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GRIVAUD & Nicolaou-Konnari - Origines Frankokratia II
GRIVAUD & Nicolaou-Konnari - Origines Frankokratia II
brill.com/fra
Gilles Grivaud
Université de Normandie-Rouen, Rouen, France
gilles.grivaud@univ-rouen.fr
Angel Nicolaou-Konnari
Université de Chypre, Nicosie, Chypre
gpkonari@ucy.ac.cy
Résumé
Mots-clefs
Il n’a pas échappé à Constantin Dimaras et à Elli Skopétéa que le discours pro-
noncé devant l’Assemblée nationale par le Premier ministre Ioannis Kolettis,
le 14 janvier 18441, par lequel il revendique les mêmes droits constitutionnels
pour les hétérochthones et les autochthones, ouvre de nouvelles perspectives
pour l’avenir de la nation : d’une part, il confirme l’existence d’un État grec pro-
tégé par les puissances occidentales, d’autre part, il formalise le rôle civilisateur
de la Grèce en Orient, nécessaire pour justifier un appel à la libération des
chrétiens orthodoxes encore soumis au pouvoir ottoman2. Cette position, plus
tard résumée par la formule Grande idée (Μεγάλη Ιδέα)3, inclut une réflexion
sur la place tenue par la Grèce dans le cours des civilisations européennes, qui
engage une révision de la périodisation de l’histoire grecque ; progressivement,
s’élabore la conception d’une collectivité capable de se suffire à elle-même, en
se détachant d’un Occident rétif à satisfaire les aspirations nationales depuis
l’insurrection de 1821 ; ce réexamen aboutit à la construction du grand récit
historique national « romantique », appelé à légitimer la mission politique du
nouvel hellénisme4.
1 Le discours fut publié dans le journal quotidien Ἐλπίς (15 janvier 1844) : <http://ola-ta-kala.
blogspot.com/2014/01/blog-post_6662.html> (consulté le 2 septembre 2019).
2 Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 95‑97, 141‑142 ; Idem, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός,
351‑352, 359‑363, 405‑418, 596‑598 ; Skopétéa, Τὸ Πρότυπο Βασίλειο καὶ ἡ Μεγάλη Ἰδέα, 258‑271 ;
T. M. Vérémis et Y. S. Koliopoulos, Ελλάς. Η σύγχρονη συνέχεια. Από το 1821 μέχρι σήμερα (Athènes :
Kastaniotis, 2006), 535-536. Dans son discours, Kolettis utilise la formule rhétorique sui-
vante : « […] ἐμακρύνθημεν τῆς μεγάλης ἐκείνης καὶ εὐρυτάτης τῆς πατρίδος ἰδέας ». L’opinion
de Kolettis n’est pas celle d’un novice en matière de réflexion sur l’histoire : il succède à Rizo
Néroulos comme président de la Société archéologique d’Athènes, en 1844 précisément.
3 La Grande Idée, construction idéologique qui incarne l’irrédentisme néo-hellénique, vise à
la récupération des régions peuplées par des populations grecques se trouvant hors de l’État
grec ; elle introduit le concept des deux centres de l’Hellénisme : la capitale du royaume,
Athènes, et la grande capitale, Constantinople, voir : Skopétéa, Τὸ Πρότυπο Βασίλειο καὶ ἡ
Μεγάλη Ἰδέα ; V. Kremmydas, Η Μεγάλη Ιδέα. Μεταμορφώσεις ενός εθνικού ιδεολογήματος (Athènes :
Typothito, 2010) ; A. Stouraïti et A. Kazamias, « The Imaginary Topographies of the Megali
Idea : National Territory as Utopia », dans Spatial Conceptions of the Nation : Modernizing
Geographies in Greece and Turkey, dir. N. Diamandouros, T. Dragonas et C. Keyder (Londres :
I. B. Tauris & Co. Ltd., 2010), 11‑34.
4 Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 98 ; Idem, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 351‑376,
408‑418, 460‑470 ; P. M. Kitromilides, « On the Intellectual Content of Greek Nationalism :
Paparrigopoulos, Byzantium and the Great Idea », dans Byzantium and the Modern
Greek Identity, dir. D. Ricks et P. Magdalino (Aldershot : Ashgate, 1998), 25‑33, ici 26‑27 ;
S. D. Petmezas, « From Privileged Outcasts to Power Players : The Romantic Redefinition of
the Hellenic Nation in the Mid-Nineteenth Century », dans The Making of Modern Greece :
Nationalism, Romanticism, & the Uses of the Past (1797-1896), dir. R. Beaton et D. Ricks
(Farnham – Burlington : Ashgate, 2009), 123-135 ; Kostis, « Τα κακομαθημένα παιδιά της ιστορί-
ας », 364-374.
5 Karamanolakis, Η συγκρότηση της ιστορικής επιστήμης και η διδασκαλία της ιστορίας στο
Πανεπιστήμιο Αθηνών, 37-40, 70-82, 99-106, 412-414 ; Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος,
128-174 ; Idem, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 348-359.
6 Skopétéa, Τὸ Πρότυπο Βασίλειο καὶ ἡ Μεγάλη Ἰδέα, 177-178.
7 C. Paparrigopoulos, Περὶ τῆς ἐποικήσεως σλαβικῶν τινων φυλῶν εἰς τὴν Πελοπόννησον (Athènes :
Ek tou Typografeiou Em. Antoniadou, 1843 ; réimpr. Athènes : Karavias, 1986) ; Dimaras,
Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 120, 144, 147, 188 ; I. Koubourlis, « European Historiographical
Influences upon the Young Konstantinos Paparrigopoulos », dans The Making of Modern
Greece : Nationalism, Romanticism, & the Uses of the Past (1797-1896), dir. R. Beaton et D. Ricks
(Farnham – Burlington : Ashgate, 2009), 53-63, ici 54-55.
8 Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 125-126, 139, 144-145, 170, 177.
9 C. Paparrigopoulos, Ἱστορία τοῦ Ἑλληνικοῦ Ἔθνους. Ἀπὸ τῶν ἀρχαιοτάτων χρόνων μέχρι τῆς
σήμερον, Πρὸς διδασκαλίαν τῶν παίδων (Athènes : Andréas Koromilas, 1853), 2 et passim ;
Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 125, 172, 204, 396.
10 Paparrigopoulos, Ἱστορία τοῦ Ἑλληνικοῦ Ἔθνους (1853), 90, 99-102.
abordé encore en 1881, dans son étude sur le pape grec Alexandre V14. Le pré-
ambule au premier numéro, daté du 26 août 1853, pose d’emblée les intentions
du comité éditorial, décidé à repenser la place des
14 M. Réniéris, Φιλοσοφία τῆς Ἱστορίας (Athènes : Ek tis Philolaou Tipografias, 1841, réimpr.
Athènes : MIET, 1999) ; Anonyme, « Τὶ εἶναι ἡ Ἑλλάς ; », Εὐρωπαϊκὸς Ἐρανιστής 2/3 (1842),
189-215 ; M. Réniéris, Ἱστορικαὶ Μελέται. Ὁ Ἕλλην πάπας Ἀλέξανδρος E΄, τὸ Βυζάντιον καὶ ἡ
ἐν Βασιλείᾳ Σύνοδος (Athènes : Andréas Koromilas, 1881) ; Dimaras, Ἑλληνικὸς ρωμαντι-
σμός, 356 ; R. D. Argyropoulos, « Σχόλια στη Φιλοσοφία της Ιστορίας του Μάρκου Ρενιέρη »,
dans Αφιέρωμα στον Κωνσταντίνο Δεσποτόπουλο (Athènes : Papazisis, 1991), 245-254 ; Politis,
Ρομαντικά χρόνια, 90 ; Koubourlis, La formation de l’histoire nationale grecque, 87-91.
15 Le Spectateur de l’Orient 1 (26 août 1853), 1-11.
16 Pour d’autres témoignages des mêmes années révélant le souhait de voir fleurir l’hellé-
nisme sur les rives du Bosphore, voir Dimaras, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 340, 378, 388.
C’est la Russie seule qui semble appelée par le Dieu des Grecs à chasser
les infidèles de Byzance, et à rouvrir au culte orthodoxe les portes de la
Basilique de Sainte-Sophie ; c’est la Russie qui, reconnaissante du don
que nous lui avons fait de notre religion et de notre civilisation, va restau-
rer l’empire de Constantin.
Peut-on encore être assez simple pour croire que cet Occident qui remue
ciel et terre pour que nous n’ayons pas de droits religieux, nous aidera à
reconquérir nos droits politiques, à chasser les Turcs d’Europe, à recons-
tituer l’empire Byzantin17 ?
Si les prises de position nationalistes fluctuent durant les quatre années d’exis-
tence de la publication, elles gagnent en radicalité jusqu’au printemps 1854. Le
plus virulent des chroniqueurs, Markos Réniéris, creuse le sillon de la période
médiévale pour le transformer en tranchée ; faisant référence à un historien
français du droit byzantin, copieusement cité, ou renvoyant à Buchon, Réniéris
vante les achèvements de Byzance en matière d’histoire sociale, face à une féo-
dalité occidentale débridée ; il poursuit :
Byzantin se relevait, mais tout meurtri par les coups que lui avait portés
la chrétienté, il n’avait plus la force de résister à l’invasion Ottomane18.
[…] Voilà encore une fois le prétexte de la propriété des Lieux-Saints [de
Palestine] qui fait mouiller dans les eaux de Constantinople les vaisseaux
de l’Occident, comme aux temps des Baudouin et des Dandolo. Est-ce
encore cette même société féodale dont la griffe glissait jadis sur le granit
de la société grecque19 ?
Ainsi, pour que le sommeil de l’Europe ne soit pas troublé, pour qu’elle
puisse vendre et acheter, pour que la Bourse soit prospère, il faudrait que
nous [les Grecs] soyons effacés de la surface du globe […]. Il faut aborder
cette question terrible ; il faut en avoir une fois pour toute le cœur net ;
il faut que nous sachions si les intérêts de l’Occident en Orient en font
nécessairement notre ennemi20.
À nouveau, Byzance se trouve réhabilitée, cette fois dans une perspective quasi
biblique !
La conjoncture militaire du printemps montre les flottes anglaises et fran-
çaises bloquer progressivement l’acheminement de renforts aux insurgés, fai-
sant croître la pression au sein de l’opinion publique grecque. Les colonnes du
Spectateur de l’Orient reflètent l’ambivalence de l’argumentation nationaliste
adressée à un lectorat tant grec qu’étranger : d’une part, on sollicite une résur-
rection de la solidarité envers la Grèce au nom de valeurs politiques élaborées
au début du siècle, au bénéfice des insurgés épirotes et thessaliens :
D’autre part, on réactive les suspicions de guerre religieuse latente entre les
deux chrétientés, à l’occasion d’avis publiés à Paris, qui suscitent une vive
réaction :
des négociations assure que si la France s’est engagée dans cette guerre
sainte, ce n’est pas pour défendre les Turcs, c’est pour sauver l’idée chré-
tienne, qui depuis Photius s’était corrompue en Orient […]23.
Réniéris renchérit sur le projet de refondation d’un empire grec, seule solution
capable de trouver l’accord des belligérants :
L’occupation du port du Pirée par des navires anglais et français, suivi de l’ul-
timatum lancé au gouvernement grec, fin mai 1854, oblige les membres du co-
mité éditorial à nuancer leurs propos ; conscients que l’occupation renverse
le rapport de forces – elle durera jusqu’en 1857 –, ils refusent de placer les
Ceux qui ont traversé les mers pour arracher des mains des infi-
dèles le Saint-Sépulcre du Christ, ont porté les coups les plus rudes au
Christianisme en Orient. Ce sont eux qui ont préparé la voie aux Turcs ;
ils ont détruit des provinces florissantes et heureuses, ils ont assis sur
leurs ruines le système féodal […] ; ils ont employé tous les moyens pour
détruire l’erreur de Photius, comme disait naguère Monseigneur l’ar-
chevêque de Paris, et au lieu d’exterminer les infidèles, ils ont réduit les
Chrétiens à l’esclavage, ils ont sapé les fondations de l’Empire grec, ils ont
de leurs propres mains opéré la dissolution d’une grande nation homo-
gène, la nation hellénique, qui dans l’antiquité, avait éclairé le monde,
qui plus tard y propagea la divine parole du Christ, et qui, dans des temps
plus modernes, servait à l’Occident de rempart contre les Arabes. L’île de
Chypre […] fut pendant plus de quatre siècles entre leurs mains. Qu’en
reste-t-il aujourd’hui ? Où sont les vestiges de la longue occupation des
Francs, des Latins en Orient ? La grande avalanche a tout englouti. De
baronnies, pas de traces, pas le moindre souvenir ; de la population la-
tine ou latinisée, quelques milliers d’âmes répandues dans les îles de l’Ar-
chipel. L’ouragan a emporté tout ce qui était venu de l’Occident. Seul, le
peuple grec s’est conservé avec ses traditions religieuses, malgré l’oppres-
sion inouïe de quatre siècles qui succéda à celle des Francs. Il y a dans
ceci un grand enseignement : c’est que rien de stable ne saurait être créé
en Orient par l’Occident. […] Si l’histoire sert à quelque chose, si dans
les événements passés on doit chercher des avertissements pour l’avenir,
qu’on étudie les deux dominations de l’Occident sur l’Orient, la domina-
tion romaine et la domination franque27.
28 Petmezas, « From Privileged Outcasts to Power Players », 128-129, a déjà insisté sur le rôle
des deux périodiques pour la diffusion des idées relatives à la conceptualisation de l’his-
toire de la nation grecque.
29 G. Finlay, History of the Byzantine Empire, 2 vols. (Édimbourg – Londres : William
Blackwood and Sons, 1853-1854) ; le deuxième volume porte le titre History of the
Byzantine and Greek Empires. Voir : Vasiliev, Ιστορία της Βυζαντινής Αυτοκρατορίας 324-
1453, 1:25-29 ; Koubourlis, « European Historiographical Influences upon the Young
Ainsi, six siècles après Georges Pachymère, retrouve-t-on l’usage d’un verbe
porteur de préjugés politiques et culturels bien vivants, comme nous l’avons
noté plus haut. À Zalokostas fait écho Antonios Fatséas (1821‑1872), originaire
de Cythère, hostile aux Anglais, qui s’installe dans le jeune État grec, où il déve-
loppe sa carrière dans l’enseignement scolaire ; en 1856, réfléchissant à l’amé-
lioration des conditions d’instruction, il relève :
[…] ἡμεῖς οἱ Ἕλληνες νέοι μιμώμεθα τὴν γηραιὰν Εὐρώπην πιθηκικῶς […].
Πολλαὶ πλούσιαί μας οἰκογένειαι παραιτηθεῖσαι εἰς τὴν τυφλὴν μίμησην τῶν
εὐρωπαϊκῶν ἠθῶν κατεποντίσθησαν καὶ καταποντίζονται31.
37 Koubourlis, La formation de l’histoire nationale grecque, 183, et, plus généralement, 255-258,
284-292 ; Idem, « European Historiographical Influences upon the Young Konstantinos
Paparrigopoulos », 60-61.
38 Paparrigopoulos, Ἱστορία τοῦ Ἑλληνικοῦ Ἔθνους, 4:539.
39 Ibidem, 4:648-649 (citation 649).
40 Ibidem, 4:700-746.
l’objet de deux seules citations, alors que « φραγκοκρατία » apparaît dans les
titres courants, afin de qualifier des phénomènes observés de manière globale
dans les États francs : « Τὰ ἐπὶ Φραγκοκρατίας χρυσὰ νομίσματα », « Κατάστασις
τῆς Φραγκοκρατίας ἐν Ἠπείρῳ »46. Fidèle à sa conception négative de l’organi-
sation des pouvoirs féodaux et à sa certitude de voir l’hellénisme leur résister,
il ne procède pas aux dérivations que Chiotis proposait : « Αἱ ἐν τῷ μεταξὺ περι-
πέτειαι τῶν Φράγκων καὶ τῶν Ἑνετῶν, ὅσοι κατεῖχον τὰς κυρίως Ἑλληνικὰς χώρας ».
Les convictions de Paparrigopoulos provoquent un usage restrictif des termes
« φραγκοκρατία » ou « ἑνετοκρατία » ; il refuse d’attribuer à cette période une
unité temporelle continue faite de combinaisons de valeurs politiques, so-
ciales et culturelles, où Occidentaux et Grecs atteignent des modus vivendi
viables pendant plusieurs siècles, perspective pourtant retenue par Lountzis
lorsqu’il observe la dédition comme principe essentiel des rapports politiques
dans les Îles ioniennes47 ; seule lui importe la fracture de 1204 comme date
symbolisant l’éclatement de l’Empire byzantin et le début de la régénéres-
cence, dans la perspective d’un hellénisme chrétien, à la fois martyrisé et revi-
vifié par les épreuves subies ; à ses yeux, la lecture des événements historiques
montre que les Occidentaux « ἐὰν κατέστρεψαν τὸ ἑλληνικὸν κράτος, δὲν ἴσχυσαν
εὐτυχῶς νὰ καταστρέψωσι τὸ ἑλληνικὸν ἔθνος »48. L’usage au compte-gouttes des
néologismes « φραγκοκρατία », « ἑνετοκρατία » et « τουρκοκρατία » montre que
Paparrigopoulos utilise un vocabulaire conforme à sa démonstration, écartant
notamment celui de « λατινοκρατία » forgé par Rizo Néroulos. Cette concession
à une terminologie induisant une périodisation de l’histoire médiévale natio-
nale n’invalide pas pour autant sa conviction que l’hellénisme doit trouver une
voie autonome entre Occident et Orient49.
Dans les mêmes années, Constantin Sathas (1842‑1914) aborde des sujets si-
milaires, limités aux périodes médiévale et moderne, bien que dépourvu de
formation spécifique en histoire, puisqu’il se passionne d’abord pour la phi-
lologie. De ce fait, l’approche littéraire caractérise son regard sur l’histoire na-
tionale ; à partir de 1865, il écrit dans la presse, édite des sources narratives,
donne des essais sur des sujets variés, ainsi sur la production littéraire des
54 Ibidem, 2:ρθ΄ (« ἑνετικὴ κατοχή ») ; 2:ρια΄ (citation) et 6:κα΄ (« φραγκοκρατία ») ; 2:ριζ΄, ρλβ΄
et 6:ζ΄ (« λατινοκρατία ») ; 6:κβ΄ (« ξενοκρατία »).
55 Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 274-277.
56 N. Kotzias, Κρίσεις τῆς Ἑλληνικῆς Ἱστορίας τοῦ Κ. Παπαρρηγόπουλου (Athènes : Mellon, 1875).
57 Kalligas, Μελέται βυζαντινῆς ἱστορίας ἀπὸ τῆς πρώτης μέχρις τῆς τελευταίας ἁλώσεως ;
M.-P. Masson-Vincourt, Paul Calligas (1814-1896) et la fondation de l’État grec (Paris :
L’Harmattan, 1997).
58 Dimaras, Kωνσταντῖνος Παπαρρηγόπουλος, 247-249 ; Idem, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 380-381 ;
Argyropoulos, Les intellectuels grecs à la recherche de Byzance, 44-45 ; Kiousopoulou, « Οι
βυζαντινές σπουδές στην Ελλάδα (1850-1940) », 29-30 ; Karamanolakis, Η συγκρότηση της ιστο-
ρικής επιστήμης και η διδασκαλία της ιστορίας στο Πανεπιστήμιο Αθηνών, 123-136.
59 Dimaras, Ἑλληνικὸς ρωμαντισμός, 403-404 ; Argyropoulos, Les intellectuels grecs à la re-
cherche de Byzance, 30-32.
60 I. A. Typaldos, Ἡ φεουδοκρατία καὶ ἡ γεωργία κατὰ τὰς Ἰονίους Νήσους (Athènes : Imprimerie
nationale, 1864), 8, 15, 17.
les titres de sept ouvrages y font référence, entre 1867 et 189261. Le premier
essai historique énonçant le terme « ἑνετοκρατία » apparaît plus tard, en 1899,
quand Vasileios Psilakis (1829‑1918) se lance dans une histoire diachronique
de la Crète62. On notera que les années 1870 voient également la première
apparition du terme « φραγκοκρατία » dans un périodique étranger, la revue
mensuelle florentine Rivista Internazionale Brittanica-Germanica- Slava ecc. di
Scienze-Lettere-Arti. Le terme est utilisé en 1877 dans un compte-rendu en grec
de la traduction grecque d’un ouvrage de Carl Hermann Friedrich Johann Hopf
par le corfiote Ioannis A. Romanos (1836‑1892), publiée en 1870 ; Romanos fait
précéder sa traduction du traité historique Ἱστορικὴ μελέτη περὶ τῆς ἐν Ἑλλάδι
Φραγκοκρατίας καὶ τῶν Παλατίνων Κομήτων Οὐρσίνων, αὐθεντῶν Κεφαλληνίας καὶ
Ζακύνθου, dans lequel il recourt aux termes « φραγκοκρατία », pour rendre
la domination franque ou vénitienne, et « Φράγγοι », pour désigner tous les
Latins63. À Chypre, la première occurrence de « φραγκοκρατία » et de « βενετο-
κρατία » par un auteur chypriote intervient nettement plus tard, en 1904, dans
le prologue et le commentaire que Clément Karnapas (1880‑1957) donne à son
édition de documents chypriotes du XVIIIe siècle64.
De fait, il faut attendre que Byzance soit parfaitement intégrée au récit
de l’histoire nationale pour que la « φραγκοκρατία » et la « βενετοκρατία » ac-
quièrent un statut autonome, et cette avancée appartient à la génération qui
succède à Paparrigopoulos. Encore une fois, Spyridon Zambélios apparaît
comme un précurseur, puisque dans ses récits consacrés à la Crète sous domi-
nation vénitienne, il met en scène des héros qui conduisent des révoltes assi-
milées à des combats de libération de l’hellénisme entier contre ses ennemis
italiens, que ce soit dans ses Ἱστορικὰ σκηνογραφήματα, parus à Athènes en 1860,
61 Résultat obtenu à partir du dépouillement des titres figurant dans les portails Zephyr
(catalogues des bibliothèques universitaires grecques : <zephyr.lib.uoc.gr>) et Anemi (bi-
bliothèque numérique des études néo-helléniques : <anemi.lib.uoc.gr>) de l’Université
de Crète.
62 V. Psilakis, Ἱστορία τῆς Κρήτης ἀπὸ τῶν ἀρχαιοτάτων χρόνων μέχρι τῆς τρισκαιδεκάτης ἑκατονταε-
τηρίδος μ.Χ., ἤτοι τῆς ἑνετοκρατίας (Athènes : Ek tou Typografiou Paraskeva Leoni, 1899).
63 C. Hopf, Γρατιανὸς Ζώρζης, αὐθέντης Λευκάδος, trad. I. A. Romanos (Corfou : I Ionia, 1870) ;
compte-rendu en grec, avec réimpression des extraits de la traduction, dans Rivista
Internazionale Brittanica-Germanica-Slava ecc. di Scienze-Lettere-Arti 21 (1er janvier 1877),
22 (16 janvier 1877), 23 (1er février 1877). Voir, aussi, I. A. Romanos, Περὶ τοῦ Δεσποτάτου
τῆς Ἠπείρου. Ἱστορικὴ πραγματεία (Corfou : Ermis, 1895), « Πρόλογος ὑπὸ Λαυρεντίου Σ.
Βροκίνη », κ΄-κγ΄, μζ΄ (« Φραγκοκρατία »), λα΄ (« Ἑνετοκρατία »), μη΄ (« τῆς κατὰ τὴν νῆσον
[Κέρκυραν] Φραγκικῆς ἐπικρατήσεως »), et partout dans le texte Φράγκοι (1: « ἅλωσις τῆς
Κωνσταντινουπόλεως, ἡ ὑπὸ τῶν Φράγκων σταυροφόρων γενομένη ») et Φραγκοκρατία.
64 Ἀνέκδοτα κυπριακὰ ἔγγραφα (τοῦ IH΄ αἰῶνος), éd. C. Karnapas (Famagouste : s.e., 1904), 8-10,
18 (« Φραγκοκρατία »), 69 (« Ἑνετοκρατία ») etc.
69 Karamanolakis, Η συγκρότηση της ιστορικής επιστήμης και η διδασκαλία της ιστορίας στο
Πανεπιστήμιο Αθηνών, 207-224, 432-433 ; à noter que la chaire d’histoire de la nation
grecque reste vacante avec le départ à la retraite de Karolidis, et qu’elle disparaît en 1932,
étant remplacée par des enseignements répartis en périodes distinctes, sur le modèle des
universités occidentales : ibidem, 343-347.
70 C. Paparrigopoulos, P. Karolidis, Ἱστορία τοῦ Ἑλληνικοῦ Ἔθνους ἀπὸ τῶν ἀρχαιοτάτων χρόνων
μέχρι τῆς Βασιλείας Γεωργίου τοῦ Α’ (Athènes : Elefthéroudakis, 19255), vol. 5: « Ἀπὸ τῆς ἀρχῆς
τῆς Φραγκοκρατίας μέχρι τῆς ἁλώσεως τῆς Κωνσταντινουπόλεως ὑπὸ Τούρκων » ; Kitromilides,
« On the Intellectual Content of Greek Nationalism », 32.
71 Sur la vie et l’œuvre de Lambros, on renvoie aux travaux fondamentaux de Gazi, Scientific
National History ; Eadem, « Theorizing and Practising Scientific History in South-Eastern
Europe (Nineteenth-Twentieth Century) : Spyridon Lambros and Nicolae Jorga », dans
Nationalizing the Past. Historians as Nation Builders in Modern Europe, dir. S. Berger et
C. Lorenz (Basingstoke – New York : Palgrave Macmillan, 2010), 192-208 ; également :
Argyropoulos, Les intellectuels grecs à la recherche de Byzance, 61-64 ; Karamanolakis,
Η συγκρότηση της ιστορικής επιστήμης και η διδασκαλία της ιστορίας στο Πανεπιστήμιο Αθηνών,
187-206, 229-248.
science à part entière, avec ses propres instruments d’analyse, traduisant pour
le public grec des ouvrages étrangers, établissant des catalogues de manus-
crits des collections athonites. Appelé à la tête du gouvernement en des cir-
constances chaotiques, le 10 octobre 1916, Lambros profite de sa position pour
ouvrir des fouilles dans le Péloponnèse, enrichir les collections du musée by-
zantin d’Athènes et les archives d’État, sans oublier de promouvoir une loi de
protection des monuments médiévaux, jusque-là peu considérés en regard des
vestiges de l’Antiquité classique.
Le byzantiniste militant Spyridon Lambros ne remet pas en cause le schéma
trimillénaire de l’histoire de l’hellénisme, bien qu’il sache prendre ses distances
vis-à-vis de Paparrigopoulos. Bénéficiant d’une bonne insertion aux milieux
scientifiques européens, Lambros rejette certaines assertions essentialistes
dans sa propre Ἱστορία τῆς Ἑλλάδος, qu’il destine à un large public, en optant
pour une narration privée du pathos romantique paparrigopoulien72 ; dans le
volume 6, paru en 1908, il contredit la thèse de la préméditation pontificale
dans l’organisation de la Quatrième croisade, expliquant le détournement par
les enjeux politiques qui opposent les Byzantins aux Latins ; ailleurs, il dissocie
les entreprises belliqueuses des Normands des expéditions croisées, soucieux
d’éviter des amalgames réducteurs73.
Le récit sur la période postérieure à 1204 se fonde sur un déroulé chronolo-
gique des événements à l’échelle balkanique, où l’imbrication des situations
locales est expliquée à travers de petits chapitres juxtaposés ; Lambros, qui use
sans retenue des termes « φραγκοκρατία », « λατινοκρατία », « βενετοκρατία » et
de leurs dérivés74, émaille sa narration de remarques qui illustrent, par-delà
les incessantes campagnes militaires, une attention aux phénomènes de rap-
prochement entre Grecs et Latins, par exemple lorsque les gasmules – enfants
de mariages mixtes – participent à la reconquête de Michel VIII Paléologue75 ;
il avance dans la compréhension des institutions politiques, en observant des
conditions similaires de gouvernement en Morée franque, dans le Dodécanèse
hospitalier et dans la Chypre des Lusignan76 ; fin connaisseur des sources,
Lambros est incontestablement un meilleur observateur des réalités complexes
de l’époque étudiée. Ce respect de la documentation n’interdit pas le recours
72 S. Lambros, Ἱστορία τῆς Ἑλλάδος μετ᾽ εἰκόνων : Ἀπὸ τῶν ἀρχαιοτάτων χρόνων μέχρι τῆς βασιλείας
τοῦ Ὄθωνος, 6 vols. (Athènes : Karolos Bek, 1886-1908).
73 Dans le volume 6, intitulé Ἀπὸ Μανουὴλ τοῦ Κομνηνοῦ μέχρι τῆς ἁλώσεως, voir 17-24, 81-86,
97-100, 152-170, 379.
74 Il n’hésite d’ailleurs pas à forger ses propres néologismes : « οἱ ἐπὶ τῆς γαλλοκρατίας ἐπίσκο-
ποι » : ibidem, 652.
75 Ibidem, 293, 346-347.
76 Ibidem, 288-291, 494-495.
Κατὰ τὴν ἀπαισίαν ἐκείνην τετράδα τῶν ἡμερῶν καὶ νυκτῶν δὲν ὑπάρχει βία καὶ
δὲν ὑπάρχει ἀνοσιουργία μὴ τελεσθεῖσα ὑπὸ τῶν σταυροφορούντων τέκνων τῆς
Γαλλίας, τῆς Γερμανίας, τῆς Βενετίας, ἅτινα εἶχον ἐκκινήσει, ὅπως ἀπελευθε-
ρώσωσι τὸν Πανάγιον τάφον καὶ κατέληξαν εἰς τὴν δούλωσιν τοῦ Βυζαντίου77.
77 Ibidem, 188.
78 Ibidem, 191.
79 Sur la vie et l’œuvre de Miller : P. Hetherington, « William Miller : Medieval Historian and
Modern Journalist », dans Scholars, Travels, Archives : Greek History and Culture through
the British School at Athens = British School at Athens Studies 17 (2009), 153-161.
80 W. Miller, The Latins in the Levant. A History of Frankish Greece 1204-1566 (Londres :
John Murray, 1908) ; Idem, Essays on the Latin Orient (Cambridge : Cambridge University
Press, 1921).
avec le propos initial de Miller, mais qui défend le point de vue historiogra-
phique nationaliste grec82.
Avec Spyridon Lambros, la « φραγκοκρατία » acquiert définitivement sa
place scientifique dans l’histoire nationale grecque, après un cheminement qui,
rétrospectivement, dévoile de longues hésitations et d’infinis tâtonnements.
Les concepts de « φραγκοκρατία », « βενετοκρατία » et « λατινοκρατία » émer-
gent au fil du temps, dans le sillage de celui de « τουρκοκρατία » ; ils deviennent
des marqueurs chronologiques historiographiques en fonction des évolutions
politiques et des courants d’opinion, et s’imposent comme chrononymes
lorsqu’ils reflètent les aspirations idéologiques d’intellectuels construisant le
roman national grec. Dans cette construction collective, des voix discordantes
s’élèvent sporadiquement contre la simplification des relations entre Grecs
et Francs au Moyen Âge ; sans entrer dans l’examen des œuvres littéraires
parues ces mêmes années, on ne peut passer sous silence le premier roman
historique grec moderne, Ὁ Αὐθέντης τοῦ Μορέως/Le prince de Morée, paru en
1850, écrit par un Phanariote, pilier de Πανδώρα et du Spectateur de l’Orient,
Alexandre Rizos Rangabé ; s’y combinent la passion amoureuse de la fille du
despote d’Épire, Anne Comnène (sic !), pour Gauthier, fils du duc d’Athènes, un
complot d’archontes grecs contre Godefroy de Villehardouin ; Rangabé y met
en scène des échanges complexes faits d’intrigues patriotiques et d’aventures
chevaleresques, évitant le schématisme d’une vie politique structurée sur des
rapports marqués du seul sceau de la violence militaire83.
82 W. Miller, Ἱστορία τῆς Φραγκοκρατίας ἐν Ἑλλάδι (1204-1566), trad. grecque augmentée et amé-
liorée par S. Lambros, 2 vols. (Athènes : Elliniki Ekdotiki Etaireia, 1909-1910).
83 A. R. Rangabé, Ὁ Αὐθέντης τοῦ Μορέως, paru en plusieurs livraisons dans Πανδώρα entre
juin et novembre 1850 ; éd. de référence, Ὁ Αὐθέντης τοῦ Μορέως, éd. A. Sachinis (Athènes :
Idryma Kosta kai Élénis Ourani, 1989) ; éd. critique, Ὁ Αὐθέντης τοῦ Μορέως, éd. H. Tonnet
(Athènes : Daidalos – I. Zacharopoulos, 2013) ; traduction du grec autorisée par l’auteur,
Le prince de Morée (Paris : Librairie académique, 1873) ; sur le roman, voir A. Kastrinali,
« Ο Ραγκαβής και ο Αυθέντης : Ένας επωφελής γάμος στην Ελλάδα του 1850 », Τα ιστορικά/
Historica 33 (2000), 271-288, et H. Tonnet, « Ο Αυθέντης του Μωρέως (1850), ένα μεσαι-
ωνικό ιστορικό μυθιστόρημα », dans Γ’ Συνέδριο της Ευρωπαϊκής Εταιρείας Νεοελληνικών
Σπουδών (2006) : <https://www.eens.org/eens-congress-access/?main__page=1&main__
lang=de&eensCongress_cmd=showPaper&eensCongress_id=107> (consulté le 18/1/2020) ;
sur le roman dans le contexte de son époque : Argyropoulos, Les intellectuels grecs à la
recherche de Byzance, 34-35, et C. A. Maltezou, « Λατινοκρατούμενη Πελοπόννησος : Nova
Francia και Νέα Ελλάδα », dans Φράγκοι και Βενετοί στη Μεσσηνία. Διερευνώντας το δυτικό πα-
ρελθόν της Πελοποννήσου (6-9 juin 2019) (sous presse).
Conclusion
84 On peut ainsi renvoyer aux travaux conduits dans le cadre du groupe de recherche
FranceMed, au sein de l’Institut historique allemand de Paris, en 2008-2010, qui ont
donné lieu à deux publications simultanées : Construire la Méditerranée, penser les trans-
ferts culturels. Approches historiographiques et perspectives de recherches, et Acteurs des
transferts culturels en Méditerranée médiévale, dir. R. Abdellatif, Y. Benhima, D. König et
É. Ruchaud (Munich : Oldenburg Verlag, 2012).
85 À rapprocher des remarques développées par D. Kalifa, « Dénommer l’Histoire », dans Les
noms d’époque. De « Restauration » à « années de plomb », dir. D. Kalifa (Paris : Gallimard,
2020), 7-24.
86 C. Koulouri, Dimensions idéologiques de l’historicité en Grèce (1834-1914). Les manuels sco-
laires d’histoire et de géographie (Frankfort – Berne – New York – Paris : Peter Lang, 1991) ;
I. Millas, Eικόνες Eλλήνων και Tούρκων. Σχολικά βιβλία, ιστοριογραφία, λογοτεχνία και εθνικά στε-
ρεότυπα (Athènes : Alexandria, 2001).
87 Ἱστορία τοῦ Ἑλληνικοῦ Ἔθνους, dir. G. A. Christopoulos et Y. K. Bastias, Académie d’Athènes,
16 vols. (Athènes : Ekdotiki Athinon A. E., 1970-1978), 10:1, 10:266.
88 Ainsi, pour s’en tenir à un exemple récent : A. Lymbéropoulou, The Church of the Archangel
Michael at Kavalariana : Art and Society on Fourteenth-Century Venetian-Dominated
Crete (Londres : Pindar, 2006) ; Eadem, « Fish on a Dish and Its Table Companions in
Fourteenth-Century Wall-Painting on Venetian-Dominated Crete », dans Eat, Drink,
and Be Merry (Luke 12: 19). Food and Wine in Byzantium, dir. L. Brubaker et K. Linardou
(Aldershot : Ashgate, 2007), 223-232. On notera que cet usage reste peu répandu dans les
études sur cette période en anglais, français et italien.