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Marchés financiers islamiques et risque de spéculation

Thesis · March 2020


DOI: 10.13140/RG.2.2.23496.26888

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Mohamed Talal Lahlou


Mohammed V University of Rabat
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FACULTE DES SCIENCE JURIDIQUES ECONOMIQUES ET SOCIALES SOUISSI - RABAT
CENTRE D’ETUDES DOCTORALES
- CEDOC -

MARCHES FINANCIERS ISLAMIQUES ET RISQUE DE SPECULATION

Pour l’obtention du titre de


Docteur en Sciences Economiques

Sous la direction du Pr. Mohammed NADIF, Professeur de l’enseignement supérieur, FSJES - Souissi

Présentée et soutenue publiquement à l’Université Mohamed V par


Mohamed Talal LAHLOU
Le 25 Juillet 2018

JURY
Pr. Mohammed Rachid AASRI, Professeur de l’enseignement supérieur, FSJES Souissi, Président
Pr. Mohammed NADIF, Professeur de l’enseignement supérieur, FSJES Souissi, Directeur de thèse
Pr. Mohammed KHARISS, Professeur de l’enseignement supérieur, FSJES Souissi, rapporteur et membre
Pr. Khadija OUBAL, Professeur habilité, FSJES Souissi, membre
Pr. Abderrazzak ELMEZIANE, Professeur habilité, FSJES Salé, rapporteur et membre
Pr Omar EL KETTANI, Professeur de l’enseignement supérieur, expert en finance islamique, membre

EQUIPE DE RECHERCHE : FINANCE, POLITIQUE ECONOMIQUE ET COMPETITIVITE DE L’ENTREPRISE


Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
-1-
‫بسم هللا الرحمن الرحيم‬
‫الحمد لل‬

Remerciements
A l’image de tout projet de la vie, depuis son initiation jusqu’à son aboutissement, cette thèse a
représenté un réel défi qui aurait sans doute été une tâche bien plus ardue sans le soutien d’un certain
nombre de personnes tout au long de mes années de recherche.
Ma première et dernière gratitude est à celui sans qui, rien de cela n’existerait, et qui, par ses
bienfaits, a fait que nous avons pu vivre et parvenir à cela aujourd’hui. Par ailleurs, les premières
personnes qui m’ont soutenu tout au long de ce grand projet de recherche ont bien sûr été mes
parents, comme ils l’ont fait tout au long de mon cursus académique. A eux reviennent les
remerciements chaleureux et la reconnaissance profonde qui ne sauraient être suffisants pour
témoigner ce qui doit l’être. Il en va de même pour mon épouse qui supporta avec patience ces
longues années d’efforts et de retrait. Je ne saurais oublier ma sœur, qui a accepté de revoir certains
passages malgré ses occupations.
Pour mes travaux, je souhaite à apporter mes vifs remerciements à mon Directeur de Thèse Pr.
Mohammed NADIF pour son support et son assistance tout au long de ces années à l’université,
m’ayant permis de mener à bien cette recherche. Mes sincères remerciements au président du Jury, Pr.
Mohammed Rachid AASRI, Professeur de l’enseignement supérieur à la FSJES Souissi, au Pr.
Mohammed KHARISS, Professeur de l’enseignement supérieur à la FSJES Souissi, au Pr. Khadija OUBAL,
Professeur habilité à la FSJES Souissi, au Pr. Abderrazzak ELMEZIANE, Professeur habilité à la FSJES Salé,
et au Pr Omar EL KETTANI, Professeur universitaire, expert en finance islamique.
Je tiens, au final, à remercier, une par une, l’ensemble des personnes, des experts et des
professeurs qui m’ont aidé, assisté et même critiqué durant ce périple académique. Sans avoir la
prétention d’être exhaustif, je remercierais Pr. Abdelbari El Khamlichi, M Abdessalam Cherad et Dr
Amine El Yousfi pour leur assistance et leurs contribution notoires. Je mentionnerais également Pr.
Sami Al Suwailem (IRTI-BID), Pr. Obiyathulla (INCEIF), Pr. Akram Laldin (ISRA), Dr Jamaluddin
(BursaMalaysia), Dr Ahmed Zaki (USIM), Dr Mahmoud Mhedat (Mufti d’Irbid – Jordanie), Dr Sami
Hazoug (Strasbourg EM), Dr Abou Hamdane (Paris Panthéon-Assas), Dr Hatim Benyoussef… Ainsi, du
Maroc à la Malaisie en passant par la Jordanie et les pays du Golfe, je remercierais tous ces acteurs et
les autres, ayant contribué de près ou de loin à l’aboutissement de cette thèse.

Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU


-2-
MARCHES FINANCIERS ISLAMIQUES ET RISQUE DE SPECULATION

Résumé

La question de la résilience à la spéculation est généralement posée en principe fondamental en


finance islamique. Notre recherche s’est proposée de questionner ce principe, en théorie et en
pratique. Pour ce faire, nous avons procédé au cadrage épistémologique des concepts polysémiques
de finance islamique et de spéculation, aboutissant à un schéma récapitulatif du système économique
islamique puis à une théorie du risque pour le premier concept et à une nouvelle définition puis un
tableau comparatif des principales théories pour le second. Nous avons aussi procédé à une étude
documentaire répertoriant les facteurs de spéculation observés par les économistes, en pratique. Ces
facteurs sont regroupés en deux catégories : Endogènes (comportementaux / transactionnels) et
exogènes (réglementaires / financiers / macroéconomiques). La catégorisation ayant été fluidifiée,
nous avons pu confronter conceptuellement les principes de la finance islamique à ces facteurs.
Théoriquement, ces principes sont résilients. En pratique, des nuances apparaissent déjà.
La voie étant ouverte à l’enquête, nous avons construit notre instrument de mesure principal, le
baromètre d’évaluation du risque spéculatif, qui regroupe de manière pondérée les facteurs, les
pondérations étant tirées de l’analyse statistique de l’enquête. Ce baromètre a été projeté sur les
pratiques de finance islamique de marché, afin de constater que certains facteurs de la spéculation ne
sont de nos jours pas cadrés au niveau des marchés incorporant des produits financiers islamiques. Il
l’a également été sur les principales normes (AAOIFI et IFSB), sur deux pays de référence (Soudan et
Malaisie) et sur les résultats d’une autre enquête auprès d’experts des marchés financiers islamiques,
avant d’aboutir à un baromètre comparatif de synthèse de l’ensemble des projections. Le résultat
contre-intuitif est que, à rebours à la théorie, l’exposition à la spéculation est réelle, seule l’ampleur
varie d’un cadre à l’autre et d’un marché à l’autre.

Mots-clés : Finance islamique – Marchés financiers – Bourse – Spéculation – Dérivés

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-3-
Mention légale

L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette
thèse ; celles-ci doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

Liste des abréviations

AAOIFI : Accounting and Auditing Organisation for Islamic Financial Institutions


CPP: Concurrence Pure et Parfaite
EI : Economie Islamique
FI : Finance Islamique
IFI : Institution Financière Islamique
IFSB : Islamic Financial Services Board
MFI : Marchés Financiers Islamiques
PPP / 3P : Partage des profits et des pertes
SEI : Système Economique Islamique
THF : Trading à Haute Fréquence

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-4-
Sommaire

INTRODUCTION GENERALE .............................................................................................................................7


1 ANCRAGE EPISTEMOLOGIQUE DES CONCEPTS DE FINANCE ISLAMIQUE ET DE SPECULATION ................. 19
1.1 Le système économique et financier islamique ............................................................................. 21
1.2 Définitions et théories majeures de la spéculation ........................................................................ 53
2 LES FACTEURS A L’ORIGINE DE LA SPECULATION ................................................................................. 119
2.1 Les facteurs de la spéculation endogènes au marché................................................................... 125
2.2 Les facteurs de la spéculation exogènes au marché ..................................................................... 160
3 CONFRONTATION DES PRINCIPES DE LA FINANCE ISLAMIQUE AUX FACTEURS DE LA SPECULATION ..... 203
3.1 Confrontation de la FI aux facteurs endogènes de la spéculation ................................................. 207
3.2 Résilience de la FI aux facteurs exogènes de la spéculation ......................................................... 229
4 ENQUÊTE ET CONSTRUCTION DU BAROMETRE D’EVALUATION DU RISQUE SPECULATIF....................... 266
4.1 Méthodologie de recherche ....................................................................................................... 268
4.2 Analyse statistique exploratoire ................................................................................................. 282
4.3 Analyse en composantes principales .......................................................................................... 292
4.4 Indicateurs de mesure des facteurs de la spéculation et mise en relation de ces indicateurs ........ 311
5 ESSAI D’APPREHENSION DE L’EXPOSITION DES MARCHES FINANCIERS ISLAMIQUES CONTEMPORAINS AU
RISQUE DE SPECULATION ........................................................................................................................... 339
5.1 Cadre et transactions en vigueur dans la FI de marché ................................................................ 342
5.2 Etude de cas et enquête prospective auprès d’experts des MFI ................................................... 376
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 402

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-5-
« Nous avons beaucoup écrit sur les
paniques et les spéculations, beaucoup trop
pour que l’esprit le plus brillant soit en
mesure de s’en faire une idée exacte »
Walter Bagehot, 1873.

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-6-
INTRODUCTION GENERALE

« Autant le thème des effets macroéconomiques de la spéculation avait disparu de la littérature


économique des années soixante, autant il revient avec force aujourd’hui » (Boyer, Petit, Schmeder,
Schrameck, 1987, p5). En trente ans, ce retour reste plus que jamais d’actualité. La persistance de ce
phénomène qu’est la spéculation, avec ses bulles et ses crises, a poussé de nombreux économistes à
poser la question des fluctuations comme étant une constante. C’est le cas de la théorie des cycles
économiques relevés par Ibn Khaldûn (Verrier, 2004), puis par Kitchin, Jugglar et Kondratiev
(Schumpeter, 1954). Cette théorie met en valeur l’existence de cycles plus ou moins réguliers 1 de
croissance puis de ralentissement, voire de récession économique. Historiquement, les débats entre
économistes furent principalement centrés sur les causes à l’origine de ces fluctuations et les attitudes
politico-économiques à adopter afin de maximiser les profits et minimiser les pertes. Qu’elles soient
d’obédience marxiste, keynésiennes, classiques, néoclassiques, monétaristes ou autrichiennes, les
écoles de pensée économique ont souvent divergé sur l’exactitude du diagnostic et les causes à
l’origine de chacune des crises observées. Les divergences sont d’autant plus importantes lorsqu’il
s’agit de proposer une solution appropriée. Beaucoup de ces divergences trouvent leur source d’abord
au niveau de l’asymétrie structurelle de l’information dans la mesure où les économistes sont dans
l’impossibilité de cerner l’ensemble des paramètres sociaux, économiques et politiques ayant
conduit à la formation d’une bulle ou à son éclatement. Ces divergences prennent aussi racine dans
leurs positionnements idéologiques faisant que, bien souvent, un effet de halo se fait ressentir au
niveau des analyses2. Hayek souligne à ce titre l’incomplétude de toute théorie économique, face à la
complexité de l’environnement économique3. Dans le monde des sciences sociales, vu la nature
subjective des éléments analysés (les humains et leurs comportements), même les postures les plus
positivistes trouvent du mal à rationaliser totalement les analyses qui sont menées sur un phénomène
économique ou social. L’imprévisibilité et l’irrégularité des évènements pose donc toujours plus de
problématiques aux économistes qui voient leurs paradigmes mis à mal à chaque résurgence d’une
nouvelle crise issue de l’éclatement d’une bulle spéculative.
Ces paradigmes économiques, que beaucoup pensaient restreints aux écoles précédemment
citées, se voient aujourd’hui confrontés à une vision hétérodoxe (du point de vue occidental) de la

1 On parle de cycles redondants, bien que trop souvent, les périodes soient arrondies et variables
2 Effet de Halo : « Influence de l’évaluation globale (posture idéologique ici) sur l’évaluation des attributs spécifiques (le phénomène
économique spécifique analysé) » (Nisbett et Wilson, 1977).
3 http://www.economie.gouv.fr/facileco/friedrich-von-hayek (22/03/2017)

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chose économique. L’émergence de courants, jusque-là peu familiers, qui jettent en quelque sorte les
bases théoriques d’un système économique et financier islamique, suscite un intérêt au niveau de la
communauté économique et financière, assez largement dominée par les débats néoclassiques-
keynésiens. L’émergence d’un paradigme économique alternatif ouvre un espace de dialogue
théorique que l’on pensait fermé dans un cadre néoclassique ne présentant aucune alternative que
lui-même, et qui se base sur la recherche de profit et l’égoïsme comme axiomes inhérents à la nature
humaine (Kuran et al 2001, p29). Ce paradigme, qui prend ses sources dans des textes Coraniques,
prophétiques, mais aussi dans des traités ou parties d’ouvrages de savants musulmans de la première
moitié du millénaire, propose une vision alternative adoptant des principes économiques que l’on
pensait révolus au sein de la communauté des économistes, comme l’interdiction de l’intérêt.
L’EI contemporaine remonte aux années cinquante, notamment avec l’un de ses premiers
théoriciens, Al Mawdudi. Elle constitue la base idéologique et théorique dans laquelle s’ancre la FI
contemporaine. Ses principales sources sont la sharia4, qui inclut les textes originels ainsi que les
jurisprudences ultérieures. L’EI est considérée par ses théoriciens comme une alternative crédible,
voire une solution aux problèmes auxquels font face l’économie et la finance capitaliste (Siddiqi,
1983 ; Chapra, 1986 ; Sader, 1987 ; Gamal, 2006 ; Masri, 2007 ; Chapellière, 2009 ; cités par Abu
Hamdane, 2013, p15). La FI, bien que représentant actuellement la partie la plus dynamique et la plus
attractive de l’EI, n’en est pas le constituant exclusif. L’EI est un cadre plus global incluant d’autres
institutions. Au sein de la FI, l’activité principale est accaparée par les IFI, mais aussi par les assurances
islamiques (takaaful) proches du modèle mutualiste, et par les MFI. C’est dans cette dernière sous-
composante que s’inscrira la majorité des travaux de notre thèse.
Il est important de noter que notre recherche s’inscrit dans une double perspective,
économique et financière dans un premier temps, puis dans la ‘’sous-discipline’’ qu’est la FI dans un
second temps. En ce qui concerne la partie relative à la spéculation, notre recherche s’appuie sur les
éléments déjà théorisés et formalisés par ceux qui se sont longuement penchés sur le phénomène de
spéculation. Nous nous appuyons notamment sur : Les classiques, Keynes (1936), Kaldor (1939), Hicks
(1946), Working (1949, 1960), Friedman (1953, 1960), Tesler (1959), Cootner (1960), Hirshleifer (1973,
1977), Salant (1974), Hart et Kreps (1976), Harrison et Kreps (1978), Kindleberger (1978), Grossman et
Stiglitz (1980), Tirole (1980, 1982), Orléan (1987, 2004), Schiller (1990), Allais (1993), Artus (1996),
Roche (2008, 2010), Ashley (2009) et Stout (2011), entre autres.

4Sharia : Traduit littéralement par la « voie ». Elle constitue le corpus de référence de l’Islam, notamment au niveau juridique, entre
autres. Ses principales sources sont le Coran et les traditions prophétiques authentiques.

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-8-
Pour ce qui est de la partie FI et les MFI, que ce soit en théorie ou en pratique, nous nous
appuyons sur les références incontournables de la discipline qui ont permis de discuter des
problématiques latentes dans le domaine de la FI de marché qui constituent un objet de discorde. Ces
références ont permis de capitaliser sur les acquis théoriques et pratiques de la discipline afin de
dépasser les généralités idéologiquement positionnées et peu documentées que l’on retrouve bien
souvent dans les productions relatives à la FI. De telles généralités ne relèvent pas de la recherche à
proprement parler, c'est-à-dire à la production de savoir et de connaissance scientifique à partir de
règles méthodologiques crédibles et vérifiables. Parmi les principales références, nous citons Dharir
(1995), Usmani (1996), Obiyathulla (1999, 2009), Al Suwailem (2000, 2002, 2005, 2006, 2011, 2013),
Verrier (2004), Dawabah (2006), El Gamal (2006), Abu Ghudda (2008), Askari et al (2009 et 2013),
Oaidah (2010), Qurradaghi (2010), Chapra (2012), Causse-Brocquet (2012), Hideur (2013), Abu
Hamdane (2013), Nienhaus (2013), Bedoui et Mansour (2014) et Belabes (2016) entre autres
productions scientifiques majeures.

PROBLEMATIQUE
L’idée de base préludant à notre problématique est que le système financier islamique5 institue
comme principe directeur la mise à l’écart de toute activité impliquant des jeux ou des transactions
basées sur du gharar (une incertitude majeure)6. Ce principe fondamental de la FI impliquerait qu’a
priori, toute activité spéculative est à proscrire comme nous le lisons dans une majorité d’ouvrages de
la FI. Dans ce cas, pourquoi serait-il incorrect, comme le démontre Abu Hamdane (2013, p336), de
systématiquement avancer, à l’instar de nombreux praticiens de la FI, que « tout ’’Bay` al-Gharar7’’ est
‘’spéculation’’, ou encore que toute ‘’spéculation’’ est ‘’Bay` al-Gharar’’, et encore plus pour le jeu (ou
Qimar) ». Surtout lorsqu’nous savons que « […] la majorité des Scholars croient que la spéculation dans
[avec] les dérivés conduit à une incertitude excessive […] qui équivaut au jeu. Ils considèrent les dérivés
comme des exemples clairs de jeux à somme nulle8, de simples contrats de différence [de prix] – un
moyen de jouer et de parier. » Kunhibava (2010, p31). Cette implication (d’interdiction de la
spéculation) n’est-elle donc plus une évidence en FI ? En conséquence, les MFI découlant de ce
système alternatif sont-ils, eux aussi, régis par la constante des cycles et des bulles spéculatives, ou

5 L’expression ‘’système financier islamique’’, impliquant l’existence d’un système économique complet sous-jacent, est discutée par
certains économistes. C’est en première partie que nous étudierons cette question en profondeur.
6 La notion de « gharar » est traduite par incertitude par extrapolation car, en réalité, elle n’a pas de traduction courte possible tant les

variables sont nombreuses à cerner pour la définir, selon la thèse de Abu Hamdane 6 (2013), qui a porté dans l’ensemble sur la
conceptualisation et la mise en perspective de cette notion.
7 Transaction commerciale basé sur le gharar
8 Jeu à somme nulle : Une opération dans laquelle les gains d’une partie ne peuvent augmenter qu’en contrepartie de pertes équivalentes

de l’autre partie. Ces jeux sont extensibles à un nombre infini d’opérateurs. La fonction d’utilité de chaque joueur est diamétralement
opposée à celle de l’autre, dans un univers bilatéral (Abu Hamdane, 2013, p355)

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sont-ils immunisés contre la spéculation ? Le traitement de cette problématique requiert d’aborder
plusieurs questions, la première étant : De quelle spéculation est-il question ?
Le phénomène de spéculation, ne trouve toujours pas de définition communément admise, ni
de conceptualisation qui permette de le cerner de manière exhaustive. Les discussions d’économistes,
plusieurs siècles durant, relatées par Bagehot (1873), autour du concept, ont atteint des conclusions
contradictoires, sans orientation claire en pratique (Working, 1960 ; Artus, 1996). Sa perception, sa
qualification, sa quantification, sa justification et son traitement sont autant d’éléments qui ne
trouvent pas d’outils, méthodiques et précis, ce qui se traduit par des incohérences dans analyses de
la spéculation. Une telle ambigüité est donc de nature à biaiser les résultats des analyses sur la
spéculation. Dans ce cas précis, les travaux à suivre permettront de constater dans quelle mesure nous
avons à faire à un phénomène complexe, ambigu, controversé voire inqualifiable. Pour autant, le
phénomène de la spéculation ne peut-il pas être cerné scientifiquement de façon, au moins, à
diminuer la part d’incertain et d’incompris dans sa définition ? Toute la difficulté consiste alors à
poser les bases d’un travail rigoureux fondé sur l’analyse des éléments impliqués dans la spéculation,
et de tenter de trouver les liens logiques et de causalité entre ces éléments et la spéculation, afin de
les rassembler dans une analyse structurée et un instrument de mesure approprié.
Rappelons que même avec un instrument de mesure extrêmement élaboré, la généralisation
reste un biais cognitif à éviter. Le chercheur a besoin d’un certain sens du détail et de mise en
perspective pour s’en extraire. Dans notre cas, les deux phénomènes étudiés (la spéculation et les MFI)
sont par nature complexes à analyser et très contingents selon les perceptions, les acteurs et les
marchés. Ce qui est considéré comme spéculatif ici ne l’est pas forcément ailleurs, et ce qui est accepté
comme étant islamique dans tel pays n’est l’est pas forcément dans tel autre. En effet, les expériences
des produits islamiques sont multiples dans de nombreux pays musulmans. Comment alors approcher
ces deux phénomènes, multiformes et contingents, en toute objectivité ? Une autre question
nécessaire au traitement de notre problématique s’impose alors : De quels MFI est-il question ?
Le traitement de ces questions passe par la clarification de notre objet d’étude qu’est le MFI.
L’existence de produits financiers islamiques est-elle synonyme de l’existence systématique d’un MFI
structuré et totalement inspiré des principes de la FI ? L’existence d’indices financiers, dits islamiques,
a près de deux décennies. Au sein même des bourses conventionnelles, nous avons vu se développer
des produits ainsi que des indices dits islamiques, mais régis par le cadre légal conventionnel. Dans ce
contexte, pouvons-nous parler de MFI pour qualifier ces indices ? Ce serait une erreur
méthodologique dans la mesure où le cadre légal, qui est le socle constitutif d’un marché, n’est pas
islamique. Seuls certains critères de filtrage des actions, que nous développerons ultérieurement,
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
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permettent de constituer un panier de produits dits sharia compliant (conformes à la charia). Or, notre
question est axée sur les MFI en tant qu’entité. En réalité, un MFI en bonne et due forme n’existe tout
simplement pas (Askari et al, 2013). Que reste-t-il alors de pertinent dans notre problématique du
risque spéculatif au sein des MFI ? A partir de là, est-il toujours aussi utile de se poser notre question
centrale : « Dans quelle mesure existe-t-il un risque de spéculation pour les MFI » ?
La croissance de ce secteur étant rapide, nous observons une amélioration progressive des
cadres juridiques relatifs au secteur. Ces derniers sont souvent adossés aux cadres réglementaires
conventionnels. Or, l’inflation des produits et des opérations financières islamiques rend
incontournable la nécessité de mettre en place des normes, puis des cadres, voire une harmonisation
des pratiques, au niveau des MFI en gestation. C’est dans cette perspective dynamique que notre
problématique aurait du sens, et c’est dans cette perspective que nous l’avons effectivement adoptée.
Une perspective quasi-exclusivement prospective, projetée vers le futur, par rapport à des normes et
pratiques existantes ainsi qu’à à des tendances et des analyses approfondies. Il reste aussi à savoir
pourquoi devoir analyser la possibilité de voir les MFI émergents être exposés au risque de spéculation,
tout particulièrement.

OBJECTIFS ET INTERÊTS DE LA THESE


La problématique « dans quelle mesure existe-t-il un risque de spéculation pour les MFI » sera
traitée en explorant les connaissances disponibles sur la FI et en les comparant au système capitaliste.
Le but est d’aboutir à un instrument de mesure original, cernant le concept de spéculation, qui
permettra de mesurer l’exposition éventuelle des MFI au risque spéculatif. Cet objectif principal se
décline en plusieurs objectifs d’étape.
L’effort de clarification conceptuelle constituera un principe que nous adopterons autant que
faire se peut dans nos travaux, vu que de nombreuses divergences sont liées à la définition
superficielle des concepts. A partir de cette posture, et pour mener à bien nos travaux, nous devrons
nous demander quels segments des MFI existent actuellement. Ce questionnement passe par une
autre clarification conceptuelle nécessaire : celle du système économique islamique. Le premier
objectif sera ici de répondre à la question de l’existence, ou pas, d’un système complet découlant des
principes économiques islamiques. Nous pourrons ensuite en clarifier la partie financière avec pour
objectif de cerner de manière préliminaire sa résilience, éventuelle et théorique, aux facteurs de la
spéculation.
Ce travail explore donc aussi, par voie de conséquence, la spéculation telle qu’elle est traitée
par les économistes. Le troisième objectif est de pouvoir, construire une définition générale

Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU


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(référentiel conceptuel) plus claire, détaillée et structurée, constituant une valeur ajoutée
conceptuelle d’un intérêt théorique certain. Notre analyse permettra de mieux cadrer
méthodiquement le concept de spéculation, participant ainsi à l’enrichissement de la réflexion portant
sur les pratiques financières conventionnelles contemporaines liées aux marchés financiers, à leurs
dysfonctionnements et à la spéculation tant décriée. Cette dernière découle généralement de ces
dysfonctionnements, par des relations souvent plus complexes et dynamiques que linéaires. L’intérêt
théorique d’une telle démarche est que « l'analyse de la spéculation définit un bon point de départ
d'une analyse macro-économique alternative car elle tire toutes les conséquences de la sophistication
des systèmes financiers quant à la validité d'une représentation en termes de modèle walrassien pur »
(R. Boyer, P, Petit, G. Schmeder, H. Schrameck, 1987, p9).
A travers cette analyse et à l’aide de notre première et principale enquête empirique sur les
facteurs de la spéculation, nous construirons instrument de mesure qui prendra progressivement
forme : le baromètre d’évaluation du risque spéculatif. L’aspect assez universel du baromètre sera
l’un de ses objectifs principaux, bien que toujours perfectible dans la mesure où dans le monde des
sciences sociales, s’il y a une constante, c’est bien la contingence. De nouveaux acteurs (l’intelligence
artificielle), comportements (l’économie de partage), paradigmes (l’écono-physique 9 , les crypto-
monnaies), lois, outils financiers et perceptions caractériseront constamment l’évolution d’un secteur à
la pointe du changement comme celui des marchés financiers. L’intérêt du baromètre restera
intimement lié à sa capacité d’adaptation.
L’un des intérêts pratiques de notre recherche, en plus de l’élaboration d’un baromètre
multifactoriel permettant de mesurer le risque spéculatif, sera de projeter le baromètre sur un MFI
‘’générique’’, qui sera une construction élaborée à partir des principales pratiques et normes recensées.
En effet, en l’absence de modèle pratique complet et intégré de MFI, nous nous proposons de
confronter l’instrument de mesure à un modèle de MFI qui prend en compte les pratiques actuelles
dominantes au niveau des places financières dites islamiques ou dans lesquelles se négocient des
produits financiers dits islamiques. L’objectif principal de cette étape est d’obtenir un cliché à l’instant
T de notre projection sur l’état actuel du secteur, et de l’exposition éventuelle à la spéculation
qu’aurait un MFI contemporain s’il agrégeait les normes et opérations actuellement existantes. Cette
projection permettra, in fine, de mieux cerner les résultats de la seconde enquête terrain qui sera faite
auprès de praticiens de la discipline, en contact direct et quotidien avec la FI de marché. Pourtant,

9 Econo-physique : Physique appliquée à l’analyse financière

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cette projection est-elle extensible aux pratiques futures, vu que nous nous plaçons aussi dans une
perspective prospective ?
Assurément, la proposition est à modérer dans la mesure où le temps qui s’étalera, d’ici la
constitution des premiers MFI totalement intégrés et régis par un cadre légal islamique mature et
harmonisé, est inconnu. Les changements au niveau des comportements, des outils et des perceptions
sont eux, certains, bien que leur nature soit inconnue. La seule certitude est que le baromètre de
mesure du risque spéculatif permettra de répondre en grande partie à la question à travers son
caractère holistique et relativement universel. Combiné à l’étude des pratiques financières islamiques
de marché, il sera d’un grand intérêt pratique afin de cerner les tendances et les déterminants
sensibles - voire critiques - à surveiller dans le cadre de l’accompagnement ou la simple observation de
l’émergence de ces MFI.
La portée de cette thèse doit aussi être relativisée dans la mesure où elle aborde deux
phénomènes complexes et multiformes, dont l’étude d’un seul d’entre eux pourrait faire l’objet de
nombreuses publications exclusives. Un intérêt pratique important dans ce travail est la mise à
disposition des chercheurs et des praticiens, d’outils et d’indicateurs (ratios de référence)
permettant d’aborder plus scientifiquement et sereinement des problématiques aussi complexes que
la spéculation et les MFI. L’objectif est aussi d’apporter davantage de rationalité et d’objectivité par
rapport à ces deux concepts qui sont souvent très subjectivement, voire idéologiquement, définis et
utilisés.
En somme, l’objectif principal de cette thèse est la construction d’un baromètre universel
mesurant le risque de spéculation, puis l’évaluation de ce risque pour les MFI. La recherche aura donc
de nombreux apports au niveau théorique tels que le cas général (notre définition/référentiel
conceptuel) ou encore la mesure et à la conceptualisation des phénomènes abstraits de spéculation et
de système économique islamique. Elle aura également des apports pratiques, avec le baromètre du
risque spéculatif ainsi que l’évaluation de manière prospective du risque éventuel de spéculation au
niveau de la FI, tant par l’étude terrain des produits et normes que par l’enquête terrain auprès des
experts. Notre analyse permettra aussi de répondre à un besoin de visibilité au niveau de la
perception de l’évolution des MFI, tout en étayant les pratiques de marché qui ont actuellement
pignon sur rue dans le domaine de la FI.
Qu’en est-il des éléments méthodologiques sous-jacents, et lesquels seront mis à contribution
afin d’aboutir à des résultats valides ? Quels seront les cadres théoriques les plus adaptés à cette
problématique et à ces objectifs ?

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- 13 -
METHODOLOGIE
Notre problématique se situe à l’intersection de trois disciplines très vastes que sont la science
économique, la finance de marché et les sciences islamiques, essentiellement dans leur volet
économique. Ces trois disciplines relevant des sciences humaines plutôt que des sciences naturelles,
nos travaux prendront en considération tant les outils méthodologiques des sciences sociales que ceux
des sciences islamiques, lorsque le besoin se manifestera. C’est un premier niveau de difficulté à
maîtriser. Notons que le recours aux principes des sciences sociales dominera notre analyse dans la
mesure où cette thèse est une thèse en sciences économiques.
Concernant la spéculation, nous verrons10 que du point de vue de nombreux financiers, elle
représente purement et simplement l’investissement de la liquidité afin de récupérer un profit. Pour
les industriels, la spéculation représente plutôt l’investissement financier à court terme. D’une manière
générale, on trouvera difficilement deux économistes ou même deux individus qui auraient la même
définition de la spéculation, et l’on ne trouvera pas deux sur mille qui s’accorderaient sur ses causes
(Bagehot, 1873). Une telle base d’étude rend l’approche du concept délicate, au risque de préférer un
point de vue à un autre sans étude préalable éclairant la démarche qui aurait conduit à cette
préférence. Or, nous constatons que de nombreux débats autour de ce concept ne sont que de faux
débats tant les débatteurs à la base se représentent la spéculation d’une manière différente, ce qui
rend difficile toute approche constructive, et ramène à une logique d’affrontement.
L’analyse du concept de la spéculation nous amènera rapidement aux postures théoriques y
afférentes qui nous permettront, à travers un processus itératif et de synthèse, par rapport aux
définitions, de dégager une définition propre à cette recherche. Le concept de spéculation en
deviendra de plus en plus intelligible, sans prétendre pourvoir apporter une définition ultime et
exhaustive : « ce n’est donc pas un sens quelconque objectivement ‘’juste’’, ni un sens ‘’vrai’’ élaboré
métaphysiquement » (Weber, 1921, p28). Notre choix de nous orienter vers la construction d’un
référentiel conceptuel de la spéculation (notre définition paramétrique) est motivé par la nécessité
d’éclairer au maximum ce concept avant de l’aborder de manière objective pour ensuite aller vers la
notion d’idéaltype introduite par Weber (1921) et discuter les écarts avec les pratiques de marché en
FI.
Etayons succinctement cette notion d’idéaltype développée par Weber. « Méthodologiquement,
on n'a très souvent que le choix entre des termes confus et des termes clairs, ceux-ci étant alors irréels
et ‘’idéaltypiques’’. Dans ce cas il faut, du point de vue de la science, donner la préférence à ces

10 Voir Partie 1, chapitre 2

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- 14 -
derniers. » (Weber, 1921, p57). Notre recherche se propose d’aborder le MFI à travers une logique de
construction d’idéaltype empruntée à l’approche méthodologique wébérienne. L’objectif est d’éviter
de faire basculer notre recherche dans les jugements de valeur biaisés. Pour caractériser ce MFI idéal
exempt de spéculation, il est nécessaire de comprendre les principaux facteurs et composantes de
cette dernière. En ce sens, « les types idéaux sont non pas pensés sur un a priori de déductions
exclusivement logiques et définitionnelles, mais construits à partir de la réalité sociale dont par
synthèse et abstraction ils ont choisi, extrait et accentué certaines caractéristiques jugées
représentatives d’un fait ou d’un ensemble de faits ayant cours dans l’histoire » (Dantier, 2004, p4).
C’est dans cet esprit que le processus d’induction sera choisi, pour la partie de la recherche qui devra
aboutir à l’idéaltype.
Nous verrons également, au fil de l’analyse, combien les composantes (contrairement aux
principes) du concept de MFI seront appelés à changer - voire se métamorphoser - avec les évolutions
des pratiques humaines dans le domaine de la finance, ce qui s’inscrit logiquement dans la perception
constructive relevée par Weber. En tout état de cause, « ‘’comprendre’’ signifie saisir par interprétation
le sens ou l’ensemble significatif visé (a) réellement dans un cas particulier (dans une étude historique
par exemple) (b) en moyenne ou approximativement (dans l’étude sociologique des masses par
exemple), (c) à construire scientifiquement (sens ‘’idéaltypique’’) pour dégager le type pur (idéaltype)
d’un phénomène se manifestant avec une certaine fréquence. Les concepts ou les ‘’lois’’ qu’établit la
pure théorie de l’économie politique constituent par exemple des constructions idéaltypiques de ce
genre » (Weber, 1921, p52).
Concernant le positionnement épistémologique, différents paradigmes existent et s’affrontent
dans le domaine des sciences sociales. Les positivistes d’une part, insistant sur l’objectivité et la
rationalité, et les constructivistes et interprétativistes, d’autre part, qui insistent sur
l’interdépendance entre l’objet et le sujet de la recherche. Aujourd’hui, certaines critiques des deux
courants, notamment celles de Karl Popper (1934), ont donné naissance à un troisième courant dit
post-positiviste. Il repose sur la réfutabilité11, sans laquelle une théorie ne peut être scientifique, et la
corroboration qui institue une validité provisoire de la théorie tant qu’elle n’a pas pu être réfutée,
selon Chalmers (cité par Abu Hamdane, 2013, p25). C’est dans cette dernière posture post-positiviste
que cette thèse, dans sa globalité, se positionne. Plus précisément, elle s’appuie sur une
méthodologie dite hypothético-déductive de falsification12 ou falsificatrice.

11 Critère de réfutabilité : une théorie est réfutable lorsque certains résultats peuvent l’infirmer (Popper, 1934)
12 http://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2413/files/2015/02/mbengue.pdf

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- 15 -
Quelques éclaircissements concernant cette approche sont à apporter. L’approche
hypothético-déductive consiste en la vérification d’application des éléments théoriques sur le terrain.
En ce qui nous concerne, les éléments théoriques sont les principes de la FI. La démarche hypothético-
déductive de falsification, elle, consiste à s’enquérir des observations pratiques qui ne se soumettent
pas à la théorie (Popper, 1934). Dans le cas où il ne peut cerner la réalité dans sa globalité, comme
bien souvent en sciences économiques et sociales, le chercheur doit se contenter de trouver les
éléments infirmant ses hypothèses. Le chercheur connaît à l’avance ce qu’il peut découvrir (Kirk et
Miller, 1986). A titre illustratif, à défaut de prouver qu’un marché est pur et parfait, et consacrer
d’immenses efforts à regrouper les preuves permettant de démontrer que tel marché est pur et parfait,
il suffit au chercheur de démontrer, de manière scientifiquement valable, que l’une des cinq conditions
de la CPP n’est pas présente pour acter la différence entre le marché observé et l’idéaltype (la CPP),
puis conclure que le marché n’est pas en CPP.
Dans notre cas, la notion d’idéaltype sera utilisée afin de tester l’immunité de notre type
idéal, qu’est le MFI reflétant les principes fondateurs de la FI, au risque de spéculation. Nous serons
alors définitivement inscrits dans ce processus hypothético-déductif de falsification. L’objectif est
d’évaluer dans quelle mesure l’hypothèse ‘’lieu commun’’ d’immunité de la FI au risque de
spéculation peut-elle être confirmée ou infirmée. Il suffira donc d’observer l’occurrence de certains
facteurs de la spéculation dans les MFI, pour infirmer l’hypothèse, la falsifier. A rebours, l’hypothèse
serait corroborée au cas où les études terrain et enquêtes révèlent que les facteurs de la spéculation
identifiés dans notre baromètre ne se manifestent pas de manière décisive 13 dans les pratiques
financières islamiques de marché. La question de thèse permet donc effectivement de savoir à l’avance
le résultat qui peut être découvert, en phase avec la posture post-positiviste adoptée.
En quoi ce choix est-il plus approprié, alors même que les étapes intermédiaires de la
recherche (construction d’un référentiel conceptuel, d’un idéaltype, d’un instrument de mesure...)
ont tout d’un processus constructiviste et inductif, qui aboutira à l’élaboration d’un baromètre pour
mesurer ce qui l’est difficilement, à savoir le risque de spéculation ?
Nous n’avons pas trouvé de meilleure approche pour répondre à cette question que la posture
suivante : « A chaque question de recherche sa méthodologie » (Abernot et Revenstein, 2009, p65).
C’est en effet tant dans sa globalité que dans sa particularité que notre thèse doit être approchée, en
insistant sur le fait que les deux principales postures épistémologiques seront, d’une certaine
manière, imbriquées. Il sera nécessaire de partir d’une posture constructiviste pour arriver à élaborer

13Des analyses sans fin peuvent être entamées pour déterminer à partir de quel seuil la manifestation de tel facteur devient décisive ou
pas. Nous trancherons sur ce point en quatrième partie.

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l’idéaltype, le référentiel et le baromètre, avant de pouvoir confronter la réalité à l’idéaltype grâce
au référentiel et au baromètre. Ainsi, une partie de notre travail se positionne plutôt dans une posture
constructiviste s’appuyant sur une étude exploratoire et sur une revue littéraire approfondie, qui
permettra de relever au fur et à mesure le canevas des facteurs de spéculation dont serait exempt le
marché idéal. L’hypothèse initiale d’immunité de la FI nous accompagnant dès le début, notre
recherche reviendra, une fois l’instrument construit, vers la posture hypothético-déductive de
falsification qui est la posture du travail pris dans sa globalité.
Pour récapituler, le concept de spéculation sera d’abord analysé en soi pour établir un
référentiel conceptuel (notre définition), avant d’être confronté, à travers ses causes et l’instrument
de mesure (élaborés par induction), aux principes théoriques (notre idéaltype) puis aux pratiques
financières de marché islamiques (la réalité).

PLAN
Les éléments du plan ayant été mentionnés tout au long de l’introduction, nous nous proposons
ici de les structurer. En première partie, le cadrage épistémologique des concepts de système
économique islamique puis de spéculation s’imposera. Ce cadrage passera par la discussion des
définitions et principes, puis les postures des principaux courants économiques sur la spéculation. Il
nous permettra de mieux cerner nos concepts qui seront sans cesse confrontés tout au long de la thèse.
En seconde partie, nous nous approfondirons sur les causes principales de la spéculation. Cette
analyse s’appuiera sur une étude documentaire des déterminants de la spéculation relevés par les
analyses économiques qui se sont concentrées sur le sujet, d’un point de vue pratique et
contemporain. Le passage par l’inventaire des causes/facteurs de la spéculation permettra de
diminuer les zones d’ombre et la marge d’interprétation qui lui sont liées. Ces facteurs seront
réorganisés et structurés de manière novatrice et intelligible, dans des catégories distinctes et
complémentaires.
La troisième partie servira de première confrontation entre nos concepts. A ce stade, nous
reviendrons aux analyses initiales de la spéculation qui auront permis de dégager un certain nombre de
facteurs majeurs de la spéculation. Il s’agira dans cette partie de confronter les facteurs de la
spéculation aux principes théoriques de la FI, pour vérifier l’hypothèse de la résilience théorique des
principes de la FI à la spéculation. Cette confrontation des facteurs théoriques et pratiques de la
spéculation aux principes de la FI ne se fera pas sans des premières allusions aux pratiques de la FI, qui
permettront d’avoir une idée initiale sur les tendances des produits de la FI contemporaine. L’analyse

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- 17 -
pratique approfondie aura lieu essentiellement en dernière partie, après avoir passé les étapes de la
conceptualisation de la FI, de la spéculation, puis l’inventaire de ses principales causes.
La quatrième partie passera par une étude quantitative des déterminants de la spéculation
déjà relevés en seconde partie, auprès de professeurs, chercheurs et praticiens de la finance de
marché. Cette enquête permettra de classer les déterminants selon leur importance, classement
extrêmement utile pour la suite de la recherche et surtout pour l’élaboration du baromètre
d’évaluation du risque spéculatif. L’enquête permettra également de valider, ou infirmer, le
regroupement des facteurs selon des catégories identifiées par induction lors de l’étude
documentaire de la première et seconde partie. A l’issue de cette enquête, nous pourrons construire
notre instrument de mesure qui se veut applicable aux différents marchés financiers contemporains
du fait de la diversité des variables retenues.
En cinquième et dernière partie, il faudra se demander de quoi sont actuellement constitués
les MFI ainsi que les indices financiers dits islamiques, tant au niveau réglementaire que pratique
(produits financiers et bilans bancaires), afin de les confronter à leur tour aux facteurs de la spéculation.
Une fois ces éléments rassemblés, il sera possible de procéder à la projection du baromètre de la
spéculation sur les normes, sur les règles prudentielles puis sur le MFI générique que nous aurons
formalisé à partir des résultats des études documentaires. De nombreuses zones d’ombres sont à
éclaircir tant certaines orientations de la FI ne font pas consensus et du fait de l’hétérogénéité et la
complexité des pratiques de marché en FI, vu que les marchés sont encore dans la phase
embryonnaire. Une seconde étude du terrain a donc semblé incontournable. Cette partie permettra
ainsi de mieux cerner les pratiques les plus courantes mais aussi les pratiques émergentes afin d’avoir
une idée plus claire sur la composition éventuelle du MFI de demain. A la lumière de cette étude
terrain, nous restons néanmoins dans l’insuffisance, tant l’étude documentaire ne permet pas de
cerner les évolutions qui sont surtout la spécialité des experts du marché. Le principal obstacle est le
manque structurel des experts des MFI. Nous avons tenu à conduire une enquête terrain auprès de ces
experts, malgré le nombre limité de répondants potentiels. Nous extrapolerons nos conclusions à
partir des normes et pratiques, analysée en début de partie, qui seront combinées à cette enquête.
Cette extrapolation passera sur une autre projection du baromètre, cette fois, sur les résultats de
cette seconde enquête. C’est seulement à ce stade de la recherche que nous aurons les outils
nécessaires pour juger de l’exposition éventuelle de la FI au risque de spéculation, et son degré.

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- 18 -
PARTIE I
1 ANCRAGE EPISTEMOLOGIQUE DES CONCEPTS DE FINANCE
ISLAMIQUE ET DE SPECULATION

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- 19 -
CHAPITRE I

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- 20 -
1.1 Le système économique et financier islamique
1.1.1 Introduction :

Relevant naturellement du champ, très étendu, des sciences humaines, l’économie islamique
repose-t-elle sur un certain nombre d’axiomes, de théories, de règles et de principes directeurs qui
l’orientent, à l’instar de l’économie classique ? Ces principes sont-ils sujets à débat entre les
spécialistes ? Cette économie alternative, certes nouvelle, mais dont les principes remontent à l’arrivée
du prophète Muhammad il y a de cela plus de quatorze siècles, demeure peu documentée lorsqu’il
s’agit de la présenter comme un modèle économique intelligible et intégré reposant sur des
institutions abouties et complémentaires. A ce titre, la remise en cause de l’existence même d’un
modèle économique islamique est le fait de penseurs tant occidentaux que musulmans. Dans son
Histoire de l’analyse économique J.A. Schumpeter écrit : « Pour ce qui concerne notre sujet, nous
pouvons sans crainte franchir d’un bond cinq cents ans, jusqu’à l’époque de Saint Thomas D’Aquin
(1225-1274) » (Verrier, 2004). L’une des raisons derrière cette remise en cause est que l’économie
islamique est représentée bien souvent comme une série d’interdits, que l’on viendrait greffer sur un
système économique capitaliste déjà bien en place et ancré dans nos sociétés modernes. Une autre
raison est le manque d’ouvrages traduits ou encore dédiés.
Cette représentation pose en réalité de nombreuses interrogations conceptuelles. Si l’on part
du principe que le capitalisme est un système économique, comme le serait le socialisme, à part
entière, la représentation précédemment évoquée supposerait implicitement que l’économie
islamique n’est pas un système, c'est-à-dire qu’elle n’est pas un ensemble d’éléments interagissant
entre eux selon des principes et des règles connues. Il ne pourrait donc y avoir de raisonnement
économique abouti sur une telle base. Rappelons qu’un système peut être défini comme étant un
« ensemble organisé de principes coordonnés de façon à former un tout scientifique ou un corps de
doctrine » ou encore un « ensemble d'éléments considérés dans leurs relations à l'intérieur d'un tout
fonctionnant de manière unitaire » mais aussi un « ensemble de procédés, de pratiques organisées,
destinés à assurer une fonction définie » (Larousse)14. Un système économique est défini par le
dictionnaire de l’économie du Larousse15 de la manière suivante :

14http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/syst%C3%A8me/76262 (3/9/15)
15 Bezbakh, P. et Gherardi, S. (2000), Dictionnaire de l’économie de A à Z, LAROUSSE, p.237.
http://www.larousse.fr/archives/economie/page/237 (3/9/15)

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- 21 -
Encadré 1.1: Qu’est-ce qu’un système économique
« Ensemble interdépendant d'institutions (droit, propriété) encadrant les activités et les
comportements économiques, en général dans l'espace national. L'analyse systémique
définit un système comme un ensemble d'éléments en relation réciproque et en rapport
avec son environnement. Elle insiste sur les notions d'interdépendance, de cohérence, de
permanence à travers les changements et l'évolution. Elle prolonge la thèse
d'Aristote selon laquelle le tout est davantage que la somme des parties qui le composent.
Dans le domaine de l'économie, le concept de système s'applique à de nombreux niveaux.
L'organisation ou la firme, un ensemble local ou régional d'activités, une branche ou un
secteur, l'économie nationale ou même mondiale peuvent être analysés en termes de
système. Ces différents niveaux peuvent être considérés à la fois dans leur autonomie
relative et leurs interdépendances, un système se décomposant en sous-systèmes, et ainsi
de suite.
Deux grands ordres historiques modernes ont été analysés comme des systèmes
économiques :
• Le capitalisme est caractérisé par la propriété privée, la coordination par le marché, le
salariat (K. Marx) ou le rôle de l'entrepreneur (J. Schumpeter).
• Le socialisme est défini par la propriété d'État, le plan ou la coordination verticale,
l'économie de pénurie. L'approche en termes de système considère les liens entre les
institutions, les comportements et les tendances évolutives dans les grands ensembles
économiques. Elle cherche à relier l'analyse économique et la démarche historique. »

La définition suggère implicitement l’existence de deux systèmes économiques aujourd’hui. Si nous


prenons les éléments soulignés par toutes ces définitions, supposer que l’économie islamique n’est pas
un système reviendrait à supposer qu’elle ne dispose pas des principes suffisants, des théories
nécessaires, des institutions adéquates ou encore des pratiques appropriées intrinsèques à tout
système. Nous ignorerions alors une partie des éléments constitutifs de l’économie islamique, comme
par exemple le financement de l’économie ou encore la solidarité sociale et le système de
redistribution des richesses. Les carences seraient éventuellement aussi du côté des principes et des
frontières, éléments nécessaires à l’identification de tout système, qui définissent ce qui appartient et
ce qui n’appartient pas au système. Enfin, il pourrait s’agir de lacunes au niveau de la conceptualisation
des interactions entre le système économique islamique, son environnement, et son régulateur. Ces
implications ne requièrent-elles pas un examen plus approfondi ?
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- 22 -
Précisons d’ores et déjà que nous entendons par notre distinction entre l’économie islamique,
le capitalisme et le marxisme, une distinction institutionnelle et de principes de fonctionnement. A
aucun moment il ne s’agira d’analyser les fonctions d’utilité, les conséquences de l’accélérateur ou du
multiplicateur d’investissement, car nous partons du principe que les comportements humains à
l’échelle microéconomique et macroéconomique relèvent plus de lois naturelles que de choix
absolument rationnels (bien que les analystes divergent sur les causes, les caractéristiques et les
conséquences de ces lois, ce qui donna lieu aux nombreuses théories économiques). L’égoïsme,
l’utilitarisme, la propension à épargner ou les conséquences d’une demande supplémentaire sont des
comportements contingents expliqués par l’économie et non institués par cette dernière.
Ce qui diffère radicalement d’un système à l’autre, ce sont d’une part les principes directeurs et
les lois, et d’autre part les institutions majeures et le rôle du régulateur (l’Etat, dans la plupart des
systèmes). Notre orientation se justifie aussi par le fait qu’il n’existe pas actuellement de SEI intégré
aboutit, voire avec des variantes, comme c’est le cas du système capitaliste, et comme ce fut le cas
dans une moindre mesure pour le socialisme. Notons, pour la clarté des éléments qui vont suivre, que
la FI sera qualifiée de sous-système de l’EI. La FI en tant que sous-système économique sera plus
particulièrement liée au fonctionnement du financement de l’économie (banques…), du système des
assurances, du fonctionnement des marchés financiers… à côté d’autres sous-systèmes. Il convient
également de noter qu’il « n’existe pas de définition de la FI qui soit pleinement satisfaisante » (Warde
2000 ; Pitluck, 2008).
Etant donc une construction théorique que forme l’esprit sur un sujet précis, l’économie
islamique peut-elle être qualifiée de système complet et intégré ? Est-elle régie comme tout système
par des axiomes, des principes, des propositions et des conclusions qui forment l’essentiel de tout
système de pensée, de toute doctrine scientifique ? Contient-elle suffisamment de méthodes, de
procédés organisés, de composantes et d’institutions pour assurer un fonctionnement durable de
l’économie et la société ? Quelles sont les lois les plus déterminantes dans ce système ? Dans un
premier temps, nous retracerons l’histoire du SEI, ainsi que ses fondements jurisprudentiels avant
d’analyser plus en détail la jurisprudence économique en Islam. Ensuite, nous analyserons les
principes positifs de l’EI puis son cadre théorique illustré par l’évolution de la pensée dans ce domaine.
Enfin, nous détaillerons les différentes composantes et institutions du SEI, avec une certaine
insistance sur les IFI et leurs produits, étant l’institution phare de la FI, sous-système le plus connu de
l’EI et qui nous concernera davantage dans le reste des travaux.

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- 23 -
1.1.2 Sources et fondements jurisprudentiels de l’économie islamique
Comprendre et appréhender un système nécessite de passer par l’étape incontournable de
l’identification de ses fondements théoriques et ses principes directeurs. Dans le cas du SEI, il s’agit de
la jurisprudence islamique, ses sources et ses principes. Ces éléments seront détaillés après un bref
aperçu historique de son évolution. Pour autant, nous aborderons cette partie sous un angle moins
conventionnel par rapport aux présentations classiques de l’EI, déjà nombreuses. Le traitement du
concept s’articulera essentiellement autour de la question de la caractérisation de l’EI sous l’angle de
système économique.

1.1.2.1 Historique
Si l’on est amené à parler des premiers écrits doctrinaux liés à la conceptualisation moderne de
la FI, c’est au début du vingtième siècle que l’on devra les situer (Chapellière, 2009), notamment avec
Al Mawdudi16 et Sader17 (Gamal, 2006), bien que l’évolution de la législation islamique se poursuive
jusqu’à ce jour avec l’Ijtihad18 (Khallaf, 1999). Ce fut surtout en réaction au mouvement colonial,
portant en son sein le système bancaire, que ces courants ont émergé. Cependant, les sources et les
fondements de la discipline sont à situer dès le début du huitième siècle avec la propagation de l’Islam
et des sciences qui y sont rattachées. Ainsi, apparaissent dès le second siècle de l’Hégire des ouvrages
entiers consacrés à la chose économique comme « Al Kharaj » (L’impôt) de Abu Yusuf ou encore « Al
Iktisab fi Ar-Rizq al Mustatab » (L’investissement) de Muhammad Ibn al-Hasan El Shaybani (745-805).
C’est le début d’une longue tradition qui mêlera bien souvent science sociale et science économique et
dont nous pouvons identifier de nombreux penseurs clés comme Al Maqrizi qui rapporte la crise
financière Egyptienne de son époque à des causes liées à la politique monétaire, qu’il aborde très en
détail19, ou encore Ibn Khaldûn qui évoque les principales caractéristiques de la théorie des cycles dans
son Prolégomène (Al Muqaddima). Cette tradition est généralement omise dans les traités
d’économie occidentaux, comme nous l’avons vu avec Schumpeter, qui constitue un postulat peu
crédible d’un point de vue historique et philosophique.
Dans sa version moderne, l’économie islamique s’est surtout exprimée à travers son sous-
système le plus avancé, la FI. Cette dernière est elle-même dominée par l’institution phare qu’est

16 Mawdudi : Economiste et théologien pakistanais sunnite de la première moitié du vingtième siècle fondateur de l’EI contemporaine
17 Sader : Economiste et théologien chiite de la première moitié du vingtième siècle, auteur de l’ouvrage ‘’Notre économie’’
(Iqtissaaduna)
18 Ijtihad : Effort (de raisonnement effectué par le savant en vue de déceler la réponse à une problématique
19 Maqrizi (1374-1442) : Théologien et économiste musulman qui s’est notamment intéressé à la crise économique en Egypte

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l’institution financière islamique (IFI)20. En pratique, « on ne peut saisir la signification, les origines et
les fondements de la FI, si l’on ne revient pas à ladite Ecole (ou Courant) de l’Economie en Islam,
comme l’appelle Sader (1987) » (Abu Hamdane, 2013, p68). Ce dernier souligne d’ailleurs l’importance
de distinguer les deux niveaux de cette discipline, théorique et pratique. En 1956 est institué un
premier fond d’investissement conforme aux principes islamiques en Malaisie, alors qu’en 1963 en
Egypte et surtout 1975 à Dubai, sont créées les premières IFI privées, la Banque Islamique de
Développement étant une institution assez unique, car multilatérale, fondée par l’OCI21 en 1974. L’EI
est remise au goût du jour par la révolution iranienne de 1979 à laquelle succède l’Islamisation du
système économique en 1983, qui a été précédée par le Soudan dès 1979 (Khan et Mirakhor, 1990).
Ces pays sont à ce jour les seuls à s’être dotés d’une économie islamique au sens où même les
autorités monétaires, la banque centrale, les régulateurs, les marchés financiers et les autres
institutions financières sont totalement inscrites dans ce cadre, avec des réserves majeures pour l’Iran
et le Pakistan. Dans le reste des pays musulmans, nous avons soit un système libéral (l’ensemble du
cadre est conventionnel et on permet à des IFI de fonctionner selon leurs règles) soit un système dual
dans lequel chaque sous-système a des autorités compétentes qui l’encadrent.
Actuellement, ce sont les crises qui ont remis au gout du jour la FI, surtout que cette dernière a
des taux de croissance à deux chiffres (Standard & Poor’s, 2009). Nous relevons près de 500
institutions opérant dans le cadre de la FI dans le monde, avec près d’un tiers dans les pays du Golfe.
De nombreux pays européens ont aménagé leur système juridique pour accueillir la FI, et lancé des
formations universitaires en ce sens.

1.1.2.2 Sources primaires de la jurisprudence islamique


a. Le Coran

Le Coran est le livre saint communément partagé par tous les musulmans. Il est considéré par
ces derniers comme étant la parole divine (Alwani, 1990), transmise par l’ange Gabriel au prophète
Muhammad. Contrairement à l’ancien et au nouveau testament, il existe une seule version du Coran
partout dans le monde car le livre est réputé authentique et jamais altéré dans la mesure où il repose
sur une double transmission écrite (qui débuta durant la vie du prophète) et surtout orale (un nombre
très important de rapporteurs différent l’ont mémorisé par cœur). Il existe plusieurs lectures
(variations relatives à la vocalité et la prononciation) qui relèvent toutes du même livre d’origine, qui
est disponible actuellement dans le monde musulman. Le Coran est un livre dont l’objectif est

20 IFI : Consulter la liste des sigles et abréviations


21 OCI : Organisation de la coopération islamique

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principalement de guider l’individu au salut ici-bas et dans l’au-delà, dans un cadre éthique. Il contient
néanmoins certains versets d’ordre légal, qui représentent 5 à 10% du corpus.
Afin d’appréhender au mieux le Coran, via ses versets à portée législative, il est nécessaire de
maitriser un certain nombre d’outils sans lesquels le lecteur peut rapidement se trouver face à
d’apparentes contradictions, des éléments incomplets ou polysémiques. Parmi ces outils, notons
principalement la capacité à différencier le verset à portée globale de celui à portée spécifique (aam /
khaass), les versets abrogeants et abrogés (naasikh / mansookh), les versets révélés à la Mecque et
ceux à Médine (c’est durant l’époque de Médine que sont énoncés la majorité des versets à portée
sociale, économique, juridique et politique) (Abu Hamdane, 2013, p39)… Notons aussi que pour une
compréhension exhaustive de ces versets à portée législative, il est nécessaire de revenir à leur
déclinaison pratique, c'est-à-dire à la manière avec laquelle le Prophète, les a mis en pratique. C’est la
Sunna, la tradition, composée de récits nommés « Hadiths ».

b. La Sunna (Hadiths)

D’emblée, soulignons que contrairement au Coran, les Hadiths ne sont pas rassemblés dans un
seul et unique corpus partagé, diffusé et communément admis dans le monde musulman. Nous
pouvons même avancer que du fait de ce retard de compilation, lié selon Khallaf (1999) à la volonté du
calife Omar d’éviter l’amalgame entre Coran et Sunna, de nombreux courants sont apparus dans le
monde musulman. La Sunna bien qu’ayant été apprise, et notée en partie du vivant même du prophète,
n’a été compilée et rassemblée dans des ouvrages qui lui sont consacrés qu’au cours du second siècle
de l’hégire, en commençant par l’imam Malik, puis Shafei, puis Ahmad, Bukhari, Muslim… Durant les
deux premiers siècles, l’effort fut tourné vers la collecte. Durant les siècles qui ont suivi, l’effort
principal était tourné vers l’épuration, c'est-à-dire à travers un certain nombre d’outils, séparer les
Hadiths authentiques de ceux qui sont faibles, mensongers ou apocryphes. C’est ainsi qu’émerge une
science islamique nommée science du Hadith, dont les principaux fondateurs ont vécu au second siècle
de l’hégire (Malik, Shafei, Ibn al Madini, Ibn Maiin, Ibn al Mubarak, Ahmad, Bukhari…). Cette science,
existe encore et est encore pratiquée, parmi les plus célèbres contemporains nous pouvons signaler Al
Arnaout ou encore Al Albani, spécialistes du Hadith au vingtième siècle.
La Sunna est donc la seconde source de la jurisprudence islamique (Belabes, 2016). Elle est
considérée comme telle par toute l’école sunnite sans exception. Le chiisme s’est différencié en se
positionnant dans une école de pensée à part qui élabore ses propres sources de jurisprudence. La
Sunna contient les paroles, les actes et les validations (iqraar) du Prophète (Causse-Brocquet, 2012,
p27). Seule la Sunna authentique et authentifiée par les spécialistes de Hadith est considérée comme

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étant une preuve acceptable dans les questions jurisprudentielles. Notons au passage que le nombre
de Hadiths faux, forgés ou faibles est bien plus grand que le nombre de Hadiths authentiques et
reconnus comme tels. Cependant, des questions se posent éventuellement, en face desquelles les
savants n’ont pas de texte explicite ou clair provenant du Coran et de la Sunna, c’est là qu’entre en jeu
l’effort jurisprudentiel, l’Ijtihad.

c. L’Ijtihad et ses sources

Signifiant « l’effort », l’Ijtihad consiste pour le savant qualifié à faire le maximum d’efforts en
s’inspirant du Coran et de la Sunna pour arriver au jugement le plus juste concernant une question sur
laquelle il n’existe pas de texte clair (Alwani, 1990). D’emblée, relevons qu’Ibn Hazm et toute l’école
dite ‘’Dahirite’’ (littéraliste) rejette l’ensemble des autres sources d’Ijtihad et se contente des deux
principales : le Coran et la Sunna (Khallaf, 1999). Les autres écoles de jurisprudence, notamment les
quatre écoles du sunnisme considèrent ensemble que l’ijmaa (le consensus des savants d’une époque
donnée) et le qiyaas (raisonnement par analogie) (Belabes, 2016, p14) sont des sources de
jurisprudence. Après ces deux sources connexes, chacune des quatre écoles a des sources spécifiques,
certaines qu’elle partage avec d’autres écoles, d’autres pas. L’ordre des sources varie également. Il est
utile de souligner qu’à ce stade de la jurisprudence, il est surtout question d’éléments secondaires
dans la religion musulmane, les éléments fondamentaux étant tous tranchés par des textes des deux
premières sources. Il est également utile de souligner que dans la même optique, les savants jugent
qu’en présence d’un texte authentique, clair et sans équivoque et dont le contexte de la question levée
est le même que le contexte lors de la révélation, il n’y a pas de place pour l’Ijtihad. La fatwa (avis
juridique) basée sur l’Ijtihad est par ailleurs réservée aux savants ayant atteint un haut niveau de
connaissances des différentes sciences islamiques et qui ont été reconnus par leurs pairs comme étant
suffisamment compétents (ijaza / tazkiya).

1.1.2.3 La jurisprudence économique ou jurisprudence des transactions


a. Les objectifs de la jurisprudence

La jurisprudence des transactions peut éventuellement être qualifiée de sous-système de la


jurisprudence islamique. Elle obéit donc aux mêmes règles, mêmes sources, mêmes outils et mêmes
principes que cette dernière. Elle a des objectifs spécifiques qu’Ibn Achour (1946), célèbre théologien
tunisien du début du vingtième siècle, a relevé dans son ouvrage Les objectifs de la charia22. Au
préalable, notons que certains savants se sont préoccupés de la question des objectifs en essayant de

22 Edition republiée en 1998, “Maqāṣid al-Sharīʿah al-Islamiyyah”, ed., al-Misawi, Muhammad al-Tahir, al-Basa’ir, Kuala Lumpur.

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faire une synthèse dont le but est d’identifier les objectifs majeurs de la charia. Le but était de
répondre à la question : quels sont les objectifs divins à travers l’institution des lois chariatiques ? Des
juristes Shaféites (Sourdel et Sourdel 2004, p417) comme Al Juaini, puis Al Ghazali (Belabes, 2016, p11)
et surtout Al Shatibi (malékite) ont recensé cinq objectifs majeurs qui se déclinent comme suit :
➢ Préservation de la pureté de la religion et du monothéisme ;
➢ Préservation de la vie humaine et de son intégrité ;
➢ Préservation des capacités intellectuelles ;
➢ Préservation de la descendance et la filiation ;
➢ Préservation des richesses et des biens (propriété privée entre autres).
Certains savants ont greffé à ces cinq universaux d’autres qu’ils jugent tout aussi importants que ces
cinq universaux, citons notamment la préservation de l’honneur (tirée de plusieurs textes sacrés) ainsi
que l’amour de Dieu et de son Prophète. Afin de ne pas nous étaler davantage quant à ces universaux,
il convient de dire qu’ils sont le fruit d’analyses inductives menées par les savants sur la globalité des
textes de la charia et leurs objectifs présumés.
En ce qui concerne le domaine de l’économie, nous nous attarderons surtout sur le cinquième
principe universel, en l’occurrence la préservation des richesses et des biens. Ce dernier principe
universel a été développé par Ibn Achour (1946) et décliné en cinq sous-principes :
➢ Circulation continue et combat du monopole des richesses (thésaurisation) ;
➢ Fluidité et transparence dans les transactions commerciales et les contrats ;
➢ Protection de la propriété privée ;
➢ Protection de la liberté de disposer de ses richesses ;
➢ Justice et pertinence dans l’utilisation de l’argent (origines et finalités).
Ces principes universaux sont également issus d’un large processus d’induction à partir de la globalité
des textes de l’Islam se rapportant à l’économie. Ils permettent d’avoir une idée assez claire sur les
fondements sur lesquels repose l’économie islamique et les orientations qu’elle prend. La démarcation
est claire avec le système socialiste / marxiste à travers les troisièmes et quatrièmes objectifs. Le
premier, est quant à lui, en rupture avec la pratique observée qui est la conséquence de deux siècles
de capitalisme. Le second objectif a une perspective très sociale dans la mesure où il permet de
prévenir les dissensions éventuelles tel que nous le verrons ci-après. Enfin, le cinquième objectif a une
double portée individuelle et collective, et inclut parfaitement le développement durable en son sein.

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b. Jurisprudence des transactions et des contrats

Les contrats sont considérés comme étant sacrés en Islam, tant qu’ils ne contreviennent pas
aux principes suprêmes de la charia. Ainsi, un verset du Coran énonce « Ô croyants, respectez vos
engagements » (Al Maida, 1) de même qu’un célèbre Hadith énonce : « Les croyants sont tenus de
respecter leurs clauses (dans les contrats), sauf une clause qui rend licite l’illicite ou rend illicite le
licite » (Tirmidhi, 1352). Les contrats sont caractérisés par l’unité de temps, de lieu et d’objet. Ils se
déclinent en plusieurs catégories (qui seront aussi détaillées) :
➢ Les contrats d’échanges de biens ou de services ;
➢ Les contrats d’engagement (mise à disposition de capital, de travail…) ;
➢ Les contrats de libéralités (transfert de droit sans bénéfices particuliers).
L’un des objectifs fondamentaux de la charia est d’éviter tout conflit éventuel qui peut découler d’un
contrat mal ficelé. Six conditions (Iqbal, 2007) principales doivent être réunies pour que le contrat soit
réputé valide :
➢ L’acceptation réciproque ;
➢ La qualification et la maturité des contractants ;
➢ La licéité de l’objet du contrat ;
➢ La possession de l’objet du contrat (sauf pour le contrat Salam et Istisnaa) ;
➢ La connaissance des clauses et la transparence de la transaction ;
➢ La possibilité de livrer l’objet du contrat (pour les exceptions à la condition 4).
Avant de nous intéresser aux contrats proscrits, nous pouvons synthétiser les longues explications des
types de transactions faites par les savants au sein du tableau à double entrée suivant :

Tableau 1.1 : Typologies des transactions dans la jurisprudence


Bien ou service contre Bien ou service Monnaie contre Monnaie contre
bien ou service contre monnaie bien ou service monnaie
Echange immédiat Troc, licite. Vente, licite. Vente, licite. Change, licite.
Premier élément immédiat Troc à terme licite Vente à terme Vente Salam Change à terme,
et l’autre à terme (Bai aajil), licite prépayée, licite illicite.
sous conditions
Echange futur (les deux Vente future, illicite. Vente future, Vente future, Change futur,
seront livrés plus tard) illicite. illicite. illicite.

Ce tableau dresse la typologie des transactions relatives aux biens non ribawi23. Pour les biens ribawi,
un tableau accompagné d’une explication des modalités figure en annexe A.1.

23Biens ribawi : Il s’agit de six catégories de biens (tableau en annexe) que l’on retrouve énoncées dans plusieurs Hadiths authentiques et
sur lesquels les conditions d’échanges sont plus strictes par rapport au reste, dans la mesure où ils représentent les outils d’échange (la
monnaie) et les biens de première nécessité.

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c. Principales interdictions dans les transactions commerciales

• L’intérêt
De prime abord, précisons qu’en Islam il n’existe pas de différence entre l’usure et l’intérêt
(Kobiyh, 2016, p65), d’un point de vue conceptuel, pour plusieurs raisons que nous étaierons.
Historiquement, cette interdiction de l’intérêt n’est que le prolongement de celle que l’on retrouve
dans la tradition judaïque « Le juste ne prête pas son argent à intérêts » Psaumes 14/4, mais aussi dans
Exode 22/25, Lévitique 25/36, Deutéronome 23/20, Psaumes 15/5, Proverbes 28/8 et Ezéchiel 18/8-17.
Nous relevons cela également dans la tradition chrétienne, Mathieu 21/12 et Luc 6/34-36. Tout intérêt,
aussi faible soit-il, est considéré comme de l’usure par les jurisconsultes de l’Islam24. Il y a quasi-
unanimité sur ce point-là entre les savants anciens et contemporains, mis à part un nombre limité de
fatwas (avis juridique) controversées, dont l’une émise par Tantaoui25, mais qui a été rapidement
démentie par l’ensemble des conseils de jurisconsultes26. Étymologiquement, l’intérêt désigne tout
surplus par rapport au capital prêté que le prêteur contraint l’emprunteur à verser, qu’il soit matériel
ou immatériel. Le mot arabe « Riba » signifie le surplus. Il s’avère que l’on retrouve cette même
conception dans les définitions chrétiennes de l’usure : « Il arrive aussi qu’on prend quelquefois un
profit usuraire dans d’autres contrats, où l’on demande sans cause plus qu’on n’a donné »27. Ambroise
considérait que les usuriers se verraient refuser la paix éternelle alors que le concile de Paris réunit en
1312 réclamait tout simplement l’excommunication des laïcs coupables de prêt à intérêt (Martens,
2001).
Plus précisément, l’intérêt est subdivisé en deux catégories dans le fiqh (jurisprudence) :
l’intérêt lié au temps « Riba AlDuyun » et l’intérêt lié aux échanges inégaux et injustes dans les
monnaies et certaines matières premières « Riba AlBuyu’» (Kobiyh, 2016, p65). Les deux types sont
proscrits (El Khamlichi, 2010). Le premier désigne, comme son nom l’indique, le surplus qu’un
emprunteur paie en contrepartie du délai (ou du prolongement du délai) de remboursement du prêt,
comme le pratiquent les banques commerciales conventionnelles aujourd’hui pour le prêt. En Islam, le
remboursement d’un prêt doit se limiter au capital emprunté « Si vous vous repentez, alors vous n’avez

24 : Des juristes de 36 pays musulmans se sont rencontrés en 1965 à l’Université d’Al-Azhar pour mettre les choses au clair et mettre fin à
une polémique qui a pris beaucoup d’ampleur. Voir recueil des travaux du deuxième congrès du conseil de recherches islamiques,
Université Al-Azhar, Le Caire, Egypte 1965, 401-02
25 : Ancien président de l’Université Al-Azhar
26 Conseils regroupant des experts de la jurisprudence islamique ainsi que des experts de divers domaines. Ils se réunissent pour traiter

des questions d’importance majeure pour la communauté musulmane


27 http://www.documenta-catholica.eu/d_1225-1274-%20Thomas%20Aquinas%20-%20Q%20-72-
%20L'usure%20dans%20les%20pr%C3%AAts%20-%20FR.doc (08/03/2017)

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droit qu’au seul principal (nominal ou capital hors surplus d’intérêts) » Le Coran 2/27828. Plusieurs
Hadiths authentiques relatant des paroles prophétiques29 abondent en ce sens. Le second type
d’intérêts concerne des biens particuliers dits ribawi (dont l’or, l’argent, le blé, l’orge, le sel, les dates)
qui doivent être échangés dans l’immédiat, et en quantités égales lorsqu’il s’agit d’un même type de
bien (i.e. or contre or, argent contre argent, etc.), ce qui limite considérablement les manipulations sur
ces mêmes biens. Ces éléments ont été détaillés dans l’annexe A.1. Nous pouvons également
développer les causes socio-économiques de l’interdiction de l’intérêt comme l’inflation, le
renforcement des inégalités, l’éviction, la disparition de la solidarité sociale, l’amplification des cycles
économiques… Mais le propos ici est surtout de centrer l’analyse sur les éléments relatifs à la
jurisprudence islamique. De tels développements peuvent être retrouvés au niveau de notre article :
Les facteurs d’instabilité financière dans un contexte financier islamique (Lahlou, 2014).

• L’interdiction du gharar et du maysir (jeu de hasard)


La notion de gharar a donné lieu à de nombreuses controverses au niveau de sa définition (Causse-
Broquet, 2012, p32). Certains la traduisent par incertitude majeure (Selmi, 2016, p100) et d’autres par
l’incertitude tout court (Belabes, 2016, p19). En réalité, elle est difficile à traduire en un mot, et assez
complexe même en utilisant la périphrase. Le gharar représente deux choses vis-à-vis du contrat (Abu
Hamdane, 2013, annexe B1) :
• Soit une incertitude sur la formulation du contrat, c'est-à-dire que le contrat repose sur un jeu
de hasard, sur un aléa important (deux ventes en une, vente suspendue à un événement
aléatoire, vente future, vente d’une option…) ;
• Soit une incertitude sur le fond, c'est-à-dire que l’objet principal du contrat est incertain (un
objet aléatoire parmi plusieurs, ignorance des caractéristiques précises de l’objet, incertitude
sur l’occurrence ou la possibilité de livrer l’objet, vente à découvert, ignorance sur le prix…).
Cette catégorisation elle-même s’inspirant de Dharir (1995), dont les travaux portent essentiellement
sur le gharar, permet de mieux cerner cette notion. Les savants ont procédé à la catégorisation du
gharar et l’inventaire des conditions qui rendent le gharar licite ou illicite. En effet, l’interdiction du
gharar est de portée plus limitée en Islam que celle de l’intérêt, ce qui ne le sort pas pour autant de la
sphère des interdits explicites. Le Hadith sur le sujet stipule : « Le prophète interdit la vente du gharar »
(Muslim, 1513). Le gharar est considéré comme illicite si trois conditions sont réunies :

28 : ‘’Ô
croyants, craignez Dieu et délaissez ce qui reste comme intérêts si vous avez vraiment la foi. Si vous refusez, alors attendez-vous à
une guerre de la part de Dieu et de son prophète, et si vous vous repentez, vous avez alors droit au capital, vous ne léserez point et vous
ne serez point lésé » Baqarah / Coran
29 « Dieu maudit celui qui prend l’intérêt, celui qui le donne, celui qui en écrit le contrat et les deux témoins, ils sont égaux (dans la

malédiction) » Sahih de Muslim, Hadith n° 1598

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• Qu’il soit dans une transaction commerciale et non un don ;
• Qu’il soit l’objet du contrat et non un élément annexe (comme le volume exact du coffre
arrière alors que l’objet du contrat et le plus important pour l’acheteur est la voiture) ;
• Qu’on n’ait pas grandement besoin de cette transaction (comme dans le cas des œufs par
exemple, ou il est inimaginable de demander au vendeur de l’ouvrir, alors même que l’objet
réel est l’intérieur de l’œuf dont on ignore exactement la validité au moment de l’achat).
Si l’une de ces conditions ne s’applique pas à la transaction, elle n’est alors plus considérée illicite.
Nous nous limiterons dans cette partie aux principes théoriques relatifs au gharar, son côté pratique
sera discuté en troisième partie.
En ce qui concerne le Maysir, jeu de hasard (Diagne, 2016, p28), son interdiction est appuyée
par les versets 91 et 92 du chapitre Al Maida du Coran. Elle est communément admise et connue dans
le monde musulman. Dans un esprit de synthèse, nous ne jugeons pas utile ici de développer les
raisons pour lesquelles l’Islam interdit les paris, les jeux de hasard (trackers virtuels en bourse, tiercés,
courses, loto) … Cette interdiction du Maysir impactera énormément le monde de la bourse comme
nous le verront en troisième partie.

• Quelques autres interdictions


Parmi les éléments interdits figurent également l’ensemble des contrats portant sur des
activités illicites (Diagne, 2016, p36) comme l’alcool, le tabac, la pornographie, la drogue, les intérêts,
le porc…. Nous pouvons également relever l’interdiction du commerce de la dette, déjà évoquée dans
le tableau des échanges que nous avons dressé plus haut. Notons également que le monopole est
proscrit par le Hadith 1605 rapporté par Muslim dans son recueil authentique. La fixation des prix par
l’Etat également (sauf rares exceptions), dans la mesure où elle biaise les règles du marché libre, dont
l’Etat doit par ailleurs s’assurer de la transparence et de l’absence de collusions ou manipulations. Le
dol, qui est considéré comme une trahison à la transparence nécessaire dans le commerce, est de
même proscrit. En outre, nous relevons les restrictions sur les matières premières, du fait qu’il est à la
base proscrit de commercer dans des marchandises sans respecter un certain nombre d’étapes,
élément qui fera l’objet de développements ultérieurs.

1.1.3 Principes et cadre du système économique et financier islamique


Les développements qui précèdent ont permis de se faire une idée plus précise du cadre
jurisprudentiel théorique régissant les transactions en économie islamique, et a fortiori en FI. La FI est
une finance qui se veut alternative et éthique. Elle tire ainsi ses fondements de la jurisprudence

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islamique, dont le Coran puis la Sunna sont, pour rappel, les premières sources (Causse-Broquet, 2012,
p25)30. Elle est fondée sur plusieurs principes que nous nous proposons de présenter dans les
paragraphes qui suivent. Les interdictions ayant été abordées dans la partie précédente, nous nous
cantonnerons donc de revenir sur les principes dits positifs (Belabes, 2013), eux-mêmes tirées d’un
certain nombre de règles jurisprudentielles qui font la synthèse de nombreux textes Coraniques et
prophétiques régissant la FI moderne. Rappelons que « d'un point de vue épistémologique, ce qui est
primordial, ce n'est pas tant la supériorité numérique des principes négatifs par rapport aux principes
positifs que le poids des pondérations respectives allouées à chacun de ces principes » (Belabes, 2013).

1.1.3.1 Fondements de l’économie et de la FI


a. Partage des profits et des pertes

Cité notamment par Causse-Broquet, (2012) et Dar et Presley, (2000), ce premier principe
découle directement d’une règle que nous pouvons considérer comme cardinale en FI. Elle est en effet
un pilier autour duquel vont tourner une très grande partie des avis juridiques. Cette dernière est elle-
même tirée d’un Hadith énonçant que « Tout profit sur un bien ou service doit être strictement attribué
à celui qui supporte le risque et les frais liés à ce bien ou service, au moment où le profit a été généré »
(Al Kharaaj bi ddamaan) (Tirmidhi, 1285). Ainsi, contrairement à la transaction classique du prêt à
intérêts, dans laquelle c’est l’emprunteur qui supporte le risque du montant prêté au cas où il le perd
ou qu’il est détruit alors même que c’est la banque qui en tire un profit certain, l’Islam impose de
partager tant les profits que les pertes dans une transaction plutôt participative et inclusive. Si le
financier accepte de financer un entrepreneur pour un projet, ils partageront les profits et les pertes,
sous des conditions précises que nous détaillerons une fois que nous aborderons les composantes et
les transactions de la FI. Partager les profits et faire supporter le risque de perte éventuelle à une seule
partie contrevient à l’esprit de justice institué par la jurisprudence islamique. Le risque (légitime) et le
temps sont considérés comme des facteurs de production ‘’dépendants’’, toujours adossés à d’autres
facteurs de production réels (terre, capital monétaire, capital physique et travail) selon Abu Hamdane
(2013, p135).

b. Nécessité d’opérer dans un cadre éthique

Ce principe est tiré d’un ensemble de textes et d’enseignements relatifs à la jurisprudence en


général et à la jurisprudence des transactions en particulier. Parmi les textes instituant un tel principe

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nous pouvons relever les Hadiths « Nul d’entre vous ne sera véritablement croyant tant qu’il ne désire
pas pour son frère ce qu’il désire pour lui-même » (Boukhari, n°12) ; « Si le jour du jugement arrive et
que l’un d’entre vous a un arbuste qu’il est en train de planter, qu’il continue son action et le plante »
(Ibn Hanbal, n°12902) ; « Les Croyants qui ont la foi la plus accomplie sont ceux qui jouissent de la
meilleure moralité » (Nasai, n°9109)… De nombreux textes et enseignements dissocient donc les
principes de la FI des stricts aspects juridiques et légaux ou encore matérialistes purs. Le matérialisme
n’a pas vocation à être éthique, et il en va de même pour le droit. L’éthique est donc un principe
directeur qui fait partie intégrante du cadre dans lequel évolue l’EI (Kobiyh, 2016, p65). Notons qu’en
pratique, certains principes sont privilégiés par rapport à d’autres, surtout lorsqu’ils sont relatifs à une
notion palpable comme, par exemple, l’interdiction de l’intérêt, alors que l’éthique demeure une
notion moins circonscrite et détaillée, et donc est moins mise en avant.

c. Obligation d’adosser toute transaction à un actif réel

Parmi les plus importantes critiques adressées à la finance contemporaine figure sa


déconnexion de la sphère réelle (Kobiyh, 2016, p69). Les analystes mettent souvent en avant la
‘’virtualité’’ de la finance ou encore son divorce consommé avec l’économie et les échanges réels. Les
études effectuées sur les échanges financiers par rapport aux flux économiques physiques réels sont
révélateurs de cette séparation. L’observateur en arrive à la conclusion que la sphère financière est
devenue capable d’évoluer indépendamment des échanges réels qui ne sont plus que des indicateurs
qui peuvent être remplacés par l’épaisseur des gouttes de pluie ou la vitesse quotidienne du vent. Les
paris et les produits dérivés peuvent avoir n’importe quelle variable aléatoire comme indicateur sous-
jacent.
En FI, il est nécessaire de coupler toute transaction économique ou financière à un actif tangible,
ou réel dans le cas des actifs incorporels (Belabes, 2013). Ainsi, une promesse ne peut être vendue, de
même pour une option ou encore un tracker31 dont le prix suit l’évolution d’un indice donné, sans pour
autant acheter d’actifs réels. Les transactions purement virtuelles nées de réplications d’indices ou de
produits dérivés ne sont donc pas acceptables dans le cadre du système économique islamique.

d. Obligation d’opérer dans la sphère du licite

L’une des conditions nécessaires à la validation des transactions en FI se rapporte au caractère


licite ou illicite de l’objet du contrat (Belabes, 2013). En économie islamique il n’est donc pas

31Tracker : Un tracker ou ETF (Exchange Traded Funds) est un instrument financier côté en bourse permettant de reproduire en temps
réel l'évolution d'un indice boursier.

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concevable de structurer un contrat d’association musharka pour le lancement d’un casino, d’une
usine de tabac ou d’une boite de nuit (Selmi, 2016, p115). Ce cadre est assez important si l’on souhaite
parler d’un système complet, car l’existence de frontières et de limites est une condition nécessaire à
tout système. Si un ensemble d’éléments interagissent avec certaines règles mais sans frontières
précises, tout peut faire partie du système, ce qui n’en fait donc pas un système, par essence. Cette
obligation est matérialisée en pratique par la présence d’un comité de conformité sharia,
généralement composé d’experts de la discipline, qui siège dans chacune des IFI, et se prononce sur la
validité ou non de telle ou telle transaction. L’absence de ce comité décrédibilise l’institution aux yeux
de son public particulier.

1.1.3.2 Cadre, environnement économique, Etat et régulation


a. Cycles économiques

Un système économique abouti ne saurait être crédible tant qu’il n’est pas représenté,
appréhendé et conceptualisé tantôt par induction, tantôt par déduction, de la pratique à la théorie, et
inversement. Parmi les éléments majeurs de toute économie, les cycles et leur analyse. La prise de
conscience de l’existence des cycles se fait dès les premiers siècles de la civilisation islamique, bien
avant leur théorisation en économie politique. Miskawayh évoquait déjà au dixième siècle l’existence
de cycles économiques répétitifs. « Les phases du cycle commenceront à être décrites, encore très
sommairement, par Al-Turtûshi (1059-1126) qui distingue néanmoins très nettement les phases de
prospérité et les phases de décadence » (Verrier, 2004). C’est avec Ibn Khaldûn qu’une description
détaillée et méticuleuse de la théorie des cycles prendra naissance, à travers la distinction des
principaux paramètres déterminants des cycles, des liens entre population et production, ainsi que du
rôle des finances publiques dans cette dynamique. Selon lui, la première phase, ascendante, est un
processus accumulatif et expansionniste. « L’analyse d’Ibn Khaldûn réunit tous les principaux éléments
explicatifs d’une théorie de la croissance : croissance démographique, division du travail, progrès
technique, gains de productivité, ainsi que la nécessité pour l’Etat de respecter la liberté de chacun, tant
en matière de profit individuel que de propriété privée. Inversement toutefois, ces mêmes éléments
peuvent engendrer un processus cumulatif à la baisse : c’est la phase de dégradation économique et
politique » (Verrier, 2004). Ce processus cumulatif à la baisse se matérialise par l’émergence de
déséquilibres structurels, comme les externalités négatives, le développement des grandes cités au
détriment des petites, l’exode rural, l’accroissement de la consommation au détriment de
l’investissement, l’opulence, l’excès de dépenses privées et publiques, la dette... Cette théorie de la

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croissance et des cycles développée par Ibn Khaldûn est en avance sur la quasi-totalité des théories qui
l’ont précédée, y compris platoniciennes. Ces rappels montrent dans quelle mesure cet aspect
fondamental de la théorie économique, a été appréhendé dès les premiers siècles de la civilisation
islamique par différents auteurs. Leurs analyses se sont également penchées sur la fiscalité et la
régulation.

b. Fiscalité et régulation

La civilisation islamique s’est rapidement étendue, en moins d’un siècle, sur trois continents.
Très vite, les autorités ont eu besoin de gérer le commerce interrégional et international à travers la
mise en place d’un certain nombre de mesures de supervision et d’impôts. L’impôt est en effet l’une
des principales manifestations de l’existence de l’autorité, de l’Etat. Il serait difficile donc d’imaginer
qu’une civilisation qui s’est étendue de l’Espagne actuelle à la Chine et l’Inde ne fut pas dotée de
structures économiques et de régulation appropriées. A ce titre de nombreux ouvrages furent
consacrés à la question, comme « Al Ahkaam assultaaniya » et bien d’autres. « Dès le VIIIe siècle, Al-
Muqaffa (720-756/757) dénonce l’oppression fiscale » (Verrier, 2004). Al Mawardi (974-1058)
recommande de préserver soigneusement la matière imposable et de ne pas l’étouffer. Dans un
registre similaire, « Al-Turtûshi (1059-1126) préconise la nécessité d’imposer chacun sa capacité
contributive » (Verrier, 2004). Ibn Khaldûn (1332-1406) replaçait souvent ses observations et théories
fiscales dans le cadre des cycles économiques, plaidant pour une fiscalité proportionnelle alors que
Abu Yusuf, dès le VIIIème siècle, avait une vision beaucoup plus interventionniste dans son ouvrage
« Al Kharaj », dans lequel il recommandait indirectement que l’Etat prenne en compte le principe
développé plusieurs siècles plus tard par Laffer, à savoir la possible baisse à un certain point des
revenus de l’impôt si les taux devenaient excessifs.
L’économie islamique, si l’on part des principes jurisprudentiels et des textes prophétiques
comme le refus du prophète de fixer les prix, l’aumône obligatoire (Zakat) ou encore la mise à l’écart
des impôts (sauf exceptions), peut être qualifié d’économie sociale de marché, ce qui n’est pas
exactement la même chose qu’une économie capitaliste ou libérale plaçant le capital ou la liberté des
agents comme pierre angulaire du système. Dans l’EI, le régulateur doit s’assurer de la transparence
des opérations, de l’absence de monopoles, de collusions, de pratiques de tromperie… Les autorités
n’ont pas vocation à s’impliquer dans les opérations économiques, mais sont surtout appelées à
assurer les meilleures conditions de transparence. Ainsi, la CPP étant un idéal en termes de principes
structurels de l’économie, nous n’identifions aucun élément de l’économie islamique qui imposerait
d’avoir un cadre diamétralement opposé à celui-ci. En tout état de cause, il demeure un cadre

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- 36 -
théorique utile à de nombreuses analyses. L’important est que l’Etat se maintienne dans sa posture
régalienne. Aux côtés des éléments de fiscalité, la monnaie et sa stabilité font partie des éléments
incontournables dans un système économique viable. Quelle place occupent-elles dans le l’EI ?

c. Monnaie et inflation

« Contrairement à ce que l’on peut croire, les notions de monnaie, de capital, de profit, d’intérêt,
de valeur du temps… sont relativement connues dans ces milieux arabes préislamiques » (Saleh, 1992 et
Mooti, 2003, cités par Abu Hamdane, 2013). La monnaie et son optimisation sont un élément central
dans la pensée islamique et cela a déjà été évoqué lorsque nous avons abordé les deux catégories
d’intérêts (de prêt et d’échange). La première catégorie de biens dont les échanges sont strictement
cadrés dans les six catégories sont les biens monétaires. Il découle des textes que le marché doit
s’orienter de plus en plus vers la monétisation, en diminuant progressivement les volumes d’échanges
basés sur le troc, sans pour autant que le monnaie ne produise un rendement seule (Oaidah, 2010),
couplée au temps et sans appui sur un processus productif. C’est une vision très proche de la vision
Aristotélicienne de la monnaie (Abu Hamdane, 2013, p71).
Des principes économiques fondamentaux, comme la loi de Gresham (la mauvaise monnaie
chasse la bonne) sont introduits dans la pensée économique islamique dès le onzième siècle,
notamment avec Al Ghazali (né en 1058). Le processus de création monétaire, exprimé par Ibn
Taymiya par la ‘’frappe excessive’’, est aussi dénoncé dès le treizième siècle car il implique notamment
une fuite des capitaux, surtout de bonne monnaie. C’est au quatorzième siècle, avec Al Maqrizi (1363-
1442), que la théorie est explicitement formalisée, après que ce dernier eut constaté que les monnaies
or et argent ont disparues de la circulation laissant surtout sur le marché les monnaies en cuivre.
« Parmi les raisons invoquées, outre la thésaurisation, il cite les raisons commerciales, mais, la véritable
cause qu’il met en avant, est la crise économique et sociale du pays (l’Egypte), et la gestion
calamiteuse des finances publiques (…). Il annonce, on ne peut plus clairement, la future loi de T.
Gresham (1519-1579) ‘’La mauvaise monnaie chasse la bonne’’. Toutefois, l’analyse d’Al-Maqrizi est
plus poussée que celle d’Ibn Taymiya ou de Gresham » (Verrier, 2004).
L’une des conséquences immédiates d’un excès de masse monétaire32 est l’inflation. Ibn
Taymiya ne manqua pas de souligner le nécessaire équilibre entre masse monétaire et volume des

32« La masse monétaire représente la quantité de monnaie qui circule dans l'économie à un moment donné. Celle-ci est mesurée grâce à
des indicateurs statistiques (agrégats) qui sont fixés par la Banque Centrale Européenne (BCE). Cela correspond à tous les moyens de
paiement qui peuvent être transformés en liquidité
Ces agrégats indiquent le niveau de liquidité de certains agents économiques et sont représentés par les symboles suivants :
M1 qui correspond aux pièces et billets dans les comptes courants.
M2 qui correspond à M1 plus les dépôts sur livrets et les crédits à court terme.

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transactions. Cet équilibre, s’il se détériore, implique une perte de pouvoir d’achat de la monnaie,
autrement dit, de l’inflation. Face à cette problématique, Al Maqrizi, qui différencia au préalable entre
les causes endogènes et exogènes de l’inflation, préconisa le retour à l’étalon or. A cet effet, « Al-
Maqrizi propose une première expression de la théorie quantitative de la monnaie en reliant les prix à
la circulation monétaire, faisant de lui un lointain précurseur de Jean Bodin (…) De même, Al-Tilimsani
observait les trois phénomènes suivants, qu’il relie parfaitement : 1) l’intense circulation des monnaies
altérées a évincé la bonne monnaie d’or ou d’argent ; 2) cette grande quantité de mauvaise monnaie
provoque l’inflation ; 3) l’inflation finit par appauvrir ses victimes si on n’y prend garde » (Verrier, 2004).
L’ensemble de ces directives de la part de penseurs économiques musulmans s’inscrit dans un
mouvement global ayant pour objectif de consolider les fondements conceptuels d’un système
économique islamique. En effet, un système économique n’est jamais figé dans le temps, ni
théoriquement ni en pratique, mais évolue de manière cumulative tant en théorie qu’en pratique.

d. Politique monétaire

Dans le cadre de la consolidation de bases saines d’un SEI, la politique monétaire est un
élément central et nécessaire. En termes de gestion de la politique monétaire et budgétaire, l’Etat a un
rôle à jouer. D’abord, la frappe de la monnaie est intimement liée à la politique monétaire, dans
laquelle l’Etat joue forcément un rôle, mais lequel ? Etant le garant de la stabilité monétaire, l’Etat se
doit de faire face aux cycles naturels de croissance et de dépression de l’économie, et dispose à cet
effet d’outils dans un cadre économique islamique. Cela peut paraître assez surprenant quand nous
parlons d’une économie sans intérêts, dans la mesure où la quasi-totalité des outils de gestion de la
politique monétaire connus sont liés au taux directeur (baisse ou augmentation des taux, open
market avec les bons du trésor, avances et reprises de liquidités à court terme…). Dans un SEI, nous
pouvons répertorier33 les outils de gestion de politique monétaire comme suit :
• Gestion des ratios de réserve obligatoire non rémunérée ;
• Gestion des seuils et plafonds de taux de rentabilité des Musharaka ;
• Open market à travers l’achat/vente de Sukuk34 ;
• Prêts sans intérêts consentis au besoin aux IFI ;

M3 qui regroupe M1 et M2 plus les dépôts à long terme (plus de 2 ans). »


Andlil.com, Qu’est-ce que la masse monétaire ?. URL : http://www.andlil.com/definition-de-la-masse-monetaire-152434.html
33 Suite à un entretien personnel avec le directeur de la banque Faiçal du Soudan
34 Sukuk : « Le sak confère un droit de propriété (copropriété) sur les actifs de l’émetteur. Son porteur reçoit du profit attaché au

rendement de l’actif sous-jacent. La valeur des Sukuk fluctue ainsi directement en fonction des variations de valeur de l’actif sous-jacent. A
la différence des détenteurs d’obligations classiques, le porteur de Sukuk subit à la fois les hausses et les baisses de valeur de l’actif : les
profits éventuels mais aussi les risques de destruction ». Bengarai, T et Hassoune, A (2013), Les cahiers de la FI
Les Sukuk sont le segment qui connaît la croissance la plus importante de la FI (Rapport IFSB 2015, p18)

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• Limitation de la part des opérations murabaha dans le bilan bancaire ;
• Limitation des marges commerciales sur les murabaha ;
• Entrée/retrait du capital des IFI au besoin à travers la Musharaka dégressive ;
• Opérations murabaha ponctuelles avec les IFI au besoin ;
• Opérations de Wakala.

e. La politique budgétaire

La politique budgétaire relève également des prérogatives de l’Etat, en tant que second outil de
politique économique, à travers des contributions ponctuelles éventuellement en cas de besoin établi.
« AlMawardi présente une vision moderne des finances publiques, à deux doigts du principe du budget
cyclique, c’est-à-dire de la recherche de l’équilibre budgétaire sur plusieurs années à défaut de le
réaliser sur un an » (Verrier, 2004). Mais cet outil n’est pas systématique comme il le serait dans le
capitalisme social ou le marxisme à titre d’exemple. Ainsi la politique budgétaire est étudiée de
manière pointue par de nombreux économistes de l’Islam, notamment au niveau de son impact
macroéconomique et la justice qui doit toujours l’accompagner.

Encadré 1.2 : La politique budgétaire vue par Ibn Khaldûn


« Ibn Khaldûn fait des dépenses publiques un rouage important du circuit
économique. Du fait du poids de ses dépenses, l’Etat apparaît comme un acteur
prépondérant sur la scène économique et sociale : l’auteur met donc l’accent sur le
rôle moteur de la demande de l’Etat dans le circuit économique. L’argent prélevé par
l’impôt doit revenir, sous une forme ou une autre, dans le circuit économique, c’est-à-
dire aux consommateurs, afin d’entretenir la demande privée, et par suite la
production. Si la redistribution est insuffisante, elle engendre un ralentissement de
l’activité économique qui réduira à son tour les recettes fiscales. Chez Ibn Khaldûn, la
notion de multiplicateur keynésien n’est pas très loin ! » (Verrier, 2004).

1.1.4 Institutions et composantes du système économique islamique


Les développements précédents ont permis de constater que le SEI repose sur sept piliers
fondamentaux, quatre positifs et trois négatifs. Ainsi, à côté de l’interdiction des intérêts, du jeu de
hasard (maysir) et du gharar (incertitude et aléas majeurs), nous avons l’obligation de partager les
profits et les pertes, la nécessité d’opérer dans un cadre éthique, d’adosser toute transaction à un

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actif réel et d’opérer seulement dans le cadre des produits licites. L’ensemble de ces piliers est
contrôlé en pratique par les comités de supervision charia qui siègent en général au sein des IFI, afin
de veiller à la conformité du cadre. Ce cadre étant détaillé, il s’agit maintenant d’identifier ces
différentes institutions, les plus importantes d’entre elles, au sein même du SEI et qui se distinguent du
système capitaliste classique. En effet, nous jugeons ici peu utile d’étayer des éléments communs entre
les systèmes, comme l’existence d’un Etat régulateur ou d’entreprises dans l’économie. La raison est
simple et provient d’une règle jurisprudentielle islamique concernant le monde de l’économie et qui
énonce : « Toutes les transactions et les opérations sont licites, sauf celles interdites par les textes ».
Cette règle est l’inverse de celle relative aux adorations et rituels dans lesquels « toute forme
d’adoration est proscrite sauf celles ayant été instituées par les textes ». Détaillons donc un peu plus
ces composantes du SEI.

1.1.4.1 Les institutions caritatives et de l’économie solidaire


a. La Zakat

L’Islam est une religion et non un modèle politique profane. La justice et la solidarité sont
intrinsèquement liées à son application globale, en tant que système intégré. Chaque membre de la
société musulmane a un droit dans la richesse nationale, et, en théorie, la pauvreté doit être
combattue à l’extrême. Ce pilier ne ressemble pas aux quatre autres piliers, qui sont spécifiques à
l’individu ; il a une portée sociale en priorité.
La Zakat a été mentionnée 32 fois dans le Coran, dont 27 fois citée en même temps que la Salat
(prière obligatoire). Elle est obligatoire à partir du nissaab (l’équivalent de 85gr d’or, ou 595gr
d’argent) qui est le seuil minimal en dessous duquel l’individu n’est pas soumis à la Zakat. A ce titre,
certains savants sont d’avis qu’il faut choisir le seuil plus avantageux pour les pauvres. Du point de vue
des bénéficiaires, les plus proches sont prioritaires, familialement puis géographiquement.
D’un point de vue opérationnel, comment procède-t-on à l’évaluation de cette contribution
solidaire ? L’assiette de la Zakat inclut toutes les richesses épargnées par le musulman pendant une
année. Si cette assiette dépasse le seuil minimal (nissaab), le musulman est soumis à la Zakat. Sont
exclus de cette assiette les biens immobiliers non destinés au commerce, les outils de production, les
matériels de transport et tout ce qui est partie prenante dans le processus de production de biens ou
de services. Le taux appliqué, en dehors de certaines catégories de biens agricoles spécifiques, est de
2,5% sur l’assiette (Diagne, 2016, p41). Cette contribution n’est pas liée à l’impôt, et le paiement de ce
dernier n’en dispense pas. Il peut par contre être retirée de l’assiette tout naturellement. Elle vise donc

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le patrimoine, remplissant une fonction très proche de l’impôt idéal proposé par Piketty dans son
ouvrage « Le capital au 21ème siècle », à savoir un impôt sur le patrimoine.
De nombreux objectifs sont évoqués par les spécialistes quand il s’agit d’analyser la Zakat. Elle a
tout d’abord selon le verset du Coran un rôle de purificateur de l’âme de l’égoïsme naturel et de
l’amour de l’accumulation des richesses, mais elle sert aussi à purifier les richesses elles-mêmes
rendant la jouissance de ces richesses licite. Etant une adoration autant qu’une contribution, le non
musulman en est donc naturellement exempté. S’il vit en territoire musulman, il est appelé à
contribuer à une autre cotisation, la Jizya, en remplacement de la Zakat, qui n’est pas une adoration
mais plutôt impôt. Du point de vue du bénéficiaire, la Zakat a pour objectif principal de réduire sa
dépendance vis-à-vis des autres et de le sortir de sa situation de pauvreté, d’où la préférence pour la
Zakat durable (réorientée vers les investissements qui généreront un revenu durable au bénéficiaire).
Elle a aussi pour but d’ancrer l’esprit de solidarité sociale, de réduire la pauvreté et d’accélérer la
demande globale (la propension marginale à consommer des plus démunis est proche de 100% alors
que celle des classes aisées est bien plus faible), vu qu’elle est bien souvent directement injectée dans
l’économie à travers la consommation. Enfin, elle permet de combattre la thésaurisation et
augmenter l’investissement vu que ce dernier en est exempt. Les richesses circulent donc mieux dans
l’économie, les situations de rente, de thésaurisation et les inégalités se réduisent. Notons que
philosophiquement, elle accroit le bonheur global selon certaines recherches qui ont prouvé que les
individus qui aident le plus les autres et font le plus de charité sont les plus heureux35.

b. Le Waqf

Avec une perspective davantage tournée vers le long terme et la redistribution


intergénérationnelle et non intra générationnelle, le Waqf est un outil de solidarité sociale institué par
l’Islam qui demeure fondamental dans tout environnement économique islamique. Cet outil prend
naissance très tôt (Belabes, 2016, p9) avec l’initiative du compagnon du prophète, Othman Ibn Affane,
qui dédia l’un des puits qu’il possédait à Médine au Waqf. Cette méthode consiste à immobiliser le
capital de telle sorte que plus personne ne puisse en réclamer la propriété. C’est l’usufruit issu de ce
capital qui est généralement destiné aux défavorisés. Ainsi, le Waqf peut concerner une ferme, un bien
immobilier, un matériel de transport et tout capital générant un usufruit en nature ou en numéraires.
Cet outil a profité aux civilisations musulmanes dès les premiers siècles afin d’asseoir la force de la
société civile qui avait besoin d’une certaine solidarité et visibilité au vu et au su des mouvements

35
Guénette Gilles (2008), Donner rend heureux, le Québécois libre, 6 Janvier, No 247.
URL : http://www.quebecoislibre.org/08/080106-4.htm (29/08/2015)

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économiques et politiques. Le Waqf est généralement géré de nos jours par des institutions dédiées,
rémunérées en contrepartie de leurs services de gestion. Cet outil complète donc la Zakat au niveau de
la palette des institutions dédiées à la solidarité sociale, mais contrairement à la Zakat, il n’est pas une
obligation, mais fait partie de la charité facultative.

c. La micro-FI

Les institutions de micro-FI ont prospéré surtout hors des pays du Golfe, vu que ces derniers ne
manifestaient pas vraiment le besoin pour la microfinance. Ce sont donc des expériences au Soudan,
en Indonésie, en Malaisie, en Egypte et dans de nombreux autres pays musulmans qui ont marqué les
premiers succès de cette initiative. L’objectif des institutions de microfinance est de viser une
catégorie exclue d’emblée par les IFI du fait de leur non éligibilité aux conditions classiques que doit
rassembler un client conventionnel. Disposant d’outils spécifiques pour filtrer les profils, d’ailleurs très
proches des outils des institutions de microfinance à intérêts, ces institutions opèrent avec des
contrats souvent très proches de ceux utilisés par les IFI, et que nous développons ci-après.

d. Le Takaaful

Dans la partie consacrée aux principales interdictions dans la jurisprudence islamique, nous
avions fait allusion à l’interdiction du Gharar, interdiction qui implique la proscription de l’ensemble
des activités de type ‘’assurance commerciale’’. Cette interdiction a fait l’objet d’avis émis par des
conseils de jurisprudence (conseil de la ligue de l’OCI36 le 23/07/1978), confirmant que la règle
générale du gharar s’applique à ce métier en particulier. Les experts de l’EI ont néanmoins souligné
l’importance de l’assistance et la solidarité institutionnalisée, pour arriver à la conclusion que le
principe de solidarité est, en soi, fortement recommandé, mais que le fonctionnement et le modèle de
l’assurance classique n’était pas acceptable. Il fallait donc une alternative crédible, pérenne et
institutionnalisée, qui s’appuie sur le partage du risque et non sur la vente du risque (Masri, 2001).
C’est à l’intersection des institutions de solidarité pure (Zakat et Waqf) et des institutions à but
lucratif que se positionne le modèle islamique de couverture Takaaful (Kobiyh, 2016, p68), basé sur le
principe d’assurance solidaire et mutuelle, axé sur des contrats de don et non des contrats de vente.
En effet, ayant mentionné dans la partie du gharar que le gharar interdit ne concernait que les
transactions commerciales, nous pouvons en déduire que les dons ne sont pas concernés par ce
dernier. C’est pour cette raison donc que le Takaaful se base soit sur des modèles de don, soit sur des
modèles de Waqf, assez présent en Afrique du Sud et au Pakistan, notamment.

36 OCI : Organisation de la coopération islamique, regroupant 54 pays musulmans

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Dans les années 2000, ce produit a connu une forte croissance (Causse-Broquet, 2012). Le
Takaaful tire ses origines d’un texte prophétique cautionnant la pratique d’une tribu nommée les
Achaari37 et qui pratiquait une sorte de redistribution primaire que le Prophète a cautionné et félicité.
Cette redistribution consistait à rassembler puis diviser en parts égales les récoltes lors des années de
disette. Dans le modèle contemporain de Takaaful, l’une des principales différences avec l’assurance
classique, au-delà de la nature du contrat (don versus vente), est que le surplus dégagé par le fond,
une fois que tous les sinistres sont indemnisés, est reversé en majeure partie aux contributeurs, sur
le modèle de certaines mutuelles. Le fond Takaaful peut opérer de plusieurs manières, conformément
aux transactions principales de la FI. L’objectif final est de permettre, à ceux qui le désirent, de se
couvrir sans pour autant opérer dans un cadre illicite. Un fond Takaaful ne peut par exemple investir
dans des obligations d’Etat, des subprimes38 ou tout autre produit illicite.

1.1.4.2 Les institutions de l’économie marchande


a. Les institutions financières islamiques

Les IFI sont actuellement le maillon fort de la FI et représentent l’un de ses deux pôles majeurs,
aux côtés des Sukuk et marchés des capitaux que nous développerons dans la rubrique suivante.
Apparues dans les années soixante-dix, ces institutions représentent en 2015 près de 2% de la finance
mondiale, avec des actifs en gestion avoisinant les 2000 Milliards de Dollars39. Etant présentes dans la
quasi-totalité des pays musulmans, elles se sont également implantées dans des dizaines de pays non
musulmans, notamment en Grande Bretagne, en Allemagne… L’objectif des IFI est de permettre
d’obtenir un financement sans passer par le crédit bancaire, en restant dans le cadre des opérations et
contrats licites. Ces contrats se divisent en deux catégories principales : Les contrats participatifs et
les contrats commerciaux.

• Contrats participatifs

- La Musharaka
Représentant l’essence participative de la FI, et ayant de nombreux équivalents en finance, la
centralité du contrat Musharaka n’est pas en soi une tentative de réinventer la roue selon les experts

37 Ne pas confondre avec l’école de pensée du crédo achaarite, détaillant une certaine vision du dogme islamique.
38 Le « subprime » désigne un crédit à risque, détenu par un emprunteur qui n'offre pas les garanties suffisantes pour bénéficier d’un taux
d'intérêt au prix du marché. Les établissements financiers prêteurs consentent ainsi des crédits à des taux variables et de niveau élevé.
Ces conditions d'octroi font peser un risque de solvabilité sur les emprunteurs. Ce type de crédit hypothécaire est apparu aux Etats-Unis.
Le crédit immobilier est ainsi gagé sur le logement de l'emprunteur.
Lafinancepourtous.com, Définition : Subprime. URL : http://www.lafinancepourtous.com/Decryptages?q=subprime
39 Belhadi Sarah (2015), A G20, la Turquie veut promouvoir la FI, La Tribune, 19 Juin.
URL : latribune.fr/economie/international/au-g20-la-turquie-veut-promouvoir-la-finance-islamique-485742.html (23/09/2015)

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de la FI, mais plutôt un moyen de remettre au centre de l’économie une transaction devenue
marginale au profit du crédit bancaire, avec toutes les garanties qu’il suppose et toutes les prises de
risque qu’il élimine. Le contrat Musharaka implique au moins deux agents qui participent au capital
dans un projet donné et qui partagent les pertes et les profits dans ce projet (Diagne, 2016, p37). Les
apports peuvent être en nature, en numéraire ou en industrie. Il existe plusieurs variantes à ce contrat,
comme la Musharaka variable ou dégressive, qui permet à l’un des associés de sortir progressivement
du capital en vendant ses actions à leur valeur de marché. Ce contrat permet donc de donner une
impulsion importante à la dynamique d’investissement et d’entrepreneuriat pour les profils n’ayant
pas de garanties hypothécaires à présenter, portant toutefois un projet prometteur. Il permet aussi de
financer la consommation à travers la version dégressive. Ce contrat est souvent assimilé globalement
à la « joint-venture ».
- La Mudaraba
Ce contrat fonctionne d’une manière très proche du précédent, hormis que l’un des opérateurs
n’apporte pas de capital, et n’a que son travail à apporter (Diagne, 2016, p37). Cette formule fut
utilisée par le prophète lui-même lorsqu’il commerçait pour le compte de son épouse, Khadija
(Chapellière, 2009). Ce contrat permet aux IFI de collecter des fonds de leurs clients et d’agir en tant
que mudarib en les investissant, soit dans des transactions, soit dans de nouvelles Mudaraba où elles
auront cette fois-ci le rôle de l’investisseur ‘’rab al maal’’. Il est notamment assimilé sur de nombreux
aspects à la société en commandite. Il peut être libre ou restreint à un certain domaine d’activité. En
cas de perte, l’investisseur la supporte dans la limite de son apport, sauf s’il y a négligence ou abus du
mudarib (Oaidah, 2010). En pratique, ces contrats participatifs ne pèsent que 11% des transactions de
FI en 2010 d’après l’étude menée par Chatti sur près de 26 IFI dans le monde (Chatti, 2010).

- Muzaraa, musaaqat et mugharassa


Ces contrats, liés au monde agricole, ont globalement les mêmes règles que les précédents, à
quelques spécificités près, adaptées au contexte agricole, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas.

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• Contrats commerciaux

- Salam
Déjà évoqué dans la première classification dans le tableau des ventes, ce contrat représente
une issue très prisée dans le monde agricole, mais dont l’utilisation a été étendue au monde des
matières premières de manière plus générale. Le Salam consiste en un paiement immédiat de l’achat
pour une livraison à terme du bien (Dharir, 1995). Il est nécessaire que le cahier des charges soit très
précis afin d’éviter toute incertitude. Ce contrat porte seulement sur les biens fongibles, amplement
disponibles sur le marché et facilement remplaçables en cas de rupture de stock chez l’un des
fournisseurs. Il ne peut porter sur les monnaies ou les biens rares. Un Salam composé peut permettre
un financement à travers une IFI (Diagne, 2016). Ce contrat résout en partie les problèmes de BFR
(besoin en fond de roulement) et de risque de marché pour l’acheteur et le vendeur, posant une
alternative licite à de nombreux produits dérivés. Notons à ce titre que, bien souvent, le prix du Salam
est inférieur au prix d’une vente du même bien au comptant, lui-même inférieur au prix de la vente à
terme dans bien des cas. Les savants acceptent la notion de valeur-temps, tant que celle-ci est
rattachée à une transaction d’un actif réel et non à une transaction monétaire (Suwailem, 2000). Les
deux figures suivantes détaillent les deux principaux schémas de ce contrat :

Figure 1 : Schématisation d’un contrat Salam classique


10.000 Comptant t
1
Agriculteur Commerçant
Emprunteur Livraison t+1 Bailleur de fonds
Puis Vendeur 2 puis Acheteur final

Bien fongible Prix Spot estimé t+1

= 10.500 Prix de la durée


anticipation du paiement

Gharar modéré accepté


Incertitude valeur réelle du marché
Source : Labniouri, 2013

Figure 2 : Schématisation d’un Salam parallèle


0 Banque 1e
60
9. r Sa
lam Liquidité immédiate 400 lam
Sa 10
e .0
m 00

Agriculteur Commerçant

Prix Spot estimé t+1


= 10.500
Source : Labniouri, 2013

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- Istisnaa
Le fonctionnement de ce contrat est assez similaire au contrat Salam, aux détails près qu’il
porte sur les biens manufacturés non fongibles, et offre plus de flexibilité quant aux modalités de
paiement. Il est souvent comparé à la VEFA40 ou au BOT41. Bien que comportant un risque et
ressemblant en apparence à une vente à découvert, il a néanmoins été permis par le courant hanafite
surtout, étant largement utilisé partout dans le monde musulman (Masri, 2001).
Figure 3 : Récapitulatif des différences entre Salam et Istisnaa

Source : L’auteur

- Ijara
Ce contrat est assimilable à la location de biens et de services (Diagne, 2016, p37). Il se décline
en deux formes principales à savoir la location à durée déterminée ou la location avec possibilité de
cession du bien au terme de la période de location, à travers un contrat de cession séparé optionnel.
L’Ijara peut aussi être prépayée à condition que le cahier de charges soit extrêmement explicite. Bien
entendu, ce contrat, tout comme ceux qui le précèdent, s’opère en EI dans le respect de l’interdiction
des intérêts (pénalités de retard…) et du commerce de produits illicites.
- Murabaha
Produit phare en pratique (Martens, 2001), bien que marginal dans la jurisprudence, voire
rejeté par certains compagnons du prophète comme Ibn Omar et Ibn Abbas (Abu Hamdane, 2013, p79),
la Murabaha a connu un franc succès du fait du faible risque qu’elle comporte contrairement aux
produits participatifs. Elle est basée sur une vente et un paiement à terme (Diagne, 2016, p37), avec
possibilité de garder l’hypothèque, ce qui en fait un bien très peu risqué et proche, en termes de
niveau de risque, des activités des banques classiques. Cela en fait aussi l’un des biens présentant le
moins de valeur ajoutée d’un point de vue macro-économique, si ce n’est la bancarisation d’une
frange plus large de la population et l’adossement de l’économie à des activités réelles. Elle consiste
en l’achat puis la revente d’un bien donné, à condition que la seconde vente ne précède pas le premier
achat chez le fournisseur et que le second client ait la possibilité de se rétracter, avec l’interdiction de

40 VEFA : Vente en l’état de futur achèvement


41 BOT : Build, operate, transfer

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toutes pénalités de retard. Ce produit a d’abord été une exception avant de dominer rapidement la
scène financière (Oaidah, 2010), ce qui a provoqué l’indignation des experts de l’EI, qui appellent
désormais à le marginaliser au profit des transactions participatives. L’école Shaféite autorise cette
transaction si l’acheteur final n’est pas contraint à l’achat.

b. Marchés financiers islamiques

Les MFI souffrent de la divergence des cadres jurisprudentiels à l’échelle internationale, un de


leurs grands défis. Le développement des travaux sur les MFI s’est opéré dans un second temps, suite à
l’établissement des IFI. En effet, ces marchés ne sont pas une priorité pour le grand public, mais se sont
avérés être une nécessité pour la gestion des liquidités (Diagne, 2016, p48), en l’absence de banques
centrales islamiques. L’émergence de places financières islamiques s’est faite progressivement,
souvent dans un cadre dual, c'est-à-dire en parallèle des marchés classiques et sous le même cadre
légal que ces derniers. « Le premier indice islamique de cotation globale en bourse fut le SAMI (Socially
Aware Muslim Index), lancé en 1998 pour représenter la tendance de quelques 500 sociétés (SIAGH
2007) » (El Khamlichi 2010). L’un des plus connus est le Dow Jones Islamic Market Index (DJIMI) si nous
prenons les pays non musulmans (Selmi, 2016, p102), et BursaMalaysia pour les pays musulmans. C’est
ainsi que se sont développés les indices financiers islamiques constitués d’actions de sociétés qui
répondent à un certain nombre de filtres (quantitatifs et qualitatifs) tirés des normes AAOIFI (norme
21, voire annexe C.8). Les actions des entreprises qui opèrent dans un cadre illicite sont exclues (filtre
qualitatif). De même pour celles fortement endettées (ou simplement endettées à intérêt, selon le
conseil international de la jurisprudence islamique) ou qui ont certains revenus de provenance illicite
(filtre quantitatif). Les obligations et les produits dérivés sont généralement exclus de ces indices.
Par ailleurs, le produit qui connaît le plus de succès au niveau de ces marchés est le Sak (Sukuk
au pluriel), alternatif aux placements défensifs à revenus stables, comme les obligations. Les Sukuk
sont des titrisations généralement adossées à des transactions réelles (Diagne, 2016, p38) liées aux
contrats détaillés dans la partie ci-dessus, à l’exception près que certains d’entre eux ne sont pas
négociables sur le marché secondaire s’ils représentent une dette. Ils sont souvent assimilés aux Asset
Backed Securities.

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Tableau 1 : Comparaison entre Sukuk, obligations et actions
Critères de comparaison Obligations Sukuk Actions
Nature Dette Financement SPV Propriété (Part capital)
Flux et revenus Pourcentage annuel Réguliers ou variables Sur décision de l’assemblée
et régulier en général (Selon le contrat) générale, au prorata du capital
Echéance Limitée Limitée en général Illimitée
Priorité en cas de liquidation Prioritaire Selon les cas Après paiement des créanciers
Risque Faible en général Faible en général Plus élevé
Droit de vote Non Non Oui, sauf exceptions
Source : L’auteur

Ce tableau récapitulatif permet de mieux cerner les différences entre ces produits. Les Sukuk
sont à mi-chemin entre les obligations et les actions. En pratique, les analystes occidentaux les
considèrent comme du ‘’Fixed Income’’, car les praticiens de la FI les présentent comme des répliques
des obligations, ce qui est un abus majeur au regard de leurs fondements. Ces produits sont
actuellement très prisés et fonctionnent de plusieurs manières selon la transaction sous-jacente. Ci-
après un schéma récapitulant les différents Sukuk, en prenant deux catégories principales : Les Sukuk
basés sur des transactions réelles, et ceux qui ne prennent la transaction que comme un indice de
référence pour la distribution de gains ou de pertes, mais qui ne sont pas liés en termes de propriété à
l’actif sous-jacent (les ‘’Asset Based’’). En réalité, ces derniers ne sont pas conformes aux principes de
la FI et sont de plus en plus marginalisés.

Figure 4 : Classification des Sukuk selon la transaction sous-jacente

Source : Securities commission 2009

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La classification met en avant quatre sous catégories. La première implique des transactions
représentant de la dette (Salam, Vente à Terme : BBA …). La seconde concerne les transactions
représentant un loyer, avec ou sans option d’achat. La troisième représente les participations en
capital (Musharaka…). Enfin, la dernière est un contrat d’agence, Wakala. Les Sukuk ont en général un
montage assez commun. Le schéma ci-après est un montage générique permettant de le cerner.

Figure 5 : Schématisation des montages de Sukuk

Source : Al Khawarizmi Sukuk report

c. Schéma récapitulatif du système économique et financier islamique

Afin de représenter schématiquement l’ensemble du système, nous avons jugé utile d’en
rassembler les différents éléments au sein d’une même représentation. Dans ce schéma récapitulatif,
nous avons commencé par la base du système, à savoir les sept piliers, avec quatre principes directeurs
et trois interdits précédemment étayés. L’ensemble du système est supervisé par les comités de
conformité charia ou shari’ah boards nécessaires à l’entrée de l’institution dans la sphère de la FI. Sur
les côtés nous avons repris les éléments présents dans toute économie, à savoir la politique monétaire
et la politique budgétaire, nécessaires même dans ce système, tout en soulignant les spécificités et
l’adaptation. Nous avons par la suite répertorié les six principales institutions en revenant pour
chacune, autant que faire se peut, sur les principales spécificités, les avantages et les principaux défis.

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Figure 6 : Schéma récapitulatif du système économique et financier islamique

Source : L’auteur

1.1.5 Conclusion
L’analyse des principes directeurs, qui a permis de cerner conceptuellement l’EI, nous a permis
de dresser un certain nombre de lois fondamentales intrinsèques au système économique islamique.
Ces lois font état d’axiomes, pour les plus ancrées d’entre elles qui ne font pas l’objet de divergences,
et constituent les frontières qui permettent de constater ce qui fait partie du SEI de ce qui n’en fait pas
partie. Bien qu’étant ouvert par définition (tout est permis, sauf ce qui est expressément interdit), le
système économique islamique est encadré par des principes tirés des sources primaires de la
jurisprudence (Coran et Hadiths) ainsi que des sources secondaires (Ijtihad…). Il est orienté vers la
préservation des cinq universaux, étant lui-même un sous-système du système social islamique. Les
interdits qui y figurent jouent ce rôle de frontière de système, aux côtés de principes positifs censés
orienter l’économie d’une manière générale.
Ce système économique est donc le fruit d’une doctrine qui s’est déclinée en pratiques pendant
quatorze siècles dans la civilisation islamique, avec des hauts et des bas, cycles qui ont d’ailleurs été
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théorisés et analysés par Ibn Khaldûn, un précurseur. Le SEI jouit de procédés et de méthodes qui
varient selon les régions, sans pour autant violer les principes de base en général, communs aux
différentes économies islamiques types. De nombreuses théories y ont été développées, notamment
sur l’inflation, la monnaie, la fiscalité, le rôle de l’Etat, les politiques publiques, les cycles, les crises…
Ces théories ont peu souvent été citées dans les ouvrages d’économie qui reprenaient le postulat
Schumpétérien supposant que l’humanité a traversé cinq siècles de vide en termes de théorie
économique à partir du treizième siècle (Verrier, 2004). L’une des raisons que nous pourrions avancer
pour expliquer cette ignorance est que bien souvent, dans le monde musulman, l’économie est traitée
dans les ouvrages de jurisprudence et rarement dans des traités indépendants. D’autres raisons ont
très certainement participé à cette ignorance.
Plus concrètement, le système économique islamique semble riche en modes de financement
de l’économie, tant publics que privés, qui s’appuient sur un droit des contrats diversifié et qui répond
à différentes situations socio-économiques. Il s’avère relativement plus complexe et profond par
rapport à la superficialité qui lui est prêtée dans certains cas. De nombreuses institutions forment ce
système économique, interagissant entre elles, comme le Waqf, la Zakat, le Takaaful, la microfinance,
les MFI, le régulateur, les IFI… Ces dernières sont d’ailleurs le sous-système le plus avancé du SEI, et
disposent d’un éventail de mécanismes, de normes et de transactions très élargi, vu qu’elles sont déjà
déployées dans plusieurs pays. Au niveau social, la redistribution s’opère tantôt par des canaux privés,
tantôt par des canaux publics, alimentés par un système fiscal qui a hérité d’une longue tradition
d’expertise. Pris dans leur ensemble, ces éléments montrent que l’EI a tout d’un système.
Aujourd’hui, l’EI relève plus de la doctrine, certes plus proche de la théorie, tout comme la CPP,
que d’un système mis en pratique à la perfection dans toutes ses composantes. Certaines de ses
composantes sont cependant très bien ancrées. Nous avons à travers plusieurs pays musulmans des
segments d’EI, des émanations de ses sous-systèmes, proposant ainsi une ébauche d’alternative au
système capitaliste dominant l’économie depuis près de deux siècles. Ces émanations et cet intérêt
occidental croissant pour ces sous-systèmes, notamment celui de la FI, seront-ils durables ou
seulement passagers, constitueront-ils une source d’inspiration pour enrichir la perception humaine du
fait économique ou simplement une source d’investissements alternatifs pour diversifier les
portefeuilles ? Ce système, au vu de ses caractéristiques spécifiques, pourrait-il apporter une réponse
et plus de résilience face aux excès spéculatifs souvent observés ? Maintenant que nous avons cerné le
SEI, l’analyse de telles interrogations passera nécessairement par une connaissance approfondie d’une
des principales problématiques du capitalisme contemporain : la spéculation.

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CHAPITRE II

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1.2 Définitions et théories majeures de la spéculation
La question de la spéculation n’est pas une problématique nouvelle au niveau de la littérature
économique. En 1900, sous l’encadrement du mathématicien Henri Poincaré, Louis Bachelier présente,
en précurseur, une thèse qui traite du phénomène d’un point de vue mathématique, en essayant d’en
dégager des lois de probabilités qui régiraient le marché tout au long de l’histoire. C’est un phénomène
qui a fait l’objet de nombreuses analyses mais demeure complexe à cerner et à définir même à ce jour,
et nombreux sont ceux qui ont affirmé qu’aucune définition claire ne peut être donnée. Ce
phénomène peut-il être approché de manière plus structurée et moins littéraire de telle sorte à en
faciliter l’exploration, l’explication et l’exploitation ?
Dans un contexte marqué par une instabilité chronique souvent liée à la spéculation, et une
récurrence sans précédent de crises financières, il nous est paru essentiel d’aborder la question du
risque spéculatif, à travers un prisme purement conceptuel dans un premier temps. A cet égard, nous
procèderons à une première analyse qui permettra de revenir sur le concept de spéculation, ses
définitions et ses théories majeures. Notre première section aura pour objet de revenir sur les
principales définitions du concept de spéculation dans la mesure où l’évaluation du risque de
spéculation passe nécessairement par un cadrage clair du concept. Les définitions permettront de
mieux cerner les composantes à maitriser lorsqu’il sera évoqué. Les théories permettront de mieux
appréhender l’évolution du concept et de ses perceptions. A cette étape, le concept de spéculation
deviendra de plus en plus clair, ce qui nous permettra de le décortiquer plus profondément, et d’en
analyser les principales causes au niveau de la partie suivante. A l’issue des premières analyses, nous
serons en mesure de proposer une définition assez structurée et exhaustive du concept, tout en
rappelant les réserves à garder lors du traitement d’un phénomène socio-économique, ayant un fort
potentiel de mutation. Cette définition permettra toutefois d’avoir un référentiel conceptuel qui
servira de base pour la suite des travaux.

1.2.1 Caractéristiques principales et définitions majeures du concept


La spéculation a sans aucun doute été l'un des concepts les plus évoqués après la dernière crise
financière de 2008 et plus généralement au lendemain des crises financières des deux derniers siècles.
Pourtant c'est un concept qui demeure polysémique, polémique, subjectif et mal cerné. Les
définitions sont changeantes, variables, voire contradictoires, et certains abus sont mêmes constatés.
La spéculation est l’objet elle-même de spéculations éternelles sur son rôle et sa légitimité, tantôt

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encouragée et tantôt contestée. Elle fait l’actualité de tous bords, mais quand il s’agit de
scientifiquement décrire et cerner le concept de manière structurée, à travers des facteurs connus,
clairs et reconnus, nous faisons face à un nombre de difficultés et de controverses inattendues.
Entre le sens commun donné à la spéculation, généralement teinté de rejet, voire de mépris, et
le sens journalistique qui varie selon la nature de la presse (généraliste, financière…), ou encore le sens
attribué par les économistes d’une part et les praticiens de la finance d’autre part, l’observateur est
rapidement perdu entre des conceptions parfois diamétralement opposées et divergentes par rapport
à un phénomène qui part d’un seul mot : la spéculation. Comment expliquer ces fossés de perception
alors même que le mot fait bien partie de la langue française et qu’il est définit dans n’importe quel
dictionnaire ? Pourquoi est-il perçu tantôt comme nécessaire et tantôt comme facultatif, voire néfaste
et nuisible par des praticiens du domaine ? Est-il à ce point délicat de pouvoir disséquer ce concept au
maximum, pour remonter, par un processus inductif, à une définition détaillée qui met en lumière ses
différentes composantes les plus abstraites et qui sont justement, bien souvent, la cause de ces
divergences ?
L’objet de cette première section sera de recadrer ce concept en partant des définitions des
économistes et des sources sérieuses avant de passer en revue les composantes du concept. Nous
trouvons donc fort utile de passer en revue un nombre suffisant de définitions que nous rangerons
dans une nomenclature d’éléments qui a été formalisée à l’issue d’un certain nombre de lectures, afin
de fluidifier la compréhension, dans la perspective de pouvoir scientifiquement cerner ce concept
polysémique. Nous dépasserons les 3 dimensions évoquées par Kaldor lors de son traitement de la
spéculation (acteurs, supports et objets, contexte) dans la mesure où les changements structurels de
l’activité l’imposent. Nous analyserons des dimensions supplémentaires afin de clarifier au mieux la
frontière séparant ce qui relève de la spéculation de ce qui n’en fait pas partie.

a. L’incertitude, l’anticipation et l’information

Depuis ses définitions les plus basiques du Larousse42 « Achat d’un bien en vue de réaliser un
bénéfice lors de sa revente » qui en font un concept quasiment similaire à toute opération commerciale
classique, aux définitions les plus fines et diverses chez les penseurs économiques, le concept de
spéculation est assurément l’un des concepts économiques et financiers que nous avons le plus de mal
à cadrer. Il est tiré du bas latin speculatio et speculari (Working, 1960, p1), désignant un lieu
d'observation pour le premier, et l’action d’anticiper pour le second. En ce sens, il s’agirait d’observer

42
Dictionnaire Larousse, Système, Le site des Éditions Larousse.
URL : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/syst%C3%A8me/76262 (3/9/15)

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et d’appréhender des mouvements qui permettraient d’anticiper l’arrivée d’un événement. A
l’époque romaine, un tel lieu pouvait facilement permettre de constater l’arrivée d’un convoi
commercial, d’une armée ennemie ou d’autres éléments pouvant influer sur la vie de la cité.
Utilisé au sens figuré, le terme désigne, de façon plus générale, une réflexion intellectuelle
portant sur des objets abstraits. La notion d’abstrait montre d’ores et déjà la complexité du
phénomène et la place que la subjectivité peut y tenir. Cela fait référence au lointain, au flou. Le verbe
lui-même implique de l’incertitude et signifie que dès lors qu’on essaie de cerner les conséquences
éventuelles d’un problème, nous sommes déjà en train de spéculer (Working, 1960, p1). Au fil du
temps, le concept de spéculation s’est vu confiné plutôt à l’action qui suit la méditation et
l’anticipation, plutôt que l’anticipation elle-même (Working, 1960, p1). Le qualificatif « spéculatif »
semble garder ces principaux attributs à ce jour tant les voix de ses défenseurs et de ses détracteurs
s’élèvent dans la sphère économico-financière. Il s’est d’ailleurs rapproché d’un autre qualificatif :
« risqué » (Working, 1960, p2). Comment expliquer un tel rapprochement alors qu’à la base
l’observation relève du réel, du tangible, bien que lointain ?
L’incertitude est un premier élément d’explication. Précisons tout d’abord que l’information est
l’un des outils fondamentaux du spéculateur face à cet incertain, ou plutôt, l’asymétrie d’information.
En finance, « La spéculation revient à livrer à l'ensemble du marché une information (ou l'indication
d'une information) connue du seul spéculateur » (Alternatives économiques)43. Néanmoins, l’asymétrie
de l’information reste un avantage comparatif qu’a le spéculateur par rapport aux petits investisseurs
amateurs qui ne suivent pas les variations à la seconde près, mais plutôt mois par mois, comme c’est
souvent le cas des petits épargnants. En quoi peut-on alors, à travers le suivi de ces variations,
identifier le spéculateur ?

b. La variation de prix anticipée importe plus que le sous-jacent

Nicholas Kaldor (1939), référence à ce niveau, définissait le concept de la manière suivante :


« L'achat (ou la vente) de marchandises en vue d'une revente (ou d'un rachat) à une date ultérieure, en
anticipation d'un changement des prix en vigueur, et non en vue d'un avantage résultant de leur
emploi, ou une transformation ou un transfert d'un marché à un autre ». Cette définition est à ce jour
l’une des plus relayées. Plus loin, Kaldor distingue les achats spéculatifs du reste par le fait que les
premiers n’auraient pas eu lieu en l’absence d’anticipation d’un changement de prix. Selon Kaldor, ce
serait à la faveur d’une anticipation des mouvements de marchés que le spéculateur initie sa

43L’économie de A à Z (2010), Spéculation, Le dictionnaire d’Alternatives Economiques en Ligne. URL : http://www.alternatives-


economiques.fr/Dictionnaire_fr_52__def1411.html (27/08/2014)

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transaction. C’est du fait de ces fluctuations de prix qu’il ferait des profits. L’objectif principal est donc
la revente intervenant après la fluctuation du prix de l’objet de spéculation, dont l’anticipation reste la
priorité du spéculateur. Il précise davantage son propos en mentionnant que le spéculateur n’est pas
intéressé par le sous-jacent. Son utilisation physique, son transfert d’un marché à un autre ou sa
transformation ne font pas partie de ses objectifs. Autrement il serait un acteur de l’économie réelle
ou traditionnelle, un commerçant ou un industriel. Comment cette intervention du spéculateur se
matérialise-t-elle donc sur le marché ?

c. Impact économique réel et physique limité, voire absent

Il existe une croyance commune selon laquelle la spéculation est plutôt synonyme de prédation
plutôt que de productivité (Working, 1960, p2). La seconde partie de la définition de Kaldor est très
utile à ce titre, par rapport à la définition du Larousse, tant elle démarque d’emblée la spéculation de
l’activité commerciale, intrinsèquement liée aux flux physiques des marchandises dans la majorité des
cas, à travers leur emploi, transformation ou transfert d’un marché à un autre.
Pour ce qui est de l’emploi, c’est un processus de consommation de la marchandise ; aucune
autre étape n’interviendra donc après cette transaction finale pour cette marchandise, en l’état. La
valeur ajoutée est donc consommée par le consommateur final. Au niveau de la transformation, elle
s’inscrit dans le cadre éventuel d’un processus industriel destiné à greffer à cette marchandise une
valeur ajoutée supplémentaire avant de la remettre sur le circuit productif. La marchandise, en l’état,
est donc modifiée et acquiert de la valeur. Enfin, le transfert d’un marché à un autre est un processus
qui est aussi du domaine du commerce et dont la principale valeur ajoutée se situe dans la partie
logistique, c'est-à-dire la mise à disposition d’un marché donné d’une marchandise qui n’y existait pas.
Ces détails mis en avant, nous pouvons mieux imaginer pourquoi la spéculation est généralement
moins associée à une création de valeur. C’est le cas car le spéculateur ne consomme, ni ne modifie, ni
ne transfère la marchandise, lorsque nous analysons la valeur par rapport au cadre conceptuel fourni
par Kaldor. Nous percevons donc, en seconde partie de sa définition, l’insistance sur l’absence
d’impact économique physique et tangible de la transaction spéculative. C’est pour cette raison que
les tribunaux américains mettaient comme frontière distinctive entre la spéculation et le commerce
« l’intention de livrer » (Working, 1960, p3), critère incomplet car incorporant la couverture également.
La même tendance s’observait en France44.

44
« Avant la légalisation des opérations sur les marchés à terme par la loi de 1885, la jurisprudence avait déjà amorcé ce
tournant. Les juges opéraient une distinction en fonction de l’intention des parties entre opérations réputées sérieuses,
impliquant un transfert réel des valeurs et jugées économiquement utiles, et les opérations fictives dans lesquelles les parties
avaient l’intention de se régler par une simple différence de cours », (Morin, 1998, p.188 cité par Abu Hamdane)

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Les opérations spéculatives sont réputées « pures ou sèches, c’est-à-dire qu’elles sont auto-
suffisantes et qu’elles n’ont pas de contrepartie directe dans la sphère réelle de l’économie » (Plihon,
1996). Le spéculateur ne ‘’désire pas’’ entrer dans le cours normal du commerce ou de
l’investissement (Working, 1960, p3). La création de valeur résultant de l’emploi, la transformation ou
le transfert, et qui est en dehors de l’activité spéculative, est une création réelle, qui donne droit à une
rémunération réelle en contrepartie, qui peut bien évidemment varier en fonction de l’offre et de la
demande. Le point clef ici est que le spéculateur s’attend à une rémunération (variation positive du
prix) sans création réelle de valeur économique (Working, 1960, p3), mais simplement en rétribution
par rapport à sa ‘’bonne intuition’’. Pourtant, n’est-il pas un apporteur de liquidité au marché ?
En réalité, l’injection de liquidité (élément justifiant la spéculation pour certains) n’est pas un
élément sur lequel le spéculateur s’attend à une rémunération, vu qu’elle relève plutôt de la
justification macroéconomique et qu’elle ne fait pas partie des calculs microéconomiques du
spéculateur. Nous retrouvons cela chez Oaidah, pour qui la spéculation est une activité non productive
(et plus risquée) (Oaidah, 2010, p307). En revenant aux détails fournis par Kaldor dans sa définition, il
apparaît que tout ce que le spéculateur ne veut pas faire de la marchandise (emploi, transformation,
transfert) est justement lié aux éléments apportant une valeur ajoutée supplémentaire.
L’investissement, lui, est une activité productive (et moins risquée) liée à l’activité économique réelle
alors que la spéculation n’aboutit qu’à des transferts de richesses d’un groupe d’opérateurs financiers
à un autre (Al Suwailem, 2006), sans mouvements de marchandises ou de production réelle. La
question du risque, abordée par Oaidah, mérite un certain approfondissement.

d. Une activité bien plus risquée

La définition adoptée par le « Shariah advisory council » supervisant la bourse malaisienne, a


des termes très clairs : « L’achat et la vente en vue de réaliser un profit important mais avec un risque
important » (Securities commission, 2007). Ici, le concept cardinal du risque est évoqué, complétant
ainsi la définition précédente. L’élément ‘’risque’’ est en effet intrinsèquement lié à l’activité
spéculative, mais pour quelle raison ? S’il est un critère des plus subtils distinguant l’investissement de
la spéculation et des jeux de hasard, c’est bien celui du risque. Dans le Dictionnary of banking and
investment terms, nous relevons d’ailleurs que « le terme spéculation implique que le risque lié à une
affaire ou à un investissement peut être mesuré et analysé, et sa distinction du terme investissement
est le degré de risque supporté. Cela diffère du jeu qui est basé sur des résultats aléatoires »45. Il

45
Barron's Educational Series, Speculation, Allbusiness.com.
URL: http://www.allbusiness.com/glossaries/speculation/4946309-1.html (09/02/2015)

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convient de spécifier d’emblée que le spéculateur ne supporte pas de risques logistiques liés à l’actif
sous-jacent qu’il détient. Il supporte des risques purement financiers.
Il devient alors évident que ce surplus auquel s’attend le spéculateur est bien plus risqué que la
création de valeur réelle à travers les circuits conventionnels de l’investissement et du commerce. Une
intuition reste du domaine du subjectif, de l’abstrait, sur laquelle un opérateur de marché ne peut
s’appuyer pour acheter une marchandise plus chère que le prix qui a été payé par le spéculateur, tout
simplement car cette intuition ne possède pas de valeur ajoutée intrinsèque en soi, contrairement à la
transformation ou le déplacement. Ainsi, il convient de souligner que le risque pris par le spéculateur
est plus important que celui pris par l’investisseur qui greffera une valeur ajoutée claire et certaine à la
marchandise avant de la revendre. Le premier s’appuie sur des prévisions abstraites des mouvements
de marché au niveau macroéconomique, alors que le second s’appuie sur une réalisation concrète qui
a été greffée à la marchandise, avant de la revendre (nous mettons de côté le cas de la consommation
finale, l’emploi de la marchandise chez Kaldor).
Pour étayer la notion du risque, qui semble décisive dans la qualification d’un investissement
comme étant spéculatif, il convient de citer le Dictionnary of bank and accouting terms qui définit la
spéculation comme étant le « placement de fonds dans des investissements à hauts risques, comme les
options ou les contrats futurs. Le risque est mesuré par les variations du profit anticipé et leur
distribution en termes de probabilités. Un investissement spéculatif a un résultat prévisible, mais avec
une forte distribution et des probabilités importantes d’occurrence d’événements extrêmes. La
spéculation intervient généralement sur des opérations de court-terme avec l’espoir d’obtenir un profit
important par un accroissement du capital mais avec un risque important. La perte potentielle d’un
investissement spéculatif peut être limitée par des stratégies de couverture »46. Notons de prime abord
la récurrence de concepts ‘’Kaldoriens’’ tels que l’origine des profits (provenant d’une variation du
capital, donc de la valeur du sous-jacent et non son usufruit). De surcroît, il y a également la notion
d’anticipation (‘’prévisible’’ ici). Cette définition qui met bien en relief l’importance du facteur risque
dans l’identification d’un investissement spéculatif, nous éclaire davantage par rapport au degré de ce
risque, qualifié de haut, et le moyen de mesurer ce risque, à travers la probabilité d’occurrence
d’événements extrêmes ainsi que la forte distribution. Elle mentionne, de surcroît, que l’occurrence
d’événements extrêmes a une probabilité fortement supérieure à celle d’un investissement que l’on
qualifierait de classique, ce qui institue cette variable (le risque) comme référence permettant de
différencier l’investissement spéculatif de l’investissement que l’on qualifierait de classique.

46 Même référence

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Al Suwailem (2006) ajoute plus de détails et de précisions à ce propos en affirmant que non
seulement le risque est plus élevé, mais dans une activité purement spéculative, la probabilité de
perdre est supérieure à celle de gagner47. Cette seconde ligne de démarcation est capitale, à côté de
celle du degré de risque accepté. Il en résulterait que, dès lors qu’une opération a une probabilité de
perte supérieure à la probabilité de réussir, elle peut éventuellement être qualifiée de spéculative. Le
spéculateur accepte cette probabilité car le montant du profit potentiel est important, ce qui minimise
à ses yeux la faible probabilité de perte. Lorsque le risque de perdre est trop grand, il tombe dans le
domaine du jeu de hasard, comme les paris et les casinos, où la probabilité de gain n’est pas faible,
mais totalement négligeable. Al Suwailem dresse ainsi comme frontière, entre la spéculation et
l’investissement, la ‘’confiance’’ de l’acteur dans la probabilité de succès de l’opération. « Une action
qui échoue plus souvent qu'elle ne réussit ne peut être considérée comme une source de profit » (Al
Suwailem, 2006, p60). Se pose alors avec acuité la question du support privilégié de cette action.

e. Les outils privilégiés de la spéculation

Dans cet ordre d’idées, une définition sensiblement similaire est également adoptée par la
commission européenne qui définit le spéculateur comme procédant à « l’achat/vente (de dérivés) afin
d’acheter/vendre plus tard (souvent avant échéance du titre) ce même titre, afin de tirer profit des
variations de prix », ce qui oriente déjà la définition vers les dérivés (De Schutter, 2010, p10) dans le
mesure où la commission évoque la question de l’échéance du titre, ce qui n’a pas lieu d’être si nous
parlons d’actions ou de matières premières en dehors des dérivés (futurs48, options49…). Soulignons au
passage que le concept de liquidation/compensation est évoqué lorsque la commission parle de
‘’même titre’’, concept sur lequel nous reviendrons plus en détail. Dans le Dictionnary of finance and
investment terms50, la définition de la spéculation relève quelques outils de couverture parmi lesquels
les options, la vente à découvert, les contrats futurs et bien d’autres.
D’un point de vue historique, avant l’avènement des dérivés, la spéculation portait
essentiellement sur les titres financiers, et avant, elle portait sur les matières premières. Pourquoi un
tel glissement de supports ? Est-ce parce que, comme le rappelait Working (1960, p2), la distinction

47
L’espérance d’un investissement peut être positive, même en cas de très forte probabilité de perte, si en cas de gain le montant est
significatif. Le spéculateur raisonne en termes d’espérance plus qu’en termes de probabilité de succès.
48 Contrat futur : « […] est un accord entre deux parties pour acheter ou vendre un actif donné à une date future pour un prix convenu. »,

(Hull, 2004, p. 6).


49 Option : « Une option d’achat (appelée Call par la suite) donne le droit [et non l’obligation] à son détenteur d’acheter une certaine

quantité d’un actif sous-jacent à une date future donnée et à un prix convenu. (…) Si l’exercice [donc du ‘droit’ ou de l’‘option’] peut
survenir à tout moment jusqu’à la date de l’échéance, l’option est dite américaine. Par contre, si l’option ne peut être exercée qu’à la date
d’échéance, elle est dite européenne. », (Hull, 2004, p. 7).
50 Barron's Educational Series, Speculation, Allbusiness.com. URL: http://www.allbusiness.com/glossaries/speculation/4946309-1.html

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entre spéculation sur les matières premières et investissement sur les matières premières est plus
simple que lorsque cela porte sur des titres financiers, qui compliquent la mise en évidence d’une
frontière ? Le glissement semble essentiellement dû aux deux conditions spécifiées par Kaldor (1939)
concernant les supports de la spéculation. Plus ils ont un coût de transaction et de stockage faible,
plus ils sont adaptés. Ainsi, pratiquement tout support peut être objet de spéculation, mais à une
échelle bien différente. Ces définitions étendent la question de la spéculation à tout titre ou propriété,
sans restriction. Il va sans dire que la position de Kaldor par rapport aux marchandises faisait référence
au commerce dominant de l’époque. Nous pouvons donc imaginer que par extension aux éléments
exceptionnels, sa définition s’applique également aussi bien pour les actions (l’objectif y serait la
variation de la valeur et non le dividende annuel) et les produits dérivés (l’objectif serait la variation de
la valeur et non l’exercice à l’échéance et la couverture réelle). Ainsi, dans ce cas, c’est bien plus
explicite avec « toute propriété ou titre ».
Actuellement, la spéculation sur les actions n’est pas la même que sur les produits dérivés, dont
une majorité représente des transactions futures. Un produit dérivé est un produit dont la valeur
dépend de la valeur d’un ou plusieurs actifs de référence sous-jacents, sa valeur ‘’dérive’’ de ces
derniers (Hull, 2004). Selon Al Suwailem (2006), les dérivés permettent de ‘’commoditiser’’ (titriser) le
risque afin de le vendre, ce sont des outils favorisant le commerce du risque, vison qui se rapproche
de la théorie financière classique (Hicks, 1946 ; Newbery, 1987). Les dérivés sont donc un nouvel
élément qui se greffera à la définition contemporaine du concept par souci d’exhaustivité. En effet, le
concept de spéculation évolue de pair avec les évolutions des pratiques financières et des outils
technologiques.
Les produits dérivés se sont avérés être d’excellents véhicules pour les spéculateurs, question
que nous évoquerons de manière détaillée dans la seconde partie en analysant les facteurs de la
spéculation. Les temps ont donc visiblement changé par rapport à 1939, lorsque Kaldor voyait dans les
actions et les obligations « de parfaits supports de spéculation car elles possèdent, à un degré extrême,
tous les attributs nécessaires » (Kaldor, 1939). Nous sommes ici dans l’obligation d’introduire le
concept, très physique, de la relativité, à travers une digression fort utile. Dans la théorie de la
relativité restreinte, nous apprenons que certaines mesures varient selon le référentiel espace-temps
de l’observateur51. Une petite extrapolation prospective pourrait même aboutir à envisager que, vu
que ce qui fut considéré comme spéculatif un temps (actions et obligations) est aujourd’hui vu

51 http://acces.ens-lyon.fr/clea/lunap/Relativite/relativite-restreinte-principes-et-applications/Temps-Propre_Temps-Impropre.pdf
(10/02/2017)

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comme étant fondamental, un jour les dérivés seront vus comme fondamentaux, sains et
‘’mainstream’’ si des produits encore plus spéculatifs apparaissent.
Dans une optique légèrement différente mais plus expressive, la revue française Alternatives
économiques (généralement classée plutôt à gauche et donc d’obédience socialiste) résumait le
concept à « parier sur le futur »52 et ainsi accepter de prendre un risque dont on déchargerait un autre
acteur économique, ajoutant que « la spéculation s'apparente à une forme particulière d'assurance »,
en référence surtout aux produits dérivés qui constituent, pour beaucoup d’entre eux, une assurance
reposant sur la titrisation d’un risque, puis sa cession. Il convient de souligner que la définition s’inscrit
dans un cadre plus contemporain, cadre dans lequel la spéculation est de plus en plus associée aux
produits dérivés, et non, comme l’expliquait Kaldor, à la spéculation sur la variation des prix des
matières premières.

f. Une activité privilégiant le court-terme

Il est intéressant de noter que la définition de Kaldor met aussi en évidence l’horizon de court-
terme, sur lequel nous reviendrons dans le second chapitre. Nous garderons pour l’instant à l’esprit
que l’horizon sera également une variable de référence qui permettra de faire la différence entre les
investissements spéculatifs et classiques. En somme, elle cadre le concept tout en précisant qu’il s’agit
d’une activité qui respecte les lois de la finance liant proportionnellement risque et profitabilité. La
définition se garde de toute prise de position, perspective scientifiquement neutre qui n’est pas
toujours partagée dès lors que l’on sort de la perspective du chercheur (journalisme par exemple).
La notion de court terme se retrouve confirmée par la définition du Dictionnary of business
terms : « L’achat de toute propriété ou titre en s’attendant à réaliser un profit rapide du fait de la
volatilité, potentiellement sans étude préalable poussée. Se compare avec le jeu de hasard basé sur
la chance et l’aléatoire, mais contraste avec l’investissement » (Securities commission, 2007). Le
Dictionnary of banking terms définissant la spéculation note à cet effet que « les traders qui achètent
et vendent dans ces marchés pour leur propre compte s’attendent à réaliser des gains dans le court
terme »53. En général, le court terme reste le principal horizon opératoire du spéculateur. C’est
l’horizon opératoire privilégié pour les traders de dérivés, généralement motivés par les résultats
même à très court terme (Khan, Muntaqa et Abdulsamad, 2008, p2). Autrement dit, ce n’est pas le
rendement à long terme (dividendes d’actions) qui importe le spéculateur, mais bien la variation

53Barron's Educational Series, Speculation, Allbusiness.com. URL : http://www.allbusiness.com/glossaries/speculation/4946309-1.html


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positive de la valorisation du principal de l’actif qu’il détient, comme spécifié par Kaldor. Pour le
spéculateur cet horizon a en plus tendance à se réduire de plus en plus au fur et à mesure des
avancées technologiques, comme l’informatisation puis la robotisation récente des transactions
financières, qui sera analysée plus en détail.
C’est aussi la notion de volatilité qui attire l’attention dans cette définition, et qui se fait
remarquer par rapport aux précédentes. En témoigne la posture de Oaidah (2010, p303) qui définit la
spéculation comme étant une activité « visant à accroitre la volatilité dans le court terme, à travers
des tentatives de monopole et d’influence psychologique, et visant également à augmenter le volume
des transactions de manière fictive et virtuelle et à propager des rumeurs ou de fausses
informations ». Cette définition appréhende la spéculation sous un autre angle, à savoir celui qui est
plus macro-économique, avec une posture idéologique clairement identifiable. Cependant, elle reste
très utile à la lumière des concepts évoqués. Oaidah présente en fait certaines des conséquences de la
spéculation tout en la définissant. Il est évident que la volatilité n’est pas intrinsèquement liée au fait
de spéculer, mais elle peut en être à la fois une cause et une conséquence dans une évolution
dynamique comme cela sera développé en seconde partie. Néanmoins, les éléments intéressants qui
s’ajoutent aux précédentes définitions sont la notion d’influence psychologique, de monopole, de
volume des transactions, de virtualité et des rumeurs et fausses informations.
En somme, hormis ces derniers points, dans les autres définitions, la spéculation pouvait tout
autant se prêter aux opérateurs sur le court terme que ceux sur le long terme. En ajoutant cette
précision importante, il arrive à mieux cadrer le concept et le circonscrire dans un horizon temporel
clair et limité, le court terme. Les autres éléments évoqués telles les fausses rumeurs, le monopole et
les volumes fictifs sont effectivement des outils souvent utilisés par les spéculateurs qui influent sur les
cours de tel ou tel actif, mais qu’il serait délicat de généraliser sur l’ensemble des spéculateurs tout en
restant objectif. Pour autant, cette association d’éléments à connotation péjorative est-elle une
tendance marginale, exceptionnelle ?

g. Une connotation péjorative redondante

Le dictionnaire de la finance et l’assurance internationale revient sur ce constat en définissant


la spéculation comme un « terme utilisé dans certains cas avec une connotation péjorative et
s'applique à l'investissement en vue de gains à court terme ». L’aspect péjoratif est ici un élément de
plus par rapport à l’ensemble des définitions précédentes que nous avions au préalable relevé. Il
semble avoir toujours été associé au terme (Working, 1960, p2). Il est ici clairement exprimé et
consolide donc cette vision de glissement du sens générique vers le sens le plus commun.

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L’assimilation de la spéculation, par certains acteurs financiers, à une activité ayant de nombreux
bienfaits, est plutôt circonscrite à une sphère de financiers qui y voient une activité nécessaire
(Working, 1960, p2), et dont la perception n’est pas partagée dans le langage commun. Or, la langue a
pour objet principal de refléter la pensée commune, pensée qui s’oriente dans notre objet d’étude vers
une perception négative de cette activité. « Il suffit de lire les qualificatifs imprécis et souvent
métaphoriques dont on affuble la spéculation […] En voici quelques exemples : euphorie… spéculation
foncière démentielle… passion aveugle… orgies financières… frénésie… fièvres spéculatives… désir
obsessionnel de richesse… avidité… investisseurs grisés… aveuglés… sourds et aveugles… au royaume
des fous… crédibilité à bon compte… excès de confiance… excès de spéculation… excès d’échanges…
appétit enragé… folie… une folle ruée vers l’expansion… » (Kindleberger, 1978, p30).
Gageons que ce sens commun de la spéculation est en voie de consolidation. Une nouvelle
digression s’impose ici. Dans les sciences du langage, un certain nombre d’experts de la linguistique
confirment que c’est la pensée qui façonne le langage dans l’histoire, plus que l’inverse : « les
‘’linguistiques cognitives’’ sont apparues depuis les années 70. Elles désignent une famille de recherches
qui, bien que non unifiées, partagent un postulat commun sur les fondements du langage. Elles
soutiennent que le langage est sous la dépendance de processus cognitifs sous-jacents : schémas
perceptifs et images mentales. Pour dire vite, ce n'est pas le langage qui structure la pensée, c'est la
pensée qui façonne le langage » (Dortier, 2003). Ainsi, « pratiquement personne n’utilise le mot
spéculation pour décrire son sens « artificiel » à savoir l’activité économiquement nécessaire avec prise
de risque, alors que pratiquement tout le monde l’utilise un jour ou l’autre avec son sens le plus
commun » (Working, 1960, p2).
Cette analyse linguistique nous orientera inéluctablement à considérer la spéculation dite
‘’positive’’ ou ‘’utile’’ ou encore ‘’primaire’’ pour reprendre Woelfel (1993) et selon certains
économistes, comme étant de l’investissement ou du commerce, et à l’exclure du champ de définition
que nous adopterons pour le concept de spéculation. Des critères seront retenus dans notre
définition, et référentiel conceptuel, pour permettre de distinguer au mieux la spéculation de
l’investissement et du commerce. Notons que ces dissonances cognitives font que, bien souvent, le
terme est utilisé en référence à quelque chose qui n’est pas de la spéculation, ce qui alimente
davantage la controverse et l’incompréhension. Bien rarement le terme fut-il utilisé pour décrire le
sens économique classique du concept, à savoir une « prise de risque nécessaire » (Working, 1960, p2).

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h. Davantage de points communs avec les jeux de hasard

La question de la ressemblance entre la spéculation et les jeux de hasard a souvent fini devant
les tribunaux aux USA, tant les perdants voulaient éviter de rembourser leur courtier en prétendant
que ces dettes étaient assimilables à des jeux (Working, 1960, p3). Pour rappel, la définition
d’Alternatives économiques greffe un concept supplémentaire qui est le pari, vu que la notion
d’anticipation du futur se trouve déjà chez Kaldor. Le pari est une terminologie empruntée au domaine
des jeux de hasard dans le langage courant. Son utilisation par la revue Alternatives Economiques
n’est-elle pas excessive, voire idéologiquement positionnée ? La spéculation serait selon eux une sorte
d’anticipation justifiée, d’intuition perçue ou d’observation probable, permettant de parier sur une
évolution future du prix d’un actif financier, ou son dérivé, et en tirer des bénéfices à la revente. Bien
entendu, le pari peut être gagnant ou perdant.
Il apparaît de plus en plus évident que ces définitions sont plus ou moins exhaustives et qu’il est
difficile de prétendre qu’une définition couvre le concept de spéculation avec l’ensemble de ses
composantes contemporaines, qui ont évolué, et qui évolueront encore vu qu’il s’agit d’une activité
humaine et non d’une loi naturelle. Il est aussi délicat d’avancer qu’une unanimité au niveau de la
définition du concept est possible, tant certaines définitions s’opposent radicalement à d’autres sur tel
ou tel élément de définition. Cela est perceptible dans la définition du Dictionnary of banking and
investment terms : « Le terme spéculation implique que le risque lié à une affaire ou à un
investissement peut être mesuré et analysé, et sa distinction du terme investissement est le degré de
risque supporté. Cela diffère du jeu qui est basé sur des résultats aléatoires ». Cette dernière remet
clairement en cause le parallèle effectué par d’autres dictionnaires avec les jeux de hasard, même si
cette dénonciation n’est pas toujours partagée.
La difficulté résidera donc surtout dans la capacité à mettre en avant une définition structurée
du concept, à partir de critères précis, qui permette d’inclure ou d’exclure sans équivoque tel ou tel
outil de la spéculation une fois confronté à la définition détaillée. Dans une optique plus distinctive et
précise, Woelfel (1993) et de nombreux auteurs sépareront désormais entre deux types de
spéculations : la spéculation ‘’primaire’’ (liée aux affaires commerciales classiques, tels certains
investissement immobiliers) et la spéculation ‘’accessoire’’ (généralement associée aux
investissements purement financiers et boursiers). La seconde est notre objet d’étude principal.
Newbery (1987) considéra même que la définition la plus adéquate de la spéculation est « l’entrée
dans une transaction financière dans le but de se porter contrepartie dans une opération de « transfert
du risque » du type « couverture » (hedging) ou « assurance » » portant clairement le concept sur sa

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partie la plus poussée au niveau financier, c'est-à-dire l’échange pur de risques, bien loin même de
l’univers des affaires, et assez loin également de l’univers des actions. Cette définition, bien qu’étant
plutôt restrictive par rapport aux déterminants que nous retiendrons, a le mérite de souligner l’un des
aspects les plus controversés de la spéculation : le commerce du risque. Cet aspect, nous le verrons,
est loin d’être le seul. Pour autant n’a-t-il pas une implication des plus déterminantes dans ce
processus de quête d’éléments distinctifs ?

i. Une caractéristique macroéconomique intrinsèque : le jeu à somme nulle

D’aucuns considèrent actuellement que la spéculation s’avère être un jeu à somme nulle, une
caractéristique partagée avec les jeux de hasard, au niveau macroéconomique (Greenspan, 1999). La
caractéristique de jeu à somme nulle est en elle-même suffisante pour caractériser une opération
spéculative, quel que soit l’outil utilisé (Al Suwailem, 2006, p82), argument réfuté par Gamal (2001). En
pratique, c’est un jeu à somme nulle non productif avec un transfert de richesses entre les amateurs
et les experts et autres initiés, selon Al Suwailem. Ce transfert de richesses entre amateurs et experts
s’explique, entre autres, par l’asymétrie d’informations et la maitrise des outils de spéculation. Ce qui
commençait au niveau microéconomique par un jeu à somme nulle aboutit inéluctablement au niveau
macroéconomique à un jeu à somme négative, du fait des frais de transactions systématiques que
doivent supporter les acteurs et des effets néfastes sur l’économie réelle (Al Suwailem 2006, p46).
Inéluctablement, ces effets néfastes se traduisent par une réorientation du capital vers la
rémunération d’activités non productives mais plus rentables, et donc une allocation de moins en
moins optimale.
Suleiman (2005) conclut que les spéculateurs génèrent leurs profits personnels au détriment de
la société dans son ensemble. Le constat est que ce jeu à somme nulle a bien plus d’impact, sur la
population mondiale que les paris au tiercé ou au casino, circonscrits à une catégorie limitée de la
population. Cet impact est important notamment sur les échanges internationaux, les investissements,
les politiques monétaires, les taux d’intérêts ou encore les prix des biens de première nécessité 54. Ainsi,
les politiques sont aujourd’hui fixées à ce que va ‘’dire le marché’’ ou comment va ‘’réagir le marché’’ à
telle ou telle initiative politique et économique. Comment alors ce jeu à somme nulle peut-il perdurer,
vu qu’il n’est pas productif et que c’est plutôt l’inverse qui semble plus plausible ?
Stiglitz (2002, p198) conclut que c’est grâce à l’argent des sauvetages et subventions
gouvernementales que la spéculation se perpétue. Ces subventions peuvent aussi être indirectes. Cela
s’est matérialisé par exemple lors de la crise de 2008 par les ‘’renflouements’’ des institutions

54 http://www.islamic-finance.com/item2_f.htm (27/8/14)

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financières par les fonds provenant des budgets étatiques ou en 1998 par le ‘’sauvetage’’ du fond
LTCM55 de la faillite avec une injection de 3,5 Milliards de Dollars, fond pourtant piloté par les prix
Nobel de la finance Scholes et Merton (Khan, Muntaqa et Abdulsamad, 2008, p10), ce qui ne peut que
laisser perplexe... Ces fonds proviennent eux-mêmes des impôts prélevés sur la population. Les
institutions financières en difficulté avaient brandi la menace d’un effondrement général de
l’économie, vu qu’elles détiennent les bourses des petits épargnants entre leurs mains, à travers les
dépôts bancaires ou les pensions de retraite. C’est là une caractéristique des entreprises de la finance
dont ne peut se prévaloir aucun autre secteur économique s’il venait à chavirer. Il subirait sans aucun
doute la loi du canard boiteux d’Adam Smith.
Que ce soit dans les traces jurisprudentielles des siècles précédents (un juriste de Poitiers
affirmait qu’un pari est un contrat où les co-contractants décident que l’un va perdre et l’autre
gagner)56, ou dans les travaux de récents économistes sur la spéculation (Gonzalez affirmait que « vous
pouviez l’appeler comme vous voulez, dans mon livre il s’agit de jeux de hasard » (Steinherr, 2000)), les
fondamentaux du concept de spéculation sont relativement nombreux et sa ressemblance aux paris
bien relevée de manière récurrente dans de nombreux travaux. Nous percevons donc un
positionnement plus proche du sens que nous avons déjà qualifié de ‘’commun’’ de la spéculation, ou
encore de ‘’sens populaire’’, qui perçoit avec dédain le concept, systématiquement connoté
négativement avec une ressemblance aux jeux dans l’imaginaire populaire. C’est cette spéculation
que qualifierait Woelfel (1993) d’accessoire. Notons qu’en mentionnant la possibilité de gain
« potentiellement sans étude préalable », le dictionnary of business terms ancre un peu plus l’aspect
aléatoire et jeux de hasard qu’il explicitera juste après. L’avis d’un expert du marché des matières
premières, un négociant, illustre ce positionnement lorsqu’il affirme « si un négociant spécule, il ne
survivra pas. Car spéculer c’est faire des paris, et il y a un jour où il aura tort »57. Cet expert insiste sur le
caractère hautement aléatoire de l’activité spéculative, qui peut se traduire un jour ou l’autre par une
perte totale de l’investissement. Au final, la majorité des spéculateurs perdent (Ashley, 2009, p241), ce
qui conduit Ashley (financier de renom) à recommander d’opter pour la stratégie pile ou face, afin
d’avoir une probabilité de succès plus importante (Ashley, 2009, p262) !

55 LTCM : Long term capital management, Fond d’investissement important piloté par les prix Nobel Merton et Scholes et d’autres grands
noms de Wall Street. Il s’écroula quasiment lors de la crise de 1998 du fait de stratégies de trading basées sur l’arbitrage à haut risque.
Investopedia Dictionnary, Long-Term Capital Management – LTCM.
URL : http://www.investopedia.com/terms/l/longtermcapital.asp (19/02/2015)
56 Jorion Paul (2013), Conference: Speculation. Its causes, consequences, and history, Vrije Universiteit Brussel.

URL : https://www.youtube.com/watch?v=CiKBaT5e2BI (27/08/2014)


57 ARTE: https://www.youtube.com/watch?v=xmgRafdvr7w (14/09/14)

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Cette caractérisation tranchante de la spéculation est édifiante tant elle met de côté tout
argument éventuel qui s’essaierait à différencier la spéculation des jeux. Le prix Nobel de l’économie,
Maurice Allais (1993, p35), tout comme Keynes auparavant, explicite cette ressemblance en affirmant
que « le marché des dérivés est un casino où de gigantesques parties de poker sont jouées », proposant
de supprimer définitivement la possibilité de spéculer sur les prix de tout actif. Ce marché, oriente
aujourd’hui les prix des matières premières, les orientations stratégiques des entreprises et les
politiques économiques. Ce genre de comparaisons avec les jeux aurait été impertinent et
incompréhensible sans le passage en revue des composantes de la spéculation, une à une, tant le
concept semblait au départ polysémique et ambigu.
Le tableau récapitulatif, ci-après, présente les similitudes et divergences entre paris, spéculation
et investissement ou commerce réel, clarifiant les frontières, souvent floues et poreuses (Kamali, 1999,
p9). Notons que Keynes utilisait le terme ‘’entreprise’’ là où nous utilisons ‘’investissement et
commerce’’ pour désigner les actions non spéculatives et qui s’intéressent avant tout à la valeur
fondamentale58. Il résumait les oppositions entre entreprise et spéculation de la manière suivante, ce
que nous développerons et expliciterons un peu plus dans notre tableau :
Entreprise / Spéculation
Extraversion / Introversion
Nature / Marché
Immobilisation / Liquidité
Vrai / Factice
Tableau 2 : Points communs et divergences entre jeux de hasard, spéculation et investissement
Paris et Jeux Spéculation Investissement et commerce
Plus de perdants, risque excessif Plus de perdants, risque majeur Plus de gagnants, risque moyen
Le psychologique domine Le psychologique domine L’économique domine
Mauvaise image sociale Mauvaise image sociale Image sociale positive
Ego et adrénaline importants Ego et adrénaline importants Ego et adrénaline marginaux
Evénements soudains constants Evénements soudains récurrents Evénements soudains rares
Horizon dominant : Court-terme Horizon dominant : Court-terme Horizon dominant Moyen-terme
Pas de sous-jacent Sous-jacent indicateur factice Sous-jacent visé et négocié
Hasard / probabilités dominent Hasard / probabilités dominent Hasard / probabilités marginaux
Non productifs / Sans flux réels Non productive / Sans flux réels Productif / flux réels importants
Jeu à somme nulle Jeu à somme nulle Valeur ajoutée réelle
Source : L’auteur

58 Valeur fondamentale = Valeur actuelle du principal + Rendements futurs actualisés

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Les définitions sont donc diverses et variées tant le concept incorpore une part non négligeable
de subjectivité. Selon Working (1960, p2), les discussions d’économistes sur le concept aboutissent à
des formalisations qui égarent en pratique. Au premier abord du concept, le chercheur ne peut que se
perdre dans les dédales et les imbrications des différentes définitions. Cette étape a d’ailleurs
caractérisé pendant une longue période notre recherche. Aucune clarification n’a émergé, avant la
décision de structurer le concept. A cet effet, certaines définitions seront reprises ultérieurement
quand cela sera nécessaire pour clarifier certaines composantes du concept. Une définition globale
distinctive et plus exhaustive sera l’objectif principal des prochaines analyses qui passeront
nécessairement par un approfondissement du concept à travers l’inventaire de certaines théories y
afférentes. Cet inventaire fait partie du long processus de structuration, nécessaire à une
compréhension scientifique du concept. La revue des principales théories relatives à la spéculation, et
surtout qui l’appréhendent à travers des angles quasiment opposés, permettra maintenant d’avoir une
analyse plus poussée et structurée des composantes du phénomène.

1.2.2 Les postures théoriques traditionnelles et historiques de


référence
Cette section sera centrée sur la revue d’une littérature caractérisée par son aspect théorique.
A ce stade de la recherche, force est de constater qu’il est difficile de dégager une définition
consensuelle, ce qui est encore moins le cas si nous discutons de théories. A partir des années 1970,
l’analyse sur la spéculation se disperse. C’est l’âge d’or des développements de modèles économiques
de portée mathématique pure, notamment sur notre sujet. L’analyse de ces modèles est inabordable
pour la quasi-totalité des économistes. Elle demande un effort considérable pour tout chercheur qui
n’a pas une formation mathématique approfondie, avec une spécialisation en finance. La complexité
de ces modèles est telle, que leur discussion et leur analyse était uniquement l’apanage d’un cercle
très restreint d’économistes américains faisant partie d’une petite élite de professeurs ayant le
privilège de publier dans la célèbre revue Economica, entre autres. Nous avons jugé nécessaire de
prendre plusieurs mois d’analyse exclusive afin d’en comprendre certains tenants et aboutissants, et
éviter de passer à côté de certaines références incontournables de la spéculation.
La spéculation a longtemps été l’apanage du courant de pensée classique. Ce courant, qualifié
de traditionnel par Hirshleifer, domine encore la microéconomie. La théorie traditionnelle, résumée
par Hirshleifer (1973) dans son article cardinal sur la question « Speculation and Equilibrium :
Information, Risk and Markets » admet deux visions explicatives de la spéculation, qui seront les deux
premières que nous citerons. Ces théories, nous le verrons, s’opposent autant que les définitions, ce

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qui est systématique, dans la mesure où il s’agit ici d’analyser un phénomène socio-économique, qui
implique des angles de vues différents et des positionnements idéologiques variés.
De ces analyses, nous pouvons tirer plusieurs catégorisations. L’une des plus courantes identifie
trois acteurs majeurs dans le processus, différenciés par leur objectif : « les individus qui se portent sur
le marché à terme peuvent tenir trois rôles différents : la couverture, la spéculation et l'arbitrage »
(Kaldor, 1939, p8). De même pour la perception de ce qu’est la spéculation, qui n’est pas
communément partagée. Certains pensent que la spéculation c'est jouer sur les marchés futurs,
d'autres que c'est l'utilisation de l'information à son avantage, d'autres l'arbitrage... (Salant, 1974, p24).
La revue d’un grand nombre de ces modèles (Working 1949 et 1960, Friedman 1953 et 1960,
Tesler 1959, Cootner 1960 Salant 1974, Hirshleifer 1977, Harrison et Kreps 1978, Grossman et Stiglitz
1980, Tirole 1980 et 1985, Harrison et Stein 2003, Scheinkman et Xiong 2004, Roche 2008 et 2010…)
nous amène à faire le constat fondamental que les modèles proposés sont le plus souvent basés sur
des hypothèses : marché complet, interdiction de vente à découvert, existence de deux uniques biens
parfaitement substituables, rationalité des agents, investisseurs neutres au risque uniquement59,
information parfaitement disponible… Ces hypothèses sont en déphasage avec la réalité du marché,
bien que le développement mathématique soit tout à fait logique. Ces modèles sont très importants
lorsque le chercheur travaille sur l’isolation d’un nombre très limité de variables, afin de constater
leur effet, bien que tout modèle qui écarte l’influence d’autres variables ne saurait être qu’incomplet,
voire biaisé. Cette domination de l’économie par des logiques mathématiques complexes, basées sur
des hypothèses sans rapport avec la réalité, sans solution aux maux chroniques, a grandement
contribué à la crise existentielle que traverse de plus en plus notre discipline (détails en annexe B.11).
Pour revenir à la spéculation, rappelons que Kaldor distingue d’ailleurs déjà en 1939 trois
dimensions qui entrent en ligne de compte lorsqu’il faut analyser la spéculation :
o Les acteurs (3 catégories) ;
o Les objets de spéculation ;
o Les conditions (le contexte).
Cette distinction permet d’appréhender le phénomène de manière plus structurée et scientifique.
Notre analyse propose de détailler davantage les composantes du phénomène vu que sa complexité
s’est accrue avec le temps.

59Investisseur neutre au risque: Investisseur indifférent au placement tant que le ratio gain / risque est le même. Il n’aura pas de
préférence entre un investissement rapportant 50$ avec une probabilité de 1 ou un investissement rapportant 100$ avec une probabilité
de 50%. L’investisseur averse au risque, lui, préférera un placement peu rentable mais faiblement risqué à un placement très rentable
mais très risqué, malgré une égalité parfaite du ratio gain/risque. Dans notre exemple, il préfèrera le premier placement.

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- 69 -
Proposition de nomenclature d’analyse :
L’analyse des définitions nous a permis de comprendre dans quelle mesure il est possible de
séparer les points de discorde endogènes au marché, quand nous parlons de spéculation, des points de
discorde exogènes. C’est l’étude exhaustive des productions d’une trentaine d’économistes
spécialistes de la finance et de tendances plurielles, incontournables pour ce concept, qui a permis de
construire cette catégorisation. Cette dernière s’est esquissée à l’issue de l’analyse des théories. Pour
un enchainement plus intelligible et didactique, nous avons jugé nécessaire de l’utiliser a priori, tout au
long de la présentation des théories.
Les principales variables clés discutées par ces économistes au niveau des éléments endogènes
sont le risque lié à la transaction, l’intention de l’opérateur, la rationalité de l’opérateur et enfin les
modalités opératoires de son activité. Les variables exogènes analysées sont l’information et le
rapport qu’entretien l’opérateur à cette dernière, le contexte d’occurrence de l’activité de
spéculation, les outils d’analyse dominants sur le marché et enfin les impacts de l’activité au niveau
macroéconomique, en général. Dans un souci de clarté pour cette étape, au vu de la complexité que
nous avons rencontré dans le cadre de l’analyse de ce phénomène, nous utiliserons la catégorisation
pour chacune des postures théoriques identifiées et analysées, afin de discuter le point de vue de
chaque posture théorique par rapport à ces points :
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris ;
o Intentions des spéculateurs ;
o Rationalité des spéculateurs ;
o Modalités opératoires.
• Eléments exogènes
o Relation à l’information ;
o Outils d’analyse dominants ;
o Contexte d’occurrence ;
o Impacts sur le marché.
La classification se précisera davantage au niveau de notre quatrième partie, avec l’enquête empirique.

1.2.2.1 Théorie classique : Un socle historique de la théorie de la


spéculation
La théorie classique et la vision libérale de la spéculation ont dominé la littérature économique
jusqu’aux années 1930, années de la grande crise. Le schéma classique explicatif du phénomène
spéculatif ne se trouve néanmoins pas rassemblé dans un seul ouvrage, mais disséminé dans les écrits
des économistes classiques. C’est en réalité Friedman qui constitua un trait d’union entre les classiques

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et les écoles libérales modernes, tant ses propos de 1953 synthétisent cette vision classique avec une
volonté de projection sur les défis modernes de l’économie. Il s’attache à sacraliser les vertus du
marché et à justifier la spéculation pour ses effets positifs. C’est par choix que nous avons donc inclus
Friedman dans notre analyse relative à la vision classique de la spéculation, vu que tous ceux qui
suivront s’attacheront soit à dénoncer ses propos, soit à les étayer, mais aussi vu que la simplicité avec
laquelle il aborde le sujet s’inscrit davantage dans le courant classique. Par là même, il constitua un
point de rupture dans les théories de la spéculation, au même titre que Keynes et Hicks, Kaldor ou
encore Hirshleifer. Par quoi se caractérise donc la position classique sur les différents paramètres de la
spéculation ?
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque
Les spéculateurs sont exposés à un certain nombre de risques lorsqu’ils décident de spéculer. A
cet effet, les spéculateurs supportent les risques de pertes en priorité, s’il y en a (Friedman, 1960, p3).
Cette exposition est donc, selon la théorie traditionnelle, un choix en pleine conscience, rationnel et
éclairé qui plus est.
Le spéculateur est en outre une source de liquidité décisive au bon fonctionnement du marché
dans la mesure où il permet aux acteurs (opérateurs de l’économie réelle) souhaitant se couvrir, de le
faire, en leur offrant un positionnement inverse au leur et moins risqué, ce qui leur permettra de
mieux planifier et gérer leur cœur de métier et donc d’être plus efficaces d’un point de vue
économique (Friedman, 1960, p4).
o Intentions des spéculateurs
Clairement, la théorie traditionnelle reconnaît l’appât du gain comme étant un facteur décisif
dans le comportement du spéculateur. Selon Adam Smith, le spéculateur est toute personne qui
cherche des profits anormaux en apportant une innovation ou de nouvelles techniques (Oaidah, 2010,
p305-306). Historiquement, la seule justification prééminente que retient la théorie classique pour les
agents économiques est la recherche de profit. La posture de Friedman, avocat de cette vision, est au
demeurant relativement décomplexée tant il utilise de manière interchangeable le mot joueur et le
mot spéculateur, les deux souhaitant supporter une incertitude (Friedman, 1960, p4). Il se demande
d’ailleurs, toute considération morale mise à part, dans quelle mesure le marché boursier réduirait à
néant le marché du jeu si le premier devenait plus rentable. Selon lui, le marché remplace ici la roulette
de Monte Carlo, roulette qui disparaitra si elle est plus chère (Friedman, 1960, p3) ! Pour Friedman, la
spéculation est foncièrement un « jeu » à somme nulle (1960, p4).

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o Rationalité des spéculateurs
Selon cette théorie, dominante jusqu’au vingtième siècle, les spéculateurs sont des acteurs
totalement rationnels. Seuls ces derniers survivent dans le marché. Les spéculateurs, s’ils sont
rationnels et parfaitement informés, auront un effet stabilisant sur le marché (Artus, 1996, p3).
Stabilisant signifie ici moins de fréquence des transactions et une moins grande amplitude des
fluctuations des prix (volatilité / instabilité). Les acteurs irrationnels sont rapidement éliminés (Artus,
1996, p48). Les spéculateurs sont des opérateurs qui achètent quand les prix sont bas et revendent
lorsqu’ils sont hauts. Si une crise intervient, c’est qu’elle n’est de toutes manières que transitoire, et
qu’elle a forcément une explication exogène au marché (Orléan, 1988, p5).
o Modalités opératoires
Supposé parfaitement rationnel, le spéculateur optimise les ressources, et les transfère de la
moins urgente à la plus urgente (Friedman, 1960, p1). Il achète lorsque l'offre est surabondante (prix
bas) et vend quand elle est insuffisante (Friedman, 1960, p1). L’effet stabilisateur découlant d’un tel
comportement n’aurait donc pas à être prouvé, il est intrinsèque à l’hypothèse de rationalité. Les
économistes qui ont suivi, ont analysé l’affirmation de Friedman en comprenant par spéculation
l'arbitrage intertemporel dans un environnement certain, et par stabilité des prix la variance autour
du prix moyen (Salant, 1974, p2).
• Eléments exogènes
o Relation à l’information
Dans le cadre théorique classique, le premium (décote du prix anticipé, assurance) est une
contrepartie versée au spéculateur du fait de sa bonne connaissance du moment d'achat et de vente
(Friedman, 1960, p1), et de sa volonté à supporter un risque connu et maitrisé. C'est l'ignorance
évitable qui rend la spéculation déstabilisante (Friedman1960, p5). Le spéculateur est pour ainsi dire
un agent parfaitement informé qui utilise à bon escient son information. Cette utilisation s’appuie sur
un certain nombre d’outils d’analyse.
o Outils d’analyse dominants
Parmi les principaux outils d’analyse du spéculateur, Guth relève les prix passés et les
tendances (Guth, 1994). Ces dernières sont d’ailleurs un pilier de l’analyse chartiste. Le marché est vu
comme un marché dominé par des acteurs dont les actions sont rationnelles, et il en va de même pour
leurs anticipations.
Notons que dans les modèles d’anticipations rationnelles, les gens se comportent comme s'ils
maitrisent le bon modèle qui décrit l'économie, ce qui permet aux économistes de construire leurs

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modèles simples et élégants en théorie (annexe B.11), sans collecter d'informations sur le terrain. En
réalité, cette simplification est abusive, car les modèles (et les paramètres importants) de chaque
individu sont différents de ceux des économistes (Schiller, 1990, p2).
o Contexte d’occurrence
Vu que les prix varient selon la saison (Friedman, 1960, p2), il est tout à fait normal de voir se
positionner sur le marché des opérateurs qui tireront profit de cette saisonnalité à travers des
opérations spéculatives. Le spéculateur intervient généralement dans un cadre monétaire neutre
selon cette théorie (Kaldor, 1939, p39) dans la mesure où la monnaie n’est au final qu’un voile du point
de vue néoclassique et surtout monétariste. Autrement, les conclusions ne seraient peut-être pas tout
à fait les mêmes.
Le gouvernement n'a pas à agir, et s'il avait à le faire, le modèle montre qu'il devrait s'atteler à
distribuer l'information (Friedman, 1960, p3). En effet, dans ce modèle, l’un des piliers du bon
fonctionnement est la présence de ce ‘’commissaire-priseur’’ qui distribue l’information à bon escient,
ce qui permet d’éviter l’information imparfaite, déstabilisante par définition.
o Impacts sur le marché
Les conséquences de la spéculation sont bénéfiques et nombreuses selon cette posture. Depuis
John Stuart Mill, les vertus de la spéculation sont mises en valeur, notamment sa participation à la
stabilité (en réduisant la volatilité), et cette opinion est prévalente (Working, 1949, p1). A ce titre, le
spéculateur permettrait de réduire les coûts de transaction dans la mesure où son action réduit le
‘’bid/ask spread’’ (écart entre le meilleur prix de vente et la meilleure offre d’achat) selon Kaldor (1939,
p40). Sa présence entre ces deux améliore donc le marché et lui permet surtout de se stabiliser. En
réduisant le bid/ask spread, il réduit la volatilité des cours des actifs, et donc l’instabilité sur le marché
(Kaldor, 1939, p37). En effet, « la théorie traditionnelle de la spéculation considère que la fonction
économique de la spéculation est d’atténuer les fluctuations des prix dues à des changements dans
l’offre et la demande » (Kaldor, 1939, p3).
Cette posture est reprise en force par Friedman (1953), surtout lorsqu’il essaie de démontrer
que les spéculateurs déstabilisateurs, qui éloignent les prix des fondamentaux (les noise traders), sont
rapidement éliminés (Bradford et al, 1990). D’une certaine manière, « les personnes qui soutiennent
que la spéculation peut être déstabilisante ne réalisent pas vraiment que cela équivaut à dire que les
spéculateurs perdent de l’argent vu que la spéculation ne peut être déstabilisante que si les
spéculateurs achètent quand les prix sont hauts et vendent lorsqu’ils sont bas ». (Friedman 1953, cite
par Salant, 1974, p2). Au final, si les spéculateurs gagnent, elle est stabilisante à travers une diminution
de la volatilité, si les spéculateurs perdent, elle est déstabilisante, mais les perdants sont vite écartés,
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ce qui ramène à la stabilité (Friedman, 1960, p2). Elle n'a d’ailleurs pas d'impact sur les quantités ni sur
le prix d'équilibre (Friedman, 1960, p2). Nous verrons que ce cheminement est loin d’être aussi simple
et limpide.
Cette efficacité se constate globalement au niveau du marché par le fait que le spéculateur et la
liquidité qu’il apporte permettent de réduire la destruction de valeur que provoquerait l’illiquidité, du
fait du discount important que devrait consentir un opérateur qui souhaiterait écouler rapidement ses
actifs. Ce sont indirectement aussi les coûts de transaction qui sont réduits, ce qui contribue à fluidifier
davantage le marché. Pourtant, la succession de crises est venue questionner cette théorie. Le laissez-
faire vis-à-vis des spéculateurs a-t-il eu l’effet escompté ? L’origine des crises spéculatives est-elle
essentiellement exogène ? L’information circule-t-elle de manière aussi fluide, égalitaire et efficace que
dans les modèles ? D’autres paramètres ne sont-ils pas à prendre en considération à l’approche de ce
phénomène complexe ? Dans un contexte où la majorité des spéculateurs perdent, la théorie tient-elle
toujours ? La spéculation a-t-elle systématiquement un impact stabilisateur ?
La littérature a en réalité aussi évoqué d’autres cas où la spéculation aurait un effet
déstabilisant en accroissant la volatilité, à savoir ceux où les spéculateurs sont irrationnels, et ceux où
apparaissent des bulles spéculatives, entre autres, mais cela restait un point de vue considéré comme
marginal dans les théories traditionnelles classiques (Kaldor, 1939, p3). C’est avec Hicks et Keynes que
les remises en cause commencent à émerger, à travers une vision alternative du cheminement du
processus spéculatif. Nous tenterons de présenter ces visions en évitant les positionnements
idéologiques qui ne sont pas du ressort du chercheur dans le cadre de son travail scientifique.

1.2.2.2 Théorie keynésienne ou modèle Keynes-Hicks : Une référence


Keynes, dans son traité sur la monnaie, préalable à la théorie générale, partageait un nombre
non négligeable de points de vue avec la théorie traditionnelle classique, position qui a disparu de sa
théorie générale. Parmi ces points de vue, la théorie de la spéculation. Keynes rejoignait la théorie
traditionnelle en ce sens qu’il expliquait le phénomène de la spéculation par la nécessité de
couverture, dans un cadre qualifié de théorie de la couverture du risque (risk hedging), première des
trois grandes classes de théories identifiées par Artus (1996). Nous nous proposons d’étayer ici
essentiellement son point de vue issu de la Théorie Générale, tout en donnant quelques rappels de ses
positions initiales issues de son traité de la monnaie, lorsque c’est utile.
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris

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Cette théorie définit l’activité de spéculation comme la conséquence de comportements
différents des opérateurs face au risque (Orléan, 1988, p5). C’est le degré d’aversion au risque qui
impacte la spéculation (plus que les anticipations hétérogènes), le spéculateur étant un agent peu
averse au risque (Salant, 1976, p2 et Tirole, 1982, p2). Dans la catégorie des hedgers, l’objectif
essentiel, du point de vue de l’acteur de l’économie réelle, est de se prémunir contre une perte de
capital, une spéculation qualifiée de « défensive » par Artus (1996, p3). Il convient de préciser qu’en
référence à nos premières définitions, le terme spéculateur est plus approprié pour qualifier celui qui
accepte d’acheter le risque titrisé et non celui qui s’en sépare contre une assurance, et qui a par
définition un profil défensif, non spéculateur selon cette théorie.
Ce cadre théorique (Keynes-Hicks) semble alors justifier la spéculation, ou du moins son
existence, par des motifs de couverture, de transfert du risque (Hirshleifer, 1973, p3). Ce besoin de
couverture crée en face une opportunité pour des acteurs qui accepteront de s’aventurer en spéculant
sur ce risque titrisé dans l’espoir qu’il prenne de la valeur (cela nous renvoie à une théorie d’Al
Suwailem, que nous aborderons plus tard, avançant que la négociation du risque implique que la
création de valeur pour les spéculateurs signifie l’accroissement des risques au sein d’un marché). Dans
ses deux postures, Keynes estime que le spéculateur est un agent qui aime le risque (risk lover si l’on
se positionne dans le cadre des 3 possibilités de la théorie du risque : risk lover, neutral ou averse)
(Guth, 1994).
o Intentions des spéculateurs
Les spéculateurs, offensifs si l’on retient la terminologie d’Artus, iront chercher la perspective
de profit dans la réalisation de leurs prédictions de variation du prix de l’objet de la spéculation, en
acceptant le degré de risque inhérent à leur activité, dans la perspective de réaliser un gain aléatoire.
Pour Keynes, la spéculation entrait d’abord dans le cadre de la première théorie, à savoir celle
de la couverture du risque. Nous retrouvons ce positionnement dans le traité de la monnaie (Orléan,
1988, p6). Il nous paraît fort utile de souligner que ce positionnement a muté dans la Théorie générale,
pour laisser place à une conception bien plus globale du phénomène. La spéculation n’est désormais
plus vue comme liant deux groupes d’individus bien identifiables dans un cadre statique. Désormais,
sa théorie « analyse le processus au travers duquel le développement de la liquidité détruit la logique
d'entreprise » (Orléan, 1988, p6). Les haussiers et baissiers sont en lutte continue et peuvent passer
dynamiquement d’une posture à l’autre (Boyer, 1987, p40), contrairement à la vision précédemment
soutenue présentant les spéculateurs face à des agents averses au risque (et qui le restent en général).
Les agents économiques dans leur ensemble n’ont plus le même comportement face au risque, dans
cette nouvelle posture théorique de Keynes.
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Dans sa théorie générale, Keynes définit la spéculation comme étant « l’activité consistant à
prévoir l’évolution psychologique du marché ». Notons qu’il donne dorénavant la priorité à
l’anticipation psychologique et n’évoque pas l’évolution des fondamentaux. Pour Keynes, « il (le
spéculateur) lui sera tout à fait suffisant de prévoir correctement la capacité d’anticipation des autres
spéculateurs, plutôt que l’évolution future des facteurs non spéculatifs sous-jacents au marché »
(Kaldor, 1939, p4). Les prix évolueront de pair avec ce que pense la majorité, et non ce que pense celui
qui a raison. Keynes (1936, pp. 154–155) appuyait cet élément, expliquant que la spéculation
consistait à « jouer au plus doué » avec pour objectif de dépasser la foule, sortir du lot et avoir une
« longueur d’avance sur le public », sans avoir comme principale préoccupation les fondamentaux
économiques des actifs.

De ce fait, il est tout à fait rationnel que les opérateurs cherchent à agir dans un cadre virtuel
qui permettrait des mouvements rapides sur les positions, vu que ce qui compte le plus est le
sentiment du marché et non les fondamentaux économiques. Or, ces derniers varient bien plus
lentement que les humeurs du marché. A cet effet, « J.M. Keynes oppose-t-il le sérieux de l'entreprise
au caractère ludique et quelque peu irresponsable de la spéculation […] La spéculation est qualifiée de
‘’passe-temps’’ (p169 de la théorie générale), la Bourse est comparée à un ‘’casino’’ (p171) ou à ‘’une
partie de chemin de fer’’ » (Orléan, 1988, p4). Gilbert Cooke (1969, p391) prétendait même qu’on « ne
trouvera pas de différences entre les paris et la spéculation ». Cette nouvelle posture théorique
keynésienne inspirera plus tard un certain nombre de néokeynésiens.

o Rationalité des spéculateurs


Dans la vision keynésienne, les spéculateurs vont opérer dans une logique de court terme.
Keynes confirmait cela en avançant que les spéculateurs ne se préoccupaient nullement des
rendements à long terme de leur investissement, mais surveillaient uniquement la valorisation de
l’actif à court terme (Keynes, 1936, p 154-155). Il postule que « les marchés peuvent demeurer
irrationnels bien plus longtemps que vous et moi pouvons demeurer solvables ». (Casey, 2013, p12).
Lorsque ce processus est bien entamé, et que la logique spéculative domine, les évaluations des
entreprises s’éloigneront de plus en plus de leur valeur fondamentale. En fait, les valorisations (prix)
des actifs ne reflètent plus que l’état psychologique à court terme des participants, en lieu et place
des revenus et de la valeur fondamentale (Boyer, 1987, p49). La coupure entre l’activité économique
réelle et les prix de cotation est radicale.
Du point de vue de l’acteur lui-même, la spéculation non fondamentale (c'est-à-dire sur la
psychologie des acteurs et non la valeur) devient l’attitude la plus rationnelle (Orléan, 1988, p10) vu

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que, contrairement à l’évaluation fondamentale à long terme, la spéculation tient compte surtout des
variations au jour le jour. Dans la vision keynésienne de la théorie générale, les investisseurs
professionnels se préoccupent, non pas de la valeur véritable d’un investissement pour un investisseur
qui l’acquiert afin de le mettre en portefeuille, mais de la valeur que le marché, sous l’influence de la
psychologie de masse, lui attribuera trois mois ou un an plus tard. Cette attitude ne résulte pas d’une
aberration systématique (Orléan, 1988, p10) étant donné que les prix reflètent l’état psychologique à
court-terme, ce qui nous renvoie à la rationalité telle qu’exposée dans la nouvelle posture de Keynes.
Si tout le monde est baissier, mais que le fondamental est solide, il est plus rationnel d’être baissier.
Un mécanisme qui rappelle certains aspects fonctionnels de la démocratie moderne, magistralement
illustrés de manière anachronique par Pascal « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait
que ce qui est fort fût juste »60, l’opinion la plus forte finissant par prévaloir, dût-elle le faire au
détriment de la plus juste.
En somme, « la spéculation fait ainsi entrer le marché dans une logique autocentrée,
autoréférentielle » (Orléan, 1988, p7). La logique autocentrée, ou réflexive pour reprendre Soros,
l’emporte. La rationalité passe de l’absolu au contingent. Le référentiel est alors en perpétuel
mouvement, contingent. Comment alors le spéculateur opère-t-il de manière optimale, dans un cadre
si flou ?
o Modalités opératoires
Pour ce qui est de la nouvelle conception de Keynes, dans la Théorie générale il résume le
comportement du spéculateur cette fois-ci de la manière suivante : un investisseur haussier au regard
de son évaluation fondamentaliste devient baissier en raison de sa perception de l’opinion
majoritaire du marché (Orléan, 2004, p19). Le procédé change donc de manière sensible.
• Eléments exogènes
o Relation à l’information
Dans la vision initiale de Keynes et Hicks, les spéculateurs ne sont pas caractérisés par une
information ou une anticipation spéciale, mais simplement leur disposition à supporter du risque
(Hirshleifer 1973, p3).
Ce n’est plus le cas dans la théorie générale qui incorpore clairement l’asymétrie d’information.
Sans cette asymétrie, pourtant contradictoire avec l’un des cinq piliers du fonctionnement sain des
marchés, en l’occurrence la transparence de l’information, le spéculateur ne peut être bénéficiaire de
manière durable. En fait, « l'objet inavoué des placements les plus éclairés est à l'heure actuelle de

60 http://www.penseesdepascal.fr/Raisons/Raisons20-approfondir.php (08/03/2017)

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"voler le départ", comme disent si bien les Américains, de piper le public, et de refiler la demi-couronne
fausse ou décriée » (Keynes, 1936, p167-168). Entre le délit d’initié et l’arrivée de l’information au
grand public, le positionnement du spéculateur se fait de manière rapide et lui permet de se
positionner en avance dans les mouvements soudains du marché. Ce sentiment d’impatience et son
application pratique au niveau de la spéculation fit dire à Keynes, après ses années d’expérience en
bourse, que seuls les investissements à long terme sont sérieux et rentables (Ashley, 2009, p41). Mais
par quels moyens ce spéculateur parvient-il à sortir de la foule et à anticiper de manière plus précise et
rapide les mouvements du marché ?
o Outils d’analyse
L’exemple de Keynes sur le concours de beauté vient illustrer cette idée. Dans cet exemple
Keynes compare l’évaluation que l’opérateur fait de la valeur d’un actif à un concours de beauté
organisé par un journal. Le candidat qui aura un prix sera celui qui sélectionnera les 6 visages les plus
sélectionnés (et non ceux qu’il trouve lui-même les plus jolis, ou plus jolis par rapport à des critères
objectifs déjà établis). Notre candidat se retrouvera donc à essayer d’anticiper ce que les autres eux-
mêmes essayeront à leur tour d’anticiper, et la réflexivité ici n’a pas de fin. Ce processus est qualifié de
« spéculaire » (Orléan, 1988, p10). Les bulles spéculatives sont donc, contrairement à la théorie
traditionnelle/libérale, un résultat découlant de comportements rationnels des acteurs, au vu des
données.
Ce qui diverge, ce sont les cibles des anticipations des acteurs, qui leur servent de support à la
prise de décision. Ayant des analyses divergentes et donc des anticipations différentes (Boyer, 1987,
p34), les spéculateurs procéderont à des placements différents. Ces anticipations, et donc leurs
analyses, s’inscrivent dans une logique autocentrée, autoréférentielle (Orléan, 1988, p7). A partir de
ces analyses, des tendances de prix sont établies. Les prix futurs sont alors une estimation biaisée des
prix anticipés (Cootner, 1960, p1). La limite à ce mode d’analyse est qu’entre autres, les prix passés
n’ont dans l’absolu que peu d’impact sur les prix futurs. La logique autocentrée et ses outils d’analyse
amplifient ce biais.
o Contexte d’occurrence
Le contexte général du marché passe de la logique d’entreprise, c'est-à-dire une logique non
spéculative où la recherche du profit s’appuie sur des activités réelles générant un dividende, à une
logique de spéculation, où la recherche de profit s’appuie essentiellement sur une perspective de gain
à court terme découlant de gain en capital lié aux transactions financières. C’est dans cette évolution
contextuelle que s’opère la spéculation. Par ailleurs, le droit de revendre favorise le comportement
spéculatif selon Kaldor et Keynes (Tirole, 1982, p2).
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o Impacts sur le marché
Leurs paris opposés n’apporteront généralement pas de liquidité au marché, seulement de la
liquidité entre parieurs selon la théorie des désaccords. Cette liquidité serait transférée d’un groupe
de spéculateurs (perdants) à un autre (gagnants). « De toutes les maximes de la finance orthodoxe, il
n'en est aucune, à coup sûr, de plus antisociale que le fétichisme de la liquidité, cette doctrine selon
laquelle ce serait une vertu positive pour les institutions de placement de concentrer leurs ressources
sur un portefeuille de valeurs ‘’liquides’’. Une telle doctrine néglige le fait que pour la communauté
dans son ensemble il n'y a rien qui corresponde à la liquidité du placement » (Keynes, 1936).
L’extrapolation du comportement individuel spéculatif sur le plan macroéconomique montre
aussi selon Keynes (1936, p169) que les stratégies les plus lucratives ne sont pas forcément celles qui
ont le meilleur impact social. Le marché convergera (de manière aléatoire, expression qui revient chez
Ashley, 2009) vers un point d’autoréalisation des opinions, qui n’est pas l’équilibre connu dans la
théorie traditionnelle (Orléan, 2004, p20). L’impact social sera loin d’être le plus optimal possible
(Boyer, 1987, p50). Nous pouvons relever dans la théorie générale que « l’expérience n’indique pas
clairement que la politique de placement qui est socialement avantageuse coïncide avec celle qui
rapporte le plus » (Orléan, 1988, p12). A partir de là, il y aura un éloignement de la valeur
fondamentale de l'actif à mesure que la spéculation domine, formalisant un certain découplage entre
l’activité économique réelle et la sphère financière (Orléan, 2004, p27).
A titre curatif, Keynes voit dans la réduction de la liquidité des titres (fréquence des
transactions ?) un moyen de limiter la désagrégation des comportements d’entreprise, face aux
comportements purement spéculatifs. Cette réduction de liquidité passerait, entre autres moyens, par
une ‘’lourde taxe’’ imposée par l’Etat sur ce genre de transactions, idée ultérieurement reprise par
James Tobin.

1.2.2.3 Théorie de Kaldor : Une transition nécessaire vers la complexité


Depuis Kaldor, les économistes savent encore mieux définir le concept de spéculation. Sa
définition de 1939 est, depuis, une convention.
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris
« Les spéculateurs n'ont en général aucun engagement autre que ceux qu'ils prennent en
rapport avec des transactions à terme ; ils assument des risques en entrant sur le marché » (Kaldor,
1939, p8). Le risque est, dans le cas des spéculateurs, uniquement lié à l’activité de spéculation, et pas
à une autre activité économique. Il est donc naturellement plus important.
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o Intentions des spéculateurs
Au niveau des acteurs, Kaldor distingue entre les spéculateurs purs (n’ayant aucun
engagement non spéculatif comme des stocks ou un investissement productif, à part celui pris sur le
marché financier), les arbitragistes (ayant un engagement non spéculatif mais dont l’activité
spéculative n’est pas en lien direct avec l’actif ni sa couverture) et les arbitragistes en couverture
(hedgers ayant déjà au préalable des engagements économiques non spéculatifs). Ces trois catégories
sont impliquées dans l’activité de spéculation. Concrètement, « les arbitragistes en couverture sont
ceux qui ont certains engagements indépendamment de toute transaction sur le marché à terme, ou
bien parce qu'ils détiennent des stocks de la marchandise, ou bien parce qu'ils sont tenus de la produire,
ou bien parce qu'ils sont tenus de produire à l'avenir quelque autre bien pour lequel la marchandise en
question sert de matière première ; ils se portent sur le marché à terme pour réduire les risques
inhérents à ces engagements » (Kaldor, 1939, p8). Il devient évident qu’une condition nécessaire pour
être classé hedger et non spéculateur, pour un négociateur de dérivés, est d’avoir, derrière, un
engagement immédiat ou futur sur une transaction impliquant un sous-jacent réel et qui expose à un
certain risque.
La spéculation est motivée selon Kaldor par l’anticipation de faire un gain, à court terme, sur
une variation du capital et non l’utilisation de l’actif sous-jacent (Kaldor, 1939, p43). Enfin,
« précisément parce que les fluctuations de prix de courte période sont fortes, les investisseurs seront
portés à concentrer leur attention sur les anticipations de courte période relatives à la valeur du capital,
plutôt que sur les perspectives à long terme de l'entreprise », en l’occurrence les dividendes. Nous
percevons dans cette posture, tirée d’ailleurs de sa définition, l’insistance sur l’absence d’impact
économique physique tangible de la transaction spéculative. L’objectif principal des spéculateurs, dans
la droite ligne de la définition Kaldorienne, est le gain en capital résultant de la transaction, et non la
révision du portefeuille (arbitrage), selon Hirshleifer (Guth, 1994). Les arbitrageurs réviseurs ne sont
donc pas considérés ici comme des spéculateurs. Tout cela relève-t-il donc d’un appât du gain fondé
sur l’aléatoire, le mimétisme, ou sur une rationalité maitrisée ?
o Rationalité des spéculateurs
Pour Kaldor, « les pertes d’une population flottante de spéculateurs malheureux suffiront à
maintenir de façon permanente un petit groupe de spéculateurs qui réussissent ; et l’existence de ce
groupe de spéculateurs qui réussissent représentera une attraction suffisante pour assurer le
renouvellement permanent de cette population flottante » (Kaldor, 1939, p4), autant dire un cercle
vicieux dont les voies demeureraient impénétrables, et dont la seule issue serait l’épuisement de ce

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stock de spéculateurs malheureux. Il admet au passage la possibilité que certains spéculateurs soient
irrationnels, se démarquant de la posture libérale dominante jusqu’alors (Kaldor, 1939, p40).
Aussi, les divergences d’interprétation étant naturelles et avérées, les choix des acteurs seront
éventuellement opposés en pratique. « Si aux haussiers s'opposent les baissiers, les effets de la
spéculation sur la stabilité ne peuvent être que plus incertains et potentiellement dévastateurs. Cet
aspect, fortement souligné par J.M. Keynes, et à sa suite, par N. Kaldor, a finalement peu été analysé
par les recherches contemporaines. Sans doute parce que l'hypothèse de rationalité des anticipations, a
priori si séduisante car conforme aux canons de la théorie traditionnelle, a conduit à des résultats
finalement beaucoup plus complexes qu'attendus » (R. Boyer, P, Petit, G. Schmeder, H. Schrameck,
1987). Ces acteurs pouvant dévier de la rectitude de la rationalité, et donc de l’homogénéité de
l’interprétation, vont-ils s’orienter vers le même canevas d’outils pour leur spéculation ?
o Modalités opératoires
A la base, « tous les biens ne sont pas susceptibles d’être les supports d’une spéculation »
(Kaldor, 1939, p5). Jusqu’au 19ème siècle, les produits financiers étant assez restreints, les supports de
la spéculation l’étaient également, et cette assertion de Kaldor avait une certaine valeur. Avec
l’avènement des dérivés, la spéculation allait s’étendre à tous les biens, vu que l’on pouvait créer un
contrat sur à peu près n’importe quel élément présentant un avenir financier incertain. A noter que
Kaldor discute globalement de la spéculation sur les biens physiques (stockables) aussi bien que sur
les produits financiers (actions et obligations), en admettant que la spéculation sur ces derniers soit
structurellement plus accessible (Kaldor, 1939, p43). Le meilleur exemple qu’il retient est celui des
actions et des obligations, dont les coûts de conservation ne sont pas positifs, contrairement aux
matières premières. C’est une posture à rapporter à l’époque durant laquelle elle a été formalisée,
dans la mesure où la dématérialisation actuelle relativise ses propos concernant les matières premières,
peu propices selon lui à la spéculation. Les outils étant donc de plus en plus divers, comment savoir
vers lequel s’orienter ?
• Eléments exogènes
o Relation à l’information
« Non-seulement il n’est pas un seul spéculateur qui, sans toujours s’en rendre un compte exact,
n’ait une opinion plus au moins nette au sujet des probabilités qu’il accorde à tel ou tel événement,
mais il n’en n’est peut-être pas deux sur mille qui aient une même opinion sur l’ensemble des causes et
de leurs effets » (Regnault 1863, p20). C’est donc non seulement une asymétrie de l’information qui

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distingue le spéculateur des autres, mais aussi une divergence d’interprétation quant à l’information
reçue, qui diffère souvent entre les opérateurs.
Cette idée datant du 19ème siècle, n’est véritablement appuyée qu’au vingtième par un certain
Kaldor. « Les anticipations des différents individus qui forment le marché ne sont pas uniformes »
(Kaldor, 1939, p12). Chacun y va de son propre chemin. S’il y a un point sur lequel les spéculateurs sont
d’accord en somme, c’est sur leur désaccord ! Et de ces divergences nait une partie non négligeable
de la volatilité, de sorte que « Si les spéculateurs se réunissaient de façon à former un monopole, ces
mouvements de prix n'auraient tout simplement pas lieu ». Kaldor propose ici une explication qui
implique une certaine dynamique endogène de l’activité spéculative (Kaldor, 1939, p44). Cette
intuition d’endogénéité est évoquée par Keynes avant lui et par Orléan (logique autocentrée) ou
encore Soros (réflexivité) bien plus tard.
o Outils d’analyse
Plus loin, Kaldor distingue les achats spéculatifs du reste par le fait que les premiers n’auraient
pas eu lieu en l’absence d’anticipation d’un changement de prix. Selon Kaldor (1939, p4), « si la part
des transactions spéculatives dans l’ensemble est grande, il peut même être plus avantageux, pour le
spéculateur individuel de s’attacher à prévoir la psychologie des autres spéculateurs plutôt que les
tendances des éléments non-spéculatifs ». Nous sommes ici purement dans une logique
autoréférentielle, essentiellement endogène. Cette logique se manifeste-t-elle dans n’importe quel
contexte de marché ?
o Contexte d’occurrence
La spéculation est une activité qui n’évolue pas dans n’importe quel contexte. Elle est « d’abord
et avant tout un engagement à court-terme » (Kaldor, 1939, p7). La volatilité en est aussi un facteur
propice (Kaldor, 1939, p43). Cette dernière est remarquablement amplifiée par la présence de
spéculateurs. Le lien entre la volatilité et les spéculateurs est alors une sorte de cercle vicieux
dynamique de cause-conséquence qui s’alimente de manière endogène. A titre indicatif, Kaldor
évoque une « bonne récolte qui en l'absence de spéculation aurait provoqué une réduction du prix de
10 %, entraînera une baisse de prix à la fois moins violente et moins ample, si elle a été correctement
anticipée par les spéculateurs. Mais si ceux-ci prévoient que le prix baissera de 50 %, à la suite de la
récolte attendue, l'oscillation du prix qui en résultera sera bien plus grande que s'ils s'étaient abstenus
de toute anticipation. Il se peut aussi que les spéculateurs anticipent qu'un événement particulier influe
favorablement ou non, sur un prix particulier, bien qu'en l'absence de l'anticipation aucun effet ne se
serait produit » (Kaldor, 1939, p16).

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Tous les biens ne peuvent être objet de spéculation. Cette activité est surtout prospère dans
un cadre facilitant les transactions, avec un faible coût de transaction / conservation. Le marché dans
lequel la spéculation pourrait prospérer devrait être parfait ou semi-parfait en termes d’information.
Pour qu’un bien soit objet de spéculation, il doit remplir 4 conditions favorisant la spéculation :
o Qu’il soit normalisé, standardisé (marché parfait) ;
o Qu’il corresponde à une large demande (marché parfait) ;
o Qu’il soit durable (faible coût de conservation) ;
o Que sa valeur rapportée à son volume soit importante (faible coût de
conservation).
Notons que, là encore, les deux dernières conditions ne sont plus nécessaires pour les marchés
électroniques, généralement prévalant dans les pays industrialisés.
o Impacts sur le marché
En ce qui concerne son impact, la spéculation est considérée dans une double perspective par
Kaldor. Elle serait stabilisatrice si elle est dans un marché peu volatile (eA<1 ; lorsque l’élasticité des
anticipations des spéculateurs est inférieure à 1). Cet effet stabilisateur est conditionné par
l’hypothèse que la demande spéculative reste minime par rapport à la demande totale (Kaldor, 1939,
p4). Selon lui, si « cette condition n’est pas remplie, tout l’argument tombe ». Kaldor (1939, p15)
tempère néanmoins la portée positive éventuelle de la spéculation : « Nous avons vu que l'argument
selon lequel la spéculation, pour être couronnée de succès, doit obligatoirement exercer son influence
dans le sens de la stabilisation des prix, ne tient que dans l'hypothèse où les achats (ou les ventes)
spéculatifs ne représentent qu'une petite fraction des transactions totales ».
Elle serait alors déstabilisante dans un marché plus volatile, et cet effet est confirmé si sa part
dans les transactions prenait de l’importance. Il en découle que « précisément parce que les
fluctuations de prix de courte période sont fortes, les investisseurs seront portés à concentrer leur
attention sur les anticipations de courte période relatives à la valeur du capital, plutôt que sur les
perspectives à long terme de l'entreprise ; les mobiles spéculatifs sont indissociables des autres
mobiles et il n'est plus possible de distinguer entre les demandes spéculatives et non spéculatives. C'est
dans ces conditions que l'influence déstabilisatrice de la spéculation l'emportera sur une gamme
étendue d'oscillations de prix. » (Kaldor, 1939, p26). A ce niveau, peu de conséquences positives sont à
attendre de la spéculation : « Dans ces conditions, même si la spéculation dans son ensemble
s’accompagne d’une perte nette plutôt que d’un gain net, elle ne produira pas d’effet correcteur, même
sur le long terme » (Kaldor, 1939, p4). Dans le cas où elle est dominante, la spéculation entre dans une
dynamique endogène au système qui fait que ce sont les mouvements des spéculateurs qui
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impactent le plus les prix (Kaldor, 1939, p44), et donc qui doivent être étudiés et anticipés, et non pas
les données classiques exogènes (qu’il appelle facteurs non spéculatifs) qui déterminent les prix
d’habitude (rendements des actifs, informations nouvelles sur l’actif, pénurie, politique…). La
dynamique se perpétue, bien qu’étant un jeu à somme nulle (Kaldor, 1939, p44), tant que les gains
d’une minorité de spéculateurs attirent suffisamment d’entrants. Cet attrait est assez fort et constant
en pratique.
D’un point de vue macroéconomique, au-delà de l’instabilité intrinsèque qu’elle engendre,
Kaldor concluait que l’objectif de plein-emploi est par essence incompatible lorsque la spéculation est
importante dans les marchés. Et quand bien même elle aurait une influence stabilisatrice sur les prix (si
minoritaire dans les échanges), cela s’accompagne d’un effet déstabilisateur sur l’activité (Kaldor,
1939, p44). Cette distinction est assez spécifique à Kaldor et peu évoquée même par les économistes
qui lui succèdent qui partent généralement du principe que la stabilisation se fait tant sur les prix que
sur l’activité.

1.2.3 Les postures théoriques contemporaines


Dans la droite ligne des textes fondateurs de Friedman, un certain nombre de théoriciens de
l’économie se sont attelés à apporter les démonstrations mathématiques des constats (qui restaient de
l’ordre du vague et du général) de Friedman. D’autres ont essayé d’étayer les conclusions de Friedman
tout en réfutant les courants néokeynésiens émergents. En quoi ces théories apportent-elles du
nouveau par rapport aux théories classiques fondatrices, ou encore par rapport aux synthèses de
Friedman ?

1.2.3.1 Théorie néolibérale de l’arbitrage de l’information


• Eléments endogènes
Cette théorie est la seconde théorie majeure identifiée par Artus (1996) dans sa revue des
principales théories de la spéculation.
o Spéculateurs et risque pris
Reprenant la posture traditionnelle et classique, de nombreux économistes à tendance libérale
définissent la spéculation comme étant simplement le transfert du risque de prix (Tirole, 1982, p1),
des agents les plus averses au risque aux moins averses (Tirole, 1982, p2). Le profit équivaut alors à la
rémunération du risque que l’opérateur accepte de supporter (Kearns et Manners, 2004, p24).
Quelques nuances peuvent être relevées à ce niveau par certains libéraux à la suite de certaines
critiques (notamment Hirshleifer), suggérant que l'aversion au risque impacte seulement la taille du

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placement (Tirole, 1982, p2). Cependant, cette relativisation du principe de l’aversion et de transfert
du risque n’est pas partagée au sein de l’école. Ainsi, Salant (1976) suggère que l'aversion au risque
pousse à la spéculation même dans le modèle d’Hirshleifer, si l'une des hypothèses, à savoir la non
complémentarité des deux biens, est abandonnée (Salant, 1976, p5). Dans l’ensemble, le cadre libéral
reste le même, à savoir celui de la théorie de la couverture.
o Intentions des spéculateurs
Pour cette école, l’objectif initial lors de l’opération de spéculation est le transfert du risque
(Tirole, cité dans Guth, 1994), contrairement aux conclusions d’Hirshleifer. Les spéculateurs n'ont pas
d'exposition nécessitant un hedging (contrairement aux hedgers), leur unique but étant le profit
(Kearns et Manners, 2004, p7). Quant aux arbitrageurs, leur objectif est de tirer profit décalages prix
(Grossman et Stiglitz, 1980, p37). Au niveau de leur horizon d’action, c’est généralement le court-
terme vu qu'ils échangent plus fréquemment que les hedgers (Kearns et Manners, 2004, p17 et p22). A
aucun moment il n’est fait mention de l’intention d’utiliser un bien physique, à travers sa
transformation, son emploi ou son transfert à un autre marché. Le cadre Kaldorien se retrouve ici par
rapport à ce point précis.
o Rationalité des spéculateurs
En phase avec l’école néolibérale, le prix Nobel 2014, Jean Tirole, s’évertue à démontrer que si
les acteurs sont rationnels, la spéculation n'est pas possible et l'échange d'actions ne permet pas de
dégager de gains, sauf si les acteurs valorisent différemment l'actif (Tirole, 1982, p2), ce qui est plus la
norme que l’exception en pratique. Nous avons vu à ce titre comment les Hedge Funds61 ont misé sur
le maintien du Royaume Uni au sein de l’UE, et donc orienté leurs investissements en ce sens alors que
les banques d’affaire ont privilégié le Brexit, malgré l’accès à la même information. Cependant,
conscient de certaines lacunes de cette posture, Tirole relativise lorsqu’il affirme que la spéculation
peut survenir même s'ils sont rationnels, s'ils ont des anticipations divergentes. Les anticipations
rationnelles empêchent inéluctablement toute spéculation du point de vue du marché dans sa
globalité (Tirole, 1982, p2).
L’école néolibérale considérerait aussi que si l'investisseur n'a pas toute l'information, alors il
forme ses anticipations de manière non rationnelle (Orléan, 1988, p8). Au niveau micro-économique,

61Les hedge funds, appelés en langue Française fonds alternatifs ou fonds spéculatifs, sont des fonds qui sont soumis à moins de
régulations que les fonds d’investissements, fonds de pension ou fonds d’assurances. Ils sont libres dans le choix de leurs objectifs de
placement, peuvent utiliser n’importe quel type d’instrument ou de technique financière (parmi celles-ci les ventes à découvert
notamment), et peuvent intervenir indifféremment sur les marchés au comptant et sur les marchés à terme. Ils ont également la
possibilité de s’endetter.
Iotafinance.com, Qu’est-ce qu’un hedge fund ? (19/07/2018)
URL : http://www.iotafinance.com/Article-Les-Hedge-Funds-ou-Fonds-Alternatifs.html (19/07/2018)

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chaque trader a sa propre bulle qui est la différence entre le prix de marché et son fondamental à lui
basé sur son anticipation (Tirole, 1982, p4). Certaines voix au sein de l’école laisseraient néanmoins
entendre que la rationalité n’est pas totale au sein des marchés, dans la mesure où la prise en compte
du prix peut être interprétée comme un comportement mimétique (Grossman et Stiglitz, cités dans
Orléan 1987, p7). Les spéculateurs sont alors des positive feedback traders (Kearns et Manners, 2004,
p23), des traders qui réagissent à des tendances et non qui partent de la valeur fondamentale. D’où
l’importance de savoir comment ces traders s’y prennent pour mettre à exécution leurs anticipations,
supposées rationnelles eu égard à cette posture théorique.
o Modalités opératoires
Certains économistes assimilent l’arbitrage à la spéculation. Les arbitrageurs révisent leur
portefeuille au fur et à mesure des variations, pour tirer profit de décalages injustifiés entre les
différents marchés (Grossman et Stiglitz, cités dans Guth, 1994). En outre, et pour taire certaines
critiques sur la spéculation et le jeu à somme nulle, cette école considère que les spéculateurs font des
profits même après les coûts de transaction (Kearns et Manners, 2004, 24).
• Eléments exogènes
o Relation à l’information
Les acteurs les mieux informés font des profits en moyenne selon Tirole (1982, p2). Ils sont
convaincus d'avoir la bonne information même si d'autres opérateurs ne partagent pas leur point de
vue (Tirole, cité dans Guth, 1994). L'hétérogénéité des anticipations est un facteur clé de spéculation
tant le marché demeure hétéroclite de ce fait (Tirole, 1982, p2).
Grossman et Stiglitz (1980) décrivent les spéculateurs comme des investisseurs méticuleux
dans l’information qui leur permettra d’identifier les actifs surévalués ou sous-évalués, et de tirer
profit de ces décalages ignorés par le reste des opérateurs. Cette théorie suppose que « les
spéculateurs sont des agents dotés d’une faculté de prévoyance supérieure à la moyenne » (Kaldor,
1939, p3). Si un spéculateur identifie un actif sous-évalué, il s’empressera de l’acheter et cette
demande ramènera le prix de l’actif à son cours le plus proche de sa valeur (Kaldor, 1939, p3). En
d’autres termes, c’est une explication qui dissocie plus l’activité du spéculateur de l’aléatoire et qui la
ramène davantage à sa justification de base, à savoir la possession d’information de valeur, qui sert à
déterminer une opportunité là où l’acteur de l’économie réelle perçoit un risque.
Cependant, si le prix est efficient et que l'information est coûteuse, alors il est plus rationnel de
ne pas s'informer et d'observer en suivant les informés, ce qui conduira directement à terme à
l'inefficience du prix. Le prix efficient ne saurait être un prix d'équilibre si l'information est coûteuse

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(Grossman et Stiglitz, 1980, p7). Au final, dans un marché où l'obtention de l'information est endogène
et exogène, il ne peut y avoir d'équilibre (Grossman et Stiglitz 1980, cités dans Grégoir et Salanié 1991,
p24). Ce paradoxe de la rationalité parfaite avec l’information parfaite dans le marché parfait soulevé
par ces deux économistes pose de nombreuses questions quant à l’applicabilité des propos de l’école à
l’économie réelle.
o Outils d’analyse
Afin de relativiser la portée des critiques, Tirole suppose que son modèle est valable et qu’il
n'est pas nécessaire que le prix de l'action soit égal au fondamental (Tirole, 1982, p4). Les "règles de
marché" semblent d’ailleurs plus importantes pour les investisseurs que la valeur fondamentale
(Kearns et Manners, 2004, p22). Ces règles se rapportent aux tendances passées des prix, par exemple
l'utilisation des moyennes mobiles ou des seuils et plancher (analyse chartiste) pour changer les
positions à l’achat ou à la vente (Kearns et Manners, 2004, p23). C’est en partie grâce à ces règles que
les spéculateurs ont une capacité de prédiction visiblement supérieure à la moyenne (Kearns et
Manners, 2004, p24). Cependant, ces règles de marché donnent lieu à des profits hypothétiques
(Kearns et Manners, 2004, p25), d’où l’expression « prise de bénéfices » qui revient souvent dans le
jargon boursier, et qui justifie certaines baisses de cours.
o Contexte d’occurrence
D’emblée, il convient de préciser que dans le cadre économique idéal de la théorie néoclassique,
l’émergence d’une bulle spéculative (écart entre prix observé et prix fondamental) est impossible. C’est
par exemple le cas dans un marché en REE (Rational expectation equilibrium). Une bulle n’y est pas
possible et le prix observé égalise le prix fondamental, contrairement à ce qui est affirmé par Keynes,
Kaldor et Harrison et Kreps (Tirole, 1982). Si un paramètre important du REE est modifié, à savoir celui
de l’information, et que le marché évolue dans un cadre d’asymétrie d’information, alors la
spéculation peut survenir plus facilement (Grossman et Stiglitz, 1980).
En pratique, si le marché des changes est pris comme exemple, du fait de sa réputation de
marché spéculatif, les proportions de spéculateurs restent à des niveaux relativement raisonnables
(20% de la valeur totale et les hedgers à 50% selon Kearns et Manners, 2004, p7). Dans ce contexte, le
paradoxe de Grossman et Stiglitz s’observe en pratique, vu que les petits traders ont une très forte
corrélation aux spéculateurs (Kearns et Manners, 2004, p8)
o Impacts sur le marché
Dans une tentative de reconnaître les constats des détracteurs de la théorie néolibérale, Salant
(1974, p3) concède que la spéculation peut être profitable et augmenter la volatilité en même temps.
Cela étant, même si elle ne réduit pas la volatilité, elle augmente le bien être général.
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Il n’en demeure pas moins que l’opinion dominante dans l’école est que la spéculation est par
essence stabilisante. En réduisant l’aléa sur le cours, elle permettrait de rendre les prix plus efficients
et d’apporter de la liquidité bien que cela reste un jeu à somme nulle entre les opérateurs. En effet,
elle favorise une meilleure allocation des ressources, contribue à l'équilibre, apporte de la liquidité,
améliore la découverte des prix et la négociation des actifs à leur juste prix, dynamise le marché et le
rend plus efficient (Grossman et Stiglitz, 1980, p38).
Cette activité serait d’abord source de liquidité pour le marché. Elle permettrait de réduire les
coûts de transactions en facilitant la vente et l’achat des actifs et en réduisant le différentiel entre le
prix des acheteurs et celui des vendeurs (le spread). D’un point de vue macro-économique, le
spéculateur aiderait le marché à être plus efficient en permettant, par son activité, aux actifs d’être
négociés à leur juste valeur. Le spéculateur aurait donc un rôle central dans l’amélioration de
l’efficience du marché, au moins du point de vue du reflet du juste prix des actifs, et dans l’apport de
liquidité au marché. Ainsi, le spéculateur contribuerait à fluidifier les transactions avec son apport en
liquidité motivé par les profits rapides, tout en dynamisant le marché et en le stabilisant (réduction de
la variance) (Artus, 1996, p7). Cette justification de la part de Grossman et Stiglitz (1980) représente
l’argument le plus puissant que reprennent les défenseurs de la spéculation financière, notamment
dans les cercles de la haute finance, et les théories financières qui prennent ce parti. Le profit du
spéculateur est justifié par la stabilité qu’il apporte à l’ensemble de l’économie à travers une meilleure
allocation des ressources. L’argument est néanmoins nuancé, ou plutôt précisé et réorienté, par
certains auteurs pour qui les liquidités apportées par les spéculateurs finissent bien souvent chez les
spéculateurs qui ont gagné les paris, ou qui ont le mieux anticipé les cours, selon la théorie de
l’asymétrie de l’information de Stiglitz (1980). La spéculation peut comporter certains aspects de jeu à
somme nulle tant les profits spéculatifs sont au détriment des autres opérateurs (Kearns et Manners,
2004, p24).
Cette théorie apporte un élément supplémentaire par rapport à la vision classique relative à la
couverture des risques, à savoir l’asymétrie d’information et l’obtention d’information de valeur de la
part du spéculateur. Le marché, dans cette théorie, ne dispose pas d’information parfaite, gratuite,
similaire et instantanée, disponible pour tous les acteurs, comme l’assument de nombreuses théories
financières traditionnelles ou classiques. Cet arbitrage au niveau de l’information permet à certains
acteurs, les spéculateurs, de parier sur certaines évolutions de prix d’actifs surévalués ou sous-évalués
selon eux. Au final, cette seconde théorie s’est concentrée sur une justification de la rationalité de
l’activité de spéculation en partant du principe que les spéculateurs disposent d’informations
supplémentaires qui leur permettent de rendre les marchés plus efficients. L’apparition de bulles
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spéculatives est considérée comme étant une anomalie, durant laquelle le prix observé diffère de la
valeur fondamentale, et qui est de toute façon exceptionnelle et résultant de comportements
irrationnels (Orléan, 1988, p9).
Cet argument présente de nombreux aspects qui ne peuvent être que difficilement rejetés par
les détracteurs de la spéculation financière dans la mesure où un marché peu liquide (privé des
spéculateurs par exemple) serait durablement moins dynamique. Toute la question est d’évaluer dans
quelle mesure cet argument peut-il prendre le pas sur les inconvénients de la spéculation avancés
par l’autre camp, question aussi délicate que d’actualité. Cette théorie de l’arbitrage de l’information
domine la littérature économique depuis Keynes et les années 40, après Kaldor (Artus, 1996, p2). Elle
vient d’ailleurs en réaction à ces derniers. Elle implique que plus il y a de spéculation sur le marché,
plus ce dernier est stable et efficient. Ces implications d’efficience sont de plus en plus remises en
cause surtout au lendemain des crises qui suivent l’explosion de bulles spéculatives depuis près de 40
ans (Callonnec, 2005, p289). Notons que certains économistes ont tenté de replacer au centre du
discours théorique la justification classique de la spéculation par le transfert du risque, comme Jean
Tirole (Guth, 1994), prix Nobel de l’économie en 2014.

Quelques lacunes inhérentes à la théorie néoclassique


En pratique, bien que supposés rationnels, les spéculateurs pourraient contribuer à davantage
d’instabilité du fait d’informations divergentes (Artus, 1996, p8) ou d’une impossibilité à faire
converger les anticipations, ce qui revient en partie au premier élément. Ce sont des éventualités qui
feront partie du corpus théorique dont l’analyse suivra. Le cadre théorique est donc plus riche que
l’école classique, mais occulte certains aspects fondamentaux relatifs au cadrage théorique de la
spéculation. En outre, la stabilisation éventuelle de la spéculation dans le cadre de cette théorie ne
serait vérifiée que « dans certaines conditions particulières de gestion de la monnaie, qui ne sont
certainement pas vérifiées dans le monde réel » (Kaldor, 1939, p5).
L’une des principales critiques adressées à cette théorie repose sur l’existence en réalité
d’initiés qui faussent ce modèle sur les marchés. « S'il n'y avait pas d'aléa de marché, qui font varier
les prix indépendamment des interventions des spéculateurs, initiés ou non, l'observation du prix
permettrait aux non-initiés de reconstituer exactement l'information dont ont bénéficié les initiés, et
l'avantage des initiés disparaîtrait. Avec l’aléa de marché, l'information n'est qu'imparfaitement
extraite de l'observation de prix. Si le premier effet (équité) l'emporte sur le second (information), le
bien-être des non-initiés est réduit par l'activité des initiés, et il est légitime d'interdire à ceux-ci
d'intervenir sur les marchés (et donc de définir un « délit d'initié »). » (Artus, 1996, p10). La spéculation,
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dès lors qu’elle se base sur de la manipulation est par essence déstabilisante selon Artus. Ce dernier
prend en compte les manipulateurs qui envoient sciemment des signaux erronés au marché et qui sont
exclus de certaines conceptualisations. Il relève que pour tout bien-être supplémentaire obtenu par les
« initiés », nait en contrepartie un mal-être chez les non-initiés, qui perdent ce que gagnent les initiés,
ce qui renvoie au concept de jeu à somme nulle avancé par Al Suwailem entre autres. Cependant, la
proposition d’interdire purement et simplement les spéculateurs est controversée et complexe à
mettre en œuvre car elle suppose que l’on puisse distinguer qui est spéculateur et qui ne l’est pas,
quelle position est spéculative et quelle position ne l’est pas. C’est tout l’objet de notre exploration
actuelle et cela démontre combien il est nécessaire aujourd’hui d’apporter des outils aux
économistes, aux financiers ainsi qu’aux politiques, qui faciliteraient cette distinction très délicate.

1.2.3.2 Postures théoriques syncrétiques


Dans la lignée de Working (1949), plusieurs auteurs tels que Feiger, Tesler ou encore Hisrhleifer
ont tenté une meilleure fragmentation et décomposition du concept de spéculation, dans l’optique de
synthétiser les apports de l’école néoclassique et de l’école keynésienne.
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris
Dans le cadre de certaines écoles, la définition de la spéculation peut être considérée comme
incluant l'arbitrage (ignoré par beaucoup de théoriciens par ailleurs), mais dans cette école, ce dernier
n'est pas considéré comme étant de la spéculation (Working, 1960, p2). Au niveau économique, la
spéculation est très souvent évoquée aux côtés de l’arbitrage et la couverture, en ce qui concerne les
comportements des opérateurs financiers faces aux changements dans le marché. Une des différences
fondamentales entre la spéculation et l’arbitrage est que la première se construit a priori dans un
cadre dominé par l’incertain, avec une anticipation de gains qui résulteront des ajustements qui se
produiront sur le marché lorsque l’information sera révélée ; tandis que le second se produit a
posteriori dans un cadre dominé par les certitudes, avec une anticipation de gains due aux
ajustements naturels du marché et non à la probabilité éventuelle d’occurrence d’une information
favorable ou défavorable (Guth, 1994). C’est ainsi que dans le modèle mathématique de Hirshleifer, le
spéculateur procède à sa transaction à l’état 1 du marché (dans un premier temps) alors que
l’arbitrageur le fait à l’état 2, une fois le spéculateur passé (Guth, 1994).
En dehors du spéculateur et de l’arbitrageur, le hedger est l’autre partie importante dans ce
modèle. D’un point de vue statistique, les hedgers, plus averses au risque, sont globalement net short
(vendeurs), les spéculateurs sont net long (acheteurs) (Tesler, 1960, p2, réponse à Cootner). Cette
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description a été fondamentale dans l’étude de Working et lui a permis de mieux identifier les acteurs
du marché et mesurer leurs engagements respectifs. Le spéculateur cherche à accroître son
exposition au risque alors que celui qui fait de la couverture cherche à la réduire (Hirshleifer, 1977,
p19).
La faible aversion au risque est un facteur de la spéculation chez Harrison et Kreps (1978) selon
Roche (2010, p1). A partir du moment où un agent a une conviction qui diffère d’un autre, si elle est
supérieure, il spéculera sur la montée des prix et prendra des positions massives à l’achat (l’inverse est
également vrai en vente à découvert) (Roche, 2008, p5). Parmi les variables influençant l'aversion au
risque : l'anticipation optimiste ou pessimiste ainsi que la relation éventuelle entre le prix initial et le
prix final (Hirshleifer, 1973, p1). Le résultat crucial est que seuls les individus déviants de la
représentation et l'anticipation collective du marché vont spéculer où se couvrir. Contrairement à la
théorie du transfert du risque (caractéristique des théories traditionnelles et Keynésiennes de
première génération), les différences d'aversion au risque seules, pour les postures syncrétiques,
n'entraîneront pas de comportement de couverture ou de spéculations en l'absence d'anticipations
hétérogènes (Hirshleifer, 1973, p25). D’autre part, si les anticipations sont similaires mais que la
tolérance aux risques varie, cela n'aura pas ou peu d'impact sur la spéculation (Hirshleifer, 1973, p28),
l’aversion au risque n'impactant que la taille de l'engagement selon Hirshleifer (Tirole, 1982, p1).
o Intentions des spéculateurs
Il a toujours été délicat de dresser une frontière entre l’action de spéculation et les affaires
d’une manière plus générale. Durant la deuxième moitié du vingtième siècle, Holbrook Working fit
partie de ceux qui contribuèrent largement à mieux identifier cette frontière. A titre d’exemple, un
agriculteur qui reporte la vente de son stock dans l'espoir d'une augmentation de prix, spécule ; de
même pour un industriel qui achète son stock à l'avance anticipant une augmentation des prix
(Working, 1960, p2). D’une manière générale, il identifie la spéculation à la volonté de tirer profit de
transactions sur les matières premières et uniquement dans cet objectif, et non dans le cours normal
des affaires (Working, 1960, p2). Cette identification est évidemment dépassée aujourd’hui au vu de la
multiplication des canaux et supports de spéculation.
Du point de vue fonctionnel, la distinction spéculateur - investisseur suit la même logique que
celle entre spéculateur et arbitrageur (Working, 1960, p2). Le non spéculateur, en se couvrant, peut se
spécialiser dans son cœur de métier (Tesler, 1959, p1). Pour Tesler, dans le marché d’actions, les seuls
non spéculateurs sont ceux qui font une émission sur le marché primaire (Tesler, 1959, p1) ! Il
considère que le marché secondaire est un marché spéculatif. En pratique, la spéculation consiste à
réviser le portefeuille à l'arrivée de nouvelles informations, le but étant de tirer profit des variations
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
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de prix à travers un gain en capital, en accord avec Kaldor sur ce point (Hirshleifer, 1977). Un non
spéculateur serait celui qui, malgré les informations, effectuerait des achats destinés à la
consommation (Hirshleifer, 1973, p28) : en somme, un acteur de l’économie réelle.
En 1989 Hirshleifer remet en cause la critique de Tirole, et lui propose même un pari amical,
prétextant que le simple fait qu'il veuille parier invalide sa théorie (qui suppose que les REE62 excluent
la spéculation de fait car non profitable) (Guth, 1994). Il ne cautionne finalement plus la séparation
classique entre celui qui fait de la couverture et le spéculateur qui serait celui qui accepte de
supporter un risque. Pour lui, le hedger fait un placement qui serait simplement un peu moins risqué
que celui du spéculateur. Il fait partie de la catégorie des spéculateurs et cherche à diminuer son
risque et non à le transférer. (Hirshleifer, 1977, p21). Il confirme ce positionnement en avançant que la
théorie de Hicks et Keynes, expliquant la spéculation par le transfert du risque, est fausse. En réalité
ce qui sépare le spéculateur du hedger, c'est le degré de risque de leurs transactions respectives
totales. La couverture pourrait même être définie comme une sous-catégorie moins risquée de
spéculation (Hirshleifer, 1977, p23). Ce positionnement est en franche rupture avec les caractérisations
que nous avons connu jusqu’à la première théorie de Keynes, recyclée par l’école néolibérale et
monétariste.
o Rationalité des spéculateurs
Les hedgers voyant en général que sur les marchés réels, leurs gains effaceront largement les
pertes dans le hedging, décident de se couvrir (Cootner, 1960, p4, relatant Working, 1953). Ce
comportement, d’un point de vue global peut sembler rationnel. Pourtant, comme soutenu par
Akerloff et Dickens (1982) « les anticipations rationnelles et la rationalité dans son ensemble ont été
l’objet d’autres attaques. Les gens peuvent souffrir de dissonances cognitives, définies comme la
capacité à filtrer, manipuler, transformer ou traiter d’une autre manière l’information, afin de la
faire correspondre à ses propres interprétations ». Les positions financières agrégées sont alors bien
différentes de l’optimum selon Hirshleifer (Guth, 1994). Les études empiriques de Holbrook Working
(1949 et 1960) abondent également dans ce sens, montrant que les choix sont pilotés par des
« convictions divergentes » qui dépendent donc de « probabilités subjectives », ce qui pousse
l’individu à faire le choix de spéculer, ou pas (Guth, 1994).
En somme, « les économistes ont eu du mal à valider l’hypothèse de spéculateurs visionnaires et
souvent faisant les meilleures prévisions des prix » (Working, 1960, p27). Cela fut néanmoins contesté
par Artus (1996, p3). Ces deux positions antinomiques sont en réalité conciliables, si l’on passe par une

62 REE : Rational equilibrium expectations

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digression psychologique, en introduisant le concept de rationalité limitée mis en évidence par Simon
(1955), que l’on retrouve dans les disciplines de science de gestion, et plus précisément dans le
management et les ressources humaines. En ce sens, les acteurs sont rationnels à leur niveau micro-
économique et à la lumière des connaissances limitées qu’ils ont ; cependant, du point de vue macro-
économique et à l’échelle du marché, leurs choix ne sont pas toujours rationnels. C’est ce que propose
Kindleberger (2004, p38) qui affirme que « c’est là la faille du système, là où le tout diffère de la
somme de ses parties ». En effet, « les marchés peuvent par moments, et encore une fois ces moments
sont rares, agir de manière déstabilisante et au total irrationnelle même si chaque acteur du marché
agit rationnellement » (Kindleberger, 1978, p46). C’est l’équilibre sous-optimal de Nash63, dans la
théorie des jeux. Dans la théorie de Simon, cela s’explique par le fait que l’acteur s’arrête dès le
premier choix qui lui ‘’apparaît’’ rationnel.
o Modalités opératoires
Vu la multiplication des supports et canaux de spéculation précédemment évoqués, il est
difficile en pratique de tracer une ligne de démarcation entre spéculation et investissement dans des
valeurs financières, plus difficile en tout cas qu’entre la spéculation et la négociation de matières
premières (Working, 1960, p2). D’un point de vue opérationnel, ce qui différencie le spéculateur du
non spéculateur est que pour le premier, son profit dépend seulement de la variation du prix de sa
marchandise et pas des autres marchandises liées, contrairement au non spéculateur (qui a des coûts
d'activité par ailleurs, comme le transport...). Cette distinction n'est cependant pas valable pour le
marché des actions contrairement au marché des futurs ! (Tesler, 1959, p1-2). Globalement, le profit
du spéculateur avisé se fait au dépend du spéculateur amateur ainsi que du service de couverture
rendu aux hedgers (Working, 1960, p19).
Un autre élément distinctif dans ce courant est que les arbitrageurs réviseurs ne sont pas
considérés comme spéculateurs par Hirshleifer (Guth, 1994 citant Hirshleifer 1973). Les catégories
restantes sont les hedgers et les spéculateurs en face. Les hedgers peuvent négocier entre eux et donc
les spéculateurs n'auront à traiter que la quantité nette de hedgers, ce qui complexifie un peu plus
toute tentative d’identification du volume réel de spéculation.

63« L'équilibre de Nash est un type de solution – proposé par John Forbes Nash en 1950 – couramment utilisé en théorie des jeux, dont la
définition même souligne le caractère auto-réalisateur. Un équilibre de Nash est, en effet, une combinaison de décisions individuelles,
appelées « stratégies », où chacun anticipe correctement les choix des autres ; il y a autoréalisation, puisque l'issue réalisée est le fruit de
décisions prises en pensant qu'elle va se réaliser. »
Universalis.fr, Équilibre de Nash. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/equilibre-economique/10-l-equilibre-de-nash/

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• Eléments exogènes
o Relation à l’information
Les spéculateurs ont accès à une information privée selon Working (Tirole, 1982, p2). Cette
information privée donne lieu à des anticipations différentes des événements entre initiés et non-
initiés (Working, 1949), et donc des anticipations divergentes, elles-mêmes causes directes de la
spéculation. Les anticipations sont de ce point de vue, très hétérogènes selon Hirshleifer (Guth, 1994),
bien à l’opposé des théories des REE. Les acteurs prévoient d'avoir des engagements différents selon
les informations révélées, pour Hirshleifer (Guth, 1994). D’ailleurs, les spéculateurs ont des
anticipations différentes de celles du marché global (Hirshleifer, 1977, p23), ce qui confirme
l’importance accordée à l’information privée dans cette posture. Plus encore, la spéculation est
amplifiée dans les marchés où les amateurs peu informés sont plus présents, tant l’information privée
acquise gagne en valeur, et le profit potentiel au détriment des amateurs croît (Working, 1960, p9).
Selon Hirshleifer, plusieurs paramètres influencent ces divergences, parmi lesquels : le degré de
perfection du marché, les sensibilités au risque, la nature des informations, mais aussi, d’après les
travaux de son fils, l’élasticité de la demande et les coûts de transaction. Cette divergence entre
acteurs remonte d’abord au fait qu’ils ne disposent pas tous de la même information au même
moment ce qui rendra d’emblée leurs positions différentes sur un même titre. La seconde raison est
que, quand bien même ils disposeraient de la même information exactement au même moment, la
complexité et la densité de cette information rend systématiquement les interprétations de ces
spéculateurs divergentes, et il en va de même pour leurs actions et leur positionnement sur le marché.
Scheinkman et Xiong ont conclu en 2003, à l’issue de leur modélisation, que de petites différences
d’anticipation pouvaient à elles seules créer des bulles imposantes (Roche, 2008, p4). Notons que le
travail de Hirshleifer est l’un des plus originaux, et rares, dans le sens où il essaie d’identifier certains
facteurs majeurs de la spéculation, bien qu’il en manque certains (Guth, 1994).
Les divergences d'anticipations déterminent la spéculation selon Working également (Salant,
1976, p2). Il avance que tant ceux qui se couvrent que les spéculateurs s'engagent selon leurs opinions
et anticipation sur les prix. Ces deux comportements sont difficilement identifiables en pratique. Pour
ce dernier, ce n'est pas tant le transfert de risque que l'amélioration de la précision de l'information
portée par le prix qui favorise la spéculation. La spéculation est donc due aux anticipations
hétérogènes, et non au transfert du risque (Salant, 1976, p5 ; Hirshleifer, 1977, p23).
En résumé, pour Hirshleifer et Rubinstein (1973, p2), la spéculation consiste à réviser le
portefeuille à l'arrivée de nouvelles informations. Un non spéculateur serait celui qui malgré les

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informations effectuerait des achats destinés à la consommation. L'arrivée de l'information divise le
trading en deux étapes : a priori et a posteriori, initiale et finale. L'information est révélée à l'état 2
(après le passage du spéculateur) de l'analyse dans le modèle d’Hirshleifer (la spéculation se fait dans
un premier temps, l'arbitrage dans un second temps, une fois l’information révélée). Si profit
spéculatif il y a, il n'est pas dû à la prise de risque mais plutôt à une action liée à une anticipation
informée.
o Outils d’analyse dominants
Dans ce contexte, le meilleur outil du spéculateur reste sa capacité d’anticipation a priori,
anticipations liées à l'interprétation de l'information selon Hirshleifer (Guth, 1994). Si le spéculateur
fait des profits, alors c’est qu'il anticipe les prix (Tesler, 1959, p1), et mieux il anticipe, plus il fait de
profits (Tesler, 1959, p5). A noter qu’en pratique, les modèles généralement retenus par les
économistes pour analyser les phénomènes spéculatifs, sont excessivement simplifiés et ne peuvent
s'appliquer à la réalité (Hirshleifer, 1977, p23).
o Contexte d’occurrence
Comme démontré par Hirshleifer (1973, p1), sans divergences d'anticipation il ne peut y avoir
de spéculation. Parmi les éléments influençant les anticipations, Hirshleifer (1977, p40) identifie :
• Le degré de perfection du marché, plus il est imparfait plus il peut être spéculatif ;
• La sensibilité au risque, plus elle est faible plus on spécule ;
• La nature des informations, plus elles divergent, plus la spéculation est favorisée ;
• L'élasticité de la demande, plus elle est forte, plus l’instabilité propice à la spéculation est
présente ;
• Les coûts de transaction, plus ils sont faibles plus le contexte est propice à spéculer ;
• L’incertitude, positivement corrélée à la spéculation.
Ces éléments correspondent pour certains d’entre eux aux marchés incomplets, très propices à
la spéculation selon Hirshleifer (Guth, 1994). Dans son modèle, Hirshleifer, (1973, p29), retient parmi
ses hypothèses, l'indépendance des deux marchandises, la zéro complémentarité entre elles,
l'homogénéité des anticipations préalable chez tous les acteurs… hypothèses servant à démontrer que
même dans un cadre semi-parfait, ou semi-complet, la spéculation peut avoir lieu dans son modèle.
L’une des déclinaisons des marchés dominés par la spéculation est le marché futur (Working,
1960, p1). Les profits des spéculateurs dans ces marchés peuvent être reconnus à la hausse des prix
des futurs au long de leur vie selon Tesler (Cootner, 1960, p4). En l’absence de spéculation, il n'y
aurait pas de raison d'observer une différence entre le prix futur et le prix spot, car le marché libre

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conduirait toute différence à 0 par arbitrage, ce qui rend impossible tout profit spéculatif selon Tesler
(Cootner, 1960, p1). Autre élément favorable à la spéculation, le fait que les hausses des prix soient
supérieures aux intérêts bancaires (ce qui permet d’activer l’effet de levier) et les emprunts bancaires
sans limites (Tesler, 1959, p7). Cette hausse ne nécessite pas forcément de volatilité, vu que selon
Working (1960, p18), la volatilité n’influence pas spécialement l’intérêt des spéculateurs pour telle ou
telle marchandise. Un autre élément déterminant de l’apparition de la spéculation a trait aux
conditions de négociation des titres. Cet élément a déjà été avancé par Kaldor, lorsqu’il évoque les
faibles coûts de transaction. Il est confirmé par Working (1960, p18).
o Impacts sur le marché
Cette posture maintient un certain relativisme contrastant avec les postures libérales et
keynésiennes au niveau de son positionnement idéologique. Pour Hirshleifer et Rubinstein (1973, p3),
les débats sur l'utilité de la spéculation en contraste avec l'investissement ne sont pas du tout clos,
confirmant les positions réservées au sein des postures syncrétiques. Pour autant, Hirshleifer (1973,
p14) n’hésite pas à utiliser le mot jeu pour décrire la spéculation, trouvant un rare point d’accord avec
Friedman.
Concernant l’impact, il est à noter que le hedging améliore la performance des marchands ce
qui améliore leurs services, ou baisse leur prix selon Working (Cootner, 1960, p4). La question de
stabilisation des prix est différente de celle des profits du spéculateur, et cette distinction est l'objet
de l'analyse de Tesler (1959, p1). Cette analyse a cependant pour objectif de démontrer que les profits
des spéculateurs impliquent qu'ils sont stabilisateurs (contrastant avec Baumol), en accord à ce
niveau avec les postures traditionnelles et libérales. En effet, il est tout aussi plausible, contrairement à
ce qu’affirme Baumol, que les spéculateurs achètent en masse juste avant (et non juste après) le pic
bas des prix et qu'ils vendent en masse juste avant le pic maximum, ce qui a un effet stabilisateur
(Tesler, 1959, p6). Tesler constate empiriquement que la variance des prix (volatilité et instabilité)
sans les spéculateurs est quatre fois plus forte (Tesler, 1959, p4). Les spéculateurs diminuent donc la
volatilité par leurs opérations, selon l'autre étude statistique conduite bien avant par Working (1949,
p18). Mais les autres paramètres sont-ils restés égaux par ailleurs entre les deux observations, afin de
pouvoir valider ce constat ?
Au-delà des considérations factuelles et causales des théories précédemment évoquées, ce
courant contemporain essaie de se positionner sur le fond des choses pour expliquer les causes et les
conséquences de la spéculation, mais dans un cadre proche de celui de la théorie de l’arbitrage, à
savoir celui de l’importance donnée à l’information dans cette activité. Les partisans de cette théorie
expliquent la spéculation avant tout par les divergences d’interprétations entre les opérateurs
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(Hirshleifer, 1977 ; Stout, 2011), et non par l’aversion au risque, qui n’impacterait que la taille de leurs
engagements (Tirole, 1982, p1). Un léger paradoxe est à relever cependant dans l’analyse de Working
lorsqu’il avance d’une part que la volatilité ne favorise pas particulièrement la spéculation
contrairement à l’idée reçue (1960, p17), alors qu’il énonce que les spéculateurs s’orientent davantage
vers les marchés où sont davantage présents les amateurs (1960, p18), alors même qu’il affirme plus
loin que ces amateurs produisent davantage de volatilité (1960, p19).

1.2.3.3 Théorie néokeynésienne des anticipations hétérogènes


Cette théorie contemporaine constitue le troisième grand courant théorique décrivant la
spéculation, identifié par Artus (1996).
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris
La question du risque varie chez les keynésiens selon la position de l’opérateur. Le hedger, qui
cherche à se couvrir est un spéculateur défensif dans la terminologie d’Artus. Celui-là est très averse
au risque, et veut se prémunir contre la perte en capital (Artus, 1996, p48). En ce qui concerne le
spéculateur, il est pour sa part peu averse au risque (Harrison et Kreps, 1978, cités dans Roche, 2010),
voire « risk neutral » ou même « risk lover », ce qui signifie que plus l’opération est risquée, plus il s’y
intéresse, bien que son espérance de rendement augmente de manière logarithmique. Dans ce cas,
l’aversion au risque diminue, elle est aussi fonction inverse de la richesse (Bradford, 1990, p3). C’est
ainsi qu’en Corée et en Argentine, les banques défaillantes étaient celles qui avaient le meilleur
rendement juste avant la crise, et donc les plus hauts risques (Plihon, 2001, p2). Ce qui se produit
généralement, dans le cadre du mimétisme d'emballement, c’est qu’on observe une sous-évaluation
du risque financier (Orléan, 1988, p27).
En 2008, Roche démontre que la présence d’un seul agent non averse au risque, présentant un
profil neutre par rapport au risque (qui est donc prêt à s’investir de manière croissante et linéaire tant
que les gains espérés évoluent proportionnellement au risque supérieur pris, tel qu’un hedge fund), est
suffisante pour déclencher un phénomène spéculatif. Il en conclut que « le résultat est que la
speculation ne peut avoir lieu pour des investisseurs plus averses au risque […], mais qu’elle se produit
très certainement lorsque les traders deviennent […] neutres au risque » (Roche, 2008 p27)).
Globalement, trois ingrédients sont propices à la spéculation selon Harrison et Kreps (Roche
2010) :
• Une faible aversion au risque ;
• Des divergences d’anticipations ;
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
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• Une distribution des richesses relativement homogène.

o Intentions des spéculateurs


Dans une tentative de classifier les spéculateurs selon leurs objectifs, Artus aboutit à trois
catégories principales :
• Les spéculateurs défensifs (que nous avons évoqué dans le premier
point) ;
• Les spéculateurs offensifs (cas des petits fonds et spécialistes des
dérivés) ;
• Les spéculateurs offensifs qui profitent d’une information privilégiée (les
initiés), qui vont même jusqu’à manipuler dans certains cas le marché,
éventuellement à travers des délits d’initiés (comportement exclu de
certaines conceptualisations théoriques) (Artus, 1996, p42).
Retenons que la spéculation ne peut être qualifiée de défensive selon Artus (1996, p12) que si un
risque de perte en capital est réel, à l’instar de Kaldor. L’objectif du défensif, le hedger, est la
couverture, se prémunir contre une perte en capital due à une variation défavorable des prix d’un actif
(Artus, 1996). Le spéculateur offensif, lui, cherche un profit en contrepartie du risque supporté et de
ses prédictions (Artus, 1996). A titre d’exemple, des détenteurs étrangers d’une monnaie locale qui
anticiperaient une détérioration des équilibres macroéconomiques du pays dont ils détiennent la
monnaie, et qui iraient solder leurs avoirs en cette monnaie locale de manière précoce, sont qualifiés
de spéculateurs défensifs car ils cherchent à se prémunir contre une perte en capital, ce qui est
parfaitement justifié aux yeux d’Artus (1996, p4). Un second exemple de spéculateur défensif est
relatif à celui qui achète des options de vente (Puts) afin de se garantir un prix de vente fixe pour ses
produits. En tout état de cause, l’auteur revient sur la possibilité d’existence d’un « bon » spéculateur,
celui qui achète quand le prix est trop bas (Artus, 1996, p48) et vend quand le prix est trop haut (ceci
n’incluant pas le marché des dérivés pour lui, une précision de très grande importance). Artus n’exclut
pas la possibilité d’occurrence d’un effet moutonnier.
Plus généralement, tout acte économique qui prend en considération la possibilité de gain ou
de perte en capital comporte un aspect spéculatif (Grégoir et Salanié, 1991, p2). Dans ce dernier cas, le
prix du marché n’est pas le prix qu’il devrait être en théorie, dans la mesure où le gain peut être
obtenu tant par le rendement de l’actif que par une plus-value sur sa valeur (Artus, 1996, p3).
Par ailleurs, l’horizon privilégié des spéculateurs est le court terme (Harrison et Kreps 1978,
dans Morris, 1996, p3). A titre d’exemple, la part des opérations de change et de marché dans les

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bilans bancaires a augmenté au détriment de l'intermédiation, plus lente et proche de l’économie
réelle (Plihon, 2001, p10).
Il est à préciser que dans les postures néokeynésiennes, on fait du profit quand on réussit à
prévoir l’évolution de l’opinion majoritaire (Orléan, 2004, p19), plus que l’évolution des
fondamentaux elle-même.
o Rationalité des spéculateurs
Dans la théorie traditionnelle, seul l'irrationnel achète quand les cours sont au plus haut et vend
quand ils sont au plus bas (Orléan, 1988, p4). En réalité, cela implique dans la pratique qu’une partie
des spéculateurs sont irrationnels (anticipations naïves, imparfaites…) car ne prenant pas les bonnes
décisions. Il sied de spécifier dans ce cadre que « des études empiriques récentes suggèrent que la
spéculation sur le dollar n'est pas nécessairement gouvernée par des anticipations totalement
rationnelles. Au contraire, les opérateurs peuvent s'avérer myopes64 et accumuler des avoirs alors
même que les perspectives de dépréciation dépassent le différentiel de taux d'intérêt. Apparaît alors
une logique mimétique qui s'autonomise par rapport aux variables dites objectives, de sorte que ‘’la
spéculation se boucle sur elle-même’’ Il se pourrait donc que les marchés financiers concrets
ressemblent plus à la lutte des haussiers et des baissiers, chère à J.M. Keynes, qu'aux anticipations
rationnelles d'un agent représentatif, autre intuition que met en avant l'article de N. Kaldor » (R. Boyer,
P, Petit, G. Schmeder, H. Schrameck, 1987, p8).
Cela étant dit, nous pouvons aller plus loin vu que les choses sont plus compliquées que
l'assertion de Friedman, selon laquelle seuls les irrationnels déstabilisent (Hart et Kreps, 1976, p3).
Alors que pour l'hypothèse d'efficience (d’inspiration libérale) tout comme pour la NTA (noise trading
approach), l'irrationalité est la cause des bulles et des crises, l'économie expérimentale montre que
ce n'est pas aussi simple (Orléan, 2004, p16). Ainsi, même quand tous les opérateurs sont rationnels, la
spéculation déstabilise (Hart et Kreps, 1976, p3). Les rationnels, s’ils sont imparfaitement informés,
provoquent du noise trading selon Stein (1987, cité dans Bradford, 1990, p4). C’est un trading qui n’est
pas en phase avec l’évolution que devrait prendre un marché sain. D’ailleurs, l'existence de bulles
rationnelles met à mal la théorie de l'efficience et les REE. Les investisseurs ne sont pas pleinement
rationnels dans l’absolu (Orléan, 1988, p9). La rationalité, en soi, est un concept polymorphe.
C’est à ce titre qu’Orléan (1987, p1) distingue la rationalité fondamentale tournée vers la
nature de l'actif, de la rationalité financière qui vise la maximisation du gain boursier. Il en déduit une
classification des opérateurs en trois catégories (Orléan, 1988, p11) :

64Agent myope : Agent qui a tendance à répondre de manière bien plus ample aux événements récents par rapport à ceux ayant eu lieu il
y a quelques mois seulement.

Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU


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• Les non fondamentalistes non stratèges (ignorants), (irrationnels dans la pensée
libérale) ;
• Les fondamentalistes non stratèges (passifs) ;
• Les fondamentalistes stratèges.
En pratique, deux évaluations différentes peuvent être rationnelles toutes les deux à partir de chaque
angle, car elles portent sur une grandeur différente (Orléan, 2004, p20), ce qui peut justifier deux
opérations opposées dans un cadre similaire après l’arrivée d’une nouvelle information. A titre
illustratif, un cambiste interpelé sur des positions semblant irrationnelles se défend en affirmant : «
L’opérateur que je suis a beau croire à une appréciation de l’euro, il ne fait pas le poids lorsqu’il
constate qu’un peu partout les positions des autres intervenants sur le marché des changes sont à la
vente de l’euro. Du même coup, même si j’estime que l’euro mérite d’être plus cher par rapport au
dollar, j’hésite toujours à acheter la devise européenne. En effet, si je suis le seul acheteur d’euros face
à cinquante intervenants vendeurs, je suis sûr d’y laisser des plumes… Je ne fais pas forcément ce que
je crois intimement, mais plutôt ce que je crois que fera globalement le marché qui in fine
l’emportera. Le travail de l’opérateur est de tenter d’évaluer au plus juste le sentiment du marché des
devises » (Libération, 08/09/2000, p24). C'est une parfaite illustration de la rationalité stratégique telle
que la ‘’noise trading approach’’ la présente (Orléan, 2004, p19). Pour la NTA, l'investisseur rationnel
est un stratège, il dépasse les fondamentaux et intègre la présence d'ignorants dans son analyse
(Orléan, 2004, p28). Les noise traders, eux, agissent sur la base de bruits65 et non d'informations,
selon Black (1986 ; Orléan, 2004, p8).
Empiriquement et d’après une étude du prix Nobel Schiller, deux tiers des traders Américains
et trois quarts des Japonais justifient leur mouvement en bourse par la psychologie, plutôt que par
les fondamentaux, quand ils ont eu le choix entre les deux dans le questionnaire (Schiller, 1990, p3).
Sur le marché, l'interaction des rationnels et des positive feedback (ceux qui suivent les mouvements
de foule et les rumeurs) déstabilise, et les preuves empiriques sont nombreuses (Bradford, 1990, p4).
Les analyses empiriques démontrent très précisément que les gens ne dévient pas de la rationalité
d’une manière aléatoire, mais bien plutôt que la plupart dévie d’une façon identique (Orléan, 2004,
p14).

65Bruits : Ensemble d'informations non officielles et de rumeurs courants dans les salles de marché. Ces informations forment un bruit de
marché qui peut influencer les cours. Ainsi une simple rumeur non fondée peut influencer un cours sur plusieurs séances boursières
avant un éventuel démenti de l'entreprise. Certains investisseurs peuvent avoir un intérêt à faire circuler ce genre d'informations, mais
cette pratique est totalement illégale.
http://www.edubourse.com/lexique/bruit-de-marche.php (08/03/2017)

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- 100 -
Smith, Suchanek et Williams (1988) s’intéressent à une situation expérimentale (en annexe B.1)
dans laquelle est postulée, non seulement l’objectivité des fondamentaux, mais également le fait que
la valeur fondamentale est connue de tous. Ce que montre de manière insolite cette expérience est
que, lorsque les stratèges rationnels cherchent des points focaux sur lesquels prendre appui pour
anticiper l’évolution future des cours et intervenir, s’imposent à leur esprit des modèles de
comportements boursiers déconnectés des fondamentaux (Orléan, 2004, p22), alors même que la
valeur fondamentale est connue ! D’autres expériences où les acteurs connaissaient clairement la
valeur fondamentale, et sans ignorance, ont de manière assez intrigante donné lieu à des bulles !
(Orléan, 2004, p16). Cela permet d’avancer avec peu de doutes que l’existence de bulles n’est pas
toujours liée à l’irrationalité ou l’information imparfaite. L’explication est à chercher du côté de la
finance comportementale, souvent liée à certains penseurs néokeynésiens.
Cette école pousse au final à rejeter tant l'hypothèse d'efficience que l'irrationalité pour
expliquer les bulles. C'est l'approche autoréférentielle, relative à la finance comportementale, qui
considère que la notion de valeur fondamentale n'est pas une notion objective (Orléan, 2004, p17). A
ce stade, les postures néokeynésiennes se distinguent clairement par leurs théories sur la spéculation.
L'approche autoréférentielle suppose que l'opinion majoritaire a pour objet elle-même (Orléan, 2004,
p20). Au final, « nous pouvons résumer notre point de vue en disant que la rationalité fondamentaliste
a pour objet la nature, la rationalité stratégique les autres, et la rationalité autoréférentielle, le
groupe en tant qu’entité autonome » (Orléan, 1999, pp.65 cité dans Orléan, 2004, p22).
o Modalités opératoires
Telle que conçue dans les théories classiques, la spéculation consiste selon Baumol (1957), à
acheter en masse juste après le pic minimum des prix, et à vendre en masse juste après le pic
maximum des prix (Tesler, p6). Les choses sont en pratique autrement plus complexes. Ce n'est pas le
prix bas ou haut qui pousse à l'achat spéculatif, c'est la probabilité qu'il s'apprécie ou se déprécie (Hart
et Kreps, 1976, p2). Si certains vendent des primes et d'autres achètent un pari, alors il est difficile de
prédire s'ils gagnent ou perdent en moyenne (Cootner, 1960, p9). La projection des éléments de la
théorie néo-libérale devient compliquée, tant les paramètres sont nombreux en pratique. Harrison et
Kreps formalisent la conception keynésienne de la spéculation, à savoir l'achat d'une marchandise au
vu de son gain offert à court-terme, a un prix supérieur aux cash-flows actualisés (fondamental)
(Morris, 1996, p3), et qui ne la rapproche pasnécessairement de la valeur fondamentale.
En somme, Schiller conclut que les modèles sur la spéculation sont de simples histoires, et
que les modèles les plus populaires ne sont pas assez sophistiqués (Schiller, 1990, p10) par rapport
aux données et aux paramètres réels que l’on retrouve sur les marchés. Ce n’est que dans les modèles
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- 101 -
de la finance théorique qu’existe une description du futur sous la forme d’une liste exhaustive
d’événements à venir, faisant l’objet d’une adhésion unanime. L’économie capitaliste est en pratique
d’une tout autre nature (Orléan, 2004, p23)
Ainsi, ce qui est observé sur le marché est bien moins angélique que le veut la théorie. Pour
Hart (1977) et Newbery (1984), un producteur non concurrentiel pourrait même trouver avantage à
déstabiliser le marché, dans un marché avec des sophistiqués (experts) et des naïfs (Grégoir et salanié,
1991, p2), comme le serait le marché réel. La fréquence des manipulations de marché va crescendo
(Artus, 1996, p40). A cet effet, une question logique s’impose : "N’est-il pas possible qu’elle puisse,
dans certains cas, pousser les investisseurs rationnels à manipuler l’action des ignorants et des passifs
dans une direction déstabilisante dans le but d’accroître leurs profits ? C’est précisément ce que
démontre le modèle de De Long, Shleifer, Summers et Waldmann (1990b)" (Orléan, 2004, p11).
De nombreux autres procédés illustrent les modalités opératoires de la spéculation. La
titrisation du risque, par les dérivés et les assurances, est très redondante lors des analyses de la
spéculation et de sa manifestation (Artus, 1996, p48). Plihon (1991, p9-10) appuie cet avis omniprésent
au sein de l’école néokeynésienne, selon lequel les dérivés et la titrisation participent à la spéculation.
Il y ajoute les prises de position hors bilan. Les ordres de stop loss sont aussi procycliques (Bradford.
et al 1990), et donc potentiellement aussi spéculatifs que les positive feedback traders. Le délit d'initié
est également souvent relevé lors des excès spéculatifs, qui finissent généralement par des poursuites
judiciaires après le krach, moment où tout le monde souhaite trouver un bouc-émissaire (Artus, 1996,
p39). L’ensemble de ces éléments est de facto exclu des analyses classiques, car illégaux pour
certains, et ne devant pas se produire dans un marché parfait pour d’autres. C’est tout l’intérêt
d’analyser cette école, qui s’efforce de prendre en compte les paramètres réels du marché dans ses
analyses, ce qui ne signifie pas forcément que les conclusions sont justes pour autant. Cette école
présente une tendance à l’incorporation des complexités socio-économiques et psychologiques, par
opposition à la formalisation mathématique et rationnelle dominante dans le courant classique.

• Eléments exogènes
o Relation à l’information
Tandis que la théorie de l'efficience informationnelle suppose que la finance est fidèle à
l'économie réelle (Orléan, 1988, p3), notamment à travers une circulation parfaite de l’information,
l’école néo-keynésienne prend un positionnement tout autre. Selon Cootner (1960), lorsqu'on est loin
de la récolte, les négociations de futurs sont fortes, et elles baissent avec le temps, du fait de
l'incertitude (Tesler, 1960, p2, Réponse à Cootner). Nous sommes en présence de décalages

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informationnels ayant un fort impact sur le marché (Artus, 1996, p39). A la lumière de ces décalages
informationnels, des catégories d’opérateurs sont identifiables selon leur relation à l’information.
D’emblée sont identifiés les initiés, au sens légal et informationnel du terme (souvent
manipulateurs, nous le verrons) et les non-initiés, (Artus, 1996, p40). La stratégie optimale de l'informé
(initié) n'est pas de vendre en vue d'un effondrement, mais d'acheter en vue d'achats supplémentaires
de la foule non informée (Bradford et al, 1990), typiquement du positive feedback trading pratiqué par
les noise traders. Les informés déstabilisent alors le marché en exagérant les tendances (Bradford et
al, 1990, p4). Le plus étonnant est que le noise trading des ignorants peut supplanter la rationalité des
rationnels (Orléan, 2004, p18) et le marché peut sur-réagir à ce trading (Bradford et al, p4). Nous
sommes en présence alors d’un phénomène d'auto-validation des croyances (Orléan, 1988, p6),
typique de la nouvelle perception keynésienne du phénomène spéculatif.
Pour autant, peut-on penser que le marché serait plus homogène si l’on supposait l’information
disponible et partagée ? Plusieurs éléments permettent d’en douter. Le principal étant que les
anticipations resteront hétérogènes même si la même information circule (Harrison et Kreps, 1978,
p3), comme cela fut déjà souligné dans les théories syncrétiques. En effet, l'hétérogénéité des
anticipations diffère de l'hétérogénéité de l'information reçue (Harrison et Kreps, 1978, p7). C’est un
phénomène assez naturel vu que les opérateurs font des interprétations différentes de l’information
reçue (Artus, 1996, p39). Sur le marché, les agents peuvent même être conscients de ces divergences,
et s'accorder sur leur désaccord (Roche, 2010, p4).
D’un point de vue pragmatique, Cao et Ou-Yang ont démontré en 2004 que la relation entre
hétérogénéité des anticipations (cadre théorique keynésien et post-keynésien) et volume des
transactions était proportionnelle (Roche, 2008, p4). Comme avancé par Morris (1996), plus
d'hétérogénéité dans les anticipations exacerbe le phénomène de spéculation (Roche, 2008, p5).
Ajoutons à cela que l'information de mauvaise qualité déstabilise les marchés (Grégoir et Salanié, 1991,
p24) et que plus les anticipations sont hétérogènes, plus les prix baissent (Varian, 1985 cité dans
Roche, 2008, p21) ce qui est une résultante naturelle de l’instabilité.
Au final, ce sont les experts qui gagnent au détriment des amateurs (Baumol, 1957, p3), le jeu
étant à somme nulle comme précédemment évoqué. Les hedge funds étant en général des
professionnels, alors que les spéculateurs (au sens amateurs) sont loin du métier, il est délicat de
comprendre pourquoi les seconds gagneraient d’ailleurs (Cootner, 1960, p4).
o Outils d’analyse
Les paragraphes précédents ont permis de comprendre la domination des anticipations
hétérogènes (Harrison et Kreps, 1978, dans roche, 2010, p1). Au niveau des marchés, même de très
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- 103 -
légères différences d'opinions peuvent générer une prime de spéculation importante (Roche, 2008,
p1). Si le phénomène est exacerbé, Varian démontre qu’une dispersion importante des anticipations
accroit l'intensité des transactions (Roche, 2008, p3) ainsi que des bulles importantes selon
Scheinkman et Xiong (2003, cités dans Roche, 2008, p4). Nous pourrions alors penser que de
meilleures anticipations homogénéiseraient les opinions, mais en l’état, si les spéculateurs anticipent
encore mieux, ce sera pire (Hart et Kreps, 1976, p21).
Il devient alors compréhensible de constater la prééminence de l’analyse technique, tant le
spéculateur se doit de prendre en compte les anticipations des autres opérateurs (Harrison et Kreps,
1978, p13). Certains suivent les "popular models" de Schiller (1990), comme les partisans de l'analyse
chartiste ou les suiveurs de tendance (Orléan, 1988, p8). Cette analyse technique construit des
tendances théoriques sur lesquelles se basent de nombreux amateurs. Aussi appelés positive feedback
traders, ces derniers achètent à la hausse et vendent quand les prix baissent. C'est une pratique et une
tendance très commune en bourse, que celle de suivre la tendance (Bradford et al,1990, p2). Selon la
NTA (noise trading approach), des stratégies ignorantes peuvent enregistrer plus de profits que des
rationnels, ce qui fait que ces stratégies survivront (Orléan, 2004, p10), la pratique étant la meilleure
démonstration de cette conclusion.
Dans l’analyse technique, l'anticipation ne porte pas sur la valeur fondamentale, mais sur le
prix en lui-même (Orléan, 1988, p6). Ce comportement de suivi du prix sans faire attention au
fondamental peut même être rationnel (Orléan, 1988, p7), et lucratif. Soros a ainsi eu du succès car il
ne misait pas sur les fondamentaux, mais bien sur le mouvement de foule à venir (1987 ; Bradford et
al, 1990 p3). L'activité mimétique est intense dans l'approche autoréférentielle néokeynésienne, car le
mimétisme permet d'anticiper... (Orléan, 2004, p26). Lors de la bulle internet, nous avons vu en
pratique que ce sont les analyses fondamentales qui subissaient des modifications pour être tirées vers
le marché (Orléan, 2004, p25).
A l’occasion d’une étude empirique conduite par Schiller (1990, p4), beaucoup de boursicoteurs
évoquent la sensation pour expliquer leurs anticipations et leurs placements en bourse. Sur un
sondage immobilier différent de la première étude, portant sur 886 répondants, étonnement, aucun
n'a cité une raison quantitative ou une anticipation de spécialiste pour justifier la tendance (Schiller,
1990, p6). Sur un troisième registre, seuls 26 % des investisseurs d'introduction en bourse (IPO)
confirment avoir fait des calculs sur la valeur fondamentale de l'entreprise (Schiller, 1990, p10). C’est
dire, s’il le fallait encore, à quel point les outils d’analyse dominant les marchés sont subjectifs, en
déphasage avec l’économie réelle, et autoréférentiels.

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o Contexte d’occurrence
Dans un marché efficient (REE), les investisseurs sont homogènes et il n'y a pas de spéculation
(Harrison et Kreps, 1978, p14). Or, comme précédemment développé, les faits démontrent que
l'hypothèse d'efficience est erronée (Orléan, 2004, p15). Le prix peut en pratique très souvent
continuer à s'éloigner du fondamental avant de s'ajuster... à partir de là, le marché cesse d'être
efficient (Orléan, 2004, p9). C’est donc dans un marché non efficient que la spéculation peut se
produire. La spéculation, dans ce modèle et à l’instar de la posture syncrétique, intervient dans les
marchés incomplets (Guth, 1994) incorporant un certain degré d’incertitude, ce qui est le cas des
marchés réels. Ce contexte est généralement caractérisé par l’asymétrie d'information (Artus, 1996,
p48) en plus des effets moutonniers bien loin de la rationalité (Artus, 1996, p42).
D’autres contextes sont aussi propices à la spéculation. Newbery (1987) a montré que
l'ouverture d'un marché à terme peut augmenter la volatilité des prix et réduire le bien-être (Grégoir
et Salanié, 1991, p4). La majorité des auteurs qui ont abordé le sujet ont aussi traité le lien entre
spéculation et volatilité, malgré qui il n'y ait pas de lien évident entre volatilité et bien-être général
(Grégoir et Salanié, 1991, p2). Le lien entre les deux premiers demeure évident.
En outre, le droit de revendre (et l’existence d’un marché secondaire pour rejoindre Tesler)
favorise spéculation car l'opérateur est prêt à payer plus (Harrison et Kreps, 1978, p2 ; Roche, 2008,
p2). La possibilité de gain spéculatif sur la variation du capital vient précisément du droit de revendre
l’actif qui implique la prédisposition du spéculateur à payer une prime dite de spéculation selon
Harrison et Kreps (Tirole, 1982, p2). Il suffirait d'enlever la liquidité des titres (possibilité de revente)
pour que les titres se rapprochent du fondamental. En effet, « si l’action, une fois détenue, ne pouvait
plus être échangée, alors l’investisseur potentiel serait nécessairement conduit à se focaliser sur sa
seule source de revenus, à savoir les dividendes » (Orléan, 2004, p21). L’invention de la liquidité, en
ouvrant la possibilité d’échanger, perturbe en profondeur l’évaluation fondamentaliste (Harrison et
Kreps, 1978, cité dans Orléan, 2004, p21), mais pour quels impacts ?
o Impacts sur le marché
Danthine (1978), Kawai (1983) et Turnovsky (1983) considèrent que la spéculation réduit la
volatilité, résultat contesté par Artus (1988) ou Slade (1989) (cités par Grégoir et Salanié, 1991, p2).
D’une manière générale, nous retenons une spéculation dite défensive (hedging) et une autre dite
offensive considérée comme néfaste, bien que la spéculation défensive puisse aussi être
déstabilisante (Artus, 1996, p7). Artus finit par conclure que cette spéculation défensive peut s’avérer
particulièrement déstabilisante lorsqu’elle est combinée à l’asymétrie d’information, tout en
supposant que théoriquement, l’apport de liquidité peut améliorer le bien-être. Même en supposant la
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disponibilité de l’information dans le marché contrairement à la posture néolibérale, la spéculation se
maintiendrait tout de même car les acteurs font des interprétations différentes d’une même
information, ce qui contribue à déstabiliser le marché plutôt qu’à le stabiliser en amplifiant les
mouvements issus d’effets moutonniers, pourtant dénués de fondements solides (Artus, 1996, p4). Vu
son effet amplificateur et exacerbant sur les fluctuations, la spéculation peut-être, paradoxalement,
profitable et déstabilisante en même temps (Baumol, 1957, pp2-8). Les profits des spéculateurs ne
sont donc pas nécessairement stabilisateurs (Baumol, 1957, cité dans Tesler, 1959, p1). L’hypothèse de
Friedman est invalidée.
Dans le cadre des marchés actuels comportant beaucoup de positive feedback trading, le
positive feedback trader, qui suit les tendances passées, peut rendre le spéculateur rationnel lui-même
déstabilisant. Pire encore, le trader rationnel, lui-même, peut être déstabilisant vu qu'il entraine avec
lui le positive feedback (Bradford et al, 1990, p3). La rationalité fondamentaliste est stabilisante, ce
qui n'est pas le cas de la rationalité stratégique selon la NTA (Orléan, 2004, p11).
Au-delà de l’aspect stabilisant/déstabilisant sur le marché, qui est un point focal des discussions
des économistes sur le concept de spéculation, si ce n’est le point le plus souvent abordé, nous jugeons
utile de discuter d’autres impacts de la spéculation sur le marché, évoqués par cette école. Par
exemple, les surcoûts spéculatifs dus à la prime, au stockage et à l'intérêt sont passés au
consommateur (Cootner, 1960, p4), ce qui participe à l’inflation. Les marchés ont aussi plus de volume
à gérer, mais sans impact économique réel, dans la mesure où le spéculateur doit souscrire un contrat
pour couvrir sa position spéculative, et que ce nouveau contrat peut éventuellement être lié à un
contrat inverse et ainsi de suite. Comme les acteurs font des paris différents sur les mêmes actifs, cela
accroit les volumes de transactions, sans croissance de l’activité réelle. Pis, cela aboutirait en réalité à
une perte collective alors même que l’action individuelle est en apparence rationnelle vu qu’elle
aboutit à un profit supérieur à celui de la situation initiale.
Pour autant, la spéculation n’apporte-t-elle pas de liquidité, pourtant bénéfique au marché,
comme énoncé par l’un des arguments phares de l’école néolibérale ? Cette vision néokeynésienne
récuse le fait que le spéculateur apporte de la liquidité au marché, en affirmant que la liquidité circule
surtout entre les spéculateurs remettant ainsi en cause le principal argument en faveur de la
spéculation (Artus, 1996, p41). L’activité semble être un jeu à somme nulle (Artus, 1996, p40). Vu que
les spéculateurs gagnent, alors il est nécessaire que les hedgers ou les amateurs perdent sur les
marchés futurs (pertes généralement compensées par les bénéfices dans l'activité réelle pour les
hedgers bien sûr) (Cootner, 1960, p4).

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En tout état de cause, cette théorie suppose que la spéculation est inefficace car elle augmente
le risque sans apporter de valeur ajoutée socio-économique. Par conséquent, malgré leur avance en
termes d’information, les spéculateurs seraient incapables d’atteindre une rationalité complète, et
donc d’améliorer l’efficience des marchés, et ne feraient qu’ajouter des positionnements peu utiles au
marché, et déstabilisants.

1.2.3.4 Théorie du déplacement : Approche hétérodoxe historico-


économique de Kindleberger
L’approche de Kindleberger dans Histoire Mondiale de la Spéculation Financière est originale
par rapport aux six précédentes postures, en plusieurs points. Il aborde le concept sous un angle
historique et non mathématique et financier. Cela apporte un recul très intéressant au lecteur à
l’approche de ce phénomène. Cette approche historique, nous le verrons, mérite une attention
particulière ainsi qu’une approche particulière. A cet effet, sa posture historique nous y contraignant,
nous retracerons le parcours chronologique (au lieu des catégorisations retenues pour les autres
postures) du cycle spéculatif en résumant ses propos, avant de reprendre les seuls points importants
que nous insèrerons au sein de notre nomenclature.
Dans un positionnement clairement plus macro-économique et pragmatique 66 , Charles
Kindleberger reprenait, appuyait et étayait le modèle de Minsky expliquant la spéculation et arguant
que son point de départ immédiat se résumait généralement à un déplacement, autour duquel un
certain nombre de facteurs secondaires gravitaient. Du point de vue de l’individu, nous retrouvons des
éléments de la théorie des désaccords (anticipations hétérogènes) qui soulignent le rôle de
l’irrationalité qui découle de l’avidité, l’appétit du gain dans les périodes d’euphorie, parfaitement
illustrée par les déboires peu connus du physicien Isaac Newton en bourse lors de l’épisode de la South
Sea Company67. Kindleberger arrive à la conclusion que « … de nouvelles sources de profit dont on
exagère la portée, et nous voilà en pleine irrationalité, en pleine spéculation » (Kindleberger, 1978, p3).
Ces nouvelles sources de profit sont une des manifestations possibles d’un déplacement. Nous
retrouvons aussi des éléments de la théorie de l’arbitrage de l’information dans la mesure où les
opérateurs sont divisés par l’auteur en deux catégories :

66 « Rejeter les crises financières en étant convaincu qu’il ne peut y avoir ni spéculation, ni catastrophe, car cela supposerait l’irrationalité,
reviendrais à ignorer la réalité pour le bien de la théorie » (Kindleberger, 1978, p274)
67 « Isaac Newton, lui-même grand maitre de la monnaie et homme de raison devant l’éternel nous offre un autre exemple de spéculation

déstabilisante d’un non-initié. Au printemps 1720, il écrit « Je peux calculer le mouvement des corps célestes, mais pas la folie des
hommes ». Le 20 Avril, il décide donc de vendre ses actions de la South Sea Company avec un confortable profit de 7000 livres, soit un
rendement de 100%. Malheureusement, saisi sur le tard d’une mauvaise intuition, il cède à l’euphorie générale et rachète des actions au
prix fort, pour une somme plus importante, et finit par perdre 20 000 livres. En proie à cette propension maladive à l’oubli qui nous guette
tous après un échec, il ne supporta plus d’entendre jusqu’à la fin de ses jours ne serait-ce que le nom de South Sea ». Kindleberger (1978,
p38)

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• Les outsiders ;
• Les insiders (ayant de l’information privilégiée, et qui ont bien un effet déstabilisant
selon lui)
Le déplacement est donc un événement exogène, qui s’impose à l’économie et qui perturbe les
anticipations sur plusieurs marchés. C’est un « événement extérieur qui modifie les perspectives, les
attentes, les centres de profit, les comportements » (Kindleberger, 1978, p46). Le déplacement peut
être une baisse soudaine et brutale des taux, un accroissement rapide de la masse monétaire, une
guerre, un changement politique radical, une famine, une épidémie, une découverte, une innovation
ou encore tout autre événement ne provenant pas de l’évolution interne naturelle du marché et de
portée imprévue. En conséquence d’un tel déplacement, les investissements changent de cible,
l’épargne est réorientée et c’est toute l’économie qui change de direction. Dans un tel contexte, « les
objets de spéculation vont différer de boom en boom, de crise en crise » (Kindleberger, 1978, p50). Les
objets de la spéculation, pour reprendre les propos de Kindleberger, sont des produits de l’économie
réelle. Ces objets varient avec le temps, mais la spéculation a toujours besoin d’un ou deux objets lors
du processus de déplacement, et de création de la bulle spéculative, qui mobilisent l’euphorie
collective, comme le retrace l’histoire de la spéculation. A titre indicatif, Kindleberger cite quelques
exemples d’objets de spéculation lors des trois derniers siècles :
• La South Sea company (notamment avec Isaac Newton comme victime) 1720 ;
• La compagnie des indes, 1722 ;
• La dette publique britannique : Amsterdam, 1763 ;
• Le café, 1857 à Hambourg ;
• Les banques (Country Banks), Angleterre, 1750, 1793, 1824 ;
• Les canaux, 1793, 1820 et 1823 ;
• Les obligations étrangères, 1825 à Londres et 1888 à Paris ;
• Les mines étrangères, 1825 ;
• Les terrains, 1825 en France et dans plusieurs pays ;
• Les chemins de fer, 1836 et 1857 aux Etats-Unis, 1888 en Argentine ;
• Les introductions en bourse, 1888 Londres et 1928 New York ;
• Le cuivres, 1888 en France et 1907 aux Etats-Unis ;
• Le marché des changes, 1921 en Allemagne, 1924 en France, 1931 en Angleterre,
1973 aux Etats-Unis ;
• L’Or en 1979 ;
• Les produits dérivés dans les années 1980 ;
• Les Hedge Funds à partir de 1994 jusqu’à la faillite de LTCM en 1998 ;

La liste est longue et les euphories humaines se suivent… et se ressemblent, « on pourrait


poursuivre ainsi, mais la partition se répète » (Kindleberger, 1978, p55). Dès qu’une petite épargne se
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constitue, qu’un déplacement intervient, l’euphorie ne peut plus être arrêtée, et la création monétaire
alimente le cycle… Avant qu’un nouveau déplacement ne fasse exploser la bulle, les initiés ont alors
déjà pris leurs bénéfices, et les pertes sont partagées entre les derniers entrants dans un système
quasi-Ponzi68.
Si le déplacement est de nature négative, la contraction n’est jamais bien loin. S’il est de nature
positive (innovation, découverte, nouvelle tendance…), « …l’investissement et la production croissent
fortement. Un boom est alors en route » (Kindleberger, 1978, p17 ; p50). Pour Minsky, le boom est
alimenté par le crédit bancaire, la création monétaire (concept central sur lequel nous reviendrons en
seconde partie plus en détail). Regnault (1863) distinguait déjà deux types de spéculations ; une
nuisible, qui s’alimente généralement par un contexte de politiques monétaires expansionnistes, et
une autre, utile, qui représente le calcul fait par le spéculateur pour jouer le rôle d’assureur, rejoignant
ainsi la première théorie de la spéculation, celle de la couverture du risque.
Aussi, « les objets de spéculation sont liés entre eux, comme peuvent l’être les marchés
nationaux, ne serait-ce que par le crédit ». Les capacités productives ne suffisent plus, les
investissements augmentent, et sont très rentables, un temps… nous sommes alors dans la phase de
« l’euphorie ». A cette étape, « la qualité de la dette se détériore, même si la quantité de monnaie
s’accroît dans des limites appropriées ».
Chronologiquement, la spéculation se met en place en deux phases majeures dans lesquelles
des étapes se succèdent. Dans un premier temps, la prudence domine et les agents économiques
réagissent au déplacement de manière mesurée et rationnelle. Dans un second temps, la recherche de
plus-values laisse prédominer l’euphorie émotive, ce n’est plus le dividende ou le taux qui compte,
mais la plus-value sur le principal (Kindleberger, 1978, p33), nous sommes à ce stade dans la
conception Kaldorienne de la spéculation. Cette seconde étape est marquée au début par l’entrée en
jeu de ceux que Kindleberger nomme expressément de « criminels » intéressés par les profits rapides
et qui essaient d’attirer des novices. A partir du moment où la spéculation atteint des couches de
population habituellement réticentes à ce genre d’activités, et généralement peu au fait du monde de
la finance, nous sommes dans la phase de « bulle »69 ou de « folie spéculative ». Dans ces phases
avancées, de plus en plus de néophytes cherchent à devenir riche sans vraiment « savoir comment y

68Pyramide de Ponzi : Montages financiers frauduleux où les premiers investisseurs sont rémunérés grâce aux fonds apportés par les
suivants.
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-des-pyramides-de-ponzi-dans-l-apos-economie-33333.php (08/03/2017)

69 Déviation par rapport aux fondamentaux (Kindleberger, 1978, p18)

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- 109 -
parvenir », c’est alors que fleurissent les fraudes et les escroqueries en tout genre (Kindleberger, 1978,
p19).
Du fait de la libéralisation des échanges de biens et de capitaux, mais aussi de la contagion
psychologique, les bulles (positives ou négatives) se propageront assez naturellement entre les
différents pays, surtout si les places financières sont assez liées. « Dans la plupart des crises, il y a au
moins deux objets de spéculation et au moins deux marchés » (Kindleberger, 1978, p55). Au plus haut
du marché, les prix semblent se stabiliser, ceux qui disposent d’informations privilégiées prennent
leurs bénéfices mais les prix ne baissent pas car de nouveaux spéculateurs entrent encore… Ces
derniers auront droit à la patate la plus ‘’chaude’’ pour reprendre l’expression keynésienne. Ils
paieront pour tout le reste et accuseront, bien souvent, les pertes les plus importantes du cycle ! Le
marché est sans direction, hésitant, c’est ce que Kindleberger qualifie de « détresse financière ». Sa
durée varie en fonction du marché (entre quelques jours et quelques mois, rarement quelques années),
mais ne se prolonge généralement pas dans le temps.
S’en suivra systématiquement une course à la liquidité qui laissera certains sur le quai,
incapables de faire face à leurs engagements s’ils ont procédé à des emprunts, notamment le cas des
spéculateurs à la marge. C’est généralement un signal spécifique qui déclenche le début de la crise,
comme une faillite bancaire, la révélation d’une fraude à grande échelle, ou un nouveau déplacement.
La course à la liquidité s’accentue, les faillites se multiplient et les impayés avec. L’économie étant à
court de liquidité, les titres sont mis sur le marché à n’importe quel prix, c’est la phase de « révulsion »
pour Kindleberger (cette étape ne figure pas dans le modèle de Minsky), la « panique ». « Dans notre
modèle, le déplacement, l’euphorie et la détresse sont en général suivis d’une panique, elle-même
annonciatrice du krach » (Kindleberger, 1978, p111). Les banques ne prêtent plus d’argent, plongeant
l’économie dans des abîmes parmi les plus sombres et incertains. La panique se transforme alors
éventuellement en scènes de rue, en « krach », et continue généralement jusqu’à ce que l’un de ces
trois événements se produise :
➢ Les prix tombent si bas que les acteurs sont de nouveau motivés pour l’achat
(c’est le scénario néoclassique de l’équilibrage naturel du marché par lui-même) ;
➢ Les transactions sont interrompues ou encadrées fixant des limites aux ventes et aux
variations de prix (ce scénario ne fait en réalité que différer l’enchainement des événements,
mais peut avoir comme impact positif de permettre plus de recul et donc moins de réactions
émotives voire hystériques), c’est le mécanisme de coupe-circuit, en référence au rapport
américain (Brady) sur la crise de 1987, notamment utilisé en Chine en 2015 ;

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- 110 -
➢ Un prêteur en dernier ressort (public ou privé) arrive à convaincre le marché qu’il y a
suffisamment d’argent pour répondre à l’ensemble des besoins en liquidité : il suffit seulement
de montrer l’argent pour que le marché soit convaincu. Cette stratégie contribua à stabiliser la
crise de 1929 ou encore celle de 2008.
Au final, les pertes des non-initiés sont égales aux profits des initiés dans une vision de jeu à
somme nulle (Kaldor, 1939, p4) dans laquelle, à long terme, le marché s’équilibre, mais après avoir
traversé une amplification des cycles, à la hausse comme à la baisse, du fait des spéculateurs. Cette
mécanique, déjà décrite au dix-neuvième siècle par Lord Overstone, est rapportée par Bagehot (1857 ;
Kindleberger) comme suit : Tranquillité, progrès, confiance, prospérité, excitation, excès d’échanges,
convulsion, pression, stagnation, pour terminer à nouveau dans la quiétude et la tranquillité.

Figure 7 : Les phases de la spéculation chez Kindleberger

Phase 1 Phase 2 Phase 3 Phase 4 Phase 5 Phase 6 Phase 7 Phase 8 Phase 9


Quiétude Progrès Confiance Prospérité Excitation Excès Convulsion Pression Stagnation
d’échanges
Source : L’auteur

Nous résumons les principales caractéristiques de la théorie du déplacement de Kindleberger


au sein de notre nomenclature comme suit :
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris
- Les risques pris sont énormes lors des pics, surtout pour les outsiders n’ayant pas accès à
l’information privilégiée (Kindleberger, 1978, p46).
o Intentions des spéculateurs
- Principalement les gains en capital et non les dividendes (Kindleberger, 1978, p46) ;
- Les escrocs et criminels entrent en jeu lors de l'euphorie (Kindleberger, 1978, p46).
- Les profits rapides (Kindleberger, 1978, p45)
o Rationalité des spéculateurs
- Le marché est dominé par l’irrationalité, l’avidité, l’appât du gain (Kindleberger, 1978, p45) ;
- Le marché peut devenir déstabilisant et irrationnel même si chaque acteur à son niveau est
rationnel (Kindleberger, 1978, p41).
o Modalités opératoires
- Deux objets de spéculation, deux marchés (Kindleberger, 1978, p46) ;
- Propagation internationale (Kindleberger, 1978, p46).
• Eléments exogènes

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- 111 -
o Relation à l’information
- Les insiders ont l’information privilégiée, pas les outsiders (Kindleberger, 1978, p44) ;
- Les néophytes misent et ignorent de quoi il en retourne (euphorie) (Kindleberger, 1978, p46).
o Outils d’analyse dominants
- Mimétisme.
o Contexte d’occurrence
- Déplacement (exogène) (Kindleberger, 1978, p44) ;
- Euphorie généralisée (Kindleberger, 1978, p44) ;
- Abondance de liquidités (Kindleberger, 1978, p45).
o Impacts sur le marché
- Le tout diffère de la somme de ses parties (Kindleberger, 1978, p41) ;
- Les insiders sont déstabilisants (Kindleberger, 1978, p44) ;
- Détresse financière et éventuellement faillites et crise économique (Kindleberger, 1978, p46) ;
- Amplification des cycles (Kindleberger, 1978, p46) ;
- Jeu à somme nulle (Kindleberger, 1978, p46).
En guise de synthèse, nous avons choisi de présenter le récapitulatif des théories au sein d’un
tableau agencé de manière à illustrer notre classification retenue au fil de l’analyse.

1.2.4 Tableau de synthèse des principales théories de la spéculation


Ayant pu synthétiser les différentes théories de la spéculation au sein d’une nomenclature
standardisée, malgré l’éparpillement de grande ampleur souvent rencontré dans les argumentaires de
ces théories, nous avons ouvert la voie à leur regroupement au sein d’un tableau récapitulatif. Ce
tableau, résumant la cinquantaine de pages qui précèdent, permettra au lecteur de procéder à des
comparaisons rapides et d’aller droit au but lors de la recherche de la position d’une école de pensée
sur telle ou telle caractéristique la spéculation, au sein de notre nomenclature.
Tableau 3 : Synthèse comparative des théories explicatives de la spéculation

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\ Eléments analysés -> Eléments endogènes au marché Eléments exogènes au marché
Les postures \ Spéculateur et Intention du Rationalité du Modalités Relation à Outils d’analyse Contexte Impacts sur le
théoriques risque pris spéculateur spéculateur opératoires l’information dominants d’occurrence marché
Théorie classique : Plus de risque Profit plus Très rationnels. Achat quand Parfaitement Prix passés. Saisonnalité. Stabilisante.
un socle historique Apportent de important et Irrationnels trop d’offre. informé. Utilise Tendances. Monnaie neutre. Réduit le coût de
de la théorie de la la liquidité. appât du gain. éliminés. Arbitrage inter- l’information Anticipations Gouvernement transaction.
spéculation Permet la Les crises sont temporel. de manière rationnelles. régalien. Apporte de la
Postures couverture. exogènes. optimale. Modèles. liquidité.
théoriques Théorie keynésienne Peu averse au Anticiper Court-terme. Réflexivité. Asymétrie Réflexivité. Logique Réfute l’apport
libérales et (modèle Keynes- risque, voire l’évolution Être rationnel Divergences d’information. Logique auto- spéculative. de liquidité.
traditionnelles Hicks) : risk lovers. psychologique c’est anticiper la d’anticipation. Info utile = Etat centrée, auto- Profit importe Déconnexion de
et historiques Une référence Hedgers bien du marché. foule et non le Primes de psychologique référentielle. plus que projet la finance.
de référence plus averses. Gain aléatoire. fondamental. couverture. du marché. Anticipations. Droit revente. Néfaste.
La théorie de Pas Gain à CT, sur Certains Produits Anticipations Anticipations de Volatilité.Produit Si demande
Kaldor : d’engagement la variation du irrationnels. financiers plus hétérogènes. variations de durable et spéculative forte,
Une incontournable à couvrir. principal. Interprétations propices car Une partie naît prix. standardisé. déstabilisante.
transition vers la Plus de risque. Ne veut pas le divergentes. coûts de de dynamiques Prévoir les Forte demande. Volatilité.
complexité sous-jacent. conservation < endogènes. psychologies. Coût conserv <.
Théorie néoclassique Plus de risque. Court-terme. Anticipations Arbitrage, cibler Mieux informé. Règles du Asymétrie Stabilisante.
de l’arbitrage de Moins averse Transfert de rationnelles. les décalages Informations marché. d’information. Liquéfiante.
l’information au risque. risque. Interprétation prix injustifiés. hétérogènes. Tendances. Imitation de la Prix adéquats.
(spéculation Profiter des peut diverger. Prévoit mieux. Anticipations part des petits Réduit coûts.
stabilisante) décalages prix. Peuvent imiter. rationnelles. traders. Dynamise.
Postures théoriques Plus de risque. Gain suite aux Subjectifs. Variations de Infos privées. Anticipation. Info différente. Améliore les prix.
syncrétiques Moins averse nouvelles infos Rationnel à son prix (principal) Anticipations Interprétations. Incertitude. Stabilisante.
Les postures (Plutôt au risque. Pas intéressé niveau, selon ses N’a pas de sous- hétérogènes. Modèles Coûts de
théoriques mathématiques et par sous- idées. jacent à couvrir. Info complexe mathématiques transaction <.
contemporaines relativistes) jacent. Manipulable. et séquentielle. Forte élasticité.
de référence Théorie keynésienne Plus de risque. Manipuler. Certains Achat si prix va Incertitude. Anticipations. Marché non Déstabilisante,
(hors Friedman) des anticipations Moins averse, Profit pour le irrationnels dans augmenter. Infos décalées. Analyse efficient. en général. Pas
hétérogènes surtout si riche risque pris. l’absolu. Manipuler. Info privée. technique. Asymétrie info. d’impact réel.
(spéculation Risque sous- Gain en capital Rationnels Délit d’initié. Interprétations Tendances. Droit de revente. Peu liquéfiante.
déstabilisante) évalué. Court-terme. financièrement Titrisation. divergentes. Sensations. Volatilité. Plus de risque.
Théorie du Prise de risque Gain en capital Irrationalité et Deux objets de Info privée. Mimétisme. Déplacement. Insiders
déplacement : excessive. Profits rapides l’avidité spéculation en Insiders et Euphorie déstabilisants.
Approche historique Escroqueries dominent. général. outsiders. généralisée. Faillite et crise
hétérodoxe de Délits d’initiés Deux marchés. Néophytes Abondance de Amplification des
Kindleberger. ignorants. liquidités. cycles.

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- 113 -
Il s’avère au final que les divergences de perception dans les théories de la spéculation ainsi que
dans sa définition sont très fortes. Plus que cela, certaines théories expliquant la spéculation sont en
fait diamétralement opposées, à plusieurs égards. Afin de cerner le concept de manière assez
complète, notre propos sera de retenir au maximum les différentes composantes significatives du
concept de spéculation qui permettront de mieux le cadrer. Notre inventaire détaillé des composantes
(section 1) couplé à ce tableau débouchera sur une définition plus détaillée, explicitant un peu plus le
concept de spéculation. Cette définition servira de référentiel conceptuel au reste des travaux de cette
recherche, dans la mesure où l’hétérogénéité des approches ne permettait pas d’établir dès le départ
un référentiel consensuel. L’analyse détaillée des définitions puis des théories a permis, en partie, de
dépasser cet obstacle, notamment à travers l’élaboration d’une nomenclature.

1.2.5 Vers une définition type et détaillée de la spéculation :


A notre niveau, l’optique de la recherche se veut inscrite, en premier lieu, dans un cadre
théorique constructiviste. Nous prévoyons de dégager de la réalité des marchés les facteurs les plus
décisifs dans le processus de spéculation. C’est dans cette perspective que la recherche ne cessera les
allers-retours entre les pratiques et les théories, dans une démarche bien différente de l’approche
hypothético-déductive adoptée par les nombreux modèles sur la spéculation que nous avons eu
l’occasion de passer en revue, et qui partent d’un certain nombre d’hypothèses et d’un modèle
mathématique, pour aboutir à certaines conclusions, à partir du cadre posé.
L’objectif de notre recherche impose de mettre en place un cadre qui servira de référence pour
la suite de la partie constructiviste, principalement centrée sur l’isolation des variables influant sur la
spéculation. Ce n’est qu’une fois que le référentiel conceptuel finalisé de manière constructive, que la
trame globale de recherche s’inscrira dans un cadre hypothético-déductif. Or la mise en place d’un tel
référentiel nécessite d’isoler les concepts redondants au niveau des définitions (qui décrivent plutôt la
manifestation du phénomène de spéculation) ainsi qu’au niveau des théories (qui s’attachent plutôt à
expliquer les causes et implications du phénomène). La revue de ces variables permet de dégager des
éléments relativement distincts qui entrent en ligne de compte dans le concept de spéculation.
Il est désormais évident que le concept de spéculation tire son ambigüité de la complexité qui
le caractérise. Le nombre de notions et d’éléments interconnectés qui entrent en compte lors de
l’activité de spéculation montrent à quel point la réduire en une phrase simple serait biaisé et très
incomplet. Pour autant, prétendre définir de manière exhaustive et définitive la spéculation serait du
domaine de l’impertinent tant le phénomène est lié à une activité humaine très évolutive avec le

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- 114 -
temps et remplie de caractéristiques aussi subtiles que délicates à répertorier. Cela n’est pas sans
rappeler la définition pesante utilisée par Bourdieu (1980) lorsqu’il s’attela à définir le concept de
l’habitus70, tant il n’hésita pas à rallonger la définition, vu l’extrême complexité du concept approché,
cela semblait même naturel et nécessaire.
Notons au passage que la notion de spéculation est généralement perçue de manière positive
au sein des cercles d’opérateurs financiers ou des écrits produits par ces derniers, tant il y a un conflit
d’intérêt à lui donner une définition objective. Les banquiers d’affaires et les financiers ont eu
tendance à la présenter comme un risque nécessaire ayant de nombreuses vertus (Working, 1960, p2).
Elle est également traitée de manière exclusivement négative dans une certaine littérature et dans
certains courants. L’objet de notre recherche est moins de trancher cette polémique, sans doute loin
d’être terminée, que d’apporter une caractérisation objective de ce phénomène, à travers l’inventaire
de ses composantes, afin d’échapper à tout ‘’ethnocentrisme linguistique’’ (Bourdieu, 1983).
Précisons également que le concept de spéculation, d’une manière générale, est perçu de
manière négative en dehors de cercles financiers. Pour Working (1960, p2), la spéculation au sens
commercial du terme a bien souvent été critiquée et évoquée avec une connotation péjorative. La
langue étant un outil de communication reflétant des compréhensions communément partagées, il est
nécessaire qu’elle soit le miroir de la compréhension générale d’un concept, comme étayé dans la
première section de ce chapitre. Il est aussi possible de définir la spéculation comme un simple
investissement, comme cela se retrouve chez certains financiers, tels Ashley (2009). Notre étude s’est
donc proposée de relever les aspects qui permettent de différencier clairement la spéculation d’autres
concepts voisins, tels que la couverture, l’arbitrage, le jeu, et certaines transactions et investissements
réels.
Le passage en revue des définitions, des théories, des composantes et des clarifications de
nombreux économistes et autres experts concernant le concept de spéculation nous permet d’avancer
la définition suivante, qui prend en compte les principales composantes de définitions et théories,
évoquées de manière récurrente, que nous avons analysées. Cette définition essaie de répertorier les
éléments interconnectés dans un ordre logique tout en essayant de ne pas occulter de composante
majeure relative à la spéculation. Il est ainsi possible définir la spéculation de la manière suivante, en
mettant en évidence ses éléments distinctifs :

70 Habitus : « Systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures
structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être
objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les
atteindre, objectivement «réglées» et « régulières» sans être en rien le produit de l'obéissance à des règles, et, étant tout cela,
collectivement orchestrées sans être le produit de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre », extrait de Bourdieu, 1980.

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- 115 -
Activité financière sans impact direct sur le champs productif (a) intervenant généralement
dans un contexte de volatilité (b), d’incertitude (c) et d’asymétrie d’information (d), la spéculation
consiste à parier (e), en anticipant souvent à l’aide d’outils d’analyse statistiques et mathématiques
probabilistes (f), sur l’évolution psychologique et les décisions futures des opérateurs (g) du marché,
pour tirer profit des variations de cours (h) par des transactions de court terme (i), le plus souvent à
l’aide de produits dérivés (j).
Non concernée par l’utilité physique ou les rendements cycliques du sous-jacent négocié (k) et
bien plus risquée que l’investissement et le commerce réels (l), la spéculation, a une plus grande
probabilité d’échec (m). Elle aboutit généralement à l’annulation (compensation/liquidation) de la
transaction initiale (n) et au transfert de richesses en partie entre amateurs et initiés dans un jeu à
somme nulle (o), sans création de valeur ajoutée économique réelle (p), ayant de nombreuses
similitudes avec les jeux et les paris (q), engendrant quelques gagnants et un grand nombre de
perdants (r).

Prenons quelques lignes afin de clarifier le choix de ces éléments distinctifs, et en quoi ils
permettent de caractériser au mieux le concept, et le différencier par rapport à l’investissement, au
commerce et aux jeux de hasard. Ces éléments sont dans une certaine mesure mutuellement exclusifs
mais pas complètement exhaustifs, vue la nature même du concept étudié. Nous jugeons le passage
par cette caractérisation détaillée nécessaire à l’avancement de la recherche et l’acquisition de rigueur
scientifique et d’objectivité pour les parties à venir, par rapport au traitement de ce concept. Précisons
de nouveau que notre définition concerne la spéculation dans son sens le plus commun, celle qualifiée
d’accessoire par Woelfel (1993), celle à laquelle l’esprit fait référence lorsqu’elle fait l’objet d’un débat.
Contrairement au commerce ou à l’investissement, la spéculation n’a pas d’impact direct sur les
biens physiques (a). Elle a besoin d’un minimum de volatilité pour permettre au spéculateur de gagner
sur les variations des prix (b). En l’absence d’incertitude, elle se résumerait à de l’arbitrage, en
environnement certain, entre marchés (c), alors qu’au contraire, elle intervient à l’étape 1 des modèles,
notamment d’Hirshleifer, lorsque l’incertitude domine. Cette incertitude est non seulement
caractéristique d’inégalité face à l’information, mais également de divergences dans l’interprétation,
éléments qui se résument dans le concept d’asymétrie d’information, au sens classique (d). Ainsi, le
spéculateur choisit un placement, une tendance, et donc place un pari sur la réalisation de cette
tendance (e). Ce choix est motivé par une analyse préalable qui s’appuie souvent sur l’étude des
statistiques des prix passés, et leur projection sur des modèles probabilistes prédictifs, surtout dans le
cas des spéculateurs expérimentés (f). L’objectif principal de ces modèles est de prévoir les tendances

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de marché, la psychologie de foule, bien plus que d’évaluer les fondamentaux des sous-jacents
concernés par l’activité spéculative (g). En faisant cela, le spéculateur tire alors profit des variations de
cours, qu’il a anticipé, du sous-jacent de référence (c’est une des différences fondamentales avec le
commerce) (h) surtout par des transactions de court-terme (i). Le court-terme est en effet l’horizon
préféré du spéculateur. C’est presque une règle dans la mesure où plus les transactions de l’opérateur
sont rapprochées dans le temps (hebdomadaires, quotidiennes, à la minute, à la seconde, à la
nanoseconde...), plus son activité peut être qualifiée de spéculative, l’inverse étant tout à fait vrai.
L’outil privilégié des spéculateurs est à l’heure actuelle le produit dérivé, tant il répond aux conditions
de marché et d’outil support décrites par Kaldor, favorisant l’activité spéculative (j). Ce choix reste en
ligne avec la préférence de faiblesse des coûts de transaction évoquée par Kaldor.
En somme, le spéculateur n’est pas intéressé par le sous-jacent du contrat qu’il acquiert ni par
ses rendements éventuels dans la mesure où le plus important pour lui est la variation en capital dans
le cadre de la volatilité du marché (j). L’activité spéculative est par nature plus risquée que l’activité
d’investissement ou de commerce classiques, étant basée sur des humeurs de marché plutôt que sur
des fondamentaux économiques à volatilité réduite (k). Pour cette raison, et pour tant d’autres comme
l’aléa plus important, la spéculation a une probabilité d’échec largement plus importante (l). De
nombreuses statistiques relèvent que seuls 10% des daytraders sortent gagnants à moyen terme (Al
Suwailem, 2006). D’un point de vue pratique, les enquêtes ont aussi montré que la probabilité de
réaliser des profits à partir d’investissements spéculatifs sur les options est de seulement 25% (Summa
2003). Il apparaît alors évident que le degré de risque demandé, supporté et accepté par le spéculateur
est bien plus important que celui engagé par un investisseur classique, mais surtout que la mesure de
la probabilité de perte de l’activité permet de quasiment trancher sur le caractère spéculatif de cette
dernière. Lorsqu’elle porte sur des contrats relatifs à des sous-jacents à livrer à terme, l’activité
spéculative n’aboutit pas à la livraison, mais bien à la compensation et la liquidation du contrat par une
position contraire, pour solder l’engagement et ne pas se faire livrer, le plus important étant le gain ou
la perte monétaire issus de cet aller-retour (m). Ce gain, ou cette perte, va d’un agent à un autre, sans
contrepartie au niveau des flux physiques. Les initiés sortent en général gagnants et les amateurs sont
ceux qui héritent de la patate chaude et qui paient leur arrivée tardive et leur manque de suivi des
tendances, dans le cadre d’un jeu à somme nulle (n), du fait de leur faible réactivité aux informations,
d’une capacité réduite d’interprétation de l’information et d’un accès plus limité à l’information. En
termes d’impact, la spéculation ne génère donc que des transferts monétaires et pas vraiment de
création de valeur économique réelle (innovation, production, transformation, transfert...) comme le
démontre Kaldor. Elle est donc plus souvent assimilée aux jeux de hasard qu’à l’investissement dans
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l’économie réelle, du fait de l’ensemble de ces procédés et du déroulement de ses principales étapes
(p). A cet effet, et dans la même perspective, elle permet à un petit nombre de gagner, et la majorité
reste en général perdante (q).

Conclusion du chapitre
La revue des définitions a permis de dégager dans un premier temps les principales
caractéristiques du concept. Un passage par les théories détaillant les causes et les conséquences a été
nécessaire. Notre tableau de synthèse récapitule, sur la base d’une nomenclature commune, les
principaux traits distinctifs de ces théories, et leur positionnement sur chacun des paramètres liés à la
spéculation. Notre définition, tirée de l’ensemble des définitions et théories étudiées, rappelle les
composantes majeures de la spéculation. Elle souligne certaines dimensions et critères distinctifs
fondamentaux non évoqués par Kaldor. Parmi les dimensions : La probabilité plus importante de perte,
l’asymétrie d’information, les outils supports, le risque plus important, l’aboutissement au jeu à
somme nulle et à la compensation ou encore l’impact en termes de création de valeur et de nombre de
gagnants. Parmi les critères distinctifs fondamentaux, nous relevons l’environnement incertain, non
spécifié par Kaldor, qui ne permet donc pas à sa définition de distinguer arbitrage et spéculation. Il y a
aussi l’horizon de court-terme, caractéristique de la spéculation. La définition de Kaldor implique de
connaître l’intention (« en vue de »), une lacune majeure. Elle reste une référence incontournable.
Il apparaît à ce stade évident pourquoi le concept est complexe à cerner et à définir simplement,
tant ses composantes sont nombreuses et imbriquées. Cette définition permet néanmoins de
récapituler ces composantes, mais est appelée à évoluer à l’avenir car elle caractérise un
comportement humain évolutif et non une loi naturelle d’une science exacte. Elle permet également
de mieux identifier les situations spéculatives, même si l’intention de l’opérateur est inconnue. Elle
reste dans un cadre relatif et non absolu, dans le sens où elle permet de distinguer les situations qui se
rapprochent de la spéculation de celles qui s’en éloignent, vu que la vision binaire tranchée dans ce
phénomène serait réductrice. Une des utilisations de cette définition peut avoir lieu sous la forme d’un
arbre basé sur un processus d’élimination des situations non spéculatives, que nous avons illustré par
un arbre de la spéculation. Cet arbre, bien qu’inédit, a été laissé en annexe A.2, car il représente
justement ces choix binaires. Notre définition nous permettra d’analyser une autre problématique
importante liée à la spéculation : Ses facteur empiriquement identifiables, vu que nous avons passé en
revue les théories relatives à ces facteurs. L’inventaire de ces facteurs, à partir d’éléments empiriques
cette fois-ci, d’une manière qui se veut la plus complète possible, sera l’objet de la suite de nos
développements et facilitera la mise en place d’un outil de mesure adapté au phénomène.

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- 118 -
PARTIE II

2 LES FACTEURS A L’ORIGINE DE LA SPECULATION

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Définir la spéculation est une étape nécessaire qui a permis de disséquer le phénomène et de
mieux le cerner. Le passage en revue des théories de la spéculation a donné une idée plus claire sur les
principaux éléments entrant en ligne de compte lorsque le phénomène est évoqué, ainsi que des
explications théoriques et certaines de nature empirique relativement enrichissantes. Pour autant, si
nous voulons évaluer le risque spéculatif, il est nécessaire de pouvoir faire un inventaire relativement
complet des causes de la spéculation, tiré des manifestations pratiques du phénomène, tant ce
dernier est non statique et donc évolutif, ce qui rend obsolète certains éléments des théories déjà
admises, comme le coût de stockage.
Après avoir dépassé l’étape délicate de définition puis d’explication théorique du concept,
l’objectif sera de poser les bases d’un outil qui devrait permettre de mesurer le niveau du risque de
spéculation dans un marché donné. Cette mesure a un préalable incontournable qui n’est autre que
l’inventaire des causes pratiques actuelles de la spéculation, à l’aide une étude documentaire à
travers une démarche qui se veut inductive. Il est indéniable que, plus les facteurs énoncés sont
mutuellement indépendants, plus l’analyse sera précise. Mais ceci n’est pas toujours évident pour
certains facteurs comme nous le verrons. Les facteurs, et la modalité de mesure (détaillée dans la
quatrième partie) retenue pour chacun d’eux, composeront l’outil global que nous visons à établir afin
de pouvoir mesurer le risque de spéculation.
La partie théorique ayant permis d’aller plus en profondeur dans la précision de la seconde
classification des facteurs, cette partie s’enrichira des éléments nouveaux que les discussions
théoriques ont permis de recenser. A l’issue de cette étude documentaire des facteurs, sous l’angle
empirique, une troisième classification plus fine des facteurs a pu se dégager, enrichissant
considérablement les bases des recherches restant à mener. Cette nomenclature prend ses racines
dans la seconde nomenclature obtenue à l’issue de l’analyse des définitions puis des théories. Elle a
subi un nombre important de changements, de modifications et de réarrangements tout au long de la
recherche. Elle n’a pris véritablement forme qu’à l’issue de l’étude documentaire. Toutefois, nous
jugeons utile de l’introduire dès le début de la partie, afin de donner une vision claire du cheminement
que nous retiendrons pour notre analyse. Retenir ce plan facilitera la lecture tout au long de notre
recherche, avec un fil directeur largement plus clair. Nous préférons l’évoquer dès le début de cette
seconde partie afin de fluidifier l’analyser, plutôt que de la laisser pour la conclusion.
Ainsi, nous relevons que d’après les analyses d’économistes et de financiers, deux grandes
classes de facteurs de la spéculation seront à distinguer : les facteurs endogènes et les facteurs
exogènes. Au niveau des facteurs endogènes, nous relevons deux sous-catégories qui sont les facteurs
liés aux comportements des opérateurs puis ceux liés aux transactions. Pour les facteurs exogènes,
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
- 120 -
nous relevons ceux liés au cadre réglementaire, ceux relatifs au contexte financier et enfin les facteurs
liés au contexte macroéconomique. A partir de cette partie, nous nous proposons donc de retenir
cette troisième catégorisation un peu plus élaborée des facteurs de la spéculation, qui découle
directement de l’analyse des théories et des définitions, et qui sera notre nomenclature de
catégorisation des facteurs pour le reste des travaux. Nous aurons donc un degré supplémentaire de
détail en matière de classification.
Ci-après, nous citons certains économistes qui ont évoqué tel ou tel facteur comme étant
favorable à la spéculation, afin de justifier la nomenclature retenue, d’un point de vue théorique. Après
chaque facteur, nous mentionnons l’élément favorable à la spéculation, relevé par l’économiste en
question, et qui entre dans le cadre du facteur. Nous présentons donc la nomenclature comme suit :

1. Les facteurs de la spéculation endogènes au marché


a. Les comportements dominants
i. Ethique marginalisée et environnement favorisant la fraude
• Criminels et escrocs apparaissent, cherchant le profit rapide au détriment
des amateurs cherchant le profit facile (Kindleberger, 1978, p46) ;
• Délits d’initiés et manipulations (Artus, 1996, p10) ;
• Déstabilisations du marché (Hart, 1977 ; Newbery, 1987).
ii. Cupidité, course au prestige entre traders
• Avidité, appétit du gain (Kindleberger, 1978, p45) ;
• Appât du gain (Oaidah, 2010, p305) ;
• Gains d’une minorité attirent les entrants (Kaldor, 1939, p44).
iii. Prise de risque excessive
• Plus de risque pris (Kaldor, 1939, p8) ;
• Le spéculateur supporte le risque en priorité (Friedman, 1960, p4), il est peu
averse au risque (Salant, 1976, p2 ; Tirole, 1982, p2 ; Hirshleifer, 1977, p19 ;
Harrison et Kreps, 1978), voire aime le risque (Guth, 1994).
iv. L’intention préalable de spéculer à court-terme
• Jeu à Somme nulle (Friedman, 1960, p4) ;
• Motivée par l’anticipation de faire un gain à court-terme (Kaldor, 1939, p43) ;
• Le court terme domine (Kearns et Manners, 2004, p17 et 22).
b. Les transactions principales
i. L’assurance et la spéculation
• La spéculation comme alternative aux assurances (Tirole, 1982, p2) ;
• Titrisation du risque par les assurances (Artus, 1996, p48 ; Plihon, 1991, p9.)
ii. La vente à découvert
iii. Les ventes futures
• Estimation biaisée des prix anticipés (Cootner, 1960, p1) ;
• Favorise l’instabilité (Newbery, 1987).
iv. Le spoofing (annulation d’ordres après émission)
• Tentatives de manipulations.

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v. Complexité croissante et innovation financière excessive
• Titrisation du risque par les dérivés (Artus, 1996, p48 ; Plihon, 1991, p9).
vi. Poids des dérivés
• La spéculation sur les produits purement financiers est plus accessible
(Kaldor, 1939, p43) ;
• Objet de spéculation privilégié (Kindleberger, 1978, p55).

2. Les facteurs de la spéculation exogènes au marché


a. Cadre réglementaire
i. Possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal
ii. Domination des opérations et comptabilités parallèles (OTC)
• Opérations hors bilan (Plihon, 1991, p9).
iii. Déréglementation excessive et des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés
que les spéculateurs
• Propagation facilitée (Kindleberger, 1978, p55).
iv. Poids et pouvoir des lobbys financiers ainsi que leur protection
v. Cotation continue et fréquence des transactions
• Le spéculateur se positionne rapidement, pour voler le départ (Keynes, 1936,
p167) ;
• Le droit de revendre (Keynes et Kaldor cités dans Harrison et Kreps (Tirole,
1982, p2).
• Une réduction de liquidité des titres enrayera la spéculation (Keynes, 1936).
b. Contexte financier
i. Domination de l’analyse comportementale sur la fondamentale
• Priorité à l’anticipation psychologique, jouer au plus doué (Keynes, 1936,
p154), (Kaldor 1939, p4) ;
• Logique autocentrée, autoréférentielle, réflexive (Orléan, 1988, p7) ;
• Analyse chartiste et de tendances (Orléan, 1988, p8) ;
• Popular models (Schiller, 1990) ;
• Positive feedback traders, réagissent aux tendances, orientés par les ‘’règles
de marché’’ (Kearns et Manners, 2004, p23).
ii. Structure oligopolistique et conflits d’intérêt
iii. La rentabilité d’activités purement financières dépasse celle des activités de
l’économie réelle
• Quand le gain à court-terme est supérieur aux cash-flows actualisés (Morris,
1996, p3).
iv. Volatilité
• Les fluctuations de court-terme (Kaldor, 1939, p43).
v. Asymétrie d’informations, opacité et fausses rumeurs
• Favorise la spéculation Working (1949), (Grossman et Stiglitz, 1980);
• De meilleures connaissances (Friedman, 1960, p4) ;
• Information spéciale chez le spéculateur (Keynes-Hicks, Hirshleifer, 1973, p3);
• Insiders et outsiders (Kindleberger, 1978, p46) ;
• Les plus informés gagnent (Tirole, 1982, p2) ;
• L’information est disponible seulement en partie (Orléan, 1988, p8).

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- 122 -
c. Contexte macroéconomique d’endettement
i. Le système bancaire, la dette et la détérioration de la solvabilité
• Détérioration de la qualité de la dette (Kindleberger, 1978).
ii. La création monétaire et l’abondance de liquidités
• Peut être un déplacement favorable à la spéculation (Kindleberger, 1978,
p46) ;
• Politique monétaire expansionniste, Regnault (1863) et Minsky cités par
Kindleberger 1978, p17 et p50).
iii. Le levier
• Hausse des prix supérieure aux intérêts bancaires favorise la spéculation
(Tesler, 1959, p7) ;
• Spéculateurs à la marge (Kindleberger, 1978).
iv. La titrisation et la négociabilité de la dette et des intérêts
• Prolifération des outils quasi-monétaires (Kindleberger, 1978).

Ce bref récapitulatif de la partie théorique, adapté au plan retenu pour la partie pratique, lui-
même issu d’analyses sur les deux volets, consolide notre choix d’avancer dans nos développements
sur la base de cette nomenclature incorporant les différentes tendances des postures théoriques. Ce
choix ne sera en réalité validé qu’une fois l’étude documentaire sur les causes, empiriquement
relevées, de la spéculation achevée à l’issue de la seconde partie. Selon toute vraisemblance, « la crise
financière déclenchée en 2007 a été attribuée à plusieurs facteurs parmi lesquels l’ingénierie financière,
les dérivés, les taux d’intérêts très bas avec une politique monétaire laxiste de la FED, des niveaux
minimums de capital réglementaire inadéquats chez les organismes financiers, un levier incontrôlé, une
spéculation sans précédent, l’opacité des comptes et l’information inadéquate qui les accompagne, la
cupidité, les comportements frauduleux, une régulation et une supervision inadéquate et bien plus
encore. L’histoire jugera dans quelle mesure chacun de ces facteurs a contribué à la crise. » (Askari et al,
2010, p161). C’est avec cet inventaire assez précis, clôturant l’un des articles composant leur ouvrage
« Stability in islamic finance », que les auteurs essaient de faire le tour des facteurs de la spéculation.
Dans l’optique de la précédente citation et en cherchant davantage de structuration, cette partie se
consacrera essentiellement à l’identification des facteurs de la spéculation relevés dans les analyses
économiques d’actualité, comme celles d’Askari et al, et surtout ceux observés dans la pratique, étant
donné que les analyses théoriques ont été discutées dans la partie précédente.

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- 123 -
CHAPITRE I

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- 124 -
2.1 Les facteurs de la spéculation endogènes au marché
Cette première catégorie de facteurs, endogènes, regroupe un certain nombre d’éléments
intrinsèques au marché dont l’importance est capitale. Au sein de cette catégorie figurent deux sous-
catégories - comportements et transactions - dans lesquelles les facteurs seront présentés du moins
important au plus important, selon notre appréciation qui s’inspire de la revue de littérature. Cette
appréciation sera par la suie confrontée à l’enquête quantitative de la quatrième partie.

2.1.1 Les comportements


Les spéculateurs étant avant tout humains, les recherches montrent que de nombreux
éléments déterminant la spéculation se rapportent aux opérateurs eux-mêmes. Nous essaierons ici
d’identifier ces facteurs essentiellement comportementaux et dont l’impact est décisif.

2.1.1.1 Ethique marginalisée et environnement favorisant la fraude


L’éthique71 est une préoccupation vers laquelle se tournent actuellement de plus en plus
d’investisseurs, de chercheurs et d’institutions72. Le réchauffement climatique, la crise d’identité, le
matérialisme égoïste ambiant et la société d’abondance sont en partie responsables de cette diffusion
de la préoccupation relative à l’éthique. Kindleberger (1978, p92) évoquait à ce titre la propension de
« l’agent à tromper son commettant, si possible, sans se faire prendre ou sinon sans encourir une peine
supérieure au gain réalisé », poussant le cynisme matérialiste rationnel à ses limites, sans pour autant
s’éloigner de la réalité observée en pratique... Dans la Pyramide de Maslow 73 l’éthique ferait partie,
des besoins d’accomplissement. Il est tout à fait compréhensible dans une société matérialiste, qu’elle
ne devienne une préoccupation majeure que lorsque la plupart des principaux besoins matériels sont
traités.

71 L’éthique : Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu'un.
Dictionnaire Larousse, Ethique, Le site des Éditions Larousse. URL : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9thique/31389
(21/01/2015)
72 Harvard a reçu un énorme don de 10 millions de Dollars pour démarrer un cycle de formation et de recherches axé sur les

comportements éthiques (Kindleberger, 1978, p92)


73 Pyramide de Maslow : « Dans les années 40, le psychologue américain Abraham Maslow avait mis au point un modèle simple pour

représenter la complexité des motivations humaines, connu depuis sous le nom de pyramide de Maslow. Les besoins des hommes sont
représentés sous la forme de couches superposées allant du plus physiologique au plus immatériel, la satisfaction des besoins de base
permettant d'envisager celle des besoins "supérieurs".
La simplicité de ce modèle a fait son succès durable. Elle lui a valu également de nombreuses critiques, notamment du fait de la hiérarchie
qu'il établit entre les différents besoins. Or, même quand ils sont au bord de la famine, les hommes ont aussi un besoin vital d'estime et de
reconnaissance sociale. »
Alternatives Economiques (Mars 2008), Maslow : un modèle dépassé mais parlant..., n° 267. URL : http://www.alternatives-
economiques.fr/maslow---un-modele-depasse-mais-par_fr_art_690_35874.html (21/01/2015)

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- 125 -
Figure 8 : Illustration de la pyramide des besoins de Maslow

Source : Actionco.fr

Le manque d’éthique est particulièrement avancé comme source des récents scandales du Libor,
de Kerviel et Madoff pour ne citer que ces exemples. Jacques Tripon (responsable de la branche de
financement et d’investissement de la BNP-Paribas dans la région du Golfe) affirmait à cet égard que
« la crise des subprimes a mis en évidence une absence de moralité et démontré la nécessité de
renforcer plus d’aspects moraux et éthiques » (Hubner, 2009)74. Ce paramètre est lié à l’éducation des
opérateurs et leurs sensibilités morales lors de l’accomplissement d’opérations financières.
Souvent, l’éthique n’est pas une priorité chez certains opérateurs de la haute finance. Nous
pourrions même parler d’un grand nombre d’opérateur dans la mesure où nous savons que 24% des
traders affirment être prêts à tricher pour gagner (Arbouna et El Islamy, 2008, p13) ! Il est
compréhensible que dans le monde de la finance, la majorité des acteurs soit attirée par le profit ;
néanmoins, il existe des limites à cette motivation. Gibbons (1859, p104) relatait à ce titre que « la
majorité des fraudes bancaires est commise par des gens honnêtes », non sans une touche de cynisme.
Cette attractivité du profit, au détriment d’autres critères d’évaluation de la performance, est
caractéristique des sphères financières et favorise des comportements qui peuvent être spéculatifs et
bien loin de toute préoccupation éthique. C’est ainsi que de nombreux jeunes traders ne manquent
pas seulement d’éthique, mais, peu sensibilisés aux impacts macroéconomiques de leurs décisions, se
préoccupent surtout de savoir comment contourner la régulation (Askari et al 168). Au final, bien que
restant dans la sphère légale, ils seraient largement dans le domaine des comportements non-éthiques.
Certains avancent d’ailleurs que le droit n’a pas vocation à être éthique.
Un autre exemple de manque d’éthique pouvant contribuer à plus de spéculation dans le
marché est quand un opérateur majeur du marché (grande institution financière, agence de notation

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- 126 -
importante, ou acteur individuel très suivi…) profite de son capital moral et sa crédibilité dans le
marché pour lancer une information ou un jugement biaisé afin d’orienter le marché dans un sens qui
lui permettra de générer des profits. Dans de telles circonstances « si cette annonce n'avait lieu qu'une
fois, le manipulateur tromperait le public, d'autant plus facilement qu'il serait perçu comme étant
honnête. Cependant, le jeu est répété, et la réputation du manipulateur est révisée. Sa stratégie, s'il est
malhonnête, est alors de mentir lorsque sa réputation dépasse un certain seuil, après une phase où il a
été honnête. C'est en effet dans ce cas que le mensonge est le plus efficace, puisque son annonce est
suivie par les autres intervenants. À long terme, enfin, le manipulateur révèle sa vraie nature (honnête
ou malhonnête) » (Artus, 1996, p10).
Dans un registre similaire, l’exploitation des failles des normes comptables peut dans certains
cas aboutir au contournement de certaines régulations, à la fraude ou à l’escroquerie. Kindleberger
constatait que « La propension à escroquer et à se faire escroquer évolue de concert avec la propension
à spéculer » (Kindleberger, 1978, p89). Association de genres qui peut paraître étonnante de prime
abord, il s’avère que les liens entre escroqueries et spéculation sont plus nombreux qu’il n’y paraît. En
effet, les escroqueries sont moins nombreuses dans les marchés stables et bien réglementés (Askari et
al, 2010, p161). Elles prolifèrent généralement dans les milieux opaques, où l’on cherche à faire des
transactions très profitables très rapidement, un cadre proche de celui de la spéculation. A cela
s’ajoute l’horizon de flexibilité miroité par le régulateur au spéculateur. Si les lois punitives sur les
fraudes et les déviances spéculatives sont fermes et lourdes, alors la probabilité d’avoir ce genre de
comportement diminue (Kindleberger, 1978, p56).
A ce titre, c’est en littérature qu’une image édifiante de ces dérives marqua de nombreux
lecteurs d’Eugénie Grandet de Balzac. Le père Grandet regrettait que « Faire faillite […] est un crime
que la loi prend malheureusement sous sa protection. Le voleur de grands chemins est préférable au
banqueroutier : celui-là vous attaque, vous pouvez vous défendre, il risque sa tête, mais l’autre… »
(Balzac, 1837, p38). Une expérience amère est d’ailleurs peut-être à l’origine d’une telle assertion.
Donnard, (1961) dans son ouvrage consacré aux œuvres de Balzac, consacra un chapitre aux crises,
fraudes et faillites, et un autre à la spéculation, soulignant le lien entre les premiers et la spéculation.
Pour Kindleberger (1978, p93), l’escroquerie est elle aussi déterminée par la demande, comme
tout autre bien et service… Lors d’un boom, les escrocs montent en scène et leurs services sont de plus
en plus demandés par des gens avides de richesse rapide. Dans ce contexte, « qu’une escroquerie soit
rendue publique, qu’un coupable soit arrêté, se livre aux mains de la justice, se confesse, s’enfuie ou se
suicide suffit souvent à marquer la fin de la période d’euphorie spéculative. L’excès d’échanges est sans
doute arrivé à son terme. Le rideau se lève sur l’écœurement, voire le discrédit » (Kindleberger, 1978,
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
- 127 -
p110). Une fois la phase de détresse financière entamée, la fraude bat son plein, et les pertes des uns
sont reportées sur beaucoup d’autres, dans l’esprit de l’extrait suivant : « l’argent d’abord, l’argent
toujours ; la vertu ensuite, si elle le veut »75, comme pour Thomas Guy qui vendit pour 54 000 Livres
d’actions de la South Sea au plus haut de l’euphorie spéculative, et utilisa le profit pour fonder le Guy’s
Hospital à Londres, qualifié par Kindleberger (1978, p124) de « plus beau mémorial à la gloire de la
spéculation » ! A plusieurs égards, l’Histoire se répète et la finance reproduit inlassablement les mêmes
cycles d’erreurs. « Les faits historiques rapportés dans ce livre sont suffisamment représentatifs pour
établir une structure récurrente de l’économie capitaliste », et « nous amène à nous demander si les
marchés d’aujourd’hui se rappellent des leçons d’hier » (Kindleberger, 1978, p269 ; p274).
L’éthique n’étant déjà pas une priorité en général, elle l’est encore moins pour certains
financiers prêts à frauder pour réussir. Ce manque d’éthique se matérialise par une faculté à
contourner les régulations ou à diffuser de fausses informations, sans se préoccuper des impacts
macroéconomiques de ces manquements. Les liens entre escroquerie et spéculation deviennent
évidents surtout lorsque cette dernière prospère à mesure que la réglementation est négligée. Cette
marginalisation de l’éthique pousse par ailleurs à une sorte de course effrénée à la gloire du fait de la
cupidité toujours plus grande et qui se traduit bien souvent par des guerres d’égo entre les
spéculateurs.

2.1.1.2 Cupidité, course au prestige d’égos et de chiffres


La cupidité est en général fonction décroissante de l’éthique, du moins s’il l’on s’en tient aux
explications des philosophes grecs sur les désirs, notamment la fameuse école des Stoïciens76. Le désir
de spéculer est un élément qui se retrouve tant chez le spéculateur des salles de marché que chez le
spéculateur des salles de jeux. Ce désir se trouve en réalité amplifié quand l’effet prestige et
compétition entre en jeu. Certains comportements présents sur les marchés ne sont que des
prolongements de comportements très naturels quelle que soit l’activité. Seulement, contrairement au
joueur de casino dont l’impact est circonscrit à sa personne ou tout au plus à son cercle familial, le

75 Cité dans Wirth, Handelkrisen, p80


76 « La philosophie que l'on désigne sous le nom de stoïcisme prit naissance dans les dernières années du IVe siècle avant notre ère ; elle
tint bien vite en balance les doctrines les plus fameuses. Ces principaux représentants furent Zénon, Cléanthe, Chrysippe, Panaetius,
Posidonius, Sénèque, Épictète, Arrien et l'empereur Marc-Aurèle. Ce fut, dès son commencement, une philosophie morale et pratique ; un
caractère qui se prononça, lorsqu'elle passa au IIe siècle av. J. -C. de la Grèce à Rome.
Également en lutte avec les hédonistes-épicuriens et les intellectualistes de l'Académie, elle poursuit sa marche conquérante et, forte de
toute une suite de grands penseurs qui l'ont de mieux en mieux affermie, elle résiste aux attaques contraires ; enfin elle éclipse ses rivales,
grâce à l'heureuse fortune qui lui assura la conquête morale de l'élite du monde romain. (…) Sur le terrain moral, Epictète distingue les
choses qui dépendent de nous, nos pensées, nos désirs, nos œuvres, de celles qui n'en dépendent pas, corps, biens, réputation, dignités.
S'attacher aux premières, s'abstenir de souhaiter les secondes ou les supporter, en se soumettant volontairement à la volonté de Dieu,
c'est le moyen d'être libre, tranquille, heureux. »
Encyclopédie Imago Mundi, Le Stoïcisme. URL : http://www.cosmovisions.com/Stoicisme.htm (16/04/2015)

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- 128 -
spéculateur en bourse peut entrainer la famine dans tout un pays en spéculant notamment sur des
dérivés, relatifs au cours du blé par exemple. Pour cette raison, l’Union Européenne a adopté le
15/04/2014 une législation imposant une « limite aux positions que des traders ou des groupes de
traders pourront détenir sur les marchés de dérivés des matières premières » (L’Economiste,
17/04/2014, p20).
A ce titre, Ashley (2009, p17) souligne que, loin de la rationalité théorique, les marchés sont en
réalité le plus souvent cupidement orientés par la théorie du plus fou. Il explique que le spéculateur
continue son activité tant qu’il est persuadé qu’il y aura un autre acteur plus cupide, aventurier et
irrationnel que lui, qui sera prêt à racheter l’actif, même s’il est surévalué. Ces comportements, basés
sur les sentiments des acteurs plutôt que les fondamentaux réels de l’entreprise, constituent un
contexte particulièrement propice à la formation de bulles spéculatives. Il y aurait donc une
composante comportementale plutôt irrationnelle (au sens macroéconomique) comme la cupidité, qui
entre en jeu dans le phénomène de spéculation. Cette analyse est largement inspirée des théories
relatives à la finance comportementale, déjà abordées lors de l’analyse des théories néokeynésiennes.
L’un des éléments relatifs à la course au prestige qui favorise les comportements spéculatifs sur
le marché se rapporte au mode de pensée et au comportement des opérateurs vis-à-vis du profit. Les
histoires de traders à succès à Londres ou New York qui font les ‘’unes’’ des journaux financiers
poussent souvent les nouvelles générations à chercher la réussite, toujours plus vite, alimentant
indirectement certaines dérives. La notion de processus de production réel (industriel, agricole ou de
services) étant généralement absente, l’opérateur cherche à travers des positions toujours plus
risquées, voire frauduleuses, la réussite rapide. Dans un monde financier où la langue dominante est
celle des chiffres, les traders se livrent non seulement une bataille sur la performance alimentée par la
cupidité, mais surtout une bataille d’égo, pour savoir qui fera la meilleure performance cette année ou
qui sera le premier promu ou encore celui dont le nom figurera à la prochaine ‘’une’’ d’un magazine
financier. Ashley revient sur cette course démesurée des traders qui se traduit par « …l’égo maniaque
démesuré que l’on retrouve dans les salles de trading… » (Ashley, 2009, p48). Les bonus publiés à la fin
de chaque année donnent une idée sur les montants faramineux distribués et les classements des
traders, qui cherchent toujours à se positionner en haut de l’échelle. A titre d’information, « la
rémunération moyenne des banquiers seniors de Goldman Sachs et de JPMorgan à Londres s'était
élevée respectivement à 2,5 millions de dollars et 2 millions de dollars (1,8 million et 1,5 million
d'euros) »77.

77
Roche Marc (2014), Les banques veulent contourner la réglementation européenne qui plafonne les primes dès 2015, 09 Janvier, Le
Monde

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- 129 -
Si nous ajoutons aux éléments psychologiques et moraux une dimension physiologique, nous
en serions presque à penser que cet état de fait est une fatalité. L’effet jeunesse n’aide pas, du fait des
hauts taux de testostérone78 sécrétés durant leurs opérations. Selon une enquête d’un chercheur de
Cambridge et ancien trader79, les traders sont plus enclins à prendre des positions plus risquées et
spéculatives que le reste des investisseurs. L’objectif de ces positions étant assurément d’obtenir les
meilleures performances le plus rapidement possible. A plus petite échelle et en dehors de la presse, il
arrive souvent qu’en fin de journée les spéculateurs se retrouvent autour d’un café pour comparer
leurs performances, ce qui alimente un peu plus la compétition spéculative. Cette bataille d’égo peut
entrainer une précipitation et une minimisation du risque lors des décisions d’investissement, voire la
prise de nombreuses positions spéculatives. « Comme le montrent les expériences détaillées, l’enchère
du Dollar80 commence avec la motivation de gagner de l’argent, puis tend vers un conflit dans lequel
l’enchérisseur tente de “s’imposer” et refuse d’abandonner » (Colman, 1999, pp 197–198).
L’ensemble de ces éléments est conforté par un phénomène atypique qui est relatif à
l’historique des marchés financiers. L’effet mémoire courte domine généralement au niveau des
marchés, ce qui diminue les précautions et les freins de la course à la performance alimentée par la
cupidité. A cet effet, « la majorité des traders se rappelle à peine de ce qui s’est passé il y a un an »
comme relaté par Ashley (2009, p206) pour expliquer que l’une des causes majeures de la spéculation
est la mémoire courte, le manque de perspective historique et le manque de recul chez ces opérateurs.
S’opère alors souvent un glissement dans lequel il y a un manque de discernement au niveau de
l’objectif du spéculateur. L’objectif premier est-il de gagner un maximum avec un minimum de risque
ou plutôt de s’imposer dans la sphère du trading, quel qu’en soit le prix à payer ? Des scandales
comme celui du trader Jérôme Kerviel montrent qu’en pratique, bien souvent, les risques pris
dépassent la mesure et les objectifs se confondent. Cette course au prestige, dans le cadre d’une
cupidité qui devient souvent difficilement contrôlable, est de nature à favoriser les comportements
spéculatifs, voire irrationnels, sur les marchés financiers. Ainsi, la leçon tirée de cette crise de 2008 et
celles qui l’ont précédé est que la recherche d’intérêt personnel et la recherche de profit pur ont de
grandes chances d’avoir des effets dévastateurs sur l’économie (Al Suwailem, 2013, p11). La somme
des intérêts financiers individuels ne donne pas encore l’intérêt général escompté depuis 3 siècles.

78 Buchanan Mark (2012), What Traders’ Testosterone Tells Us About Markets, 10 June, Bloomberg. URL :
http://www.bloomberg.com/news/articles/2012-06-10/what-traders-testosterone-tells-us-about-markets (16/04/2015)
79 http://www.cam.ac.uk/research/news/traders-hormones-may-destabilise-financial-markets (08/03/2017)
80 Expérience menée par des psychologues pour tester dans quelle mesure les participants sont prêts à payer un dollar plus cher que sa

valeur, tant qu’ils sont surs de pouvoir piéger leur prochain ou le revendre à leur prochain.

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Ces comportements se matérialisent bien souvent par des prises de risques excessives, notamment sur
certaines classes d’actifs.

2.1.1.3 Prise de risque excessive


« Si le monde est fou, il faut bien suivre » dixit Martin, un banquier français commentant la bulle
de la South Sea de 1720, cité par Kindleberger (1978, p150). La finance est régie par une loi que les
produits structurés les plus récents essaient de contourner. Dans un contexte économique classique,
pour accélérer les profits, il faut amplifier les risques pris. Ainsi, « un investissement parfait implique
un rendement nul » (Francis, 1991, p219). Avec la théorie du marché efficient, on démontre qu’il est
impossible de surperformer sans prendre plus de risques (Bachelier, 1900 ; Samuelson et Fama, 1965
p41-49), car le prix reflète la valeur réelle de l’action. Cette théorie est à tempérer par la pratique qui
n’est pas efficiente mais aussi car elle requiert d’ajouter un terme à l’hypothèse et la reformuler
comme suit : A long terme, le prix reflète la valeur réelle de l’action.
Dans le contexte actuel, et dans cette quête de réussite toujours plus rapide, la minimisation du
risque vient parfois perturber les anticipations initialement liées aux dérivés. Lors de leur avènement,
l’objectif initial était que les produits dérivés puissent permettre de transférer le risque entre
l’opérateur économique et le financier, vu que le « hedging » consiste à gérer le risque et non
l’éliminer (A Suwailem, 2006). En effet, le risque n’est pas neutralisé contrairement à l’idée reçue (Al
Suwailem, 2013). L’objectif du transfert est que le premier puisse avoir une assurance sur le prix de
vente final qu’il encaissera à échéance et que le second puisse avoir une opportunité de faire un gain
(ou une perte) en cas de variation des cours, en supposant que le second soit un agent qui a les
moyens de supporter ce risque et perdre sa mise. Ce fut l’idéologie de départ derrière la création des
dérivés. Le but était de faire supporter le risque aux agents économiques les plus aptes à le supporter.
Rapidement, les analystes ont constaté que ce sont surtout les plus aventuriers qui spéculaient
sur les produits dérivés et non les agents qui avaient les plus grandes capacités de supporter le risque
comme le veut la théorie (Cf Lehman Brothers). Le risque devient marchandise grâce aux dérivés
(Khan, Muntaqa et Abdul Salam, 2008, p12). Globalement, le constat fût que le système allouait les
risques à ceux qui en voulaient le plus (Al Suwailem, 2006, p39). L’hypothèse de base préludant à la
réussite des dérivés se trouve donc particulièrement compromise. Lorsque dans un marché, des agents
qui ne sont pas les plus solides accumulent de plus en plus de risques, la situation globale du marché
devient particulièrement spéculative. Richard Bookstaber, conseiller politique en chef sur la stabilité
financière aux Etats-Unis résumait le constat global de cette manière : « Le fait que le risque global du
marché se soit accru, alors même que les risques économiques exogènes aient particulièrement reculés,

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témoigne de failles conceptuelles à l’intérieur du système » (Bookstaber, 2007, p5). Ce constat est
conforté plus tard par Reinhart et Rogoff (2009).
A cet égard, Ashley (2009, p4) montre que le comportement du spéculateur est généralement
plus risqué que celui de l’investisseur. Le premier accepte un risque plus élevé, et c’est ce qui distingue
la spéculation de l’investissement, entre autres, comme constaté en première partie. Ce profil de
risque n’est pas sans rappeler celui des parieurs et autres joueurs professionnels et amateurs dans les
salles de jeu. Dans ses opérations financières, le spéculateur accepte souvent le fait de pouvoir tout
perdre dans l’une de ses transactions, ce qui est difficilement imaginable dans l’économie réelle, sauf
en cas de destruction totale d’une marchandise. Il est à noter que selon certains analystes, les mots
‘’risque’’ et ‘’incertitude’’ sont interchangeables (Adams, 1995).
Le risque est donc un facteur clef dans l’amplification de la spéculation. La constante financière
voulant que les profits attendus évoluent de concert avec les risques pris ne semble pas avoir pris une
ride. Les produits censés démentir cette constante n’ont en réalité que participé à sa démonstration,
parfois bien douloureusement. Dans le meilleur des cas, ils permettent de transférer le risque à des
agents qui le souhaitent, mais le risque systémique global demeure intact. Le risque devenant une
marchandise négociable, ce sont les plus aventuriers qui cherchent à s’y exposer et non les plus solides
financièrement. Cette accumulation du risque entre des mains qui ne sont pas toujours les bonnes
accélère inéluctablement le caractère spéculatif de ces acteurs et avec eux, l’ensemble du marché. Cet
accroissement du risque spéculatif a en réalité un préalable majeur : l’intention initiale de nombreux
acteurs de spéculer, et à très court terme.

2.1.1.4 L’intention préalable de spéculer à court-terme


« Dans les ruines de tout boum effondré on trouve l’action de personnes ayant acheté des
propriétés à des prix qu’ils savaient ne reflétaient guère la réalité mais qu’ils étaient prêts à payer
sachant qu’il ne leur serait pas difficile de trouver un plus grand sot à qui vendre, en empochant une
belle plus-value au passage » (Stern, 1977, p242). Originellement, les intervenants qui faisaient appel
aux marchés financiers à leur création étaient généralement des négociants ou des représentants de
grandes compagnies commerciales ou maritimes qui devaient s’approvisionner en matières premières,
échanger des lettres de change ou encore écouler leur marchandise. Les marchés financiers étaient à
leur création un prolongement des marchés physiques de commerce de biens et de services réels.
L’avantage principal des marchés financiers est qu’ils permettaient de mettre en confrontation, de
manière relativement centralisée et rapide, les grands négociants et les principaux courtiers des
capitales des grandes puissances industrielles. Ces marchés ont vu progressivement l’émergence d’une

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catégorie d’opérateurs qui prenait de plus en plus de place dans les transactions jusqu’à devenir des
influenceurs du marché. Il s’agit des spéculateurs et de leurs représentants. Ces derniers sont
principalement intéressés par les gains dus aux transactions et non les sous-jacents des transactions.
"Dans la majorité des futurs, la livraison et la possession de l'actif sous-jacent ne sont pas l'intention
des protagonistes" (Usmani, 1996). Lors de l’épisode de l’engouement pour les condomniums
immobiliers à Boston en 1985 et 1986, les statistiques ont révélé que 60% des achats étaient destinés
à la revente (Kindleberger, 1978, p35). Cela s’est rapidement terminé en 1988 par un effondrement
total du marché susmentionné.
Au niveau des opérateurs, nombreux sont ceux qui dès le début perçoivent le marché comme
un jeu. D’ailleurs les premiers spéculateurs de la bourse d’Amsterdam qui connut l’une des plus
fameuses bulles spéculatives de l’histoire, la bulle des bulbes de tulipes81, venaient généralement des
salles de jeu et des clubs privés portés sur les jeux de hasard (Ashley, 2009). Dans les marchés
financiers contemporains, il semble que peu de choses aient changé au niveau de la mentalité des
spéculateurs et leur perception du marché. Il est fréquent de s’apercevoir que les traders utilisent le
terme « partie d’échecs », « faire mumuse » ou encore « …tu seras hors-jeu… » (Ashley, 2009, p242) et
autres vocables relevant du champ lexical du jeu. Cette intention de spéculer est déterminante dans le
niveau de spéculation général du marché, mais elle fait partie d’un tabou tant les opérateurs financiers
trouvent cela dégradant d’être comparés à des joueurs de poker, surtout après les études très
poussées qu’ils ont faites. Pourtant, Ashley (2009, p236) affirmait clairement que « l'investissement
doit être vu comme un jeu de pourcentages ».
Selon Dunbar (2011), les banques aussi se sont lancées dans ces activités qui n’étaient rien de
plus que des jeux de hasard pour cols blancs. Ceci à une nuance près, c’est que leurs efforts d’analyse
et leurs méthodes opératoires donnent une certaine crédibilité à l’activité, contrairement aux jeux.
Parmi les éléments qui différencient les traders des spéculateurs des salles de jeu, la crédibilité acquise

81 « Venue de Turquie, la fleur de tulipe fit son chemin à travers l’Europe dans le courant du XVIe siècle et commença d’être étudiée et
cultivée par des botanistes, dans le cadre de l’université de Leyde en Hollande, à partir de l’année 1593. Très vite ce ne sont plus seulement
des universitaires qui s’intéressent à cette plante, et de simples horticulteurs en développent d’infinies variétés inédites.
Les foyers bourgeois et aristocratiques de toute la Hollande, mais aussi des différentes cours d’Europe, veulent à leur tour posséder et
cultiver des tulipes. Mais ces tulipes ne fleurissent qu’au printemps, et des marchés à terme organisés sur les promesses d’achat et de
vente de « bulbes » de tulipe voient le jour dans les années 1630, en dehors de la Bourse d’Amsterdam elle-même : les transactions ont
lieu dans les auberges de différentes villes (en particulier, la ville d’Haarlem), parfois devant notaire, sans dépôt de garantie, et bien sûr
sans « appel de marge ».
Très vite les promesses de livraison se trouvent déconnectées des quantités réelles, et les cours de la tulipe s’effondrent en février 1637,
des milliers de Hollandais se trouvant alors ruinés. Selon Mackay et l’ensemble de ses thuriféraires, une crise économique d’importance
aurait alors duré plusieurs années. Des actes écrits prouvent en tout cas qu’au plus fort de la « tulipomanie » qui aurait ainsi saisi le peuple
hollandais dans son ensemble en plein XVIIe siècle, le bulbe de tulipe se négociait pour un montant égal à 15 fois le salaire annuel d’un
artisan, une variété de tulipe ayant atteint le prix de 6700 florins en février 1637, alors que la tonne de beurre ne valait que 100 florins
environ. »
http://bourse.trader-finance.fr/dossier/formation-bourse/le-krach-de-la-tulipe-1ere-bulle-financiere.html 20/1/15

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en cas de succès et l’aspect professionnel de leurs opérations. Cela institue une différence de taille qui
fait que celui qui gagne au casino donne rarement une explication professionnelle à son succès, alors
que cela reste l’un des défis quotidiens des spéculateurs financiers. C’est ce que l’on pourrait qualifier
de perception ‘’ludo-analytique’’ du marché. Un mélange d’adrénaline ludique et d’outils d’analyse
aux apparences professionnelles (Al Suheibani, 2008, p4). En somme, « la motivation d’un spéculateur
peut vraiment être identique à celle d’un parieur/joueur » (Kamali, 1999, p9).
Historiquement, la tendance de la première moitié du 19ème siècle au niveau des tribunaux
américains était d’interdire les opérations sur les options et les futures à partir du moment où
l’intention de livrer ou de réceptionner la marchandise ne motivait pas les agents (Swan, 2000, pp. 212,
219). L’épisode concernant la bulle des bulbes de tulipes a connu un dénouement similaire des siècles
auparavant : « Pour soulager le marché, les députés d'Amsterdam déclarent que les contrats à terme
sur les bulbes de tulipe ne sont qu'un jeu de hasard et annulent tous les contrats, dont les acheteurs
peuvent se sortir en payant une soulte de 3,5 %. Seuls les plus petits spéculateurs sont sauvés de la
ruine par ce dispositif. »82. L’intention de la majorité des opérateurs était également, dans ce cas, la
spéculation, tant il est surréaliste qu’une tulipe ait la même valeur qu’un palais ou que 5 hectares de
terre comme ce fut le cas lors du plus haut des prix. Pour un régulateur, il est presque « impossible de
distinguer une position spéculative, qui est un pari, d’une autre qui aurait une visée économique » (à
l’étape de l’initiation de l’opération) (Tumpel-Gugerell, 2003).
Dans la majorité des marchés, la forte implication des spéculateurs financiers empêche alors le
marché de jouer son rôle de détermination transparente des prix en fonction de l’offre et la demande
réelle. A titre d’exemple, dans le marché des matières premières comme pour tant d’autres, lorsque la
demande spéculative augmente, même une augmentation de l’offre réelle ne suffit pas à faire
reculer les prix, pour un niveau de demande réelle stable. Cette montée de la demande spéculative a
été constatée au niveau de la bourse des matières premières de Londres, et bien d’autres :
« L'activisme des fonds spéculatifs sur le LME83 est particulièrement fort à partir de 2005/2006. Leur
part du volume d'échange s'accroit rapidement pour atteindre près de 70% fin 2006 ». Seuls 5% des
opérateurs du marché sont de véritables vendeurs/acheteurs (négociants, industriels…). La partie
spéculative représente l’écrasante majorité des transactions.

82 Faujas Alain (2013), Tulipes : quand les bulbes dégénèrent en "bulle", 06 Août, Lemonde.fr.
URL :http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/05/tulipes-quand-les-bulbes-degenerent-en-
bulle_3457521_3234.html#0beUfAJZuFli2UHL.99 (20/01/2015)
83 LME : London Metal Exchange

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Figure 9 : Part des fonds spéculatifs dans les transactions

Source : A partir des données recueillies auprès de MF Global, un des membres de la chambre de compensation du LME

Un autre exemple d’implication exponentielle des fonds spéculatifs est le marché des matières
premières, notamment avec le Goldman Sachs Commodities Index, qui est parfaitement illustré par les
volumes investis ces dernières années84.

Figure 10 : Placements dans les fonds indiciels et prix des matières premières

Cet état de fait est évoqué par Ayyash qui rejoint la Kaldor sur ce point. Le but du spéculateur
est de faire des profits en achetant et en vendant du risque, sans intérêt commercial dans la
marchandise échangée sur les marchés futurs (Ayyash, 2008, p19), ou d’intention de livrer ou se faire
livrer (Khan, Muntaqa et Abdul Salam, 2008, p16). Par conséquent, il est évident que plus les acteurs
du marché s’y positionnent avec une intention claire de spéculer et de parier, et non de négocier des

84 Bolis Angela (2012), La spéculation coupable de la flambée des prix des aliments ?, 14 Septembre, Lemonde.fr.
URL :http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/09/13/les-speculateurs-financiers-coupables-de-la-flambee-des-prix-des-
aliments_1757951_3234.html (28/02/2015)

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marchandises réelles pour se les faire livrer, ou des actions pour en attendre les dividendes, plus le
marché pourra être qualifié de spéculatif.
L’une des illustrations les plus intrigantes de la posture spéculative des investisseurs, parfois
institutionnalisée et encouragée par les autorités, est l’émission par la Suisse en 2015 d’obligations sur
10 ans avec des taux négatifs. Ainsi, « le gouvernement suisse vient d'émettre des obligations à 10 ans
en offrant lui-même un taux de rendement négatif aux investisseurs. Ces derniers ne peuvent donc
acheter qu'avec une vision spéculative : ils parient que les taux d'intérêt baisseront encore davantage
avant l'échéance, afin qu'ils puissent en profiter pour revendre d'ici là leurs titres à profit. Les Banques
centrales se font les mécènes de l'investissement spéculatif !85 ». A ce titre, Keynes (1936) notait déjà,
dans le douzième chapitre de sa théorie générale, que « les spéculateurs peuvent être aussi inoffensifs
que des bulles d'air dans le tourbillon spéculatif. Mais la situation devient sérieuse lorsque l'entreprise
n'est plus qu'une bulle d'air dans le tourbillon spéculatif » ; une conclusion proche de l’idée développée
par Kaldor sur l’aspect stabilisant de la spéculation si elle est minime.
Historiquement proscrit aux USA par exemple, le positionnement spéculatif dans le marché sans
intérêt pour la marchandise, avec pour unique intention de la revendre ou de transférer un risque,
s’est, en somme, normalisé avec le temps. En Europe, les premiers boursicoteurs venaient des salles
de jeu et voyaient la bourse comme un prolongement de leur activité. Actuellement, la pratique
spéculative a acquis une certaine crédibilité en développant des outils donnant une apparence
professionnelle et complexe, atteignant même les 95% de parts dans les volumes échangés. Cela crée
une déconnexion entre les cours et les prix réels, perturbant les évaluations des opérateurs réels. Ce
positionnement est d’ailleurs amplifié par un autre élément lié aux acteurs mais qui dépasse cette fois-
ci les intentions et qui relève plus de l’ordre de la finance comportementale et des pressions
inconscientes et psychologiques naturelles : le désir de s’imposer, qui a été précédemment discuté. Ces
comportements spéculatifs trouvent leur expression la plus importante dans un certain nombre
d’actifs et de transactions, particulièrement propices à la spéculation.

2.1.2 Les transactions


Les opérateurs financiers ne sauraient spéculer sans l’existence d’outils propices à cette activité.
Il suffit d’observer les marchés locaux réels sur les denrées alimentaires, surtout dans les pays en voie
de développement, pour constater qu’en l’absence d’un certain nombre de véhicules, d’outils et de

85 Le Monde (2015), L'exubérance des marchés : rationnelle mais périlleuse, 21 Avril

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techniques, la spéculation demeure assez marginale et coûteuse. Ce sont ces transactions que nous
analyserons afin d’évaluer leur contribution à la spéculation.

2.1.2.1 L’assurance et la spéculation


Au sein des économies contemporaines, les compagnies d’assurance constituent une pierre
angulaire du système financier. Les assureurs ont pour rôle initial de mutualiser les risques à travers
des cotisations assez minimales relativement au montant de l’actif, afin d’indemniser les sinistres
éventuels. Le secteur des assurances a souvent été considéré comme le second pilier de la finance,
parallèlement aux banques. Les bilans des unes et des autres sont enchevêtrés. En France, entre 60 et
80% des placements des assureurs sont sous forme d’obligations dans la mesure où ce sont les
placements les moins volatiles86. La chute des unes entrainerait inéluctablement dans son sillage leur
alter égo. L’interconnexion systémique se traduira par un effet domino lors des grandes crises
financières faisant que les deux industries s’effondrent généralement simultanément. Etant à l’origine
créé pour réduire les risques à travers le partage mutualiste, le secteur a ensuite de plus en plus évolué
vers l’assurance commerciale pour faire finalement des activités financières une part importante de
ses engagements, et devenir bien plus instable que les organismes mutualistes (Al Suwailem, 2006,
p117).
Ashley mentionnait que l’assureur, dans des cas comme l’assurance vie, rédigeait la police
d’assurance avec « globalement le même état d’esprit que l’entreprise de loto qui émet un ticket de
loterie » (Ashley 2009 p12). En d’autres termes, lors de la signature du contrat d’assurance, l’assureur a
pour souhait ultime qu’il n’arrive rien au client, par bienveillance à ses propres finances bien entendu
et non par compassion. Le client, pour sa part, a comme souhait ultime qu’en cas d’incident
quelconque, il soit indemnisé au plus haut point par l’assureur. D’un point de vue macro-économique,
les gains de l’un seront les pertes de l’autre dans un jeu à somme nulle. Cette affirmation d’Ashley,
bien que très positionnée, se comprend lorsque le parallèle opérationnel et macro-économique est fait
avec le monde du jeu. Pour Arrow (1971, p134) père du modèle contemporain de l’équilibre général
avec Debreu et Nobel 1983, « l’assurance est un échange d’argent contre de l’argent, et non de l’argent
en contrepartie de quelque chose qui répond à un besoin direct ». L’argument de l’utilité de l’activité
n’est donc d’emblée pas partagé au sein de la communauté des économistes.

86Hauton Gaël, Birouk Omar et Bouloux Alain-Nicolas (2012), Les placements des organismes d’assurance à fin 2011, Bulletin de la
Banque de France, N° 189, 3e trimestre.
URL :https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Bulletin-de-la-Banque-de-
France_189_Placements-Organismes-Assurances.pdf

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Il arrive par ailleurs que cette mission d’assurance dévie de sa perspective initiale quand
l’assureur se lance lui-même dans la spéculation ou quand le produit d’assurance est perçu comme un
permis pour plus de prise de risque (aléa moral), et, par là même, favoriser les comportements
spéculatifs. C’est le cas notamment des produits CDS87 utilisés par des assureurs majeurs comme AIG88,
leader mondial, pour assurer certaines transactions financières complexes à appréhender, ce qui a
poussé de nombreux opérateurs financiers à augmenter leurs risques en contrepartie de la
souscription de CDS, pensant s’assurer contre le risque encouru, se basant sur une des hypothèses
phares du secteur : l’indépendance des risques du fait de la loi des grands nombres. Certains
économistes ont souligné que l’existence de produits d’assurance couvrant les transactions financières
participait en soi à l’instabilité. Dans ce sens, « […] elle favorise les prêts bancaires à haut risque,
puisque pour attirer les dépôts, les banques proposent des rémunérations élevées et les placent dans
des investissements à haut risque, couverts par l’assurance sur les dépôts » (Kindleberger, 1978, p188).
En effet, les opérateurs financiers, ayant pu obtenir des produits de couverture, seraient incités à
prendre plus de risques ailleurs (aléa moral) et donc à éloigner les marchés de l’équilibre naturel
(Newbery, 1987). Concrètement, « cette réduction du risque peut les amener à se conduire de façon
plus risquée par ailleurs, ce qui peut être déstabilisant » (Artus, 1996, p8). Notons donc, à ce titre, que
les options sont des produits assimilables aux opérations d’assurances, mais prenant part entre acteurs
privés, au sein des marchés financiers.
Dans le cas de la crise de 2008, ces assurances portaient sur les prêts hypothécaires, eux-
mêmes hautement spéculatifs (au sens de la solvabilité de l’emprunteur). Les créances ‘’subprimes’’
étant plus que douteuses, la production de CDS (credit default Swaps) a donné une certaine impression
de couverture de risque et de sécurité virtuelle pour les acteurs sur les places financières alors qu’il
n’en était rien dans la mesure où les défauts de paiement commençaient à prendre une proportion qui
dépassait la capacité des assureurs à absorber les chocs. Avec les CDS, les assureurs espéraient qu’avec
de tels contrats aux primes importantes, les dégâts resteraient négligeables. Dans ces cas, il est évident
que la majorité des assurances sont dans un comportement résolument spéculatif.
Un autre problème se pose quand l’assureur lui-même cherche à spéculer afin de dégager des
profits toujours plus importants, sans prendre en compte les risques systémiques qu’il peut causer

87 CDS : Les CDS (Credit Default Swaps) sont des contrats de protection sur crédit visant à se couvrir contre le risque de défaut de
paiement. Le vendeur du CDS est en quelque sorte l'assureur, il s'engage à compenser les pertes liées à l'actif de référence en cas de
défaut de paiement. L'acheteur de la protection est l'assuré, il verse une prime annuelle au vendeur, calculée selon le risque de crédit de
l'actif de référence.
Abcbourse.com, Lexique Bourse Finance Économie, Lettre C. URL : http://www.abcbourse.com/apprendre/lexique.aspx?s=c (20/01/2015)
88 AIG : American international group est une entreprise internationale d’assurance.

Bloomberg Markets, American International Group Inc.


URL : http://www.bloomberg.com/profiles/companies/AIG:US-american-international-group-inc (20/01/2015)

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ainsi que les dommages collatéraux. A titre illustratif, la valeur du notionnel89 des seuls CDS atteignait
en 2008, 67 000 milliards d’euros, soit l’équivalant du PIB annuel mondial, alors même que
l’ensemble des obligations et actions valaient 15 000 milliards d’euros aux USA, ce qui montre
l’ampleur de la déconnexion (Stout, 2009). Ces comportements spéculatifs ont eu des effets
dommageables car ils ont favorisé le risque de spéculation, ce qui s’est traduit par une crise financière
majeure en 2008. Nous avons donc vu de très grands opérateurs, ou des assureurs étatiques tels
Freddie Mac et Fannie Mae, être dans de très mauvaises postures et au bord de la faillite, durant la
récente crise des subprimes. La quasi-faillite de AIG a finalement montré que ‘’tout’’ ne pouvait pas
être couvert, et que certains comportements hautement spéculatifs, entre autres, n’auraient pas dû
l’être. Ce sont 170 milliards de dollars qui ont été versé par les aides publiques, provenant des taxes
des citoyens américains, pour sauver ce géant financier d’un effondrement qui aurait certainement eu
un effet domino sur le reste des opérateurs90. « Même le président de la Réserve fédérale, Ben
Bernanke, a reconnu […] que ‘’ce qui le mettait le plus en colère’’ était le sauvetage contraint d'AIG.
‘’C'est totalement injuste que l'argent du contribuable aille soutenir une compagnie qui a fait ces paris
fous, qui opérait sans supervision des régulateurs. Mais nous n'avions pas d'autre choix que de la
stabiliser, sous peine d'un impact énorme, pas seulement sur le système financier mais sur l'ensemble
de l'économie américaine’’, a-t-il déclaré » 91. Cet extrait montre à quel point la position privilégiée de
l’assureur rappelle celle des banquiers, tout simplement car ces derniers faisaient assurer leurs
transactions risquées chez cet assureur, d’où l’enchevêtrement de leurs bilans respectifs.
Ainsi, les entreprises d’assurances opérant dans la haute finance actuellement sont
extrêmement éloignées du modèle fondateur de la discipline, bien plus proche de l’aspect mutualiste.
Ces assurances sur les produits dérivés et cette spéculation à leur propre compte rendent leur
structure financière aussi vacillante que celle d’une banque d’affaires exposée à la finance de marché
ou celle d’un fond d’investissement spéculatif. Au final, le résultat est bien plus grave vu que la FCIC 92
considère que les CDS ont été un facteur déterminant dans la bulle spéculative (FCIC, 2011). En
réaction à ces comportements, le parlement européen a restreint la possibilité de spéculer à travers les
CDS. A cet effet, « se félicitant de l'interdiction, le rapporteur Pascal Canfin (Verts, FR) a déclaré : "Le
Parlement s'est battu pour mettre fin à la spéculation sur les dettes souveraines en Europe. Ce texte

89 Notionnel : Le notionnel est le capital théorique sur lequel porte l’engagement pris par deux parties sur un contrat dérivé. L’ensemble
des calculs de gains ou de pertes réalisés par l’intervenant en fonction de sa prise de position est calculé sur cette base. La notion de
notionnel s’applique aux contrats dérivés organisés mais également aux contrats de gré à gré.
http://www.trader-finance.fr/lexique-finance/definition-lettre-N/Notionnel.html (20/01/2015)
90 Dépêche AFP, reprise par le journal Le Soir, Belgique, 15/03/2009
91 Le Figaro (2009), Le renflouement d'AIG a permis de dédommager les banques européennes, édition du 16 Mars
92 FCIC : Financial Crisis Inquiry Commission

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démontre aux citoyens européens que l'Europe peut agir contre la spéculation quand elle en a la
volonté politique. Avec le compromis trouvé aujourd'hui, il ne sera plus possible pour un hedge fund
d'acheter des CDS grecs ou italiens sans détenir des obligations de ces États et donc ainsi spéculer sur la
faillite du pays" ».93
L’assurance étant essentiellement un concept basé sur le principe de jeu à somme nulle,
l’engagement croissant des assureurs dans la couverture de transactions spéculatives n’est pas sans
accroître le risque systémique du fait des interconnexions bilancielles majeures avec les banques.
Alors que les opérateurs s’exposent davantage du fait de l’illusion de couverture procurée par
l’assurance en supposant l’indépendance des risques, au niveau macro-économique, le risque n’est
pas annulé, il est simplement transféré de certains agents à d’autres. Le phénomène s’amplifie lorsque
l’assureur spécule en nom propre. La vente à découvert accélère en quelque sorte ce processus de
transfert ainsi que l’impact spéculatif qui en résulte.

2.1.2.2 La vente à découvert


Parmi les transactions prisées par les spéculateurs, notamment les Hedge Funds, la vente à
découvert figure en bonne place. Le processus de vente à découvert est très controversé et interdit
dans plusieurs pays du vieux continent comme c’est le cas en France, en Belgique, en Espagne et
Italie94. Cette interdiction semble s’appliquer du fait des conséquences importantes sur la baisse des
marchés. A travers ce processus, si un spéculateur identifie un probable recul des marchés, il peut
spéculer à la baisse. Il faut garder à l’esprit que dans l’économie réelle, la baisse des prix est due
généralement à la supériorité de l’offre par rapport à la demande, élément dont les raisons en amont
peuvent varier (surproduction, baisse du pouvoir d’achat…). Le spéculateur, lui, opère au niveau des
marchés financiers d’une manière qui lui permet d’être gagnant qu’il y ait hausse ou baisse des cours.
Cette seconde situation où les gagnants sont assez rares permet d’identifier de manière encore plus
pertinente le spéculateur du reste des opérateurs. Gagner alors que les cours de bourse s’effondrent
est une spécialité développée par un petit nombre de spéculateurs, notamment à travers l’anticipation
de la baisse. Comme nous l’avons déjà relaté, le spéculateur parie sur l’évolution des cours. De cette
manière, le pari peut concerner toute situation où l’avenir est incertain, où deux issues ou plus sont
possibles.

93 Schranz John (2011), Lutter contre la vente à découvert et la spéculation sur la dette souveraine, Communiqué de presse, 19 Octobre,
Parlement Européen. URL : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20111018IPR29720/Lutter-contre-la-vente-%C3%A0-
d%C3%A9couvert-et-la-sp%C3%A9culation-sur-la-dette-souveraine (23/12/2015)
94 Crise boursière : quatre pays européens, dont la France, interdisent les ventes à découvert 12/08/2011, Lepoint.fr

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- 140 -
La vente à découvert95 est un processus qui consiste à vendre un actif avant de l’acheter,
anticipant une baisse de la valeur de cet actif. Cette vente à découvert, ou ce ‘’jeu de la bourse à la
baisse’’ selon le jargon boursier, permet à un trader qui ne détient pas de blé par exemple sur un
marché donné, de vendre une tonne de blé sans la posséder. Ceci non pas dans le but de la livrer, mais
pour transférer au nouvel acheteur le droit de revendre cette marchandise. En effet, les marchés
échangeaient en 2015 46 fois la production mondiale de blé96, nous sommes donc bien loin de la
demande réelle et de l’économie réelle.
Ce processus, détaillé en annexe B.2, est proscrit dans certains marchés mais très utilisé dans
d’autres. Il est généralement perçu comme hautement spéculatif dans la mesure où il participe à la
création d’une offre artificielle supplémentaire dans un moment où l’offre est déjà excessive, ce qui
pousse les prix à la baisse plus que la tendance naturelle issue de la confrontation de l’offre réelle avec
la demande réelle.
D’un point de vue microéconomique, l’opérateur vend en général à découvert les actions d’une
entité dont il anticipe une légère détérioration de la situation. L’entité voit alors sa situation se
dégrader ainsi que sa notation du fait de la baisse de sa valorisation. A partir de là, elle est obligée de
brader en urgence certains de ses actifs afin de respecter les ratios prudentiels 97 ou de mettre fin à la
tendance baissière qui augmentera ses coûts de refinancement, ce qui pousse le prix encore plus à la
baisse. C’est une sorte de cercle vicieux dont le déclencheur est la légère détérioration (généralement
supportable et naturelle) de la situation qui est repérée par des spéculateurs (qui sont l’accélérateur).
Ces derniers vendent à découvert l’action et aggravent la situation (artificiellement cette fois-ci), ce qui
se répercute sur ses équilibres et coûts de refinancement, et aggrave de nouveau la situation (réelle).
Ainsi, bien que profitable d’un point de vue microéconomique pour l’agent qui l’utilise, la vente
à découvert est perçue en bourse comme étant annonciatrice de retournements sur un actif donné, et
donc comme étant une mauvaise nouvelle dès qu’elle est utilisée. Elle participe donc à l’accroissement
de l’effet de panique lorsqu’un actif subit des difficultés sur le marché, alors même que sans

95 Vente à découvert : Action qui consiste à spéculer à la baisse sur le cours d’un titre en passant un ordre de vente (avec des titres que
l’on ne détient pas) afin de réaliser une plus-value.
Autorité des marchés financiers, Lexique. URL : http://www.amf-france.org/En-plus/Lexique.html# (20/01/2015)
96 http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/09/13/les-speculateurs-financiers-coupables-de-la-flambee-des-prix-des-
aliments_1757951_3234.html (28/02/15)
97 « Un ratio prudentiel est un ratio en deçà duquel une banque présente un risque d’insolvabilité. Ce ratio se mesure en comparant le

niveau des engagements d’une banque (le montant qu’elle prête) au montant de ses fonds propres (capital apporté par les actionnaires et
profit de la banque). Jusqu’en 2007, le ratio en vigueur était le ratio Cooke, égal à 8%. Cela signifiait que pour prêter un total de 100
millions d’euros une banque devait avoir au minimum 8 millions d’euros de fonds propres pour être considérée comme solvable, c'est-à-
dire sans risque de faillite. Depuis 2007, le ratio en vigueur est le ratio Mc Donough qui inclut désormais la qualité des créances détenues
par les banques (ce qui pose le problème de la notation de ces créances) et les risques dits « opérationnels » (nature des opérations sur
lesquelles reposent les actifs), contraignant les banques à disposer de fonds propres proportionnés à ces risques. »
Lafinancepourtous.com, Ratio Prudentiel. URL : http://www.lafinancepourtous.com/Outils/Dictionnaire/R/Ratio-prudentiel

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- 141 -
l’intervention de la spéculation à la baisse, le retournement aurait surement été bien plus supportable
par l’agent ou les agents économiques concernés...
Au sein de l’UE, la vente à découvert est drastiquement encadrée à partir de 2012, notamment
à travers des seuils déclaratifs, vu que « les autorités de surveillance seraient informées de positions
courtes importantes dès qu'elles représentent 0,5% du capital émis » 98. Auparavant, aux USA, le 19
Septembre 2008, les autorités avaient banni provisoirement l’utilisation de la vente à découvert. Le
lendemain, la bourse de Londres en a fait de même (Lebaron, 2010), après avoir observé que cet outil
augmentait l’instabilité et les possibilités de spéculer à la baisse, en attaquant des titres déjà en
difficulté, comme ce fut le cas contre les grandes banques en 2008. Ainsi, les vendeurs à découvert
auraient empoché 3 milliards de dollars en pariant à la baisse sur Lehman Brothers, aggravant son cas
et réduisant sa probabilité de survie99. Actuellement, la vente à découvert est interdite sur les actions
bancaires, mais permise pour les autres secteurs. Ce traitement inégalitaire laisse penser que, au-delà
du privilège que les banques détiennent par rapport aux autres entreprises du secteur privé du fait des
dépôts des épargnants qui conduisent à un aléa moral et une position unique, elles ont un autre
privilège. Ce dernier est consenti par les lois actuelles par rapport aux autres entreprises qui sont, elles,
exposées à la vente à découvert et ses conséquences potentiellement dévastatrices. Les acteurs sont
donc inégalement exposés à ce processus qui favorise la spéculation.
Ce processus, qui permet de gagner même lors des retournements à travers l’emprunt d’actifs,
crée au niveau global une offre artificielle supplémentaire et accélère le retournement en attaquant
la valeur cible, la plongeant dans un cercle vicieux du fait de la dégradation de ses équilibres
financiers. Il est proscrit à l’encontre des banques et plus généralement dans de nombreux marchés.
Alors que la vente à découvert permet de spéculer à la baisse et favorise les paniques généralisées, les
ventes futures, elles, participent plutôt à la création de bulles spéculatives à la hausse.

2.1.2.3 Les ventes futures


Le marché des futurs est très proche d'un établissement de jeu. C’est en ces termes plutôt
décomplexés que Friedman aborde la similitude entre ce marché et les jeux (Friedman, 1960, p6). Ces
procédés ne sont pas nouveaux et sont pratiqués depuis plusieurs millénaires. Les contrats à terme100

98 http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20111018IPR29720/ (24/12/2015)
99 http://www.twnside.org.sg/title2/finance/twninfofinance20080806.htm (4/9/2014)
100 Contrat à terme / Futur : « Les "Futures" sont des instruments financiers de la catégorie des contrats à terme. Le principe de ce type

de contrats et de permettre la négociation, achat ou vente, d'actifs quelconques dans le futur. Ce sont des produits dérivés car leur prix
va dépendre de l'évolution des prix au comptant du bien sur lequel ils portent, le sous-jacent.
Le négoce à terme n'est pas une nouveauté née de l'imagination d'un financier moderne, mais existe quasiment depuis que les hommes
commercent entre eux. Les producteurs et les utilisateurs de matières premières, notamment, ont toujours voulu se garantir contre des
fluctuations des prix pouvant pénaliser leur commerce. Un exemple nous aidera à mieux comprendre :

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- 142 -
ont longtemps été vu comme un facteur de stabilité financière et de réduction des risques, au moment
où ils ont été initiés, permettant de se couvrir notamment contre les fluctuations futures des prix.
Cependant, les choses ont pris une tournure plutôt éloignée de l’objectif initial. Ainsi, de contrats ayant
pour but de réduire la spéculation, les CAT (contrats à terme) se sont rapidement transformés en
contrats purement spéculatifs. Ayyash en vint à considérer que le rôle principal des marchés futurs est
la spéculation (Ayyash, 2008, p22). Dans ce sens, « si les contrats à terme sont initialement prévus pour
se couvrir contre des variations de prix, à l'image des options et des warrants, ils concentrent désormais
une grande part de la spéculation. Les contrats vont rarement à leur terme mais sont utilisés comme
de purs instruments financiers d'investissement. Les deux principales catégories de contrats à terme
sont les "Futurs" et les contrats "Forward101". Ces contrats portent sur tout ce qui peut se négocier :
matières premières, produits agricoles, indices boursiers, devises, taux d'intérêt … »102. Ces outils sont
utilisés dans pratiquement tous les secteurs d’activité dans les bourses les plus matures et leur
transposabilité a été facilitée par les nouvelles technologies. Les dérivés les plus communément utilisés
(puts, calls, futurs…) sont généralement dédiés à des opérations futures qui constituent un pan
significatif de la spéculation, car le facteur temps et le facteur risque sont inextricablement liés. Plus
l’horizon temporel de l’opération, l’échéance, est éloigné, plus le risque est important,
indépendamment de l’activité ciblée. Cela laisse plus de place à l’incertitude et l’asymétrie
d’information, éléments centraux de la spéculation comme cela a été montré dans les précédentes
analyses. Aujourd’hui, ces phénomènes ont pris de l’ampleur avec l’avènement des nouvelles
technologies. En 2002 par exemple, le nombre de transactions futures était 11 fois plus élevé que
celui du spot ; en 2004, ce rapport s’élevait à 16 fois et à 30 en 2007103. Sur plusieurs marchés de pays
avancés, nombre de traders n’ont plus d’autre rôle que de programmer les seuils d’achat et de vente
au sein de progiciels dotés d’intelligence artificielle dédiés à la spéculation boursière, qui déclenchent
automatiquement les ordres d’achat et de vente en bourse.

En pratique, ce qui est constaté dans les marchés boursiers c’est que, à l’échéance, il n’y a pas
de livraison mais seulement un paiement de la marge (profit / perte) de la partie perdante à la partie

« Imaginons que vous êtes producteur de Blé. La récolte se fait en été, mais les ventes n'auront lieu qu'en automne. Le blé se traite
aujourd'hui sur le marché au comptant à 1200 € la tonne. Au prix actuel, vous savez combien vaut votre récolte; ce que vous ignorez, c'est
le prix auquel vous pourrez vendre cette récolte dans 3 mois. Pour éviter de perdre de l'argent si les prix venaient à connaître une chute
inattendue, vous pouvez vous entendre aujourd'hui avec un acheteur pour lui vendre votre blé dans trois mois à un prix que vous fixerez
dès maintenant. Dans cet exemple, acheteur et vendeur ont des stratégies opposées. De votre côté, vous pensez que le blé va baisser et
vous préférez le vendre au cours d'aujourd'hui qui vous satisfait, l'acheteur, de son côté, anticipe plutôt une hausse des prix d'ici 3 mois et
escompte faire une bonne affaire». Abcbourse.com, les marchés à terme.
URL : http://www.abcbourse.com/apprendre/3_les_marches_a_terme.html (24/01/2015).
101 Forward : « […] l’obligation de livrer un bien donné à une date donnée pour un prix fixé à l’avance. », (Bodie et Merton, 2000, p. 319).

Au moment de la signature, « […] il n’y a pas d’échange de monnaie ou de marchandise. », (Kunhibava, 2010, p. 3).
102 Abcbourse.com, les marchés à terme. URL : http://www.abcbourse.com/apprendre/3_les_marches_a_terme.html (24/01/2015).
103 http://www.quebecoislibre.org/08/080815-3.htm

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- 143 -
gagnante, une sorte de compensation, de liquidation des positions inverses, qui contribue de
nouveau à la spéculation (Khan, Muntaqa et Abdul Salam, 2008, p15). L’intention des opérateurs n’est
en général pas de tirer profit de l’usufruit réel du sous-jacent, mais bien de procéder à une
liquidation/compensation à l’échéance afin d’éviter d’avoir à livrer ou se faire livrer. Les chambres de
compensation facilitent en général cette opération, appelée ‘’settlement’’. Les deux parties évaluent le
prix de l’échéance par rapport au prix que le spéculateur a anticipé. La différence entre le prix de
l’initiation de l’opération et le prix à l’échéance relative au sous-jacent (l’actif de référence) du produit
dérivé est versée par la partie perdante à la partie gagnante (Ayyash, 2008, p22). La chambre de
compensation se charge d’annuler la transaction. Il n’y a donc pas de mouvement réel à l’issue d’une
transaction spéculative future, seulement une redistribution de flux monétaires, comme indiqué par la
théorie des anticipations hétérogènes.

Cela est parfaitement illustré par le fait que seuls 2 % des contrats sont livrés réellement et
physiquement à échéance, les 98% des positions restantes sont soldées et annulées (FAO, 2010). De
ce fait, les contrats à terme aboutissent quasiment toujours (99% d’entre eux selon Al Suwailem, 2006,
p28 citant Pilbeam) à la liquidation des positions avant échéance, ce qui permet aux agents de ne pas
être obligés de respecter les engagements de livraison (Zuili, 2009, p9). Comment cette liquidation a
lieu, concrètement ? En général, « pour liquider leur position, l'opérateur qui détient une position
vendeuse va, en fait, acheter le même nombre de contrats qu'il a initialement mis en vente, et celui qui
a la position acheteuse va vendre la même quantité de contrat à terme qu'il devait acheter initialement.
La liquidation des contrats est permise grâce à la chambre de compensation qui assure le rôle de garant
et d'intermédiaire de la transaction entre l'acheteur et le vendeur du contrat. L'opérateur qui liquide sa
position avant l'échéance du contrat doit encaisser ou débourser la différence entre les deux
transactions par l'intermédiaire de la chambre de compensation ».

Selon François Combes, responsable du trading des matières premières de la Société Générale à
la City, il y a une différence entre le négoce et le marché des contrats à terme traités au LME. Si le prix
du cuivre est fixé au LME, un très faible pourcentage de contrats se traduit par une prise de livraison
physique dans les entrepôts, où les stocks font surtout office de garantie. 104 Rien qu’aux Pays-Bas,
« On ne compte pas moins de 20 hangars dans les alentours de Rotterdam. Chacun recèle 80 000
tonnes de métaux, codes-barrés, identifiables ‘’illico’’ ». Toutefois, « le nom du propriétaire d'un lot
peut varier à la City sans que ledit lot ne bouge d'un sabot à Rotterdam, à moins qu'un industriel ne

104 Cathala A-S. (2011), La folle envolée du cuivre, 06 février, Lefigaro.fr. URL : http://www.lefigaro.fr/matieres-
premieres/2011/02/06/04012-20110206ARTFIG00184-la-folle-envolee-du-cuivre.php (Consulté en Juin 2014)

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- 144 -
l'achète pour le consommer ». Certaines piles d'aluminium ou de cuivre y restent des années105. Ces
constats recoupés permettent de comprendre dans quelle mesure il existe un lien étroit entre le taux
de marchandises réellement livrées et le taux de spéculation sur un marché donné. Les spéculateurs
cherchent à solder leurs positions en l’annulant et en payant les écarts. L’objectif est d’intervenir sur le
marché des matières premières sans avoir pour but de se faire livrer ces matières premières…

Les marchés à terme se voient donc déconnectés de la vraie demande émanant de l’économie
réelle et sont propices à la constitution de bulles bien étrangères aux fondamentaux réels. Lorsque les
contrats à terme ont commencé à concerner les matières premières, nécessaires à la survie de
l’humanité, les effets s’en sont rapidement fait ressentir, avec par exemple une augmentation des prix
des matières premières de 50% en une année et même de 87% pour les céréales en 2008 106, voire
165% en un an pour le riz. Cela a un impact immédiat sur la population de cette planète souffrant de
famine (près de 1 milliard d’individus selon la FAO en 2008107) pour qui l’ensemble de ses journées de
travail ne permet même pas de couvrir la nourriture, surtout pour les familles consacrant plus de 80%
de leur revenu à l’alimentation (Hertel et al, 2004). Ils devront inéluctablement se priver de nourriture,
ce qui justifie la persistance de ce fléau majeur qui est la mort pour cause de famine.
Figure 11 : Evolution des prix des matières premières, du riz et du blé

Source : FAO

Les courbes ci-dessus permettent de constater le déphasage entre l’évolution des prix des céréales et
l’évolution démographique. Cette évolution, en grande partie due aux hedge funds fut dénoncée avec
vigueur par le Vatican en 2015, entre autres (la dépêche complète en annexe B.3).

105 Même référence


106 http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/09/13/les-speculateurs-financiers-coupables-de-la-flambee-des-prix-des-
aliments_1757951_3234.html (28/2/15)
107 FAO, Number of Hungry People Rises to 963 Million, (December 2008).

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Globalement, les outils de ventes futures sont parmi les plus prisés dans le marché des matières
premières car l’incertitude qui leur est liée est plus importante, ce qui permet d’avoir de plus grandes
marges, de risque, et donc de spéculation. En pratique, ils constituent essentiellement un jeu à somme
nulle (Ashley, 2009, p109) et ressemblent dans plusieurs aspects aux jeux. Avec les nouvelles
technologies, la déconnexion des marchés futurs de l’économie réelle s’accentue, facilitant les
opérations de liquidation/compensation à l’échéance, évitant de livrer ou de se faire livrer. Dès 1960,
Working (1960, p1) avançait que les marchés futurs sont généralement conçus comme étant des
marchés spéculatifs. Cette déconnexion de l’économie réelle est amplifiée par le spoofing, qui prend
également un élan sans précédent avec les nouvelles technologies et favorise en un sens la spéculation.

2.1.2.4 Le spoofing
La fréquence des transactions permise par la cotation continue a un corollaire qui a pris de plus
en plus d’importance au niveau des marchés financiers, et dont les effets sont décisifs dans la
détermination, voire la manipulation, des prix. Pratique connue depuis la nuit des temps (fausses
enchères), le spoofing consiste à placer des ordres qui seront annulés juste avant la transaction.
Plusieurs objectifs peuvent animer une telle pratique, dont deux majeurs, à savoir la volonté de
diffuser de fausses informations sous forme d’ordres au marché, afin de pousser les cours dans un
sens ou dans l’autre, et la volonté de diffuser plusieurs ordres à des prix différents pour un acteur qui
va effectuer une transaction importante afin de ne pas se faire repérer par les chasseurs
d’opportunités et les spéculateurs intermédiaires qui y verront une occasion de faire des plus-values.
Cette pratique n’a généralement pas d’autre objectif que d’accroitre l’opacité du marché dans
son rôle premier qui est le reflet du juste prix, voire de manipuler carrément les cours de bourse,
comme le suggère l’analyse d’Artus (1996, p10) : « Nous voyons donc que le manipulateur peut
transmettre sciemment une mauvaise information au marché au travers des variations de prix qu'il
provoque (il se « déguise » en spéculateur informé) ». Cette opacité et cette manipulation artificielle
consolident la position des spéculateurs comme ce fut déjà analysé. « On arrive aujourd’hui à des taux
d’annulation de plus de 99%. Certains ordres sont annulés moins d’une milli seconde après avoir été
saisis, voire pour certains cas vingt micro secondes »108, commente Sophie Baranger, secrétaire
générale adjointe à la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF109. Cette pratique alimente la
spéculation dans la mesure où elle contribue à diffuser de fausses informations au niveau du marché,
108 Easybourse.com, Trading à haute fréquence : quels enjeux pour la répression des fraudes ?
URL : http://www.easybourse.com/bourse/financieres/dossier/21119/trading-a-haute-frequence-quels-enjeux-pour-la-repression-des-
fraudes-.html (09/07 2014)
109 AMF : Autorité des marchés financiers. Organisme chargé du contrôle réglementaire et du suivi du fonctionnement des différents

marché financiers français. Il est également surnommé le gendarme de la bourse.

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ce qui en réduit l’efficience d’un point de vue macroéconomique. C’est dire le rôle de la technologie
dans de telles manipulations.
Bien que l’importance du spoofing puisse favoriser la spéculation, la rigueur scientifique
requiert de préciser que la non-exécution d’un ordre n’est pas toujours motivée par des raisons de
spéculation. Il est possible que l’ordre soit réel avec volonté d’exécution, mais finalement annulé car le
prix ne correspond plus ou l’agent économique ne souhaite plus faire la transaction pour des raisons
économiques. Néanmoins, au vu des ordres de grandeurs confirmés par la responsable de l’AMF et qui
sont en microsecondes, ce cas de figure n’est que marginal. Il serait illusoire de penser que 99% des
agents économiques changent d’avis entre l’émission de l’ordre et les quelques microsecondes qui
suivent. Ces annulations réelles ne peuvent représenter qu’une infime minorité parmi les 99%, et ces
annulations ne sont en général pas dans les mêmes ordres de grandeur. Elles ont lieu sur des échelles
qui se mesurent en heures et en jours, lorsque l’opérateur met en place un ordre d’achat à seuil fixe, et
constate des changements de données économiques qui lui font changer d’avis par rapport au prix
qu’il a fixé pour le seuil. Cette pratique qu’est le spoofing tend cependant à être de plus en plus
surveillée, voire proscrite par certaines places financières, comme au Canada110. A cet effet, « en
octobre 2008, par exemple, la Bourse de Londres a imposé une pénalité de 35 000 € à une entreprise
pour spoofing »111.
En résumé, le spoofing demeure une pratique très prisée au vu des 99% d’annulations d’ordres
sur le marché. Ces annulations d’ordres permettent d’orienter voire manipuler les cours en diffusant
de fausses informations et en participant à plus d’opacité, ce qui biaise la pertinence des cours. Le
spoofing permet par ailleurs de camoufler certaines transactions, ce qui le rend interdit sur plusieurs
marchés financiers. Il participe à grande échelle à la spéculation sur les marchés financiers, aux côtés
d’autres pratiques ayant également un rôle dans le développement de la spéculation, notamment la
complexification croissante des produits financiers.

2.1.2.5 Complexité croissante et innovation financière excessive


Les marchés financiers font appel à de plus en plus de mathématiciens dans le processus de
structuration des produits dérivés, censés réduire le risque. Les théories financières et de portefeuille
ont le vent en poupe car elles sont supposées permettre l’amélioration des rendements tout en
réduisant les risques. Cependant, certains modèles parmi les plus utilisés sont remis en cause par de

110 Bourse de Montréal (2013), Rapport de supervision, 21 mai, circulaire no 94-2013.


URL : http://www.m-x.ca/f_circulaires_fr/094-13_fr.pdf (03/09/14)
111 Traders Mag, Le trading algorithmique, 2ème partie, Abcbourse.com.

URL : http://www.abcbourse.com/analyses/chronique-le_trading_algorithmique_2eme_partie-853.aspx (03/09/2014)

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nombreux experts (Markowitz, 2005), notamment au niveau de leurs hypothèses, comme celles sur
lesquelles s’appuie le CAPM (aversion au risque ; similitude des horizons temporels ; disponibilité
immédiate, gratuite et universelle de l’information ; l’existence d’actifs sans risque ; possibilité de
vendre à découvert ; la négociabilité de l’ensemble des actifs fixes…). Pourtant ces modèles continuent
de dominer les analyses. Actuellement, l’ingénierie financière devient une discipline à part entière. Au-
delà de la partie ‘’structuration’’ du produit qui est liée à la composition interne du contrat sous-jacent,
il y a également une partie structuration externe qui fait que l’on met en circulation des produits sous-
forme de pack comprenant plusieurs produits.
A titre d’exemple, le prêt est un contrat classique bien connu et généralement simple.
Aujourd’hui, les institutions financières essaient d’introduire de nouvelles composantes plus aléatoires
dans les produits, ce qui rend leur perception plus complexe. Nous pouvons actuellement avoir un
contrat de prêt dont le taux d’intérêt est non seulement variable, indexé au LIBOR (London interbank
offer rate) mais aussi comprenant un premium difficile à évaluer. C’est sur ce prémium que les
opérations prennent souvent une complexité inattendue. L’affaire des collectivités locales qui ont
souffert de ces ‘’emprunts toxiques’’ avait secoué la France au lendemain de la crise de 2008. La Une
du journal Le Monde, du 21 mai 2009, alertait vivement sur le sujet112 : « Piégées par les emprunts à
risque, les collectivités locales appellent à l’aide ». Nous pouvons prendre à titre illustratif le cas de la
dette des Yvelines (détail de la formule en annexe B.4).
Figure 12 : Illustration graphique de la courbe des taux du contrat proposé aux Yvelines 113

Sur ce sujet, il apparaît de manière très claire que, dès la finalisation du contrat en 2006 entre la
banque et la collectivité locale, le taux s’envole à moyen terme, vu que la formule retenue prend en
compte le maximum d’un différentiel. Une telle formule est difficilement compréhensible par des élus
locaux censés se préoccuper d’affaires comme les permis d’habitat, les espaces verts, la collecte des
déchets urbains et la politique environnementale ou énergétique de la ville. A rebours, les concepteurs

112 Fruchard E., Lévêque P. (2013), Emprunts Toxiques : 2. Analyse critique de la « Gestion Active » de dette, 22 Juin. URL :
http://www.emprunttoxique.info/docs/2_Emprunts_Toxiques_Analyse_Critique_Gestion_Active.pdf (19/01/2015)
113 http://pssaintgermain.fr/emprunts-toxiques-du-sidru-le-jugement-en-appel-accable-emmanuel-lamy-1/ (24/04/2017)

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de cette formule, et de celles qui ont été vendues aux 5500 autres mairies de France qui ont souscrit
des prêts similaires, sont des experts en mathématiques et en finance qui ont bien plus de visibilité sur
les fonctionnements du marché que les élus locaux. Cette formule se base sur un différentiel de taux,
mais d’autres se basent sur des différentiels de change comme par exemple celle-ci, entre l’Euro et le
Franc Suisse :
Taux à payer = 3,62% + 50% x Max (1,45 / EUR/CHF -1 ; 0)
ou encore celle-ci payée par la ville de Plaisir :
Taux à payer = 3,77% + 30% x Max (EUR/USD – EUR/CHF ; 0)
Numériquement, avec les taux de change du 30 août 2011, la formule donnerait un taux égal à : 3,77%
+ 30% x 26 % = 11,57%. Voilà un taux auquel ne devaient surement pas s’attendre les élus de Plaisir en
renonçant aux taux alors en vigueur autour de 5 et 6%. Ces exemples montrent à quel point de simples
ajouts dans les formules de crédit peuvent rapidement devenir hors de contrôle.
Cela s’applique encore davantage dans le cas des produits dérivés structurés dont l’évolution
est très aléatoire et porteuse de sources d’instabilité pour les opérateurs. Tout comme les élus par
rapport à ces formules de prêt légèrement complexifiés, les traders eux-mêmes sont souvent
confrontés à la complexité de produits financiers dits ‘’exotiques’’ imaginés par les collègues Quants114,
diminutif de quantitative analyst, chargés de les élaborer. Ces produits sont en général la combinaison
de plusieurs formules mathématiques complexes, et souvent couplés à d’autres produits. Il est
fréquent que même les analystes cernent mal les produits mis sur le marché par leurs collègues. C’est
ainsi que même les agences de notation ont sous-estimé les risques liés au packages basés sur les
subprimes avant 2007. Certaines voix diront qu’il est de l’intérêt des grands opérateurs boursiers de
garder le jargon et la complexité des dérivés (Ashley, 2009, p44) …
Les outils mathématiques ont par ailleurs permis de formaliser des produits dérivés bien plus
complexes et structurés que les simples options (put, call, put-call…), comme les trakers (produit
répliquant l’évolution d’un indice ou d’un actif cible, sans actif sous-jacent réel), les CMO (collateralised
mortgage obligation), les CDS115 (credit default Swaps116), les MBS117 (mortgage based securities) ou les

114 Le métier d’« analyste quant » conjugue à la fois l’analyse mathématique pure de modèles de calculs probabilistes et à l'élaboration
des modèles mathématiques appliqués à la finance de marché.
Linkfinance.fr, Fiche métier : Analyste Quantitatif.
URL : http://www.linkfinance.fr/metiers/Banking/Investment-banking/Analyste-quantitatif-idm-347.html
115 CDS : Le crédit default SWAP est la forme la plus classique des dérivés de crédit : la personne désireuse de se protéger contre une

défaillance d'une contrepartie paie à un tiers un flux régulier et reçoit de ce tiers un paiement
défini à l'origine en cas de survenance de la défaillance redoutée.
Vernimmen.net, Credit Default SWAP, lexique financier, lesechos.fr.
URL : http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_credit-default-SWAP.html?GYeLyHxeC13KZIHp.99 (16/09/2015)
116 SWAP : « […] est un contrat où deux parties s’échangent des paiements à intervalles spécifiés sur une durée fixée. », (Bodie et Merton,

2000, p. 320),

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- 149 -
CDO118 (collateralized debt obligation), les CDO au carré ou au cube et parfois superposés bien plus que
cela, ou encore les SWAPtions119, la synthétisation de Swaps et d’options, et ainsi de suite. Les
montages financiers issus de ‘’l’ingénierie’’ de la discipline n’ont de limite que celles posées par les
lois, ou celles non atteintes par l’esprit humain. Certains refusent même de voir dans cette ingénierie la
moindre innovation, mais simplement des artifices de passage, comme Drucker (1999, cité dans Al
Suwailem, 2006) pour qui l’industrie financière n’a fait aucune innovation majeure en 30 ans.
Sur un autre registre, l’innovation financière a souvent été utilisée pour contourner des
régulations prudentielles (Miller, 1986, cité dans Al Suwailem, 2006) destinées à diminuer la
spéculation et l’exposition au risque systémique. Un gérant de fond de type « fixed income » a la
possibilité, par exemple, contourner l’interdiction d’investir dans le marché actions, par des produits
structurés (Askari et al 2010 p147), notamment les SWAPS, qui permettent de permuter les flux sans
permuter les sous-jacents120. Il lui suffira simplement de développer ou souscrire un contrat SWAP
avec un acteur du marché recherchant certains placements sûrs à faible rendement. Ce produit n’est
qu’un exemple parmi tant d’autres disponibles actuellement sur les marchés financiers, dont l’opacité
a pour principal but de réserver la compréhension de ces produits à une certaine élite financière. Vu
que l’innovation financière devient plus complexe, l’investisseur doit faire face à des produits de moins
en moins compris. Cette zone d’ombre, plus ou moins importante dans chaque contrat, comme l’ont
montré les prêts toxiques octroyés aux collectivités locales, sert en général à confronter deux velléités
aventurières opposées de deux acteurs qui cherchent un certain degré de risque mais qui ne sont
souvent pas prêts à tout perdre. L’introduction d’une composante excessivement risquée est souvent
le résultat d’une volonté spéculative plus ou moins partagée par les deux protagonistes.

117 Le Mortgage Backed Security est un titre hypothécaire, assimilable à une valeur immobilière. Le Mortgage Backed Security est
représentatif de différents actifs immobiliers. Le rendement associé à un Mortgage Backed Security correspond au montant des intérêts
payés le plus souvent mensuellement par les débiteurs.
URL : https://www.mataf.net/fr/edu/glossaire/mortgage-backed-security
118 CDO : collateralized debt obligation, c’est un produit structuré dans lequel on rassemble des dettes dans un pack, puis on divise ce pack

en trois niveaux : equity, mezzanine et senior. La tranche equity souffre les premiers défauts et la tranche senior les derniers. La tranche
equity souffre rapidement. Certains cas ont même vu les tranches senior perdre leur AAA
119 SWAPtion : Les SWAPtions permettent d'acheter ou de vendre le droit de conclure un SWAP de taux d'intérêt sur une certaine durée ;

c'est une option sur un SWAP. Le SWAP sous-jacent est précisé initialement. Il est défini par son montant notionnel, son échéance, le taux
fixe et le taux variable auxquels il fait référence.
Vernimmen.net, SWAPtion, lexique financier, lesechos.fr.
0URL : http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_SWAPtion.html?D6jJEiSTPASw1UYM.99 (16/09/2015)
120 SWAP : Le SWAP est un échange entre deux entités pendant une certaine période de temps. Les deux intervenants doivent, bien

entendu, trouver chacun un avantage à cet échange qui peut porter soit sur des actifs financiers, soit sur des flux financiers. Le mot SWAP
désigne dans le langage courant un échange de flux financiers (calculés à partir d'un montant théorique de référence appelé notionnel)
entre deux entités pendant une certaine période de temps. Contrairement aux échanges d'actifs financiers, les échanges de flux
financiers sont des instruments de gré à gré sans incidence sur le bilan, qui permettent de modifier des conditions de taux ou de devises
(ou des deux simultanément), d'actifs et de passifs actuels ou futurs.
Vernimmen.net, SWAP, lexique financier, lesechos.fr.
URL : http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_SWAP.html?OJfdbs6SMz0ZFYeJ.99 (19/01/2015)

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- 150 -
Etant donné l’importance de cette dimension, « un certain nombre d’auteurs ont montré que la
complexification des marchés pouvait avoir un effet défavorable… en raison des modifications des
comportements ou des difficultés d’apprentissage du fonctionnement des marchés » (Artus, 1996, p8).
Parmi ces auteurs, l’un des plus célèbres est le néo-keynésien Minsky. « Ainsi trouve-t-on chez H.P.
Minsky une interprétation de Keynes qui fait résulter chômage et crises, non d'imperfections du marché
du travail, mais des conséquences de la multiplication et sophistication des instruments
d'intermédiation financière » (R. Boyer, P, Petit, G. Schmeder, H. Schrameck, 1987, p7). D’un point de
vue pratique, les intervenants dans le marché boursier sont de deux catégories, les experts et les
‘’boursicoteurs’’ amateurs. En général, est classée dans cette deuxième catégorie toute personne qui
n’a pas eu une formation purement mathématique, économique et financière, car incapable de
détecter les sous-bassements des produits proposés sur le marché. Les dérivés, par leur complexité,
créent un risque incontrôlable et mal cerné (Khan, Muntaqa et Abdul Salam, 2008, p14).
L’innovation financière, contrairement aux autres disciplines, a souvent été source d’instabilité
(Askari et al 2013). A ce titre, « de Boissieu émet un jugement plus nuancé (concernant les vertus
supposées de l’innovation financière) ; l'impact des innovations financières sur la stabilité dynamique
du système restant indéterminée. Il souligne qu'à l'inverse ‘’un excès de garantie et de mécanismes
d'assurance accroît l'instabilité de la sphère financière et de l'économie dans son ensemble’’ » (R.
Boyer, P, Petit, G. Schmeder, H. Schrameck, 1987, p12). Le risque supplémentaire, créé par
l’introduction de dérivés dont l’exercice est incertain, amplifie donc les possibilités de spéculer. Ce
constat pour le moins paradoxal fut aussi relevé par deux chercheurs (Bowman et Faust, 1997) quand
ils relatèrent que l’introduction d’un dérivé censé couvrir un risque était en soi la création d’un
nouveau risque pour le marché (celui de savoir si ce dérivé sera exercé ou pas, pour une option par
exemple). Trop d’investisseurs n’avaient pas pris la peine d’étudier les produits achetés, ou ne les
comprenaient pas (Ashley, 2009, p51). Cette complexité et ce risque supplémentaire sont des facteurs
spéculatifs hautement déstabilisateurs des marchés. Minsky121 concluait que l’innovation financière,
telle qu’elle est connue et pratiquée de nos jours, participe plus à l’instabilité financière qu’à la stabilité.
Un constat similaire remonte même à 1972 dans un article publié par ‘’Nature Way’’ dans
lequel le conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique de l’époque, Robert May, avance
la thèse que la complication croissante des éléments et des composantes du système entrainerait
inéluctablement l’accroissement du risque d’erreur (et donc d’instabilité) car les possibilités d’erreurs
sont plus grandes au vu du plus grand nombre d’équations et de phénomènes explicatifs et à

121 Minsky, H 1986, « Stabilizing an unstable Economy, A twentieth Century Fund report », New Haven and London : Yale University Press

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- 151 -
expliquer122. Cette complexité a pour corollaire de donner une illusion d’éparpillement du risque et
donc un faux sentiment de sécurité. Il n’empêche qu’une fois que le risque se transforme en réalité,
l’ensemble des détenteurs de produits dérivés liés à l’actif sous-jacent qui a été dévalué seront affectés
à hauteur de leur participation dans ce produit.
Dans de telles circonstances, « la possibilité que l'apprentissage ne converge pas est donc
d'autant plus grande que le marché est compliqué, qu'il attire de nombreux spéculateurs » (Artus, 1996,
p9). Ce constat est relativement confiné à la finance, vu que dans les autres disciplines, l’innovation est
généralement source d’avancées et d’améliorations. Cette complexité participe à faire de la traçabilité
des risques une tâche bien plus ardue au niveau des autorités de surveillance financière. Le rapport
2009 de l’OCDE123 énonce que « dans une large mesure, la crise peut être attribuée aux échecs et à la
faiblesse des modes de gouvernance d’entreprise. Le risque est éclaté à l’aide des produits dérivés et la
traçabilité est d’autant plus difficile ». De surcroît, le manque de clarté favorise la spéculation, vu que
l’incertitude augmente face à ces produits et à leur évaluation réelle. La complexité croissante, dans
une sorte de processus en cercle vicieux, implique qu’il faille se couvrir toujours plus contre le risque
grandissant, et donc de mettre en circulation davantage de produits de couverture, eux-mêmes
déstabilisateurs d’un point de vue macroéconomique et favorisant le risque. Un paradoxe souligné par
Al Suwailem (2006, p15) lorsqu’il évoque la ‘’marchandisation’’ du risque et sa diffusion qui s’amplifie.
Cette complexité de moins en moins cernée est de nature à rendre les produits structurés très
illiquides en cas de retournement dans la mesure où ils sont hautement personnalisés à leur création
et ne sont donc pas appréciés par l’ensemble des intervenants du marché boursier, ce qui peut
favoriser un autre type de spéculation en temps de récession, à savoir la spéculation à la baisse. En
effet, en période d’incertitude et d’instabilité, les opérateurs financiers cherchent à s’éloigner des
produits les plus complexes car le climat ambiant est dominé par la méfiance. Ceci participe à
l’amplification de la chute de leur valeur en bourse dès lors que les prémices d’un retournement se
font sentir. Les produits dérivés structurés sont les plus exposés du fait de leur haute volatilité (Ayub,
2003) et leur complexité, aggravant les phases spéculatives ainsi que les phases de retournement. Ces
produits ne trouvent donc plus preneur et s’effondrent, entrainant généralement avec eux le reste du
marché. Sans compter le nombre important d’investisseurs amateurs qui spéculent sur des produits
dérivés peu transparents et mal compris espérant des gains à la fois rapides et importants, alors que
leur maitrise de ces produits n’est que superficielle.

122 Forshaw Jeff (2013), Why do physicists gravitate towards jobs in finance?, 21 July, theguardian.com.
URL : http://www.theguardian.com/science/2013/jul/21/physics-graduates-gravitate-to-finance (15/12/15)
123 Rapport annuel de l’OCDE, 2009. URL : www.oecd.org/fr/presse/43125784.pdf

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- 152 -
Au final, la complexité toujours croissante des produits financiers participe amplement à la
propagation des comportements spéculatifs, du fait de l’incertitude grandissante dans ces produits qui
rend la prise de risque plus importante et le marché plus instable, ce qui impose de se couvrir
davantage, et donc implique davantage de dérivés pour entrer dans un cercle vicieux qui égare même
les plus avisés. Ensuite, du fait de la possibilité de contourner certaines règles prudentielles censées
elles-mêmes prévenir la spéculation, en réduisant la traçabilité à travers l’éparpillement. Enfin, du fait
de l’illiquidité de ces produits en cas de retournement. Ces éléments rendent la possibilité de spéculer
bien plus accessible et naturelle. Néanmoins, il arrive que les produits dérivés soient utilisés
ouvertement à des fins spéculatives, notamment lors des périodes d’euphorie du marché. La
spéculation passe alors d’objectif marginal, à objectif principal, en soi désiré par les opérateurs
financiers utilisant ces dérivés. Cette prépondérance de la spéculation repose en pratique sur la
prépondérance de ces produits dérivés sur les marchés financiers.

2.1.2.6 Poids des dérivés


Il arrive que les magnats du système financier conventionnel lui formulent des reproches
inattendus, comme dans ces mots qu’a eu Warren Buffet à propos des produits dérivés : « Les produits
dérivés sont une arme de destruction massive qui portent des dangers qui, actuellement en suspend,
sont potentiellement mortels » (Buffet, 2002). Son pressentiment s’est concrétisé cinq ans plus tard, à
l’aune de la crise des subprimes. De nos jours, les produits dérivés pèsent lourd dans la sphère de la
finance mondiale. Dans chaque marché où ils ont été introduits, ils ont augmenté la volatilité car ils
permettent un meilleur rendement pour des coûts de transaction inférieurs (Askari et al 2010, pp154).
Il est bien plus coûteux de spéculer en achetant de larges volumes d’actions sur un marché spot124
que de parier à l’aide d’un produit dérivé optionnel ou futur peu coûteux (Stout, 2011, p3), à l’instar de
notre exemple en annexe B.5. Ces derniers, destinés à couvrir les risques en théorie, sont en général
bien plus propices à la spéculation que les actions, qui délivrent des rendements beaucoup moins
amples, « l’ironie est qu’ils sont aussi les instruments financiers les plus populaires utilisés pour la
spéculation, tout le contraire de leur fins prévues » (Kunhibava, 2010, p2).

124 Sport : Immédiat, contrairement au marché à terme

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- 153 -
Figure 13 : Récapitulatif de la valeur théorique d’un call en fonction du cours du sous-jacent125

Dès lors que le prix du sous-jacent dépasse le prix d’exercice plus la valeur du call, on entre en zone de
profits. En dessous du prix d’exercice (strike), le call n’a plus de valeur.
Les dernières statistiques estiment à 800 000 milliards d’euros les produits dérivés dans le
monde alors même que le PIB de l’économie réelle mondiale n’est qu’à 70 000 milliards d’euros126. La
situation devient difficilement contrôlable lorsque ces produits deviennent dominants dans les
marchés, ce qui est le cas actuellement. Avec des produits dérivés qui représentent près de 12 fois le
PIB mondial, la spéculation ne peut qu’être significative. Nous sommes donc dans un rapport qui
dépasse les 1000%. C’est un modèle en pyramide inversée dont la caractéristique est l’instabilité. « Les
dérivés, en faisant jouer la spéculation, contribuent à l’augmentation de l’instabilité des marchés, à
l’éloignement de la finance de l’activité productive, ainsi qu’à la distorsion des prix, la création de bulles
et l’augmentation de la dette et du levier » (Abou Hamdane, 2013, p344).

Figure 14 : L’évolution des volumes des produits dérivés et celle du PIB mondial entre 2000 et 2012

Source : Crunchthenumbers 127

125 https://www.cairn.info/loadimg.php?FILE=DEC_REP/DEC_JEGOU_2010_01/DEC_JEGOU_2010_01_0075/DEC_JEGOU_2010_01_0075_i

mg001.jpg (24/04/2017)
126 http://labourseauquotidien.fr/15-million-de-milliards-de-dollars-de-derives-tonnerre-de-brest/ (08/03/2017)
127 http://www.crunchthenumbers.net/crunch-the-numbers/2012/6/22/how-big-is-the-derivatives-market.html

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- 154 -
Cette évolution illustre le poids grandissant de la finance. Elle témoigne, par voie de conséquence,
dans quelle mesure la spéculation s’est imposée dans les pratiques des fonds d’investissement et des
banques d’affaires. Ces derniers deviennent les vrais décideurs de l’économie réelle avec de plus en
plus de pression des marchés financiers sur les dirigeants des entreprises de l’économie réelle.
Les produits dérivés sont essentiellement composés de futurs128, d’options, et quelques autres
produits exotiques (Swaps, CFD129, warrants130, certificats131, trackers132…). Dans les années 1980, 2%
des dérivés étaient utilisés à des fins de spéculation et 98% pour la couverture. Plus récemment, nous
en sommes à 97% d’utilisation à des fins spéculatives (Chance, 2003 ; Al Suwailem, 2006, p42), avec
92% des 500 plus grandes entreprises mondiales qui utilisent ou émettent des dérivés (Khan, Muntaqa
et Abdulsamad, 2008, p3). Le glissement spéculatif des marchés financiers est facilité par ces produits.
Ainsi, l’écrasante majorité des produits dérivés circulant ne sont souvent qu’un véhicule de
spéculation, destiné à servir de support aux paris spéculatifs, avec pour indicateurs les variations des
sous-jacents. Notons que l’indicateur importe peu. De la même manière qu’il existe aujourd’hui des
dérivés climatiques qui permettent de parier sur les évolutions des émissions de gaz à effet de serre de
chaque pays, il existe des produits permettant de parier sur le cheval le plus rapide de telle ou telle
course, ou de parier sur la victoire de telle ou telle équipe de football ou encore de parier sur la hausse
ou la baisse d’un indice boursier sans en acheter aucune action (avec les trackers). Ce n’est pas la
crédibilité du sous-jacent qui rend crédible l’activité en soi, mais c’est le processus de l’activité dans
lequel l’opérateur s’engage qui permet de savoir si les profits réalisés sont le résultat d’une valeur
ajoutée ou de simples paris qui constituent un jeu à somme nulle.
Pour de nombreux spécialistes, dont Al Suwailem (2006, p77), il ne fait aucun doute que les
dérivés représentent à l’échelle globale un jeu à somme nulle. Le nombre de spéculateurs avec les
dérivés dépasse finalement de loin celui des « hedgers » qui cherchent à se couvrir et s’assurer contre
les fluctuations de prix. Ceci n’aurait pas eu lieu si le marché secondaire des dérivés n’existait pas,
autrement dit, si le dérivé n’était qu’un contrat bilatéral entre un négociant et un assureur. Dans ce cas,

128 Futurs / Contrat à terme : Engagement ferme entre deux personnes portant sur une quantité déterminée d’actifs sous jacent à un prix
déterminé à une date et lieu de règlement connus à l’avance.
129 CFD : Le CFD est un contrat portant sur la différence de prix entre le cours d'entrée et le cours de sortie d'un actif financier sans pour

autant acheter, emprunter, vendre ou prêter l'actif lui-même.


130 Warrant : Il s’agit d’un instrument spéculatif émis par des établissements de crédit qui permet d’acheter (call warrant) ou de vendre

(put warrant) une valeur (action, obligation, indice, etc.) à un prix et à une échéance donnée.
131 Certificat : Ce sont des valeurs mobilières qui ressemblent pour partie aux warrants et qui permettent aux investisseurs de se placer

facilement sur un secteur d'activité, un indice boursier, etc.


132 Tracker : Catégorie d’OPCVM indiciel ou fondé sur un indice côté sur un marché réglementé. Ils ont pour objectif de répliquer les

variations d’un indice prédéterminé ou d’évoluer en suivant une formule prédéterminée fondée sur un indice donné. Ils peuvent être
achetés ou vendus en bourse tout au long de la journée de cotation, comme des actions ‘’classiques’’.
Autorité des marchés financiers, Lexique. URL : http://www.amf-france.org/En-plus/Lexique.html# (20/01/2015)

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- 155 -
les produits dérivés seraient circonscrits entre les opérateurs de l’économie réelle, et éventuellement
des intermédiaires négociants qui utilisent ces mêmes actifs réels dans leurs transactions. L’évolution
de la sphère financière aurait été bien différente dans ce cas. L’avènement des dérivés et surtout leur
titrisation puis négociation sur le marché secondaire a offert un formidable outil de spéculation
utilisé par les fonds d’investissement qui gèrent les épargnes et les fortunes de leurs clients dans une
activité qui, en apparence, est tout à fait légitime et bien différente des paris et jeux de hasard.
De surcroît, il est à noter que d’un point de vue rationnel et de ‘’l’homo-economicus’’133, les
opérateurs actuels, souhaitant la croissance de la valorisation de leurs dérivés, sont indirectement en
train de souhaiter l’augmentation des risques, qui sont d’une certaine manière la raison d’être des
dérivés (Al Suwailem, 2006, p39). En effet, les produits dérivés ont une valorisation qui est relative au
degré de risque couvert vu qu’ils constituent souvent une sorte d’assurance. Plus le risque est grand,
plus le dérivé prend de la valeur. Agrégés, ces éléments permettent de constater que le marché des
dérivés ne prend de valeur que lorsque l’incertitude liée aux risques augmente. Les profits des
spéculateurs ne sont en fait que le reflet de l’incertitude, voire l’instabilité, grandissante qui règne sur
le marché dans lequel ils opèrent. Il est donc certain que les spéculateurs sont en situation d’intérêts
opposés par rapport au marché pris d’un point de vue global. Au final, plutôt que de les désigner
comme produits, investissements ou placements, certains préfèrent qualifier les placements dans les
produits dérivés de « paris » (Stout, 2011) du fait de la déclinaison pratique de leur utilisation qui
aboutit à la compensation dans 98% des cas. D’une manière générale, « les dérivés augmentent la
spéculation et ne servent aucun objectif économique, les études ont amené un large consensus sur la
question » (Khan, Muntaqa et Abdul Samad, 2008, p6). C’est cette conclusion qui a été relevée par
Bowman et Faust (1997) lorsqu’ils démontrent que l’introduction exponentielle de dérivés transforme
un marché complet (dans lequel tout risque peut être couvert) en marché incomplet (dans lequel
certains risques resteront impossibles à couvrir).
En somme, les dérivés servent souvent de support aux paris, sans que le sous-jacent n’importe
réellement l’opérateur, le dérivé permettant de spéculer à moindre prix. La négociabilité de ces
produits accentue leur impact, impliquant un paradoxe de fait, vu que les opérateurs souhaitent en
faire des placements mais également se couvrir : deux volontés opposées. Les dérivés, représentant

133Homo economicus : Sujet conçu par l'analyse économique comme un être agissant de manière parfaitement rationnelle. (Cette
expression a été utilisée par les classiques comme A. Smith, mais également par l'école marginaliste, qui en fait la clé de voûte de son
explication de l'activité économique.)
Dictionnaire Larousse, Homo Economicus, Le site des Éditions Larousse.
URL : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/homo_economicus/40255 (19/01/2015)
Cette notion reste relativement utopique tant l’être humain n’est pas rationnel dans la somme de ses comportements et tant les
émotions et les passions constituent un trait indissociable de sa personnalité le poussant bien souvent à prendre des décisions bien loin
de la rationalité supposée être la sienne.

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- 156 -
actuellement 12 fois le PIB mondial avec près de 97% qui servent à spéculer, augmentent au final
l’instabilité et la volatilité alors même qu’ils représentent un jeu à somme nulle à travers la
liquidation/compensation qui intervient à l’échéance pour 98% d’entre eux.

Conclusion du chapitre
La première sous-catégorie de facteurs se rapporte aux comportements des opérateurs sur les
marchés financiers. Dans un monde où l’éthique vient souvent après le profit, la finance ne déroge pas
à la règle. Avec 24% des opérateurs prêts à frauder pour gagner plus et vite, le contournement de la
régulation devient une des pratiques favorites de cette catégorie, négligeant au passage les
conséquences macroéconomiques de ces manquements. D’autres iront jusqu’à abuser de leur capital
moral pour induire en erreur le marché où même certains de leurs clients, à travers l’escroquerie, fléau
généralisé lors des phases spéculatives. Ces comportements favorisent la spéculation aux côtés de la
cupidité et les guerres de prestige que se livrent les spéculateurs. Dominés par la théorie du plus fou,
les opérateurs sont souvent très loin de la rationalité fondamentaliste censée guider leurs
investissements. Les histoires de golden boys réussissant à coups de millions de Dollars ne participent
aucunement à l’apaisement des ferveurs, induisant des batailles d’égo dont les perdants sont sur un
autre front - celui de l’économie réelle - le seul but étant de s’imposer, oubliant les précédentes
dérives, même si elles ont moins d’une décennie. La spéculation est également alimentée par l’excès
de prise de risque dans certains investissements financiers, l’unique but étant le gain important et
rapide. Ce sont les acteurs qui cherchent le plus de risque qui finissent par le récolter, et non les plus
solides contrairement à la théorie. Une fois le risque transformé en titre négociable, peu de barrières
empêchent alors son transfert vers des acteurs majeurs pouvant présenter un risque systémique. Ces
acteurs sont de plus en plus motivés par les placements spéculatifs à court-terme plutôt que dans
l’économie réelle : ils cherchent explicitement à spéculer, sans intention de livrer ou transférer un
quelconque sous-jacent. Or, la prépondérance de ces acteurs à l’intention spéculative sur des marchés
on ne peut plus réels, participe à les transformer en marchés spéculatifs, dans lesquels les cours sont
de moins en moins orientés par l’offre et la demande réelles. La spéculation ne s’en trouve
qu’exacerbée.
Sans un certain nombre de transaction, ces comportements n’auraient sans doute pas pu
autant exacerber la spéculation. D’emblée, nous avons relevé l’implication des assureurs qui spéculent
en nom propre de manière croissante, ou acceptent de couvrir des transactions hautement risquées
donnant une illusion de couverture et de sérénité, créant ainsi un aléa moral en termes de prise de
risque, comme ce fut le cas avec les CDS. L’interconnexion systémique qu’elles ont avec les banques
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
- 157 -
accroît le risque global en cas d’imprévu. Ce risque spéculatif systémique est accru dans les marchés
légalisant la vente à découvert. Grâce aux emprunts d’actifs, l’opérateur peut gonfler artificiellement
l’offre faisant entrer la valeur cible dans un cercle vicieux de dégradation, un procédé proscrit dans de
nombreux marchés. La spéculation est également amplifiée par les ventes futures, du fait de
l’incertitude accrue et la possibilité d’échapper à la livraison physique à travers la
liquidation/compensation. Les ventes futures étant également dans l’esprit du jeu à somme nulle vu
que leur essence se rapproche de l’assurance, ils amplifient la déconnexion avec l’économie réelle.
Cette déconnexion favorable à la spéculation trouve aussi sa source dans le spoofing, essentiellement
des fausses enchères destinées à désorienter le marché, orienter les cours ou encore camoufler
certaines transactions, procédé également interdit sur de nombreuses places financières. La
complexification et la sophistication de l’ensemble des transactions financières vient favoriser un peu
plus la spéculation à travers l’éparpillement du risque rendant la traçabilité et le contrôle toujours plus
délicats, permettant aux opérateurs de risquer toujours plus. Même les professionnels s’y sont perdus
en 2008, sous-estimant le risque lié à de nombreux produits structurés (Lehman Brothers notée triple
A quelques jours avant son écroulement)134, produits qui ont parfois permis de contourner, avec brio
et en toute discrétion, certaines régulations. L’illiquidité de ces produits en phases d’incertitude,
l’illusion qu’ils donnent de couvrir le risque et la possibilité de contourner les réglementations
prudentielles grâce à leur utilisation, permettent d’avoir un terrain favorable aux activités spéculatives.
Lorsque ces produits dérivés complexes deviennent dominants au niveau des marchés, le risque
spéculatif devient une norme avec laquelle les acteurs de l’économie réelle doivent composer. Les
dérivés servant de support aux paris d’acteurs financiers majeurs vu qu’ils permettent de spéculer à
moindre coût sur tout type d’actif, le marché est alors dominé par les opérations à somme nulle, closes
par des liquidations, facilitant un peu plus la spéculation.
Ces éléments relevés des pratiques actuelles illustrent de nombreux postulats évoqués au
niveau des théories principales de la spéculation. Néanmoins, cette première catégorie de facteurs
n’est pas la seule, et nous verrons qu’une autre catégorie regroupant des facteurs, exogènes cette fois-
ci, est d’une importance majeure du fait de sa contribution au risque de spéculation.

134 Le Nouvel Observateur, édition du 13/01/2011

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- 158 -
CHAPITRE II

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- 159 -
2.2 Les facteurs de la spéculation exogènes au marché
La spéculation est un phénomène qui prend de l’ampleur à mesure que les outils utilisés et les
transactions auxquelles procèdent les acteurs deviennent risqués. Certains outils et certaines
transactions, sont plus propices à la spéculation que d’autres. Cependant, la spéculation ne peut
seulement être expliquée par les comportements et les transactions étudiées. Les produits dépendent
beaucoup de ce qu’on en fait, et les transactions n’ont de valeur que dans le contexte dans lequel elles
sont faites et dans le cadre dans lequel elles évoluent. C’est ainsi que dans le droit fil directeur de cette
analyse, nous passerons en revue la seconde catégorie de facteurs de la spéculation, qui concerne le
cadre réglementaire du marché, le contexte financier et le contexte macroéconomique au sein duquel
évoluent ces transactions.

2.2.1 Cadre réglementaire


2.2.1.1 Possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal
L’arbitrage réglementaire et fiscal s’inscrit parfaitement dans la logique purement financière du
spéculateur dès lors qu’il est confronté à des contraintes réglementaires internationales ou locales.
« Aux Etats-Unis, les achats d’actions sur marge sont réglementés dans les années 1930 et la Federal
Reserve impose une marge minimum de 50%. De cette contrainte nait une innovation. La
réglementation s’applique aux marchés boursiers organisés dont le New York stock exchange, mais non
pas au marché des options de Chicago Mercantile Exchange. Dans ce cas, la marge réglementaire est
fixée à 10%. Mais si deux marchés peuvent être rapprochés par des procédures d’arbitrage, comme
c’est le cas, ils ne forment plus qu’un seul marché. En achetant un contrat d’option sur une des 500
Standard and Poor Futures à Chicago avec une marge à 10%, on achète en fait une action sur marge de
10% au comptant à New York ; si le prix des options monte à Chicago, les arbitragistes vendront les
options à Chicago et achèteront au comptant à New York. L’achat d’options est transmis sur le marché
au comptant par l’arbitrage » (Kindleberger, 1978, p77). Cet exemple illustre dans quelle mesure le
spéculateur peut se permettre d’amplifier ses activités dès lors que cet arbitrage réglementaire est
possible.
D’un point de vue mondial, à l’ère du village global, des multinationales et de l’hyper
connectivité, il est évident que la portée des réglementations nationales est amoindrie. L’un des
revers de la médaille de l’ouverture et la globalisation est la possibilité de fuite des capitaux et de
délocalisation des sièges sociaux des entreprises. Comme évoqué plus haut, le contournement des

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régulations se fait à l’aide d’outils issus de montages de dérivés. Ces derniers rendent le suivi des
autorités de régulation plus ardu. Dans certains cas, on fait appel à des juristes expérimentés pour
contourner les règles, notamment à travers l’ingénierie juridique, les holdings et les sociétés écrans
(cf : scandale des Panama Papers135). Souvent, l’arbitrage réglementaire et fiscal s’oriente vers les
paradis fiscaux qui échappent aux réglementations des principaux centres financiers, dans lesquels
sont produits les biens et services générant des impôts qui devaient être payés sur place. Les autorités
de ces pays s’efforcent, tant bien que mal, de « répondre aux inventions constantes des fiscalistes pour
contourner la loi » (Kindleberger, 1978, p62). Il est récurrent de constater la domiciliation de tel ou tel
fond aux Seychelles ou aux Bahamas, pour ne citer qu’eux. Ces paradis fiscaux constituent un talon
d’Achille et un défi majeur aux politiques régionales ou nationales. Il en découle que 50% des flux
financiers mondiaux transitent par ces paradis (près de 72 existent selon le FMI), que 4000 banques s’y
sont établies, avec les deux-tiers des hedge funds et 2,5 millions de sociétés écrans (Valentina & Aurora,
2009, p3). Tant que cette alternative existe, les comportements spéculatifs sont encouragés car
pouvant avoir une certaine continuité sans être confrontés aux lois et autres règlements prudentiels.
Ces paradis fiscaux s’interdisent en effet de cadrer les transactions de sociétés qui y sont domiciliées
ou de vérifier la provenance des fonds qui y sont déposés, d’une manière minutieuse. Ces sociétés
opèrent généralement à l’échelle globale, et sont basés dans les paradis fiscaux qui restent la caisse
noire de nombreux acteurs. C’est donc à partir de paradis fiscaux que de nombreux fonds spéculatifs
opèrent à la faveur d’une fiscalité très avantageuse et la possibilité de ne pas voir les marges de leurs
transactions amputées en partie par les impôts.
Le cadrage légal des pratiques financières fait tout autant l’objet d’innovations que la finance
elle-même. La compétence des lois et juridictions locales perd en impact, donnant ainsi plus de latitude
à la spéculation à travers cette possibilité d’arbitrage. A partir des paradis fiscaux, de nombreux
opérateurs financiers entament leurs investissements à l’aide d’une ingénierie juridique pointue, ce
qui explique que 50% des flux mondiaux finissent dans ces mêmes paradis, véritables trous noirs des
flux financiers planétaires.

135 « Le Monde, en partenariat avec 108 médias étrangers et le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a eu accès à
une très grande masse d'informations inédites : 11 millions de fichiers provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca,
spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore. Les données, qui constituent le plus gros "leak" de l'histoire, s'étalent de 1977 à 2015.
Elles révèlent que des chefs d'Etat, des milliardaires, des grands patrons, des figures du sport, de la culture, de l'économie recourent, avec
l'aide de certaines banques, à des montages de sociétés afin de dissimuler leurs avoirs »
http://www.lemonde.fr/panama-papers/ (08/03/2017)

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2.2.1.2 Domination des opérations et des comptabilités parallèles
L’un des aspects majeurs des opérations parallèles, le shaddow banking136, pèse en 2014 près
de 60 000 milliards d’euros137 , soit l’équivalent du PIB de la planète entière. Ces transactions
représentent un quart des transactions financières dans le monde. Ces ‘’banques de l’ombre’’
spéculent. Cela leur est rendu possible dans la mesure où elles ne sont pas cadrées par les mêmes
réglementations prudentielles que les banques de détail. Ces banques de l’ombre sont en général des
fonds spéculatifs qui octroient des crédits à travers les produits structurés dérivés issus de l’ingénierie
financière. Ces crédits, très procycliques, sont bien plus exposés aux fluctuations et donc à la
spéculation que les crédits classiques adossés à des hypothèques où seul l’actif hypothéqué est exposé
aux variations du prix du marché (Turner, 2012). La valorisation au prix du marché est d’ailleurs de
nature à accentuer le profil spéculatif, surtout lorsqu’il s’agit de dérivés (Callonnec, 2005, p288).
Un autre type de transactions moins réglementées et favorisant la spéculation s’est
développé ces dernières années : Le marché parallèle. Ce ne sont pas moins de 95% des transactions
concernant les produits financiers qui se font ‘’de gré à gré’ (détails en annexe B.6), hors du périmètre
de contrôle des autorités boursières, et échappent de fait aux principales régulation (EM Lyon)138.

Figure 15 : Répartition par secteur d’activité du marché mondial du gré à gré

136 « Le shadow banking ou finance de l'ombre désigne des activités de financement réalisées en dehors des circuits officiels et régulés de
la banque. Le terme a été popularisé suite à la crise des subprimes en 2008, mais se trouve utilisé le plus souvent aujourd'hui pour décrire
une partie du système financier chinois. »
URL : https://www.cafedelabourse.com/lexique/definition/shadow-banking
137 Journal Les Echos, édition du 30/10/2014
138 Les facteurs de résilience de la FI à l’épreuve de la crise, enquête d’un groupe d’étudiants EM Lyon (http://recapssfis.wix.com/finance-

islamique) 25/03/2013

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L’une des raisons qui explique la taille minimale du marché des matières premières, relativement aux
autres marchés, est que les spéculateurs qui dominent de plus en plus les marchés, ne souhaitent pas
s’engager dans une activité liée à un ‘’commerce physique’’ (Ashley, 2009, p202). Parmi les
transactions de gré à gré, nous avons celles portant sur les matières premières qui permettent de
comprendre les enjeux liés à ces transactions. Chaque contrat à terme sur les matières premières
négocié peut conduire à deux dénouements, soit la livraison effective de la marchandise, soit
l'annulation des positions prises au début par chacune des parties contractantes (Zuili, 2009). Ces
contrats sont surtout prisés par les fonds spéculatifs qui confortent de plus en plus leur omniprésence
dans les marchés. Néanmoins, ces contrats de gré à gré comportent plusieurs risques (Parmentier,
2008). Tout particulièrement il s’agit du :
• Risque de contrepartie : Le risque de défaut d'une des parties à l'échéance du contrat ;

• Risque de livraison : La date et le lieu de livraison peuvent subir un décalage ;

• Risque de qualité : La qualité livrée ne correspond pas forcément aux attentes de l'acheteur.

Historiquement, le marché ancêtre de l’OTC (over-the-counter) est littéralement un marché


privé parallèle et dont la légalité était peu reconnue. Ce n’est que depuis l’an 2000, avec le
‘’Commodities Futures Modernization Act’’, que de nombreux contrats de dérivés ont commencé à être
acceptés par l’ensemble des juridictions américaines, après avoir été bannis par une décision de la
cour suprême en 1884 invalidant tout contrat futur dont les protagonistes n’avaient aucune intention
de livrer la marchandise (Stout, 2011, p6). Cette décision en 2000 a fait exploser les volumes au sein de
ces marchés parallèles, passant de 88.000 milliards d’euros en 1999 à plus de 600.000 milliards
d’euros en 2008, soit une multiplication des encours par 7 en 9 ans. Le gré à gré représente selon la
BRI en 2009 près de 604.622 milliards d’euros, soit environ 10 fois le PIB mondial de 61.000 milliards
d’euros (BRI, 2009)139. En pratique, les transactions de gré à gré compliquent la tâche du régulateur et
rendent les procédures de contrôle et d’évaluation des risques bien plus complexes (Davies, 2013, p7).
Après la crise de 2008, les autorités prennent conscience de cette dimension mais la marge de
manœuvre est faible du fait des pressions. Ainsi, la loi Dodd-Franck interdit de négocier les Swaps qui
n’ont pas pour objectif la couverture du risque, de gré à gré, mais ne ferme pas les portes à de
nouveaux dérivés qui pourraient contourner cette règle. Elle proscrit aux banques qui collectent les
dépôts des clients de faire des transactions en produits dérivés. Néanmoins, en 2015, et du fait du

139
Bank for International Settlements (2013), BIS Quarterly Review, March.
URL : http://www.bis.org/statistics/otcder/dt1920a.pdf (Juillet 2014)

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lobbying de Citigroup, la plus grande banque au monde, cette règle fut abandonnée140. L’arrivée de
Trump à la présidence a confirmé cette marche arrière. Autant dire que les départements de recherche
des grandes institutions financières ne devraient pas manquer de ressources pour mettre en place des
mécanismes permettant de contourner la règle. Il apparaît donc clair que l’existence de tels marchés
parallèles et bien moins réglementés est de nature à favoriser les paris et les comportements
spéculatifs, en privé et hors de contrôle. Henry et Kotlikoff (2010) s’élevaient contre ces pratiques en
soutenant que « ce n’est pas du ressort du secteur financier que d’investir l’argent des contribuables au
casino et de récupérer les gains […]. Les manipulations hors bilan et les actifs toxiques disparaitraient
alors ».
Par ailleurs, et en plus de cette négociation en OTC de manière parallèle et peu transparente,
les normes comptables nouvellement adoptées placent les produits dérivés en hors bilan. Or, dans un
contexte déjà dominé par les opérations opaques rapides et mondiales, cette réglementation est à
même de favoriser la possibilité de spéculer. Les opérations en hors bilan, facilitées par la libéralisation
financière, sont généralement de nature spéculative (Miotti et Plihon, 2001). A cet effet, il est à
signaler que « l’insistance à exprimer la capitalisation en pourcentage des actifs ou des autres dettes
provoque une multiplication des opérations hors-bilan » (Kindleberger, 1978, p193). Le poids des
opérations hors bilan par rapport au bilan indique de manière assez révélatrice la teneur de la
spéculation. Joseph Stiglitz n’a pas manqué de souligner ce point à l’occasion de son rapport
commandité par l’ONU sur la crise financière : « L’arbitrage réglementaire incite aussi à réduire la
transparence. La création de véhicules hors bilan qui ont causé tant de problèmes dans la crise actuelle
a été l’un des résultats de cet arbitrage. Les réglementations ne doivent pas seulement assurer plus de
transparence, mais également améliorer les incitations à la transparence », (Rapport Stiglitz, 2009). Le
manque d’incitation en ce sens, favorisant le gré à gré, rend le marché bien plus exposé aux
comportements spéculatifs. Ce marché de gré à gré a même été surnommé par Ashley (2009, p82) le
darktrading du fait de son opacité et sa nuisance pour les marchés boursiers réguliers.
La combinaison des transactions de gré à gré moins réglementées, des opérations hors bilan
moins transparentes et du shaddow banking, donne une procyclicité supplémentaire ainsi qu’une plus
forte corrélation entre les différentes activités et les différents marchés, augmentant ainsi le risque
systémique en cas de défaillance, même localisée, amplifiant par là même les appétits spéculatifs. Ces
éléments sont d’ailleurs favorisés par un autre facteur de la spéculation : la déréglementation.

140
Roe Mark (2015), The big Banks are Back, 16 January, Project-syndicate.org.
URL : http://www.project-syndicate.org/commentary/dodd-frank-repeal-us-financial-regulation-by-mark-roe-2015-01 (20/01/2015)

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2.2.1.3 Déréglementation et ouverture excessives
Depuis les années quatre-vingt, plusieurs pays ont connu, sous l’impulsion de Reagan et
Thatcher entre autres, une croissance exponentielle de la dérégulation et de l’innovation financière
(Ashley, 2009, p122). Avec la vague de déréglementation qui a suivi, et qui a connu son aboutissement
avec l’abolition totale en 1999 du Glass-Steagle Act, séparant les activités de dépôt et d’affaires entre
autres, le monde financier a eu l’opportunité d’intervenir de manière de plus en plus globale et de
moins en moins régulée. C’est dans cette optique que les années quatre-vingt ont été marquées par
une libéralisation accentuée et une dérégulation croissante, souvent inspirées des théoriciens
monétaristes, notamment le prix Nobel 1976 Milton Friedman. Ce dernier était farouchement opposé
à l’implication de l’Etat dans l’économie, à tel point qu’il avait dans certains cas des propos
catégoriques pointant du doigt l’inefficience de l’Etat. On retient souvent de lui que « si vous mettiez le
gouvernement fédéral en charge du Sahara, dans cinq ans il y aurait une pénurie de sable »141. En ces
temps de désertification, d’aucuns auraient apprécié qu’il eût raison sur celle-là.
Ces politiques de dérégulation et de déréglementation ont connu un coup de frein brutal avec
la dernière crise financière. Durant l’apparition de bulles, les marchés se comportent en ‘’Ponzi’’ et ce
sont les derniers arrivants qui paient les pots cassés (Al Suwailem, 2006, p76). Le manque de
transparence et de régulation adéquate a été l’un des principaux facteurs de la crise de 2008
(Cecchetti (2008) et Adrian et Shin (2008)), elle-même due à une bulle spéculative. Soros (2008),
confirmait que les bulles spéculatives prennent de l’ampleur à cause de la dérégulation. D’ailleurs, il
s’avère d’un point de vue historique que les cycles de régulation et dérégulation successives sont des
cycles similaires mais décalés de ceux de croissance et de récession. La principale raison est que les
marchés financiers sont en avance et assimilent les bénéfices et les pertes futures dès qu’ils sont
anticipés, dans le cours actuel de la valeur (Ashley, 2009, p123 et p201).
Une des conséquences pratiques de la dérégulation est la réduction des moyens humains et
financiers des autorités de surveillance financière. L’une des raisons à cela est que « le personnel
qualifié nécessaire en temps de crise n’est pas prêt à accepter l’ennui de longues périodes de calme »
(Kindleberger, 1978, p194). Même les organismes de régulation concèdent ce constat : Le personnel et
les moyens ne sont pas du tout suffisants pour pouvoir suivre les mastodontes de la finance et les
contrôler. C’est notamment évident quand on analyse la qualité des cadres des autorités de régulation
et leurs salaires par rapport aux traders. Les derniers sont largement mieux formés (donc plus aptes à

141Financedemarche.fr, Milton Friedman. URL: http://financedemarche.fr/citations/si-vous-mettiez-le-gouvernement-federal-en-charge-


du-desert-du-sahara-dans-cinq-ans-il-y-aurait-une-penurie-de-sable (23/05/2016)

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- 165 -
avoir de l’avance en termes de contournement de régulations) que les premiers qui ont le plus
souvent un train de retard et sont dans une optique généralement réactive.
Ajoutons à cela que les financiers ont la possibilité d’agir de manière transnationale, ce qui
n’est généralement pas valable pour les autorités de régulation. Parmi les corollaires de la
déréglementation, il y a lieu de relever l’ouverture des marchés et l’interdépendance croissante entre
les places financières. Les effets de contagion des bulles spéculatives deviennent alors quasi-
systématiques, surtout lorsque la bulle concerne une place financière majeure. Cet environnement
d’ouverture systématique n’est pas une cause de la spéculation en soi, mais plutôt un élément du
cadre réglementaire et économique qui favorise la propagation de la spéculation. « Dans l’ensemble
[…] les bulles et les krachs sur un marché donné se propagent aux autres » (Kindleberger, 1978, p142).
Avec cette faiblesse des autorités de régulation, les marges pour spéculer ne peuvent qu’être plus
larges (Belhadia, 2010, p23). Tant que ces niveaux de dérégulation seront élevés, les possibilités de
spéculation seront multiples dans les marchés financiers. Nous comprenons pourquoi le rapport de
l’OCDE en 2009 conclut que la crise financière peut en grande partie être attribuée aux failles et
lacunes des procédures de gouvernance d’entreprise 142 . Ces lacunes se traduisent de manière
récurrente par des crises financières aigues : « Le processus de libéralisation financière (LF), mené dans
la quasi-totalité des pays depuis une vingtaine d’années, constitue la cause commune de la plupart des
crises bancaires et financières » (Miotti 2001, p2)143. Les failles ne sont d’ailleurs pas toujours liées à un
manque de régulation, mais elles sont également liées à la mauvaise régulation. Ainsi, les normes de
Bâle, du fait de leur inflexibilité, entraînent une procyclicité implicite et donc des difficultés
supplémentaires en temps de crise (Ashley, 2009, p174).
En fait, l’impact de la libéralisation financière sur l’économie n’est plus à démontrer. A cet effet,
« plusieurs études empiriques, portant sur des échantillons de pays relativement représentatifs, ont
montré que les crises bancaires ont généralement été précédées par des politiques de libéralisation
financière » (Miotti et al., 1998). Ce constat est confirmé par Eichengreen et Arteta (2000), bien que la
théorie financière classique implique qu’une telle libéralisation ne soit pas néfaste vu qu’elle devrait
permettre de diversifier les investissements et financer des projets plus risqués et plus rentables
(Miotti et Plihon 2001, p10). Empiriquement, « les excès des bulles spéculatives interviennent dans des
conditions de laxisme réglementaire » (Askari et al, 2010, p33). Kindleberger (1978, p59) spécifiait à ce
sujet que : « la déréglementation est appliquée dans un certain nombre de pays et amorce un cycle

142 OECD (2009), Corporate Governance and the Financial Crisis: Key Findings and Main Messages.
URL : http://www.oecd.org/corporate/ca/corporategovernanceprinciples/43056196.pdf (09/02/2014)
143 Ce circuit de libéralisation-spéculation est illustré par un récapitulatif en annexe

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explosif de créations de banques, de prêts, d’inflation et de faillites bancaires ». Cela s’est observé de
manière cruelle lors de la crise Argentine provoquée en grande partie par la vague de libéralisation
puis de spéculation au début des années 90 et qui vit la bulle spéculative éclater en 1994 avec la crise
mexicaine. Kindleberger (1978, p139) constatait donc que « (…) la déréglementation du secteur
bancaire (…) participa du mouvement de spéculation (…) ».
Quel était le rôle des institutions financières dans tout cela ? A vrai dire, « l’histoire a démontré
que les institutions financières ont toujours devancé les organismes de supervision et de régulation »
(Askari et al 2010, p56). Les régulateurs sont dépassés (Askari et al 2010) et les intervenants également.
Les innovations financières sont en général bien en avance par rapport aux régulateurs, ce qui donne
lieu lors de chaque choc financier à de nouvelles réglementations prudentielles. La crise de 1987 a été
suivie par exemple des accords de Bâle 1. Deux décennies plus tard, nous en étions déjà à Bâle 3, des
règles prudentielles élaborées en 2010, après le déclenchement de la dernière crise. Avec les accords
de Bâle, les autorités sont plutôt dans une optique palliative conjoncturelle que dans une optique de
réflexion systémique. Ce sont simplement certains ratios prudentiels qui sont modifiés, mais les
fondamentaux restent les mêmes. Comme le disait le Francis Bacon (1560-1626), philosophe anglais :
« Les mêmes causes entraînent les mêmes effets ». A fortiori, « on ne résout pas un problème avec les
modes de pensée qui l'ont engendré » comme l’avançait Einstein.
Finalement, nombreux sont les éléments qui participent à la déréglementation, cause majeure
de la spéculation. Tout d’abord, il faut relever certaines carences au niveau de la régulation. La baisse
des moyens financiers et humains alloués aux régulateurs n’est pas pour améliorer cet état de fait,
surtout en présence d’opérateurs financiers bien plus aisés et mieux formés. Dans un contexte
d’ouverture internationale, les carences réglementaires se font clairement ressentir, du fait de la
multiplication des brèches à travers lesquelles les spéculateurs peuvent agir, dans un cadre peu
transparent et propice à la diffusion des bulles. L’on comprendra ci-après que cette déréglementation
évolue de concert avec les pressions de certains acteurs majeurs de la finance.

2.2.1.4 Poids et pouvoir des lobbys financiers


Dans un contexte unique, plutôt libéral, comme « aux Etats-Unis, où il n’existe plus de
banques centrales depuis 1837, les principales banques de New York se trouvent prises en étau entre
leur rôle de financier qui les conduit à contribuer à l’instabilité du crédit et leur fonction de dépositaire
des ressources financières du pays qui les incite à lutter contre cette instabilité. Le court-terme s’oppose
au long terme ; l’intérêt privé à l’intérêt général » (Kindleberger, 1978, p87). C’est par ce résumé fin et
explicite que Kindleberger choisit de conclure son quatrième chapitre consacré au rôle de l’expansion

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monétaire (facteur qui sera traité quelques paragraphes plus tard) dans la spéculation. A partir du
moment où le rôle théoriquement régalien de création monétaire est attribué à des institutions
privées dont le but n’est pas l’intérêt général mais la maximisation du profit, il est presque inutile
d’invoquer la notion de lobbying tant la collusion est indécente. Ce bien public qui est la monnaie étant
aux mains d’institutions privées, et ces dernières ayant donc de fait la main mise sur la chose
monétaire, le chemin est tout tracé vers le conflit d’intérêt. La FED a été en 1913 la consécration de
cette privatisation de ce rôle régalien, et le prolongement de cette tradition d’omniprésence des
banquiers dans le monde de la politique, et plus précisément de la politique monétaire. La voie fut dès
lors ouverte pour orienter la politique monétaire vers les intérêts de ces institutions.
La régulation et la gouvernance actuelles poussent naturellement les établissements
financiers à prendre toujours plus de risques (Askari et al 2010). Dans un système contrôlé par des
acteurs dominants, il est naturel de voir cette domination transformée en lobbying effectif, et souvent
efficace, s’appuyant généralement sur les arguments relatifs aux bénéfices de l’innovation et la
dérégulation financière, avec un succès évident (Ashley, 2009, p125). L’industrie financière américaine
(et des pays de l’OCDE plus généralement) est politiquement puissante et exerce une influence
majeure à travers son lobbying et ses contributions stratégiques de soutien aux politiciens (Johnson,
2009). Ceci est particulièrement évident en temps de crise lorsque l’observateur analyse les décisions
prises par les gouvernements pour faire face aux récessions. « Il y a toutefois une dimension politique
dans toutes les opérations de sauvetage qui ne sont pas généralisables, comme peuvent l’être les
opérations d’open market. Qui est aidé et qui ne l’est pas ? » (Kindleberger, 1978, p264).
Lorsque les forces politiques et économiques sont étroitement liées, les décideurs n’hésitent
pas à sauvegarder les établissements financiers qui ont commis des excès spéculatifs, généralement
au détriment du contribuable, à travers des hausses d’impôts, des baisses de subventions ou d’autres
mesures ayant pour effet de mutualiser les pertes des grandes institutions financières. Globalement le
risque sera réparti « entre le secteur public et le secteur privé » (Greenspan 2003). « En d’autres termes,
ce sont les gouvernements (et donc le contribuable) qui supportent les risques des spéculateurs » (Al
Suwailem, 2006, p50). Déjà lors de la crise de 1987, c’était « le contribuable américain qui régla la
note » (Kindleberger, 1978, p189, mis à jour en 2004). L’une des explications est que le lobbying
financier est le plus puissant, dépensant à Bruxelles à elle seule près de 120 millions d’Euros à travers
1700 lobbyistes, plus que tous les autres secteurs144.

144 http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/04/09/comment-le-lobby-financier-pese-sur-bruxelles_4398032_3214.html
(08/03/2017)

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« Le marché se sachant soutenu par un prêteur en dernier ressort, se sentirait moins enclin à
assurer un fonctionnement efficace des marchés de la monnaie et des capitaux lors du prochain boom »
(Kindleberger, 1978, p195). Quel message l’Etat envoie-t-il en effet aux banques lorsqu’à chaque fois
que l’une d’entre elles verse dans l’excès et frôle la faillite, il145 décide de la sauver ? Quel message si
ce n’est que l’Etat sera là pour payer les pots cassés, à travers toujours plus de prélèvements et de
taxes, et donc qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter ni d’être trop strict au niveau de la régulation ? Cela
crée un aléa moral évident et une incitation à la spéculation (Hellman, Murdock et Stiglitz, 1998).
Généralement, « une garantie sur les dépôts aurait constitué une incitation à spéculer » (Kindleberger,
1978, p188). Cette proposition est toujours d’actualité.
Comment les spéculateurs peuvent-ils alors durablement générer des profits dans un jeu à
somme nulle ? Selon Stiglitz (2002, p198), « ce qui rend la spéculation profitable c’est l’argent qui
provient des gouvernements », et donc du contribuable. Cette tendance à « mutualiser les pertes et
privatiser les profits » (Chorafas, 2003, p135) pousse le spéculateur à continuer dans ses activités, voire
à prendre plus de risque en spéculant davantage, ce qui rendra le système encore plus risqué.
En somme, le marché est essentiellement dominé par quelques acteurs qui sont, en sus, très
représentés au niveau des instances dirigeantes à travers un lobbying effectif, plus puissant même que
celui de l’armement. Les sauvetages ne sont pas dénués de dimension politique. Les grandes banques
se trouvent bien souvent prises dans un aléa moral entre l’incitation à spéculer davantage se sachant
sauvées en cas de crise, et la nécessite de maintenir la stabilité du système. Les profits sont d’ailleurs
privatisés mais les pertes sont mutualisées, le contribuable étant le maillon payant la facture des excès
des spéculateurs. D’autres facteurs de la spéculation viennent se greffer au lobbying.

2.2.1.5 Cotation continue et fréquence des transactions


Jusque très récemment, les cotations des valeurs n’étaient pas continues, mais ponctuelles,
généralement hebdomadaires (fixing). Cela permettait d’enregistrer un gain ou une perte par
séquence. Le cadre était plus proche de la conception Walrassienne qui conduirait éventuellement à
l’équilibre (ne pas procéder à des transactions tant que les offres et demandes ne s’équilibrent pas). Il
va sans dire que l’avènement de ce changement systémique de l’organisation du marché a eu des
impacts parfois positifs et parfois négatifs. Notons, tout particulièrement, parmi les impacts positifs la
visibilité des prix en continu, tant au niveau national qu’international. Lorsque les écarts entre
séquences diminuent, les opportunités de gains ou de perte deviennent plus fréquents avec « …le

145
Il : La décision se fait dans l’exécutif généralement par le ministre des finances, qui a bien souvent des liens passés ou futurs avec les
bénéficiaires de ces opérations.

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- 169 -
trading en actions sur internet, souvent durant toute la journée et jusqu’en soirée. Ces changements
ont accentué la volatilité des places boursières… » (Kindleberger, 1978, p26). La cotation en continu est
un élément qui est souvent lié à l’hyperactivité au niveau des marchés financiers. Cette technique date
de l’informatisation généralisée des places financières. Après être passés par de nombreuses étapes
de changements organisationnels, les marchés financiers, à partir des années quatre-vingt, ont connu
une évolution majeure digne de la rupture technologique qu’est l’informatisation des systèmes de
gestion. Ceci s’illustre assez bien quand nous comparons les flux monétaires aux flux d’exportations
réelles. Ainsi, les transactions sur le marché des changes représentent 50 fois les exportations
physiques146, et près de la moitié des transactions financières mondiales selon la BRI. Cette
spéculation, du fait de l’augmentation des intermédiaires et du nombre de transactions, est aussi
propice à l’inflation structurelle et durable.
Figure 16 : Montant quotidien des échanges de devises et des exportations en 2007

Cependant, certains soutiennent que ce type de cotation continue accroit l’instabilité ainsi que
la possibilité de spéculer à très court terme, sans réelle valeur ajoutée pour l’économie réelle. « On
observera même que le passage en 1986 du fixing à la cotation continue n’a produit aucun effet de
réduction de la volatilité des cours de bourse, bien au contraire » (Lordon, 2010). En effet, l’argument
de la nécessité de réconcilier horizon économique et horizon financier fait son chemin parmi les
analystes économiques147. Or, nous savons pertinemment qu’une entreprise a besoin d’un certain
temps pour finaliser une activité productive, qui ne se limite généralement pas à quelques secondes
séparant deux transactions financières. « Mais le Stock Exchange réévalue tous les jours un grand
nombre d'investissements, et ses réévaluations fournissent aux individus (mais non à la communauté

146 Berruyer Olivier (2013), La déconnexion de l’économie financière, 15 avril, les-crises.fr.


URL : http://www.les-crises.fr/deconnexion-eco-financiere (Consulté en Mai 2014)
147 Chesney M., Dupré D., Taramasco O. (2012), Arrêtons la cotation en temps continu sur les marchés, 26 Novembre, Le Monde.fr. URL :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/11/26/arretons-la-cotation-en-temps-continu-sur-les-marches_1796084_3232.html
(11/08/14)

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- 170 -
dans son ensemble) des occasions fréquentes de réviser leurs engagements. C'est comme si un fermier,
après avoir tapoté son baromètre au repas du matin, pouvait décider entre dix et onze heures de retirer
son capital de l'exploitation agricole, puis envisager plus tard dans la semaine de l'y investir de
nouveau » (Keynes, 1936).

Cette tendance majeure à la spéculation, notamment par le ‘’day trading’’, ou dans sa version
encore plus robotisée, ‘’high frequency trading’’ (90% des ordres en bourse)148, est propice à la
création de bulles et leur effondrement à la même vitesse. Le premier, et a fortiori le second, considéré
par d’éminents économistes comme de la spéculation pure (Obiyathulla, entretien personnel en
Janvier 2014), dans la mesure où aucune transaction n’a pour objectif un engagement économique réel
(Pardo et Lucia, 2007, p2). Il permet aux acteurs de procéder à des dizaines de transactions par jour et
de profiter des faibles variations de prix sur d’importants montants pour encaisser les profits liés à ces
micro-variations se produisant tout au long de la journée. Al Suwailem (2006) montre que 90% des
« daytraders » finissent perdants. Si l’on se tient à la règle précédemment invoquée par rapport au
risque et à la nature de l’activité, et vu que toute activité dans laquelle la probabilité de perdre est
supérieure à celle de gagner ne peut être considérée comme source de profit durable mais plutôt
comme activité spéculative et ludique (Al Suwailem, 2006, p63), on classera aisément le daytrading
dans la catégorie des activités hautement spéculatives au vu de ce taux d’échec stupéfiant.

En conséquence, alors que le temps moyen de détention d’un titre dans les années 70 était de
quelques jours, actuellement, le temps moyen de détention d’une action est de 22 secondes (EM Lyon,
2013). Ce temps moyen devrait encore diminuer vu que l’écrasante majorité des transactions sont
espacées de périodes de quelques millisecondes. Ce temps moyen est un temps impossible à
effectuer et à suivre par un trader. Pourtant, depuis quelques années, un tel exploit devient réel du fait
des capacités d’action des progiciels de bourse qui fonctionnent sur le système des seuils et plafonds,
et plus récemment grâce à - ou à cause de - l’intelligence artificielle. Le trader d’aujourd’hui n’est donc
souvent qu’en arrière-plan afin de veiller au bon déroulement des choses et intervenir afin de mener
des actions correctives en cas de besoin. Son métier est en voie de disparition. Dans notre exploration
personnelle, quelques entretiens avec des traders nous ont permis de vérifier cet état de fait. Le
trading à haute fréquence représente des transactions issues de programmes algorithmiques,
appliqués par de puissants robots, élaborés par des informaticiens versés dans la finance afin
d’exécuter de manière automatique les transactions sans avoir recours à l’intervention humaine. C’est

148 http://www.easybourse.com/bourse/financieres/dossier/21119/trading-a-haute-frequence-quels-enjeux-pour-la-repression-des-
fraudes-.html (09/07/2014)

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une démultiplication exponentielle, à une échelle bien plus courte, du « daytrading ». Florissante
depuis le début du millénaire et particulièrement ces dernières années, cette nouvelle pratique permet
de procéder à des millions de transactions à la seconde, elle peut générer des milliards de transactions
par jour, par machine (serveur robotisé) et par titre. Une échelle que l’être humain, et même
l’ordinateur normal, peuvent difficilement concevoir et encore moins comprendre. Jeff Stibel, dans la
Harvard Business Review, qualifiait le THF de « paris légalisés » ou « jeux de hasard légalisés » au
niveau de la bourse. Plus que cela, « les managers de fonds d’investissement ne peuvent réellement
expliquer clairement les comportements de ces algorithmes car ils ont une certaine faculté
d’apprentissage 149 avec le temps et incorporent des changements comportementaux », une
intelligence artificielle appliquée à la finance, « qu’aucun d’entre nous ne comprend clairement » 150.

Ces machines aux facultés nouvelles et à la vitesse de la lumière rendraient presque ringard le
daytrading humain. En toute logique, les dérapages de marché se font également à une vitesse
fulgurante à l’ère du THF. Il ne serait pas improbable que même les délais des cycles économiques,
que nous avons analysés à l’aide des travaux d’Ibn Khaldûn puis de Kitchin, Jugglar et Kondratieff, se
raccourcissent considérablement tout en augmentant d’amplitude à l’ère du THF dès lors que cette
pratique deviendra généralisée. Le 6 Mai 2010, un « Flash Krach » ayant entrainé la dépréciation des
indices boursiers américains de près de 14%151 en quelques secondes a été stoppé net par la bourse
de Chicago par une mesure inédite : éteindre152 les systèmes de cotation boursière pendant 5
secondes ! Notons au passage que c’est littéralement la première fois dans l’histoire de l’humanité que
l’homme éteint un robot intelligent qui le menace directement et à une échelle globale. Voilà un fait
qui en dit long sur l’avenir de la cohabitation entre humains et robots. A cette échelle de temps, la
déconnexion entre les processus de production de l’économie réelle et l’échelle temps de la finance
est actée. L’horizon est clairement en dessous du court terme habituellement utilisé, et n’est plus
maitrisable à l’échelle humaine naturelle. Cela est rendu possible tant par la cotation continue que par
la robotisation des transactions et l’intelligence artificielle. La spéculation devient alors non seulement
tentée et souhaitée, mais programmée et robotisée. C’est une dimension hors de portée de la finance
classique ou du négociant de l’économie réelle. Le daytrading et le THF sont considérés comme les
manifestations les plus évidentes de la spéculation liée à la cotation continue. « Par essence, la

149 Faculté d’apprentissage qui renvoie aux notions de deeplearning qui permettent à l’intelligence artificielle d’acquérir de plus en plus
d’autonomie au fur et à mesure de ‘’ses expériences’’. Deepmind, rachetée par Google est l’un des pionniers dans ce domaine.
150 blogs.hbr.org/cs/2013/08/will_the_internet_destroy_the.html?utm_source=Socialflowetutm_medium=Tweetetutm_campaign=Socialf

low
151Même référence
152 « Un des moyens d’arrêter la panique consiste à fermer les marchés. Ce qui arrive au New York Stock Exchange en 1873 et à Londres et

dans beaucoup d’autres villes au moment de la déclaration de guerre en 1914 » (Kindleberger, 1978, p177). Le procédé de suspension de
cotation est donc vieux de plusieurs siècles, c’est surtout l’échelle du temps qui frôle le surréaliste dans l’épisode du 6 Mai 2010.

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distinction entre une position de couverture et une position spéculative est la durée de rétention du
titre », cela est empiriquement prouvé153 (Pardo et Lucia, 2007, p3), sauf en de rares exceptions.

Un autre risque inédit lié au THF est celui de la criminalité financière et la dissimulation
d’opération frauduleuses. Nous retrouvons clairement ici la dimension d’opacité qui semble être l’une
des aires de jeu préférées des spéculateurs, en plus de l’opacité fournie par les produits dérivés
précédemment analysée. C’est une opacité qui remplit donc plusieurs objectifs. En effet, les systèmes
de cotation actuels conservent les données à la seconde, un délai suffisant pour procéder à des
millions de transactions pour les robots, et donc cacher certaines informations au régulateur, pouvant
éventuellement tomber sous la coupe de la manipulation de marché à visée spéculative. Cette
manipulation est proscrite par les places financières et les autorités de contrôle. Un extrait, que nous
avons relevé dans le règlement intérieur du LME154 présente certaines de ces prescriptions, non
exhaustives, portant sur les abus du marché (Market Abuses) et visant visiblement à prévenir tout
comportement intentionnellement spéculatif ainsi que tout déraillement du marché :

_ “11.2.1 No person shall manipulate or attempt to manipulate or otherwise abuse the market or
create or attempt to create an artificial market.”

_ “11.2.2 No person shall enter into or attempt to enter into a transaction or series of transactions
designed to create an artificial market whereby prices and turnover do not truly reflect the business
transacted”. 155 Autant dire qu’après le spoofing, le THF est un des meilleurs candidats à la
contravention de ces règles. Éric Deleuze explique que « la SEC156 a été incapable de recueillir
l’intégralité des données transmises au marché provoqué par l’emballement d’un algorithme. Un
fraudeur mal intentionné peut se servir des algorithmes comme véhicules de dissimulation ». Sophie
Baranger, secrétaire générale adjointe de l’AMF, ajoute par ailleurs que « certaines données qui
pourraient permettre de reconstruire le carnet d’ordre ne sont pas toujours disponibles avec la qualité
souhaitée ». Pour le président de l’AMF, s’il n’est pas possible rassembler les preuves irréfutables
permettant des sanctions dissuasives, l’intégrité du marché ne pourra être assurée qu’en supprimant
ou limitant le risque à la source. Autrement dit, «si nous ne pouvons pas contrôler les high frequency
traders, il nous faudra alors limiter ou supprimer le high frequency trading »157.

153 Daigler 1998 a montré que les commerçants détenaient leurs positions plus longtemps que les non commerçants (ici, spéculateurs).
Ederington et Lee ont montré que le turnover des positions évolue du simple au double.
154 LME : London Metal Exchange, la place boursière de Londres consacrée aux métaux
155 LME.com (2016), Trading Regulations, part 3, 22 August.

URL : https://www.lme.com/~/media/Files/Regulation/Rulebook/Part%203%20-%20Trading%20regulations.pdf
156 SEC : Securities exchange commission, l’agence de supervision boursière américaine
157 Easybourse.com (2011), L'AMF pense à interdire le trading à haute fréquence, 06 Octobre.

URL : www.easybourse.com/bourse/financieres/article/20627/lamf-pense-a-interdire-le-trading-a-haute-frequence.html

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Certaines initiatives d’encadrement ont eu lieu, notamment celle du 15 Avril, lorsque la
commission européenne a adopté une nouvelle législation encadrant le THF, obligeant à faire valider
les algorithmes par les autorités et à prévoir des coupe-circuits, comme détaillé en annexe B.9.
L’activité du daytrading commence également à être progressivement encadrée, notamment au
Royaume Uni, comme nous pouvons le voir aussi en annexe B.10.
La spéculation et d’autres activités répréhensibles se trouvent encouragées par la cotation
continue et la vitesse sans cesse croissante des transactions financières. Cet encadrement n’est pas
totalement passé en France vu que le Senat a refusé l’amendement qui concerne l’intraday158, et qui
devait rapporter près d’un milliard d’euros. L’objectif d’une telle taxe était non seulement de freiner
l’excès de spéculation à court terme mais également de contribuer au fond sur l’aide climatique aux
pays en développement. Maurice Allais, prix Nobel de l’économie en 1988, avait appelé en 1993 à la
cotation journalière et la suspension de la cotation continue pour réduire la fréquence des transactions
(Allais, 1993, p36) afin de diminuer la pression spéculative sur les marchés (Lordon, 2010). Certains
ont appelé à un « fixing » quotidien, qui permettrait un seul cycle d’échanges par jour, d’autres
hebdomadaire, et certains, mensuel. Cette mesure a été prise par les autorités chinoises en 2015 sur
les marchés actions, le daytrading étant toujours possible sur les futurs, mais dès lors qu’un contrat est
échangé plus de 10 fois, cela est considéré comme anormal et saisi par le régulateur159. Cette mesure a
tout simplement provoqué l’effondrement de 99% des volumes sur le marché futur, un record
historique. Les opérateurs financiers ont surement envoyé un message clair à tout régulateur qui serait
inspiré par une telle mesure en désertant aussi soudainement le plus gros marché futur au monde.
En tout état de cause, il existe une part d’arbitraire dans la fixation de cette échelle temporelle
(ou en termes d’échanges de contrats), dont la pertinence serait accrue en cas d’étude empirique plus
poussée sur les intentions spéculatives et les horizons des investisseurs en bourse. Cependant,
l’élément qui semble commun aux détracteurs de la cotation en continue est l’importance de mettre
un terme aux comportements spéculatifs qui dominent les transactions au niveau de la cotation
continue, et surtout celles liées au « daytrading »160 et au THF.
En tout état de cause, ce terrain propice à la spéculation est donc favorisé par la cotation
continue et une fréquence toujours plus rapide des transactions financières, bien loin de la vision

158 Trading intraday : Type de trading qui consiste à entamer ses opérations le matin et les continuer en journée, tout en veillant à solder
toutes les positions à la fermeture de la bourse, afin de ne pas laisser de placement pour la nuit.
159 Kyoungwha Kim (2015), China Just Killed the World's Biggest Stock-Index Futures Market, 8 September, Bloomberg.com. URL :

http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-09-08/china-just-killed-the-world-s-biggest-stock-index-futures-market (11/09/2015)
160 Daytrading : Ouverture et fermeture d'une ou plusieurs positions dans la même journée, afin de jouer sur des variations à très court

terme (intraday).
Abcbourse.com, Lexique bourse Finance Économie, Lettre D.
URL : http://www.abcbourse.com/apprendre/lexique.aspx?s=d (19/01/2015)

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séquentielle Walrassienne du marché. Du fait des nouvelles technologies, le daytrading puis le THF
ont pris le dessus sur les marchés (90% des ordres), agissant à des échelles de nanosecondes,
confirmant la déconnexion entre sphère financière et sphère réelle, facilitant ainsi les activités
spéculatives à très court-terme. Cette fréquence incontrôlable des transactions permet également plus
d’opacité, de manipulations et de criminalité en contournant plus facilement les contrôles liés à la
traçabilité.

2.2.2 Contexte financier du marché


Il est important de noter que les lacunes et carences du cadre réglementaire font partie des
éléments majeurs favorisant la possibilité de spéculation. Cependant, d’autres facteurs tout aussi
importants ne sont pas spécifiquement liés au cadre réglementaire, mais plutôt au contexte dans
lequel évoluent les opérateurs des marchés financiers.

2.2.2.1 Domination de l’analyse comportementale sur l’analyse


fondamentale
Avant de prendre une décision d’investissement réel, tout investisseur procède à une
évaluation plus ou moins approfondie des perspectives de profit et des risques de son opération
d’investissement. Dans le cas des marché financiers, les opérateurs disposent de ce qui est qualifié
d’outils d’aide à la décision, divers et variés, proposés par des organismes de développement
informatique spécialisés. Ces progiciels permettent à l’opérateur d’agréger une masse importante de
données que l’esprit humain ne peut traiter et analyser en de si courtes périodes. Les investisseurs
analysent en général les perspectives de profits de l’investissement sur un horizon de moyen et long
terme par rapport à un certain nombre de données dont ils disposent, ou qu’ils ont réussi à collecter.
L’investisseur analyse donc le maximum d’informations qu’il peut obtenir sur le sous-jacent,
l’entreprise ou la marchandise concernée, le secteur économique et l’environnement politique.
Le spéculateur financier, vu que son principal intérêt est le court terme et le « pari, pur et
simple » (De Schutter, 2010, p10) sur la volatilité des valeurs, procède, lui, à des analyses qui ne sont
pas liées aux perspectives économiques du sous-jacent. « Anticiper le comportement des autres est
nécessaire pour prendre une position, puisque le prix futur dépend des positions prises par les autres
intervenants » (Artus, 1996, p8). D’après nos analyses théoriques, de nombreux économistes
s’accordent à dire, à l’instar de Keynes, que le succès en la matière revient à ceux qui savent prédire les
prochains pas de leurs collègues, à prédire l’évolution psychologique du marché, et non ceux qui
analysent le mieux la situation économique et financière du sous-jacent d’une valeur donnée,

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autrement dit, les fondamentaux (Oaidah 2010, p305). En pratique, ceci se remarque par exemple à
l’annonce d’une fusion de deux entreprises, le cours de l’action de la société mère subit une variation
anormalement ample, selon que les marchés anticipent de fortes ou de faibles synergies. Les acteurs
font l’actualisation des bénéfices ou pertes futures à l’instant actuel. Or, cette actualisation reflète le
plus souvent leur pressentiment, et est donc liée à la psychologie des acteurs eux-mêmes.
Empiriquement, de nombreuses recherches tendent à montrer que la psychologie de foule compte
plus que le comportement des investisseurs rationnels (Pepper, 1994). « Ce qui compte pour lui n'est
pas la signification intrinsèque d'une information mais la manière dont les autres opérateurs vont
réagir à cette nouvelle » (Orléan, 1988, p3). Le plus important reste la perception du marché. Ce qui
importe, ce sont les croyances des acteurs et non les réalités économiques ou la rentabilité réelle de
tel ou tel investissement ajoute Buffet (2000, p. 14), car les spéculateurs passent leur temps à
« surveiller les rumeurs des uns et des autres ». Selon Keynes (1936), le spéculateur qui réussit est
celui qui sait sélectionner l’action qui sera la plus prisée par les autres, et non la plus rentable.
Dans un sens, l’analyse permet de constater que, « comme nous savons tous, la vérité ne
compte pas en finance, c'est plutôt ce que pensent les autres » (Ashley, 2009, p129). Cela s’est constaté
très récemment avec l’introduction en bourse de Twitter. C’est ainsi que les outils d’analyse se sont
progressivement transformés en outils statistiques purs par rapport aux analyses de l’évolution
historique de la firme, pour prédire l’évolution future. Or, le comportement passé d’une valeur ne
présage pas précisément son comportement futur, si ce n’est à hauteur de ce qui est communément
admis dans le marché et qui s’y est installé comme étant une règle. C’est ce qui provoque
généralement les effets moutonniers. Kindleberger relate à ce propos que « tant que les entreprises et
les ménages voient que les autres font des profits sur des achats et des reventes spéculatives, ils ont
tendance à suivre comme des moutons de panurge » (Kindleberger, 1978, p18). Evoquée plus haut,
cette tendance des opérateurs à privilégier les évolutions des décisions des acteurs du marché plutôt
que les évolutions des fondamentaux économiques du marché rend l’analyse d’investissement plus
aléatoire.
La spéculation est généralement bénéfique dès lors que le spéculateur se dote de suffisamment
d’outils lui permettant d’anticiper ces mouvements psychologiques aléatoires à venir. Ces mouvements
d’humeur se répercuteront sur les cours des valeurs cotées en bourse et dans un second temps sur
l’économie. C’est d’ailleurs cette faculté à anticiper les mouvements des prix qui pousse certains à
justifier la spéculation, en sus de l’apport en liquidité, comme l’évoqua Stiglitz (1980) dans sa théorie
de l’arbitrage de l’information. L’étude de l’outil d’analyse permet de comprendre que, contrairement
aux activités réelles d’investissement, le spéculateur peut passer d’une activité à une autre qui n’a
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littéralement aucun lien économique direct avec la première, tout en utilisant les mêmes outils et
supports. Quels sont alors ces outils financiers si adaptables ? Il faut savoir que les mathématiques
statistiques et probabilistes constituent le support technique de la quasi-totalité des produits dérivés,
eux-mêmes outils incontournables pour procéder à des transactions spéculatives, souvent futures.
Dans une thèse encadrée par le mathématicien Henri Poincaré, le jeune doctorant Louis Bachelier avait
conclu sa thèse par la fameuse phrase : « Le marché obéit à une loi qui le domine : la loi de la
probabilité » (Bachelier, 1900). Cette loi n’est pas une loi physique des forces de la nature, mais bien
une loi issue de constats analysés successivement et statistiquement.
Néanmoins, cette assertion est à nuancer à la lumière de la théorie de la réflexivité formalisée
par George Soros (2003) dans son livre, « The Alchemy of finance » dans lequel il démontre
historiquement et de manière conceptuelle que le positivisme ne s’applique pas à la finance et aux
marchés, et que la finance ne déroge pas aux autres sciences sociales dans le sens où l’objet de son
étude évolue lui-même, contrairement aux sciences dites dures. En réalité, cette obéissance du
marché à la loi de probabilités est à relativiser car le marché et ses lois elles-mêmes font partie d’un
tout qui évolue de façon dynamique. Les mouvements influencent les outils et les outils influencent
les mouvements, comme cela précédemment été démontré dans le cadre de la théorie de la
réflexivité de Soros (2008), mathématiquement démontrée par Filimonov et Sornette (2012). En 1987
déjà, Orléan qualifiait ce phénomène d’auto-référence de la spéculation (par des anticipations
croisées), elle-même introvertie et dans une dynamique endogène au marché (Orléan, 1988, p3).
Selon Keynes, « la spéculation fait ainsi entrer le marché dans une logique autocentrée,
autoréférentielle » (Orléan, 1988, p7). Cela implique de fait que les possibilités de spéculation sont
plus grandes car le comportement humain est plus délicat à prédire et cerner que des données
financières factuelles d’entreprises ou d’Etats. Dans cette optique, « les variations quotidiennes de la
Bourse, où des mouvements de prix de grande ampleur se produisent en fonction des nouvelles
politiques du jour, peuvent difficilement s'expliquer autrement que par la tentative des spéculateurs de
prévoir la psychologie des autres spéculateurs » (Kaldor, 1939, p16). Au vu de cette réflexivité,
Working montrera que le marché évolue de manière aléatoire, et non selon une loi, en phase avec la
théorie du Random Walk161, ce qui permet à la spéculation de se maintenir.
Cela rend l’étude bien plus complexe et l’établissement de théories et de vérités immuables
quasiment impossible, sans parler des modèles mathématiques. Soros (2008) soutient au long de sa

161Random Walk : Théorie de la marche aléatoire, démontrant que les prix évoluent de façon imprédictible et qu’il n’est pas possible de
surperformer sans prendre plus de risque.
http://www.investopedia.com/terms/r/randomwalktheory.asp (08/03/2017)

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- 177 -
démonstration que le marché, les analyses, les informations, les mouvements et les acteurs évoluent
de manière réflexive dans un cercle dynamique. Nous comprenons mieux pourquoi les analystes se
préoccupent donc plus des mouvements des acteurs que des fondamentaux. Les fondamentaux sont
influencés par les acteurs, et vice-versa. Le marché n’étant pas le reflet des fondamentaux,
contrairement aux enseignements de base de l’économie qui contredisent la pratique financière
courante, il est donc nécessaire de relativiser la portée des théories et des modèles tentant de donner
une explication au cadre figé.
Ainsi, l’opérateur et analyste financier efficace se doit de maitriser les probabilités et les
statistiques. Le spéculateur se doit de connaître ces lois instables et de les utiliser car leur diffusion
dans les pratiques boursières les a transformés de constats aléatoires en lois concordantes et
redondantes, du fait même de la réflexivité. Leur élévation au niveau de loi en fait donc des prophéties
auto-réalisatrices (Orléan, 1988, p11). A titre d’exemple, l’une des lois les plus importantes issues des
probabilités et appliquée à la bourse est la loi normale. Elle est utilisée par les analystes quantitatifs
pour élaborer leurs programmes informatiques et gérer leurs portefeuilles boursiers. Un autre exemple
serait la fameuse formule de Black et Scholes pour la valorisation des dérivés et qui est utilisée dans
l’optimisation du portefeuille, malgré de nombreuses lacunes liées à cette loi et ses hypothèses162.
Au-delà des lois de probabilités et des formules financières, certains outils comportementaux
sont incontournables dans le monde de la spéculation. A ce titre, nous relevons les techniques
d’analyse de tendances, comme l’analyse chartiste163, entre autres, pour prédire les comportements
des opérateurs, et à quel moment le marché devrait se retourner. L’un des outils statistiques les plus
connus dans le domaine de la bourse et l’analyse chartiste est la moyenne mobile. Il est évident que,
par définition, chez les opérateurs boursiers, ces moyennes constituent des résistances en période de
hausse, et des supports en cas de baisse. Or, ces seuils n’ont en général aucune relation avec
l’activité économique de l’entreprise. Dans une telle analyse s’appuyant sur les moyennes mobiles,

162 Black et Scholes avancent que la négociation du sous-jacent permet d'éliminer le risque de l'option et sa rentabilité sera au moins
égale à l'actif dans risque. En réalité l'option ne se comporte pas totalement comme cela (Ayub, 2003)
163 L’analyse chartiste : « L'analyse chartiste est une méthode d'investissement qui repose sur l'étude des cours et volumes des divers titres

cotés en bourse. Elle est aussi appelée analyse graphique. Cette méthode est notamment utilisée par les traders qui l'appliquent sur le très
court terme pour prendre des positions sur le marché. L'analyse chartiste peut cependant être utilisée sur le moyen et long terme. Pour
cela, elle se base sur l'historique des cours et détermine des zones d'inversement de tendance. Ces zones appelés supports et résistances
sont psychologiques. A leur approche, d'après l'historique des cours, les investisseurs ont tendance à acheter près d'un support et à vendre
près d'une résistance. C'est le mimétisme des investisseurs qui donne de la force au renversement de tendance. Mais attention, cette
méthode n'est pas infaillible, les supports et résistances sont faits pour être cassés. Lors de leur cassure, il y a souvent accélération
haussière ou baissière selon que ce soit un support ou une résistance. Par la suite une étude des figures formées par le cours de bourse
peut être effectuée. Ces figures, tels que le W haussier, le triangle, et biens d'autres sont autant d'indications pour déterminer l'évolution
du cours de bourse. Les mathématiques jouent un rôle important dans l'analyse chartiste, elles permettent de déterminer des potentiels
de hausse ou de baisse. Cependant, l'analyse chartiste est plus une étude du comportement des investisseurs, de leur psychologie. Cette
méthode vient en opposition à l'analyse fondamentale qui elle, est basé sur l'étude de l'entreprise par ces comptes. »
http://definition.actufinance.fr/analyse-chartiste-829/ (16/4/15)

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l’intersection de la courbe du cours avec la courbe de la moyenne du cours représente chez les
analystes boursiers un tournant, soit vers un dépassement, soit un signe de retour à une situation
précédente. A vrai dire, « c'est le mimétisme des investisseurs qui donne de la force au renversement
de tendance »164. Cette règle, érigée bien souvent en loi du fait de l’effet moutonnier, fait que les
opérateurs sont toujours plus regardants lorsque la courbe de cours s’approche d’une moyenne et leur
vigilance s’accroit, indépendamment de l’évolution des activités économiques réelles de l’entreprise
dont l’action ou le dérivé est étudié. « A leur approche, d'après l'historique des cours, les investisseurs
ont tendance à acheter près d'un support et à vendre près d'une résistance »165. Ces outils sont
généralement transposables quel que soit l’actif analysé en bourse. L’analyse chartiste se base plus sur
la psychologie de foule et ses probabilités de variation, que sur l’analyse fondamentale qui, elle, est
plus concernée par les fondamentaux économiques réels (Pepper, 1994). Elle relève du domaine de la
prophétie auto-réalisatrice.
Un autre outil d’analyse très utilisé dans le monde financier est la « Value at risk »166. C’est un
outil très commun chez les spéculateurs qui est pourtant décrit par certains comme responsable de
l’amplification du risque systémique en forçant dans certains cas des décisions dangereuses (Ashley,
2009, p230). Ces outils génériques sont valables quelle que soit l’activité support (des matières
premières aux services, de la finance à l’agriculture). L’utilisation de ces outils a pour but, selon Keynes,
d’aller plus vite que le marché, laissant penser au spéculateur qu’il est plus malin que le marché, ce
qu’il a surnommé « The battle of witts » (Keynes, 1936, pp154–155).
Ainsi, bien que les fondamentaux soient disponibles et possibles à analyser, les décisions des
acteurs sont, elles, bien moins évidentes, la marge pour spéculer et le risque sont ainsi accrus. Le
marché développe alors des outils d’analyse centrés sur les évolutions graphiques acceptées par le
marché comme règle, afin de prédire les évolutions futures. « Nous savons que si des fondamentalistes
et des chartistes coexistent sur un marché, les proportions des deux groupes peuvent varier de façon
assez erratique » (Artus, 1996, p3), le second groupe ayant aujourd’hui beaucoup de succès. A ce titre,
Boumengel (2010), expert de l’analyse chartiste, spécifiait que « après avoir écrit en 1998, le premier
livre en français sur l’analyse technique, je livre ce nouvel ouvrage fruit de ma réflexion et de vingt
années de pratique intensive dans cette discipline. J’en retire notamment la conviction qu’il faut revenir

164 http://definition.actufinance.fr/analyse-chartiste-829/ (16/4/15)


165 Idem
166 « La Value at Risk (VaR ou V@R) quant à elle est un indicateur composite : elle indique la perte potentielle maximale qu'un portefeuille

pourra subir à un horizon de temps donné, avec une probabilité donnée.


Par exemple si la value at risk d'un portefeuille à un horizon de 10 jours est de 5000€ avec un intervalle de confiance de 95%, cela signifie
que sur les 10 prochains jours, il y a 95% de chances que le portefeuille ne perde jamais plus de 5000 € de sa valeur - ou encore, qu'il y a
seulement une probabilité de 5% pour qu'il perde plus de 5000€. »
Fimarkets.com, Risque de marché : la Value at Risk. URL : http://www.fimarkets.com/pages/value_at_risk.php

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- 179 -
aux fondamentaux de l’analyse technique, et replacer les relations entre les prix et les volumes
échangés au cœur de la problématique chartiste ». Ce témoignage est édifiant constatant la
domination des analyses de la psychologie du marché par rapport aux fondamentaux. Cet élément est
endogène au système, il domine les enseignements universitaires, les évaluations des experts, et
l’ensemble de l’environnement financier jusqu'à relever du domaine des prophéties auto-réalisatrices.
En somme, la perception des acteurs importe plus que les fondamentaux sur les marchés, et
l’effet moutonnier donne encore plus de poids à ces outils d’analyse comportementale basés sur la
psychologie de foule. Ces outils en arrivent au degré de prophéties auto-réalisatrices comme c’est le
cas de l’analyse chartiste et des seuils relatifs aux moyennes mobiles. Le but n’est pas d’évaluer la
valeur fondamentale d’un investissement, mais de parier sur l’évolution de la perception qu’en auront
les acteurs. L’évolution dynamique entre données et interprétation des données, du fait de la
réflexivité, l’introversion et la logique autoréférentielle, rend les prévisions encore plus aléatoires car
liées davantage au comportement humain qu’aux données palpables, ce qui ouvre le champ à
davantage d’incertitude et donc de spéculation.

2.2.2.2 Structure oligopolistique et conflits d’intérêts


Dans un contexte facilitant la spéculation, la composition du marché a également un rôle
notable. En pratique, les vrais hedgers (qui cherchent la couverture d’investissements réels) sont une
infime minorité dans le marché, et les spéculateurs dominent. Selon l’office du contrôle des devises
(OCC, 2011), 96% du notionnel des dérivés est contrôlé par cinq banques seulement, avec 2,7% des
dérivés utilisés par les utilisateurs finaux et 97,3% par les intermédiaires, généralement des
investisseurs institutionnels. Cette concentration est un signal d’instabilité du fait du regroupement
des risques chez de quelques opérateurs. Elle les met généralement dans une position de ‘’market
makers’’ et de ‘’too big to fail’’167 qui tourne tout rapport de force en leur faveur, que ce soit avec le
marché ou avec les autorités de régulation, permettant ainsi d’orienter le marché. Cette déviance des
conditions naturelles d’un marché sain est favorable au développement de comportements spéculatifs,
de manière plus spectaculaire, de la part de ces institutions financières. Cette concentration du
marché est fortement corrélée aux activités spéculatives dans lesquelles on ne cherche pas à utiliser le

167 « Expression anglo-saxonne désignant le fait que certaines banques sont si grosses qu'il est impossible d'imaginer qu'en cas de faillite,
l'Etat ne vienne pas à leur aide. Lehman Brothers était l'une de ses banques, mais les faits ont démontré que l'Etat américain n'a pas aidé
à la sauvegarde de cette banque pour envoyer un message fort à la communauté financière.
Cette expression peut aussi être utilisée dans le cadre de pays. Autant certains pays peuvent être se déclarer en cessation de paiements
sans réel risque, autant certains seront systématiquement soutenus par les autres Etats. »
Edubourse.com, Lexique, Too big to fail. URL : http://www.edubourse.com/lexique/too-big-to-fail.php

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- 180 -
dérivé à l’échéance, mais plutôt à le liquider, comportement qui domine chez les grandes institutions
financières qui ne sont pas intéressées par l’utilisation du bien.
Quand à cela s’ajoutent les conflits d’intérêts établis dans le secteur, vu que les organismes de
notation sont payés par les institutions qu’ils évaluent, on aboutit à des drames faisant que, par
exemple, Lehman Brothers, avec toutes ses positions spéculatives de subprimes, était notée AAA à
quelques jours de sa faillite168. Cela amena même de nombreux spécialistes à mettre en doute l’utilité
des agences de notation après la crise de 2008 (Ashley, 2009, p207). D’autres ont mis en avant le rôle
des conflits d’intérêt dans la survenance de la crise de 2008 déclenchée par l’éclatement d’une bulle
spéculative. Ces conflits d’intérêts, qui ont été sanctionnés par les enquêtes financières américaines,
ont favorisé le laxisme de la part des institutions financières sur le caractère spéculatif de certains de
leurs employés et de leurs produits dans bien des cas, voyant qu’en règle générale, ils arrivaient encore
à dégager des profits de ces activités spéculatives.
Les investisseurs institutionnels dominent donc largement le marché financier, et concentrent
en plus de cela l’écrasante majorité des dérivés entre leurs mains. Cela participe à l’augmentation du
risque et de l’instabilité, mais aussi d’un rapport de force majeur en leur faveur, ce qui n’est pas sans
créer des situations de conflit d’intérêt tant avec les autorités de régulation qu’avec les agences de
notation mais aussi leurs clients (l’affaire Goldman Sachs qui conseillait la Grèce et l’aidait en même
temps à maquiller ses comptes fit couler beaucoup d’encre à ce propos169). Ce sont aussi les
perspectives de rentabilité des activités spéculatives, toujours plus importantes, qui ont joué un rôle
capital dans l’évolution progressive du marché vers la spéculation.

2.2.2.3 La rentabilité d’activités financières dépasse l’économie réelle


Dans le système capitaliste, l’individu est généralement orienté par les perspectives de gain
dans ses choix de vie, vu que le succès se mesure par l’accumulation de capital et que l’ascension
sociale passe par ce même vecteur. Au sein du système économique actuel, il se trouve que les
activités liées à la finance de marché sont celles qui offrent l’un des meilleurs couples
enrichissement/temps. Lorsqu’il est confronté à des opportunités purement financières plus rentables
que des investissements économiques réels ou des achats d’actions dans le long terme, l’agent
économique privilégiera d’opérer sur les marchés financiers tant que les profits récoltés seront
supérieurs à l’économie réelle. Comme en 1882 pour la crise autour de l’Union Générale, « beaucoup
de capitaux seront détournés du commerce régulier pour se porter à la bourse, où ils étaient attirés par
168 Le Nouvel Observateur, édition du 13/01/2011
169 http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20120309trib000687366/quand-goldman-sachs-aidait-la-grece-a-
tricher-pour-600-millions-d-euros-.html (08/03/2017)

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- 181 -
une grande hausse des valeurs et le prix élevé des reports » (Bouvier, 1960, p112, cité par Kindleberger,
1978). Cet état des lieux est à lui seul un appel d’air considérable pour de nombreux spéculateurs qui
cherchent les plus grands profits.
Plus récemment, après avoir utilisé des dérivés pour se couvrir, la majorité des producteurs
agricoles ont commencé à spéculer dans les deux premières années qui suivent leur première
utilisation de dérivés (Chance 2003). Ce revirement d’activité s’explique par le frottement des
agriculteurs au monde de la spéculation qui fait miroiter des perspectives de gains importantes et
rapides. « Ainsi, tout détenteur ordinaire de stocks de marchandises devient un arbitragiste dans la
mesure où l'existence d'un marché à terme lui offre la tentation non seulement de couvrir les stocks
qu'il détiendrait de toute façon, mais encore d'accroître ses stocks par rapport à son chiffre d'affaires en
raison des conditions avantageuses auxquelles ils peuvent être couverts » (Kaldor, 1939, p9). Cela peut
également s’expliquer par l’adrénaline générée par ce genre d’activités, proche, dans un certain sens,
de celle des jeux de hasard, qui la rend bien plus ludique et attirante que de retourner la terre et y
placer les graines dans l’attente des nuages pluvieux aux mouvements autrement plus lents et
ennuyeux que ceux des cours de bourse.
Logiquement, le système financier actuel favorise donc largement le spéculateur par rapport au
producteur de richesse réelle. Ceci s’observe facilement sur les jeux de pouvoirs entre les directeurs
d’entreprises et les actionnaires. C’est le rapport de pouvoir entre capital financier et économie réelle.
Le système favorise d’ailleurs tellement plus la spéculation que le message semble être envoyé de
manière inconsciente et subliminale aux prochaines générations. Actuellement, le domaine financier,
surtout au niveau des marchés financiers, est très rémunérateur, ce qui pousse les élèves les plus
brillants à s’orienter vers des carrières financières de trading spéculatif. Ces générations orientent
leurs études en fonction des perspectives d’avenir et des salaires anticipés. Or, les fonctions les plus
rémunératrices actuellement sont celles de trader et autres professions liées à la finance, et non les
fonctions créatrices de richesses réelles comme celles d’entrepreneur, d’agriculteur, ingénieur
industriel ou autres… A titre illustratif, le salaire annuel moyen en France avoisine les 25.139 euros en
2010 selon l’INSEE170 alors que la rémunération moyenne d’un trader en France avoisine en 2014 1 000
000 d’Euros171. Autant dire que l’incitation à spéculer est bien plus grande que celle à travailler dans
l’économie réelle. Le système économique contemporain favorise donc l’orientation des prochaines
générations vers encore plus de spéculation, le circuit semble être une boucle fermée que seul un
changement paradigmatique majeur et systémique est susceptible de réorienter.

170 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=sls2010
171 Lepoint.fr (2014), En moyenne, en France, un trader gagne 1 million d'euros par an, 19 Avril, magazine Le Point.

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- 182 -
Cet état de fait est un élément fondamental intrinsèque au système, et sera un obstacle à toute
volonté de cadrer la spéculation. L’orientation des meilleurs ingénieurs des plus grandes écoles vers
des carrières en finance spéculative, improductives (Hirshleifer, 1973), voire nuisibles d’un point de vue
macroéconomique 172 , mais très lucratives à l’échelle individuelle, est une tendance lourde et
structurelle. Cette répartition des gains et ces rémunérations favorisent la spéculation et la rendent
bien plus complexe à endiguer dans la mesure où les opérateurs de ce domaine se trouvent être les
plus compétents au monde. Notons au passage que la compétence technique n’implique pas l’éthique.
Une légère digression par la psychanalyse permet de comprendre que ce sont deux éléments qui
peuvent très bien évoluer en parallèle et indépendamment, à travers le processus de rationalisation173.
Les marchés financiers offrent donc aujourd’hui les perspectives d’enrichissement les plus
rapides de l’économie contemporaine, au vu du salaire moyen. Cela constitue un appel d’air même
pour les acteurs qui y entrent à des fins de négoce réel ou de couverture. En pratique, de nombreux
étudiants parmi les plus brillants orientent leur carrière vers ce secteur improductif. Or contrôler des
profils aussi ingénieux est encore plus délicat. En l’état, le système incite structurellement à spéculer.

2.2.2.4 Volatilité
Parmi les éléments se rapportant au contexte financier dans lequel évoluent les spéculateurs, il
y a le facteur volatilité. Cet élément a déjà été abordé rapidement au niveau de la définition, et il
convient d’étudier en quoi c’est non seulement une composante mais aussi un facteur en amont qui
favorise la spéculation. Qu’elle soit perçue comme une cause, une manifestation ou une conséquence
de la spéculation, la volatilité est nécessairement un levier pour les spéculateurs. En effet, la
spéculation est prospère surtout dans un contexte de volatilité avec de fréquentes variations de prix,
tant à la hausse qu’à la baisse. Le spéculateur n’aurait que peu d’opportunités de générer des marges
récurrentes dans un environnement très stable. Il serait perdant du simple fait des coûts de
transactions. L’un des responsables de la bourse de Chicago confiait à un magnat de l’agro-
alimentaire que « la stabilité, monsieur, est la seule chose que nous ne pouvons gérer » (Dawabah,
2006, p144), en référence à l’importance des gains encaissés en période de spéculation et avec

172 « L'expérience n'indique pas clairement que la politique de placement qui est socialement avantageuse coïncide avec celle qui rapporte
le plus » (Keynes, 1936, p169).
173 Rationalisation (en psychanalyse) : Terme introduit en psychanalyse par Ernest Jones en 1908 (La Rationalisation dans la vie

quotidienne), et utilisé pour désigner un procédé qui, comme tel, apparaît dans un champ très étendu allant de la pensée normale à la
pensée délirante. La rationalisation permet au sujet de tolérer des attitudes émotives et des expériences pulsionnelles (qu'il redouterait
ordinairement) chaque fois qu'il peut les justifier comme « raisonnables » logiquement ou acceptables moralement, ou les deux à la fois.
Les motifs véritables de sa conduite, de sa pensée ou de ses actes ne sont pas aperçus ; le sujet évite de prendre conscience du fait qu'il
est le jouet de ses pulsions. Tant qu'il réussit à justifier ainsi ces dernières, il peut s'y soumettre.
Lacas Pierre-Paul, Rationalisation, psychanalyse, universalis.fr.
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/rationalisation-psychanalyse/ (21/01/2015)

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- 183 -
l’accroissement de la volatilité, par rapport aux gains en période de stabilité, avec une référence
implicite à l’encouragement de la spéculation. Cette volatilité permet de réaliser des gains, que le
marché soit à la hausse ou à la baisse, sur de légères variations de cours qui sont le cœur de métier du
spéculateur. Par conséquent, plus la volatilité augmente, plus il faut s’attendre à un accroissement des
comportements spéculatifs.
Les spéculateurs financiers, comme étayé auparavant dans les définitions, ne sont pas
intéressés par l’usufruit cyclique du sous-jacent ou l’utilité commerciale ou physique de ce dernier. Ce
sont les variations de prix du principal qui sont les plus intéressantes. Les profits dans ce genre de
transactions sont minimes, mais gonflés par les volumes excessifs. Sur le marché des changes par
exemple, une taxe de 0,1 % entraînerait une baisse des deux tiers du volume des transactions de
change mondiales et aurait permis d’obtenir 214 milliards de dollars en 2007174. Cela montre à quel
points les marchés sont sensibles même à une infime augmentation des coûts de transaction, car les
opérateurs jouent généralement sur les infimes variations pour gagner au niveau de leur spéculation.
Selon (Keynes, 1936) « La création d'une lourde taxe d'Etat frappant toutes les transactions se
révéleraient peut-être la plus salutaire des mesures permettant d'atténuer aux Etats-Unis la
prédominance de la spéculation sur l'entreprise ».

Le lien entre spéculation et volatilité semble dépasser le lien de cause à effet pour s’inscrire
dans une dynamique circulaire continue. La volatilité est une des causes de la spéculation, mais
l’inverse est aussi vrai. Volker notait d’ailleurs que la spéculation est la première cause de la
volatilité175. Ceci confirme ce rapport étroit dans une configuration ressemblant à une sorte de cercle
vicieux qui s’amplifie entre la volatilité d’une part et la spéculation d’autre part. La volatilité croît aussi
avec la fébrilité du marché et son illiquidité. Cette hausse de la volatilité réalimente paradoxalement
le système, poussant les entreprises à demander aux financiers davantage de produits dérivés de
couverture pour se prémunir contre les fluctuations importantes. Les produits dérivés, sensés
atténuer les risques ne font en fait que les augmenter et donc par là même, créent plus de volatilité
(Al Suwailem, 2006, p15). Une fois qu’ils sont négociés sur le marché, ces risques titrisés sont
susceptibles de proliférer, de se multiplier et de se répartir de façon disproportionnée, ce qui crée plus
de volatilité et moins de stabilité. (Steinherr, 2000).
Par souci d’objectivité, il convient de souligner que « la spéculation sur les marchés des métaux
ne peut à elle seule expliquer la forte hausse des prix. Il existe en effet une étroite corrélation entre
l'évolution des fondamentaux et l'ampleur de la spéculation. En période de demande stable et d'offre

174 Bruno Jetin (2009), « Financing development with global taxes: fiscal revenues of a currency transaction tax ».
175 Islamicfinance.com (Juillet 1996), Speculation. URL : http://www.islamic-finance.com/item2_f.htm (27/08/2014)

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suffisante, les prix sur les marchés des commodités fluctuent de manière limitée, ce qui diminue les
possibilités de gain des spéculateurs et donc limite l'ampleur de la spéculation » (Zuili, 2009). C’est donc
un contexte prisé par les spéculateurs, mais le contexte de volatilité n’explique pas à lui seul les
variations des cours et l’amplification de la spéculation sur les valeurs.
Le contexte de volatilité est globalement synonyme de fréquentes variations de prix. Ces
variations étant généralement d’une faible amplitude, le spéculateur effectue un nombre important
de transactions afin de dégager des gains journaliers qui dépassent les coûts de transactions. Le
rapport entre volatilité et spéculation, à la différence de nombreux facteurs, est plus dynamique et
circulaire. Les deux éléments sont des causes et des conséquences. L’évolution se fait de concert,
surtout que plus de volatilité implique plus de produits de couverture, plus de crainte, ce qui favorise la
spéculation, qui elle-même implique de nouveau la création de produits de couverture. Les
spéculateurs sont attirés par d’autres éléments qui, pris un à un, présentent une certaine rationalité
d’un point de vue microéconomique. Mais leur combinaison aboutit à davantage de spéculation et
donc d’instabilité et d’inefficience. C’est par exemple le cas de l’asymétrie d’information qui remet en
cause la majorité des modèles d’évaluation financière se basant sur la disponibilité de l’information.

2.2.2.5 Asymétrie d’informations, opacité et fausses rumeurs


« Etant au centre du marché… Sage (un spéculateur) avait accès à un flux d’informations qui
n’était pas disponible pour les autres opérateurs de petite taille, et certainement pas pour le
spéculateur occasionnel qui investissait après une idée ou un conseil égaré » (Ashley, 2010, p32). Cette
asymétrie d’information, structurelle et inhérente au système, favorise les professionnels du secteur et
permet de spéculer à partir d’une certaine avance dans l’obtention de l’information. Un privilège
parfois même commercialisé avec des clients premiums, voire mis de côté pour une collusion
carrément tacite. Kindleberger (1978, p100), qui qualifierait ce journalisme de « vénal », est même
d’avis que la spéculation est « favorisée, et en certaines occasions freinée par la presse », c’est dire le
rôle cardinal de l’information dans ce domaine. Ashley (2009) évoque à ce titre la quantité importante
d’informations que l’opérateur de gré à gré pouvait tirer des opérations dans ce marché opaque,
informations inaccessibles aux opérateurs externes. Il doit néanmoins gérer une quantité immense
d’informations, ce qui justifie parfois les 8 écrans par trader que l’on peut observer dans les salles de
marchés. L’agrégation de ces informations permet de diminuer l’asymétrie d’informations et le
risque d’erreur, mais le caractère humain de la décision ne disparaît pas pour autant.

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- 185 -
Cette asymétrie d’information, ce sont les petits porteurs qui la subissent en réalité176. Là où le
trader dispose d’information en temps réel, le petit porteur se renseigne généralement à travers son
banquier ou sa société de bourse sur l’évolution de son portefeuille, de manière périodique,
hebdomadaire ou mensuelle. Le spéculateur, lui, doit intervenir quelques secondes seulement après
l’arrivée d’une information importante au risque de se voir dépasser par ses collègues. Il existe donc
une asymétrie d’information majeure entre les petits porteurs et les traders spécialisés qui fait que ce
sont en général les spéculateurs qui arrivent à profiter au mieux des mouvements haussiers comme
baissiers. Le petit porteur, lui, subit en général la ‘’loi du marché’’. Pis, le petit porteur, noise trader et
positive feedback trader comme nous l’avons montré à travers les théories, du fait de l’asymétrie
d’information et de l’effet moutonnier, peut accentuer le mouvement spéculatif lorsqu’il perçoit des
signes de retournement en pensant que les initiés ont des informations défavorables sur le cours, ce
qui peut ne pas être le cas. Il amplifie, par là même, la dégringolade (Artus, 1996, p4).
Cet accès privilégié aux informations est généralement au cœur de la stratégie du spéculateur,
quasi-initié, à tel point que de nombreux économistes s’accordent à dire qu’à partir du moment où
l’information est diffusée au grand public, la tendance à la hausse ou à la baisse est à son stade
final…autant dire qu’une fois que l’information parvient à la masse, il est déjà trop tard de faire une
opération basée sur cette information. D’où l’adage boursier « il faut acheter au son du canon, et
vendre au son du violon ». Il est évident qu’à ce stade de l’asymétrie d’information, il faut séparer les
opérateurs en deux classes : les initiés, et le reste. Ici, nous ne sommes pas dans le délit, toutefois les
opérateurs sont initiés. Comme précédemment spécifié, nous sommes loin des modèles de
l’information parfaite et de transparence des marchés. En phase avec les conclusions de la théorie des
anticipations hétérogènes, l’observateur comprend dans quelle mesure « l'augmentation du nombre
de spéculateurs peut donc être déstabilisante, s'ils anticipent moins facilement leurs comportements ».
Cette complexité croissante est en soi un appel d’air aux spéculateurs (Artus, 1996, p10).
Sur un registre plus glissant, alors que les escroqueries relèvent du pénal, les fausses rumeurs
sont une pratique bien plus courante dans les marchés afin d’orienter le cours de telle ou telle valeur
avant d’y opérer des transactions à la vente ou à l’achat. En ce sens, il est utile de rappeler le point de
vue Keynésien déjà cité en première partie : « En fait l'objet inavoué des placements les plus éclairés
est à l'heure actuelle de "voler le départ", comme disent si bien les Américains, de piper le public, et de
refiler la demi-couronne fausse ou décriée » (Keynes, 1936, p167-168). Oaidah avance que certains
opérateurs ont déjà volontairement diffusé des informations destinées à tromper le marché, voire de

176 Lelièvre Frédéric (2014), La vitesse, arme fatale des traders à haute fréquence, 14 février, Journal Le Temps (Suisse)

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- 186 -
fausses rumeurs, afin de pouvoir spéculer sur tel ou tel titre (Oaidah, 2010, p303). C’est donc tout un
état d’esprit et un environnement opaque qui est créé par ces éléments. Cette asymétrie
d’information, doublée de l’opacité liée à la complexité des marchés et des produits, est l’un des
facteurs décisifs permettant de multiplier les opérations spéculatives, dont la majorité n’aurait pas lieu
en cas d’égalité des opérateurs face à l’information.
Certains opérateurs obtiennent donc l’information à l’avance, surtout quand les opérations
sont de gré à gré, et qu’ils ont les moyens matériels d’agréger une quantité massive d’information.
L’asymétrie est donc subie par les petits porteurs, qui n’ont pas l’information en temps réel, et
encore moins les moyens de recouper et analyser à l’aide d’outils spécialisés. Nous sommes bien loin
des modèles de l’information parfaite. Et, comme démontré dans la partie théorique, même si
l’information est diffusée en temps réel et égalitairement, l’interprétation diverge. Quand à cela nous
ajoutons l’opacité et les fausses rumeurs qui sont monnaie courante dans les marchés, les
comportements spéculatifs n’en sont qu’exacerbés, du fait notamment de l’effet moutonnier.

2.2.3 Un contexte macroéconomique d’endettement


Les points précédents ont permis de voir dans quelle mesure le contexte financier dans lequel
intervient l’opérateur peut être propice à l’amplification de la spéculation. Avec davantage de recul,
l’analyse des facteurs de la spéculation fait émerger d’autres facteurs aussi structurels, davantage liés
au contexte économique découlant directement des politiques économiques et monétaires ainsi que
des principes fondateurs du système économique contemporain.

2.2.3.1 Système bancaire, dette et détérioration de la solvabilité


Le modèle économique des banques prend très au sérieux la question du risque, notamment le
risque de crédit. Le système financier actuel, au niveau de son financement repose principalement sur
le système bancaire conventionnel, un mode de financement intermédié basé sur les intérêts. La
banque n’oriente pourtant pas le capital de manière optimale. Elle privilégie l’emprunteur disposant
d’hypothèque à celui qui n’en dispose pas, malgré un projet offrant plus de potentiel. Ceci est conforté
par le fait qu’après deux siècles de capitalisme, les couches sociales les plus aisées, ont de fait le
monopole des richesses (1% de la population mondiale détient 99% des richesses en 2016)177. Cela
pousse cette tranche à toujours plus de laxisme et de rente dans la mesure où elle a accès à la
possibilité d’avoir un revenu garanti et sans risque, à travers l’intérêt et la rente basée sur les richesses
177OXFAM, dans son rapport de 2016
http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/32416-richesse-hommes-riches-monde-possedent-autant-moitie.html
(16/01/2017)

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- 187 -
déjà accumulées. Cette tendance est renforcée par la primauté donnée au capital durant les dernières
décennies par rapport à la rémunération du travail. Le meilleur indicateur à cela est le fait que les
inégalités ont connu un pic en 1928 et 2007, soit juste avant des crises majeures (Reich, 2011).
Autrement dit, l’exacerbation des inégalités à travers la prééminence du capital par rapport au travail
a été un facteur de crise tel que cela fut auparavant démontré par Abu Yusuf, Al Mawardi, Ibn Taymiya
et Ibn Khaldûn qui ont vécu entre le 8ème et le 14ème siècle (Belhadia, 2010, p19).
Aujourd’hui cela s’aggrave et les causes semblent plus que jamais structurelles, systémiques et
intrinsèques au mode de fonctionnement de notre économie. « L'organisation caritative Oxfam a
calculé que les 8 personnes les plus riches au monde détiennent autant de richesse que la moitié la plus
pauvre de la population mondiale, soit 3,6 milliards de personnes »178, alors qu’ils étaient une centaine
il y a encore quelques années. La baisse de la solvabilité d’une certaine couche évolue de pair avec
l’accroissement des inégalités. L’insolvabilité croissante de cette classe, généralement la plus sensible,
se produit souvent après que les organismes financiers aient ciblé ces clients avec des emprunts alors
même que leurs revenus ne permettent pas de faire face à ces emprunts. Cela peut aussi intervenir en
cas de changement dans la situation de l’emprunteur, comme une perte d’emploi.
Cet environnement dans lequel les inégalités s’accroissent en parallèle de la dette, avec une
solvabilité de plus en plus fragile des institutions bancaires, est de nature à menacer la stabilité du
marché et à multiplier les opportunités de spéculation. Ashley (2009, p4) rappelle dans « financial
speculation » que les agences de notation utilisent le mot spéculatif lorsqu’un investissement s’opère
sur un actif ayant un propriétaire en difficulté ou peu solvable. Un investissement sur une action d’une
entreprise en quasi-faillite, dont la remontée est improbable est par exemple considéré comme
spéculatif, car le risque de perte est bien plus probable. La spéculation fait dans ce cas référence aux
acteurs ou aux produits en situation critique à un stade avancé ou proche de l’échéance (dans le cas
des produits). Cette baisse de solvabilité peut aussi trouver sa source dans d’autres paramètres
comme le retournement de la conjoncture économique ou tout autre évènement exogène. Il est à
noter que l’un des éléments décisifs ayant favorisé le financement par la dette à intérêt par rapport au
financement participatif en capital est l’axiome financier selon lequel le financement par la dette
coûte moins cher que celui par le capital (Modigliani et Miller, 1963). Cet argument a été récemment
remis en cause par une étude de l’Université de Stanford (Admati, 2011) qui démontre qu’il est mal

178OXFAM, dans son rapport de 2017 sur les inégalités dans le monde
https://www.oxfamfrance.org/communique-presse/justice-fiscale/davos-2017-huit-personnes-possedent-autant-que-moitie-plus-pauvre
(16/01/2017)

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- 188 -
placé et pas assez crédible. Ce sont plutôt les traitements fiscaux de l’un et de l’autre qui changent le
résultat final.
Selon Minsky, il existe 3 catégories d’agents : Les « pondérés », les « spéculatifs » et les
« Ponzi ». Les agents ayant un niveau d’endettement spéculatifs sont ceux qui parviennent seulement
à couvrir les intérêts de l’emprunt. Leur sensibilité est très haute à toute détérioration. Plus leur part
est importante dans l’actif des organisations financières, plus le risque de spéculation est haut et
l’instabilité plus grande, par effet de cascade (Askari et al, p28). La détérioration de la solvabilité est un
élément souvent conséquent de la dette vu que le risque entier est supporté par l’emprunteur. Ce
facteur participe fortement à l’amplification de la spéculation vu que ces acteurs, lorsqu’ils sont
institutionnels (entreprises, états…), sont directement attaqués par les marchés qui vendent leur dette
et aggravent leur situation avec l’augmentation des intérêts qui en découle.
Cette détérioration de la solvabilité est donc souvent due à la mauvaise allocation du capital
ainsi que le support du risque de manière unilatérale. Ces deux caractéristiques sont intrinsèques au
modèle bancaire actuel. Elles produisent davantage d’inégalités et de concentration du capital et sont
inextricablement liées à la détérioration de la solvabilité. Le marché est impacté par plus d’instabilité
et davantage de possibilités de spéculation. Cet état de fait est favorisé par un autre élément
favorable à la spéculation lié au système monétaire actuel : la création monétaire et l’inflation qui en
résulte.

2.2.3.2 Création monétaire et abondance de liquidités


S’il est un sujet qui, du fait de sa complexité, semble inaccessible, c’est bien celui de la monnaie
et de la légalisation de la création monétaire dans le système monétaire contemporain. Galbraith
(1976, p19) avançait à ce titre que « L’étude de la monnaie est, par excellence, le domaine de
l’économie dans lequel la complexité est utilisée pour déguiser ou éluder la vérité et non pour la révéler
». C’est probablement pour cette raison que « Les hommes d’affaires en Angleterre n’aiment pas poser
la question de la monnaie (…) et restent perplexes quand il s’agit d’en donner une définition précise. Ils
savent comment compter mais ils ne savent pas quoi compter » (Bagehot, 1857, cité par Kindleberger,
1978). Le sujet de la création monétaire est un sujet qui mérite de longues analyses, mais qui ne
peuvent être effectuées exhaustivement dans le cadre de cette recherche. Le cliché de la planche à
billets est un cliché présent seulement dans l’imaginaire collectif. Ce n’est pas l’Etat qui crée la plus
grande partie de la monnaie en circulation mais bien des banques secondaires et commerciales privées.
Ainsi, si l’Etat a besoin de monnaie, il doit l’emprunter auprès d’agents privés et payer des intérêts, ce

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- 189 -
qui est sujet à de nombreuses d’interrogations soulevées par certains économistes. Mais comment se
passe la création monétaire et pourquoi est-elle un facteur de la spéculation ?
La monnaie, dès le 17ème siècle, a commencé à être créée par les grandes banques
progressivement et de manière légale, en lieu et place de l’Etat. Kindleberger fait remonter cette
tendance à 1668 en Suède, avec la Riksbank. En Angleterre, c’est en 1844 avec la constitution de la
Banque d’Angleterre qu’on « émettra des billets contre des dépôts en pièces ou en lingots au-delà
d’une émission fiduciaire légale correspondant au montant de la dette publique, et d’un département
bancaire accordant des prêts et escomptes, sur la base d’un multiplicateur du niveau des réserves
fiduciaires affichées par le département des émissions » (Kindleberger, 1978, p63). Notons que le Bank
Act de 1844 était restrictif du point de vue de la banking school qui souhaitait étendre bien plus
amplement les possibilités de création monétaire. Le principal but de la création monétaire est de
donner un coup d’accélérateur à la croissance économique en mettant en circulation davantage
d’outils quasi-monétaires. Mais les monétaristes, héritiers de la currency school, ne partagent pas cet
avis179. Ils avancent que la monnaie n’est qu’un voile, et que la monnaie créée n’a qu’un impact de
court terme, lié à l’asymétrie d’information du moment, qui est rapidement levé une fois que les
agents ont intégré cette augmentation de la masse monétaire dans leurs calculs ; Autrement dit, la
création monétaire n’a d’impact que si l’asymétrie d’information existe, ce qui est le cas en pratique
contrairement au modèle de CPP.
La banque secondaire, disposant du droit exclusif de créer de la monnaie, n’est limitée que par
les ratios prudentiels (réserves obligatoires à 1% en UE, Fonds propres à 10,5% avec Bâle 3…). Ainsi,
lorsqu’un client se présente à la banque et demande un prêt, son dossier est étudié, et s’il présente les
revenus et les garanties suffisantes, le prêt lui est accordé. Si un prêt de 1000 lui est accordé, ces 1000
n’existent pas encore. Seule une infime partie de ce montant existe, environ 10%, ce sont les capitaux
propres. Ainsi, la banque en accordant un prêt de 1000 et en créditant le compte de son client de ce
montant, a ajouté de fait 900 à la masse monétaire déjà existante. Elle a créé de la monnaie ex-nihilo,
avec comme unique contrepartie la promesse de remboursement signée par le client, la créance
supportée par l’hypothèque. Cette monnaie n’existe pas, et quand le prêt sera remboursé cette
monnaie sera détruite. Seuls les intérêts subsisteront, c’est pour cette raison qu’en économie, il est
primordial que la croissance soit toujours supérieure à l’intérêt, autrement le risque de déficit est
quasi-systématique180.

179 Amédée Penon, Université de Nancy : « La pensée libérale », (http://ressources.aunege.fr/nuxeo/site/esupversions/757e3183-941f-


4c34-a573-a325aabe004e/EES_Nan2-004/co/Contenu_132.html)
180 NATIXIS, corporate investment bank « Flash économie » 17/2/2010 (http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=51771)

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- 190 -
Au sein du système monétaire actuel, les agrégats monétaires sont les meilleurs outils qui
peuvent permettre de comprendre simplement la création monétaire, quoique Kindleberger (1978,
p65) relativise cette assertion quand il avance que « les monétaristes modernes ont du mal à décider de
la meilleure définition de la masse monétaire entre M1181 […] M2182 […] ou M3183 […]. Certains
analystes sont allés jusqu’à définir M7, preuve selon moi que le processus est sans fin ». En général, M1
représente moins de 10% de M3. Autrement dit, la monnaie réelle et existante, ne représente même
pas 10% de la masse monétaire. Par ailleurs, au sein même de M1, le pourcentage de monnaie
fiduciaire par rapport aux comptes courants est assez faible. Ainsi, si l’ensemble des clients des
banques se présentaient au guichet pour retirer tout leur argent, moins de 5% de ces clients
trouveraient leur argent. En fait, dans un pays comme la Grande Bretagne, la monnaie fiduciaire
représente 3% de la masse monétaire184. La majeure partie de la monnaie est une dette, une promesse
de remboursement, des chiffres sur des comptes qui représentent la monnaie scripturale. Ainsi, si 5%
des anglais se présentaient à leur banque pour retirer leur argent, ils ne le trouveraient pas tous, que
dire si 20 ou 30% se présentaient en cas de crise… C’est exactement ce qui s’est produit avec Northern
Rock en 2008 et ce qui se produit également à Chypre. Comme la banque ne dispose pas de cette
monnaie, elle est obligée d’attaquer frontalement ses clients en prenant possession d’une partie
(jusqu’à 60%) de leur argent fictif déposé dans ses comptes courants185.
De nombreux économistes ont en fait mis en garde à travers leurs analyses contre la planche à
billets, si facile à déclencher, si difficile à contrôler. Kaldor (1939) inférait qu’il n’est carrément pas
possible d’endiguer la spéculation et en même temps d’atteindre un niveau d’activité satisfaisant
(entendre : une politique monétaire de relance de la croissance). En effet, avec les faibles taux
d’intérêt, l’expansion du crédit et de la masse monétaire à fortiori sont parmi les principaux facteurs
de l’emballement spéculatif, du fait de l’abondance de liquidités qui en découle. « Le fait est que la
monnaie, définie comme un ensemble de moyens de paiement, s’est accrue continuellement et s’est
révélée toujours plus efficace dans les périodes de croissance pour financer l’expansion, y compris la
spéculation » (Kindleberger, 1978, p61).

181 M1 : « L'agrégat monétaire M1 est l'un des trois agrégats monétaires européens définis par la Banque Centrale Européenne pour
l'ensemble de la zone euro. M1 est à la fois l'agrégat le plus étroit et celui où se classe les actifs les plus liquides. L'agrégat monétaire M1
regroupe les billets (monnaie fiduciaire), les pièces et les dépôts à vue. »
URL : https://www.mataf.net/fr/edu/glossaire/m1
182 M2 : « L'agrégat monétaire M2 regroupe M1 ainsi que les dépôts à terme inférieurs à deux ans et les dépôts avec un préavis inférieur

ou égal à trois mois. »


URL : https://www.mataf.net/fr/edu/glossaire/m2
183 M3 : « L'agrégat monétaire M3 regroupe M2 augmenté des encours nets des titres d'une durée inférieure ou égale à deux ans »

URL : https://www.mataf.net/fr/edu/glossaire/m3
184 http://positivemoney.org/2017/01/hidden-subsidy/ (08/03/2017)
185 http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20130330trib000756871/ponction-massive-a-chypre-sur-les-
comptes-de-plus-de-100.000-euros.html (08/03/2017)

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- 191 -
D’une manière générale, une période prolongée de taux d’intérêts bas est favorable aux crises
(Thornton 1802, Ricardo 1817, Marx 1894, Wicksell 1898, Hayek 1931). De nombreux exemples
historiques corroborent cette évidence, que ce soit le boom de 1850 lié à la découverte de mines d’or
ou l’euphorie des années 20 suivant le développement du crédit à la consommation, ainsi que la
croissance des 30 glorieuses qui a suivi Bretton Woods qui ont permis l’élargissement de la base de
crédit. Galbraith (1954) avançait également que les bulles spéculatives sont accélérées par
l’expansion de crédit. Kindleberger avait consacré le cinquième chapitre de son ouvrage à cette
question, relatant de nombreux exemples pratiques prouvant le lien entre création monétaire et
spéculation :
➢ Les billets à ordre qui prolifèrent en Hollande en 1763, les Wisselruitij ;
➢ La spéculation britannique de 1793 alimentée par le succès soudain des countrybanks ;
➢ La spéculation des années 1830 alimentée par la création des joint stock banks ;
➢ Le fameux Bank-Act de 1844 en Angleterre qui permet aux lettres de change de se substituer à
l’argent métal ;
➢ Le développement du marché d’escompte et des clearinghouses en 1866 ;
➢ Les premiers certificats de dépôt négociables émis par des banques autrichiennes en 1870 ;
➢ La cotation en bourse à Londres des discounthouses ;
➢ L’introduction de la technique de prorogation de crédits en bourse à Paris en 1882 et aux USA
juste avant 1929 ;
➢ Le développement du crédit à la consommation dans les années 1920 ;
➢ Les chèques antidatés qui financent le boom immobilier au Golfe dans les années 80.
Déjà, dans son livre « 100% money »186, Fisher faisait la promotion d’un système exempt de
toute création monétaire. Il y démontrait que l’expansion de la masse monétaire était le principal
facteur de la spéculation. II devient comme norme que « l’accroissement de la masse monétaire et du
crédit renforce la vague spéculative, il en est parfois même à l’origine » (Kindleberger, 1978, p59).
Irving Fisher n’était pas le seul à avoir confirmé que toutes les crises récentes ont été précédées de
fortes expansions monétaires (Fisher, 1933). Simon (1948), Maurice Allais (1999) et d’autres ont rendu
les banques centrales responsables des crises, du fait qu’elles donnaient aux banques de détail, des
banques privées, le droit de créer la monnaie ex-nihilo. Déjà après la crise de 1929, l’école de Chicago
a voulu séparer banques de détails des banques d’investissement et avoir une couverture à 100%
des dépôts (Askari et al 2010) afin de pouvoir répondre à toute variation soudaine des demandes de

186 Irving Fisher 1933, « 100% Money », New York: Adelphi Company

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retrait, ce qui fut notamment l’avis de Friedman. Maurice Allais, prix Nobel de l’économie en 1988, en
voulant rendre les choses les plus claires possibles, avance que « par essence, la création monétaire ex
nihilo que pratiquent les banques est semblable, je n’hésite pas à le dire pour que les gens
comprennent bien ce qui est en jeu ici, à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs, si
justement réprimée par la loi ». Il constate que « les miracles créés par le crédit sont
fondamentalement comparables aux miracles qu’une bande de malfaiteurs pourrait faire en prêtant de
faux billets contre de l’intérêt. Dans les deux cas, la stimulation de l’économie serait la même, la seule
différence serait le bénéficiaire » (Allais, 1999). Simons instituait cette relation de cause à effet comme
principe fondamental (Askari et al 2010, p 25). Il plaidait pour un système dans lequel toute richesse
serait détenue en termes de fonds propres, sans aucune dette à taux fixe, de telle sorte à ce qu’aucune
institution ne puisse créer de substituts à la monnaie (Kindleberger, 1978, p82).
Notons qu’il existe des corollaires à ce facteur, à savoir les afflux et reflux de capitaux
étrangers qui peuvent aussi bien déclencher les vagues spéculatives que les politiques monétaires
expansionnistes internes, que certains spécialistes de la spéculation ont même proposé d’encadrer de
manière indirecte (Eichengreen-Tobin-Wyplosz, 1994, cités par Artus, 1996, p12). Un phénomène
semblable se produisit en 1993, avec la ruée des fonds d’investissement et des fonds spéculatifs sur les
marchés. Les outils permettant l’expansion de la base monétaire sont multiples, comme la titrisation
et négociabilité des produits de dette parmi lesquels les effets de commerce, qui seront traités
ultérieurement. Mais l’un des principaux outils reste la baisse du taux d’intérêt et de l’encadrement
de crédit qui favorisent l’expansion de la masse monétaire.
Le sujet de la monnaie étant l’un des plus complexes de la discipline, il est naturel qu’il ait
généré pas moins de deux siècles de débats houleux, voire davantage, entre la currency school et la
banking school, puis entre les monétaristes et les keynésiens. L’histoire montre que de très
nombreuses crises ont été précédées de phases d’expansion monétaire, par le crédit, facilitées par la
prolifération de substituts monétaires. Cette expansion, facile à déclencher, mais plus délicate à
contrôler, renforce la spéculation et en est souvent à l’origine, les exemples pratiques et historiques
ne manquant pas à cet égard. Il est à noter que l’ouverture aux capitaux étrangers, à leur afflux et
reflux, peut avoir des conséquences similaires. La spéculation est également alimentée par un élément
devenu central dans les marchés financiers, le levier.

2.2.3.3 Le levier
Ce processus de création monétaire induisant une abondance de liquidités permet d’utiliser un
outil très fameux dans le monde de la finance : L’effet de levier. Une des leçons retenues de la dernière

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- 193 -
crise est l’utilisation excessive du levier par les banques, et l’érosion de leur base capitalistique qui
s’en suit. L’effet de levier représente la capacité à investir un certain montant sans pour autant
disposer de la totalité de la somme. Ce procédé, très encouragé en finance, permet avec les mêmes
fonds propres de pouvoir procéder à des investissements bien plus importants. Après avoir remboursé
la dette et les intérêts y afférant, le reliquat est un surplus auquel l’investisseur n’aurait pu prétendre
s’il avait limité son investissement à ses seuls fonds propres. Cet effet de levier varie selon la
solvabilité de l’investisseur et le marché dans lequel il intervient. Dans les marchés boursiers, il est
souvent associé au « margin buying » (l’achat à la marge) qui permet avec seulement 1, 5 ou encore
10% du montant du placement, d’opérer l’ensemble du placement. L’achat à la marge187 étant présent
dans certains marchés, il devient par ailleurs plus aisé et rentable de spéculer en empruntant (en
temps de croissance) que d’avoir une activité économique réelle. Ceci est vrai tant que les perspectives
de profits sont supérieures aux charges d’intérêt. Plihon (1996) souligne même que la majorité des
opérations spéculatives sont faites grâce à l’emprunt et non aux fonds propres. Le problème est que
les charges d’intérêt sont réelles, mais les perspectives de profit restent des perspectives.
Souvent, dans un cadre de darktrading, le courtier demande au spéculateur de compléter
l’avance par des appels de marge, si les variations du cours de l’actif sont en sa défaveur, car il doit
toujours respecter le ratio de levier qui lui a été consenti, comme le montre l’encadré ci-après.

Encadré 2.1 : L’effet de levier à travers un exemple numérique


Prenons une classe d’actifs où l’effet de levier admis est de 1 à 10. Si un spéculateur
investit 1000 € dans le pétrole en avançant 100 €, c'est-à-dire 10% du montant, et que le
pétrole perd 5%, alors la valeur de son portefeuille sera de 950 €. Or, l’investisseur n’a
avancé que 100 €. Sur ces 100 €, il a perdu 50 € suite à la variation du cours. Sa couverture
actuelle est de 50 € pour 950 € d’engagements ce qui est bien en deçà du ratio toléré. Son
courtier lui demandera d’apporter 45 € en plus, afin de se conformer au ratio, et avoir un
engagement de 10%, à savoir 95 €, ou bien de vendre.
Plus récemment, des ratios de 1 à 40 ont même été observés sur certaines places boursières qui
permettaient à un trader d’investir dans 40 millions d’Euros de titres alors qu’il venait à la bourse avec
seulement un million d’Euros. A titre indicatif, pour un tel levier, une perte de 3% sur les actifs achetés
suffit à induire en faillite ce trader. Cette pratique hautement spéculative n’est pas nouvelle puisque

187L’achat à la marge : “Un acheteur donné engage une mise de fonds initiale correspondent à 10% du montant et emprunte les 90%
restants à un agent de change ou un courtier qui, à son tour, emprunte sur le marché de l’argent au jour le jour. L’argent provient des
banques, de caisses spéciales (fonds d’investissement dans les reports créés à cet usage par des banques et d’autres investisseurs) et de
personnes physiques » Kindleberger (1978, p74)

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Kindleberger relate que vers 1857, un individu doté d’un capital de 100 livres avait un encours de
crédit de 400 000 livres (Kindleberger, 1978, p71)188 ! Dans un marché peu volatile comme celui du
change Euro/Dollar de nos jours, les intermédiaires pourront consentir de forts ratios de levier vu que
les variations sont minimes.
Il y a actuellement une tendance lourde souvent décrite comme une course à l’effet de levier.
En effet, d’un point de vue macroéconomique, les acteurs ont tous intérêt à diminuer l’endettement et
les charges qui en découlent. Dans cet environnement et en termes de rationalité individuelle, l’acteur
qui décide de se lancer dans une stratégie avec un fort levier a de grandes chances de démultiplier ses
profits, par rapport à d’autres qui auraient décidé de limiter leurs investissements à leurs fonds
propres, et qui resteraient plus solvables. Selon cette approche micro-économique, chaque acteur à
intérêt à poursuivre cette stratégie de fort effet de levier à son échelle, ce qui aboutit au final à un
équilibre de Nash sous-optimal, et à un système plus instable et spéculatif (Al Suwailem, 2012, p18).
Les acteurs seront au final tous au maximum de leurs capacités et surendettés ce qui rendra le système
plus instable et vulnérable, alors qu’ils ont tous intérêt à plus de stabilité.
Les banques, en jouant sur le levier réglementaire, rendent le marché d’actions plus volatile
(Wagner, 2010, p373-86) ; ce qui est en soi propice à la spéculation comme annoncé précédemment.
Cette explosion de liquidité artificielle accroît la demande excessive de titres sur les marchés,
accentuant la pression spéculative et l’inflation, voire la création de bulles spéculatives. L’effet de
levier est alors un facteur décisif encourageant la spéculation sur les marchés financiers du fait des
possibilités de démultiplier les investissements tout en ayant des fonds propres très limités. C’est pour
cette raison qu’Ashley (2009, p257) conseille de réduire le levier si l’on veut atténuer la spéculation,
suivant ainsi les traces de l’appel de Maurice Allais (1993). Selon Greenspan (2003), les produits dérivés
également sont par nature à fort levier, notamment du fait de l’amplitude de leurs variations qui
permet en cas de gains de démultiplier les engagements de manière exponentielle.
Le levier issu de l’intérêt est un vecteur macroéconomique d’instabilité et de spéculation qui,
étant peu fluctuant en période de stabilité économique, accentue les pressions en période
d’instabilité, et rend l’environnement encore plus volatile en augmentent notamment les coûts de
refinancement (Al Suwailem, 2006, p42), favorisant cette fois-ci la spéculation à la baisse. Ce
phénomène est généralement qualifié d’effet de massue189 dû à l’intérêt en temps de récession, car il

188 Le montant de 4 000 fois la somme disponible déjà relevé par Kindleberger nous a été confirmé par un trader de la bourse de Paris et
bien plus, à savoir un levier de 40 000. Ainsi dans ce cas de figure, un spéculateur pourra investir dans 4 000 000 € d’actifs avec
seulement 100 € de disponibles, le reste étant un emprunt à intérêts. Un tel levier est de nature à exacerber les possibilités et les
situations spéculatives.
189 Effet de massue : « si la rentabilité économique est inférieure au coût de l’endettement, cet effet de levier joue cette fois dans l’autre

sens : on parle alors d’ « effet de massue » ou d’ « effet boomerang » »

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accentue et accélère un choc qui était à l’état initial modéré (Khan, Muntaqa et Abdul Salam, 2008,
p16). Ainsi, en cas de retournement, ce différentiel est négatif, le choc est donc d’autant plus lourd,
illustrant cet effet de massue. Selon Reinhart et Rogoff (2009), il suffirait d’étendre l’échelle
temporelle de l’étude afin de constater que les gains dus au levier ne sont pas durables. Ils subissent
inexorablement une sorte de retour à l’équilibre prenant la forme de chocs systémiques aux
conséquences économiques désastreuses. La vision dominante prônant la rémunération du capital, ex-
ante, couplée aux taux d’intérêt variables et à l’effet de levier qui est pratiqué par les emprunteurs
entraine une procyclicité importante des marchés. En période de prospérité, l’effet de levier permet
d’accélérer la croissance, offrant ainsi davantage de possibilités de spéculation. En cas de
retournement, même minime, le choc est amplifié par l’effet de massue dans la mesure où les pertes
sont plombées un peu plus par les charges financières qui représentent les intérêts à payer par
l’entrepreneur et l’économie réelle. C’est d’ailleurs un constat relayé par Reinhart et Rogoff (2009) qui
démontrent que d’une manière générale, l’économie met un an à se remettre d’une crise ordinaire et
4 ans à se remettre d’une crise accompagnée d’une crise bancaire. C’est l’éclatement de la bulle
spéculative. Nous avons donc une amplification des cycles avec le levier (Fisher, 1933). Le graphique ci-
dessous permet d’en avoir une représentation visuelle :
Figure 17 : Conséquences du levier sur les cycles économiques

C’est pour cette raison que la dette basée sur l’intérêt et l’effet de levier qui en découle ont été
considérés comme des facteurs aggravant la spéculation et favorisant les crises financières (Chapra,
2004)190. En l’absence de taux d’intérêt, les flux entre institutions financières seraient bien plus basés

URL : http://www.lafinancepourtous.com/Decryptages/Mots-de-la-finance/Effet-de-levier
190 Chapra, M.U. (2004) “The Case Against Interest,” International Conference on Islamic Banking and Finance, Brunei, Jan. 5-7.

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sur des actifs que sur des dettes, facilement transférables d’un marché à l’autre. Les engagements
refléteraient les actifs réels et les fonds propres de l’agent économique, et non l’actualisation dans une
consommation présente de ses perspectives de revenus à long, voire à très long terme.
Le levier est, somme toute, l’un des catalyseurs de création de bulles puis de crises. Du fait de
l’érosion de la base capitalistique qui en découle, les agents sont moins stables et solvables, surtout
quand on atteint des leviers de 100, 1000 ou 40 000. Avec le levier, la spéculation devient plus
rentable que l’investissement, et donc plus intéressante, bien que non durable. Chaque acteur essaie
de maximiser son levier, mais agrégés, ces comportements aboutissent à un équilibre sous-optimal de
Nash. Le système en devient plus instable, volatile et donc spéculatif. En cas de retournement, la
situation n’en devient pas moins spéculative, du fait de l’effet de massue et la spéculation à la baisse.
La dette présente par ailleurs d’autres aspects qui contribuent à la spéculation, tels que la titrisation et
la négociabilité de la dette.

2.2.3.4 La titrisation et la négociabilité de la dette et des intérêts


Sur ce point, « il serait fastidieux de dresser la liste de tous les substituts monétaires qui
participent de la monétisation du crédit » (Kindleberger, 1978, p67). Au-delà de la possibilité de
s’engager dans des investissements dépassant généralement ses capacités financières, le principe
même de rémunérer le capital indépendamment de sa productivité et surtout de pouvoir négocier
cette dette favorise la déconnexion entre la sphère financière et la sphère réelle. Les lettres de
change ont été les premiers supports de créances qui se sont développés lors de la renaissance. Elles
ont connu un essor avec le commerce des lettres de change par les compagnies maritimes et les agents
de change à partir de la renaissance191. Leur usage « dissocie ainsi progressivement le crédit d’une
entreprise ou d’un individu de la réalité des transactions » (Kindleberger, 1978, p69). Le commerce de
la dette est une activité qui s’est beaucoup répandue ces dernières décennies. Sa version
contemporaine reste dans la même vision, à savoir un commerce de promesses de remboursement.
La banque préfère dès lors titriser et céder au lieu d’attendre plusieurs décennies le
remboursement total du prêt avant de prêter à nouveau (Arbouna et El Islami, 2008, p8). En fait, si un
prêt de 1000 est accordé pour une période de 25 ans, avec un remboursement prévu de 2700, la
banque titrise ce prêt et le vend immédiatement à 1100 ou 1200, à titre d’exemple, et encaisse
immédiatement sa plus-value. De fait, elle a transformé une promesse de remboursement, un cash-
flow futur potentiel incertain, en un cash-flow immédiat bien réel. Ces titres de créances sont alors

191
Histoire des faits économiques, « L’origine de la lettre de change », 4/11/2013
URL : https://docs.google.com/document/d/1I0dTdYsqbaanQZY1gYZKbGJC4v9f_jmYe5c04nQ64bI/edit

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échangés sur le marché secondaire, c’est le commerce de la dette sous sa forme contemporaine. Avec
ce commerce, la banque parvient, en plus de la plus-value et du revenu immédiat, à externaliser le
risque de crédit à l’acheteur final du titre, qui est en général soit une banque d’affaire, soit un petit
épargnant qui retrouve ce titre dans son portefeuille après conseil de son banquier personnel qui gère
ledit portefeuille. La banque crée de la monnaie, la prête, titrise ce prêt, vend ce prêt et encaisse la
plus-value immédiatement.
Ces produits financiers très risqués sont revendus sur les marchés financiers afin de récupérer
de la liquidité immédiate et externaliser immédiatement le risque de crédit à un tiers. Ce processus
de titrisation permet notamment aux institutions financières d’écarter de nombreux produits de dette
de leur actif, souvent les plus risqués. Ainsi, elles n’ont plus à attendre 20 ou 25 ans le remboursement
du prêt afin de récupérer la totalité du capital et de l’intérêt, mais elles récupèrent immédiatement
une plus-value, moyennant l’actualisation des cash-flows et un premium accordé à l’acheteur du titre,
qui attend aussi un bénéfice de l’achat de ce titre. Elles ont la possibilité de procéder à de nouvelles
émissions de crédit et amplifier la dette, du fait de l’amélioration des ratios prudentiels liés aux prêts,
une fois ceux titrisés vendus. D’un point de vue macroéconomique, le risque est donc déplacé de
l’économie financière à l’économie réelle.
« Quelle que soit la définition, le marché crée de nouveaux agrégats monétaires dans les
périodes de boom pour contourner les limites réglementaires… » (Kindleberger, 1978, p65). Maurice
Allais, prix Nobel de l’économie en 1988, avait relevé que les crises contemporaines sont
principalement dues à la titrisation, ces opérations de monétisation des promesses de
remboursement (Allais, 1999). Galbraith avait déjà avancé ce postulat en affirmant que la titrisation
entraine inévitablement et inéluctablement la spéculation, tant décriée aujourd’hui. En ce sens, ce
phénomène de titrisation de la dette amplifie le phénomène de spéculation. « Durant les périodes
d’euphorie, de nombreux instruments de crédit sont titrisés, ce qui alimente la spéculation » (Askari et
al, 2010, p27). Actuellement, la majorité des instruments de crédit (prêt hypothécaire, prêt étudiant,
lettres de change…) étant titrisables, leur négociation augmente significativement. Les agents
économiques investissent donc de plus en plus de fonds dans des produits/titres de dette (passifs
d’autres agents) hautement incertains, au lieu d’investir ces fonds dans des actifs économiques
productifs. L’élargissement de la palette d’instruments titrisés négociables ponctionne donc la
sphère économique et alimente la sphère financière dans une euphorie qui n’a en général de limite
que l’éclatement de la bulle spéculative (Askari et al, 2010, p27). Cette opinion avait déjà été évoquée

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par Keynes auparavant192. La titrisation est donc une extension exponentielle du pouvoir de création
monétaire. Alors que sans la titrisation, la création monétaire était limitée au ratio de Bâle (10 pour 1),
avec la titrisation, la création monétaire est potentiellement infinie, démultipliant les perspectives
spéculatives. A rebours, une économie mondiale basée sur les actifs et dominée par ces derniers aurait
des effets stabilisants par rapport aux opportunités de spéculation présentées par le commerce de la
dette et ses dérivés (Askari et al 2010, p 47). En conséquence, tant que la titrisation est possible et que
le marché demande des produits de dette titrisés (comme les « mortgage based securities » entre
autres), le volume de la dette augmentera, ce qui ramène à un point déjà analysé, à savoir la
détérioration de la solvabilité. Dans ce contexte, la spéculation ne peut qu’être un phénomène
dominant le marché.
Selon Kindleberger, la plupart des crises sont l’aboutissement d’un épisode spéculatif, qui
résulte d’un changement majeur (déplacement). « Dans notre modèle, le déplacement, l’euphorie et
la détresse sont en général suivis d’une panique, elle-même annonciatrice du krach » (1978, p131). Le
déplacement est un événement exogène d’une ampleur majeure qui modifie les attentes, les
prévisions, les piliers de l’économie, les comportements… Les déplacements peuvent prendre la forme
d’une innovation, d’une guerre, d’une révolution… La titrisation est bien une innovation qui entre dans
cette théorie. « A la question selon laquelle le Sénat aurait eu trois cent ans de retard sur son temps
(au vu des contraintes qu’il impose), il oppose la réponse du Sénat pour qui les marchands s’étaient
endettés avec trois cents ans d’avance » (Kindleberger, 1978, p184). L’Histoire semble se répéter.
La titrisation trouve donc son origine dans la négociation des effets de commerce, promesses
de remboursement lors de la renaissance. Elle permet de créer davantage de monnaie que ne le
permettent les normes déjà établies du système de réserves fractionnaires, tout en restant conforme
aux normes prudentielles. Le procédé permet aussi de transférer le risque de crédit à l’économie
réelle, amplifiant la déconnexion entre la sphère financière et la sphère réelle. En pratique,
l’élargissement de la palette d’outils monétaires alimente la spéculation et n’a de limite que
l’éclatement de la bulle spéculative.

192
Bourghelle David (2010), Il faut brider le moteur de la spéculation…, 03 Novembre, lemonde.fr.
URL : www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/03/il-faut-brider-le-moteur-de-la-speculation_1434044_3232.html

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Conclusion du chapitre
La spéculation est un phénomène dont les causes sont multiples et interdépendantes. Les
opérateurs et les comportements se produisant dans un marché régi par certaines normes établies par
les régulateurs, il est naturel que la spéculation puisse aussi trouver certaines de ses causes à ce niveau.
Actuellement, l’innovation juridico-financière permet de passer outre certaines restrictions juridiques
avec l’arbitrage réglementaire et fiscal. Avec la mondialisation et la déréglementation, la portée des
normes nationales est amoindrie alors que les capitaux circulent significativement hors des frontières.
Les paradis fiscaux aidant, notamment en domiciliant 50% des flux financiers mondiaux, la spéculation
est facilitée. Certaines pratiques légales viennent en soutien de ce cadre, à l’instar des transactions de
gré à gré, des banques de l’ombre et des opérations hors bilan qui relèvent des opérations et des
comptabilités dites parallèles. Cette légalisation trouve son origine dans des initiatives d’inspiration
idéologique qui s’expriment en politique à travers des vagues de déréglementation et un
affaiblissement des moyens et des outils de contrôle des autorités vis-à-vis des opérateurs financiers.
Lorsque l’organe chargé de suivre les opérations des financiers est doté de ressources humaines moins
compétentes, moins bien payées et moins bien outillées que les opérateurs, le suivi devient une
mission ardue. L’un des éléments majeurs favorisant cet état de fait et ces légalisations n’est autre que
le lobbying pratiqué par les opérateurs financiers eux-mêmes au niveau politique, et la situation de
« too big to fail » qui devient une donnée s’imposant aux acteurs politiques. La force de frappe
financière permet de faire abonder certains politiciens dans le sens des intérêts de la finance,
notamment lors de certains votes relatifs à la dérégulation ou relatifs aux sauvetages d’institutions
financières proches de l’effondrement. Cela crée un aléa moral qui incite à spéculer davantage, se
sachant de toutes les manières sauvées en cas de crise. Un autre aspect réglementaire vient favoriser
la spéculation : la cotation continue et la fréquence des transactions. En effet, avec le développement
des NTIC, les pratiques les plus spéculatives (daytrading et THF) se sont accaparés plus de 90% des
ordres au niveau des grandes places financières. La déconnexion entre sphère financière et réelle est
bien actée et semble profonde, surtout au niveau de l’horizon opératoire, et les transactions peuvent
bénéficier de plus d’opacité, de manipulations, voire de criminalité en contournant certaines normes,
ce qui alimente davantage la spéculation.
Au-delà du cadre réglementaire, certains facteurs de la spéculation ont trait au contexte
financier dans lequel interviennent les opérateurs. Dans les marchés, nous observons que la perception
des acteurs compte plus dans la détermination des variations que les fondamentaux. La psychologie de
foule est déterminante et certaines ‘’règles d’analyse’’, notamment chartistes, se transforment en
prophéties auto réalisatrices. Le fait que l’évolution entre l’information et son interprétation soit
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dynamique et sujette à la réflexivité, à la logique référentielle et autocentrée, rend la prévision encore
plus difficile et aléatoire car davantage liée au comportement humain qu’aux données, ce qui n’est pas
sans encourager la spéculation. Le marché étant par ailleurs dominé par un nombre très limité
d’acteurs, les collusions et conflits d’intérêts dans les opérations ne sont pas rares. Certains rapports
de force étant en faveur des opérateurs, le risque systémique s’en voit accru. Le conflit d’intérêt est
aussi présent au niveau d’un autre type d’acteurs déterminant : Les agences de notation. Par ailleurs,
lorsque la rentabilité des activités purement financières dépasse de loin celle de l’investissement réel,
les opérateurs s’orientent naturellement vers les premières. Offrant des perspectives d’enrichissement
rapides, la spéculation devient une activité attractive pour les profils les plus brillants parmi les
étudiants, se renforçant par la même occasion et gagnant en crédibilité. Cette situation
structurellement propice à la spéculation ne semble pas changer avec le temps. Autre élément
favorable : La volatilité. Au vu des faibles marges unitaires par transaction, la spéculation a besoin d’un
marché volatile pour se développer, et couvrir les frais de transaction. Le plus intéressant ici,
contrairement à d’autres causes directes, c’est que spéculation et volatilité évoluent de concert et le
lien est fondamentalement circulaire et dynamique. Vu que cette évolution est accompagnée d’une
certaine asymétrie structurelle d’information, surtout au niveau des opérations de gré à gré, ce sont
souvent les petits opérateurs mal outillés qui subissent la volatilité et la spéculation. Cette asymétrie
donne un avantage compétitif décisif au spéculateur et lui permet d’intervenir avec plus de marge de
manœuvre. C’est bien plus appuyé lorsqu’on observe un contexte miné par l’opacité et les fausses
rumeurs mises en circulation pour influencer les cours. La spéculation évolue mieux dans un tel
environnement.
Enfin, ce sont des caractéristiques du contexte macroéconomique qui interviennent également
dans le phénomène de spéculation, et qui tournent autour de la question de la dette. Lorsque les
acteurs voient leur solvabilité érodée, du fait notamment de la répartition inégale du risque, de la
concentration du capital, de l’instabilité puis de la propension à spéculer sur la faillite des acteurs peu
solvables… la propension à spéculer de la part des acteurs les plus aisés augmentent (plus la richesse
augmente plus la sensibilité au risque diminue). L’un des préalables à la détérioration de la solvabilité
est, sans aucun doute, l’expansion de la masse monétaire à travers la démultiplication du crédit et des
liquidités, facilitée par la prolifération des substituts monétaires. Il s’avère que l’extrême majorité des
crises ont été précédées par des phases d’expansion monétaire. Cette expansion rend le suivi et le
contrôle plus complexes. Les exemples pratiques de ces liens sont pléthore. S’ajoutent à ces facteurs
les afflux et reflux de capitaux étrangers dus notamment à l’ouverture des marchés, et qui contribuent
à leur tour à la spéculation. Toujours dans le contexte des facteurs de la spéculation liés à la dette, le
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levier fait figure de catalyseur remarquable. Du fait de l’érosion capitalistique qu’il engendre, les
agents deviennent encore moins stables et solvables. Lorsque ce levier atteint des ratios
astronomiques de l’ordre de 1 à 40 000, la spéculation devient nettement plus rentable, et plus risquée,
que l’investissement dans l’économie réelle. Chaque acteur essaie de maximiser son levier, ce qui
cantonne le système à une situation d’équilibre sous-optimal de Nash. Il en devient plus instable,
volatile, et donc spéculatif. En cas de retournement, la menace du levier ne disparaît pas, elle change
de forme. L’effet de massue aidant, le contexte devient favorable à un autre type de spéculation
destructrice, la spéculation à la baisse. Enfin, il est à noter que les marchés permettant de procéder à
des titrisations de la dette voient leur risque spéculatif accru pour plusieurs raisons également. La
titrisation permet d’abord de créer encore davantage de monnaie, tout en respectant les normes
prudentielles et les ratios réglementaires. La titrisation et la négociabilité de la dette à intérêt dépasse
actuellement celle des actifs (Askari et al 2010) et précède toujours les phases de retournement et
récession, car actant la déconnexion de l’économie réelle et du monde de la finance spéculative. Elle
rend la possibilité de multiplier les moyens d’endettement, et donc de spéculation, potentiellement
illimitée en écartant le produit de dette vendu du bilan de l’institution bancaire. Le procédé permet par
ailleurs de transférer les risques purement financiers à l’économie réelle, et les faire supporter à des
agents ayant moins la capacité de les supporter. La déconnexion entre l’économie financière et
l’économie s’accélère. La limite qui met un terme à l’accélération de la titrisation et la déconnexion est
l’éclatement de la bulle spéculative ou une stagnation prolongée de l’économie.

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PARTIE III

3 CONFRONTATION DES PRINCIPES DE LA FINANCE


ISLAMIQUE AUX FACTEURS DE LA SPECULATION

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Notre nomenclature de classification des facteurs de la spéculation est maintenant
relativement mature. La partie précédente a permis de confirmer et d’étayer, par l'étude
documentaire sur les pratiques économiques et boursières, les éléments tirés des analyses des
principales théories de la spéculation. Une distinction claire s’est profilée entre facteurs endogènes et
exogènes. Nous pouvons, dès lors, approcher ce concept polymorphe de manière plus structurée. Elle
a également permis de mieux hiérarchiser les facteurs à travers une analyse qui se voulait plutôt
inductive, à partir des éléments observés lors des phases spéculatives récentes, et relevés par les écrits
qui y furent dédiés. La présente partie aura pour objet de confronter ces facteurs aux principes de la FI.
La question de l’exposition de la FI à la spéculation est une question qui, à ce jour, reste très
peu abordée. La principale raison derrière cet état de fait est que l’interdiction de la spéculation est un
principe, selon la majorité des opérateurs de la FI (Jobst, 2008), qui figure parmi les cinq éléments
souvent qualifiés de piliers de la FI (Bedoui et Mansour, 2014). Etant une interdiction à priori claire,
peu d’études sérieuses se penchent sur son questionnement en profondeur, voire sa remise en cause à
la base comme le fit Kamali (1999, p8). Pourtant le sujet reste ouvert au questionnement : Le modèle
fondateur de la FI, dont les principaux objectifs sont la justice, la solidarité (Dusuki, 2009) et le bien-
être collectif (Al-Zahra, 1997), est-il moins exposé aux facteurs de spéculation, comme le prétend une
large partie de la littérature étudiant la FI, à l’instar de Wilson (2009) et Saidane (2010) qui avancent
que l’intermédiation financière islamique est par nature anti ‘’risque systémique’’ ?
Dans le numéro du dimanche 25 septembre 2008 du Journal des Finances, M. Roland Laskine
écrivait : « Si nos dirigeants financiers cherchent vraiment à limiter la spéculation, rien de plus simple, il
suffit d’appliquer des principes de la Charia arrêtés sept cents ans auparavant : interdit de vendre des
actifs que vous ne possédez pas de façon effective ou de réaliser des opérations de prêts d’argent
moyennant rémunération. Interdit surtout de spéculer sur les déboires d’une entreprise. Le seul moyen
de s’enrichir c’est de participer au développement d’une entreprise et d’en percevoir les fruits en étant
présent au capital. Des principes simples et de bon sens que tous les détenteurs d’actions ou de contrats
d’assurance-vie indexés sur la Bourse auraient voulu voire appliqués plus tôt »193.
Selon Chapra (2009, p29-38), un système économique islamique doit viser à la réalisation des objectifs
économiques de l’Islam à travers :
➢ Un partage équitable des risques entre agents au besoin de financement et les détenteurs de
fonds ;
➢ Une diminution significative des inégalités ;

193Roland Laskine, Figaro blog, Wall street, mûr pour adopter les principes de la charia ? Lien : http://blog.lefigaro.fr/cgi-bin/mt/mt-
ftsearch.fcgi?search=chariaetIncludeBlogs=97etlimit=20

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➢ Davantage de stabilité économique, monétaire et financière.
Si nous approfondissons l’analyse, il s’avère que « la littérature contemporaine en Economie et Finance
‘’islamiques’’ abonde en études résumant les arguments contre la spéculation, et plus particulièrement,
contre les dérivés. La plupart du temps, le caractère ‘’idéologique’’ – par opposition à ‘’scientifique’’ –
de ces arguments est assez flagrant » (Abu Hamdane, 2013, p343). A la lumière de cette précision,
nous nous demanderons si une approche plus structurée, logique et scientifique débouchera sur les
mêmes conclusions que les analyses mentionnées par Abu Hamdane, au caractère idéologique
prédominant, ou si, à rebours, les conclusions seront différentes, ou au moins nuancées.
Cette partie sera focalisée sur l’analyse approfondie de la littérature relative à cette exposition,
d’une manière qui se veut beaucoup plus détaillée, tout en gardant un esprit de synthèse, à la lumière
des principes fondamentaux de la FI, c'est-à-dire à la lumière des piliers et règles de fonctionnement
régissant la FI. Nous reprendrons l’ordre d’idées de la partie précédente relative aux causes, afin de
faciliter l’analyse. En effet, les causes ayant été relativement étayées et analysées, au sein d’une
certaine nomenclature, nous reproduirons cette nomenclature afin d’analyser la FI à la lumière de ces
facteurs de la spéculation. Notre analyse passera par une succession de confrontations des principes
théoriques de la FI aux facteurs de spéculation qui peuvent être répertoriés au niveau du système
financier classique, afin d’évaluer cette résilience théorique à la spéculation. Cette évaluation passera
rapidement par des nuances, lorsque cela s’imposera, dans la mesure où ce sera au niveau de notre
cinquième et dernière partie que nous analyserons de manière approfondie le cadre empirique actuel
de la FI, et les tendances futures selon les experts de la discipline. Nous garderons le même classement
que la nomenclature retenue en seconde partie, mais nous changerons le titre du facteur de la
spéculation identifié par le principe théorique de la FI qui y constitue une réponse éventuelle, si
réponse il y a. Cette partie devrait être lue en miroir par rapport à la partie précédente, dans une
perspective de symétrie en termes de structure et de confrontation en termes de contenu.

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CHAPITRE I

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3.1 Confrontation de la FI aux facteurs endogènes de la spéculation

Les facteurs endogènes de la spéculation sont certes moins nombreux que les facteurs
exogènes, ils demeurent pour autant décisifs. La survenance de certains d’entre eux seulement peut
jouer le rôle de catalyseur d’un phénomène spéculatif de fond. Le développement technologique a
joué un rôle d’accélérateur de phénomènes durant ces dernières décennies. L’accélération a
évidemment concerné les cycles à la hausse comme à la baisse des marchés financiers. La prolifération
des outils financiers liés à ces développements technologiques a rendu les marchés financiers
relativement plus spéculatifs en ce sens qu’elle a notamment participé à leur dématérialisation ainsi
qu’un certain nombre d’autres phénomènes qui ont accru leur instabilité. Ce sont ces phénomènes, en
plus des facteurs comportementaux, qui sont souvent à l’origine de la spéculation et qui seront
confrontés au fur et à mesure aux principes de la FI, dans ce chapitre. Ces facteurs se divisent en deux
grandes catégories. La première rassemble les facteurs de la spéculation liés aux comportements des
opérateurs des marchés financiers. La seconde regroupe les principales transactions favorisant la
spéculation, et qui en sont souvent les supports privilégiés.

3.1.1 Les comportements


3.1.1.1 L’éthique : Une composante majeure de la discipline
L’Ethique est un élément qui se veut intrinsèque au système financier islamique. On oppose
souvent l’esprit solidaire qui orienterait les pratiques en FI à l’esprit de cupidité et individualiste qui
caractérise les marchés financiers contemporains, et qui est l’une des causes majeures de la
spéculation. L’éthique doit être une préoccupation quotidienne des opérateurs de la FI en ce sens que
l’intérêt individuel ne doit pas s’opposer à l’intérêt collectif. Ceci s’illustre parfaitement par un récit
prophétique qui compare ceux qui ne s’astreignent pas aux limites de la religion et ceux qui s’y
astreignent à un groupe qui serait dans un bateau. Certains seraient en bas du bateau et auraient eu
l’idée de récupérer l’eau directement en perçant un petit trou dans la coque pour ne pas avoir à
monter en haut et déranger ceux qui y sont. Le prophète affirme après ce court récit que « Si ceux qui
sont en haut les laissent faire, alors ils couleront tous, et s’ils prennent leur main pour les guider alors ils
seront tous sauvés ». (Al Bukhari). Ce récit permet dans un premier temps de voir que la somme des
intérêts individuels ne donne pas forcément l’intérêt général. Dans un second temps, il permet de

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comprendre dans quelle mesure l’action collective doit encadrer de manière éthique l’action
individuelle qui peut être sujette de temps à autre à certaines dérives.
Dans leur mode opératoire, le fait que les IFI partagent les profits et les pertes, fait que lors de
l’opération de choix d’investissement (corollaire de l’octroi de crédit en finance classique), l’IFI sera
bien plus regardante au niveau de la qualité de l’investissement que la banque classique. Le due
diligence194 est une étape clef, qui permet d’avoir un meilleur tri des projets et donc d’être dès le
départ moins exposé aux contournements des règles, l’éthique étant une valeur préalable requise pour
tout porteur de projet qui souhaite collaborer avec une IFI. L’éthique est considérée comme étant un
pilier de la FI, comme cela fut évoqué dans le schéma récapitulatif élaboré en première partie. Toute la
littérature du domaine abonde en ce sens en précisant qu’on ne peut parler de FI sans parler d’éthique
et de conduite morale du dirigeant. Askari et al (2013) ajoutent qu’en l’absence de valeurs morales
liées à la charia, la FI demeurera un simple mirage. Les valeurs sont le premier pilier de la réussite de la
FI, aux côtés de la justice, la supervision et la régulation éthique (Askari et al, 2013).
Certaines études concluent que les marchés des capitaux islamiques sont aussi transparents
que les marchés conventionnels. Il reste que l’éthique ne se réduit pas simplement à la transparence.
Ainsi, la pratique, pour certains, montre que les valeurs éthiques ne sont pas une priorité pour les IFI.
Ces dernières, bien que commercialisant des « produits licites d’un point de vue jurisprudentiel, ne
peuvent être qualifiées d’éthiques » (Bedoui et Mansour, 2014). Cet élément est conforté par le fait
que la majorité des profils recrutés en FI proviennent de la finance conventionnelle, vu que ce
recrutement est plus rentable que de cibler des profils spécialisés. Les profils provenant de la finance
conventionnelle tendent inconsciemment à perpétuer leurs anciennes pratiques, souvent à forte
exposition spéculative et peu préoccupés par l’éthique. Ainsi, la majorité des IFI ont dupliqué toute la
palette des produits classiques (Nienhaus, 2013, p2 et p19). En décidant par exemple d’octroyer un
financement Musharaka pour une multinationale siégeant dans un paradis fiscal ou ayant des
pratiques salariales insupportables.
Bien que licite, cela éloigne des principes éthiques. En essayant de répliquer les produits
conventionnels qu’ils maitrisent, avec seulement quelques adaptations marginales pour les rendre
licites, les opérateurs trahissent en partie les principes à l’origine de la résilience de la FI à la
spéculation. Bien au-delà de cette assertion, Ariff et Rosly (2011) et Dusuki (2009) montrent que les IFI

194Le due diligence est un concept anglo-saxon consistant à accorder toute l'attention et tout le soin approprié à quelque chose.
Le due diligence s'applique entre autres au monde des affaires. Le due diligence doit permettre d'éviter des problèmes financiers ou bien
des problèmes de qualité ou encore des actes de négligence.
Mataf.net, Définition : Due Diligence.
URL : https://www.mataf.net/fr/edu/glossaire/due-diligence

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n’agissent pas en adéquation avec les principes de Maqasid charia (les cinq universaux ou principaux
fondamentaux de la charia195). Elles mesurent essentiellement la performance en se basant sur le seul
profit, qui n’est pourtant pas un indicateur suffisant à la lumière des principes de l’Islam. Bien qu’étant
conformes, ils n’agissent pas en concordance avec les principes éthiques ce qui remet en cause leur
performance par rapport à leurs objectifs fondateurs (Chapra 2012). A titre illustratif, il s’avère que les
IFI collectent les fonds d’un grand nombre de déposants mais ne les allouent qu’à un nombre très
restreint de bénéficiaires, ce qui n’est pas pour favoriser la justice sociale et le bien-être collectif
(Bedoui et Mansour, 2014).
En outre, cette orientation excessive des fonds vers les Etats-Unis soulève également de
nombreuses questions quant au rapport de la FI avec la spéculation et l’éthique. A ce titre, les
spécialistes affirment qu’il n’existe pas de MFI 196 dans le monde, seulement des produits dits
conformes, qui étaient négociés (Askari et al, 2013). Ces critiques permettent de relativiser la portée
de certaines argumentations plutôt basées sur un penchant militant, par rapport à la FI, au moins au
niveau de la pratique. Il semblerait, pour ce premier point, que les principes éthiques restent plutôt
dans la sphère des principes théoriques de la FI, et qu’ils gagnent à être développés en pratique, tant
au niveau des IFI qu’au niveau de leur clientèle.

3.1.1.2 Un modèle privilégiant le partage et la modération


Prenant sa source dans la tradition abrahamique, il est tout naturel de relever dans le corpus de
l’Islam un très grand nombre de versets et de traditions prophétiques mettant en garde contre la
cupidité, l’amour propre démesuré et d’autres caractéristiques très instinctives pour certaines. De
nombreux versets Coraniques abondent en ce sens :
i. « Sachez que la vie sur terre n’est que jeu, distraction, orgueil entre humains et
accumulation de richesses et d’enfants... » (57/20)
ii. « O croyants, que vos richesses et vos enfants ne vous distraient pas du rappel de
Dieu, et quiconque s’y laisse aller, alors ce seront eux les perdants » (63/9)
iii. « L’humain devient arrogant à mesure qu’il s’enrichit » (96/6)
iv. « L’accumulation vous a distrait jusqu’à la tombe » (102/1) ...

195 Les cinq universaux ou addaroriyates al khams : Selon l’Imam Abu Hamid al-Gahzali, repris par l’imam Abu Ishaq al-Chatibi, la charia
vise à préserver cinq éléments essentiels de la vie humaine : « Le but de la Charia est la promotion du bien-être des gens, qui consiste à
préserver leur foi (din), leur âme (nafs), leur intellect (al-aql), leur progéniture (nasl) et leurs biens (māl). Tout ce qui garantit la
préservation de ces cinq intérêts est souhaitable, et tout ce qui leur nuit est un mal qu’il faut chasser ». (Abu Hamid al-Gahzali, cité par
Chapra M.U., La vision islamique du développement à la lumière de maqassid al-charia, Institut Islamique de la Recherche et de la
Formation, IFI de Développement, Djeddah, p.6)
196 Cette affirmation doit être nuancée en partie au vu de l’expérience soudanaise qui reste une référence. Cette dernière s’appuie sur un

système économique et financier fonctionnant selon les principes de la sharia, malgré quelques lacunes. Cependant, les problèmes géo-
politiques récents ainsi que les guerres, couplés au manque d’interactivité et la très faible activité en bourse rendent l’analyse moins
révélatrice. Certains éléments illustrant la situation au Soudan seront néanmoins analysés et présentés en partie V.

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De même, de nombreuses paroles prophétiques portent le même sens. Dans l’esprit de la FI, qui
s’inscrit dans le cadre des cinq universaux majeurs de la charia, l’accumulation excessive, l’avarice, la
cupidité, l’orgueil sont des caractéristiques du comportement à éviter. Ces éléments sont bien ancrés
et étayés au niveau des sources majeures de l’Islam, ce qui devrait théoriquement prévenir les
velléités de prestige, surtout à la lumière de versets tels que « Maudits soient ceux qui ne prient pas à
temps, et qui cherchent à se faire remarquer, et qui empêchent les gens d’aider leurs prochains... »
(107/1). L’égo est quelque chose qui doit être surveillé de près par le musulman, même au niveau de
ses affaires et ses opérations financières. L’humilité et la modestie sont des caractéristiques cardinales
à acquérir.
Cependant, l’essentiel de ces directives est d’ordre moral et spirituel. Elles n’ont que peu de
déclinaisons pratiques et juridiques. Or, les domaines de la finance et de l’économie sont
essentiellement cadrés à ce niveau. Cela implique qu’il est très complexe d’associer, en pratique, FI et
humilité individuelle ou modestie. La résilience à ce facteur spéculatif se limite aux principes
fondateurs de la FI. C’est probablement pour ces raisons que l’on ne retrouve pas, dans ce qui est
communément appelé ‘’piliers de la FI’’, des éléments directement liés à la question évoquée. D’un
point de vue réglementaire et opérationnel, peu de choses empêchent alors l’acteur d’être aussi
cupide que dans la finance conventionnelle et de chercher le prestige afin de gonfler toujours plus
son égo, ce qui reste une voie royale vers la spéculation et la prise de risque.

3.1.1.3 Une perception particulière du risque et de ses limites


En FI, la prise de risque démesurée est assimilée au Gharar, qui est le chemin le plus court vers
le Maysir, le jeu de hasard, où l’on peut risquer de tout perdre du seul fait de la chance. Ce genre de
prise de risque, comme démontré dans la seconde partie, est un des facteurs fondamentaux de la
spéculation. Au niveau des principes de la FI, il est réprouvé. Les acteurs sont appelés à modérer le
risque pris, et ne pas exposer les fonds des déposants à des risques majeurs.
A titre illustratif, le risque lié aux dérivés n’est pas considéré comme étant un risque
légitimant le profit, conformément à la théorie islamique du risque, que nous avons modélisé dans la
figure 23. « Les théoriciens de la FI contemporaine se demandent explicitement ou implicitement si la
véritable ‘’cause du gain’’ dans un dérivé ne serait en réalité… le ‘’risque pur’’ et non la ‘’propriété
licite’’ ou le ‘’travail licite’’ » (Abu Hamdane, 2013, p346). En effet, bien que la règle jurisprudentielle
veuille que tout profit doive être lié à un risque, les risques ne sont pas tous acceptables dans la
perspective de générer des profits. Le risque est divisé par Oaidah (2010) en trois catégories :
• Le risque obligatoire (celui qui, s’il est écarté, rend la transaction illicite) ;
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- 210 -
• Le risque acceptable (dans ce dernier, une partie est souhaitable, l’autre évitable) ;
• Le risque prohibé.
Cette catégorisation est essentielle pour comprendre la logique derrière le refus des produits très
risqués. Tout risque n’est pas légitime. Le risque, afin d’être acceptable, doit être adossé à une
propriété ou un travail (licites), et ne pas être un risque séparé de ces derniers, un risque pur comme
dans les jeux de hasard (Masri, 2010). Davantage de détails sur cette notion de gharar seront présentés
dans le point dédié au gharar et aux assurances. C’est dans cette perspective que l’un des savants les
plus renommés de la FI (Taqi Usmani) affirmait le 30/11/2014 dans une conférence en Grande
Bretagne que « les dérivés islamiques sont une chose qui ne peut exister »197.
L’un des facteurs les plus importants de la spéculation est la relation au risque. Un seul acteur
au profil ‘’risk neutral’’ ou ‘’risk lover’’ dans un marché suffit à l’exposer à la spéculation (Cf première
partie) (Roche, 2008). Or, d’un point de vue opérationnel, ce paramètre fait aussi partie de ceux qui
sont intimement liés à la personnalité de l’opérateur financier. Certains ratios prudentiels permettent
de juguler cette exposition au risque, notamment au niveau des critères de l’IFSB198. Il reste que ce
facteur, bien que réprouvé par rapport aux principes théoriques, demeure problématique d’un point
de vue opérationnel, surtout qu’un nombre croissant de produits dits ‘’islamiques’’ répliquent
parfaitement le profil de produits dérivés à haut risque comme le Wa’ad (promesse), pour les options,
entre autres. Au niveau de ce facteur, la FI permet d’une part de le juguler en marginalisant de fait un
certain nombre de produit et de transactions à haut risque, mais elle reste d’autre part peu armée
lorsqu’il s’agit de cadrer l’aspect relatif au comportement humain face au risque. La résilience à ce
facteur est donc théoriquement réelle, mais très relative en pratique.

3.1.1.4 Moins de tolérance aux intentions spéculatives


Dans la lignée des facteurs de la spéculation relatifs aux comportements, nous avons là un autre
facteur majeur. Ayant comme piliers l’interdiction du gharar et du maysir, la FI est supposée exempte
de toute spéculation. A ce titre, de nombreux ouvrages traduisent, par abus de langage, ces deux
interdictions par l’interdiction de la spéculation. La première partie a permis de clarifier le concept, et
comprendre, par là même, que la correspondance entre spéculation d’une part et gharar d’autre part
trahirait un nombre important d’éléments entrant en ligne de compte dans ces concepts. C’est
principalement pour cette raison que nous ne pouvons avancer que l’un des piliers de la FI est

197http://blog.yurizk.com/mufti-taqi-usmani/ (24/04/2017)
198IFSB : Islamic financial services Board, organisme basé à Kuala Lumpur au sein de la banque centrale malaisienne, chargé d’adapter les
normes prudentielles internationales, notamment Bâle, aux IFI

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- 211 -
l’interdiction de la spéculation. Le questionnement de cette idée reçue est d’ailleurs l’une des raisons
centrales motivant cette recherche.
Comme c’est le cas pour la finance conventionnelle, déterminer l’intention de l’opérateur à
partir de la simple observation de ses engagements financiers est une tâche ardue. Working avait tenté
cela, en 1949, à partir de l’observation des transactions futures, mais le marché est aujourd’hui
autrement plus complexe et diversifié, ce qui rend la tâche très délicate. La FI, évoluant actuellement
dans le cadre des marchés boursiers classiques, ne déroge pas en pratique à ce constat. Seule une
sensibilisation des opérateurs en amont peut éventuellement prévenir ce facteur, comme ce serait le
cas d’ailleurs pour la finance en général. Pour le moment, cette sensibilisation est de très faible portée.
Ces restrictions sont d’emblée moins contraignantes au niveau des transactions sur les marchés, qui
peuvent être sujettes à davantage d’encadrement, comme nous le verrons. A ce titre, la résilience
n’est ici que théorique.

3.1.2 Les transactions


3.1.2.1 L’assurance dans une posture différente
La FI proscrit le Gharar vu que l’Islam incite les musulmans à éviter tout risque excessif. A ce
titre, une autre confusion revient très souvent dans la littérature entre le concept de spéculation
d’une part et celui de prise de risque licite d’autre part. Il arrive même que certains écrits donnent une
illusion de « correspondance entre les deux concepts » (Abu Hamdane, 2013, p344) pourtant différents
à bien des égards. L’obligation de lier tout rendement à un risque rend la confusion d’autant plus
grande dans l’esprit, et donc les écrits, de nombreux chercheurs dans ce domaine qui rendent le risque
littéralement souhaitable. C’est avec Oaidah (2010), entre autres, que nous arrivons à tracer une
distinction plus claire entre prise de risque obligatoire, prise de risque licite et prise de risque interdite
en FI. Sans une telle distinction, il est impossible d’aboutir à des résultats convainquant lors des
discussions du phénomène de la spéculation, lui-même polysémique et porteur d’ambigüités. Il est
utile de faire ici quelques rappels sur l’aspect pratique et financier de la notion, qui a déjà été
expliquée théoriquement en première partie, afin d’introduire les fondements liés au concept
d’assurance Takaaful.
« Nous pouvons affirmer que si la traduction de Gharar par risque est pertinente au niveau
linguistique, elle ne l’est par contre pas aussi certainement aux niveaux juridique et financier… toute
prise de risque n’est pas forcément ‘’Gharar interdit’’, même si tout ‘’Gharar interdit’’ implique un
certain sens de prise de risque » (Abu Hamdane, 2013, p250). Al Suwailem (2011) le définit « tant

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- 212 -
comme l’incertitude résultant d’une mauvaise définition des éléments du contrat que le risque non
justifié économiquement dans l’exercice d’une activité », risque qui se traduit par des retours sur
investissements incertains dans le cadre d’un jeu à somme nulle. Il est défini par d’autres comme El
Gamal (2006) par le commerce du risque. Dans une tentative de formaliser un peu plus les frontières
entre ce qui est gharar et ce qui ne l’est pas, certains chercheurs (Al Amine, 2008 et Taskhiri, 2009) ont
défini le gharar comme étant un risque intrinsèque au contrat, et non un risque extrinsèque lié à des
éléments externes (loi de l’offre et de la demande, contexte, marché…). Le Gharar interdit serait dès
lors une incertitude liée au contrat (à son fond ou à sa forme, cela dépend des cas) sans prise en
considération des éléments extrinsèques au contrat. L’un ou plusieurs des co-contractants ignorerait
alors avec précision à quoi aboutira le contrat, c’est une traduction de la définition d’Ibn Taymiya entre
autres : « Majhul al aaquiba », ce dont on ignore l’aboutissement. Dans le prolongement de ces
définitions, Abu Hamdane (2013, p234) aboutit à une définition synthétique basée sur quatre critères
permettant de distinguer ce qui est gharar de ce qui ne l’est pas :
« (1) Il s’agit d’une vente obligatoire (contraignante) ex ante ;
(2) dont l’objet (nécessairement) ‘’oscille entre la sûreté et le péril’’, ou ‘’entre l’existence et la non-
existence’’ ;
(3) impliquant un Akl al-Mal bil-Batel (‘’dévoration des biens des autres en vain’’) ; et
(4) menant par là-même aux vices du ‘’jeu’’, principalement : l’inimitié et la haine, avec des méfaits
globaux supérieurs aux bienfaits ».
C’est principalement sur ces bases, que les conseils de jurisconsultes ont proscrit les contrats
d’assurance classique, lors de la réunion du conseil de la ligue le 23/07/1978, dans la mesure où le
contrat présente une incertitude importante vu que la contrepartie peut être nulle après 30 ans de
cotisations et peut excéder 100 fois le montant cotisé après seulement un mois de cotisation. Il n’y a
pas de service rendu en contrepartie de la cotisation, mise à part une promesse de couvrir un risque
hypothétique et de rembourser les dégâts matériels d’un éventuel sinistre ou manque à gagner, selon
des conditions préétablies. D’ailleurs, une autre règle jurisprudentielle, faisant consensus parmi les
savants selon Ibn Rushd, remet en cause cette activité assurantielle. Elle est formulée de la manière
suivante : « Pas de rémunération contre une garantie »199 (laa ajra ala addamaan). Elle implique
l’interdiction de payer la contrepartie d’une couverture, d’une garantie (Al Suwailem 2002), et cette
interdiction fait quasiment l’objet d’unanimité entre les savants de l’Islam (Al Suwailem, 1999, cité par
Al Suwailem 2006, p59).

199 Traduction personnelle

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- 213 -
L’assurance, bien souvent facteur de spéculation, n’est donc pas permise dans un système
financier islamique, du moins sous sa forme classique et conventionnelle. C’est son alternative
islamique, l’assurance solidaire ou la mutuelle solidaire s’appuyant sur le partage du risque, appelée
« Takaaful », qui a été préconisée par les conseils de jurisconsultes par la décision (n°15, 4/4/1397). Ce
modèle de mutuelle solidaire s’oppose fondamentalement au modèle de vente du risque (Qurradaghi,
2010). Il est utile de préciser à ce stade que les options conventionnelles sont des produits dérivés
assimilables à l’assurance, mais utilisés entre opérateurs privés (hors assureurs). « En raisonnant d’une
manière simpliste, il pourrait être dit que, tout en étant dans un cas de ‘’jeu à somme nulle’’, nous
sortons du cadre de la ‘’vente du risque’’. Rien n’est moins sûr, selon notre étude. En effet, une option
nous met en réalité dans le cas typique de la théorie financière dit ‘’d’assurance’’. Contre le paiement
d’une prime fixe, l’assuré ‘’s’assure’’ contre sa perte potentielle, tout en préservant son potentiel de
gain » (Abu Hamdane, 2013, p353).
En outre, l’investissement des fonds collectés par l’assureur est également basé sur la
spéculation ou l’intérêt quand il s’oriente vers les obligations ou les produits dérivés achetés avec les
primes des assurés, comme cela fut démontré au niveau de la partie précédente. En FI, les compagnies
Takaaful ne peuvent investir dans les sous-jacents illicites, tels les dérivés ou les obligations, ce qui
éloigne la FI d’un des principaux facteurs de spéculation. Dans le modèle Takaaful, les primes ne sont
pas à la libre disposition de la société d’assurance (Cf : Chap 1, Partie I). Cette dernière est mandatée
seulement pour gérer le fond composé des primes et rembourser les adhérents qui ont subi des
sinistres éventuels. C’est un modèle mutualiste qui s’interdit de spéculer ou d’investir dans les actifs
illicites, ce qui le rend plus proche de l’économie réelle. Enfin, l’interconnexion avec les banques est
bien moindre dans la mesure où, dans le système classique, elle passe par la détention d’obligations et
de titres de dettes, alors qu’en FI la structure des bilans n’expose pas les IFI à la contagion de manière
aussi aigue, du fait de l’absence de commerce de la dette par la titrisation, écartant par là même un
autre facteur de la spéculation.
Il est toutefois envisageable, dans la mesure où les compagnies Takaaful peuvent couvrir le
risque de crédit et le défaut d’un client, que le risque de contagion puisse survenir dans une certaine
mesure au niveau du modèle financier islamique. Si l’on conçoit une expansion plus grande des
produits basés sur la dette, comme c’est le cas aujourd’hui, et une couverture par les assurances
Takaaful, il est tout à fait possible d’observer plus de possibilités de spéculation. Néanmoins, cela ne
saurait être à la même échelle que le système conventionnel dans la mesure où les produits ne
peuvent être structurés sur des dérivés et revendus en bourse, donc le scenario serait limité à la région
touchée par les défauts.
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- 214 -
Comme pour lancer un avertissement, dans « Risk sharing in finance » (2013, p78), Askari et al
affirmaient que le fonctionnement actuel des compagnies Takaaful ressemblait à celui des assurances
classiques car bien que les risques soient regroupés, l’aspect partage et mutualisation demeure
relativement absent. La résilience théorique du modèle financier islamique par rapport aux excès des
assurances demeure une réalité sur les principes, qui est à nuancer en pratique.

3.1.2.2 Prohibition de la vente à découvert

S’agissant de la vente à découvert, il y a lieu d’emblée de spécifier que « lors


du workshop de la Harvard Islamic Finance Project, tenu à la London School of
Economics le 26 février 2009, le juriste américain Frank Vogel a déclaré qu'il
avait saisi la portée des principes de la FI comme la prohibition de l'usure. En
revanche, il avait quelque difficulté à saisir la portée du principe de "ne vends
pas ce que tu ne possèdes pas". La crise financière de 2008 est venue, selon lui,
écarter cette difficulté. Le commentaire de Frank Vogel a poussé l'économiste
anglo-américain Willem Buiter, présent au workshop, à y consacrer un article
dans les colonnes du Financial Times (16 mars 2009) avec comme titre "Should
you be able to sell what you do not own ?" Dans un article intitulé "La FI : un
placement d’avenir", L’Observateur de l’OCDE, relève en avril 2009 que l’Islam
proscrit certaines pratiques à haut risque comme la vente à découvert, accusée
d'avoir exacerbé la crise financière et accéléré la chute de la valeur des actions.
En témoigne le propos de John Mack, PDG de Morgan Stanley, dans une note
interne aux employés : "Qu’est-il en train de se produire ? Il est très clair pour
moi que nous sommes au sein d’un marché contrôlé par la peur et les rumeurs,
et que ceux qui vendent à découvert font couler notre action" (Chung and
Brewster, 2008) » (Belabes, 2013, p7).
La règle générale concernant la vente à découvert en islam est l’interdiction (Kammoun et
Rhadbane, 2013) selon la norme 21 de l’AAOIFI200. Cela résout notre deuxième problématique de jeu à
la baisse des marchés et d’amplification des chocs, due à ce type de vente. Cette amplification des
chocs liée à la vente à découvert intervient généralement dans un contexte de baisse des cours
favorisant la prolifération de la spéculation baissière, généralement pratiquée par les hedge funds. Son
interdiction permet donc plus de résilience d’un point de vue théorique, pour la FI.

200 AAOIFI : Accounting and Auditing Organisation for Islamic Financial Institutions

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- 215 -
Pour autant, certains analystes, plutôt rares, suggèrent que l’interdiction de la vente à
découvert est aussi source de divergences. Elle serait, selon eux, responsable d’un manque de liquidité
des marchés financiers (Seshachellam, 2013, p8). En pratique, nous constatons que la vente à
découvert est en partie autorisée en Malaisie, s’appuyant sur les réglementations de la securities
commission (2007, p90) autorisant l’emprunt d’actifs financiers (pourtant proscrit par la norme 21
AAOIFI) et la vente en attendant son rachat (Omar, Abduh et Sukmana, 2013, p7). Selon la commission,
cette autorisation intervient pour favoriser un peu plus de mouvement et de fluidité sur les marchés,
et répondre à un besoin exprimé par les opérateurs. La bourse Malaisienne, BURSA, va jusqu’à
encourager cette pratique, en déphasage par rapport au Hadith prophétique rapporté par Hakim Ibn
Hizam selon lequel « Tu ne vendras pas ce que tu ne possèdes pas ». Cette dérogation exprimée par la
securities commission ne semble par ailleurs s’appuyer sur aucun texte contrairement au Salam par
exemple, si ce n’est pour répondre au besoin exprimé par les opérateurs. Sur ce point, nous pouvons
confirmer que la résilience théorique persiste en pratique, la Malaisie étant réellement une exception.

3.1.2.3 Proscription des ventes futures


La vente future a contribué, à différents niveaux, à la spéculation dans les marchés du fait de
l’incertitude inhérente à ce type de contrat. Cette contribution été abordée lors de la précédente
partie de manière détaillée. Les principes de la FI apportent des réponses variées à ces phénomènes
déstabilisants. Dans le premier cas, la vente à terme est encadrée par des règles drastiques qui
régissent le contrat Salam. La vente future, avec report du paiement ainsi que de la livraison, elle, est
proscrite (norme 21 AAOIFI) dans la jurisprudence islamique, car portant en elle une grande
incertitude mais aussi car, dans la majorité des cas, il n’y a pas d’intention effective de livraison
(Obiyathulla, 1999, p37) ni de livraison effective (99% des contrats) selon Al Suwailem (2006, p28) et
Mufti Taqi Usmani (Obiyathulla et Mirakhor, 2013, p326). Il se trouve que « le point à retenir ici est que
ce ‘’report’’ figure parmi les principaux arguments shariatiques contemporains évoqués contre les
forward et les futurs (…). D’ailleurs, il est mis en avant par la Fatwa de l’IFA (Islamic Fiqh Academy)
dans sa Résolution No. 63 (7/1) citée plus haut : ‘’Ce contrat [le contrat à terme] n’est pas permis en
raison du report des deux éléments de l’échange. Il peut être modifié pour respecter les conditions bien
connues du Salam […]. Si cela est fait, [le contrat] est licite.‘’ » (Abu Hamdane, 2013, p333).

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- 216 -
Le contrat Salam est une exception201 à la règle générale de l’interdiction de vente à découvert
et à la vente future énoncées par les textes de la Sunna. Ce contrat est autorisé seulement pour les
biens fongibles (facilement interchangeables comme le pétrole, le fer, le bois, le blé…) et selon un
cahier des charges préalablement clarifié et déterminé par les co-contractants, à condition qu’ils aient
la possibilité de livrer. Il s’agit d’un contrat permettant d’encaisser le montant d’une vente de matières
premières immédiatement et d’en différer la livraison. Le Salam a été cautionné par le prophète
Muhammad à son arrivée à Médine, sous certaines conditions, déjà abordées au niveau du premier
chapitre de la première partie. Il est aujourd’hui utilisé notamment pour le financement du BFR202 ou
des campagnes agricoles. Le prix étant fixé dès le départ et non fluctuant, il n’y a pas possibilité de
parier sur les variations du prix du sous-jacent en attendant la livraison, comme c’est le cas dans les
forwards et futurs classiques. L’acheteur a même la possibilité d’exiger une garantie hypothécaire non
génératrice de revenus afin de réduire les risques de contrepartie. La visibilité est donc très importante
dans ce contrat qui permet au vendeur de continuer sereinement son approvisionnement ou sa
campagne agricole, tout en permettant à l’acheteur de prendre des engagements avec ses futurs
clients et de mieux gérer son processus de production de biens ou de services.

Du point de vue des marchés financiers, ce contrat n’est pas négociable ou transférable à un
prix différent de sa valeur faciale, car c’est un contrat commercial équivalent à une dette qui
représente la marchandise à livrer (Ayyash, 2008, p22). Toute spéculation sur les variations de prix ou
de quantités à livrer est donc impossible au niveau du contrat Salam. Ainsi, dans un MFI privilégiant le
contrat Salam, l’incertitude serait grandement réduite la mesure où ce ne sont pas 10% du prix (marge
de sécurité) qui sont avancés et réajustés au fur et à mesure, mais bien l’ensemble du prix, ce qui
prévient considérablement la spéculation (Ayyash, 2008, p25). Il en découlera que ce seront les
opérateurs ayant un intérêt commercial réel dans le sous-jacent physique qui seraient prépondérants
dans ce marché. Le contrat est automatiquement soldé par une livraison et il n’y a pas possibilité de
compensation / liquidation (Ayyash, 2008, p22). Ce contrat peut être titrisé à travers un appel public à
l’épargne pour l’investissement, mais il se limite au marché primaire. Donc une fois que le montant
requis est rassemblé pour entrer dans le contrat, la transaction est close. Il n’est pas négociable sur le
marché secondaire tout comme le contrat Istisnaa, contrairement aux futurs. Il est donc moins exposé
à la spéculation (Ali, 2004). Certains analystes soutiennent même qu’il exclut d’emblée les spéculateurs

201 Certains savants avancent même qu’il ne constitue pas une exception à la règle mais va bien dans le sens de la vision économique
islamique, dans la mesure où, si la vente à terme est autorisée (alors même qu’un léger doute existe quant à la possibilité qu’aura le
client de payer sa dette en monnaie à échéance, sachant que la monnaie sera disponible par ailleurs), alors le Salam est de la même
manière autorisé, étant une vente à terme inversée (vente de monnaie contre une marchandise à livrer à terme, de toute façon
disponible par ailleurs, car portant uniquement sur les biens fongibles).
202 BFR : Besoin en fond de roulement

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- 217 -
dans la mesure où il est nécessaire que les opérateurs des marchés islamiques aient un intérêt réel
dans l’actif sous-jacent (Ayyash, 2008, p22).

Notons que, du point de vue jurisprudentiel, le consensus rapporté quant à l’interdiction des
ventes futures, est remis en cause par certains savants (Ibn Al Qayyim entre autres) anciens et surtout
contemporains (Abu Hamdane, 2013, p302) tels que Kamali (1999, p12) ou encore Dharir cité par Al
Suheibani (2008) et Al Suheibani lui-même. Masri (2010) va même jusqu’à reconnaître que le produit
futur, s’il est motivé par une réelle transaction de livraison physique, répond à un besoin réel au niveau
économique, rejoignant ainsi les thèses de Kamali. Il précise que les versions contemporaines des
contrats laissent peu de place à l’incertitude (argument principal de l’interdiction) et que les autres
arguments relatifs à cette interdiction (intérêts d’une part, et un Hadith jugé faible d’autre part) sont
largement discutables. L’obligation de procéder à la livraison à l’échéance est une condition majeure
pour la validité du futur selon Al Suheibani (2008) aux cotés de la nécessité de recourir à ce contrat
pour des raisons de couverture et non de spéculation, ce qui nous met, somme toute, bien loin des
contrats actuels quasiment tous liquidés avant l’échéance. Cet argument semble valable a priori, si l’on
reste dans le cas d’un contrat bilatéral non négociable, et si l’on met de côté d’autres raisons liées à
l’interdiction telles que la livraison physique, l’impossibilité de liquider la transaction par la
compensation ou encore la sécurisation du flux financier par rapport à tout investissement connexe
porteur de risque. Pour ces raisons, le consensus des savants reste malgré tout l’opinion retenue par
l’AAOIFI au regard de ces quelques voix critiques de l’interdiction.
Au niveau opérationnel, c’est dans un cadre de contraction économique sévère, suite à la crise
asiatique, que la Malaisie, contrairement aux autres juridictions, autorise203 les ventes futures du
CPO (crude palm oil)204, qui est la matière première de base permettant l’échange de liquidités entre
les banques (contrat type en annexe C.5). En parlant du cas malaisien, Kamali (1999, p5) affirme que
« vu l’impact du retournement actuel en Malaisie sur les volumes de trading, cela (autorisation des
futurs) devrait revigorer les volumes de trading et la liquidité ». Au niveau de ces contrats,
contrairement à la vente Salam, ce n’est pas seulement la livraison qui est différée, mais également le
paiement. Ces Futures peuvent éventuellement, en cas d’injection massive de liquidités de la part des
institutions locales ou de fonds étrangers, accentuer la déconnexion entre les prix réels et les actifs
sous-jacents, surtout si l’on garde à l’esprit que seuls 5% des CPO sont livrés (Obiyathulla, interview le
10/01/2014). Il est à noter que cette décision ne concerne que les futurs sur matières premières, et

203 Résolution de la securities commission suite à sa réunion du 26 Novembre 1997 (Resolutions of the securities commission shariah
advisory council)
204 Un exemple de contrat CPO est exposé en annexe

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- 218 -
non les futurs financiers. La commission met en avant le fait que le ‘’hedging’’ qui sera permis aux
producteurs de CPO leur permettra de réduire leurs coûts, et donc d’être plus compétitifs, ce qui est
en soi une valeur préservée.
Cette exception Malaisienne à la règle générale sur les futurs peut éventuellement avoir une
relation de cause à effet au niveau de la spéculation qu’il serait nécessaire d’étudier avec un peu de
maturité des CPO, notamment au niveau de la part qui sert au hedging par rapport à celle qui est
spéculative. Le taux avancé de 5% de livraison donne déjà une idée sur l’ampleur de la partie
spéculative. Cette exception vient en parallèle d’une autre exonération consentie par la Securities
commission Malaisienne, à savoir la possibilité de ne fixer le prix du contrat futur que le jour de la
transaction (Securities Commission, 2007, p37). Cette technique également appelée istijrar (détaillé en
annexe C.1) chez certains opérateurs de l’ingénierie financière islamique et populaire au Pakistan, tire
ses sources chez certains juristes anciens qui ont autorisé une transaction sur un prix qui sera fixé le
jour de la livraison du produit. Les contractants se mettent d’accord sur un intervalle de prix dans
lequel variera le prix final, qui sera en principe une moyenne des observations de prix au cours de la
période convenue. Ce genre de contrat, contrairement au principe théorique sur l’incertitude
précédemment évoqué, ouvre la voie à un certain niveau de spéculation (au sein de l’intervalle du
temps du contrat), dans la mesure où le prix est en partie incertain, élément qui contrevient à certains
principes théoriques de la FI, relatifs au Gharar. Si les conditions de livraison physique obligatoire et de
couverture, posées par certains avocats de la licéité des futurs, ne sont pas suivies lors de leur mise en
place, la proximité avec les utilisations actuelles des futurs n’en sera que plus grande. Ces types de
transactions dépassant légèrement la sphère malaisienne, nous pouvons arguer que la résilience
théorique à ce principe est seulement relative en pratique.

3.1.2.4 Prohibition du spoofing


Le spoofing est une pratique historiquement connue. La manipulation des marchés prenait des
formes diverses et variées. La seconde partie a permis de voir que le spoofing constitue aujourd’hui
99% des ordres transmis au marché. Il contribue de manière non négligeable à la spéculation ainsi qu’à
l’opacité des marchés.
Cette pratique est proscrite au niveau des principes de la FI. Etant considérée comme une
manipulation de la bonne volonté des autres enchérisseurs, elle a été classée dans les interdits. Ce
positionnement s’appuie sur un Hadith prophétique explicite en ce sens : « Le prophète a interdit les
fausses enchères » (Rapporté par Al Bukhari). L’interdiction est dans la droite lignée d’un des cinq sous-
principes de l’objectif majeur de préservation des biens que nous avons relevé au niveau de la

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- 219 -
première partie, à savoir la transparence au niveau des transactions. Cette interdiction est de nature à
fluidifier les transactions, diminuant les velléités spéculatives des acteurs s’inscrivant dans cette
optique de manipulation, souvent liée à la spéculation. La résilience de la FI à ce facteur de la
spéculation est théoriquement incontestable. Pour autant, les cadres dans lesquels évoluent les
produits financiers islamiques étant généralement conventionnels, peu de choses portent à penser
que cette résilience se traduira en pratique.

3.1.2.5 La transparence et la simplicité privilégiées


La FI institue parmi ses 5 piliers l’interdiction du Gharar, comme nous l’avons montré en
première partie et discuté plus haut. Toute opération équivoque ou trop complexe à cerner,
impliquant une asymétrie d’information pour l’un des co-contractants, est rejetée par le droit
musulman. Ces contrats trop complexes proscrits peuvent être source de conflits et de désaccords
majeurs, une idée omniprésente dans les analyses des savants musulmans quand ils traitent de la
question du gharar (Dharir, 1995). L’inflation de produits structurés complexes n’est théoriquement
pas possible dans un système financier islamique, pour la cause précitée, mais aussi dans la mesure où
le risque est inséparable de l’actif sous-jacent. Un autre élément diminuant l’asymétrie d’information
au sein des MFI est la prépondérance des opérateurs ayant un intérêt réel dans l’actif sous-jacent et
son éventuelle livraison dans le cas des marchandises (Ayyash, 2008, p23). Du point de vue des
fondements FI, la mise à l’écart de ces produits structurés complexes est de nature à rendre le système
plus transparent, moins exposé à la spéculation déstabilisante résultant de l’asymétrie d’information.
Ainsi, un SWAP de taux qui permettrait l’échange de flux variables contre des flux réels est
totalement proscrit par l’islam car il sépare l’actif de son flux d’une part et car il conduit à l’intérêt
d’autre part (échange de quantités différentes de monnaie). En fait, tout contrat structuré, liant deux
transactions initialement indépendantes et conditionnant l’exécution de l’une par l’autre est proscrit
dans la FI (Obiyathulla, 1999, p38), interdiction encore plus forte quand le contrat sous-jacent est
illicite, comme l’intérêt ou la vente al iinah. Les options ne sont également pas reconnues comme
actifs dotés de valeur et négociables de manière licite (Khan, Muntaqa et Abdul Salam, 2008, p24), et
sont proscrites à ce titre (norme 21 AAOIFI). Leur très haute volatilité les fait entrer dans la catégorie
des contrats spéculatifs (Al Suwailem, 2005, p146-176 ; Obiyathulla, 1997). Dans cette optique et « à
l’instar de l’avis sur les forward et les futurs, la position fiqhite contemporaine majoritaire sur les
options financières est pour l’interdiction (Smolarski et al., 2006) » (Abu Hamdane, 2013, p337). Parmi
les principales raisons avancées pour leur interdiction, nous avons :

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- 220 -
• « (1) Les options sont de simples ’’droits’’ de vendre et d’acheter et ne peuvent elles-mêmes être
achetées et vendues (problématique générale de la prime) ;
• (2) Les options entraînent un déséquilibre entre les deux parties à l’échange (idem) ;
• (3) Les options mettent en jeu des transactions ayant un caractère fictif, non-réel ;
• (4), les options correspondent à de la spéculation, à du Gharar et/ou du jeu. » (Abu Hamdane,
2013, p338).
D’ailleurs, le premier point est généralement la première objection avancée au niveau shariatique tant
le ‘’droit’’ ou le ‘’privilège’’ accordé par l’option n’est pas souvent admis comme étant une richesse
cessible (Uberoi et Khadem, 2011). La majorité des juristes s’accordent sur ce point (Abu Hamdane,
2013, p338). Pour autant, certains auteurs ont expressément suggéré la licéité des options et leur
négociabilité, à rebours des avis jurisprudentiels communément admis qui ne reconnaissent pas aux
options les caractéristiques de valeur négociable (Khan, Muntaqa et Abdulsamad, 2008, p13), comme
ce fut le cas de Kamali (2001). Certains, à l’instar de Klein (2014), Paul Olivier de son prénom, vont
même jusqu’à accuser les savants musulmans interdisant les options ‘’d’aveuglement’’ par rapport aux
dérives héritées de la ‘’pathologie de l’interprétation religieuse’’...
Les options sont par contre licites pour certaines d’entre elles, tant qu’elles restent intégrées au
contrat auquel elles sont rattachées, sans possibilité de les négocier indépendamment. Cet aspect
non négociable (Dharir, 2010) des options limite de manière considérable la spéculation. Chaque actif
doit demeurer lié tant au risque qu’au profit qu’il génère, selon le pilier de dépendance des profits des
pertes « Al kharaj bi daman », fondamental en FI. L’une des alternatives proposées par la FI aux
options est le urbun. C’est un produit qui se répand par ailleurs, mais dont la négociabilité reste l’objet
de débats au niveau des juristes, bien qu’à la base, la marchandisation de la promesse soit proscrite
(Hassan et Mahlknecht, 2011). Il consiste en une avance sur le prix, et à la différence de l’option call, il
est déduit du prix final à payer en cas d’exercice (Kammoun Masmoudi et Rhadbane, 2013). La
propriété du sous-jacent sur lequel l’acheteur a donné une avance (urbun) n’est transférée qu’une fois
que la totalité de la somme est payée (El Gamal, 2006). Cela implique que le urbun est une dette,
confirmant expressément son aspect non négociable. Ce produit n’est pas accepté par trois écoles de
jurisprudence205 car « ce contrat semble en contradiction avec la position du fiqh quant aux conditions
de transfert de propriété. En effet, le payement d’une partie du prix entraine le transfert immédiat de la
propriété du bien. Or, le contrat urbun contrevient manifestement à cette règle, puisque l’avance
consiste non pas en des frais de réservation, mais bien au payement d’une partie du prix, avec un

205 Hanafi, Maliki, Shafei

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- 221 -
éventuel transfert de propriété futur. Dès lors pour être licite, l’avance devrait être restituée à
l’acheteur en cas d’abandon de l’achat (puisqu’il n’y a pas eu transfert de propriété) et non conservée
par le vendeur, sans contrepartie. De fait, les avis des jurisconsultes sont partagés quant au bay al-
’urboon » (Klein, 2014). Il est toléré par l’école Hanbalite qui s’appuie sur un récit remontant au second
calife, Omar (Kamali, 1997, p17-18). Cette école domine dans la péninsule arabique. Cet état de fait
rend ce produit actuellement courant dans la région, bien que pas assez crédible. Dans l’état actuel des
choses, il n’y a pas à notre connaissance de négociabilité du Urbun dans les MFI. Quelle serait donc la
pertinence de considérer le Urbun comme produit dérivé ?
Selon les conditions y afférentes, il ne peut être utilisé que dans un contrat particulier, entre
deux individus, si ces derniers sont de l’avis de l’école Hanbalite. « Le contrat ‘urbun repose sur une
avance de payement, dont le but pour l’acheteur est de se réserver l’exclusivité d’achat sur un bien
durant une certaine période et non de profiter de la variation de cours du sous-jacent pour réaliser un
profit ; ni même de se couvrir contre la variation de cours d’un sous-jacent et encore moins de
réaliser des stratégies d’arbitrage. Ce n’est pas là sa finalité. Il peut être détourné de sa finalité
première d’avance pour devenir un instrument spéculatif ou de couverture, de la même manière que
cela peut être fait pour une avance conventionnelle dans tout contrat d’achat. Mais, il ne s’agit pas là
de son but. » (Klein, 2014, p7). Le urbun a cela de particulier qu’il indique que son implication est
généralement la vente d’un bien réel, contrairement à l’option dont l’objectif généralement est de
profiter des fluctuations des prix (Al Suwailem, 2000). Tant qu’il est rattaché au contrat de base sur le
sous-jacent, le urbun est accepté (AAOIFI). D’un point de vue pratique, nous constatons que pour le
moment, les MFI sont dotés d’instruments assez basiques au regard de l’extrême complexité des
outils conventionnels, ce qui réduit les risques de spéculation liés à ces éléments (Seshachellam, 2013,
p6). La tendance semble changer.
Figure 18 : Les différences entre le call et le urbun

Source : L’auteur

Cette incitation à la transparence et à la simplicité n’est pour autant pas universelle au niveau
des juridictions utilisant des produits financiers islamiques. En Malaisie, plusieurs produits structurés
sont autorisés par les autorités locales, mais cela n’est pas un benchmark vu que la pratique est réfutée

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- 222 -
dans les autres juridictions. Les Swaps de profits et de devises (Haron et Nursofiza, 2008, p4) sont des
dérivés qui évoluent dans la sphère Malaisienne aux côtés des futures de CPO. Deux types de SWAPS
sont utilisés :
• IPRS (islamic profit rate SWAP), qui permet d'échanger des flux fixes en flottants ;
• ICCS (islamic cross currency SWAP), qui permet d'échanger les flux générés par
deux devises différences.
Ils s’appuient sur une fatwa d’Ibn Taymiya autorisant ce qui serait qualifié aujourd’hui de « SWAP
d’usufruit » (Arbouna et El Islamy, 2008, p12), sans pour autant questionner la négociabilité à l’époque
de sa fatwa.

Figure 19 : Schéma récapitulatif du fonctionnement des SWAPS en Malaisie (Obiyathulla et al, p323)

D’une manière plus générale, les constats pratiques au niveau des tendances des marchés
financiers permettent de noter que bien souvent, les produits ne sont que des répliques de produits
conventionnels, en plus complexe (Kuran, 2004 ; Khan, 2010 ; Hideur, 2013 cités par Siddiqi (2009)).
Cette complexité, qui s’explique par la volonté de répliquer des produits déjà existants en faisant de
larges détours juridiques pour leur donner un aspect islamique, est d’ailleurs l’un des défis majeurs de
la FI (Haron et Nursofiza, 2008, p8).
L’une des explications sur la prolifération de ces instruments est le fait que les montages se
font généralement par des cabinets juridiques conventionnels (Omar, Abduh et Sukmana, 2013,
p101). « Cela donne des produits complexes, difficiles à comprendre, coûteux à structurer et mettre en
place, combinant plusieurs contrats individuellement licites mais dont la composition va à l'encontre
des objectifs de la sharia ». En effet, la majorité des acteurs de la FI proviennent des institutions
conventionnelles et ont une tendance naturelle à transposer les produits qu’ils savent déjà faire
(Ascarya et Yumanita, 2008, p33).

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- 223 -
Lorsque ces produits sont analysés de plus près, nombreux sont ceux qui s’avèrent être des
subterfuges dont l’objectif est de camoufler un produit de dette simple avec une rémunération
garantie, importé de la finance classique, comme c’est le cas des Sale et Lease-back Sukuk (Al Amine,
2008, p7). Selon ce dernier, « l'actif introduit dans la transaction n'a qu'un rôle de figurant pour
légitimer la transaction » ce qui explique un peu plus les causes de cette complexité inutile. Dans les
faits, les contrats impliquent plus souvent des jeux d’écritures que des transactions réelles, à travers
des contrats pourtant très complexes. C’est par exemple le cas de nombreux Sukuk Wakala qui ne font
intervenir que deux acteurs, le mandataire (fournisseur) avec le client lui-même, ce qui se traduit par
de simples jeux d’écritures comptables, sans mandat réel. Ce cas a été relevé pour des Sukuk sur
l’aluminium, de la banque CBB, basés sur le contrat Salam (Omar, Abduh et Sukmana, 2013, p99).
D’autres produits sont en pleine expansion, comme le Wa’ad (promesse équivalente à une
option conventionnelle) profitant d’un flou dans les positions des savants. Certains s’appuient sur l’avis
de quelques savants qui ont avancé que les droits sont de plusieurs catégories (immuables, comme
l’héritage et le droit de garde d’enfant, ou relatifs comme le droit de passage ou le droit de boire) et
que certains droits relatifs peuvent faire l’objet de cession car ils constituent un actif (Ngadimon, 2008,
p6), bien que l’avis juridique soit extrêmement controversé et rejeté par les conseils de jurisprudence
internationaux contemporains. Selon la norme 27 AAOIFI, le Wa’ad bilatéral ou payant est proscrit.
Certains schémas de montages de Wa’ad de SWAP permettaient de faire bénéficier des investisseurs
de la FI de profits issus de transactions non conformes, procédure contestée par Yusuf Talal Delorenzo,
un des membres du comité sharia du Dow Jones Islamic (Salwani, 2008, p11). Ce dernier a pourtant
validé le Wa’ad de SWAP si les deux portefeuilles sont licites, ce qui fut contesté également. Le Wa’ad
unilatéral gratuit et non négociable, lui, est une promesse d’achat/vente qui produit ses effets au
moment de sa déclaration. Cette promesse est utilisée lors de montages financiers.
Figure 20 : Schéma récapitulatif du Wa’ad

Source : Labniouri, 2012

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- 224 -
En tout état de cause, ces produits demeurent controversés d’une part et peu d’entre eux sont
négociables d’autre part. Le risque de spéculation est donc présent mais, de là à le transformer en
risque important, il y a encore de nombreuses étapes à passer, notamment d’un point de vue du
volume. Aujourd’hui les transactions de la FI sont dominées par les transactions de base au niveau
bancaire et les Sukuk, généralement adossés à des actifs en théorie, même si en pratique, de
nombreux Sukuk sont plus des instruments de dette, un point que nous aurons la possibilité de
développer dans la suite de nos travaux. La résilience au niveau de la complexité est donc ancrée dans
les principes de la FI, notamment à travers les principes de transparence et de simplicité, mais les
contorsions juridiques de plus en plus impressionnantes sur les marchés et la tendance à la
réplication (Ayub, 2011, p5), amènent relativiser cette résilience.

3.1.2.6 Une méfiance naturelle à l’égard des produits dérivés


La tendance à la prééminence des produits dérivés par rapport à l’économie réelle est
improbable, voire impossible dans un système financier islamique dans la mesure où la quasi-totalité
des produits dérivés sont considérés comme illicites, du point de vue du droit musulman, car ne
remplissant pas les principaux objectifs de la FI (actif réel sous-jacent, interdiction du maysir,
interdiction des taux d’intérêt, interdiction du Gharar). Rappelons ici l’intervention de Mufti Taqi
Usmani, lors d’une conférence à la London School of Economics en date du 30/11/2014 : « Les dérivés
islamiques sont une chose qui ne peut exister »206. Parmi les raisons les plus avancées relativement à
l’interdiction des produits dérivés207, Abu Hamdane (2013, p118) en a recensé quatre :
• Absence d’un transfert réel de marchandise (ou du sous-jacent), voire de propriété préalable
(la vente de ce qui n’est pas transféré étant interdite, comme nous le démontrerons) ;
• 98 à 99% des transactions soldées à travers la compensation sans livraison (caractère fictif) ;
• Le report de la livraison et/ou paiement (le report des deux contreparties étant interdit) ;
• L’évaluation dépendant d’états aléatoires (spéculation / incertitude) et la similarité avec les
jeux de hasard (notamment à travers la vente de dette, les transactions adossées aux intérêts,
la vente de ce qu’on ne possède pas, vente de droits purs, transferts de propriété virtuels…).

Les produits dérivés, d’un point de vue islamique, se caractérisent par :

206http://blog.yurizk.com/mufti-taqi-usmani/ (24/04/2017)
207« L’Islamic Fiqh Academy de l’OIC (Organisation of Islamic Conference) a émis un avis défavorable aux FWD et FUT conventionnels
dans sa Résolution no. 63 (7/1) : Islamic Fiqh Academy, OIC, Résolution no. 63 (7/1), 7ème session, 9-14 mai 1992, cité dans Kunhibava,
2010, op. cit., p. 12. La même position a été prise par le Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche : European Council for Fatwa
and Research, Rapport final de la 12ème session ordinaire, Janvier 2004, cité dans : Ibid., p. 12 (voir : Amine, 2008). Parmi les figures-clés
penchant du côté de l’interdiction de ces contrats figurent de même le Mufti M.T. Usmani (1992 et 1996), Sh. Gari (1992, 1993 et 2006),
Chapra (1985) et d’autres. Kamali (2002) cite parmi les plus anciens : Suleiman (n.d.) et Abdelbassit (n.d.). Nous renvoyons à la note
précédente. » (Abu Hamdane, 2013, p331)

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- 225 -
• L’aspect hasardeux et spéculatif (Maysir) ;
• La complexité et l’incertitude importante (Gharar) ;
• Le jeu à somme nulle (Dholm) ;
• Le fort effet de levier (Riba). (Khan, Muntaqa et Abdul Samad, 2008, p6).

Les deux premiers aspects sont pour certains chercheurs à mettre sur une même échelle, le maysir
étant la manifestation extrême du Gharar, et le « bay al gharar » devant être traduit littéralement par
« Vente du risque » (Gamal, 2001). Or, « il est facile de démontrer qu’un dérivé classique simple
vérifie ce concept de ‘’vente de risque’’ » (Abu Hamdane, 2013, p349) dans la mesure où la condition
de jeu à somme nulle est vérifiée. Ainsi, les produits dérivés contreviennent donc aux principes de la
FI de plusieurs points de vue.
Les IFI ne sont alors pas autorisées à s’investir dans les produits financiers structurés risqués
(Belabes, 2013, p5). L’ensemble du système financier islamique se veut être un système ‘’asset backed
finance’’, c'est-à-dire épousant totalement la sphère réelle des échanges de biens et services. C’est
d’ailleurs ce qui constitue l’une des cinq piliers communément admis de la FI : la nécessité d’adosser
toute transaction à un actif réel (Belabes, 2013, p5).
En outre, vu que la FI impose d’avoir seulement des transactions immédiates dans ce marché,
les produits dérivés sur les devises sont de facto éliminés. Le risque de change ne peut être traité que
de manière mutualiste en FI, et non lucrative (Al Suwailem, 2006, p118). L’analyse en seconde partie a
permis de voir que les dérivés sur le marché des changes se rapprochent d’un volume global de 50 000
milliards de dollars. La part des transactions immédiates sur les sous-jacents (les devises elles-mêmes)
étant bien plus infime (de l’ordre de 2% comme nous l’avons vu en introduction), nous pouvons
considérer que dans un MFI, entre 95 et 98% des échanges sur les marchés des changes devraient
disparaître, car portant sur des produits dérivés ou des transactions ne satisfaisant pas les critères de
la règle de récupération (l’immédiateté pour les devises).
Notons au passage que la Malaisie, contrairement aux autres juridictions (9 pays adoptant les
normes AAOIFI, dont la 21 interdisant les SWAPS), autorise les Swaps de profits et certains dérivés, ce
qui peut amener à se demander si la spéculation est plus favorisée dans son cas. D’ailleurs, le modèle
malaisien semble plutôt interdire la spéculation excessive et non la spéculation dite ‘’tolérable’’
(Application of options in Islamic Finance, ISRA research paper 46/2012, p8).
Dans cette juridiction Malaisienne, les produits dérivés restent marginaux pour le moment,
nous sommes loin des chiffres de la finance. Leur part est minime, de l’ordre de 5% selon le directeur
du marché alternatif BursaMalaysia (entretien personnel réalisé à BURSA en Janvier 2014) alors qu’en

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- 226 -
finance conventionnelle nous sommes à 1200% du PIB mondial. C’est donc un risque qui ne semble
pas d’actualité pour le moment. Un inventaire des produits dérivés naissants au niveau des marchés
Malaisiens, et certains autres marchés, permet d’avoir une idée plus claire sur la tendance au niveau
des produits qualifiés de ‘’dérivés islamiques’’ :
• Le urbun, option d’achat intégrée ;
• Les options conventionnelles (calls et puts) ;
• Les Swaps dites ‘’islamiques’’ ;
• Les futurs ;
• L’istijrar ;
• Le Wa’ad (promesse d’achat, répliquant l’option call), notamment sur
devises ;
• Le currency Salam ;
• Les bons de souscription d’action (securities commission, 2007, p64).

L’état actuel des produits islamiques est pour l’instant très loin d’une domination des
transactions par les produits dérivés, mais la tendance s’accélère, selon Al Suwailem (entretien
personnel réalisé en 2014). La résilience théorique semble à relativiser de plus en plus dans les faits.

Conclusion du chapitre
Ce chapitre a permis de constater dans quelle mesure les principes fondateurs de la FI sont
résilients aux facteurs de la spéculation que nous avons choisi de qualifier d’endogènes. Les principes,
pris dans leur globalité, sont résilients. L’analyse détaillée a permis cependant de mettre en évidence
un certain nombre de lacunes relatives à la résilience à certains facteurs, lorsqu’il s’agit d’évoquer le
volet pratique. C’est le cas notamment des facteurs liés aux comportements dans un premier temps.
Ces derniers sont les plus délicats à cadrer quel que soit le contexte financier dans lequel nous nous
plaçons. Hormis l’engagement personnel et la conviction des opérateurs eux-mêmes, peu de systèmes
sont susceptibles d’influer sur ces éléments relevant de l’ordre de l’intime et du non-dit. Pour ce qui
est des transactions, les choses sont déjà plus évidentes à cerner. Les principes de la FI, comme
démontré, sont résilients à cette sous-catégorie de facteurs. Au niveau pratique, la résilience persiste
pour un certain nombre d’entre eux de manière assez claire, comme la vente à découvert. Pour
d’autres, la résilience est à relativiser en pratique, notamment la complexité des produits, les ventes
futures et surtout le spoofing. Après avoir passé en revue l’éventail des facteurs endogènes, qu’en est-
il des facteurs exogènes de la spéculation ?

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- 227 -
CHAPITRE II

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- 228 -
3.2 Résilience de la FI aux facteurs exogènes de la spéculation
Ce groupe de facteurs a souvent été dépeint comme étant l’un des principaux catalyseurs de la
spéculation par les économistes, et ce depuis plusieurs siècles. En effet, ce sont ces éléments-là qui ont
été en partie à l’origine de la dernière crise des subprimes, et qui ont joué le rôle de décisif en
amplifiant la crise sur les prêts hypothécaires américains au-delà des leurs frontières géographiques
(Jarrow, 2013). C’est dans cette perspective que cette seconde partie se concentrera surtout sur les
facteurs de la spéculation liés au contexte réglementaire, financier et économique du marché. Ci-après,
nous essaierons d’exposer, autant que faire se peut, un à un, ces facteurs, afin de les confronter aux
principes théoriques de la FI et analyser si ces derniers corrigent ces facteurs de la spéculation, et dans
quelle mesure.

3.2.1 Cadre réglementaire


3.2.1.1 L’arbitrage réglementaire et fiscal
La pratique de l’arbitrage, nous le savons maintenant, permet de domicilier et faire circuler des
produits qui ne respectent pas toujours les consignes des autorités de contrôle, du fait des latitudes
données par l’existence de paradis fiscaux, ou de places financières moins exigeantes, dans un marché
mondialisé. La FI est, en principe, basée sur un corpus de normes cohérentes et suivant une certaine
logique, celle des cinq objectifs majeurs, ou universaux, de la charia. L’opérateur est tenu d’agir dans la
perspective d’améliorer le développement local et d’avoir un impact positif sur son environnement
le plus proche. C’est d’ailleurs l’un des objectifs fondateurs de la FI, parallèlement à la réduction de la
pauvreté et l’action dans un cadre islamique. Cet état de fait diminue la latitude des arbitrageurs vu
qu’ils seraient en contradiction avec les objectifs d’impact local et positif, notamment lorsqu’ils ont des
objectifs spéculatifs.
Cependant, d’un point de vue plus global, certaines lacunes, en termes de gouvernance de la FI
dans le monde, ont été recensés par DeLorenzo et McMillen (2013, p37) comme suit :
• L’existence de plusieurs juridictions ;
• L’utilisation de devises différentes ;
• La divergence des cadres chariatiques ;
• La réglementation tantôt islamique, tantôt conventionnelle, tantôt duale.
Cette diversité de cadres, dans une industrie naissante, est de nature à pousser les arbitrages
réglementaires (Grewal, 2013, p21 et Haron et Nursofiza, 2008, p8), et mettre en avant les places les

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- 229 -
moins exigeantes, et donc alimenter ces juridictions en fonds qui pourraient être fortement spéculatifs.
Ces derniers s’orientent toujours, de manière naturelle, vers les juridictions les plus souples. Un
marché mondial des capitaux islamiques non intégré pourrait, en outre, conduire à une course au
moins disant en termes de régulation (Ibrahim, 2008, p20). C’est le phénomène connu et qualifié dans
les milieux des professionnels de la FI de ‘’Sharia arbitrage’’. La tendance à la compétitivité juridique
s’accélère avec l’intégration de l’Asie dans le marché mondial, avec certains avocats d’affaires qui
prévoient que l'influence de l'Asie en matière de compétitivité juridique est inéluctable dans les années
à venir (Darrois, 2012, p5-14). Cet arbitrage sur la sharia, à travers des montages successifs de
sociétés écran et off-shore, a été assimilé par El Gamal (2005, p12) aux montages utilisés par les
criminels dans le cadre du blanchiment d’argent, qui passent également par des montages successifs
de sociétés écran et off-shore. L’arbitrage sharia a pour but de séparer les parties conventionnelles
(sources) de la même transaction de ses parties islamiques, alors que les montages de blanchiment ont
pour but de séparer également la source des fonds de sa destination. Le parallèle est choquant, osé,
mais demeure troublant aux yeux des praticiens, pour qui cela fait du sens.
Par ailleurs, au-delà de la domiciliation des fonds spéculatifs, certaines opérations spéculatives
peuvent avoir lieu entre des juridictions abritant la FI comme par exemple les arbitrages sur les devises.
Un autre exemple est celui de certains fonds d’investissement qui établissent des partenariats avec des
fonds conventionnels dans des opérations commerciales douteuses, afin de répliquer, en tant que
véhicule d’investissement, les flux d’options ou de dérivés, sans avoir à traiter directement de ces
dérivés (El Gamal, 2005, p11). Le fait que la majorité des Shariah Boards actuels soient surtout dans
une posture réactive et focalisée sur des problématiques micro-légalistes à l’échelle des produits
(Casey, 2013, p3), ne permet pas de s’attendre à une amélioration de la situation dans le court-terme.
Un développement réel supposerait une proactivité et un degré de dynamisme certain (Anjum, 2008,
p25). De nombreux économistes islamiques soulignent que les comités charia actuels sont prisonniers
de leur vision micro-légaliste et ne perçoivent pas les implications macro-systémiques et à long-terme
de certaines de leurs Fatwas. Une conformité strictement micro-légaliste est loin de suffire à garantir
un système plus stable, juste et efficient (Nienhaus, 2013, p18).
Actuellement, le marché du conseil juridique en FI pour les Sukuk est dominé par des
institutions non islamiques, qui endossent ce rôle d’arrangeur. Ce rôle confère plusieurs fonctions :
• Le choix de la structure du sak ;
• La veille au respect des règles de la Shariah permettant ainsi un meilleur accueil par le
marché du sak ;

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- 230 -
• Les aspects légaux ;
• La planification ;
• L’établissement du business plan ;
• L’évaluation des actifs ;
• L’exécution et la documentation ;
• Les plans de sortie du sak ;
• Les actes d’achat et de vente ;
• L’ingénierie fiscale ;
• Les aspects publicitaires.
Or, les cabinets juridiques qui dominent la sphère financière islamique sont précédés par de
nombreux cas d’arbitrage ou de facilitation d’arbitrage et d’optimisation. La réplication de cet esprit
avec les règles charia n’est pas un risque, c’est une expérience déjà observée sur le terrain pour de
nombreux Sukuk. Dans un tel contexte, l’arbitrage réglementaire et fiscal n’est pas près de
disparaître au niveau des pratiques de la FI, c’est même le contraire qui semble se produire. Les
tableaux ci-après donnent une vision des acteurs dominant le marché des arrangeurs et des banques
d’affaires travaillant sur les Sukuk en FI.

Figure 21 : Principaux cabinets juridiques délégataires des Sukuk internationaux208

Source : CIMB

Ces données permettent de confirmer les constats préliminaires. Le tableau démontre même
que l’ensemble des leaders du marché du conseil juridique pour le montage de Sukuk est d’obédience
conventionnelle. A cet égard, de nombreuses habitudes et pratiques de la finance conventionnelle,

208CIMB Principal Islamic Asset Management (décembre 2014), Global Sukuk Snapshot, Monthly Commentary. URL : http://www.cimb-
principalislamic.com/Monthly_Commentary-@-Global_Sukuk_Snapshot_-_December_2014.aspx

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- 231 -
basée sur la complexité et le prêt à intérêt, se retrouveront inéluctablement dans les contrats de Sukuk
islamiques. C’est en réalité le plus souvent le cas, comme nous avons pu le constater à la lecture de
certains d’entre eux. Au final, bien des contrats ne comportent que des différences de façade par
rapport aux obligations. La recherche des places financières les plus souples en termes de fiscalité et
de réglementation suivra naturellement cette tendance à la réplication.

Figure 22 : Principales banques d’affaires pour les montages de Sukuk internationaux

Au niveau des banques d’affaires, la même problématique est relevée. Pour autant, nous
relevons dans la liste quelques IFI. En effet, contrairement aux cabinets juridiques, les banques
d’affaires sont plus exposées en ‘’front office’’. Ce dernier est dans certains cas plus exigent quant à
l’origine de la firme qui effectuera le montage et la commercialisation du produit. Par ailleurs, bien
souvent, afin d’améliorer l’image, les responsables des Sukuk font appel à un duo composé d’une
banque conventionnelle et d’une IFI. La liste demeure malgré tout dominée par des banques
conventionnelles. Le marché de la FI étant prometteur, et parfois exigent, les opérateurs bancaires
n’ont pas hésité à s’y déployer en établissant les partenariats nécessaires avec les juristes et certains
comités sharia parfois laxistes, afin d’offrir à cette clientèle une version refondue et répliquée de leur
produit initial, sous un label islamique (El Gamal, 2005, p4).
En tout état de cause, bien que les principaux objectifs de la FI abondent dans le sens d’une
orientation locale et développementale de la FI, loin des velléités d’arbitrage réglementaire et fiscal
tant ce dernier favorise la spéculation, la pratique semble prendre une orientation bien différente,
ne divergeant quasiment pas avec les pratiques financières mondiales dominantes. La résilience au
niveau de ce facteur demeure donc uniquement théorique, dans l’état actuel des choses.

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- 232 -
3.2.1.2 Transparence et opérations parallèles
Les principes de la FI sont orientés vers la transparence, qui est un élément découlant de
l’objectif de la préservation des biens, lui-même un des cinq objectifs majeurs de la charia. Ce principe
fait notamment partie de la notion de gharar, déjà amplement discutée. Les gestionnaires ainsi que les
mandatés se doivent de traduire de la manière la plus transparente possible les activités et les comptes
du projet ou portefeuille géré. Dans un SEI, si nous partons du principe que les opérations et les
comptabilités parallèles ont pour objectifs de cacher certaines écritures ou transactions, il va de soi
qu’elles contreviennent aux principes de la FI. A cet égard, elles ne sont pas censées exister dans cette
sphère. Les procédés qui relèvent de ces pratiques devraient en théorie être écartés.
Cependant, une enquête directe que nous avons personnellement mené auprès du directeur
des marchés islamiques au sein de la bourse Malaisienne (Janvier 2014) a permis de relever que même
dans le cas de BursaMalaysia, il y a un nombre important de transactions qui se font de gré à gré. Bien
que le gré à gré soit nécessaire dans n’importe quel marché, il arrive souvent que les opérateurs
souhaitant peu communiquer sur une transaction y fassent appel. Le gré à gré n’étant pas directement
en rapport avec les principes centraux de la FI, notamment au niveau de la jurisprudence, il reste du
ressort du législateur, et donc présente un risque d’opacité qui peut éventuellement constituer une
entrave au bon fonctionnement du système financier islamique.
En effet, la part des transactions de gré à gré est très importante dans le système classique, à
tel point que dans une dépêche de Reuters, Andreas Dombret, membre du directoire de la Bundesbank,
a déclaré que le « shaddow banking » (opérations bancaires effectuées par des opérateurs non
bancaires) et les transactions de gré à gré sont le plus important défi auquel les régulateurs ont à faire
face. Ainsi, la recherche de transparence, principe de la FI, est possiblement compromise vu le manque
d’encadrement dédié. Ce facteur de la spéculation fait partie de la catégorie de ceux auxquels les
pratiques de la FI, à leur degré actuel de maturité, ne semblent pas fournir de réponse adéquate. Si
nous greffons au gré à gré les défis liés aux modes opératoires de normes comptables actuelles,
notamment la comptabilisation de nombreux dérivés en hors bilan, pratique reprise bien souvent par
les opérateurs de la FI, vu qu’ils évoluent dans un contexte conventionnel, alors la résilience n’en
devient que moins probable. Bien que les principes de la FI encouragent la transparence, les
pratiques au niveau de ce facteur de la spéculation ne sont, pour l’instant, pas en ligne, ce qui rend la
résilience à ce facteur purement théorique.

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- 233 -
3.2.1.3 La gouvernance économique et charia au cœur des préoccupations
Au vu des contraintes et des cadres dans lesquels évolue la FI, nous pourrions penser de prime
abord que la question du contrôle ne se pose pas avec autant d’importance que dans un système
conventionnel. C’est le rôle de la bonne gouvernance. La gouvernance et la régulation obéissent à des
modes opératoires légèrement différents en FI. D’aucuns considèrent que le mode de fonctionnement
intrinsèque des IFI contribuerait automatiquement à une meilleure gouvernance et donc plus de
stabilité et moins de possibilités de spéculer :

Encadré 3.1 : L’aléa moral chez les IFI

« (…) le quatrième argument est lié aux problèmes d’aléa moral des banques, c’est-à- dire le
fait que les dirigeants des banques peuvent être incités à prendre des risques excessifs au
détriment des déposants ou des états. Les déposants des banques conventionnelles ont peu
d’incitations à surveiller l’état financier de leur banque quand ils sont protégés par un
mécanisme d’assurance des dépôts. Une telle situation peut dès lors favoriser une prise de
risque excessive des dirigeants des banques : ceux-ci savent que les déposants ne risquent
pas de retirer leur argent de leur banque ou d’exiger un taux d’intérêt sur les dépôts plus
élevé s’ils prennent des risques importants avec l’argent des déposants. En revanche, les
déposants des IFI ont des incitations radicalement différentes : ils doivent surveiller les
banques comme leur rémunération est totalement liée à la performance de la banque, en
l’absence d’une rémunération fixe sans lien avec le profit de la banque. Les IFI devraient
ainsi être mieux disciplinées par leurs déposants incités à sanctionner tout comportement
d’aléa moral des dirigeants des banques par un retrait de leur épargne » (Weill, 2013, p3).

La bonne gouvernance est doublement consolidée : Les normes de l’AAOIFI sont adoptées par
une dizaine de pays dont :
• Bahreïn ;
• Dubai ;
• Jordanie ;
• Qatar… (Seshachellam, 2008, p27).
Elles sont aussi le reflet d’un certain professionnalisme au niveau du traitement des questions de
bonne gouvernance.
Il y a, par ailleurs, une étape clef dans tout processus de décision de commercialisation d’un
produit financier, c’est la validation de la conformité par rapport à la Charia de ce produit par un

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- 234 -
contrôle externe, et le contrôle de conformité au niveau de l’application à l’aide d’un contrôle interne,
en plus des contrôles financiers classiques. La sphère financière doit rester en cohérence avec la
sphère économique réelle. Tout actif vendu doit être au préalable possédé par son vendeur. Cette
étape (contrôle de conformité) supplémentaire dans la régulation interne des IFI, est souvent doublée
d’une étape externe similaire lorsque le pays dispose d’un Comité de charia National tel que :
• Le Soudan ;
• La Malaisie ;
• La Syrie ;
• Le Maroc…
Elle est aussi doublée d’une étape externe quand on fait appel à des experts indépendants. Cela
permet de renforcer la régulation et la gouvernance dans ce système et évite de tomber dans les
dérives, notamment spéculatives.
Les IFI doivent, en effet, non seulement se conformer aux mêmes étapes de contrôle que les
banques (audit interne/externe), mais aussi se plier aux règles de la charia et au contrôle des comités
charia. La Malaisie a institué, depuis 2008, l’obligation pour tout fond d’investissement islamique de
disposer d’un comité interne de contrôle charia ainsi que d’avoir deux membres musulmans parmi le
comité d’investissement (Seshachellam, 2008, p26).
Notons que certaines lacunes peuvent se manifester au niveau de ce système de gouvernance
assez solide. Tout d’abord, si le cadre dans lequel évolue l’IFI est peu régulé, comme dans un paradis
fiscal, une panoplie de brèches seront trouvées par les ingénieurs financiers de l’IFI afin d’optimiser, si
ce n’est contourner certaines régulations. De nombreux fonds d’investissements opérant dans la FI
sont actuellement domiciliés dans des paradis fiscaux, et c’est également le cas pour certaines IFI. En
outre, l’hétérogénéité des cadre opératoires et des environnements shariatiques est de nature à
affaiblir cette bonne gouvernance en permettant aux institutions de procéder, parfois, à des
arbitrages sharia. Enfin, lorsque les comités, chargés de réguler l’institution, sont rémunérés par
l’institution commanditaire ou selon des schémas ne prévenant pas le conflit d’intérêt, ils auront
naturellement tendance à être plus laxistes ou permissifs lorsque les contraintes économiques
l’imposent. Ces failles relèvent actuellement plus de la régulation nationale de chaque place financière,
et ouvrent éventuellement la voie à certains abus spéculatifs qui deviennent désormais possibles. La
résilience à ce facteur de la spéculation, bien que plus significative que dans un cadre conventionnel,
est donc à relativiser, malgré la persistance de l’entité de contrôle majeure qu’est le comité sharia.

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- 235 -
3.2.1.4 Perception des lobbys
Le lobbying prend plusieurs formes et se décline en plusieurs pratiques selon les zones et les
latitudes possibles. Dans ses pratiques les plus contestables, il est indiscutablement un facteur de la
spéculation comme démontré dans la seconde partie. Le lobbying peut être dans une logique objective,
d’explication de positions à travers des conférences, des débats ou des reportages pour défendre des
intérêts légitimes ou des objectifs louables (protection des réfugiés, de l’environnement, de la
transparence...) ; mais il peut aussi prendre des formes moins louables, et qui ont été l’objet essentiel
de nos propos en seconde partie. Lorsque le lobbying devient militant, au point qu’il s’autorise certains
écarts afin de faire passer certaines lois ou réglementations favorables, de manière illégitime, à tel ou
tel secteur, alors il devient plus contesté. Lorsqu’il faut, en lieu et place de manifestations publiques
comme les conférences ou les reportages, passer par des initiatives et des avantages privés
(invitations, voyages, rétro-commissions…), alors, du point de vue de la FI, il devient assimilable à de
la corruption. La corruption est totalement réprouvée par de nombreux textes et principes de la FI.
La corruption est évidemment réprouvée, même dans les lois actuelles, mais les frontières sont
poreuses, et il est difficile d’identifier, dans certains cas, ce qui est corruption de ce qui ne l’est pas. En
FI, certaines pratiques sont moralement réprouvées, avant de l’être juridiquement, en pratique.
Aujourd’hui, il est clair que toute intention d’imposer les intérêts de telle ou telle filière est aussi
possible dans les pays musulmans que dans les autres. La FI n’apporte aucune réponse juridique
pratique à ce facteur, si ce ne sont les textes tirés du Coran et des Hadiths qui condamnent
explicitement cette pratique, mais qui demeurent du ressort de l’individu, et ne sont pas vérifiables en
pratique, comme le verset « Ne dévorez pas vos biens entre vous de manière illégitime » (Coran, 2.188)
ou le Hadith « Dieu a maudit le corrupteur, le corrompu, et l’intermédiaire » (Ibn Hanbal). Ce facteur de
la spéculation, lui aussi, est donc plus du ressort de la régulation, si régulation il y a, dans le MFI
concerné. La résilience à ce facteur est donc purement théorique en l’état actuel.

3.2.1.5 Cotation continue et fréquence des transactions


Les marchés boursiers ont été qualifiés par certains économistes d’économie casino (Keynes,
1936), tant les transactions semblent déconnectées des marchés réels. Avec l’avènement des NTIC,
cela s’est confirmé, comme démontré dans la seconde partie. Il est à noter que les pratiques de
Daytrading sont très courantes, et 90% des daytraders sont perdants au final (Al Suwailem, 2006).
A rebours, l’aspect réaliste de la FI se manifeste par plusieurs directives, comme le pilier de la
tangibilité, et d’autres recommandations prophétiques, à l’instar de l’interdiction des fausses enchères

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- 236 -
qui rend impossible le spoofing ou encore l’interdiction de revendre les marchandises sur le même lieu
que celui de la première vente209, interdiction fondamentale, outrepassée par quasiment l’ensemble
des opérateurs boursiers contemporains. En FI, la revente d’une marchandise nécessite une prise de
possession réelle, un contrôle de conformité de la marchandise ainsi que son déplacement en un lieu
différent210. Ce dernier point requiert une analyse plus poussée tant son impact est significatif s’il
venait à être appliqué dans un marché, notamment par rapport à la spéculation. Nous prenons
quelques lignes pour revenir sur ce principe de transfert de marchandise en annexe (C.2 ; C.3 ; C.4).
Cet avis tranche sérieusement avec la pratique du commerce international sur laquelle
s’appuie la spéculation. Ces barrières aux mouvements spéculatifs, rapides et excessifs, ne sont pas
sans intérêts dans un système financier qui cherche à réduire la spéculation autant que faire se peut.
Ces freins sont absents au sein du système conventionnel. C’est à ce titre que le conseiller sharia d’Al
Baraka group avançait que « la vitesse des opérations d’investissement met plus de doutes sur les
marchés de matières premières, qui sont eux-mêmes pleins d’incertitudes » (Abu Ghudda, 2008, p25).
Il existe par ailleurs une piste de réflexion concernant la durée de détention des actions, dans
la mesure où ces dernières ne font pas l’objet de déplacement physique mais simplement
d’appropriation réelle, et donc sont plus faciles à utiliser dans un mouvement spéculatif, comme tout
actif intangible (Cf, l’idée déjà introduite par Kaldor en 1939 en ce sens). En tout état de cause, ce sont
d’abord les matières premières et les biens de première nécessité (voitures, immobilier, matériaux de
construction…), nécessaires à la survie des populations les plus vulnérables, que le système financier
islamique cherche à protéger en priorité. Cette protection est actuellement absente dans le système
classique qui spécule même sur les matières premières sur les principales places où se négocient ces
dernières, à l’instar de la bourse de Chicago. En phase avec cette idée, en 2014, la commission
européenne a initié un processus pour légalement encadrer la spéculation sur les matières premières :
« Cette nouvelle législation introduit une limite aux positions que des traders pourront détenir sur les
marchés de dérivés des matières premières. Le but est de lutter contre l'hyperspéculation sur les
produits agricoles et de limiter les distorsions sur les marchés des matières premières. Elle doit encore
être formellement entérinée par les Etats »211.

209 « Le prophète a interdit de revendre les marchandises sur le même lieu que leur achat, jusqu’à ce que le commerçant les récupère
chez lui » Sahih Abu Dawud 3499
3499 ‫ حسنه األلباني في صحيح أبي داود‬: )‫النبي صلى هللا عليه (نهى أن تباع السلع حيث تبتاع حتى يحوزها التجار إلى رحالهم‬
210 « Nous achetions du temps du prophète (paix et bénédiction sur lui) de la nourriture, alors il envoyait des messagers à nous afin de

nous ordonner de transporter la nourriture à un lieu différent avant de la revendre » Muslim 1527
‫حدثنا يحيى بن يحيى قال قرأت على مالك عن نافع عن ابن عمر قال‬
‫كنا في زمان رسول هللا صلى هللا عليه وسلم نبتاع الطعام فيبعث علينا من يأمرنا بانتقاله من المكان الذي ابتعناه فيه إلى مكان سواه قبل أن نبيعه‬
211 http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/15/le-parlement-europeen-renforce-l-encadrement-des-marches-
financiers_4402140_3234.html#bdFP6QbFc3FYUIQk.99 (20/01/2015)

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Au niveau de la pratique de la FI, la tendance des nouvelles normes de jurisprudence (AAOIFI
entre autres) est la permission de revendre la marchandise même de manière immédiate, pourvu
qu’il y ait une référence claire à cette marchandise, et qu’elle soit en la possession de l’opérateur à
travers cette référence, mais aussi qu’il y ait une possibilité de livraison (après 7 jours dans le cas de
la Malaisie), et non qu’il y ait une livraison physique effective systématique (Jamaluddin Nor
Muhammed, directeur de BursaMalaysia, interview de Janvier 2014). Cette vision est partagée par
l’écrasante majorité des juridictions de la FI, même si elle semble à priori en contradiction avec les
prescriptions des textes, relatés en annexe C.2. L’implication immédiate est que ce cadre ouvre la
porte à la spéculation du type Daytrading qui a été autorisée par beaucoup de savants selon
Obiyathulla (entretien direct en Janvier 2014) et même du high frequency trading, permissible selon
M Jamaluddin, directeur de BursaMalaysia. Cela va dans le sens de ce qui peut être noté dans le
recueil des avis juridiques de la Securities Commission Malaisienne de 2007 dans lequel les auteurs
voient dans la permissibilité des enchères par l’Islam une raison de statuer favorablement sur la
permissibilité de spéculer sur les variations de prix à court terme (Securities commission, 2007). Pour
autant, actuellement, il n’y a qu’une seule cotation par jour dans la bourse Malaisienne dédiée à la FI,
nous sommes donc bien loin des constats cités plus haut.
Vu que les systèmes en temps réel (RTGS, real time gross settlement) dominent de plus en plus
de nombreux marchés (actions transférées en T+0 en Arabie Saoudite par exemple), nous sommes
devant une réelle possibilité de spéculation surtout pour les actions, même dans un cadre islamique,
sauf si les autorités mettent en place des réglementations ad hoc. Nous aurions donc une FI qui
prospérerait plus dans le virtuel que dans le réel, et qui se rapprocherait des dérives spéculatives
actuelles. Nous n’entendons pas pour l’instant de voix significatives au niveau des jurisconsultes
reconnus pour évoquer ce risque de manière détaillée et claire. Nous considérons que ce risque est
possible par rapport à l’évolution contemporaine de la FI. Il l’est d’autant plus que les savants sont
très divergents quant à l’obligation d’avoir un mouvement physique de la marchandise entre deux
transactions. Cette pratique, de virtualisation des échanges sans les coupler à des flux physiques,
intensifie la fréquence des transactions de manière effrénée, et concerne également les MFI, ce qui
peut remettre en cause leur résilience fondamentale et théorique à la spéculation. La résilience de la
FI à ce facteur est donc à relativiser sérieusement vu que la fréquence des transactions n’est
marginalisée qu’au niveau théorique.

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3.2.2 Contexte financier
3.2.2.1 Domination de l’analyse comportementale sur l’analyse
fondamentale
Si ce facteur est déterminant dans l’amplification de la spéculation, à travers les
comportements autoréférentiels (Orléan, 1988) et réflexifs (Soros, 2008), ainsi qu’à travers l’utilisation
exponentielle d’outils d’analyse basés notamment sur l’analyse chartiste, qui se concentre davantage
sur la psychologie et les comportements que sur les fondamentaux, nous voyons mal comment les
pratiques actuelles de la FI peuvent juguler cette tendance. Nous n’avons par ailleurs, même au niveau
des principes de la FI, que peu d’éléments permettant d’affirmer que l’analyse comportementale ne
dominerait pas l’analyse fondamentale au niveau d’un marché financiers islamique. A ce titre, parmi
les rares éléments que nous pouvons recenser pouvant juguler ce facteur, en partant de principes de la
FI, nous pouvons évoquer le principe de tangibilité. A partir de ce principe, la FI est censée évoluer en
symbiose avec les évolutions de l’économie réelle, et donc les analyses fondamentales. Ces dernières
devraient en théorie dominer les analyses comportementales dans la mesure où l’économie réelle
demeure la référence, plus que la psychologie de marché. Pour autant, il semble que l’encadrement de
ce facteur relève plus de la politique publique et des autorités de réglementation, que des principes
fondateurs de la FI. La résilience de la FI à ce facteur de la spéculation est, de ce fait, purement
théorique et sans aucune matérialisation pratique pour l’instant.

3.2.2.2 Logiques oligopolistiques et prévention des monopoles


D’un point de vue purement économique, l’oligopole est une structure de marché qui donne
mathématiquement les mêmes résultats que la concurrence, tant qu’il n’y a pas de collusion entre les
offreurs. C’est précisément cette collusion, facilitée par les situations d’oligopole et de duopole, que
cherche à éviter la CPP. L’oligopole, dès lors qu’il se décline en situation de cartel, donne des résultats
bien plus proches du monopole que de la concurrence, avec des prix et des profits plus élevés. Il
devient un ‘’monopole à plusieurs’’. C’est l’une des raisons principales qui rend les situations de cartels
interdites dans de nombreux pays. Un seul semble dépasser les lois : celui du pétrole, l’OPEP.
Parmi les éléments que nous retrouvons au niveau des principes économiques de l’Islam,
l’interdiction du monopole. Cette interdiction nous provient d’un certain nombre de Hadiths
prophétiques, dont le plus célèbre rappelle que « seuls les malfaiteurs monopolisent » (Muslim).
D’autres traditions invitent le musulman à ne pas trop stocker de nourriture, surtout en temps de
pénurie, ce qui n’est plus le cas de nos jours, dans un monde où l’on produit de quoi nourrir 12

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milliards de personnes, mais où en même temps plus d’un milliard de personnes ne mangent pas à leur
faim212... Ces prescriptions relèvent plus de la sphère morale et spirituelle et devraient être des
remparts contre les situations d’ententes illicites, de conflits d’intérêts dans un MFI.
Certains avis juridiques ouvrent, néanmoins, la voie à la possibilité de monopole en dehors des
matières premières, à l’instar de l’école malékite. En pratique, les outils pour cadrer ces éléments ne
sont pas d’actualité. La question de l’oligopole ne fait pas partie des agendas des principaux
régulateurs et conférenciers s’intéressant à la FI, si ce n’est le cadre conventionnel déjà établi. La
résilience à ce principe demeure donc principalement circonscrite aux principes théoriques de la FI.

3.2.2.3 La rentabilité liée aux activités réelles privilégiée


Ayant constaté que les produits à fort effet de levier, à revenu garanti ou dérivés sont
généralement écartés au niveau des principes de la FI, quels seraient les orientations des acteurs et
quels choix d’investissement auraient-ils dans le cadre d’un MFI ? En l’absence de revenu fixe garantit,
les épargnants et les spéculateurs sont théoriquement poussés à intégrer le circuit économique réel et
licite par le capital-investissement ou à travailler. Cette réorientation du capital et du travail vers les
activités plus productives est un apport supplémentaire en termes de production nationale et une
répartition plus juste des richesses (Askari et al 2010). Les facteurs ‘’capital’’ et ‘’travail’’ sont donc tous
deux valorisés, et nous pouvons même penser que le travail l’est bien plus dans la mesure où, toute
rémunération du capital déconnectée de travail ou de risque (capital-risque), est assimilable à de
l’usure, bannie en FI. Nous avons donc au niveau macro-économique une meilleure allocation des
ressources et des richesses. Les perspectives de fortes rentabilités financières à travers la spéculation à
court-terme sont largement réduites au vu des principes de la FI. La figure construite ci-après,
découlant d’un recoupement progressif que nous avons opéré de manière inductive entre les
principales prescriptions de la FI, permet de comprendre l’interaction des facteurs de production dans
un environnement financier islamique.
Etant une tentative d’avoir une théorie du risque dans le SEI, cette représentation graphique
permet de comprendre la portée du principe de tangibilité qui prévaut en FI. Tout d’abord, les facteurs
illicites sont d’emblée exclus, comme le travail illicite, le capital illicite ou le risque illicite. L’interaction
du capital à lui seul avec le facteur temps ne peut produire de revenu s’il n’est pas associé à un risque.
La transaction qui en découle est donc le crédit gratuit à titre bénévole. L’interaction du facteur travail
avec le temps, sans le facteur risque, permet d’obtenir un salaire en contrepartie de l’effort, sans
pourcentage de profit. L’interaction du capital avec un faible niveau de risque permet d’obtenir une
212 http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-02-18/la-terre-peut-nourrir-12milliards-d-hommes/920/0/425534 (08/03/2017)

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rémunération, à l’instar des loyers issus des placements immobiliers peu risqués, mais à l’exception
des placements purement monétaires, du fait de l’intérêt d’échange. L’interaction du capital avec un
risque licite plus important permet d’obtenir une rémunération non garantie, comme les pourcentages
de profits issus du capital risque licite. Le profit n’y est pas garanti. L’interaction du travail avec un
niveau de risque modéré permet d’avoir une rémunération moins sûre que le salaire, à travers la
Joala213. Si le risque est plus important, c’est le pourcentage de profit à l’instar de la Mudaraba.
L’interaction du travail et du capital, sans risque, peut rappeler des transactions comme l’Istisnaa, où
un client commande et paie un produit par avance dont les spécifications sont connues et simples.
Enfin, l’interaction des trois facteurs que sont le capital, le travail et le risque, toujours en intégrant le
facteur temps, se traduit par l’investissement dans ses formes les plus communes, le commerce ainsi
que d’autres activités génératrices de revenus et impliquent l’ensemble des facteurs, toujours dans un
cadre licite.
Figure 23 : L’interaction des facteurs de production dans un environnement financier islamique

Source : L’auteur

213 Joala : « La Joala est un arrangement en vertu duquel une personne s’engage à récompenser une autre personne, si celui-ci accepte
d’accomplir une tache donnée »
URL : http://www.institut-numerique.org/ii3-les-autres-produits-les-moins-utilises-le-Salam-listisna-la-joala-les-soukouk-ou-obligations-
islamiques-5266b925efbf2 (08/03/2017)

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Il convient néanmoins de constater que cette réorientation théorique vers l’économie réelle, à
travers le principe de tangibilité, doit encore faire ses preuves au niveau de la pratique. De nombreux
éléments laissent à penser que les opérateurs financiers arrivent, dans le cadre des pratiques actuelles
de la FI, à dégager davantage de revenus que la moyenne, ou que leurs alter-égos opérant dans les
circuits économiques réels. L’orientation vers des activités purement financières permettant ces
revenus supérieurs est une réalité, bien que moins prononcée qu’en finance conventionnelle,
notamment à travers les possibilités de levier limitées. Dès lors, la résilience de la FI à ce facteur de la
spéculation, bien que solide théoriquement, est également à nuancer sérieusement.

3.2.2.4 Volatilité
La seconde partie a permis de constater l’importance d’un facteur tel que la volatilité dans la
spéculation. Nous reviendrons brièvement ici sur l’une des composantes de la volatilité que nous
jugeons utile de détailler, avant de passer à la confrontation avec les principes de la FI. Dans le système
bancaire actuel, la banque se place dans une double perspective : La première en tant que prêteur et la
seconde en tant qu’emprunteur. Dans la première perspective, lors du financement de l’investissement,
l’ensemble des risques est supporté par l’emprunteur. Le risque n’est supporté que par une seule
partie, une situation spéculative qui rend les chocs, lorsqu’ils se produisent, n’étant pas mutualisés,
bien plus violents, plus amples, favorisant ainsi la volatilité dans les marchés. Dans la mesure où les
acteurs économiques sont interdépendants, la faillite de quelques maillons peut produire un effet
domino qui peut, à défaut d’un réajustement immédiat, se transformer en crise économique. Le
modèle de banque universelle, dominant de nos jours, ne fait qu’accroître le risque de contagion
systémique (Akhtar, 2007, p2), à travers plus de procyclicité et de volatilité.
Dans la seconde perspective, en tant qu’emprunteur de fonds auprès des épargnants, la banque
se doit légalement de garantir le nominal des dépôts de ses clients. Si cet argent est placé dans des
actifs tels que les actions, des projets d’investissement ou des actifs plus risqués tels que les produits
dérivés, et que certains de ces actifs sont dévalués à cause d’un retournement du marché, la banque
doit supporter seule le risque et cette dévaluation, et doit directement l’impacter sur ses fonds
propres, vu que les dépôts sont garantis. Cela rend le choc plus violent, et en réalité expose les
déposants directement, car, généralement, les fonds propres ne dépassent pas 10 à 12% du passif.
Ainsi si la baisse de valorisation des actifs n’est que de 15%, la banque doit souvent déclarer faillite et
donc l’ensemble des déposants est menacé par la pure et simple disparition de leurs dépôts, la banque
centrale ne garantissant pas les dépôts des clients des banques secondaires en totalité.

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Ceci s’est déjà produit à plusieurs reprises lors de chaque crise, la plus retentissante étant la
faillite de Northern Rock en Grande Bretagne en 2008 et la faillite de Laiki Bank à Chypre en 2013, bien
que pour cette dernière, l’Union Européenne a couvert une partie de la faillite à travers un nouveau
prêt octroyé en Mars 2013. Néanmoins, au vu de l’ampleur des difficultés, la banque centrale chypriote
a décidé de ponctionner de 30% l’ensemble des comptes qui dépassent 100 000 Euros (Le Figaro
25/03/2013), ce qui constitue un précédent dans l’histoire monétaire de l’Union européenne. Cela
révèle également que les comptes de dépôt ne sont pas si protégés que cela dans les banques en cas
de crise, contrairement à l’idée reçue. Nous constatons donc que les banques conventionnelles sont
inéluctablement exposées au fameux déséquilibre actif-passif, qui est un risque permanent chez elles.
Leur solvabilité est fragile. Leurs valeurs n’en deviennent que plus volatiles. Dès lors, quelle
que soit la position dans le circuit, les chocs financiers sont unilatéralement supportés. Ce sont les
investisseurs et les déposants qui sont menacés, et non les banques, souvent renflouées par l’Etat,
comme cela a été illustré avec le plan Paulson aux USA et le fonds européen de stabilité (Le Monde)214.
En FI, à travers certains dépôts, les déposants s’engagent à partager les pertes et les profits
avec l’IFI, au moins au niveau des comptes d’investissement. L’IFI n’emprunte pas cet argent, et n’a
pas à le garantir, contrairement aux comptes courants. Elle le gère tel un fonds d’investissement, en
récupérant un pourcentage des profits et en partageant les pertes au prorata des apports en capital,
s’il y a lieu. Ainsi, les IFI ont structurellement plus de capitaux propres que les banques
conventionnelles d’une manière générale (Davies, 2013, p38). Elles sont dans une situation moins
volatile, moins propice à la spéculation. Dans le cas où l’IFI ne fait pas seulement de l’investissement,
mais propose aussi des services commerciaux tels que les dépôts à vue, elle a alors une structure de
passif qui mêle comptes d’investissement et comptes courants. Ces derniers ne sont pas concernés par
le principe de PPP. Pour la partie comptes d’investissement, l’IFI partage les profits et les pertes avec le
Musharik (investisseur et apporteur d’une partie des fonds) ou supporte les pertes financières dans le
cas de la Mudaraba si l’entrepreneur a un apport en industrie seulement.

Encadré 3.2 : PPP chez les IFI

« (…) le risque d’insolvabilité plus faible des institutions financières islamiques. Le


principe du partage des pertes et des profits fait que les variations du revenu d’une banque
sont transmises aux déposants sous la forme de rémunérations variables pour leur épargne.
Moins de profit pour la banque signifie également moins de rémunération à verser à ses

214
Gatinois Claire (2008), Comment va s'appliquer le plan Paulson, 29 septembre, lemonde.fr.
URL : http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/09/29/le-plan-paulson-mode-d-emploi_1100626_3234.html

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- 243 -
créanciers, ce qui n’est absolument pas le cas pour une banque conventionnelle où un tel
lien n’existe pas : les rémunérations à verser aux déposants ne sont pas alors dépendantes
du profit réalisé par la banque. Ainsi les IFI pourraient mieux résister en période de
réduction de leur profit comme leurs contraintes financières sont moins fortes. » (Weill,
2013, p2).

De cette manière, les risques sont mutualisés quelle que soit la posture de l’IFI, car si un projet échoue,
en aval, ce sont les déposants en amont qui vont partager les pertes avec l’IFI, à travers une
dépréciation de leurs comptes d’investissement. Le choc sera évidemment bien plus facile à absorber
vu qu’il sera atomisé et mutualisé. Le déséquilibre actif-passif est moindre en FI (Al Suwailem, 2006,
p114), comme nous le démontrerons. La volatilité sous-jacente en est considérablement réduite.
Ainsi, dans le même cas qu’évoqué ci-dessus, en cas de choc et de dévaluation des actifs bancaires de
15%, si les fonds propres de l’IFI sont à 10%, l’IFI supportera donc 1,5% de dévaluation et les déposants
13,5%. 8,5% des fonds propres de l’IFI seront intacts, si l’ensemble des dépôts sont des dépôts
d’investissement. En cas de diversité des dépôts cela variera au prorata des dépôts d’investissement
par rapport aux comptes courants (Qard hassan). Ce traitement spécial des comptes d’investissements
a été pris en compte dans la norme 4 de l’IFSB au niveau des préconisations pour le calcul de ratios
prudentiels adaptée à la FI, comme nous le voyons dans cette représentation graphique :

Figure 24 : Le calcul du ratio de capitaux propres selon la méthodologie de l’IFSB

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- 244 -
Une formalisation mathématique assez simple de cette résilience est possible, à titre illustratif,
en partant des données suivantes :
P : Perte maximale possible pour l’IFI
CP : Capitaux propres
CC : Dépôts des clients en compte courants, qui ne peuvent supporter aucune perte
CI : Comptes d’investissements, pouvant supporter des pertes liées aux investissements
A : Valeur totale des actifs, total bilan

Dans un premier temps, il est utile de préciser que dans le cas d’un passif hybride, comportant capitaux
propres, comptes courants et comptes d’investissements, seuls les capitaux propres et les comptes
d’investissement peuvent supporter des dépréciations d’actifs (pertes). A cet égard, nous pouvons
résumer la perte maximale en pourcentage par la relation suivante :

Pmax = {(CP+CI)*100} / A

Une illustration graphique de la relation serait sous la forme suivante, en prenant comme hypothèse
des capitaux propres de départ de 12% :

Figure 25 : Valeur de la perte en actifs possible, par rapport à la part des CI dans le passif

Actif
total
100%

62%
50%
d’actifs

Valeur
CP : 12%

Pourcentage des CI dans le passif


0% 50% 88%
Source : L’auteur

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- 245 -
A travers cette relation, deux moyens d’accroitre la perte maximale supportable (P) se dégagent, pour
pouvoir rendre l’IFI plus résiliente. Le premier est l’augmentation des capitaux propres, opération
assez difficile car nécessitant de fortes mobilisations de capital de la part des actionnaires, ce qui n’est
pas toujours évident. Le second est l’accroissement de la part des comptes d’investissements, par
rapport aux comptes courants. Le cas de résilience maximale serait un cas où la banque ne dispose
que de comptes d’investissement, tous exposés aux dépréciations d’actifs, ce qui fait peser un
minimum de poids, en cas de perte, pour les capitaux propres, rendant la conformité aux ratios
prudentiels moins complexe à maintenir. Le cas le moins intéressant est celui où l’IFI ne dispose que de
capitaux propres et de comptes courants dans le passif. Dans ce cas, elle est quasiment tout aussi
vulnérable, en cas de choc, que la banque conventionnelle, car ne pouvant répercuter d’éventuelles
pertes que sur les capitaux propres. Le récapitulatif ci-après permet de cerner les différents cas de
figure, dans un contexte relativement simplifié, avec trois exemples.

Figure 26 : Schéma comparatif d'une dévaluation d'actif entre une banque et une IFI

Cas d’une dévaluation d’actifs de 5%

Actif Passif Actif IFI Passif IFI Actif Passif Actif IFI Passif IFI

Total CP= 10 Total CP = 10 Total CP = 5 Total CP = 9,5


= 100 = 100 = 95 (10 - 5) = 95 (10-0,5)
Dette Comptes
d’Invest Dette CI
= 90
(CI) =90 = 85,5
= 90 90-4,5

Cas d’une dévaluation d’actifs de 15% Cas de passif hybride (50% compte à vue
et 50% de comptes d’investissements)
Actif Passif Actif IFI Passif IFI
Actif IFI Passif IFI
Total CP= 0 Total CP = 8,5
Total CP = 7,27 (10-2,73)
= 85 (10-15) = 85
Comptes = 85 Compte à vue= 45
Faillite
d’Invest C d’invest = 32,73
Dette
= 76,5 (45 – 12,27)
= 90
(90-13,5)

Dans le dernier cas, avec un bilan ayant pour actif 100 unités, l’IFI participe avec ses capitaux propres
dans les investissements à hauteur de 10 et les comptes d’investissement à hauteur de 45. Ainsi 55%
du passif peut supporter les pertes, les 45% restants ne sont pas concernés, ni par les profits ni par les
pertes, étant des comptes courants garantis. La part de l’IFI dans les investissements est 10/55=18,2%
et celle des investisseurs 81,8%. En cas de pertes de 15 sur les actifs, l’IFI supportera 18,2%*15= 2,73 et

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- 246 -
les investisseurs 81,8%*15=12,27. D’une manière générique, la relation permettant d’illustrer la part
de la perte que peuvent supporter les capitaux propres s’écrira de la manière suivante :

CP/(CP+CI)
De la même manière, la relation illustrant la part de perte qui sera supportée par les comptes
d’investissements sera :

CI/(CP+CI) ou (1-CP)/(CP+CI)
Nous avons donc une résilience conséquente par rapport aux banques du système financier
conventionnel qui, elles, font faillite en cas de perte de 15. Cihak and Hesse, (2008) montrent que ce
partage évite la détérioration des bilans des IFI en cas de difficultés économiques. Cette résilience a
été vérifiée même au niveau du client, par une récente étude empirique basée sur les données de la
banque centrale de Pakistan dans laquelle Baele, Farooq et Ongena (2010) constatent que le taux de
défauts sur les financements islamiques est très largement inférieur à celui sur les financements
classiques. Askari et al (2013, p119) ont répertorié les avantages liés au financement par le capital
plutôt que par la dette :
• Un marché actions plus efficient et diversifié en opportunités ;
• Réduction de la dépendance vis-à-vis des créanciers et de leurs intérêts ;
• Permet au gouvernement de financer ses projets en partenariat avec ses citoyens et par là,
d’améliorer la relation mutuelle ;
• Limite la création monétaire et facilite la politique monétaire ;
• Peut créer plus de solidarité sociale ;
• Permet un meilleur contrôle du fait de l’implication des citoyens et donc une meilleure
gouvernance ;
• Offre un levier intéressant pour le financement de projets à long-terme ;
• Permet de mieux gérer la liquidité tant pour l’Etat que pour les entreprises.

Cette réponse très intéressante de la FI au contexte de la volatilité, généralement propice à la


spéculation, diminue d’impact à la lumière de certains éléments. Parmi ces éléments, la
prépondérance des produits basés sur la dette par rapport aux comptes d’investissement et au
financement par le capital. Cet élément sera développé dans la section qui suivra. Notons que la
volatilité des marchés peut avoir d’autres sources que le mode de financement. Elle peut s’expliquer
par l’instabilité de l’économie, auquel cas la FI ne sera pas plus avantagée que la finance
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- 247 -
conventionnelle pour y résister. Elle peut également s’expliquer par le manque de liquidité, ou encore
l’asymétrie d’information. La résilience à la volatilité en FI est donc en principe importante, mais
reste à nuancer du fait des pratiques actuelles, dominées par le financement par la dette plutôt que
les comptes d’investissements.

3.2.2.5 Objectivité et transparence de l’information


La seconde partie a permis de constater dans quelle mesure ce facteur lié à l’information est
décisif pour le spéculateur. C’est grâce à lui qu’il arrive, entre autres, à ‘’voler le départ’’ pour
reprendre l’expression de Keynes. L’information privilégiée est un outil fondamental qui rend le
spéculateur dans une position intermédiaire entre l’initié et le grand public amateur en bourse.
Lorsque cet élément est conjugué à d’autres facteurs, tels que la cupidité et le désir de profit rapide à
court terme, la manipulation à travers les fausses rumeurs n’est plus très loin. Cette asymétrie
d’information peut avoir des origines naturelles et des origines plus proches de la manipulation comme
les fausses rumeurs et l’opacité voulue dans l’établissement de certains résultats ou transactions
financières.
Au niveau du premier cas, il semblerait que ce soit un état de fait des conditions du marché qui
soit durable, vu que certains opérateurs sauront toujours mieux trouver l’information que d’autres. Par
contre, c’est au niveau du second cas (fausses rumeurs et opacité) que la FI apporte certaines réponses
en amont, notamment d’ordre moral, à travers des prescriptions tranchées de certains versets et
certains Hadiths. De nombreux textes préviennent les comportements assimilables au mensonge, à la
tricherie, au dol... C’est l’une des raisons pour lesquelles la transparence dans les contrats est l’un des
cinq sous-objectifs découlant de l’objectif de la charia relatif à la préservation du patrimoine.
Cependant, la FI, dans l’état actuel de son développement, ne semble pas se focaliser sur ce point
et apporter des leviers concrets mis à part ces prescriptions d’ordre moral. Certes, la première partie a
permis d’identifier l’éthique comme étant l’un des sept fondements de la discipline, mais il n’en
demeure pas moins que c’est l’un des éléments les plus difficiles à contrôler. Nous pourrions alors
ajouter aisément ce facteur à la liste de ceux qu’il faut réglementer au niveau des autorités nationales
compétentes, dans le cadre de « assiyassa achar’iya »215. Pour l’instant, ce facteur peut se manifester
même au sein d’un MFI, surtout si les opérateurs ne sont pas suffisamment sensibilisés en amont et au
niveau moral. La résilience théorique de la FI à ce facteur serait alors d’ordre très relatif en pratique.

215La traduction littérale du concept serait la politique dans le cadre de la charia. C’est en réalité ce qui est délégué aux autorités afin
d’améliorer le bien-être général, n’étant pas clairement cadré par des textes légaux de la charia, mais plutôt par des textes d’ordre moral.

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- 248 -
3.2.3 Contexte macroéconomique d’endettement
3.2.3.1 Une perception alternative du financement et de la solvabilité
L’intérêt est, dans la pensée post-révolution industrielle, une donnée, un axiome intrinsèque au
système économique actuel. C’est à partir de cet axiome que se construisent les théories économiques
contemporaines, dont certains pointent encore, de nos jours parmi les théoriciens occidentaux, les
failles. Le système financier actuel tire ses racines des développements de l’économie politique
occidentale avec ses pères fondateurs, Adam Smith, David Ricardo ainsi que des courants
néoclassiques apparus durant le 19e siècle. Parmi les éléments fondamentaux sous-jacents à
l’ensemble de ces courants, il y a la marginalisation des voix critiquant l’intérêt, venant surtout des
milieux ecclésiastes, mais pas seulement. En dehors de Thomas d’Aquin né en 1225 et Ambroise,
d’autres penseurs chrétiens, certains économistes ont vigoureusement dénoncé l’intérêt. Plus tard,
Keynes (1936) soulignait que la croissance de plein emploi ne peut être atteinte qu’avec un taux
avoisinant les 0%, même s’il soutient que l’intérêt a une signification économique, car il est « le prix qui
équilibre le désir de détenir la richesse sous forme de monnaie et la quantité de monnaie disponible ».
Par ailleurs, « Chapra (2008, p2) et Jusufovic (2009, pp1-29) notent à juste titre que l’octroi excessif de
crédit bancaire et l’usage incontrôlé de produits dérivés sont les causes principales de la crise »216.
Lors de la décision d’allouer un financement à tel ou tel projet, les banques sont dans un
équilibre loin d’être efficient. Les garanties sont privilégiées par rapport aux opportunités
d’investissement, ce qui privilégie ceux qui ont des biens à hypothéquer et non ceux qui ont les projets
les plus viables (Hameed, 2008, p3), ou présentant les meilleures opportunités en termes de valeur
ajoutée. Ainsi, la banque devant deux opportunités d’investissement, d’un montant similaire (100),
devrait faire un choix d’investissement rationnel mais ayant comme priorité le moins risqué, tel
qu’étayé dans un exemple en annexe C.6.
Le système bancaire est, en outre, un système qui par essence ne produit pas de richesses
tangibles notables à travers son activité principale, l’octroi de crédit couvert par les garanties
hypothécaires. Il est donc nécessaire, afin de générer des revenus, qu’il ponctionne une part de la
productivité nationale. En effet, dans un but de simplification, en réduisant l’économie à deux agents,
si le premier est le prêteur et le second l’investisseur emprunteur, la rémunération du premier viendra
soit de la valeur ajoutée créée par le second, soit, si l’investissement échoue, de l’épargne personnelle
du second (à travers la saisie notamment des garanties hypothécaires). En tout état de cause, le

216Broek Taoufiq-Johan Van Den (2011-2012), La FI est- elle un remède à la crise ?, Rapport, Université Catholique de Louvain, Centre
interdisciplinaire d'études de l'Islam dans le monde contemporain (CISMOC). URL :
http://www.ethesis.net/finance%20islamique/finance%20islamique.pdf (19/07/2018)

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- 249 -
surplus de richesse du prêteur vient d’une valeur ajoutée qui est créée en dehors de son institution.
Cette part provient des profits générés par les investisseurs et porteurs de projets, versée sous forme
d’intérêts sur l’emprunt. A titre illustratif, si l’investisseur ne génère pas de profits, non seulement il
devrait supporter les pertes qui impacteront le capital de son projet, mais en plus il devra rembourser
l’ensemble du capital ainsi que les intérêts, qui ont de grandes chances d’augmenter vu qu’il est en
situation de difficulté financière. C’est cette situation de détérioration de solvabilité qui est suivie de
près par les spéculateurs à la baisse, et qui permet de faire des profits sur les entreprises en difficulté.
Cette situation trouve deux corollaires dans les principes de la FI. Le premier est l’obligation de
PPP qui est institué comme étant l’un des sept principes majeurs de la FI. Partant de ce principe, il n’y a
pas de possibilité de compter sur un revenu fixe et sans aucun risque. L’actif sans risque générateur de
revenus n’existe pas dans le SEI. A partir de là, vu qu’il y a PPP entre l’IFI et le porteur de projet, l’IFI
sera plus tenté de s’orienter vers les projets à plus forte valeur ajoutée. En effet, il n’y a pas de prêt
d’argent à la base et donc pas de garanties matérielles ni de cautions hypothécaires (sauf celles
éventuellement exigibles afin de couvrir l’aléa moral et non la rentabilité de l’investissement, selon
l’AAOIFI). Seule une bonne ‘’due diligence’’ et une connaissance approfondie de l’investisseur sont
gages de réussite du projet. Ainsi, en revenant aux hypothèses du cas étayé en annexe C.6, en FI, l’IFI
sera tenté d’opter pour le second projet, présentant un potentiel de rendement trois fois plus élevé
que le premier. Vu que l’IFI participera aux profits, le contrôle des dossiers sera plus minutieux, et
entrainera donc plus d’efficacité dans les projets choisis et plus de stabilité d’un point de vue
macroéconomique (Hassan, 2009) et donc moins de perspectives d’attaque pour les spéculateurs sur
la solvabilité des agents défaillants. De la même manière, l’orientation vers le financement participatif
(equity) plutôt que le financement par la dette est de nature à stabiliser l’ensemble du système
financier, tel que décrit dans la ‘’financial instability theory’’ de Minsky (Belhadia, 2010, p18). Il joue
également le rôle de coupe circuit en cas de diffusion de crise, contrairement au rôle d’accélérateur
assuré par la dette et l’intérêt (Al Suwailem, 2013, p15). Cette tendance constitue la pierre angulaire
du SEI. Prises au niveau macroéconomique, ces deux orientations se traduisent par une meilleure
allocation du capital, une allocation quasi-optimale, vers les projets et le capital présentant le plus haut
potentiel. En pratique, certains éléments consolident cette idée comme par exemple la rentabilité
supérieure des Sukuk par rapport aux obligations conventionnelles aux caractéristiques similaires en
Malaisie (Omar, Abduh et Sukmana, 2013).
La seconde réponse en FI est la Zakat (aumône légale obligatoire de 2,5% des actifs monétaires
et commerciaux thésaurisés chaque année) et la valorisation du travail. La Zakat en FI n’est pas
toujours versée par l’IFI ; Dans certains cas l’IFI se contente de mentionner la somme à payer par ses
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- 250 -
actionnaires dans une note informative. Cependant chaque musulman en est redevable, étant l’un des
cinq piliers fondamentaux de l’Islam, qui a déjà été décrit lors du premier chapitre de notre première
partie. La Zakat frappe l’argent thésaurisé217 et pousse tout un chacun à s’impliquer dans le circuit de
l’investissement, à injecter ses fonds dans l’économie. Ceci produit de la croissance et de l’emploi. Cela
contribue à une meilleure stabilité systémique et donc moins de possibilités de spéculation.
Cependant, ce modèle devient évidemment de moins en moins efficace devant un marché
dominé par les produits basés sur l’endettement et les comptes courants. En réalité, ce concept de
partage n’est pas la pratique commune de certaines IFI (Archer et Rifaat, 2006, pp269-280 ; AAOIFI
1999). Cette situation rend l’effet contamination plus fort, ainsi que les conséquences d’un support
unilatéral du risque plus importantes. Le schéma financier idéal serait d’avoir des institutions qui
favorisent les comptes d’investissement, levier de création de valeur ajoutée, par rapport aux produits
de la dette. Dans un tel schéma, le partage des risques est plus optimal et permet d’amortir les pertes
éventuelles liées aux investissements. Cependant, le schéma actuel est inversé, dans la mesure où dans
les meilleurs cas la part des comptes d’investissement est à hauteur de 30% (Tableau comparatif tiré
de Causse-Brocquet, 2012). En réalité, comme démontré par plusieurs spécialistes, nous sommes plus
généralement dans un schéma 90/10, 90% de produits de dette (Murabaha, Ijara…) et 10% de
produits d’investissement entrepreneurial (Musharaka, Mudaraba…) vis-à-vis des clients. Dans une
étude relatée par Sundararajan (2013, p14), la part du financement participatif au sein des 15 IFI
sondés varie entre 0 et 24%218. Pourtant, quand nous prenons l’activité en amont, c'est-à-dire entre le
déposant et l’IFI, nous sommes à 65% des comptes en Mudaraba (Archer et Abdel Karim, 2013, p 433).
Cela se justifierait par le souhait des clients de voir leurs dépôts prospérer quitte à supporter un certain
risque, vision visiblement non partagée par la banque dans ses opérations en aval. Ce constat est
même nuancé par les résultats du rapport IFSB portant sur la stabilité financière (2015) qui souligne
que l’industrie est passée sous la barre des 50% de sources de financement qui proviennent des PSIA 219
(comptes participatifs). C’est donc principalement l’opération en aval qui n’est pas en phase avec les
principes de partage de profits et de perte.
Le rapport IFSB (2015, p18) montre que le constat est le même pour ce qui est des Sukuk. Seuls
7% des Sukuk émis sont participatifs (Musharaka et Mudaraba) alors que le reste est structurés autour

217 Les biens de production (immobilier, machines, matériel roulant…) n’étant pas soumis à la Zakat
218
Il serait intéressant de voir si les IFI incluent dans les produits Musharaka, la Musharaka dégressive immobilière avec promesse
d’achat contraignante, qui n’est rien d’autre, finalement, qu’un produit de consommation basé principalement sur l’endettement et le
remboursement de créances, bien qu’il soit plus participatif que la Murabaha. Si c’était le cas, nous serions amenés à conclure qu’en aval,
le principe de PPP est quasiment absent et la résilience à la spéculation clamée ne sera pas au rendez-vous en cas de choc financier. Seule
la résilience en amont atténuerait le choc, au profit des banques.
219 PSIA : Profit sharing investment accounts, sigle utilisé pour faire référence aux comptes participatifs, contrairement aux comptes de

dépôts basés sur le prêt

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- 251 -
de produits commerciaux ou de dette. Le risque est réel d’avoir les mêmes conséquences spéculatives
de retournement en cas de crise. Nous serions assez proches du modèle conventionnel actuel, à
travers la priorité donnée aux produits basés sur la dette, comme le montre l’étude statistique sur le z-
score présentée en annexe C.7. C’est un modèle que certains qualifient de plus dangereux même que
le modèle classique (Oaidah, 2010). Nous aurions de nouveau des institutions très exposées au risque
de contrepartie ou de crédit, ce qui les pousse à privilégier les clients présentant des hypothèques
solides (Hattab, 2014). Au lieu d’entrer dans le capital, l’IFI préfère assurer un rôle de fournisseur au
porteur de projet afin de ne pas partager les pertes et les profits, afin de pouvoir également se couvrir
par une hypothèque et avoir une relation de débiteur/créditeur et non d’associé. C’est l’une des
limites les plus latentes au niveau de la FI qui constitue un réel défi pour les opérateurs, les experts
ainsi que les théoriciens de la discipline. La résilience théorique est incomplète en pratique.
Au niveau des marchés financiers, c’est la promesse de rachat au prix nominal dans les Sukuk
qui rend la transaction assimilable à la dette sans risque (Omar, Abduh et Sukmana, 2013, p98), ce qui
est contraire à deux des principes de la FI : ‘’nul bénéfice sans sacrifice’’, et ‘’nul bénéfice sans
supporter le risque’’220. Ainsi, le souscripteur est assuré que l’émetteur rachètera l’actif à l’échéance ce
qui lève le risque de liquidité. Lorsque le prix de rachat est fixé à l’avance, généralement fixé au prix
nominal de l’émission, même le risque de marché est annulé, rendant la transaction illicite. En réalité,
cette transaction, bien que portant le libellé du PPP, est en réalité une transaction équivalente à la
dette selon la jurisprudence islamique, dans laquelle le risque est unilatéralement supporté.
Un autre exemple de dissonance : la Mudaraba interbancaire en Malaisie. Le rendement
dépend du taux de partage de profit, négocié, ainsi que du profit lui-même. En réalité, il y a des seuils
de rendement et de taux (+/-0,5%) basés sur un taux directeur, ce qui biaise la légitimité de l’aspect
participatif du produit, et le transforme en dette. Le rendement est calculé de la manière suivante :

R = (N*P*J*T)/360221
Exemple : R = 1MDhs*6%*90*0.75/360
Une étude de corrélation entre les taux des marchés monétaires conventionnels et ceux des produits
islamiques en Malaisie donne les niveaux de corrélation suivants (Obiyathulla, 2008, p18):
Benchmark Corrélation
(i) Overnight 0.949027
(ii) 1 semaine 0.975201

220 Al Ghunm Bil Ghurm et Al Kharaaj biddamaan


221 R= Rendement, N= Nominal, P= Profit, J= Jours, T= Taux de partage du profit entre les deux acteurs

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- 252 -
(iii) 1 mois 0.967945
(iv) 3 mois 0.934128
De telles corrélations sont extrêmement significatives et de nature à confirmer les tendances à la
réplication et la similarité, pratique vers laquelle s’orientent un certain nombre de marchés et de
produits censés pourtant constituer une alternative.
Pour le risque de liquidité, étant très important au niveau des IFI, ces dernières ont tendance à
lancer des produits relativement assimilables à certains produits conventionnels, dans le but de
financer la liquidité. La majorité des opérations de court terme se fait à l’aide d’instruments proches
de l’intérêt et de la dette (Seshachellam, 2013, p7). Ceci se traduit par la fixation, communément
admise, de « taux de profits cibles » qui ressemblent énormément à des taux d’intérêt pour les
financements au jour le jour et les autres financements à court terme.
En somme, nous pouvons constater que ce corollaire, certes satisfaisant, doit néanmoins être
encadré par rapport à certains risques inhérents à la pratique même de l’IFI. Il est à souligner que les
comptes de partage de profit et de perte, lorsque les résultats sont insatisfaisants, sont alimentés par
des versements de liquide de la part des actionnaires de l’IFI. Il y a donc en pratique un certain risque
de déséquilibre actif-passif. Cela entraine même un risque sur le capital de l’IFI alors que la théorie
veut que l’IFI ne supporte la perte qu’au prorata de sa participation. En outre, la tendance à l’utilisation
excessive des produits basés sur l’endettement (type Mourabaha, produits de marché basés sur la
dette…) qui dominent largement l’éventail des produits proposés aujourd’hui, relativise la solvabilité
théorique de la FI. Au final, les produits participatifs, restent minoritaires. Cette limitation aux produits
de la dette, représente une subordination d’une certaine manière au système conventionnel (Hideur,
2013 p19). Dans ce cadre, il ne devrait pas être surprenant de constater une similitude troublante
entre les produits bancaires basés sur l’intérêt et le fonctionnement de certains produits de la FI. A cet
égard, les mêmes causes entrainant les mêmes effets, la présence de ce facteur de spéculation qu’est
la dette et la dégradation de la solvabilité au sein de certaines pratiques de la FI oblige tout analyste
minutieux à dépasser la résilience théoriquement parfaite de la FI à la spéculation, pour
sérieusement nuancer cet élément par les pratiques observées et qui s’éloignent des principes.

3.2.3.2 Marginalisation de l’expansionnisme monétaire


Nous le savons maintenant grâce à Minsky, Kindleberger, Allais et un certain nombre d’autres
économistes, l’expansionnisme monétaire est structurellement lié à l’apparition de bulles
spéculatives. En effet, « …aux yeux de la plupart des économistes, les arguments de la currency school
l’emportent nettement en 1810… » (Kindleberger, 1978, p62), c'est-à-dire au moment où éclate la

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- 253 -
controverse entre currency et banking school, les derniers étant partisans de la création monétaire
pour financer la croissance, même si cette création accroit le fossé entre le marché monétaire et
l’économie réelle de biens et services. Ce différentiel entre la monnaie fictive et la monnaie réelle se
traduit par une déconnexion évidente entre le marché monétaire et l’économie réelle (Wicksell,
1898). L’excès de monnaie en circulation rend les chocs spéculatifs plus terribles quand ils touchent la
sphère financière, ce qui impacte inéluctablement la sphère réelle.
Précisons d’emblée que la posture des économistes islamiques sur cette question n’est pas une
posture unanime, mais largement majoritaire, et que cette posture invitant à la prohibition de la
création monétaire ex-nihilo est aussi la posture de la currency school. Cet argent virtuel et purement
fictif n’est pas accepté en FI selon les plus grands spécialistes (Mirakhor, 1988). La création monétaire
ex-nihilo est proscrite selon eux. La monnaie en circulation doit être couverte à 100%, contrairement
au système des réserves fractionnaires. Seul le gouvernement est habilité à émettre de la monnaie, et
non les banques de second rang. La masse monétaire doit évoluer proportionnellement à l’évolution
du PIB, chose qui peut être indirectement comprise par la proposition de Friedman de limiter la
croissance de la masse monétaire à 2 ou 3% (Friedman et Schwartz, 1963). Askari relate même que
Friedman a explicité cette corrélation entre croissance de la masse monétaire et croissance
économique annuelle, de même que Maurice Allais (Askari et al 2010, p37).
Du point de vue de son rôle au sein de l’économie, la monnaie n’est pas une marchandise
comme les autres en Islam. Elle est un moyen d’échange qui ne peut faire l’objet de transactions
générant un profit indépendamment d’une activité productive réelle (intérêts proscrits). Elle est un
intermédiaire et non une fin en soi. Dans son livre « Le Capital » paru en 1867, Karl Marx (1894)
montrait dans quelle mesure le système capitaliste avait renversé le circuit, en transformant le circuit
normal Marchandise-Argent-Marchandise (MAM) en circuit Argent-Marchandise-Argent. En FI, toute
monnaie provisionnée sur le compte d’un client doit provenir d’un dépôt préalable. Comme l’a
préconisé Fisher dans son livre « 100% monnaie » précité, il devrait y avoir une couverture totale de la
monnaie circulante par de la monnaie fiduciaire bien réelle. Ainsi, tout déséquilibre entre marché
monétaire et économie réelle s’estompe (Askari et al, 2010).
Il n’est pas possible, qui plus est, de vendre ce que l’on ne possède pas comme l’a énoncé le
Hadith prophétique222. On ne peut pas non plus donner ce que l’on ne possède pas, comme l’ont admis
les savants et jurisconsultes. On ne peut donc pas prêter ce que l’on ne possède pas, et ceci fut
confirmé par le professeur Cherkaoui (le 05/04/2013 en marge du colloque du CERHSO sur la FI à

. "‫ ال تبع ما ليس عندك‬: ‫ فقال‬، ‫ أفأبتاعه له من السوق ؟‬، ‫ يأتيني الرجل فيريد مني البيع ليس عندي‬، ‫ يا رسول هللا‬: ‫"عن حكيم بن حزام قال‬ 222

3503 :‫ صحيح أبي داود الرقم‬- ‫ األلباني‬:‫ المحدث‬- ‫ صحيح‬:‫ خالصة الدرجة‬- ‫ حكيم بن حزام‬:‫الراوي‬

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- 254 -
Oujda). Toute opération de crédit non couverte par de la monnaie réelle est nulle et non avenue
(baatil). L’imam Ahmad, l’un des fondateurs des quatre grandes écoles de jurisprudence en Islam, a
énoncé bien en amont que la frappe de la monnaie doit être centralisée, car si elle venait à être
déléguée aux agents privés, il serait complexe de contrôler cette situation. Si le droit de frappe est
donné à des opérateurs privés (comme dans le système financier actuel) ils n’hésiteront pas à verser
dans l’excès (comme dans le système financier actuel). L’émission de la monnaie doit revenir à l’Etat et
être centralisée, régie par des textes et des objectifs clairs, pour pouvoir atténuer certains excès qui
provoquent des crises majeures. C’est ainsi que la FI limiterait considérablement, à travers cette
couverture à 100%, les effets potentiels de la création monétaire avec le système des réserves
fractionnaires (Askari et al, 2013). C’est d’ailleurs une des conditions de sa réussite.
Cette règle fondamentale à une conséquence majeure qui est la diminution de l’inflation, et
donc de l’instabilité (Askari et al 2010, pp72). En effet, l’équation de la théorie quantitative de la
monnaie de Fisher s’écrit sous la forme :

MV=PT223
Partant de l’hypothèse que V et T sont des données fixes à court terme, en cas de baisse de la
croissance de la masse monétaire (baisse de M), nous avons automatiquement une baisse de
l’augmentation des prix P. L’inflation est donc bien moindre dans un système financier islamique du
fait de l’absence de l’intérêt et de la création monétaire ex-nihilo. Cela est confirmé par Askari et al
(2013, p92) selon qui la FI limite le système des réserves fractionnaires. Il faudrait d’ailleurs, selon eux,
que le mode de fonctionnement des IFI s’adapte à cela en décidant de ne plus utiliser les dépôts des
comptes courants et de les classer comme ‘’amanah’’ inutilisable par l’IFI plutôt que ‘’qard hassan’’,
comme c’est le cas actuellement, ce qui ne leur permettra plus d’en user d’un point de vue
jurisprudentiel (Askari et al, 2010, p102).
Certains théoriciens sortent cependant de ce consensus à l’instar de Siddiqi (1983) dans ‘’Issues
in islamic banking’’ ou encore Boudjellal (1998) dans ‘’Les banques islamiques’’ en arguant qu’à partir
du moment où l’Etat contrôle les instruments monétaires, il peut se permettre de procéder à la
création monétaire (seigneuriage) afin de financer les projets d’investissement. Ces auteurs
reprennent, entre autres, l’argument selon lequel l’attribution de prêts pour financer l’investissement
et le commerce est sain et ne générerait pas d’inflation. Pourtant, déjà au 18ème siècle, cet argument
est « très vivement rejeté par Ricardo », « les échanges favorisent l’escompte qui favorise l’inflation »
(Kindleberger, 1978, p64). En tout état de cause, en suivant cette seconde opinion, il est possible d’être

223 MV=PT : masse monétaire*vitesse de circulation = niveau des prix*transactions (ou quantité de transactions)

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exposé au risque de déséquilibre actif/passif, dont on prétend la FI exemptée. En effet, cela serait un
puissant levier pour développer la masse de monnaie émise en contrepartie de laquelle il n’y a pas
d’actif réel (le seul actif dans le bilan par rapport à ce passif est la promesse de payer, le contrat de
remboursement signé par le client). Cet élément est le préambule à l’expansion excessive de la
monnaie en circulation et du développement des promesses de payer, première étape des
déséquilibres spéculatifs comme nous l’avons vu précédemment avec l’analyse de Maurice Allais.
Cela ramènerait la FI à avoir un fonctionnement similaire au système classique, dans la mesure où
cette couverture à 100% serait écartée, et la possibilité de spéculer amplifiée.
La pratique des IFI reflète d’ailleurs majoritairement la seconde opinion, à savoir la possibilité
de recours au système des réserves fractionnaires qui représente la forme contemporaine du
seigneuriage ou de création monétaire. Les IFI, ayant dû s’insérer dans un système monétaire déjà en
place et opérant dans le cadre des réserves fractionnaires, ont répliqué ce fonctionnement tout en
obéissant aux règles prudentielles qui régissent les banques des pays respectifs dans lesquels ils sont
établis. Cependant, en termes d’exposition, le rapport sur la stabilité financière de 2015 de l’IFSB nous
apprend (p18) que le capital réglementaire observé chez les IFI dépasse de plusieurs points les
critères de Bâle III et les minimums requis par les lois en vigueur. Cela est souvent justifié par le
manque de possibilité de refinancement qui oblige l’IFI à garder plus de liquidités en prévision de
pénuries éventuelles, face auxquelles elles n’auraient pas la même facilité à se refinancer, par rapport
aux banques conventionnelles. La création monétaire est donc légèrement moins importante, ce qui
ne permet pas de se prononcer en faveur de la déclinaison pratique de la résilience des principes de
la FI à ce facteur, comme c’est le cas en théorie.

3.2.3.3 Prohibition des principales formes du levier


Pour comprendre les implications de cette prohibition, il convient revenir aux principes
déterminant la rémunération du capital et l’écart existant entre le taux d’intérêt fixé à priori et la
rémunération du capital déterminée à postériori. Les facteurs de production énumérés par les
économistes sont principalement le travail et le capital, couplés au progrès technique. Parmi les
principes de la finance conventionnelle basée sur les intérêts, le principe de la détermination ex-ante
de la rémunération du capital à travers les taux d’intérêts fixes, entre autres. Pourtant, rémunérer le
capital, avant qu’il ne génère des profits dans l’économie réelle, est en soi contraire à la logique
économique, dans la mesure où l’on va verser une rémunération fixe (l’intérêt) alors que le rendement
attendu est incertain (le profit). Or pour ne prendre que le facteur complémentaire au capital, le travail,

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- 256 -
il est très généralement rémunéré en fin de période, surtout pour un travailleur dont on ne connaît pas
encore la rentabilité (rentabilité tout aussi incertaine pour le capital).
Le concept du financement par la dette à intérêts reflète donc l’acceptation, par le monde
financier, de la possibilité de séparer la croissance des agrégats monétaires de celle de l’évolution
économique. C’est le cautionnement de la possibilité de rémunérer le capital avant même d’avoir
constaté son rendement, seulement du fait d’un facteur, improductif à lui seul, à savoir le facteur
temps. Le temps et le risque sont en réalité deux facettes d’une même pièce. Cependant ces taux
d’intérêt prédéterminés sont en réalité en décalage avec les évolutions de l’économie, car reposant
principalement sur des prévisions de production et de profits et non sur les réalisations réelles
(Friedman 1972)224. Ce décalage temporel n’est pas sans créer des distorsions majeures au sein de la
sphère économique. Déterminer a priori une rémunération du capital, avant même que l’opération de
production n’ait lieu, fait que l’on n’est jamais en phase avec les réalisations, sauf cas marginaux
aléatoires, et donc que le décalage entre prévisions et réalisations doit être supporté par l’une des
parties en cas de pertes. Cette partie n’est en général jamais la banque, qui se prémunit des risques à
travers les garanties hypothécaires collatérales. Selon de nombreux économistes, cette détermination
ex-ante de la rémunération du capital avant même l’opération de production crée un équilibre durable
de l’économie, mais un équilibre de sous-emploi (Askari et al 2010, pp92), et non un équilibre de plein
emploi tel que recherché par la totalité des économistes. Ceci se justifie par le fait que l’équilibre
général des marchés, au sens Walrassien, ne peut se produire, dans la mesure où dans l’un des
marchés, à savoir le marché des capitaux, il y a une distorsion (Friedman) due à cette détermination a
priori de la rémunération du capital (Askari et al 2010 : pp19)225. Lorsque les banques essaient de
laisser la détermination flottante, à travers les taux variables, c’est toujours l’autre partie qui supporte
le risque, vu que la marge bancaire est généralement stable quel que soit le niveau de taux ; cette
marge est en fait greffée au taux directeur. Une décomposition simplificatrice du taux d’intérêt nous
montre qu’il est un chevauchement de deux parties : Le prix initial, à savoir le taux directeur, et la
marge bancaire. Cette dernière est fixe, alors que le taux directeur, lui varie selon les circonstances
économiques, étant le principal outil de politique économique de la banque centrale. C’est
l’investisseur qui supporte la variation du taux directeur et non la banque secondaire. Les agents
économiques, si les taux baissent, empruntent toujours davantage afin de bénéficier de l’effet de levier
tant qu’il est positif. Le levier est un outil qui prend ses racines dans cette dissociation entre le

224 Friedman, M. 1972, « An economist’s Protest », New Jersey : Thomas Horton and company
225 Askari, Iqbal, Krichene, Mirakhor, 2010, « The Stability of Islamic Finance », Wiley

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monétaire et l’effectif, et qui permet de démultiplier l’investissement à partir d’une avance donnée
par l’opérateur au prêteur, afin de couvrir les pertes éventuelles.
Le système financier islamique proscrit le levier (norme 21 AAOIFI) basé sur les intérêts. Les IFI
ne sont pas autorisées à prendre des expositions à fort effet de levier (Belabes, 2013, p5). Le levier et
ses principaux supports, sont écartés (IFSB-15, p34). Le levier doit être, selon de nombreux experts en
FI, bien limité au sein des MFI (Askari et al, 2013, p90). Par ailleurs, la FI encourage les moratoires
accordés aux emprunteurs en difficulté et décourage l’endettement incontrôlé qui peut résulter du
levier, comme nous pouvons le lire dans un Hadith prophétique « Que Dieu me préserve de la dette
excessive… »226. Enfin, la rémunération du capital en FI se fait souvent ex-post, et après utilisation dans
les opérations d’investissement. Dans l’ensemble des produits d’investissement de la FI dits
‘’participatifs’’, les profits se partagent à l’issue de l’opération de production. C’est également le cas
pour les pertes, chose inexistante dans le cas des prêts classiques assortis d’une garantie
hypothécaire qui ne comportent pas de risque de perte lié au projet (le risque de défaut par contre
existe), amplifiant l’effet inverse au levier en cas de crise, l’effet de massue. Ce report de répartition
de la valeur ajoutée ex-post permet une parfaite adéquation entre le marché des capitaux et la sphère
économique réelle, et donc sera plus enclin à favoriser l’équilibre de plein emploi à long terme, et
moins propice aux activités spéculatives. De ce point de vue, la FI corrige certainement ce facteur au
niveau de ses principes fondateurs. Certaines études empiriques sur les performances des fonds
d’actions islamiques entre 1995 et 2001 ont permis de vérifier cette résilience qui se traduit par des
taux de croissance un peu moins importants en période de prospérité, bien qu’équivalente aux fonds
dits éthiques, mais aussi par des récessions bien moins amples en période de retournement, du fait de
l’absence du levier spéculatif et donc d’un bêta227 plus faible (Raphie, 2006).
Cependant, les pratiques dans certains pays, notamment la Malaisie, laissent à penser que le
système financier islamique, qui est encore en gestation, risque de s’orienter vers cette tendance à
déterminer le rendement du capital a priori. La transaction la plus commune, « commodity mourabaha

5502 :‫ الصفحة أو الرقم‬- ‫صحيح النسائي‬ " ِ‫ وشمات ِة األعداء‬، ‫العدو‬


ِ ‫ت اللَّه َّم إني أعوذُ بك من غلب ِة الدَّي ِْن وغلب ِة‬
ِ ‫هللا صلَّى هللاُ عل ْي ِه وسلَّ َم كان يدعو بهؤالءِ الكلما‬
ِ ‫ "أنَّ رسو َل‬226
227Bêta : « Le Bêta (β) est un coefficient indiquant dans quelle mesure un actif évolue dans les mêmes proportions que le marché. Il s’agit
d’une mesure de volatilité relativement simple à interpréter. Si le bêta d’une action par rapport à son indice est supérieur à 1, alors la
volatilité de cette action est généralement supérieure à son indice. S’il est au contraire inférieur à 1, alors la volatilité de cette action est
inférieure à son indice ou l’action est volatile mais peu corrélée au marché. Le bêta représente finalement le risque non diversifiable d’un
actif, autrement dit, son risque systématique (par opposition au risque idiosyncratique).
La formule du Bêta, généralement retenue, est la suivante :

URL : http://financedemarche.fr/definition/beta (08/03/2017)

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- 258 -
transaction », basée sur le « Tawarruq » organisé228, a surtout pour rôle de promouvoir la liquidité
dans un marché assez réticent à revendre les actifs issus du marché primaire, et faciliter indirectement
le levier (IFSB-15, p35). Cette transaction, est généralement adossée à l’huile de Palme, très en vogue
dans le sud-est asiatique. Elle constitue un outil monétaire privilégié au sein de BursaMalaysia (Ascarya
et Yumanita, 2008, p15). Elle est également très commune, sous une forme plus basique de Tawarruq,
dans les pays du Golfe. Une seule voiture peut faire l’objet de « douzaines de tawarruq » et créer
autant de contrats de dette, sans bouger d’un iota (Siddiqi, 2007, p3), amplifiant ainsi le levier.
Figure 27 : Schéma récapitulatif du fonctionnement du tawarruq

Source : Labniouri, 2012

Il y a certes eu des efforts afin de rendre ces pratiques plus conformes à la charia, comme la
création de l’IILM (international islamic liquidity market), mais cela reste encore embryonnaire tant au
niveau des marchés financiers qu’au niveau du financement de la consommation. Les articles 4/5 à
4/10 des normes AAOIFI proscrivent clairement ce genre de contrat. Sur le plan du taux de référence et
la nécessité d’avoir une courbe de taux, l’initiative du IIBOR229 permet d’obtenir un taux de référence
indexé sur la moyenne des profits (Seshachellam, 2013, p19). Le dernier rapport de l’IFSB230 (2015,
p18), montre que les IFI sont à un niveau de levier de 10,5 alors que les banques sont à des niveaux de
15 à 20. Enfin, les SWAPS de profit, le Wa’ad et certains Sukuk permettent également d’amplifier le
levier (IFSB-15, p35). L’exposition au levier est donc contrairement à la vision théorique, bien existante
et assez significative, bien que largement inférieure à l’exposition des banques conventionnelles. La
résilience théorique de la FI à ce facteur est donc à nuancer sérieusement.

228 Tawarruq organisé : Une forme de tawarruq dans laquelle l’IFI prend des mandats successifs pour se charger de l’ensemble des
transactions au nom du client. Le tawarruq classique, lui, consistait à acheter réellement une marchandise à tempérament, pour la
revendre à un tiers, afin d’obtenir de la liquidité immédiate. El Gamal (2005, p11)) montre que plus on ajoute d’intermédiaires dans une
vente Al Ina (buy-back) plus le nombre de juristes qui la condamnent diminuent, ce qui explique la complexité et le nombre d’étapes de
certains montages. Cela en supposant que les transactions financières sont adossées à des flux bien physiques et réels.
229 IIBOR : International islamic bank offer rate
230 IFSB : Islamic Finance Services Board, organe chargé d’établir des normes prudentielles à destination des IFI, basé à Kuala Lumpur

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3.2.3.4 Limitation de la titrisation et de la négociabilité de la dette
Du simple prêt bancaire titrisé aux dérivés de crédit les plus complexes, en passant par les CDO
(Collateralized Debt Obligation), CMO (Collateralized Mortgage Obligation) et autres CDS (Credit
Default Swaps), les outils quasi-monétaires et de titrisation de dette sont, comme analysé en seconde
partie, des facteurs décisifs de la spéculation. En FI, le commerce de la dette est prohibé, sauf à sa
valeur nominale afin d’éviter le Riba, ce qui ne constitue aucun gain pour les traders et n’a donc aucun
intérêt financier pour l’ensemble des opérateurs. Concernant le marché de la dette, l’impact des
principes de la FI est global dans la mesure où le commerce de la dette, à un prix différent du
nominal (obligations), est illicite. Il n’y a pas de marché de la dette dans les MFI, essentiellement
composés d’actions et de certains Sukuk (Askari et al, 2013, pp108-113). En somme, pour Siddiqi (2007,
p2), « il est préférable de ne pas avoir de marché de la dette » afin d’être en phase avec les principes
de la FI et éviter la spéculation liée à la dette, et les crises qui s’en suivent.
Figure 28 : Sukuk négociables et Sukuk non négociables

Source : L’auteur

Seule la négociation d’actifs titrisés est licite, à travers le processus des Sukuk. De même, seuls
les Sukuk participatifs (Musharaka, Murabaha…) sans garantie du nominal ou ceux ayant un actif
sous-jacent générant un loyer ou un profit, sont admis au marché secondaire ; Le reste constitue une
titrisation de dette (asset based securities, titres d’opération Murabaha et autres titres qui
matérialisent seulement des flux de dettes) dont la négociabilité, voire la licéité pour certains, est
dénoncée par les jurisconsultes, comme ce fut le cas avec Mufti Taqi Usmani, secrétaire général de
l’AAOIFI, lorsqu’il a affirmé en 2008 que 85% des Sukuk n’étaient pas conformes (Rapport Al
Khawarizmi, 2012, p74). Toujours selon lui, « il n’y a pas de doutes sur le fait que les comités de
Shari’ah ont permis aux IFI d’utiliser des opérations s’approchant plus de la ruse qu’à des opérations
réelles, mais cette permission s’est faite sur la base d’un contexte difficile avec peu d’IFI. Le but était de
permettre aux banques de survivre en essayant de converger progressivement vers l’application stricte
de la Shari’ah dans ses opérations et prendre leurs distances petit à petit par rapport aux banques
conventionnelles ». Les titres circulant sur le marché financier en FI doivent, en ce sens, refléter des
actifs réels sous-jacents, et ne pas permettre une déconnexion entre le marché financier et

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l’économie réelle, propice à la spéculation. Dans ce cas, le monde financier redevient beaucoup plus
corrélé à l’économie réelle et revient à son rôle premier qui est de la financer, et non y financer sa
propre croissance avec la privatisation des profits et la mutualisation des pertes.
Dans les faits, traiter cette question de la titrisation de la dette, pour les marchés financiers
incorporant des produits de la FI, passe par un léger détour par la titrisation indirecte de la dette, avant
d’aborder la titrisation directe. Pour la première, rappelons qu’il existait en 2013 près de 750 fonds
d’investissement ayant près de 750 Milliards de Dollars sous gestion en théorie conforme à la charia,
basée sur les critères de screening du Dow Jones (Askari et al, 2013) que nous illustrons ci-après et
détaillons en annexe C.8. L’illustration ci-après permet de cerner le cheminement de l’application de
ces critères, pour le cas de l’indice financier Dow Jones Islamic Index.
Figure 29 : Schéma de screening selon les critères du Dow Jones islamique

Source : Cekici, I (2009, p4)

Ces critères, variables selon l’indice étudié, ne sont pas communément admis parmi les
praticiens de la FI231 du fait de leur souplesse excessive et leurs carences au regard des objectifs de la FI,
notamment la dette, selon certains experts (Khan, Muntaqa et Abdulsamad, 2008, p21). Ils sont aussi
qualifiés d’arbitraires et subjectifs (Obiyathulla, 2009, p3). Ils permettent de s’inscrire dans un cadre
favorisant l’endettement de manière durable, en cautionnant jusqu’à 33% d’endettement à intérêts

231L’Académie du Fiqh rejette toute action d’une entreprise qui reçoit ou verse des intérêts même en dessous de 5% de son actif tel que
toléré par le Dow Jones Islamic Index (Abou Zeid, 2008, p8)

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pour les entreprises qualifiées de licites. Un tel critère, appliqué à la bourse indienne par exemple,
donnerait près de 90% d’entreprises éligibles (Khan, Muntaqa et Abdulsamad, 2008, p32).
Pour ce qui est de la titrisation directe de la dette, notons que certaines juridictions
importantes de la FI autorisent la négociation de Sukuk basés sur la dette tels que les Sukuk :
• Murabaha ;
• Salam ;
• Istisnaa.
Ces Sukuk sont généralement autorisés au niveau du marché primaire afin de lever les fonds pour
financer un engagement sur un actif réel, cependant leur négociabilité sur le marché secondaire est
communément considérée comme illicite (Ali, 2004), car cela reviendrait à vendre de la dette à une
valeur fluctuante différente de leur valeur nominale. Il existe, par ailleurs, des pistes explorées
aujourd’hui qui suggèrent de titriser la dette et de l’échanger contre de la matière première ou des
actions, afin de ne pas tomber dans l’interdiction liée aux transactions usuraires, tout en soulignant
que certaines écoles juridiques interdisent totalement la vente de la dette quelle que soit la
contrepartie (Arbouna et El Islamy, 2008, p14). Dans certains marchés, cette négociabilité est
autorisée, si la dette est cédée contre une marchandise ou des actions (Arbouna et El Islamy, 2008,
p9-13), c’est notamment le cas de la Malaisie, entre autres, à travers les avis exprimés par la Securities
Commission (2007). La vente de dette, permise en Malaisie (Shamsiah et Mohammad Yusuf, 2008, p9),
est autorisée à cinq conditions :
• Le paiement est immédiat et de nature différente que celle de la dette s’il s’agit de biens dits
« ribawi » (or, argent, devises…) ;
• Le débiteur est présent ;
• Il confirme la dette ;
• Il est soumis à la même juridiction ;
• Valable pour tous les biens hors nourriture car elle doit être récupérée avant la revente.

Il en va de même pour la négociabilité des Sukuk incorporant moins de 49% de dette, tolérés par
certains Sharia Boards (Grewal, 2013, p16). Ces produits, refusés dans la majorité des autres pays, ne
sont rien d’autre que des titres de dette, tout ou partie, dans la mesure où ils représentent des flux
futurs d’une transaction commerciale déjà préétablie, et qui ne sont en théorie pas éligibles à une
négociation au niveau du marché secondaire. Cette titrisation permet, entre autres, d’accentuer
l’omniprésence des produits basés sur l’endettement et donc possiblement l’expansion de la base
des crédits, cause essentielle d’instabilité selon Maurice Allais (Allais, 1999). Le risque de défaut,
propice aux activités spéculatives à la baisse, n’en devient que plus probable. Avec l’expansion de ce
genre de pratiques, la vertu de la FI qui s’exprimait à travers l’interdiction de la négociabilité de la

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dette (Usmani, 2002), permettant davantage de stabilité et de corrélation entre la finance et
l’économie, s’érode. Les IFI se rapprochent donc du système conventionnel, plus favorable à la
titrisation de la dette, propice à la spéculation.
Le constat est confirmé par DeLorenzo et McMillen (2013, p3 et p40) selon qui la majorité des
Sukuk actuels sont basés sur de la dette souveraine et non des actifs. A titre illustratif, il s’avère que
les flux générés par les Sukuk Ijara reflètent bien plus le LIBOR, avec quelques points en plus (Jabeen
et Khan, 2008, p7), que les revenus et loyers réels générés par l’actif sous-jacent (Al Amine, 2008, p8).
Ce fut par exemple le cas des Sukuk pakistanais en 2006, ayant une rémunération sous la forme : Libor
+ 2,2% (Jabeen et Khan, 2008, p7), alors que « ce pricing n’a aucun lien avec la performance du sous-
jacent ». Ils sont structurés à l’image des obligations conventionnelles afin d’être notés par les
agences de notation et rentrer dans leurs critères principaux que sont :
• La solvabilité de l’actif titrisé et des payeurs ;
• La structuration de la titrisation ;
• La crédibilité juridique de la transaction.
Ainsi, les agences les notent de la même manière qu’elles notent les obligations et avec les mêmes
critères (Al Amine, 2008, p3), ce que nous avons vérifié à travers certains rapports de Standard &
Poor’s sur les Sukuk (Sukuk Outlook, 2015). C’est pour cette raison qu’ils sont classés par les agences
de notation comme des actifs à revenus fixe. Précisons que l’agence de notation S&P ne considère pas
comme défaut de paiement le non remboursement du nominal si l’émetteur a, dès l’émission, déclaré
que c’est un contrat participatif sans garantie du nominal (Hassoune, 2006, p3), même si cette dernière
ne prenait pas la peine de noter en 2006 les Sukuk non garantis par l’émetteur (ces derniers sont notés
de la même manière que l’émetteur lui-même). L’écosystème reflète donc le fond des contrats Sukuk,
celui de contrats incorporant de la dette, voire dominés par cette dernière.
La Malaisie va plus loin en ce sens à travers des produits qui ne sont que des répliques des
produits de crédit classique, basés sur le concept proscrit de Al Iinah232, retrouvés notamment dans les
tentatives de Jobst (2008, p3) ‘’d’islamiser’’ le crédit hypothécaire ou le lease-back. Parmi ces produits
nous pouvons relever :
• Les GII (Government investment issue) ;
• Les Islamic treasury bills ;
• Les BNMN (Bank Negara Monetary Notes) ;
• Les MITB ;

232 Bay al iinah : Procédé par lequel un client en besoin de liquidité achète à tempérament un bien puis le revend immédiatement à celui
qui le lui a vendu, en se faisant payer cette fois en liquide, mais avec un montant inférieur. Le résultat de cette transaction est la
génération d’une dette dont le montant de remboursement dépasse le montant prêté, une réplique du crédit classique mais utilisant une
transaction intermédiaire pour atténuer l’aspect illicite. Ce procédé est proscrit chez trois des quatre principales écoles de jurisprudence,
et fait divergence dans l’école Chaféite, qui domine en Malaisie.

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• Les NIDC (Negociable Islamic Debt Certificate) …
L’ensemble de ces produits faisant intervenir la titrisation et la négociabilité de la dette sont basés sur
al iinah et sont déclarés illicites dans les autres juridictions de la FI, car ils contreviennent explicitement
à l’un des textes fondateurs de la FI. La prolifération de ce genre de produits monétaires purs permet
l’amplification de la dette et des bulles spéculatives éventuelles qui y sont liées. L’une des
explications sur la prolifération de ces instruments est le fait que les montages se font généralement
par des cabinets juridiques classiques (Omar, Abduh et Sukmana, 2013, p101), comme cela fut relevé
dans le premier chapitre de cette même partie consacré à l’arbitrage réglementaire et fiscal. Le
schéma ci-dessous illustre dans quelle mesure trois des quatre principales transactions dominant les
marchés Malaisiens sont basés sur un prêt à intérêts.

Figure 30 : Volume des principaux instruments interbancaires en Malaisie (Askari et al, 2013, p125)

Iinah iinah iinah

Les Sukuk
les plus liquides

Une autre explication de la tendance à la réplication est la présence de plus en plus importante
au niveau académique de chercheurs ayant une formation en finance conventionnelle et qui essaient
d’islamiser, à travers des détours juridiques, les produits classiques qu’ils maitrisent, ce qui donne
des propositions encourageant la titrisation et la négociabilité des créances (réescompte d’effets de
commerce…) à une valeur différente de la valeur nominale (Davies, 2013, p43), élément proscrit par les
principes de la FI. Nous retrouvons cette idée, entre autres, chez Jobst (2008, p2), Andreas de son
prénom : « la FI peut synthétiser de proches équivalents à l’Equity, aux crédits hypothécaires et aux
dérivés connus en finance conventionnelle », une assertion qui semble dénuée du recul nécessaire par
rapport aux principes fondateurs que nous avons pris le soin d’étayer en première partie. Ces analyses
sont actuellement pléthore. Hideur (2013) constatait que « l’exercice des activités des IFI reste inféodé
au système dominant dans ses référentiels techniques, réglementaires et professionnels. Certains de
ces établissements, dans leur souci de s’imposer dans leur environnement concurrentiel et d’offrir une
rémunération compétitive à leurs actionnaires ou leurs investisseurs tout en réduisant les risques

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- 264 -
inhérents à leurs opérations, n’hésitent pas à s’aligner tout simplement sur les pratiques de la finance
conventionnelle. C’est ainsi que de nombreux produits sont structurés de sorte à satisfaire aux règles
de validité subsidiaire mais constituent, en fait, une duplication de leurs équivalents usuraires vidant
les contrats inhérents de leur substance charia ».
Ces démarches vont bien entendu à l’encontre des objectifs de la FI, notamment de la règle
jurisprudentielle selon laquelle ce qui sort de la propriété pour y revenir n’est qu’artifice ou ruse
(‫)ما خرج من اليد وعاد إليها فهو لغو‬. Cette approche pose problème en réalité lorsqu’il s’avère que c’est la
perception et la compréhension globale du système financier islamique qui fait défaut chez certains
chercheurs et opérateurs, notamment quand ils parlent de prêts islamiques qui répliquent bien les
prêts classiques (Jobst, 2008, pp5-7), alors que tout prêt d’argent est gratuit et non lucratif en Islam, et
c’est un des éléments de base des enseignements de la FI. Al Suwailem (2006, p105) conclut à ce
propos que les inconvénients de cette tendance à la réplique de produits conventionnels se font
essentiellement ressentir à long terme. Ils se font également ressentir au niveau des perspectives de
spéculation plus importantes qu’ils offrent. Nous avons vu que la titrisation de la dette trouvait des
voies d’expression tant au niveau indirect (à travers les critères de screening et les actions) qu’au
niveau direct (à travers certains Sukuk et produits interbancaires représentant essentiellement de la
dette). Ces éléments permettent donc de nuancer la résilience théorique de la FI à ce facteur de la
spéculation, surtout par rapport aux pratiques dirons-nous, et non à la pratique, vu que ces pratiques
sont de plus en plus diverses et variées.

Conclusion du chapitre
L’étude des facteurs exogènes de la spéculation a permis de conforter les conclusions tirées du
premier chapitre sur la résilience des principes de la spéculation. Cette résilience théorique est, ici
également, à nuancer pour un certain nombre d’éléments. Précisons que le fait de nuancer la
résilience est commun à l’ensemble des facteurs, sans exception. Pour autant, la remise en cause
sérieuse de la résilience ne concerne que certains facteurs. Au niveau du cadre réglementaire, cela
concerne notamment l’arbitrage réglementaire et fiscal, les opérations et les comptabilités parallèles,
la cotation continue ainsi que le poids des lobbys. Pour les facteurs liés au contexte financier, cela
concerne la structure oligopolistique et la domination de l’analyse comportementale. Pour les facteurs
du cadre macroéconomique, cela concerne le système bancaire la dette et la détérioration de
solvabilité, ainsi que la création monétaire et l’abondance de liquidités. Tout l’objet de la partie qui suit
est d’élaborer un instrument de mesure qui permettra de mettre tout cela en perspective.

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- 265 -
PARTIE IV

4 ENQUÊTE ET CONSTRUCTION DU BAROMETRE


D’EVALUATION DU RISQUE SPECULATIF

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- 266 -
CHAPITRE I

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- 267 -
4.1 Méthodologie de recherche
L’objet de ce chapitre est de présenter la méthodologie suivie pour relater l’appréhension des
dimensions liées à la spéculation durant le processus exploratoire. Nous y présenterons au préalable
un bref rappel méthodologique. Le schéma suivant reprend le cheminement qui caractérise
généralement la recherche doctorale en sciences sociales :
Figure 31 : Etapes caractéristiques d’un travail de recherche

Source : Van Campenhoudt & Quivy 2011

4.1.1 Phase exploratoire : Lectures et séminaires en FI


Durant les premiers mois de notre recherche, nous étions essentiellement focalisés sur la revue
de littérature, tout naturellement, et surtout sur la littérature portée sur la FI. Ce faisant, le parcours
des ouvrages, des conférences et des articles de référence sur la question fut un préalable naturel à la
compréhension des caractéristiques du système financier islamique dans son ensemble.

Le long de cette exploration bibliographique, l’objectif fixé était de comprendre dans quelle
mesure la FI serait-elle qualifiée de système financier. Dans son acceptation la plus large, cet objectif
s’étend aussi à la présentation des raisons propres audit système islamique, comparativement à
d’autres systèmes, qui le rendent capable de mieux faire face à l’instabilité et la spéculation. Cette
quête implique aussi l’identification de l’ensemble de ses différences notables avec le système

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capitaliste. Dans le sillon suivi, il fallait également retenir les points de concordance. A ce titre, nous
avions pris l’initiative d’assister à des dizaines de conférences et séminaires internationaux relatifs à la
question, afin de soumettre, de vive voix, les interrogations les plus pressantes que nous avons pu
dégager de nos diverses lectures. Les réponses collectées auprès des experts du domaine, en marge de
leurs engagements, ont été soigneusement compilées et étudiées, afin d’aller de l’avant au niveau de
la compréhension du système financier islamique dans son ensemble.

4.1.2 Phase de synthèse initiale : Premières publications


Dans le cadre de l’élaboration des travaux traitant de près les questions pressantes, en marge
de notre exploration bibliographique et des entretiens effectués, certaines questions demeuraient
pesantes. Ces questions ont soulevé des blocages à l’avancement de l’analyse même quand, prises
dans leurs détails, elles s’apparentent à des points qui ne sont pas forcément décisifs dans le cadre du
traitement d’une problématique aussi précise que la nôtre. Toutefois, nous avons jugé qu’il est
nécessaire d’apporter des réponses adéquates, et ce, dans la perspective d’une meilleure
compréhension du sujet traité. En fait, certains points, qui constituaient un blocage à l’avancement,
semblaient absents dans le traitement offert par les ouvrages et les articles académiques que nous
avons pu consulter, analyser et étudier. Nous étions alors appelés à leur consacrer une étude dédiée
qui fit l’objet de publications scientifiques. C’est notamment le cas de la question de la récupération
des matières premières dans la jurisprudence islamique ou encore celle de l’impact du transfert
physique des marchandises sur les marchés financiers contemporains. Contourner ces points
d’interrogations nous a permis d’avancer dans notre recherche en améliorant davantage sa cohérence.
Notre effort était alors surtout de produire certains articles et les communiquer au niveau de plusieurs
séminaires et revues scientifiques, surtout durant la seconde et troisième année de notre recherche.

4.1.3 Première phase exploratoire terrain en Malaisie, vision


qualitative
Lorsque nous avons jugé que la première phase de l’examen bibliographique servant à la
compréhension préliminaire du sujet, sous l’égide de notre directeur de thèse, était relativement
concluante, nous avons décidé de nous rendre en Malaisie pour un contact pratique direct avec les
opérateurs sur le marché financier et les régulateurs de ce pays. Le choix de ce pays n’est pas du tout
fortuit. Il s’explique essentiellement par la réputation de pays avancé en matière de FI. L’objectif de ce
déplacement était de prendre les impressions des principaux opérateurs du domaine sur les questions
que nous avons abordé, ainsi que de leur soumettre notre première version du questionnaire qualitatif.

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- 269 -
Les outils qualitatifs, bien que préconisés dans le cadre de recherches abductives ou inductives,
peuvent également être mobilisés lors du test d’un modèle ou de propositions (approche hypothético-
déductive). En effet, il existe des situations dans lesquelles les données résultant d’entretiens ou de
documents sont insuffisantes pour utiliser des outils quantitatifs. Dans ce cas, le chercheur établit, de
manière générale, une règle de décision lui permettant de déterminer quand il doit infirmer ou
corroborer une hypothèse à partir d’arguments provenant des données recueillies. Pour faciliter la
détermination de la règle de décision, le chercheur s’appuie sur la nature des hypothèses émises
préalablement. Celles-ci peuvent être considérées comme soit purement confirmables, soit purement
réfutables ou encore à la fois confirmable et réfutable (Zaltman, Pinson, et Angelmar, 1973). Ces
entretiens ont permis de procéder, progressivement, aux ajustements nécessaires au questionnaire
dans le cadre du test du guide d’entretien233. A l’issue de ces entrevues, le guide d’entretien arrivait à
une certaine maturité, et nous avions par la même occasion pu récupérer les propos des principaux
acteurs du domaine sur nos interrogations. Parmi les experts que nous avons approchés, nous pouvons
citer à titre non exhaustif :
• Le directeur de BursaMalaysia ;
• Trois responsables de l’autorité de régulation boursière, en charge de la FI au
niveau de la securities commission, organisme de régulation principal en Malaisie ;
• Le directeur d’ISRA, spécialiste des questions de charia en FI ;
• Un éminent professeur enseignant à INCEIF et spécialiste de longue date des
questions de FI, reconnu sur le plan international ;
• Un opérateur d’une IFI de Kuala Lumpur ;
• Un responsable d’un organisme de régulation prudentielle de renom au niveau
international, ayant requis l’anonymat ;
• Un certain nombre de professeurs et spécialistes de la FI.

Les entretiens effectués avec ces experts de la FI en Malaisie nous ont fortement aidé à confirmer un
certain nombre de constats relevés au niveau de la littérature, surtout lorsque l’expérience de ce pays
était évoquée. Ce fut l’un des volets majeurs de notre étude terrain. Les principaux éléments de ces
entretiens seront évoqués ultérieurement. Pour autant, une dissonance importante persistait et
semblait de plus en plus incontournable au fil des discussions.

233
Le guide d’entretien sera en effet bien plus mature. Pour autant, il sera réorienté vers une étude qualitative, qui s’avèrera plus en
phase avec les impératifs de notre thèse. Ce point sera détaillé davantage.

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- 270 -
4.1.4 Retour à la littérature et confrontation à la dissonance
Le déplacement en Malaisie a mis en exergue un certain nombre de contrastes entre les
ouvrages, souvent idéalistes, décrivant le fonctionnement de la FI et les pratiques observées
effectivement sur le terrain. En toute logique, cette dissonance nous amena à repositionner l’ensemble
de notre réflexion vers une démarche plus nuancée par rapport au ton général que l’on peut retrouver
dans ce domaine. Dans l’optique d’assurer l’objectivité tant exigée dans pareille recherche, et afin
d’éviter d’être prisonnier de tout jugement préalable ou hâtif, nous nous sommes appuyés sur un
certain nombre d’articles à la tonalité plus critique. Le but était de pouvoir éventuellement dégager
une synthèse, objective et féconde, du système financier islamique, en partant des principes
fondateurs, sans pour autant négliger les pratiques courantes qui le façonnent effectivement.

Dans cette construction, étant donné que nous avons émis l’hypothèse selon laquelle les MFI
étaient immunisés face aux facteurs pouvant contribuer au risque spéculatif, un renversement total
de notre posture méthodologique s’est opéré pour passer de l’approche hypothético-déductive à une
démarche hypothético-déductive falsificatrice. Comme cela fut rappelé en introduction, dans les
schémas complexes dont la nature même rend difficile de prouver que l’ensemble des facteurs sont
absents, il devient plus simple de prouver que l’un des facteurs est présent, et tester l’hypothèse. Il
fallait alors démontrer qu’au moins un facteur de spéculation pouvait se manifester dans ces marchés,
pour pouvoir remettre en cause l’hypothèse. L’incapacité à aller au bout de cette démonstration
constituerait une confirmation de l’hypothèse. Dans cette perspective, l’identification de notre
idéaltype, et l’élaboration de notre référentiel conceptuel furent des étapes décisives.

4.1.5 Confrontation à l’hétérogénéité des référentiels sur la


spéculation
C’est à l’issue de l’étude de la FI en tant que concept, à travers une centaines d’articles et
ouvrages, que nous avions dû nous pencher plus sérieusement sur la question de la spéculation. La
littérature francophone à ce sujet étant très limitée, biaisée et très peu représentative des véritables
discordes et controverses existantes, nous avons naturellement pris le chemin des publications
anglophones, plus riches. Le concept de spéculation fut bien plus compliqué à cerner, et nous a posé
un nombre inattendu d’obstacles. Ce dernier était en fait le bouc émissaire qui servait aussi à de
nombreux chercheurs en FI pour appuyer leur défense de ce modèle alternatif, lorsqu’ils manquaient
parfois d’arguments scientifiques et vérifiables. Pourtant, peu d’économistes s’accordent à lui donner
une définition communément acceptée.

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- 271 -
A cette étape, nous avions décidé de mettre en suspend nos recherches sur la FI, pour nous
concentrer sur la clarification du concept de spéculation. Il a fallu dans un premier temps commencer
par identifier les divergences principales, avant de passer en revue les théories évoquant et traitant la
spéculation de manière générale, sans omettre de répertorier les causes explicatives de ce phénomène.
A vrai dire, ce n’est qu’après la lecture, en 2015, d’une quarantaine d’ouvrages et d’articles sur la
question qu’il nous a été possible de cerner, relativement, le concept par ses définitions, ses théories
explicatives et ses principaux facteurs. Cela a permis, en trois temps, de dégager une certaine
catégorisation et hiérarchisation de ces facteurs, du point de vue théorique : notre nomenclature. La
première et principale enquête empirique permettra de vérifier et/ou corriger cette hiérarchisation.

4.1.6 Changement du type d’enquête adopté, définition du panel


Etant placé dans un cadre épistémologique dont les implications sont bien différentes à
plusieurs égards, l’approche à suivre se devait de varier en vue d’une adaptation. L’objectif n’était
plus de comprendre dans quelle mesure la FI était-elle immunisée face au risque spéculatif, mais plutôt
dans quelle mesure elle ne l’était pas, et donc dans quelle mesure elle était exposée. Il fallait alors
constituer un idéaltype s’appuyant sur une somme de conditions, qui constitueraient le MFI idéal
exempt de spéculation, et ensuite explorer et chercher les facteurs de la spéculation qui
s’inviteraient éventuellement dans un MFI, en pratique (partie III et V).

A cette étape, la nature de l’enquête a également changé. La partie empirique a dû concerner,


non seulement, la vérification des hypothèses d’immunité relatives au MFI (partie V), mais également,
et surtout, les hypothèses de classement des facteurs de la spéculation (partie IV), concernant les
marchés financiers conventionnels. Ces facteurs constituent, en fait, le socle de notre concept : le
baromètre. L’enquête relative à ces facteurs se devait d’être quantitative, vu qu’il en résulterait un
classement numérique et un outil pondéré par les résultats de ce classement. C’est à cette étape que la
démarche qualitative fut abandonnée.

A cet effet, l’enquête représente, dans le cadre de notre recherche, l’aboutissement des efforts
de conceptualisation théorique, à travers leur confrontation aux données recueillies. Les éléments
théoriques obtenus, à travers le processus d’induction qui a servi dans la structuration des facteurs de
la spéculation (partie II), seront utilisés comme cadre de base pour l’élaboration de nos questions
soumises au panel d’experts des marchés financiers conventionnels (partie IV) ainsi qu’aux experts des
MFI (partie V) qui seront, eux, bien plus rares. Ainsi, bien que nombreux, les facteurs de la spéculation
donneront lieu, pour chacun d’entre eux, à une ou deux questions principales dans notre questionnaire.

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- 272 -
Pour ce qui est de la formulation du questionnaire, certaines précautions sont incontournables.
Dans certains cas de figure, la tournure de la question exerce une influence, de manière décisive, sur la
réponse éventuelle. Bourdieu soulignait que « si la relation d'enquête se distingue de la plupart des
échanges de l'existence ordinaire, en ce qu'elle se donne des fins de pure connaissance, elle reste, quoi
qu'on fasse, une relation sociale qui exerce des effets » (Bourdieu, 1993). Le paradigme positiviste234,
supposant une innocence épistémologique, s’avère être, dans le cas des sciences sociales, un idéal
difficile à concilier totalement avec la pratique. A cet égard, notre posture est d’essayer de s’en
rapprocher, autant que faire se peut, en mettant de côté tout élément, sous-jacent aux questions, qui
puisse orienter, d’une manière ou d’une autre, le répondant235. C’est ainsi que les questions ont été
reformulées à de nombreuses reprises, l’objectif ultime de tout chercheur étant la neutralité
axiologique236 tout au long des étapes fondatrices de son exploration. Le choix de questionnaires à
échelle de Lickert 237 fut l’une des manifestations de cette quête de neutralité. Ce choix fut
l’aboutissement d’un nombre très important de reformulations des questions et de la structuration du
questionnaire, tout au long des tests préliminaires dont le plus important fut le déplacement en
Malaisie et les entretiens qui y ont été conduits.

Dans le cadre de cette quatrième partie, et afin de pouvoir mettre en relief les éléments
analysés lors de la phase exploratoire sur le concept de spéculation, nous avons jugé nécessaire de
confronter les définitions et théories explicatives collectées sur le concept, à la pratique. A ce titre
nous avons élaboré une enquête quantitative sur les facteurs de spéculation en finance
conventionnelle, que nous avons soumise à un public relativement diversifié, averti et plus proche des
enjeux et des questions de la finance de marché. La liste de ce public comprend notamment :

o Des chercheurs en finance de marché ;


o Des professeurs de finance ;
o Des professeurs de finance de marché ;
o Des professeurs d’économie ;

234 « L’épistémologie positiviste s'inspire des trois axiomes de la syllogistique d’Aristote fondant la logique formelle contemporaine :
l'axiome d'identité, l'axiome de non-contradiction et l'axiome du tiers exclu. Elle reprend “ les règles pour la direction de l'esprit ” de
Descartes, Le Discours de la méthode (1637), qui postule la dualité sujet/objet et préconise le raisonnement déductif et analytique basé
sur les quatre préceptes : évidence, exhaustivité, réduction et causalisme. Le paradigme positiviste a été institutionnalisé par Auguste
Comte à travers son « tableau synoptique des disciplines scientifiques » construit en 1828, en le qualifiant de positif, le mot positif
désignant le réel. Le positivisme postule que la connaissance que constitue progressivement la science est la connaissance de la Réalité,
une réalité en soi, objective, indépendante des observateurs qui la décrivent ».
URL : http://theses.ulaval.ca/archimede/fichiers/20640/ch03.html#d0e1417 (24/04/2017)
235 Il est utile de souligner ici qu’un économiste avait attiré notre attention sur une des premières versions des questions, et l’aspect

éventuellement subjectif de certaines, ou qui pourraient influencer le répondant. Nous avons très tôt pris en compte cette remarque afin
de soumettre aux experts financiers et aux experts des MFI.
236 Neutralité axiologique : Notion introduite par Weber prônant une réserve totale de jugements de valeur lors de la recherche.
237 Echelle de Lickert : Echelle de mesure discrète, de 1 à 5, de type faible, moyen, bon…

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- 273 -
o Des opérateurs de finance de marché (trader, broker, régulateur...) ;
o Des experts en finance de marché (consultants en finance de marché...).
Dans ce cadre, il convient de ne pas nier que les discussions menées avec certains doctorants et
étudiants en finance de marché nous ont permis parfois d’aiguiller notre façon de voir les choses et
surtout de faire ressortir des idées depuis le terrain. Il est à noter que l’étude documentaire et
théorique menée fait référence à un nombre important de facteurs, délicats à hiérarchiser tout en
gardant la neutralité axiologique exigée. L’enquête menée nous permettra de trancher, à l’aide
d’avis de praticiens et d’académiciens, sur la hiérarchie à donner aux facteurs de la spéculation, leur
ordre d’importance, et leur pondération dans notre instrument de mesure en cours d’élaboration.
Les détails des conclusions tirées de ce questionnaire seront développés au sein de cette partie. Cette
enquête n’est pour autant pas la seule, bien qu’étant la principale, vu qu’elle sera aussi appliquée aux
experts et praticiens des MFI (partie V).

4.1.7 Finalisation de l’approche méthodologique adoptée


Dans le cadre de cette partie empirique, nous approcherons le concept à travers une
structuration de ses facteurs dans un baromètre qui sera notre indicateur pour le risque de spéculation,
élaboré à partir de l’ensemble des travaux qui précèdent et de cette partie. Ce n’est qu’en passant par
l’étape de l’idéaltype que nous pouvons nous permettre de mesurer le risque de spéculation, à travers
l’évaluation des écarts avec cet idéaltype, notamment pour « discerner plus facilement, grâce à l'écart
entre le développement effectif et le développement idéaltypique, quels en ont été les véritables
motifs » (Weber, 1921, p56), cela sans se risquer à tomber dans le biais idéologique que nous
retrouvons dans de nombreuses analyses relatives à notre domaine. Concrètement, « il s’agit alors de
comparer la réalité sociale avec ces types idéaux. C’est ainsi que, par cette comparaison, certains faits,
en correspondant aux types idéaux, sont mis en relief, se détachent de la confuse complexité ambiante,
prennent sens. On peut les mesurer par ces types idéaux » (Dantier, 2004, p4). Notre approche
méthodologique se place dans ce cadre, comme décrit par Weber, qui permet d’adresser le concept
polysémique de la spéculation.
Nous avons donc choisi d’étudier les causes de la spéculation analysées par les spécialistes afin
de les agréger et les utiliser dans notre idéaltype, pour éviter de tomber dans la subjectivation du
concept. « Ces choix, extractions et accentuations sont l’œuvre du savant. Ils sont structurés en
s’éloignant de cette réalité par leur pureté logique, pour mieux la retraiter et la penser. Ils ne sont donc
pas issus d’une sorte de synthèse de l’existant, comme autant de copies de lui, mais permettent une
analyse de cet existant. » (Dantier, 2004, p4). A travers la construction d’un baromètre mesurant le

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- 274 -
risque de spéculation, et dont la version de référence (MFI idéal) représente l’idéaltype exempt de
toute cause de spéculation, nous nous rapprocherons de la rigueur énoncée par Weber lorsqu’il
avance que « plus la construction des idéaltypes est rigoureuse, c'est-à-dire plus elle est étrangère à la
réalité en ce sens, mieux elle remplit son rôle du point de vue de la terminologie et de la classification
aussi bien que de celui de la recherche » (Weber, 1921, p57).
Dans un souci d’actualisation, nous avons aussi opté pour la confrontation avec les pratiques
dominantes ainsi que les avis d’experts académiques et de MFI afin de valider empiriquement, nuancer
ou infirmer les conclusions de l’étude documentaire sur les principes de la FI et leur rapport à la
spéculation. Rappelons que « ce n’est qu’en de très rares cas (celui de la Bourse), et encore de façon
approximative, que l’activité réelle se déroule telle qu’elle est construite dans l’idéaltype. » (Weber,
1921, p52). Notre étude montre d’ailleurs que mal en a pris à Weber de donner comme exemple la
bourse pour illustrer rapprochement de l’activité réelle (boursière) à l’idéaltype (CPP) élaboré par les
théoriciens de l’économie politique, malgré qu’il ait tempéré par un ‘’et encore’’ dans sa phrase.

Par ailleurs, l’agrégation des facteurs de la spéculation et leur pondération obéit, dans le cas de
notre baromètre, au principe de l’individualisme méthodologique238, qui fait l’objet « d’un large
consensus en économie » (Boudon, 1983). Ainsi, les facteurs ne sont pas des éléments subis devant
lesquels l’humain est passif, comme par exemple les conditions météorologiques. Ces facteurs de la
spéculation sont le fruit de stratégies individuelles lorsqu’ils sont endogènes, et le fruit d’interactions
d’opérateurs et d’institutions lorsqu’ils sont dans la catégorie ‘’exogène’’. Cet élément est à garder à
l’esprit afin d’avoir une lecture objective du baromètre. Pour autant, pouvons-nous dire de
l’élaboration de ce baromètre qu’elle est scientifiquement neutre et objective en tout point ?

Indépendamment de ce qui est avancée, le passage par le procédé de l’idéaltype ne doit pas
cacher la contingence de l’analyse, tant le concept approché relève de la science sociale et donc de
l’interaction humaine qui est par nature toujours complexe et en constante évolution. « À la
différence des ‘’types moyens’’ qui ne peuvent que résumer statistiquement des différences de degrés
de la part d’une même catégorie homogène, les types idéaux sont des constructions mentales du
chercheur plus adaptées à la complexité du social en mettant en relation pour chaque processus les
divers et hétérogènes ‘’sens visés’’ (Dantier, 2004, p4). Bien que le cadre soit scientifique et
relativement universel, ses composantes et ses variables doivent permettre une certaine latitude et

238Individualisme méthodologique : « L'expression individualisme méthodologique désigne, dans les sciences sociales, la démarche
explicative selon laquelle rendre compte d'un phénomène collectif (macroscopique) consiste à l'analyser comme la résultante d'un
ensemble d'actions, de croyances ou d'attitudes individuelles (microscopiques). Elle a été d'abord appliquée à la façon dont les faits
économiques ont été pensés, entre 1870 et 1914, par les économistes néo-classiques. »
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/individualisme-methodologique/ (09/03/2017)

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- 275 -
adaptabilité selon l’époque et le lieu. Concrètement, « les types idéaux ne sont donc pas une
description des faits sociaux et de leurs rapports, encore moins sont-ils ces faits eux-mêmes : mais ils
constituent une approche de ces faits, un procédé heuristique 239 les faisant apparaître toujours
partiellement et transitoirement » (Dantier, 2004, p5).

Dans cette optique, l’un des principaux défis de cette thèse fut d’opter pour la meilleure
posture épistémologique dans une discipline qui est à l’intersection de plusieurs domaines, assez
éloignés et obéissant à des paradigmes aux fondements complexes, parfois contradictoires. Le choix
d’un positionnement adéquat est d’autant plus délicat qu’une partie de la thèse emprunte la voie de
l’induction alors que l’ensemble est plus dans la déduction. En tout état de cause, un positionnement
épistémologique adéquat permet de valider le caractère scientifique de la connaissance produite,
qui est l’objet essentiel d’un travail de thèse. La posture choisie se doit donc d’être adéquate vu que
l’épistémologie peut « être définie comme la philosophie de la science » dont l’objectif est de
déterminer le caractère scientifique ou non du savoir produit (Perret et Séville, 2003, cités par Abu
Hamdane, 2013, p25).
A cet effet, il est utile de rappeler que, dans sa globalité240, notre recherche s’inscrit dans un
cadre hypothético-déductif de falsification241, comme étayé au niveau de l’introduction générale.
Nous nous donnons pour objectif de constater si, éventuellement, il est possible qu’un certain nombre
d’éléments infirment l’hypothèse selon laquelle les MFI sont immunisés face à tous les facteurs du
risque de spéculation. Cet objectif a été en partie atteint au niveau de la partie précédente, d’un point
de vue documentaire et au niveau de la littérature de seconde main. La présente partie servira surtout
à formaliser notre démonstration à travers l’établissement de notre instrument de mesure, clôturant
ainsi la parenthèse constructiviste de notre recherche, avant de le confronter à la pratique, aux
données primaires.
Dans le cadre de cette démarche hypothético-déductive de falsification, le chercheur s’inscrit
dans une démarche de test de modèle élaboré à partir de la théorie. Ce modèle théorique
représentera les principes fondateurs de la FI. La démarche de recherche est alors définie avant
l’intervention du chercheur sur le terrain. La méthode, si elle est fiable et valide, garantit des résultats
non biaisés : - un instrument de mesure fiable produit les mêmes résultats quelle que soit la
personne qui l’utilise et à n’importe quel moment ; - un instrument de mesure valide donne toujours

239 Heuristique : « Ce terme de méthodologie scientifique qualifie tous les outils intellectuels, tous les procédés et plus généralement
toutes les démarches favorisant la découverte - c'est la racine grecque du mot - ou l'invention dans les sciences »
URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/heuristique/ (09/03/2017)
240 Ce qui n’implique pas la totalité des parties de la recherche
241 http://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2413/files/2015/02/mbengue.pdf

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- 276 -
la bonne réponse (Kirk et Miller, 1986). Notre instrument de mesure, nous l’avions déjà avancé, devra
être aussi universel et aussi adaptable que possible, afin de pouvoir donner des résultats comparables
même si les marchés observés sont différents. En somme, dans ce genre de recherches, les
connaissances sont démontrées. Elles sont appréhendées en termes de vrai ou de faux (Blaug, 1982).
C’est le cadre post-positiviste de la recherche.
Ceci étant dit, il convient de reconnaître l’aspect moral et relatif des éléments qui seront
étudiés tout au long de notre recherche, surtout lorsque nous entamerons la partie dédiée à la FI. Afin
de garder une certaine objectivité scientifique, le chercheur doit s’efforcer de garder sa « neutralité
axiologique », un concept fondamental chez Weber, et qui fait selon lui que les critères d’évaluation se
doivent d’être scientifiques, et non basés sur des jugements de valeurs émanant de conclusions non
scientifiques. Cela étant, notre recherche a un cap principal qui est de mesurer des phénomènes, afin
de se démarquer de la posture interprétative qui consiste à interpréter des phénomènes, et qui nous
éloignerait de la posture post-positiviste, hypothético-déductive falsificatrice. La recherche scientifique
s’inscrit donc dans un cadre logique et qui s’efforce de ne pas opter pour des positionnements
idéologiques injustifiés, ou du moins, non valides d’un point de vue scientifique.
Cela n’empêche pas le chercheur d’avoir des positionnements personnels quant aux valeurs :
« Absence de doctrine et objectivité scientifique n’ont entre elles aucune affinité interne » (Weber, 1921,
p132), tant que ceux-ci n’interfèrent pas dans le processus de construction scientifique cadrant les
différentes étapes de la thèse. L’idéaltype reste à ce niveau le meilleur garant de l’objectivité détachée
des jugements de valeur, tant il implique des critères et composantes clairs et précis. En effet, « le type
idéal est un tableau simplifié et schématisé de l’objet de la recherche auquel l’observation systématique
du réel […] doit être confrontée », il ne s’agit au final ni du type moyen, ni du vrai ni du plus fréquent, ni
de l’idéal au sens pratique, mais d’une stylisation de la réalité (Schnapper 2012 cité par Abu Hamdane,
2013, p31).
Récapitulons de manière synthétique les étapes nécessaires à la validité de cette démarche
hypothético-déductive de falsification :
• Observation / questionnement ;
• Élaboration d’une hypothèse (qui doit être réfutable) ;
• Déduction de prédictions (qui peuvent être testées et éventuellement invalidées) ;
• Définition d’expériences pour pouvoir tester les prédictions ;
• Validation ou invalidation des prédictions (et donc hypothèses) par l’expérience ;
• Validation permettant de consolider l’hypothèse qui devient alors théorie.

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- 277 -
Si plusieurs validations de l’hypothèse ne représentent pas une preuve absolue en faveur de la théorie
(des expériences plus sophistiquées pourraient invalider la théorie ultérieurement), tout résultat
négatif, obtenu par l’expérience, invalide l’hypothèse de départ. 242

Pourtant, ne semble-t-il pas paradoxal d’entremêler l’approche post-positiviste hypothético-


déductive de falsification à l’approche constructiviste utilisant l’induction ? Ce choix, déjà présenté
en introduction, nous a semblé le plus approprié pour cette problématique. En effet, « à chaque
question de recherche sa méthodologie » (Abernot & Revenstein, 2009, p65), et donc à chaque
recherche sa démarche la plus appropriée. L’outil qui devait nous permettre de tester notre
hypothèse n’existait pas, il a fallu le construire. A cet égard, toute la partie qui a consisté à explorer
les théories de la spéculation et, par la suite, les facteurs de la spéculation s’inscrivait dans une
posture constructiviste. Le but est de comprendre, avant de construire le type idéal, les contours d’un
marché exempt de facteurs de spéculation. La formalisation, le choix de critères de mesure, et la
schématisation de notre instrument de mesure à la suite de notre enquête quantitative auprès
d’experts de la finance, seront l’aboutissement de cette parenthèse constructiviste de la thèse, avant
de pouvoir passer à la vérification ou la falsification de l’hypothèse, à travers la confrontation de
l’idéaltype aux pratiques. Rappelons que cette méthode consiste à élaborer un modèle que nous
testerons à partir de la théorie. Le modèle théorique de référence a trait, dans notre cas, aux principes
fondateurs de la FI. Cette confrontation, ayant déjà été initiée du point de vue de la littérature sur les
MFI, sera ici finalisée à travers l’élaboration de l’instrument de mesure complet. Son utilisation
interviendra en cinquième partie.

4.1.8 Difficultés
Comme pour tout travail de recherche, les difficultés n’ont pas tardé à apparaître dès les
premiers mois de notre exploration. L’un des premiers éléments qui fut un obstacle à l’avancement
rapide de la revue de littérature fut la focalisation de la majorité des travaux sur les IFI et le manque
de documentation spécifique aux MFI. Naturellement, la langue française n’offre pas un cadre
exhaustif et actualisé pour contourner tous ces points. Il a fallu composer avec les écrits en anglais et
en arabe. L’hétérogénéité des cadres jurisprudentiels régissant les différentes juridictions de la FI fut
un obstacle qui nécessitait également beaucoup de recul.

En ce qui concerne le concept de spéculation, nous nous retrouvions bien souvent prisonniers,
même lors de la lecture des plus grands économistes dans les revues américaines les plus prestigieuses

242 https://doc.rero.ch/record/24952/files/mp_ms2_p20057_2010.pdf (24/07/2018)

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- 278 -
telle Economica, de bipolarisations idéologiques qui biaisaient certaines démonstrations, notamment
entre les académiciens d’obédience libérale comme Jean Tirole et les académiciens d’obédience néo-
keynésienne comme Orléan ou encore ceux qui ont un positionnement syncrétique tels que Hirshleifer.
Lorsqu’il s’agissait de publications focalisées sur des démonstrations purement mathématiques, nous
tenions à en tirer les enseignements adéquats. Nous nous intéressions alors surtout aux hypothèses et
aux conclusions intermédiaires, ainsi qu’aux critiques de tiers sur la démonstration. L’aboutissement
vers une définition du concept de spéculation ne fut d’ailleurs guère évident. Enfin, il a fallu également
mettre en confrontation des théories qui n’utilisent pas les mêmes angles et paramètres d’analyse.
Notre tableau comparatif étant une sorte de dénominateur commun, l’esquisse d’une confrontation
objective sur des critères similaires pour ces théories. La mise en exergue de facteurs relativement
distincts n’était pas évidente tant ils sont interconnectés, le tableau des corrélations étaiera d’ailleurs
ce constat théorique.

Au niveau empirique, c’est d’abord la constitution d’une base de données d’experts reconnus
et crédibles en finance de marché qui fut fastidieuse. Afin de collecter un peu plus d’une centaine de
répondants parmi les 7 catégories ciblées sur notre questionnaire lié aux facteurs de spéculation en
finance conventionnelle, nous avons dû constituer une base de près de 3500 contacts que nous avons
sollicité et relancé à plusieurs reprises durant plusieurs mois. Parmi les difficultés liées à notre premier
et principal questionnaire, nous relatons également le manque de disponibilité des opérateurs et
praticiens, comparativement aux académiciens. Enfin, la proposition d’indicateurs de mesure pour
chacun des facteurs a soulevé énormément de difficultés, dans la mesure où certains incorporaient
une subjectivité certaine, complexe à synthétiser en chiffres exhaustifs et significatifs.

Toujours au niveau empirique, mais cette fois-ci concernant notre questionnaire adressé aux
experts des MFI, nous avons également eu à affronter un certain nombre d’obstacles. L’absence
d’experts des MFI s’est clairement faite ressentir. Pour les rares cas connus, les aborder par un simple
entretien parait bien inaccessible. Le fait que ces experts soient tous à l’étranger compliquait
davantage la tâche, rendant la communication avec eux moins facile. Cette carence naturelle dans un
domaine de la FI, encore embryonnaire, nous a contraint à composer avec des questionnaires ad hoc,
s’inspirant des questionnaires adressés aux experts de la finance, et adaptés aux réalités de la FI. Parmi
les premières difficultés que nous avons également rencontrées, nous pouvons évoquer l’inexistence
d’un MFI en bonne et due forme qui permette de confronter les éléments relevés en théorie à la
pratique.

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- 279 -
Au niveau académique, il est inutile de rappeler que les sujets ayant trait à l’Islam de près ou de
loin se retrouvent nécessairement face à des difficultés d’ordre subjectives au niveau des publications,
surtout lorsque l’auteur vient également d’un pays musulman. Cette difficulté est dépassée en partie
lorsque la revue choisie pour la publication est spécialisée dans la question traitée, ou encore que le
colloque qui verra l’article publié se focalise sur la question.

Conclusion du chapitre

Ayant pu procéder à nos premières publications à l’issue de la première phase de la revue


littéraire, il devenait de plus en plus incontournable de passer par une seconde phase
d’approfondissement. Notre déplacement en Malaisie a permis de faire une première confrontation
test de nos idées aux pratiques sur les marchés financiers incorporant des produits islamiques. A cette
étape, et suite à plusieurs entretiens, nous avons pris l’initiative de revoir notre questionnaire afin de
le rendre plus objectif, complet et scientifique. Cette révision n’aurait pu se faire sans une nouvelle
exploration de la littérature relative au concept de la spéculation qui s’est avérée non sans difficultés.
Elle a d’ailleurs imposé un changement radical du type d’enquête, en passant du qualitatif au
quantitatif. La trame globale qui s’imposa au fur et à mesure des analyses fut la distinction entre les
facteurs endogènes et exogènes de la spéculation.

En fin de partie, les facteurs dans les deux catégories de la seconde partie seront rappelés, un à
un, suite à quoi nous formulerons une proposition de « ratio de mesure » pour chaque facteur. Cet
inventaire permettra, in fine, d’aboutir à la mise en place d’un « Baromètre d’évaluation du risque de
spéculation ». Pour nous, ce baromètre du risque de spéculation devrait constituer un outil performant
pour nous permettre de nous prononcer, en fonction d’un marché étudié lambda, dans quelle mesure
celui-ci, possède les caractéristiques d’un marché spéculatif. Le baromètre permettra d’approcher le
concept de la spéculation de manière plus scientifique, que ce soit qualitativement ou numériquement,
et de l’appréhender de manière plus détaillée et objective.

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- 280 -
CHAPITRE II

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- 281 -
4.2 Analyse statistique exploratoire
L’objet de ce second chapitre est de présenter l’analyse statistique exploratoire, qui reste une
analyse de type univariée axée essentiellement sur l’analyse des moyennes. Elle représente le
dépouillement des résultats de notre première enquête empirique sur l’intensité de chacun des
facteurs de la spéculation.

4.2.1 Objet de l’analyse statistique exploratoire


L’analyse statistique projetée se fixe comme objectif principal de retenir une certaine
hiérarchie entre les facteurs de la spéculation identifiés au stade de la revue littéraire ainsi que
l’étude documentaire. Rappelons qu’à l’issue de cette étape, nous avons dégagé un certain nombre de
facteurs décisifs favorisant la spéculation. Un classement théorique de ces facteurs a été opéré en
distinguant entre deux principales catégories, à savoir les facteurs endogènes au marché et les facteurs
exogènes. L’analyse de l’enquête-terrain tente de valider ou infirmer le choix hiérarchique des facteurs,
leur catégorisation ainsi que le classement retenu à l’issue de l’étude théorique, notamment à travers
l’étude statistique axée sur le calcul des moyennes, des corrélations ainsi que la réduction des facteurs
en composantes principales tout en conservant une partie significative de l’information.

4.2.2 Population cible


Afin de parvenir à des résultats relativement fiables, nous avons sciemment choisi de cibler
plusieurs publics initiés sur les questions de la finance de marché. L’agrégation de ces différentes
catégories permet d’obtenir une vision représentative. Le tableau suivant donne la répartition des
catégories de personnes ayant bien voulu répondre à notre questionnaire selon leur fonction.

Tableau 4 : Répartition des interrogés selon la fonction occupée

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- 282 -
Figure 32 : Répartition des interrogés selon la fonction occupée

Comme cela apparaît clairement, nous avons rencontré certaines difficultés lors de la collecte des
données en provenance des opérateurs et des experts en finance de marché. Toutefois, la somme de
ces deux catégories permet d’obtenir un effectif respectable de 17 sur les 109 répondants. Les publics
qui ont répondu le plus favorablement à nos sollicitations sont les professeurs et les étudiants ou
doctorants. Au vu des difficultés majeures à recueillir les réponses, l’administration du questionnaire
s’est étalée sur deux années (2014-2016). Cela s’explique notamment par le fait que les experts dans
le domaine de la finance de marché sont extrêmement sollicités, mais aussi par le fait que notre public
se trouve à l’étranger, et non au Maroc. Nous avons ainsi ciblé les universitaires et les experts dans les
pays abritant des marchés financiers où les pratiques du secteur sont développées et abritant des
universités de renommée internationale, comme le Royaume Uni, l’Union Européenne, les Etats-Unis
ou encore certains pays de l’extrême orient.

L’administration de l’enquête s’est faite à l’aide des formulaires d’enquêtes sécurisés Google
Forms, exclusivement par mail, de manière privée. La base de données que nous avons constituée
atteint plus de 3.500 contacts. Toutefois, le taux de réponse se situe autour de 3% après avoir relancé
les contacts de notre base de données pour une troisième sollicitation. En ce qui concerne le
questionnaire, les premières versions élaborées avant le déplacement en Malaisie ont subi un très
grand nombre de modifications, avant d’aboutir à la version finale. Nous avons utilisé sept entretiens
de visu pour tester la cohérence et la pertinence du questionnaire.

4.2.3 Présentation du questionnaire


Le questionnaire revu et corrigé se compose de 24 questions, en plus des quelques questions
identificatrices243, liées chacune à un facteur de la spéculation. Les réponses à remplir se basent sur
une échelle de Likert composée de cinq niveaux (de 1 à 5). Nous présentons l’ensemble des facteurs de

243 Ces questions, liées au profil du répondant, permettent de procéder à des traitements plus filtrés, par classe de répondant, au besoin.

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- 283 -
la spéculation en posant la question suivante : Dans quelle mesure ce facteur contribue-t-il à la
spéculation ? L’échelle des réponses pour chaque facteur se décline de la manière suivante :

1. N'a pas de lien avec la spéculation


2. Favorise un peu la spéculation
3. Favorise assez la spéculation
4. Favorise clairement la spéculation
5. Facteur majeur de la spéculation

4.2.4 Dépouillement du questionnaire


Après la période d’administration du questionnaire dans sa version revue et corrigée, l’étape de
dépouillement est commencée. Le tableau suivant permet de récapituler les réponses récupérées au
niveau des 24 questions.

Tableau 5 : Récapitulatif de la répartition des réponses selon les facteurs étudiés


Pourcentage (%)
Le facteur étudié
Non réponse 1 2 3 4 5
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de
2 10 7 25 20 36
mesure de performance
Cupidité, course au prestige entre traders 2 12 13 18 28 27
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non
25 6 7 14 31 17
les plus solides
L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction 2 5 8 15 28 42
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation
3 8 14 27 30 18
également (CDS...)
La vente à découvert 0 8 17 25 23 27
Les ventes futures 15 9 21 26 18 11
Le Spoofing 2 9 7 14 34 34
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès
0 9 9 18 30 34
d'innovation financière
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions 1 6 12 23 29 29
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal 3 13 19 27 27 11
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan
4 11 15 31 24 15
(OTC)
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation
ont des budgets et compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont 2 10 17 15 24 32
censés contrôler
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection 1 6 9 18 32 34
Cotation continue et fréquence des transactions 1 14 11 21 29 24
Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché
2 9 21 27 27 14
sur l'analyse fondamentale
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille
2 7 28 22 33 8
(structure oligopolistique)
La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de
3 8 6 20 18 45
l'économie réelle
La volatilité importante des marchés 2 7 10 18 31 32
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs 4 5 9 16 38 28
Détérioration de la solvabilité des agents économiques 5 15 26 26 20 8
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités 2 10 20 19 24 25
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 2 6 10 14 34 34
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché 1 14 10 24 27 24

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- 284 -
Pour une meilleure visibilité d’ensemble, les réponses ainsi signalées sont représentées comme suit :

Figure 33 : Diagramme récapitulatif des réponses selon les facteurs

4.2.5 Exploration primaire des moyennes


Après une analyse statistique descriptive de type univariée, nous avons procédé au calcul des
moyennes des réponses pour chaque facteur. Ces résultats sont assurément les plus importants de
l’étude menée sur la partie relative à la spéculation, car ils répondent directement à l’objectif principal
de l’enquête terrain, à savoir la hiérarchisation des facteurs selon leur degré de contribution à la

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- 285 -
spéculation. A ce stade, il est utile de rappeler qu’à l’issue de l’étude théorique et de l’étude
documentaire, un classement préalable fut élaboré, par sous-catégories. Nous avions, pour chaque
catégorie, répertorié les facteurs dans l’ordre croissant de leur contribution à la spéculation. L’analyse
de la moyenne obtenue par chaque facteur permettra dans un premier temps de revoir la
hiérarchisation intra-catégorie, avant d’analyser, à travers la matrice des corrélations et l’ACP, la
réduction en composantes principales. A l’issue de ces deux étapes, notre hypothèse de catégorisation
sera validée, corrigée ou infirmée. La catégorisation qui en résultera sera empiriquement plus crédible.

Figure 34 : Moyennes dans l’ordre décroissant

Le facteur étudié Moyenne


L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction 3,97

La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle 3,89

Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise 3,81
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 3,80
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs 3,80
Le Spoofing 3,78
La volatilité importante des marchés 3,72

Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière 3,71

Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide seule variable de mesure de performance 3,65
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions 3,62
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides 3,59

Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et compétences 3,51
inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler
Cupidité, course au prestige entre traders 3,45
La vente à découvert 3,42

Cotation continue et fréquence des transactions 3,39


La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché 3,38

Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) 3,38

Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités 3,34


Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) 3,19
Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur l'analyse fondamentale et
3,17
économique réelle

Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure oligopolistique) 3,05

Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal 3,05


Les ventes futures 3,01
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers 2,81

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- 286 -
4.2.6 Analyse des moyennes obtenues
Le premier constat qui se dégage à la lecture des moyennes est que vingt-trois moyennes sur
vingt-quatre sont au-dessus de 3, c’est à dire que les facteurs ‘’favorisent assez la spéculation’’ (au
minimum). La proximité des moyennes, elles, s’explique par le fait que ces facteurs sont, à la base,
identifiés comme des facteurs déterminants de la spéculation, à travers une étude théorique déduite
de la revue littéraire et confirmée par une étude documentaire. Cette proximité des moyennes, ainsi
que le dépassement du 3, valident le choix des facteurs opéré à l’issue de ces deux étapes préalables.
Globalement, les réponses collectées sont assez homogènes, conformément à ce qui était prévu, dans
le sens où, selon notre étude théorique, chacun de ces facteurs contribue à sa manière à la spéculation.
Selon toute vraisemblance, si l’un des facteurs n’était pas du tout lié à la spéculation selon nos
répondants, il aurait dû avoir une moyenne entre 1 et 2. Ce n’est le cas d’aucun facteur.

Une autre question fut greffée en cours de route, mais bien tardivement à la conception du
questionnaire et son administration, suite à la recommandation d’un professeur, tout en étant
indépendante des facteurs : Dans quelle mesure ce questionnaire vous semble-t-il couvrir les facteurs
de la spéculation ? A cette question, 85% des répondants ont des réponses variant de 3 à 5, c'est-à-
dire oscillant entre ‘’couvre assez les facteurs de la spéculation’’ et ‘’l’essentiel des facteurs y figure’’.
Le décalage calendaire de cette question n’est pas problématique dans la mesure où elle n’est
qu’indicative et n’impacte pas le classement des facteurs. Cela confirme à nouveau la pertinence de
nos choix de facteurs lors des deux étapes préalables. Le tableau suivant permet de récapituler les
réponses collectées à propos de cette question indépendante :

Tableau 6 : Réponses à la question relative à l’exhaustivité du questionnaire

4.2.7 Effectifs et moyennes


A l’issue de ces étapes préliminaires, l’analyse peut se poursuivre sur des bases crédibles et
sereines. Nous avons néanmoins décidé, dans un souci d’amélioration de la pertinence, de procéder à
des opérations de pondération des résultats. Pour ce faire, nous avons décidé de doubler la

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- 287 -
pondération de trois catégories de répondants, dont nous jugeons la maitrise des concepts de finance
de marché, de spéculation et de marchés financiers, clairement plus significative. Il s’agit des
catégories suivantes :

• Les professeurs universitaires spécialisés en finance de marché ;


• Les opérateurs du secteur de la finance de marché ;
• Les experts spécialisés en finance de marché.
Cette duplication s’est opérée à travers la multiplication de leurs effectifs par deux. Ainsi, nous jugeons
que les moyennes obtenues après l’utilisation de cette pondération, sont encore plus pertinentes, bien
que peu éloignées du tableau initial des moyennes. Ci-après un aperçu des nouveaux résultats :

Tableau 7 : Table de Moyenne des facteurs étudiés après la pondération


Le facteur étudié Nous mettons l’ancienne moyenne non pondérée entre parenthèses, à titre indicatif Moyenne
L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction 4,04 – (3,97)
La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle 3,90 – (3,89)
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 3,86 – (3,80)
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs 3,82 – (3,80)
Le Spoofing 3,80 – (3,78)
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise 3,73 – (3,81)
La volatilité importante des marchés 3,71 – (3,72)
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière 3,70 – (3,71)
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure de performance 3,69 – (3,65)
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions 3,65 – (3,62)
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides 3,55 – (3,59)
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et compétences
3,48 – (3,51)
inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché 3,46 – (3,38)
Cupidité, course au prestige entre traders 3,43 – (3,45)
Cotation continue et fréquence des transactions 3,40 – (3,39)
La vente à découvert 3,39 – (3,42)
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) 3,38 – (3,38)
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités 3,33 – (3,34)
Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur l'analyse fondamentale et
3,24 – (3,17)
économique réelle
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) 3,18 – (3,19)
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal 3,07 – (3,05)
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure oligopolistique) 3,01 – (3,05)
Les ventes futures 3,00 – (3,01)
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers 2,77 – (2,81)

Dans le sillon de notre analyse, nous construisons le tableau suivant en calculant les moyennes par
catégorie de répondants et ce dans la perspective d’avoir une idée encore plus claire des moyennes
selon la fonction du répondant.

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- 288 -
Tableau 8 : Moyenne des facteurs étudiés en fonction de la catégorie des interrogés

1 2 3 4 5 6 7
Le facteur étudié
E/D P.F Pfm P.E O Efm A
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de
3,22 3,21 3,63 3,21 3,93 4,57 4,31
mesure de performance
Cupidité, course au prestige entre traders 2,78 3,44 3,13 3,44 3,80 3,71 3,81
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non
3,00 3,77 3,00 3,77 4,25 3,86 3,50
les plus solides
L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction 3,00 3,91 4,27 3,91 3,87 4,14 4,19
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation
3,22 2,97 2,93 2,97 4,07 3,86 3,73
également (CDS...)
La vente à découvert 3,89 3,31 3,00 3,31 3,53 3,57 3,53
Les ventes futures 2,67 2,97 2,29 2,97 3,00 3,86 3,33
Le Spoofing 2,89 3,77 3,75 3,77 3,73 4,00 4,13
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès
2,78 3,74 3,69 3,74 3,80 4,00 4,12
d'innovation financière
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions 3,33 3,26 3,44 3,26 3,73 4,00 4,25
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal 3,11 2,71 3,31 2,71 3,27 3,43 3,33
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan
2,78 2,97 3,33 2,97 4,07 3,43 3,20
(OTC)
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont
des budgets et compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont 2,56 3,37 3,40 3,37 4,40 3,86 3,81
censés contrôler
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise 3,78 3,69 3,33 3,69 4,27 4,43 4,29
Cotation continue et fréquence des transactions 3,44 3,09 3,67 3,09 3,27 2,71 4,00
Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur
2,89 2,89 3,53 2,89 3,27 2,86 3,25
l'analyse fondamentale et économique réelle
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille
3,22 2,77 2,53 2,77 3,40 3,14 3,50
(structure oligopolistique)
La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de
3,13 3,60 3,53 3,60 4,47 5,00 4,25
l'économie
La volatilité importante des marchés 3,22 3,74 3,07 3,74 3,93 4,29 3,88
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs 3,22 3,56 3,93 3,56 4,13 4,14 4,20
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers 2,67 2,83 2,60 2,83 2,93 3,14 3,08
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités 3,56 3,31 2,93 3,31 3,27 3,86 3,38
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 4,00 3,34 3,93 3,34 4,00 4,14 4,06
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché 2,56 3,17 3,40 3,17 3,67 4,29 3,35
LEGENDE : E/D : Etudiants et doctorants P.F : Professeurs de finance Pfm : Professeurs de finance de marché
P.E : Professeurs d‘économie O : Opérateurs Efm : Experts en finance de marché A : Autres

Riche en informations, ce tableau permet de dresser de nouvelles conclusions d’étape. Tout


d’abord, il valide la proximité attendue au niveau des réponses entre opérateurs d’une part et
experts en finance de marché d’autre part. Les deux étant des praticiens, nous constatons aussi que
leurs résultats sont sensiblement supérieurs au reste des répondants. Ils sont peut-être les mieux
placés pour comprendre les conséquences pratiques de chacun de ces facteurs qu’ils ont l’occasion de
vivre et d’observer au quotidien, et non à travers l’étude seulement, loin des modèles théoriques
parfaits. Etayons davantage certains écarts importants relatifs à ces catégories.

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- 289 -
Dans le détail, le facteur ‘‘assurance’’ présente un écart anormalement élevé entre les
catégories. Il est à peu près d’un point entre les experts d’une part et les universitaires de l’autre. Peut-
être que ces derniers ne cernent pas toutes les techniques que les assureurs ont mis en place et qui
favorisent la spéculation. Le même écart s’observe pour ce qui est des opérations parallèles, dont les
opérateurs sont peut-être plus au fait que les universitaires, ce qui se confirme par l’écart observé au
niveau du facteur déréglementation et qui est intimement lié à ce facteur. Les opérateurs et experts
semblent donner également un poids important aux lobbies, vu qu’ils les côtoient au quotidien de par
la nature de leur travail. A l’opposé, les universitaires l’ont noté de manière relativement normale. Un
écart très important s’observe également entre universitaires et opérateurs/experts au niveau de la
rentabilité des activités financières comme facteur de la spéculation. La notation de ce facteur a été
noté 5 par l’ensemble des experts et sans exception. Ils sont unanimes à considérer que
l’enrichissement facile à travers la finance favorise clairement la spéculation. Les opérateurs et
experts sont convaincus que la rentabilité est un facteur décisif poussant parfois les acteurs à aller au-
delà du raisonnable.

La catégorie dont les notes sont les moins élevées est celle des étudiants ou doctorants en
finance de marché. Ce public est généralement un public qui n’a pas encore côtoyé effectivement le
métier. Il s’y destine, et donc l’idéalise en un sens. Cette idéalisation est l’une des explications
éventuelles de ces résultats bien inférieurs aux autres catégories. Selon eux, ces facteurs ne sont pas à
ce point des facteurs significatifs de la spéculation, c’est peut-être moins grave dans leur imaginaire
que ce qui s’en dit. Ils admettent qu’ils contribuent à la spéculation, mais pas de manière aussi
flagrante que supposée. Ces résultats peuvent aussi s’expliquer par une faible connaissance des effets
de chacun des facteurs.

Conclusion du chapitre

En somme, les principales conclusions de l’analyse statistique univariée sont intéressantes et


prometteuses à plusieurs égards. Elles permettent de comprendre la portée de certaines moyennes et
l’explication de certains écarts. La classification des réponses par catégorie enrichit l’analyse dans le
sens où l’interprétation gagne en crédibilité. Elles confirment enfin la pertinence des facteurs.

Ces conclusions ayant été évoquées, nous passerons ci-après en revue les principaux
éléments de l’analyse multivariée à travers la confrontation des résultats et des conclusions que nous
pouvons en tirer afin d’atteindre le second objectif de l’analyse statistique, à savoir la validation ou
l’infirmation de la catégorisation déduite de l’analyse théorique.

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- 290 -
CHAPITRE III

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- 291 -
4.3 Analyse en composantes principales
Les analyses qui suivront ont pour but de répondre au second objectif de l’analyse statistique, à
savoir la tentative de validation de la catégorisation issue de l’analyse théorique. Nous aurons recours
à la technique d’analyse en composante principales244. Cette technique d’étude des interdépendances
Permet d’étudier les variables simultanément. Pour une population relatée par un tableau (matrice),
l’ACP fournit une méthode de représentation permettant de repérer des groupes d'individus
présentant une certaine homogénéité vis à vis de l'ensemble des caractères. Elle permet de révéler,
par rapport à l’ensemble des caractères étudiés, des différences entre individus ou groupes d'individus.
Elle sert aussi à mettre en évidence des sujets dont le comportement est de nature atypique.

4.3.1 Matrice de corrélation et analyses


Nous entamerons l’analyse par une matrice de corrélation. Elle évalue la dépendance entre
plusieurs variables en même temps. C’est une table contenant les coefficients de corrélation linéaire
de Pearson245 entre l’ensemble des variables prises en couple. C’est aussi la matrice des variances-
covariances de variables réduites. Elle est symétrique et sa diagonale est constituée de 1 puisque la
corrélation d’une variable avec elle-même est parfaite. Mathématiquement, cette matrice, notée R,
contient les corrélations (rij) des variables (Xi) prises deux à deux rij=cor(Xi,Xj). Nous avons mis en rouge
les corrélations significatives supérieures à 0,6. Précisons, qu’il n’existe pas de valeur de référence pour
la significativité. « Un r de + 0.6 établi sur un échantillon de 10 personnes n'est pas significatif au seuil
de 5% (il peut s'agir d'un hasard), alors qu’un r de + 0.2 établi sur un échantillon de 200 personnes est
significatif au seuil de 5% (la taille de l'échantillon fait que la relation, bien que faible a peu de chances
d'être due au hasard) »246. Avec près de 110 répondants, le choix du seuil de 0,6 reste prudent, vu que
nous aurions pu retenir 0,5. Ce sont les interprétations qui permettront de valider ou infirmer ce seuil,
tant certaines fortes corrélations (0,84 entre le QI et la taille de pied des enfants par exemple) 247
peuvent être fortes mais contraires à toute explication plausible. Dans notre analyse, il est nécessaire
que les corrélations significatives aient une explication claire et plausible.

244
Cette analyse se présente comme un ensemble de techniques multivariées, applicables à des tableaux de grande taille et contenant
plusieurs variables relatant les caractéristiques des individus. L’ACP a pour but principal de réduire et de résumer les données, et ce en
réduisant l'information permettant notamment de décrire la position d'un individu dans l'ensemble de la population.
245 « Le coefficient de corrélation linéaire simple, dit de Bravais-Pearson (ou de Pearson), est une normalisation (division) de la covariance

par le produit des écarts-type des variables. Il est de même signe que la covariance, avec les mêmes interprétations. Le coefficient de
corrélation constitue une mesure de l'intensité de liaison linéaire entre 2 variables. Le coefficient de corrélation sert avant tout à
caractériser une relation linéaire positive ou négative. Il s'agit d'une mesure symétrique. Plus il est proche de 1 (en valeur absolue), plus la
relation est forte. » URL : http://eric.univ-lyon2.fr/~ricco/cours/cours/Analyse_de_Correlation.pdf (09/03/2017)
246 http://grasland.script.univ-paris-diderot.fr/STAT98/stat98_6/stat98_6.htm (09/03/2017)
247 Même référence

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- 292 -
Tableau 9 : Matrice des corrélations entre facteurs

Ci-après, nous construisons une matrice de corrélations avec dédoublement d’effectif de trois catégories comme pour la seconde table des moyennes.
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- 293 -
Tableau 10 : Matrice des corrélations entre facteurs après dédoublement des effectifs

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- 294 -
L’examen de cette matrice fait apparaître un certain nombre de corrélations significatives, que nous
exposerons par groupes comme suit :

i. Le premier groupe de corrélations concerne celles qui apparaissent entre les facteurs
exclusivement relatifs à notre première catégorie de facteurs de la spéculation, les facteurs
endogènes au marché, relatifs aux comportements dominants et aux principales transactions ;

ii. Le second groupe de corrélations contient des facteurs des deux catégories.

iii. Le troisième groupe de corrélations se rapporte à celles qui apparaissent entre les facteurs
relatifs à notre seconde grande catégorie de facteurs de la spéculation, les facteurs exogènes
au marché, et qui concernent son cadre réglementaire, financier et macroéconomique ;

Prenons le temps d’analyser quelques corrélations significatives dans chacun des groupes identifiés,
afin d’en valider la logique et la pertinence.

a. Groupe 1

Le facteur « Ethique marginalisée » est significativement corrélé (>0,6) avec plusieurs autres
facteurs. Tout d’abord, avec le facteur « Cupidité, course au prestige » (>0,7), cette relation est très
intuitive. La cupidité est généralement inversement proportionnelle à l’éthique. Le profit rapide est
également une autre manifestation de la cupidité. De manière générale, il est admis que plus nous
sommes cupides, moins nous donnons de sens moral à notre action, et plus nous sommes enclins à
procéder à des opérations controversées, voire peu raisonnables. Le manque d’intérêt pour l’éthique
est aussi significativement corrélé au facteur « Complexité croissante des produits structurés et excès
d'innovation financière ». Ces éléments concordent avec le fait que les financiers, moins préoccupés
par l’éthique, ont moins de gêne à diffuser des produits plus complexes, dont la complexité sert à
cacher la réalité, comme l’aurait dit Galbraith à propos du fonctionnement du système monétaire.

Dans un registre similaire, le facteur « Cupidité, course au prestige » est fortement corrélé au
facteur « Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) ».
La course au gain a sans doute été un élément déterminant qui amena les assureurs à intégrer le
monde de la spéculation financière. L’arrivée de ces acteurs n’est d’ailleurs pas un élément qui est de
nature à apaiser les tensions entre traders, dont la concurrence vire parfois à l’affrontement personnel.

Au niveau du facteur « Complexité croissante des produits structurés et excès d'innovation


financière », nous relevons plusieurs corrélations majeures. La première revient au « poids de plus en
plus important des dérivés dans les volumes de transactions ». Cette corrélation coule de source dans la

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- 295 -
mesure où les dérivés sont par nature complexes. L’accroissement de leur poids conduit à
l’accroissement de la complexité dans le marché. La relation fonctionne aussi dans le sens inverse dans
la mesure où l’accroissement de la complexité requiert davantage de produits de couverture, et donc
de dérivés. La complexité des produits est également très corrélée à la cupidité des opérateurs. La
relation étant peu évidente du premier au second facteur, elle s’explique dans l’autre sens notamment
par l’attrait que présente la structuration de produits complexes pour des acteurs qui veulent gagner
toujours plus vite, dussent-ils masquer certaines caractéristiques de leurs produits, ou qui cherchent à
apparaître fort ingénieux en complexifiant toujours plus leurs contrats par rapport à leurs pairs.

b. Groupe 2

Au niveau de ce groupe, le facteur « Ethique marginalisée » est fortement corrélé avec le


facteur « la rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie ».
Comme la rentabilité de telles activités purement financières est importante, il est logique de
retrouver dans ce domaine les personnes les plus attirées par le profit rapide et ayant moins de
considération pour les questions éthiques. La relation dans l’autre sens pourrait trouver une
justification dans le fait que les opérateurs qui ont moins d’intérêt pour l’éthique et qui cherchent le
profit rapide empruntent des sentiers qui leur rapportent des rendements considérables par rapport
à un investisseur dans un secteur économique conventionnel.

La corrélation entre le facteur « Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et
excès d'innovation financière » et le facteur « Domination croissante des opérations et comptabilités
parallèles et hors bilan (OTC) » est intéressante à plusieurs égards. Retenons que la complexité sert
souvent à contourner certaines restrictions réglementaires, mais aussi que ce besoin de
contournement requiert de plus en plus des produits complexes. La corrélation de la complexité avec
la rentabilité des activités financières s’inscrit dans le même contexte. Les opérateurs doivent faire
preuve d’inventivité au niveau de la complexité des produits structurés pour pouvoir se procurer une
rentabilité durablement supérieure à celle de l’économie réelle. Cette complexité trouve sa meilleure
expression dans les produits dérivés. Le poids de plus en plus important des produits dérivés a de
nombreuses corrélations, toutes relatives à notre seconde grande catégorie de facteurs, à savoir les
facteurs exogènes, relatifs au contexte et au cadre du marché. Cela témoigne de l’ancrage de la
corrélation entre première et seconde catégorie de facteurs, et qui fut l’une des raisons essentielles
derrière l’échec de nombreuses analyses de la spéculation, ayant eu beaucoup de mal à discerner les
différentes composantes et causes de la spéculation de manière structurée et fluide. Le poids des
dérivés est tout d’abord corrélé à la possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal. Ceci constitue une

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- 296 -
évidence dans la mesure où les dérivés sont le véhicule idéal pour l’arbitrage entre les places
financières. Par ailleurs, la prolifération des produits dérivés laisse entrevoir une autre corrélation
avec le facteur « La volatilité importante des marchés ». Les dérivés sont par nature plus volatiles, et
la volatilité excessive implique paradoxalement le besoin d’avoir plus de produits de couverture.
Toujours dans le contexte relatif aux produits dérivés, une corrélation significative est à noter avec le
facteur « L'effet de levier, possible et de plus en plus important ». En toute logique, ce lien se
comprend par le fait que les produits dérivés sont par nature à fort effet de levier, et que ce ne sont
pas des placements de fond de portefeuille ou d’amateurs boursicoteurs qui n’utilisent pas l’effet de
levier. La dernière corrélation majeure se situe au niveau du facteur « Poids et pouvoir des lobbys
financiers » du fait du militantisme continu des lobbies pour introduire des mesures favorables aux
produits dits ‘’exotiques’’ et qui sont généralement les produits dérivés. Dans l’autre sens, nous
pourrions envisager que la prolifération des dérivés constitue autant de revenus supplémentaires
pour les opérateurs financiers, ce qui leur procure toujours plus de force de frappe en lobbying.

Groupe 3

Une corrélation importante est à noter entre le facteur « Déréglementation excessive qui
aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et compétences inférieurs à ceux des
spéculateurs » et le facteur « Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors
bilan ». Elle est de l’ordre de 0,684. Cette corrélation est assez intuitive vu que la déréglementation
se traduit par plus de souplesse au niveau du contrôle des opérations, ce qui facilite le hors bilan et
les opérations de gré à gré, moins transparentes. La prolifération de ces opérations met aussi le
régulateur bien souvent devant le fait accompli le poussant à alléger son périmètre de régulation. La
déréglementation est aussi significativement corrélée au facteur « Poids et pouvoir des lobbys
financiers ». Les éléments d’explication sont assez proches. Il est naturel que lobbying se traduise par
davantage de déréglementation au niveau des lois, pour donner plus de souplesse aux acteurs. Dans
le sens inverse, il semblerait qu’ayant plus de latitude dans leurs opérations, les financiers
parviennent à dégager davantage de profits et donc effectuer de plus en plus d’activités de lobbying.
Notons qu’en général, la corrélation n’est pas un indicateur suffisant pour dégager un lien de
causalité clair, et encore moins dans un sens plutôt que dans l’autre.

Dans le registre de l’effet de levier, une corrélation logique est à relever, avec la création
monétaire. A ce titre, l’effet de levier ne peut exister sans la possibilité réglementaire de procéder
aux achats à la marge, avec une avance d’une partie infime du montant, opérée par les brokers
(shaddow banking), elle-même étant une déclinaison dans les marchés financiers de la possibilité de

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- 297 -
création monétaire utilisée par les banques lors des opérations de crédit. Cette corrélation est
significative, à 0,672. L’autre corrélation majeure relative à l’effet de levier concerne la possibilité de
titriser la dette et la négocier sur le marché. Cette possibilité permettant de sortir du bilan un certain
nombre de dettes, les latitudes du levier deviennent extrêmement importantes.

Une dernière corrélation importante lie le facteur « La rentabilité des activités financières
spéculatives dépasse de loin celle de l'économie » et le facteur « Asymétrie d'information, opacité et
fausses rumeurs ». L’observateur comprendra facilement que la rentabilité est plus importante pour
les initiés dans un environnement où la distribution de l’information n’est pas parfaite et dans un
cadre où la manipulation est facilitée, ou tolérée, à travers les fausses rumeurs et l’opacité. Notons
que des arguments similaires peuvent être avancés pour un certain nombre de secteurs de
l’économie, ce qui ne nous renseigne donc pas plus sur la pertinence de cette relation.

Par ailleurs, et en dehors des fortes corrélations de ces trois groupes, nous pouvons donner à
titre d’exemple des coefficients de corrélation moins prononcés entre les facteurs suivants :

• « Le Spoofing » et le facteur « Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la
spéculation également (CDS...) » corrélés à 0,545 ;
• Le facteur « Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure
de performance » et « La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché » à 0,516.
Relevons aussi de faibles corrélations entre les variables :

• « La Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure


oligopolistique) » et le facteur « L'intention de spéculer à court terme dès le début de la
transaction » corrélés à 0,05 ;
• « Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) »
et le facteur « Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur
l'analyse fondamentale et économique réelle » corrélés à 0,019
Il est intéressant de noter que les deux corrélations moyennes ci-dessus sont beaucoup moins
intuitives et logiques que les corrélations précédentes qui dépassaient 0,6. Le lien entre les facteurs est
ici peu évident. Il paraît donc peu utile de s’étaler sur cette seconde catégorie de corrélations. Les
corrélations faibles, elles, sont clairement entre deux facteurs qui n’ont quasiment aucun lien. Le fait
que ces corrélations soient faibles est une confirmation de la validité des réponses des répondants et
de la logique des réponses retenues d’une manière générale. Soulignons que la première catégorie de
corrélations pourra éventuellement permettre une réduction des variables lorsqu’arrivera l’étape de la
construction du baromètre, avec une version comportant moins de variables, et donc plus pratique à
utiliser. Nous y reviendrons.
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- 298 -
Récapitulons maintenant les corrélations significatives dans un tableau, selon nos deux catégories :

Tableau 11 : Principales corrélations par catégories de facteurs


Corrélations
entre facteurs
Facteur A endogènes Facteur B
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la
0,712 / 0,729 Cupidité, course au prestige entre traders
seule variable de mesure de performance

Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et
0,612 / 0,667
seule variable de mesure de performance excès d'innovation financière

Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la


Cupidité, course au prestige entre traders 0,579 / 0,622
spéculation également (CDS...)

Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et


Cupidité, course au prestige entre traders 0,594 / 0,608
excès d'innovation financière

Complexité croissante des produits structurés (mal Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes
0,718 / 0,720
cernés) et excès d'innovation financière de transactions

Corrélations
mixtes

Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de
0,591 / 0,626
seule variable de mesure de performance loin celle de l'économie

Complexité croissante des produits structurés (mal Domination croissante des opérations et comptabilités
0,607 / 0,630
cernés) et excès d'innovation financière parallèles et hors bilan (OTC)

Complexité croissante des produits structurés (mal La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de
0,532 / 0,604
cernés) et excès d'innovation financière loin celle de l'économie

Poids de plus en plus important des dérivés dans les


0,582 / 0,602 Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal
volumes de transactions

Poids de plus en plus important des dérivés dans les Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection
0,569 / 0,606
volumes de transactions en cas de crise

Poids de plus en plus important des dérivés dans les


0,614 / 0,618 L'effet de levier, possible et de plus en plus important
volumes de transactions

Poids de plus en plus important des dérivés dans les


0,624 / 0,624 La volatilité importante des marchés
volumes de transactions
Corrélations
entre facteurs
exogènes
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les
Domination croissante des opérations et comptabilités
autorités de régulation ont des budgets et compétences 0,684 / 0,690
parallèles et hors bilan (OTC)
inférieurs à ceux des spéculateurs
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection
autorités de régulation ont des budgets et compétences 0,583 / 0,603
en cas de crise
inférieurs à ceux des spéculateurs
La rentabilité des activités financières spéculatives
0,665 / 0,647 Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs
dépasse de loin celle de l'économie
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 0,672 / 0,618 Création monétaire, abondance de crédit et liquidités
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 0,588 / 0,626 Possibilité de titriser la dette et la négocier sur le marché

Notre prochaine démarche consistera à vérifier que nos facteurs peuvent être regroupés en deux
catégories, tel que nous l’avons conclu à l’issue de l’étude théorique et documentaire. Pour ce faire,
nous avons recours à la boite à outils statistique adéquate de l’ACP, comme le veulent les règles d’art
en la matière.

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- 299 -
4.3.2 Test de KMO et de sphéricité de Bartlett
Le résultat offert par ce test est une mesure de l'adéquation de l'échantillonnage, appelée aussi
mesure de précision de l'échantillonnage de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO). Tout en donnant une
information additionnelle sur l’examen de matrice de corrélation, cette mesure donne un aperçu
global de la qualité des corrélations inter-items contenue dans l’ensemble du questionnaire. Prenant
des valeurs variant entre 0 et 1, cette mesure est appréciée alors comme un indice dont
l’interprétation générale varie entre cinq fourchettes comme suit :

[0 ; 0,5[ [0,5 ; 0,6[ [0,6 ; 0,7[ [0,7 ; 0,8[ [0,8 ; 1[


Inacceptable Misérable Médiocre Bien Excellent ou méritoire

Plus la valeur prise par cette mesure est élevée, plus la solution factorielle obtenue est satisfaisante. En
fait, la lecture de la valeur de cet indice KMO permet de donner une évaluation de la cohérence d’un
ensemble de variables choisies. Autrement dit, on apprécie la cohérence d’un bloc de variables, dans la
perspective de définir une solution pertinente en termes conceptuels dans l’analyse factorielle associé
à l’ACP.

Une autre mesure associée à celle donnée par l’indice KMO est le test de la sphéricité de
Bartlett. Cette nouvelle mesure sert à évaluer le fait que les variables étudiées ou le bloc de variables
choisies sont parfaitement indépendantes les unes des autres. En termes mathématiques, ce test
vérifie si la matrice de corrélation est une matrice identité à l'intérieur de laquelle toutes les
corrélations sont égales à zéro. En principe, la lecture du résultat de ce test est possible par référence à
la p-valeur, c’est-à-dire la valeur critique du test en question. Si la p-valeur est bien inférieure au risque
conventionnel de 5%, nous sommes amenés à dire que le test est significatif et, partant de là, nous
pouvons rejeter significativement l'hypothèse nulle stipulant que les variables étudiées sont
parfaitement indépendantes les unes des autres.

Indice KMO et test de Bartlett

Mesure de précision de l'échantillonnage de Kaiser-Meyer-Olkin. ,794

Test de sphéricité de Bartlett Khi-deux approximé 855,971

Signification de Bartlett ,000

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- 300 -
Pour notre étude, la mesure KMO et le test de sphéricité de Bartlett sont présentées comme suit :

L’indice KMO de 0,794 peut être qualifié de ‘’bien’’, quasi-excellent. Il nous indique que les corrélations
entre les items sont de bonne qualité. En outre, le résultat du test de sphéricité de Bartlett est
significatif puisque la p-valeur est inférieure à 5%. Nous pouvons donc rejeter l'hypothèse nulle voulant
que nos données proviennent d’une population pour laquelle la matrice serait une matrice identité et
que les variables étudiées sont parfaitement indépendantes les unes des autres. Les corrélations ne
sont donc pas toutes égales à zéro. Nous pouvons donc poursuivre l'analyse de manière assez sereine.

4.3.3 Tableau de la variance totale expliquée


Nous restons dans l’ACP, puisqu'elle permet d'expliquer une grande partie de la variance avec
un minimum de composantes. C’est une méthode qui réduit les dimensions et donc les informations
de manière à déduire l’information pertinente, souvent non apparente, depuis les données brutes.
C’est aussi une méthode qui sert à condenser l’information dans un tableau relatant une réalité depuis
un ensemble de variables observés auprès de plusieurs individus. Cette méthode ACP s’applique
spécialement aux tableaux de types individus/variables. Elle permet concrètement de réduire les
dimensions du tableau sans occasionner une perte importante d’informations d’ensemble (Hair et al.,
1998). Cette réduction se concrétise alors par la création de nouvelles dimensions composites.

Dans le déploiement de l’ACP, le nombre de facteurs à extraire devait être défini. En principe,
l’information devrait tendre à être représentée souvent sur un plan (deux dimensions) ou rarement
dans l’espace (trois dimensions). Mais ce choix, devrait se faire en ayant recours à l’analyse du
tableau donnant la variance totale expliquée. Dans le tableau donnant la ventilation de cette variance,
l’importance de chaque axe est donnée par le pourcentage de la variance expliquée.

Pour ce faire, nous analysons le tableau de la variance totale expliquée, ci-dessous. A la lecture
de la deuxième colonne du tableau, nous constatons que six composantes possèdent des valeurs
propres supérieures à la valeur unité (1). Ces six premiers facteurs permettent une restitution
d’information de près de 70% de l’information brute. Le premier facteur explique à lui seul 39,702%
de la variance totale donnée par les 24 variables de l'analyse alors que le second facteur ne rapporte
que 7,972% de l’information globale. Le premier plan aura alors à expliquer 47,674% de l’information
rapporté par le tableau brut contenant les 24 variables. Nous nous intéresserons alors au facteur 1 et
au facteur 2 qui présentent la restitution marginale de l’information la plus élevée. Toutefois, nous
pouvons souligner que ce score est moyen et que, de ce fait, l’analyse de la dispersion des données
dans l’espace qui suit est basée sur une perte d’informations relative.

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- 301 -
Tableau 12 : Variance totale expliquée (Méthode d'extraction : ACP)

Extraction Sommes des carrés Somme des carrés des facteurs


Valeurs propres initiales des facteurs retenus retenus pour la rotation

% de la % de la % de la
Composante Total variance % cumulés Total variance % cumulés Total variance % cumulés
1 9,528 39,702 39,702 9,528 39,702 39,702 6,883 28,681 28,681
2 1,913 7,972 47,674 1,913 7,972 47,674 4,558 18,993 47,674
3 1,531 6,381 54,054
4 1,436 5,981 60,035
5 1,279 5,330 65,366
6 1,106 4,608 69,973
7 ,948 3,952 73,925
8 ,875 3,647 77,573
9 ,795 3,312 80,885
10 ,744 3,098 83,983
11 ,565 2,353 86,336
12 ,536 2,234 88,570
13 ,483 2,012 90,582
14 ,374 1,557 92,139
15 ,340 1,415 93,554
16 ,300 1,251 94,805
17 ,252 1,049 95,854
18 ,209 ,873 96,727
19 ,204 ,852 97,579
20 ,168 ,702 98,281
21 ,137 ,570 98,851
22 ,115 ,480 99,331
23 ,096 ,401 99,732
24 ,064 ,268 100,000

4.3.4 Graphique des valeurs propres


Suite à l’analyse de la variance totale expliquée, nous examinerons le graphique des valeurs
propres. Il présente par ordre d’importance les valeurs propres associées aux facteurs (le premier étant
toujours celui associé à la plus grande). La mise en place du graphique gagne en importance par
l’examen de la rupture du coude de Cattell, montrant le changement dans l’allure de la courbe liant
entre les valeurs propres de chaque facteur. L’examen du graphique des valeurs propres permet de
vérifier si le choix du bon nombre de facteurs à extraire est fait. Dans notre cas, nous voyons un
changement après le deuxième facteur. Nous ne retenons donc que deux facteurs pour l'analyse.

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- 302 -
Figure 35 : Graphique des valeurs propres

4.3.5 Matrice des composantes


La matrice de composante nous donne une vision sur la part que représente chaque variable
dans une composante, cette démarche nous permet d’identifier quelle sont les variables les plus
représentées par chaque composante. Il s’agit alors de déterminer la combinaison de variables qui est
la plus associée à chacune des composantes significatives retenues. Afin d’obtenir une représentation
factorielle plus simple, nous procédons à une rotation VARIMAX248. Ce type de rotation permet de
préserver l'indépendance entre les facteurs retenus. Elle minimise le nombre de variables ayant de
forts changements sur chaque facteur et simplifie l’interprétation de ces derniers. Dans notre analyse à
la suite de la matrice des composantes, nous mettons en italique les facteurs ne faisant pas partie de la
catégorie.

248 « L’application de la rotation Varimax aide à identifier la contribution des variables à la formation des axes factoriels. Ceci permet de
tirer, d’une manière rapide et synthétique, des conclusions sur les dimensionnalités des variables, évitant tout biais lié à la qualité de la
projection et à la synthèse des données. »
URL : http://www.lesphinx-developpement.fr (09/03/2017)

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- 303 -
Figure 36 : Matrice des composantes

Matrice des composantes après rotation


Composante
1 2
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure de performance ,691 ,233
Cupidité, course au prestige entre les traders ,644 ,230
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides ,341 ,443
L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction ,086 ,421
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) ,726 ,257
La vente à découvert ,083 ,644
Les ventes futures ,403 ,581
Le Spoofing ,765 -,017
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière ,748 ,246
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions ,595 ,580
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal ,652 ,209
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) ,724 ,177
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et compétences ,798 ,091
inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise ,674 ,243
Cotation continue et fréquence des transactions ,579 ,160
Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur l'analyse fondamentale et -,045 ,448
économique réelle
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure oligopolistique) ,317 ,517

La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle ,543 ,582
La volatilité importante des marchés ,239 ,770
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs ,151 ,706
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers ,410 ,345
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités ,414 ,379
L'effet de levier, possible et de plus en plus important ,429 ,555
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché ,546 ,473
Méthode d'extraction : Analyse en composantes principales.
Méthode de rotation : Varimax avec normalisation de Kaiser.
La rotation a convergé en 3 itérations.

Nous constatons que la première composante représente d’une façon forte les variables :
• Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide seule variable de mesure de performance ;
• Cupidité, course au prestige entre les traders ;
• Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) ;
• Le Spoofing ;
• Complexité croissante des produits structurés et excès d'innovation financière ;
• Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions ;
• Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal ;
• Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) ;
• Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et
compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler ;
• Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise ;
• Cotation continue et fréquence des transactions.

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- 304 -
Pour la deuxième composante, elle représente surtout les variables :

• Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides ;
• L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction ;
• La vente à découvert ;
• Les ventes futures ;
• Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur l'analyse
fondamentale et économique réelle ;
• Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille ;
• La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle
• La volatilité importante des marchés ;
• Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs ;
• Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers ;
• Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités ;
• L'effet de levier, possible et de plus en plus important ;
• La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché.

4.3.6 Carte factorielle, diagramme des composantes et qualité de


représentation
Les analyses factorielles, en général, et l’ACP en particulier sont aussi des outils de visualisation
(graphique) des données. Deux types de graphiques peuvent être produits : le premier est le
diagramme des saturations 249 des variables initiales dans le plan défini par chaque couple de
composantes (ou facteurs). Le second situe les unités d’observation dans les plans définis par chaque
couple de composantes. En principe, l’étude graphique doit porter spécifiquement sur les variables
bien représentées, celles se trouvant proches du cercle des corrélations. La lecture de ce graphique se
fait, par le repérage des groupes de variables pour pouvoir, par la suite, interpréter. En clair, les
variables qui se situent près des axes permettent de donner un sens à ces axes. Généralement, la
lecture gagne en pertinence par la mise en valeur des oppositions sur chacun des axes. La proximité
des variables projetées devrait aussi être interprétée. En effet, sur le plan de projection de la carte
factorielle, la présence de variables proches se traduit comme un indicateur de corrélation forte entre
ces variables. De même pour les variables orthogonales qui s’interprètent comme des variables
indépendantes (absence de corrélation). Le diagramme de composantes permet de résumer les
constats tirés de l’analyse en composantes principales et de faciliter la lecture des résultats dégagés.

249 Corrélation entre le paramètre avec le facteur auquel il est associé

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- 305 -
Figure 37 : Représentation des points variables dans l’espace factoriel (1,2)

Ce diagramme représente la distribution des modalités des variables ‘’facteurs de la spéculation’’ dans
l’espace factoriel (1,2), c’est-à-dire sur le plan composé des deux premières composantes. Il s’agit alors
d’une carte qui résume ce qui a été déjà évoqué par la matrice des composantes. Il existe des
groupements marquants sur la carte :

• Le premier regroupement est positivement corrélé avec le premier axe qui regroupe l’ensemble
des variables relatives aux facteurs de la spéculation endogènes au marché (cercle de droite).

• Le deuxième regroupement représente les facteurs de la spéculation exogènes au


marché (cercle de gauche).

Ce graphique illustre la confirmation de la catégorisation tirée de l’étude documentaire et la revue


littéraire, par rapport au regroupement des variables en deux composantes (endogène et exogène).

Qualité de représentation et variables à écarter :

L’étude de la qualité de représentation, elle, permettrait d’exclure les variables : « L'intention de


spéculer à court terme dès le début de la transaction » et « Domination des analyses comportementales
et de la psychologie de marché sur l'analyse fondamentale et économique réelle » dont le coefficient de
saturation est très faible250, et qui seront donc mal représentées par les 2 dimensions extraites.

250
« Une variable n’est associée à un facteur que si sa saturation dépasse 0,30 en valeur absolue »
URL : http://www.ulb.ac.be/psycho/psysoc/ressources/Fiche_ACP.htm (09/03/2017)

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- 306 -
Tableau 13 : Qualité de représentation des variables
Qualité de représentation
Initial Extraction
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure de performance 1,000 ,531
Cupidité, course au prestige entre les traders 1,000 ,467
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides 1,000 ,312
L'intention de spéculer à court terme dès le début de la transaction 1,000 ,184
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) 1,000 ,593
La vente à découvert 1,000 ,422
Les ventes futures 1,000 ,500
Le Spoofing 1,000 ,585
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière 1,000 ,620
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions 1,000 ,690
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal 1,000 ,469
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) 1,000 ,556
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et 1,000 ,645
compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise 1,000 ,513
Cotation continue et fréquence des transactions 1,000 ,361
Domination des analyses comportementales et de la psychologie de marché sur l'analyse 1,000 ,203
fondamentale et économique réelle
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure oligopolistique) 1,000 ,368
La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle 1,000 ,634
La volatilité importante des marchés 1,000 ,651
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs 1,000 ,520
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers 1,000 ,287
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités 1,000 ,315
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 1,000 ,492
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché 1,000 ,522
Méthode d'extraction : Analyse en composantes principales.

4.3.7 Reprise de l’analyse et des analyses après l’élimination de deux


variables251
Les développements de cette reprise d’analyse sont essentiellement en annexe (D.1). Nous en
présentons ici les principaux enseignements.

Les analyses précédentes étant déjà relativement concluantes, les conclusions statistiques
suggèrent néanmoins l’élimination de deux variables (intention de spéculer à court terme et
domination de l’analyse comportementale) pour davantage de cohérence. A la suite de cette
élimination, l’indice KMO passe à 0,815 et peut être qualifié d’excellent alors qu’il était auparavant de
0,794. L’amélioration est notable dans cette mesure : l’indice passe de bon à excellent. Ceci nous
indique que les corrélations entre les items sont de bonne qualité.

251 Le détail de cette nouvelle analyse à la suite de l’élimination de deux variables est mis en annexe.

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- 307 -
Au niveau des facteurs, désormais le premier facteur explique 42,69 % de la variance totale des
variables de l'analyse. Mis en communs, les deux premiers facteurs permettent d'expliquer près de
51 % de la variance globale. Ainsi, deux dimensions expliquent alors plus de la moitié de l’information
contenue dans les réponses de notre questionnaire. Notons aussi que par rapport à l’analyse faite
préalablement, le gain serait en termes de qualité de représentation serait alors de 3,313 (50,987-
47,674).

L’analyse de la nouvelle matrice varimax des composantes permet de renforcer les tendances
perçues au niveau de l’analyse théorique et l’étude documentaire, malgré une minorité (8/22)
facteurs se retrouvant dans la catégorie opposée. C’est pour cette raison que nous préférons parler de
tendances. Nous pouvons en déduire que la classification suivante empiriquement validée :

Variables à retenir pour la composante principale 1, représentant les facteurs endogènes :

• Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure de
performance ;
• Cupidité, course au prestige entre les traders ;
• Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) ;
• Le Spoofing ;
• Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière ;
• Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions ;
• Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal ;
• Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) ;
• Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et
compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler ;
• Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise ;
• Cotation continue et fréquence des transactions ;

Variables à retenir pour la composante principale 2, représentant les facteurs exogènes :

• Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides ;
• La vente à découvert ;
• Les ventes futures ;
• Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure
oligopolistique) ;

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- 308 -
• La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle ;
• La volatilité importante des marchés ;
• Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs ;
• Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers ;
• Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités ;
• L'effet de levier, possible et de plus en plus important ;
• La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché.

Nous pouvons appeler la première composante « axe des facteurs de la spéculation endogènes au
marché », et la deuxième « axe des facteurs de la spéculation exogènes au marché ».

Précisons que les éléments en italique sont tous des facteurs ne faisant pas partie de la
catégorie de facteurs reflétée par la composante. Leur présence confirme un peu plus la forte
corrélation d’un point de vue global entre nos deux grandes catégories de facteurs. Leur présence
s’explique également par les 49% d’information perdue après le choix de deux composantes
seulement. La difficulté à dissocier les facteurs de la spéculation en catégories claires et
mutuellement exclusives et indépendantes reste d’actualité et difficilement surmontable tant les
liens sont inextricables entre facteurs, pour des raisons naturelles explicitées au niveau de nos
analyses des corrélations inter-catégories. Nous avons néanmoins pour chaque composante une
majorité de facteurs de la catégorie représentée, en son sein. Cela confirme notre choix d’exprimer
cela par le terme tendance et non de représentativité exhaustive. D’ailleurs, le second diagramme des
composantes dissocie un peu plus les deux groupes par rapport au premier. La représentativité s’est en
effet légèrement améliorée après l’exclusion de deux variables puis la rotation.

Conclusion du chapitre

Dans ce chapitre, nous avons mené une analyse de type descriptive axée sur les outils de la
statistique multivariée. L’analyse statistique multivariée s’est avérée concluante notamment pour
comprendre la portée de certaines de nos conclusions des parties I et II, malgré les nuances évoquées.
En effet, les facteurs ne pourront jamais être totalement séparés en 2 catégories indépendantes tant
les interactions mutuelles sont importantes. La classification des réponses par catégorie enrichit
l’analyse dans le sens où l’interprétation gagne en crédibilité et en clarté. Cette analyse a globalement
permis de valider la distinction entre les facteurs endogènes et exogènes de la spéculation.

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- 309 -
Chapitre IV

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- 310 -
4.4 Indicateurs de mesure des facteurs de la spéculation et mise en
relation de ces indicateurs
Nous avons à présent plus de visibilité quand à nos catégorisations de facteurs, à leurs
pondérations ainsi qu’à leur hiérarchie. Dans les analyses qui suivent, il s’agira de proposer certains
indicateurs permettant de mesurer au mieux chacun de ces facteurs.

Selon Pardo & Lucia (2007, p3), il serait empiriquement prouvé que « par essence, la distinction
entre une position de couverture et une position spéculative est la durée de rétention du titre ». De
nombreux travaux ont par le passé essayé de mesurer la spéculation en l’appréhendant surtout par un
angle restreint, afin de simplifier la démarche. Beaucoup se sont basés sur la confrontation de deux
variables, à savoir le volume de trading (ou de transactions) quotidien confronté aux transactions
toujours ouvertes à la fin de la journée (open interest, c'est-à-dire qui n’ont pas été soldées et
liquidées). García et al. (1986) suggère que la confrontation de ces deux variables donne une idée sur
l’importance de la spéculation. Le ratio indiquant le niveau de spéculation serait, à en croire ces
démarches, Vt/Oit, c’est à dire le rapport du volume sur les contrats non soldés. Une version améliorée
du ratio proposée par Pardo & Lucia (2007, p6) s’écrit sous la forme : ΔOIt / Vt, en mettant en valeur
plutôt la variation journalière des contrats ouverts sur le volume total.

Le but avec ces variables est de cerner la part des volumes dont l’objectif est d’aboutir à une
transaction et non à une liquidation des positions, rappelant l’objectif principal du daytrading
précédemment mis en relief. Nous voyons d’emblée que par rapport à l’extrême complexité du
concept de spéculation, la confrontation de ces deux variables ne reflète pas l’ensemble des
paramètres entrant réellement en ligne de compte dans la spéculation d’une manière globale. L’une
des principales hypothèses sous-jacentes à l’utilisation de ce ratio est que les spéculateurs soldent leur
position avant la fin de la journée, ce qui revient à réduire le spéculateur au daytrader. Or nos
analyses ont montré dans quelle mesure le concept est bien plus complexe que cela.

Working (1960, p23) mesure pour sa part ce qu’il appelle « l’indice de spéculation » par le
rapport entre les contrats futurs d’achat de type spéculatifs divisé par les contrats futurs de vente de
type couverture. Ce rapport présente une simplicité telle qu’il est réplicable sur pratiquement
l’ensemble des places financières. Cependant, il suppose que les contrats de type spéculatifs sont
quantifiables et tous futurs. La réalité est plus complexe que les statistiques ne peuvent le présenter
dans la mesure où un achat spéculatif peut se transformer en investissement et inversement, de même
que la distinction entre objectif de couverture et objectif de spéculation n’est pas toujours évidente.
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- 311 -
Par ailleurs, il ne prend pas en compte un certain nombre d’éléments entrant en ligne de compte
lorsqu’on évoque la spéculation, notamment la fréquence des transactions, les transactions intraday,
la volatilité des marchés ainsi que l’ensemble des éléments que nous avons longuement discuté en
seconde partie. Les limites relevées au niveau de ces propositions nous ont amené à conserver notre
choix d’un instrument incorporant de nombreuses variables, toutes causes de la spéculation, afin de
cerner le risque spéculatif, plutôt que de se cantonner à une mesure directe de la spéculation, souvent
biaisée et restrictive.

Nous avons pu voir, tout au long de ce qui précède le rôle de chacun des facteurs précités dans
l’émergence et l’amplification de la spéculation. Les facteurs retenus sont, dans une certaine mesure,
mutuellement exclusifs252. En effet et sans pour autant prétendre à l’exclusivité parfaite, tant le
concept de spéculation abordé relève d’un enchevêtrement de phénomènes et de causes, il est
évident que certains facteurs ont des éléments en commun, mais cette liste a été compressée afin de
rendre les facteurs exposés les plus indépendants possible et relatant des informations différentes et
complémentaires.

Le passage en revue des facteurs de la spéculation et leur classement se rapporte aux analyses
de nombreux experts et économistes spécialistes du domaine (voire enquête quantitative).
Maintenant que les pondérations, à travers les moyennes, sont obtenues, l’objectif est de pouvoir
mesurer le degré de manifestation de ces facteurs. Cette mesure passe par des indicateurs à mettre en
place. Chaque facteur se verra attribuer, dans cette partie, un ou plusieurs ratios permettant de le
mesurer quantitativement. Dans le cas d’un facteur mesuré par plusieurs ratios, et en l’absence de
données sur l’un des ratios, le facteur sera mesuré par le ou les ratios dont les données sont
disponibles. Pour cette partie, nous suivrons le nouveau classement issu de l’enquête quantitative, et
qui a légèrement fait varier la hiérarchie de certaines catégories, par rapport à l’étude documentaire.

Vu la nature du domaine analysé, des études ultérieures pourraient bien entendu revenir sur
la pertinence des ratios de mesure, de même que sur la pondération retenue pour les ratios de
mesure des facteurs, qui n’ont pas subi un processus d’analyse théorique et empirique aussi poussés
que le classement des facteurs. Notons que la meilleure manière de rendre ces ratios de mesure plus
précis et adaptés, est de rapporter l’élément mesuré au PIB, afin d’avoir une vision relative à la taille de
l’économie étudiée. Pour davantage de pertinence, les ratios seront appelés à être comparés
géographiquement ou chronologiquement. Tout leur intérêt réside dans la comparaison, tant il est

252Mutuellement exclusifs : L’information traduite par l’un n’a pas de lien avec l’information traduite par l’autre. Cette exclusivité est
relativement complexe à atteindre lorsqu’il s’agit d’analyser des phénomènes impliquant un nombre illimité de paramètres, notamment
certains phénomènes socio-économiques.

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- 312 -
difficile de leur donner une interprétation s’ils sont pris isolément. Les facteurs seront ici mesurés par
plusieurs ratios issus d’une analyse préalable, prenant en compte la pertinence de l’élément mesuré
par rapport à l’information que nous cherchons à révéler à travers le facteur.

L’outil (baromètre) que nous allons commencer à concevoir donne une structure type qui est
facilement applicable à différents marchés. Néanmoins, ce sera à l’expert (l’utilisateur) de déterminer
quel est le niveau d’intensité de chacun des facteurs qui sera considéré comme sensible ou critique.
Autrement dit, il serait très arbitraire de fixer a priori des seuils critiques pour chacun des
déterminants de la spéculation tant les structures de marché peuvent varier, et surtout les perceptions
des limites acceptables pour tel ou tel comportement, pour tel ou tel outil. L’utilisateur aura donc
évidemment une certaine marge lors de l’utilisation du baromètre mesurant le risque de spéculation.
En l’absence de tels seuils qui ne peuvent être établis que suite à des études poussées, l’analyse
comparative reste la meilleure utilisation du baromètre.

4.4.1 Proposition de ratios de mesure appropriés


4.4.1.1 Les facteurs de la spéculation endogènes au marché

Facteurs liés au comportement des acteurs


Cette catégorie de facteurs figure en première lieu du fait du classement préalablement établi
au niveau de la répartition des causes de la spéculation. Cependant, dès lors qu’elle est approchée d’un
point de vue numérique et financier, afin de la mesurer, sa place serait plutôt vers la fin tant elle
semble complexe à appréhender de manière détaillée et objective. Nous verrons, en effet, combien la
mesure de ces quatre facteurs qui représentent autant d’éléments relevant des convictions, voire de
l’intime, de l’opérateur financier est délicate. Autant dire que la mission présente une difficulté et une
subjectivité dans la mesure, mais sa caractérisation est incontournable et nécessaire pour la suite.

a. Cupidité, course au prestige entre traders

La cupidité et la course au prestige sont autant d’éléments dont la mesure objective devrait
faire l’objet d’études approfondies tant les notions font référence à des éléments subjectifs. Elles ont
clairement trait à la finance comportementale. En effet, comment savoir si tel trader est plus cupide
que son voisin ? Comment évaluer objectivement la course au prestige dans tel ou tel marché ? Par le
nombre de ‘’unes de magazines’’ mettant en avant les traders à succès ? Par le nombre de Lamborghini
achetées au kilomètre carré ou par année ? Concrètement, la cupidité et la course au prestige restent,
sans conteste, l’un des facteurs qui nous a semblé des plus délicats à cerner.

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- 313 -
Un indicateur éventuel permettant de mesurer ce facteur serait vraisemblablement la moyenne
d’âge des traders dans tel ou tel marché. En effet, comme indiqué dans le second chapitre de la
première partie, les études ont montré un lien entre la testostérone et les comportements excessifs
dans les marchés. Or, d’un point de vue purement scientifique, plus la personne est jeune, plus son
taux de testostérone est important, ce dernier entamant en déclin à partir de la trentaine253. L’étude
du sexe et de l’âge moyen donnerait une idée en tout cas, mais certainement pas un indicateur de
mesure fiable de la cupidité et la course au prestige au sein d’un marché financier donné. Ici, nous
sommes face à un diagnostic du problème devant lequel la mise en exergue d’un ratio de mesure
demeure problématique, et nécessite peut-être une étude ad hoc. Une issue nous permettra
cependant de surmonter l’obstacle lié à ce facteur. Cette issue se trouve au niveau de la très forte
corrélation relevée, comme celle constatée dans le cadre de notre enquête, entre ce facteur et celui de
la marginalisation de l’éthique. La mesure du second donnera une idée assez précise de la cupidité.

b. Prise de risque excessive

Lorsqu’il s’agit de mesurer le risque lié à un actif ou un marché donné, de nombreux indicateurs
sont disponibles dans la théorie financière. Parmi ces indicateurs, la ‘’VaR’’ (value-at-Risk), détaillée en
annexe D.2. Cette valeur « mesure la perte potentielle d’un portefeuille, pour une période et un niveau
de confiance donné. Les accords de Bâle de 1996 imposent aux institutions financières des contraintes
de capital fondées sur cette mesure de risque. La VAR est ainsi devenue une mesure de risque de
référence, même si elle fait aussi l’objet d’un certain nombre de critiques. En particulier, si cette mesure
fournit une estimation de la perte potentielle pour un seuil de probabilité donné, elle ne donne aucune
information sur le profil de risque une fois ce seuil de perte franchi »254. En ce sens, nous choisissons de
nous orienter vers d’autres indicateurs.

En ce qui concerne la prise de risque, un autre élément permet d’en mesurer le niveau pour un
opérateur donné mais cette fois-ci d’une manière relative. Vu qu’il est rapporté à la taille et la santé
financière de l’opérateur, nous pourrons avancer que cet outil offre davantage de pertinence. Le risque
peut effectivement être appréhendé au niveau de la structure et la qualité du capital de l’opérateur
ou le pool d’opérateurs dont nous souhaitons mesurer le risque. Cela s’inscrit dans la droite ligne de la
tradition bâloise donnant de plus en plus d’importance à la nature et la liquidité du capital. D’ailleurs,

253http://www.healthline.com/health/low-testosterone/testosterone-levels-by-age?m=2#Adolescence3 (09/03/2017)
254Hamidi Benjamin, Kouontchou Patrick, Maillet Bertrand, « L'approche DARE pour une mesure de risque diversifiée », Revue
économique 3/2010 (Vol. 61), p. 635-643

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- 314 -
l’outil qui semble de plus en plus admis dans cette logique est le stress test255 qui est proposé
actuellement à de nombreuses institutions et qui permet de mieux appréhender la résilience des
institutions financières. Cet outil dénommé CISS (Composite Indicator of Systemic Stress) a été
développé par la BCE (Hollo et al. 2012).

Dans cette même logique d’analyse de qualité du capital, nous avons « l’asset quality review »
qui est également un outil très utilisé par les autorités de régulation. Il a pour but d’évaluer la qualité
des valorisations internes des actifs risqués. Le rapport ‘‘capitaux propres/total bilan’’ en est la
traduction la plus classique. Une analyse alternative passerait aussi par le ratio mesurant ‘‘les revenus
provenant de l’intermédiation’’ rapportée aux ‘‘revenus résultant des opérations de marché’’, mais
aussi par la part des créances douteuses, créances accusant un retard de plus de 60j dans le paiement,
3 à 4% étant considéré comme normal, alors que le 11% observé en Argentine la veille de l’éclatement
de la bulle en 1994 est considéré comme spéculatif (Miotti & Plihon, 2001).

Afin de mesurer ce facteur de manière à la fois globale et fiable, nous retiendrons trois ratios
pour éviter la dispersion. Chacun de ces trois ratios aura une pondération égale, et reflétera la
situation moyenne du marché étudié. Les ratios seront comme suit :

 Capitaux propres / Total bilan


 Créances douteuses / Total bilan
 Revenus provenant des opérations de marché / Total bilan

c. Ethique marginalisée et environnement favorisant la fraude

Mesurer le niveau d’éthique au sein d’une institution n’était pas chose aisée il y a simplement
une vingtaine d’années. La résurgence de cette problématique durant cette période a donné lieu à de
nombreuses recherches qui ont abouti à certaines propositions en lien avec la mesure de l’éthique
dans l’entreprise. C’est l’élément, communément appelé responsabilité sociale en entreprise (RSE),
que nous trouvons le plus proche de la question de l’éthique. On s’accorde à y placer des pratiques
volontaires d’entreprises qui, soucieuses de répondre aux demandes de parties prenantes,
s’impliquent dans des actions sociales, sociétales et environnementales. Pour J. Makower, «
la responsabilité sociale traduit la conviction profonde de certains dirigeants d’entreprises selon
laquelle celles-ci peuvent et doivent jouer un rôle qui ne se limite pas à maximiser leurs profits »256.

255 Un test de résistance bancaire, ou « stress test », est un exercice consistant à simuler des conditions économiques et financières
extrêmes mais plausibles afin d’en étudier les conséquences sur les banques et de mesurer leur capacité de résistance à de telles
situations. Ces tests sont menés par les banques centrales.
http://www.lafinancepourtous.com/Decryptages/Mots-de-la-finance/Stress-test-test-de-resistance-bancaire (24/04/2017)
256 Peeters Anne, « La responsabilité sociale des entreprises », Courrier hebdomadaire du CRISP 3/2004 (n° 1828), p. 1-47

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En relation avec notre champ d’analyse, la mesure des niveaux des indicateurs RSE dans un
marché financier donné pourrait refléter une image de l’importance accordée par ses opérateurs
financiers à l’éthique à travers la RSE. Toutefois, la limite de ce ratio est liée notamment à
l’hétérogénéité des paramètres composant l’indicateur RSE et leur variation d’un marché à l’autre. Cet
indicateur serait résumé du point de vue du marché par la valeur des investissements socialement
responsables, entre autres mesures possibles.

L’absence d’éthique, se manifeste aussi à travers une autre variable intéressante à mesurer, en
l’occurrence celle liée à la fraude, qui évolue de manière inversement proportionnelle à l’éthique. La
valeur des fraudes par année et par marché serait un indicateur intéressant à retenir dans ce sens. Il
faudrait néanmoins, avec un tel ratio, garder à l’esprit qu’il est à relativiser dans le sens où ce ratio
peut admettre plusieurs variables. Ainsi, il est très concevable qu’un marché doté de fortes autorités
de régulation mette en lumière plus de fraudes qu’un marché ne disposant pas de telles autorités,
alors même que c’est dans le second marché que le nombre de fraudes réelles est plus élevé. Nous
pourrions relativiser ce paramètre en prenant en compte la force du régulateur, à travers un
coefficient exprimé par le budget du régulateur divisé par le total des capitalisations boursières. Cela
donnerait une idée globale sur la force du régulateur, bien que l’efficacité ne dépende pas toujours des
moyens alloués ou déployés, mais cela réduit la marge d’erreur. Cela fait partie des limites de ce
second ratio. Vu que d’autres paramètres pourraient influer sur la comparaison, comme le degré
d’éthique d’un pays à l’autre, nous ne pousserons pas plus loin la démonstration afin de ne pas se
perdre dans les détails. Retenons seulement que le ratio des fraudes rapporté au PIB est à prendre
avec une certaine précaution.

Toujours dans le cadre de la mesure du degré d’éthique et de l’importance accordée au profit


dans tel ou tel marché financier, un autre paramètre pourrait renseigner l’étude. Ce serait l’âge moyen
des traders dans le marché. Nous ne retiendrons néanmoins pas cet indicateur vu son manque de
précision. Afin de mesurer ce facteur donc, deux ratios seront retenus, le premier ayant une
pondération double par rapport au second, vu la pertinence de chacun d’eux. Le ratio de mesure
prendrait alors la forme suivante :

 Valeur des ISR / PIB


 Valeur des fraudes / PIB

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d. L’intention préalable de spéculer à court-terme

Sur le marché financier, parmi les éléments les plus délicats à mesurer, nous retrouvons tout ce
qui a trait à l’individu et qui se développe dans ses propres pensées (Obiyathulla, 2001, p8). Il s’agit
principalement des éléments intrinsèques et subjectifs ayant trait à la psychologie et à la perception
des choses. L’intention relève, sans aucun doute, de ces éléments. Comment peut-on prétendre
pouvoir mesurer l’intention d’un opérateur financier avant le déclenchement de son action ?
Rappelons qu’il est presque « impossible de distinguer une position spéculative, qui est un pari, d’une
autre qui aurait une visée économique » à l’étape de l’initiation de l’opération (Tumpel-Gugerell, 2003).
Plus que cela, il est même possible que l’intention communiquée diffère de l’intention réelle. Or, ce
qui nous intéresse tout particulièrement au niveau de cette cause de la spéculation, qui est l’intention
initiale de spéculer, c’est l’intention avant le déclenchement de l’action.

En pratique, il est ardu de « savoir si un trader se couvre ou spécule » (De Schutter, 2010, p10).
Le régulateur peut déjà procéder à la séparation des traders agissant pour le compte de négociants
des autres traders agissant pour le compte de fonds d’investissement financiers, ce qui est déjà une
pratique opérée par certains régulateurs. Nous pouvons aussi essayer d’évaluer la valeur des positions
sur les dérivés par rapport à l’activité du trader ou de son ordonnateur, ou encore par rapport à ses
actifs du sous-jacent de référence. Ainsi, si un négociant dispose de 5 tonnes de blé mais qu’il se
couvre sur l’équivalent de 500 tonnes de blé, le régulateur peut considérer que l’activité est une
activité de pari et spéculative, et non de couverture (De Schutter, 2010, p10). Néanmoins, ces
données ne sont pas accessibles à notre niveau. Il s’avère que ce genre d’éléments est très délicat à
cerner, sauf à travers une étude ad hoc qui serait établie et renouvelée sur de courtes périodes.

Pour autant, il existe un moyen qui permet de comprendre la manifestation de cette intention
sur le terrain, à travers son expression au niveau global sur le marché et quelques indicateurs
(Obiyathulla, 2001, p8). En effet, l’intention n’a pas de valeur tant qu’elle n’est pas combinée à une
action. Or, c’est précisément vers l’action de l’opérateur que nous pouvons nous orienter. Ceci découle
principalement du fait que nous avons relevé dans notre analyse, surtout en seconde partie, que
l’intention initiale de spéculer est l’une des causes majeures et décisives de la spéculation sur les
marchés financiers. L’action qui exprimera cette intention, au niveau des produits futurs, par exemple,
est le nombre de transactions qui seront soldées, annulées, compensées juste avant l’échéance
(Obiyathulla, 2001, p8). En face, nous avons les transactions qui seront effectivement exercées à terme.
Au niveau du marché des matières premières, par exemple, nous avons le nombre de contrats livrés
par rapport au nombre de contrats soldés ou liquidés.

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Il est néanmoins nécessaire de s’arrêter sur ce ratio de mesure en soulignant qu’il n’est pas
significatif de façon absolue. En effet, un acteur peut choisir de liquider une position car il a eu une
urgence sur un autre volet qui le prive, peut-être, de la liquidité et qui ne lui permet pas de procéder à
la transaction prévue. La seule manière de pouvoir évoluer avec ce ratio de mesure est de considérer
ces cas comme marginaux. Le ratio retenu sera donc :

 Valeur des futurs livrés / Valeur totale des contrats futurs

Facteurs liés aux transactions


Après avoir cerné la majorité des facteurs de la spéculation relatifs au comportement, et
constaté qu’ils constituent la catégorie la plus délicate à mesurer, il est temps d’aborder le reste des
facteurs qui poseront moins de difficultés. Parmi ces facteurs, ceux liés aux transactions effectuées sur
le marché financier constituent la seconde grande catégorie des facteurs endogènes de la spéculation.
Dans cette seconde étape, nous allons découvrir quels sont les ratios les plus adéquats pour mesurer
les causes de la spéculation qui se rapportent aux transactions effectuées par les opérateurs financiers.

a. Les ventes futures

Faisant partie des éléments les plus clairs parmi les facteurs endogènes de la spéculation, la
vente future est une pratique relativement courante et assez bien réglementée. Certaines places
boursières disposent de marchés dédiés à ce genre de transactions. A titre illustratif, le London Metal
Exchange ne procède qu’à des transactions futures. La mesure de ce facteur ne pose pas de difficulté
particulière tant il est suivi et documenté. Il est donc assez aisé d’obtenir un ratio tel que le nombre
de transactions futures rapporté au nombre de transactions spot, ou encore valeur des contrats futurs
rapportée au PIB. Ce sera ce dernier ratio qui sera retenu :

 Valeur des contrats futurs / PIB

b. L’assurance et la spéculation

Nous avons pu étudier, dans notre seconde partie, dans quelle mesure les assurances sur les
transactions financières risquées ont contribué à l’ancrage de la spéculation. Il convient néanmoins de
cerner ce phénomène à travers un ratio de mesure accessible. En réalité, le secteur des assurances est
un secteur qui produit également des produits dérivés tels que les Swaps à travers les CDS. Plus
spécifiquement, nous pouvons même constater que la logique initiale derrière la majorité des
produits dérivés classiques (futures, options, Swaps) est essentiellement une logique de couverture
et donc, d’assurance. Le secteur étant généralement réglementé et doté d’autorités de supervision, les

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chiffres relatifs à son implication dans les marchés sont alors publics. Nous pouvons ainsi avoir une
idée assez précise sur le poids du secteur de l’assurance financière par rapport au secteur financier en
entier. Cependant, cela reste peu révélateur au regard de la nature précise du facteur. Une mesure
plus précise peut être avancée. Elle consisterait à évaluer le volume total des produits de couverture
purement financiers négociables en bourse, le CDS (et assimilés) étant un bon exemple. Avec
l’évolution des innovations financières, les produits similaires aux CDS devront aussi être pris en
compte. Ainsi, à travers le ratio CDS (et assimilés) / PIB, nous pouvons avoir un ordre de grandeur du
phénomène dans tel ou tel marché. Ce ratio peut être complété par la mesure du poids des activités de
finance de marché rapporté au total bilan des assureurs. Ainsi, les ratios retenus se complètent et
auront la même pondération :

 CDS (et assimilés) / PIB


 Revenus d’opérations finance de marché / Total bilan des assurances

c. La vente à découvert

Rappelons d’emblée que la pratique de la vente à découvert est proscrite au niveau de certains
marchés financiers. Nous avons vu précédemment dans quelle mesure cette pratique contribuait à la
spéculation au sein des places boursières dans lesquelles elle était admise. Aujourd’hui, étant
relativement cadrée, sa mesure ne pose pas de problématique majeure et les chiffres y afférant sont
accessibles. A partir du moment où un marché interdit cette pratique, le ratio sera bien évidemment
nul. Mais si elle est pratiquée, nous pouvons construire un ratio de mesure sous la forme suivante :

 Volume total des ventes à découvert / Volume total des transactions boursières

d. Poids des dérivés

Il n’est plus à spécifier qu’au niveau global, les dérivés représentent plus de dix fois le PIB
mondial. Ayant démontré précédemment dans quelle mesure la prédominance des produits dérivés
sur un marché donné contribue à la spéculation, il s’agit maintenant de pouvoir mesurer ce
phénomène par un ratio de mesure approprié. Les statistiques étant abondantes à ce propos, il est
évident que l’un des ratios les plus adéquats pour mesurer ce facteur sera la valeur totale des dérivés
rapportée au PIB. Un seul et unique ratio sera donc retenu :

 Dérivés financiers / PIB

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e. Complexité croissante et excès d’innovation financière

En abordant cette dimension, nous revenons à la complexité à tous les niveaux. En effet, deux
questions logiques sous-jacentes à cette dimension sont à soulever : Comment mesurer l’innovation
financière ? Et comment savoir la part des produits complexes issus de cette même innovation ?

Concrètement, il s’avère que la recherche d’un ratio de mesure à cette cause bien spécifique à
la spéculation requiert un effort d’analyse plus approfondi, voir une étude ad hoc qui dépasse de loin
l’objet de notre recherche. L’analyse du budget de recherche et de développement des institutions
financières peut donner une idée sur les tendances de la complexification. Nous pouvons, à titre
d’exemple, mesurer le volume des produits complexes par rapport au volume total sur tel ou tel
marché. Mais comment distinguer ceux qui sont complexes de ceux qui le sont moins ? Soulignons que
parmi les produits qualifiés de ‘‘complexes’’ nous pouvons aisément ranger les CDS, les produits dits
exotiques, les produits structurés et tant d’autres. A partir de là, le regroupement des produits n’étant
pas intuitif, la recherche de données sera d’autant plus complexe. C’est d’ailleurs, ce que nous avons
constaté en pratique vu que nous n’avons pas pu collecter de données adéquates pour mesurer ce
facteur. Malgré tout, nous avons décidé de retenir le ratio suivant :

 Budget de recherche et développement des institutions financières / Total bilan

f. Le spoofing

Dans la lignée des opérations relativement surveillées, le spoofing fait aussi partie des éléments
chiffrés par les autorités de régulation. A cet égard, les autorités évaluent le nombre total des
transactions qui ont été annulées avant leur exécution. Il est à noter que l’annulation diffère de la
liquidation/compensation, qui est utilisée pour solder de nombreuses transactions futures. Dans le cas
du spoofing, l’opérateur financier annule un ordre qu’il a envoyé avant même son exécution sur le
marché. Ainsi, il est tout à fait possible d’obtenir le ratio représentant le pourcentage des transactions
annulées dans tel ou tel marché, rapporté au nombre total de transactions. Le ratio retenu s’exprime
sous la forme suivante :

 Nombre d’ordres annulés / Nombre total d’ordres transmis

Nous avons ainsi pu attribuer à chacun des facteurs endogènes de la spéculation un ratio de
mesure plus ou moins précis, au terme de cette première série. Nous notons qu’un certain nombre de
facteurs de la spéculation, notamment ceux relatifs au comportement des opérateurs ainsi que celui
relatif à la complexité des dérivés sont difficilement mesurables de manière précise. L’une des

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solutions qui nous paraît réaliste, afin de ne pas perdre l’information apportée par ces facteurs dont
la mesure est peu évidente, est d’étudier les corrélations qu’ils ont avec d’autres facteurs, et qui
permettraient éventuellement d’extrapoler la valeur d’un facteur par rapport à un autre. Nous
reviendrons sur ce point lors de la discussion sur le baromètre.

4.4.1.2 Les facteurs de la spéculation exogènes au marché


Ayant pu mettre en exergue des ratios de mesure permettant d’illustrer la majorité des facteurs
de la spéculation endogènes au marché, nous allons dans un second temps nous pencher sur les ratios
de mesure des facteurs de la spéculation exogènes au marché.

Facteurs liés au cadre réglementaire


a. Possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal

La mesure de l’importance du phénomène d’arbitrage réglementaire et fiscal est un défi assez


délicat tant cela relève à la base de pratiques utilisées dont le but ultime est d’être discret aux yeux
du régulateur et du grand public. Dans un tel contexte, cela rend l’accès à cette information
particulièrement difficile pour une recherche exploratoire basée sur les rapports d’autorités de
régulation ou d’entreprises. Cependant, dans le cadre de leurs travaux pour rendre l’information
accessible, certaines organisations non gouvernementales, comme OXFAM257 , ont fait un effort
considérable de collecte et de recoupement de l’information pour essayer, par la suite, de la vulgariser
et la rendre plus accessible au grand public. Ce genre d’information se retrouve également dans
certaines enquêtes journalistiques qui cherchent à mettre la lumière sur ces phénomènes assez
dissimulés. En ce qui concerne l’arbitrage réglementaire et fiscal, ses deux premiers éléments sont
généralement interdépendants et sont souvent repris sous l’appellation d’optimisation fiscale utilisée
publiquement par les entreprises. L’existence de centres off-shore permettant la création de sociétés
‘‘écran’’, la multiplicité de cabinets juridiques et de consultation fiscale, le shaddow banking, le nombre
de sociétés exerçant leur activité dans un pays autre que celui de leur siège sont autant d’indicateurs
potentiellement intéressants que nous pourrions retenir pour mesurer cette dimension liée au facteur
de la spéculation. A cet effet, il est envisageable de retenir un indicateur basé sur deux ratios à
pondération égale :

 Shaddow banking / PIB

257OXFAM : « Oxfam est une confédération internationale de 18 organisations qui travaillent ensemble, avec des partenaires et
communautés locales, dans plus de 90 pays », son principal but est la lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Oxfam.org, Qui sommes-nous ?. URL: https://www.oxfam.org/fr/qui-sommes-nous

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- 321 -
 Volume d’évasion fiscale / PIB

b. Domination des opérations et comptabilités parallèles (OTC)

De par leur rôle de supervision et de réglementation, les autorités de contrôle étudient les
phénomènes qui se développent en dehors de leur périmètre d’intervention, comme c’est le cas pour
les transactions sur les marchés boursiers dits organisés, cités ici à titre indicatif. En fait, plusieurs types
d’opérations relèvent plus des opérations parallèles non réglementées que de celles des marchés
organisés. A titre d’exemple et comme nous l’avons discuté précédemment, le phénomène du gré à
gré prend de plus en plus d’ampleur. Nous avions également relevé la tenue de comptabilités dites
parallèles comme le hors bilan pour de nombreux produits dérivés. Plusieurs ratios pourraient alors
être utiles dans le cadre de l’étude de ce facteur de spéculation. Nous retiendrons deux indicateurs à
pondération égale pour ce facteur :

 Hors bilan des institutions financières cotées / Total bilan


 Transactions de gré à gré / Transactions totales

c. Cotation continue et fréquence des transactions

La cotation continue est un élément dont la présence ou l’absence détermine clairement les
flux dans un marché donné. Dans la majorité des places boursières contemporaines, la cotation est de
type continu. Nous avons pu observer que le marché malaisien portant sur l’huile de palme était basé
sur une seule cotation par jour (fixing), un modèle auquel appelait Allais. A partir de là, dans un marché
où la cotation est continue, la fréquence des transactions peut se mesurer de manière assez intuitive.
Eventuellement, cela peut être élargi au temps de détention de tout actif. Nous pouvons aussi utiliser
l’indicateur du nombre d’ordres par jour rapporté à la capitalisation boursière totale. C’est ce dernier
ratio qui s’avère plus révélateur, et qui sera retenu par rapport à ce facteur :

 Nombre d’ordres exécutés par jour / Capitalisation boursière

d. Déréglementation et ouverture excessives, avec des autorités ayant des


contrôleurs moins qualifiés que les spéculateurs

Dans la droite ligne de la tradition libérale adoptée depuis les années Reagan, le rôle des
autorités de régulation et de contrôle s’est progressivement amoindri. Ce phénomène est dû à de
nombreux éléments, dont le politique, qui semble bien décisif. L’évaluation de l’efficacité des autorités
de réglementation s’effectue à partir de leur budget, car ce dernier détermine souvent la présence ou
non de ressources humaines suffisantes pour effectuer les contrôles adéquats et suffisants. Plus
subtilement, nous pouvons constater que le budget est important mais qu’avec des ressources

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humaines peu nombreuses et ayant une qualification moyenne, cela ne permettra que difficilement de
suivre le rythme des ingénieurs financiers et juridiques généralement employés par les plus grandes
banques d’affaires dans les départements financiers, souvent en cause dans les activités de spéculation.
En plus de l’indicateur du budget, l’effectif sera donc à observer. Dans le même contexte, il sera utile
de comparer le salaire moyen des fonctionnaires des autorités de régulation par rapport au salaire
moyen des traders. Par ailleurs et dans un contexte légèrement différent, un autre indicateur permet
de mesurer notre facteur notamment par le biais de la part des Investissements Directs Etrangers (IDE)
dans le PIB. Elle peut être complétée par la part des actifs boursiers détenue par des étrangers. Cinq
ratios à pondération égale seront donc retenus afin de mesurer ce facteur :

 Budget des autorités de régulation boursière / Capitalisation boursière


 Effectifs des régulateurs / Capitalisation boursière
 Salaire moyen des régulateurs / Salaire moyen des traders
 IDE entrants / PIB
 Actifs boursiers détenus par des étrangers / Capitalisation boursière

e. Poids et pouvoir des lobbys financiers

La mesure de la force de frappe du lobbying est une activité à laquelle se sont consacrées
certaines ONG telles Transparency International dans sa récente étude sur le lobbying258 ou encore
l’organisation dédiée Finance Watch. Cette activité de lobbying est la plus intense à Washington suivie
de Bruxelles en termes de dépenses, et est notamment exercée par des entreprises de pétrole, de
télécoms, des représentants de pays étrangers mais aussi par le secteur de la finance. L’un des moyens
les plus simples d’évaluer le niveau de cette activité est d’évaluer les dépenses de lobbying. Cette
méthode est relative aux ‘‘ressources financières’’ qui déterminent le niveau de lobbying soit
directement, notamment avec les contributions politiques, ou indirectement, particulièrement avec le
financement de dépenses de décideurs. Le ratio retenu serait donc :

 Dépenses en lobbying financier / PIB

Facteurs liés au contexte financier


Après avoir présenté les facteurs de la spéculation relatifs au cadre réglementaire, nous allons
maintenant aborder la seconde sous-catégorie des facteurs exogènes de la spéculation.

258Transparency International France, Regards Citoyens, Améliorer la transparence du lobbying : Répartition par catégorie des
organismes auditionnés à l'Assemblée nationale 2007-2010, regardscitoyens.org.
URL : http://www.regardscitoyens.org/transparence-france/etude-lobbying/ (07/06/2015)

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a. Structure oligopolistique et conflits d’intérêt

Dans le modèle théorique de la CPP, le marché est atomistique tant au niveau de l’offre que de
la demande. A mesure que le marché est concentré, il subit la loi des institutions dominantes. Ces
dernières accentuent la spéculation, dans un sens comme dans l’autre, quand cela leur permet
d’optimiser leurs revenus. La mesure de cette concentration du marché pose peu de difficultés dans la
mesure où l’agrégation des parts de marché des plus grandes institutions donne une idée relativement
claire de la structure oligopolistique. Nous mesurerons donc ce facteur par l’addition du pourcentage
de parts de marché des cinq premières institutions financières de la place boursière.

De surcroît et comme cette concentration de marché se reflète généralement au niveau des


agences de notation, il faudra greffer un indicateur relatif aux agences de notation. Le système
émetteur-payeur posant problème à plusieurs égards, il faudra vérifier le mode de fonctionnement des
agences de notation du marché étudié (diversification des clients, provenance du chiffre d’affaires...).
La vérification de ces éléments étant relativement ardue, nous nous cantonnerons à la mesure de la
part de marché des trois principales agences de notation, une mesure qui reflète une certaine
continuité de la structure oligopolistique et des conflits d’intérêt potentiels. Deux ratios seront donc
retenus, avec une pondération double pour le premier de par son importance :

 Capitalisation des cinq principales institutions financières / Capitalisation totale


des institutions financières
 Chiffre d’affaires des trois principales agences de notation / Chiffre d’affaire
total du secteur

b. Domination de l’analyse comportementale sur l’analyse fondamentale

Dans la mesure où l’effet moutonnier domine largement les marchés, comme nous avons pu le
constater lors de nos précédentes analyses, accentuant ainsi la formation et le volume des bulles
spéculatives, il convient de pouvoir évaluer les outils qui conduisent à cet état de fait. L’analyse
comportementale s’appuie essentiellement sur des instruments mathématiques, statistiques et
probabilistes. En principe, ces instruments se concentrent sur certains seuils psychologiques que les
marchés surveillent de très près mais n’ont que peu de lien avec l’activité réelle de l’entreprise liée aux
actifs étudiés. L’évaluation de cette domination du comportemental sur le fondamental peut se faire
en constatant quels sont les budgets consacrés aux outils d’analyse chartiste, ou encore la taille du
marché des outils d’analyse chartiste dans le pays étudié. Il est clair que cette évaluation est loin
d’être abordable, et gagnerait davantage à être étoffée par d’autres ratios comme le temps consacré
à l’analyse chartiste par rapport aux fondamentaux ou encore les modules qui ont dominé la formation

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des traders et les profils dominants, mais ces derniers éléments nous semblent à l’heure actuelle
également difficilement mesurable à défaut de pouvoir obtenir les données nécessaires pour mener
cette mesure à bien.

Nous avons retenu deux ratios qui reflètent relativement ce facteur, avec une pondération égale :

 Budgets des associations d’analystes techniques / Capitalisation boursière


 Salaire moyen d’analyste technique / Salaire moyen d’analyste financier

c. Volatilité

La volatilité des marchés fait l’objet de plusieurs méthodes d’évaluation. Elle est une donnée
fournie par de nombreuses études et reste facilement accessible. Il convient néanmoins de conserver
la même mesure de la volatilité quand on évaluera différents marchés afin de garder une certaine
cohérence de l’instrument de mesure.

La principale mesure de la volatilité en finance repose sur la variance. Ainsi, « si deux prix ont la
même moyenne, je dirais que celui qui a la plus faible variance est plus stable. Si les prix diffèrent, je
dirais que le plus stable est celui qui a le plus faible coefficient de variation. Par cette définition, la série
de prix ayant la plus faible amplitude est la plus stable » (Tesler, 1959, p2). Le ratio retenu sera donc la
variance du marché observé :

 Variance = (1/n) [Ʃ(Xi² - Xm²)] , avec Xm la moyenne (Xm = ƩXi/n)

d. Asymétrie d’informations, opacité et fausses rumeurs

Concept mettant en relation un certain nombre de paramètres, l’asymétrie d’information


représente l’un des éléments les plus délicats à cerner, à décrire et à mesurer de manière exacte. En
principe, le marché boursier est supposé être un marché transparent donnant l’accès immédiat à
l’information. Pourtant, des sommes colossales sont dépensées pour obtenir des informations fraiches
et en temps réel, voire en quelques secondes avant la foule. Ces dépenses sont généralement très peu
communiquées car allant à l’encontre de l’esprit de transparence recherché dans tout marché. C’est
à cet effet que nous nous sommes orientés vers le délit d’initié, qui est une traduction indirecte du
facteur, et sa déclinaison la plus relayée en termes d’information. L’une des limites de ce ratio est qu’il
doit être relativisé notamment par rapport à l’efficacité des autorités de régulation et aux poursuites
annulées. Nous retiendrons, ce ratio pour représenter ce facteur :

 Valeur des délits d’initiés / Capitalisation boursière

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- 325 -
e. La rentabilité d’activités financières dépasse celle de l’économie réelle

Le profit ou la plus-value financière est la pierre angulaire de l’activité de spéculation. De ce fait,


il est compréhensible que son importance constitue un appel d’air dans une échelle proportionnelle.
Mesurer la rentabilité des activités de spéculation par rapport à la rentabilité des activités hors
spéculation peut transparaître dans une certaine mesure en comparant les profits générés par
l’investissement boursier d’une manière générale par rapport au PIB, ou encore la variation de l’indice
boursier principal par rapport à la variation du PIB. Précisons que cela reste indicatif, l’activité
boursière ne se résumant absolument pas à la spéculation. Pour avoir une mesure plus précise, nous
pourrions chercher la rentabilité des produits dérivés ou d’un indice représentant un panier des
marchés de dérivés (futurs, options…) par rapport à la rentabilité de l’économie réelle. Une
comparaison des dix dernières années permettrait de lisser les variations exceptionnelles et d’avoir
une vision relativement objective des rentabilités comparées. Une autre manière de mesurer la
rentabilité des activités purement financières par rapport aux activités réelles est de comparer l’écart
entre les salaires moyens dans le monde de la finance de marché et le salaire moyen national. Plus
l’écart serait grand, plus on serait incité à comprendre que la sphère financière demeurera
extrêmement attractive pour les prochaines générations de jeunes brillants. Enfin, il est également
possible de mesurer la croissance du volume des prêts overnight (au jour le jour) qui témoigne d’une
tension accrue et du rapprochement du marché du sommet de la bulle spéculative (Kindleberger, 1978,
p81). Parmi ces pistes, nous en retiendrons deux sur lesquelles nos recherches se sont orientées, avec
une pondération double pour le premier ratio, tant il est significatif pour ce facteur, et clair :

 Salaire moyen d’un trader / Salaire moyen national


 Valeur absolue de (l’évolution de l’indice boursier – l’évolution de l’économie)

Facteurs liés au contexte macroéconomique d’endettement


Après l’identification des indicateurs adéquats relatifs aux facteurs de la spéculation liés au
contexte financier, nous arrivons au terme des sous-catégories du cadre réglementaire. A ce stade,
notre objectif sera d’identifier les indicateurs les plus intéressants pour mesurer les facteurs liés au
contexte macroéconomique.

a. Le système bancaire, la dette et la détérioration de la solvabilité

Le facteur appréhendant l’endettement et la détérioration de la solvabilité peut être mesuré à


travers plusieurs ratios. Les sources de données par rapport à ces ratios sont très largement
disponibles. Le plus intuitifs de ces ratios se rapporte, tout particulièrement, à l’endettement national

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- 326 -
global. Le ratio le plus lié directement à notre facteur est, sans doute, celui donné par le rapport des
fonds propres aux encours de crédit des institutions financières.

D’autres éléments permettent d’avoir une idée plus claire sur ces ratios et peuvent être
explorés en complément, mais nous ne les retiendrons pas par souci de synthèse. Un élément
permettant de mesurer la solvabilité et la pérennité de la situation financière de l’agent économique
est la différence donnée par ‘‘EBE-Annuité’’, où EBE désigne l’Excèdent Brut d’Exploitation. Si l’annuité
des paiements dépasse l’EBE, la situation est une situation d’insolvabilité potentielle.

Ces ratios de mesure peuvent éventuellement être complétés par d’autres ratios selon la
situation, le marché et l’agent étudié. Concernant l’évaluation de l’importance de ce facteur, la mesure
de la couverture du fardeau de la dette est efficace pour évaluer la pérennité de l’agent économique.
Cet indicateur reflète la capacité à couvrir le paiement des intérêts et d’une portion du principal qui
fera que l’intérêt ne se constitue pas davantage, et donc c’est l’une des meilleures mesures de la
solvabilité.259 Au niveau du ratio dette/revenu disponible, à partir du moment où il dépasse les 100%,
cela fait craindre la non-viabilité de la situation de l’agent économique. Un niveau de 150% rend
l’agent bien plus vulnérable aux chocs générateurs d’insolvabilité (Allen et Damar, 2011, p58). Cet
acteur serait qualifié par Ashley d’acteur spéculatif comme cela a été montré dans notre seconde
partie. Généralement, la dette d’une personne qui déclare faillite est de 60% supérieure (en
moyenne) à la dette moyenne dans un pays comme le Canada, selon une étude statistique datant de
2011 (Allen et Damar 2011 p58). La probabilité de faillite est donc extrêmement élevée quand la dette
sur le revenu moyen dépasse les 200% et quasiment systématique à partir de 240%. La mesure de ce
facteur est à prendre au niveau macro-économique, pour la solvabilité de l’Etat, celle des banques et
celle des ménages et des entreprises. Nos deux ratios retenus seront donc à pondération égale :

 Dette / PIB
 Fonds propres / Encours de crédit des institutions financières

b. La création monétaire et l’abondance de liquidités

Le processus historique de légalisation de la création monétaire par des banques privées étant
abouti, les changements ne s’opèrent actuellement qu’à la marge, à savoir les réserves obligatoires
imposées par les banques centrales aux banques privées. Autant dire que la majorité des pays avancés
ont atteint les seuils maximaux de création monétaire, d’une manière générale. Néanmoins, il
convient de préciser que la situation varie d’un pays à l’autre par rapport à certains paramètres. Nous

259 http://neumann.hec.ca/sites/cours/4-212-95/Fichiers/Risque_Insolvabilite.pdf (12/08/14)

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avons tout d’abord le niveau des taux d’intérêts qui est un indicateur fort de la politique
expansionniste éventuelle de l’Etat. En second lieu, nous avons le rapport entre M1 et M3 qui donne
une indication sur la part de la monnaie fiduciaire et comptes courants dans la masse monétaire.
L’abondance de liquidités est aussi traduite par la masse monétaire M3. Enfin, c’est aussi la croissance
de la masse monétaire M3 qui donne une idée plus dynamique de la politique monétaire
éventuellement expansionniste. Nous ne jugeons pas utile ici d’évoquer le taux d’intérêt en soi, vu que
l’endettement qui en découle a été abordé au niveau du facteur précédent. Les flux de capitaux
étrangers qui peuvent éventuellement être mesurés par le rapport IDE/PIB, mais l’utilité de ce ratio
nous semble a priori marginale. Nous retiendrons donc deux ratios à pondération égale :

 M3/PIB
 Variation annuelle de M3

c. La titrisation et la négociabilité de la dette et des intérêts

La titrisation permet aux agents financiers privés d’accroître leurs capacités à concéder des
prêts tout en restant dans les normes au niveau des ratios prudentiels. Cela passe notamment par la
titrisation de certaines créances en les transformant en liquidités, après leur cession, amplifiant ainsi
les possibilités de prêt. Ce phénomène, largement critiqué à l’occasion de la dernière crise, peut être
mesuré assez intuitivement en rapportant le volume total des dettes titrisées au PIB. Le ratio retenu
sera :

 Dettes titrisées / PIB

d. Le levier

En dehors de la solvabilité et de l’endettement déjà discutés au niveau du premier point, nous


devons nous arrêter sur l’importance de l’effet de levier au niveau des sphères financières, à savoir les
organismes et les banques intervenant en bourse. La meilleure manière d’avoir une idée sur l’achat à la
marge est de revenir aux consignes réglementaires qui régissent tel ou tel marché financier, comme le
ratio de réserve de la banque centrale et celui de l’endettement sur les capitaux propres. Il est par
ailleurs intéressant de mesurer le pourcentage des opérations effectuées par achat à la marge par
rapport au volume total des transactions…. Un premier ratio de mesure de l’effet de levier serait le
ratio passif exigible / capitaux propres. Un autre ratio serait la mesure du montant engagé rapporté au
dépôt initial de l’opérateur financier. Ces deux derniers seront donc retenus, avec une pondération
double pour le premier :

 Passif exigible / capitaux propres

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 Montant engagé sur le marché / Dépôts initiaux
Ayant pu dégager des ratios de mesure pour quasiment l’ensemble des facteurs, nous nous
proposons d’affiner l’analyse à travers la mise en relation de ces ratios au sein d’un outil unique, notre
instrument de mesure, qui sera notre baromètre d’évaluation du risque spéculatif. Rappelons à cet
effet que certains facteurs sont moins évidents à mesurer que d’autres, et que c’est également à
l’utilisateur de procéder aux ajustements nécessaires lors de l’utilisation, en veillant à garder la même
base de mesure une fois l’utilisation entamée, afin de ne pas biaiser les comparaisons. Notons par
ailleurs qu’il est possible qu’un epsilon d’erreur soit ajouté à ce baromètre, qui ne peut prétendre à
l’exhaustivité en termes d’information rapportée, tant le phénomène mesuré est contingent et évolutif.

4.4.2 Mise en relation de ces indicateurs au sein du baromètre retenu


Tendant à capitaliser sur les développements précédents, nous cherchons à établir une esquisse
devant nous aider à construire un baromètre d’évaluation du risque de spéculation. Ce faisant, nous
tenterons de mettre en relation l’ensemble des critères ainsi appréciés dans ladite construction. En
effet et à l’issue de l’enquête quantitative, les étapes de la reclassification des facteurs selon leur
contribution à la spéculation ainsi que la détermination d’indicateurs adéquats ayant été finalisées,
nous en venons maintenant à l’étape de la construction de notre instrument de mesure. Cette
construction est avant tout conceptuelle dans la mesure où elle ambitionne de donner une idée
générale et récapitulative du risque de spéculation à travers un seul et unique outil, qui regroupera les
principaux facteurs de la spéculation.

4.4.2.1 Regroupements des facteurs


Dans la perspective de concevoir un instrument de mesure en ligne avec les conclusions des
précédentes analyses, les constructions qui seront établies présentent l’issue logique du raisonnement
établi et des conclusions signalées, sans aucun nouveau développement. En effet, le regroupement des
facteurs à utiliser pour la construction de l’indicateur est dans le fil directeur des analyses précédentes.

Concrètement et comme dégagé des analyses de l’étude documentaire et la revue littéraire, la


démarche suivie consiste à :

i. Retenir d’emblée les deux principales catégories de facteurs de la spéculation, à savoir les
facteurs endogènes et les facteurs exogènes au marché.

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- 329 -
ii. Exploiter par la suite les deux sous-catégories de facteurs au niveau endogène et les trois au
niveau exogène.

Précisons à ce titre que les premières versions du baromètre avaient initialement trois catégories de
facteurs et non deux, mais ce regroupement fut abandonné avec l’évolution des analyses puis de
l’enquête empirique. Le classement des facteurs au sein des sous-catégories est le dernier classement
obtenu à l’issue de l’enquête, de même que les pondérations à donner à chaque facteur qui sont
issues des moyennes de notations attribuées par les répondants.

4.4.2.2 Mesure empirique des facteurs


Les 24 facteurs de la spéculation ayant maintenant été clairement identifiés, il est nécessaire de
trouver un moyen de les mesurer numériquement. Cette mesure se matérialisera dans notre cas par
les indicateurs qui ont pu être explorés auparavant. Chaque facteur fut ainsi adossé à un certain
nombre de ratios aussi révélateurs que possibles de la manifestation de ce facteur de la spéculation
sur le marché. Les ratios seront regroupés en face du facteur, avec la spécification de la pondération
donnée à chaque ratio. Cependant, cette pondération des ratios ne peut prétendre au degré de
significativité acquis par la pondération donnée aux facteurs, dans la mesure où la première est issue
d’une double enquête documentaire et quantitative sur le terrain auprès d’experts, alors que celle
des ratios n’est déduite que de l’étude documentaire.

La possibilité de faire une troisième enquête validant les pondérations des ratios au sein de la
même thèse n’est pas à l’ordre du jour, car demandant des moyens humains, financiers et en termes
de temps que le chercheur ne peut rassembler de nouveau. C’est sans aucun doute l’une des pistes
majeures de réflexion et d’amélioration liées à notre instrument de mesure. Cette piste se
résumerait éventuellement à explorer davantage les indicateurs (ratios) et vérifier par une enquête
empirique leur cohérence et leur pondération, comme nous l’avons fait pour les facteurs de la
spéculation. Une autre piste est liée à l’epsilon d’erreur.

4.4.2.3 Les valeurs à définir par l’utilisateur


La clarification initiale des pondérations des facteurs, des facteurs puis des ratios retenus ainsi
que leurs pondérations ne signifie pas pour autant que l’utilisation de l’instrument de mesure
commencera à leur niveau. C’est dans un souci de cohérence et de présentation appropriées qu’ils ont

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- 330 -
été placés à un niveau hiérarchique supérieur260. C’est avec les ratios de mesure des facteurs et leurs
pondérations que l’utilisation de l’instrument de mesure s’entame pour l’utilisateur. Ainsi, facteur
par facteur, l’utilisateur devra prospecter les données adéquates pour la mesure de chaque facteur.
Une fois les données identifiées, l’utilisateur devra calculer la valeur de chaque ratio à travers son
numérateur et dénominateur. Dans le cas d’un facteur mesuré par plusieurs ratios, il fera la moyenne
pondérée des ratios, et inscrira cette moyenne au niveau du facteur. Prenons à ce titre l’exemple du
facteur « Levier » pour illustrer l’idée :

• Passif exigible / Capitaux propres 2/3


7,60 Levier
• Montant engagé sur le marché / Dépôts initiaux 1/3

Pour ce facteur, l’utilisateur devra identifier le passif exigible des institutions financières du pays
analysé et le diviser par les capitaux propres de ces mêmes institutions. Il pourra se limiter aux plus
grandes institutions. Le plus important est de retenir les mêmes normes pour les différents pays
mesurés. Une fois la valeur obtenue, 900% par exemple, il passera au second ratio. Pour ce dernier, il
identifiera les montants engagés sur le marché financier par les opérateurs pour les diviser par les
dépôts initiaux, dans le cadre d’opérations d’achat à la marge avec effet de levier. Si la valeur moyenne
obtenue sur le pays analysé est par exemple 2000%, il calculera la moyenne pondérée de ces deux
ratios. Cette dernière s’exprimera sous la forme suivante :

V = 900*2/3 + 2000*1/3 = 1266,67

L’utilisateur inscrira donc dans la case dédiée à la valeur 1266,67%. Précisons qu’il est possible que
dans son marché étudié, il n’ait pas accès aux données relatives au second ratio. Dans ce cas, il se
contentera simplement du premier ratio pour exprimer le facteur. S’il compare avec d’autres marchés,
il devra également se limiter au même ratio, cette norme est importante à retenir. Dans un tel cas, il
peut s’avérer cependant que la valeur finale soit très différente.

Pour autant, nous soulignons ici que notre instrument de mesure n’est pas destiné à être
utilisé comme un indicateur dépourvu de base comparative. En effet, il est nécessaire d’avoir une
base comparative pour pouvoir en tirer des enseignements. Cette base peut être constituée par
exemple de l’historique des valeurs passées ou seulement celle de l’année précédente. Elle peut
aussi être formée des statistiques d’un seul ou d’un ensemble de pays pendant une période donnée
comme pour le cas des niveaux de ces facteurs aux USA observés juste avant la crise de 2007-2008,

260Avec le temps, il est utile de préciser que même les pondérations des facteurs pourront être révisées. L’introduction de nouveaux
facteurs est également possible, tout autant que la suppression de facteurs présents. Notre perspective et notre cadre sont contingents,
et sont plutôt applicables pour le court et le moyen terme. Pour le long terme, c’est l’architecture qui importe le plus.

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- 331 -
période de survenance de la crise des subprimes. Une fois la base comparative définie, il n’est pas
gênant de n’utiliser que certains ratios en l’absence d’autres, tant que cela est fait pour les deux pays
ou années à comparer. Autrement, le biais serait trop important et la comparaison peu utile. Dans le
cas où l’instrument est utilisé pour comparer deux pays ou deux années, la saisie de la seconde valeur
entrainera le calcul automatique de la variation en pourcentage entre la première et la seconde valeur.

4.4.2.4 Les corrélations


Tout au long de l’analyse des indicateurs des facteurs, nous avons mis en évidence la difficulté
rencontrée pour traduire numériquement certains d’entre eux. Cela fut particulièrement évident par
exemple pour la cupidité ou encore la complexité croissante des produits financiers sur le marché.
Nous avons alors exploré une piste qui permettrait de surmonter cette difficulté tout en ne perdant
pas vraiment d’information.

Cette piste passe par l’intégration d’un facteur à un autre, qui lui est fortement corrélé. Nous
avons retenu plusieurs niveaux de corrélations, afin d’offrir une certaine flexibilité lors de l’utilisation.
Les niveaux de corrélations retenus furent 0,7 puis 0,6. Ces corrélations entre certains facteurs sont
tirées directement de l’étude statistique des données relevées auprès des experts.

Au niveau significatif de corrélation 0,7, seuls deux facteurs peuvent être éliminés, les deux
précédemment évoqués. Leur pondération sera redistribuée aux facteurs auxquels ils sont fortement
corrélés, et pour lesquels nous disposons d’indicateurs plus clairs. Nous saisirons ultérieurement que le
niveau de corrélation 0,6 permet de réduire le nombre de facteurs à mesurer de 24 à 15, en
redistribuant les pondérations des facteurs réintégrés à d’autres auxquels ils sont corrélés. Dans un
souci de synthèse, nous avons choisi de schématiser graphiquement les corrélations déjà étudiées lors
de l’analyse statistique, pour mettre en évidence les relations intra et inter-catégories.

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- 332 -
Figure 38 : Récapitulatif des principales corrélations entre facteurs

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- 333 -
Concrètement, l’illustration ainsi présentée permet de visualiser les différentes corrélations comme
relevées lors de l’analyse statistique. Nous constatons que certaines corrélations à l’intérieur même des
sous-catégories sont notables, et somme toute très logiques. De ce fait, elles seront utiles pour la suite de
l’analyse notamment lorsqu’il s’agira de réduire les facteurs à mesurer sur l’ensemble du baromètre. Dans
cette même perspective, il est à noter que d’autres corrélations entre les sous-catégories seront exploitées.
Il est intéressant de noter qu’après une analyse plus approfondie desdites corrélations, certains circuits
fermés -de corrélations- peuvent être relevés. Ces circuits permettent de réduire les variables même
lorsque les corrélations sont indirectes. Ces circuits permettent la réduction de variables avec davantage
de confiance. Des illustrations explicatives sont fournies en annexe D.3. L’ensemble des corrélations
relevées sera utilisé dans les versions successives de notre instrument de mesure qui seront présentées ci-
après.

4.4.2.5 Les versions successives adaptées au profil de l’utilisateur


A ce stade d’analyse, nous signalons que le baromètre ainsi adopté se présente comme un indice
statistique composite contenant plusieurs catégories spécifiant, chacune, une dimension traduite par les
facteurs retenus avec les pondérations associées. Ce faisant et en fonction du niveau de corrélation
critique choisi, l’utilisateur aura le choix d’employer des versions différentes en fonction de la
disponibilité des données et du niveau de la corrélation associée.

a. Version intégrale du baromètre

Notre instrument de mesure se veut relativement exhaustif et dans la droite ligne de l’inventaire
approfondi des facteurs de la spéculation. Leur agrégation en un seul outil synthétique permet
d’appréhender les facteurs du risque spéculatif dans leur globalité. Cette visualisation graphique est
relativement importante face à une notion aussi complexe à appréhender à partir du seul style narratif.
Dans cette version l’ensemble des facteurs et leurs pondérations ainsi que les ratios et leurs pondérations
sont schématisés.

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- 334 -
Figure 39 : Version intégrale du baromètre

b. Version à 22 facteurs

Ayant rencontré quelques difficultés à traduire numériquement certains facteurs, il s’est avéré utile de chercher les corrélations significatives dans
l’analyse statistique. A cet effet, nous avons eu une concordance assez exceptionnelle des événements dans la mesure où deux corrélations seulement
étaient supérieures à 0,7. Ces deux corrélations impliquaient les deux facteurs que nous avons eu du mal à traduire par un ratio. Nous avons donc procédé à
leur fusion avec d’autres facteurs comme suit : Ces deux facteurs sont ‘‘la cupidité’’ d’une part et ‘‘la complexité croissante des produits financiers’’. ‘‘La

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cupidité’’ a été fusionnée avec ‘‘la marginalisation de l’éthique’’, avec l’addition de leurs pondérations respectives qui s’établiront à 14,24. Leur corrélation
est à 0,729. Les facteurs ‘‘poids des dérivés’’ et ‘‘complexité croissante des produits financiers’’ ont été également fusionnés, avec l’addition de leurs
pondérations, qui s’établiront à 14,70. Leur corrélation est à 0,720. Cette version garde quasiment la même exhaustivité que la version intégrale et permet de
dépasser l’obstacle de la mesure de ces deux facteurs délicats, vu que les facteurs auxquels ils sont corrélés sont mesurés de manière assez limpide.

Figure 40 : Version à 22 facteurs

D’autres versions du baromètre sont fournies en annexe D.4, notamment des versions permettant de réduire le nombre total de facteurs au sein du
baromètre à 17 puis à 15 facteurs en s’appuyant sur les corrélations, ainsi qu’une version basée sur des abréviations, utile lorsque l’utilisateur deviendra
familier de l’outil.
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- 336 -
4.4.2.6 Autres indications d’utilisation du baromètre du risque spéculatif
L’instrument de mesure proposé, que nous avons choisi de qualifier de baromètre du risque
spéculatif, présente un certain nombre de caractéristiques, déjà évoqués de manière éparse, à intégrer
pour une utilisation optimale. L’objectif ici est de rassembler ces éléments. Tout d’abord, il est à noter
que les enseignements qui peuvent en être tirés ne sont pas d’une grande utilité s’il est utilisé pour un
marché où une année donnée pour la première fois. Il ne devient intéressant à utiliser que dans une
perspective comparative (chronologique ou géographique). Une fois la première évaluation obtenue,
elle servira de référence pour la seconde, et les différences entre ratio, facteurs et moyennes peuvent
être analysées en profondeur pour en dégager les enseignements adéquats.

En ce qui concerne les facteurs pour lesquels nous n’avons pour l’instant pas de ratio (cupidité)
ou encore ceux pour lesquels nous avons des ratios mais dont les données ne sont pas accessibles,
plusieurs issues sont possibles. La première est de ne retenir que les ratios du facteur dont les données
sont disponibles et de réviser les pondérations des ratios en conséquence. La seconde est de voir si le
facteur que nous cherchons à mesurer n’est pas en corrélation importante avec un autre facteur qui
peut se substituer à lui, avec addition des pondérations.

Nous pouvons même décider de passer à une version plus synthétique du baromètre, celle qui
convient le mieux au marché, à la situation et aux données disponibles, en gardant à l’esprit que dans
le cadre de la comparaison, il ne saurait y avoir de différence d’outil entre la situation de référence et
la situation à comparer, au risque de fausser toute l’analyse. Il serait impertinent d’utiliser certains
ratios pour une année et d’autres ratios pour l’année à comparer, ou le pays à comparer. Nous ne
pouvons pas par exemple comparer la situation au Japon entre 2008 et 2009, en utilisant 3 ratios
pour le facteur déréglementation en 2008 et 5 facteurs pour 2009. Nous ne pouvons pas non plus
procéder à une comparaison de baromètre sur la base de versions différentes.

Précisons par ailleurs que nous ne préférons volontairement pas définir de niveau type ou de
base comparative statique pour cet instrument de mesure. La principale raison est que nous avons à
observer et à analyser des éléments se rapportant à un phénomène évolutif, contingent et
polymorphe.

Notons toutefois qu’il est plus que probable qu’avec l’évolution rapide des activités financières,
d’autres éléments puissent apparaitre plus significatifs et devant, éventuellement, contribuer
davantage à expliquer la spéculation dans le futur. Avec Kindleberger (1978), nous avons vu dans
quelle mesure les quatre derniers siècles furent ponctués de crises financières aux causes
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- 337 -
relativement similaires. Gageons donc que, bien que la porte de l’évolution reste ouverte, l’essentiel
du contenu du baromètre se maintiendra même dans le long terme. A ce propos, le vingtième siècle
s’est considérablement enrichi en facteurs du fait des développements technologiques et de la
diversification. Par ailleurs, il nous semble également incongru de fixer un benchmark numérique
d’intensité du risque spéculatif, de même que de fixer des pondérations ou des facteurs du baromètre
lui-même. Cet outil se veut plus être une manière d’aborder le sujet qu’une réponse figée. Il donne
une idée sur une certaine approche de recherche choisie afin d’aborder la problématique du risque
spéculatif. Enfin, il est utile de préciser qu’un facteur résiduel (epsilon d’erreur) peut être ajouté lors de
la mise en équation, tant le concept mesuré est contingent. A titre indicatif et comparatif, une
ancienne version de notre baromètre a été mise en annexe D5.

Conclusion du chapitre

Au terme de ce chapitre, nous avons pu convenir d’un certain nombre de ratios permettant de
mesurer les facteurs endogènes et exogènes de la spéculation sur le marché financier. Nous avons
veillé à ce que cette approche réponde à la fois à deux défis majeurs. Le premier a trait à la
disponibilité des informations relatées dans le marché financier. Le second tient à l’obligation d’assurer
une interprétation correcte. La confection des ratios répondant à de tels défis nous semble à souligner
dans la perspective d’éviter toute ambigüité ou lacune dans la lecture des résultats que nous serons
amenés à traiter. Un dernier point abordé dans le cadre de ce chapitre tend à présenter les éléments
saillants devant être pris en compte dans la construction de l’esquisse du baromètre de la spéculation.
Dans cette perspective et pour enrichir le débat lié à la construction de l’instrument de mesure d’un
phénomène à la fois évolutif, contingent et polymorphe, de plus amples détails et précisions ont été
présentés comme à la fois des critiques et des pistes d’amélioration intéressantes. Au final, la
justification cardinale à la mise en place de cet instrument novateur réside dans la lacune
fondamentale relevée dans la définition de Kaldor de la spéculation. En effet cette dernière (voir
Partie I, conclusion) implique de connaître l’intention de l’opérateur (« …en vue de… »). Or du point
de vue du régulateur et tout autre personne autre que l’opérateur, connaître l’intention réelle des
opérateurs est impossible. Notre baromètre permet donc, grâce au fasceau des 24 facteurs, de
déterminer le degré de spéculation et mieux identifier les situations spéculatives dans un marché
financier. Le baromètre comble ici une lacune fondamentale autour du concept de spéculation, celle
de l’impossibilité de développer une stratégie réglementaire cadrant la spéculation à partir des
seules déclarations des opérateurs, sans connaître la véritable intention derrière chaque opération.

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- 338 -
PARTIE V :

5 ESSAI D’APPREHENSION DE L’EXPOSITION DES MARCHES


FINANCIERS ISLAMIQUES CONTEMPORAINS AU RISQUE
DE SPECULATION

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- 339 -
Les facteurs majeurs de la spéculation, identifiés par les économistes, ont tous une réponse et
des éléments qui les corrigent en FI, au niveau des principes théoriques, comme nous l’avions
démontré en partie III. Ces fondements permettent au système financier islamique de présenter une
résilience remarquable d’un point de vue théorique, écartant d’emblée les facteurs de la spéculation.
En conclusion de son rapport de 2010, commandité par l’ONU sur la crise financière, Stiglitz
recommande, de s’inspirer de la FI. Pour Jamie Bowden, ambassadeur britannique au Bahreïn, le
Royaume-Uni doit poursuivre l’exploration de la FI pour renforcer la crédibilité et la santé de son
système financier dans l’optique d’éviter d’autres crises (Lahlou, 2014). L’économiste Beaufils Vincent,
directeur de la rédaction du magazine Challenges, estime, à ce titre, que si « les banquiers, avides de
rentabilité sur fonds propres, avaient respecté un tant soit peu la Charia, nous n’en serions pas là » (EM
Lyon, 2012). Ce sont ici de nombreux témoignages qui viennent conforter notre démonstration de
résilience théorique de la FI. Elle a été vérifiée par Wilson (2009) pour qui les IFI ont été largement
épargnées par la crise de 2008 et grâce à une résilience remarquable (Challenges, 11/9/2008).
Au-delà de la résilience, il y a la question de la performance. Lors de la dernière crise financière,
l’indice S&P 500 (Standard et Poor’s) Shariah est resté supérieur au S&P 500 classique (El Khamlichi,
2013), du fait de la prohibition des actions liées aux sociétés basées sur l’intérêt (levier) mais aussi
grâce à la performance d’actifs tangibles, moins sensibles à la conjoncture.
Cependant, certaines pratiques (dérivés, ventes futures, risques de défaut…) marginales
peuvent se généraliser si le cas malaisien est pris comme Benchmark. Pour Nienhaus (2013, p7) : "La
vision idéalisée sur la FI est basée sur les théories de l'économie islamique supposant que les IFI sont
supérieurs aux banques conventionnelles du fait de l'efficacité de l'allocation du capital, de la justice
dans la distribution et la stabilité, pourvu que les IFI soient basées principalement sur le partage des
profits des pertes. Malheureusement ce n'est pas une description appropriée de ce que fait l’IFI et la
majorité des IFI. Leur activité est surtout basée sur des produits à rendement prédéterminé". La
réplication de produits de dette, notamment dans le marché monétaire malaisien (Obiyathulla, 2008,
p11), a largement contribué à ce constat. L’absence de cadre pose aussi problème. Tout notre objet est
ici de distinguer l’orientation la plus objective entre cette tendance à la promotion d’une résilience
certaine et le postulat voulant que ces MFI n’ont pas de résilience spécifique.
L’analyse des principes fondateurs de la FI a permis de constater une immunité théorique
certaine aux principaux facteurs de la spéculation. Cependant, pris un à un, et confrontés aux
pratiques dominantes, ces facteurs sont moins écartés que ne le laissent entendre les principes. Etant
donc peu exposée aux facteurs de la spéculation en théorie, la FI est-elle davantage concernée par ces
facteurs lorsqu’il s’agit de voir les pratiques des différentes juridictions et des différents marchés ?
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- 340 -
CHAPITRE I

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- 341 -
5.1 Cadre et transactions en vigueur dans la FI de marché
Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur les constats que l’observateur peut relever à partir
des éléments pratiques qui ont actuellement cours en FI, au niveau des normes, des produits
islamiques de marché, ainsi que des marchés eux-mêmes. Cette analyse se fera toujours à la lumière
des liens éventuels que nous pouvons relever entre ces pratiques et la spéculation. Après un bref
récapitulatif de la partie III, à travers des projections non chiffrées de notre baromètre, nous
essaierons de rapporter les constats aux aspects de la spéculation tirés de notre définition référentielle,
ainsi qu’aux facteurs de la spéculation de notre baromètre, afin d’en tirer les conclusions nécessaires à
travers un tableau de synthèse de transactions. Nous explorons par la suite l’ampleur desdites
transactions, en pratique, avec l’analyse des bilans des IFI de plusieurs pays. Enfin, nous passerons
également en revue les principales normes dominant les pratiques contemporaines de la FI, à savoir les
normes IFSB et AAOIFI.

5.1.1 Projection du baromètre sur les principes de la FI, nuancés par


les pratiques
De prime abord, il convient de rappeler que l’une des conclusions de la troisième partie est que,
d’un point de vue purement théorique, les principes fondateurs de la FI donnent une immunité
certaine aux MFI face au risque spéculatif. Vu que la quatrième partie a permis de finaliser et
d’améliorer la construction de notre baromètre, nous nous proposons de récapituler de manière
synthétique la confrontation entre facteurs de la spéculation et principes de la FI qui permettent la
résilience théorique. Nous procèderons à une projection de notre baromètre des facteurs de la
spéculation sur les principes théoriques de la FI, analysés en troisième partie. Cette projection est
qualitative, car elle a trait à des principes et non des éléments chiffrés.

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Figure 41 : Projection du baromètre sur les principes fondateurs de la FI
FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES
FACTEUR Eléments du cadre étudié FACTEUR Eléments du cadre étudié

CADRE REGLEMENTAIRE
Priorité donnée à l'impact local et positif ainsi qu'à l'esprit de soludarité et de
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige 3P ; Mise en garde contre la cupidité, l'amour propre, l'orgueil, les communauté.
COMPORTEMENTS

d'égo et de chiffres excès, l'arrogance, l'accumulation, la course au prestige… 12. Domination d'opérations et de comptabilités La transparence fait partie des 5 objectifs majeurs dans les transactions ; Gharar
parallèles proscrit.
L'interdiction du gharar et du maysir : un pilier majeur ; Exclusion des
2. Prises de risque excessives 13. Cotation continue et fréquence des transactions Transfert physique obligatoire des MP ; Principe de tangibilité ; Possession avant vente
dérivés.
Nécessité de passer par la double validation des sharia boards ; Importance de la
3. Ethique marginalisée et L'éthique est un pilier de la FI ; L'intérêt de la communauté est mis en 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec
double compétence de ces derniers ; Nécessité de maîtrise des concepts liés aux
environnement favorisant la fraude valeur ; Importance de la solidarité ; Pilier des 3P ; Suivi des projets. des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés
transactions financières que ce soit d'un point de vue sharia ou d'un point de vue
4. Intention préalable de spéculer que les opérateurs financiers
Maysir et gharar proscrits. opérationnel ; Nécessité d'indépendance de ces comités sharia.
à court-terme
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers Toute corruption est prohibée ; L'accaparation des droits d'autrui est prohibée.

CADRE FINANCIER
5. Ventes futures Consensus de savants global sur l'interdiction; Salam non négociable.
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt Monopole proscrit et conflits d'intérêt écartés.
Perspective mutualiste ; Partage du risque ; Gharar proscrit ;
6. Assurances et spéculation
Investissements en actifs illicites et spéculatifs proscrits. 17. Domination de l'analyse comportementale sur
Principe de tangibilité et évolution de la finance de manière alignée à l'économie.
7. Vente à découvert Interdiction explicite de la vente à découvert. l'analyse fondamentale
8. Poids des dérivés Principe d'adossement de la transaction à l'actif ; Gharar, maysir et riba. 18. Voltilité Principe de partage des profits et des pertes ; Importance de l'aspect participatif.
9. Complexité croissante et excès Principes de transparence : Risque inséparable de l'actif lié ; Gharar 19. Asymétrie d'info, opacité, fausses rumeurs Le dol, le vol, la tricherie, le mensonge… sont proscrits ; Principe de transparence.
d'innovation proscrit ; Simplicité privilégiée ; Options licites inséparables du contrat. 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
Principe de tangibilité et évolution de la finance de manière alignée à l'économie ; 3P.
10. Spoofing Interdiction explicite du najash et de l'induction en erreur. financières dépasse celle de l’économie réelle

CADRE MACRO
LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de la Principe des 3P ; Dette déconseillée ; Prohibition des intérêts ; Zakat ; Encouragement
MP: Matières premières solvabilité du moratoire pour l'endetté.
3P: Partage des profits et des pertes Système à 100% de réserves ; On ne peut prêter ce que l'on ne possède pas ;
22. Création monétaire et abondance de liquidités
Emission monétaire centralisée.
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question 23. Titrisation et négociabilité de la dette Négociation de dette titrisée proscrite ; Intérêts proscrits ; Economie et finance liées.
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs
24. Levier Levier proscrit ; Intérêts proscrits ; Effet de massue évité par le principe des 3P.
En gris clair: Facteurs de spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui ont peu de chances de se manifester

Cette projection permet de revoir, un à un, en quoi les principes fondateurs de la FI permettent de cadrer et neutraliser chacun des facteurs de la
spéculation identifiés lors des analyses de la première et seconde partie. Elle permet de récapituler les constats de notre troisième partie. Toutefois, cette
section a aussi pour objet d’illustrer une projection sur les facteurs de la FI en prenant en considération les nuances et les relativisations évoquées à la fin
de l’analyse de chaque facteur au niveau de la troisième partie. Ci-après, nous procédons à une projection du baromètre sur les nuances relevées par
rapport aux principes fondateurs de la FI.

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Figure 42 : Projection du baromètre sur les principes fondateurs de la FI, nuancés par les pratiques constatées
FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES
FACTEUR Eléments du cadre étudié FACTEUR Eléments du cadre étudié

CADRE REGLEMENTAIRE
Existence de diverses juridictions ; Divergences des cadres ; Conseil juridique dominé
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige Absence de déclinaison pratique des principes, que ce soit en lois ou en par les cabinets conventionnels ; Latitude laissée aux arbitrageurs ; Montages écrans
COMPORTEMENTS

d'égo et de chiffres normes, sur ce facteur. La nature humaine reste donc libre sur ce point. 12. Domination d'opérations et de comptabilités
Le gré à gré est une pratique importante du marché.
Prolifération de produits répliquant le niveau de risque des produits parallèles
2. Prises de risque excessives conventionnels (waad, swaps…) ; peu de gardes fou par rapport aux 13. Cotation continue et fréquence des transactions Possibilité de revente avant transfert physique ; Daytrading possible ; RTGS en cours.
comportement extrêmement risqués.
3. Ethique marginalisée et RSE négligée, syndrôme de réplication des produit ; Profils des IFI souvent 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec Malgré la présence des charia boards, certaines lacunes demeurent: Qualification
environnement favorisant la fraude issus des banques ; Profit moteur central ; Maqasid charia marginalisées. des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés nécessaire en finance, nécessité de maitriser plusieurs domaines, divergences de
4. Intention préalable de spéculer Absence de déclinaison pratique des principes, que ce soit en lois ou en que les opérateurs financiers cadres et d'avis ; Existence de paradis fiscaux ; Possibilité d'arbitrages sharia.
à court-terme normes, sur ce facteur. La nature humaine reste donc libre sur ce point.
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers Frontière entre corruption et défense d'intérêts floue ; Vide juridique

CADRE FINANCIER
5. Ventes futures Remises en causes contemporaines ; Istijrar ; Exception malaisienne.
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt Divergences sur la question du monopole, sur sa portée… Vide juridique.
Le takaaful pouvant couvrir certains risques de crédit, des canaux de
6. Assurances et spéculation
contamination peuvent se manifester indirectent ; Syndrôme de réplication 17. Domination de l'analyse comportementale sur
Vide juridique.
7. Vente à découvert L'exception est uniquement malaisienne ici, comme souvent. l'analyse fondamentale
8. Poids des dérivés La réplication s'accroît ; Exception malaisienne, bien que marginaux (5%). 18. Voltilité Financement participatif minoritaire ; Lacunes en termes de liquidité.
9. Complexité croissante et excès Prolifération de montages répliquant les produits conventionnels tels que 19. Asymétrie d'info, opacité, fausses rumeurs Rien de plus que les réglementations déjà en vigeur dans la juridiction concernée.
d'innovation certains SWAPS, bien que non négociables ; Répliques plus complexes. 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
Vide juridique, bien que c'est moins important que dans le conventionnel.
10. Spoofing Aucune déclinaison pratique du principe en loi ou en norme ; Vide pratique financières dépasse celle de l’économie réelle

CADRE MACRO
LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de laIFI priorisent les produits et sukuk de dette (90% et 93%) ; Garantie du nominal dans
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité de nombreux sukuk ; Domination des produits de liquidité en bourse ; CT domine.
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs Certains pronent le seigneuriage de la part de l'Etat ; Les IFI évoluent dans un
22. Création monétaire et abondance de liquidités
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui ont peu de chances de se manifester système monétaire conventionnel.
23. Titrisation et négociabilité de la dette Négociée indirectement, à travers les actions et sukuk hybrides, jusqu'à 30 à 49%.
CT: Court terme Normes IFSB permettent un faible levier ; Certains montages de dette permettent
24. Levier
RTGS: Real time gross settlment, signifiant la compensation en temps réel en bourse d'avoir un levier même en FI tels la CMT ou le tawarruq ; IFI à 10,5 (IFSB) ; Waad…

Le constat général est qu’aucun facteur de la spéculation n’est totalement écarté des pratiques actuelles de la FI de marché, si nous prenons l’ensemble
des pratiques existantes. Certains facteurs endogènes sont clairement régulés et amoindris, notamment au niveau des transactions. A l’inverse, la
majorité des facteurs comportementaux peuvent largement se manifester vu la portée relativement théorique de certaines orientations liées aux
fondements de la FI. Au niveau des facteurs exogènes, plus de 50% peuvent largement se manifester avec peu de freins. Pour plus d’enseignements à
tirer de la confrontation entre les facteurs de la spéculation et les principes de la FI, avec prise en compte des nuances, nous renvoyons à la partie III.

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5.1.2 Analyse de l’aspect spéculatif de certains produits récents de la
FI
Dans la perspective de poursuivre les nuances apportées à la résilience de la FI à la spéculation,
dans la troisième partie, nous pouvons entamer une analyse approfondie des transactions présentes
dans cette finance. Pour ce faire, nous proposons d’étudier essentiellement les produits financiers les
plus controversés. L’analyse des produits de base tels que la Musharaka, le Salam ou encore l’Ijara ne
nous semble pas pertinente à cette étape. Ces produits sont essentiellement tournés vers l’activité
réelle, et ce sont certains montages les impliquant qui peuvent se retrouver au niveau des marchés.
Nous avons dans un premier temps repris les éléments de notre définition (référentiel
conceptuel) liés aux produits financiers, plutôt qu’au contexte macroéconomique et légal, dans la
mesure où ce dernier varie d’une place financière à l’autre. Ce dernier sera l’objet de nos baromètres
d’évaluation du risque spéculatif à venir. L’analyse sera donc davantage microéconomique pour cette
sous-partie. Une fois la révision de notre référentiel conceptuel achevée, nous avons pu relever un
certain nombre de critères qui permettent d’apprécier le profil spéculatif, d’une transaction. Ces
critères seront énumérés au niveau d’un tableau qui permettra de récapituler la situation de chaque
produit et les aspects spéculatifs qui s’y manifestent éventuellement.
Le premier critère d’appréciation de l’aspect spéculatif est le point ‘’a’’ de notre définition. Ce
point décrivait la spéculation comme étant une ‘’activité plutôt financière sans impact direct sur le
champ productif’’. Il s’agit, au niveau de ce critère, de se poser la question du lien plus ou moins direct
du produit étudié avec le champ productif ou le champ plutôt financier. Notre premier critère sera
donc d’évaluer si l’utilité, pour le détenteur du produit, vient du produit lui-même ou d’un sous-jacent.
Le second critère, qui sera en colonne dans notre tableau, se rapporte au point ‘’c’’ de notre
définition, à savoir la connexion directe entre spéculation et incertitude. L’incertitude étant un
élément intrinsèque à la spéculation, nous inférons que les produits évoluant de manière plus
importante dans un contexte incertain sont en général plus propices aux activités spéculatives.
Quant au troisième critère relativement distinctif, il s’agit de l’aspect ‘’pari’’ et ‘’anticipation’’,
traduisant notre point ‘’d’’ de notre définition, intrinsèque à certains outils financiers. Pour de
nombreuses transactions, ce qui importe c’est l’utilité tirée de la transaction, comme la livraison de la
matière première achetée ou encore le dividende annuel des actions détenues. Pour d’autres produits,
c’est la variation attendue du principal et le gain issu de cette variation (Kaldor, 1939), ou encore le
risque de dépréciation lié à ce produit. Nous cherchons à savoir, dans ce cadre, dans quelle mesure le
produit étudié est une forme de contrat futur ou d’assurance, également basés sur le pari.

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Notre quatrième critère tend à apprécier les produits les plus propices à la spéculation. Il est lié
au point ‘’e’’ de notre définition, à savoir l’utilisation de concepts complexes afin de mieux
appréhender des produits eux-mêmes complexes. Nous évaluerons donc dans quelle mesure la
transaction étudiée rentre dans cette sphère de complexité.
Le cinquième critère retenu n’est autre que le point ‘’i’’ de notre définition. Lors de l’inventaire
des différents outils, nous étudierons dans quelle mesure tel ou tel produit peut être classifié parmi les
produits dérivés. Ces produits, pour rappel, sont des supports plus intéressants pour les activités
spéculatives, notamment du fait d’un fort levier, et pour bien d’autres raisons discutées en partie II.
Par ailleurs, nous avons aussi choisi d’étudier le risque de perte totale lié aux différents produits,
comme indicateur d’une propension plus importante à spéculer avec ledit produit. Ce critère se
rapporte simultanément aux points ‘’k’’ et ‘’l’’ de notre définition, qui soulignent que la spéculation se
caractérise par un risque accru par rapport à l’investissement et au commerce conventionnels, ainsi
qu’une plus grande probabilité d’échec.
L’avant-dernier point posé en critère distinctif se rapporte à la possibilité que le produit fasse
l’objet d’opération de compensation/liquidation. Les outils permettant de ne pas procéder à
l’exécution du contrat à l’échéance, en passant par un versement à la partie gagnante de la transaction,
sont évidemment plus prisés par les spéculateurs, pour des raisons logistiques et de coûts de
transaction notamment. C’est le point ‘’m’’ de notre référentiel conceptuel.
Enfin, l’étude du profil contextuel du produit fut aussi intéressante à relever. Dans notre
inventaire, nous reviendrons sur l’impact final de la transaction. Nous nous demandons dans quelle
mesure le produit peut être utilisé dans des transactions à somme nulle, c’est-à-dire que les gains
d’une partie sont exactement les pertes de l’autre partie. Ces produits sont plus propices aux
transactions purement spéculatives. C’est le point ‘’n’’ de notre référentiel.
En outre, nous avons aussi choisi de relever les pays où ils sont tolérés, afin d’avoir une vue plus
contextuelle de l’importance du produit en question, avec en référence la position de l’AAOIFI quant
au produit analysé.

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Tableau 14 : Analyse de la portée spéculative des produits financiers islamiques destinés aux marchés

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Les deux premiers produits présentent plutôt une infraction liée aux intérêts bancaires, ce qui
ne les place pas dans de nombreux critères liés à notre définition de la spéculation. C’est également le
cas de la Mudaraba interbancaire. Ils restent néanmoins liés aux facteurs macroéconomiques de la
spéculation liés à l’endettement : le levier et la solvabilité.
Pour ce qui est de l’assurance Takaaful, nous avons choisi de la mentionner malgré l’unanimité
quant à son acceptation du point de vue de la FI, du fait de quelques controverses sur ses modalités
opératoires. Notre choix est justifié par la place occupée par les produits d’assurance conventionnels
dans notre analyse de la spéculation, ses manifestations et ses facteurs. Ainsi, bien que licite, nous
nous permettons d’analyser ce produit du point de vue des manifestations éventuelles de la
spéculation qu’il présente, et elles ne sont pas négligeables. Cela pourrait amener à réfléchir à des
mécanismes prudentiels à mêmes d’en améliorer le fonctionnement.
Comme cela pouvait être attendu, les SWAPS, dites islamiques, présentent l’ensemble des
manifestations de la spéculation que nous avons pu recenser au sein de notre analyse distinctive. C’est
également le cas du Wa’ad, produit qui connaît une très forte croissance dans les pays du Golfe (Al
Suwailem, entretien personnel, 2014).
La confrontation des principaux produits issus de l’ingénierie financière islamique, à notre
référentiel, permet de constater dans quelle mesure l’ensemble de ces produits comporte plus d’un
aspect spéculatif. Ces aspects tirés de notre définition, notre cas général et référentiel conceptuel, se
manifestent de manière redondante dans ces produits également qualifiés de manière controversée
de ‘’dérivés islamiques’’. Par-delà les éventuelles justifications juridiques en faveur tel ou tel produit,
accepté dans tel pays et rejeté dans tel autre, notre analyse distinctive se veut plus factuelle et
décorrélée des controverses jurisprudentielles, avec une insistance sur des points précis qui
permettent d’identifier les produits présentant des aspects spéculatifs.
Ces produits, actuellement en cours de prolifération, ne sont donc pas de nature à consolider
les caractéristiques de stabilité attribuées à la FI, bien au contraire. Cela étant, les produits ne sont
pas les seuls déterminants des tendances de marché. Ils ne sont d’ailleurs pas présents dans de
nombreux marchés. L’analyse des cadres réglementaires et quelques études de cas de bilans bancaires
permettront in fine de confirmer ou infirmer la tendance déjà observée en troisième partie et dans le
tableau ci-dessus.

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5.1.3 Etudes de cas : Les composantes spéculatives dans les bilans de
grandes IFI
A l’issue de cet inventaire qui met en relief les transactions qui paraissent les plus propices à la
spéculation, d’une manière générale, nous nous proposons de faire une analyse à partir d’un angle
différent tout en gardant le même but. L’objectif de cette section sera, en effet, d’approcher les
pratiques en partant des communications financières de grandes IFI dans le monde. Nous irons, à cet
effet, du général au particulier. Nous resterons dans une logique exploratoire, s’appuyant
essentiellement sur des études de cas et les conclusions sous-jacentes. Cette étude terrain vient en
complément et en introduction de l’enquête qui sera soumise aux experts des MFI.
L’analyse des bilans des principales IFI, qui a nécessité de parcourir les communications
financières de ces institutions, présente de nombreuses difficultés. En effet, les nomenclatures et
formats choisis pour présenter les communications diffèrent, ce qui rend la comparaison délicate. La
mission en devient encore plus complexe lorsque nous découvrons que les différentes IFI utilisent des
appellations différentes pour la même transaction. Le chercheur se doit, avec vigilance, remettre les
éléments étudiés ‘’sous un dénominateur commun’’, afin de pouvoir comparer. En conséquence, nous
reproduirons les principaux postes du bilan qui nous intéressent avant de procéder aux comparaisons.

5.1.3.1 Analyse de deux IFI majeures en Afrique


Pour cette région du monde, nous analyserons la situation de deux IFI du Soudan et d’Egypte.
Dans un premier temps, nous nous pencherons sur l’analyse du bilan de Al Shamal bank pour 2015261.
Tableau 15 : Récapitulatif des principaux éléments de l’actif d'Al Shamal
Éléments du bilan Montant Part des actifs
Cash 513 241 598 27,5%
Créances de ventes à terme (murabaha) 435 138 058 23,4%
Investissements de court terme 744 970 020 40,0%
Autres actifs 102 942 184 5,5%
Investissements de long terme 1 231 131 0,07%
Actifs fixes nets 65 963 367 3,5%
Total d’actifs 1 863 486 358 100%

Les investissements de court terme prennent une place majeure dans les actifs. Cette place se reflète
également au niveau du compte des produits et charges (43,3% pour les investissements de court
terme). Rappelons que c’est souvent le cas du fait des difficultés qu’elles ont au niveau du
refinancement et la gestion des risques. Prenons un moment pour revenir sur ces investissements de
court terme

261 http://www.shib.sd/en/page.aspx?catid=13&subcatid=54 (20/04/2017)

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Tableau 16 : Détail des investissements de court-terme d'Al Shamal
Détails des investissements de cours terme Montant Part des investissements Part du bilan
Titres financiers 333 414 500 43,63% 18%
Dépôts d’investissements dans d’autres banques 150 000 000 19,63% 8%
Mudaraba 3 622 319 0,47% 0,2%
Musharaka 174 365 852 22,82% 9%
Portefeuilles d’investissement 35 461 938 4,64% 2%
Mugawala 67 166 613 8,79% 4%
Autres financements 145 563 0,02% 0%
TOTAL Brut 764 176 785 100%

En principe, l’analyse des investissements de court terme permet d’avoir une meilleure visibilité sur les
différents postes. Elle permet de dissiper le flou, dans la mesure où la distinction est clairement faite
entre les financements des investissements réels et du commerce (Mudaraba, Musharaka…) d’une part,
et les opérations purement financières et de marché d’autre part (titres financiers et portefeuilles
d’investissement éventuellement). Il en découle que cette catégorie domine les opérations
d’investissement de l’établissement analysé. Cette IFI est donc exposée aux retournements de
marché sur près de 43% de ses investissements de court terme, ce qui représente environ 18% de son
bilan. Pour autant, il semblerait que cette institution inclut les Sukuk dans cette catégorie, vu qu’ils
ne ressortent pas ailleurs. Ce constat, qui est conforté par le fait que l’ensemble du système
économique de ce pays soit islamisé, nuance la conclusion précédente.
Le second établissement que nous analyserons est Bank Al Baraka d’Egypte en 2015 262. Cette
analyse est riche d’enseignements dans la mesure où cette institution est considérée comme étant la
plus importante dans le monde avec une présence dans près d’une dizaine de pays musulmans. Elle
l’est également dans la mesure où, contrairement au Soudan où l’ensemble du système économique
est islamique, la FI islamique ne représente que près de 5% des encours bancaires en Egypte.
Tableau 17 : Récapitulatif des principaux éléments de l’actif d'Al Baraka
Éléments du bilan Montant Part
Cash et dépôts chez la banque centrale 2 482 752 096 9%
Créances aux banques 2 812 246 329 10%
Notes gouvernementales 4 594 798 660 16%
Opérations d’investissement avec les banques 627 528 802 2,2%
Murabaha, Musharaka et Mudaraba pour les clients 9 277 145 185 32%
Actifs fixes 323 601 905 1%
Investissements financiers
Disponibles à la vente 45 934 100 0,16%
Détenus à maturité 7 913 950 245 27%
Investissements dans les filiales et associés 2 275 000 0,01%
Autres actifs 819 797 266 3%
Total d’actifs 28 900 029 588 100%

262 http://www.albaraka-bank.com.eg/balance-sheet/annual-financial-statements.aspx (20/04/2017)

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L’analyse du bilan fait ressortir un engagement plus grand dans les titres financiers, davantage
procycliques. Pour autant, ce bilan offre un élément distinctif intéressant qui fait éloigne ces éléments
spéculatifs, à savoir la détention jusqu’à la maturité. Al Baraka n’est donc pas vraiment exposée aux
fluctuations. Elle est plutôt dans une optique d’investissement que de spéculation.

5.1.3.2 Analyse de deux IFI majeures en extrême orient


Le premier bilan bancaire asiatique que nous retenons est celui de CIMB bank de 2015263. Cette
IFI est localisée en Malaisie, tout comme la seconde IFI islamique que nous retiendrons.
Tableau 18 : Récapitulatif du bilan de CIMB en 2015
Eléments du bilan Montants Part
Cash et fonds de court terme 39 487 825 9%
Contrats de rachats inversés 5 615 587 1%
Dépôts et placements auprès d’autres banques 7 379 805 2%
Titres financiers 23 169 678 5%
Instruments financiers dérivés 8 456 785 2%
Titres financiers disponibles à la vente 35 895 474 8%
Titres financiers détenus à maturité 18 930 580 4%
Financements 263 125 334 60%
Investissements associés et joint-ventures 1 106 689 0,25%
Investissements dans des propriétés 4 000 0,00%
Autres actifs 35 112 338 8%
Total d’actifs 438 284 095 100%

Le premier élément qui attire l’attention à l’issue de ce récapitulatif est le poste ‘’dérivés’’. Cela
confirme les constats sur les produits controversés évoqués au niveau de notre troisième partie. En
général, les éléments de marché dépassent légèrement les 30% du bilan, un chiffre proche des IFI
africaines analysées. Cependant, l’exposition est bien plus grande aux fluctuations vu que les titres
détenus à maturité ne représentent que 4% au lieu de 15 à 25% pour les précédents bilans. La part des
titres à la vente atteint également 8%, ce qui est assez important. Le poste titres financiers comprend
de nombreux éléments basés sur al iinah, prohibée en FI car reproduisant des schémas d’intérêts. Le
poste ‘’dérivés’’ inclut également plusieurs produits controversés et prohibés. Ces deux postes seront
reproduits en détail en annexe E.1 et E.2. Nous sommes donc avec CIMB dans une optique plus
orientée vers les produits de finance de marché et les dérivés, dans une optique de court terme
significative. L’exposition aux fluctuations conjoncturelles et à la procyclicité en est renforcée.
Le second bilan auquel nous nous intéresserons concerne les activités de Hong Leong Bank en
2015264. Cette banque opère également en Malaisie, second pôle de la FI en Asie avec le moyen orient.

263 http://www.cimbislamic.com/en/investor-relations.html
264 https://www.hlisb.com.my/about-us/investor-relations/quaterly-financial-announcement/year/2015 (20/04/2017)

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Tableau 19 : Récapitulatif de l’actif de Hong Leong Bank 2015
Élément du bilan Montant Part
Cash et fonds à court terme 1 655 824 7%
Titres financiers 754 015 3%
Investissements financiers cessibles 2 659 004 11%
Investissements financiers détenus à maturité 1 620 116 7%
Financements 15 982 289 69%
Instruments dérivés islamiques 14 289 0,1%
Autres actifs 594 982 3%
Total d’actifs 23 280 519 100%

Près de 30% des actifs sont tournés vers la finance de marché. La part des investissements financiers
détenus à maturité est également minoritaire. Les 30% sont ainsi un facteur d’exposition aux
fluctuations et à la procyclicité. Les dérivés sont, par contre, négligeables en comparaison à CIMB.

5.1.3.3 Analyse de trois IFI majeures au moyen orient


La première IFI que nous analyserons est la banque saoudienne Al Inmaa, avec le bilan 2015265.
Tableau 20 : Récapitulatif des actifs de Al Inmaa
Élément du bilan Montant Part
Cash et dépôts chez l’agence monétaire Saoudienne 5 132 787 6%
Créances d’autres banques et institutions financières 17 014 688 19%
Titres financiers 6 468 138 7%
Financements 56 570 051 64%
Autres actifs 3 538 866 4%
Total d’actifs 88 724 530 100%

A partir de ce récapitulatif, nous voyons toujours un niveau similaire des financements par rapport aux
analyses précédentes, dans l’ordre des 60 à 70%. A rebours, les titres financiers, dans leur globalité,
sont ici plutôt minoritaires à près de 7%. Leur détail sera reporté en annexe E.3. Son analyse permet de
voir par ailleurs que ces 7% se répartissent en investissements à dominante commerciale plutôt que
financière. L’institution est donc plutôt préservée des mouvements contracycliques et des
retournements financiers qui prennent leur origine dans les marchés financiers, à l’instar de
l’explosion de bulles.
Pour ce qui est de notre second cas, ce sera l’Ahli United Bank du Koweït avec le bilan 2015266.
Tableau 21 : Récapitulatif des actifs des actifs de Ahli United

Élément du bilan Montant Part


Cash et dépôts auprès des banques 344 455 9%
Dépôts auprès de la banque centrale et autres 642 011 16%
Financements 2 680 334 69%

265 http://www.alinma.com/wps/portal/alinma/Alinma/MenuPages/FinancialReports/FinancialStatements/FinancialStatements2015
(20/4/17)
266 http://www.ahliunited.com.kw/en/about/investors/index.html (20/04/2017)

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Titres financiers 139 167 4%
Autres actifs 98 336 3%
Total d’actifs 3 904 303 100%

A l’instar de nombreuses IFI du moyen orient, cette IFI conserve plus de 20% de ses actifs en forme de
dépôts liquides, ce qui dénote une prudence à l’égard de la gestion de la liquidité immédiate. Quant
aux titres financiers, ils ne dépassent pas les 4%, dans la tradition des IFI de la région, bien plus
méfiantes à l’égard de certains contrats controversés et de dérivés. Ces 4% sont d’ailleurs à 88% des
Sukuk et à 12% des fonds et des actions. L’IFI reste donc peu exposée aux remous purement liés aux
marchés financiers.
Notre troisième étude de cas concerne Abu Dhabi Islamic Bank, et son bilan de 2015267.
Tableau 22 : Récapitulatif des actifs des actifs de Abu Dhabi Islamic Bank

Élément du bilan Montant Part


Cash 18 629 361 15,7%
Murabaha et Mudaraba 40 018 339 33,8%
Ijara 40 002 454 33,8%
Sukuk 7 282 409 6,2%
Titres financiers 1 453 559 1,2%
Autres 10 991 540 9,3%
Total d'actifs 118 377 662 100,0%

Nous avons une tendance similaire à celle des deux autres IFI du moyen orient. Outre le fait que le cash
soit important (15%), l’IFI détient 7,4% de ses actifs en titres financiers, dont l’écrasante majorité en
Sukuk, des titres plus proches de l’économie réelle malgré quelques réserves. Les 1,2% de titres
financiers hors Sukuk comprennent des fonds et des actions, donc restent dans la philosophie des
investissements dans l’économie réelle. Cette IFI est donc également bien moins exposée aux remous
des marchés financiers.

5.1.3.4 Analyse de trois IFI majeures en Europe

La première institution que nous analyserons en Europe sera la BLME bank of London, 2015268.
Tableau 23 : Récapitulatif des actifs de la BLME
Élément du bilan Montant (en milliers de GBP) Part
Cash et dépôt bancaires 72 814 6%
Créances d'autres institutions 18 875 2%
Titres financiers 191 543 15%
Financements 627 223 51%
Autres actifs 330 687 27%
Total d’actifs 1 241 142 100%

267 http://www.adib.ae/en/Pages/Personal_Investors_Relations_Financial_Result.aspx (24/07/2018)


268 https://www.blme.com/investor-relations/financial-results/

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Cette institution se trouve à mi-chemin entre les positions des IFI malaisiennes et celles du
moyen orient en termes de détention de titres financiers. Représentant 15% des actifs, ils sont
néanmoins dominés par les Sukuk (66%) suivis des fonds (30%) et des actions. Le profil du portefeuille
est donc moins semblable aux IFI malaisiennes, plus ouvertes sur les produits ‘’exotiques’’, qui sont en
pratique des dérivés. L’IFI est donc faiblement exposée aux fluctuations directement liées aux
marchés financiers.
La seconde IFI que nous prendrons le soin d’étudier est Dar Al Maal Al Islami, pour 2015269.
Tableau 24 : Récapitulatif des actifs de Dar Al Maal Al Islami
Elément du bilan Montant Part
Cash 764 670 11%
Investissements avec des IFI 121 188 2%
Titres financiers 283 316 4%
Financements 2 177 289 32%
Titres d'investissement 1 505 615 22%
Autres 2 027 005 29%
Total d’actifs 6 879 083 100%

Au niveau de cette institution, les financements sont relativement faibles (32%), probablement
du fait de la nature du pays dans lequel elle opère, la Suisse. Par ailleurs, les titres financiers sont
limités à 4% alors que les titres d’investissement sont à 22%. Ces derniers sont généralement
composés des Sukuk. A cet effet, ce sont les 4% d’actifs qui sont surtout exposés aux fluctuations
purement liées aux marchés financiers. La résilience à ces fluctuations est donc dans l’ensemble très
importante pour cette IFI.
La dernière IFI analysée est Allemande d’origine turque : Kuveyt Turk, avec son bilan de 2015270.
Tableau 25 : Récapitulatif des actifs de Kuveyt Turk
Elément du bilan Montant Part
Cash 1 970 359 5%
Instruments financiers dérivés 44 606 0,1%
Titres financiers 45 214 0,1%
Financements 24 669 042 59%
Investissements avec d'autres IFI 4 753 336 11%
Autres actifs 10 350 738 25%
Total assets 41 833 295 100%

A rebours des précédentes, cette IFI s’engage dans certains dérivés, à travers les Swaps et
forward qui composent les 0,1% cités. Bien évidemment, ce taux est négligeable et sans impact dans la
structure globale des actifs. De même pour les titres financiers qui sont essentiellement des Sukuk. La

269 http://www.dmitrust.com/reports-downloads/
270 http://www.kuveytturk.com.tr/financial_information.aspx

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somme de ces deux postes est de 0,2%, ce qui est négligeable. Ainsi, cette IFI, bien que surprenante
avec le poste des dérivés, n’est quasiment pas exposée aux fluctuations purement liées aux marchés.

5.1.3.5 Synthèse comparative des analyses de bilans

Afin d’avoir davantage de visibilité, nous avons procédé au rassemblement des données des cas
analysés sur un seul et même tableau, tel qu’exposé ci-après. Il est utile de rappeler que cette étude
terrain est connexe à l’enquête terrain qui sera effectuée auprès des experts, et a un rôle
essentiellement descriptif et indicatif mais pas prospectif. Ce dernier sera l’objet des analyses à venir.

Tableau 26 : Synthèse des données extraites des bilans des IFI analysées
Afrique Extrême orient Moyen Orient Europe
Soudan Egypte Malaisie Malaisie A.Saoudite Koweit EAU Angleterre Suisse Allemagne
Al Shamal Al Baraka CIMB Hong Leong Al Inmaa Ahli United ADIB BLME Dar al maal al
Kuveyt
islamiTurk
Titres financiers courts 20,00% 0,16% 23,00% 21,00% 5,00% 1,00% 1,20% 0,30% 2,00% 0,10%
Sukuk et titres à maturité 0,07% 27,00% 4,00% 7,00% 2,00% 3,00% 6,20% 14,70% 2,00% 0,00%
Dérivés et assimilés 0,00% 0,00% 2,00% 0,10% 0,00% 0,00% 0,00% 0,00% 0,00% 0,10%

Si nous mettons de côté les IFI malaisiennes, il semblerait que le reste des IFI ne soit pas
spécialement engagé dans les titres financiers courts. L’analyse détaillée de l’exception qui semble
revenir à la banque soudanaise démontre qu’en réalité, les Sukuk n’apparaissant pas ailleurs. Les 18%
relevés incluraient donc les Sukuk, généralement conservés jusqu’à leur maturité. D’une manière
générale, nous voyons que les IFI ne s’exposent quasiment pas aux titres financiers courts,
généralement très procycliques. Ces titres n’atteignent généralement pas les 5% du bilan en pratique.
Au niveau des Sukuk, l’exposition varie d’une IFI à l’autre et nous ne pouvons pas à cette étape
de l’analyse dégager de tendance claire, si ce n’est que cette exposition ne dépasse que rarement les
25% du bilan, et qu’elle est en moyenne en dessous des 5%. Les Sukuk et les titres financiers longs
étant généralement moins procycliques, nous en déduisons que l’exposition à ce genre d’actifs n’est
pas significative, et éloigne donc les IFI des situations spéculatives, sur ce point.
Enfin, les dérivés semblent être une exclusivité malaisienne, bien que très négligeables par
rapport au reste du bilan. Pour le reste, le poids des dérivés dans le bilan est généralement nul. Cet
état de fait s’explique par la tolérance réglementaire malaisienne à ces produits, comme déjà discuté.
Il ressort de la synthèse de l’analyse des bilans que les pratiques actuelles des IFI sont assez
loin des produits à caractère spéculatif. Cela relativise la portée des nuances apportées en troisième
partie lors de la discussion de la résilience de la FI au risque spéculatif. Cette relativisation concerne
essentiellement l’état actuel des IFI car les nuances, elles, portaient surtout sur des exceptions
relevées ici et là, et qui peuvent constituer une tendance future. Cette distinction est fondamentale.

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Notre image relevée en 2015 traduit donc une part négligeable des titres purement financiers dans
les bilans des IFI, sauf certaines exceptions. Tout l’intérêt du développement qui suit sera de
récapituler les constats présents d’un point de vue macroéconomique, puis d’analyser si cet état de fait
persistera selon les experts des MFI, en le confrontant aux facteurs de la spéculation dans leur
ensemble, tels qu’exposés au sein de notre baromètre, dans une perspective prospective. Nous
prenons le temps d’étudier, avant cela, les normes de référence de la FI et leur position par rapport à
nos facteurs de la spéculation.

5.1.4 Les principales normes et cadres régissant la FI de marché


La troisième partie ayant permis de mettre en évidence l’existence de transactions relativisant
la portée de la résilience des principes de la FI à la spéculation, l’étude du tableau de la section
précédente a permis d’avoir une vision plus claire des éléments spéculatifs au niveau de certaines
transactions de la FI. L’analyse des bilans des IFI a permis de constater que bien qu’existantes, ces
nuances sont pour l’instant de très faible portée. Ce sont principalement les ouvertures
réglementaires qui ont permis l’existence de ces nuances qui semblent intéressantes pour identifier les
lacunes possibles, considérées comme des points d’entrée d’éléments spéculatifs dans les MFI.
Rappelons qu’en troisième partie certaines lacunes à la résilience de la FI étaient d’ordre réglementaire
et relevaient plutôt du marché que des transactions. Ce sont ces éléments que nous chercherons à
clarifier, dans une perspective plus prospective, dès à présent. Nous nous focaliserons sur les normes
majeures, à savoir les normes AAOIFI et IFSB. En annexe E.4, nous analyserons en détail un accord plus
libéral mais d’une envergure réduite, le Tahawwut master agreement.

5.1.4.1 Les normes AAOIFI


Aux côtés des règles prudentielles émises par l’IFSB, les normes AAOIFI constituent aujourd’hui
le principal référentiel de normes jurisprudentielles de la FI. Ces normes sont utilisées par de
nombreux indices financiers tels que le Dow Jones Islamic Index. Elles sont également le référentiel
officiel des IFI dans une dizaine de pays musulmans. Dans de nombreux autres pays, elles servent de
référence. Elles sont également utilisées au niveau de la majorité des formations liées à la FI dans le
monde, tel que le pionnier de la formation en ligne en FI : Ethica271. C’est donc naturellement que
l’analyse détaillée du corpus AAOIFI s’est imposée. Les normes sont rassemblées dans un ouvrage
volumineux de plus de 1200 pages, mais ne sont organisées que chronologiquement, par rapport à leur
date d’élaboration. Une telle organisation en rend toutefois la lecture fastidieuse. Le passage de la
271 https://www.ethicainstitute.com/ethica-masterclass-covering-aaoifi-islamic-finance-standards.aspx (20/04/2017)

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certification AAOIFI en Mars 2016 nous a permis d’obtenir le titre d’auditeur sharia délivré par
l’organisme en question en Juillet 2016, mais surtout d’avoir une connaissance approfondie de ces
normes, fort utile lorsque leur analyse est requise.

a. Aspects majeurs liés aux MFI

Dans un souci de concision, nous analyserons ces normes seulement du point de vue de notre
problématique, à savoir les aspects pouvant favoriser ou freiner la spéculation au niveau des marchés
financiers incorporant des produits de FI. Lors de l’énumération des normes, nous relèverons ces
aspects, lorsqu’il y en aura dans la norme, avant de procéder à une analyse globale au terme de
l’énumération. Les normes sont au nombre de 54 :
Norme 1 : Transactions sur les devises ;
• Les monopoles sont à écarter ;
• Les transactions doivent être immédiates ;
• Le levier, offert dans le forex par exemple, est proscrit ;
Norme 2 : Les cartes de paiement ;
• Les cartes de crédit ne sont pas permises dans l’état actuel avec les intérêts ;
Norme 3 : Les mauvais payeurs ;
Norme 4 : La compensation ;
Norme 5 : Les garanties ;
• Les avances (arrhes) sont permises ;
Norme 6 : Transformation d’une banque en IFI ;
• La mise à niveau du personnel aux principes de la FI est indispensable ;
Norme 7 : Transfert de dette ;
Norme 8 : La murabaha ;
• Une distinction entre la phase de possession de la marchandise par l’IFI puis du client doit avoir
lieu, notamment à travers un délai qui doit séparer les deux transactions ;
• L’enregistrement électronique de la transaction suffit à cette distinction ;
• Le prix peut être laissé fluctuant et variable selon un indice de référence ;
Norme 9 : Location et location avec option d‘achat ;
Norme 10 : Salam et Salam Parallèle ;
• Le paiement peut être décalé à 3 jours au plus ;
• Une créance ne peut servir de moyen de paiement dans cette transaction ;
• L’objet du Salam ne peut être cédé avant sa récupération ;
• Les pénalités de retard ne peuvent s’appliquer ;
• Les Sukuk Salam ne peuvent être échangés sur le marché secondaire ;
Norme 11 : Istisnaa et Istisnaa parallèle ;
Norme 12 : La Musharaka ;
• L’achat d’actions à la marge (avec levier lié à un prêt à intérêt du courtier) est proscrit ;
• La vente à découvert est proscrite, même en cas de promesse d’emprunt du titre du courtier ;
• Il est possible de louer la partie de l’entreprise qui ne nous appartient pas, auprès de l’associé ;
Norme 13 : La Mudaraba ;
Norme 14 : Les crédits documentaires ;
Norme 15 : La Joala ;

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Norme 16 : Les effets de commerce ;
• L’escompte est proscrit ;
• La remise sur la dette est permise en cas de paiement anticipé (quelle que soit la partie qui le
demande selon l’académie du fiqh) ;
• La vente de la dette n’est pas permise si elle est vendue en devise ou en or/argent. Elle est
permise si cela se fait contre une marchandise, à condition de livrer immédiatement ;
Norme 17 : Les Sukuk ;
• Le contrat doit spécifier que le porteur des Sukuk partage les profits et les pertes ;
• L’émetteur ne peut en aucun cas garantir le nominal ;
• Un tiers indépendant de l’émetteur peut offrir sa garantie ;
• La vente des Sukuk négociables est possible, quel que soit le mode (physique, électronique…) ;
Norme 18 : La récupération ;
• La validation de la récupération d’une marchandise est acceptée même dans le cadre de
l’enregistrement électronique, pourvu que la marchandise soit clairement spécifiée. Ceci donne
droit à sa revente immédiatement. Ceci est valable pour toutes les marchandises, y compris les
matières premières de première nécessité ;
Norme 19 : Le prêt ;
Norme 20 : Les transactions sur les places financières ;
• La mise en circulation et la négociation de futurs est proscrite ;
• Les options et les Swaps ont le même statut ;
• Le urbun est permis, mais ne peut être titrisé et négocié ;
• L’option de stipulation (délai de rétractation) est permise, mais reste non négociable ;
Norme 21 : Les titres financiers ;
• Les critères de screening sont institués et acceptés (nous renvoyons à leur analyse dans la
section suivante) ;
• L’achat à la marge n’est pas accepté ;
• La vente à découvert n’est pas acceptée même si une promesse de prêt de titre est faite ;
• Le prêt d’actions n’est pas permis ;
• L’opération Salam n’est pas permise pour les actions ;
• Il n’est pas permis de louer les actions quelle que soit l’utilisation qui en sera faite ;
• Il n’est pas permis d’utiliser la titrisation d’actifs mixtes (dettes et autres) afin de contourner
l’interdiction de titriser les dettes ;
Norme 22 : Les licences d’exploitation ;
Norme 23 : La Wakala ;
Norme 24 : Le financement syndiqué ;
Norme 25 : Les contrats superposés ;
Norme 26 : Le Takaaful ;
• L’organisme doit respecter les normes charia et ne pas investir dans des opérations illicites ;
Norme 27 : Les indices boursiers ;
• L’indice peut servir de référence en cas de contrat portant sur un loyer variable ;
• La négociation des trackers d’indices dépourvus de sous-jacents est proscrite ;
• Les indices islamiques doivent avoir un comité sharia ;
Norme 28 : Les services bancaires ;
Norme 29 : Les règles de la fatwa ;
• L’une des conditions pour être membre d’un comité est l’absence de conflit d’intérêt ;

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• Le comité n’est pas tenu de respecter en permanence l’une des écoles de jurisprudence ni
même dans le cas où l’école est l’école officielle du pays hôte. Il faut cependant prendre en
considération les références sur lesquelles trancheront les tribunaux en cas de litige ;
• Soulignons qu’un avis de licéité sur un contrat ne signifie aucunement son encouragement ;
Norme 30 : Le Tawarruq ;
• Dans cette transaction, la marchandise achetée à terme doit être revendue à un tiers et non au
fournisseur initial. Les deux transactions doivent être strictement indépendantes ;
• La revente doit être faite par le client ou un agent autre que celui qui a acquis la marchandise ;
• La version organisée (CMT) n’est pas permise, sauf s’il n’y a pas d’autre choix ;
• Cette transaction a été autorisée pour les besoins spécifiques. Elle ne doit pas être proposée au
client en remplacement d’autres transactions communément admises, à des fins de liquidité ;
Norme 31 : Le Gharar ;
• Les traditions et le contexte ont un rôle déterminant dans sa détermination ;
• La vente au prix du marché le jour de la cession ou à un prix représentant la moyenne des prix
entre le contrat et la cession est permis (istijrar), ainsi que l’adossement du prix à un indice ;
Norme 32 : L’arbitrage ;
Norme 33 : Le Waqf ;
Norme 34 : Ijara de services ;
• La fixation de l’Ijara peut varier, à condition que celle de la première période soit fixée. Les
périodes ultérieures peuvent dépendre d’un indice, à condition de fixer des paliers haut et bas ;
Norme 35 : La Zakat ;
Norme 36 : Les imprévus liés aux engagements ;
Norme 37 : Les facilités de caisse ;
Norme 38 : Les transactions en ligne ;
Norme 39 : L’hypothèque ;
• Dans les cas des contrats d’investissement à capital non garanti, l’hypothèque ne peut que
servir à assurer la bonne foi et la compensation en cas d’abus ou de négligence seulement ;
Norme 40 : La distribution de dividendes pour les comptes d’investissement (Mudaraba) ;
Norme 41 : Le Re-Takaaful ;
Norme 42 : Les droits financiers ;
Norme 43 : La faillite ;
Norme 44 : La liquidité ;
• Parmi les pistes licites d’obtention de liquidité, vendre une marchandise par Salam prépayé ou
Istisnaa, puis livrer à terme ;
Norme 45 : Protection du capital et des investissements ;
• Le Takaaful peut servir à couvrir les pertes en capital d’un investissement, ou les risques d’abus
et négligence ainsi que les risques de faillite et de crédit ;
• La garantie peut venir d’un tiers en tant qu’acte à but non lucratif et sans intérêt ;
Norme 46 : Wakala pour investissement ;
Norme 47 : Les normes de calcul des bénéfices dans les transactions ;
Norme 48 : Les options de garantie de bonne foi ;
• L’acheteur dispose d’un droit de rétractation en cas d’induction en erreur ou de dol ;
Norme 49 : Wa’ad et Wa’ad réciproque ;
• Le Wa’ad bilatéral réciproque peut être contraignant ;
• Dans un tel cas, à l’échéance, le contrat ne s’applique pas automatiquement, la transaction doit
être actée par un contrat indépendant ;
Norme 50 : La Musaaqat (contrat d’irrigation) ;
Norme 51 : Les options liées à l’intégrité du produit ;

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Norme 52 : Les options de choix ;
• L’option de rétractation ne saurait être utilisée afin de pouvoir profiter du montant ou de la
marchandise durant la période accordée, afin de contourner l’interdiction du prêt à intérêt ;
• Elle ne doit pas non plus être utilisée afin de se couvrir contre les fluctuations durant le délai ;
Norme 53 : Le Urbun ;
• Le urbun n’est pas négociable ;
Norme 54 : Résiliation des contrats sous conditions.

b. Analyse des normes

Afin d’apporter davantage de cohérence dans notre analyse par rapport à la classification des
normes AAOIFI, nous analyserons ces normes en fonction de nos catégories de facteurs de la
spéculation, en commençant par les facteurs endogènes. Nous proposons ci-après une analyse
structurée des normes en fonction de leurs champs d’application.
• Facteurs endogènes : Les comportements
Les normes impliquées dans ces facteurs sont au nombre de cinq. Trois d’entre elles semblent
relatives au facteur de l’éthique et la fraude, alors que les deux autres ont des conséquences sur la
prise de risque excessive des opérateurs. Pour cette dernière, les normes ont un impact positif,
inhibant le facteur dans une certaine mesure. La mise à niveau et la formation exigées par la norme 6,
est de nature à transmettre aux opérateurs un certain nombre de principes éthiques de la FI. La
possibilité de prendre une hypothèque pour se couvrir contre l’abus et la négligence de l’opérateur
financier, avec la norme 39, favorise également une gestion plus honnête des activités financières. La
norme 48 consolide cela en permettant à l’opérateur de rompre un contrat en cas de dol, ce qui
s’applique également à la bourse.
A rebours, les normes 17 et 45 semblent plutôt favoriser l’un des facteurs comportementaux de
la spéculation, à savoir la prise de risque excessive. La première agit en permettant, lors des opérations
de titrisation de projets, d’obtenir la garantie du capital à travers un tiers indépendant, généralement
des institutions multilatérales. La seconde, quant à elle, permet de couvrir le capital et les risques de
faillite à travers le Takaaful, ce qui abonde dans le même sens. Pour le reste des facteurs liés aux
comportements (cupidité et intention préalable de spéculer), rien dans les normes ne semble
formellement les contenir.
• Facteurs endogènes : Les transactions
Au niveau des transaction, quatre des six facteurs sont impactés directement ou indirectement
par sept normes de l’AAOIFI. Le premier de ces facteurs, les ventes futures, semble impacté dans des
directions opposées par les normes 20 et 49. Tandis qu’il est clairement énoncé dans la norme 20
l’interdiction des futurs, ce qui est de nature à écarter le facteur, une nuance doit être apportée du fait

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de la permission trouvée dans la norme 49 pour les promesses (Wa’ad) futures bilatérales et
contraignantes, qui peuvent avoir le même résultat que les contrats futurs, dans un nombre important
de montages. Ainsi, nous ne pouvons statuer sur un impact positif des normes AAOIFI sur ce facteur.
Plus clairement, la norme 26 liée au Takaaful énonce la nécessité pour le fond d’éviter tout
investissement illicite. Cela revient à écarter les pratiques spéculatives exercées par de nombreux
assureurs durant les dernières décennies. Il en va de même pour la vente à découvert qui est
clairement exclue quel que soit le montage qui permette d’y aboutir, notamment à travers le prêt ou la
location de titres ou encore la vente de l’objet du Salam avant sa récupération. Ce sont surtout les
normes 10, 12 et 21 qui confirment cette mise à l’écart de nouveau ; une forme d’insistance très
perceptible dans les normes.
Le facteur ‘’poids des dérivés’’ est également concerné par les normes, notamment 20 et 27. La
norme 20 insiste sur la mise à l’écart des principaux dérivés tels que les Swaps, les options et les futurs,
entre autres. Ceci est de nature à restreindre considérablement le poids des dérivés, voire à le réduire
à néant. Certaines options, non négociables, sont tolérées. La non négociabilité les fait néanmoins
sortir de la sphère des dérivés. La norme 27 vient ajouter à la liste des dérivés exclus les trackers.
Le principal facteur qui ne semble pas évoqué dans les normes est celui de la complexité
excessive des produits (redondant en FI). Le spoofing est, quant à lui, implicitement évoqué par
certaines normes comme étant proscrit, mais aucune évocation formelle et de nature à le réguler ne
figure dans le corpus.
• Facteurs exogènes : le cadre réglementaire
S’il est une sous-catégorie de facteurs qui soit quasiment absente des normes de l’AAOIFI, c’est
bien celle des facteurs de la spéculation liés au cadre réglementaire. Un paradoxe, alors que ces
normes se veulent justement des normes de régulation. Plus encore, certaines normes abondent dans
le sens de l’aggravation de l’un des facteurs de cette catégorie, à savoir la cotation continue et la
fréquence des transactions. En permettant explicitement, en des occasions redondantes, le transfert
de titres, de Sukuk et de matières premières par simple enregistrement électronique, les normes 8, 17
et 18 ouvrent la voie au RTGS, au daytrading et au THF. Ces cadres sont une poussée à l’extrême des
modes opératoires déjà présents sur les marchés. Notons au passage une référence de la norme 27
imposant les comités sharia aux IFI, qui impacte légèrement le facteur de la déréglementation, mais
d’une manière limitée au regard des multiples composantes. Les autres facteurs de cette catégorie,
comme l’arbitrage réglementaire et fiscal, les opérations et comptabilités parallèles ainsi que le poids
des lobbys ne sont pas évoqués par les normes.

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- 361 -
• Facteurs exogènes : le contexte financier
Cette sous-catégorie est également peu concernée par les normes. Le facteur ‘’structure
oligopolistique et conflits d’intérêts’’ est le seul à être positivement impacté et contenu par les normes
1 et 29 qui attaquent les situations de monopole et écartent les comités ayant un conflit d’intérêt.
A rebours, le facteur ‘’volatilité’’ semble amplifié par un certain nombre de normes dont les
conséquences peuvent amplifier ledit facteur. Il s’agit en effet des normes 8, 10, 27, 31 et 34 qui
permettent de ne pas fixer le prix dans certaines transactions et de le laisser fluctuer selon un indice de
référence (à l’instar de l’istijrar), bien que précisant qu’il doit fluctuer à l’intérieur d’une bande. Les
facteurs de la domination de l’analyse comportementale, de l’asymétrie d’informations avec l’opacité
et les fausses rumeurs ainsi que la rentabilité supérieure des activités financières, eux, ne sont pas
concernés par les normes.

• Facteurs exogènes : le contexte macro-économique d’endettement


L’interdiction de l’intérêt étant un pilier de la FI, il est naturel que cette catégorie de facteurs
soit encadrée par plusieurs normes. Le premier facteur de la catégorie lié à la détérioration de la
solvabilité est freiné par les normes 2, 10, 17 et 52. Alors que la norme 2 prohibe les cartes de crédit à
intérêt qui sont de formidables outils de laisser-aller et de détérioration de la solvabilité, la norme 10
interdit les pénalités de retard, aux conséquences similaires. La norme 17, elle, revient sur la nécessité
de PPP dans les Sukuk participatifs, diluant grandement les risques d’insolvabilité pour de nombreuses
transactions. Cela est évidemment bien plus vrai au niveau macroéconomique qu’au niveau
microéconomique, vu que le risque existe toujours à l’échelle de l’opérateur et peut être important en
cas de faillite sur un projet donné. Enfin, la norme 52 proscrit l’utilisation de l’option de rétractation
qui permet d’aboutir à un prêt détourné.
Le levier est également clairement cité et contenu par les normes 1, 12 et 21. La norme 1 évoque
l’interdiction du levier en prenant l’exemple du Forex. La norme 12, elle, généralise l’interdiction en
évoquant l’achat à la marge permis par certains courtiers, ce qui est repris par la norme 21.
Quant à la titrisation de la dette, elle est certes contenue par les normes 10, 16 et 53, mais la
norme 21 du screening en relativise la portée. En effet, tandis que la norme 10 revient sur l’interdiction
de négocier des Sukuk représentant une dette (et le urbun dans la 53), la norme 16 clarifie
l’interdiction de la vente de la dette, sauf si c’est contre un actif non monétaire (marchandise) et que
cette dernière est livrée immédiatement, une situation peu commune. Pour autant, la portée sur le
facteur est clairement relativisée par la possibilité de négocier des actifs hybrides portant une partie de

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- 362 -
dette, comme les actions ayant moins de 30% de dette. Nous renvoyons à ce titre à notre analyse des
critères de screening ci-après.
Dans le même registre, la norme 44 implique une accentuation du facteur ‘’création monétaire et
abondance de liquidités’’ à travers les montages (Salam et Istisnaa parallèle) proposés pour l’obtention
de liquidité. Aucun cadrage n’est donné par rapport à ces montages qui peuvent vite devenir excessifs.

c. Les critères de screening à l’épreuve du risque spéculatif

En principe, les normes de screening font partie des cadres réglementaires les plus populaires
de l’AAOIFI concernant la FI qui s’appliquent aux marchés financiers. Il est incontournable de pouvoir
évaluer leurs implications par rapport à la question du risque spéculatif. Ayant été évoquées à la fin de
notre troisième partie à travers un encadré puis un schéma illustratif, nous nous attacherons plus à
leur analyse ici. Leur aspect controversé ayant déjà été évoqué au préalable, nous reviendrons sur les
implications des étapes de ces critères de filtrage. Nous dressons ci-après un schéma récapitulatif des
étapes du screening :

Figure 43 : Les principaux critères et étapes de screening

Source : L’auteur

La première étape se rapporte au cœur de métier de l’entreprise dans laquelle il est possible
d’investir. Nous remarquons d’emblée l’exclusion des secteurs financiers (banques conventionnelles et
assurances). Cela implique que les investisseurs de la FI éviteront les actions bancaires et assurantielles.
Vu la contribution de ces secteurs, à travers certaines de leurs pratiques, aux phénomènes
spéculatifs, ce premier critère semble contribuer à la stabilité systémique. C’est légèrement moins
évident pour le second critère, qui relativise la portée du premier, comme cela fut abordé en 3.2.3.

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- 363 -
Précisons que le critère quantitatif varie d’une place à l’autre, vu que ce ne sont pas les mêmes
comités charia, ce qui est en soi problématique. Certains utilisent comme dénominateur l’actif total
alors que d’autres préfèrent la capitalisation boursière sur 12 mois, et d’autres sur 24 ou 36 mois.
Figure 44 : Comparatif des seuils retenus sur trois indices différents (Gamaledin, 2015, p26)

Le passage en revue de ces critères quantitatifs nous révèle que l’effet de levier est
systématiquement plus bas dans les entreprises éligibles aux critères de screening de certains
praticiens de la FI. Pour d’autres, tels que ceux retenant l’avis de l’académie du fiqh, toute dette à
intérêts dans le bilan rend l’entreprise inéligible à la FI. Ce second avis étant très minoritaire dans la
pratique actuelle, nous nous focaliseront sur le premier avis, pour conclure que l’effet de levier sera
plus limité, à défaut d’être écarté. Rappelons que la dette en soi génère un ensemble de transactions
satellites qui participent à la spéculation, comme cela fut analysé, à l’instar des assurances sur la dette,
la titrisation de la dette, les produits dérivés liés à la dette et ainsi de suite. C’est donc cet impact
étendu que l’analyse doit prendre en compte lorsque la limitation de la dette est évoquée. Au final, le
critère étant statique, c’est-à-dire qu’il n’inclut pas des objectifs intermédiaires et des étapes visant à
écarter totalement la dette à intérêt du bilan, son impact sur la spéculation est relatif. Il en limite les
facteurs, mais ne les exclut pas totalement. Nul besoin de rappeler, par ailleurs, que les pratiques ont
tendance, dans bien des cas, à s’éloigner des prescriptions initiales des auditeurs sharia. Certains
auditeurs sharia au sein du LME ont même constaté que de nombreuses opérations demeurent fictives
et n’impliquent pas la succession et la distinction des engagements, requise par la sharia. Ce genre de
constat est de nature à diminuer la portée de tels critères de screening. Pour une meilleure lisibilité,
nous récapitulons les analyses dans le tableau suivant.

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d. Projection du baromètre sur les normes AAOIFI

Figure 45 : Récapitulatif des principales normes AAOIFI impactant certains facteurs

FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES


FACTEUR Eléments du cadre étudié Normes FACTEUR Eléments du cadre étudié Normes

CADRE REGLEMENTAIRE
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige
COMPORTEMENTS

d'égo et de chiffres 12. Domination d'opérations et de comptabilités


parallèles
Un tiers peut offrir sa garantie du capital ; Le Takaaful
2. Prises de risque excessives 17; 45 13. Cotation continue et fréquence des transactions Possibilité de revente sans transfert physique, électronique suffit. 8; 17; 18
peut servir à couvrir un risque d'investissement.

3. Ethique marginalisée et Formation du personnel aux principes ; Une hypothèque 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec Nécessité d'avoir un comité sharia pour les indices boursiers ; Un 27
6; 39; 48
environnement favorisant la fraude peut être prise pour garantir la bonne foi ; Dol proscrit. des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés avis de licéité n'implique aucunement l'encouragement de la
4. Intention préalable de spéculer que les opérateurs financiers transaction.
à court-terme
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers

CADRE FINANCIER
5. Ventes futures Futurs proscrits VS Istijrar, waad bilatéral contraignant… 20 VS 49
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt Moopoles à écarter ; Membres ayant conflit d'intérêt exclus. 1; 29
6. Assurances et spéculation Investissements illicites proscrits. 26
17. Domination de l'analyse comportementale sur
7. Vente à découvert Proscrite, même en cas de promesse d'emprunt de titre. 10; 12; 21 l'analyse fondamentale
8. Poids des dérivés Options et Swaps proscrits ; Trackers proscrits 20; 27 18. Voltilité Loyer d'ijara peut être variable. 8;10;27;31;34
9. Complexité croissante et excès 19. Asymétrie d'info, opacité, fausses rumeurs
d'innovation 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
10. Spoofing financières dépasse celle de l’économie réelle

CADRE MACRO
LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de la
Pas de pénalités ; Nominal de sukuk non garanti par l'émetteur. 2; 10; 17; 52
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs
22. Création monétaire et abondance de liquidités Tawarruq classique permis ; Salam et istisnaa pour liquidité permis. 30 ; 44
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui ont peu de chances de se
manifester 23. Titrisation et négociabilité de la dette Salam non cessible ; Dette cessible contre MP spot VS Screening… 10;16;53VS 21

24. Levier Levier proscrit (forex et autres) ; CMT proscrit. 1 ; 12; 21

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- 365 -
5.1.4.2 Les normes IFSB
Siégeant au sein de la banque centrale Malaisienne depuis 2002, le conseil des services
financiers islamiques fut créé dans l’optique de fournir des normes prudentielles et des principes
directeurs adaptés à la FI. L’IFSB veut faciliter l’intégration de la FI à l’international, tout en favorisant
sa stabilité. Il complète les normes AAOIFI, avec une orientation plus prudentielle que shariatique.
Bien que fastidieux, il nous a semblé incontournable de passer en revue les quelques 18 normes
prudentielles spécifiques ainsi que la demi-douzaine de notes de cadrages émises par l’IFSB, l’ensemble
se rapportant à près d’un millier de pages techniques au vocabulaire spécialisé. Rappelons que l’IFSB
est l’institution de référence pour les normes prudentielles, ayant en son sein la représentation des
gouverneurs des banques centrales des pays musulmans. Cette revue, certes complexe272, est une
étape nécessaire dans l’analyse de ce cadre prudentiel incontournable pour la FI dans le monde.
D’une manière générale, nous avons relevé des constantes qui reviennent de manière
systématique, voire excessivement redondante, dans l’ensemble des normes et des notes émises. Il
s’agit, entre autres, de la nécessité d’avoir un système de gestion des risques adéquat ainsi que
l’importance de se conformer aux préceptes de la sharia. Une analyse détaillée des normes, sous
l’angle de notre problématique, permet de relever les éléments impactant les manifestations et les
facteurs de la spéculation, norme par norme.

a. Aspects majeurs liés aux MFI

Ci-après, nous présentons une liste des principaux points des normes publiées par l’IFSB.
Chaque norme est encadrée par un guide dédié, d’environ 20 à 170 pages. Chaque norme couvre un
certain nombre de périmètres et de points fondamentaux que nous relèverons de manière synthétique.
Tout en visant à relever les points essentiels pour chaque norme, nous mettons en gras les éléments
se rapportant directement aux facteurs de la spéculation issus de notre analyse. Cela permettra de
clarifier dans quelle mesure les normes IFSB permettent de diminuer la portée de certains facteurs de
la spéculation.
1. Gestion des risques (IFSB-1) ;
◼ Importance d’un système de reporting et gouvernance performant et conforme à la
charia ainsi que des niveaux de capital suffisants, le tout afin de faire face aux risques
encourus et préserver les intérêts de l’ensemble des parties prenantes ;
◼ Encadrement du risque de crédit avec la diversification des instruments, l’analyse
minutieuse du risque client et une gestion des risques adaptée à chaque instrument ;

272A l’instar des normes AAOIFI, les normes IFSB se succèdent sur un ordre chronologique fastidieux plutôt que thématique, ce qui oblige
à des allers-retours permanents pour une lecture plus intelligible.

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- 366 -
◼ Importance d’élaborer un cadre efficace relativement à la gestion du risque de liquidité.
2. La suffisance du capital (IFSB-2) ;
◼ Les niveaux minimums de capital requis pour chaque transaction (8% au minimum, avec
le tier 2 étant au maximum aussi important que le tier 1) ;
◼ Les niveaux de risque et de réserve à assigner à chaque produit et transaction, avec une
prise en compte du hors bilan et des options incluses ;
◼ La norme est validée par le comité sharia de la BID ;
◼ Parmi les éléments de maitrise du risque de crédit le Urbun, Hamish Jiddiya273, le tiers
garant, l’hypothèque ou encore l’option de restitution.
3. Gouvernance d'entreprise (IFSB-3) ;
◼ Nécessité d’établir une gouvernance claire en définissant le rôle et la composition de
chaque organe en vue de protéger les intérêts des différentes parties prenantes,
notamment le droit des clients PSIA à suivre leurs comptes ;
◼ Nécessité d’être en conformité avec l’ensemble des règles de gouvernance
internationales liées à l’industrie, tant qu’elles sont conformes à la sharia ;
◼ Importance de la transparence et la mise à disposition de l’information au public,
notamment en ce qui concerne les comptes PSIA ;
◼ Publication d’une charte du client ;
◼ Communication sur les conflits d’intérêt potentiels.
4. La transparence et la discipline de marché (IFSB-4) ;
◼ Critères quantitatifs et qualitatifs à inclure dans la communication financière, surtout les
niveaux de capital exigé pour chaque transaction, les modalités détaillées ;
◼ Informations à communiquer aux parties prenantes dans le cadre de chaque risque.
5. Processus de surveillance prudentielle (IFSB-5) ;
◼ Importance d’être en phase avec les standards internationaux conformes à la sharia ;
◼ Prérogatives relevant des autorités prudentielles, notamment pour le niveau de capital,
l’exposition aux matières premières et à l’immobilier ;
◼ Certaines problématiques liées aux « fenêtres islamiques ».
6. Gouvernance pour les fonds de placements collectifs de (IFSB-6) ;
◼ L’approche spécifique claire et appropriée, prioritaire dans le domaine des MFI ;
◼ Transparence exigée dans la communication institutionnelle, afin d’éviter les asymétries
d’information, en détaillant les processus et les contrats ;
◼ Conformité aux principes de la sharia et éthiques, notamment par rapport au screening
qualitatif et quantitatif et dans les opérations courantes. Des fonctions de fatwa, puis de
contrôle de conformité ex-post internes et externes sont nécessaires. Les conflits
d’intérêt sont à écarter à tous les niveaux, notamment lors de la purification des fonds ;
◼ Protection des investisseurs, en clarifiant clairement le périmètre du manager de fond
et en procédant à une revue périodique des pratiques.
7. Suffisance du capital pour les Sukuk, la titrisation et l’investissement immobilier (IFSB-7) ;
◼ Utilisation appropriée des fonds vers les actifs liés au contrat ;

273Hamish jiddiya : Caution en numéraire prélevée chez le client afin de s’assurer de sa bonne foi dans sa promesse d’engager une
transaction. S’il se désiste et si l’IFI s’est déjà engagée dans l’opération, elle prélève de cette caution le montant du préjudice subi.

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- 367 -
◼ La notation des Sukuk doit être réservée aux organismes reconnus par les régulateurs ;
◼ Importance de la clarté des contrats notamment concernant la propriété et le recours
en cas de défaut, la propriété de l’actif sous-jacent devant être totalement transférée au
SPV et la transaction ne devant en aucun cas pouvoir être requalifiée en prêt ;
◼ Traitement des différents risques liés aux Sukuk et à la liquidité ;
◼ Suffisance de capital requise pour les Sukuk ;
◼ Environnement réglementaire pour l’investissement immobilier, qui doit rester inférieur
à 60% du capital et bien contrôlé.
8. Principes directeurs sur la gouvernance de l'assurance islamique takaaful (IFSB-8) ;
◼ Principes du Takaaful et modalités opératoires, avec prise en compte des normes
prudentielles internationales Solvency tant qu’elles sont conformes ;
◼ Renforcement de la gouvernance et marginalisation de l’asymétrie d’information, dans
un cadre éthique qui prend en compte l’intérêt des parties prenantes ;
◼ Intégration d’un actuaire directement lié au conseil d’administration et qui lui reportera
l’ensemble des risques et des besoins.
9. Conduite des affaires pour les institutions offrant des services financiers islamiques (IFSB-9) ;
◼ Intégrité, honnêteté et justice dans l’ensemble des procédures telles que l’obtention
d’une approbation de conformité ou encore la déclaration de pertes. La formation du
personnel à ces éléments est fondamentale, notamment sur les aspects de conflits
d’intérêt possibles ;
◼ Importance d’appliquer les principes de RSE tout au long de la chaîne de valeur.
10. Gouvernance charia (IFSB-10) ;
◼ Le mandat du comité doit être clairement structuré à travers des procédures ;
◼ Compétence : Outils nécessaires à l’évaluation ;
◼ Indépendance : Distance nécessaire vis-à-vis de la direction et conflits d’intérêt. Une
procédure claire de règlement des divergences doit exister ;
◼ Confidentialité dans les travaux, mais communication des résultats ;
◼ Cohérence et professionnalisme ;
◼ Formation continue des comités.
11. Norme sur les exigences de solvabilité pour les engagements Takaaful (IFSB-11) 2010 ;
◼ Nécessité de valoriser les actifs au prix du marché ;
◼ Obligation de séparer le bilan du fond de celui de la société gestionnaire ;
◼ Modalités opératoires à appliquer au prêt de la société gestionnaire au fond si déficit ;
◼ Catégorisation des risques liés au Takaaful et modalités de calcul du capital requis tant
pour l’opérateur que pour le fond.
12. Principes directeurs liés au système financier et sur la gestion du risque de liquidité (IFSB-12) ;
◼ Opérations à très fort levier écartées ;
◼ Modalités opératoires de l’IILM, regroupant un pool d’actifs permettant d’émettre des
Sukuk ou d’autres outils conformes ;
◼ Les piliers d’une infrastructure favorable à une bonne gestion de liquidité (juridique,
prudentielle, financière, monétaire…) ;
◼ Nécessité d’avoir un système de gestion du risque de liquidité, et nécessaire distinction
entre l’usage de la CMT pour la liquidité et son usage à but lucratif, qui augmente le
levier;
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◼ Le conseil d’administration doit déterminer le niveau de risque acceptable ;
◼ Nécessité de séparer l’opérationnel du contrôle ;
◼ Importance du stress testing et des prévisions ;
◼ Nécessité de diversifier les sources de financement ;
◼ Mise en place d’un plan de suivi de crise de liquidité, clair et détaillé ;
◼ Importance d’un contrôle du risque de change à travers des outils adéquats ;
◼ Orientations majeures aux autorités de supervision des IFI ;
◼ Développement de marchés secondaires pour la liquidité, y compris de SWAPS ‘licites’.
13. Principes directeurs sur le Stress Testing (IFSB-13) ;
◼ Insister sur les cygnes noirs, à faible probabilité mais fort impact ;
◼ Doit être systématique dans les procédures de gouvernance des IFI ;
◼ Préalablement définir une liste d’actions correctives en cas de crise ;
◼ Des méthodologies claires, adaptables, adéquates, vérifiées et publiques ;
◼ Le régulateur doit s’assurer de ces tests et établir des scenarii appropriés ;
◼ Il doit prendre en compte les effets « second round » et « transfrontaliers ».
14. La gestion des risques pour Takaaful (IFSB-14) ;
◼ Des procédures informatiques et de gouvernance de gestion des risques adaptées ;
◼ Eloigner les conflits d’intérêt ;
◼ Prévenir les risques de fraude à travers les fonds Takaaful ;
◼ Mise en place d’obstacles à la contagion et au risque systémique entre fonds.
15. ‘’Capital Adequation Standard’’ révisée (IFSB-15) ;
◼ Les normes de capital minimum sont par nature procycliques ;
◼ Des niveaux de capital supérieurs de 2,5% doivent être mis en place afin de donner plus
de capacités aux IFI en temps de récession et réduire la procyclicité, en plus des
restrictions de distribution de profit qui peuvent accompagner cette mesure ;
◼ La relation entre dépôts, crédits et levier de la finance conventionnelle est moins
mécanique en FI vu les financements plus proches du capital risque ;
◼ La CMT accroît la procyclicité ;
◼ Il est recommandé aux régulateurs d’adopter un ratio de levier (Tier 1 / Ensemble des
engagements) supérieur à 3% ;
◼ Les IFI ayant une dimension systémique devront présenter des ratios encore plus sains
définis par les régulateurs, afin de réduire le risque systémique ;
◼ Les organismes de notation se doivent d’être indépendants et sous aucune pression
politique ou économique. Ils doivent également ne pas avoir de conflits d’intérêt ;
◼ Etablir des mesures des risques allouées à chaque étape de transaction.
16. Directives révisées sur les éléments clés dans le processus de surveillance prudentielle (IFSB-16)
◼ Les autorités de régulation doivent appliquer des ratios prudentiels appropriés aux IFI ;
◼ Une systématisation des audits externes ;
◼ Identifier les interconnexions systémiques avec les opérateurs étrangers ;
◼ La transparence et la reddition des comptes doit être de mise pour les régulateurs ;
◼ Identifier les concentrations de risques (par secteurs, par zones…) et les prévenir ;
◼ Les transactions de gré à gré doivent être suivies ;
◼ Le risque de crédit est à encadrer, à travers des stress test adéquats et réguliers
◼ Les acteurs non bancaires doivent être suivis par le régulateur bancaire, avec des
normes concernant les produits de couverture utilisés par les IFI.
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17. Principes fondamentaux pour une régulation de la FI (IFSB-17)
◼ L’adoption des nouveaux standards internationaux est encouragée ;
◼ L’indépendance financière et la transparence ainsi que la protection légale ;
◼ L’autorité doit disposer des ressources (IT et RH) adéquates et proportionnelles, un
staff bien qualifié et très bien payé pour éviter les fuites ;
◼ Nécessité de pouvoir rejeter certaines fusions et garantir la concurrence ;
◼ Prise en considération des enjeux transfrontaliers ;
◼ Veiller à une bonne gouvernance (managériale et sharia) dans les IFI ;
◼ Importance d’une mesure efficiente de la solvabilité des clients ;
◼ Développer les outils pour superviser les différents types de risques ;
◼ Un contrôle rapproché de la transparence et de l’éthique dans le marché ;
◼ Précautions nécessaires face aux conflits d’intérêt.
18. Principes directeurs pour Retakaaful (IFSB-18) ;
◼ Un code d’éthique doit être adopté, et les conflits d’intérêt signalés ;
◼ Mise en place de procédures de gestion de risques appropriées ;
◼ L’information doit être communiquée ;
◼ Prévoir des tests de solvabilité ainsi que de conformité charia.
19. Reconnaissance des évaluations charia sur les instruments financiers (GN-1)
◼ Les autorités doivent spécifier les éléments spécifiques à la FI à prendre en compte par
les organismes de notation.
◼ 4 critères fondamentaux pour accepter les notations externes des organismes de FI :
➢ Processus : Evitement des conflits d’intérêt, information publique et gratuite ;
➢ Compétence : Méthodologie appropriée aux sous-jacents, et aux produits ;
➢ Notation adéquate : Démontrer la pertinence des notations passées;
➢ Etat financier et RH : RH suffisantes, SI à la hauteur, finances suffisantes ;
20. Note d'orientation dans le cadre de la gestion des risques et des normes relatives aux fonds
propres : Transactions Commodity Murabahah (GN-2)
◼ La CMT peut être structurée de manière complexe dans certaines juridictions ce qui
n’est pas sans poser des risques d’ordre prudentiels. Procéder au listing des étapes de la
CMT avec les risques de chaque étape permettra de mieux répondre à ces risques ;
◼ La probabilité du « roll over » (reconduction du contrat) est forte dans ce contrat vu
qu’il sert d’instrument de liquidité ;
◼ La CMT a mauvaise réputation ce qui risque de nuire à l’image de l’IFI ;
◼ Les procédures doivent inclure une revue indépendante des risques ;
◼ Des mesures comme le takaaful, les politiques de financement, les limites, les
hypothèques liées à la CMT doivent être mises en place ;
◼ La CMT permet d’accroître le levier, potentiellement nuisible.
21. Note d'orientation sur la pratique de lissage des bénéfices versés aux porteurs compte
d'investissement (GN -3) ;
◼ Le non distribution de l’ensemble des profits et la constitution de réserves permet de
compenser les fortes fluctuations.
22. Note d'orientation dans le cadre de la suffisance du capital : La détermination de l’alpha du
ratio de suffisance du capital (GN-4) ;

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- 370 -
◼ Le lissage des profits, grâce à des réserves ad hoc, peut s’avérer nécessaire dans le cadre
des comptes PSIA afin d’éviter un trop grand risque commercial déplacé ou un risque
systémique important ;
◼ Dans le cas des déposants en comptes PSIA, en cas de perte, cela n’impact pas le capital
de l’IFI. Indirectement cependant, en cas de fuites de clients, il est impacté ;
◼ Le rendement distribuable aux déposants en PSIA est une moyenne pondérée du
rendement des actifs et des rendements du marché (ce qui n’est pas sans poser
certaines questions de conformité) ;
◼ Cette moyenne peut varier entre les banques, ou être imposée par les autorités.
23. Note d'orientation sur la reconnaissance des évaluations par les établissements de crédit
externes d'évaluation (OEEC) sur Takaaful et Retakaful (GN-5)
◼ Les critères de Bâle sont en partie adéquats, cependant, ils ne correspondent pas à
l’ensemble des spécificités des IFI ;
◼ Certaines spécificités doivent être traitées de manière différente ;
◼ Seules les autorités de régulation nationales peuvent se prononcer sur la validité des
notations d’organismes de notations par rapport aux IFI ;
◼ Les méthodologies doivent être rendues publiques.
24. Mesures quantitatives pour la gestion du risque de liquidité (GN-6)
◼ Nécessité d’avoir des ALHQ274 pour pallier aux chocs de liquidité. ;
◼ Importance de rester au-dessus des ratios de couverture de liquidité (LCR) et de
financement (NSFR) même en période de stress, et publier les résultats.
25. Développement des marchés monétaires islamiques (TN-1).

b. Analyse des normes IFSB

L’analyse des normes IFSB fut très intéressante à plusieurs égards. Elle a tout d’abord permis
d’avoir une vision détaillée de la perception des principales orientations prudentielles préconisées par
l’institution de référence dans ce domaine. A cet effet, un certain nombre de points d’une extrême
importance ont été relevés dans les directives et prescriptions des normes IFSB. Au lieu de discuter ces
points de manière isolée, nous avons préféré, dans un souci de synthèse, les reporter dans leur
ensemble au sein de notre instrument de mesure. Nous reprenons ci-après, au sein de notre
baromètre, les facteurs impactés positivement par telle ou telle norme de l’IFSB, dans la mesure où
ces normes seraient amenées à être appliquées de manière efficace. Cette nuance est d’une
importance capitale. En effet, autant certaines prescriptions entrent explicitement dans les détails et
démarches minutieuses à suivre, autant d’autres se contentent d’un certain généralisme, comme pour
l’éthique, non sans latitude d’interprétation laissée au lecteur. En ce qui nous concernera dans ce
récapitulatif, nous spécifions plus particulièrement les aspects les plus impactés du facteur par la

274ALHQ : Actifs liquides de haute qualité, ou HQLA en anglais, ces actifs sont immédiatement cessibles sur le marché avec quasiment
aucune perte de valeur. Parmi ces actifs, l’IFSB prend en compte la trésorerie, les réserves placées à la banque centrale, les Sukuk
souverains ou d’entreprises publique ou d’institutions multilatérales ou d’autres actifs conformes à la sharia ayant une note acceptable.
Pour ces derniers, une décote sera prévue.

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norme, en surlignant certains facteurs et en laissant d’autres. Un impact positif d’une norme sur un
facteur signifie que ce facteur de spéculation, si les normes sont appliquées, aura moins de chances de
se manifester. Précisons que deux des 24 facteurs trouvent dans les normes IFSB une certaine latitude,
malgré les restrictions imposées par l’IFSB, notamment en termes de levier. A l’instar de ce qui a été
fait pour les normes AAOIFI, notre baromètre incluant les normes IFSB serait le reflet d’un marché où
ces normes sont implémentées de la manière la plus complète et efficace possible, ce qui atténuerait
certains facteurs de la spéculation, sans pour autant s’adresser à d’autres.

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- 372 -
c. Figure : Les facteurs de la spéculation atténués par certaines normes IFSB

Figure 46 : Récapitulatif des principales normes IFSB impactant certains facteurs

FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES


FACTEUR Eléments du cadre étudié Normes FACTEUR Eléments du cadre étudié Normes

CADRE REGLEMENTAIRE
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige
COMPORTEMENTS

d'égo et de chiffres 12. Domination d'opérations et de comptabilités Prise en compte des opérations hors bilan ; Identifier et suivre les
2; 16
Niveau de capital et de réserve suffisant ; Diversification ; parallèles opérations de gré à gré ; Suivre les opérateurs non bancaires.
2. Prises de risque excessives Maîtrise du risque client (Hypothèque, urbun, haamish 1; 2; 15 13. Cotation continue et fréquence des transactions
jiddiyah, tiers garant, option de restitution…). Gouvernance ; Capital et réserve pour chaque transaction ; Contrôle 1; 2; 6; 10;
3. Ethique marginalisée et Conformité aux principes éthiques ; Transparence exigée ; 3; 6; 8; 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec interne et externe systématique ; Procédures détaillées pour le 12; 13; 16;
environnement favorisant la fraude Formation à l'intégrité, l'honnêteté et la justice ; Avoir RSE. 9; 14; 17 des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés comité ; Formation continue ; Orientations aux autorités ; Plan de 17; 19
4. Intention préalable de spéculer que les opérateurs financiers suivi de crise détaillé ; Bonne infrastructure (juridique, prudentielle,
à court-terme monétaire...) ; Prise en compte d'effets transfrontaliers ; Bien payés
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers

CADRE FINANCIER
5. Ventes futures Protéger les parties prenantes ; Montrer conflits d'intérêt, appliquer 3; 4; 7; 8; 15
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt


Cadre éthique ; Gouvernance et gestion des risques 8; 11; des procédures ; Notation indépendante ; Garantir la concurrence. 17; 19; - GN5
6. Assurances et spéculation
adaptées ; Avoir des obstacles à la contagion systémique. 14; 18 17. Domination de l'analyse comportementale sur
7. Vente à découvert l'analyse fondamentale
8. Poids des dérivés CMT et SWAPS pas totalement écartées. 12 18. Voltilité Fort levier à écarter ; CMT encadrée ; Stress testing ; Diversification. 12; 15
9. Complexité croissante et excès 19. Asymétrie d'info, opacité, fausses rumeurs Transparence ; Asymétrie à éviter ; Contrats doivent être détaillés. 3; 6; 7; 8 ; 16
d'innovation 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
10. Spoofing financières dépasse celle de l’économie réelle

CADRE MACRO
LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de la Analyse minutieuse du risque client ; Gestion efficace du risque de
1; 17 ; 18
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité liquidité ; Bonne mesure de la solvabilité client ; Tests de solvabilité
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs
22. Création monétaire et abondance de liquidités
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui ont peu de chances de se
manifester 23. Titrisation et négociabilité de la dette
Niveau de capital de 8% pour chaque transaction ; Seul le fort levier 1; 2; 12; 15 -
24. Levier
est écarté. GN 2

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- 373 -
Conclusion du chapitre

Ce chapitre a permis d’analyser les principaux cadres et transactions de la FI contemporaine,


sous l’angle des facteurs de la spéculation de notre baromètre. Nous avons élaboré un baromètre
récapitulatif, à partir des nuances importantes à la résilience théorique de la FI mises en relief au
niveau de la partie III. Par la suite, partant de notre définition et des critères distinctifs de la
spéculation qu’elle détaille, nous avons construit un tableau mettant en valeur les aspects spéculatifs
des principales transactions relevées au niveau des nuances. Il ressort de ce récapitulatif analytique
que l’ensemble des transactions ayant été évoquées dans les nuances, présente des caractéristiques
spéculatives plus ou moins prononcées. C’est davantage les fameux ‘’dérivés islamiques’’.
Au-delà des nuances relevées dans la partie III et dans notre tableau des transactions, ce
chapitre a permis d’analyser en détail la proportion des nuances, surtout au niveau des bilans de
nombreuses IFI dans le monde. La synthèse comparative de ces analyses de bilans indique qu’hormis
les IFI malaisiennes, les autres ne sont pas très exposées aux titres courts, aux dérivés, et aux autres
transactions au profil hautement spéculatif et procyclique. Ces titres n’atteignent jamais les 5% du
bilan, s’ils sont présents. Un tel constat donne une idée plus claire sur l’amplitude des nuances relevées
en partie III et dans le début de ce chapitre. En pratique, elle est faible. Ce constat requiert une
validation empirique plus solide, qui aura lieu avec notre dernière enquête auprès des experts des MFI.
Avant d’en arriver à l’enquête, une dernière analyse fondamentale a été conduite au sein de ce
chapitre, ayant trait aux normes et aux cadres majeurs régissant la FI. En effet, les normes permettent
de voir dans quelle mesure les facteurs peuvent se manifester, après avoir constaté leur état actuel.
Pour les normes AAOIFI, il ressort de l’analyse qu’elles sont particulièrement efficaces en face des
transactions à caractère spéculatif, Wa’ad et istijrar mis à part. Elles préviennent en somme la
manifestation de près de huit facteurs, répartis entre les catégories. A rebours, pour près de onze
facteurs, elles semblent plus mitigées et peu outillées. Elles laissent la voie libre à leur manifestation.
Les normes semblent même pouvoir favoriser trois facteurs que sont la prise de risque, la fréquence
des transactions, ainsi que la création monétaire et l’abondance de liquidités. Globalement, en
termes de chiffres, il en va de même pour les normes IFSB, mais pas toujours pour les mêmes facteurs,
pris un à un. Les normes Tahawwut275, elles, semblent moins complètes, et de nature à favoriser près
d’une demi-douzaine de facteurs de la spéculation. Ces normes font d’ailleurs beaucoup moins
l’unanimité. En plus des tableaux récapitulatifs mis en place pour les deux corpus majeurs de normes
(AAOIFI et IFSB), un tableau récapitulatif global sera produit au terme de cette cinquième partie.

275
Ce contrat cadre a été l’objet d’analyses en annexe

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- 374 -
CHAPITRE II

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- 375 -
5.2 Etude de cas et enquête prospective auprès d’experts des MFI
Suite aux analyses des nuances en troisième partie, puis à l’analyse de l’ampleur de ces nuances
dans les bilans ainsi que des cadres réglementaires de la FI dans le chapitre précédent, la question de la
validité empirique des conclusions se pose. Dans cette perspective, ce chapitre permettra d’analyser le
cas de deux pays musulmans de référence, sous l’angle de notre baromètre, avant de passer à
l’enquête auprès d’experts des MFI, et y greffer, à son tour, une projection de notre baromètre. Suite à
cela, nous procèderons à une analyse comparative en guise de synthèse, toujours sous l’angle de notre
baromètre.

5.2.1 Etude de cas de deux pays musulmans de référence en FI


5.2.1.1 Soudan
Le Soudan est sans aucun doute le pays de référence en matière de vision globale et systémique.
Ce pays a, dès 1983, procédé à l’islamisation de son économie. Son expérience est unique en son genre
dans la mesure où l’islamisation concerne également la banque centrale et la place boursière. Ce cas
aurait pu faire l’objet d’une étude approfondie, détaillée s’il était un benchmark. Cependant, le pays
est en proie à une grande instabilité géopolitique. Bien que les institutions soient des cas originaux, le
volume d’activité ne permet pas au pays d’être un benchmark dans le monde. Malgré la situation
critique du pays en matière de développement (classé 162 sur 186 en termes d’IDH en 2015) 276, nous
avons constaté que son corpus législatif en matière d’IFI mérite une analyse approfondie. C’est en effet
le seul cas où l’interaction de l’ensemble des composantes d’un SEI se retrouve.
Dans cette optique, nous avons pris le soin de parcourir corpus législatif financier en ligne, en
2017 (près de 600 pages en arabe). Le fonctionnement étant bien documenté, nous n’avons pas eu de
problèmes à atteindre les principaux textes qui traitent des IFI, des MFI ainsi que des prescriptions et
prérogatives de la banque centrale, fort utiles lorsque nous analysons les facteurs de la spéculation liés
au cadre macroéconomique. Ces documents sont essentiellement en arabe, et se composent de
plusieurs milliers de pages. Nous avons traité, ces documents dans leur globalité. A l’issue de nos
lectures analytiques de ces documents, nous sommes parvenus à nous faire une image globale
détaillée du cadre réglementaire économique du Soudan. Nous l’avons traité comme une étude de cas,
dans la mesure où l’analyse s’est toujours faite sous l’angle de notre baromètre. Afin d’avoir une vision
analytique et en même temps synthétique, nous avons directement reporté le fruit des analyses et des
observations sur le baromètre. Nous y avons également reporté les principales sources utilisées.
276 https://fr.actualitix.com/pays/sdn/soudan-indice-de-developpement-humain.php (20/04/2017)

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- 376 -
Figure 47 : Analyse du corpus juridique du MFI soudanais à la lumière de notre baromètre

FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES


FACTEUR Eléments du cadre étudié Sources FACTEUR Eléments du cadre étudié Sources

CADRE FINANCIER CADRE REGLEMENTAIRE


AAOIFI aapliqués
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire Relations avec societés écran proscrites. Revue 2014 p8
1. Cupidité, course au prestige
COMPORTEMENTS

Zakat prélevée. 2009.20


d'égo et de chiffres 12. Domination d'opérations et de comptabilités Les opérations doivent passer par le système boursier ; 2010.53;
parallèles Transparence cardinale ; Le marché parallèle existe. 2014.10; FAQ
2. Prises de risque excessives (VaR + Un tiers peut offrir sa garantie du capital ; Le Takaaful
AAOIFI 13. Cotation continue et fréquence des transactions 1% de frais et enregistrement de propriété avant revente obligatoire et1994.12.55;
remise du 2015
certificat
/ 2016.41
de proprié
/ 20
stress test CISS?) peut servir à couvrir un risque d'investissement.
Comité sharia dédié aux marchés, chargé d'émettre des avis
3. Ethique marginalisée et Nécessaire respect de la sharia; Fraude et ruses 2015; 2016.29 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec contraignants mais aussi de vérifier leur application et la
2016.52; FAQ
environnement favorisant la fraude clairement proscrites et encadrées; Délit d'initié 2010.27; des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés conformité du marché à la sharia, avec un certificat annuel de
Site
4. Intention préalable de spéculer proscrit; Document 2015 très complet sur blanchiment 2014.4; 2014- que les opérateurs financiers conformité ; Un audit interne systématique est mis en place pour la
à court-terme 2 8.6 bourse ; Autorité de régulation independante du marché.
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers Indépendance de l'autorité suprême de régulation sharia.

5. Ventes futures Conflits d'intérêt encadrés, notamment pour l'IPO et le courtier; 2010.28; 2014-
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt


Tout conflit d'intérêt doit être détaillé. 2 6.16
6. Assurances et spéculation Assurance Takaful dès 1984.
17. Domination de l'analyse comportementale sur
7. Vente à découvert Proscrite. 2016.22 l'analyse fondamentale
8. Poids des dérivés 90% echanges sur titres à revenu fixe, proches des sukuk Revue 2014 18. Voltilité 90% echanges sur titres à revenu fixe ; max +/- 5%/séance, p53. Revue 2014
9. Complexité croissante et excès 19. Asymétrie d'information, opacité, fausses rumeurs Manipulation et rumeurs clairement proscrites=>transaction annulée ;1994.8.31/32;
Insistance sur2016.50
la transparence e
Eventail de produits restreint. Historique
d'innovation 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
10. Spoofing Proscrit, si l'intention est de manipuler les cours. 1994.8.29 financières dépasse celle de l’économie réelle
1994: www.kse.com.sd/UserFiles/File/ksegrl.pdf

CADRE MACRO
2009: www.kse.com.sd/UserFiles/File/Procurement%20&%20Purcasing%20Rules.pdf 21. Système bancaire, dette et détérioration de la Penalités de retard proscrites sauf si retard volontaire (guide CSO);
2015-2
2010: www.kse.com.sd/UserFiles/File/tradingrl.pdf 2010-2: www.kse.com.sd/UserFiles/File/up/csd.pdf solvabilité Présentes dans un doc relatant le fond de garantie des opérateurs
2014: www.kse.com.sd/UserFiles/File/Brokerage%20Efficency%20Rules.pdf (p5)
Sauf /en cas de besoin majeur (Fatwa 1/92); Restrictions de liquidité Guide CSO;
22. Création monétaire et abondance de liquidités
2014-2: www.kse.com.sd/UserFiles/File/governance.pdf Revue 2014: www.kse.sd/UserFiles/File/magazine.pdf p114 et proportionnalité croissance PIB et MM pendant 3 ans (p118) Historique
2015: kse.com.sd/UserFiles/File/arabi%20report2015.pdf 2015-2: www.kse.com.sd/UserFiles/File/SetelmentR.pdf 23. Titrisation et négociabilité de la dette
2015: www.kse.com.sd/UserFiles/File/Mlaund.pdf 2016: www.kse.com.sd/UserFiles/File/authority(2).pdf Proscrit car le paiment doit se faire complètement au courtier ; Les 2010-2.22;
24. Levier
2016: www.kse.com.sd/UserFiles/File/KSE.pdf possibilité de retrait à découvert sont amoindries (p114) Historique
Guide CSO: cbos.gov.sd/sites/default/files/fatawa_book_01.pdf Historique: cbos.gov.sd/sites/default/files/banking_system.pdf

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- 377 -
D’emblée il convient de préciser qu’en plus des directives du conseil suprême de charia, le
Soudan adopte les normes AAOIFI comme référentiel. Notons que le cadre réglementaire Soudanais,
étant complet, est autrement plus riche que le seul cadre de l’AAOIFI. Nous constatons d’une manière
générale que le modèle Soudanais n’a qu’une seule grande lacune : Le facteur lié à la prise de risque
excessive. Cette lacune est héritée des normes AAOIFI. Pour le reste, nous constatons que le modèle
soudanais est très résilient sur 15 des 24 facteurs de la spéculation, ce qui est, jusqu’à présent, le plus
grand chiffre obtenu par un cadre pratique ayant effectivement cours. Pour les 8 autres facteurs, le
modèle soudanais manque de directives claires, ce qui laisse à penser que ces facteurs peuvent,
éventuellement, se manifester. L’état des échanges au sein de la bourse de Khartoum permet de
conclure que ce n’est pour l’instant pas du tout le cas. Les volumes sont faibles et les autorités
cherchent à dynamiser le marché. Cette quête de dynamique gagnerait à ne pas se faire au détriment
de la stabilité. En ce qui concerne ces dernières, nous constatons que le modèle soudanais cadre de
manière quasi-parfaite l’ensemble des transactions qui peuvent avoir des visées spéculatives.
L’ensembles des facteurs liés aux transactions sont bien régulés. Les principales lacunes, comme dans
tous les cadres, ont naturellement trait aux facteurs comportementaux, les plus complexes à cerner.
En somme, le modèle soudanais reste une référence. Les constats gagneraient en pertinence si
nous avions les résultats d’un tel modèle, mais en l’absence des conditions d’instabilité que vis le pays
depuis plusieurs années. En tout état de cause, la projection du baromètre sur le cas soudanais permet
de conclure que le modèle est globalement résilient aux principaux facteurs de la spéculation, et que
cette résilience est perfectible à partir du moment où 8 facteurs ne sont pas assez cadrés pour
l’instant, et qu’ils se répartissent entre 4 catégories qui sont, par ordre d’importance critique : Les
facteurs endogènes comportementaux, les facteurs exogènes réglementaires, les facteurs exogènes
financiers puis les facteurs exogènes d’ordre macroéconomique. Dans la suite du développement, nous
prendrons un second cas pratique, aux antipodes du premier sur de nombreux plans : le cas malaisien.

5.2.1.2 Malaisie
La Malaisie est une référence dans le monde de la FI, en termes de dynamisme (recherches,
nombre d’institutions, volumes, éventail d’outils…). Cette affirmation est admise dès lors que l’on met
de côté les divergences jurisprudentielles, et que nous prenons en compte uniquement le côté
quantitatif. Vu que la Malaisie présente le profil le plus éloigné du profil soudanais, il nous est paru
intéressant de la choisir comme second exemple illustratif, sachant que les autres juridictions se
situeront très probablement entre les deux analysées. Nous reportons les principales observations sur
une projection du baromètre sur les normes de fonctionnement du marché malaisien.

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- 378 -
Figure 48 : Analyse du corpus juridique du MFI malaisien à la lumière de notre baromètre

FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES


Poids FACTEUR Eléments du cadre étudié Poids FACTEUR Eléments du cadre étudié

CADRE FINANCIER CADRE REGLEMENTAIRE


6,14 11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige
COMPORTEMENTS

6,86
d'égo et de chiffres 12. Domination d'opérations et de comptabilités
6,36 Le gré à gré est une pratique importante du marché malaisien.
parallèles
2. Prises de risque excessives (VaR +
7,10 Tiers garant possible sur Mudarabah. 6,80 13. Cotation continue et fréquence des transactions Récupération n'est pas une condition à la revente, 1 transaction/j now
stress test CISS?)

3. Ethique marginalisée et 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec


7,38 Chaque Imembre de comité sharia ne peut siéger que dans une seule
environnement favorisant la fraude 6,96 des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés
IFI au plus; Audit interne strict et indépendant de la direction.
4. Intention préalable de spéculer que les opérateurs financiers
8,08 Permise.
à court-terme
7,46 15. Poids et pouvoir des lobbys financiers

6,00 5. Ventes futures Permises CPO; Vente et loyer à un prix fixé à échéance
TRANSACTIONS

6,02 16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt Cumul de mandat dans une IFI et politique proscrit (p79).
6,76 6. Assurances et spéculation
17. Domination de l'analyse comportementale sur
6,48
6,78 7. Vente à découvert Possible à travers l'emprunt et location de titres l'analyse fondamentale
7,30 8. Poids des dérivés Options, bons de souscriptions, waad, swaps 7,42 18. Voltilité Vente et loyer à un prix fixé à échéance possible.
9. Complexité croissante et excès 7,64 19. Asymétrie d'information, opacité, fausses rumeurs
7,40 De plus en plus de répliques, certains dérivés permis
d'innovation 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
7,80
7,60 10. Spoofing financières dépasse celle de l’économie réelle

LEGENDE: CADRE MACRO 5,54


21. Système bancaire, dette et détérioration de la Produits répliquant l'intérêt très présents ; Pénalités de retard
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité permises ; Actions mixtes avec dette permises.
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs
6,66 22. Création monétaire et abondance de liquidités La mudaraba interbancaire a un rendement prédéterminé domine.
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui n'ont que peu de chances
de se manifester 6,76 23. Titrisation et négociabilité de la dette Négociable avec MP ou actions ; Sukuk hybrides jusqu'à 49% et actions
Les éléments détaillés sont tirés des normes de la securities commission de 2007
7,60 24. Levier CMT permise ; CMT domine l'interbancaire.

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- 379 -
Les observations reportées sur notre baromètre proviennent essentiellement des avis du
comité national de la sharia lié à la Securities Commission (2007). Ces avis concernent un certain
nombre de nos questions. Nous avons complété ces observations par les diverses rencontres que nous
avons effectué sur le terrain, en Malaisie, en 2014, avec plusieurs experts dans un certain nombre
d’institutions, notamment la Securities Commission, organe principal de supervision des marchés
financiers. Les informations tirées de certains entretiens liés à notre enquête auprès d’experts des MFI
seront reportés dans la section suivante, dédiée à l’enquête.
A l’inverse du Soudan, le marché malaisien oscille entre une exposition éventuelle et une
accélération de l’exposition à certains facteurs. Seul le facteur lié à la déréglementation fait exception
à ce constant. Notons, de prime abord, que la Securities Commission autorise expressément la
‘’spéculation’’ dans son ouvrage. L’ensemble des observations qui suivent prennent donc beaucoup de
sens à la lumière de ce positionnement très exceptionnel dans l’univers de la FI.
Sur 13 des 24 facteurs, le marché malaisien est potentiellement exposé. Sur 10 autres, il
présente des caractéristiques, règlements et prescriptions à mêmes de favoriser l’élément spéculatif
analysé. D’un point de vue de nos facteurs donc, tout porte à croire que le marché malaisien présente
un cadre qui est le plus propice à la spéculation dans l’univers des MFI dans le monde. La seule
restriction à cette tendance est que, pour l’instant, il y a seulement une transaction par jour par titre.
La première catégorie de facteurs qui attire l’attention est la catégorie des facteurs
macroéconomiques liés à l’endettement. Sur les 4 facteurs, la Malaisie donne des éléments favorables
aux facteurs. Ceci s’explique notamment par la prolifération de produits répliquant l’intérêt, la CMT, la
domination de produits de dette, la forte tolérance aux actifs incorporant plus de dettes que d’autres
juridictions… Pour les deux autres catégories de facteurs exogènes, le pays est potentiellement exposé,
souvent à cause de vides juridiques faisant que le facteur n’est pas cadré. Pour la volatilité et la
domination d’opérations parallèles, certains éléments favorisent clairement ces facteurs. Notons qu’à
travers un entretien avec le directeur de BursaMalaysia (Janvier 2014), ce dernier nous a confirmé qu’il
ne verrait pas d’inconvénients à l’entrée du THF dans le pays. Le ton est clairement donné, et en
phase avec les autres observations.
Pour les facteurs endogènes, les facteurs comportementaux n’ont, en toute logique, que peu de
freins, à l’instar des autres cadres analysés, vu que l’intention de spéculer est acceptée d’emblée. Pour
les transactions, trois d’entre elles sont explicitement permises en Malaisie, à savoir les ventes futures,
les ventes à découvert et un certain nombre de produits dérivés. Ces trois facteurs sont donc
clairement favorisés par le cadre malaisien, ce qui est de nature à faciliter leur manifestation.

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- 380 -
5.2.2 Enquête auprès d’experts de la FI de marché
Le questionnaire quantitatif de la partie IV a permis de passer une seconde étape majeure dans
l’organisation et la structuration des facteurs de la spéculation, par catégories (grâce à l’étude
documentaire préalable) selon le poids de la contribution de chaque facteur. Nous nous proposons de
retenir ce plan final obtenu suite à la nouvelle hiérarchisation issue de l’enquête, dans l’ordre de
dépouillement des résultats de cette seconde enquête. Les catégories ayant été confirmées, nous les
conserverons. Il est maintenant temps de passer en revue le second volet de nos questionnaires, celui
des entretiens menés auprès des experts des MFI. Au sein de ce chapitre, nous exposerons les
résultats issus de cette enquête. L’un des principaux objectifs est de confronter ces résultats d’une
part aux nuances relevées en troisième partie et d’autre part à l’ampleur négligeable des nuances
constatée à l’issue des analyses de bilans. Il sera aussi intéressant d’analyser ces résultats du point de
vue des projections de baromètre obtenues lors de l’analyse des cadres et des 2 pays modèles
choisis. Une fois les résultats de l’enquête relatés, nous projetons ces résultats sur notre baromètre,
dans la même logique que les analyses précédentes.

5.2.2.1 Cadrage du panel et du questionnaire

Précisons d’emblée que ces experts des MFI sont très peu nombreux. La première raison d’une
telle rareté est l’inexistence en pratique de MFI complets et aboutis. Cela implique que la majorité des
praticiens de ce domaine sont plutôt spécialisés dans les marchés financiers conventionnels, ou en sont
encore au stade de la recherche au niveau des marchés islamiques. Certains d’entre eux ont
éventuellement participé à la structuration de produits financiers islamiques mais cela ne les rend pas
pour autant praticiens experts des MFI, avec tout ce que cela requiert comme expertise réglementaire,
financière et économique. Par ailleurs, il est utile de préciser qu’au vu de la rareté des répondants,
nous allons inclure les questionnaires soumis lors de la phase test du guide d’entretien à notre analyse,
et qui étaient de nature qualitative 277 . Ces questionnaires ont subi un nombre important de
modifications au fil des premiers entretiens, pour gagner en pertinence. Ils ont l’avantage d’enrichir
sérieusement l’analyse par rapport au questionnaire quantitatif. En somme, nous avons une vingtaine
de répondants. Précisons que Reuters, avec leur large réseau de contacts, ont eu 40 répondants pour

277Ces questionnaires de la phase test et d’élaboration du guide d’entretien ont été soumis avant notre décision de passer au
questionnaire quantitatif, pour lequel nous avons seulement une douzaine de répondants. Ces deux catégories seront à chaque fois
confrontées pour essayer de dégager des conclusions adéquates, avec parfois des commentaires d’experts sur la question posée, qui
proviennent directement des questionnaires qualitatifs soumis lors des rencontres physiques.

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- 381 -
leur enquête sur les MFI en 2014278. Notre panel de répondants est donc en phase avec les tendances
de la discipline, qui manque cruellement d’experts. Face à cette difficulté, nous avons choisi de
persévérer afin d’aborder des profils divers qui sont pour chacun d’entre eux experts dans un sous-
système relatif aux MFI. A l’issue de cette analyse, nous dresserons quelques conclusions, qui
mériteront d’être approfondies dans les années à venir, lorsqu’émergeront de réelles places
financières islamiques intégrées dans le monde. Ces conclusions permettront d’observer dans quelle
mesure les nuances pratiques à la résilience de la FI, apportées en troisième partie, sont présentes et
ont du poids selon les praticiens des MFI. En effet, l’existence d’une dérive ne renseigne pas sur
l’importance qu’elle a, d’où l’intérêt de cette enquête et l’intérêt de la greffer aux nuances et aux
cadres réglementaires. Au terme de l’analyse, nos baromètres se complèteront.

5.2.2.2 Résultats de l’enquête

Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons les résultats de notre enquête auprès des
experts des MFI. Nous aborderons l’analyse de nos répondants en suivant notre plan du baromètre.

a. Les facteurs de la spéculation endogènes au marché

o Les comportements dominants

Cupidité, course au prestige entre traders

Une des premières questions de notre enquête a pour


but de constater dans quelle mesure la course au prestige
et l’envie d’être le meilleur sur le marché sont-elles
déterminantes dans le comportement des opérateurs de
MFI. Les réponses collectées confirment que 80% des
répondants ont répondu dans une mesure significative.
Cela montre que ce critère est parfaitement
présent même chez l’opérateur musulman.

Prise de risque excessive

Pour cette dimension, notre question s’intéresse à l’âge


moyen des opérateurs. Les informations recueillies
donnent un âge moyen autour de 35 à 40 ans, de
manière unanime. Cet âge est légèrement plus élevé que
l’âge moyen des opérateurs dans la finance classique, ce
qui favorise davantage de stabilité et de recul.

278 Thomson Reuters : Global Islamic Asset Management Report 2014

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- 382 -
A la question : Les produits les plus risquées finissent-ils
chez les opérateurs les plus solides ou les opérateurs
les plus aventuriers, les réponses furent variées. La
principale raison est l’absence de retour d’expérience
de MFI. Ainsi, 10% des répondants ont choisi les plus
solides, 20% ont opté pour une réponse neutre, à
savoir chez les deux, et 70% ont opté pour les plus
aventuriers. Malgré ces divergences, la tendance est
clairement à la seconde catégorie. Globalement, nous
pouvons en déduire que les caractéristiques de prise
de risque au niveau des MFI sont assez similaires à
celles des marchés conventionnels, avec une très
légère modération, une conclusion en phase avec nos
nuances de troisième partie. La similitude peut
s’expliquer par les lacunes des cadres régissant la prise de risque, mises à part les directives générales
de la FI invitant à éviter le risque excessif. Ce critère ne semble pas non plus exclu de la pratique des
MFI.

Ethique marginalisée et environnement favorisant la fraude

La question posée pour clarifier ce facteur fut la suivante :


Comment qualifieriez-vous l’implication des opérateurs de
MFI dans les considérations éthiques ? 60% des répondants
ont répondu « moyen », 30% important et 10% faible. Cette
claire majorité en faveur de la première réponse consolide le
sentiment ambiant au niveau des experts de la FI à savoir
que, bien qu’ayant parmi ses principes fondateurs l’éthique,
et bien qu’étant très légèrement en avance dans ce
domaine, la discipline est loin d’atteindre ses objectifs
initiaux en matière d’éthique. Il arrive même que certains
opérateurs de la FI essaient de justifier la spéculation dans
son sens le plus large comme pratique acceptable.

Dans la droite ligne de l’étude de ce facteur, nous avons


cherché à savoir dans quelle mesure le profit est-il le seul
indicateur de performance. 55% des répondants ont
répondu par la négative, soutenant l’idée que le profit
est un indicateur parmi d’autres alors que 33% des
répondants ont soutenu l’idée que le profit est le
principal indicateur, même chez les opérateurs des MFI.
Les réponses ne sont donc pas unanimes. N’étant pas un
élément sur lequel les cadres réglementaires actuels
agissent, même dans la finance conventionnelle qui est
largement plus outillée, il est somme toute naturel que
ce critère soit aussi présent en FI, bien que dans une
moindre mesure selon les répondants.

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- 383 -
La dernière question traitant du facteur de l’éthique
devait permettre d’identifier le nombre de cas de
fraudes d’ampleur enregistrées par année sur le
marché du répondant. 75% ont choisi la mention
« moins de 5 cas » et 25% « moins de 10 cas ». Les
fraudes sont donc présentes mais leur ampleur est
limitée comme spécifié par l’un des experts lors de nos
discussions.

L’intention préalable de spéculer à court-terme

Pour mesurer ce facteur, nous avons demandé quel


est le pourcentage de contrats délivrés à l’échéance.
11% des répondants choisissent « plus de 50% », 11%
des répondants choisissent « entre 10 et 50% », 22%
des répondants choisissent « autour de 10% » et 55%
choisissent « moins de 10% ». La tendance
clairement établie signale qu’une petite minorité de
contrats sont livrés à échéance, bien que cette
minorité puisse être supérieure aux chiffres dans la
finance conventionnelle (1 à 2%), cités dans notre
seconde partie. Certains répondants que nous avons
eu l’occasion de rencontrer signalent même que
« personne » ne souhaite la marchandise, bien que
les autorités requièrent son existence physique et la
possibilité de livrer en 7 jours, comme à BursaMalaysia. Par ailleurs, la tendance chez quelques
opérateurs des MFI est de ne pas voir d’inconvénients à l’intention initiale de spéculer, se démarquant
des penseurs de la discipline. Etant tout aussi difficile à cadrer légalement, ce facteur est un facteur
potentiel même au sein des MFI, en phase avec nos nuances de troisième partie.

o Les transactions principales

Les ventes futures

Afin d’appréhender ce facteur, nous avons demandé quel


est le pourcentage de futurs qui sont exécutés à leur
terme. 57% des répondants ont choisi « entre 10 et 50% »
alors que 43% des répondants ont choisi « moins de 10% »,
avec une précision que le chiffre est de 5% pour la place
Malaisienne, de la part d’un expert rencontré. Nous
pouvons donc avancer que même dans le cadre des
contrats financiers islamiques en bourse, ce n’est qu’une
minorité des contrats qui sont exécutés à leur terme,
voire une extrême minorité, cela variant selon les marchés
étudiés, confirmant la question précédente tout en
dépassant le cadre des futurs. A ce titre, il est utile ici de
rappeler que le panel provient de divers marchés.
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
- 384 -
L’assurance et la spéculation

Cette dimension fut abordée par la question : Les


contrats Takaaful peuvent-ils être titrisés et négociés sur
le marché secondaire ? L’extrême majorité a répondu
par la négative, quasiment à l’unanimité (près de 92%).
Nous sommes en effet très loin des pratiques du type
CDS négociés au sein des places occidentales, car le
Takaaful est un produit encore bilatéral.

La seconde question pour ce facteur fut : Ces


contrats Takaaful peuvent-ils couvrir les produits
qualifiés de « dérivés islamiques » ? La tendance fut
proche, avec 83% des répondants ayant opté pour
une réponse négative. Le Takaaful couvre
essentiellement les risques assurantiels primaires
(destruction de marchandise, risque de crédit...).
Néanmoins, certains experts ont spécifié que le
Takaaful peut éventuellement couvrir d’autres
risques. La porte n’est pas fermée.

A la question : Que représente le Takaaful dans le total


des volumes échangés, 66% ont choisi « moins de 10% »
et 33% « entre 10 et 50% ». Cela souligne dans quelle
mesure le Takaaful reste un produit minoritaire de la
FI, ce qui est confirmé lorsque nous comparons le poids
des compagnies Takaaful par rapport au poids des IFI,
qui reste inférieur à 10%.

La vente à découvert

Ce facteur étant assez limpide, nous avons demandé si


la vente à découvert est permise au sein du marché du
répondant. 87,5% ont répondu par la négative. La
pratique reflète clairement l’interdiction de vente à
découvert que l’on retrouve en FI. L’unanimité n’est pas
atteinte dans la mesure où des produits synthétisant
des processus de vente à découvert commencent à
faire leur apparition en Malaisie, mais n’ont que peu
de succès en pratique.

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- 385 -
Poids des dérivés

Afin de dégager une tendance pour les différents MFI,


nous avons demandé lesquels de ces ‘’dérivés
islamiques’’ est utilisé sur le marché secondaire. Les
produits les plus redondants sont les Sukuk basés sur la
dette (Salam, Murabaha...) et le tawarruq organisé, avec
une répartition similaire. Les contrats futurs sont cités
pour le cas particulier du marché malaisien. Les
autres ‘’dérivés islamiques’’ ne sont pour l’instant pas
négociables sur le marché secondaire (profit rate Swaps,
cross currency Swaps, forward, urbun, Wa’ad...). Le poids
des dérivés sur le marché secondaire en est donc très
réduit, mais la tendance est à l’élargissement.

Complexité croissante et innovation financière excessive

Deux questions furent posées pour ce facteur. La


première fut : Comment évaluez-vous le degré de
complexité dans votre marché ? 20% ont répondu
par « faible », 50% par « moyen », 20% par
« important » et 10% par « très important », soit une
répartition quasi-gaussienne des réponses, avec un
décalage vers la gauche et un pic au niveau de la
réponse « moyen ». C’est très compréhensible vu
l’âge de l’ensemble de l’industrie de la FI. Ayant
quasiment dix fois moins d’années d’expérience que
la finance conventionnelle, elle ne peut avoir toute la
panoplie d’outils disponibles. Les transactions sont
donc, pour le moment, relativement simples.

La seconde fut : Comment évaluez-vous l’innovation


financière dans votre marché ? Pour cette question,
50% des répondants ont choisi « Limitée » et 50%
« Moyenne ». La tendance à la complexification,
bien qu’étant entamée, est encore très lente, ce qui
laisse un horizon relativement dégagé pour les MFI
pour les prochaines années mais ne ferme pas la
porte à ce facteur.

Le spoofing

Ce facteur étant assez clair, il en allait de même pour la question. Nous avons demandé s’il est permis
d’annuler un ordre juste avant son exécution. 77,7% des répondants ont répondu par l’affirmative. Ce
procédé est donc possible dans beaucoup de MFI, mais qu’en est-il de son importance ?

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- 386 -
Sur la question de l’ampleur du spoofing, 80% des
répondants ont choisi « moins de 10% » alors que 20% des
répondants ont choisi « entre 10 et 50% », sachant que l’un
des répondants souligne qu’il n’y a pas de statistiques
précises à ce sujet pour les MFI. En tout état de cause, vu
que le spoofing représente 99% des ordres au sein des
marchés conventionnels, nous pouvons souligner que l’écart
est très large. La pratique, bien qu’existante, demeure
marginale à ce jour, étant explicitement prohibée en FI.
Nous pouvons alors penser que les annulations sont
essentiellement motivées par des causes réelles relatives à
l’opérateur et aux retournements économiques, et ne sont
pas destinées à une manipulation de cours.

b. Les facteurs de la spéculation exogènes au marché

o Cadre réglementaire

Possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal

En réponse à la question : Dans quelle mesure est-il possible


d’éviter des taxes en localisant le siège à l’étranger, 66% ont
choisi la mention « c’est possible ». L’arbitrage fiscal est
donc une option dans un certain nombre de marchés,
laissant la voie ouverte à ce facteur de la spéculation.

A la question : Comment évaluez-vous l’ampleur de


l’arbitrage réglementaire et fiscal, 66% ont choisi la
mention « modérée » et 33% la mention « importante ».
Etant donc non seulement une éventualité, l’arbitrage
réglementaire et fiscal est une pratique courante et
ancrée au sein de certains marchés et chez certains
opérateurs de la FI.

Domination des opérations et comptabilités parallèles

Afin d’évaluer les opinions des experts des MFI sur ce


facteur, trois questions ont été posées. La première fut : La
comptabilité hors bilan, le Shadow Banking et les
transactions de gré à gré existent-ils dans votre marché ?
Pour celle-ci, 83% des répondants ont répondu par
l’affirmative. Ces pratiques sont donc connues chez les
opérateurs de la FI, les questions suivantes nous
éclaireront sur leur ampleur.

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- 387 -
La seconde question fut : Quelle est l’ampleur des opérations
hors-bilan dans votre marché ? 75% des répondants ont
choisi la mention « Nulle / très faible », 12,5% des
répondants ont choisi « faible », et 12,5% des répondants
ont choisi « Existe ». Ce genre d’opérations est donc encore
minoritaire chez les opérateurs de la FI, mais pas nul.

Pour la dernière question, la pratique du Shadow


Banking existe-t-elle dans ce marché, 50% ont répondu
par l’affirmative, ce qui démontre que des
perspectives de prolifération du crédit en dehors du
contrôle des autorités monétaires sont
envisageables, notamment à travers des opérations
de Murabaha sur actions.

Cotation continue et fréquence des transactions

De nouveau, trois questions furent soumises. A la


question : Le Day trading est-il possible dans ce marché,
les réponses ont été affirmatives à l’unanimité. La voie
est complètement dégagée pour ce facteur de
spéculation vu que les opérateurs évoluent
généralement dans un cadre réglementaire
conventionnel.

A la question : Le THF pourrait-il venir à être autorisé dans


ce marché, 64% ont choisi de répondre par l’affirmative.
L’intelligence artificielle et les robots traders n’ont pour
l’instant pas vraiment d’obstacles dans les pratiques des
MFI.

A la question : Y a-t-il un temps minimum de


détention du titre avant sa revente, 85% des
répondants ont répondu par la négative, alors que
15% ont évoqué une durée de deux à trois jours, qui
s’explique par la compensation. La cotation continue
et la compensation immédiate dominent en réalité de
plus en plus de marchés. L’ensemble des éléments
propices à une augmentation de la fréquence des
transactions est en place.

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- 388 -
Déréglementation excessive et des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés que les
spéculateurs

A la question : Quelle est la posture dominante des


autorités de régulation, 77,8% ont choisi la mention
« Réactive », 11,6% la mention « Active » et 11,6% la
mention « Proactive ». La tendance principale est à la
réactivité, le décalage est donc présent même pour les
MFI.

A la question : Dans quelle mesure les


ressources humaines et financières sont-elles
suffisantes afin de mener correctement leur
mission, 33% ont répondu « Très faible », 44%
ont répondu « Partielle, doivent être
renforcées » et 22% ont répondu
« Largement ». Les répondants satisfaits des
organes de régulation ainsi que de leurs
ressources financières et humaines sont très
nettement minoritaires.

A la question : Les organes de régulation ont-ils déjà imposé des amendes, 50% ont répondu par
l’affirmative, ce qui témoigne d’un certain suivi mais aussi d’une négligence pour d’autres marchés.

Poids et pouvoir des lobbys financiers

Pour évaluer le poids et le pouvoir des lobbys


financiers, nous avons choisi deux questions à
soumettre. La première fut : Les autorités ont-elles
récemment procédé au sauvetage d’un acteur majeur
de la finance ? 66% ont répondu par l’affirmative.
L’aléa moral existe donc bel et bien à un haut niveau
même pour les MFI.

A la question : Ces opérateurs financiers exercent-ils une


sorte de pression sur les régulateurs, 77,7% ont répondu par
l’affirmative. Ces pratiques sont donc significatives même
dans les marchés comportant des produits de la FI. Il est à
souligner que ces marchés n’étant pas matures, il est peu
envisageable d’y observer l’activisme de structures de contre-
pouvoir telles que les associations anti-lobbying, ou de
protection du consommateur au niveau de la finance, qui
prolifèrent généralement au sein des marchés avancés. et
matures.

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- 389 -
Contexte financier

Structure oligopolistique et conflits d’intérêt

Afin d’explorer les opinions relatives à l’ampleur de ce


facteur dans les MFI, deux questions furent soumises. La
première fut : Les agences de notation sont-elles payées
par les entreprises qu’elles doivent noter ? 83% des
répondants ont choisi l’affirmative. La question du
conflit d’intérêt et de l’objectivité des notations ainsi
que leur neutralité est donc tout aussi posée que dans
les marchés conventionnels.

A la question : Quelle est la part de marché des cinq plus


grandes institutions financières, 22% des répondants ont
choisi « moins de 50% », 66% ont choisi « entre 50 et
80% » et 11% ont choisi « plus de 80% ». La tendance est
à considérer que les cinq principaux acteurs détiennent
50% à 80% des parts de marché, ce qui est proche d’une
situation oligopolistique, facilitant les pressions, les
manipulations, et tout autre élément contraire à la
transparence et l’atomicité dans un marché.

Domination de l’analyse comportementale sur l’analyse fondamentale

Cette dimension étant délicate à appréhender, nous avons


demandé si les analystes financiers sont-ils plus intéressés
par la première que par la seconde. 55,5% des répondants
ont répondu par l’affirmative, ce qui dénote une large
présence de cette frange d’analystes qui suit davantage les
mouvements psychologiques de marché et de foules que les
fondamentaux, en ligne avec les marchés conventionnels
sur ce point.

Volatilité

Nous avons par la suite demandé comment nos répondants


évaluent la volatilité des MFI. 33% ont choisi « Ne sont pas plus
volatiles », 55% ont choisi « Ont une volatilité similaire » et
11% ont choisi « Ont une volatilité légèrement supérieure ». La
tendance est donc à dire que quand la volatilité n’est pas la
même, elle est légèrement inférieure. La similarité s’explique
par le fait que de nombreux marchés sont des sous-marchés de
compartiments conventionnels. L’infériorité s’explique elle
probablement par le nombre inférieur de produits dérivés.

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- 390 -
Asymétrie d’informations, opacité et fausses rumeurs

Pour apprécier ce facteur, nous avons demandé si des cas de


délits d’initiés furent relevés récemment. 25% des
répondants ont choisi « Aucun cas », 75% des répondants
ont choisi « Quelques cas ». La domination de la réponse
affirmative a de quoi étonner dans un marché supposé
éthique et opérant dans la FI. Ce paradoxe mérite d’être
souligné, et nous accompagnera dans la majorité des
facteurs, toujours en phase avec les nuances de troisième
partie et en contradiction avec la vision idéalisée de la FI
dominant les écrits.

A la question : Dans quelle mesure les délits d’initiés,


l’opacité et les fausses rumeurs sont-ils des phénomènes
récurrents, 37,5% ont répondu par « De manière assez
significative » alors que 62,5% ont affirmé que ces
phénomènes reviennent de manière « Significative ».
Cette unanimité à répondre par l’affirmative est encore
plus étonnante et intéressante par rapport à la première
question. Par souci de synthèse, nous avons regroupé ces
facteurs qui mériteraient une étude étayée pris un à un.
Là encore, la tendance est à affirmer que les
transgressions liées à l’asymétrie d’information,
volontaires et involontaires, font partie intégrante des MFI.

La rentabilité d’activités financières dépasse celle de l’économie réelle

Deux questions furent posées pour ce facteur. La première


fut : La profitabilité du secteur financier dépasse-t-elle celle
de l’économie réelle ? Les répondants se sont répartis en
trois groupes, par rapport aux réponses « Supérieure »,
« Similaire » et « Inférieure ». Cette absence de tendance au
niveau des réponses peut s’expliquer par l’hétérogénéité de
la situation des opérateurs selon la maturité du marché dans
lequel ils opèrent, du fait de la relative jeunesse de la FI.

A la question : Comment évaluez-vous la rémunération des


traders par rapport aux opérateurs de l’économie réelle, 28,5%
des répondants ont choisi « modérée », 28,5% affirment
qu’elle est « élevée » et 43% pensent qu’elle est « très
élevée », ce qui rappelle les différences que l’on retrouve dans
la finance conventionnelle. D’ailleurs, un certain nombre
d’experts rencontrés soulignent que la situation des opérateurs
de la FI ne diffère pas trop de celle de leurs collègues de la
finance conventionnelle. Le hiatus entre activités financières
et activités de l’économie réelle est donc toujours présent.

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- 391 -
o Contexte macroéconomique d’endettement

Le système bancaire, la dette et la détérioration de la solvabilité

Afin d’évaluer ce facteur, deux questions furent


soumises. Pour la première, « quel est le niveau
d’endettement des opérateurs financiers », 37,5% des
répondants ont avancé « à moins de 30% », 37,5% ont
choisi « 30 à 60% » et 25% des acteurs ont choisi « à
plus de 60% ». Il est intéressant de noter que ce
dernier choix est favorisé par les acteurs qui ont opéré
sur divers marchés, alors que les acteurs Malaisiens
optent pour un endettement plus modéré pour leur
marché. Ces niveaux de dette constatés démontrent
que bien que l’endettement soit peu recommandé en
FI, de nombreux acteurs s’exposent à la dette en
accroissant le risque systémique de manière
inéluctable. Cela varie énormément d’un marché à l’autre.

Concernant la seconde question, dont l’objet est de savoir si


La règle de Volker (séparation des dépôts et des banques
d’investissement) est marginaliséedans le marché du
répondant, 47,5% ont répondu par l’affirmative. Cet état de
fait favorise un certain laxisme dans l’utilisation des
liquidités pour certains marchés, biens qu’ils ne soient pas
majoritaires.

La création monétaire et l’abondance de liquidités

A la question : Votre marché opère-t-il dans le cadre


d’une politique monétaire expansionniste
accompagnée de faibles taux d’intérêts, 10% des
répondants ont répondu par la négative, 10% ont
répondu par « Pas vraiment », 10% ont choisi la
réponse « Politique adaptable » et 70% ont choisi une
réponse affirmative. La tendance est donc clairement
à l’expansion monétaire et l’abondance de
liquidités, ce qui favorise un certain nombre d’autres
éléments par ailleurs. Soulignons que ce facteur est
très corrélé aux tendances économiques et
monétaires à l’international, et donc qu’il doit être
relativisé dans une certaine mesure par rapport à cela
et aux politiques monétaires conjoncturelles

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- 392 -
La titrisation et la négociabilité de la dette et des intérêts

Au niveau de ce facteur, nous avons choisi la


question suivante : Quel est la part des produits de
dette et de liquidité dans le volume des
transactions ? La lecture des réponses montre que
8,3% ont choisi « 0% », 41,7% ont choisi « 10 à
20% », 25% ont choisi « 20 à 50% », 25% ont choisi
« plus de 50% ». Notons ici que la titrisation et la
négociabilité de la dette est autorisée de manière
largement plus ample en Malaisie que dans les pays
du Golfe. Dans ces derniers, les titres de dettes ne
sont pas négociables pour la partie FI d’après
certains opérateurs. Malgré l’autorisation en
Malaisie, la négociation d’actions domine largement
le marché, ainsi que celle de contrats futurs pour
l’huile de palme. Les produits de type Tawarruq organisé ou encore CMT sont purement des produits
de liquidité, peu négociés sous forme de titres certes, mais largement dominants au niveau des
banques elles-mêmes, et ceci même dans les pays du Golfe. Ces produits furent la cause de la bulle en
Arabie Saoudite en 2004 selon l’un de nos experts. C’est l’étape de titrisation donc qui cache leur
prépondérance au niveau des marchés secondaires, qui sont notre objet d’étude ici. Cette titrisation
pourrait n’être qu’une question de temps, bien que les taux de croissance de ces produits déclinent, au
vu des controverses qui les entourent. D’une manière générale, ces produits demeurent minoritaires
bien que relativement présents au niveau des IFI, ce qui est à la base en décalage par rapport à
certains principes de la FI.

Le levier

Pour avoir une idée précise sur l’ampleur du levier


dans le marché du répondant, nous avons posé la
question : Quel est le niveau/ratio du levier (combien
de Dollars pouvez-vous emprunter/investir avec un
Dollar) ? Sur cette question, 12,5% des répondants ont
choisi « 0% », 62,5% ont choisi « Moins de 100%, ou
moins de 10$ », 12,5% des répondants ont choisi
« 100%, ou 10$ » et 12,5% ont opté pour « Plus de
100%, ou plus de 10$ ». Le levier est donc d’une
manière générale omniprésent dans la quasi-totalité
des marchés étudiés, mais son niveau varie. Toutes
les IFI font du levier, notamment à travers les
instruments et Sukuk de dette.

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- 393 -
5.2.1 Projection du baromètre sur les résultats de l’enquête
Suite aux résultats précédemment étayés et afin de déployer une projection pertinente de
notre baromètre, nous avons choisi de procéder à un traitement en deux temps. Dans un premier
temps, nous reprendrons les réponses et éléments de réponse qui permettent de constater dans
quelle mesure nous pourrons considérer, en l’état actuel des pratiques de la FI, que le facteur avait la
possibilité de se manifester ou se manifestait déjà dans une certaine mesure, au sein de certaines
juridictions. Ensuite, nous allons traiter la mesure de l’ampleur du facteur dans un second temps, à
travers une seconde projection, qui détaillera davantage de manière chiffrée, les résultats de l’enquête.

5.2.1.1 Projection sur l’existence des facteurs


Ce premier baromètre présente l'existence de réponses affirmatives, ou pas, facteur par facteur.
Dans certains cas, nous avions choisi de faire précéder la question sur l’ampleur du facteur par
l’existence du facteur, ou l’inexistence de freins à ce facteur. Nous laissions la question sur l’ampleur
en second lieu. La logique est simple : Dès lors que l'un des experts donnait une réponse affirmative
par rapport à son marché, nous en déduisons qu'il existe au moins une juridiction de la FI où ce facteur
se manifeste. Pour les facteurs qui n’ont qu’une seule question, la réponse à l’existence du facteur
découlait directement de la réponse à l’ampleur. Ce baromètre permet d’évaluer l’éventualité de
l’occurrence du facteur, si son occurrence est avérée dans au moins l’une des juridictions de MFI
dans le monde.
Le constat global est édifiant. En effet, nous constatons que d’une manière globale, pour tous
les facteurs de la spéculation, il existe au moins une juridiction qui, déjà, en pratique, permet la
manifestation de ce facteur où l’incorpore clairement. Aucun des facteurs n’est épargné. Cette
projection du baromètre n’est pas sans rappeler la projection sur les nuances. Les nuances relevées au
travers de l’étude documentaire se retrouvent totalement confirmées par l’enquête empirique. Les
résultats sont sans équivoque et permettent de constater combien les MFI sont, dans leur globalité,
pris dans l’étau du risque d’arbitrage sharia. La portée des réglementations respectives se trouve
considérablement réduite de ce fait. D’un point de vue hypothético-déductif, il convient maintenant
d’avancer qu’en pratique, les MFI, pris dans leur globalité, ne sont pas du tout immunisés face aux
différents facteurs de la spéculation, du moins, dans l’état actuel des pratiques. Chacun des facteurs
peut se manifester dans au moins l’une des juridictions des MFI. Le baromètre ci-après récapitule les
facteurs, tous potentiellement présents dans au moins l’une des juridictions liées aux répondants de
notre enquête. Tout l’intérêt du baromètre suivant est de constater l’ampleur de cette exposition.

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- 394 -
Figure 49 : Récapitulatif des facteurs de la spéculation potentiellement présents dans au moins l’une des juridictions des experts interrogés

FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES


Poids FACTEUR Eléments du cadre étudié Poids FACTEUR Eléments du cadre étudié

CADRE FINANCIER CADRE REGLEMENTAIRE


6,14 11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige
COMPORTEMENTS

6,86
d'égo et de chiffres 12. Domination d'opérations et de comptabilités
6,36
parallèles
2. Prises de risque excessives (VaR +
7,10 6,80 13. Cotation continue et fréquence des transactions
stress test CISS?)

3. Ethique marginalisée et 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec


7,38
environnement favorisant la fraude 6,96 des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés
4. Intention préalable de spéculer que les opérateurs financiers
8,08
à court-terme
7,46 15. Poids et pouvoir des lobbys financiers

6,00 5. Ventes futures


TRANSACTIONS

6,02 16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt


6,76 6. Assurances et spéculation
17. Domination de l'analyse comportementale sur
6,48
6,78 7. Vente à découvert l'analyse fondamentale
7,30 8. Poids des dérivés 7,42 18. Voltilité
9. Complexité croissante et excès 7,64 19. Asymétrie d'information, opacité, fausses rumeurs
7,40
d'innovation 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
7,80
7,60 10. Spoofing financières dépasse celle de l’économie réelle

CADRE MACRO
LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de la
5,54
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs
6,66 22. Création monétaire et abondance de liquidités
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui n'ont que peu de chances de se manifester
6,76 23. Titrisation et négociabilité de la dette

7,60 24. Levier

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- 395 -
5.2.1.2 Projection sur l’ampleur des facteurs
En complément de la première projection des facteurs, ce second baromètre vient enrichir l’analyse ainsi produite en récapitulant les principaux
enseignements tirés de notre enquête auprès des spécialistes des MFI. Il permet de récapituler l’essentiel des informations que nous avons extrait de
cette enquête.

Figure 50 : Récapitulatif de l’ampleur des facteurs de la spéculation selon les experts interrogés

FACTEUR Eléments du cadre étudié FACTEUR Eléments du cadre étudié

CADRE REGLEMENTAIRE
66%: La domiciliation à l'étranger dans un but fiscal est possible ; Pour 66%
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire
1. Cupidité, course au prestige Pour 80% des répondants, ces traits de caractères sont significatifs même l'ampleur de ce phénomène est modérée et pour 33% elle est importante.
COMPORTEMENTS

d'égo et de chiffres au niveau des MFI. 12. Domination d'opérations et de comptabilités 83%: Ces opérations et pratiques existent ; 75% L'ampleur du hors bilan est nulle
Les opérateurs de MFI sont légèrement plus agés ; Pour 70% des parallèles ou très faible, et pour 12,5% elle est faible ; 50%: Shaddow banking existe.
2. Prises de risque excessives (VaR +
répondants, ce sont les plus aventuriers, et non les plus solvables qui 13. Cotation continue et fréquence des transactions 100%: Daytrading existe ; 64%: THF possible ; 85%: Aucune durée min de détention
stress test CISS?)
récupèrent les produits les plus risqués. 77,8% des répondants trouvent que leurs régulateurs sont dans une posture plutôt
3. Ethique marginalisée et Préoccupation ''moyenne'' pour l'éthique selon 60%; Seuls 33% voient que le 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec réactive ; 33% pensent que les RH et les ressources financières de régulation sont
environnement favorisant la fraude profit est le principal moteur des opérateur ; Moins de 5 fraudes pour 75%. des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés très faibles et 44% pensent qu'elles ne sont que partiellement suffisantes et
4. Intention préalable de spéculer Seuls 11% des répondants considèrent que plus de 50% des contrats à que les opérateurs financiers doivent être renforcées ; 50% des répondants affirment que leurs autorités de
à court-terme terme sont exécutés à échéance. régulation ont déjà imposé des amendes, et pour 50% ce n'est pas le cas.
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers 66%: L'autorité a récemment procédé à des sauvetages ; 77,7%: Lobbys influents

CADRE FINANCIER
5. Ventes futures Aucun des répondant ne considère que plus de 50% des futurs sont exécutés 83%: Les agences de notation sont payées par leurs propres clients ; 66%: La part
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt


92%: Le contrats takaaful ne peut être titrisé; 83% pensent qu'ils ne peuvent de marché des 5 acteurs financiers majeurs est entre 50 et 80% ; 11%: >80%.
6. Assurances et spéculation
couvrir les dérivés; 66% voient qu'il représente moins de 10% des échanges. 17. Domination de l'analyse comportementale sur 55%: Les analystes financiers sont plus intéressés par l'analyse comportementale
7. Vente à découvert 87,5%: Prohibée dans leurs marchés respectifs. l'analyse fondamentale que par l'analyse fondamentale.
8. Poids des dérivés Dérivés globalement non négociables. 18. Voltilité 33%: Volatilité inférieure ; 55%: Volatilité similaire ; 11%: Volatilité supérieure.
9. Complexité croissante et excès Pour 20% la complexité est faible, pour 50%, elle est moyenne ; Pour 50% 19. Asymétrie d'info, opacité, fausses rumeurs 62,5% Phénomènes signigicatifs ; 75%: Des cas de délits d'initiés se sont produits.
d'innovation l'innovation est moyenne et pour 50% elle est limitée. 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités 33% Pensent que cette rentabilité est supérieure, 33% qu'elle est similaire ; 43%
10. Spoofing Pour 77% il est permis, mais pour 80% il reste inférieur à 10% du volume. financières dépasse celle de l’économie réelle pensent que les gains des traders sont très élevés, 28,5% élevés.
CADRE MACRO

LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de la37,5%: Dette <30% ; 37,5%: Dette 30 à 60%; 25%: Dette>60% ; 47,5%: Règle de
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité Volker marginalisée.
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs 70% des répondants estiment que leur contexte monétaire est expantionniste
22. Création monétaire et abondance de liquidités
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui ont peu de chances de se manifester accompagné de faibles taux d'intérêt. 10% Pensent que ce n'est pas le cas.
THF: Trading à haute fréquence 23. Titrisation et négociabilité de la dette 41,7%: La part des produits de dette et liquidité dans les échanges est 10 à 20%.
62,5% affirment que dans leur juridiction, avec 1$, il est possible d'investir
24. Levier
jusqu'à 10$. Pour 12,5%, il est possible d'investir encore plus que 10$.

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Tout d’abord, ce baromètre permet de constater qu’en pratique, et de manière chiffrée, les
conclusions sont moins tranchées que celles du baromètre de l’existence des facteurs. En effet, ce
baromètre se veut plus pragmatique, dans la mesure où il nous permet de constater l’orientation des
répondant, les réponses dominantes et les moyennes recueillies. Ainsi, bien que chacun des facteurs
puisse se manifester quelque part, nous pouvons estimer que, d’une manière générale, certains
facteurs sont encore loin d’être des réalités redondantes. Pour d’autres, c’est effectivement le cas.
A cet effet, nous voyons qu’au niveau des facteurs comportementaux, les deux premiers sont
significatifs même au sein des MFI, alors que les deux seconds sont plausibles, mais moins prononcés.
En toute logique, les facteurs comportementaux sont donc, en pratique, déjà présents et sans vrais
garde fous, comme nous l’avons constaté avec l’analyse des cadres AAOIFI et IFRS. C’est au niveau des
transactions que les MFI sont encore relativement résilients. Tous les facteurs sont pour l’instant
négligeables et bien cadrés, même en pratique, sauf celui des ventes futures qui bénéficie de quelques
brèches dans certaines juridictions. Le bilan pratique assez positif de la sous-catégorie transactions
rappelle l’analyse des normes AAOIFI sur la partie transactions ainsi que les conclusions de l’analyse
des bilans des IFI, montrant que les produits spéculatifs sont encore très marginaux en volume. Le
recoupement de trois analyses distinctes consolide la crédibilité de nos conclusions.
Au niveau des facteurs exogènes, les constats sont plus en faveur de l’expression manifeste des
facteurs en pratique. Quatre des cinq facteurs liés au cadre réglementaire sont fortement présents au
sein des MFI selon nos répondants. Seul le facteur de la domination des opérations parallèles reste au
niveau du plausible, qui est déjà un niveau de manifestation non négligeable, au vu des statistiques
collectées. Les paradis fiscaux, eux, semblent être une pratique courante pour les MFI, de même que le
daytrading, le lobbying ainsi que les carences réglementaires. Pour ces facteurs, nous sommes dans des
réponses affirmatives et critiques pour près de 70 à 100% des répondants, selon le facteur. Le cadre
financier donne un paysage encore plus tranché, vu que selon nos répondants, 5 facteurs sur 5 se
manifestent fortement même pour les MFI. Nous sommes là encore, toujours dans des niveaux qui
dépassent les 50 ou 60% en faveur de la présence significative du facteur. Enfin, pour les facteurs liés
au cadre macroéconomique d’endettement, deux facteurs sur quatre sont significativement présents
dans les MFI. Il s’agit de la création monétaire avec l’abondance de liquidités ainsi que du levier. Les
MFI évoluant dans leur écrasante majorité dans des contexte de marché conventionnels, ils présentent
donc naturellement des profils similaires quand il s’agit de traiter du contexte macroéconomique.
En somme, cette projection va dans le sens des nuances, de manière plus mesurée pour
certains facteurs, sauf pour les transactions, qui semblent pour le moment bien épargnées. Cette
conclusion est fondamentale, car elle confirme notre analyse des bilans des IFI, focalisée sur les
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transactions. Nous y avions conclu que les transactions spéculatives étaient négligeables au niveau
des bilans des IFI. Cette conclusion est confirmée par les experts des MFI à travers notre
questionnaire. Les éléments se recoupent donc parfaitement, des nuances aux analyses des cadres en
passant par les bilans puis par l’enquête empirique. En dehors des transactions, le reste des facteurs
se manifeste de manière significative, pour leur extrême majorité (13 sur 18). Sur ces aspects et au
vu des résultats de notre enquête, nous pouvons dire que les MFI sont non seulement loin d’être
immunisés, mais qu’ils sont sérieusement exposés à la manifestation de 13 facteurs. Ils sont donc,
très vraisemblablement exposés aux vagues spéculatives ainsi qu’aux retournements qui s’en suivent,
avec toutes les conséquences de la spéculation déjà analysées en première partie. Nous procédons,
dans la suite du développement, à l’élaboration d’un baromètre synthétique et comparatif, en guise de
récapitulatif de l’ensemble des analyses précédentes. En somme, il s’agit de proposer un baromètre
qui reprend l’essentiel de chacune des projections de baromètre de cette partie, afin d’avoir une vision
globale, tant il y a d’éléments à considérer.

5.2.2 Projection du baromètre de synthèse et analyse


Dans l’optique de rendre nos projections plus lisibles et intelligibles, nous avons jugé fort utile
de revenir du détail analytique vers un schéma synthétique. En effet, bien des analyses sont mises en
valeur lorsqu’elles sont comparées. C’est à cet effet que nous reprenons dans cette section l’ensemble
des projections de baromètres, tout en gardant les trois dimensions de manifestation des facteurs (très
restreinte, plausible, significative). Nous mettons en perspective les baromètres successifs. Ils sont huit
au total. Il convient de préciser que ce baromètre comparatif de synthèse ne peut être appréhendé
s’il n’est pas procédé à une lecture au préalable des huit baromètres le composant, au niveau des
sections précédentes. L’étude d’un facteur, à travers ce prisme comparatif, permet de voir quelle est la
manifestation de ce facteur et les cadres éventuels qu’il peut avoir, selon l’angle, le corpus, ou le pays
d’étude. Nous n’avons pas omis de reprendre notre analyse du corpus Tahawwut en annexe, à travers
le baromètre des nuances (colonne 3) en ajoutant la mention ‘’T’’ lorsque l’une des normes Tahawwut
participait à la manifestation du facteur. Nous avons commencé la première colonne par le baromètre
lié à notre idéaltype, le MFI basé sur les principes fondateurs de la FI, et immunisé sur l’ensemble des
facteurs, et clos par la projection du baromètre sur les résultats de l’enquête empirique avec un
chemin allant du théorique au pratique, en passant par différents cadres réglementaires et marchés
qui sont des références en FI. En dernière colonne, nous avons ajouté une note de synthèse, notre
propre appréciation du facteur, à l’issue de la comparaison, en insistant sur son ampleur pratique, le
niveau de réglementation qui est censé l’encadrer et sa manifestation potentielle au sein des MFI.
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Figure 51 : Synthèse comparative de l’ampleur des facteurs de la spéculation selon les différents cadres

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Sur ce baromètre comparatif de synthèse, deux colonnes sont clairement symétriques : Celle de
l’idéaltype représentant le MFI idéal basé sur les principes fondateurs de la FI et celle de l’enquête
reflétant l’éventualité de l’occurrence des facteurs, à travers leur présence ou manifestation dans au
moins une des juridictions de MFI dans le monde. Cela résume assez succinctement les démonstrations
de la partie III, explicites sur la résilience théorique à tous les facteurs, contrairement aux pratiques
répertoriées dans le monde, qui permettent la manifestation de tous les facteurs, de manière
sporadique. Les éventualités de dérives sont donc réelles pour tous les facteurs. Cela étant dit, nous
constatons aussi une opposition assez significative entre l’état du marché soudanais et le marché
malaisien. Là où le premier est très conservateur et résilient à une majorité de facteurs, le second est
plutôt libéral, et exposé à une majorité de facteurs, avec de nombreux facteurs déjà bien ancrés. Au
niveau des normes, nous constatons qu’une superposition des normes AAOIFI et IFSB, si elle est bien
appliquée, donnerait une piste de marché intéressante, présentant une résilience à 50% des facteurs.
Cela demeure bien évidemment très incomplet, vu que l’idée préalable à notre baromètre est qu’il
suffit que quelques facteurs se manifestent fortement pour que la spéculation devienne une réalité
dans un marché.

Conclusion du chapitre
L’analyse de nos deux pays de référence a permis de voir que les modèles soudanais et
malaisien sont loin d’être similaires du point de vu de la résilience. Alors que le Soudan n’a
d’exposition significative qu’à un seul facteur (prise de risque excessive) et qu’il a une exposition
potentielle à 8 facteurs, la Malaisie est significativement exposée à 10 facteurs et potentiellement à
13 facteurs. Afin de clarifier l’hétérogénéité qui règne au niveau des juridictions, les résultats de notre
enquête ont également été projetés sur deux baromètres : l’un permettant d’appréhender si le facteur
existe dans l’une des juridictions et l’autre décrivant l’ampleur moyenne du facteur dans la globalité
des juridictions. Pour le premier, le résultat est sans appel : Pour chacun des facteurs, il existe au
moins une juridiction qui, en pratique, permettait sa manifestation où l’incorporait clairement. C’est
valable pour tous les facteurs. Au niveau de l’ampleur, les résultats sont plus mesurés mais
demeurent surprenants. Cela se constate avec 13 facteurs qui sont déjà au niveau significatif et
seulement 5 facteurs qui sont pour l’instant relativement cernés et faibles.
Pour les facteurs comportementaux, les MFI sont en présence de nombreuses lacunes, tant
au niveau des normes que des pratiques. Nous avons amplement détaillé les raisons liées à cet état de
fait, la plus importante étant que le comportement et l’intention de l’opérateur sont ce qu’il y a de plus
délicat à cadrer avec des normes. Il est évident que ces facteurs ont une large latitude pour se
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manifester dans les MFI, tout en sachant que c’est déjà fortement le cas pour la cupidité et la prise de
risque. Les transactions, elles, semblent les plus épargnées pour l’instant, en phase avec l’analyse des
bilans des IFI, bien que pouvant se manifester également, l’exemple malaisien étant le plus édifiant à
ce titre. Nous observons des lacunes au niveau des normes comme pour la complexité, le spoofing et
les ventes futures. Ces lacunes sont par contre absentes du marché soudanais. En l’état, bien que
marginales, les carences des normes laissent à penser que les transactions controversées, comme
certaines avancées par le Tahawwut ou encore par certains comités sharia isolés, ont une certaine
latitude qui leur permet de se manifester à l’avenir.
Dans l’ensemble, les facteurs exogènes sont tous déjà en situation critique. C’est le cas tout
d’abord des facteurs liés au cadre réglementaire. L’arbitrage est une pratique courante pour les MFI.
Les opérations parallèles, bien que surveillées par certaines normes, sont présentes dans les MFI, dans
une moindre mesure. Le daytrading est déjà de mise, et il n’y a pas d’obstacle au THF. La dérégulation,
bien qu’aux antipodes des normes et très cadrée, se retrouve significative en pratique. L’écart entre
règles et pratiques est colossal pour ce facteur. Le lobbying, lui, est tout aussi manifeste, et encore
moins cadré par les normes que le précédent. Il en va de même pour les facteurs liés au contexte
financier, tous déjà très significatifs dans les MFI. Bien que très normés, les oligopoles et conflits
d’intérêt sont courants. C’est aussi le cas pour la domination de l’analyse comportementale, qui plus
est, moins cadrée. La volatilité est de mise, bien qu’assez cadrée. L’asymétrie d’information, l’opacité
et les fausses rumeurs sont dans le même cas. Quant à l’attractivité d’activités purement financières
par rapport à l’économie réelle, elle est majeure, et inexistante dans les normes. La voie lui est donc
largement ouverte, et cela n’a pas manqué de se constater en pratique. La situation des facteurs liés
au contexte macroéconomique d’endettement est relativement similaire, dans la mesure où les MFI
embryonnaires évoluent dans des contextes conventionnels. Bien que la solvabilité, les prêts et les
intérêts soient extrêmement cadrés, la dette est présente en pratique, accompagnée parfois de
pénalités. L’abondance de liquidité est la même que dans l’économie conventionnelle, ce qui rend le
facteur très présent. La titrisation et la négociabilité de la dette est présente en pratique, bien que
dans une moindre mesure. Enfin, le levier est très important, même dans les MFI, vu qu’il obéit aux
normes du marché conventionnel dans lequel l’IFI évolue. Les normes IFSB et AAOIFI divergent
d’ailleurs à son sujet, ce qui ne manque pas de favoriser un certain arbitrage. Ces divergences restent
un sujet de débat ouvert quant à leurs implications actuelles et futures.

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- 401 -
CONCLUSION GENERALE

Au terme de cette thèse, il convient de conclure nos analyses. Le sujet est riche et fécond en
matière de réflexion. La conclusion permettra de récapituler les travaux dans leur ensemble, depuis
l’initiation de ce travail de recherche jusqu’à son aboutissement.

CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE
Les économies internationales ont subi ces dernières décennies une accélération du rythme des
bulles spéculatives. Les économistes et les régulateurs donnaient le sentiment d’être dépassés par les
événements financiers et dépourvus d’outils adéquats à chaque crise. Dans ce contexte, la croissance
des pratiques financières alternatives s’est accompagnée de l’émergence de la FI. Un certain nombre
d’analyses, plusieurs dizaines (El Khamlichi, 2013), insistaient, démonstrations empiriques à l’appui, sur
la résilience des indices boursiers ‘’islamiques’’ et des IFI lors des dernières vagues spéculatives. Il n’y
avait plus de doutes sur l’impact plus limité, par rapport à l’impact de la crise sur les banques. Mais
cela ne renseignait pas assez sur la nature du rapport entre spéculation et MFI en détail et pour
l’avenir.
Or, lors de l’analyse de ces vagues, nous nous sommes retrouvés face à un ‘’chaos conceptuel’’
lorsqu’il s’agit d’étudier rigoureusement la spéculation. Avec davantage d’approfondissement, nous
avons constaté de nombreuses contradictions entre les principales définitions, puis théories, de la
spéculation. Il en va de même pour la FI. L’aspect novateur et intrigant du SEI, se retrouve souvent
prisonnier de postures idéologiquement ancrées et peu étayées d’un point de vue scientifique. La
résilience de la FI à la spéculation était souvent instituée comme pilier (Causse-Brocquet, 2012) et mise
en avant dans la défense des MFI, contrairement aux ‘’dérives boursières capitalistes’’, dans certains
cas à défaut d’arguments objectifs et scientifiques. La question était souvent résolue en quelques
lignes, passant du pilier à la résilience du sous-système représenté par les MFI, pourtant morcelés et
embryonnaires.
A la lumière des implications pratiques liées à ces développements, il devenait urgent et
nécessaire d’évaluer la validité des arguments, de manière scientifique et articulée. Dans la droite ligne
de cette évaluation, se posait avec insistance la question : Dans quelle mesure existe-t-il un risque de
spéculation au sein des MFI ?

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- 402 -
OBJECTIFS, INTERETS ET FINALITES
L’objectif principal derrière notre problématique était d’élaborer un instrument de mesure
universel du risque spéculatif et l’utiliser dans le cadre des MFI, afin d’évaluer plus précisément les
aspects résilients éventuels, avec le moins de subjectivité possible.
D’un point de vue méthodologique, il convient de souligner que, faute de pouvoir prouver par
une démarche hypothético-déductive que l’ensemble des facteurs de la spéculation sont absents des
MFI, et du fait du changement de posture ayant suivi le déplacement décisif en Malaisie et le test du
guide d’entretien, nous sommes passés à une approche hypothético-déductive falsificatrice. Il fallait
désormais montrer que les MFI ne sont pas immunisés, en réussissant à prouver l’existence de
facteurs de la spéculation qui pouvaient se manifester clairement au niveau des MFI naissants. A cet
effet, la clarification de notre idéaltype ainsi que notre référentiel conceptuel et notre instrument de
mesure furent incontournables. L’hypothèse principale de résilience devait être confrontée à sa
possible réfutation.
Dans le cadre de notre objectif principal, la première étape fut tout naturellement de clarifier
nos deux principaux concepts. Il fallait comprendre, de prime abord, s’il était justifié de parler de SEI.
Nous devions également identifier les différentes définitions de la spéculation afin d’aboutir à un cas
général qui constitua notre référentiel tout au long des travaux, pour dépasser l’hétérogénéité des
approches de la spéculation, tout en soulignant la contingence du concept. Cela impliquait de pouvoir
structurer les éléments entrant en considération lorsqu’il s’agit de comprendre la spéculation. Nous
avions également pour objectif de dresser une grille de lecture standardisée des théories de la
spéculation, afin de sortir de la confusion ambiante au niveau postures théoriques sur le concept. Cet
objectif fut un préalable à celui au travers duquel il fallait hiérarchiser les facteurs de la spéculation et
leur attribuer des indicateurs de mesure pertinents.
Concernant les MFI, il était nécessaire de comprendre la portée de l’interdiction de la
spéculation reprise dans la littérature liée à la FI, et sa pertinence. Ce faisant, il fallait sonder, dans un
premier temps, la résilience des principes de la FI à la spéculation. Nous devions également construire
un outil universel permettant d’appréhender objectivement la spéculation dans sa complexité.
L’objectif était, par la suite, de projeter ce baromètre sur les principales normes et pratiques de la FI en
vigueur et dépasser l’hétérogénéité des cadres légaux de la FI. Empiriquement, il fallait enfin vérifier la
résilience par rapport aux pratiques (réglementaires et de marché), en confrontant le baromètre à
une enquête auprès des experts des MFI, après une étude documentaire des normes (AAOIFI et IFSB),
des bilans des principales IFI et de deux pays de référence en FI : Le Soudan et la Malaisie.

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- 403 -
TRAVAUX
Nos travaux se sont articulés sur cinq axes principaux. Alors que le premier avait pour but de
clarifier les concepts utilisés ainsi que leurs implications, le second avait pour objectif de chercher à
consolider les analyses théoriques sur la spéculation, par des éléments pratiques. Le troisième portait
le même objectif, mais autour du concept de FI cette fois-ci. De portée nettement plus empirique, le
quatrième axe devait nous permettre de construire notre instrument de mesure sur la base des trois
premiers axes. Le cinquième axe reprenait logiquement l’ensemble de ces éléments pour les
confronter aux pratiques des MFI et constater l’exposition éventuelle de la FI à la spéculation.
Afin d’atteindre ces différents objectifs, nous avons, dans le cadre du premier axe, analysé les
éléments éparses liés à l’EI pour tenter, par induction, d’aboutir à une théorie globale de l’EI ainsi
qu’une théorie du risque en EI. Nous avons dû organiser les principales composantes du SEI, souvent
éparpillés dans différents travaux. Cela a requis de passer en revue les fondements jurisprudentiels, la
théorie des contrats en EI et les principes fondamentaux avant de discuter des institutions. Au niveau
du concept de spéculation, une analyse comparative des composantes de la spéculation a permis
d’aboutir à notre cas général, notre définition référentielle. Cela a nécessité une description détaillée
de chaque concept relevé dans l’une des définitions majeures de la spéculation. In fine, ces analyses
terminologiques et conceptuelles ont permis d'identifier une dizaine de composantes majeures à
retenir lorsque la spéculation est évoquée, et qui sont :
• L’incertitude, l’anticipation et l’information ;
• L’importance de la variation du prix par rapport à l’usufruit ;
• L’impact économique et physique limité de la transaction spéculative ;
• Le risque significatif ;
• Un certain nombre d’outils de prédilection ;
• L’horizon de court-terme privilégié ;
• La connotation péjorative redondante ;
• Les nombreux points communs avec les jeux ;
• L’aboutissement récurrent à un jeu à somme nulle.
Par la suite, nous avons procédé à une confrontation des principales théories de la spéculation
présentes dans la littérature classique et contemporaine, sous l’angle des composantes identifiées. La
confrontation s’est faite d’abord sur une base chronologique puis de posture idéologique. Elle a
notamment permis de mieux distinguer les causes des manifestations puis des conséquences de la
spéculation. Nous avons alors procédé à la construction d’un tableau synthétique simplifiant cette
confrontation. Cette construction s’est faite à travers l’angle d’une seconde classification plus
élaborée que la première, des facteurs de la spéculation, avec les catégories suivantes :

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- 404 -
• Eléments endogènes
o Spéculateurs et risque pris ;
o Intentions des spéculateurs ;
o Rationalité des spéculateurs ;
o Modalités opératoires.
• Eléments exogènes
o Relation à l’information ;
o Outils d’analyse dominants ;
o Contexte d’occurrence ;
o Impacts sur le marché.
A partir de ces éléments, nous avons dans notre second axe, grâce à un processus d’induction qui fait
suite à notre étude documentaire, construit une troisième nomenclature plus détaillée permettant de
classifier de manière plus logique et intelligible les facteurs de la spéculation, qui semblaient au
départ si entremêlés et confus. Cette nomenclature a subi un nombre très important de changements
et d’ajustements durant ces années de recherche.

1. Facteurs de la spéculation endogènes au marché


a. Les comportements dominants
i. Ethique marginalisée et environnement favorisant la fraude ;
ii. Cupidité, course au prestige entre traders ;
iii. Prise de risque excessives ;
iv. L’intention préalable de spéculer à court-terme.
b. Les transactions principales
i. L’assurance et la spéculation ;
ii. La vente à découvert ;
iii. Les ventes futures ;
iv. Le spoofing ;
v. Complexité croissante et innovation financière excessive ;
vi. Poids des dérivés.
2. Facteurs de la spéculation exogènes au marché
a. Cadre réglementaire
i. Possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal ;
ii. Domination des opérations et comptabilités parallèles (OTC) ;
iii. Déréglementation excessive et des autorités ayant des contrôleurs moins
qualifiés que les spéculateurs ;
iv. Poids et pouvoir des lobbys financiers ;
v. Cotation continue et fréquence des transactions.
b. Contexte financier
i. Domination de l’analyse comportementale sur la fondamentale ;
ii. Structure oligopolistique et conflits d’intérêt ;
iii. La rentabilité d’activités financières dépasse celle de l’économie réelle ;
iv. Volatilité ;
v. Asymétrie d’informations, opacité et fausses rumeurs.

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c. Contexte macroéconomique d’endettement
i. Le système bancaire, la dette et la détérioration de la solvabilité ;
ii. La création monétaire et l’abondance de liquidités ;
iii. Le levier ;
iv. La titrisation et la négociabilité de la dette et des intérêts.
Cette identification de facteurs a pu être consolidée, par leur confrontation aux pratiques, à partir de
la ‘’réalité sociale’’ Weber (1921). A travers cette confrontation issue d’une étude documentaire
approfondie, nous comprenions la déclinaison pratique de chacun de ces facteurs de la spéculation et
en quoi il favorise la spéculation. Il devenait alors plus aisé d’appréhender le risque spéculatif, sous
l’angle de facteurs plus clairs et plus précis à mesurer. Cette classification finale a permis de lier les
théories et les observations des pratiques de la spéculation issues de l’étude documentaire.
Avant de passer à l’enquête empirique qui devait permettre de vérifier la pertinence du
classement et des catégorisations choisies pour nos facteurs, nous avons cherché, dans le cadre de
notre troisième axe, à procéder à une première confrontation théorique des deux concepts,
nécessaire pour dans problématique. Il s’agissait pour nous d’évaluer, au niveau conceptuel
seulement, dans quelle mesure les principes fondamentaux de la FI permettaient d’éviter la
spéculation, et rendraient le MFI idéaltypique exempt de spéculation, tel que nous l’avons postulé
dans notre hypothèse principale. Ce faisant, nous avons repris notre nomenclature de facteurs, ainsi
élaborée, et procédé à une confrontation avec les principes théoriques de la FI. Tout au long de
l’analyse, nous avons, pour chaque facteur et à titre indicatif, ouvert l’analyse sur quelques exemples
pratiques, afin de nuancer, lorsqu’il le fallait, cette résilience. Cette ouverture a été complétée,
discutée et approfondie en cinquième partie à travers une analyse empirique de ces nuances.
Afin de consolider la pertinence de notre classification, nous avons soumis ces facteurs à
l’évaluation d’experts en finance de marché, à travers notre première et principale enquête
empirique élaborée en quatrième axe. Cette enquête a pris comme point de départ la nomenclature
obtenue à l’issue de la partie II, regroupant l’ensemble des facteurs de la spéculation identifiés. Elle fut
administrée à un public maîtrisant les concepts de finance de marché, tantôt académicien tantôt
praticien (près de 3500 contacts et près de 110 répondants sur une période de deux années).
L’objectif était de hiérarchiser et d’obtenir la pondération que devrait avoir chacun de ces facteurs
dans le baromètre, de manière à refléter sa contribution à la spéculation. Cela permettait aussi de
confirmer la catégorisation ainsi que la pertinence des facteurs en demandant si la liste est exhaustive.
L’analyse des réponses s’est d’abord concentrée sur une étude des statistiques univariées,
tournée vers les moyennes des facteurs et les effectifs des catégories de répondants. Elle s’est ensuite
focalisée sur les statistiques multivariées (ACP), afin de tester la cohérence de la classification

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retenue dans la partie II. Nous sommes passés par une matrice des corrélations, un test KMO de
sphéricité, un tableau de la variance totale expliquée, un graphique des valeurs propres, une matrice
des composantes ainsi qu’une carte factorielle, avant de reprendre l’analyse après l’élimination de
deux composantes. Nous avons par la suite proposé des indicateurs permettant de mesurer chacun
des facteurs. Une discussion de la pertinence des indicateurs proposés a eu lieu, afin de retenir les
plus appropriés. Les facteurs ont par la suite été mis en relation à travers l’étude des corrélations.
Notre baromètre fut par la suite structuré, schématisé, puis proposé en 5 versions, qui pourraient
répondre à différents besoins et contextes.
La phase finale, dernier axe de notre recherche, a consisté à utiliser les résultats de nos travaux
préalables (cadre référentiel et baromètre) afin d’y confronter les pratiques de la FI de marché. Après
avoir procédé à un récapitulatif de notre partie III (résilience théorique et nuances) à travers deux
projections de baromètre, vu qu’il était maintenant construit, nous avons synthétisé l’ensemble des
nuances évoquées en partie III, par rapport à certains produits, dans un tableau reprenant les critères
distinctifs de la spéculation. Ce récapitulatif fut analysé à la lumière des paramètres distinctifs de la
spéculation extraits de notre définition (référentiel conceptuel).
L’analyse des produits par rapport à nos critères distinctifs étant finalisée, nous avons alors
étudié les bilans d’une dizaine d’IFI dans le monde afin de constater la présence des produits les plus
spéculatifs dans leurs bilans, et vérifier l’ampleur des nuances. Cette étude terrain est partie des
communications financières officielles de ces IFI. Elle est un complément à l’enquête qui fut soumise
aux experts des MFI. Néanmoins, cette étude n’avait pas de caractère prospectif, contrairement à
l’enquête auprès d’experts. Elle avait pour rôle de décrire la situation actuelle de ces IFI par rapport à
certains produits et investissements propices à la spéculation. Par la suite, nous avons procédé à
l’analyse des principaux corpus de normes régissant actuellement les pratiques de marché en FI. Les
principaux corpus analysés, toujours sous l’angle des MFI et de la spéculation, furent les normes
AAOIFI, IFSB ainsi que le Tahawwut master agreement, à titre indicatif en annexe E.4 pour ce dernier.
Nous avons tenu à passer aussi en revue ce corpus bien moins reconnu, et plutôt controversé, bien
qu’il n’ait pas de portée internationale ni de juridiction support. Il est toutefois utilisé par l’IIFM et
certains acteurs privés de la FI. Nous l’avons analysé vu qu’il concerne directement les marchés
financiers et qu’il incorpore un certain nombre de produits qui sont familiers à la recherche. Etant un
support de travail existant, il se pourrait qu’il prenne plus d’ampleur, bien que peu d’indicateurs
permettent d’envisager cette perspective, vu qu’en dix ans, il n’a jamais vraiment émergé. Pour les
deux premiers corpus de référence (AAOIFI et IFSB), nous avons mis en avant les normes qui

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pouvaient constituer une porte d’entrée pour un produit ou une pratique ayant une portée
spéculative, mais aussi celles qui y constituent un frein.
Toujours au niveau pratique, nous avons procédé à l’analyse de deux pays de référence, sous
l’angle de notre nomenclature de facteurs. Il s’agissait du Soudan et de la Malaisie, deux pays
pionniers dans le domaine. Pour le Soudan, nous avons passé en revue l’ensemble de son corpus
réglementaire (lois, normes, règlements) liés à son marché financier ainsi qu’à l’autorité de régulation
et la banque centrale. Pour la Malaisie, nous avons compilé nos observations, lors de notre
déplacement, aux entretiens ainsi qu’au guide de l’autorité de régulation charia de la Securities
Commission (2007).
Le baromètre étant prêt, il ne restait plus qu’à le mettre en application en l’utilisant comme
support afin d’évaluer qualitativement les pratiques et normes de la FI de marché. Dans un premier
temps, il s’agissait de confronter les normes AAOIFI puis IFSB aux facteurs de la spéculation de notre
baromètre. Nous avons donc fait une projection des forces et faiblesses de ces normes sur notre
baromètre. Nous avons mis en exergue les points favorables et ceux défavorables à la spéculation,
ainsi que les vides juridiques sur certains facteurs, tout en décrivant, au sein du baromètre, le point de
la norme AAOIFI ou IFSB analysé. Nous avons par la suite procédé à une projection de l’étude des
deux pays de référence sur notre baromètre, ce qui portait le nombre de projections à six.
L’enquête auprès des experts des MFI est venue enrichir les constats liés aux normes. Nous
avons pris le soin d’analyser les réponses collectées, en les enrichissant parfois d’éléments liés aux
profils des répondants et au contexte, afin d’en tirer davantage d’enseignements. Au terme de
l’analyse, nous avons procédé à deux nouvelles projections. La première consistait à évaluer la
présence des facteurs dans au moins l’une des juridictions de provenance de nos répondants. La
seconde, plus détaillée, récapitulait les résultats de l’enquête pour évaluer l’ampleur réelle moyenne
des facteurs chez l’ensemble de nos répondants.
A l’issue des analyses, un baromètre comparatif et récapitulatif a été élaboré afin de fluidifier la
lecture des conclusions des travaux, et dont nous discutons les conclusions ci-après.

CONCLUSIONS INTERMEDIAIRES
A l’instar tout système économique complet et intégré, nous avons constaté que l’EI s’appuie
également sur des théories, axiomes, frontières, règles, institutions et principes directeurs
interagissant qui en font un SEI, remettant en cause l’assertion schumpétérienne d’absence d’avancée
majeure en économie durant cinq siècles. Ces éléments sont tirés des principes jurisprudentiels et des
objectifs (Maqasid) de la sharia, issus de processus d’Ijtihad approfondis. D’un point de vue holistique,
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le SEI s’appuie sur 7 piliers, 4 positifs et 3 négatifs, et se compose de 6 institutions essentielles qui
opèrent dans un cadre défini, que nous avons schématisé (Cf 1.1.4).
Lors de l’analyse du concept de spéculation, au-delà des divergences de définitions et de
théories, nous avons constaté que les modèles apportés étaient basés sur des hypothèses
déconnectées de la réalité, ce qui en rendait la portée bien limitée. Les modèles classiques et
néoclassiques sur la spéculation ne permettent pas de décrire la réalité complexe du phénomène.
Pour beaucoup d’entre eux, elle se rapprochait de l’arbitrage inter-temporel. Ils ont par conséquent
donné naissance à une vision séduisante et dominante, mais qui peine à apporter les réponses
adéquates aux excès spéculatifs. Ces modèles furent qualifiés par le prix Nobel Schiller (1990) de
‘’popular models’’ lorsqu’il démontrait leur impertinence. D’une manière générale, la tendance des
théories classiques et néoclassiques est d’essayer de démontrer que la spéculation a des effets
bénéfiques à travers l’apport de liquidité, la stabilisation avec la réduction de la volatilité, la
fluidification de l’information, etc. A rebours, la tendance des théories keynésiennes et
néokeynésiennes est de remettre en cause ces postulats, notamment en s’attaquant aux motivations
de base des spéculateurs, aux modes opératoires mis en avant par les néoclassiques et en mettant en
avant les conséquences pratiques bien loin des idéaux théoriques.
L’analyse des différentes doctrines a permis de comprendre que la spéculation ne pouvait se
réduire à des explications sommaires. Suite aux confrontations que nous avons menées entre les
définitions puis entre les théories, le concept devenait plus clair avec la définition que nous avions
désormais établie. La spéculation intervient en environnement incertain contrairement à l’arbitrage,
et en déconnexion de l’activité réelle, contrairement à la couverture. Vingt-quatre facteurs lui sont
liés, tel que nous le voyons à travers notre nomenclature finale, sur laquelle nous revenons pour
comprendre chaque facteur.
D’une manière générale, la spéculation est favorisée par deux grandes catégories de facteurs.
Les premiers, endogènes, regroupent deux sous-catégories. Ce sont tout d’abord des comportements
spécifiques qui favorisent la spéculation sur le marché. La cupidité des opérateurs financiers qui se
trouvent inscrits dans une course au prestige dans des milieux très spécifiques est le premier facteur.
Ces opérateurs ont tendance à dépasser certaines limites dans leur prise de risque. Ils sont
essentiellement motivés par le profit et ont également tendance à ne pas se préoccuper d’éthique,
voire à tomber dans la fraude. Cette intention d’aborder le marché de la même manière qu’un casino,
avec laquelle se présentent d’emblée certains opérateurs souhaitant spéculer à court terme, est tout à
fait propice à l’accroissement du risque spéculatif.

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Toujours au niveau des facteurs endogènes, nous avons relevé un certain nombre de
transactions plus propices que d’autres au développement de la spéculation. Ce sont tout d’abord les
contrats futurs qui servent de support adéquat à la spéculation, et qui sont d’une certaine manière,
une sorte d’assurance pour les uns, et d’outil spéculatif pour les autres. Ainsi, lorsque les assureurs
permettent aux opérateurs de couvrir leur risque excessif et spéculatif, et qu’ils se mettent eux-mêmes
à émettre des outils spéculatifs, voire à spéculer, il devient évident que leur rôle dans la spéculation
s’amplifie. Le risque spéculatif est accentué par la pratique de la vente à découvert, surtout en temps
de retournement, qui joue un rôle d’accélérateur étant donné que la spéculation peut se faire à la
hausse comme à la baisse. Les produits dérivés constituent, en outre, un véhicule parfait pour la
spéculation, tant ils répondent aux conditions Kaldoriennes. Plus ils sont complexes et ‘’innovants’’,
plus le spéculateur a de marge de afin de garder le maximum de personnes dans l’incompréhension.
Enfin, c’est également le spoofing qui accentue la spéculation en facilitant la manipulation et la
nuisance au rôle premier du marché.
Le second groupe de facteurs, exogènes, se compose en trois sous-catégories majeures. La
première regroupe les facteurs d’ordre réglementaire. Tout d’abord, la spéculation est favorisée
lorsque le cadre permet à l’opérateur de procéder à des arbitrages fiscaux et réglementaires,
notamment par les paradis fiscaux qui absorbent 50% des flux mondiaux échappant aux normes locales.
Elle est aussi favorisée lorsque ce ne sont plus les opérations officielles et les comptabilités principales
qui sont prisées, mais bien les opérations parallèles, non organisées et hors bilan. Des pratiques telles
que le daytrading et le THF (près de 90% des transactions aux USA279) permettent, elles, de spéculer
plus facilement, plus discrètement et bien plus rapidement. Au niveau réglementaire, il ne fait plus de
doute que la déréglementation qui a suivi les années quatre-vingt a amplifié les perspectives
spéculatives. Ce phénomène a eu pour corollaire la réduction du poids (budget et ressources) des
régulateurs par rapport aux opérateurs qu’ils sont supposés contrôler. Une telle situation est
également favorisée par un lobbying tenace du secteur financier, le plus puissant au monde, qui
pousse en permanence vers plus d’assouplissements.
Outre ces pratiques d’ordre réglementaire, le contexte financier constitue notre seconde
catégorie de facteurs exogènes de la spéculation. Notons tout d’abord que la concentration du marché
est un facteur décisif, accentuant nettement les marges de manœuvre des opérateurs. Ces derniers se
retrouvent dans des situations de ‘’too big to fail’’, avec une forte capacité de pression. Les collusions
et conflits d’intérêt deviennent monnaie courante, même à travers certaines agences de notation.

279
http://www.easybourse.com/bourse/financieres/dossier/21119/trading-a-haute-frequence-quels-enjeux-pour-la-repression-des-
fraudes-.html (09/07/2014)

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Dans ce cadre financier, nous avons vu dans quelle mesure la spéculation était favorisée par les
analystes qui privilégiaient l’analyse comportementale (chartiste) plutôt que fondamentale. Ce type
d’analyse accentue fortement la logique autocentrée (Keynes, 1936), autoréférentielle (Orléan, 1988)
ou réflexive (Soros, 2008), qui rend vulnérable le marché et amplifie les mouvements spéculatifs. Nous
avons aussi démontré que la volatilité favorise la spéculation, du fait des faibles marges dans le cas des
opérations à haute fréquence. Avec ce facteur, le lien est plus dynamique et circulaire que n’importe
quel autre. L’asymétrie d’information, elle, favorise la spéculation de manière directe et unilatérale,
tant elle donne l’avantage aux opérateurs avertis que ce soit en termes de vitesse ou de disponibilité
de l’information. Lorsque l’opacité et les fausses rumeurs viennent s’ajouter à une asymétrie déjà
structurellement ancrée, la spéculation se démultiplie. L’importance de la rentabilité des activités
purement financières par rapport à l’investissement dans l’économie réelle est de nature à favoriser
une telle évolution.
Notre dernière catégorie de facteurs, elle, a plus trait à des éléments monétaires et macro-
économiques d’endettement. D’abord, c’est tout le fonctionnement actuel du système bancaire, de la
dette et des intérêts qui est mis en cause à l’issue de nos recherches. L’endettement massif est un
puissant catalyseur de la spéculation, qui se mesure notamment par la détérioration de la solvabilité.
La création monétaire contribue à submerger les marchés de liquidité, générant un certain laxisme et
plus de possibilités de spéculation. Lorsque cette création est doublée de la possibilité de titrisation
des dettes et la prolifération de substituts monétaires, la situation a davantage de risque de devenir
spéculative. Au-delà de ces trois premiers éléments, un quatrième facteur permet de démultiplier les
possibilités de spéculation, il s’agit du levier. Avec certains ratios permettant d’investir 40 000 Euros
avec un Euro seulement, nous avons tout d’un marché ouvrant la voie à la spéculation. Cette dernière
devient plus rentable que l’économie réelle. Il n’est alors même plus question de choix. Souvent, c’est
l’éclatement de la bulle spéculative qui vient ramener la situation à ses fondamentaux, ou à l’en
rapprocher.
Une fois les facteurs clairement établis, la confrontation avec les principes théoriques de la FI a
permis de constater, d’une manière générale, que l’ensemble des facteurs de la spéculation trouvait
dans ces principes un corollaire qui permettait de l’éviter. Nous avions ici une confirmation de
résilience de notre idéaltype, le MFI exempt de spéculation. La résilience théorique des principes la FI à
l’ensemble des facteurs de la spéculation ne fait plus de doutes. Théoriquement notre hypothèse
principale était corroborée. Néanmoins, pour un certain nombre de facteurs, surtout ceux liés aux
comportements et certains d’autres catégories, la résilience se limitait à la théorie, aux grands
principes. En pratique, de sérieux doutes se manifestaient. Progressivement, ce nouveau constat s’est
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
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imposé dès les premières analyses de nuances. C’est à partir de cette analyse que notre hypothèse a
commencé à être remise en cause, au moins partiellement, à travers l’émergence d’éléments
falsificateurs. C’est lorsqu’il est confronté à ses propres pratiques que notre idéaltype devient un type
moyen. Il n’est plus résilient à la spéculation avec autant de régularité qu’en théorie. Sur certains
facteurs, la résilience se vérifie relativement, mais sur d’autres, rien n’est moins sûr. Pour certains, la
résilience est parfois remise en cause très sérieusement. En tout état de cause, en pratique, la
résilience à la spéculation ne se vérifie totalement sur aucun des facteurs. Manifestement, ils sont
tous nuancés soit par une limite, soit par une lacune, soit par une pratique au nom de la FI dans tel ou
tel marché. Ce constat des nuances a dû être vérifié par notre seconde enquête empirique, car il
restait trop dépendant de l’étude documentaire.
Avant d’y arriver, un passage obligé devait se faire par la quatrième partie, pour construire,
affiner et finaliser notre baromètre. Notre première enquête empirique a permis de confirmer, avec
l’analyse univariée, la pertinence des facteurs de la spéculation relevés à travers l’étude
documentaire des parties I et II. Vingt-trois moyennes sur vingt-quatre, obtenues par nos facteurs,
sont au-dessus du critère médian de notre échelle de Lickert, c’est-à-dire ‘’favorise assez la
spéculation’’. L’enquête a également permis d’obtenir des pondérations précises pour chaque
facteur, confirmant la trame globale de la hiérarchie de notre nomenclature de la partie II,
notamment suite à quelques ajustements mineurs. Cette confirmation est recoupée également par les
85% de répondants qui estiment que le questionnaire couvre les principaux facteurs de la spéculation.
L’enquête révèle aussi un point significatif en montrant que les experts et praticiens donnent des
notes plus élevées aux facteurs que les académiciens. Leur proximité opérationnelle avec les impacts
peut justifier ces notes, contrairement aux académiciens qui raisonnent dans un cadre plus théorique
et ordonné sur les interactions du marché.
L’analyse multivariée, quant à elle, a permis d’étudier la catégorisation des facteurs retenue à
l’issue de la partie II. L’enquête, et l’analyse qui la suit, ont permis de démontrer que le regroupement
des facteurs de la spéculation en deux groupes (endogènes et exogènes) était appuyé par l’enquête.
La carte factorielle a permis d’illustrer la conformité, d’une manière générale, entre les composantes
révélées par l’analyse statistique et les catégories dégagées par l’étude documentaire. La conformité
n’est néanmoins pas vérifiée à 100% dans la mesure où ces facteurs sont, par essence, plus ou moins
interdépendants. Il n’est pas non plus possible de les considérer de manière mutuellement exclusive.
La meilleure preuve à cela est la corrélation importante observée entre certains. C’est à ce titre que
nous avons nuancé en affirmant que la catégorisation théorique (facteurs endogènes / exogènes) est
relativement, ou globalement, vérifiée.
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Une fois les facteurs remis dans une nomenclature, avec une hiérarchie définitive, nous avons
analysé les indicateurs qui peuvent les mesurer, et proposé des indicateurs adéquats. Nous avons en
effet constaté que les ratios proposés afin de mesurer la spéculation (Pardo & Lucia, 2007, p3 ; Garcia,
1986 ; Working, 1960, p23), étaient cruellement limités et peu représentatifs par rapport à notre
cadre référentiel et notre vision holistique du concept. A l’aide des corrélations, nous avons pu, par la
suite, construire notre instrument de mesure du risque spéculatif (baromètre), qui regroupe les
pondérations, les facteurs classés par catégories et hiérarchisés, ainsi que les indicateurs de mesure.
Cet outil est intéressant lorsqu’il est utilisé dans une logique comparative, chronologique ou
géographique.
Afin d’opérer la confrontation des facteurs aux pratiques de la FI de marché, nous avons utilisé
dans un premier temps notre référentiel conceptuel de la spéculation lors de l’analyse des principaux
outils de cette FI, afin de mettre en exergue les aspects spéculatifs des produits. Les critères étant
nombreux, nous avons choisi de les juxtaposer au lieu d’utiliser notre arbre de la spéculation exposé
en annexe A.2. En effet, l’ensemble de la recherche a permis de montrer qu’il est plus sain, dans le
cas d’un concept aussi trouble, de placer le curseur d’un produit sur une échelle de la spéculation,
plutôt que de trancher s’il est spéculatif ou non. Il est donc plus rigoureux de dire que tel produit a
un caractère bien plus spéculatif ou bien moins spéculatif, vu qu’il incorpore plus ou moins de
critères distinctifs de la spéculation. Il en sera de même pour notre baromètre dans la mesure où il
est bien plus rigoureux de dire que tel marché présente un caractère plus spéculatif que tel autre,
plutôt que de dire tel marché est spéculatif et tel autre ne l’est pas. Rappelons à cet effet que notre
analyse se veut économique et financière, et non juridique ou théologique. Nous avons constaté que
les SWAPS et le WAAD incorporaient l’extrême majorité des critères distinctifs des produits spéculatifs.
D’autres éléments tels que le tawarruq organisé (CMT) ou encore la vente à découvert et les futurs,
rendus licites à travers certains montages, incorporaient de nombreux critères spéculatifs. D’une
manière générale, les produits issus de l’ingénierie financière islamique, incorporent la majorité des
critères distinctifs des produits spéculatifs. Ce résultat n’est pas fortuit, car ces produits sont
généralement une tentative de réplication de mécanismes de hedging connus par les praticiens. Seuls
les montages changent, et coûtent souvent plus cher, ce qui les rend d’un point de vue purement
économique, moins efficaces. Cette tendance est notamment liée à ce qui peut être qualifié de
‘’syndrome de réplication’’, omniprésent en FI.
Nous avons également profité de notre baromètre pour récapituler les résultats de notre partie
III, que ce soit la résilience théorique ou les nuances. Il restait alors à évaluer l’ampleur de ces nuances.
L’analyse des bilans d’une dizaine d’IFI a permis de constater que ce sont les IFI malaisiennes qui
Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU
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s’exposent le plus aux titres financiers courts et aux dérivés. Ces derniers sont quasiment absents de
toutes les autres juridictions. Au demeurant, les titres financiers de court terme, plus procycliques
par nature, ne dépassent guère les 5% des bilans, un chiffre modeste au regard des pratiques
conventionnelles. En somme, les transactions actuelles des IFI sont assez éloignées des éléments
spéculatifs, ce qui nous donne une idée sur la portée très restreinte, dans l’état actuel des choses,
des nuances apportées en troisième partie pour les facteurs liés aux transactions. Cela explique aussi
pourquoi la majorité des études empiriques ont conclu à une plus grande résilience de la FI à la
dernière crise (El Khamlichi, 2013). Seule la Malaisie a une exposition accrue sur les transactions
spéculatives, du fait de sa tolérance réglementaire.
Au niveau des analyses de normes, celle de l’AAOIFI révèle un certain nombre de lacunes mais
aussi de points forts face à des éléments qui pourraient constituer des facteurs de la spéculation pour
les MFI. Les normes consolident les pratiques éthiques de marché. Elles ouvrent néanmoins la porte à
la prise de risque excessive. Pour le reste des facteurs comportementaux, rien dans les normes ne
permet de les juguler. Au niveau des transactions, les normes écartent clairement la vente à découvert
et les montages qui peuvent y induire, ainsi que la majorité des dérivés. Certaines ouvertures
indirectes sur les futurs figurent néanmoins, à travers la promesse bilatérale contraignante. Le facteur
de la complexité, lui, n’est concerné par aucune norme. En ce qui concerne les facteurs exogènes de la
spéculation, et plus spécifiquement le cadre réglementaire, peu de normes semblent concerner ces
facteurs, un constat plutôt surprenant. Elles permettent même la consolidation de certains facteurs,
tels la fréquence des transactions et la cotation continue. Il en va de même pour les facteurs liés au
contexte financier. Seul le facteur lié à la structure oligopolistique et aux conflits d’intérêts est
positivement impacté par certaines normes. Pour le reste, les facteurs ne sont pas concernés et la
volatilité est même accentuée par certaines dispositions telle que la possibilité de fixer le prix d’une
vente seulement à son terme. La tendance se renverse lorsque nous avons analysé les facteurs liés au
contexte macroéconomique d’endettement. C’est assez naturel dans la mesure où l’interdiction du
prêt à intérêt est un pilier de la FI. Ces facteurs sont clairement circonscrits et cernés par les normes
AAOIFI. L’exception vient ici avec les critères de screening (plutôt souples) et certaines possibilités de
titriser et négocier des actifs hybrides comportant une part importante de dette. En somme ce sont 8
facteurs de la spéculation qui sont restreints par les normes AAOIFI, soit le tiers. 4 facteurs sont, à
rebours, aggravés par certaines normes. L’autre moitié (12), n’est pas concernée.
De la même manière, les normes IFSB impactent également certains facteurs de la spéculation.
Dans les facteurs comportementaux, seuls 2 facteurs sont positivement impactés par les normes
(risque excessif et éthique), les autres n’ayant aucun garde-fou dans le millier de pages des dix-huit
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normes IFSB et des six notes d’orientation. Pour les transactions, un seul facteur est concerné par les
normes : Assurances et spéculation. Les facteurs exogènes sont, eux, davantage concernés par les
prescriptions de l’IFSB. Dans le cadre réglementaire, ce sont les facteurs ‘’opérations et comptabilités
parallèles’’ ainsi que ‘’déréglementation et ouverture excessive’’ qui sont régulés par un certain
nombre de mesures. L’IFSB insiste énormément sur la compétence des régulateurs et la nécessité de
disposer de suffisamment d’outils. Dans le contexte financier, les normes IFSB touchent notamment
les conflits d’intérêts, la volatilité et l’asymétrie d’information, de manière très abondante, voire
redondante. Enfin, les facteurs du cadre macroéconomique d’endettement positivement impactés par
les normes IFSB sont la solvabilité et le levier. Le reste des facteurs n’est pas concerné par les normes,
et a donc un champ assez libre même avec le cadre IFSB. Cela fait tout de même quatorze facteurs de
la spéculation au total.
Bien que dépourvu d’une reconnaissance sharia légitime, le Tahawwut master agreement
évoque de nombreuses transactions. Nous y avons retrouvé l’essentiel des nuances apportées en
partie III, et des produits répertoriés dans notre tableau (15) récapitulatif dans cette partie. Malgré
tout, il précise que les transactions ne doivent pas avoir un but spéculatif. Cette recherche permet de
comprendre dans quelle mesure une telle phrase est dénuée de portée pratique, sans les précisions
nécessaires. L’accord précise que les produits ne peuvent être négociés sur le marché secondaire. En
somme, il ouvre la voie à un certain nombre de ‘’dérivés’’, tant que ces derniers ne sont pas
négociables, une ouverture toutefois critiquée dans la communauté des experts de la FI. Au niveau des
facteurs, il favorise plus de prise de risque, de formules d’assurances liées à la spéculation, de dérivés,
de complexité dans les produits et de dette.
C’est le cadre réglementaire et les normes soudanaises qui ont révélé la plus grande résilience
face aux facteurs de la spéculation. Cependant, pour des raisons géopolitiques, cette expérience
soudanaise n’a jamais pu se hisser au rang de benchmark. En somme, le modèle soudanais présente le
cadre pratique de marché le plus vigilant par rapport aux facteurs de la spéculation.
Au niveau des normes malaisiennes, il est apparu évident qu’elles constituaient le talon
d’Achille de l’industrie de la FI dans le monde. Elles ne permettent de freiner clairement aucun des
facteurs de la spéculation. Elles permettent même d’en favoriser certains. Il s’agit de l’intention de
spéculer des ventes futures, de la vente à découvert, du poids des dérivés, des opérations parallèles,
de la fréquence des transactions, de la volatilité ainsi que l’ensemble des quatre facteurs liés au cadre
macroéconomique d’endettement. Le nombre de pratiques écartées en FI et tolérées en Malaisie est
très important, tel que nous l’avons détaillé au sein du baromètre consacré aux normes de la Securities
Commission (2007).
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Notre enquête auprès des experts des MFI a permis, pour sa part, de consolider ces conclusions,
dans l’ensemble. Le premier constat appuyé par l’enquête concerne les nuances. Ces dernières sont
toutes confirmées par l’enquête, lorsqu’il s’agit de confirmer ou rejeter l’existence du facteur.
L’ensemble des facteurs de la spéculation peuvent se manifester dans les MFI actuels, et sont déjà
présents de manière sporadique dans au moins l’un d’entre eux. En pratique, aucun n’est assez cadré
pour être exclu. Seules leur amplitude et leur probabilité de manifestation se discutent. C’est l’objet de
la deuxième projection du baromètre sur l’enquête, bien plus détaillée. Sur ce second point, l’enquête
révèle qu’actuellement ce sont surtout les facteurs liés aux transactions qui sont plutôt bien cadrés, la
seule exception étant les ventes futures. Pour les quatre autres catégories de facteurs de la
spéculation, les MFI sont soit dans une situation où le facteur se manifeste déjà de manière
conséquente, soit dans une situation où il est très possible qu’il se manifeste et que quelques
éléments du facteur sont déjà présents dans certains MFI embryonnaires. 6 facteurs sont dans ce
dernier cas, alors que pour 13 autres facteurs, les MFI sont déjà exposés et peu d’éléments issus de
l’enquête laissent à penser que la situation changera à moyen terme.

CONCLUSION FONDAMENTALE
Dans un premier temps, il est utile de noter que le SEI remplit les conditions requises pour être
qualifié de système économique. Pour ce qui est de la spéculation, il n’est pas possible de trancher
définitivement sur l’aspect spéculatif ou non d’une transaction. Certains paramètres permettent de
qualifier le profil d’une transaction de ‘’plutôt spéculatif’’ ou ‘’plutôt non spéculatif’’. La relativité est
inhérente à ce concept, tant il est et restera contingent. Ce qui est plus clair, c’est qu’en l’état actuel
des choses, vingt-quatre facteurs contribuent à l’amplification de la spéculation.
En somme, il est paru de plus en plus clair, au fil des travaux réalisés, que notre hypothèse
d’immunité des MFI n’est valable qu’en théorie, dans un cadre idéaltypique, en supposant
l’ensemble des principes fondateurs de la FI appliqués et déclinés en normes claires. En réalité, cette
hypothèse est clairement remise en cause en pratique du fait de la possibilité de voir l’ensemble des
facteurs se manifester, à une échelle plus ou moins importante. Au vu de notre posture hypothético-
déductive falsificatrice, nous pouvons acter de la falsification de l’hypothèse d’immunité des MFI aux
facteurs de la spéculation. Cette falsification ne porte pas sur quelques facteurs comme le laissent
penser les premières analyses, mais sur l’ensemble des facteurs, à une échelle plus ou moins
importante.
Les facteurs liés aux transactions se manifestent de manière bien moins ample que les quatre
autres catégories, déjà présentes voire significatives dans les MFI actuels. Les cadres réglementaires

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majeurs (AAOIFI et IFSB) ne permettent d’exclure totalement que peu de facteurs. D’un point de vue
prospectif, l’exposition des MFI aux facteurs de la spéculation est très probable. Elle est déjà une
réalité significative pour près de la moitié des facteurs, une réalité plausible pour un quart et marginale
pour un autre quart, lié aux transactions. Elle est, en somme, bien réelle. Les cadres actuels des MFI ne
permettent donc pas de prévenir l’essentiel des facteurs de la spéculation. A l’avenir, une vague
spéculative pourrait facilement avoir lieu en cas d’euphorie ou d’instabilité sur les MFI embryonnaires.

APPORTS, CONTRIBUTIONS ET IMPLICATIONS


Notre recherche revêt un certain nombre de contributions dans de nombreux domaines, qu’ils
soient théoriques ou opérationnels. D’un point de vue purement théorique et académique, nous
avons pu formaliser de manière structurée les contours du SEI. Nous avons proposé une description
originale de l’économie politique, du point de vue de la théorie économique islamique. Au passage,
la recherche a également établi les principaux contours d’une théorie du risque en EI. Au niveau de la
spéculation, elle a apporté une définition novatrice qui se veut plus exhaustive. Elle permet de mieux
distinguer ce qui est plus spéculatif de ce qui l’est moins, à travers des paramètres les plus distincts
possibles. Cette distinction s’illustre notamment à travers l’arbre de la spéculation exposé en annexe
A.2. C’est un enrichissement conceptuel certain des réflexions relatives aux développements et aux
dysfonctionnements des marchés. A cela s’ajoute la classification des théories de la spéculation à
travers une grille de lecture novatrice. Une autre contribution théorique majeure est l’inventaire puis
la classification des facteurs de la spéculation, au sein de d’une nomenclature de catégories et sous-
catégories relativement homogènes, malgré les fortes imbrications et corrélations entre facteurs. Nous
avons également identifié plusieurs indicateurs permettant de mesurer la portée de chacun des
facteurs, facilitant d’éventuelles études sur le sujet.
D’un point de vue opérationnel, une des principales contributions de cette recherche est la
construction d’un baromètre multifactoriel permettant l’évaluation du risque spéculatif d’un
système financier donné. En tant qu’outil de travail, ce baromètre peut avoir des d’applications tant
au niveau d’études macroéconomiques que d’études locales, menées par les économistes. Il peut
permettre, toujours dans le cadre de son optique comparative, de confronter plusieurs régions ou
plusieurs périodes lors d’une analyse du risque spéculatif. Ce baromètre permet à l’utilisateur de
s’extraire de l’ambiguïté du concept pour l’aborder de manière pragmatique et opérationnelle. Une
seconde contribution importante de la recherche se rapporte à l’étude des normes AAOIFI et ISFB
sous l’angle du risque spéculatif, une étude novatrice dans la discipline. Une telle étude permet
d’appréhender, de manière prospective, les éléments qui requièrent davantage d’efforts

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jurisprudentiels et législatifs afin d’agir de manière proactive et globale face aux facteurs de la
spéculation au sein des MFI. Dans le même ordre d’idées, l’étude des cadres réglementaires
soudanais et malaisiens, sous l’angle du risque spéculatif, offre les mêmes leviers de réflexion
opérationnels.

LIMITES
Comme pour tout travail de réflexion résultant de l’effort humain, les apports de cette
recherche doivent être nuancés par certaines limites. La première est d’ordre épistémologique tant
l’insertion d’une partie constructiviste au sein d’une thèse ayant adopté une approche post-positiviste
est un élément nécessitant davantage d’exploration.
Au niveau de notre étude documentaire, l’une des principales limites à cette recherche est la
difficulté à extraire, de modélisations mathématiques de la spéculation, des conclusions intelligibles,
utiles à notre travail d’exploration. Une autre difficulté liée à l’étude documentaire est la difficulté de
mettre en place des indicateurs de mesure fiables pour les facteurs de la spéculation. Ces indicateurs
ont une portée réduite vu qu’ils n’ont pas été confirmés empiriquement. Cela s’est traduit par des
difficultés considérables à collecter les données correspondant aux ratios choisis, tant les référentiels
varient d’un pays à l’autre. L’indisponibilité des données chiffrées complètes a donc constitué un
obstacle fondamental pour l’étude des places abritant des produits de FI de marché, à travers une
version numérique de notre baromètre. Au niveau de la FI, l’une des difficultés de l’étude
documentaire a trait aux nomenclatures hétérogènes des bilans et des terminologies utilisées pour
qualifier les produits au sein des bilans. Cela peut éventuellement rendre certaines comparaisons
moins pertinentes.
Pour notre première enquête, la principale limite tient au fait que les profils d’académiciens
dépassent ceux des praticiens, bien que les deux soient spécialistes des questions de finance de
marché. Notre seconde enquête, elle, présente également certaines limites. La principale est la taille
du panel de répondants. Un tel panel permet toutefois de dresser certaines conclusions lorsqu’il est
recoupé aux profils, au contexte et aux études préalables. Cette limite est structurelle et inhérente à la
discipline et au secteur des MFI. Cette seconde enquête s’est également heurtée à l’hétérogénéité des
cadres légaux et jurisprudentiels des MFI, que nous avons tenté de dépasser avec notre baromètre
récapitulatif et comparatif.

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- 418 -
OUVERTURE
A la lecture de ces limites, il devient évident qu’un certain nombre d’entre elles peuvent donner
lieu à des travaux à l’avenir. La première piste de recherche directe serait de procéder à l’utilisation
chiffrée du baromètre afin de comparer chronologiquement et géographiquement les MFI
embryonnaires et les marchés conventionnels. Par ailleurs, une des pistes incontournables serait de
revoir les indicateurs de mesure proposés, afin de les consolider par une enquête empirique
exhaustive et leur donner la même crédibilité que les facteurs et leurs pondérations. Il serait
nécessaire, dans tous les cas, de garder à l’esprit que le concept traité est contingent, et que
l’architecture du baromètre sera souvent appelée à évoluer afin de toujours cerner au mieux les
principaux facteurs de la spéculation, au moment où il est utilisé. Sur la spéculation, en écho à Bagehot
(1873), nous dirons que nos travaux ont permis de constater que nous n’avons pas encore assez écrit,
pas assez pour que l’humanité puisse cerner puis dépasser les pièges tendus pas ce phénomène
toujours aussi redondant qu’en 1873.
A l’issue de ces analyses et en plus des éléments pré-cités, de nombreuses autres pistes de
réflexion sur les MFI sont à signaler. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en citons quelques-unes,
dans la perspective de la convergence entre principes théoriques et pratiques de de marché
islamiques :
• La prise en compte du SEI dans les analyses liées aux MFI ;
• La fixation d’une période minimale de détention des actifs ;
• La mise à l’écart des produits complexes qui favorisent l’opacité et le gharar ;
• L’encadrement plus strict des procédures de compensation et liquidation ;
• L’harmonisation des cadres juridiques ;
• La mise en place de limites de variation de cours (Al Suheibani, 2008) comme c’est le cas
au Soudan ;
• La mise en place d’obstacles au gain boursier rapide (Al Suheibani, 2008) ;
• La sensibilisation éthique des acteurs aux impacts macroéconomiques de certains
comportements, au-delà de l’aspect purement réglementaire (Chapra 2009 cité par
Belhadia 2010) ;
• La révision de la tendance de ‘’l’ingénierie financière islamique’’, souvent piégée dans le
‘’syndrome de réplication’’, les mêmes causes entrainant les mêmes effets.

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Indépendament de leurs implications, ces pistes sont également utiles au-delà de la simple
sphère des MFI, car elles permettent aux marchés de se recentrer vers leur rôle premier, celui de
permettre la tenue d’échanges venant de l’économie réelle et de faciliter une découverte des prix, en
dehors de tout biais et manipulation. De telles réflexions semblent de plus en plus urgentes, tant les
spécialistes de la FI lancent des alertes sur les risques latents. Pour El Gamal (2005, p10), « telle que
configurée, l’industrie (de la FI) se destine à s’éloigner, et non s’approcher, de la stricte conformité à la
sharia ». Dans la même optique, Umer Majid, directeur de la Halal Investment Bank au Royaume Uni
affirmait, lors de la conférence des fonds d’investissement islamiques à Dubai en 2008 et durant
laquelle les SWAPS basées sur le Wa’ad furent discutée, que les anglais de confession musulmane
perdaient de plus en plus confiance dans les produits de la FI car « ils pensent qu’on leur donne des
produits conventionnels estampillés d’un label islamique » (Ayub, 2011, p15). C’est ce sentiment
général, ambient et latent que ressentent les clients tout autant que les professionnels de la FI, que
notre thèse a permis de démontrer de manière structurée, scientifique et méthodique en de
nombreuses occasions. Bien qu’embryonnaires, les MFI sont déjà amplement exposés au risque
spéculatif
En guise de dernier mot, nous pouvons avancer que ce sentiment, devenu constat, s’est
progressivement confirmé tout au long de nos travaux. Bien au-delà de ce simple constat peu relevé,
c’est l’ensemble du modèle qui, à travers ce ‘’syndrome de réplication’’, est en phase de perdre en
crédibilité. Nombreux sont ceux qui, en occident, voyaient dans la FI un enrichissement civilisationnel
fort utile, inspirant et innovant, dans le sens inhabituel ‘’Sud-Nord’’, avec une importation de concepts,
de termes et de notions que l’on pensait dévolue depuis l’algèbre, les algorithmes et l’alchimie. Cette
perte de crédibilité rampante touche progressivement ceux qui voyaient dans le SEI, un nouvel espoir
et une alternative intéressante, voire intrigante, aux inégalités criantes, aux phases spéculatives
redondantes et aux crises qui les accompagnent depuis quatre siècles dans le système économique
libéral, un système auquel on ne semblait plus voir d’alternative il y a encore quelques années. Le défi
prospectif majeur consiste à prendre acte de cette perte de crédibilité progressive. Les opérateurs de
la FI ont l’opportunité d’agir de manière préventive face à cette exposition surprenante au risque de
spéculation, tant qu’elle est encore abordable. L’idéal étant de prévenir l’occurrence de ces facteurs
étayés dans nos travaux, avant qu’ils ne passent du stade d’épiphénomène, contraire aux principes
fondateurs de la FI, au stade de composante intrinsèque du système.

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ANNEXES
ANNEXES A (PARTIE I)
A.1 Modalités d’échange des biens ribawi
En ce qui concerne les biens ribawi, un tableau simplificateur permet d’en résumer les conditions
d’échange :
Tableau 27 : Modalités d’échanges des biens ribawi

Source : L’auteur

Légende :
OK : Signifie qu’il est possible de procéder à un échange immédiat ou de différer l’une des deux
contreparties, ainsi qu’il est possible que les contreparties ne soient pas égales.
Exemple : Sel contre argent (ou monnaie), il est possible de vendre immédiatement ou de différer la
livraison soit du sel soit du paiement, mais pas des deux, sinon on serait dans le cadre d’une vente
future proscrite. L’égalité de quantité n’est pas non plus requise.
= T : Signifie qu’il est possible que les deux biens soient échangés en quantité inégale, mais la
transaction doit être immédiate (spot) sous peine de nullité
= Q et T : Signifie que cette transaction n’a à la base pas vocation à exister ; si elle est appelée à
prendre place, il doit y avoir stricte égalité des quantités échangées et que ce soit fait en spot.
Exemple : Echange d’un bracelet en or pur 24 carats ne contenant rien d’autre que de l’or, contre un
collier en or pur 24 carats ne contenant rien d’autre que de l’or. Pour que cet échange soit valide, le
poids des deux objets doit être strictement identique. Dans le cas contraire, il y a un certain nombre de
conditions qu’il n’est pas spécifiquement utile de développer ici.

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A.2 Arbre distinctif des opérations spéculatives
Alors que la définition de Kaldor s’appuie sur la connaissance préalable de l’intention du spéculateur, la pratique ne permet que de suggérer le
contraire. Dès lors, il n’est plus possible de distinguer les spéculateurs du reste, d’un point de vue externe. C’est tout l’objectif de ce schéma. Nous y
avons repris l’esprit de certains éléments distinctifs de notre définition afin de les exposer de manière plus construite. Il permet également de ne
considérer que les opérations en environnement incertain, écartant de fait les opérations d’arbitrage, bien souvent incluses dans de nombreuses
définitions de la spéculation. Nous avons choisi de mettre cet arbre en annexe dans la mesure où il aboutit à des choix relativement tranchés. Or, de tels
choix requièrent une validation empirique afin d’être retenus. Nous avons donc tenu à exposer cet arbre distinctif à titre indicatif.
Figure 52 : Arbre distinctif des opérations spéculatives

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ANNEXES B (PARTIE II)
B.1 Expérience pratique sur les bulles
Soit « un actif dont la durée de vie est, soit de quinze périodes soit de trente périodes. A chaque
période, cet actif donne droit à un dividende. Ce dividende est aléatoire et sa loi de probabilité est de
connaissance commune pour tous les participants, au sens technique du ‘’common knowledge’’. Notons
Ed son espérance mathématique. Par ailleurs, l’expérimentateur rend public le fait qu’à la fin du jeu, le
titre sera racheté aux participants à une certaine valeur qu’on notera V. Dans ces conditions, il est aisé
de calculer, à tout instant, la valeur fondamentale de l’action considérée. Elle dépend du nombre de
périodes qu’il reste à jouer avant la fin du jeu. Si l’on note n, le nombre de périodes restant à jouer, et
VF la valeur fondamentale à ce n moment, nous avons immédiatement (17) : VF = n.Ed + V.Or, lorsqu’on
observe la n chronique des prix que cette expérimentation produit, on constate, dans la très grande
majorité des cas, qu’au début de l’expérience, le prix s’éloigne de cette valeur pour, ensuite, monter très
haut, bien au-delà de la valeur fondamentale et, à l’approche de la fin, connaître un krach brutal qui
ramène le cours au niveau de la valeur fondamentale » (Orléan, 2004, p15).

B.2 Illustration du processus de vente à découvert


Sur un marché de cacao, pris à titre d’exemple illustratif, si l’offre à l’instant T est d’une
quantité Q, et si nous supposons que des traders ont procédé à une vente à découvert d’une quantité
X à l’instant T+1, l’offre nouvelle à cet instant T+1 sera de Q+X, pour une même demande D. La
pression sur les prix sera plus forte, ce qui amplifiera la tendance baissière. La marge du trader sera le
prix de vente en T diminué du prix d’achat en T+P, P étant la période réglementaire nécessaire au
trader afin de se procurer cette marchandise. La population impactée par cette baisse des prix du
cacao sera généralement l’agriculteur de base, premier fournisseur, qui est en général en situation de
faiblesse par rapport aux intermédiaires qui n’impactent que rarement ces variations sur leurs marges.
D’un point de vue opérationnel, cela se passe de la manière suivante : le spéculateur emprunte
une valeur pour la vendre ; cet emprunt peut se faire auprès d’un investisseur qui a acheté cette
valeur pour une période qui dépasse la durée d’emprunt que cible l’emprunteur. Le prêteur exige
généralement une commission lors de l’emprunt, en plus de la restitution de ses titres. L’emprunteur
qui souhaite vendre à découvert ne procède à l’achat de la valeur que le jour où il est tenu de livrer la
valeur à son client. La période entre la vente à découvert et la livraison de la valeur peut varier, selon le

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marché ainsi que la solvabilité de l’opérateur. La différence entre le prix le jour de la vente et le jour de
la livraison constitue la marge encaissée par l’opérateur qui vend cette valeur à découvert.

Figure 53 : Illustration du processus de vente à découvert

Source : Bourse-investissement.fr280

B.3 Le pape François dénonce la spéculation alimentaire


« CITE DU VATICAN (Reuters) - Le pape François a jugé lundi "intolérables" les spéculations
financières et a tout particulièrement présenté celles menées sur les matières premières comme un
"scandale" qui menace les populations les plus pauvres. Lors d'un congrès au Vatican sur l'éthique et
l'investissement, le chef de l'Eglise catholique a souligné que les marchés financiers devaient "servir les
intérêts des peuples et le bien commun de l'humanité". "Nous ne pouvons plus longtemps tolérer que
les marchés financiers décident du sort des peuples au lieu de répondre à leurs besoins et qu'un petit
nombre de gens amasse des fortunes immenses grâce à la spéculation financière alors que le plus
grand nombre en subit lourdement les conséquences », a dit le pape. "La spéculation sur les prix
alimentaires est un scandale qui a de graves conséquences sur l'accès des plus pauvres à la nourriture",
a-t-il poursuivi, invitant "les gouvernements du monde entier" à établir un cadre international en faveur
de l'"investissement responsable" capable de s'opposer "à l'économie qui exclut et qui rejette"»281.

280 Bourse-investissements.fr (2013), La Vente à Découvert (VAD) pour gagner sur la baisse des actions, 30 Juin.
URL : http://www.bourse-investissements.fr/la-vente-a-decouvert-vad-pour-gagner-sur-la-baisse-des-actions/ (20/1/15)
281 http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL5N0OX42A20140616 (24/1/15)

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B.4 Le contrat d’emprunt toxique de la commune des Yvelines
« Tout d’abord, les formules de différentiel de taux euros, un taux long (par exemple CMS 20
ans) moins un taux court (CMS 2 ans), qui étaient très populaires en 2005 et 2006, ont été perdantes
dès le premier trimestre 2006 et tout au long de 2007 et 2008. Cette formule a donc été perdante avant
l’apparition de la crise, à l’été 2007 aux Etats Unis. Ces formules sont toutes voisines, à l’effet de levier
près, variable de 3 à 10. L’exemple suivant est caractéristique des formules à effet de levier égal à 10.
La collectivité des Yvelines a échangé en janvier 2006 un taux fixe de 5,92% contre la formule suivante :
Max {14,4% - 10 x (Taux CMS 30 ans – Taux CMS 2 ans) ; 2,40%}
Cette formule est bornée inférieurement par 2,4% et supérieurement par 14,4%.
La courbe rouge montre l’application de cette formule entre 2002 et 2010. Nous voyons clairement que
la formule est supérieure à 5% entre décembre 2005 et décembre 2008. »282

B.5 Comparaison de rentabilité entre un sous-jacent et son dérivé


A titre d’exemple, nous pouvons étudier le rendement de deux spéculateurs différents sur un
même sous-jacent : le pétrole. Prenons une année N où le cours du pétrole est de 50€. Le premier
opérateur, A, investira 1.000.000 € dans l’actif lui-même, à savoir les barils de pétrole. Le second
opérateur, B, investira 1.000.000 € dans un produit dérivé, une option d’achat (call) dont le prix est 1 €
qui lui permet d’acheter à l’année N+1 un baril de pétrole à 50€. Les deux opérateurs anticipent une
augmentation des cours du pétrole d’après leurs analyses. En N+1, trois scenarii sont possibles, soit le
prix monte, soit il stagne, soit il baisse. Si les prix augmentent à 60€, les gains (G) du premier
investisseur seront de 20%. En termes numéraires, A aura gagné 200.000€ pour un investissement de
1.000.000€. Pour l’investisseur B, le gain est évalué de la manière suivante, avec P le prix du pétrole et
C la prime dépensée (perdue) pour l’achat du call et I l’investissement initial (en supposant l’absence
de taxes) :
G = [{P(n+1) – P(n) – C} * I] – I
G= [{60 – 50 – 1} * 1.000.000] – 1.000.000
Son gain net aura alors été de 8.000.000 € pour un investissement de 1.000.000 € au début, donc un
gain net de 800%. Cet exemple simplifié a été utilisé pour montrer la différence de gain possible entre
celui qui spécule avec le produit dérivé, bien moins couteux, et celui qui investit dans l’actif réel. Il est à
noter que si le prix du pétrole passe à moins de 50 €, le second investisseur aura tout perdu car son call
n’aura plus de valeur, là où le premier ne perdra que quelques points sur son investissement initial.

282Fruchard E., Lévêque P. (2013), Emprunts Toxiques : 2. Analyse critique de la « Gestion Active » de dette, 22 Juin. URL :
http://www.emprunttoxique.info/docs/2_Emprunts_Toxiques_Analyse_Critique_Gestion_Active.pdf (19/01/2015)

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B.6 Marchés organisés et marchés de gré à gré
« D’une manière générale, sur le marché des matières premières, comme sur les autres marchés
d’ailleurs, les transactions s’opèrent soit sur des marchés organisés, soit sur le marché de gré à gré,
aussi appelé marché OTC (Over-the-counter market). Les marchés organisés, à savoir les bourses et les
marchés à terme, sont des marchés sur lesquels les transactions sont standardisées (au niveau des
quantités, de la qualité, de l’échéance pour les produits dérivés, etc) et il n’existe pas de risque de
contrepartie (c’est-à-dire de défaut de la contrepartie) grâce à l’existence d’une chambre de
compensation qui s’immisce entre tout acheteur et vendeur et vérifie leur solvabilité avec des appels de
marge quotidiens. Par opposition, le marché de gré à gré est un marché sur lequel l’acheteur conclut
directement la transaction avec le vendeur. Les opérations effectuées sont moins standardisées mais
s’adaptent aussi mieux aux besoins spécifiques des opérateurs. »283.

B.7 Hypothèse du lien entre libéralisation financière et spéculation


Figure 54 : Libéralisation financière et spéculation

Miotti et Plihon (2001)

283 http://www.matierespremieres.info/le-marche-des-matieres-premieres/ (Juin 2014)

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B.8 Le THF284
THF : Le principe de cette technique consiste à utiliser de puissants algorithmes mathématiques
et des ordinateurs ultra-rapides afin de détecter et d’exploiter les micromouvements de marché avec
une échelle de temps de l’ordre de la dizaine de millisecondes. Ces machines sont capables d’exécuter
des ordres à toute vitesse et de tirer profit de très faibles écarts de prix sur des valeurs ou encore des
faiblesses passagères qui peuvent survenir sur les systèmes d’échanges.

B.9 Nouvelle législation européenne sur le THF


« Dans un communiqué, le commissaire européen chargé des services financiers, Michel Barnier,
s'est réjoui de ce vote : « Les nouvelles règles permettront d'améliorer la manière dont fonctionnent les
marchés pour servir l'économie réelle. Elles mettront en place un système financier plus sûr, plus
transparent et plus responsable, et permettront de rétablir la confiance des investisseurs à la suite de la
crise financière. ». La nouvelle loi renforcera également la protection des investisseurs, qui seront mieux
informés, notamment sur les risques associés aux produits financiers qui leur seront proposés. Des
règles seront introduites pour mieux encadrer le THF, qui s'effectue parfois à la nanoseconde. C’est déjà
le cas en partie avec la règle adoptée le 15 Avril 2014 par l’Union Européenne (L’Economiste, 17/4/14)
qui encadrera désormais le THF. En outre, les sociétés qui y ont recours devront mettre en place des «
coupe-circuit » pour éviter l'emballement des transactions, et les algorithmes utilisés devront être
autorisés par les régulateurs. Le texte prévoit des sanctions administratives en cas d'infraction »285.

B.10 Les dispositions fiscales britanniques pour le daytrading


« L’État britannique a mis en œuvre depuis de nombreuses années une taxe équivalente (à la
taxe sur les transactions financières), la « Stamp Duty Reserve Tax » (SDRT), qui s’est révélée très facile
à instaurer et particulièrement prolifique, puisqu’elle rapporte entre 4 et 6 milliards d’euros chaque
année. Cette taxe sur les produits financiers s’applique à l’ensemble des transactions, y compris aux
intraday, et concerne les achats de titres côtés sur les bourses de Londres et de Dublin. 0,5% sont
prélevés sur les transactions concernant les actions d'entreprises britanniques ainsi que sur les droits et
options portant sur ces titres, tandis qu’une taxe spéciale de 1,5% s'applique, elle, sur les transferts de
titres britanniques vers l'étranger. Les sommes collectées sont encaissées efficacement et à coût
minime par Euroclear-UK, et redistribuées ensuite au trésor public britannique. »286.

284 Abcbourse.com, Le trading haute fréquence.


URL : http://www.abcbourse.com/apprendre/18_le_trading_haute_frequence.html (19/01/2015)
285 Lemonde.fr (2014), Le Parlement européen renforce l'encadrement des marchés financiers, 15 Avril.
286 Challenges.fr (2015), Climat : pourquoi il est urgent de mettre en œuvre une vraie taxe sur les transactions financières, 03 Décembre.

URL : http://www.challenges.fr/tribunes/20151203.CHA2272/climat-pourquoi-il-est-urgent-de-mettre-en-oeuvre-une-vraie-taxe-sur-les-
transactions-financieres.html (14/12/2015)

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B.11 La crise existentielle que traverse la discipline économique
Durant ces dernières années, et face à la redondance qui semble inévitable des crises
économiques, avec tous leurs effets dévastateurs, de plus en plus d’économistes se posent des
questions d’ordre existentiel, quant à leur utilité et à l’utilité de leurs travaux. Des campagnes sont
même lancées pour revoir fondamentalement la manière d’aborder l’économie et celle de l’enseigner.
A titre d’exemple, un mouvement (association économique post-krach) s’est déclenché en Grande
Bretagne après que les candidatures aux filières économiques aient explosé au lendemain de la crise
des subprimes 287 . Les étudiants furent choqués par le contenu des enseignements s’appuyant
essentiellement sur des modélisations mathématiques élégantes (Facchini, 1999) et des hypothèses
bien éloignées des réalités288 économiques (rationalité, décisions optimales, équilibre général…) ainsi
qu’une concentration sur l’école néo-classique289, au détriment des autres courants de pensée. Ce
mouvement a même provoqué un évènement majeur organise par la banque d’Angleterre sous le
thème ‘’Les diplômes d’économie sont-ils en phases avec les besoins actuels’’. L’une des conclusions
d’Andrew Haldane, chef économiste à la banque d’Angleterre était sans appel : “Il est temps de
repenser certains piliers fondateurs de l’économie’’290. Ce mouvement a trouvé écho aux USA, au Brésil,
en Inde, en Italie, en Turquie, en France, en Allemagne et ailleurs. Des associations similaires au
collectif des économistes atterrés291 se sont créées par ailleurs.
Ce sentiment de désillusion vis-à-vis de la discipline, qui contribue à ancrer sa crise d’identité,
n’a pas comme unique cause les contenus de l’enseignement. Il tient également à ce que produit cet
enseignement comme système de pensée, comme individus dans nos sociétés, et comme solutions aux
maux de cette société. Un récent article292, regroupant une dizaine d’études universitaires consacrées
à plusieurs dizaines de milliers d’étudiants d’économie, aboutit aux constats édifiants par rapport à
l’impact de la discipline sur le comportement. Sept impacts majeurs ont été recensés :

287 http://www.bbc.com/news/business-35462879 (22/04/2017)


288 « Une beaucoup trop grande part de travaux récents d’économie mathématique consiste en des élucubrations aussi imprécises que les
hypothèses de base sur lesquelles ces travaux reposent, qui permettent à l’auteur de perdre de vue les complexités et les
interdépendances du monde réel, en s’enfonçant dans un dédale de symboles prétentieux et inutiles ». Keynes, 1936
289 « En France, entre 2005 et 2011, seulement 5 % des professeurs recrutés à l’université étaient hétérodoxes, soit six économistes pour

cent vingt postes. Cette hégémonie des orthodoxes convaincus de la toute-puissance bienfaitrice de la « main invisible du marché » (Adam
Smith) serait sans conséquence si cette pensée unique ne nous avait pas menés, depuis plus de trente ans, de crises en crises. »
« En économie, il y a deux génies. Marx et Keynes. (…) Mais la science économique, 99 % de ce qui est enseigné, 99 % de ce qui fonde la
recherche, ce n’est ni Marx ni Keynes, c’est Walras. » selon Bernard Maris
https://comptoir.org/2016/01/11/bernard-maris-ou-lanti-economiste-citoyen/ (22/04/2017)
290 http://www.bbc.com/news/business-35462879 (22/04/2017)
291 Le collectif des économistes attérés est un collectif regroupant plusieurs dizaines d’économistes, qui remettent en cause les principaux

postulats dominant encore la reflexion orthodoxe et l’enseignement de l’économie. Ils avertissent que les marchés financiers ne sont pas
efficients, contrairement à certains Nobels ou qu’ils ne sont pas nécessairement favorables à la croissance, entre autres postulats. Ce
collectif inclut notamment Orléan, Plihon et Lordon.
http://www.atterres.org/page/manifeste-d%C3%A9conomistes-atterr%C3%A9s (25/04/2017)
292 http://www.huffingtonpost.com/adam-grant/does-studying-economics-b_b_4141384.html (22/04/2017)

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• Ces étudiants donnent moins de charité ;
• Ces étudiants ont des comportements beaucoup plus antisociaux ;
• Ces étudiants ont plus tendance à adopter des comportements malhonnêtes ;
• Ces étudiants tolèrent beaucoup plus les inégalités ;
• Ces étudiants prennent plus facilement des pots de vin ;
• Lors des challenges impliquant un groupe, ils auront beaucoup plus tendance à adopter le
comportement du passager clandestin (faire le moins et récolter le plus) ;
• Si en période de forte chaleur, les vendeurs augmentent le prix de l'eau, les étudiants en
général trouveront que "ça ne se fait pas", sauf les étudiants en économie qui trouveront que
c'est tout à fait normal, la loi de l'offre et la demande.
Une vision extrêmement mathématisée domine progressivement l’économie. Samuelson dira
que l’économie est tombée dans le trou noir des mathématiques293. Le développement de cette vision
mathématisée des comportements sociaux, devant obéir à des choix optimaux et à une rationalité des
agents, est en réalité une conséquence de la centralité de l’école néoclassique dans les enseignements
de l’économie. Cette centralité est due, pour certains, au complexe d’infériorité développé par les
économistes par rapport aux sciences exactes. Ce complexe les poussa à formuler toujours plus de
modèles en cherchant à atteindre la perfection dans leurs schémas, même en ce qui concerne les
interactions économiques.
Hayek, pointait du doigt cette carence majeure de la pensée économique contemporaine, et
son complexe d'infériorité développé à tort devant les sciences exactes. La critique de Hayek envers les
constructivistes s’applique aux économistes néo-classiques et à leur souhait perpétuel d’assimiler les
méthodes de la science économique à celles des sciences physiques et mathématiques :
« Dans la première moitié du XIXe siècle, une nouvelle attitude se fit jour. Le terme de “science” fut de
plus en plus restreint aux disciplines physiques et biologiques qui commencèrent au même moment à
prétendre à une rigueur et à une certitude particulière qui les distingueraient de toutes les autres. Leur
succès fut tel qu'elles en vinrent bientôt à exercer une extraordinaire fascination sur ceux qui
travaillaient dans d'autres domaines ; ils se mirent rapidement à imiter leur enseignement et leur
vocabulaire. Ainsi débuta la tyrannie que les méthodes et les techniques de la science au sens étroit du
terme n'ont jamais cessé d'exercer sur les autres disciplines. Celles-ci se soucièrent de plus en plus de
revendiquer leur égalité de statut en montrant qu'elles adoptaient les mêmes méthodes que leurs
sœurs dont la réussite était si brillante, au lieu d'adapter davantage leurs méthodes à leurs problèmes.
Cette ambition d'imiter la Science dans ses méthodes plus que dans son esprit allait, pendant quelque
cent vingt ans, dominer l'étude de l'homme, mais elle a dans le même temps à peine contribué à la
connaissance des phénomènes sociaux » (Hayek, 1953).

293 http://images.math.cnrs.fr/De-la-mathematique-en-economie.html (22/04/2017)

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C’est peut-être cette quête perpétuelle de perfection à travers la vision idéalisée d’un monde
marchand organisée qui fit prendre au prix Nobel 2014 de l’économie, Jean Tirole, la position ayant
suscité l’émoi, lorsqu’il se prononça en faveur de la soumission des dons d’organes au libre marché et à
la loi de l’offre et de la demande. Un aboutissement qui n’est pas sans rappeler les sept conclusions
issues des enquêtes sur les étudiants d’économie, et leur baisse tendancielle de sensibilité humaine à
mesure qu’ils évoluaient en économie. C’est probablement cet échec identitaire, couplé au désordre
disciplinaire qui fit conclure à Bernard Maris, qui se dit économiste déçu de l’économie, que « Le
capitalisme canalise les frustrations des hommes, les empile, comme il accumule le capital, et fait
gonfler des bulles qui finissent par crever comme des bombes » et que « Les libéraux sont des adeptes
du darwinisme social, de l'élimination des faibles par la bienveillante sélection naturelle ». Son ami
Jean-Marie Harribey, ex-coprésident d’Attac et des Économistes atterrés, le décrit ainsi dans les
colonnes de Bastamag : « Bernard Maris fut peut-être, à l’aube du capitalisme néolibéral, celui qui vit la
“science” économique basculer définitivement dans l’apologie de la finance spéculative, l’un des
premiers sinon le premier de notre génération à partir en bataille contre cette pseudo-science. Il fit cela
avec toute sa connaissance de l’intérieur de la discipline et avec un humour ravageur. »294
En somme, l’économie est une discipline transversale, qui ne peut être réduite à la
formalisation mathématique, qui traduit les idées mais ne les initie pas. Smith a écrit la théorie des
sentiments moraux, un traité de morale, quinze ans avant la richesse des nations, en préambule à ce
dernier. Pourtant les économistes n’ont retenu que le second, qu’une seule phrase écrite une seule
fois dans tout le second : la main invisible. L’économie incorpore par essence la philosophie, l’histoire,
la psychologie, la sociologie, la morale et tutti quanti. Il n’existe en économie aucune donnée figée, il
n’y a que des variables, des contingences (Facchini, 1999). La discipline est intrinsèquement liée à
l’homme, et non à une logique absolue extrinsèque et universelle. L’économie est une discipline des
idées, souvent imbibée d’idéologie, qui a une vocation normative avant d’être descriptive. Réduire la
discipline à des modélisations mathématiques séquentielles, reposant sur des hypothèses imaginaires
réductrices, est peut être l’une des principales explications de ses échecs successif, de son incapacité à
apporter des remèdes aux crises redondantes dévastatrices ainsi qu’à élever l’homme plus haut qu’à
un simple rang d’animal utilitariste, songeant en permanence à maximiser sa fonction d’utilité et à
produire toujours plus afin d’améliorer ses revenus et donc son utilité via sa consommation, objectif
ultime qui se confond souvent, à tort, avec l’objectif réel de la vie, souvent bien plus complexe,
spirituel, moral et contingent qu’une équation, fut-elle celle d’un équilibre général jamais atteint.

294 https://comptoir.org/2016/01/11/bernard-maris-ou-lanti-economiste-citoyen/ (22/03/2017)

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- 430 -
ANNEXES C (PARTIE III)
C.1 L’istijrar
Figure 55 : L’istijrar

Avec : Source : Labniouri, 2012

P = Prix Pspot= Prix courant immédiat Pmoy = Prix moyen Pmin = Prix minimum
Pf = Prix final MP = Matières premières Pmax = Prix maximum

C.2 La nécessité de transfert de marchandise en finance islamique


Dans un premier temps, il est à préciser qu’il y a unanimité des savants concernant
l’interdiction de revendre toute nourriture avant de la récupérer (Hassan Ayoub, 2010, p104). Les
savants de l’Islam divergent néanmoins par rapport aux modalités de cette récupération. Après un
travail de plusieurs mois, nous avons pu dresser un tableau qui récapitule l’ensemble de l’univers des
avis au sein des écoles sunnites de l’Islam, tiré de nombreux ouvrages de jurisprudence, ainsi que leurs
positions quant à l’étape à partir de laquelle la revente d’un bien est possible. L’univers des avis se
dénombre par centaines, comme détaillé au niveau de l’annexe C.3. Un organisme très réputé dans la
FI, « Kuwait Finance House », a opté pour sa part l’opinion de malékite, selon laquelle tout peut être
vendu avant la récupération « ‫ » القبض‬sauf la nourriture295. Pour KFH, le certificat de transfert de
propriété représente une récupération et son endossement le transfert de la garantie « ‫» الضمان‬
(changement de la partie qui supporte le risque). Parmi les prises de position les plus importantes, il y a
celle de Dr Abdellah Cherkaoui (jurisconsulte marocain spécialiste des questions de FI). Après une
analyse détaillée des différentes positions dans son ouvrage sur les transactions et le monde
économique contemporain, il conclut que l’interdiction de la vente à découvert et de la revente avant

295 http://shamela.ws/browse.php/book-968/page-1822#page-1365 (Mai 2014)

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le déplacement ne concerne pas seulement la nourriture (Cherkaoui, 2009, p159). Etant d’un pays de
tradition malékite (Maroc) et lui-même formé à l’école malékite, cet avis tranche donc avec les avis des
savants malékites, ceux de l’AAOIFI et des organismes internationaux qui ne sont justement pas de
tradition malékite généralement, et qui ont opté pour l’avis de cette école.
Pour sa part, Dr Wahba Zuhaili insistait sur la vision globale, rappelant que : « Il y a deux avis,
le premier qui s’appuie sur les textes et interdit la revente avant la récupération, et le second qui
s’appuie sur l’avis malékite et qui l’autorise. Si on adopte ce second avis, alors rien ne nous différencie
de la spéculation hystérique qui a lieu au niveau des marchés financiers et qui permet de revendre les
choses avant leur détention. En fait il ne faut pas que la pression des marchés nous pousse à modifier
la charia »296. Il se prononce clairement, au vu des implications macroéconomiques, contre l’avis le
plus laxiste sur cette question, qui est celui de l’école malékite. Il apporte une dimension
supplémentaire dans notre analyse déjà riche en dimensions, à savoir les implications et conséquences
de l’avis jurisprudentiel. Par ailleurs, et aussi à contre-courant de l’avis dominant adopté au final par le
conseil international de Fiqh basé à Jeddah (académie du fiqh), certains membres de ce même conseil
(Majmaa al fiqh al islami) se sont opposés à la vente avant la récupération. Il s’agit entre autres de :
• Mohamed Seddik297 ;
• Al Khalili298 ;
• Al Lahem299 ;
• Ali Salous300 ;
• Wahba Zuheili301.
Parmi ce cercle restreint, certains se sont opposés à la validation de la récupération (qabd) par la mise
à disposition seulement :
• Mohamed Réda AbdElJaber al Aani302 ;
• Wahba Zuhaili303 ;
• Ali Salous304.
Ces derniers ont requis le transfert de la marchandise avant de procéder à sa revente.
Dans un article issu d’une étude que nous avons publié dans la revue « Cahiers de la finance
islamique » 305 , numéro sept, sous le titre « La règle de récupération et ses fondements

(lien ci-après) La librairie complète ‫ المكتبة الشاملة‬296


297 L’organisation de la conférence islamique (1990), Majalat Majmaa Fiqh Islami : Journal de l’académie islamique du Fiqh, édition N 6,
pp. 561 (en arabe). URL : http://shamela.ws/browse.php/book-8356/page-8434#page-8429 (Consulté en Mai 2014)
298 Même référence, p577
299 Même référence, p582
300 Même référence, p587
301 Même référence, p588
302 Même référence, p567
303 Même référence, p569
304 Même référence, p587
305 http://www.ifso-asso.com/wp-content/uploads/2013/06/Les-Cahier-de-la-FI-7.pdf 17/1/15

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- 432 -
jurisprudentiels », nous avons démontré la pertinence de cet avis, plus proche des textes. Ce dernier
avis n’est pas l’avis dominant les conseils contemporains de jurisconsultes. Il est minoritaire, mais reste
issu de savants parmi les plus reconnus (notamment ceux de l’école Chaféite) et appuyé par les divers
textes religieux. En effet, de nombreux Hadiths prophétiques authentiques abondent en de sens :
• « Si tu achètes un bien, alors ne le revend pas avant de le récupérer » (Nasai, 613) ;
• « Nous achetions la nourriture du temps du prophète, il nous envoyait alors des
émissaires qui nous ordonnaient de changer le lieu de la marchandise »
(Muwatta, Imam Malik, récit de Ibn Omar avec une chaine de transmission authentique).
• « Je voyais les gens du temps du prophète se faire corriger s’ils revendaient de la nourriture
achetée en gros sur le lieu même de son achat, avant de la transférer chez eux » (Muslim),
• « Nous achetions du temps du prophète (paix et bénédiction sur lui) de la nourriture en gros,
alors il nous interdisait de la revendre jusqu’à ce que nous la transportions à un autre lieu »
Muslim (1526)
• « Que celui qui achète de la nourriture ne la revende pas avant de la récupérer complètement »
(Bukhari, 2132) ;
• « Que celui qui achète de la nourriture ne la revende pas avant de mesurer son poids ou sa
quantité » (Muslim, 1160).

C.3 Tableau récapitulatif des divergences sur la question de la récupération


Dans le tableau qui suit, nous avons essayé de récapituler l’ensemble des divergences entre les
écoles de jurisprudence concernant la question de la récupération physique ainsi que celle du transfert.
La question du transfert vient automatiquement après celle de la récupération dans tous les cas de
figure. Ainsi, si une école se prononce contre la validité d’une vente d’un bien qui n’est pas encore
récupéré et pesé, elle ne peut se prononcer pour sa vente dès lors que l’acte d’achat est signé, car c’est
une étape qui vient systématiquement en premier lieu. Nous avons donc l’étape de la récupération qui
précède toujours celle du transfert. Par contre, nous pouvons avoir des avis se prononçant pour la
validité d’une vente d’un bien qui est récupéré sans pour autant exiger le transfert du lieu. Concernant
les couleurs, elles représentent les avis et leur signification est comme suit :

- Noir : L’ensemble des savants de cette école n’autorisent pas la revente à cette étape ;
- Gris foncé : L’avis retenu et majoritaire dans l’école n’autorise pas la revente du bien à cette étape ;
- Gris : L’avis retenu et majoritaire de l’école autorise la revente à cette étape de la transaction ;
- Gris clair : L’ensemble des savants de l’école autorisent la revente du bien à cette étape.

Ainsi, nous avons déterminé cinq étapes majeures dans le processus global de la transaction qui
sont l’objet de divergences, sur l’étape à partir de laquelle la revente est autorisée. Ce tableau résulte
de la fusion de deux tableaux descriptifs sur les avis concernant la règle de la récupération d’une part,
et le deuxième tableau portant sur ce qui donne droit à la revente d’autre part.
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- 433 -
Nous avons donc 5 étapes dans le processus de transaction (l’acte d’achat, la mise à disposition,
l’acte de mesure, la récupération physique, le changement de lieu), 6 types de biens qui ont des
jugements différents (la nourriture quantifiable, la nourriture vendue en gros, les autres biens
quantifiables, les autres biens vendus en gros, les biens légers récupérables à la main et les biens
immobiliers), 4 écoles de jurisprudence majeures (hanafi, maléki, chaféi, hanbali), et 4 avis possibles
au sein de l’école (unanimité contre, l’avis global est contre, l’avis global est pour, l’unanimité est
pour). Nous avons donc pour chaque type de bien des dizaines de possibilités. Le nombre de
configurations globales possibles se compte par centaines, éparpillées dans des milliers de pages
d’analyse. C’est dire combien le traitement de la question de manière narrative et littéraire seulement
est peu révélateur, chose que le lecteur découvre facilement à travers les anciennes analyses.
Ce tableau a permis de schématiser et simplifier la configuration de ces avis, car la principale
difficulté résidait, dans la schématisation de l’univers des avis dans l’esprit du lecteur. Nous avons
entouré en noir les produits qui concerneront la suite de notre recherche, et qui sont traités dans les
marchés financiers, à savoir la nourriture quantifiée et les autres biens pesés et quantifiés.
Nous avons entouré en gris foncé l’avis du conseil du fiqh en 1990. Cet avis énonce que la
simple mise à disposition permet la revente du bien. Nous avons entouré en gris l’avis de l’école
shaféite, et qui se rapproche des Hadiths et des opinions de Ibn Abbas, Jabir Ibn Abdillah, Said Ibn
AlMussayib, Ataa, l’imam Chaféi et son école, Muhamad ibn Al Hasan (Hanafi), Bukhari, Muslim…

Tableau 28 : Univers des avis concernant la revente et la récupération

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- 434 -
C.4 Les raisons des divergences
La première raison revient à la manière avec laquelle on détermine la partie qui supporte la
garantie et le risque lié à la destruction du bien à telle ou telle étape de la transaction (du fait de la
maxime « le profit est lié à la garantie »). L’imam Chaféi a cité les Hadiths correspondants afin
d’appuyer sa position alors que pour l’Imam Malik et un avis chez Ahmad, l’acte suffit à transférer la
garantie. Il faut souligner que la garantie se divise en deux catégories : Une garantie qui impose au
propriétaire de compenser l’altération de la marchandise (garantie de compensation qui donne une
propriété incomplète sur le bien) et une garantie qui impose de supporter tous les risques liés à la
marchandise, et c’est cette dernière qui donne droit au profit et à la revente ou toute autre
réutilisation (Oaidah 2010, p68).
La seconde raison de divergence revient au bien en question. En effet, pour l’école malékite, la
nourriture est un bien de première nécessité, sur lequel il ne faut pas spéculer et augmenter
l’intermédiation (Cherkaoui, 2009) et donc l’inflation (Dharir)306. Zuhaili est d’avis que l’interdiction
s’applique pour toutes les marchandises, et a évoqué les conséquences macroéconomiques si on
ouvre la porte aux transactions en dehors de la récupération.
La troisième raison de divergence revient aussi à un avis de l’école malékite qui considère que
les biens que l’on ne peut revendre avant récupération sont ceux susceptibles de faire tomber dans
l’usure. Ibn Abbas avait souligné cet élément quand deux transactions sont faites alors que la
nourriture n’a pas bougé, et il a souligné que ceci est valable pour l’ensemble des marchandises.
Par ailleurs, il faut noter que le qabd (récupération) se divise en deux classes : complet « ‫» التام‬
et incomplet. La transaction n’est finalisée et ne donne lieu à la possibilité de revente que lorsque le
qabd est complet. Pourtant elle est valide (la première) même si le qabd est incomplet car il n’est pas
un pilier de validité du contrat mais une condition annexe.
Figure : Schéma récapitulant les différentes raisons retrouvées dans les textes, dans les avis des
compagnons puis des écoles juridiques justifiant l’obligation de récupération et transfert

306 http://shamela.ws/browse.php/book-8356/page-8434#page-8448 (Mai 2014)

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- 435 -
C.5 Exemple de contrat CPO malaisien
Figure 56 : Exemple de contrat futur de CPO malaisien

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- 436 -
C.6 Financement bancaire et allocation sous-optimale des capitaux
Prenons comme hypothèse les données relatives à deux projets et supposons que la banque, du
fait de ses moyens, ne peut se permettre de financer plus d’un projet. Dans notre exemple, nous
aurons :
• Le projet A : Le porteur de projet est un industriel, déjà propriétaire de plusieurs unités de
production et de terrains, qui souhaite procéder à une extension de sa principale unité, et
escompte un rendement moyen annuel de 15% par rapport à l’investissement effectué.
• Projet B : Le porteur de projet est un groupe d’ingénieurs récemment diplômés, qui portent une
idée innovante d’investissement dans une application utilisant l’intelligence artificielle. Leur
analyse de projet a été conduite par un cabinet expérimenté et projette une rentabilité
annuelle de 45%. Contrairement au premier, ils n’ont pas de garanties à présenter. Le profil de
risque est similaire.
Généralement, le système bancaire actuel aura tendance à financer le premier projet malgré le
manque à gagner en termes de valeur ajoutée pour l’économie nationale. Vu que la banque est
rémunérée par un intérêt fixe, et non un PPP, elle opte pour le projet ayant le plus de garanties par
rapport au capital engagé à l’initiation de l’investissement.

C.7 Z-Score et étude comparative de stabilité face aux chocs financiers


« Une étude empirique apporte des éléments de réponse sur cette question. Elle a été effectuée
par deux économistes du FMI : Cihak et Hesse (2010). L’idée de ce travail est de calculer une mesure de
stabilité financière qui est propre à chaque banque, le z-score, et de comparer les valeurs de cet
indicateur pour les IFI et les banques conventionnelles. Le z-score est une mesure de stabilité bancaire
très utilisée dans la littérature scientifique. Il se définit comme le ratio de la somme des fonds propres et
ROA (rendement sur actifs) divisée par l’écart-type du ROA. En d’autres termes, le z-score mesure le
nombre d’écarts-type nécessaires pour que le ROA chute de sorte que les fonds propres deviennent
négatifs, ce qui correspond à un état d’insolvabilité. Ainsi il mesure la distance à l’insolvabilité pour une
banque. L’étude est effectuée sur un échantillon de banques originaires de 19 pays du Moyen-Orient,
d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud-Est, c’est-à-dire les pays où les IFI peuvent être considérées comme
les plus actives. L’échantillon comporte 397 banques conventionnelles et 77 IFI. La période de l’étude
s’étend de 1993 à 2004. Les conclusions de l’étude sont les suivantes. Tout d’abord, elle ne trouve pas
de différence significative en termes de z-score entre les IFI et les banques conventionnelles lorsque
toutes les banques de l’échantillon sont considérées. Ce premier résultat suggère que les deux
ensembles d’arguments sur le lien entre IFI et stabilité financière se compenseraient de sorte qu’aucun
effet ne dominerait. » (Weil, 2013, p5).

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- 437 -
Dans ce cadre, une distinction de la part des chercheurs permet néanmoins de voir que le z-score des
petites IFI est supérieur à celui de leurs homologues conventionnelles, et inversement pour les
grandes. Cette efficacité inférieure dans le cas des grandes IFI se justifie par l’asymétrie d’information
et le manque de standardisation à mesure que la banque grandit.

C.8 Le Screening
Screening : Processus de filtrage basé sur des critères qualitatifs puis quantitatifs permettant de
déterminer un pool d’actions dans lequel les IFI sont autorisées à investir. Le critère de screening
qualitatif du Dow Jones Islamic Index, par exemple, exclut d’emblée toute entreprise dont l’activité
principale est illicite (alcool, pornographie, tabac, jeux de hasard, finance usuraire, certains loisirs et
media…).
Dans les critères quantitatifs on note, malgré certaines divergences entre comités charia :
- L’obligation de ne pas dépasser 0 ou 5% (selon l’avis retenu) de revenus illicites ;
- Le ratio dette / capitalisation boursière moyenne sur 24 (ou 12) mois inférieur à 30 (ou 33%) ;
- Le ratio créances / capitalisation boursière moyenne sur 24 (ou 12) mois inférieur à 33% ;
- Le ratio (Cash + actifs liquides) / capitalisation boursière moyenne sur 24 (ou 12) mois inférieur à 33%.

ANNEXES D (PARTIE IV)


D.1 Reprise de l’ACP et des analyses après l’élimination de deux variables
A la suite de l’analyse, nous avons fait le choix d’écarter deux variables pour davantage de pertinence
des résultats. Nous exposons ci-après la nouvelle ACP après cette opération.

Tableau 29 : Indice KMO et test de Bartlett

Indice KMO et test de Bartlett


Mesure de précision de l'échantillonnage de Kaiser-Meyer-Olkin. ,815

Test de sphéricité de Bartlett Khi-deux approximé 806,396


Signification de Bartlett ,000

L’indice KMO de 0,815 peut être qualifié d’excellent alors qu’il était auparavant de 0,794, il y a alors
une amélioration notable dans cette mesure : l’indice passe de bon à excellent. Ceci nous indique que
les corrélations entre les items sont de bonne qualité. Ensuite, le résultat du test de sphéricité de
Bartlett est significatif puisque la p-valeur est inférieure au risque conventionnel de 5%. Nous pouvons
donc rejeter l'hypothèse nulle voulant que nos données proviennent d’une population pour laquelle la
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- 438 -
matrice serait une matrice d’identité. Les corrélations ne sont donc pas toutes égales à zéro. Nous
pouvons donc poursuivre l'analyse. Nous enchainons notre raisonnement par l’examen de la qualité de
la représentation ainsi déduite.

• Qualité de représentation
Tableau 30 : Qualité de représentation

Qualité de représentation
Initial Extraction
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure de performance 1,000 ,550
Cupidité, course au prestige entre les traders 1,000 ,461
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides 1,000 ,362
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation (CDS...) 1,000 ,576
La vente à découvert 1,000 ,392
Les ventes futures 1,000 ,513
Le Spoofing 1,000 ,619
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière 1,000 ,624
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions 1,000 ,693
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal 1,000 ,483
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) 1,000 ,562
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et 1,000 ,676
compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise 1,000 ,501
Cotation continue et fréquence des transactions 1,000 ,394
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure 1,000 ,398
oligopolistique)
La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin l'économie réelle 1,000 ,616
La volatilité importante des marchés 1,000 ,634
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs 1,000 ,461
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers 1,000 ,291
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités 1,000 ,356
L'effet de levier, possible et de plus en plus important 1,000 ,527
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché 1,000 ,529
Méthode d'extraction : Analyse en composantes principales.

• Tableau de la variance totale expliquée :


De nouveau nous procédons au calcul de la variance expliquée.
Tableau 31 : Variance totale expliquée
Variance totale expliquée
Extraction Sommes des carrés des Somme des carrés des facteurs retenus
Valeurs propres initiales facteurs retenus pour la rotation
Compos % de la % % de la % % de la
ante Total variance cumulés Total variance cumulés Total variance % cumulés
1 9,394 42,698 42,698 9,394 42,698 42,698 6,016 27,344 27,344
2 1,824 8,289 50,987 1,824 8,289 50,987 5,202 23,644 50,987
3 1,400 6,362 57,349
4 1,279 5,814 63,163
5 1,149 5,223 68,386

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6 ,952 4,327 72,713
7 ,850 3,862 76,575
8 ,835 3,793 80,369
9 ,675 3,068 83,437
10 ,603 2,742 86,179
11 ,539 2,451 88,630
12 ,477 2,168 90,798
13 ,376 1,710 92,508
14 ,313 1,422 93,930
15 ,253 1,151 95,080
16 ,236 1,074 96,155
17 ,210 ,953 97,108
18 ,197 ,897 98,005
19 ,143 ,651 98,657
20 ,123 ,558 99,214
21 ,097 ,442 99,657
22 ,075 ,343 100,000
Méthode d'extraction : Analyse en composantes principales.

Le premier facteur explique 42,69 % de la variance totale des variables de l'analyse. Mis en communs,
les deux premiers facteurs permettent d'expliquer près de 51 % de la variance globale. Ainsi deux
dimensions expliquent alors plus de la moitié de l’information contenue dans les réponses de notre
questionnaire. Notons aussi que par rapport à l’analyse faite préalablement, le gain serait en termes de
qualité de représentation serait alors de 3,313 points (50,987- 47,674).

• Nouveau graphique des valeurs propres :


Suite à l’analyse de la variance totale expliquée, le graphique des valeurs propres est comme suit :

Figure 57 : Graphique des valeurs propres

L’allure générale du graphique reste globalement similaire à celle produite précedement.

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- 440 -
• Matrice des composantes après rotation
Le calul de matrice de composantes après rotation de Varimax est produit ci-dessous :
Tableau 32 : Matrice des composantes après rotation
Matrice des composantes après rotation
Composante
1 2
Manque d'intérêt pour l'éthique, le profit rapide étant la seule variable de mesure de performance ,690 ,271
Cupidité, course au prestige entre les traders ,597 ,323
Excès de prise de risque, les dérivés finissent chez les plus aventuriers et non les plus solides ,221 ,559
Des assureurs qui spéculent de plus en plus et qui couvrent la spéculation également (CDS...) ,655 ,385
La vente à découvert ,031 ,626
Les ventes futures ,320 ,641
Le Spoofing ,786 ,037
Complexité croissante des produits structurés (mal cernés) et excès d'innovation financière ,725 ,313
Poids de plus en plus important des dérivés dans les volumes de transactions ,518 ,652
Possibilité d'arbitrage réglementaire et fiscal ,650 ,245
Domination croissante des opérations et comptabilités parallèles et hors bilan (OTC) ,705 ,255
Déréglementation excessive qui aboutit à ce que les autorités de régulation ont des budgets et ,807 ,158
compétences inférieurs à ceux des spéculateurs qu'ils sont censés contrôler
Poids et pouvoir des lobbys financiers, ainsi que leur protection en cas de crise ,608 ,363
Cotation continue et fréquence des transactions ,606 ,166
Domination de l'intermédiation et d'acteurs institutionnels de grande taille (structure oligopolistique) ,225 ,590
La rentabilité des activités financières spéculatives dépasse de loin celle de l'économie réelle ,502 ,604
La volatilité importante des marchés ,159 ,780
Asymétrie d'information, opacité et fausses rumeurs ,109 ,670
Détérioration de la solvabilité des agents économiques et financiers ,345 ,414
Création monétaire et abondance de crédit et de liquidités ,296 ,518
L'effet de levier, possible et de plus en plus important ,325 ,649
La possibilité de titriser la dette puis la négocier sur le marché ,482 ,545
Méthode d'extraction : Analyse en composantes principales. Méthode de rotation : Varimax avec normalisation de Kaiser.

• Carte factorielle : Diagramme des variables après rotation


Ci-après, le diagramme de composantes de projection des variables sur le plan des deux composantes.
Figure 58 : Diagramme des composantes après rotation

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Ce second diagramme dissocie un peu plus les deux groupes. La représentativité s’est en effet
légèrement améliorée après l’exclusion de deux variables puis la rotation.

D.2 La Var comme outil de mesure du risque


Cette valeur « représente la perte potentielle maximale d’un investisseur sur la valeur d’un actif
ou d’un portefeuille d’actifs financiers qui ne devrait être atteinte qu’avec une probabilité donnée sur
un horizon donné »307. On suppose généralement (ce qui n’est pas toujours vérifié en pratique), que la
distribution des valeurs relatives à l’actif ou au portefeuille suit une loi log-normale. Ainsi, à titre
d’exemple, « la VAR au seuil de confiance de 95% à 1 jour, notée VAR (95%, 1Jour), égale à 1 million
d’euros signifie qu’il y a 95% de chances pour que la perte associée à la détention de l’actif n’excède pas
1 million d’euros »308. Cet exemple peut être illustré de la manière suivante :

Figure 59 : La VaR comme outil de mesure du risque

La VAR permet donc de mesurer d’une certaine manière le risque maximal pour une période donnée
d’une manière assez simple. En effet, « même si la Value At Risk n'est pas un vrai instrument de
prévision, elle permet néanmoins d'obtenir une mesure quantitative du risque »309. La VAR est encore
utilisée par les plus grandes institutions financières mondiales. Cependant, sa simplicité constitue l’un
de ses principaux défauts tant il y a d’hypothèses à respecter pour ne pas tomber dans le biais et tant
l’observation des valeurs passées pour anticiper les fluctuations à venir peut s’avérer hasardeuse. La
crise financière de 2008 est venue confirmer ce constat, poussant la communauté financière à
s’orienter vers la recherche d’une alternative plus crédible. Une alternative qui, à ce jour, n’est pas
clairement définie.

307 http://www.abcbourse.com/apprendre/19_value_at_risk.html (19/5/15)


308 Même référence
309 Même référence

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- 442 -
D.3 Circuits fermés de corrélations
Les boucles dont les corrélations dépassent 0,6 peuvent être schématisées comme suit :

Figure 60 : Première boucle de corrélations

Ce schéma met en évidence un circuit fermé entre quatre facteurs dont les corrélations sont
importantes. La réduction de ces quatre facteurs à trois peut se faire aisément, tant les corrélations
bilatérales sont confirmées de manière circulaire. En poussant la logique de réduction de variables au
maximum, nous pourrions ne retenir qu’un seul de ces quatre facteurs en y greffant les pondérations
respectives de chacun, dans la version la plus synthétique de notre instrument de mesure.

Figure 61 : Seconde boucle de corrélations

Ce second schéma met en avant un circuit fermé de cinq facteurs, dont quatre relevant des facteurs
exogènes de la spéculation, ce qui en consolide la représentativité en cas de réduction des facteurs.

Figure 62 : Troisième boucle de corrélations

Ce dernier schéma représente trois facteurs, tous représentatifs de facteurs exogènes de la spéculation.
Ils peuvent être réduits à deux facteurs du fait du niveau de corrélation et des corrélations triangulaires.

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- 443 -
D.4 Autres versions baromètre
D.4.1 Version fusionnant les corrélations intra-catégories, à 0,6 (17 facteurs)

Dans un souci de synthèse, une autre version du baromètre sera proposée, dans l’optique de faciliter l’utilisation du baromètre tout en ne perdant
pas une quantité d’information décisive. Dans cette version, nous avons procédé à la fusion des facteurs qui présentaient une corrélation supérieure à 0,6,
tant que ces corrélations se manifestaient entres facteurs de la même sous-catégorie. L’objectif est de diminuer le nombre de facteurs à mesurer
nécessaires pour obtenir une mesure chiffrée de la sous-catégorie. Dans cette version, nous avons cinq facteurs en moins.

Figure 63 : Version du baromètre à 17 facteurs

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- 444 -
D.4.2 Version fusionnant toutes les corrélations au-delà de 0,6 (15 facteurs)
Afin de continuer dans la logique de diminution des facteurs, et la logique de simplification de l’utilisation de notre baromètre, nous avons
proposé une version plus restreinte de cet outil. Nous avons exploré les corrélations qui se manifestaient également entre différentes sous-catégories
afin d’en fusionner les facteurs respectifs. Cette nouvelle étape nous permet de retenir des facteurs à mesurer au nombre de 15 facteurs.
Figure 64 : Version du baromètre à 15 facteurs

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- 445 -
D.4.3 Version d’abréviations
Une fois l’utilisateur familiarisé avec l’outil, il deviendra possible d’en utiliser une version synthétique basée seulement sur les abréviations
relatives aux concepts ou les mots clés du facteur ou du ratio en question.
Figure 65 : Version abrégée du baromètre

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- 446 -
D.5 ANCIENNE VERSION DU BAROMETRE
Nous tenons à rappeler que le baromètre a fait l’objet de plus d’une dizaine d’évolutions. L’une
des principales évolutions liées à ce baromètre découlait directement d’un changement de
nomenclature du classement des facteurs de la spéculation. Les ayant auparavant catégorisés en trois
principaux groupes, l’analyse nous a finalement permis de les regrouper en deux grandes catégories et
cinq sous-catégories. Nous présentons ici l’une des versions les plus anciennes de notre baromètre, à
partir de laquelle les versions ultérieures ont émergé.
Figure 66 : Ancienne version du baromètre

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- 447 -
ANNEXES E (PARTIE V)
Tableau 33 : E.1 Détails du poste titres financiers du bilan de CIMB

Détail du poste ‘’Titres financiers’’ Montant Part Part du bilan


Instruments monétaires non cotés 12153513 52% 3%
Malaysian Government Securities 467344 4%
Malaysian Government treasury bills 79579 1%
Bank Negara Malaysia Monetary Notes 1365647 11%
Negociable instruments of deposit 4212256 35%
Other Government's securities 5291664 44%
Commercial papers 280743 2%
Government Investment Issues 456280 4%
Instruments financiers cotés 5043730 22% 1%
Shares 1425468 28%
Foreign shares 1451127 29%
Private and Islamic debt securities 427287 8%
Other Government bonds 1225016 24%
Investment linked funds 514832 10%
Instruments financiers non cotés 5972435 26% 1%
Shares 6802 0,1%
Private and Islamic debt securities 2634676 44%
Foreign Private and Islamic debt securities 3330957 56%
TOTAL 23169678 100%

Tableau 34 : E.2 Détail du poste ‘’instruments dérivés’’


Détail du poste ‘’Instruments dérivés financiers’’ Montant Part Part du bilan
Trading derivatives 8269498 98% 2%
I) Foreign exchange derivatives 4585359 55%
1- currency forward 403896 9%
2- currency Swaps 1653786 36%
3- currency spot 13439 0%
4- currency option 109660 2%
5- cross currency interest rate Swaps 2404578 52%
II) Interest rate derivatives 2300522 28%
1- interest rate Swaps 2298610 100%
2- interest rate futures 1268 0%
3- interest rate options 644 0%
III) Equity related derivatives 275624 3%
1- equity futures 16011 6%
2- equity options 255724 93%
3- equity Swaps 3889 1%
IV) commodity related derivatives 1015285 12%
1- commodity Swaps 871879 86%
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- 448 -
2- commodity futures 856 0%
3- commodity options 142550 14%
V) credit related contract 92708 1%
1- CDS 68020 73%
2- total return Swaps 24688 27%
Hedging derivatives 187287 2% 0,04%
1- interest rate Swaps 74624 40%
2- currency Swaps 69733 37%
3- cross currency interest rate Swaps 42930 23%
TOTAL 8 456 785
Tableau 35 : E.3 Détail du poste ‘’titres financiers’’
Détails du poste titres financiers Montant Part Part du bilan
Murabaha 4250000 66% 5%
Disponibles à la vente 1920674 30% 2%
1- Sukuk 1071088
2- Actions 369997
3- Autres 479589
Investissements 89167 1% 0,10%
Investissements détenus à maturité 97568 2% 0,11%
Investment avec associés 110729 2% 0,12%
Total 6468138 100% 7%

E.4 Analyse du Tahawwut master agreement


D’une portée bien moins officielle et internationalement reconnue, mais bien plus avant-
gardiste, le Tahawwut Master Agreement est un document qui a vu le jour à la suite de la sollicitation
de plusieurs acteurs de la FI, afin d’avoir une ébauche de cadre régissant les transactions appelées de
manière controversée les ‘’dérivés islamiques’’. C’est à l’initiative de l’IIFM 310 et en collaboration avec
son conseil de supervision que l’accord a été publié. Il fournit un cadre contractuel explicatif des
transactions dites ‘’dérivées’’ et réputées conformes à la charia. Ayant été élaboré en partenariat avec
la plus importante institution qui chapeaute les dérivés au niveau de la finance mondiale (ISDA) 311,
nous avons jugé fort utile de prendre le soin d’analyser les implications d’un tel document. Précisons
d’emblée que l’ISDA affirme clairement que « aucune approbation de la conformité sharia n’a été
données par le comité sharia de l’IIFM aux transactions ou aux DFT » (ISDA, 2010, p8) présentes dans
l’accord. Ayub (2011, p13) juge l’approbation du cadre de l’accord et la désapprobation des

310 IIFM : International Islamic Financial Markets, une institution créée pour faciliter la négociation d’actifs liquides comme les Sukuk à
court terme, entre plusieurs places boursières de pays musulmans.
311 ISDA : International SWAPS and derivatives association. Créée en 1985, cette institution regroupe près de 830 membres d’environ 58

pays dans le monde. Elle ambitionne de renforcer le recours aux dérivés comme outils de gestion des risques. Elle représente
principalement les acteurs du gré à gré. L’une de ses principales contributions est la rédaction des IDA master agreements de 1992, 2002
et 2010. Ces documents couvrent un grand nombre de dérivés et favorisent la compréhension de ces produits ainsi que la gestion des
risques.

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- 449 -
transactions de l’accord comme étant très paradoxale. Il évoque la piste selon laquelle le conseil de
supervision sharia de l’IIFM ait probablement pressenti une utilisation inappropriée, tronquée ou
abusive de ces transactions.
Dans un premier temps, l’accord cite un certain nombre de transactions déjà classées comme
dérivées, qu’il valide. Il détaille également le fonctionnement de transactions dédiées à la FI, telles que
les profit rate Swaps et les échanges de dépôt. Les dispositions relatives à la résolution de litiges, aux
mécanismes de clôture des transactions et au dénouement anticipé sont aussi présentées. Lors de
l’initiation d’une transaction, une documentation détaillée doit être fournie par les initiateurs.
L’accord décrit un certain nombre de transactions :
• Le Salam, considéré ici comme produit dérivé ;
• L’Istisnaa ;
• Le Urbun qui est une option call mais dont la valeur nominale est déduite du prix d’achat
final du sous-jacent s’il est exercé. L’accord précise que sa revente est illicite et qu’il doit
rester rattaché à l’actif sous-jacent vu que la négociation des droits n’est pas acceptée ;
• Le Wa’ad, qui est une promesse unilatérale contraignante, opérant de manière similaire
à une option d’achat intégrée au contrat. L’accord évoque également l’extension de
cette transaction aux contrats de change ;
• Khiyar al-shart, une option intrinsèque au contrat pour stipuler un délai de rétractation ;
• Khiyar al-tayeen, une option intrinsèque au contrat qui permet de désigner l’une des
marchandises parmi celles choisies dans un panier ;
• L’istijrar, un contrat par lequel le prix final n’est fixé qu’ex post, en se basant sur la
moyenne des prix observés durant la période ;
• La mourajaha, qui est une SWAP de devises à travers un prêt bilatéral en devises
différentes ;
• Moubadalatou arbah, qui est une SWAP de profit à travers un change de mourabaha de
court et long terme ;
• Bai al-uhda, qui permet la reprise d’un bien vendu si le montant est restitué ;
• Bai al-wafa, similaire à bai al uhda mais avec une garantie hypothécaire ;
• Bai al-istighlal, qui permet de vendre en gardant l’utilisation avec un contrat de location.

En outre, l’accord classe les transactions Tawarruq, al-ina (buy-back) et al-dayn (dérivé de crédit),
comme étant des transactions illicites.
Cet accord a constitué un socle de travail pour l’IIFM issu de la coopération de plusieurs
institutions et gouvernements. Parmi les directives promulguées par l’IIFM concernant l’accord, la mise
à l’écart des transactions proposées par l’accord comme pistes, et la limitation à l’accord général de
base. De la même manière, le comité sharia de l’IIFM a mis à l’écart les DFT (designated future
transactions) qui mettent également en avant des transactions refusées par la majorité des opérateurs
et experts. Les directives de l’IIFM insistent sur la nécessité que les transactions de couverture soient
liées à des risques réels découlant de l’activité économique de l’opérateur. Les transactions ne doivent

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- 450 -
« pas avoir lieu à des fins de spéculation, mais à des fins de livraison réelle des marchandise » (ISDA,
2008, p8). L’accent est donc mis sur la nécessité d’aboutir à une livraison réelle et non à une
liquidation/compensation purement monétaire. D’un point de vue normatif, les directives de l’IIFM
semblent tranchées sur les pistes qui peuvent favoriser la spéculation.
En somme, nous retrouvons l’ensemble des produits décrits dans l’accord dans le tableau
présenté dans notre sous-partie 5.1.1 L’un des aspects les plus intéressants de l’accord est l’insistance
sur l’aspect non négociable des options et des avances, dans le cadre des prescriptions de la FI. Cette
orientation de non négociabilité est essentielle lorsqu’il s’agit de discuter la question de la spéculation
à travers ses principaux facteurs, car cette négociabilité est effectivement l’un des facteurs recensés, à
travers la titrisation de la dette et la domination des produits dérivés. Sur les dérivés, il est utile de
rappeler que l’ancien secrétaire général de l’AAOIFI énonçait en 2015 qu’il ne peut exister de ‘’dérivés
islamiques’’ du fait du principe de tangibilité et d’adossement à l’actif réel en FI. Les dispositions
suivantes sont aussi de nature à consolider une orientation moins favorable à la spéculation, dans la
mesure où, les transactions conclues dans le cadre de cet accord doivent être :
• Dans un but de couverture ;
• Dénuées de tout objectif spéculatif ;
• Réelles et aboutissant à un réel transfert de propriété, de risque et de marchandise.
A rebours, nous notons que des transactions répliquant certains produits dérivés sont présentes dans
l’accord, notamment certaines SWAPS dites islamiques. Au-delà des aspects d’échanges secs de flux
monétaires qui rentrent dans le cadre de l’interdiction que l’on retrouve dans les normes de l’AAOIFI,
du fait de ‘’l’intérêt d’échange’’ proscrit et discuté en première partie, ces produits peuvent avoir les
mêmes dérives que celles observées pour les dérivés conventionnels, dérives accentuées au cas où la
négociabilité est tolérée. De telles dérives peuvent largement trouver un support dans la prescription
2.a de l’accord selon laquelle les protagonistes peuvent ne pas procéder au paiement ou à la livraison
si un cas de défaut, même potentiel, faisait surface. Ce genre de prescription est de nature à favoriser
les interprétations diverses, puis la prolifération de transactions factices aboutissant à la
compensation/liquidation, si controversée et permettant davantage de spéculation.
En conclusion, les principales objections et réserves à cet accord demeurent plus du ressort des
savants de la charia. Le Tahawwut master agreement reprenant une structure similaire au document
ISDA de base, réservé aux produits conventionnels, de nombreux experts tels Ayub (2011) se posent
des questions quant à la conformité de son contenu. D’autres facteurs de la spéculation peuvent être
plus ou moins favorisés par un tel accord, comme le récapitule le baromètre suivant :

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- 451 -
Figure 67 : Récapitulatif des principales clauses de l’accord Tahawwut impactant certains facteurs

FACTEURS ENDOGENES FACTEURS EXOGENES


FACTEUR Eléments du cadre étudié FACTEUR Eléments du cadre étudié

CADRE REGLEMENTAIRE
11. Possibilité d'arbitrage fiscal et réglementaire Offre des issues non disponibles dans d'autres juridictions.
1. Cupidité, course au prestige
COMPORTEMENTS

d'égo et de chiffres 12. Domination d'opérations et de comptabilités


parallèles
2. Prises de risque excessives 13. Cotation continue et fréquence des transactions

3. Ethique marginalisée et 14. Déréglementation et ouverture excessives, avec


environnement favorisant la fraude des autorités ayant des contrôleurs moins qualifiés
4. Intention préalable de spéculer Les transactions ne doivent pas avoir de fin spéculative, que les opérateurs financiers
à court-terme mais bien de transfert réel de marchandise ou de risque
15. Poids et pouvoir des lobbys financiers

CADRE FINANCIER
5. Ventes futures
TRANSACTIONS

16. Structure oligopolistique et conflits d'intérêt


6. Assurances et spéculation
17. Domination de l'analyse comportementale sur
7. Vente à découvert l'analyse fondamentale
8. Poids des dérivés De nombreuses propositions de dérivés. 18. Voltilité
9. Complexité croissante et excès 19. Asymétrie d'info, opacité, fausses rumeurs Documentation claire et détaillée à fournir.
Certains produits passent par des montages complexes.
d'innovation 20. Attractivité financière: Rentabilité d’activités
10. Spoofing financières dépasse celle de l’économie réelle

CADRE MACRO
LEGENDE: 21. Système bancaire, dette et détérioration de la
En gris foncé: Facteurs qui sont accentués par les éléments du cadre, du pays ou des normes en question solvabilité
En gris: Facteurs qui peuvent se manifester dans ce cadre, et sans obstacles majeurs
22. Création monétaire et abondance de liquidités
En gris clair: Facteurs de la spéculation pour lesquels il y a une résilience et qui n'ont que peu de chances de se manifester
23. Titrisation et négociabilité de la dette Options et avances non négociables.

24. Levier

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- 452 -
E.5 Profils des répondants pour le questionnaire des MFI
Répondants ayant répondu à la globalité des questions
• M.A : Economiste et conférencier, spécialisé dans les MFI et membre du comité international
d’économie islamique. Il est l’auteur de plusieurs articles sur la spéculation et les MFI ;
• M.D : Directeur de division marchés financiers islamiques au sein d’une des trois agences de
notation majeures ;
• A.H : Fondateur d’un fonds de fonds d’investissements islamiques, et expert affilié à l’une des
trois grandes agences de notation majeures ;
• M.A.H : Docteur en finance islamique, professeur universitaire à Paris et gérant de fond au sein
d’un fond d’investissement ;
• A.L : Consultant sharia et expert auprès de plusieurs institutions, directeur d’un centre de
recherche sharia en Malaisie ;
• M.R.M : Directeur de structuration de produits, au sein d’une banque majeure au Golfe;
• A : Membre de l’organe de régulation des marchés financiers en Malaisie, et professeur en
finance spécialisé en MFI ;
• D.A : Consultante en structuration de produits financiers de MFI, ancienne cadre de l’IILM ;
• A : Spécialiste des questions de MFI ;
• A : Spécialiste des questions de MFI ;
• Comité : 3 membres de l’autorité de régulation des marchés financiers, en Malaisie ;
• O.I : Auteur de plusieurs ouvrages sur les questions de FI et de MFI, actuellement professeur
chercheur spécialisé dans les MFI ;
• S.A : Directeur de développement de produits et de recherche à la BID, auteur de plusieurs
articles scientifiques et ouvrages traitant du SEI, de la FI et des MFI ;
• S : Ancien cadre au sein de Kuwait Finance House et actuellement consultant spécialisé en FI ;
• J.N.J : Directeur de BursaMalaysia.
Répondants ayant participé aux questionnaires test et ayant répondu en partie aux questions
• J : Membre d’une institution multilatérale majeure de supervision en FI ;
• A.Z : Docteur spécialiste des questions de MFI, actuellement professeur universitaire au sein de
l’université nationale des sciences islamiques de Malaisie ;
• A.A : Spécialiste des questions de MFI ;
• M.M : Membre du comité national de supervision sharia, en Jordanie, et Mufti local ;
• M.E : Professeur de finance au sein d’un institut international spécialisé en FI.

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- 453 -
ANNEXES F (ANNEXES GENERALES)
Biographies des principaux penseurs et économistes cités
- Akerlof George
« Économiste américain, lauréat en 2001 du prix Nobel d'économie avec Michel Spence et Joseph
Stiglitz pour leurs travaux sur les marchés à information asymétrique. Né le 17 juin 1940 à New Haven
(Connecticut), George A. Akerlof obtient sa licence à Yale en 1962 et son doctorat à l'Institut de
technologie du Massachusetts (M.I.T.), en 1966. Cette même année, il commence à enseigner à
l'université de Californie à Berkeley. En 1980, il est distingué par un prix de la fondation Goldman. Ses
recherches dérivent souvent d'autres disciplines, telles que la psychologie, l'anthropologie et la
sociologie. Il est l'un des fondateurs de l'économie comportementale »312.
- Al Suwailem Sami
Directeur du centre de développement de produits à la banque islamique de développement, il est
aussi directeur adjoint à l’IRTI, institute chargé de la recherche académique pour la BID. Il a obtenu son
Master à l’université de l’illinois du sud en 1990 et son doctorat à l’université de Washington, Saint
Louis, Missouri313.
- Allais Maurice
« Maurice Félix Charles Allais, né à Paris le 31 mai 1911 et mort le 9 octobre 2010 à Saint-Cloud, est un
économiste français proche de l'école néoclassique. Il est surtout connu pour ses contributions de
pionnier à la théorie des marchés efficients dans l'utilisation des ressources pour lesquels il a reçu de
nombreuses distinctions, dont le « prix Nobel d'économie » en 1988 ».314
- Anne E. Peck
Anne E. Peck est un professeur associé au sein de Food Research Institute à l’université de Stanford315.
- Arrow K. J.
« Né en 1921 dans une famille modeste à New York, Kenneth Arrow a une double formation en sciences
sociales et en mathématiques, mais en 1941 il décide de s’orienter vers l’économie à l’université de
Columbia. Arrow reçoit le Nobel d’économie avec John Hicks en 1972 ».316
- Bachelier Louis

312 Universalis.fr, George Akerloff. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/george-a-akerlof/


313 Edx.org, Sami I. Al Suwailem. URL : https://www.edx.org/bio/sami-i-al-suwailem
314 Jesuismort.com, Biographie Maurice Allais. URL : http://www.jesuismort.com/biographie_celebrite_chercher/biographie-
maurice_allais-14421.php
315 American Enterprise Institute for Public Policy Research (1985), Washington, D.C, pp. 1. URL :
http://www.farmdoc.illinois.edu/irwin/archive/books/Futures-Regulatory/Futures-Regulatory_contributors.pdf
316 Alternatives Economiques Poche n° 021 (novembre 2005), Kenneth Joseph Arrow. URL : http://www.alternatives-
economiques.fr/kenneth-joseph-arrow_fr_art_222_27221.html

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- 454 -
« Louis Bachelier (1870-1946) : mathématicien français, il est aujourd'hui considéré comme un
précurseur de la théorie moderne des probabilités et comme le fondateur des mathématiques
financières. Dans sa thèse intitulée Théorie de la spéculation, soutenue le 29 mars 1900, il a introduit
l'utilisation en finance du mouvement brownien (découvert par Brown, biologiste), qui est à la base de
la plupart des modèles de prix en finance, notamment la formule de Black-Scholes (1973) ».317
- Bodie Zvi
« Zvi Bodie, titulaire d'un doctorat du Massachusetts Institute of Technology, a enseigné à la Sloan
School of Management du MIT et à la Harvard Business School avant de devenir professeur de finance à
la School of Management de l'université de Boston »318.
- Artus Patrick
« Né en 1951, Patrick Artus est passé par les bancs de Polytechnique, de Sciences po et de l’Ecole
nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae). C’est en 1988 qu’il rejoint la CDC-
Ixis (la banque d’investissement de la Caisse des dépôts et consignations), dont il est actuellement le
directeur de la recherche et des études. Il produit dans ce cadre un grand nombre de flashes, synthèses
d’une dizaine de pages sur un thème précis (disponibles sur le site www.cdcixis.com). Parallèlement, il a
enseigné dans diverses universités et est membre du CAE ». 319
- Bagehot Walter
« Économiste, banquier, rédacteur en chef de The Economist (entre 1861 et 1877), Walter Bagehot
(1826-1877) est aussi un publiciste, auteur notamment de plusieurs articles sur le système bancaire
britannique. Dans son ouvrage Lombard street (1873), il décrit la fonction de prêteur en dernier ressort
que doit assumer la banque centrale pour assurer la liquidité des banques en cas de crise majeure.
Bagehot s'est aussi intéressé aux systèmes politiques. Ainsi, dans The English constitution (1867,
traduction française en 1869), il étudie la monarchie constitutionnelle britannique ».320
- Baumol William J.
« Economiste américain né le 26/02/1922 à New York il obtient son doctorat à l'Université de
Londres en 1949. De 1949 à 1992, il est professeur d'économie à l'université de Princeton […]. En 1971 il
devient professeur d'économie à l'Université de New York où il est également directeur du centre C.V.
Starr d'économie appliquée. Il a été président de l'American Economic Association, de l’Association of

317 Controverse Mathématiques & Finance, Louis Bachelier. URL : http://controverses.mines-


paristech.fr/prive/promo09/C09B4/thematique/thematique.php?param=bachelier&texte=bachelier2
318 Amazon.fr, Biographie de l’auteur, Zvi Bodie. URL : https://www.amazon.fr/Finance-3e-%C3%A9dition-Zvi-
Bodie/dp/2744075051/ref=la_B001IOBFE2_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1477399317&sr=1-1
319 Alternatives Economiques Poche n° 021 (novembre 2005), Patrick Artus. URL : http://www.alternatives-economiques.fr/patrick-

artus_fr_art_222_27224.html
320 Jean-Marie Tremblay (2007), Walter Bagehot, 1826-1877, les classiques des sciences sociales, bibliothèque numérique. URL :

http://classiques.uqac.ca/classiques/bagehot_walter/bagehot_walter_photo/bagehot_walter_photo.html

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- 455 -
Environmental and Resource Economists, de l’Eastern Economic Association. Il est membre de
la National Academy of Sciences. Il a publié plus de 35 livres, et plus de 500 articles ».321
- Blanchard Olivier Jean
Citoyen français, Olivier Blanchard a passé la majeure partie de sa vie professionnelle à Cambridge,
États-Unis. Après avoir obtenu son doctorat en économie au Massachusetts Institute of Technology en
1977, il a enseigné à l'Université de Harvard […]. Il a été président du Département des
affaires économiques de 1998 à 2003 […]. Il est un macro économiste, qui a travaillé sur un large
éventail de questions, du rôle de la politique monétaire, de la nature des bulles spéculatives, à la
nature du marché du travail et les déterminants du chômage, à la transition dans les anciens pays
communistes, au récessions macroéconomiques et aux déséquilibres extérieurs. Il a travaillé avec
de nombreux pays et organisations internationales. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, y
compris les deux manuels en macroéconomie, l'un au niveau des études supérieures avec Stanley
Fischer, l'autre au niveau du premier cycle. Il est membre et ancien membre du Conseil de la Société
d'économétrie, vice-président de la American Economic Association, et membre de l'Académie
américaine des sciences322.
- Bowman David
David Bowman a eu son diplôme en économie à l’université de Californie en 1985 et a eu son Doctorat
à la même université en 1993. Il a commencé sa carrière par le poste d’économiste au sein du Conseil
des gouverneurs du Système fédéral de réserve et est devenu un directeur associé au sein de ce
dernier323.
- Bradford Delong James
Bradford Delong James est professeur d’économie à l’université de Californie depuis 1997. Il en est
devenu président depuis juillet 2001. Il a poursuivi ses études Harvard, où il a obtenu son Doctorat324.
- Causse-Broquet Geneviève
« Geneviève Causse-Broquet est Professeur émérite à l'Université Paris-Est et à l'ESCP-Europe,
Professeur invité à l'ESA (École Supérieure des Affaires) de Beyrouth et à l'ESAA (École Supérieure
Algérienne des Affaires) d'Alger. Elle est Agrégée des universités en sciences de gestion, Docteur d'État
en gestion, Maître en Droit, diplômée expert-comptable. Geneviève Causse-Broquet est responsable

321 Université de New York, Baumol William. URL : http://www.econ.nyu.edu/user/baumolw/


322 Massachusetts Institute of Technology, Département de l'économie, Short biography, Olivier Blanchard. URL :
http://economics.mit.edu/faculty/blanchar/short
323 Board of Governors of the Federal Reserve System, David Bowman. URL : https://www.federalreserve.gov/econresdata/david-

bowman.htm
324 Site personnel de Bradford James Delong, CV académique de BRADFORD. URL : http://www.j-bradford-
delong.net/Career/DeLong_Academic_cv_20050407.pdf

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- 456 -
d'un cours de Finance islamique à l'ESA de Beyrouth et exerce des activités de conseil. Elle est
spécialisée en ingénierie pédagogique des systèmes d'enseignement supérieur en management »325.
- Chapra Umer Muhammad
Umer Chapra est chercheur consultant à l’Islamic Research and Training Institute, organe de recherche
rattaché à la Banque Islamique de Développement. Auparavant, il était à l’agence monétaire d’Arabie
Saoudite (SAMA) chargée la supervision, pendant près de 35 ans, en tant que consultant économique
sénior326.
- Cootner Paul H.
Né en 1930 et mort en 1978, il était un économiste financier. Il a eu son diplôme de master à
l’université de Floride. Il a obtenu un doctorat en économie industrielle à l’Institut de technologie
du Massachusetts en 1953. En 1970, il a rejoint le corps professoral de l'École supérieure d'affaires à
l'Université de Stanford327.
- Dharir Mohammed Al-Amine Al-Siddiq
Al-Dharir Mohammed était un professeur de la Shariah à l’université de Khartoum au Soudan. Il est le
premier président et membre fondateur du Conseil supérieure de la surveillance de la Sharia. Il est
notamment l’auteur d’un ouvrage fondamental et de référence sur la question du Gharar328.
- Fama Eugene
Docteur de l'Université de Chicago en 1964, il détient aussi un MBA de l'Université de Chicago et un BA
de la Tufts University. Il est Nobelisé en 2013. Il a écrit deux livres et de nombreux articles et est l'un
des chercheurs les plus prolifiques des États-Unis. Ses recherches se concentrent sur les prix du marché
et leurs répercussions sur la gestion de portefeuille. Il est aussi éditeur adjoint du Journal of Financial
Economics et membre de l'Econometric Society de l'American Academy of Arts and Sciences. Le
professeur Fama a aussi le grade honoris causa en droit de l'Université de Rochester et de la DePaul
University329.
- Fisher Irving
« Economiste américain (1867-1947), il se situe dans la lignée des marginalistes du XIXe siècle, mais on
lui doit des avancées considérables dans le domaine de la théorie quantitative de la monnaie, mettant

325 Eyrolles.com, Geneviève Causse-broquet. URL : http://www.eyrolles.com/Accueil/Auteur/genevieve-causse-broquet-95977


326 Umer Chapra. URL : https://cenf.univ-paris1.fr/fileadmin/Chaire_CENF/cv_umer_chapra.pdf
327 Stanford University, Paul Cootner. URL : https://historicalsociety.stanford.edu/pdfmem/CootnerP.pdf
328 http://hssb.gov.sd/fr/content/%D8%A7%D9%84%D8%A8%D8%B1%D9%88%D9%81%D9%8A%D8%B3%D9%88%D8%B1-
%D8%A7%D9%84%D8%B5%D8%AF%D9%8A%D9%82-%D9%85%D8%AD%D9%85%D8%AF-
%D8%A7%D9%84%D8%A3%D9%85%D9%8A%D9%86-%D8%A7%D9%84%D8%B6%D8%B1%D9%8A%D8%B1
329 Dimensional, Eugene Fama. URL : https://ca.dimensional.com/fr/biblioth%C3%A8que/bios.aspx?bio=eugene_fama

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- 457 -
en relation masse monétaire, activité économique et inflation. Il est l’auteur du fameux 100%
Money »330.
- Friedman Milton
« Né en 1912 à Brooklyn, Milton Friedman est le grand pape de l’ultralibéralisme. Après son doctorat, il
enseigne à l’université de Chicago de 1946 à 1977. Chef de file d’une véritable contre-révolution
keynésienne dès les années 50, il a vu ses idées triompher dans les années 70, et reçu le prix Nobel en
1976. Il a été le conseiller de nombreux candidats à la présidence des Etats-Unis, résolument ancrés à
droite (Richard Nixon et Ronald Reagan notamment). Alors qu’il est professeur à l’université de Chicago,
il a également été consulté par le général chilien Augusto Pinochet, après le coup d’Etat de 1973 »331.
- Hart Olivier
Prix Nobel 2016 de l’économie, « Oliver Hart est né en 1948 à Londres. Il a la double nationalité
américano-britannique. Il a étudié les mathématiques au King's College de Cambridge et les sciences
économiques à l'Université de Warwick. Docteur de l'Université de Princeton, il a successivement
occupé des postes de chercheur au Churchill College (Cambridge), de Professeur à la London School of
Economics and Political Science et au Massachusetts Institute of Technology. Il enseigne depuis 1993 à
l'Université de Harvard. Ses recherches portent sur la théorie de la firme, la théorie des contrats et la
finance d'entreprise. Il a obtenu le prix Nobel de l’économie de 2016 »332.
- Hicks J.
« Après des études à Oxford, cet économiste britannique enseigne notamment à la London School of
Economics (entre 1926 et 1935), avant de revenir à Oxford où il sera professeur jusqu’à son départ à la
retraite en 1965. Il reçoit le prix Nobel en 1972, avec Kenneth Arrow. Il est ainsi récompensé pour ses
travaux les plus fidèles à la théorie néoclassique (sur la théorie générale d’équilibre économique et la
théorie du bien-être), vis-à-vis desquels il a alors pris du recul, s’éloignant peu à peu de Hayek pour se
rapprocher de Keynes »333.
- Hirshleifer Jack
« Jack Hirshleifer est un professeur émérite d’économie à l’université de Los Angeles en Californie. Le
professeur Hirshleifer est membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences et de la Société
d’Économétrie, ancien président de l’Association Économique Occidentale et ancien vice-président de

330 Sciences éco Poitiers, Fisher Irving, Biographies, Université de Poitiers. URL : http://sceco.univ-poitiers.fr/ECOB1/biographies.htm
331 Alternatives Economiques Poche n° 021 (novembre 2005), Milton Friedman (1912-2006). URL : http://www.alternatives-
economiques.fr/milton-friedman--1912-2006-_fr_art_222_27757.html
332 Audrey (2016), Qui sont Oliver Hart et Bengt Holmström, les Prix Nobel d'économie 2016 ?, 21 Octobre, InFinance.fr. URL :

http://www.infinance.fr/articles/bourse/formation-conseil/article-qui-sont-oliver-hart-et-bengt-holmstrom-les-prix-nobel-d-economie-
2016-660.htm
333 Alternatives Economiques Poche n° 021 (novembre 2005), John Richard Hicks (1904-1989). URL : http://www.alternatives-

economiques.fr/john-richard-hicks--1904-1989-_fr_art_222_27801.html

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- 458 -
l’Association Économique Américaine, qui l’a nommé membre émérite en 2000. Il a fait partie du
comité éditorial de l’American Economic Review, du Journal of Economic Behavior and Organization et
du Journal of Bioeconomics »334.
- Jugglar Clément
« Jugglar, 1819-1905, est un économiste français. Clément Juglar fut d'abord médecin, ne se tournant
vers les questions économiques qu'à partir de 1852, et mit en évidence les cycles dits « classiques » de
dix ans durant lesquels se produisaient croissance et retournements de manière redondante »335.
- Kahf Monzer
Kahf Monzer est un professeur de finance islamique et de l’économie à la faculté des études islamique
de l’université HBK de Qatar. Il a de fortes connaissances et expériences dans la jurisprudence et les
études islamiques. Il a son Doctorat en économie en 1975. Kahf est un membre actif dans les
associations, il est membre fondateur de l’association internationale de l’économie islamique, et bien
d’autres associations. Il a gagné le prix de la Syrie pour le meilleur étudiant diplômé de l’université en
1962 et le prix de la BID pour l’économie islamique en 2001336.
- Kaldor Nicholas
« Nicholas Kaldor naît à Budapest le 12 mai 1908, issu d'une famille d'avocats hongrois, Julius et Joan
Kaldor. Étudiant en économie à l'Univesité de Berlin de 1925 à 1926, il rejoint ensuite la London School
of Economics, où il suit les cours d'Allyn Young et de Lionel Robbins et fréquente John Hicks. Diplômé en
1930, il devient assistant à la London School dès 1932, et y enseignera jusqu'en 1947.
Nicholas Kaldor est dans un premier temps un économiste néoclassique, disciple de Friedrich Hayek
dont il traduit plusieurs ouvrages. Il se rapproche cependant progressivement de John Maynard Keynes
et participe à l'élaboration de la Théorie Générale dans le cadre du « Circus », cercle d'économistes
assistant Keynes dans la réalisation de ses travaux. Il devient membre du King's College, à Cambridge
en 1949, où il enseignera de 1966 à 1975. Il y devient avec Joan Robinson l'un des animateurs du post-
keynésianisme, cherche à étendre l'analyse keynésienne à l'étude des cycles économiques et à lui
donner de nouveaux fondements micro-économiques »337.
- Kindleberger Charles
« Charles Kindelberger né aux Etats-Unis est un des plus grands historiens économiques contemporains.
Collaborateur de Keynes au sortir de la guerre quand il a fallu reconstruire le système financier mondial,

334 Iberlibro.com, Biographie de l’auteur, Jack Hirshleifer. https://www.iberlibro.com/Micro%C3%A9conomie-th%C3%A9ories-


applications-D%C3%A9cisions-march%C3%A9s-formation/18881979691/bd
335 URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/clement-juglar/ (19/01/15)
336 Kahf.net, About Dr.Kahf Monzer. URL : http://www.kahf.net/
337 Babelio, Nicholas Kaldor. URL : http://www.babelio.com/auteur/Nicholas-Kaldor/186345

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- 459 -
il n'a cessé depuis de contribuer à la réflexion des plus grandes institutions. Professeur au MIT pendant
33 ans et francophile, il a écrit plusieurs ouvrages sur les crises financières »338.
- Kitchin Joseph
Kitchin,1861-1932, est un statisticien économiste anglais qui a mené une étude sur les cycles
économiques et pu mettre en valeur l’existence de cycles très courts de 40 mois qu’il justifia par les
réactions psychologiques naturelles au processus d’accumulation du capital et à la diffusion décalée de
l’information ainsi que les réactions des firmes aux vagues d’offre et de demande339.
- Kondratiev Nikolai Dmitrievitch
Kondratiev est un économiste soviétique qui s’est fait connaître pour sa théorie des cycles
économiques longs (40 à 60 ans). Né le 4 mars 1892 et mort fusillé au Goulag le 17 septembre 1938 340.
- Kreps David M.
« David M. Kreps, né le 18 octobre 1950 à New York (États-Unis), est un économiste et un théoricien du
jeu américain. Il est professeur à la Stanford Graduate School of Business, à l'université de Stanford. Il
est connu pour son analyse des modèles de choix dynamiques et de non-coopération dans la théorie des
jeux, particulièrement dans l'idée de l'équilibre séquentiel, une notion qu'il a créée avec son collègue
américain Robert B. Wilson. Il est récipiendaire de la Médaille John Bates Clark en 1989. Il est fait
professeur honoraire par l'université Paris-Dauphine en 2001 »341.
- Markowitz H.
Harry Max Markowitz (né le 24 août 1927 à Chicago) est un économiste américain. Il a reçu le Prix de
théorie John Von Neumann en 1989, et est lauréat du Prix de la Banque de Suède en sciences
économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 1990. C'est l'auteur du phare de « diversification efficiente
» des portefeuilles d'actifs financiers342.
- Miller Merton
« En se basant sur les travaux de Markowitz, il est devenu l'un des "fondateurs de la finance moderne".
C'est d'ailleurs en compagnie de Harry MARKOWITZ et William SHARPE qu'il obtient le prix Nobel en
1990. Ces trois économistes ont conduit des analyses dans le domaine de la théorie financière des
entreprises. À la fin des années 50, Miller avait conduit des analyses avec Franco MODIGLIANI (Nobel
1985). Leurs premiers théorèmes dans le domaine de la finance d'entreprise avaient été publiés en 1958.

338 Amazon.fr, Biographie de l’auteur, Charles Kindelberger. URL : https://www.amazon.fr/Histoire-sp%C3%A9culation-financi%C3%A8re-


Charles-P-Kindleberger/dp/2909356221
339 http://www.policonomics.com/joseph-kitchin/ (19/01/15)
340 Abcbourse.com, Nikolaï KONDRATIEV, Biographie. URL :
https://www.abcbourse.com/apprendre/biographie_nikola%C3%AF_kondratiev-40 (19/01/2015)
341 Dunod.com, David M. Kreps. URL : http://www.dunod.com/auteur/david-m-kreps
342 Nobelprize.org, Harry M. Markowitz – Biographical, Nobel Media AB. URL : http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-

sciences/laureates/1990/markowitz-bio.html

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- 460 -
Ils ont été les premiers à appliquer les théories économiques aux entreprises. Ensemble, ils ont formulé
deux théorèmes en matière de théorie financière, modélisant les relations entre la structure du capital,
la politique du dividende et la valeur du coût du capital. Professeur à l'université de Chicago entre 1961
et 1993, il fut également membre du conseil du marché des contrats à terme de Chicago entre 1990 et
2000 »343.
- Minsky Hyman
« Hyman P. Minsky (1919-1996) est un économiste américain. Il fait ses études à Harvard, où il suit
les enseignements de Joseph Schumpeter. Il enseigne par la suite à Berkeley et à la Washington
University (Saint-Louis). Sa pensée a été fortement influencée par l'économiste anglo-saxon John
Maynard Keynes »344.
- Misri Youness Rafiq
Né en 1942 à Damas, Syrie, il a obtenu son Doctorat en économie de développement à l'Université
d'économie de Rennes (France) en 1975. Il est professeur au sein de la faculté des sciences
économique de l’université du Roi Abd AlAziz. Il représente l’une des références majeures en FI, avec
de nombreux ouvrages345.
- Modigliani F.
« Né à Rome, Franco Modigliani se rend aux Etats-Unis pour fuir le régime fasciste de Mussolini. A New
York, il se spécialise en économie et enseigne dans de nombreuses universités américaines, dont le
Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il reçoit le prix Nobel d’économie en 1985.»346.
- Nienhaus Volker
Dr. Volker Nienhaus était un professeur d’économie, avant de devenir président de l’université de
Marburg. Il a publié de nombreux livres et articles en économie islamique et finance islamique depuis
1980. Il a été membre de différents départements académique des institutions publiques et privés en
Allemagne. En 2006, il a été nommé membre du Conseil d'administration du Centre international pour
l'éducation en finance islamique (INCEIF) à Kuala Lumpur. Il est également consultant auprès de la
Commission des services financiers islamiques sur les questions de gouvernance des opérations
Takaful.347

343 Armon André, Merton Miller (États-Unis, 16 mai 1923 - 3 juin 2000), site personnel d’économie. URL : http://aygosi.pagesperso-
orange.fr/1AuteursEconomiques.html#MILLER
344 Ombres Blanches, Biographie, Hyman Minsky. URL : http://www.ombres-blanches.fr/themes/economie-themes-
autres/livre/stabiliser-une-economie-instable/hyman-p--minsky/9782363831866.html
345 Fikre.com, Rafiq Youness Misry. URL : http://fikr.com/node/7550
346 Alternatives Economiques Poche n° 021 (novembre 2005), Franco Modigliani (1918-2003). URL : http://www.alternatives-

economiques.fr/franco-modigliani--1918-2003-_fr_art_222_27826.html
347 Amazon.fr, Biographie de l’auteur, Nienhaus Volker. URL : https://www.amazon.fr/Takaful-Islamic-Insurance-Concepts-
Regulatory/dp/0470823526

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- 461 -
- Obiyathulla Mohammed
Dr. Obiyathulla est le fondateur d’IBF Net – The Islamic Business and Finance Network. Il a été
éonomiste principal, à l’Islamic Research and Training Institute of the Islamic Development Bank Group.
A l’Islamic Sciences University Malaysia (USIM), il a été professeur de FI. Dr Oiyathulla a également
travaillé à l’Islamic Economics Research Center, King Abdulaziz University, Jeddah, Saudi Arabia. Il a
enseigné à l’International Islamic University Malaysia, au Xavier Institute of Management, Inde et la T A
Pai Management Institute, Indie. Ses centres d'intérêt incluent : Finance Islamique, des marchés
financiers et le financement du développement.348
- Orléan André
Né en 1950, André Orléan est diplômé de Polytechnique puis de l’Ecole nationale de la statistique et de
l’administration économique (Ensae). Il est coresponsable du DEA économie des institutions (EHESS,
Ecole polytechnique, université de Paris X-Nanterre). Il fait partie des économistes hétérodoxes.349
- Qaradaghi Ali
Dr. Qaradaghi est lauréat de l’institut islamique, titulaire d’un master de jurisprudence et d’un doctorat
en Sharia et droit à l’université Al-Azhar. Il a marqué sa carrière, comme étant président, par plusieurs
expériences en études islamiques au sein de différents organismes. Il est spécialiste des questions de FI
avec plusieurs ouvrages, sous l’angle chariatique.350
- Reich Robert
« Robert Reich est un homme politique, universitaire et commentateur politique américain. Il fut le 24e
secrétaire d'Etat au Travail dans l'administration Clinton de 1992 à 1997. Il est également un ancien
professeur de l'université Harvard et enseigne à présent à l'université de Berkeley, à la Goldman School
of Public Policy. Il intervient occasionnellement comme commentateur politique, notamment dans
l'émission Hardball with Chris Matthews. Il détient aujourd'hui le poste de conseiller du président
américain pour le domaine économique »351.
- Reinhart Carmen
« Carmen Reinhart (née en 1955) est une économiste américaine d'origine cubaine. Elle a été
économiste chez Bear Stearns puis a travaillé plusieurs années au Fonds monétaire international (FMI),
où elle était en dernier lieu directrice adjointe du service des études. Elle est professeur d’économie et

348 International Institute of Islamic Business and Finance (IIIBF), Dr. Mohammed Obiyathulla. URL : http://www.iiibf.org/obaid.html
349 Alternatives Economiques Poche n° 021 - novembre 2005, André Orléan. URL : http://www.alternatives-economiques.fr/andre-
orlean_fr_art_222_27832.html
350 Qaradaghi.com, site personnel de Qaradaghi, Parcours personnel – Dr. Ali Muhy Qaradaghi. URL :
http://www.qaradaghi.com/Details.aspx?ID=4
351 Babelio.com, Robert B. Reich. URL : http://www.babelio.com/auteur/Robert-B-Reich/190513

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- 462 -
directrice du Centre pour l'économie internationale à l’université du Maryland. Elle siège aussi dans
divers organismes, notamment au Council on Foreign Relations »352.
- Rogoff Kenneth
« Kenneth Rogoff est un économiste américain. Il a été économiste en chef du Fonds monétaire
international (FMI) de 2001 à 2003. Kenneth Rogoff est diplômé du Massachusetts Institute of
Technology (PhD 1980), il est professeur d'économie (depuis 1999) et de politique publique
(depuis 2004) à Harvard. Auteur de nombreux travaux théoriques, il écrit régulièrement des articles
pour la presse internationale, repris en France par Les Échos. Kenneth Rogoff est renommé pour son
conflit avec Joseph Stiglitz, un lauréat du « prix Nobel » d'économie et un ancien chef économiste à
la Banque mondiale. La dispute a été amorcée par les violentes critiques effectuées par Stiglitz contre
le Fonds monétaire international (FMI), dans ses livres. Rogoff y a répondu dans une lettre ouverte »353.
- Salant Walter Stephen
« Salant a obtenu son BA en mathématiques à l’université de Columbia, et son PhD à l’université de
Pennsylvanie. Il a occupé le poste d’économiste pendant plus de 14 ans, ensuite il a opté pour une
carrière de professeur au sein de plusieurs établissement. Il a écrit plusieurs articles dans le domaine de
l’économie »354.
- Samuelson P. A.
« Paul Samuelson était né le 15 mai 1915 à Gary, dans l'Indiana, aux Etats-Unis. Après des études
d'économie à Chicago puis à Harvard où il obtient son PhD (doctorat), il devient en 1940 professeur au
Massachusetts Institute of Technology (MIT). A Harvard, il est l'élève de Joseph Schumpeter et surtout
d'Alvin Hansen, le conseiller économique de Harry Truman et l'introducteur de Keynes aux Etats-
Unis.»355.
- Shiller Robert J.
Né en 1946 à Détroit (Michigan), doctorat réalisé en 1972 au Massachusetts Institute of Technology
(MIT). Robert J. Shiller, est un lauréat du prix Nobel de 2013 en économie. Il est professeur d’économie
à l’université de Yale, et co-créateur de l'indice Case-Shiller du prix de l’immobilier aux États-Unis356.
- Siddiqi Mohammad Nejatullah
Dr. Siddiqi a poursuivi des études en Shariah à Rampur. En 1960 il a obtenu son Master à l’université
Aligarh en Inde et en 1966 et il eut son doctorat à la même université. Il a enseigné les études

352 Wikipedia. Carmen Reinhart. URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carmen_Reinhart


353 Wikipedia, Kenneth Rogoff. URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kenneth_Rogoff
354 Site personnel S. Salant, CV Stephen W. Salant. URL : http://www-personal.umich.edu/~ssalant/cv.htm
355 LeMonde.fr : lemonde.fr/disparitions/article/2009/12/15/paul-samuelson-prix-nobel-d-economie-1970_1280915_3382.html
356 Project Syndicate, Schiller Robert. URL : https://www.project-syndicate.org/columnist/robert-j--shiller

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- 463 -
islamiques à l’université Algirah en Inde, et l’économie à l’Université du Roi Abd AlAziz. Il a gagné
plusieurs honneurs universitaires, dont le King Faisal International Prize for Islamic Studies en 1982 et
Shah Waliullah Award for 2001, Institute of Objective Studies, New Delhi en Mai 2003 ainsi que
l’American Finance House Award en 1993.357
- Soros George
« George Soros, né en 1930, fuit le régime communiste en 1947 en gagnant la Grande Bretagne. En
1952, il suit les cours du philosophe anti-communiste Karl Popper à la London School of Economics. En
1956, il émigre aux États-Unis avec une idée en tête : gagner un demi-million de dollars. Pari réussi, sa
fortune s'élevait à 14,5 milliards de dollars, ce qui l'érigeait au rang de 46ème fortune mondiale selon le
classement Forbe's 2011. Soros écrit davantage en finance, domaine qu’il maîtrise. »358
- Stiglitz Joseph
« Né en 1943, Joseph Stiglitz est à 26 ans professeur à Yale. La thèse de cet ancien étudiant du
Massachusetts Institute of Technology (MIT), portant sur le rationnement du crédit (soutenue en 1981),
est célèbre dans le monde universitaire. Ses travaux sur l’économie du développement, notamment au
Kenya, lui ont fait toucher du doigt l’imperfection des marchés, les questions d’incertitude, d’asymétrie,
autant d’hypothèses sur lesquelles il a fondé l’essentiel de ses recherches. En poste à la Banque
mondiale à partir de 1996, cet économiste iconoclaste n’a cessé, ces dernières années, de critiquer les
plans d’austérité imposés par le Fonds monétaire international (FMI), les fausses promesses des
programmes de privatisation et l’absence de réflexion des économistes sur les dimensions
institutionnelles et politiques du développement. Il démissionne de la Banque en février 2000. En 2001,
il reçoit le prix Nobel d’économie avec deux autres économistes keynésiens »359.
- Tirole Jean
« Né le 9 août 1953, à Troyes, Tirole Jean est un ingénieur mathématicien optant pour la recherche en
économie. En 1978, il obtient son Doctorat de 3ème cycle en mathématiques de la décision (Université
Paris IX – Dauphine) pour la thèse : Essais sur le calcul économique public et sur le taux d'actualisation,
et en 1981 il a eu son Doctorat d’économie à l'Institut technologique du Massachusetts (MIT ou
Massachusetts Institute of Technology, Cambridge) pour la thèse : Essais en théorie économique
(Essays in Economic Theory). Il occupe le poste d’enseignant-chercheur, principalement en France et aux
États-Unis. Il a gagné le prix Nobel en sciences économiques en 2014 »360.

357 Siddiqi.com, site personnel, Dr Mohammed Nejatullah Siddiqi. URL : http://www.siddiqi.com/mns/mns_cv3.html


358 Zonebourse.com, George Soros. URL : https://www.zonebourse.com/barons-bourse/George-Soros-56/biographie/
359 Alternatives Economiques Poche n° 021 (novembre 2005), Joseph Stiglitz. URL : http://www.alternatives-economiques.fr/joseph-

stiglitz_fr_art_222_27863.html
360 CNRS, Biographie de Jean Tirole. URL : http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/04_cv.pdf

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- 464 -
- Verrier Ramon
« Ramon Verrier est professeur à la faculté de Droit, d'Economie et des Sciences sociales de Tours et
membre du Groupe d'Etudes et de Recherches sur la Coopération Internationale et l'Europe (GERCIE). Il
dirige le parcours " Banque et marchés financiers " du master " Ingénierie et politique financières " de
l'université de Tours délocalisé au Maroc depuis 1996 »361.
- Working Holbrook
Né en 1895, Holbrook était un professeur américain d’économie et de statistiques à l’université de
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1. Gestion des risques (IFSB-1);


2. La suffisance du capital (IFSB-2);
3. Gouvernance d'entreprise (IFSB-3);
4. La transparence et la discipline de marché (IFSB-4);
5. Processus de surveillance prudentielle (IFSB-5);
6. Gouvernance pour les fonds de placements collectifs de (IFSB-6);
7. Suffisance du capital pour les Sukuk, la titrisation et l’investissement immobilier (IFSB-7);
8. Principes directeurs sur la gouvernance de l'assurance islamique takaful (IFSB-8);
9. Conduite des affaires pour les institutions offrant des services financiers islamiques (IFSB-9);
10. Gouvernance charia (IFSB-10);
11. Norme sur les exigences de solvabilité pour les engagements Takaful (IFSB-11) 2010;
12. Principes directeurs relatifs au système financier et sur la gestion du risque de liquidité (IFSB-12);
13. Principes directeurs sur le Stress Testing (IFSB-13);
14. La gestion des risques pour Takaful (IFSB-14);
15. Capital Adequation Standard révisée (IFSB-15);
16. Directives révisées sur les éléments clés dans le processus de surveillance prudentielle (IFSB-16)
17. Principes fondamentaux pour une régulation de la FI (IFSB-17)
18. Principes directeurs pour Retakaaful (IFSB-18) ;
19. Reconnaissance des évaluations charia sur les instruments financiers (GN-1)
20. Note d'orientation dans le cadre de la gestion des risques et des normes relatives aux fonds propres :
Transactions Commodity Murabahah (GN-2)
21. Note d'orientation sur le lissage des bénéfices versés aux porteurs de compte d'investissement (GN -3) ;
22. Note d'orientation dans le cadre de la suffisance du capital : La détermination de l’alpha du ratio de
suffisance du capital (GN-4) ;
23. Note d'orientation sur la reconnaissance des évaluations par les établissements de crédit externes
d'évaluation (OEEC) sur Takaful et Retakaful (GN-5)
24. Mesures quantitatives pour la gestion du risque de liquidité (GN-6)
25. Développement des marchés monétaires islamiques (TN-1).

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www.kse.com.sd/UserFiles/File/Procurement%20&%20Purcasing%20Rules.pdf
3. Guide des transactions, 2010
www.kse.com.sd/UserFiles/File/tradingrl.pdf
4. Guide des procedures de compensation, 2010-2
www.kse.com.sd/UserFiles/File/up/csd.pdf
5. Règles de competence et de transparence pour les brokers, 2014
www.kse.com.sd/UserFiles/File/Brokerage%20Efficency%20Rules.pdf
6. Règles de gouvernance pour les sociétés cotées, 2014 www.kse.com.sd/UserFiles/File/governance.pdf
7. Revue de la bourse, édition 2014
www.kse.sd/UserFiles/File/magazine.pdf
8. Rapport annuel de la bourse, 2015
kse.com.sd/UserFiles/File/arabi%20report2015.pdf
9. Règles de fonctionnement du fonds de compensation, 2015
www.kse.com.sd/UserFiles/File/SetelmentR.pdf
10. Guide de lutte contre le blanchiment d’argent et terrorisme pour les sociétés cotées, 2015
www.kse.com.sd/UserFiles/File/Mlaund.pdf
11. Loi relative à l’autorité de régulation des marchés financiers, 2016
www.kse.com.sd/UserFiles/File/authority(2).pdf
12. Autre loi relative à l’autorité de régulation des marchés financiers, 2016
www.kse.com.sd/UserFiles/File/KSE.pdf
13. Guide du conseil suprême de la charia
cbos.gov.sd/sites/default/files/fatawa_book_01.pdf
14. Récapitulatif historique de l’expérience soudanaise de passage au SEI, publié par la banque centrale
cbos.gov.sd/sites/default/files/banking_system.pdf

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- 488 -
INDEX DES FIGURES
Figure 1 : Schématisation d’un contrat Salam classique .......................................................................... 45
Figure 2 : Schématisation d’un Salam parallèle ........................................................................................ 45
Figure 3 : Récapitulatif des différences entre Salam et Istisnaa .............................................................. 46
Figure 4 : Classification des Sukuk selon la transaction sous-jacente ...................................................... 48
Figure 5 : Schématisation des montages de Sukuk .................................................................................. 49
Figure 6 : Schéma récapitulatif du système économique et financier islamique..................................... 50
Figure 7 : Les phases de la spéculation chez Kindleberger ..................................................................... 111
Figure 8 : Illustration de la pyramide des besoins de Maslow ............................................................... 126
Figure 9 : Part des fonds spéculatifs dans les transactions .................................................................... 135
Figure 10 : Placements dans les fonds indiciels et prix des matières premières ................................... 135
Figure 11 : Evolution des prix des matières premières, du riz et du blé ................................................ 145
Figure 12 : Illustration graphique de la courbe des taux du contrat proposé aux Yvelines ................... 148
Figure 13 : Récapitulatif de la valeur théorique d’un call en fonction du cours du sous-jacent ............ 154
Figure 14 : L’évolution des volumes des produits dérivés et celle du PIB mondial entre 2000 et 2012 154
Figure 15 : Répartition par secteur d’activité du marché mondial du gré à gré .................................... 162
Figure 16 : Montant quotidien des échanges de devises et des exportations en 2007 ......................... 170
Figure 17 : Conséquences du levier sur les cycles économiques ........................................................... 196
Figure 18 : Les différences entre le call et le urbun................................................................................ 222
Figure 19 : Schéma récapitulatif du fonctionnement des SWAPS en Malaisie (Obiyathulla et al, p323)
................................................................................................................................................................ 223
Figure 20 : Schéma récapitulatif du Wa’ad ............................................................................................. 224
Figure 21 : Principaux cabinets juridiques délégataires des Sukuk internationaux ............................... 231
Figure 22 : Principales banques d’affaires pour les montages de Sukuk internationaux....................... 232
Figure 23 : L’interaction des facteurs de production dans un environnement financier islamique ...... 241
Figure 24 : Le calcul du ratio de capitaux propres selon la méthodologie de l’IFSB .............................. 244
Figure 25 : Valeur de la perte en actifs possible, par rapport à la part des CI dans le passif ................. 245
Figure 26 : Schéma comparatif d'une dévaluation d'actif entre une banque et une IFI ........................ 246
Figure 27 : Schéma récapitulatif du fonctionnement du tawarruq ........................................................ 259
Figure 28 : Sukuk négociables et Sukuk non négociables ....................................................................... 260
Figure 29 : Schéma de screening selon les critères du Dow Jones islamique ........................................ 261
Figure 30 : Volume des principaux instruments interbancaires en Malaisie (Askari et al, 2013, p125) 264
Figure 31 : Etapes caractéristiques d’un travail de recherche ............................................................... 268
Figure 32 : Répartition des interrogés selon la fonction occupée .......................................................... 283
Figure 33 : Diagramme récapitulatif des réponses selon les facteurs .................................................... 285
Figure 34 : Moyennes dans l’ordre décroissant ..................................................................................... 286
Figure 35 : Graphique des valeurs propres ............................................................................................. 303
Figure 36 : Matrice des composantes ..................................................................................................... 304
Figure 37 : Représentation des points variables dans l’espace factoriel (1,2) ....................................... 306
Figure 38 : Récapitulatif des principales corrélations entre facteurs ..................................................... 333
Figure 39 : Version intégrale du baromètre ........................................................................................... 335
Figure 40 : Version à 22 facteurs ............................................................................................................ 336
Figure 41 : Projection du baromètre sur les principes fondateurs de la FI ............................................ 343
Figure 42 : Projection du baromètre sur les principes fondateurs de la FI, nuancés par les pratiques
constatées ............................................................................................................................................... 344
Figure 43 : Les principaux critères et étapes de screening ..................................................................... 363
Figure 44 : Comparatif des seuils retenus sur trois indices différents (Gamaledin, 2015, p26) ............ 364

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- 489 -
Figure 45 : Récapitulatif des principales normes AAOIFI impactant certains facteurs .......................... 365
Figure 46 : Récapitulatif des principales normes IFSB impactant certains facteurs .............................. 373
Figure 47 : Analyse du corpus juridique du MFI soudanais à la lumière de notre baromètre ............... 377
Figure 48 : Analyse du corpus juridique du MFI malaisien à la lumière de notre baromètre ................ 379
Figure 49 : Récapitulatif des facteurs de la spéculation potentiellement présents dans au moins l’une
des juridictions des experts interrogés ................................................................................................... 395
Figure 50 : Récapitulatif de l’ampleur des facteurs de la spéculation selon les experts interrogés ...... 396
Figure 51 : Synthèse comparative de l’ampleur des facteurs de la spéculation selon les différents cadres
................................................................................................................................................................ 399
Figure 52 : Arbre distinctif des opérations spéculatives......................................................................... 422
Figure 53 : Illustration du processus de vente à découvert ................................................................... 424
Figure 54 : Libéralisation financière et spéculation ................................................................................ 426
Figure 55 : L’istijrar ................................................................................................................................. 431
Figure 56 : Exemple de contrat futur de CPO malaisien ......................................................................... 436
Figure 57 : Graphique des valeurs propres ............................................................................................. 440
Figure 58 : Diagramme des composantes après rotation...................................................................... 441
Figure 59 : La VaR comme outil de mesure du risque ............................................................................ 442
Figure 60 : Première boucle de corrélations .......................................................................................... 443
Figure 61 : Seconde boucle de corrélations............................................................................................ 443
Figure 62 : Troisième boucle de corrélations ......................................................................................... 443
Figure 63 : Version du baromètre à 17 facteurs ..................................................................................... 444
Figure 64 : Version du baromètre à 15 facteurs ..................................................................................... 445
Figure 65 : Version abrégée du baromètre............................................................................................. 446
Figure 66 : Ancienne version du baromètre ........................................................................................... 447
Figure 67 : Récapitulatif des principales clauses de l’accord Tahawwut impactant certains facteurs .. 452

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- 490 -
INDEX DES ENCADRES
Encadré 1.1 : Qu’est-ce qu’un système économique................................................................................22
Encadré 1.2 : La politique budgétaire vue par Ibn Khaldûn………………………………..……………..………...........39
Encadré 2.1 : L’effet de levier à travers un exemple numérique............................................................194
Encadré 3.1 : L’aléa moral chez les IFI.....................................................................................................235
Encadré 3.2 : PPP chez les IFI..................................................................................................................244

INDEX DES TABLEAUX


Tableau 1 : Comparaison entre Sukuk, obligations et actions ................................................................. 48
Tableau 2 : Points communs et divergences entre jeux de hasard, spéculation et investissement ........ 67
Tableau 3 : Synthèse comparative des théories explicatives de la spéculation ..................................... 112
Tableau 4 : Répartition des interrogés selon la fonction occupée ......................................................... 282
Tableau 5 : Récapitulatif de la répartition des réponses selon les facteurs étudiés .............................. 284
Tableau 6 : Réponses à la question relative à l’exhaustivité du questionnaire ..................................... 287
Tableau 7 : Table de Moyenne des facteurs étudiés après la pondération ........................................... 288
Tableau 8 : Moyenne des facteurs étudiés en fonction de la catégorie des interrogés ....................... 289
Tableau 9 : Matrice des corrélations entre facteurs .............................................................................. 293
Tableau 10 : Matrice des corrélations entre facteurs après dédoublement des effectifs ..................... 294
Tableau 11 : Principales corrélations par catégories de facteurs ........................................................... 299
Tableau 12 : Variance totale expliquée (Méthode d'extraction : ACP) .................................................. 302
Tableau 13 : Qualité de représentation des variables ............................................................................ 307
Tableau 14 : Analyse de la portée spéculative des produits financiers islamiques destinés aux marchés
................................................................................................................................................................ 347
Tableau 15 : Récapitulatif des principaux éléments de l’actif d'Al Shamal ............................................ 349
Tableau 16 : Détail des investissements de court-terme d'Al Shamal ................................................... 350
Tableau 17 : Récapitulatif des principaux éléments de l’actif d'Al Baraka ............................................. 350
Tableau 18 : Récapitulatif du bilan de CIMB en 2015 ............................................................................. 351
Tableau 19 : Récapitulatif de l’actif de Hong Leong Bank 2015 ............................................................. 352
Tableau 20 : Récapitulatif des actifs de Al Inmaa ................................................................................... 352
Tableau 21 : Récapitulatif des actifs des actifs de Ahli United ............................................................... 352
Tableau 22 : Récapitulatif des actifs des actifs de Abu Dhabi Islamic Bank ........................................... 353
Tableau 23 : Récapitulatif des actifs de la BLME .................................................................................... 353
Tableau 24 : Récapitulatif des actifs de Dar Al Maal Al Islami ................................................................ 354
Tableau 25 : Récapitulatif des actifs de Kuveyt Turk .............................................................................. 354
Tableau 26 : Synthèse des données extraites des bilans des IFI analysées ........................................... 355
Tableau 27 : Modalités d’échanges des biens ribawi ............................................................................. 421
Tableau 28 : Univers des avis concernant la revente et la récupération ............................................... 434
Tableau 29 : Indice KMO et test de Bartlett ........................................................................................... 438
Tableau 30 : Qualité de représentation .................................................................................................. 439
Tableau 31 : Variance totale expliquée .................................................................................................. 439
Tableau 32 : Matrice des composantes après rotation ......................................................................... 441
Tableau 33 : E.1 Détails du poste titres financiers du bilan de CIMB ..................................................... 448
Tableau 34 : E.2 Détail du poste ‘’instruments dérivés’’ ........................................................................ 448
Tableau 35 : E.3 Détail du poste ‘’titres financiers’’ ............................................................................... 449

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- 491 -
TABLE DES MATIERES DETAILLEE – INDEX
INTRODUCTION GENERALE.............................................................................................................................7
1 ANCRAGE EPISTEMOLOGIQUE DES CONCEPTS DE FINANCE ISLAMIQUE ET DE SPECULATION ................. 19
1.1 Le système économique et financier islamique ............................................................................. 21
1.1.1 Introduction : ..................................................................................................................................................... 21
1.1.2 Sources et fondements jurisprudentiels de l’économie islamique ................................................................... 24
1.1.2.1 Historique ................................................................................................................................................ 24
1.1.2.2 Sources primaires de la jurisprudence islamique .................................................................................... 25
1.1.2.3 La jurisprudence économique ou jurisprudence des transactions .......................................................... 27
1.1.3 Principes et cadre du système économique et financier islamique .................................................................. 32
1.1.3.1 Fondements de l’économie et de la FI ..................................................................................................... 33
1.1.3.2 Cadre, environnement économique, Etat et régulation .......................................................................... 35
1.1.4 Institutions et composantes du système économique islamique ..................................................................... 39
1.1.4.1 Les institutions caritatives et de l’économie solidaire ............................................................................. 40
1.1.4.2 Les institutions de l’économie marchande .............................................................................................. 43
1.1.5 Conclusion ......................................................................................................................................................... 50
1.2 Définitions et théories majeures de la spéculation ........................................................................ 53
1.2.1 Caractéristiques principales et définitions majeures du concept ..................................................................... 53
1.2.2 Les postures théoriques traditionnelles et historiques de référence ............................................................... 68
1.2.2.1 Théorie classique : Un socle historique de la théorie de la spéculation .................................................. 70
1.2.2.2 Théorie keynésienne ou modèle Keynes-Hicks : Une référence .............................................................. 74
1.2.2.3 Théorie de Kaldor : Une transition nécessaire vers la complexité ........................................................... 79
1.2.3 Les postures théoriques contemporaines ......................................................................................................... 84
1.2.3.1 Théorie néolibérale de l’arbitrage de l’information ................................................................................ 84
1.2.3.2 Postures théoriques syncrétiques ............................................................................................................ 90
1.2.3.3 Théorie néokeynésienne des anticipations hétérogènes ........................................................................ 97
1.2.3.4 Théorie du déplacement : Approche hétérodoxe historico-économique de Kindleberger ................... 107
1.2.4 Tableau de synthèse des principales théories de la spéculation ..................................................................... 112
1.2.5 Vers une définition type et détaillée de la spéculation : ................................................................................. 114
2 LES FACTEURS A L’ORIGINE DE LA SPECULATION ................................................................................. 119
2.1 Les facteurs de la spéculation endogènes au marché .................................................................. 125
2.1.1 Les comportements ......................................................................................................................................... 125
2.1.1.1 Ethique marginalisée et environnement favorisant la fraude ............................................................... 125
2.1.1.2 Cupidité, course au prestige d’égos et de chiffres ................................................................................. 128
2.1.1.3 Prise de risque excessive........................................................................................................................ 131
2.1.1.4 L’intention préalable de spéculer à court-terme ................................................................................... 132
2.1.2 Les transactions ............................................................................................................................................... 136
2.1.2.1 L’assurance et la spéculation ................................................................................................................. 137
2.1.2.2 La vente à découvert.............................................................................................................................. 140
2.1.2.3 Les ventes futures .................................................................................................................................. 142
2.1.2.4 Le spoofing ............................................................................................................................................. 146
2.1.2.5 Complexité croissante et innovation financière excessive .................................................................... 147
2.1.2.6 Poids des dérivés.................................................................................................................................... 153
2.2 Les facteurs de la spéculation exogènes au marché ..................................................................... 160
2.2.1 Cadre réglementaire ........................................................................................................................................ 160
2.2.1.1 Possibilité d’arbitrage réglementaire et fiscal ....................................................................................... 160
2.2.1.2 Domination des opérations et des comptabilités parallèles.................................................................. 162
2.2.1.3 Déréglementation et ouverture excessives ........................................................................................... 165
2.2.1.4 Poids et pouvoir des lobbys financiers................................................................................................... 167
2.2.1.5 Cotation continue et fréquence des transactions.................................................................................. 169
2.2.2 Contexte financier du marché ......................................................................................................................... 175
2.2.2.1 Domination de l’analyse comportementale sur l’analyse fondamentale .............................................. 175
2.2.2.2 Structure oligopolistique et conflits d’intérêts ...................................................................................... 180

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- 492 -
2.2.2.3 La rentabilité d’activités financières dépasse l’économie réelle ........................................................... 181
2.2.2.4 Volatilité ................................................................................................................................................. 183
2.2.2.5 Asymétrie d’informations, opacité et fausses rumeurs ......................................................................... 185
2.2.3 Un contexte macroéconomique d’endettement ............................................................................................. 187
2.2.3.1 Système bancaire, dette et détérioration de la solvabilité .................................................................... 187
2.2.3.2 Création monétaire et abondance de liquidités .................................................................................... 189
2.2.3.3 Le levier .................................................................................................................................................. 193
2.2.3.4 La titrisation et la négociabilité de la dette et des intérêts ................................................................... 197
3 CONFRONTATION DES PRINCIPES DE LA FINANCE ISLAMIQUE AUX FACTEURS DE LA SPECULATION ................... 203
3.1 Confrontation de la FI aux facteurs endogènes de la spéculation ................................................. 207
3.1.1 Les comportements ......................................................................................................................................... 207
3.1.1.1 L’éthique : Une composante majeure de la discipline ........................................................................... 207
3.1.1.2 Un modèle privilégiant le partage et la modération .............................................................................. 209
3.1.1.3 Une perception particulière du risque et de ses limites ........................................................................ 210
3.1.1.4 Moins de tolérance aux intentions spéculatives .................................................................................... 211
3.1.2 Les transactions ............................................................................................................................................... 212
3.1.2.1 L’assurance dans une posture différente............................................................................................... 212
3.1.2.2 Prohibition de la vente à découvert....................................................................................................... 215
3.1.2.3 Proscription des ventes futures ............................................................................................................. 216
3.1.2.4 Prohibition du spoofing ......................................................................................................................... 219
3.1.2.5 La transparence et la simplicité privilégiées .......................................................................................... 220
3.1.2.6 Une méfiance naturelle à l’égard des produits dérivés ......................................................................... 225
3.2 Résilience de la FI aux facteurs exogènes de la spéculation ......................................................... 229
3.2.1 Cadre réglementaire ........................................................................................................................................ 229
3.2.1.1 L’arbitrage réglementaire et fiscal ......................................................................................................... 229
3.2.1.2 Transparence et opérations parallèles .................................................................................................. 233
3.2.1.3 La gouvernance économique et charia au cœur des préoccupations ................................................... 234
3.2.1.4 Perception des lobbys ............................................................................................................................ 236
3.2.1.5 Cotation continue et fréquence des transactions.................................................................................. 236
3.2.2 Contexte financier ........................................................................................................................................... 239
3.2.2.1 Domination de l’analyse comportementale sur l’analyse fondamentale .............................................. 239
3.2.2.2 Logiques oligopolistiques et prévention des monopoles....................................................................... 239
3.2.2.3 La rentabilité liée aux activités réelles privilégiée ................................................................................. 240
3.2.2.4 Volatilité ................................................................................................................................................. 242
3.2.2.5 Objectivité et transparence de l’information ........................................................................................ 248
3.2.3 Contexte macroéconomique d’endettement .................................................................................................. 249
3.2.3.1 Une perception alternative du financement et de la solvabilité ........................................................... 249
3.2.3.2 Marginalisation de l’expansionnisme monétaire ................................................................................... 253
3.2.3.3 Prohibition des principales formes du levier ......................................................................................... 256
3.2.3.4 Limitation de la titrisation et de la négociabilité de la dette ................................................................. 260
4 ENQUÊTE ET CONSTRUCTION DU BAROMETRE D’EVALUATION DU RISQUE SPECULATIF....................... 266
4.1 Méthodologie de recherche ....................................................................................................... 268
4.1.1 Phase exploratoire : Lectures et séminaires en FI ........................................................................................... 268
4.1.2 Phase de synthèse initiale : Premières publications ....................................................................................... 269
4.1.3 Première phase exploratoire terrain en Malaisie, vision qualitative .............................................................. 269
4.1.4 Retour à la littérature et confrontation à la dissonance ................................................................................. 271
4.1.5 Confrontation à l’hétérogénéité des référentiels sur la spéculation .............................................................. 271
4.1.6 Changement du type d’enquête adopté, définition du panel ......................................................................... 272
4.1.7 Finalisation de l’approche méthodologique adoptée ..................................................................................... 274
4.1.8 Difficultés......................................................................................................................................................... 278
4.2 Analyse statistique exploratoire ................................................................................................. 282
4.2.1 Objet de l’analyse statistique exploratoire ..................................................................................................... 282
4.2.2 Population cible ............................................................................................................................................... 282
4.2.3 Présentation du questionnaire ........................................................................................................................ 283
4.2.4 Dépouillement du questionnaire..................................................................................................................... 284

Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU


- 493 -
4.2.5 Exploration primaire des moyennes ................................................................................................................ 285
4.2.6 Analyse des moyennes obtenues .................................................................................................................... 287
4.2.7 Effectifs et moyennes ...................................................................................................................................... 287
4.3 Analyse en composantes principales .......................................................................................... 292
4.3.1 Matrice de corrélation et analyses .................................................................................................................. 292
4.3.2 Test de KMO et de sphéricité de Bartlett ........................................................................................................ 300
4.3.3 Tableau de la variance totale expliquée .......................................................................................................... 301
4.3.4 Graphique des valeurs propres ....................................................................................................................... 302
4.3.5 Matrice des composantes ............................................................................................................................... 303
4.3.6 Carte factorielle, diagramme des composantes et qualité de représentation................................................ 305
4.3.7 Reprise de l’analyse et des analyses après l’élimination de deux variables .................................................... 307
4.4 Indicateurs de mesure des facteurs de la spéculation et mise en relation de ces indicateurs ........ 311
4.4.1 Proposition de ratios de mesure appropriés ................................................................................................... 313
4.4.1.1 Les facteurs de la spéculation endogènes au marché ........................................................................... 313
Facteurs liés au comportement des acteurs ............................................................................................................. 313
Facteurs liés aux transactions ................................................................................................................................... 318
4.4.1.2 Les facteurs de la spéculation exogènes au marché .............................................................................. 321
Facteurs liés au cadre réglementaire ........................................................................................................................ 321
Facteurs liés au contexte financier ........................................................................................................................... 323
Facteurs liés au contexte macroéconomique d’endettement .................................................................................. 326
4.4.2 Mise en relation de ces indicateurs au sein du baromètre retenu ................................................................. 329
4.4.2.1 Regroupements des facteurs ................................................................................................................. 329
4.4.2.2 Mesure empirique des facteurs ............................................................................................................. 330
4.4.2.3 Les valeurs à définir par l’utilisateur ...................................................................................................... 330
4.4.2.4 Les corrélations ...................................................................................................................................... 332
4.4.2.5 Les versions successives adaptées au profil de l’utilisateur .................................................................. 334
4.4.2.6 Autres indications d’utilisation du baromètre du risque spéculatif ...................................................... 337
5 ESSAI D’APPREHENSION DE L’EXPOSITION DES MARCHES FINANCIERS ISLAMIQUES CONTEMPORAINS AU
RISQUE DE SPECULATION ........................................................................................................................... 339
5.1 Cadre et transactions en vigueur dans la FI de marché ................................................................ 342
5.1.1 Projection du baromètre sur les principes de la FI, nuancés par les pratiques ............................................... 342
5.1.2 Analyse de l’aspect spéculatif de certains produits récents de la FI ............................................................... 345
5.1.3 Etudes de cas : Les composantes spéculatives dans les bilans de grandes IFI ................................................ 349
5.1.3.1 Analyse de deux IFI majeures en Afrique ............................................................................................... 349
5.1.3.2 Analyse de deux IFI majeures en extrême orient .................................................................................. 351
5.1.3.3 Analyse de trois IFI majeures au moyen orient ..................................................................................... 352
5.1.3.4 Analyse de trois IFI majeures en Europe ................................................................................................ 353
5.1.3.5 Synthèse comparative des analyses de bilans ....................................................................................... 355
5.1.4 Les principales normes et cadres régissant la FI de marché ........................................................................... 356
5.1.4.1 Les normes AAOIFI ................................................................................................................................. 356
5.1.4.2 Les normes IFSB ..................................................................................................................................... 366
5.2 Etude de cas et enquête prospective auprès d’experts des MFI ................................................... 376
5.2.1 Etude de cas de deux pays musulmans de référence en FI ............................................................................. 376
5.2.1.1 Soudan ................................................................................................................................................... 376
5.2.1.2 Malaisie .................................................................................................................................................. 378
5.2.2 Enquête auprès d’experts de la FI de marché ................................................................................................. 381
5.2.2.1 Cadrage du panel et du questionnaire ................................................................................................... 381
5.2.2.2 Résultats de l’enquête ........................................................................................................................... 382
5.2.1 Projection du baromètre sur les résultats de l’enquête .................................................................................. 394
5.2.1.1 Projection sur l’existence des facteurs .................................................................................................. 394
5.2.1.2 Projection sur l’ampleur des facteurs .................................................................................................... 396
5.2.2 Projection du baromètre de synthèse et analyse............................................................................................ 398
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 402
ANNEXES…………….……………………………………………………………………………………………………………………………………….424

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- 494 -
RESUME
La résilience à la spéculation est généralement posée tant en principe fondamental qu’en
résultat empirique en finance islamique. Notre recherche s’est proposée de questionner ce principe,
en théorie et en pratique. Pour ce faire, nous avons procédé au cadrage épistémologique des concepts
polysémiques de finance islamique et de spéculation, aboutissant à un schéma récapitulatif du système
économique islamique puis à une théorie du risque pour le premier concept, et à une nouvelle
définition puis un tableau comparatif des principales théories pour le second. Nous avons aussi
procédé à un inventaire facteurs de spéculation observés par les économistes, en pratique. Ces
facteurs sont regroupés en deux catégories : endogènes (comportementaux / transactionnels) et
exogènes (réglementaires / financiers / macroéconomiques). La catégorisation ayant été fluidifiée,
nous avons pu confronter conceptuellement les principes de la finance islamique à ces facteurs.
Théoriquement, ces principes sont résilients. En pratique, des nuances apparaissent.
La voie étant ouverte à l’enquête, nous avons construit notre instrument de mesure principal :
Le baromètre d’évaluation du risque spéculatif. Il regroupe de manière pondérée les facteurs, les
pondérations étant tirées de l’analyse statistique de l’enquête. Ce baromètre a été projeté sur les
pratiques de finance islamique de marché, afin de constater que certains facteurs de la spéculation
sont, de nos jours, peu cadrés au niveau des marchés incorporant des produits financiers islamiques. Il
l’a également été sur les principales normes (AAOIFI et IFSB), sur deux pays de référence (Soudan et
Malaisie), et sur les résultats d’une autre enquête majeure auprès d’experts des marchés financiers
islamiques, avant d’aboutir à un baromètre comparatif de synthèse de l’ensemble des projections. Le
résultat contre-intuitif est que, contrairement à la théorie, les pratiques des marchés financiers
islamiques exposent à la spéculation, seule l’ampleur varie d’un cadre à l’autre et d’un marché à l’autre.

ABSTRACT
Resilience of islamic finance to speculation is often presented as a fundamental principle and
research result. Our research aim was to question this principle, in theory and in practice. For this
purpose, we tried to clarify both concepts to set up a formal model of the islamic economic system and
its theory of risk, as well as a new definition and a comparative table of theories on speculation. The
next step was to identify the main factors of speculation observed by economists. The factors are
separated in two groups : endogeneous (behavioral / transactions) and exogeneous (regulatory /
financial / macroeconomical). Having clearly identified these categories, we exposed the principles of
islamic finance to the factors. Theoretically, the principles are resilient. Practically, some doubts
emerged.
Being now in the practical side of the research, we built our main instrument : The barometer
evaluating the speculation risk. This tool contains the main factors of speculation, weighted by the
results of the statistical analysis conducted on the field-based study. The barometer was projected on
the practical aspects of islamic capital markets. The outcome noticed is that many factors are,
nowadays, not really regulated in the markets incorporating islamic financial products. The barometer
was also projected on the main stadards of the field (AAOIFI and IFSB), on two countries (Sudan and
Malaisia), and on the results of another study conducted with experts of islamic capital markets. We
built afterwords a synthetical barometer that compares all the projections. The unexpected result is
that, contrary to theory, current practices of islamic financial markets expose the markets to
speculation, only the intensity varies from a market to another.

Marchés Financiers Islamiques et Risque de Spéculation - © Mohamed Talal LAHLOU


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