Vous êtes sur la page 1sur 3
“Aquoi sert aujourd'hui in corps @’homme ?” Dans “Des dmes et des saisons” (Odile Jacob), Bovis Cyrulnik raconte comment hormones et culture tissent nos convictions intimes et notre identité sexuelle, Entretien avec le célebre neurologue Propos reeuciis par VERONIQUE RADIER Malgré ce que nows savons sur le fonctionne- mentde notre cerveat, pourquoi avons-noiis illusion de penser indépendamment de luict denotrecorps? ‘Nous sommes intimement convaineus de voir la réalité alors que nous ren percevons qutane repré- sentation, sélectionnée et fugonnée par notre cer- veau. Quelques cas, bien connus des neurologues, Fillustent de fagon frappante : si now cervea est es Lowsii'2048-2va12001 | endommagé ce qui nousparatévident peutsoudain changer sans que ela ne nous trouble aucunement, arrivegu'uneminusculelésion ou unetumeurdans certaines zones vousrendent tout objetinvisible dis aul est en mouvement, ou Bien vous persuadent uiun sosie sest substitué & votre femme, ou méme ue votre propre main, au boutde vorebras, appar. tient quelqu’un dautre Pour sutant lesliensentre cerveau et pensée ne procklent pasd'un simple me NEES eee SSSI 2» déterminisme, Non seulementtoutes les ateintes ccérdbrales rfentrainent pas des troubles aussi spéci fiques, mais, parfis.¢mportantesblessures semblent sans conséquence, ear chaque cerveau est unique, sculpté en permanence par son environnement. Yous parlez d'une danse continuelle entre Pespritetlachair. Léther de Pime et la matiére du corps, la nature et le social, dansent ensemble dés notre vie intra-utérine. Lorsqu'unemére est émue parla violence deson mari, ouppar exemple soutre de Fisolement, de la précarité, elleséeréte des hormones dustress,commele cortisol Lebeébé, quidéglutit 40u5litresde liquide amniotique par jour avaleainsidessubstances oxiques quinuisent a son développement cérébral, comme le pédiatte ‘Shaul Harel, Tel Avi, aété le premier le filmer en neuro-imagerie, Heureusement, lebouillonnementdes neurones des synapses estalorstel que dés quelaraére est stcursée le bébé entame sa reconstruction oér brale.Limprégnation chimique constitue la premire ‘couche des interactions entre le cerveau et son envi- ronnement, ce que le psychologue Urie Bronfenbrenner appelle son systéme psyeho-écologique. Ladeuxiéme, cesta fectf: les bras de la mre mais aussi ceux du pére interviennentbien plus tot que ne avaitsupposélapsychanalyse. Enfin vient ‘out environnement culture et social Lelangageestauceeurdecedispositif, capable de forger discrétement des convictions que nous croyons intimes... Lesmotspossédent un pouvoiraffectifbien plus gu’informatif. Ils déclenchent des ‘motions avant diredescontenus de pen- sée-Ceuxquinoussontsouventrépétés,les plus chargés diintensité, de valeurs po tivesounégatives simprimentetsuscitent dessentiments que nous éprouvons phys guement, chimiquement, dans notre cer- veau. ls onganisent le monde a travers des xécits qui fagonnent nos représentations depuis Tenfance. Nous avons Fllusion de rrisonner par nous-mémes alors que nous xéeitons bien souvent ce gue pense notre groupe, ses préjugés. Nous tenons ces ‘royanices pout des vérités, des evidences, cst ce que Frangoise Heériter appelait sorreadhérence aveugleau monde. Seule- ment, nous nous voyons comme des étres de raison, parce gufavee le langage nous ddonnons une apparencesensée inosémo- tions, nous Jes rationalisons, comme Pa montré Emest Jones, un ami de Freud. Avec la neuro-imagerie, on peut presque visualiser Feffet produtt par lesmotséPintérieurdenotrecerveau? ‘Uneinsulte nous fait rougir, une mauvaise nouvelle peut nous érourdir, une posture Leowsin29s4-2,/01/2001 Aeuropsyeiar, BORIS CYRULNIK est autour de tres ‘onbreaauvrages, souvent des st-sallrs, dont ‘les Hoortures atfectves» (1988) a chair et 'tm (chai salsons. Psyche ‘colo symbolique,commesemettre’ genoux, nousplonger dansune dimension métaphysique.Lachairet lesprit nesopposent pas comme le postulait Descartes Sen- tantfailleurs laune difficult lui-méme sétaitgardé, en quelque sorte, une porte de sortie, faisant de la glande pinéale le point de jonction entre Ime et le corps. Je pense que les astrocytes, ces cellules qui enveloppentlecerveau,jouenteréle. Les mots pro- ‘voquant une émotion, afectent leur perméabilitéet ‘modifientainsinnotrefonctionnement cérébral, Henri Gastaut, Pun des précurseurs de Iélectroencéphalo- gramme, a enregistré les modifications du rythme lectrique du cerveau causées par la pritre chez des prétres. La neuro-imagerie a permis dabserver les changements stupéfants que provoquent ~ pour le meilleur etpourle pire ~des discours oudescroyances dansles nappes deneurotransmetteuis. La foi prottge des maladies, des blessures de la vie, mais, sion y entre trop, comme lexpliquait Michel Foucault, cela deviene un systime cos, dlirant, coupé del alt sensible, SSSI IDES. Depuis Vaube de Vhumanité, éerives-vous, les croyances ont transformé notre espece. ‘homme, ou plutot la dizaine d'espéces humaines, dlont Sapiens, étaient déji nées quand sont survenues les glacations entrainant la dispartion dune grande ppartie de la vegetation. ’hypothése que je propose, Suivantles travaux de plusieurs anthropologues dont ‘MarylénePatou-Mathis,cest que, fautedenourriture, Jeshumains ot alors fail disparatre. Ta falluquecer” tains osentattaquer des espces fortes etimpression- ‘nantes, commeles chevauscou lesantilopes,quilschoi- sissentla violence. Nousne sommes pas fespéce a plus vigoureuse : etait une chasse collective, oi tout le gzoupefaisaitdubruitpourentrainer animal ersune falais, une fosse pidge oil était ensuite tué acoups delanceou d'autres armes. Eta partirdunéolithique,laviolencedevientctat- rementassociéeaugenremasculin,¢ila virilté. Désfinstantoiilafallu défendre des tecritoires elle est devenue une valeur masculine. La violence a été héroisée, pour encourager les hommes & tuer des animaux, des ennemis, Dans les ss-Exats assyriennes, lorsque les ressources venaient & manquer, on levait une armée, on galvanisait des bagarreurs et peut-étre des bagar- rTeuses —mais sans quelles soient mises en avant dans les récits -, pour partir piller les voisins, Au x1x* siécle, la violence a été survalorisée pour pour- voir aux besoins de lindustrie naissante. Je n'ai pas connu ces hommes qui suaient 90 heures par semaine, mais jai soigné des mineurs ui setuaient encoredila che, devant charger quinze wagonnets chaque Jour: Leurs conditions de travail étaient une elletorture physique qu'lssanes- thésisiene avee du vin. Dans mon enfance, on apprenait aux gargons se battre, leur répétantquils devaient se préparer aux futures guerres. ‘Aujourd'hui encore les violences sous toutes leurs formes, conjugale, délin- quante,guerridre,sont 480% le faites hommes, Mais agissent-its sous Vimpulsion dune agressivité due é la testo- stérone, comme ledisent certains, ‘ou sous Peffet des discours autour dumaseutin? La distinction inné-aequis est un non- sens. Oui, les hormones modifient pro- bablement Phumeur, mais nous leur ions bien trop de signification. (Chaque our notre étatde fatigue etbien autres choses affectent également notre étatdesprit.. Cola nfexplique pas Pourquoi un homme serait ainsi etune “CE QUE NOUS SOMMES EST PETRI DECE QUI EXISTE AUTOUR DENOUS, CEST UNE "TRANSACTION QUISE POURSUIT TOUT AU LONG DELA VIE” ferme cutrement. La testostérone a tellement été idéologisée qu’ona méme obligé uneathléte fSminine, dont le taux était jugé trop élevé, a prendre une ant hormone, jusqu'au jour ot Ton en a décelé de fables tauncchez des hommeshypermuscés Silabiologie agit Sur nous, note corps est également modelé par nos valeurs Lavoix des femmes par exemple, devient plus grave ifadolescence;sicertaines parlentfunton aig de petite fille, cest par mimétisme culture Ladéfinition culturelledugenre, delasexualité, estaujourd huien plein houleversement, cequi, expliquez-vous, fragilise les hommes. Aujourdthui, &Pécole, dans les études, ls filles Yemn- portent de plus en plus. Cet épanouissement récent esttrés mal pris par certains hommes. Non diplémés, sans projets ils se sentent remisen question, avec un taux de suicide dlevé, Pendant des millénaizes, leur virilté, leur agressivité ont été encourages, cl. bbrées; & quoi leur sert aujoure?hui davoir un corps homme’ Désormais,quand un homme est violent, ‘onappelleles secours, la police, noussommesen train de changer de culture. Invité au Japon, jai été tupé- féd'y découvrir un inquigtant décrochage social dun fortpourcentage de garcons.Lasexualité les relations avecles femmes eusi ontpeurqutsprfirenteten ler. Au Canada, des indices sugeérent lappatition de ceméme phénomene. Ge houleversement eulturel est.il en train de transformer notre sexualité et done le devenir denotreespece? ‘Trés longtemps le sexe a eu une fonction sacrée mettre au monde des hommes pour honorer Dieu ou faire la guerre. Les mariages étaient arranges par les familles; Yamour, tattachement ou érotisme exis- ‘aient mais n’étaient pas structurés parla société. La sexualité a aujourd hui une fonction beaucoup plus relationnelle. Les les sociaux mais aussi anatomic setransforment. Les jeunes filles ont une pubert$ plus précoce, selon es miliewx sociaux, et cela a bien stir des conséquences sur leurs émotions, Les nouvelles relations homme-femme, qui sont un progrés dont ‘nous pouvonsétre fies, nous obligentussi trouver auttes raisonnements, Pour qutexiste un rapport sexuel il fautdes res, des codes oitchacun accom- plitsa partiequise différenciedecelledeT-autre.Cela ne signifieenrien qu'un hommeetunefemmesoient radicalement différents, Mémedanslanature, lemas- culinetle féminin ne lesontpas Freud, dansson pre- mier travail &Fage de 20 ans, aété charge par Car] Claus de démontrer que les anguilles changeaientde sexe au cours de leur vie. Depuis, de nombreuses Publications ont démontré que le sexe et son anato- mie sont constamment soumis aux pressions da milieu, Ce quenous sommes est pétride ce qui existe autour de nous, c'est une transaction quise poursuit {outau long dela vie. Lemilieusocia,technologique, Jes discours, modifient profondément la fagon dont onsesenthomme ou femme, mais nousrestons libres gir sur ce qui nous influence. a ousit-2504-2/0172001 on

Vous aimerez peut-être aussi