoirs qui lui avaient été confiés.
D’où son échec final, semble-t-il. A moins que le « médium de Braunau »
n’ait été choisi comme « martyre » !
Nous terminerons ce bref examen du livre écrit par Zam Bothiva en
citant un dernier passage qui confirme tout ce que nous avons écrit
jusqu’ici. Le nom symbolique de «l’homme providentiel » attendu par les
Polaires est celui d’APERTA, qui signifie Apollon en occultisme. Nous
voici revenus au Soleil noir de Hitler11.
Écoutons plutôt :
- Nous avions là la clé de la deuxième énigme, car nous retrouvions en
ce dieu (Apollon), dieu solaire et dieu de la Lumière, la tradition lumineuse
de la méthode de force astrale et l’indication que Celui qui attend venait
bien parmi les hommes sous le signe d’Hélios.
Tout cela, avouons-le, est plus que troublant. L’auteur s’en rendit peut-
être compte, car Asia mysteriosa, tiré à un très petit nombre d’exemplaires,
ne fut jamais réimprimé par la suite.
Après la publication de ce livre, il ne restait plus qu’à organiser la
« secte » autour de la révélation oraculaire : ce qui fut fait.
Zam Bothiva devint le chef du groupe très fermé des Polaires. Les douze
articles des statuts véritables restèrent secrets « à cause de leur caractère
ésotérique ». Pour être Polaire, il fallait être possesseur des « vibrations
rouges », seules susceptibles d’établir la communication avec l’oracle du
Tibet, c’est du moins ce que laissait croire le guide de la « Fraternité ».
On choisit également, ainsi le voulait l’oracle, un grand maître de l’ordre
secret… Le premier à occuper ce poste fut un prélat de haut rang, camérier
secret de Pie XI et Polaire de la première heure. Cet ecclésiastique peu
orthodoxe eut une très belle carrière, puisqu’il finit à la Curie romaine. Ce
que l’histoire officielle ne dit pas, c’est qu’il portait, sous l’habit rouge de
cardinal, une croix gammée en sautoir.

Lui succéda un évêque de l’Église cathare et gnostique12 et enfin un


prince cambodgien très versé dans la magie.
Ajoutons, pour en terminer, que Zam Bothiva, très porté vers le
catharisme explora le château de Montségur dans l’espoir secret d’y
retrouver le Graal ; il était accompagné d’une dame affiliée à l’Église
gnostique, descendante de l’albigeoise Esclarmonde de Foix. Le fondateur
de la Fraternité des Polaires rencontra-t-il Otto Rahn, cet envoyé du « sacré
Collège hitlérien », lors de son voyage dans le pays cathare ? Nous ne
saurions l’affirmer, quoique la chose n’ait rien d’invraisemblable si l’on
songe que Rahn était un ami de l’instituteur Gadal, spécialiste du
catharisme ésotérique, et membre de la Rose + Croix13, initiation dont se
réclamaient les Polaires. Les Pyrénées et le château de Montségur auraient
été dans ce cas un lieu de rencontres mystérieuses entre les diverses mailles
du filet occulte qui se resserrait sur l’Europe sous le signe de la croix
gammée.
2. — La croix gammée et son mystère
L’origine du svastika se perd dans la nuit des temps, si bien qu’on peut le
considérer comme le plus vieux symbole utilisé par l’humanité. La plus
antique signification qui en soit donnée est celle du symbolisme Solaire. La
tradition en remonte à l’Inde védique, mais les enseignements
brahmaniques nous apprennent que son origine est beaucoup plus ancienne.
Certains traditionalistes, pour leur part, n’hésitent pas à faire de la croix
gammée un emblème connu des Atlantes, quand il ne s’agit pas du plus
ancien et hypothétique continent de Mu, ou Lémurie. Faisons un tour
d’horizon de ces théories.
Et d’abord, il convient d’apporter quelques éclaircissements à propos de
cette dernière terre surnommée Lémurie, pendant asiatique de l’Atlantide et
d’Hyperborée. L’existence de ce continent, qui se serait étendu là où il n’y a
plus aujourd’hui que l’océan Pacifique, entre les Philippines et l’archipel
des Marquises, est attestée par les occultistes dont Mme Blavatsky, l’auteur
de la Doctrine Secrète, ce monumental ouvrage qui prétend retracer
l’histoire de l’humanité depuis ses plus lointaines origines. Mais c’est le
colonel Churchward qui, dans un livre plus audacieux que n’importe quel
roman14, fait une description minutieuse de cette terra incognita. L’auteur
assure avoir hérité d’un prêtre de l’Inde des tablettes gravées retraçant
l’histoire du continent de Mu. Churchward fait ainsi remonter l’Empire de
Mu à plus de deux cent mille ans et date son apogée à soixante-quinze mille
ans environ avant notre ère. Là où les choses deviennent intéressantes, au
milieu de ce roman-fiction, c’est lorsque l’officier américain fait l’aveu de
ses croyances racistes en assurant à la race blanche une ancienneté et une
supériorité « historique » dans la transmission de la TRADITION
PRIMORDIALE.
Mais écoutons plutôt :
Ce récit nous donne la solution du mystère des races blanches des mers
du Sud et nous apprend comment une grande civilisation s’est épanouie au
centre du Pacifique, pour être complètement effacée en une nuit.
Et plus loin, l’auteur ajoute :
- Une de mes constatations les plus ahurissantes, c’est que les indigènes
polynésiens sont une race blanche. De plus, ils sont extraordinairement
beaux, un lien qui les rapproche de toutes les races blanches de la Terre.
Comme je l’ai démontré, les documents nous indiquent que l’homme a
indiscutablement fait sa première apparition sur le Continent de Mu, et les
îles polynésiennes sont les restes déchiquetés de cette terre malheureuse.
Des documents prouvent aussi que le Mexique et l’Amérique centrale ont
été colonisés par des peuples venus de Mu. Les traditions confirment que
ces premiers colons de Mu étaient des blancs blonds, que ces BLANCS
blonds ont été chassés du pays par une autre race blanche plus brune, que
les blancs blonds se sont enfuis à bord de leurs navires dans la direction du
Soleil levant — à l’est — et se sont établis dans le nord de l’Europe, la
Scandinavie d’aujourd’hui.
Ce qui expliquerait que la croix gammée, un des symboles du Soleil
dans l’Empire de Mu, ait été connue des peuples germaniques.
Pour Churchward, en effet, si le tout premier symbole employé par les
hommes fut la croix ordinaire « + », représentant les quatre directions de
l’espace, son évolution immédiate aboutit à la croix entourée d’un cercle,
symbole de l’œuf du Soleil ou du monde gouverné par la lumière, qui se
transforme en svastika ou croix gammée pour symboliser la MARCHE EN
AVANT ET l’ÉVOLUTION CONSTANTE DE LA ROUE DE LA VIE. Et
Churchward nous explique que la religion de cet empire universel était celle
du Soleil, principe d’unité, de vie et d’action créatrice.
C’est un symbole des quatre forces sacrées, qui, sous d’innombrables
noms et aspects différents, ont joué un rôle important dans la conception
humaine du Créateur et de la Création, depuis l’aube des temps jusqu’à ce
jour…
Elles gouvernent par conséquent les mouvements de tous les corps dans
l’Univers. Cela démontre que tous les corps tournent d’ouest en est et que
tous les circuits formés par les corps en mouvement vont d’ouest en est,
tournant autour d’un centre. Le symbole démontre que ce centre est la
force primaire, c’est-à- dire le grand infini, ou le Tout-Puissant…
Ainsi la croix gammée n’est pas seulement considérée comme un signe
de feu, un signe solaire, mais comme le centre ou l’axe du monde que
d’autres occultistes, notamment les « théosophes » nazis, ont situé à Thulé,
capitale d’Hyperborée.
Sur cette race première des régions nordiques, dans un chapitre consacré
au svastika, Maurice Magre, fondateur, avec l’Anglais Rolt-Wheeler, du
Graal pyrénéen (revue engagée dans la « queste » de Montségur), écrit :
Les peuples hyperboréens ! II est impossible de résister à l’évocation
magique de ces mots. On voit des plages de cristal éteint où, debout dans la
brume, des hommes aux yeux bleus cherchent, dans l’horizon des mers
voilées, les contours de l’Irlande fabuleuse15.
Et n’est-ce pas Guénon qui, puisant à une source demeurée inconnue,
affirme I’origine polaire du svastika, lorsqu’il écrit :
- Une des formes les plus remarquables de ce que nous avons appelé la
croix horizontale, c’est-à-dire la croix tracée dans le plan qui représente un
certain état d’existence est la figure du svastika, qui semble bien se
rattacher directement à la tradition primordiale… Nous avons dit ailleurs
que le svastika est essentiellement le signe du pôle ; si nous le comparons à
la figure de la croix inscrite dans la circonférence, nous pouvons nous
rendre compte aisément que ce sont là, au fond, deux symboles équivalents
à certains égards16.
Si la croix gammée est bien le signe de la race hyperboréenne qui ne
serait autre que celle des « grands aryens blonds aux yeux bleus », on
comprend que Hitler, issu du groupe Thulé, en ait fait l’emblème de son
parti.
Quant à l’orientation dextrogyre de ce signe dans le drapeau nazi, on a
beaucoup épilogué sur ce sujet, sans toutefois donner de réponse vraiment
satisfaisante. On a ainsi raconté que la direction de rotation du svastika
d’ouest en est était une inversion de son orientation normale et
correspondait aux forces noires soutenant Hitler en lutte contre le bien. En
réalité, la croix gammée est souvent représentée indifféremment dextrogyre
ou senestrogyre, dans l’Inde et au Tibet, sans que les occultistes y voient un
symbole « noir » ou « blanc ». Ce que l’on peut faire remarquer, par contre,
c’est que le svastika (senestrogyre) symbolise la « marche du temps ». Celui
qui inverse le signe prétend donc « arrêter le temps ». Cela correspond bien
à l’éthique de Hitler « homme contre le temps » qui s’imaginait entraver
pendant un millénaire la « dégénérescence » annoncée par le dernier âge de
notre cycle, surnommé par les hindous kali-yuga ou âge de fer. Dans cette
perspective, le sursaut raciste, en renouant avec la « tradition primordiale »,
devait préparer les temps futurs et forger une « élite de surhommes » devant
résister à la catastrophe finale. Les choses ne se passèrent pas tout à fait
comme Hitler le croyait, puisqu’il fut lui-même broyé par son œuvre qu’il
ne contrôlait plus.
Mais pour en revenir à la croix gammée, on peut signaler son
extraordinaire diffusion dans l’Antiquité, aussi bien en Occident qu’en
Orient, même si aujourd’hui elle demeure un signe sacré dans la seule partie
du monde où le Soleil se lève.
Pour ce qui concerne les pays d’Europe, l’utilisation du svastika est
attestée par les druides, détenteurs d’un profond savoir initiatique. Ces
hommes sages placèrent l’emblème sur les autels et les sanctuaires
gaulois17. On en retrouve de nombreuses traces dans la région pyrénéenne
et le signe apparaît chez les Basques sous la forme d’une croix à virgules,
dans les armes de la ville de Bayonne.
Si l’on s’en tient à une étude historique, sa plus ancienne apparition
connue appartient à l’Inde brahmanique. Le svastika serait l’instrument
originel qu’utilisaient les brahmanes de l’Inde pour la production du feu
sacré. Que l’on se souvienne de Zoroastre. Pour d’autres, et cela n’est pas
incompatible, il s’y ajouterait un symbole de joie, de vie et, somme toute,
d’énergie. Burnouf, le savant indianiste, pense que la croix gammée
représente les phénomènes cosmiques du feu céleste, l’éclair et le rayon.
Nous sommes très près dans cette interprétation de l’exégèse nazie qui fait
du svastika le Soleil noir ou principe caché de l’énergie situé dans un
monde éthérique et hypercosmique, au-delà du monde visible, dans la ligne
de la philosophie de Jamblique et de la gnose. Expliquons-nous : la croix
gammée, symbole du Soleil visible, figure le côté exotérique de la doctrine,
alors que sa signification ésotérique est celle du Soleil invisible.
C’est dans ce sens que le gamma est représenté au Tibet et revient,
sculpté sur tous les temples, comme un leitmotiv obsédant. Tous les
voyageurs ayant visité le « Toit du monde » en ont fait la remarque :
Invariablement, écrit l’un d’eux, on trouve quatre choses aux abords des
maisons.
Et après avoir énuméré les bannières de prières et d’autres objets ayant
un moindre intérêt, le narrateur poursuit :
Enfin, en quatrième lieu, c’est le svastika, signe cabalistique, surmontée
du symbole grossièrement dessiné de la Lune et du Soleil. Ce signe, on le
verra sur toutes les portes d’entrée au Tibet18.
Le peuple y voit principalement un « porte-bonheur », un signe
prophylactique, lointain souvenir de quelque chose d’autrement important,
et qui s’attache au caractère sacré du svastika dans les temples
bouddhiques.
D’Hyperborée, le signe solaire, toujours selon une certaine tradition
d’occultistes, se serait transmis à l’Atlantide, dont l’existence semble
admise dans de plus vastes cercles de pensée19.
Pour un auteur comme Scott-Eliot, auteur d’une Histoire de l’Atlantide,
ce continent serait un contrefort de la Lémurie disparue. Peuplée de races
différentes, les Toltèques rouges, les Akkadiens blancs, les Sémites et les
Touraniens jaunes, l’Atlantide aurait ainsi été le théâtre de conflits
effroyables qui virent le triomphe final de la race blanche et de la race
rouge, toutes deux adoratrices du Soleil, comme semblent en témoigner la
religion des Incas et du Japon, aussi bien que celle de l’Inde.
Dans ces temps primitifs, écrit Scott-Eliot, il était interdit de représenter
aucune image de la divinité.
Le disque du Soleil était considéré comme le seul emblème digne de
représenter la tête divine et il y en avait un dans chaque temple.
Ce disque d’or était généralement disposé de manière que le premier
rayon du Soleil vînt le frapper à l’équinoxe du printemps et au solstice
d’été.
Mais comment conclut cet écrivain qui prétendait avoir vu tous ces
événements par un don de clairvoyance surnaturel ?
Si on le suit sur ce terrain, la civilisation des Toltèques fut engloutie
finalement dans un raz de marée gigantesque avec sa capitale « aux portes
d’or » et les Akkadiens blancs restèrent les seuls dépositaires du « savoir ».
C’est d’eux que devait naître la race aryenne. Quant aux Sémites, Scott-
Eliot règle leur compte en affirmant qu’ils dévoilèrent le mystère de Dieu :
« La trinité personnifiée fut dévoilée » et « cette idée fut plus tard
matérialisée et dégradée par les Sémites. »
La leçon que ce « clairvoyant » tire des événements ne serait pas reniée
par Hitler. Seuls les Aryens qui n’ont pas pratiqué la magie noire
deviennent la race élue par les maîtres de sagesse :
Une lumière plus intense que celle qui éclairait le sentier de nos ancêtres
atlantes resplendit à présent sur la race aryenne.
Moins dominés par les passions des sens, plus sensibles à l’influence de
l’esprit, les hommes de notre race ont obtenu et obtiennent une
connaissance plus ferme et un développement plus large de l’intelligence.
Hitler, de son côté, voit dans l’Aryen le « Prométhée de l’humanité ».
On comprend que Rosenberg ait adhéré avec enthousiasme à ces théories
« occultes » qui faisaient la part si belle au « racisme positif ». Cette
histoire « fantastique » était enseignée dans les Burg S.S.20 qui formaient
l’élite de l’Allemagne future quand on expliquait le chapitre sur la croix
gammée.
Ce qui est certain, en tout cas, c’est l’extraordinaire diffusion de ce signe
dans l’Antiquité.
En tibétain, la croix gammée est appelée gyung-drung, et les lamas la
considèrent comme le signe mystique par excellence, peut-être par allusion
au « roi du monde » souverain invisible de la Terre dont l’emblème serait
justement représenté par le signe qui nous préoccupe. La « légende » reprise
par « Saint-Yves d’Alveydre » (dans sa Mission de l’Inde) affirme en effet
que le « maître de l’Agartha » possède un sceau à croix gammée. Ce qui est
sûr, par contre, c’est que le grand conquérant Gengis Khan portait un
anneau à croix gammée, toujours conservé au musée d’Oulan-Bator
(Mongolie extérieure). Cette bague aurait, selon la « tradition » appartenu
au « roi du monde », qui en fit cadeau au fondateur de l’Empire mongol.
Par la suite, le sens ésotérique de ce signe se perdit dans la brume de
l’ignorance, particulière au monde profane.
Un homme comme Rosenberg, nourri d’ésotérisme, bien que fanatique
du racisme, n’ignorait pas le sens caché de la croix gammée et son terrible
pouvoir évocatoire sur les foules. L’état d’hypnose est l’aboutissement
fatidique de sa contemplation, renforcé par la trinité colorée du noir, blanc,
rouge, couleurs symboliques éternellement associées dans les sciences
traditionnelles et dans les religions antiques, qu’il s’agisse de l’alchimie, de
la science des nombres ou par exemple de la gnose manichéenne.
Au Moyen Age, les cathares bogomiles des Balkans, secrètement affiliés
au culte solaire, adoptèrent le svastika comme un de leurs emblèmes sacrés
à côté de la roue solaire, en signe de leur filiation manichéenne vouée à la
lumière. On sait que, en Occident, les cathares albigeois du Midi occitan
firent des châteaux de Montségur et de Quéribus de véritables temples
accueillant la lumière du Soleil à certaines périodes de l’année (solstices par
exemple).
Cette tradition ne devait pas être reniée par les successeurs gnostiques
des cathares, les templiers. Les chevaliers du Temple employaient en effet
plusieurs croix différentes, à côté de la croix dite « templière » que nous
connaissons bien. Parmi celles-ci, il faut signaler la croix celtique, définie
par une circonférence et dont il n’est pas nécessaire de rappeler la
signification. Ce signe était connu des druides de l’ancienne Gaule, qui
prétendaient le tenir eux-mêmes d’une tradition plus antique. L’autre
symbole crucifère de l’ordre militaire médiéval était la croix ruthène, riche
en symbolisme solaire ; elle est constituée de cinq cercles circonscrits dans
un carré. Si l’on efface les demi-cercles des angles du carré, on obtient le
signe qui nous intéresse. Enfin, le troisième signe, le moins répandu et le
plus ésotérique, si l’on peut dire, était la croix gammée, sans qu’il soit
nécessaire de revenir sur le sens occulte de ce symbole. Nous avons
aujourd’hui la preuve de cette utilisation : on a ainsi retrouvé au cours des
fouilles, une cassette, marquée de la croix templière, contenant entre autres
des jetons de cuivre frappés du svastika. On pense que ces pièces servaient
de signes de reconnaissance dans les réunions secrètes des grands
dignitaires de l’ordre.
Plus près de nous, la Fraternité des Rose + Croix, héritière de
l’enseignement traditionnel après la disparition du Temple, reprit, tout au
moins dans son enseignement ésotérique, la même emblématique sacrée.
L’innovation consista à surcharger la croix d’une rose, équivalent occidental
du lotus hindou, signe que l’action de la fama fraternitatis se déroulerait
désormais sous l’égide de l’amour et de la douceur là où l’action matérielle
et guerrière des templiers avait échoué. Dans le monastère de Loudun, on
peut toujours contempler un graffiti lourd de signification : il représente une
rose chargée d’une croix gammée. Le dessin est signé du nom de Guyot,
moine du XIVe siècle, qui ne serait autre que le kyot de la légende
arthurienne du Graal.
A partir du XVIIè siècle, l’utilisation du svastika semble disparaître en
Occident. N’oublions pas que cette même date correspondrait au retour des
« maîtres de sagesse » vers l’Asie.
Il faudra désormais attendre la résurgence en Allemagne des groupes
occultes qui devaient engendrer le phénomène hitlérien pour voir renaître
un emblème que l’on croyait à jamais oublié en Europe.
3. — les initiateurs d’Adolf Hitler
A l’origine de la carrière « messianique » d’Adolf Hitler, on rencontre
trois groupes ésotériques différents par la forme et l’organisation mais
concourant en réalité au même but ; il s’agit :
1° de l’ordre du Nouveau Temple, fondé par l’ancien cistercien Lang ;
2° du groupe Thulé, organisé par le baron von Sebottendorf ;
3° de la société du Vril, inspirée par la pensée de l’écrivain français
Louis Jacolliot.
A des titres différents ces trois sociétés secrètes peuvent se vanter
d’avoir inspiré de manière déterminante la pensée et l’action du maître du
IIIe Reich.
Pour expliquer l’influence de l’ordre du nouveau temple, il faut remonter
à l’enfance d’Adolf Hitler, né à Braunau-sur-Inn, le 20 avril 1889. Destiné
par son père à devenir un fonctionnaire des douanes, l’enfant est placé dans
un collège catholique tenu par les bénédictins, l’abbaye de Lambach. C’est
dans cet édifice religieux que le destin semble avoir convié Hitler à son
premier rendez-vous.
De l’abbaye de Lambach, Hitler retiendra une précoce expérience
mystique qui se développera plus tard dans des tendances manichéennes et
surtout le signe de la croix gammée gravée trente ans auparavant dans tout
le monastère par le père abbé Théodorich Hagen. Ecclésiastique très érudit,
le père Hagen était plus ou moins versé dans I’astrologie et les sciences
occultes. C’était également un spécialiste de l’Apocalypse selon saint Jean,
dont on sait qu’elle était à la base de la doctrine cathare et des
interprétations millénaristes de Joachim de Flore, le célèbre auteur-
visionnaire, prophète du IIIe Empire et du Saint-Esprit, au sein du courant
impérial dont le mythe se reporta sur Frédéric II.
En 1856, le père abbé accomplit un long voyage dans le Proche-Orient,
séjournant entre autres à Jérusalem, puis dans l’île de Patmos, où saint Jean
eut ses visions célestes. Il visita encore l’Iran, patrie de Zoroastre, la
Turquie et les pays du Caucase où, selon les textes tibétains, aurait trôné le
« roi du monde » avant son retour en Orient.
De retour à Lambach, en 1868, ce moine quelque peu étrange se mit
aussitôt en quête d’ouvriers et d’ébénistes à qui il ordonna de sculpter aux
quatre coins de l’abbaye, sur la pierre, le bois et même les objets du culte,
un signe inconnu de tous : le svastika. Cet exemple reste unique dans les
annales de l’Église. Mais le père Hagen était-il encore catholique lorsqu’il
fit tracer le signe fatidique vénéré en Occident par les néognostiques
cathares et templiers ?
Adolf Hitler, alors âgé d’une dizaine d’années, ne put qu’être frappé par
la répétition du signe solaire qui demeura gravé dans son subconscient.
Chose plus significative encore, il advint que, à cette même époque, alors
que Hitler était toujours élève à Lambach, l’abbaye reçut la visite d’un
moine cistercien répondant au nom de Adolf-Josef Lang, au physique le
type même de l’Aryen blond aux yeux bleus.
L’homme, attiré par l’austérité de la vie monastique, resta plusieurs
semaines enfermé dans la bibliothèque du monastère, poursuivant de
mystérieuses recherches. Y découvrit-il ce qu’il cherchait ? Il semble bien
que oui. On sait en effet que l’ordre cistercien, auquel appartenait Lang, fut
réformé au Moyen Age par saint Bernard, le même qui s’enthousiasma pour
les templiers au point de rédiger la règle de l’ordre et de la faire accepter
par le pape. Quand on saura que l’abbé de Clairvaux passe pour le
continuateur de la tradition druidique et celtique au sein du christianisme,
on comprendra mieux le sens des recherches entreprises par le moine
allemand.
Toujours est-il que, jetant son froc aux orties, Adolf Lang partit quelque
temps après pour Vienne, où il fonda, l’année suivante (1900) : l’ordre du
nouveau temple, inspiré, comme son nom l’indique, des célèbres moines-
soldats médiévaux. Il s’en proclama le nouveau grand maître, avouant avoir
reçu l’initiation d’un successeur de Jacques de Molay21. Si l’on en croit
Wielfried Daim, Hitler fut un lecteur assidu d’Ostara, le périodique publié
depuis 1905 par un certain Georg Lanz von Liebenfels, alias Adolf-Josef
Lang, qui, fait singulier, avait adopté la croix gammée pour emblème. Pour
Lanz, les « races inférieures » à cheveux foncés étaient les « singes » de
Sodome représentés par la Bible, les démons issus de Gog et Magog,
opposés aux « Aryens blonds aux yeux bleus », « chef-d’œuvre » des dieux
dotés de pouvoirs supranormaux sous la forme de « stations de force » et
d’« organes électriques » leur assurant une suprématie absolue sur toutes les
autres créatures. Lanz prétendait « réveiller » les dieux qui sommeillaient
dans l’homme afin de lui redonner la « puissance divine » qui rendrait à
celui-ci le « pouvoir originel ».
En dehors de sa théorie fumeuse, ce qui reste le plus troublant parmi les
écrits du cistercien défroqué, ce sont ses prédictions dont le contenu
s’applique parfaitement à la destinée d’Adolf Hitler. Curieuse coïncidence,
Lanz fait remonter l’origine de la race blanche à Thulé et aux
Hyperboréens, et voit une justification de ses théories dans le passage
biblique (livre d’Énoch) évoquant des êtres translucides aux cheveux blancs
issus d’une race de géants. Plus loin en arrière, le premier philosophe
« raciste » que nous connaissons, le Français Fabre d’Olivet, donne aussi à
la race primordiale une origine boréale, et quasi divine22.
Mais revenons aux textes prophétiques d’Ostara, parus dans un numéro
qui fera date, celui du printemps 1912. Dans cet article, Lanz rappelle
qu’Odin, le plus grand des dieux de la mythologie germanique, assimilable
à Zeus ou Jupiter, régnait, selon les sagas Scandinaves, sur le peuple des
Ases, Osses ou Ossètes, dont la ville sacrée, la « capitale sainte », est
Asgard, une terre située, d’après Lanz, « au point où les cours de la Volga et
du Don se rapprochent le plus », ce qui correspond exactement à la position
de Stalingrad, enjeu d’une lutte titanesque entre Russes et Allemands au
cours de la Seconde Guerre mondiale. De ce « royaume des Ases », le
fondateur d’Ostara n’est pas le seul à parler et, curieusement, Renan vient à
son secours. Ne trouve-t-on pas sous la plume de l’écrivain celte ces propos
énigmatiques : « Une large application des découvertes de la physiologie et
du principe de sélection pourrait amener la création d’une race supérieure,
ayant son droit de gouverner, non seulement dans la science, mais dans la
supériorité même de son sang, de son cerveau et de ses nerfs. » Et l’écrivain
poursuit : « Une fabrique d’Ases, un Asgard, pourra être reconstituée au
centre de l’Asie… » On croit rêver ! Chassés de leurs terres d’élection par
des invasions, les Ases, guidés par Odin, si l’on en croit l’ancien moine,
auraient reflué de la région qu’ils occupaient autour du Caucase jusqu’à la
mer Baltique. L’emblème royal d’Odin, que le lecteur le devine, n’aurait
pas été autre chose que la croix gammée23 et Lanz indiquait :
- Plusieurs légendes expliquent que, un jour, les Ases, conduits par les
walkyries et le grand chevalier blanc, devenu le maître suprême, iront
reconquérir la ville sainte d’Asgard, la terre promise des ancêtres, l’Ossétie
dans le Caucase, et la montagne magique, l’Elbrouz, sur lequel, disent les
légendes, serait venue s’échouer l’arche de Noé après le déluge.
Et Lanz de prophétiser :
« La vie véritable du maître suprême s’écoulera pendant une période de
six fois douze ans afin qu’il puisse remplir sa mission sous le signe de la
roue solaire qui changera la face de l’univers. »
Et nous allons voir combien les écrits de ce « mage » s’inscrivent dans la
ligne des « mystiques du Soleil » lorsqu’il affirme que le futur « maître »,
qui n’est pas sans rappeler l’homme envoyé par l’inconcevable des polaires,
aura « la révélation du signe : croix noire tournoyante comme le soleil
noir ». Ici commence un symbolisme des chiffres présentant plus d’un
rapport avec les prédictions du père Guyon évoquées dans le chapitre sur
Napoléon :
En effet, l’envoyé suprême restera obscur aux yeux de tous pendant
« deux fois douze ans ».
Au bout de douze ans après sa véritable naissance, il aura d’abord la
pleine révélation du sens du signe, puis fabriquera son étendard, ensuite,
après avoir reçu les petits mystères et les grands mystères, il sera élu,
gravissant ainsi les douze degrés ascendants du surhomme qui lui donneront
les pouvoirs magiques pour réaliser sa haute mission. Pourtant, il devra
encore subir l’épreuve du fer et du feu, jusque dans sa chair, avant de
commencer à rassembler ses disciples et apparaître en pleine lumière, à la
fin de son deuxième âge véritable.
Son « troisième âge véritable » le verra marcher vers le triomphe :
Quatre étapes de trois ans lui seront nécessaires pour qu’il soit reconnu
de tous ceux de son peuple : il donnera un message universel qui ne sera pas
compris de tous [car], au cours de la deuxième étape, il mènera ses disciples
avec ce message ; au cours de la troisième étape, il rassemblera la foule
grandissante de ses disciples dans la nouvelle ville sainte où rayonnera la
croix tournoyante. Ce n’est qu’au cours de la quatrième étape qu’il
marchera vers le commandement de tout son peuple. Alors commencera son
quatrième âge véritable. Il entreprendra la croisade contre les forces du mal,
qui fera de lui le maître suprême de l’Univers.
Et Lanz devient alors d’une précision hallucinante :
Cette croisade durera quatre fois trois ans. La première période sera celle
durant laquelle il forgera son épée. La deuxième période le verra sortir le fer
du fourreau. La troisième période sera celle où il frappera comme la foudre
pour arracher l’humanité à la corruption juive et à la domination
matérialiste, pour mener la croisade, jusqu’à la reconquête d’Asgard, la
terre sainte des Ases, et planter son ÉTENDARD AU SOMMET DU
MONT DE L’ARCHE.
Et le fondateur d’Ostara conclut ainsi :
[…] possédant toute la véritable puissance d’Odin, il fera connaître à ses
ennemis le feu du ciel qui sera à son service et frappera la Terre avec plus
de violence que mille éclairs. Il sera le maître suprême du monde, instaurant
partout les lois de son ordre pour mille ans. [Cependant], Quand l’ère de
l’esprit sera instaurée pendant quatre fois trois ans, que son fils aura atteint
la plénitude de son âge véritable : deux fois douze ans, le maître suprême se
préparera au grand voyage. Le fils aura construit l’aigle d’or qui, au terme
exact du sixième âge véritable du maître suprême, emmènera celui-ci
jusqu’aux portes de la cité céleste frappée des douze croix noires
tournoyantes qui rayonnent dans la nuit des temps.
Au milieu de bien des obscurités, la symbolique chiffrée et allégorique
de Lang a de quoi plonger dans un abîme de réflexion à condition d’être
correctement interprétée.
Mais suivons la prophétie pas à pas ; elle se déroule au diapason de la
vie de Hitler. Si l’on considère que le chiffre huit (8), selon la tradition, est
celui de I’initiation, de la résurrection, la « nouvelle naissance » du maître,
c’est-à-dire de Hitler (né réellement le 20 avril 1889) serait 1889 + 8 =
1897, date qui correspond à l’entrée de l’enfant comme élève à l’abbaye de
Lambach-sur-Traun, où il eut pour la première fois la révélation de la croix
gammée.
Le chiffre suivant, douze (12), est celui de l’accomplissement ou de la
plénitude, c’est celui des mystères de l’Antiquité, du sacré (les douze
apôtres, les douze signes du Zodiaque, les douze travaux d’Hercule). C’est
aussi le multiple de 3 et la trinité est le mystère suprême aussi bien en
Orient (la triade sacrée chinoise, la trinité chrétienne, les trois soleils de
Jamblique) qu’en Occident (les triades druidiques). C’est également le
multiple de 4, le chiffre carré qui symbolise les différentes régions de
l’espace (nord, sud, est, ouest), les différentes branches de la croix,
permanent dans la nature terrestre (les quatre saisons) et même infernale
(souterraine : les quatre cavaliers de l’Apocalypse). Quatre est en outre
l’attribut des éléments, eau, air, terre, feu, qui sont les forces du cosmos. Si
l’on en croit l’historien André Brissaud, c’est en 1909 (1897 + 12) que
Hitler découvrit Ostara et « fabriqua un projet de couverture pour un livre
qu’il voulait écrire, la Révolution germanique, sur laquelle figure un
étendard à croix gammée rayonnante inscrite dans un cercle » (Dans Miroir
de l’histoire, n° 248, p. 44). Hitler a eu, de cette manière, « la pleine
révélation du signe » évoquée par Lanz.
Si l’on ajoute encore douze ans, on obtient la date de 1921, qui est celle
des débuts du parti nazi. En 1921 surtout, Hitler devient le « président » et
chef suprême du parti national-socialiste, succédant à Anton Drexler. A
partir de 1921, le médium de Braunau franchit « les douze degrés
ascendants du surhomme » et entre dans le « troisième âge véritable » qui
comprendra « quatre étapes de trois ans ». Au cours de la première, « il
donnera un message universel qui ne sera pas compris par tous ».
Effectivement, le putsch de Munich tenté par Hitler échoue le 9 novembre
1923 malgré les succès initiaux du N. S. D. A. P. et il se retrouve dans la
prison de Landsberg en 1924. De cette date à 1927, le parti national-
socialiste se reforme ; c’est la période pendant laquelle Hitler « mènera ses
disciples avec ce message ». La troisième étape se termine en 1930, qui voit
les nazis remporter un grand succès électoral (107 députés au Reichstag) :
« Il rassemblera la foule grandissante de ses disciples. » Enfin, la quatrième
étape voit Hitler accéder au poste de chancelier et fêter sa victoire au
Congrès de Nuremberg : « Il marchera vers le commandement de tout son
peuple. »
Alors débute « le quatrième âge véritable » au cours duquel « il
entreprendra la croisade contre les forces du mal. » De 1933 à 1936, Hitler
organise le réarmement de l’Allemagne : « La première période sera celle
durant laquelle il forgera son épée. » Au cours de la deuxième étape (1936
+ 3 = 1939) Hitler inaugure l’ère des coups de force dont le premier est la
réoccupation militaire de la Rhénanie, suivie par l’annexion de l’Autriche et
l’absorption de la Tchécoslovaquie : c’est l’époque qui « le verra sortir le
fer du fourreau ».
En 1939, au commencement de la « troisième période » éclate la
Seconde Guerre mondiale, « où il frappera comme la foudre ». Hitler (1939
+ 3 = 1942) va de succès en succès. Encore trois ans et nous sommes en
1942. Le Führer est au sommet de sa puissance ; il a conquis l’Europe et la
moitié de la Russie. Il ne lui reste plus qu’à s’emparer de Stalingrad,
capitale de l’Ossétie, « pour mener la croisade jusqu’à la RECONQUÊTE
D’ASGARD ET PLANTER SON ÉTENDARD SUR LE SOMMET DU
MONT DE L’ARCHE » ce qui est fait lorsqu’un groupe de soldats
allemands plante le drapeau à croix gammée sur le mont Elbrouz, sommet
du Caucase et « montagne sacrée des Aryens ». Le svastika flotte aussi sur
Stalingrad, entre le Don et la Volga, mais à partir de ce moment-là, les
prophéties de Lanz se dérèglent24. Hitler, pour les raisons mystiques que
nous connaissons maintenant, refuse d’évacuer Stalingrad où ses armées
sont encerclées et détruites ; il ne deviendra jamais le « maître suprême du
monde instaurant partout les lois de son ordre pour mille ans », ce millenum
que ne cessait d’annoncer le Führer. Il ne possédera pas le feu du ciel, la
bombe atomique qui « frappera la Terre avec plus de violence que mille
éclairs. » C’est l’Américain Truman qui lancera le « Soleil d’Hiroshima » et
déchaînera le feu de l’énergie nucléaire. Pourtant, il s’en est fallu de peu
que Hitler n’obtienne la bombe atomique. Que se serait-il passé si un
commando allié n’avait pas réussi à détruire, en 1943, l’usine d’eau lourde
installée en Norvège ? Hitler… maître du monde. Nous sommes passés très
près de la « prédiction de Lanz ». Enfin… L’astrologue a dû se tromper
dans ses calculs ! A moins que l’avenir ne nous réserve d’autres surprises
dans une époque prochaine qui verrait l’ « aigle d’or » emmener le « maître
suprême jusqu’aux portes de la cité céleste frappée des douze croix noires
tournoyantes qui rayonnent dans la nuit des temps ».
Le groupe Thulé
Si Hitler fut influencé par les « prédictions » de la revue Ostara et fut
peut-être affilié à l’ordre du nouveau Temple dans les années immédiates
précédant la Première Guerre mondiale, l’emprise de la Thulegesellschaft
sur le parti nazi à ses débuts n’en est pas moins incontestable et beaucoup
mieux prouvée.
Cette « société secrète » fut crée en août 1918 sur l’initiative du baron
von Sebottendorf, personnage étrange qui mérite toute notre attention. Le
groupe Thulé lui-même n’était que l’émanation d’une société initiatique
beaucoup plus importante intitulée ordre des Germains (Germanenorden)
fondé en 1912 et dont Sebottendorf devint une des « têtes pensantes » au
point que lui fut confiée, en janvier 1918, la direction de la province
bavaroise de l’ordre.
Né en Saxe en 1875, Sebottendorf, avant 1914, accomplit de nombreux
voyages dans le Proche-Orient. Pendant la guerre balkanique de 1912-1913,
il dirigea même l’organisation du croissant-rouge Turc et fut élevé à la
maîtrise de l’ordre du Rosaire (Rosenkranz). En tout cas, l’influence de ce
personnage dans l’Allemagne d’après-guerre était considérable, puisqu’il
pouvait menacer impunément le chef de la police de Munich de déclencher
des pogromes qui emporteraient le gouvernement au cas où un membre du
groupe Thulé viendrait à être inquiété.
Dans ce « bouillon de culture » des sectes racistes allemandes à vocation
occulte, surgit le D. A. P. (parti ouvrier allemand) fondé par Anton Drexler
et inspiré directement par notre fameux baron, mouvement qui devait
trouver sa formule définitive dans le N. S. D. A. P. (ou parti national-
socialiste ouvrier allemand) et son « grand inspiré » Adolf Hitler.
La Thulegesellschaft abritait sous son ombre tout un réseau de groupes
similaires inspirés par la même doctrine raciste et antisémite à base
d’occultisme tels que l’union du marteau, qui compta un moment parmi ses
membres influents l’économiste Gottfried Feder, l’un des futurs cadres du
parti nazi. Quant au nom de la secte, il s’inspire de la mythologie
germanique, car le marteau dont il est question ici est bien le « marteau de
Thor », instrument du dieu parallèle à Vulcain forgeant dans son antre les
armes d’Odin : la foudre. Cet instrument symbolique est figuré par le tau
renversé et comporte toujours le svastika, lequel ne serait autre, dans cette
interprétation, que le symbole de la transmutation alchimique. Son origine
lointaine serait égyptienne.
Mais pour en revenir à l’action de la société, on peut se demander quelle
était son implantation. Aussi étonnant que cela paraisse au premier abord, le
Sud de l’Allemagne était beaucoup plus réceptif à ce genre de
« propagande » ésotérique et les réunions du groupe avaient lieu
principalement à Munich, plaque tournante des mouvements secrets et anti-
weimariens. On relève également dans ce cercle d’initiés la présence de
Hans Frank, l’avocat du parti nazi, qui devait être un jour gouverneur
général de la Pologne occupée.
Dans son ouvrage, aujourd’hui introuvable, Bevor Hitler kam (« Avant
que Hitler ne vienne ») l’animateur du groupe Thulé, nom symbolique dont
nous avons longuement entretenu le lecteur, rappelle quelle fut la source
ésotérique de sa doctrine, et cela rejoint notre point de vue, en montrant que
les fondateurs du parti national-socialiste rejoignant curieusement l’optique
de Frédéric II de Hohenstaufen, ne dédaignaient pas de puiser dans l’islam,
religion en éternel devenir, une partie de leur inspiration gnostique.
Sebottendorf n’hésitait pas à écrire : « L’islam n’est pas une religion figée.
Tout au contraire, sa vitalité est plus grande que celle du christianisme. »
D’où peut donc venir sa force ? De sa source cachée « d’une eau vive qui
fécondait tout, aux premiers temps de l’Église et qui suscita, au Moyen
Age, les plus merveilleuses floraisons ». On ne peut comprendre cette quête
aux sources des grandes religions, monothéisme d’Akhenaton,
zoroastrisme, manichéisme, gnose, bouddhisme, islam, qu’en tenant compte
de l’initiation solaire commune à toutes ces tentatives métaphysiques. Les
« nouveaux maîtres » de l’Allemagne ne pouvaient ignorer cette filiation, et
Hitler moins que personne. Il fallait, dans cette perspective, retrouver le
« fil de la connaissance perdue » et « le chemin qui mène à la royale
Thulé », et pour ce faire, utiliser les courants ésotériques traditionnels
permettant seuls de reconstituer, page après page, le « grand livre de
l’épopée des Aryens ».
Cela est corroboré par l’explication de Sebottendorf :
Il est nécessaire, écrit-il, de prouver que la franc-maçonnerie orientale
conserve encore fidèlement, à notre époque, les anciens enseignements de
la sagesse, oubliés par la franc-maçonnerie moderne dont la Constitution de
1717 fut un détournement de la juste voie.
Selon sa propre vision, Sebottendorf était chargé d’accomplir une
mission :
- On ne peut me reprocher aucune profanation ni aucun sacrilège en
découvrant la source de ces mystères… C’est la voie que les ordres de
derviches ont coutume d’emprunter… afin d’acquérir des forces spéciales
par des techniques particulières. Ce sont pour la plupart des hommes qui
aspirent à la haute initiation, celle dont proviennent ceux que l’on a formés
et préparés à leurs missions de chefs spirituels de l’islam… Cette haute
initiation est la base pratique de la franc-maçonnerie et elle constituait
l’œuvre des alchimistes et des Rose-Croix… Mais pour répondre à
l’accusation d’une trahison de ma part, il faut déclarer que ce texte a été
écrit à la demande des chefs de l’ordre. La raison en est la suivante : une
vaste organisation de l’incrédulité, aux dimensions monstrueuses, veut
soumettre le monde civilisé. Les institutions religieuses sont si
profondément minées qu’elles ne peuvent même plus se ressaisir ni opposer
une résistance unifiée. Si des chefs spirituels n’apparaissent pas en
Occident, le chaos peut entraîner tout dans l’abîme. Dans cette détresse, les
« frères musulmans » se souvinrent que la tradition affirme qu’il fut un
temps, en Europe, où l’on connaissait la haute science… La détresse du
moment fit s’évanouir toute objection à la publication [de cet ouvrage].
Dans cette initiation, Sebottendorf revendique, comme son maître, le
dirigeant de l’union du marteau, Theodor Fritsch (1852-1933) auteur du
Manuel de la question juive, pamphlet qui connut en son temps un certain
succès. Le livre de Fritsch évoquait les « grands mythes » devenus familiers
au lecteur tels que les « géants redoutables », ou la « mystification
chrétienne ».
Fritsch exerça une influence notable sur les théories de « l’ordre des
Germains », fondé en 1912, qui rassemblait certaines loges de la franc-
maçonnerie prussienne (raciste) aussi bien que des associations antisémites
déclarées. C’est à Thaïe, en mai 1914, rapporte von Sebottendorf, que « les
militants du Germanenorden formèrent une alliance secrète, la première
loge antisémite destinée à s’opposer en tant que société consciente à
l’alliance secrète juive ».
Le groupe Thulé devint une filiale particulièrement active de la société
mère, puisque les principaux intellectuels nazis devaient en sortir, lui
empruntant de nombreux rites notamment celui du salut Sieg Heil ! selon le
témoignage de Sebottendorf. L’interdiction de son livre en Allemagne en
1934 incite à croire qu’il disait la vérité.
Les règles du Germanenorden étaient très strictes. Notamment, l’ordre
n’acceptait comme membre qu’un Allemand « de sang pur » et des femmes
dans le seul grade « d’amitié ».
A la veille de la guerre de 1914, une centaine de loges étaient déjà
constituées un peu partout à travers l’Allemagne, regroupant plusieurs
milliers de membres. Bien entendu, toute l’organisation restait secrète.
En décembre 1917, sous l’impulsion de Sebottendorf, fut décidée la
publication des « Nouvelles générales de l’ordre » destinées aux seuls
initiés et des « Runes » accessibles aux titulaires du grade « d’amitié ».
C’est à cette occasion que von Sebottendorf parvint au poste important
de chef pour toute la Bavière. Il en profita ensuite pour écrire cette phrase
révélatrice : « Ce choix fut important, car la Bavière est devenue ainsi le
berceau du mouvement national-socialiste. »
Sur les publications de l’ordre figurait en bonne place la croix gammée
accompagnée du symbole du dieu Wotan. Quant à l’appellation de Thulé,
qui succéda à l’ « ordre des Germains » au point de l’absorber
complètement, nous savons à quoi elle se rapporte. Ce nom « magique » ne
pouvait qu’attirer l’occultiste Sebottendorf, très versé dans l’astrologie (il
établit de nombreux horoscopes pour de hautes personnalités). C’est à son
initiative que, à partir de 1918, les loges se tinrent tous les samedis, jour de
Saturne, astre lié de très près à la destinée d’Adolf Hitler (né sous le signe
du Bélier) qui transcrivit le symbole astrologique dans sa signature.
Ajoutons que le sigle officiel de la Thulegesellschaft, qui décorait toutes
les loges, représentait la croix gammée surchargée de deux lances. Pourquoi
ce triple symbole ?
C’est parce que, selon Rosenberg, les peuples nordiques apportèrent la
croix gammée, ainsi d’ailleurs que la lance, l’auréole et la croix ordinaire,
bien avant l’an 3000 av. J.-C., en Grèce, à Rome et aux Indes.
La défaite de 1918 favorisa les groupes ésotériques racistes, profitant du
désespoir de nombreux Allemands. C’est ainsi que, le 9 novembre 1918,
soit deux jours avant l’armistice, Sebottendorf prononça le discours suivant,
instructif et prémonitoire :
- J’ai l’intention d’engager la « Thulé » dans ce combat, aussi longtemps
que je tiendrai le marteau de fer… J’en fais le serment sur cette croix
gammée, sur ce signe qui nous est sacré, afin que tu l’entendes, o ! Soleil.
Triomphant ! et je tiendrai ma fidélité à votre égard. Ayez confiance en moi
comme j’ai confiance en vous… Notre dieu est le père du combat et sa rune
est celle de l’aigle… qui est le symbole des Aryens. Aussi, pour marquer la
faculté de combustion spontanée de l’aigle, on le représentera en rouge…
Tel est notre symbole, l’aigle rouge qui nous rappelle qu’il nous faut passer
par la mort pour pouvoir revivre.
Le symbolisme de l’aigle sera repris par les nazis, accompagné du
svastika. Le Soleil ailé représente un symbole très ancien adopté aussi bien
par les Égyptiens que par les mazdéens ou les Grecs.
Dans son livre, Avant que Hitler ne vienne, Sebottendorf publia la liste
complète des membres du parti nazi ayant appartenu au groupe Thulé.
Parmi ceux-ci, on relève les noms de :
Eckart (Dietrich) : rédacteur du Völkischer Beobachter et conseiller de
Hitler (mort en 1923).
Hess (Rudolf) : né le 26 avril 1894, à Alexandrie (Égypte). Il fréquente
les universités suisses où il apprend les langues étrangères jusqu’en 1914.
Engagé volontaire pour la durée de la guerre, qu’il termine comme
lieutenant aviateur. Un des premiers adhérents au parti nazi : il participe au
putsch de Munich et partage la captivité de Hitler à la prison de Landsberg.
Ministre d’État en 1933 et dauphin désigné du Führer à partir de 1937
(jusqu’à sa fuite en Angleterre en 1941).
Rosenberg (Alfred) : né le 12 janvier 1893. Collaborateur de Dietrich
Eckart et rédacteur en chef du Völkischer Beobachter, le quotidien du parti,
à partir de 1924. Reichsleiter du parti nazi, idéologue officiel, ministre et
chef des services extérieurs du N. S. D. A. P. Auteur entre autres ouvrages
du fameux Mythe du XXe siècle.
Frank (Hans) : avocat du parti nazi, Docteur en droit, Président de
l’Association allemande des Juristes. Devenu Reichsleiter et gouverneur
général de Pologne occupée (1940-1944) avec le rang de Ministre.
En dehors de ces « brillants seconds », la Thulegesellschaft
s’enorgueillissait de compter Adolf Hitler lui-même parmi ses « frères
visiteurs ».
La preuve est ainsi faite des liens occultes qui unissaient Hitler et les
sociétés secrètes allemandes.
La société du « Vril »
On trouve à l’origine de cette société, connue également sous
l’appellation de loge lumineuse, l’écrivain français Louis Jacolliot (1837-
1890.) Ce dernier avait puisé son inspiration chez des « illuministes » au
nombre desquels le Suédois Swedenborg et le Français Louis Claude de
Saint-Martin, fondateur de l’ordre Martiniste, ainsi que chez l’alchimiste
allemand du xve siècle : Jacob Boehme, restaurateur du mouvement des
Rose + Croix. Jacolliot passa une grande partie de sa vie en Orient, et plus
particulièrement en Inde, où il fut longtemps magistrat dans nos anciens
comptoirs. Parmi les œuvres marquantes de cet écrivain « ésotérique »,
citons quelques titres significatifs : Krishna et le Christ, les Traditions
indoasiatiques, Rois, prêtres et castes, etc.
Jacolliot voit le principe de toute action humaine transcendante dans le
Vril, formidable réserve d’énergie dont l’homme n’utilise ordinairement
qu’une infime partie. Les Yogi de l’Inde savent très bien de quoi il s’agit
lorsqu’ils parlent de l’éveil de Kundalini, le « serpent de feu » situé dans la
colonne vertébrale et pouvant être libéré par des pratiques tantriques à base
rituelle ou sexuelle.
La « secte du Vril » est toujours bien vivante en Inde, en tant que groupe
ésotérique, et comptait voici quelques années encore deux millions
d’adeptes répartis essentiellement dans l’État de Mysore.
Les « adorateurs » du Vril vénèrent le Soleil et tous les matins saluent la
renaissance de l’astre du jour. Leurs temples sont marqués aux angles de
motifs à croix gammées, ce qui ne nous étonnera pas, étant donnée la
signification du symbole.
La « société du Vril », fondée en Allemagne au début du siècle, avait
dans ce pays des liens étroits avec certains cercles théosophiques et, à
l’étranger, avec la Golden Dawn britannique (fondée par S. L. Mathers) à
laquelle appartint le célèbre écrivain anglais H. G. Wells, auteur de la
Guerre des mondes et moins connu comme philosophe. Curieusement,
Wells se révèle dans son livre, Dieu, l’invisible roi, comme un mystique du
Soleil. N’écrit-il pas en effet, non sans raison semble-t-il :
Les recherches concernant les plus anciennes traditions religieuses que
l’on peut considérer comme les plus proches de cette révélation primitive
dont bien des faits nous incitent à postuler l’existence aboutissent à cette
constatation qu’elles étaient fondées sur le culte du soleil, aussi bien à
l’époque des dolmens, que dans les civilisations précolombienne,
égyptienne, scandinave, et jusqu’au Japon où le Soleil est une déesse.
Pour Wells « le premier foyer de la religion solaire fut
vraisemblablement l’Atlantide… De l’Atlantide, la religion solaire passa au
Mexique, au Pérou, en Égypte, en Chaldée », et l’auteur ajoute cette petite
phrase qui en dit long : « La religion hyperboréenne était solaire comme le
fut celle des druides », ce qui nous fait penser immédiatement à la fois au
groupe des Polaires et à l’ « initiateur » celtique de Napoléon, le père
Guyon.
Ces écrits de Wells sont le reflet de l’enseignement de la Golden Dawn
ou « aube dorée », non sans rapport avec la Rose + Croix d’or hollandaise
qui compta parmi ses membres l’instituteur français Gadal, spécialiste du
catharisme et ami d’Otto Rahn, déjà connu de nos lecteurs.
Parmi les membres Berlinois de la « société du Vril », on remarque le
nom de Karl Haushoffer. Né en 1869, ce personnage fera beaucoup parler
de lui, jusqu’à sa mort en 1946. Il effectua de nombreux voyages en Orient,
notamment au Japon, où il étudia le bouddhisme Zen, et en Inde. En 1918,
Haushoffer vint s’installer à Munich, refuge de toutes les sociétés secrètes,
et adhéra, l’un des premiers, au parti ouvrier allemand fondé la même année
par l’ouvrier serrurier Anton Drexler (parti qui se transforma en N. S. D. A.
P. ou parti nazi, sous l’impulsion d’Adolf Hitler).
Le rôle de Karl Haushoffer, fondateur de la « géopolitique », fut
certainement important, notamment comme conférencier et « bailleur de
fonds » du mouvement national-socialiste à ses débuts. Karl Haushoffer ne
survit pas longtemps à la mort de son « disciple » Adolf Hitler, puisqu’il se
suicida en 1946 en se faisant hara-kiri à la manière des samouraï. Son fils,
qui connut une partie de la vérité au sujet des secrets de la « loge du Vril »,
passa du côté de la résistance au nazisme et participa au complot du 20
juillet 1944, qui visait à assassiner Hitler. Le réseau auquel il appartenait
s’intitulait la « Rose blanche », pur symbole de la connaissance initiatique.
Albrecht Haushoffer, arrêté et condamné à mort, avant de périr sous la
hache du bourreau, devait laisser un poème dont la beauté et la profondeur
pourraient servir de point final à cette lutte :
Pour mon père le destin avait parlé
Il dépendait une fois de plus
De repousser le démon dans sa geôle
Mon père a brisé le sceau
Il n’a pas senti le souffle du Malin
Il a lâché le démon par le Monde…
4. — L’initié Adolf Hitler
Adolf Hitler est né le 20 avril 1889, à Braunau-sur-Inn, rivière qui sert
de frontière entre l’Autriche et l’Allemagne. La Haute-Bavière est le pays
des médiums et non loin de là coule le majestueux Danube peuplé des
légendes de la mythologie germanique. La Bavière, c’est encore le pays des
forêts et des châteaux fantastiques érigés par le roi-chevalier Louis II, en
plein XIXe siècle, et Wagner, ce titan de la musique, pourra enfin réaliser à
Bayreuth son rêve d’un temple de l’harmonie consacré à son œuvre. Toutes
ces influences pénètrent de leurs effluves mystiques l’âme de celui qui,
avant de se jeter dans la politique, aura voulu n’être qu’un artiste. Tout est
contradictoire chez Hitler, et ce paradoxe tient sans doute à la position des
astres dans le ciel au moment de sa naissance. Penchons-nous un instant sur
l’horoscope du futur dictateur :
Hitler, c’est la première chose qui nous frappe, est né sous le signe
solaire du Bélier comme Zoroastre et Alexandre. C’est la première
constellation d’étoiles qui apparaît dans le Zodiaque. Le Bélier est, en effet,
nous l’avons déjà souligné, la maison de Mars, planète de l’énergie
dynamique. C’est le signe d’exaltation du Soleil, dispensateur de la vie. Les
enfants du Bélier sont ambitieux et énergiques, turbulents et excessifs, ayant
une haute idée de leur propre valeur ; et ne retrouve-t-on pas ici les traits
déjà affirmés de l’élève Adolf Hitler, se comportant comme un « petit
meneur » et un esprit exalté tenant tête à ses professeurs et bravant
l’autorité paternelle.
C’est l’astrologue Kerneiz qui souligne, dans une étude plus précise, le
ciel de naissance du Führer :
Le 20 avril 1889, à 6 h 30 du soir, en effet, le futur Führer venait de
naître, à Braunau (Autriche). Presque simultanément, l’étoile de première
grandeur l’Épi se levait a l’orient et versait son rayonnement énigmatique
sur son obscur berceau.
La configuration zodiacale, poursuit l’astrologue, rappelait étrangement
celle qui, cent vingt ans PLUS TOT, AVAIT PRÉSIDÉ EN CORSE A LA
NAISSANCE de Bonaparte. L’orientation générale des maisons, sans être
absolument identique, était très voisine ; elle présentait, peut-on dire, un
grand air de parenté. Tout proche du méridien, Saturne, « qui élève et
précipite », dominait le ciel astrologique. Toutes les planètes étaient au-
dessus de l’horizon, sauf deux : Jupiter et la Lune, celle-ci également
maléficiée dans le Capricorne.
Et Kerneiz laisse échapper cette phrase troublante :
L’évolution de l’Allemagne contemporaine demeurerait en partie
inintelligible si l’on ignorait l’influence qu’exercent sur elle de puissantes
sectes mystiques. Celles-ci, sur la promesse des astres, adoptèrent LE
FÜHRER ET LUI DONNÈRENT SANS COMPTER LEUR APPUI.
Voilà qui ne nous surprendra pas en tout cas.
La ressemblance entre les deux personnalités solaires de Hitler et de
Napoléon est renforcée par d’autres signes. Ainsi ce qui, plus que son génie,
a sans doute fait la grandeur de Napoléon, c’est l’étrange fascination qu’il
exerçait autour de lui, et qu’il exerce encore, amplifiée par la postérité. Or
une puissance magnétique du même ordre, provocatrice de dévouements
fanatiques et absolus, s’inscrit indéniablement, dans l’horoscope du
chancelier du Reich… Nous trouvons aussi le même esprit aventureux,
passionnément épris de grandeur, mais avec, comme contre-partie, la même
insouciance de la personnalité (et même de la vie) d’autrui. Napoléon
s’entourait mal : Hitler semble être prédestiné à être desservi et même trahi
par ses seconds.
Ajoutons que cet horoscope a paru en 1933 et ne peut donc être suspecté
de parti pris a posteriori. Il n’en est que plus intéressant.
Et c’est encore à Kerneiz que nous emprunterons la description suivante,
extrêmement révélatrice, à rapprocher de ce que nous avons écrit
précédemment :
L’ascendant d’Adolf Hitler était au 206e degré de l’écliptique, à 26° 42’,
du signe de la Balance. La planète la plus proche était Uranus, à 19° 20’ de
la Balance. Une étoile fixe de grande importance astrologique, l’Épi (Alpha
virginis), se trouvait également à proximité, à 22° 18’ du même signe.
Plus proche encore de longitude, mais plus éloigné de déclinaison, nous
trouvons Arcturus, magnifique étoile de première grandeur que l’on peut
admirer dans le prolongement de la queue de la Grande Ourse.
Lorsque l’ascendant est situé au voisinage de ces deux astres, on se
trouve généralement en présence de personnalités remarquables, soit pour le
bien, soit pour le mal (car tous deux sont indifférents du point de vue de la
moralité).
S’il arrive, en vertu de dispositions de leur ciel de naissance, que ces
personnalités se trouvent pendant un certain temps accordées avec les ondes
cosmiques, elles ont une destinée fulgurante qui, trait caractéristique,
demeure légendaire dans la mémoire des peuples. Légende bénie, s’il s’agit
d’un saint, légende exécrée s’il s’agit d’un Attila, légende glorieuse, s’il
s’agit d’un Napoléon.
L’immense popularité de Hitler s’explique alors :
L’Épi et Arcturus ont ceci en commun que les personnages nés sous leur
influence constituent (à condition bien entendu qu’il y ait accord
harmonique) des caisses de résonance idéales pour les radiations
cosmiques. Là réside pour la plus grande part le secret de leur popularité.
Hitler, nous le savons, eut autour de lui plusieurs astrologues, tout au
long de sa carrière. Hanussen, le « mage » qui annonça l’incendie du
Reichstag est le plus connu. Il fut assassiné en 1933. D’autres lui
succédèrent avec plus ou moins de succès. Parmi ceux-ci, on trouve le nom
d’Élisabeth Eberstein, qui éditait à Goerlitz des livres et revues
astrologiques.
Assez renommée pour la qualité de ses travaux, elle fut présentée à
Hitler par le chef suprême des S. S. Heinrich Himmler, au cours de l’année
1934. Ce fut elle qui conseilla au Führer la construction du « nid d’aigle »
de Berchtesgaden, au sommet du mont Kehlstein. Du haut de cette terrasse,
on pouvait à merveille contempler la voûte céleste et consulter les astres.
Elisabeth Eberstein, à la suite d’on ne sait quelle intrigue, tomba soudain en
disgrâce et regagna sa ville de Goerlitz. Au début d’octobre 1939, les
journaux annoncèrent la mort subite de la « pythie ».
Hitler ne badinait pas avec l’astrologie, comme nous venons de le voir.
Un « cabotin » de l’occultisme pouvait-il impunément dévoiler certains
secrets de la secte ? Beaucoup apprirent à leurs dépens ce qu’il en coûtait, et
la liste des « morts bizarres » n’est sûrement pas close ! Hermann
Rauschning, prudemment émigré aux États-Unis, est une des rares
personnes qui ont pu soulever un coin du voile sans passer de vie à trépas.
Des observations de Rauschning on peut conclure, à la lumière des
explications fournies au sujet des « initiateurs de Hitler », que le Führer
était « manipulé » par des puissances invisibles, peut-être quelques
« supérieurs inconnus » envoyés par l’Agartha. Ses dons d’orateur, doublés
de ses facultés médiumniques faisaient de Hitler un initié « cosmique »
doué de pouvoirs supranormaux, objet d’une prédestination analogue à celle
d’un dalaï-lama. Des entités mystérieuses entrent en contact avec lui et leur
puissance le plonge dans la terreur :
Une personne de son entourage m’a dit qu’il s’éveillait la nuit en
poussant des cris convulsifs. Il appelle au secours. Assis sur le bord du lit, il
est comme paralysé. Il est saisi d’une panique qui le fait trembler au point
de secouer le lit. Il profère des vociférations confuses et incompréhensibles.
Il halète comme s’il était sur le point d’étouffer. La même personne m’a
raconté une de ces crises avec des détails que je me refuserais à croire, si
ma source n’était aussi sûre. Hitler était debout dans sa chambre,
chancelant, regardant autour de lui d’un air égaré : « C’est lui ! C’est lui, Il
est venu ici », grommelait-il. Ses lèvres étaient bleues. La sueur ruisselait à
grosses gouttes. Subitement il prononça des chiffres sans aucun sens, puis
des mots, des bribes de phrases. C’était effroyable. Il employait des termes
bizarrement assemblés, tout à fait étranges. Puis, de nouveau, il était
redevenu silencieux, mais en continuant à remuer les lèvres25.
L’exposé de cette « communication » avec des « créatures supérieures »
est involontaire parce que le narrateur ignore le sens de cette scène
hallucinante. Mais nous pouvons imaginer ce que pouvait être ce
« combat » dans l’occulte entre « forces blanches » et « forces noires » qui
se disputaient Hitler sans que l’on sache longtemps qui devait l’emporter.
Un jour, une femme de son entourage l’avertit ainsi :
Mon Führer, dit-elle, ne choisissez pas la magie noire. Vous avez,
aujourd’hui encore, le choix libre entre la magie blanche et la magie noire.
Mais dès l’instant où vous vous serez décidé pour la magie noire, elle ne
sortira plus jamais de votre destin. Ne choisissez pas la voie mauvaise du
succès rapide et facile. Vous avez encore ouverte à vos pas celle qui conduit
à l’empire des esprits purs. Ne vous laissez pas détourner de ce bon chemin
par des créatures liées à la boue, qui vous dérobent votre force
créatrice »26.
Hitler était parfaitement préparé à son rôle de « réceptacle » des forces
occultes depuis sa prime jeunesse. Impressionné dès l’âge de quinze ans par
la musique pathétique de Wagner, il est pris d’une transe mystique après
une représentation de Rienzi27 et, abandonnant son ami August Kubizeck,
il s’élance hors de la ville et gravit la colline qui domine Linz. Devant les
étoiles, dans cette nuit d’automne, Hitler, pour la première fois, fait
connaissance avec l’invisible.
Plus tard, à Vienne, en même temps qu’il « dévore » Ostara, Hitler, au
cours de ces années errantes, lit des bibliothèques entières. Ainsi il gardait
mieux en mémoire que beaucoup de professeurs, la substance des 25 000
vers de Parsifal. Martin Luther et toute l’histoire de la Réforme lui
plaisaient beaucoup et il manifestait un vif intérêt pour le dominicain
Savonarole. Il était fort instruit sur les activités de Zwingl à Zurich et de
Calvin à Genève, et avait lu les enseignements de Confucius comme ceux
de Bouddha et de leur époque. Il lut énormément d’ouvrages sur Moïse,
Jésus, les origines du christianisme, et étudia même, à cet égard, les œuvres
de Renan et de Rosaltis28.
Nous nous apercevons, en découvrant les auteurs préférés de Hitler, que
son choix était orienté par des considérations bien particulières. L’étude de
la sagesse orientale et tibétaine, de la naissance du christianisme qui vit
fleurir aux premiers âges les auteurs gnostiques, puis de la Réforme anti-
catholique, se complète par la lecture d’auteurs à clé dont l’œuvre est
fortement teintée d’ésotérisme : Dante, Goethe, pour ne citer que les plus
connus.
Le Florentin fut par la suite annexé dans le panthéon nazi des « génies de
la race aryenne ». Dante, selon Rosenberg, est d’origine germanique : il
s’appelait Durante Aldiger… Toute sa vie il s’est rangé du côté de cette idée
nordique que le pouvoir temporel doit être indépendant de la domination
des prêtres. « Il n’a pas craint de soumettre aux tortures de l’enfer les papes
dépravés, d’appeler Rome elle-même un cloaque, et avant tout il écrivait
dans la langue du peuple. « Mais allons plus loin dans l’analyse. Le
champion de la cause gibeline et impériale ne pouvait être que
favorablement accueilli aussi bien chez les « illuminés de Bavière », qu’à
« l’Étoile bleue de Prague », ou à Vienne, chez les successeurs des
« seigneurs des marches lombardes ». Dante tient à la race et proclame que
« toute mésalliance est un péché contre le sang ». Quant au rêve de
l’imperium, cher aux hitlériens, lorsque le roi allemand, comte de
Luxembourg, Henri III, pénètre en Italie et se fait sacrer empereur à Rome,
Dante prépare dans l’enthousiasme le terrain à ce prince-templier qui
mourut empoisonné par une ostie, sur ordre du pape ; en termes nationaux-
socialistes, la Sehnsucht de Dante pour l’Indus et le Gange, à travers le
mythe de la monarchie universelle, « est citée comme l’expression même de
la nostalgie du lieu originel des grands ancêtres29 ». Inscrit au programme
des « collèges S. S. » et des « écoles » du parti, Dante fut l’objet d’études
nombreuses de la part des savants nazis. Dans Cracovie occupée ou au
Römanisches Seminar de Vienne, on enseignait que « Dante était un
courageux véritable templier, ayant bien compris que le gouvernement du
monde appartient à l’élite, une élite blanche et qui respecte la femme
comme le fait naturellement tout Aryen, dans le cas du poète, la femme en
ses incarnations de la déesse de la Terre, qui s’appelle autrement la vierge
Marie. C’est d’abord grâce à son support, puis ensuite à celui du grand
Burgonde Bernhard30 que fut possible l’ascension vers le Soleil des
chevaliers blancs ».
On n’aurait pas fini de disserter sur les jugements littéraires de Hitler et
sur le prisme à travers lequel il voyait les grands personnages de l’histoire
dont, d’une « certaine » façon, il prenait la succession.

S’il porte ainsi au pinacle le Zarathoustra31 vu par Nietzsche, Hitler ne


dédaigne pas pour autant d’autres figures historiques illustres de l’Antiquité
à nos jours. Il se sent une parenté avec Julien, dont il a lu les œuvres et, à
ses yeux, on devrait répandre par millions le livre qui contient les réflexions
de l’empereur Julien. Quelle merveilleuse intelligence, quel discernement !
Toute la sagesse antique ! 32
Ces éloges dithyrambiques à l’adresse de l’adorateur de Mithra et
d’Hélios-roi ne nous étonneront pas dans la bouche de l’homme du Soleil
noir présent dans la croix gammée, et dans cette conception :
- On ferait mieux de parler de Constantin le Traître et de Julien le Fidèle
au lieu de Constantin le Grand et de Julien l’Apostat.
Et le Führer conclut sans nuance :
Ce que les chrétiens ont écrit contre l’empereur Julien, c’est à peu près
du même calibre que ce que les juifs ont écrit contre nous. Les écrits de
l’empereur Julien, en revanche, relèvent de la plus haute sagesse. Si
l’humanité se donnait la peine d’étudier et de comprendre l’histoire, il en
résulterait des conséquences d’une portée incalculable33.
Plus près de nous, Hitler qualifie « le Corse Napoléon » de « génie
militaire unique au monde » et, dans le secret de son cœur, il en est presque
jaloux. Il veut suivre ses traces et, en 1939, porte la vareuse militaire qu’il
ne quittera plus désormais. L’assimilation va plus loin puisqu’il prend en
main la conduite de la guerre et dans les premières années du conflit tout au
moins, comme le grand homme, remporte des succès foudroyants. Quand,
en juin 1940, les troupes allemandes entrent à Paris, Hitler donne des ordres
pour qu’elles ne défilent pas sous l’arc de triomphe de l’Étoile, en signe de
respect pour Napoléon, et lorsqu’il fait une visite éclair dans la capitale, le
Führer se rend immédiatement aux Invalides et, là, dans la crypte funéraire,
devant le tombeau de porphyre qui contient les restes de l’Empereur, il
médite longuement et entend une voix qui lui murmure à l’oreille : « Va en
Russie ! Va en Russie ! » Et, comme Napoléon cent vingt-neuf ans plus tôt,
Hitler se lance, le 21 juin 194134, jour anniversaire du franchissement du
Niémen par la Grande Armée, à la conquête de l’immense Russie. Entre le
sacre de Napoléon empereur et l’arrivée de Hitler au pouvoir (1804 et
1933). nous retrouvons le même intervalle de cent vingt-neuf ans. On
pourrait aller plus loin dans l’analogie en constatant, par exemple, que
Napoléon et Hitler ont tous deux régné onze ans (1804-1815) (1934-1945),
mais de telles rencontres ne sont-elles pas normales chez deux hommes
marqués par les astres d’une même configuration ?…
De la même manière, on ne peut interpréter comme un geste dicté par la
seule opportunité politique la décision de rapatrier en France les cendres de
l’Aiglon, enterré à Vienne en Autriche.
La cérémonie de translation des cendres fut entourée d’un grandiose
apparat, ainsi que l’avait voulu Hitler pour rendre hommage au fils de
Napoléon. Cet aspect du Führer, se replaçant dans la « chaîne des morts »
voués au soleil nocturne35 est le pendant de l’aspect impitoyable et
démiurgique du dictateur allemand.
Ce qui distingue Hitler des autres mystiques, c’est son caractère excessif,
sa volonté sanguinaire de domination qui fait de lui à la fois un initié et un
grand prêtre sacrificateur immolant des millions de victimes au dieu-Soleil
à l’image des pontifes incas et aztèques.
Sur le plan de la discipline corporelle, Hitler suivait les règles strictes de
l’initié de toutes les religions, qu’il s’agisse des parfaits cathares, des
pythagoriciens ou des prêtres mazdéens : alimentation végétarienne et
continence sexuelle.
Une telle ascèse facilitait ses transes médiumniques et permettait au
Führer d’entrer en contact avec certains « mages » disséminés en Europe. A
ce propos, il convient de citer la curieuse aventure rapportée par une
« médium » et voyante célèbre, Mme Zaeppfel36.
Née en Bretagne, pays élu des druides, non loin de la magique forêt de
Brocéliande célèbre par les exploits de Merlin l’Enchanteur (dont le nom
est lié aux aventures des romans de la Table ronde), cette prophétesse eut,
dès l’âge de sept ans, une vision prémonitoire : un vieillard druidique
d’ombre et de neige lui apparut et lui révéla sa mission :
Ta santé, lui dit-il. te sera retirée jusqu’à l’âge de vingt ans, tu ne vivras
que psychiquement puis tu passeras dans la vie, aérienne, en planant au-
dessus des hommes, de leurs opinions, de leurs croyances, de leurs idées et
des contingences terrestres.
Ayant créé le « Centre spiritualiste de Paris », Geneviève Zaeppfel,
moderne « pythie », devait se lancer dans les prédictions historiques et
entrer en contact « psychique » avec Hitler, devant l’auditoire archicomble
de la Salle Pleyel, le 12 décembre 1938.
Écoutons plutôt cette inquiétante prophétesse :
- Et voici celui que peut-être il ne faudrait pas vous nommer… Mais
cependant, puisqu’il est là, inscrit aussi sur l’Astral… Il s’appelle Hitler…
Ce mot ne vous dit rien… C’est un grand ruban qui l’encercle en ce
moment, il a autour de lui des forces qui m’inquiètent… Je l’ai vu plus
lumineux jadis… Ce n’est pas qu’il ne veut pas s’allier à la France, mais
quelque chose m’inquiète […]. Je sais qu’il est un chef qui troublera
l’Europe ; à ce chef, ce soir, à travers l’espace, nous disons : « Désormais,
la France doit t’être sacrée… si tu y touches, demain tu tomberas. »
Mme Zaeppfel, de même qu’Adolf Hitler a écrit Mein Kampf, a publié
un livre intitulé : Mon Combat Psychique, et pense avoir conjuré au
moment de Munich le danger de la guerre voulue, selon sa propre
expression, par les « forces maléfiques ». Elle a d’ailleurs agi plus
directement sur Hitler :
- Pendant mon sommeil, c’est-à-dire en dédoublement psychique, je me
trouvai devant une demeure d’aspect simple située dans un décor
magnifique, j’entrai, une gouvernante me reçut sur le pas de la porte. Une
serviette en maroquin l’autorisait à me déclarer journaliste et, comme telle,
je désirais voir le chancelier Hitler. Sans attendre la réponse, je me
précipitai dans la demeure et me trouvai devant le Führer, lui parlant
couramment dans sa langue que j’ignore.
Il ne parut pas surpris de me voir, et, sans préambule, je lui posai cette
question :
« Avez-vous lu le Livre de mes prophéties ? »
D’un air détaché, il me répondit :
« Ce livre s’est trouvé comme par hasard dans ma bibliothèque. »
Puis, sans se soucier autrement de ma présence, je le vis se pencher sur
des cartes d’Europe auxquelles je ne comprenais rien.
Alors je me fis autoritaire et avec fermeté lui dis : « Cette union avec la
France, il la faut ! »
A ma voix, il releva la tête pour me répondre : « C’est peut-être
possible ! »
A quelques jours de là, Geneviève Zaeppfel, à sa grande surprise, reçut
sous enveloppe le portrait de Hitler avec une photographie représentant
exactement la demeure (le chalet de Berchtesgaden) où elle s’était rendue
en songe.
On peut s’interroger à l’infini sur de telles correspondances. Et
cependant, nous nous garderons de conclure !
Le 12 avril 1945, alors que le tonnerre de l’artillerie soviétique
commençait à se déchaîner sur Berlin assiégée, au fond du Bunker de la
Chancellerie du Reich, Gœbbels, ministre de la Propagande et « fidèle entre
les fidèles » allait de pièce en pièce en s’écriant : « La tsarine est morte ! La
tsarine est morte37 ! « Dans son esprit et celui de Hitler, il s’agissait d’un
véritable miracle analogue à celui qui avait sauvé le roi de Prusse Frédéric
II, alors que, environné d’armées ennemies, il s’apprêtait à mettre fin à ses
jours. La mort inopinée de la tsarine Catherine II, en 1762, avait provoqué
un renversement des alliances favorable au monarque prussien.
Mais, cette fois, l’heure du destin avait sonné sans que le « miracle » de
la « maison de Brandebourg » se reproduisit ! La mort de Roosevelt,
assimilé par Gœbbels à Catherine II, n’allait pas provoquer de révolution
diplomatique ni ajourner la défaite inéluctable du IIIe Reich.
La providence, mot qui recouvrait bien d’étranges puissances et qu’il
invoquait constamment dans ses discours ne vint pas au secours du
Führer38. L’alchimie nazie qui, à travers les trois couleurs : noir, blanc,
rouge, de l’étendard à croix gammée devait aboutir au « grand œuvre » par
la création du surhomme, triomphateur de la glace par le feu (théorie chère
au savant nazi Horbiger), échoua complètement.

Le 30 avril 194539, la sèche détonation d’un pistolet Walther apprenait


aux habitants du Bunker que le Führer venait de mettre fin à ses jours. Le
corps de Hitler, roulé dans une couverture, connut la fin terrestre des
« initiés » en étant consumé dans le feu purificateur, en un bûcher solitaire,
à la lueur des explosions annonciatrices du « crépuscule des dieux ».
Pourtant, si vous interrogez de nombreuses personnes, elles vous
répondront que Hitler n’est pas mort, « qu’il se cache pour réapparaître un
jour », « qu’il s’est retiré dans une base secrète située dans l’océan
Antarctique », ou même « qu’il expie ses crimes dans un couvent ».
Ainsi, même inconsciemment, la presse et la rumeur publique, en se
faisant l’écho de ces « légendes », renouvellent et « actualisent » sur la tête
de Hitler le mythe millénariste du « grand monarque » et de « l’empereur
endormi » qui doit réveiller l’Europe. Frédéric II de Hohenstaufen, n’en
doutons pas, aura encore des émules, soigneusement préparés et « lancés »
sur la scène, du monde. Rappelons, à ce sujet, que, à cette même date du 30
avril 1945, un grand quadrimoteur s’envolait de l’Allemagne en ruine,
emportant dans ses flancs, tel l’oiseau de l’Apocalypse, les « cardinaux du
sacré collège hitlérien » vers une destination lointaine : le Tibet ; ce « Toit
du monde », objet de toutes les convoitises, qui sera envahi quinze ans plus
tard par les troupes avancées du soleil rouge : Mao Tsé-Toung.
Hitler et la foule : un courant magnétique (archives Tallandier)
Nostalgie hitlérienne : le mythe de l’empereur endormi (assiette commémorant l’anniversaire du
Reich de Charlemagne ; photo Roger-Viollet)

1. Adversaire de la Franc-Maçonnerie après avoir été secrétaire de la Grande loge de France, J.


Marquès-Rivière publia entre les deux guerres plusieurs ouvrages antimaçonniques aujourd’hui
introuvables tout en se passionnant pour l’étude du tantrisme indien et tibétain. Sous l’occupation,
l’auteur de La trahison spirituelle de la Franc-Maçonnerie écrivit le scénario du film Forces occultes
de J. Mémy (1943). Condamné à mort par contumace en 1945, Marquès-Rivière trouva refuge en
Espagne.

2. Montagne que l’on peut situer dans le Caucase, selon toute vraisemblance.

3. Julius Evola, Le Mystère du graal et la tradition impériale gibeline, Éditions traditionnelles, 1967,
p. 33.

4. Julius Evola, op. cit., p. 33.

5. Que l’on se rappelle les étranges origines du « groupe Thulé » qui patronna Adolf Hitler. Voir
notre ouvrage : Hitler et la tradition cathare.
6. J. Evola, op. cit., p. 33.

7. Voir notre ouvrage : Hitler et la tradition cathare.

8. Dans Asia mysteriosa, chaque O correspond à une année.

9. Cette réponse est fournie par l’oracle à la question : « Qui est Celui qui attend ? »

10. Selon l’ésotériste hitlérien Miguel Serrano (El Cordon dorado), écrivant dans les années 80,
l’esprit (l’influence) d’Adolf Hitler continuerait de vivre (en mode parallèle) avec d’autres initiés
ayant pour centre spirituel l’étoile Sirius. D’après les fidèles de ce courant néo-hitlérien pour obtenir
la date du « grand retour », il faudrait multiplier le chiffre 13 (résurection) par 5 (5 années = un
lustre), ce qui aboutirait à un délai de 65 ans à partir de 1945, soit à la date finale de 2010.

11. Soleil noir symbolisé par la croix gammée (noire sur fond blanc).

12. L’Eglise cathare et gnostique fut fondée ou « restituée » vers 1890 par Fabre des Essarts (le
patriarche Synésius). Dans son acte constitutif. l’Église, gnostique prétendait remonter aux albigeois.
Quant à Fabre des Essarts, il se proclama évêque de Paris et de Montségur. Pour diffuser la « doctrine
s, fut créée eu 1909 la revue La Gnose, organe de l’Église gnostique universelle. Le directeur de cette
publication, connu sous le pseudonyme de Palingenius, n’était autre que le jeune René Guénon,
auteur du livre mystérieux Le Roi du monde, très intéressant résumé des doctrines hyperboréennes
relatives à la tradition primordiale et à la mystérieuse « île Blanche » de Thulé.

13. La « Rose + Croix, d’or », pour être précis, affiliée à la Golden Dawn britannique.

14. James Churchward, Mu, le continent perdu, Éditions « J’ai lu », 1969.

15. Maurice Magre, La Clef des choses cachées, p. 27.

16. René Guénon, dans Le Symbolisme de la croix, Nouvelle Édition, Plon, p. 156.

17. Une preuve en est apportée par les statues gauloises qui se trouvent au musée Borély de
Marseille. Sur l’épaule d’une de ces divinités, on peut remarquer la présence d’une croix gammée
sculptée.

18. Perceval Landon, A Lhassa, Hachette, 1906, p. 234.

19. A ce sujet, l’Allemand Fröbenius a fait en Afrique d’intéressantes découvertes dans certaines
régions qu’aurait pénétré jadis la civilisation atlante : « Tandis que dans toutes les profondeurs de
l’Afrique la Lune est masculine et a pour amante Vénus, dans le domaine atlantique le Soleil est
masculin et la Lune féminine. C’est seulement dans ce même domaine que sont indigènes les trois
symboles sacrés, la main, la rosette a huit folioles et le svastika qui, tous les trois, sont absents, en
tant qu’ayant ce caractère, dans toute l’immense Afrique. » On peut ajouter que la main ouverte se
retrouve sous la forme du salut germanique et romain typique de l’Occident et liée au culte solaire.
On a également trouvé une main sacrée en stéatite à reflets verts dans les Pyrénées, autour de
Montségur. Cet emblème serait d’origine celte.

20. En particulier à Wewelsburg, château abritant le centre le plus secret de l’Ordre Noir où le
svastika figure comme le leit-motiv central.
21. Dernier grand maître des chevaliers du Temple, condamné à mort sur l’ordre de Philippe le Bel et
mort sur le bûcher en 1314.

22. Ce dernier écrit en effet dans son Histoire philosophique du genre humain (Éditions
traditionnelles, Paris, 1966-1967, 2 volumes) : « Je dois m’attacher seulement à la race blanche, à
laquelle nous appartenons, et en crayonner l’histoire depuis l’époque de sa dernière apparition aux
environs du pôle boréal… Il est assurément très difficile de dire à quelle époque la race blanche, ou
hyperboréenne, commença à se réunir par quelques formes de civilisation et encore moins à quelle
époque plus reculée elle commença à exister. Moïse, qui en parle au sixième chapitre du Béroeshit (la
Genèse), sous le nom de Ghiboréens, dont les noms étaient si célèbres, dit-il, dans la profondeur des
temps, rapporte leur origine aux premiers âges du monde. » (P. 82.) Plus loin, Fabre d’Olivet écrit ces
lignes, datées de 1821 (dans le tome II, chapitre VI, « Mission d’Odin ») : « Aucune des
circonstances heureuses qui pouvaient le [Odin] favoriser n’échappèrent au disciple de Zoroastre ; il
vit d’un coup d’œil cette immense région qui s’étend depuis la Volga, sur les confins de l’Asie,
jusqu’aux bords de l’Armorique et de la Bretagne, aux extrémités de l’Europe promise à ses dieux et
à ses armes. » (P. 44.) Ce passage ne s’applique-t-il pas admirablement aux conquêtes d’Adolf Hitler,
ce nouvel Odin ? L’écrivain français ajoute, quant à lui : « Sa valeur, chantée par les bardes, ses
disciples, a été transformée par eux en une vertu surnaturelle. Ils ont, par la suite du temps, renfermé
dans son histoire particulière tout ce qui appartenait à l’histoire générale de la race boréenne, à cause
de Bore qu’il s’était donné pour ancêtre. » (P. 49.) La boucle est ainsi fermée, observerons-nous !

23. A propos de la croix gammée et du rapport entre ce symbole et le dieu germanique Odin ou
Wotan, Mme Blavatsky écrit, dans sa Doctrine secrète (tome III, p. 15, Librairie de l’Art
indépendant, Paris, 1904) : « C’est le marteau de Thor, l’arme magique forgée par les nains pour s’en
servir contre les géants, ou les forces titaniques précosmiques de la nature qui se révoltent et qui,
pendant qu’elles sont vivantes dans la région de la matière, ne veulent pas être domptées par les
dieux — les agents de l’harmonie universelle — mais doivent être d’abord détruites. C’est pour cela
que le monde est formé de débris de l’Ymir égorgé. Le Svastika est le Mjôlnir, le « marteau de
l’orage », et c’est pour cela, dit-on, que lorsque les Ases, les dieux saints, après avoir été purifiés par
le feu — le feu des passions et des souffrances, durant leurs incarnations — deviendront dignes
d’habiter dans Ida, dans une paix éternelle, le Mjôlnir deviendra inutile. » Quant à l’occultiste déjà
cité, Fabre d’Olivet, il affirme que le grand dieu de la mythologie germanique « appelé Frighe, fils de
Fridulphe, surnommé Wotan par les Scandinaves, nous est connu sous le nom d’Odin… » Et il
ajoute : « Frighe (homme divinisé) était Celte ou Scythe d’origine, ainsi que son nom l’indique assez.
Un ancien historien de Norvège assure qu’il commandait aux Ases, peuple d’origine CELTIQUE,
DONT LA PATRIE ÉTAIT SITUÉE ENTRE LE PONT- EUXIN ET LA MER CASPIENNE. »
(FABRE D’OLlVET.,op cit pp. 42-43). Cette affirmation, qui situe justement la demeure des Ases
dans l’Ossétie actuelle et sa capitale d’Asgard, la moderne Stalingrad, coïncide parfaitement avec la
thèse de Lang, et ce n’est pas le fait le moins surprenant quand on sait que Fabre d’Olivet écrivait en
1821. Plus loin, l’auteur n’en écrivait pas moins (p. 44) : « Frighe était sectateur de Zoroastre, il
connaissait d’ailleurs toutes les traditions des Chaldéens et des Grecs, ainsi que plusieurs des
institutions qu’il a laissées dans la Scandinavie le prouvent invinciblement. Il était initié aux mystères
de Mithra. » Nous n’ajouterons rien d’autre.

24. C’est le moment de rappeler ici la prophétie de l’écrivain allemand Henri Heine. Elle a été
rédigée un soir du mois de mars 1840, par un homme en proie à une transe indescriptible, attablé
devant une chope de bière, dans une petite brasserie de Munich. D’une main fiévreuse et tremblante,
le grand penseur allemand que fut Heine, traçait ces lignes prophétiques et terribles : « Le
christianisme a adouci la brutale ardeur belliqueuse des Germains, mais il n’a pu la détruire, et quand
la croix, ce talisman qui l’enchaîne, viendra à se briser, alors débordera de nouveau la férocité des
anciens guerriers… Thor se dressera avec son marteau gigantesque et démolira les cathédrales
gothiques. Quand vous entendrez les vacarmes et le tumulte, soyez sur vos gardes, chers voisins de
France. La pensée précède l’action comme l’éclair le tonnerre. Le tonnerre d’Allemagne est
allemand, à la vérité. Il n’est pas très leste et roule avec lenteur. Mais il viendra, et quand vous
entendrez un craquement comme jamais craquement ne s’est fait entendre dans l’histoire du monde,
sachez que le tonnerre allemand aura enfin touché le but. On exécutera alors un drame auprès duquel
la Révolution française n’aura été qu’une innocente idylle… »

25. H. Rauschning, Hitler m’a dit, pp. 284-285.

26. Idem

27. Rienzi (Colas) : homme politique italien, il s’efforça de réformer les institutions romaines.
Gibelin, il fut vaincu par les partisans du pape et fut massacré par la populace en 1354. Wagner
s’inspira de ce tribun du peuple dans un opéra.

28. Cité par Joseph Greiner dans Hitler, les années obscures par Ernst Hanfstangl, Paris, 1969.

29. Voir l’article de Montaigu dans Atlantis, n° 228, p. 281.

30. Qui n’est autre que Bernard de Clairvaux, le protecteur des templiers.

31. Une telle attitude est à rapprocher du jugement de Rosenberg sur Zoroastre : « Zarathoustra s’en
rapporte au sang Aryen qui doit obliger tout Persan à servir le Dieu de la Lumière » qui doit
triompher d’Angromanyu (ahriman). » Aujourd’hui, au Centre et dans le Nord de l’Europe. cette
même âme de la Race qui vivait jadis avec Zarathoustra, se réveille avec une force mythique et prend
une plus haute conscience d’elle-même. » ( le Mythe du XXe siècle, traduction française de Pierre
Grosclaude, pp. 22-23).

32. Adolf Hitler, Libres Propos, Flammarion, 1954, p. 87, t. 1.

33. Idem, p. 247.

34. Qui est le jour du solstice d’été, épiphanie solaire.

35. Dans Hitler m’a dit, de Rauschning, on peut lire : « L’espèce humaine, disait-il (Hitler], subissait
depuis l’origine une prodigieuse expérience cyclique. Elle traversait des épreuves de
perfectionnement d’un millénaire à l’autre.La période solaire de l’homme touchait a son terme ; on
pouvait déjà discerner les premiers échantillons du surhomme… » Sans commentaires.

36. Geneviève Zaeppfel, Le Livre de mes prophéties.

37. Il ne s’agissait pas de l’épouse allemande du tsar Nicolas II attirée par les « magiciens » et les
« sciences occultes », assassinée à Iékatérinenburg, avec la famille impériale par les bolcheviks. Dans
son agonie, elle avait tracé, sur le mur de la maison Ipatiev, où elle était détenue, une croix
gammée… C’est le point de départ d’une « curieuse aventure » dont les services secrets français se
sont inspirés pour « faire paraître » un livre d’espionnage sous forme romancée (avant 1939)… Livre
destiné à faire comprendre aux dirigeants nazis qu’ils n’étaient pas les seuls à s’intéresser de très près
à « l’énigme du Dragon vert »… Mais cela est une autre histoire qui nous entraînerait fort loin.

38. A propos de la carrière « messianique » et proprement religieuse d’Adolf Hitler, on peut citer ce
passage effarant trouvé dans un organe nazi : « L’Oint du Seigneur est notre camarade de lutte. Dieu
nous a envoyé un Sauveur, notre Führer. » (Cité par G. Welter, dans : Histoire des sectes chrétiennes,
Payot, 1950, Paris, p. 264).

39. Coïncidence ou non, c’est également le 30 avril que tombe traditionnellement la « nuit de
Walpurgis » qui voit les fantômes libérés de leurs chaînes revenir parmi les vivants ; cette légende est
typiquement germanique.
Épilogue - Mao Tsé-Toung ou « Le Soleil Rouge »
La pensée de Mao Tsé-Toung est un Soleil qui ne se couche jamais
(Radio-Pékin).
La multiplicité et la répétition des « révolutions culturelles » qui
secouent périodiquement notre globe font penser à quelques-uns qu’une
immense conjuration était en marche vers on ne sait quel but mystérieux.
Si l’on applique le vieil adage selon lequel il faut chercher à qui le crime
profite, on se trouve tout naturellement amené à tourner ses regards vers
l’Empire du Céleste Milieu. Mais cette explication laisse de côté un grand
nombre de questions qui demeurent sans réponse.
Lorsque, en 1900, John Buchan prophétisait dans la Centrale d’énergie,
le réveil de nations comme la Chine, il ajoutait en corollaire et selon le bon
vieux principe des vases communicants :
Il suffirait de quelques modifications infimes pour réduire la Grande-
Bretagne au niveau de la république de l’Équateur, ou pour donner à la
Chine la clé de la richesse mondiale.
En approfondissant cette pensée visionnaire on peut se rendre compte de
la décadence progressive et ininterrompue de l’Angleterre, pourtant
victorieuse dans le dernier conflit mondial où elle participa au partage du
monde à Yalta aux côtés de l’U. R. S. S. et des États-Unis, seuls
bénéficiaires de cet escamotage.
Comment la « reine des nations » en est-elle arrivée là ? Il y a un aspect
exotérique des choses que nos doctes économistes rapportent avec soin et
un aspect ésotérique que l’on se garde bien de communiquer si l’on en croit
le mot de Disraeli : « Le monde est gouverné par de tout autres personnages
que ne se l’imaginent ceux dont l’œil ne plonge pas dans les coulisses… »
Si nous soulevons le voile mercantile qui recouvre l’après-guerre, nous
découvrons que, jusqu’en 1956, le Royaume-Uni dut faire face à une
inflation gigantesque dont les causes véritables laissèrent quelque peu
pantois les spécialistes monétaires : treize centres d’émission de fausses
livres sterling s’étaient soudain mis à fonctionner simultanément sur tous
les points du globe : l’hémorragie fut telle que la Banque d’Angleterre ne
put jamais s’en relever.
Bien entendu, cette vaste « opération » s’est déroulée… et peut se
reproduire au bénéfice d’une quelconque « centrale d’énergie » dont les
chefs restent prudemment dans l’ombre.
Les fonds énormes ainsi recueillis, échangés contre dollars ou francs
suisses, en espèces sonnantes et de bon aloi, sont-ils allés rejoindre l’or de
la Reichsbank dont on n’a jamais retrouvé la trace ? Que dire alors des
richesses de toutes sortes drainées par les nazis pendant cinq années
d’occupation, provenant du pillage en règle de l’Europe entière ?
Faut-il rapprocher cette activité souterraine de ce passage de Buchan :
Vous voyez simplement les créations de gens de second ordre qui sont
pressés de conquérir la richesse et la gloire. Le vrai savoir, le savoir
redoutable est encore tenu secret. Mais, croyez-moi, il existe… Ce furent
des exemples qui me donnèrent l’éveil. Ils étaient de différents ordres : une
grande catastrophe, une soudaine rupture entre deux peuples, une maladie
détruisant une récolte essentielle, une guerre, une épidémie.
Et l’auteur de cette intéressante nouvelle qu’est la Centrale d’énergie,
après avoir annoncé le succès futur du nazisme, se tournait vers la Chine
pour écrire ces lignes révélatrices des événements que nous vivons :
Supposez l’anarchie instruite par la civilisation et devenue
internationale. Oh ! je ne parle pas de ces bandes de bourriques qui
s’intitulent à grand fracas « Union internationale des travailleurs » ou autres
stupidités analogues ! J’entends que la vraie substance pensante du monde
serait internationalisée. Supposez que les mailles du cordon civilisé
subissent l’induction d’autres mailles constituant une chaîne beaucoup plus
puissante. La terre regorge d’énergies incohérentes et d’intelligences
inorganisées. Avez-vous jamais songé au cas de la Chine. Elle renferme des
millions de cerveaux pensants, étouffés en des activités illusoires. Ils n’ont
ni directives, ni énergie conductrice, tant et si bien que la résultante de leurs
efforts est égale à zéro, et que le monde entier se moque de la Chine.
L’Europe lui jette de temps à autre un prêt de quelques millions, et elle, en
retour, se recommande cyniquement aux prières de la Chrétienté. Mais, dis-
je, supposez…
Oui, supposons que les efforts combinés de quelques groupes fanatiques
se rejoignent… Supposons que les centrales nazies, aujourd’hui en
sommeil, collaborent à ce plan démoniaque dont nous voyons la trame se
tisser sous nos yeux. Supposons un milliard de Chinois animés des plus
mauvaises intentions à notre égard… La conclusion vient d’elle-même sous
la plume d’un auteur comme Jean Cau, qui a pu écrire dans l’Agonie de la
vieille [notre civilisation !] :
La situation… laisse prévoir un tremblement de terre capable d’engloutir
notre Atlantide… Trois catholicismes s’effondrent : le catholicisme de
Rome, celui de Washington et celui de Moscou. — et sur leurs ruines
pousse sourdement l’ivraie du nationalisme […). Suprême dérision : si un
sentiment international naît, demain, il trouvera ses pulsions et son ciment
dans la menace que représenteront un milliard de Chinois nationalistes,
xénophobes et armés jusqu’aux dents. Il sera donc, blanc et raciste. Ce jour-
là, sur l’immense champ de ruines de la morale judéo-chrétienne (dont la
morale socialiste n’aura été qu’une traduction moderne), un ordre nazifiant
étendra le vaste empennage de ses ailes. Du Walhalla, Hitler pourra faire
cette réflexion : « Je ne m’étais trompé que de date. J’ai été trop pressé. »
Oui. le président Mao, « Soleil rouge irradiant, gloire de l’univers et
fleur merveilleuse de la Création », pense-t-il à la réaction qu’il risque de
déclencher ou bien est-il tellement confiant dans l’inéluctable décadence de
la société occidentale ? On sait qu’Allemands et Japonais ont payé très cher
cette tendance à sous-estimer l’adversaire !… En ira-t-il de même demain ?
Il est temps de se pencher, en attendant l’avenir, sur la genèse de cette
« troublante aventure » qu’est le maoïsme. Il paraît bien être allé chercher
son inspiration dans un taoïsme remis à la mode du jour, appuyé par une
chaîne de sociétés secrètes d’où est sortie la « cryptocratie » du
gouvernement chinois.
La cryptocratie chinoise
L’examen de l’équipe dirigeante chinoise nous révèle son caractère
occulte de « centrale d’énergie » ou, si l’on préfère, de cryptocratie, c’est-à-
dire de société secrète politique de type supérieur analogue à la synarchie
capitaliste ou à la « troisième force noire » d’inspiration fasciste. La
complexité des structures et de l’organigramme du parti communiste
chinois fait de celui-ci l’une des associations dirigeantes les plus fermées
qui soient. Nous savons qu’il existe, aujourd’hui encore, des sociétés
secrètes chinoises aux États-Unis, en Malaisie, aux Philippines, en Afrique,
en Angleterre et, de manière générale, dans toute l’Asie du Sud-Est. Ces
sociétés secrètes se réclament toutes de l’organisation Hung, analogue à
notre F.-. M.\ occidentale : c’est dire le caractère « solaire » de leur
initiation. Il semble donc évident que la connaissance des théories
particulières du communisme chinois passe par la connaissance de la
pensée traditionnelle de la Chine, cette pensée traditionnelle jouant, au sein
de la Chine actuelle, un rôle beaucoup plus important que les apparences
voudraient bien le laisser croire.
Déjà, en 1935, un auteur comme B. Favre notait le caractère politique de
l’organisation Hung ou Triade, particulièrement dans les troubles
d’Indochine et de Malaisie. Ce rôle politique est inséparable de leur
caractère populaire : les sociétés secrètes chinoises s’appuyant sur ce que le
marxisme a coutume d’appeler le prolétariat. Selon Jean Chesnaux, les
communistes, vers 1925, ne mettaient pas en doute le caractère populaire et
révolutionnaire de ces organisations. En conclusion :
Elles ont été intimement liées aux luttes que le peuple chinois livre
inlassablement à ses adversaires de l’intérieur et de l’extérieur 1.
En juillet 1936, le « Soleil rouge irradiant », le vaillant et futur président
Mao Tsé-Toung, n’avait-il pas adressé, au nom du Comité central du P. C.,
un appel aux frères de la « société des Aînés et des Anciens », qui se
terminait par ces mots :
[…] Nous espérons, nous désirons accueillir avec enthousiasme les chefs
des Aînés et des Anciens de tout le pays, les chefs de toutes les « loges de la
montagne », les frères chinois des quatre points cardinaux qui enverront les
représentants de tous les groupes, et tous ceux qui viendront en personne,
réaliser avec nous notre projet de sauver le pays. Nous vous attendons, et
nous vous accueillerons chaleureusement.
Faites renaître l’ancien esprit révolutionnaire des Aînés et des Anciens !
Que les Aînés et les Anciens et tout le peuple chinois s’unissent pour
abattre le Japon et sauver la Chine !
Longue vie à la Libération nationale chinoise !
Le président du gouvernement populaire soviétique chinois Mao Tsé-
Toung.
A dater de cette époque et jusqu’à la victoire contre les troupes du Kuo-
Min-Tang, soit en 1947, les rapprochements entre le P. C. chinois et les
sociétés secrètes issues du mouvement Hung vont se multiplier.
L’étude de celles-ci était d’ailleurs inscrite au programme de
l’instruction des cadres de la révolution chinoise pendant la période de
collaboration des communistes avec le Kuo-Min-Tang. Or, c’était Mao qui
en était le directeur et qui mit à profit ses connaissances en la matière
pendant la « Longue Marche ». Lors de cette expédition, un des chefs de la
« Triade » se rangea aux côtés de Mao et se vit même confier d’importantes
responsabilités : il s’agissait de Liu-zhi-dan.
Le fameux maréchal Zhu-de, futur commandant en chef de l’Armée
populaire chinoise, surnommé le « Napoléon rouge », était issu également
de la « Triade » .
La pénétration de ces sociétés dans le parti communiste révèle donc une
importance certaine aux yeux des observateurs que n’aveugle pas une
insondable ignorance. Aujourd’hui, un grand nombre de dirigeants
communistes proviennent directement des sociétés secrètes.
Le grand maître de la société des Aînés et des Anciens : Wu-chi-wang,
devint le doyen du Comité central du P. C., et c’est sans doute à son
initiative que furent créées des sociétés secrètes directement rattachées au
parti.
Dans ce bouillon de culture qui n’est pas sans rappeler la période qui
précéda l’arrivée de Hitler au pouvoir, les sociétés secrètes chinoises misent
sur trois chevaux différents : les unes forment la cinquième colonne
japonaise, les autres l’armature de la police nationaliste, les dernières enfin
les futurs cadres du parti communiste. Leur seul point commun étant leur
haine des Occidentaux, qu’ils soient russes ou britanniques, hollandais ou
français.
En effet, dans un manuscrit en notre possession, le rôle de la société
Hung dans le soulèvement des anciennes possessions hollandaises
d’Insulinde est largement mis en évidence.
De même, les activités de la société Hung en Indochine française furent
déterminantes dans les transferts politiques au bénéfice du parti communiste
vietnamien naissant. Les ouvrages de Louis Roubaud, parus avant 1939 et
traitant de la situation (en apparence calme) dans cette partie du monde,
font état de l’appui que les nationalistes indochinois trouvèrent dans ces
« loges » établies principalement à Cholon2.
Il est donc naturel de voir Mao payer ses dettes en 1946 et articuler son
parti suivant le schéma des sociétés secrètes. L’organisation même du P. C.
chinois rend très difficile tout jugement, en 1970, sur les véritables buts de
la société Hung, par exemple.

Faut-il croire, avec René Alleau3, qu’elle prépare actuellement la Chine


à devenir l’instrument de la « paix universelle » telle qu’on la conçoit au-
delà du fleuve Rouge et sans tenir compte des obstacles qui se dressent
encore avant la domination du monde ?
Cela n’est pas impossible et prend même une résonance particulière si
nous voulons bien nous pencher sur les derniers événements survenus en
Chine : nous voulons parler de la Révolution Culturelle.
Il nous est apparu en effet que certains slogans et mots d’ordre des
Gardes rouges étaient directement inspirés de la ligne de pensée de la
célèbre « Triade. » En particulier le fait rapporté par maints observateurs,
qui consistait à couper les tresses (symbole de l’ancienne domination
étrangère mandchoue) et à pourchasser les porteurs de chaussures pointues
(!), chasse directement inspirée du rituel de la société Hung qui n’admettait
que les sandales à bout carré pour des motifs mystico-magiques que nous
développerons plus loin.
Quant à la révolution culturelle elle-même et à ses fameux Gardes
rouges, elle n’est que le reflet moderne d’événements plus anciens : ne vit-
on pas, à la fin de l’Empire mandchou (fin qui fut accélérée par la société
Hung), les mêmes scènes qui devaient se reproduire un demi-siècle plus
tard ?
[…] Ce despotisme des jeunes gens, qui exerçaient un pouvoir sans
mesure ni contrôle, se doublait d’une véritable terreur. On coupait de force
les tresses à tous les coins de rue ; on abattait les autels des divinités
tutélaires des quartiers et on interdisait les pratiques rituelles auxquelles les
Cantonais étaient attachés par des habitudes très tenaces et par des
superstitions plus tenaces encore que les traditions enracinées4.
On voit que les journalistes qui se sont extasiés sur l’originalité de la
Révolution Culturelle auraient dû étudier avec quelque profit l’histoire de la
Chine avant de se prononcer !
Si l’histoire ne se répète jamais, le moins qu’on puisse dire est qu’elle
« bégaie », et qu’un pays où les traditions sont si profondément enracinées
par trente siècles de culture ne perd pas, du jour au lendemain, l’héritage de
sa pensée politique profonde.
On a suffisamment répété les mêmes axiomes, selon lesquels « les
Chinois ne savent pas se battre », pour être satisfait de pareils clichés ; les
experts militaires ont pu juger, pendant la guerre de Corée, de la valeur
combative du peuple chinois quand il sait pourquoi il se bat ! Or, nul
n’ignore que si les Chinois répugnaient, jusqu’à une époque récente, au
maniement des armes, ils étaient tout au contraire portés, par tempérament
et par goût, à la conspiration.
C’est un fait reconnu que les sociétés secrètes militaires xénophobes
(Boxers), politiques (Tai-p’ing) et révolutionnaires (Triade) occupent les
coulisses de la scène chinoise.
Psychologiquement, c’est l’instinct grégaire, le sens de la solidarité qui
poussent l’individualité chinoise à s’agglutiner à une cellule sociale.
L’importance de ces organisations occultes, en nombre et en qualité
(elles comptent de nombreux lettrés comme cette « Société de la vaste
érudition »), date de la chute de la dynastie chinoise des Ming : leur but, dès
lors, était de combattre et de renverser, au XIXe siècle surtout, la dynastie
« étrangère » des Tsing mandchous, usurpatrice de la couronne.
Les sociétés secrètes tenaient toute l’élite politique du pays, puissant
levier qui provoqua ces mouvements profonds de la masse, que certains, ici
[en Europe], crurent spontanés, et qui, en réalité, étaient préparés depuis
longtemps, a pu constater Jean Marquès-Rivière5.
On peut donc affirmer sans risque de se tromper, que, au début du XXe
siècle, les sociétés secrètes constituaient, dans cette partie du monde, une
hiérarchie parallèle à la hiérarchie gouvernementale en place officiellement.
Parmi tous ces groupements, il en est un qui se détache, tant par son
pouvoir attractif que par sa potentialité révolutionnaire contenue dans la
tradition qui lui est propre. Il s’agit de la fameuse société Hung, encore
appelée « Triade » ou « Société du ciel et de la terre », et dont l’examen
mérite toute notre attention.
Organisation de la société Hung
Origine et légende. — Une société secrète traditionnelle comme la
« Triade » puise son origine dans la nuit des temps. Si, jusqu’à la dynastie
Han (202 av. J.-C.), nous ne trouvons pas trace de société secrète en Chine,
cela ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas, car un édit impérial de 213
ordonna la destruction de tous les livres chinois, selon le principe qui
inspira la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, nous interdisant toute
investigation à ce sujet. De toute manière, dès la dynastie Tsin (221-206 av.
J.-C.) l’occultisme et surtout le taoïsme avaient déjà droit de cité dans
l’Empire du Milieu, assurant une couverture efficace aux sociétés secrètes
dont la texture était organisée sur le modèle de la famille ou du clan.
Une preuve de l’ancienneté de la société Hung, ou « Triade », est à
rechercher dans la légende qui préside à sa fondation, rappelée dans tous les
rituels et en particulier dans celui qui est en notre possession.
Cette légende, qui a trait aux moines guerriers du couvent de Shao-lin,
n’était qu’un prétexte qui servait à montrer comment ces moines étaient les
sauveurs de la dynastie Ming et de l’Empire chinois occupé par les indignes
Mandchous (étrangers). Nous trouvons ici un mythe analogue à celui qui
fait succéder la F. M. à l’ordre du Temple, par l’intermédiaire des chevaliers
rescapés du bûcher.
Examinons le rituel de la « Triade ». Il est impossible de préciser
l’époque de naissance de la société Hung. Elle peut être considérée comme
provenant du système des clans qui fournit au peuple l’idée d’association.
Dans l’Antiquité, la société chinoise ne comportait que cent familles
(symboliquement) et, jusqu’à ce jour, le nombre de patronymes existant
n’est guère supérieur à la centaine. Quand ces familles (très grandes) se
séparèrent, les membres de chacune d’elles continuèrent à vivre ensemble,
gardant le souvenir de leur origine et leur nom ancien, s’appelant entre eux
« frères ». Si l’Association Hung tire son origine de ces clans, il est certain
que le taoïsme a beaucoup facilité son développement, comme on peut s’en
rendre compte en étudiant plusieurs de ses rites. Il en fut de même pour les
moines bouddhistes qui rejoignirent en masse cette association sous le
règne de l’empereur Wu-tsung, qui les persécuta cruellement. Ce monarque
publia ainsi un rescrit ordonnant que tous les petits temples construits le
long de la voie publique soient détruits. De la sorte disparurent environ
quarante mille sanctuaires et deux cent mille bonzes et bonzesses
retournèrent à la vie profane. Les propriétés des monastères furent
confisquées au profit de l’État. Cette odieuse persécution exaspéra les
prêtres au dernier degré ; ceux qui appartenaient au couvent nommé « la
Montagne à cinq terrasses » rejoignirent immédiatement l’armée de Yen-
tchan qui résistait par la force à ces empiétements ; nous les retrouverons…
Bornons-nous pour l’instant à constater que le fondateur de la dynastie
Ming se faisait nommer « chevalier de Hung » et qu’il avait été, dans sa
jeunesse, un prêtre bouddhiste.
La légende de fondation reprend le thème historique des moines de « la
Montagne aux cinq terrasses » et en fait les sauveurs de l’Empire chinois
menacés par une invasion d’Elenthos (les Tartares ?).
Mais le successeur de l’empereur Khang-hi, Yung-ching (1723),
convoitait le sceau en jade des moines de Shao-lin, qui leur avait procuré la
victoire… Il résolut donc de s’en emparer et attaqua le couvent de ses
bienfaiteurs : plus de cent moines périrent dans les flammes, mais cinq
d’entre eux parvinrent à s’échapper après maintes péripéties, aidés en cela
par le seigneur Bouddha, indigné par tant de félonie. C’est ici que se place
le fameux épisode au cours duquel les cinq survivants eurent la vision de
leur devise : Renversez Tsing et rétablissez Ming, c’est-à-dire l’ancienne
dynastie chinoise.
Cet événement aurait eu lieu en 1734, et on y voit la naissance de la
vocation politique de la « Triade » : les cinq moines du couvent de Shao-lin
furent nommés chefs des cinq principales loges et cinq marchands de
chevaux6, qui les avaient rejoints, devinrent chefs des cinq loges de second
ordre.
Il faut remarquer que le couvent de Shao-lin existait vraiment dans le
Honan, mais la légende de fondation de la « Triade » en prend vraiment à
son aise avec la vérité historique. Nous sommes ramenés à l’exemple de la
F..M.. où la légende d’Hiram, constructeur du temple de Salomon, prend
une coloration symbolique sans qu’on ait besoin de situer précisément cet
événement dans un contexte historique. Ce qui importe surtout, c’est la
création d’une mystique qui unit les membres plutôt que la peinture exacte
de faits passés.
Le fait surprenant, c’est de retrouver en Chine des moines-guerriers
analogues à nos chevaliers du Temple en Occident ; une des premières
obligations du bouddhisme n’est-elle pas de rejeter la violence ? Cette
interprétation « pacifiste » des enseignements de Bouddha fait abstraction
des codes bouddhiques qui, dès 532, incitaient à sauver toute vie en toute
occasion et à « défendre les joyaux de Bouddha par tout moyen ». Cela
explique les réflexes de défense des lamas tibétains lors de l’invasion de
leur pays par les troupes de Mao Tsé-Toung.
Organisation de la société Hung. — Nous venons de voir que les cinq
moines rescapés du carnage avaient fondé les cinq loges majeures et que les
cinq marchands de chevaux avaient fondé quant à eux, les cinq loges
mineures. Remarquons que la première loge prend le qualificatif de « Lotus
bleu », les quatre autres étant simplement désignées par un numéro d’ordre,
ce qui semblerait indiquer qu’elles sont inférieures à la loge mère, mais le
mystère de leur hiérarchie n’a jamais pu être complètement éclairci. Selon
certains, ces quatre loges correspondraient aux « provinces » de l’ordre des
jésuites, la cinquième symbolisant le centre : ces cinq loges majeures, dans
leur symbolisme complet, signifieraient que la société Hung englobe toutes
les manifestations de l’Univers.
Nous avons déjà abordé le problème de la valeur magique et mystique
des nombres dans le chapitre consacré à Frédéric II ; il est juste d’ajouter
qu’il existe des différences entre la symbolique chiffrée chinoise et celle de
Pythagore, mais on constate cependant de profondes ressemblances,
héritage de la tradition primordiale. Il en va de même, d’ailleurs, en ce qui
concerne la kabbale hébraïque, puisque la société Hung connaît, par
exemple, le chandelier à sept branches, que l’on retrouve dans les
synagogues et dans les loges initiatiques de Hung !
La société est donc gouvernée par les grands maîtres des cinq principales
loges. Selon Schlegel, pionnier de l’étude de la « Triade » et rédacteur du
manuscrit que nous avons entre les mains, le gouvernement de chaque loge,
dans tout l’Empire et dans les pays vassaux, se compose d’un président, de
deux vice-présidents, d’un maître, de deux avant-gardes, d’un conseiller
suprême, de treize conseillers parmi lesquels un conseiller-trésorier, d’un
receveur et d’un aide-receveur ainsi que de quelques membres qui portent le
titre de « guide » et sont chargés du recrutement et des enquêtes à effectuer
sur les nouveaux membres (rôle analogue à celui qui existe dans notre F. M.
actuelle).
Le recrutement s’effectuait de différentes manières, ce qui n’est pas pour
nous surprendre, tant il est vrai que les Chinois ont une conception un peu
particulière du prosélytisme. Ainsi, la violence même n’est pas à dédaigner
quant il s’agit d’attirer un nouvel adhérent qui est souvent désigné pour ses
hautes fonctions ou pour les services qu’il pourrait rendre à l’organisation.
Le rituel donne ainsi toute une suite d’exemples pour attirer le néophyte
que l’on désire voir s’affilier à une loge. Tout d’abord, l’insulte publique
qui consiste à se faire poursuivre par l’offensé dans un endroit désert où les
fils de Hung s’emparent de lui, le maîtrisent et le transportent à l’endroit où
se tient la loge. De la même manière, les menaces qui demandent au
« prévenu » de se rendre à tel rendez-vous où il prendra contact avec les
affiliés soigneusement dissimulés aux regards de la police ou d’éventuels
espions. Nous nous sommes laissés dire que tous ces procédés,
accompagnés d’autres méthodes plus ou moins expéditives, sont encore
employés aujourd’hui à Hong-kong et à Macao…
On voit que les « frères de la lumière » disposaient de tout un arsenal de
pressions soigneusement graduées et mises au point par plusieurs siècles
d’expérience ; il en va ainsi en ce qui concerne le langage secret et les
expressions d’argot utilisées par les affiliés et destinées strictement à la
confrérie. Ainsi : un étranger se dit, « Il fait du vent » ; un magistrat,
« ennemi » ; la police, « courant d’air » ; entrer dans la société, « être né »,
ce qui est d’ailleurs en étroit rapport avec la signification du mot initiation
dans notre langue : « renaître » (initium).
De la même façon, l’obligation du « secret » est beaucoup plus renforcée
chez les Asiatiques et nous ne sommes pas surpris de trouver des sanctions
graves à l’appui de cette interdiction de divulguer les statuts et diplômes de
la loge : l’article 21 du rituel menace de mort ou de mutilation les suspects.
Il en est de même en ce qui concerne l’introduction d’étrangers dans la loge
(espions ou policiers), la divulgation des signes de reconnaissance et la
vente d’objets appartenant à la confrérie… Mais, déjà, nous voici dans
l’initiation proprement dite.
Le rituel d’initiation Hung. — Cette initiation se décompose en trois
phases bien distinctes : une phase dite préparatoire, une autre, active celle-
là, et une dernière qualifiée de finale où l’illumination recherchée s’est
produite.
La première cérémonie, comme les deux suivantes, est d’ailleurs
parfaitement calquée sur les aventures des moines bouddhistes de Shao-lin :
le nouveau membre entre dans le « camp » par la première porte où l’avant-
garde lui demande ses nom, prénom, âge et lieu de naissance… Puis
l’avant-garde ordonne de former le pont des épées. Les frères, rangés de
part et d’autre de cette entrée, croisent le fer de leurs épées dans l’intention
de former une arche sous laquelle l’adepte se faufile.
Les candidats à l’initiation arrivent alors devant la porte de Hung, dont
la garde est confiée à deux généraux qui demandent à l’avant-garde quels
sont les noms des nouveaux « chevaux »… Sur sa réponse, ils se rendent
auprès du maître et obtiennent la permission de laisser pénétrer ces
nouveaux membres.
C’est là que leur sont communiqués les enseignements Hung qu’ils
doivent promettre de garder secrets. Ils traversent ensuite les fossés en
canaux, gardés également par deux nouveaux généraux. Ils arrivent enfin à
la porte de l’Est de la « Cité des Saules », saint des saints de la loge.
Mais, avant d’y pénétrer, ils sont d’abord conduits dans la chambre du
conseil ou « loge de la paix universelle »… De nouveaux généraux
demandent à l’avant-garde qui conduit les récipiendaires et joue le rôle de
guide : « Veuillez attendre jusqu’à ce que votre demande soit transmise aux
cinq fondateurs »… Aussitôt introduite dans la chambre du conseil, l’avant-
garde salue le maître par ces paroles qui ne sont pas sans rappeler le Banzaï
des Japonais, de sinistre mémoire : « Que votre Seigneurie vive des milliers
d’années ! » Le maître lui répond alors : « Qui désire fermement adopter le
nom de Hung ? » L’avant-garde, se tournant alors vers les nouveaux
membres, déclare : « Notre but est de vous présenter de nouveaux soldats,
vaillants et au cœur d’airain, qui désirent être admis à la société Hung » ; le
vénérable lui pose alors la dernière question : « Pourquoi désirent-ils être
reçus dans la société Hung ? » La réponse, au siècle dernier, était la
suivante : « Parce qu’ils désirent renverser la dynastie de Tsing, rétablir
celle des Ming et chasser les barbares de l’Ouest… » Le premier de ces
objectifs ayant été atteint en 1911, on s’imagine facilement à quoi doit
correspondre la réponse à la question posée…
Ayant prêté serment, les frères se relèvent tous et passent à la phase
finale qui est appelée « cérémonie du sang » : Ils versent leur sang dans un
bol rempli de vin et goûtent successivement au breuvage ainsi préparé. Puis
les nouveaux membres de la confrérie pénètrent dans la « Cité des Saules »
où se trouve le boisseau de riz rouge, les drapeaux rouges et le portrait du
dieu de la Guerre ainsi que les tablettes des Ancêtres fondateurs. Leurs
nattes sont coupées et des sandales de paille à bout carré remplacent leurs
chaussures ordinaires : tous ces symboles leur sont expliqués et des signes
de reconnaissance leur sont communiqués : manière de manger son riz, de
déposer certains objets, de saluer un passant, d’appeler au secours, etc. Il ne
reste plus au nouveau membre qu’une formalité à accomplir : verser sa
cotisation en échange de laquelle il reçoit un catéchisme, un brevet, quatre
sapèques Hung (pièces de métal) qui lui serviront à se faire reconnaître.
La cérémonie d’initiation étant terminée, les nouveaux membres se
répandent dans leur milieu social respectif pour commencer leur travail de
« frères de la lumière ». Mais, avant de les suivre sur ce terrain où la
politique occupe une grande place, il est juste que nous nous penchions sur
l’ésotérisme de cette société.
Esotérisme et symbolisme « polaire » de la société Hung ou « du ciel
et de la terre »
Nous avons déjà vu que les consignes et aspirations de la « Triade »
étaient encore au goût du jour en 1968. A ce stade de notre enquête, une
question se pose immédiatement à l’esprit : quel est donc l’ésotérisme, le
sens caché de tout ce symbolisme ?
Le ternaire « ciel-homme-Terre », d’où la société Hung a tiré son
pseudonyme « Triade », a été mis pour la première fois en évidence par le
colonel B. Favre, dans son ouvrage les Sociétés secrètes en Chine7.
Mais il appartenait à René Guénon, que nous avons déjà rencontré dans
le groupe des « Polaires », de développer, dans son étude sur la Grande
Triade, le symbolisme de cette société initiatique.
Guénon et Favre se rangent à l’avis de Ward et Stirling, deux chercheurs
britanniques qui nous ont laissé un travail monumental sur la société Hung,
en trois volumes, paru sous le titre The Hung Society, à Londres, en 1926.
Ces deux auteurs avaient conclu à l’identité absolue entre la F.-. M.\
occidentale et la société Hung extrême-orientale, ce qui n’est pas pour nous
surprendre quand on sait que mythes et religions procèdent d’une tradition
commune8…
Mais là où nous rejoignons Guénon et Favre et où nous nous séparons de
Ward et Stirling, c’est quand il s’agit de mettre en doute les buts politiques
de cette société initiatique… Les documents écrits parvenus jusqu’aux
enquêteurs ne pouvaient faire état de consignes susceptibles de
compromettre l’action profane de la société9.
Pour Guénon comme pour Favre, il y a une compétition dans ce domaine
entre l’Orient et l’Occident pour dominer l’humanité ; c’est en ce sens que
Guénon parle d’une initiation de type polaire dans la société Hung, par
analogie au national-socialisme dans le monde occidental, agissant de la
même manière.
Ainsi, une indication du caractère « solaire » de la dite organisation a été
trouvée dans la présence du fameux « carré magique » que l’on retrouve
dans nombre de traditions : combinaison de lettres prises pour leur valeur
numérique et dont la somme horizontale, verticale ou diagonale est toujours
égale au même chiffre. Or, ne retrouve-t-on pas ce même « carré magique »
dans le carré de l’or ou du soleil qui comprend six chiffres, et dont la
somme est 111 ; dans le rituel d’initiation de la société Hung et dans
l’ouvrage de Le Forestier, traitant de l’Occultisme et de la franc-maçonnerie
écossaise (Paris, Perrin, 1926) ! On peut d’ailleurs pousser les rapports à
l’infini entre le symbolisme solaire de notre, F. M. occidentale et la société
initiatique chinoise ; plus d’un rapprochement curieux s’impose entre la
« Triade » et les rites occulto-maçonniques. Comme le remarque justement
Favre :
Pasqually, dans ses opérations magiques, prescrivait que l’ « opérant »
devait porter des sandales de liège (à forme carrée) et, bien avant Frazer, il
assimilait la force magique à l’électricité et l’ « opérant » à un
condensateur10. Il emploie les carrés magiques d’après la kabbale, et les
Hung les connaissaient aussi.
[…] Les deux sociétés (F. M. et Hung) cherchent la « lumière », car si
Ming désigne une dynastie, c’est pour les besoins de la cause. Le véritable
sens du rituel est « lumière ». Un certain nombre de symboles et de rites
sont communs aux deux sociétés : triangle, carré, pentagone, épée, règle,
voûte d’épées, questionnaire d’initiation : « D’où venez-vous ? — Je viens
de l’Est », emploi de nombres, etc.
[…] Les deux associations ont un langage secret, des mots de passe et
des signes de reconnaissance. Le signe du feu des hung est aussi
maçonnique11.
Voilà pour l’initiation solaire de cette société ; mais nous ne sommes pas
au bout de nos surprises… Cette initiation couvrant un symbolisme
« polaire » ! Dans le saint des saints de la loge, appelé « Cité des Saules »,
se trouve en effet un boisseau de riz appelé teou. Quand on sait que la
constellation de la Grande Ourse porte aussi ce nom de teou et qu’elle
contient l’Étoile polaire : teou-meou, qui n’est autre que l’astre vénéré par
les premiers taoïstes (autour de laquelle tournent les soixante-douze étoiles
de la cosmogonie religieuse chinoise), on aura fait une constatation
importante pour le non-initié.
Quand René Guénon invoquait le « symbolisme polaire » de la
« Triade » extrême-orientale, il savait de quoi il parlait et, sous sa plume, ce
titre de « polaire » prend une certaine valeur…
Certains lecteurs ne manqueront pas d’être frappés du parallèle existant
entre le symbolisme polaire occidental et son double oriental.
Nous avons, dans notre chapitre sur Hitler, évoqué le cas bien particulier
de cette Fraternité des Polaires qui prétendait détenir sa filiation des
« Frères d’Héliopolis ».
Mais nous avons également fait état de l’origine prétendument tibétaine
de son initiateur, qui serait allé rejoindre son couvent de l’Himalaya…
Remarquons à ce propos que l’intérêt porté à cette région ne date pas du
IIIe Reich.
Il faut souligner à ce propos la convergence des efforts de certains
groupes de personnes vers ce pays mystérieux. Nous savons que plusieurs
missions de S. S. (sous couvert d’ethnologie et de géologie en particulier)
furent dépêchées vers Lhassa et le Tibet, Le résultat de ces expéditions,
conduites notamment par le Dr Scheffer, est enfermé dans les archives
filmées du département d’État à Washington. Il serait intéressant d’en
connaître le contenu !12
Ces missions avaient-elles pour but de rechercher le « royaume
d’Agartha » au moyen d’une occupation « pacifique » de certains couvents
d’Asie centrale ? Tel devait bien être un des objectifs projetés entre 1937 et
1942, mais des indications récentes font aussi mention du « Vril » ou
« rayon vert », cette force mystérieuse qui préoccupait tant nos voisins
d’Outre-Rhin.
Or, neuf ans après le départ des membres officiels de cette mission de
recherches S. S. au Tibet, les Chinois de Mao Tsé-Toung occupent
militairement la Chine entière (après avoir triomphé de Tchang Kaï-chek) et
offrent au dalaï-lama du Tibet (chef théocratique de ce royaume spirituel)
un siège à l’Assemblée nationale de la République populaire de Chine.
Faut-il rapprocher cet acte « annexionniste » des déclarations de
l’orientaliste Frida Wion ?
Après la dernière guerre, les Américains achetaient à prix d’or tous les
manuscrits et documents alchimiques chinois qu’ils trouvaient chez les
libraires d’Asie et d’Europe.
Mais la plupart des livres de la science antique chinoise ne sont pas
connus des traducteurs occidentaux. Il y a dans les bibliothèques de Pékin,
de Nankin et de Canton, de multiples sources de savoir qui ne sont pas
étrangères à l’extraordinaire réussite technique des Chinois en matière
d’énergie nucléaire13.
Dans cette énumération, Frida Wion a omis, nous semble-t-il, la
bibliothèque secrète de Lhassa, que nous allons retrouver bientôt au premier
rang de certaines « découvertes » chinoises…
Restons, pour l’instant, sur le problème du Vril et les dernières
recherches allemandes à ce sujet : nous allons rencontrer un bien curieux
personnage, qui a fait de Paris, ces derniers temps, le centre de ses activités
« magiques ».
Il y a quelques années, en effet, reprenant des « résidus » de ce qui
semble être un enseignement initiatique de très haute valeur, un mystique
néo-nazi notoire, Jean-Claude Monet, fondait à Paris (9, rue de Hanovre) la
grande loge du Vril. Or, quels étaient les buts ésotériques de cette
association ? Laissons parler pour nous le manifeste K.B. L., qui prône la
jonction fraternelle de l’Orient et de l’Occident en faisant voisiner le dieu
germanique Odin avec les Chinois de Mao !
Unir dans un même combat anti-forces noires la race la PLUS
NOMBREUSE : LES JAUNES, ET LA RACE LA PLUS CAPABLE : LES
BLONDS NORDIQUES.
Nous éviterons d’étaler devant le lecteur le texte complet du manifeste
K. B. L. dont le « délire » à prétention mystique n’est peut-être pas aussi
inoffensif qu’il en a l’air. Il convient d’être très prudent lorsqu’on aborde le
problème des liens pouvant exister entre certaines sectes occultes
d’inspiration « politique » et les « maîtres » indo-tibétains.
Il y a un point de rencontre remarquable entre le « groupe des Polaires »
d’avant-guerre et la « grande loge du Vril » des années 60, qui toutes deux
ont eu pour point de départ la capitale de la France (centre magnétique de
grand rayonnement) : trop de contacts ont été noués pour disparaître par
enchantement du jour au lendemain…
Quel serait le rôle dévolu aux Chinois dans cette hypothèse ? La clé de
ce mystère réside peut-être dans les déclarations faites récemment à
l’université de Chandigarth par le Dr Ruth Reyna. Selon cet éminent
professeur hindou, les récents succès spatiaux chinois seraient dus à la
découverte de documents sanskrits, à Lhassa, en 1963. Mais laissons la
parole au Dr Reyna :
Les Chinois auraient découvert le processus d’engins interplanétaires
dont se seraient servi les anciens Aryens pour coloniser autrefois une
planète de notre système solaire : Vénus selon toute probabilité.
Le mode de propulsion de ces engins était dû à l’utilisation de cette force
physiologique humaine qu’est le Vril, « force centrifuge assez puissante
pour annihiler les forces universelles de gravité ».
Ces engins se seraient appelés des Astras, ce qui nous rapproche
singulièrement des échos rapportés par les diverses traditions selon lesquels
les Atlantes se déplaçaient à bord de leurs machines volantes mues par la
« force magique » du Vril14.
Dans Les soucoupes volantes ont atterri (La Colombe, 1954), Desmond
Leslie et Georges Adamsky donnent une explication du Vril très cohérente
et qui serait la somme des « connaissances qui permettaient aux premiers
membres de la famille solaire de conduire leurs astronefs, de soulever de
gros poids, de commander des forces surnaturelles ».
De la même façon, si l’on rapproche le Vril de la lévitation, on ne peut
manquer d’être frappé par la relation de voyage du Père Hu en 1845-1850,
dans le Tibet. Dans ses Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie et le Tibet
(Paris, 1853), cet éminent ecclésiastique relate le privilège qu’il eut de
visiter la vieille lamaserie de Khaldan où reposait le corps embaumé de
Tsong-kapa, le saint réformateur du Tibet, qui était, selon son propre
témoignage, « suspendu un peu au-dessus du sol par un prodige continuel,
sans être retenu ni porté par rien… »
Toujours dans le même ordre d’idées, Robert Charroux, qui a eu lui aussi
connaissance de l’existence des manuscrits de Lhassa (aujourd’hui aux
mains des Chinois), écrit dans son dernier ouvrage :
Les manuscrits de Lhassa divulgueraient le secret de l’antima pour
devenir invisible, et de la gaiima pour être aussi lourd qu’une montagne de
fer.
Les milieux scientifiques hindous, très réticents au début sur la valeur
positive de ces révélations, le sont beaucoup moins depuis que les Chinois
ont déclaré que certaines données étaient étudiées pour s’intégrer dans le
cadre de leur programme spatial.
Il n’est pas dit dans ces manuscrits que les liaisons interplanétaires
avaient été réussies, mais il est parlé d’un voyage Terre-Lune dont on ne
sait pas s’il a été projeté ou effectivement accompli !15
Voici pour l’ésotérisme de cette mystérieuse « Triade » qui nous a
entraîné fort loin.
Quant au but proprement nationaliste de Hung, il a été magnifiquement
mis en application, bien avant Mao Tsé-Toung, par le premier communiste
chinois : nous voulons citer Houng Sin-tschuen et sa révolution des Tai-
p’ing.
Le premier communiste chinois : Hung ou la « guerre des Triades ».
Dans les années 1850, peu après la « guerre de l’opium », la ville de
Canton était le centre des activités souterraines de la société Hung. La
misère de la population et les exactions des fonctionnaires mandchous
étaient devenues telles que les soulèvements succédaient aux soulèvements.
C’est dans cette atmosphère de guerre civile qu’un fils de paysan
(comme Mao) surnommé Hung fit son apparition sur la scène politique
chinoise. Profondément déçu par l’instruction soignée qu’il avait reçue et
par la pauvreté qui en résultait pour le pauvre Chinois qu’il était, il sombra
dans une ascèse mystique qui n’est pas sans nous rappeler celle d’un
Zoroastre ou d’un autre « messie ».
Gravement malade, il avait eu la vision d’un vieillard courbé, à barbe
d’or, vêtu de noir qui, les yeux pleins de larmes, lui montra l’état déplorable
dans lequel était tombée la Chine. Dans cette apparition à la « Jeanne
d’Arc », Hung reconnut l’appel du destin et se retira dans le désert pour se
préparer à sa mission dans une solitude absolue.
A son retour à Canton, il se fit maître d’école pour prêcher la bonne
parole, coupa sa natte et annonça par des sermons enflammés l’avènement
d’une ère nouvelle. Bien entendu, notre homme appartenait à la célèbre
« Triade » et prit grand soin d’acquérir en même temps une formation
militaire.
Et l’histoire se répète : entraînant des bandes d’iconoclastes, Hung
parcourut la ville et la province en brisant les idoles et en élargissant du
même coup sa base territoriale. L’originalité de ce mouvement de révolte,
c’est qu’il se référait à un « communisme primitif » directement inspiré par
une société secrète, sur lequel se greffait un christianisme orientalisé.
Les gouverneurs militaires des provinces intéressées ne tardèrent pas à
s’inquiéter des progrès de la nouvelle religion qui gagnait sans cesse du
terrain, entraînant avec elle des foules toujours plus nombreuses. Hung se
référait sans cesse aux statuts de la société du même nom qui prédisait
l’avènement d’un « nouveau messie », venu pour sauver la Chine de la
domination étrangère. Ce prophétisme, qu’il faut mettre en parallèle avec le
millénarisme évangélique sous Frédéric II, ne doit pas nous faire oublier
que le XIXe siècle en Chine correspond presque à notre Moyen Age
européen.
Hung, porté par ses fidèles, maintenant au nombre de plusieurs millions,
prescrivit la continence et la devise Hung : Ramenez les sublimes Ming et
extirpez les Tsing ! Bien plus, Hung, fidèle en cela à l’enseignement de la
« Triade », décida l’abolition de la propriété privée et son remplacement par
un socialisme agraire avec communes du peuple et drapeaux rouges !
La situation prit une tout autre allure quand un traité d’alliance militaire
fut conclu entre Hung et les huit principaux chefs de la « Triade » qu’il
avait convertis. Ces derniers lui apportaient l’appui de leur organisation et
surtout un réseau d’informateurs et des troupes déjà entraînées.
L’histoire de la première phase de cette révolution est assez plaisante à
rapporter :
En 1851, lorsque mourut l’empereur, Hung proclama la déchéance de la
dynastie régnante et la restauration en sa personne des glorieux Ming. De
tous côtés, les adversaires des Mandchous se levèrent et vinrent se
concentrer dans un camp immense qui retentissait des bruits des exercices
religieux les plus bizarres. L’empereur Hung conduisait ses croyants au
combat comme à la guerre sainte. Ils marchaient vers le nord à la cadence
des hymnes mystiques. Lorsque le commandant en chef des forces adverses
fit sommation au nouveau prophète de déposer les armes, celui-ci répondit
en qualifiant les Mandchous d’étrangers installés en conquérants dans le
pays pour mettre sous le joug les paisibles Chinois. Seule la vieille dynastie
(qui n’existait plus ! sic) jouissait de leur confiance, et les Mandchous ne
feraient pas mal de quitter immédiatement le pays à moins de s’en voir
chassés par l’épée.
Les troupes de Hung, ayant remporté une série de succès, acclamèrent le
nouvel État national et théocratique. Dieu, le Père tout-puissant, omniscient
et omniprésent, fut proclamé maître suprême ; Jésus, son fils « aîné », eut
un droit égal aux suprêmes adorations, tandis que Hung, « frère cadet » de
Jésus, sans aller jusqu’à se déclarer divin, se fit nommer « maître céleste ».
La nouvelle dynastie fut baptisée Tai-ping Tien-kouo (Empire céleste de la
paix universelle), dénomination que nous voyons jouer un grand rôle dans
le rituel de la société Hung16…
L’événement décisif fut la prise de l’arsenal de Yodschou, qui permit au
Tai-p’ing de paraître le 8 mars 1853 devant Nankin avec une armée
considérable équipée à la moderne. Nankin était, à juste titre, considérée
comme la ville sainte des Ming, et sa conquête ne fut l’affaire que de quinze
jours ; le « roi du ciel » Hung s’y installa avec son état-major, mais il dut
bientôt faire face à un nouveau danger. Ses troupes, qui avaient poursuivi
leur avance, se heurtèrent, à Shanghaï, aux détachements français et anglais
qui les étrillèrent durement. Sur ces entrefaites, la défection d’une partie de
la « Triade » (la Société du « petit couteau ») priva Hung d’une bonne partie
de ses combattants.
La chance paraissait tourner contre lui, malgré toutes ses invocations au
Soleil et ses prédications mystiques : le prophète résolut de prendre lui-
même l’affaire en main et se porta à la tête d’une bande de vagabonds dans
la province du Petchili. Ayant menacé Pékin, il se retira de nouveau dans
son palais de Nankin pour se livrer à ses méditations mystiques et à
l’organisation administrative du royaume.
La relation des faits, bien dans la manière chinoise, ne doit pas nous
faire perdre de vue les millions de cadavres qui commençaient à
s’amonceler sur tout le territoire. Aux exécutions sommaires de l’empereur
mandchou répondaient les atrocités de la partie adverse : un torrent de sang
et une soif de carnage se répandaient sur « l’Empire de la paix céleste ».
Comme le fait remarquer Eugène Lennhoff :
Deux armées étaient en présence à qui le seul nom de magnanimité était
inconnu : décollations et massacres étaient devenus pain quotidien.
C’est ce moment que choisit la « Triade » pour faire diversion et venir à
l’aide de son allié Hung. Profitant de ce que les forces navales anglaises
étaient occupées à rétablir l’ordre quelque part aux Indes, les « fils du ciel et
de la terre » reprirent leur agitation à Shanghaï et Canton. Les Européens
décidèrent alors d’en terminer rapidement avec ces « excités irréductibles »,
avant de s’occuper de Hung lui-même.
En 1860, 11 000 Anglais et 8 000 Français s’emparèrent de Canton, de
Fort-Takou, et réduisirent le Palais d’été de Pékin en poussière ; le
nettoyage des zones insoumises et la poursuite des membres des sociétés
secrètes se continuaient parallèlement. Mais c’était compter sans l’énergie
de Hung, qui était partout à la fois !
Quand une nouvelle armée mandchoue se présenta devant Nankin pour
écraser les rebelles, les habitants étaient au bord du désespoir, du fait de
l’absence de leur « messie » : celui-ci accourut avec une armée de secours
qui, prenant les assaillants entre deux feux, leur infligea une défaite
écrasante. Selon les chroniques de l’époque, ce fut le plus grand carnage
que l’histoire chinoise ait connu, ce qui n’est pas rien, avouons-le !
On assista alors à une longue série de marches et de contremarches
ininterrompues au cours desquelles Anglais et Français repoussèrent une
fois de plus les Taï-p’ing, qui sont rejetés sur Shanghaï. Puis, les
Mandchous s’emparent de Nankin où ils passent tous les habitants au fil de
l’épée, mais ne trouvent pas le « roi du ciel » qui a réussi à se dégager avec
de nouvelles troupes : la boucherie semblait ne jamais pouvoir connaître de
fin ; c’est alors que les « diables aux yeux bleus » (les Européens)
intervinrent. Ils le firent par l’intermédiaire de deux Américains : Ward et
Burgevine : le premier servant les Mandchous et le deuxième les Taï-p’ing
et Hung ! Leur tâche était bien partagée, si bien que les représailles purent
se développer de part et d’autre dans des proportions inimaginables. La
spécialité de Ward était de « mettre sur le lotus » des villages entiers, c’est-
à-dire de pendre les malheureux habitants au-dessus de feux.
Le monde entier commençait, enfin, à prendre conscience de l’étendue
des massacres et du caractère totalement inhumain de cette guerre. Les
alliés résolurent de confier le commandement des troupes impériales au
général anglais Gordon, dans le but de nettoyer complètement la Chine des
Taï-p’ing. Il apparaissait en effet aux yeux de beaucoup que l’élimination de
ces « enragés » était la seule solution qui puisse mettre un terme à cette
boucherie.
La fin des Taï-p’ing se produisit en 1863, date qui vit la défaite des
rebelles à Sou-tchéou :
Des milliers de rebelles furent exécutés, écrit Lennhoff, leurs têtes
rassemblées formèrent un tas énorme ; le pillage et le massacre durèrent des
journées entières et transformèrent le lieu d’exécution en un marais de boue
sanglante.
Une flotte de mille bateaux, c’est dire l’importance des moyens mis en
œuvre, poursuivit les survivants jusqu’à Nankin où Hung s’était réfugié
avec quelques dizaines de milliers de fidèles. Les troupes Mandchoues,
appuyées par un encadrement européen, cernèrent la ville et se préparèrent
à donner l’assaut à ce repaire des sociétés secrètes.
Le 17 juillet 1864, l’attaque s’étant déclenchée, le « roi du ciel » donna
un sublime festin d’adieu accompagné d’une fête aux lanternes, puis, des
soldats apparurent qui étranglèrent toutes les femmes présentes et les
portèrent dans la salle du trône où Hung et ses officiers s’empoisonnèrent à
l’aide d’or battu. Leur fin une fois consommée, le feu fut mis à la résidence
royale et le palais s’abîma dans les flammes alors que les soldats impériaux,
qui avaient forcé les défenses, pénétraient dans la ville et recommençaient
une nouvelle Saint-Barthélemy…
Tout n’était pas dit, cependant, car il fallut encore une vingtaine
d’années pour traquer et exterminer les fidèles de Hung qui s’étaient
réfugiés dans les montagnes et s’adonnaient au brigandage et à la
guérilla17. La révolte des Taï-p’ing était à peine entrée dans l’histoire que,
vingt ans après, les Boxers prenaient la relève.
Au cours de cette guerre, non moins cruelle que la précédente, se situe le
fameux épisode des « 55 jours de Pékin », qui vit les légations européennes
de la ville être attaquées par les Boxers, expression armée de la mystérieuse
association des « Poings de justice » en étroite liaison avec la « Triade ».
On dit même que le grand prêtre du taoïsme, et jusqu’à l’ « Empereur de
jade », divinité suprême, étaient aux côtés des insurgés. Le fanatisme des
« Poings de loyale harmonie » s’exerça particulièrement contre les missions
chrétiennes qui payèrent un tribut sanglant à cette guerre des Boxers. Mais
cette fois le gouvernement impérial mandchou ne voyait pas d’un mauvais
œil cette crise de xénophobie antioccidentale desserrant le joug de la
domination insupportable des « barbares » européens.
Une armée internationale mit fin à l’insurrection des Boxers ; mais
l’avertissement avait été sérieux pour les Occidentaux : la Chine
s’organisait pour résister à leurs empiétements et, dans l’ombre, les sociétés
secrètes, nullement découragées, préparaient la révolution de 1911.
La révolution de 1911, œuvre de la « Triade »
La répression des Occidentaux avait été cruellement ressentie par
l’immense majorité du peuple chinois ; cette défaite engendra une haine qui
se tourna tout naturellement contre le pouvoir impérial de Pékin, accusé de
s’être laissé « corrompre » par les « barbares de l’Ouest ».
En 1908, l’impératrice douairière Tseu-hi, le « Vieux Dragon », comme
l’appelait son peuple, fut assassinée dans un complot de palais. Le
successeur en titre étant seulement âgé de trois ans (il s’agissait du dernier
rejeton de la dynastie des Tsing : Pou-yi18 mort récemment en Chine
communiste, où il exerçait le métier de « jardinier d’État » après avoir reçu
un « lavage de cerveau »), les sociétés secrètes chinoises comprirent tout le
parti qu’elles pouvaient tirer de cette vacance du pouvoir et préparèrent
activement l’instauration de la « république ».
Le régent, hâtivement désigné, ayant reconnu le danger, proclama la
dissolution de tous les « groupes » à vocation occulte par un décret du 11
avril 1911, mais cette mesure resta lettre morte… La révolution était déjà en
marche : elle éclata dans toute la Chine au mois d’octobre 1911.
Rapidement, les anciens Boxers qui s’étaient réfugiés dans les loges des
« Triades du Sud », s’emparèrent de la partie méridionale de la Chine. La
royauté s’en remettait pour le reste du territoire à Yuan Tche-kai qui
s’empressa, de son côté, de proclamer la déchéance de la monarchie. Les
Tsing étaient chassés du pouvoir, la « Triade » triomphait, et avec elle son
principal représentant : Sun Yat-sen.
Le père de la révolution chinoise avait alors quarante-cinq ans et se
réclamait à la fois de la « Triade » et des Taï-p’ing ; très tôt en effet, cet
homme politique avait été initié au rituel Hung, sans doute lors de son
passage à Honolulu19. Son premier soin fut de remercier solennellement la
« Triade » pour son action révolutionnaire. N’oublions pas, ainsi que nous
le rappelle si justement Jean Chesneaux, que :
- Trente années durant, c’est l’action sporadique, continue et obstinée de
la « Triade » qui assurera le relais entre les deux grandes poussées des
années 1850-1860 et les organisations nationalistes modernes de tendances
républicaines qui, avec Sun Yat-sen, aboutiront à la révolution de 1911.
L’historien chinois Wang Tian-jiang a récemment fait le bilan des
soulèvements tentés par les sociétés secrètes pendant cette période de
transition : 1850-1911 : il en a dénombré plus d’une centaine20.
Il est hors de doute que les nombreux voyages de Sun Yat-sen aux États-
Unis lui permirent de collecter les fonds nécessaires auprès des loges de la
« Triade » établies principalement sur la côte ouest (Californie) : Sun le
rapporte lui-même en précisant que ces loges se souvinrent qu’elles étaient
les dépositaires du nationalisme révolutionnaire chinois.
Dans son récent ouvrage sur la « Triade » l’inspecteur de police Morgan
21 nous apprend même que le second de Sun Yat-sen : Zheng Shi-liang,
était lui aussi un des chefs de la « Triade ». C’est lui qui fut le créateur de la
« Société du progrès commun », qui devait donner naissance au Kuo-Min-
Tang. On peut ainsi affirmer, sans risquer de se tromper, que c’est bien la
« Triade » qui a porté le parti communiste chinois sur les fonts baptismaux.
Le Kuo-Min-Tang, à l’origine, comportait une forte proportion de
communistes et la Révolution d’octobre en Russie devait être un précieux
appui pour Sun Yat-sen et ses amis de la « Triade » et du Kuo-Min-Tang.
Mais, avant d’en arriver là, les « Triades » ne voulaient pas voir leur
œuvre anéantie : elles provoquèrent donc des révoltes dans le Nord de la
Chine, afin de s’y implanter solidement et chasser le général Yuan Tche-kai,
qui s’était proclamé président de la République. Le résultat ne se fit pas
attendre : le président se suicida en 1916 ; Sun Yat-sen triomphait sur toute
la ligne, et avec lui les sociétés secrètes !
De 1919 à 1922, Sun Yat-sen entreprit, toujours avec l’appui des sociétés
secrètes, sa fameuse expérience bolchevique : il se donna comme un
disciple de Lénine et mit en pratique l’expérience de formation de l’Armée
rouge avec sa fameuse École de cadets de Whampoa, d’où devait sortir le
futur généralissime Tchang Kaï-chek, le futur chef de la « Chine
nationaliste » — autrement dit Formose…
Ce fut d’ailleurs Tchang qui se vit confier le commandement de la
nouvelle Armée rouge chinoise. Il était « assisté », en l’espèce, par
Borodine — envoyé « spécial » du Kremlin — qui recevait directement ses
ordres de Moscou. Parallèlement à l’effort de reconquête du Nord du pays,
Sun Yat-sen encouragea, dans la masse chinoise, une xénophobie et une
haine inimaginables à l’égard des « étrangers ».
A sa mort, survenue le 12 mars 1925 (il était âgé de soixante ans), Sun
Yat-sen fut remplacé par Tchang, qui bénéficiait de l’appui discret des
sociétés secrètes, comme son prédécesseur. Les membres de la « Triade »
fournirent ainsi les cadres de la police et de l’armée du Kuo-Min-Tang.
Mais, parallèlement, le nouveau maître de la Chine esquissait un
rapprochement avec les Occidentaux et le Japon, qui l’éloignera de plus en
plus des communistes russes trouvant cette attitude désastreuse vis-à-vis de
l’Internationale.
Le parti communiste, se sentant de plus en plus isolé au sein du Kuo-
Min-Tang songea à s’en séparer. C’est alors que Tchang Kaï-chek résolut,
en 1927, d’en finir avec les communistes chinois (le P. C. de Chine avait été
fondé en 1921) : jusqu’en 1935, soit pendant huit longues années, une
guerre implacable se poursuivit entre « frères ennemis » : Tchang contre
Mao.
Écrasés dans les villes (à Shanghaï surtout) les communistes déplacèrent
le centre de leur action vers les campagnes : l’aide des sociétés secrètes
devenait pour eux indispensable s’ils voulaient maintenir le contact avec les
habitants. A l’époque, un certain nombre de maoïstes (ancienne manière)
étaient déjà membres de la « Triade » ou de ses filiales…
Le « Napoléon rouge », futur chef de l’Armée populaire chinoise Zhu-
de, a rapporté dans quelles circonstances il avait été initié à la « Triade » ;
sa biographie est reprise par Jean Chesneaux22 :
Très vite, ses soldats invitèrent Zhu-de à adhérer aux Aînés et aux
Anciens. Il accepta. Son initiation eut lieu en présence de nombreux soldats
réunis dans un temple isolé sur les collines. Il dut se plier au rituel ancien,
pour lequel il fallait se prosterner à plusieurs reprises et boire le sang du
serment de fraternité. Ce serment s’accomplit de la façon suivante : Zhu-de
d’abord puis, les membres de la société qui prêtaient serment, se coupèrent
une veine du poignet et laissèrent couler quelques gouttes de leur sang dans
un bol de vin. Le bol circula dans l’assistance et chacun des chefs de la
cérémonie en but un peu. Après cela, Zhu-de jura d’être loyal jusqu’à la
mort aux principes de la société : fraternité, égalité, aide réciproque. On lui
enseigna alors les signes et les mots de passe par lesquels les membres des
Aînés et des Anciens peuvent encore aujourd’hui se reconnaître n’importe
où…
Nous savons, de même, que certains autres chefs communistes de la
première heure furent initiés à la célèbre « Triade » ou à ses filiales, ce qui,
on l’aura aperçu avec la cérémonie du sang, correspond strictement au
serment de la F. M. chez nous. Parmi ces chefs communistes, on cite Wu
Yu-chang — doyen du P. C. chinois — Liu Zhi-dan et Xie Zi-chang…
Certains auteurs n’ont pas hésité à avancer le nom de Liu Shao-chi —
tombé en disgrâce avant d’être assasiné (Hans Heinrich Wetzel, dans son
ouvrage sur le futur président de la République populaire de Chine, en
résidence surveillée depuis la révolution culturelle). Pour d’autres, la qualité
de mandarin du père de Chou En-laï ne l’aurait pas empêché d’appartenir,
lui aussi, à la « Triade » et à ses groupes dérivés. Quant à Mao Tsé-Toung,
un mystère plane, mais on peut estimer curieux que Zhu-de soit
apparemment le seul membre dirigeant du parti qui ait avoué sans réticence
son appartenance à la « Triade », quand on connaît l’esprit entreprenant de
la société Hung.
Il est vrai que, depuis 1941, les initiés savaient à quoi tout cela
correspondait en définitive, car le mot de Hung a une autre signification en
chinois : il signifie… « inondation »… Or, celle-ci était prévue pour la fin
de notre siècle.
C’est toujours en 1941 que la maison d’édition « Les Études
traditionnelles » publia un ouvrage de Matgioi, intitulé La Voie rationnelle,
dans lequel on pouvait trouver le témoignage suivant concernant cette
« inondation » :
L’immense et toujours grandissante fécondité de notre race vous
poussera dans la mer, vous chassera de vos royaumes et enlèvera le dernier
grain de riz à vos bouches affamées. Ils viendront dans de longues années ;
parfois, dans mes rêves, mon esprit lucide vole jusqu’aux choses de
l’avenir, et je vois, je vois de longues files marcher interminablement vers
les brumes de ton pays ; et j’entends, sur les sentiers qui vont à l’ouest, le
claquement des sandales de ces milliers d’hommes. Que nos cœurs émus
saluent la nuit des temps dont ils vont sortir !
Ils arriveront ; devant leur nombre effroyable, vous n’aurez de recours
qu’en votre Dieu, car toute force sera inutile ; et c’est alors que l’oubli du
ciel et l’ignorance de vos esprits vous seront fatals et que vos injures se
dresseront pour votre ruine. Ni vos civilisations efféminées, ni vos systèmes
matérialistes, ni vos plastiques perverses, ni vos actes sensualisés ne vous
donneront même le courage qu’il faut pour bien mourir. Vos corps amaigris
d’un énervement volontaire, vos âmes fatiguées du vertige de vos
philosophies, vos esprits engourdis par une négation de vingt siècles, tous,
vous roulerez dans le torrent de vos vices ; et vous disparaîtrez devant la
race antique qui a su maintenir intact le principe de la sagesse éternelle, qui
flamba devant nos aïeux…

Mao Tsé-Toung à sa table de travail (photo Cartier-Bresson - Magnum)

1. Jean Chesneaux, Les Sociétés secrètes en Chine, Julliard, 1965, p. 273.

2. En 1885, le croiseur français La Galissonnière, venu à Hong-kong pour réparer les avaries qu’il
avait subies lors de l’action punitive contre Formose, provoqua par sa seule présence dans la rade une
grève de solidarité des ouvriers de l’arsenal qui, avertis par des émissaires de la société Hung
formosane (30 000 adhérents environ à cette époque, rien que dans cette île, nous apprend
Chesneaux) forcèrent le navire français à quitter le port britannique : c’est dire l’importance, à
l’extérieur comme à l’intérieur, de cette société secrète.

3. Encyclopédie Planète, Les Sociétés secrètes, 1964, article de René Alleau, p. 180.

4. Jean Rodes, La Fin des Mandchous.


5. Jean Marquès-Rivière, La Chine dans le monde, Payot, Paris, 1935, p. 166.

6. Le « marchand de chevaux » est l’ « initié » dans le langage ésotérique extrême-oriental. Les


moines qui véhiculèrent le bouddhisme dans ses premiers temps sont dits marchands de chevaux.

7. Paris, Ëd. G. P. Maisonneuve, 1933.

8. Ainsi la triple interprétation : littérale, allégorique et mystique.

9. La société Hung pratique aujourd’hui encore, à Hongkong, le vol et le brigandage : cela n’est pas
inscrit dans ses statuts, que l’on sache !

10. Les sandales de paille à base carrée permettent (en remplaçant les chaussures ordinaires) au
postulant à l’initiation de condenser, en l’isolant, le courant, l’influx spirituel qu’il va recevoir…

11. B. Favre, op. cil., p. 170.

12. Un film a cependant été réalisé par les membres de l’expédition, projeté pour Hitler, Himmler et
les principaux chefs nazis (1942). De même, un important ouvrage sur l’expédition allemande de
1939 accessible à un public sélectionné a été tiré à un petit nombre d’exemplaires. Ces documents
sont aujourd’hui accessibles aux historiens et aux chercheurs.

13. Frida Wion, La Chine, Éd. Nalys, 65, rue de Courcelles, Paris.

14. Ce phénomène, que la tradition chrétienne nous a légué sous la forme du mystère de la
« lévitation » des saints, est également rapporté par les traditions d’Amérique latine : « Dans les
temps anciens, tous les hommes avaient le pouvoir de voler… », nous dit le Popol-Vuh ; de la même
manière, les traditions africaines font mention des hommes volants de Zimbabwe. Quant à la tradition
proprement atlantéenne du Vril, elle doit être recherchée dans les « plats volants » des anciens Incas.

15. Robert Charroux, Le Livre du mystérieux inconnu, Éd. Robert Laffont, 1969.

16. Eugène Lennhoff, Histoire des sociétés politiques secrètes au XIXe siècle, Paris, Payot, 1934, p.
249.

17. Les derniers Taï-p’ing débarrassèrent la scène politique de façon très chinoise : le gouvernement
mandchou les envoya se battre contre les Français en Indochine ; ils formèrent ainsi la bande des
« Pavillons noirs » qui donnèrent beaucoup de fil à retordre à nos troupes.

18. Pou-Yi, évincé du pouvoir, prisonnier dans la « cité interdite » de Pékin, devait devenir
l’éphémère empereur du Manchoukouo, Etat satellite des Japonais, avant de tomber aux mains des
communistes chinois en 1945.

19. Capitale des iles Hawaii où prospérait une importante colonie chinoise.

20. Jean Chesneaux, op. cit., pp. 147-148.

21. W. P. Morgan, Triad Societies in Hong-kong, 1960, Hong-kong.

22. Autobiographie du général Zhu-de recueillie par la journaliste communiste américaine Agnès
Smedley. On doit à Jean Chesneaux la relation de l’entretien des deux personnages, dans son ouvrage
déjà cité, p. 206.
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Pour être complète, cette liste devrait contenir quelques centaines
d’autres titres et surtout le résultat de recherches personnelles qui n’ont pas
leur place ici.
Nos remerciements s’adressent aux chercheurs qui nous ont permis de
faire état de leurs travaux, et, en particulier, à M. Sinibaldi (pour le général
suisse Jomini) et à l’actuel grand druide des Gaules, Paul Bouchet.
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Alleau (René), Les Sociétés secrètes, Paris, Éd. Planète, 1964.
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1970.
Il convient d’ajouter à cette bibliographie succincte les ouvrages relatifs
à l’histoire générale de la Chine.
Table des matières
Préface à l’édition 2015

Avant-propos

Introduction

Chapitre 1 - Akhenaton : « Joie du Soleil »

Chapitre 2 - Zoroastre ou le « fils de la lumière »

Chapitre 3 - Alexandre le grand, ou le « Fils d’Amon »

Chapitre 4 - Julien ou « Hélios-Roi »

Chapitre 5 - Frédéric II ou le « Grand Œuvre Solaire »

Chapitre 6 - Napoléon ou « L’Aigle vole au soleil »

Chapitre 7 - Adolf Hitler ou le « Soleil Noir »

Épilogue - Mao Tsé-Toung ou « Le Soleil Rouge »

Bibliographie

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