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T. Pavlovits-Pascal (2010) - FR
T. Pavlovits-Pascal (2010) - FR
Tamás Pavlovits
BLAISE PASCAL
(J. G. Fichte)
AD HOMINEM
Le Département de philosophie de l'Université de Szeged et
en coopération avec la maison d'édition ATTRAKTOR Édité par
Zoltán Gyenge
Volumes prévus :
Jasper Ortega
y Gasset
Nietzsche
Marquis de Sade
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Tamás Pavlovits
BLAISE PASCAL
ATTRACTEUR
Máriabesnyő - Gödöllő
2010
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ISSN 1786-8513
ISBN 978-963-9857-41-4
INTRODUCTION
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I. Section
LIVE
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I. LIVING PASCAL
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1. ENFANCE (1623-1631)
"Mon frère est né à Clermont, le dix-neuf juin de l'an mille six cent
vingt-trois. Mon père, Étienne Pascal, est président du tribunal des impôts.
Le nom de ma mère est Antoinette Begon" (KK, 69) - Gilberte Pascal
commence sa biographie. Le père est né en 1588 dans une famille noble
pas très riche et a étudié le droit à la Sorbonne à Paris. C'est probablement
pendant son séjour à Paris qu'il a développé un vif intérêt pour les sciences
naturelles et les mathématiques. Il s'est ensuite lié d'amitié avec
d'importants mathématiciens français, a été membre de l'Académie de
Mersenne et était lui-même un passionné de mathématiques. A la fin de ses
études, il revient à Clermont et, comme il est de coutume à l'époque,
achète et occupe divers postes administratifs liés à ses qualifications
juridiques. En 1616 ou 1617, il épousa An- toinette Begon, avec qui il eut
quatre enfants, mais seuls trois survécurent. Gilberte est née en 1620,
Blaise en 1623 et Jacqueline en 1625. Leur mère est morte en 1626, quand
Blaise avait trois ans. Dès lors, leur père a élevé seul ses trois enfants, sans
jamais se remarier. On sait peu de choses avec certitude sur l'enfance de
Blaise Pascal. Marguerite Périer a rapporté une anecdote familiale sur le
petit Blaise tombé malade à l'âge d'un an. C'est à ce moment-là que
l'enfant fut frappé par le désespoir [...] causé par deux circonstances très
inhabituelles : d'abord, son incapacité à supporter la vue de l'eau sans être
lui-même à l'extérieur, et, plus surprenant encore, son incapacité à tolérer
la vue de sa mère et de son père se rapprochant l'un de l'autre : ils étaient
séparés.
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Elle pouvait être caressée par l'un et l'autre, mais dès qu'ils
s'approchaient l'un de l'autre, elle se mettait à crier, et protestait avec une
extrême violence, bec et ongles ; cela dura un an, tandis que la maladie
s'aggravait ; et enfin elle devint si violente qu'on s'attendait à sa mort " (M,
I, 1091). L'explication de la maladie par Marguerite Périer était qu'il y
avait beaucoup de pauvres dans la maison Pascal, à qui Madame Pascal
donnait habituellement des aumônes. Parmi eux se trouvait une vieille
femme qui avait la réputation d'être une sorcière dans la ville. Beaucoup
de gens attribuent la maladie du petit Blaise au sort de la sorcière, mais ni
sa mère ni son père n'accordent de crédit à cette rumeur. Un jour, Étienne
Pascal, incrédule, convoque la femme et l'interroge. À sa grande surprise,
elle a tout avoué et a ensuite guéri l'enfant grâce à un sort élaboré qui a
duré plusieurs jours et a coûté la vie à deux chats. L'authenticité de ce
récit est très douteuse, d'autant plus que Mar- guerite ne l'a probablement
pas tiré de la tradition orale familiale, mais d'un document conservé dans
les archives des Oratoriens de Clermont-Ferrand. S'il a quelque vérité, son
seul mérite, de notre point de vue, est de signaler l'illumination d'Étienne
Pascal. Contrairement aux conventions de l'époque, ni lui ni sa femme ne
croyaient aux superstitions, et on dit qu'il n'a voulu interroger la femme
que pour mettre fin aux rumeurs qui se répandaient en Occident. Cette
illumination a ensuite joué un rôle important dans la vie de Pascal.
En 1631, quelques années après la mort prématurée de sa femme,
Étienne Pascal décide de vendre son bureau et de s'installer à Paris avec sa
famille. Il a toutefois gardé sa maison à Clermont, une ville qui a continué à
jouer un rôle important dans la vie de la famille. À Paris, Étienne Pascal loue
une maison, mais n'achète pas de bureau, il investit sa fortune dans une
rente. Blaise avait alors huit ans et Jacqueline six. Comme il avait beaucoup
de temps libre et que ses deux plus jeunes enfants avaient déjà fait preuve
de capacités intellectuelles exceptionnelles dès leur plus jeune âge, Étienne a
décidé de ne pas envoyer ses enfants au collège mais de prendre en charge
leur éducation.
2. L'ÉDUCATION (1631-1638)
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Suite à la décision d'Étienne Pascal, Blaise n'a pas été élevé dans
l'esprit de la scolastique qui dominait les collèges de l'époque. Au
contraire, le programme éducatif consciemment construit que son père a
mis en œuvre porte de nombreuses marques de l'humanisme, et présente
des similitudes intéressantes avec la philosophie de l'éducation de
Montaigne. Il n'est pas impossible qu'Étienne Pascal ait connu l'essai de
Montaigne sur l'éducation des enfants, puisque les Essais étaient devenus à
cette époque très populaires en France. Montaigne, environ un demi-siècle
plus tôt, avait fortement critiqué l'enseignement collégial français. Il
critique avant tout l'acquisition purement informative des connaissances
et la rigueur inhumaine qui y règne : "Ils nous bâillonnent sans cesse,
comme s'ils nous déversaient de la science dans les oreilles, et nous n'avons
qu'à abjurer ce qu'ils disent. [...] La connaissance de l'extérieur n'est pas
une connaissance, mais seulement la rétention de ce que nous avons
confié à la garde de notre mémoire. [...] Je n'ai jamais aimé non plus la
grande discipline de la plupart de nos collèges. [...] Ils sont de véritables
prisons pour une jeunesse captive. [Regardez ces lieux en activité : vous
n'y entendrez que les cris des enfants torturés et des maîtres d'école ivres
de rage ".10 Montaigne préfère transmettre une masse d'informations qui
ne sont pas vitales, plutôt que le bon sens et le bon jugement. C'est
pourquoi il souligne que "toute l'efficacité de l'éducation dépend du choix du
tuteur qui sera attribué à l'enfant". 11 Or Étienne Pascal était très prudent
dans le choix de son tuteur : il n'envoyait pas ses enfants à l'école, mais les
nommait lui-même.
L'autre principe important de l'éducation chez Montaigne est que les
connaissances à transmettre doivent toujours être adaptées à la maturité
individuelle et à la capacité intellectuelle de la personne à éduquer, car ce
n'est qu'à cette condition qu'elles deviennent de véritables connaissances,
sinon elles restent de simples informations étrangères à la vie. "Ce que je
voudrais, écrit Montaigne, c'est que [le maître] commençât dès le début, à
proportion de la capacité de l'âme qui lui est confiée, par l'éprouver, par
lui faire goûter les choses, afin qu'elle les choisisse et les distingue ; tantôt
lui montrant le chemin, tantôt la laissant le trouver par elle-même. (...) Il
demande à son élève non seulement les mots de la leçon, mais encore le
sens et la substance de celle-ci, et le jugement du profit qu'il peut en tirer,
non pas de sa mémoire, mais du témoignage de sa vie. "12 Le principe que
Gilberte dit qu'Étienne Pascal avait en tête dans son éducation est
conforme aux conseils de Montaigne : " Le grand principe de cette
éducation était que l'enfant devait toujours rester maître de ses tâches.
Pour cette raison, il ne voulait pas enseigner le latin avant l'âge de douze
ans, quand il pourrait plus facilement commencer" (KK, 71). Il est
également clair que l'objectif d'Etienne Pascal, comme le conseille
Montaigne, était de faire comprendre la matière et non de la mémoriser.
Cette intention ressort clairement de ce que Gilberte écrit à propos de
l'enseignement des langues : "Il lui a montré comment sont les langues en
général : comment elles se comportent selon un ensemble de règles
grammaticales, et qu'il y a toujours des exceptions à ces règles, qui sont...".
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Cette idée générale a aidé son esprit à trouver son chemin, et lui a fait
comprendre la raison des règles grammaticales, de telle sorte que lorsqu'il
devait les maîtriser, il savait pourquoi il le faisait" (ibid.). Étienne Pascal
semble avoir suivi une sorte de méthode déductive : il a d'abord fait
comprendre à son élève les règles générales, puis, en les apprenant, il a
facilité l'apprentissage des phénomènes grammaticaux spécifiques qui y
obéissent.
Selon la description de Gilberte, le programme d'études comprenait les
matières suivantes dans l'ordre suivant : grammaire, physique, latin et
grec, mathématiques, logique et autres sujets de philosophie. Pascal, âgé
de huit ans, a d'abord étudié la grammaire, mais a également été initié à la
physique dès son plus jeune âge. Il ne s'agissait pas de la philosophie
scolastique de la nature, telle que la physique était comprise à l'époque,
mais de l'observation des phénomènes naturels et de l'explication de leurs
effets, une sorte de physique expérimentale inconnue de la scolastique : "Il
discutait souvent des effets extraordinaires de la nature, comme la poudre
à canon et d'autres choses étonnantes. [...] Une fois, par exemple, quand
quelqu'un à table agitait son couteau sur une assiette en bois, [Blaise] était
frappé par le son qu'il faisait jusqu'à ce que nous mettions nos mains
dessus, quand l'écho cessa. Il voulait en connaître la raison
immédiatement, et cette expérience l'a incité à faire plus de sons" (KK, 72,
73).
Il ressort clairement du récit de Gilberte qu'Étienne Pascal attachait
une grande importance aux mathématiques dans son éducation. Ce n'était
pas non plus le signe d'une éducation scolaire, ce ne sont que les Jésuites
qui ont commencé à donner un rôle plus important aux études
mathématiques. Cependant, Etienne Pascal, un mathématicien passionné,
a essayé de retarder le début des études mathématiques, craignant que
son fils ne tombe amoureux des mathématiques et ne néglige l'étude
d'autres sujets importants. Elle lui a donc fermé ses livres de
mathématiques et s'est abstenue de discuter de mathématiques avec ses
amis mathématiciens devant son fils. Une autre anecdote est liée à cette
situation particulière. Il n'était pas facile de détourner l'attention de Blaise,
âgé de douze ans, des mathématiques, et l'attitude de son père ne faisait
que renforcer sa curiosité pour cette science secrète, lui demandant
souvent ce qu'étaient les mathématiques. À cette question, il ne reçut
qu'une réponse sèche : "Avec son aide, on peut faire des figures exactes,
trouver les proportions entre elles", écrit Gilberte, et il ajoute : "mais il lui
défendit de parler davantage et d'y penser plus longtemps" (KK, 74).
Blaise, cependant, ne devait pas se contenter de sa curiosité. Pendant les
pauses des cours, lorsqu'il restait seul dans une pièce, il essayait de
dessiner des cercles et des triangles parfaits sur le sol avec un morceau de
charbon de bois, puis il commençait à étudier les visages des figures.
Comme il ne connaissait pas les noms des figures, il appelait le cercle un
cercle, la ligne droite une bande, etc. "A partir de ces noms, il forma des
axiomes, puis des preuves parfaites, et comme l'une d'elles était un cercle, il
inventa ses propres axiomes.
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de l'un à l'autre, il alla si loin dans ses recherches qu'il atteignit le trente-
deuxième théorème du premier livre d'Euclide" (KK, 75).
Le théorème 32 du premier livre des éléments d'Euclide est le
théorème de Pythagore, qui stipule que la somme des angles intérieurs de
tout triangle est égale à la somme de deux angles droits. Pendant que
Blaise était occupé à le prouver, Étienne Pascal entra dans la pièce à
l'improviste et sans être observé, et fut choqué de voir ce que faisait son
fils. Mais au lieu de le gronder, il versa des larmes de joie et, à partir de ce
jour, non seulement il commença à enseigner les mathématiques à Blaise,
mais il l'emmena aussi avec lui à toutes les réunions scientifiques où l'on
discutait de divers problèmes mathématiques. Le jeune Pascal avait déjà
montré des talents en mathématiques, et plus précisément en géométrie, à
l'âge de douze ans. Selon lui, le récit de Gilberte n'implique pas que Pascal
ait établi et prouvé les théorèmes des Éléments d'Euclide du premier au
trente-deuxième, alors que c'est ce que tout le monde avait soutenu
auparavant. Selon Mesnard, l'histoire dit seulement que Pascal tentait de
prouver le théorème de Pythagore lorsque son père l'a trouvé. Un autre
argument en faveur de cette explication est que les théorèmes d'Euclide
ne se suivent pas avec une stricte nécessité qui permettrait de les déduire
les uns des autres. Cette clarification rend l'histoire beaucoup plus
plausible, bien qu'il ne soit pas impossible de défendre l'interprétation
traditionnelle sur la base du texte de Gilberte. Un autre détail important
de l'approche éducative d ' Étienne Pascal revêt une importance
philosophique et a eu une profonde influence sur la pensée ultérieure de
Pascal. Il s'agit de la relation entre la science et la religion : Il a toujours
limité sa curiosité aux choses de la nature, et il m'a dit à plusieurs reprises
qu'il liait cette obligation à d'autres qui lui venaient aussi de son père, qui,
lui-même homme de grand respect pour les choses de la religion, lui avait
toujours enseigné, comme principe fondamental, que les choses qui
appartiennent à la foi ne pouvaient être à la fois la propriété de la raison
et encore moins soumises à la raison " (CC, 83). 14 Garder ce principe
(principe) à l'esprit est essentiel pour comprendre la pensée de Pascal.
L'enseignement des Pères a fait comprendre très tôt à Pascal que les
domaines de la raison et de la foi sont différents et que les objets de la foi
ne peuvent être soumis à la recherche de la raison. Il existe donc un
gouffre considérable entre les deux. Il y avait une forte tradition de cela
dans la pensée médiévale, où l'utilisation de la raison était limitée par
l'autorité. La vérité de la révélation, et donc les vérités de la foi, étaient
fondées sur l'autorité de l'Écriture, que la raison ne pouvait réfuter, mais
pouvait tout au plus tenter de prouver. Les vérités divines ne devaient pas
être acceptées par la raison, mais par la foi. Cette doctrine a perdu de sa
force au cours du XVIe siècle, précisément à cause de la révolution
copernicienne, mais cela ne signifie pas qu'une distinction claire entre les
deux sphères de la connaissance ne soit pas encore faite. Le changement
n'est intervenu que dans le domaine de la raison, où elle a cherché la
vérité sur ses propres bases,
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est devenu plus large et plus autonome par rapport aux vérités de la foi.
C'est ce domaine que la science naturelle moderne a pris en charge. Bien
que la révolution copernicienne n'ait pas invalidé les vérités de la foi, elle a
rendu nécessaire une redéfinition de la relation entre la raison et la foi. Au
XVIe siècle, de nombreux penseurs humains ont soutenu que les
connaissances de la raison et de la foi doivent être clairement distinguées.
Cela devient un principe particulièrement important dans la pensée de
Montaigne, et il est possible qu'Étienne Pascal lui ait emprunté cette
prétention. Pour les penseurs rationalistes du XVIIe siècle également, la
séparation de la raison et de la foi et la définition de leur relation restent
un problème majeur. Nous verrons plus loin comment Pascal a pris au
sérieux le principe qu'il avait appris de son père. Il n'est pas exagéré de
dire que l'ensemble de l'œuvre de Pascal tourne autour de ce principe, et à
cet égard, Pascal lui-même a activement contribué à l'élaboration de
l'histoire de l'Europe.
redéfinissant la relation entre la raison et la foi au 17ème siècle.
Ainsi, grâce à son père, Pascal reçoit une éducation humaniste dans
laquelle les mathématiques jouent un rôle crucial. Cependant, un point
montaignien important n'était pas pris en compte dans cet enseignement :
Montaigne accordait une large place à l'étude de l'histoire, ce qui signifiait,
avant tout, la lecture des auteurs anciens. Cependant, pour autant que
nous le sachions, Pascal, contrairement à Montaigne, n'a pas reçu de
formation humaniste sérieuse. Ce qu'il savait de la culture antique, il l'a
acquis principalement grâce à Montaigne. L'influence la plus importante
d'Étienne Pascal a été d'éveiller la curiosité mathématique et physique qui
a occupé presque toute la jeunesse de Blaise. Cette éducation a ouvert
Pascal à la vision du monde moderne émergente, fondée sur la
philosophie naturelle moderne, qui contrastait avec la tradition
scolastique aristotélicienne.
Les études de Pascal l'ont incité à créer dès son plus jeune âge. Selon
Gilberte, il a écrit son œuvre la plus importante à l'âge de onze ans, un
argument sur le son, qui n'a pas survécu. C'est à cette époque que Marin
Mersenne, moine minoritaire, fonde son académie à Paris (1635), dont
Étienne Pascal est membre, avec Roberval, Desargues, Carcavy et Fermat.
A partir de 1638, alors qu'il a quinze ans, Blaise assiste également aux
réunions de l'Académie. Dès lors, son développement intellectuel a été
influencé non seulement par son père mais aussi par les personnes qu'il a
rencontrées là-bas. Parmi eux, il faut souligner l'influence de Desargues.
Girard Desargues, ami de Descartes, était un mathématicien lyonnais. On
lui attribue le développement de la géométrie projective, qu'il publie en
1639 dans son ouvrage Brouillon projet (Sketch Plan). 15 S a valeur dans
l'histoire des mathématiques est indiscutable, mais elle n'a pas eu un
impact majeur parce que l'auteur utilisait un langage mathématique
extrêmement difficile à comprendre. L'œuvre de Desargues - et peut-être
aussi sa personne, puisque dans cette
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Baillet ajoute que "le doute d'un si grand homme faisait plus honneur à
cet admirable enfant que l'admiration de tous ceux qui étaient certains de
sa paternité". Et en effet, la méfiance de Descartes
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" Dès que la pièce fut terminée, je descendis de la scène pour parler à
madame d'Aiguillon ; mais le cardinal étant sur le point de partir, j'allai
droit à lui, dans la crainte de manquer l'occasion favorable de présenter
mes hommages à madame d'Aiguillon ; mais M. Montdory se doutait aussi
que je ne pourrais pas le revoir.
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m'a dit d'aller parler au Cardinal. Je me rendis donc auprès de lui et lui
récitai les poèmes que je vous envoie ici18, et qu'il reçut avec une affection si
grande et des caresses si extraordinaires qu'elles étaient presque
inconcevables ; mais quand il me vit m'approcher de lui, il s'exclama : "
Voilà le petit Pascal ! ".", puis il m'a enlacée et embrassée, et tout le temps
que je récitais les poèmes, il m'a tenue dans ses bras, et m'a embrassée
avec beaucoup d'affection sur chaque oreiller, et quand je suis arrivée à la
fin, il m'a dit : "Je vous donnerai tout ce que vous me demanderez. Ecris à
ton père pour que tu puisses revenir en sécurité" (M, II, 211).
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des machines muettes, pour résoudre par le jeu tous les problèmes
arithmétiques qui déconcertaient même les plus savants" (Í, 79). Gilberte
décrit l'événement d'une manière très perspicace, au lieu de se contenter
d'admirer : "Ils regardaient cette création comme une nouveauté de la
nature, qui avait condensé dans une machine une science qui résidait
entièrement dans l'esprit, et qui avait trouvé le moyen d'effectuer des
opérations en toute sécurité et sans avoir besoin de réfléchir" (KK, 80). La
nouveauté de la machine à calculer résidait dans le fait qu'elle permettait
de réaliser mécaniquement, sur un support matériel, une opération
purement intellectuelle comme le comptage. Cette rencontre entre l'esprit
et la matière était pertinente pour l'époque à bien des égards. C'est à partir
du tournant des XVIe et XVIIe siècles que la science théorique et
l'artisanat pratique, ou technologie, ont commencé à entrer en contact
direct. D'une part, l'avènement des connaissances scientifiques a fait que
les scientifiques avaient besoin d'instruments et d'outils techniques
toujours plus précis, et d'autre part, les nouvelles découvertes scientifiques
ont permis de produire des instruments toujours plus complexes, précis et
sophistiqués. Les difficultés rencontrées par Pascal pour mettre en œuvre
ses plans montrent que l'interconnexion entre la science et la technologie,
que nous considérons aujourd'hui comme acquise, n'était pas encore
évidente. 19 En outre, l a matérialisation et la mécanisation des opérations
mathématiques présentaient une affinité lointaine avec le processus de
mathématisation de la nature, qui était principalement associé à Galilée.
Galilée a comparé la nature à un livre écrit en langage mathématique, qui
ne peut être compris que par ceux qui sont capables de comprendre les
relations mathématiques à l'origine des phénomènes physiques. Ce
principe a constitué la base du premier modèle mécanique moderne du
monde, qui décrivait le monde naturel comme une machine mécanique
fonctionnant dans un ordre rationnel strict, obéissant aux lois de la
nature. La calculatrice, dans un sens bizarre, en était le modèle : des
mouvements physiques s'y déroulaient, produisant des résultats
mathématiques. Il a apporté la preuve tangible que les opérations
matérielles ne sont pas étrangères aux lois mathématiques. Pascal avait
déjà joué un rôle de pionnier dans la transformation moderne de la science
avec son développement de la géométrie projective, mais avec cette
invention, qui, bien qu'avec une certaine exagération, est l'ancêtre de
l'ordinateur, il s'est finalement engagé dans le tournant moderne.
Dans la biographie de Gilberte, la maladie de Pascal est mentionnée
pour la première fois en relation avec l'invention de la calculatrice. Dans
plusieurs mémoires, on trouve l'opinion que Pascal est tombé malade à
cause de la tension mentale qu'il a dû supporter pour inventer la
calculatrice, et c'est peut-être aussi la conviction des médecins, qui lui ont
conseillé à plusieurs reprises de ne pas faire de travail intellectuel. Les
premiers problèmes de santé de Pascal sont survenus lorsqu'il avait 18
ans. Bien qu'il n'ait ressenti que des douleurs mineures à l'époque, M.
Gilberte affirme qu'à partir de ce moment-là, il n'y a plus eu un seul jour
de sa vie sans douleur plus intense. Il souffrait de maux de tête et
d'estomac constants, était incapable de boire quelque chose de froid et a
souffert plus tard d'une paralysie partielle et temporaire des jambes. Il y a
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" Nous parlions des certitudes des sciences et de la causalité, qui sont
les principes de nos connaissances, et qui, à l'aide du raisonnement,
conduisent à la connaissance des causes, parce qu'elles en dépendent
nécessairement ". En réponse, M. Saint-Ange observe qu'il n'est pas
nécessaire de se convaincre qu'une relation nécessaire attache les causes
naturelles à leurs causes, puisque la Trinité seule est nécessaire, et que rien
d'autre n'a un ordre qui soit par nature nécessaire, puisque tout dépend
des décrets de la volonté divine, de sorte que pour connaître les causes il
faut d'abord connaître ces décrets, ce qui n'est possible que par la
connaissance de la Trinité, et ensuite découvrir les relations par lesquelles
Dieu a établi ses décrets ; et que, par conséquent, avant que les autres
sciences puissent être connues, il faut connaître la Trinité, qui est leur
antécédent, et que de cette connaissance dépendent sa théologie et sa
physique. Nous lui avons demandé comment il connaissait la Sainte
Trinité, et il a répondu qu'il le prouvait par la raison" (M, II, 376-377).
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dans une maison à deux étages, et dans les deux cas, il a constaté des
différences mesurables. Il s'empresse de publier ses résultats dans un
court article intitulé Récit de la grande expérience de l'équilibre des liqueurs,
publié en 1648. Avec l'expérience du Puy-de-Dôme, Pascal a donc réussi à
prouver que le principe de l'horreur vacui était faux, invalidant ainsi un
vieux principe physique aristotélicien. Mais il n'a jamais prouvé hors de
tout doute que l'espace en question était l'espace.
La grande expérience sur l'équilibre des liquides a donné lieu à une
autre controverse entre Descartes et Pascal. Dans ce cas, le litige ne
portait pas sur la reconnaissance de l'effet de la pression atmosphérique,
puisque Descartes rejetait le principe de l'horror vacui tout autant que
Pascal, mais sur la paternité de l'expérience. En effet, Descartes s'attribue
l'idée de l'expérience. Dans une lettre du 11 juin 1649, Descartes écrit à
Carcavy : "Je vous prie de me faire connaître le résultat d'une expérience
que M. Pascal est censé avoir fait ou avoir fait sur une montagne
d'Auvergne, pour savoir si le mercure monte plus haut dans le tube de
verre au pied de la montagne, et de combien il monte qu'au sommet. Je
m'attendais à juste titre à ce rapport de sa part plutôt que de la vôtre, car
il y a deux ans je lui ai proposé moi-même de faire cette expérience, et,
bien que je ne l'aie pas faite moi-même, je l'ai assuré de son succès, dont je
n'ai pas douté un seul instant.'26 Pascal, cependant, ne mentionne nulle
part qu'il a pris l'idée de l'expérience de Descartes, et dans le récit de la
grande expérience sur l'équilibre des liquides il prétend avoir inventé
l'expérience lui-même. Le débat est essentiellement fictif, puisque Pascal n'a
jamais répondu publiquement à l'accusation de Descartes, ce qui
s'explique par le fait que Descartes n'a pas non plus publié l'accusation,
mais l'a seulement conservée dans ses lettres. La postérité semble avoir pris
ce débat beaucoup plus au sérieux que les deux parties concernées.
Certaines interprétations voient dans cette accusation la pompe de Descartes
et condamnent sa tendance à tout s'attribuer à lui-même, tandis que d'autres
condamnent l'irrespect de Pascal et l'accusent de vol intellectuel. Ce débat
semble être insoluble. Il convient toutefois de citer une autre lettre que
Descartes a écrite à Mersenne deux ans avant la lettre de Carcavy ci-
dessus, le 13 décembre 1647. Cette lettre a été écrite trois mois après sa
rencontre avec Pascal, et peu après que Pascal ait demandé à Florin Périer
de réaliser l'expérience. Les résultats de l'expérience n'étaient donc pas
connus à l'époque. Dans cette lettre, Descartes remarque en passant : " J'ai
proposé à M. Pascal de faire une expérience pour voir si le mercure irait
dans la même mesure quand nous sommes au sommet d'une montagne
que quand nous sommes au pied de celle-ci ; je ne sais pas s'il l'a fait. "
Cette lettre rend très probable que l'expérience a été discutée lors de la
réunion, mais il est impossible de dire si c'est bien Descartes qui a
conseillé Pascal, qui a suivi le conseil, ou si Pascal a parlé de son projet à
Descartes, qui a ensuite repris l'idée à son compte, ou encore si tous deux
avaient déjà conçu l'idée.
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et, après la conversation, ils étaient tous deux convaincus, à juste titre, de
la paternité du texte.
Un autre débat sur l'espace mérite d'être mentionné. En 1651, une thèse
de doctorat des jésuites de Cler-Mont est consacrée au problème de
l'espace. Peu après la défense publique du mémoire, Pascal est informé
que dans sa préface, l'auteur l'accuse de plagiat, affirmant qu'il s'est
attribué l'expérience de Torricelli. Le passage en question est le suivant :
"Il y a certaines personnes qui aiment la nouveauté, qui prétendent être les
inventeurs d'une expérience dont Torricelli est l'auteur, et qui a été faite
en Pologne ; et cependant ces personnes, ayant fait l'expérience en
Normandie, se l'attribuent à elles-mêmes" (M, II, 804-805). Bien que le
nom de Pascal ne figure pas dans le texte, la critique lui est clairement
adressée. L'accusation est clairement infondée, puisque Pascal ne s'est
jamais attribué l'expérience de Torricelli. Bien que dans son précédent
ouvrage sur l'espace, New Experiments, le nom de Torricelli ne soit pas
mentionné, il est clairement indiqué que l'expérience originale "trouve
son origine en Italie". Il ne fait aucun doute que les expériences de Pascal
étaient en avance sur celles du père Magni, qui avait réalisé des
expériences similaires en Pologne. A cette nouvelle, Pascal est
extrêmement indigné et écrit immédiatement une lettre au président du
comité doctoral, un certain M. Ribeyre, qui occupe une haute fonction
publique à Clermont et qui est une connaissance personnelle. La lettre,
dans laquelle il nie catégoriquement l'accusation, est intéressante non pas
tant pour son contenu que pour son ton. Pascal traite l'affaire avec un
sarcasme caustique et une arrogance considérable, et tente de faire la
leçon à son adversaire sur les faits scientifiques ainsi que sur les bonnes
manières. La lettre de réponse de Ribeyre, en revanche, est d'un ton très
humble et tente de convaincre Pascal, non sans difficulté, que l'affaire
repose sur un malentendu, que l'auteur n'avait aucune mauvaise intention
et qu'il avait un grand respect pour Pascal. Selon Ribeyre, c'est la lettre de
Pascal (publiée à Clermont par le beau-frère de Pascal) qui a fait de ce qui
s'était passé une véritable affaire, puisque l'affaire ne valait pas vraiment
la peine d'être mentionnée. Cette lettre a été suivie d'une réponse plus
conciliante de Pascal, qui a mis fin au différend. Deux choses peuvent avoir
été en jeu dans la réaction arrogante de Pascal. D'une part, l'arrogance que
l'on peut considérer comme un vestige de sa reconnaissance scientifique,
et qu'il a tant condamnée par la suite dans les nombreux fragments de son
Gon- dolati, et d'autre part, son aversion pour les jésuites, qui était
également alimentée par son affection pour le jansénisme, et dont ce
n'était ni la première ni la dernière manifestation.
En 1651, Pascal a voulu résumer ses recherches sur l'espace dans un
traité intitulé Traité de l'espace, mais celui-ci n'a jamais été achevé sous la
forme qu'il avait prévue. Cependant, deux textes ont survécu : la Préface
sur le traité du vide, qui a apparemment été écrite comme une préface au
traité, et les Traités sur l'équilibre des liquides et de la pression de l'air (De
l'équilibre des liqueurs et de la pesanteur).
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La relation de ce dernier avec l'étude prévue n'est pas claire : il faut y voir
soit une partie achevée, soit le résumé d'une partie. Pascal est
extrêmement systématique dans ses arguments pour réfuter le principe
de l'horror vacui, établissant une analogie claire entre les phénomènes
hydrostatiques et les causes de la pression atmosphérique.
Outre ses succès scientifiques, la relation de Pascal avec la religion
mérite une attention particulière dans cette période, qui - pour des
raisons compréhensibles - nous donne un aperçu d'une sphère beaucoup
plus intime de sa vie et de sa pensée. De retour ensemble à Paris, ils ont
immédiatement pris contact avec le monastère de Port-Royal à Paris et
ont rencontré le Père Singlin, qui était le chef spirituel de Port-Royal
depuis la mort de Saint-Cyran quatre ans auparavant. Ce sont ses sermons
et ses conversations avec lui qui ont renforcé la résolution de Jacqueline de
devenir religieuse, une décision que Blaise a pleinement soutenue. Les
lettres écrites à cette époque montrent que Pascal lisait beaucoup la Bible,
saint Augustin, Saint-Cyran et d'autres auteurs jansénistes. Il acquiert peu
à peu une autorité spirituelle dans la famille, car il influence Gilberte, qui
vit à Cler-Mont, à embrasser l'esprit janséniste et se tourne à plusieurs
reprises vers son frère pour obtenir des conseils religieux. Dans ses
lettres, qu'il dicte souvent à Jacqueline, Pascal aborde longuement des
questions théologiques, tantôt discutant un ouvrage de Saint-Cyran, tantôt
analysant les enseignements de saint Augustin. Dans les lettres écrites en
1648, apparaissent déjà les thèmes théologiques (la grâce, la figuration, le
rapport entre la nature et le surnaturel, etc.) qui deviendront plus tard
importants dans les Lettres de la campagne et dans les Réflexions.
Dans une lettre datée du 26 janvier 1648, Pascal raconte à sa sœur une
rencontre malheureuse avec un père janséniste appelé de Rebours, qui
était le confesseur de Port-Royal. Cet incident mérite que l'on s'y attarde
car il touche de plus près la relation entre la raison et la foi. Pascal décrit
le plaisir qu'il a eu à rencontrer Rebours, à qui il a demandé la permission
de lui rendre visite de temps en temps. Lors d'une de leurs premières
rencontres, il lui dit avec enthousiasme qu'il avait lu beaucoup d'ouvrages
des jansénistes et de leurs adversaires, et qu'il était toujours en faveur des
premiers. Puis il remarque : " J'ai ensuite dit que beaucoup de choses
pouvaient être prouvées par la raison, ce que ses adversaires disaient être
contraire à la raison, et qu'en suivant le bon raisonnement, ils croiraient à
tout ce que nous avions été jusqu'ici forcés de croire sans l'aide de la
raison " (Í, 246). Cette remarque est intéressante car elle semble s'écarter
de la position que son père a enseignée à Pascal et qu'il a soutenue dans
son accusation contre Saint-Ange, à savoir que les vérités de la foi ne sont
pas à la portée de la raison. Au contraire, Pascal soutient ici que la raison
peut avoir un pouvoir de persuasion dans certains domaines de la foi
grâce à son utilisation correcte. La réaction de Rebours au commentaire
ci-dessus n'est pas moins intéressante.
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mot qui le rendrait plus familier avec ce genre de vie, il l'a pris à cœur.
Malheureusement, il s'est retiré dans sa chambre sans voir notre sœur,
qui était dans la petite pièce où elle avait l'habitude de faire ses prières.
Jacqueline n'est sortie qu'après que mon frère ait quitté la pièce, craignant
que la rencontrer ne fasse qu'augmenter sa douleur. Je lui ai donné tous
les bons vœux que mon frère lui avait envoyés, puis nous sommes tous
allés nous coucher " (M, I, 671). Jacqueline a quitté la maison tôt le
lendemain. Pascal était donc conscient que l'absence de Jacqueline n'était
pas permanente. Cinq mois plus tard, cependant, Jacqueline lui écrit une
lettre l'informant de son habillage imminent. Sachant parfaitement la
douleur qu'il faisait subir à sa sœur, il a demandé à un ami commun de lui
remettre la lettre, et il s'est donné beaucoup de mal pour la préparer à la
nouvelle, en lui demandant sa compréhension et son soutien. La lettre
montre clairement à quel point il était important pour Jacqueline que cet
événement, qu'elle attendait depuis de nombreuses années, ait lieu avec
l'approbation de son frère, car c'était la seule façon d'en faire une
véritable fête. Dans une lettre adressée à Gilberte quelques jours plus tard,
nous apprenons que Pascal, bien que très déprimé par la nouvelle et
souffrant d'un violent mal de tête, accepte peu à peu la décision de sa sœur
et, après quelques jours de tergiversations, donne sa bénédiction à
l'événement. Les réactions de Pascal montrent également qu'il a accepté
les souhaits de Jacqueline : quelques semaines plus tard, il a
vraisemblablement assisté à la cérémonie d'investiture et a ensuite fait un
don à Port-Royal, comme sa sœur le lui avait demandé. Sur les 16 000 livres
de Jacqueline, elle fait don de 4 000 livres au couvent, mais à la condition que
cette donation ne prenne effet que si elle meurt elle-même sans enfant.
Bien qu'il s'agisse d'un renoncement important de la part de Pascal, il n'a
pas entraîné de véritable conflit entre les frères. C'était seulement deux
ans plus tard.
La situation de la succession à cette époque, en 1653, était plutôt
compliquée. La fortune d'Étienne Pascal est toujours indisponible ou
difficile d'accès, en partie investie en rentes et en partie sous forme de
prêts à des débiteurs. Pascal est donc contraint de passer six mois à partir
d'octobre 1652 à Clermont, où il tente de récupérer ces prêts. En même
temps, il avait des difficultés financières. C'est à cette époque qu'il
apprend que Jacqueline est sur le point de faire le vœu perpétuel de
donner tout son héritage à Port-Royal. Comme cela n'était pas légalement
possible à l'époque et qu'elle avait déjà donné son héritage à Blaise, elle a
demandé à son frère de faire une donation au couvent. Cependant, sa
demande a été fermement refusée par Blaise et Gilberte. Dans sa réponse,
qui a été perdue, Pascal s'indigne du fait que sa sœur souhaite léguer sa
fortune au monastère plutôt qu'à eux, en dépit de la loi, et précise que la
somme n'est pas disponible et qu'il faudra peut-être des années avant
qu'ils puissent en disposer.
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et qu'il a utilisé pour améliorer, entre autres, le calcul des probabilités. Cet
ouvrage, qui comprend onze traités, a été publié sous forme imprimée la
même année, mais n'a pas été diffusé. Enfin, une année très active sur le
plan scientifique est celle où Pascal correspond avec Fermat sur le calcul
des probabilités. Fermat lui-même avait développé une méthode pour cela,
mais elle différait de celle de Pascal. Ces lettres sont des documents
importants de la naissance du calcul des probabilités.
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sur. L'un est le célèbre Mémorial, le document d'une page qu'il a couché
sur le papier lors de cette fameuse nuit, et l'autre est un court essai écrit
quelques années plus tard, intitulé Écrit sur la conversion du pécheur. Ces
deux textes sont complétés par des lettres de Jacqueline qui, à cette époque,
suit de près l'évolution de son frère et qui, à deux reprises, a fait à sa sœur un
récit détaillé de la conversion de son frère. Selon Jacqueline, Pascal
n'aimait pas parler de cette expérience aux autres (c'est pourquoi elle
informe Gilberte et non Blaise) et ne partageait donc son secret qu'avec
elle et son guide. Dans ce contexte, il est intéressant de noter qu'il n'a
jamais mentionné ce qui s'est passé la nuit du 23 novembre 1654, même à
Jacqueline elle-même. Du vivant de Pascal, personne, pas même ses
confidents les plus intimes, ne connaissait l'importance de cette nuit ni
l'existence du Mémorial. Nous pouvons donc conclure que Pascal
considérait cette expérience, dont l'empreinte est conservée dans le
Mémorial, comme si personnelle qu'il ne jugeait pas la conversation la plus
intime apte à en communiquer le contenu. Avant d'examiner les deux
textes plus en détail, il convient de suivre le récit de Jacqueline.
La première lettre de Jacqueline à ce sujet a été écrite le 8 décembre
1654, soit environ deux semaines après la nuit du Mémorial. Elle y
rapporte que Pascal ressentait depuis environ un an un fort mépris pour
le "monde" et qu'il participait donc de moins en moins à la vie sociale. Le
"monde" désigne ici, bien sûr, la société séculaire, les cercles académiques
et aristocratiques, les salons et la Cour. Jacqueline a peut-être entamé le
processus trop tôt, mais il est certain qu'en 1654, Pascal avait perdu ses
illusions sur son ancien style de vie d'homme lascif. La deuxième lettre,
datée du 25 janvier 1655, est beaucoup plus longue et fournit des
informations plus détaillées. Il révèle qu'en septembre 1654, Pascal avait
atteint une étape critique de sa vie et qu'il n'avait pas hésité à partager ses
angoisses avec sa sœur. "[A la fin du mois de septembre dernier] elle est
venue me voir, et cette fois elle s'est ouverte à moi. J'étais de tout cœur
avec elle, car elle m'a dit que, alors qu'elle avait beaucoup de choses
importantes à faire, et d'innombrables choses qui pouvaient rendre le
monde attrayant pour elle, auxquelles tout le monde croyait à juste titre
qu'elle était étroitement attachée, elle ressentait une forte envie de s'en
détacher, et que son extrême répugnance pour les folies et les
amusements du monde, et ses remords continuels, lui faisaient sentir une
séparation d'avec lui, et avec une force telle qu'il n'en avait jamais
ressentie auparavant ; en même temps, il était tellement abandonné par
Dieu qu'il n'éprouvait pas la moindre affection pour lui" (M, III, 71). Il
ressort de ces lignes que la nuit du Mémorial en novembre a marqué la fin
d'une crise existentielle qui durait depuis plusieurs mois, depuis
septembre. L'essence de cette crise, telle que Jacqueline la décrit, est que
Pascal ne trouve plus de plaisir et de satisfaction ni dans la vie sociale ni
dans la recherche scientifique, bien qu'il ait fait sa part des deux. La vie
religieuse ne l'attirait pas non plus.
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Dans la seconde moitié de 1657, l'édition complète des Lettres est publiée,
et un an plus tard, Nicole les traduit en latin, les faisant connaître en
dehors du monde francophone.
Il faut cependant constater que les jansénistes n'étaient pas unanimes
dans leur opinion sur les Niveaux. Certains, comme Sœur Angelica et
Singlin, ont condamné le ton moqueur et presque violent des Niveaux,
qu'ils considèrent incompatible avec le commandement de la charité
chrétienne. Arnauld et Nicole, en revanche, y voyaient un moyen important
et utile de défendre la vérité. Pascal était inévitable : le ton polémique qui
était déjà apparu dans plusieurs de ses textes antérieurs (par exemple sa
correspondance avec l'abbé Noël ou sa lettre à de Rebours) trouve ici son
plein épanouissement. On dit de lui qu'il a d'abord été surpris par
l'efficacité de ce style et qu'il est ensuite devenu un maître incontesté du
genre. Les Lettres du pays ont une valeur littéraire considérable, même si,
en raison de leur sujet, elles ne constituent plus une lecture très populaire.
Après la rédaction de la cinquième lettre, en mars 1656, un incident se
produit qui renforce également la position des jansénistes et qui a une
forte influence sur Pascal. Il a déjà été mentionné que les nièces de Pascal,
Marguerite et Jacqueline Périer, étaient élèves à l'internat de l'école
élémentaire de Port-Royal. Marguerite, la filleule de Pascal, souffrait d'une
maladie oculaire incurable qui empirait de mois en mois. Le nom de la
maladie était une fistule remplie de pus, une inflammation du sac lacrymal,
par laquelle les grandes quantités de pus qui se formaient dans le sac
lacrymal s'écoulaient vers les yeux et le nez. La douleur de la jeune fille
s'est intensifiée et, au bout d'un moment, elle n'a plus pu dormir. Les
médecins étaient désemparés et ne pouvaient proposer qu'une seule
solution : couper le sac lacrymal avec un couteau brûlant (l'anesthésie
n'existait pas à l'époque), mais cela ne garantissait pas la guérison et aurait
même pu entraîner la mort du patient. Jacqueline, qui avait assisté de près à
l'aggravation de la maladie, était presque dédoublée. C'est alors qu'une
relique fut brièvement apportée au monastère : une couronne d'épines du
Christ. Au cours d'une dévotion matinale, la surveillante des enfants a pris
l'épine et l'a mise sur les yeux de la malade Marguerite. Le gonflement de
l'œil s'était résorbé dans la soirée, et le lendemain matin, l'inflammation
et le pus avaient complètement disparu. Les médecins ont examiné la
petite fille et après quelques jours, elle était complètement guérie. Le
Port-Royal a gardé l'affaire secrète pendant un certain temps, puis a
demandé que le miracle soit confirmé et que les tests médicaux et
ecclésiastiques nécessaires soient effectués. Pascal lui-même était l'un des
témoins du procès. Quelques mois plus tard, l'évêque a confirmé le
miracle. Le miracle a été considéré comme un signe divin du côté des
jansénistes dans la lutte pour les Lettres du Pays. Son influence sur Pascal
est significative car c'est l'événement qui est associé au projet d'écrire les
Réflexions. Au départ, il voulait écrire un traité sur les miracles, et il a pris
des notes sur le sujet. Ce texte n'a toutefois jamais été achevé, et il a rédigé
des notes à son sujet.
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C'est à partir de ces notes et fragments qu'est née l'intention d'écrire une
grande œuvre apologétique.
Les lettres de Pascal à la duchesse de Roannez ont été écrites en même
temps que les Lettres de la campagne (voir Í, 221-241).En 1656, Mlle
Roannez, la sœur du duc de Roannez, âgée de 23 ans, était sur le point de
se marier. La nouvelle du miracle de la Sainte Épine a attiré de nombreux
pèlerins au monastère de Port-Royal des Champs. Il en va de même pour
Mademoiselle Roannez qui, au cours du pèlerinage, ressent de manière
inattendue une forte vocation pour la vie monastique et renonce à son
mariage contre la volonté de sa famille. Le duc prend le parti de sa sœur
et, afin de retarder le mariage, l'emmène dans son domaine du Poitou, lui
permettant de vivre recluse pendant des mois. C'est à cette époque que
Mlle Roannez correspond avec Pascal, qu'elle connaît depuis longtemps et
qui lui sert de guide spirituel. D'où le ton intime de ces neuf lettres qui ont
survécu. Les sujets abordés sont presque exclusivement théologiques,
Pascal offrant à sa protégée des conseils spirituels, l'incitant à persévérer
dans la prière, tout en lui révélant ses propres peurs et désirs intérieurs.
Dans ces lettres, les motifs des Reflets apparaissent sous une forme de plus
en plus élaborée.
Jean Mesnard a soutenu de manière convaincante que nous devrions
considérer comme contemporaine des Lettres de la campagne une autre
œuvre de plus grande envergure, connue de la postérité sous le nom
d'Écrits sur la grâce. Comme les Réflexions, cette œuvre de quelque 120
pages reste inachevée, et sa publication pose des problèmes philologiques
considérables aux chercheurs. Le manuscrit original a été perdu, et les
copies qui subsistent contiennent un total de 13 fragments, qui sont
regroupés de différentes manières dans les différentes éditions. Pendant
longtemps, ils ont été divisés en quatre grandes parties, les quatre Écrits (la
traduction hongroise suit ce regroupement et inclut les trois premiers
Écrits. Jean Mesnard, cependant, par des recherches philologiques
méticuleuses, a reconstitué trois unités, qu'il a publiées sous les titres
suivants : Lettre sur la possibilité des commandements, Discours sur la
possibilité des commandements32 et Traité de la prédestination. Le thème des Écrits
est en partie le même que celui des Lettres rurales, puisque là aussi la
question de la grâce est au centre. Selon une note de Nicole, Pascal a tenté
de rapprocher la doctrine augustinienne de la grâce du peuple, en faisant
valoir qu'elle était loin d'être aussi stricte et impitoyable qu'elle pouvait le
paraître à première vue. Dans cet écrit, Pascal fait déjà preuve d'une culture
théologique très développée, combinée aux compétences argumentatives
qu'il a acquises dans ses recherches en sciences naturelles et en
mathématiques.
Il convient également de mentionner deux courts écrits que Jean
Mesnard date de la seconde moitié de 1657, après les Lettres rurales, bien
qu'il soit impossible de les dater précisément. L'une d'entre elles, sur la
conversion du pécheur, a déjà été en partie
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(KK, 115).39 Gilberte souligne que cette découverte était une fin en soi,
c'est-à-dire qu'elle n'était qu'une distraction de la douleur, et que Pascal
n'avait aucune intention de publier ses résultats. Cependant, lorsqu'il
mentionne le cas au Duc de Roannez, celui-ci pense qu'il serait intéressant
d'utiliser cette découverte à la gloire de Dieu. Il faut montrer au monde,
dit-il, que la foi ne va pas de pair avec la stupidité, mais que les chrétiens
peuvent penser aussi bien, voire mieux, que n'importe quel athée. Il a donc
proposé à ses amis de lancer un concours pour résoudre le problème. La
solution s'étant avérée extrêmement difficile, il semblait probable que
personne ne serait en mesure de résoudre les problèmes mathématiques
posés. Dans ce cas, la grandeur de l'excellence de Pascal et sa grandeur
d'âme deviendraient évidentes pour tous. Et c'est ce que Pascal a fait. Ce
concours a donné lieu à un certain nombre d'articles, qui peuvent être
divisés en deux groupes. Le premier groupe se compose strictement des
lettres circulaires relatives à la demande, au nombre de six. Ils
contiennent en partie l'annonce du concours, les modifications des
conditions, l'annonce du résultat et d'autres détails. Il comprend
également un texte en deux parties retraçant l'histoire du problème
mathématique en question, intitulé Histoire de la roulette. Le deuxième
groupe est composé de quatre lettres contenant les solutions Pascal au
problème. Ce sont les lettres d'Amos Dettonville (Lettres d'Amos Dettonville).
Le problème mathématique était lié à l'arc d'une roue, connu dans le
jargon mathématique comme une cycloïde. 40 Un arc de cercle est la courbe
décrite par un point sur une roue lorsque celle-ci effectue un tour complet.
En termes mathématiques, un cyclois est la courbe décrite par le point
d'un cercle qui roule sur un plan sans glisser, et qui touche le plan à
l'origine, pendant le temps que met le cercle à faire un tour complet. La
nature de cette courbe et l'aire qu'elle recouvre ont longtemps intrigué les
mathématiciens. Avant même Pascal, Roberval avait découvert que l'aire sous
la courbe était égale à trois fois l'aire du cercle qui créait la courbe, et
Descartes et Fermat ont prouvé la même chose. Pascal, quant à lui, a
commencé à chercher le centre de gravité de l'aire sous la courbe, et a
réussi à le déterminer. Les questions du concours portaient également sur
la détermination du centre de gravité. Il fallait déterminer la taille de
certaines parties de l'espace sous la courbe et le centre de gravité des
corps de révolution formés de ces parties de différentes manières. Il y
avait huit questions en tout, dont quatre que Roberval avait déjà résolues, à
l'insu de Pascal. Il avait trois mois pour répondre au problème et le prix
était de 600 livres, une somme d'argent très importante pour l'époque.
Pascal a confié la gestion technique du concours à son ami Carcavy, qui a
fait déposer l'argent et a dû juger les solutions. Cependant, Pascal est resté
caché pendant toute la durée du concours, invitant anonymement les
éminents mathématiciens d'Europe à résoudre les énigmes. Le concours a
reçu un grand nombre de solutions. La plus notable est celle de Wren,
l'éminent mathématicien anglais, qui n'a pas répondu à la question de l'accès à
l'information.
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Cependant, l'opinion sur les lettres d'A. Dettonville n'est étayée par rien
dans la version finale du texte, à l'exception d'une anecdote historique, à
savoir que Pascal a écrit le concours et publié son ouvrage sur les conseils
du duc de Roannez. En outre, le fait que l'auteur ait été publié sous un
pseudonyme a permis au public d'ignorer qu'il était un chrétien engagé.
Une chose est sûre, cependant : Pascal faisait aussi beaucoup de travail
mathématique tout en écrivant ses Réflexions, et il n'était pas étranger à
l'utilisation des mathématiques à des fins apologétiques. Nous en voyons
de nombreux exemples dans les Réflexions, il suffit de penser à l'utilisation
des mathématiques à la fin et à l'utilisation des probabilités dans certains
fragments. En outre, la pensée mathématique et scientifique a joué un rôle
majeur dans le développement de toute la collection de Réflexions et de
certaines méthodes d'argumentation apologétique. Pascal, qui dans sa
jeunesse avait si constamment insisté sur la séparation de la raison des
vérités de la foi, et des sciences de la nature de la théologie, a établi dans
son apologie une relation spécifique entre les deux.
La maladie de Pascal a été déclenchée par le mal de dents qui l'a incité à
explorer la nature du passage de roue. Cependant, pendant une longue
période après la publication des lettres de Dettonville, dès le début de l'année
1659, il est incapable d'effectuer un quelconque travail intellectuel.
Carcavy décrit la maladie de Pascal dans une lettre : "ses forces lui font
défaut, et cela depuis la publication de son livre [...] il ne peut rien faire qui
demande la moindre attention sans être extrêmement malade" (M, IV,
666). Près d'un an et demi s'écoulent, et en mai 1660, il se rend en Auvergne
pour se faire soigner dans une station thermale non loin de Clermont-
Ferrand. Fermat, qui vivait à Toulouse et qui était impatient de rencontrer
Pascal, lui écrivit, l'exhortant à le rencontrer à mi-chemin entre Clermont-
Ferrand et Toulouse, car ils étaient tous deux malades. Dans sa réponse,
Pascal exprime son admiration pour Fermat, lui assure qu'il aimerait
beaucoup le rencontrer, mais décline l'invitation car, comme il l'écrit, "je
suis incapable de marcher ou de monter à cheval sans bâton, ni de faire
plus de trois ou quatre miles en voiture ; c'est pourquoi il m'a fallu vingt-
deux jours pour venir de Paris" (Í, 281). Il ajoute que même s'il devait
rencontrer Fermat, ce ne serait pas à cause de Fermat le mathématicien,
mais seulement à cause de ses qualités humaines, car les mathématiques
ne l'intéressent plus. Car la géométrie, écrit-il, pour être franc, bien qu'elle
soit effectivement une gymnastique intellectuelle de premier ordre, est si
inutile que je ne vois guère de différence entre un artisan habile et un
homme de géométrie. Et bien qu'il s'agisse du plus beau métier du monde,
ce n'est, après tout, qu'un métier ; et j'ai souvent dit qu'il était bon pour
tester nos pouvoirs, mais pas pour les utiliser ; je suppose donc que vous
comprenez pourquoi.
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l'ouverture. On pense que cette circulaire a été rédigée par Pascal lui-
même. Au même moment, un petit groupe de résistance se forme parmi
les religieuses de Port-Royal, qui défendent le refus de signer. L'un des
principaux porte-parole de ce groupe était Jacqueline. Pour les religieuses,
la nécessité de signer le formulaire a provoqué une grave crise de
conscience, d'une part parce que cela signifiait déclarer hérétique le
fondateur du mouvement janséniste et d'autre part parce que, la plupart
d'entre elles n'ayant aucune formation théologique, elles étaient incapables
de décider si elles signaient une déclaration vraie ou fausse. D'autres
représentants éminents du Janisme, en revanche, étaient opposés à toute
opposition à la signature du formulaire. Jacqueline est soudainement
tombée gravement malade en octobre et est décédée après quelques
semaines de maladie. Elle a souffert et est morte du même type de maladie
digestive que son frère Blaise. On suppose que sa maladie et sa mort sont
liées à la crise mentale provoquée par la signature du formulaire, bien qu'il
n'y ait aucune preuve directe de cela. Après la mort de Jacqueline, la
situation est devenue encore plus grave. Le Conseil royal a retiré sa
circulaire de juin avec les vicaires et leur a ordonné de publier une autre
circulaire leur ordonnant de signer le formulaire sans aucune explication. La
formulation était alors la suivante : "Je condamne l'enseignement de
Cornelius Jansen dans les cinq exégèses qui se trouvent dans son
Augustin". La situation qui s'est alors développée a provoqué un désaccord
entre Pascal et Arnauld.
En novembre, Pascal a écrit une courte lettre donnant son avis sur la
signature. L'article sur la signature du formulaire (Sur la signature du
formulaire) fait sensation à Port-Royal, avec deux réponses, l'une de Nicole
et l'autre d'Arnauld. Le débat a continué à faire rage jusqu'à ce qu'un total
de 13 articles soient écrits pour confirmer ou réfuter la position de Pascal.
Le dernier de ces textes a été écrit par Pascal lui-même, sous le titre "Le
grand écrit sur la signature des formules", qui n'a pas survécu. Pascal
soutenait que signer le Formulaire sous cette forme, sans distinguer entre
la question de la foi et la question du fait, c'est condamner la doctrine de la
grâce efficace, ainsi que saint Augustin et saint Paul : " quiconque signe le
Formulaire purement et sans aucune réserve signe la condamnation de
Jansénius, de saint Augustin et de la grâce efficace " (M, IV, 1207). Pascal
propose donc de préciser au moment de la signature, soit en le disant à
haute voix, soit en l'écrivant sur le papier, que la signature ne porte que
sur la question de la foi, et non sur la question du fait. Arnauld et Nicole
étaient en désaccord, d'une part, sur le fait que la signature du formulaire
impliquait la condamnation de saint Augustin et, d'autre part, sur le fait
qu'il convenait de distinguer autrement la question de fait et la question
de foi. Ils ont proposé un addendum qui stipulerait uniquement que le
signataire se soumet à l'Eglise sur la question de la foi. Ils ont fait valoir
qu'une telle addition positive implique implicitement que le signataire se
soumet à l'Église uniquement sur la question de la foi, mais pas sur la
question des faits. On peut constater que Pascal et Arnauld, à bien des
égards.
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étaient d'accord entre eux : d'une part, que le formulaire devait être signé
d'une manière ou d'une autre, et d'autre part, que la signature devait à
nouveau faire la distinction entre une question de fait et une question de
foi. Leur désaccord ne portait que sur la manière dont cela devait être fait.
Marguerite Périer rapporte une rencontre qui, selon Jean Mesnard, a eu
lieu après la publication des écrits sur les formules. Les contestataires se
sont réunis chez Pascal pour discuter de la question et de la situation.
Dans un premier temps, Pascal plaide vigoureusement en faveur de sa
position, mais lorsqu'il voit qu'il ne peut convaincre ses amis et qu'ils
prennent position contre lui, "il éprouve une douleur si intense qu'il se
sent mal, ne peut parler et perd connaissance". Quand il est revenu à lui, il
n'était entouré que de sa famille et du duc de Roannez. Lorsque sa sœur
Gilberte lui demande ce qui lui est arrivé, il répond : "Quand j'ai vu ces
hommes, que j'avais toujours cru que Dieu avait faits pour être les
connaisseurs et les défenseurs de la vérité, chanceler et sembler
abandonner la vérité, j'avoue que j'ai eu une telle douleur que je n'ai pu
me contenir et que je me suis effondré" (M, I, 1071). Comme le suggère
cette anecdote, le conflit a conduit à un éloignement important entre
Pascal et Arnauld, même s'il n'a pas abouti à une rupture ouverte. En tout
cas, Pascal n'est plus impliqué dans la vie de Port-Royal.
Pascal a passé la dernière année de sa vie à la retraite. Pendant les
brèves périodes où sa santé le lui permettait, il a consacré une grande
partie de son temps à la rédaction de l'Apologie. Dans le même temps, il
s'engage avec le duc de Roannez dans une autre entreprise commune : la
création du premier transport public parisien. Tous deux ont inventé les
"voitures à cinq sous". L'idée de base était d'exploiter des voitures
régulières dans Paris pour relier les différents arrondissements, en plus
des services réguliers de trolley entre les villes. Après l'obtention du
brevet royal, cinq lignes au total étaient en service. Les wagons se
succédaient à intervalles de 7 à 8 minutes, chacun avait 8 sièges et chaque
passager devait changer de siège pour cinq sous. Comme le règlement du
Parlement interdit aux soldats, aux laquais, aux laquais et aux travailleurs
manuels de monter à bord, et comme les classes les plus pauvres ne
pouvaient pas se permettre de payer le tarif de cinq sous, les trains étaient
principalement utilisés par les citoyens. Dans une lettre, Gilberte décrit le
succès des carrosses et le fait qu'au début il était presque impossible de
trouver une place assise (voir M, IV, 1403-1405). Pascal a passé ses derniers
mois à travailler sur ce projet, dictant des mémoires et élaborant un plan
détaillé de l'entreprise. La création des transports publics à Paris a été une
initiative d'avenir et de progrès au même titre que l'invention de la
calculatrice. Ces ambitions de Pascal offrent un contraste intéressant avec
l'orientation de la théologie janséniste, qui soulignait l'importance du
retour au passé, à la tradition et aux origines, par opposition au présent et
à l'avenir, et dont Pascal était un défenseur.
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II. Section
SCIENCES NATURELLES
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II. MATHÉMATIQUES
Dans ce qui suit, nous allons analyser les œuvres de Pascal. Ce faisant,
nous retracerons le chemin intellectuel que Pascal a suivi de la science
naturelle à l'apologie de la religion. La première partie de l'œuvre de Pascal
est dominée par ses recherches mathématiques et physiques, tandis que la
seconde (après 1654) est dominée par ses travaux théologiques,
apologétiques et philosophiques. Cependant, comme nous l'avons déjà
souligné dans la biographie, l'œuvre de Pascal ne peut être divisée en
deux parties distinctes, pas plus que le Pascal scientifique ne peut être
séparé du Pascal théologien-apologiste-philosophe. Bien que de nombreux
éléments biographiques indiquent qu'il a rompu de manière décisive avec
les mathématiques et la physique après sa deuxième conversion, son
œuvre mathématique la plus vaste et la plus importante, les Lettres d'A.
Dettonville, a été écrite après les Lettres du pays, en 1658. Cela montre, entre
autres, que la pensée mathématique est restée au cœur de l'œuvre de
Pascal tout au long de son parcours. Pascal a continué à appliquer son
approche mathématique et physique à la rédaction de ses Réflexions : sa
pensée est restée très cohérente et rigoureuse, et il aimait appliquer les
méthodes mathématiques dans des contextes théologiques et apologétiques.
Nos trois chapitres (Science naturelle, Théologie, Apologie) suivent ainsi
le développement intellectuel de Pascal, tout en soulignant que cette
division ne reflète pas fidèlement l'ordre chronologique des œuvres de
Pascal.
Notre analyse des travaux mathématiques et physiques est basée sur la
thèse que les procédures argumentatives, les méthodes, les concepts et le
langage utilisés dans ces travaux seront déterminants pour la pensée
apologétique de Pascal. Comme le dit Michel Serres : "De nombreuses
techniques argumentatives des Réflexions, qu'elles soient centrales ou
périphériques, restent incompréhensibles si elles ne sont pas strictement
liées aux Tranches de cône, au Triangle arithmétique ou à l'Arc de roue. Les
méthodes originales que Pascal a inventées semblent être transposées et
appliquées à son propre monde religieux et métaphysique.
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En examinant les écrits mathématiques et physiques, nous nous
concentrerons donc sur les méthodes qui se reflètent sous une forme ou
une autre dans les Pensées. Souligner que les fragments des Réflexions
reposent sur des méthodes rationnelles et des procédures argumentatives
qui ne peuvent être comprises qu'à la lumière de l'œuvre scientifique de
Pascal, c'est ne pas comprendre les Réflexions dans un seul système
rationnel homogène, en ignorant l'un de ses aspects les plus importants :
son caractère fragmentaire. Au contraire, comprendre la manière dont
Pascal a utilisé les procédures rationnelles dans son œuvre majeure, et dans
quel but, permettra d'expliquer pourquoi il a insisté sur un style fragmentaire
pour rédiger son apologia.
Comme le montre déjà la biographie, Pascal était avant tout un
mathématicien et un physicien qui a gagné l'admiration de ses
contemporains et de la communauté scientifique. De son vivant, Pascal
était déjà considéré comme un génie des mathématiques. Cependant, la
postérité n'a pas été aussi favorable à Pascal, et ses travaux scientifiques
ont fait l'objet de nombreuses controverses. Il y a toujours eu ceux qui
admirent les réalisations scientifiques de Pascal. D'autres, en revanche,
appellent à une approche plus sobre et soulèvent un certain nombre de
points critiques dans leur interprétation. Il est indéniable que Pascal a été
extrêmement novateur et durable dans presque tous les domaines de
recherche qu'il a entrepris. Très tôt, à la suite de Desargues, il établit les
bases de la géométrie projective, invente et réalise la première
calculatrice mécanique, établit la thèse du vide, prouve l'existence de la
pression atmosphérique, développe et applique le triangle arithmétique aux
problèmes mathématiques les plus divers, est le premier à développer une
méthode de calcul des probabilités en même temps que Fermat, et est le
premier à appliquer le calcul infinitésimal avec une méthodologie
rigoureuse. Aujourd'hui encore, le théorème de Pascal, l'équation de
Pascal et l'hexagone de Pascal en géométrie projective, le triangle de
Pascal en arithmétique, la loi de Pascal et l'unité de pression
atmosphérique en physique portent son nom, et son prestige scientifique
se reflète dans le fait qu'un langage de programmation informatique porte
son nom. Il est donc indiscutable qu'il est un génie aux multiples facettes
dans le domaine des sciences naturelles. Personne ne le remet en question.
Cependant, ceux qui cherchent à juger le scientifique Pascal de manière plus
objective affirment avant tout que Pascal n'était pas un mathématicien ou
un physicien professionnel, mais plutôt un amateur ou un artiste au talent
exceptionnel. L'opinion la plus négative à cet égard a été exprimée par un
théoricien scientifique de renom, Alexandre Koyré, dans son étude intitulée
"Le savant Pascal". 42 Selon lui, les réalisations mathématiques de Pascal ne
peuvent être comparées à celles des trois grands mathématiciens de son
époque, Fermat, Descartes et Desargues. En géométrie projective, il n'était
qu'un élève et un suiveur de Desargues, dont l'invention n'était pas la
sienne mais celle de son maître ; le triangle arithmétique n'était pas son
invention, puisqu'il était déjà connu des Arabes, mais au plus
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dans une thèse sur les triangles arithmétiques. Dans les quatre sous-
sections suivantes, nous considérons (1) la géométrie projective dans le
contexte des coniques, (2) la théorie des probabilités dans le contexte de la
division des jeux, (3) les questions relatives au triangle arithmétique, et
enfin (4) la méthode des indivisibles dans le contexte de l'arc de cercle,
dans l'ordre approximatif dans lequel Pascal les a traitées de son vivant.
Avant de passer à l'analyse des œuvres spécifiques, il est toutefois
important d'aborder la question générale de la méthode dans la pensée de
Pascal, car elle est étroitement liée à la recherche et au discours
scientifiques et dérive en grande partie de la pensée géométrique.
1. MÉTHODE ET PROCÉDÉS
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Nous convenons qu'à partir de maintenant, nous utiliserons tel et tel terme
dans tel et tel sens. L'objectif principal est de rendre le discours exempt
d'ambiguïté et de le raccourcir. L'exigence de définition déplace le centre
d'intérêt de la méthode géométrique vers la communication. Bien sûr,
dans la recherche solitaire de la vérité, il n'est pas mauvais d'être
conscient des termes utilisés, mais l'exigence de parler clairement devient
vraiment importante lorsque nous voulons communiquer la vérité que
nous avons trouvée, c'est-à-dire en convaincre les autres. Un examen plus
approfondi du travail de Pascal montrera pourquoi la persuasion est si
importante dans la méthode. Presque toutes les œuvres de Pascal ont un
ton polémique, écrites contre quelqu'un, pour défendre quelqu'un ou pour
essayer de convaincre quelqu'un de sa vérité. Dans ses ouvrages
physiques, il se dispute avec les adversaires du vide, en particulier le père
jésuite Noël, dans les lettres d'Amos Dettonville avec les mathématiciens,
notamment les pères jésuites Lalouvière et Tacquet, qui attaquent la
méthode des indivisibles, dans les Lettres du pays avec l'ensemble de l'ordre
jésuite, puis personnellement avec le père Annat dans ses Écrits sur la grâce,
ceux qui n'acceptent pas la doctrine agostonique de la grâce, dans la
Conversation avec M. de Saci, avec son directeur spirituel, le janséniste
Sakti, dans la Sur la pensée géométrique, avec Mire, qui veut expulser
l'infini du champ de la géométrie, et enfin, dans les Réflexions, avant tout
avec les libertins et les athées. Pascal est donc presque toujours en
dialogue, toujours en train de s'adresser à quelqu'un, et la méthode dicte
donc non seulement l'usage de la raison mais aussi la manière de
communiquer la vérité. La méthode géométrique est une condition
essentielle de la connaissance scientifique. Cependant, comme elle a son
propre champ d'application, elle a aussi ses limites. Tout au long de son
œuvre, Pascal fait la distinction entre les vérités naturelles et les vérités
surnaturelles. Alors que les vérités naturelles sont du domaine de la
raison, les vérités surnaturelles sont acquises principalement par la
révélation et l'autorité. La méthode géométrique établit les conditions de la
cognition naturelle, mais ne peut être utilisée pour découvrir des vérités
surnaturelles. De nouvelles méthodes sont donc nécessaires pour
découvrir ces vérités. Il est important de souligner que chez Pascal, la
méthode géométrique pour découvrir les vérités naturelles est
constamment confrontée à ses propres limites. Paradoxalement, c'est
précisément l'infini qui le limite. Nous avons déjà vu que l'exigence de
régression infinie rend impossible l'obtention d'une méthode parfaite. En
même temps, l'infini n'est pas seulement inscrit dans les principes, mais
définit aussi l'horizon de la recherche scientifique. Il est impossible
d'épuiser l'infini de la nature par la méthode géométrique, et impossible
d'atteindre les vérités ultimes de l'existence. La vérité, en raison de
l'infinité de la nature, transcende infiniment cette méthode et, par
conséquent, la science exacte elle-même. Dans sa pensée théologique et
apologétique, Pascal est resté fidèle à l'exigence de la méthode.
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Les hyperboles sont des images de la base du cône, projetées sur le plan
qui coupe le cône. Ainsi, les tranches de cône sont le résultat d'une
projection, et sont dans tous les cas des images du cercle de base dans la
perspective définie par le cône. Grâce à cette approche perspective, une
correspondance directe peut être établie entre le cercle, l'ellipse, la
parabole et l'hyperbole. Cela permet d'étudier les propriétés qui sont
convertibles d'une tranche de conique à l'autre, c'est-à-dire qui restent
inchangées lors de la projection.
Sans aucun doute, l'idée révolutionnaire de fonder la géométrie
projective est venue de Desargues, qui doit donc être considéré comme
l'un des plus grands mathématiciens de son temps. Il ne fait également
aucun doute que sans Desargues, Pascal n'aurait pas entrepris ses
recherches en géométrie projective à l'âge de 16 ans, et que nous devons
donc le considérer comme un disciple de Desargues. Dans son Essai, Pascal
lui-même exprime son profond respect pour son maître en ces termes :
"M. Desargues de Lyon est un des grands esprits et des plus grands
mathématiciens de notre temps, très versé dans le sujet des sections
coniques [...] et je dois avouer que je dois à ses écrits tout le peu que j'ai
découvert sur ce sujet, et que je me suis efforcé autant que possible
d'imiter sa méthode" (M, II, 234). Mais qu'est-ce qui fait que Pascal n'est
pas seulement un épigone de Desargues ? Deux choses : son style et sa
découverte de ce qui était déjà appelé par ses contemporains le théorème
de Pascal. Nous avons déjà évoqué plus haut l'attention particulière que
Pascal portait à la clarté et à la lucidité du discours dans le cadre de la
méthode mathématique. Ce n'était pas une pratique courante à l'époque.
La diffusion des résultats scientifiques a souvent été entravée par le fait
qu'il n'existait pas de langage scientifique mature et généralement accepté.
C'est ce qu'illustre l'exemple de Desargues : bien que le projet de Brouillon
contienne des résultats ingénieux, il a gagné le respect de peu de
personnes parce que son auteur a utilisé une terminologie souvent lourde
et difficile à comprendre. Les mathématiciens et les physiciens du 17e
siècle ont souvent commis des erreurs similaires. Parmi eux, Cavalieri,
l'un des premiers à utiliser le calcul infinitésimal avec des quantités
infiniment petites, dont on s'est beaucoup plaint de l'incompréhensibilité.
49
Pascal a clairement surpassé son maître en clarifiant la terminologie de
base de la géométrie projective avec son style vif et ses définitions
précises. La troisième définition de l'Essai montre l'attention qu'il porte à
la clarté : "Par le mot "droit" seul, nous entendons une ligne droite" (M, II,
231). Une autre nouveauté est le célèbre théorème de Pascal, qui est énoncé
sans preuve par les trois théorèmes de l'Essai. (Ni l'Essai pour les coniques, ni la
Generatio conisectionum ne contiennent de preuves, seulement des
définitions et des théorèmes ; les traités contenant des preuves ont été
perdus). Ce théorème affirme que l'intersection des lignes latérales
opposées de chaque section conique, c'est-à-dire d'un cercle, d'une ellipse,
d'une parabole et d'une hyperbole, d'un hexagone tombe sur une ligne
droite. Cet hexagone est l'hexagone dit de Pascal, la ligne où l'inter-
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Les points d'intersection sont situés sur la ligne droite dite de Pascal. Ce
théorème suppose que l'intersection des perpendiculaires aux côtés
opposés de tout hexagone inscrit dans un cercle se trouve sur une ligne
droite, et son principal enseignement est que cette propriété de l'hexagone
de base inscrit dans un cercle reste inchangée dans la projection qui crée les
tranches coniques. Ainsi, si nous écrivons un hexagone dans une ellipse,
une parabole ou une hyperbole formée comme une section conique, le
théorème sera également valable pour lui. Et l'inverse du théorème dit
que l'intersection des lignes latérales opposées d'un hexagone est sur une
ligne seulement si les sommets de l'hexagone sont sur une section
conique. Ce théorème est devenu central en géométrie projective,
puisqu'il a permis à Pascal de dégager toutes les propriétés
caractéristiques des sections coniques : " De ces trois théorèmes et de
quelques-uns de leurs corollaires, nous déterminerons tous les éléments
des sections coniques, notamment toutes les propriétés des diamètres,
des tangentes, etc..., toutes les propriétés du cône, la description point par
point des sections coniques, etc. ". (M, II, 232) - il écrit. Comme en témoigne
Mersenne, Pascal a épuisé dans son œuvre tout le problème mathématique
des sections coniques : "[Pascal] a réuni toutes les sections coniques et
tout Apollonius en un seul théorème, dont il a tiré 400 corollaires, de sorte
qu'aucun d'eux ne dépend directement des autres, mais que tous, les
derniers comme les premiers, ne dépendent que dudit théorème". 50
L
'importance de cette révélation est démontrée par le fait que Desargues
lui-même reconnaît la grandeur de Pascal et, dans une lettre, appelle le
théorème de Pascal "la Pascale" (voir M, II, 279).
En rapport avec le théorème de Pascal, nous devons mentionner un
problème important lié à l'axiome des lignes parallèles. Ce théorème
implique, par voie de conséquence, que les lignes parallèles se coupent à
l'infini. Cela ressort clairement du fait que le théorème de Pascal ne vaut
pour un hexagone équilatéral inscrit dans un cercle que si ses lignes
parallèles se rencontrent à l'infini et si ces intersections sont elles-mêmes
situées sur une ligne. Comment cela est-il possible ? En fait, la géométrie
projective suppose une nouvelle structure de l'espace, différente de la
géométrie euclidienne. Cette structure spatiale est basée sur l'intersection
de lignes parallèles. Ces intersections sont appelées "points idéaux". Et les
points idéaux des paires de lignes parallèles qui ne sont pas parallèles entre
elles sont situés sur une ligne, que nous appelons "ligne idéale". Ainsi, tous
les points idéaux d'un plan (formé par l'intersection de lignes parallèles)
définissent une ligne idéale. Le théorème de Pascal est vrai pour un
hexagone équilatéral inscrit dans un cercle uniquement si cette condition
est satisfaite. Pascal résout cette difficulté en appelant, par définition, des
lignes parallèles se coupant l'une l'autre, mais à une distance infinie. La
deuxième définition de la Generatio conisectionum est la suivante : "Deux
ou plusieurs lignes se coupent toujours, quelle que soit la façon dont elles
sont prises : soit à une distance finie, si elles se rencontrent en un seul
point, soit à une distance infinie, si elles sont parallèles" (M, II, 1111).
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qu'elles sont des images d'un plan fini. Pascal le souligne dans le cas de la
parabole.
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Comme Pascal ne fonde cette objection que sur le fait qu'il a essayé
d'appliquer la méthode de Fermat à une situation de jeu non examinée par
Fermat, il demande au mathématicien toulousain, à la fin de sa lettre, de
confirmer si son objection est valable. Pascal semble avoir légèrement
sous-estimé l'esprit mathématique de son correspondant, car Fermat n'a
pas été le moins du monde gêné par la remarque de Pascal. Dans sa
réponse, il précise qu'il n'ignorait pas que dans certains cas, il peut y avoir
une différence entre les combinaisons hypothétiques et la réalité pour
déterminer le déroulement possible du jeu, mais que cela ne constitue pas
une raison pour une erreur dans le calcul des ratios de propriété. Selon lui,
les combinaisons ne devraient être établies pour tous les cas possibles que
dans le but de simplifier le calcul. Pour déterminer les ratios de
distribution, il n'est pas nécessaire de prendre en compte le nombre de cas
possibles favorables au premier, au deuxième et au troisième joueur, mais
le nombre de résultats possibles favorables au premier, au deuxième et au
troisième joueur, compte tenu de l'ordre possible des parties. Avec cette
multiplication, Fermat obtient les mêmes résultats pour trois joueurs que
Pascal avec sa propre méthode. Pascal répond enfin : "Votre dernière
lettre m'a donné entière satisfaction. J'admire votre méthode de division,
d'autant plus que je la comprends très bien. Cette méthode est
entièrement la vôtre, ne ressemble en rien à la mienne, et conduit très
facilement au même résultat. Voici que l'harmonie de la raison s'est
rétablie entre nous" (M, II, 1158). Cette remarque clôt leur
correspondance.
Sur la division des jeux, il convient de citer le mémoire à l'Académie du
Pailleur (Celeberrimae Matheseos Academiae Parisiensi), dans lequel
Pascal donne une interprétation philosophique de sa propre méthode.
Comme nous l'avons déjà mentionné, au printemps 1654, il a énuméré
dans ce mémoire ses travaux mathématiques et physiques, qu'il voulait
présenter à l'Académie dans une seule collection. Dans cette liste, il
mentionne son traité Aleae Geometria, dans lequel il voulait résumer ses
résultats sur le calcul des probabilités :
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4. LE TRIANGLE ARITHMÉTIQUE
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Le triangle arithmétique
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L'énigme se composait de huit parties : si vous connaissez l'arc de cercle qui crée le
ra, passage de roue
Roberval ayant déjà résolu les quatre premiers problèmes, Pascal l'a
retiré de la compétition. Cependant, comme aucune solution correcte n'a
été reçue pour ces problèmes ou les autres, Pascal les a tous publiés.
Les deuxième, troisième et quatrième lettres sont en retrait par
rapport à la lettre à Carcavy, tant en longueur qu'en qualité. La seconde
est adressée à Huygens. Pascal y examine les cas particuliers de l'arc de
cercle : il détermine la longueur de la courbe de l'arc de cercle dit étendu
et contracté. Ces deux cas se produisent lorsque le point qui dessine l'arc
de la roue ne se trouve pas sur la circonférence du cercle générateur, mais
au-delà ou à l'intérieur de celui-ci. La troisième lettre était adressée au
collègue liégeois Sluze, avec lequel il avait déjà correspondu sur des
questions mathématiques. Dans cette lettre, il définit le centre de gravité
d'un corps spécial, appelé rate, qui est semblable à un escalier en spirale
décrivant une révolution complète, et explique la méthode de
détermination du centre de gravité et de l'aire des triangles tracés sur le
manteau du cylindre. Et dans la dernière lettre, probablement adressée à
Arnauld, il prouve que la longueur d'une ligne spirale donnée peut être
assimilée, contrairement aux hypothèses précédentes, ni à un cercle
simple, ni à un demi-cercle, mais à un arc semi-parabolique.
100
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Sur les points de rupture, imposez des poids correspondant aux valeurs
numériques indiquées sur la figure. La question est la suivante : à quelle
condition la balance atteindra-t-elle l'équilibre ? La réponse de Pascal à
cette question est la suivante : les poids doivent être pris en compte non
seulement par eux-mêmes, mais aussi par les poids de suspension.
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" Dans le cas d'une quantité continue, les quantités d'un sexe arbitraire
quelconque n'ajoutent rien aux quantités d'un sexe supérieur à celui-ci,
quel que soit leur nombre. Le point n'ajoute donc rien à l'un, la ligne
droite à la surface, la surface au corps ; autrement dit, pour employer le
langage des nombres dans un traité d'arithmétique, les racines ne
comptent pas par rapport aux carrés, les carrés ne comptent pas par
rapport aux cubes, les cubes ne comptent pas par rapport aux puissances
quatre, etc. (M, II, 1272)
Pascal fait ainsi une distinction très nette entre les genres
géométriques, qu'il considère comme incomparables. Dans un sens défini,
il existe une distance infinie entre ces genres, même si la fragmentation ou
la multiplication infinie d'une figure finie ne conduit pas à une figure d'un
autre genre. Cette intuition de Pascal a des implications philosophiques
importantes. Tout ensemble fini est, en ce sens, situé entre deux infinis,
l'un infini par division ou partage, et l'autre infini par multiplication ou
augmentation.
106
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"Toutes ces grandeurs sont divisibles à l'infini sans atteindre leur propre
indivisibilité, et de cette façon elles sont toutes placées au milieu entre
l'infini et le néant", écrit-il dans De la pensée géométrique (Í, 57). Par
analogie, Pascal voit l'homme dans les Réflexions comme se tenant au
milieu des deux infinis qui le séparent à la fois du rien et du tout : " Car,
après tout, qu'est-ce que l'homme dans la nature ? ". Un rien par rapport à
l'infini, un tout par rapport au rien, un milieu entre rien et tout, infiniment
loin de comprendre ces extrêmes" (230/72). La distinction entre les sexes
donne également lieu à la définition de ce que l'on appelle les ordres. Pascal
parle de trois ordres dans les Réflexions : l'ordre du corps, l'ordre de
l'esprit et l'ordre du cœur. Ces ordres, qui ont des significations
anthropologiques, théoriques de la valeur, épistémologiques et méta-
physiques en plus des mathématiques, sont aussi différents que les sexes
mathématiques : leur distance est infinie et il n'y a pas de passage entre
eux.
Pascal a bien en tête le principe d'hétérogénéité-homogénéité lorsqu'il
applique la méthode des indivisibles. Dans quel sens utilise-t-il donc le
terme "indivisible" dans la lettre Carcavy ? En réponse, il écrit ce qui suit :
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III. FICYCLE
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un soufflet dont l'ouverture est fermée doit être ouvert. Dans les deux cas,
une force finie est nécessaire pour effectuer l'opération. La troisième
expérience est une variation de l'expérience réalisée par Berti. Pascal a
utilisé un tube de verre de 14 m de long, fermé hermétiquement à une
extrémité, dans lequel il a versé du vin rouge et qu'il a placé dans une cuve
remplie de vin rouge. Selon les contemporains, le tube de verre était fixé à
un mât de bateau pour le mettre en position verticale. Après avoir ouvert
l'extrémité inférieure du tube de verre, le vin a commencé à s'écouler du
tube, puis s'est arrêté à une hauteur de 32 pieds (9,75 m), laissant une
section de 13 pieds (environ 4 m) du haut du tube vide. Les expériences
quatre et sept sont très similaires. Dans les deux cas, Pascal a utilisé un
tube de verre en forme de V inversé avec des tiges de différentes
longueurs. Dans l'expérience sur l'eau, les tiges mesuraient cinquante
(15,2 m) et quarante-cinq (13,7 m) pieds de long, tandis que dans
l'expérience sur le mercure, elles étaient beaucoup plus courtes. Le tube
de verre ainsi formé a été rempli d'eau (ou de mercure) et placé dans deux
bacs remplis d'eau (ou de mercure), les bacs étant placés à des hauteurs
différentes, selon le cas. Contrairement aux attentes, lorsque les deux
extrémités du tube de verre ont été ouvertes, l'eau (ou le mercure) ne
s'est pas écoulée du bac supérieur vers le bac inférieur, mais a commencé
à s'écouler dans les deux bacs, laissant un espace vide apparent dans le
tube à partir du pliage. Après un court moment, l'eau (ou le mercure) s'est
arrêtée à la même hauteur dans les deux tiges, et cette hauteur était la
même que celle mesurée dans les expériences avec le simple tube de
verre. La sixième expérience était très simple : aspirer du mercure d'un
bac dans une seringue tenue verticalement à un mètre de distance. Nous
constatons que nous ne pouvons pas aspirer du mercure de plus de 78 cm
de haut. Dès lors, le mercure ne suit pas le piston, mais un vide apparent
est créé dans la seringue. On peut tirer le piston aussi haut qu'on veut, le
vide augmente, mais le mercure ne monte plus. Pendant ce temps, le poids
de la seringue reste constant, quelle que soit la taille de l'espace vide
apparent à l'intérieur. Pascal note ici que la même chose se produit
probablement avec les pompes à eau, dans lesquelles l'eau ne monte pas
plus haut que 31 pieds. Les cinquième et huitième expériences étaient les
plus ingénieuses, et sont également des variations l'une de l'autre. Dans la
cinquième, Pascal a utilisé un tube de verre de 4,5 m de haut, fermé à une
extrémité, qu'il a rempli d'eau et dans lequel il a inséré une corde plus
longue que le tube de verre. Il a ensuite placé le tube verticalement dans
une baignoire remplie de mercure et a commencé à tirer lentement sur la
corde. Il a constaté que le mercure s'écoulait dans le tube et commençait à
s'élever jusqu'à une hauteur de deux pieds trois pouces (78 cm). Si vous
continuez à tirer la corde, le mercure cesse de monter et un espace
apparemment vide apparaît au-dessus de la colonne d'eau, qui augmente
proportionnellement à la quantité de corde que vous tirez du tube.
Après avoir décrit les expériences, Pascal résume les principes qui
peuvent en être déduits. Il en énumère sept en tout, mais on peut les
réduire à trois :
(1) Les corps répugnent à être séparés les uns des autres, (2) les corps qui
bordent le vide apparent créé après la séparation les uns des autres
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(3) les deux forces avec lesquelles les corps se pressent et cherchent à
remplir le vide apparent sont finies et peuvent être déterminées avec
précision : elles sont égales à la force avec laquelle l'eau coule d'une
hauteur de 31 pieds. Dans le dernier principe, Pascal résume ce qui a été
dit jusqu'ici : " Une force un peu plus grande que celle avec laquelle l'eau
coule d'une hauteur de trente et un pieds peut produire ce vide apparent,
et l'augmenter jusqu'à un point quelconque, c'est-à-dire qu'elle peut
séparer les corps les uns des autres et les éloigner à une distance
quelconque, pourvu qu'il n'y ait pas d'autre obstacle à l'éloignement que
l'aversion qui caractérise la nature pour ce vide apparent " (M, II, 506).
Dans cette brève conclusion, deux choses méritent l'attention. D'abord,
que Pascal parle d'espace apparent (vide apparent) au lieu d'espace réel,
et ensuite, qu'il adhère partiellement au principe de l'horror vacui,
puisqu'il affirme lui-même que la nature a horreur de l'espace. Une
limitation importante dans les Nouvelles Expériences, cependant, est qu'il
considère cette horreur comme limitée, et non absolue et infinie. Il souligne
donc que la force nécessaire pour produire un espace apparent est limitée
et pas très grande, et que la nature permet la création de n'importe quelle
quantité d'espace apparent lorsque cette force est appliquée. La deuxième
partie est beaucoup plus courte que la première. Ici, Pascal se contente de
faire des déclarations sur l'espace restant vide dans la partie supérieure
du tube de verre, sans les prouver, disant qu'il présenterait la preuve dans le
Traité. Ces huit affirmations disent essentiellement qu'il n'y a ni air, ni
vapeur de mercure, ni vapeur d'eau dans l'espace en question. La dernière
affirmation est la suivante : "L'espace apparemment vide n'est rempli
d'aucune substance connue dans la nature et qui serait l'objet d'un de nos
sens" (M, II, 507), suivie d'un extrait de la conclusion finale, qui contient la
déclaration de Pascal sur l'espace. "Jusqu'à ce que, écrit-il, il soit démontré
que l'espace en question est rempli de matière, l'impression (le sentiment)
sera qu'il est réellement vide et dépourvu de toute matière. Par
conséquent, ce que j'ai dit de l'espace apparent, je le dirai aussi de l'espace
réel, et les principes que j'ai énoncés ci-dessus à propos de l'espace
apparent, je les tiendrai pour vrais aussi pour l'espace absolu " (ibid.). Dans
cette conclusion, Pascal prend la ferme position que l'espace en question est
bien l'espace. Mais il le fait avec prudence. D'une part, il évite les termes
"conviction" ou "certitude" et utilise plutôt les termes "impression" ou
"sentiment". En même temps, il renvoie la balle dans le camp de
l'adversaire en disant : "Laissez-les prouver qu'il y a une substance dans
l'espace en question. L'expérience montre qu'il n'y a aucune substance
connue et perceptible dans cet espace, il a donc tendance à affirmer que
l'espace est complètement vide. En d'autres termes, l'affirmation "il y a un
vide dans la partie supérieure du tube de verre" n'est pas une vérité
absolue, mais une vérité très probable.
comme.
Le texte se termine par une liste de cinq objections possibles à la
déclaration de Pascal. Selon ces derniers, l'affirmation selon laquelle un
espace est vide contredit le sens commun et le bon sens, puisque tout
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L'impact des Nouvelles Expériences est illustré par le fait que les
adeptes de la vision traditionnelle du monde ont immédiatement exprimé
leur opposition à ce document après sa publication. Cela a conduit à un
échange de vues entre Pascal et le père jésuite Étienne Noël, que le jésuite
a initié par une lettre en octobre 1647, quelques semaines seulement
après la publication des Nouvelles Expériences. La correspondance se
compose de cinq pièces, la première lettre de Noël, la réponse de Pascal, la
deuxième lettre de Noël, la lettre de Pascal au Pailleur, et enfin la lettre
d'Étienne Pascal à Noël. La première lettre de Noël critique la vision de
Pascal dans les Nouvelles Expériences. Pascal a répondu immédiatement et
Noël a répondu par une autre lettre. Par la suite, la correspondance a été
interrompue pendant quelques mois. Pascal, dans une lettre au Pailleur en
février 1848, explique la raison de ce silence en disant que le jésuite lui avait
explicitement demandé oralement de ne pas répondre à sa deuxième
lettre et qu'aucun des deux ne devait rendre les lettres publiques. Bien
qu'une discussion d'une telle importance ne puisse rester totalement
secrète pour ses contemporains, Pascal a accepté la demande de Noël. Peu
après, cependant, il jugea que Noël avait manqué à la discrétion mutuelle
en donnant l'impression que Pascal ne lui avait pas répondu parce que ses
lettres l'avaient convaincu de sa vérité. De plus, en février 1648, Noël
publie un ouvrage intitulé Le Plein du Vide, dans lequel il attaque vivement la
foi aveugle de Pascal. Pascal rédige donc une seconde réponse, mais cette
fois adressée au Pailleur, ce qui signifie la publication de la lettre et avec
elle tout le débat. La correspondance se termine finalement par une lettre
d'Étienne Pascal, dans laquelle il prend la défense de son fils. Cette lettre
n'apporte rien au débat, puisqu'elle condamne principalement le
comportement de Noël dans le débat, sans réfuter sa position.
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" Vous verrez, monsieur, qu'aucune des expériences que vous avez
faites n'exclut l'hypothèse d'un corps qui s'écoule dans le tube de verre, et
toutes s'expliquent aussi plausiblement par la théorie d'un plein que par
celle d'un espace vide, c'est-à-dire par l'écoulement d'un corps subtil aussi
bien que par l'écoulement d'un espace, qui n'est ni Dieu, ni créature, ni
corps, ni esprit, ni substance, ni évidence, à travers lequel la lumière passe
sans être transparente, qui résiste sans être résistant, qui est immobile et
pourtant se déplace avec le tube, qui est partout et nulle part, et qui fait
tout et rien. Voici les qualités admirables de l'espace vide : en tant
qu'espace, il existe et est actif, en tant qu'espace, il n'existe pas et ne fait
rien ; en tant qu'espace, il a une longueur, une largeur et une hauteur, en
tant qu'espace, il exclut tout cela" (M, II, 538).
Avec cette conclusion, Noël considère que ses preuves sont couronnées,
puisqu'il a réussi à montrer que l'espace vide conduit à une contradiction
logique, et donc - au sens de la logique et de la théorie de l'existence
aristotéliciennes - ne peut pas exister. Si Noël puise les éléments formels
et substantiels de son argumentation principalement dans la tradition
scolastique, il n'est pas étranger à un certain cartésianisme. Il fait
ouvertement référence à la théorie de la "matière subtile" de Descartes,
dont l'essence est qu'il n'y a pas d'espace dans l'univers, c'est-à-dire pas
d'espace sans matière, car l'espace apparemment vide est rempli par une
substance subtile, l'éther. C'est sûrement grâce à ces références que Pascal
identifie l'air subtil de Noël à la matière subtile de Descartes, ce qui lui
donne aussi l'occasion de critiquer la position de Descartes à côté de la
doctrine scolastique.
Dans deux lettres, Pascal argumente contre son adversaire de la manière
suivante : il montre que les arguments de Noël concernant le mélange et la
séparation des substances, l'écoulement de l'air ou de l'éther à travers les
pores du verre, et la nature de la lumière sont sans fondement et doivent
donc être considérés comme une simple imagination. Il fait ensuite valoir
que, bien qu'il n'existe pas de preuve absolue de l'existence de l'espace,
l'absence de toute matière connue dans l'espace en question rend plus
raisonnable l'acceptation de son point de vue, compte tenu des exigences
du raisonnement scientifique.
L'importance des deux lettres écrites par Pascal ne tient pas aux thèses
qu'elles exposent, puisqu'elles ne sont pas différentes de celles exposées
dans les Nouvelles Expériences, mais à la procédure argumentative qu'elles
emploient. Voyant les faiblesses de la méthode d'argumentation
noëlienne, Pascal fait d'abord un cours de méthode à son adversaire. Dans
les deux lettres, il revient sans cesse sur ses arguments méthodologiques,
qui constituent pour la plupart la base de son argumentation. Pour définir
la méthodologie de la recherche scientifique, il utilise la méthode
géométrique, qu'il développe encore afin de la rendre applicable à la
physique. Comme il sera analysé en détail dans la prochaine sous-section,
nous nous contenterons ici d'en énumérer les principales caractéristiques.
Pascal met d'abord en place un système dit "uni-
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que l'air remplit les espaces qui semblent vides. Si, par conséquent, "les
sens ne perçoivent rien dans un espace", nous pouvons sans risque
supposer par habitude qu'il y a quelque chose, puisque nous n'avons
jamais fait l'expérience du contraire, pourrait dire le père jésuite. Il est
évident que Pascal lui-même ne pouvait pas satisfaire au principe de
preuve qu'il avait lui-même mis en place lorsqu'il affirmait l'existence de
l'espace vide, et qu'il était donc contraint de renvoyer le débat au domaine
du réel. Dans ce domaine, cependant, les expériences ne fournissent pas
d'arguments en faveur de la plus grande probabilité de la position
vacante. Dans sa lettre au Pailleur, Pascal remédie à ce défaut par la
rhétorique plutôt que par l'argumentation.
Nous devons également aborder une partie importante du débat, qui
concernait la nature ontologique de l'espace en général. Comme nous
l'avons vu, Noël, conformément à la tradition aristotélicienne, considérait
que l'espace et la matière étaient identiques, de sorte que l'idée d'un
espace vide impliquait une contradiction, ce qui excluait son existence.
L'espace vide ne peut pas être quelque chose, car l'extension et l'existence
de l'espace sont assurées par la matière, et donc l'espace vide ne peut être
conçu que comme un rien. Pascal, quant à lui, soutient que Noël confond
l'extension avec la matière, et l'absence de matière avec le néant. En
revanche, il tente de séparer les concepts de matière et d'espace en
affirmant que l'espace vide est une pure extension et n'est pas rien en
dehors de la matière, mais se trouve au milieu entre la matière et le rien :
"L'espace vide est au milieu entre la matière et le rien, il ne participe à
aucun des deux, il est séparé du rien par ses dimensions et de la matière
par son immobilité et son irrésistance, il existe entre ces deux extrêmes
sans se confondre avec aucun" (M, II, 563-564). La différence entre la
matière et l'espace vide est donc que la matière est mobile et que l'espace
vide est immobile, et que la matière est impénétrable et que l'espace vide
est perméable car il peut contenir de la matière et des corps.
Pascal, dans sa lettre au Pailleur, reprend les affirmations de la
conclusion finale de Noël selon laquelle la notion d'espace vide conduit à
des paradoxes, et tente de les réfuter une à une. Enfin, il se plaint que
l'opinion de Noël change constamment, affirmant une chose dans une
lettre et une autre dans une autre, et note ensuite avec un certain
amusement : " Je voudrais savoir comment il a une telle influence sur la
nature, et comment il tire son pouvoir sur les éléments, qui le servent et
changent leurs propriétés comme il change ses croyances, et comment il
se fait que l'univers ajuste ses effets à l'humeur de ses intentions " (M, II,
571). Dans les derniers paragraphes de la lettre, il réfléchit au Plen du vide
de Noël, qu'il a reçu entre-temps. Selon Pascal, il ressort de ce travail que
le jésuite n'a jamais vu une seule expérience impliquant l'espace, et qu'il
se méprend complètement sur la description des expériences réalisées
par d'autres. Cela montre que Pascal n'hésitait pas à avancer des
arguments ad hominem même dans ses discussions scientifiques, et à
utiliser les diverses méthodes de rhétorique, non purement
argumentatives, dans ses discussions avec ses adversaires.
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2. PHYSIQUE ET ÉPISTÉMOLOGIE
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La seconde de ces deux critiques est plus grave. Car si Pascal avait
réalisé les expériences et expérimenté le phénomène des bulles, il ne
pouvait pas honnêtement affirmer que l'espace en question ne contient
probablement pas de matière connue, puisque les bulles introduisent
évidemment de la matière. Néanmoins, il est difficile d'attendre de Pascal
qu'il défende une position qu'il considérait comme si farouchement fausse
comme il l'a fait dans les Nouvelles Expériences et dans sa correspondance
avec Noël. Il est plus probable qu'il n'a pas réalisé les expériences avec de
l'eau et du vin, où le phénomène est très frappant, mais qu'il les a
simplement imaginées, et que les minuscules bulles qui s'élèvent de la
vapeur ont pu échapper à son attention, du moins au début. Mais lorsqu'il
y a été confronté (vraisemblablement, puisqu'il était en bons termes avec
Robertvall et qu'il avait réalisé l'expérience de Torricelli à de nombreuses
reprises), il a abandonné ses tentatives de prouver le vide de l'espace et a
cherché uniquement à réfuter le principe de l'horreur vacui. Cela explique
peut-être le tournant pris par les recherches physiques de Pascal dans les
premiers mois de 1648, entre la lettre au Pailleur et le récit de la Grande
Expérience, au cours duquel l'accent est mis non plus sur la nature de
l'espace mais sur la question de l'équilibre. La deuxième critique de Koyré
était que Pascal n'avait peut-être pas réalisé les expériences qu'il
décrivait. Peu après la mort de Pascal, Robert Boyle, l'inventeur de la
pompe à air, a exprimé son soupçon que de nombreuses expériences du
Treatise on the Equilibrium of Liquids étaient fictives. Les recherches menées
au cours des dernières décennies ont également produit des études
formulant des hypothèses similaires. On peut montrer, par exemple, que
Pascal n'a pas réalisé l'expérience dite du ballon, la célèbre expérience
centrale du Traité de l'équilibre des fluides. En effet, même si vous emmenez
un ballon à moitié gonflé au sommet du Puy-de-Dôme, il ne sera pas gonflé
au sommet. 64 Ces observations jettent un doute considérable sur la
fiabilité et la rigueur de Pascal dans le domaine de la cognition physique.
Comment, dès lors, évaluer et interpréter l'application physique de la
méthode géométrique, dans laquelle Pascal demande aux représentants de
la physique scolastique de fonder leur connaissance de la nature sur des
expériences ?
Tout d'abord, il faut voir que l'expérimentation en tant que méthode
de connaissance scientifique ne fait que commencer à émerger à cette
époque. Dans la physique médiévale, aucune expérience n'était réalisée
pour comprendre la nature. Au début de la période moderne,
l'expérimentation a deux origines : d'une part, dans l'alchimie et la magie,
des faits et des propriétés physiques et chimiques bruts sont établis de
manière expérimentale ; d'autre part, les produits artisanaux (métaux
précieux ou médicaments) sont testés et éprouvés de manière similaire. 65
Bacon a été le premier à souligner la nécessité de l'expérimentation, et
Galilée a été le premier à inventer et à réaliser des expériences. La
méthode consistant à tester les hypothèses théoriques dans la pratique a
mis du temps à devenir la procédure standard pour la compréhension
scientifique de la nature, soit plus d'un siècle. Ce processus a été initié par
les Français et les Anglais
"expérience" ou "vécu" était également compliquée par l'ambiguïté des termes,
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Ils ne se sont pas trompés, et nous ne les contredisons pas quand nous
disons que dans certains cas qu'ils n'ont pas encore découverts, la nature
n'a pas le moins du monde peur de l'espace. Ainsi, pendant une grande
partie de la Préface, Pascal défend de manière militante les droits de la
raison à connaître la vérité naturelle.
Pour déterminer la valeur précise de ce texte de 1651 pour l'œuvre de
Pascal et la position philosophique qu'il prend à cette époque, il faut
revenir à la distinction qu'il fait au début de la Préface entre les modes de
connaissance autoritaires et ceux fondés sur la raison. C'est une
distinction qui traverse l'ensemble de son œuvre. Cette distinction est la
différence entre les vérités de raison et les vérités de foi, ou, comme
Pascal les appelle ailleurs, entre les vérités naturelles et les vérités
surnaturelles. Les recherches mathématiques et physiques cherchent des
vérités de raison, tandis que les livres théologiques contiennent des
vérités de foi ; dans le premier cas, c'est à la raison et aux sens de
découvrir ces vérités, tandis que dans le second, la raison doit s'incliner
devant les vérités surnaturelles révélées. Bien que nous y ayons déjà fait
référence dans la biographie, rappelons brièvement comment ces deux
vérités sont liées chez Pascal. La première référence à ce sujet se trouve
dans la biographie de Gilberte, qui dit que Pascal a appris de son père à ne
jamais faire des vérités de la foi l'objet d'une recherche rationnelle, car
elles transcendent la raison. Pascal avait donc appris dès son plus jeune
âge la nécessité de faire cette distinction, grâce à l'autorité de son père.
Dans les années rouennaises, la nécessité de distinguer entre ces deux
domaines est renforcée par sa connaissance des doctrines jansénistes. La
doctrine janséniste, en effet, limite fortement les possibilités de la
théologie rationnelle, précisément à cause de la doctrine de la grâce. L'un
des épisodes de cette période est l'affaire dite de Saint-Ange. La principale
accusation de Pascal était que Saint-Ange faisait des déclarations sur la
nature divine sur des bases rationnelles et non sur la base de textes
faisant autorité. La nécessité d'une séparation claire des deux domaines
apparaît également dans les œuvres physiques, par exemple dans la
correspondance avec Étienne Noël. Suivant le raisonnement de la
scolastique, Noël se demande s'il est possible de considérer l'espace que
Pascal appelle vide comme une sorte de prolongement spirituel de Dieu,
puis il rejette cette possibilité. Ce à quoi Pascal répond, un peu irritable,
"Les mystères de la divinité sont trop sacrés pour être profanés par nos
arguments. Ils doivent être le sujet de notre culte, non de nos disputes, et
sans prendre position sur le sujet, je me soumets entièrement aux
jugements de ceux qui ont le droit d'exprimer une opinion à ce sujet" (M,
II, 564). Aujourd'hui, contrairement à la manière de parler onto-
théologique de la scolastique, Pascal s'en tient strictement au principe de
ne parler dans le discours scientifique naturel que de vérités relevant de
la cognition naturelle, et donc de ne pas confondre des discours de nature
différente. La distinction radicale entre les vérités de la raison et les vérités
de la foi domine donc la pensée de Pascal dans ses recherches physiques, et
est en partie due à cette
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III. Section
TEOLOGIE
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l'époque).
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Saint-Cyran l'Ancien), une amitié qui s'est forgée pendant leurs études
théologiques à Paris dans les années 1610. Les deux mouvements avaient
en commun des doctrines théologiques fortes et le désir d'apporter des
changements décisifs au sein de l'Église. La principale différence d'opinion
portait sur la direction du changement. Alors que les Jésuites voulaient
moderniser l'Église et son enseignement théologique officiel, les Janésiens
appelaient à un retour à la spiritualité chrétienne primitive et aux
enseignements des Pères de l'Église. Alors que les jésuites cherchaient des
réponses théologiques aux nouveaux problèmes géographiques, sociaux,
politiques et économiques auxquels était confrontée l'Europe du début de
l'ère moderne, les jansénistes pensaient que seul un retour aux valeurs
originelles de la spiritualité chrétienne pouvait assurer le renouveau du
christianisme. Les deux écoles de pensée s'affrontent surtout sur deux
questions : la grâce et la moralité. Ces deux éléments étaient liés, mais
comportaient également un certain nombre de sous-questions. Comme
nous reviendrons sur le désaccord sur la grâce dans le chapitre suivant,
nous n'aborderons ici que la théologie morale plus en détail.
Dans la théologie jésuite, la théologie morale a joué un rôle majeur,
avec pour objectif principal de rendre la moralité chrétienne pratique. Il
est bien connu que la religion chrétienne a un contenu et un enseignement
moral considérable, qui n'est cependant pas exprimé sous une forme
cohérente et systématique, mais plutôt de manière fragmentaire dans les
Écritures, sous forme de paraboles, d'histoires et de maximes plus
générales. Dans la théologie catholique, cependant, une morale plus précise
et détaillée était nécessaire, principalement pour la pratique
confessionnelle. Quelles sont les actions qui sont pécheresses et
incompatibles avec la moralité chrétienne, et celles qui ne le sont pas ?
Quels sont les péchés véniels, les péchés graves et les péchés mortels ? Le
confesseur doit être capable de classer les actes dans ces catégories, car le
degré de pénitence, d'absolution ou de refus d'absoudre en dépend. La
confession régulière des cas de conscience est devenue une pratique très
précoce dans l'ordre des Jésuites. Un cas de conscience a été défini comme
tout événement qui a affecté la conscience individuelle et à propos duquel
la conscience a porté un jugement moral. Dans la communauté jésuite, ces
questions étaient discutées sur une base quotidienne ou hebdomadaire
sous la direction d'un théologien moral. Les cas ont été soulevés par les
prêtres confesseurs, et les opinions exprimées ont été d'une grande
importance pour la pratique de la confession. Cela a eu un impact majeur
sur le développement de la théologie morale jésuite : à partir de la fin du
XVIe siècle, un grand nombre d'ouvrages de théologie morale ont été
écrits par des auteurs jésuites.
Une discussion sur un cas de conscience est en fait une discussion sur
l'application de principes moraux généraux à des cas individuels. Ce
processus, du latin casus, est appelé casuistique. Les origines de la
casuistique ont une longue tradition dans la théologie catholique,
remontant jusqu'à Saint Augustin, mais à l'époque moderne, ce sont les
Jésuites qui ont donné une impulsion majeure au développement de cette
discipline avec leurs travaux de théologie morale. L'avènement de la
casuistique
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peut être accusé de mentir. En tout cas, non seulement pendant l'année et
demie qui a suivi la publication des lettres, mais aussi par la suite, on n'a
pas su publiquement qui était l'auteur des lettres, jusqu'à la mort de
Pascal. 72
Dans les lettres, et surtout dans les dix premières lettres fictives, l'une
des armes les plus importantes de Pascal est l'ironie. L'effet ironique
découle de la situation fictive dans laquelle se déroulent les détails du
débat actuel sur la doctrine de la grâce et la théologie morale jésuite, et est
principalement dû à l'attitude fondamentale du narrateur. Le narrateur est
une personne intelligente et bien intentionnée qui veut comprendre les
débats théologiques qui l'entourent sans parti pris. L'une de ses
caractéristiques les plus importantes est qu'il est un outsider complet,
c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à l'Église, mais quelqu'un qui, pour des
raisons existentielles et religieuses, s'intéresse sincèrement aux questions
religieuses et théologiques. Dans ses quatre premières lettres, il veut faire
comprendre à lui-même l'enjeu de la controverse pour laquelle Arnauld a
été condamné et expulsé de la Sorbonne. D'abord, il tente de résumer les
positions pour lui-même, puis il contacte les représentants des groupes -
ses amis proches - qui sont directement impliqués dans la controverse. Il
leur pose des questions simples, puis résume les réponses dans ses lettres
et en tire des conclusions. De bonne foi, il adopte pendant longtemps une
position neutre, laissant entendre qu'il ne se préoccupe de ces questions
que pour des raisons de conscience et non par sympathie pour l'un ou
l'autre camp. La sincérité du narrateur suggère qu'il s'identifie
théologiquement, ou du moins qu'il souhaite adopter, une doctrine
chrétienne pure et non corrompue. De la cinquième à la dixième lettre,
lorsque la situation est simplifiée en un dialogue avec un père jésuite bien
intentionné, il suit la même stratégie. Ce procédé est bien adapté pour
susciter la sympathie du lecteur pour le narrateur impartial et curieux et
faciliter ainsi l'identification à son point de vue. En même temps, la
position neutre du narrateur change progressivement et il est subtilement
mais fermement confronté à l'enseignement des Jésuites, ce qui était
vraisemblablement destiné à faire évoluer l'opinion du lecteur de l'époque
dans une direction similaire.
Grâce aux conversations avec les pères jésuites, les enseignements
moraux et théologiques des jésuites ont été présentés à partir d'une
source pouvant être considérée comme faisant autorité. Cela s'est fait à
travers les nombreuses citations des œuvres des auteurs casuistes lues
par le Père. Le père, voyant dans le narrateur un homme sincèrement
intéressé par les enseignements moraux des auteurs jésuites et
connaissant avec enthousiasme les doctrines de son ordre, sort de la
bibliothèque une série d'ouvrages d'auteurs jésuites considérés comme
faisant autorité, Vasquez, Molina, Escobar, etc. et les cite. Ces textes ont été
écrits par des théologiens jésuites peu connus et difficiles d'accès en
France, mais qui ont fourni une plate-forme très persuasive pour l'attaque
théologique morale. L'ironie pascalienne intervient grâce à la prétention du
narrateur, qui ne commente pas ce qui est dit, mais pose toujours plus de
questions, en faisant semblant d'être réellement intéressé. L'effet ironique
est dû au fait que les enseignements ne sont pas seulement
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Dans ce qui suit, je vais prendre les lettres une à une pour me faire une
idée concrète de leur contenu et des méthodes argumentatives qu'elles
suivent. Comme chaque lettre est assez diversifiée sur le plan thématique,
je vais essayer de mettre en évidence les arguments les plus importants et
les exemples les plus significatifs de chacune.
"On s'est fait avoir !" - commence la lettre I. Dans cette lettre, le
narrateur se demande quelle est la raison spécifique de la condamnation
d'Arnauld et si elle est directement liée à sa foi chrétienne engagée. Il
trouve cependant les résultats décevants, car il considère le débat non pas
comme une question de foi, mais comme une question de chicanerie
thermologique, avec des intérêts de pouvoir à l'œuvre en arrière-plan.
Arnauld a été condamné par la Sorbonne à la fois sur une question de fait
et sur une question de foi. Sur la question de fait, Arnauld a été jugé trop
imprudent (sur le sujet de sa propre foi) car il a affirmé qu'après avoir lu
l'Augustin de Jansénius, il n'y avait pas trouvé les cinq affirmations
condamnées par le pape. L'accusation d'imprudence porte essentiellement sur
le fait qu'Arnauld a défié la décision des magistrats de l'Église. Qu'Arnauld
soit imprudent ou non n'est pas une question de conscience" (I, 6), dit le
narrateur, qui n'approfondit pas la question. La question de la foi
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"Le point de discorde concernant la grâce suffisante est que les jésuites
prétendent qu'il y a une grâce générale donnée à tous, qui est...".
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une censure contre eux serait attendue par tous pour prouver ces
accusations, et montrer clairement en quoi consiste l'hérésie janséniste.
Au lieu de cela, cependant, il n'y a rien dans ce document pour soutenir
cela, ou même quelque chose que les pères de l'église n'avaient pas déjà
écrit. Cette opinion est confirmée par le docteur de la Sorbonne. A la fin de
la lettre, il conclut que les Jésuites peuvent déclarer n'importe quoi
d'hérétique par leurs arguments : " Les pratiques du molinisme sont
admirables, par lesquelles tout est bouleversé dans l'Église, et par suite
desquelles ce qui est catholique chez les Pères devient hérétique chez
Arnauld [...] les vieilles doctrines de saint Augustin deviennent une
nouveauté intolérable, qui, au contraire, se bricolent sous nos yeux d'un
jour à l'autre, et s'appellent la vieille foi de l'Église " (III, 51). La conclusion
finale est que les doctrines d'Arnauld ne sont pas hérétiques, mais que son
cœur l'est. C'est une hérésie personnelle" (ibid.). Dans la passion de cette
lettre, il fait également appel aux émotions, tout en soulignant qu'il n'y a
pas d'arguments de raison, seulement de puissance, en faveur de la
condamnation d'Arnauld.
À bien des égards, la Lettre IV anticipe la théologie morale des
passages. La situation est similaire à celle des lettres de dialogue
suivantes, sauf qu'ici le narrateur rend visite à un père jésuite avec un ami
janséniste, qui lui explique les doctrines de la Société. L'ami janséniste fait
parfois des commentaires critiques à mi-voix. Le contenu de cette lettre
est également introductif aux suivantes, car, bien qu'elle soit directement
liée à la doctrine de la grâce, elle traite d'un problème éthique, à savoir la
question du péché involontaire et ignorant. La question principale est de
savoir si les actes qui sont incompatibles avec la morale chrétienne, mais
qu'une personne commet sans avoir conscience de commettre un péché,
sont des péchés. Selon la doctrine jésuite, un acte est un péché et ne peut
être imputé à son auteur que si, avant que cet acte ne soit commis, Dieu
fait comprendre à la personne qui le commet, par une grâce dite actuelle,
qu'il est mauvais et l'incite en même temps à s'en abstenir. Mais si l'auteur
de l'acte n'en est pas conscient et qu'il n'y a aucune incitation à s'abstenir
de l'acte, alors l'acte n'est pas un péché. Pour les jansénistes, cette
doctrine est considérée comme carrément scandaleuse, car ils croient que
l'homme est intrinsèquement dans le péché en vertu du péché originel, et
qu'il pèche donc continuellement, qu'il le sache ou non, à moins que Dieu,
par une grâce efficace, ne l'incite à faire le bien. Selon les Jésuites, il y a
donc des péchés secrets dont le pécheur n'a pas conscience, mais selon les
Janésiens, il y a des péchés bien réels. Le narrateur, maintenant attiré par
les jansénistes, donne l'exemple des impies et des athées qui vivent de
façon hédoniste, convaincus de la justesse de leur style de vie. Selon lui,
cet exemple montre clairement qu'il est possible de pécher sans le savoir,
puisque les hédonistes vivent indubitablement dans le péché. Mais le
jésuite affirme que ces personnes savent aussi qu'elles ne font pas ce qu'il
faut.
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les zsuites ont jusqu'à présent manqué de numéros de pages. Mais si elles
ne peuvent être interprétées littéralement - et cela semble être le cas - la
question est de savoir quel est le sens réel des affirmations de Jansénius.
Cela nécessite toutefois un processus de raisonnement. Pascal cite
plusieurs exemples historiques montrant que le sens des déclarations
d'un auteur ecclésiastique particulier n'était pas clair et faisait donc l'objet
de controverses dans l'Église. Ce n'était cependant pas une raison
suffisante pour accuser immédiatement l'auteur d'hérésie, comme les
Jésuites l'ont fait avec Jansenius. Cependant, Pascal soutient également
que l'essence de l'enseignement de Jansenius, la doctrine de la grâce
efficace, n'a pas été condamnée par le pape. Il ne pouvait pas non plus la
condamner, car elle est intrinsèquement une partie importante des
doctrines de Saint Augustin et de Saint Thomas sur la grâce. Mais si le sens
réel de l'œuvre de Jansenius est de prêcher la doctrine de la grâce efficace,
on ne peut l'accuser d'hérésie. En effet, selon Pascal, " ou bien Jansénius
n'a enseigné que la doctrine de la grâce efficace, et dans ce cas il était
exempt de toute erreur ; ou bien il a enseigné autre chose, et dans ce cas il
n'avait aucun défenseur " (XVII, 317). À la fin de la lettre, Pascal évoque la
crise spirituelle qui menace les religieuses de Port-Royal (dont sa propre
sœur), contraintes de condamner les cinq déclarations. Dire que les cinq
déclarations sont condamnées au sens de Jansénius sans leur dire quel est
ce sens, c'est comme leur demander de signer un chèque en blanc. "Ne
serait-ce donc pas une tyrannie insolite que de les mettre dans la
malheureuse nécessité de devenir dignes d'être punis devant Dieu, s'ils
signaient cette condamnation contre leur conscience, ou, s'ils étaient
obligés de le faire, d'être déclarés hérétiques" (XVII, 326).
La dernière lettre, la lettre XVIII, est en fait une continuation directe de
la précédente. Il n'est pas exagéré de dire que c'est la lettre la plus
importante du point de vue de son message théologique et philosophique.
Pascal aborde deux doctrines : la question de la relation entre la grâce et
la volonté, et le problème de la confiance naturelle et théologique. Sur la
relation entre la grâce et la volonté, la question était de savoir si la volonté
humaine pouvait ou non résister à l'action de la grâce. Il s'agissait de la
liberté de la volonté par rapport à la grâce. Les Jésuites accusaient les
Janésiens de prêcher le déterminisme, car ils croyaient qu'il était
impossible de résister à la grâce efficace, puisqu'elle forçait la volonté à
entreprendre une action, ce qui tombait en fait dans l'erreur du
calvinisme. Pascal cherche à réfuter cette accusation en s'appuyant sur
Saint Augustin. Son principal argument est que la grâce ne contraint pas la
volonté humaine à obéir à un commandement ou à faire une bonne action, à
moins qu'elle ne produise un changement intérieur dans l'homme par
lequel la volonté suit volontairement et librement le commandement de
son propre gré - même si elle pourrait y résister si elle le souhaitait.
L'intervention divine n'élimine donc pas la liberté humaine. Lorsque
l'homme, par la grâce divine, se repent, Dieu devient la source de son
bonheur, et il est donc totalement libre.
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ont trompé le Pape. Bien que cette hypothèse ne soit pas mentionnée dans
la lettre de Pascal, l'argument est en fait dirigé contre les jésuites plutôt
que contre le pape.
Il reste une lettre inachevée, XIX, avec quelques notes
d'accompagnement. On ne sait pas pourquoi Pascal ne l'a pas terminé,
tout comme on ne sait pas pourquoi les jansénistes ont cessé de publier
d'autres lettres après mars 1657. Ce fragment de lettres a été écrit après
mai 1657, lorsqu'il était clair que les jésuites avaient réussi à imposer leur
volonté de signer le formulaire. C'est pour cette raison que le bref
fragment qui survit du début de la lettre est très triste, mais on ne sait pas
quel aurait été son véritable contenu. La publication des Lettres de la
campagne se termine, mais la lutte ne s'arrête pas pour autant, elle se
poursuit avec les écrits des curés de Paris.
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Le débat théologique était, par sa nature même, fondé sur la raison, ce qui
nécessitait un usage précis et cohérent de la raison dans un contexte
théologique. La question de la grâce et celle de l'authentique moralité
religieuse portaient toutes deux sur la manière de connaître les vérités
théologiques les concernant. Les deux positions étant contradictoires, des
arguments rationnels devaient être avancés pour défendre le point de vue
janséniste. Bien sûr, Pascal a également utilisé d'autres méthodes de
persuasion, comme les procédés littéraires et rhétoriques de la fiction ou
de l'ironie, mais l'argumentation rationnelle est au moins aussi importante
dans les lettres que cette dernière. Cela a rendu nécessaire pour Pascal de
clarifier le rôle de la raison dans la théologie.
Le résultat de ses recherches sur ce problème est également exprimé
dans les lettres, notamment dans la dernière. Dans celle-ci, Pascal, face à la
perspective de signer le formulaire, poursuit une stratégie de distinction
entre la question du fait et la question de la foi. Dans ce cas, la question de
fait est une vérité naturelle, dont le jugement relève du domaine de la
raison, et la question de foi est une vérité de foi, que Pascal avait
préalablement tirée d'une source surnaturelle. Dans ses interprétations
précédentes, ces deux vérités étaient complètement indépendantes l'une
de l'autre. Dans la Lettre XVIII, cependant, Pascal fixe un nouveau critère,
à savoir que ces vérités doivent être cohérentes entre elles. Cela indique
clairement que les vérités naturelles et surnaturelles ne peuvent être
indépendantes les unes des autres. Il est nécessaire de concilier des
vérités lorsqu'elles semblent se contredire. C'est le cas, par exemple,
lorsque nous lisons des déclarations dans l'Écriture qui contredisent notre
expérience naturelle ou nos connaissances scientifiques vérifiées
rationnellement (par exemple, que la lune est plus grande que les étoiles).
Dans ce cas, les certitudes des sens et de la raison sont en conflit avec les
certitudes de la foi. Dans une telle contradiction, rejeter les vérités de la
raison au détriment des vérités de la foi ne ferait que rendre la religion
ridicule. Mais puisque les certitudes de l'expérience et de la raison sont
solides et indissolubles, il ne reste plus qu'à comprendre la vérité de la foi
non pas dans un sens littéral, mais à chercher un sens qui ne contredit pas
les sens et la raison. L'exigence de l'harmonie des vérités vise ici avant
tout à obliger les jésuites à prouver la vérité des faits de manière
rationnelle et non sur la base de l'autorité, et à faire remarquer que le
pape déclare en vain que les cinq affirmations sont contenues dans
Augustin de Jansénius. Cette dernière est une vérité de fait, et le pape n'est
pas le maître des vérités qui sont du ressort des sens et de la raison.
Cette exigence d'harmonie marque cependant un tournant majeur
dans la pensée de Pascal et a un impact important sur ses travaux
ultérieurs. Car que dit Pascal ? Deux choses : d'une part, que les différents
niveaux de vérité, aussi différents soient-ils par nature, sont en quelque
sorte soumis à une vérité unique, et doivent donc obéir à l'inverse...
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Parmi les œuvres les moins connues de Pascal figurent celles résumées
sous le titre d'Écrits sur la grâce. Ces textes ont été injustement négligés par
la postérité, alors que Jean Mesnard note à juste titre qu'ils sont cruciaux
pour comprendre la pensée de Pascal. Quinze fragments en tout, qui posent
aux philologues des problèmes de classification et de publication similaires
à ceux des fragments des Réflexions. La tâche est facilitée par le fait que les
fragments sont plus longs et moins nombreux que l'œuvre principale (ils
totalisent 160 pages dans l'édition Mesnard), mais plus difficile par le fait
que les manuscrits originaux ont été perdus et que les textes ne survivent
que dans des copies contemporaines. L'édition la plus connue, qui est
associée à Jacques Chevalier, divise les fragments en quatre textes
(Premier, Deuxième, Troisième, Quatrième), que Luis Lafuma a adopté dans
son édition, et la traduction hongroise a été faite en fonction de cela. 76
Cette édition est principalement axée sur la lisibilité. L'édition de 1991 de
Jean Mesnard a rompu avec la tradition Chevalier et a établi une nouvelle
classification qui a donné une impulsion majeure à la réinterprétation de ces
textes.77 Selon la classification de Mesnard, les Ecrits ne sont pas divisés en
quatre groupes, mais en trois, selon leur genre. Ainsi, les trois ensembles
de textes sont intitulés : Lettre sur la possibilité de garder les commandements,
Discours sur la possibilité de garder les commandements et Traité sur la
préordination (que je désignerai par Lettre, Discours et Traité). Ce
regroupement ne diffère pas sensiblement de celui de Chevalier, puisque
l'Epître correspond à la Troisième Ecriture, le Discours à la Quatrième
Ecriture, et le Traitate aux Première et Deuxième Ecritures. 78 La nouveauté
de l'édition de Mesnard est qu'il a publié les textes dans l'ordre
chronologique de leur date de naissance. Grâce à une recherche philologique
extrêmement minutieuse, fondée principalement sur l'utilisation de la
terminologie, Mesnard a montré que Pascal
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Voir le début du chapitre 11, où l'on peut lire : " Si justifié que soit un
homme, il ne peut se considérer comme exempté de l'obligation des
commandements, que personne n'utilise la doctrine infondée, interdite
par les Pères sous peine d'excommunication, selon laquelle il est
impossible à un homme justifié d'observer les commandements prescrits
par Dieu. "83 Tel est donc le sens de l'affirmation selon laquelle
"Garder les commandements n'est pas impossible pour le juste". Dans ce
cas, l'ambiguïté vient de la manière dont les commandements sont
respectés. Traditionnellement, les commandements étaient contenus dans
les dix commandements, auxquels les livres mosaïques ont ajouté des
milliers de règles juridiques. Dans les Évangiles, les commandements ont
été réduits à deux : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de
toute ton âme et de toute ta pensée" et "Tu aimeras ton prochain comme
toi-même". (Mt 22, 36-40). Dans la tradition chrétienne, les
commandements sont donc avant tout un commandement d'amour. La
question est de savoir s'il est possible d'accomplir pleinement le
commandement d'aimer Dieu et d'aimer les autres. Est-il possible de se
libérer de tout égoïsme et de ne vivre sans péché que par amour ? La
position synodale était rendue nécessaire par la vision de Luther selon
laquelle l'homme ne peut jamais agir de manière juste et sans péché, car il
pèche même avec ses bonnes actions en raison du péché qu'il subit. Le
Synode rejette clairement cet enseignement, affirmant qu'il n'est pas
impossible pour un homme justifié d'observer les commandements. Il ne
dit pas, cependant, ce que la possibilité et la capacité de respecter les
commandements impliquent en niant l'impossibilité. Sur cette seule
question, les explications des jésuites et des jansénistes diffèrent
considérablement. La possibilité de garder les commandements, selon la
conception jésuite, signifie qu'il est toujours possible pour l'homme de
garder les commandements, cela ne dépend que de sa volonté. Dans
l'interprétation janséniste, en revanche, cela signifie qu'il est possible à
l'homme d'observer les commandements, mais seulement si une grâce
efficace lui permet de le faire. Il s'agit donc bien d'une question de volonté
et de grâce de l'homme, qui touche essentiellement le point de divergence
entre les deux interprétations théologiques catholiques faisant autorité à
l'époque.
Loin du ton polémique des lettres de Vidé ki, les Écrits sont loin d'être
dominés par une intention pédagogique. Néanmoins, Pascal n'a de cesse
d'exprimer la doctrine augustinienne de la grâce contre l'interprétation
jésuite de la grâce. Lorsque le destinataire de la Lettre lui pose des
questions indiquant qu'il a du mal à accepter l'enseignement de saint
Augustin sur certains points, il semble pencher vers l'interprétation
jésuite. C'est pour cette raison qu'il n'est pas inapproprié de lire les Epîtres
comme une polémique, où le but est de démontrer de manière convaincante
la vérité de la théologie augustinienne par des moyens clairs et acceptables
pour le sens commun.
La réponse à cette question est extrêmement systématique. La phrase
prob- lematique affirme qu'il n'est pas impossible pour le juste d'obéir aux
commandements. Tout d'abord, Pascal enregistre le
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La différence entre ces deux états provient du péché d'Adam, qui, de son
plein gré, a utilisé la grâce que Dieu lui a accordée pour faire le mal. En
raison du péché originel, tous les hommes sont nés avec une nature
dépravée et sont donc tous dignes de la damnation. Mais Dieu, dans sa
miséricorde, a choisi les uns et les a prédestinés au salut, mais a laissé les
autres dans leur état de dépravation et de péché. Jésus-Christ est mort sur
la croix uniquement pour les élus qui, par l'œuvre de la rédemption, ont
reçu et continuent de recevoir la grâce efficace par laquelle ils peuvent
garder les commandements et être sauvés. Les disciples de saint Augustin
concilient ainsi les volontés divine et humaine sur la question du salut et
de la damnation. Selon eux, "le salut est le résultat de la volonté de Dieu, et
la damnation le résultat de la volonté de l'homme" (Í, 109), puisque la
damnation est le résultat du péché d'Adam de sa propre volonté, et le salut,
par la grâce, est le résultat de la volonté de Dieu. Pascal rejette donc à la
fois la doctrine calviniste de la double prédestination et la doctrine
moliniste de la prédestination. La volonté divine n'est pas caractérisée par
le même degré d'auto-compulsion que Calvin, puisque le péché originel de
l'homme est le résultat de la volonté humaine, et donc la damnation de
tous les hommes serait juste. En même temps, l'élection des justes n'est
pas fondée sur le mérite, c'est-à-dire qu'elle n'est pas précédée de la
prévoyance de celui qui la fait. Puisque tous les hommes pourraient être
justement condamnés, la gratuité de la grâce ne viole pas le principe de
justice, mais laisse la volonté divine dans son insondable autonomie.
En présentant les différentes opinions, Pascal considère qu'il est
important d'examiner l'impact du péché originel sur l'homme, bien que la
différence d'opinion soit, en un sens, due aux différentes interprétations
du péché d'Adam. Ni les calvinistes ni les molinistes n'attachent autant
d'importance au péché d'Adam que les doctrines de saint Augustin, et il
n'y a donc pas de différence décisive entre la création de l'homme et son
état actuel, selon l'enseignement calviniste et moliniste. Cependant, Pascal
soutient que la différence entre les deux natures est immense, voire
incompréhensible, en raison du péché qui a été transmis, comme le montre
le fait que Dieu a dû se faire homme pour être racheté. Le péché originel et
la transgression sont donc des éléments clés pour comprendre la
prédestination, puisque c'est seulement en les prenant en compte que l'on
peut concilier les volontés humaine et divine, en évitant les opinions
extrêmes.
Pascal entreprend ensuite de prouver la vérité de l'opinion agostonienne.
Tout d'abord, il précise le procédé sur lequel il fonde sa preuve : " La
tradition successive depuis Jésus-Christ jusqu'à nos jours servira de règle à
cet égard. Nous montrerons que nous avons reçu cette doctrine de nos
pères, eux de ceux qui les ont précédés, eux des autres, des Pères de
l'Église, à qui elle a été transmise par les apôtres qui l'ont reçue de Jésus-
Christ, qui n'est autre que la vérité même " (I, 113). Dans le fragment "
Préface à l'étude de l'espace ", Pascal exigeait que les vérités théologiques
soient prouvées sur la base du principe d'autorité. Ici, nous avons un prix
beaucoup plus...
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est plus explicite sur ce qu'il entend par l'argument d'autorité : l'autorité
est fondée sur la tradition, puisque la tradition relie les textes des auteurs
faisant autorité à l'autorité de toute autorité : l'Évangile et Jésus-Christ,
source de toute vérité théologique. Cependant, la tradition n'est pas
simplement la transmission de la vérité révélée par Jésus-Christ, mais
aussi son déploiement dans les écrits d'interprètes faisant autorité :
" C'est pourquoi nous fondons cette doctrine sur le roc inébranlable de
l'Évangile et des écrits sacrés, mais nous ne l'expliquons pas en nous
appuyant sur notre propre esprit, sinon sur la base des anciens Pères de
l'Église, des Papes, des Conciles et des prières de l'Église " (ibid.). Dans la
Préface, Pascal ne soulignait pas encore que la vérité théologique
nécessite une interprétation, mais il montre ici comment procéder dans le
processus d'interprétation. Il ne faut pas se fier à son propre esprit, car cela
équivaudrait au procédé condamné dans la Préface, selon lequel la théologie ne
se fonde pas seulement sur la raison humaine et introduit de nouvelles
doctrines, mais doit aussi s'appuyer sur des autorités antérieures dans
l'interprétation. Pascal applique donc ici la même procédure que dans
l'Epître et le Traité : pour trancher une question, il examine ce que les
Pères et l'Eglise en ont pensé. Après avoir établi la règle utilisée dans la
preuve, la tâche peut être définie comme suit : " suivant la tradition, nous
devons montrer que tous les docteurs ont toujours affirmé comme une
vérité ferme que Dieu ne veut pas sauver tous les hommes, ou que Dieu
n'accorde pas à tous la grâce nécessaire à leur salut, ou que la
prédestination est sans la prescience des œuvres " (I, 114). Cette
formulation montre que Pascal s'est limité à réfuter la position des
jésuites, peut-être parce qu'il tenait pour acquise la fausseté de la doctrine
calviniste que l'Église avait condamnée avec tant de véhémence. Il cite
d'abord les censures de diverses autorités ecclésiastiques (Louvain, Douai,
Paris) qui ont ouvertement condamné la doctrine jésuite de la
prédestination, puis il utilise les enseignements de saint Thomas et de
Petrus Lombardus pour justifier le fait que l'élection au salut se fait sans
prévision des mérites ou des démérites. Comme l'Epître et la Préface, ce
texte est fragmentaire, et le Second Traité de l'édition hongroise n'explique
plus en détail que la partie centrale du premier, concernant
l'enseignement de saint Augustin.
3. LE PROBLÈME DE LA VOLONTÉ
L'un des concepts centraux de la grâce dans les Écritures est la volonté.
Il est important d'examiner de plus près la philosophie et la théologie de la
volonté de Pascal, car elles sont essentielles pour comprendre l'Apologie. Il
est presque certain que la naissance des Écritures a joué un rôle décisif
dans le développement final des convictions philosophico-théologiques de
Pascal sur la volonté.
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Nous avons déjà vu comment le problème de la grâce est inséparable de
la question de la volonté. Il se peut aussi que Pascal ait placé cette
question au centre de l'Écriture car les critiques de la doctrine agostinienne
de la grâce ont souvent soutenu que nous avions affaire ici à une doctrine
de la prédestination aussi déterministe que celle de Calvin, puisque les
jansénistes n'attribuent aucun rôle à la volonté dans le salut. Les Écritures
semblent être déterminées par le désir de Pascal d'attribuer à la volonté
humaine un rôle dans le respect des commandements et la persévérance,
plutôt que de dériver la damnation et le salut de l'interaction des volontés
divine et humaine. Dans cette entreprise, Pascal était pris entre deux feux :
d'une part, il devait défendre la doctrine agostonienne de la grâce contre
l'accusation de déterminisme calviniste, où l'effort humain pour le salut
était laissé sans aucun rôle, et d'autre part, il devait éviter le volontarisme
jésuite, où l'accent excessif mis sur le libre arbitre humain éliminait le
mystère de la volonté divine dans l'œuvre du salut. Le rôle de la volonté
humaine dans le salut est donc aussi une question de liberté : dans quelle
mesure la volonté humaine est-elle libre et dans quelle mesure est-elle
déterminée par la grâce.
En résolvant ce problème, Pascal suit l'approche de saint Augustin et
des jansénistes, en ce sens qu'il soutient que la volonté humaine est
fondamentalement transformée par la chute. Le péché originel a eu son
effet principalement sur le fonctionnement de la volonté, et donc la
corruption de l'état actuel des choses se manifeste aussi dans cette nature
modifiée de la volonté. L'essence du changement est que, alors que la
volonté était libre dans l'état de création, après la chute, elle était sous la
domination du désir. Dans la Lettre, Pascal explique longuement ce qu'il
entend par la liberté de la volonté dans la création. Cette liberté est la
liberté dite de neutralité ou d'indifférence, qui signifie que la volonté peut
décider pour ou contre dans chaque situation de décision sans aucune
contrainte externe ou interne. En d'autres termes, l'objet pour ou contre
lequel une décision est prise n'a aucune influence sur la volonté. La volonté
d'Adam était telle : " étant libre et affranchi de tout, cette aide directement
suffisante [c'est-à-dire la liberté de choix] lui permettait déjà de rester
dans la justice comme de s'en éloigner, sans être contraint ou attiré par l'une
ou l'autre " (I, 173). Cependant, à la suite de la Chute, l'homme a perdu sa
liberté de neutralité inhérente, car la volonté a été soumise au désir, qui lui
est désormais inextricablement lié. Pascal utilise deux termes des Écritures
pour décrire ce désir, delectatio et concupiscentia, qui se traduisent par
plaisir et bas désir. La domination du désir sur la volonté signifie que la
volonté est toujours orientée vers ce qui promet à l'homme plaisir,
délectation, bonheur. Dans les Réflexions, en langage non théologique.
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ce qui est en réalité deux est vu par l'interprète comme un seul. Les textes
auxquels s'applique cette procédure interprétative ont une manière
particulière de parler, qui tient au fait qu'ils ne rendent pas évidente la
dualité cachée dans le sujet de ces énoncés. Plus précisément, ils font des
déclarations soit en termes généraux, sans faire de distinction, soit en
termes particuliers, en assumant la dualité. Par conséquent, ces textes,
contrairement aux textes scientifiques, ne sont pas univoques, c'est-à-dire
qu'ils ne sont pas univoques, mais peuvent prendre au moins deux sens
opposés, selon l'objet auquel ils se réfèrent. Il est donc impossible pour le
lecteur profane de les interpréter correctement. L'Écriture, qui est pleine
de contradictions apparentes, est un modèle pour de tels textes, qui
doivent bien sûr être interprétés de la même manière, mais des textes
théologiques importants, notamment ceux des Pères de l'Église,
fonctionnent selon ce principe. Selon Pascal, le fait qu'un texte
théologique faisant autorité ne soit pas univoque mais contienne des
ambiguïtés (à condition qu'elles puissent être réconciliées par le principe
herméneutique du dédoublement) n'est pas son défaut mais sa force : cela
montre qu'il fonctionne sur le même principe que l'Écriture et, par
conséquent, qu'il exprime la même vérité.
Le principe de duplication est un procédé herméneutique dans l'Épître,
mais dans le Tractatus il devient une méthode efficace d'argumentation
contre les doctrines qu'il est destiné à réfuter. La méthode rhétorique
ingénieuse de Pascal consiste à opposer des doctrines opposées, puis à leur
appliquer le principe du doublement. Nous le voyons dans la question de la
préordination. D'un côté, il y a les calvinistes, qui attribuent le salut à la
seule volonté de Dieu, et de l'autre, les molinistes, qui attribuent le salut à
la seule volonté de l'homme. Voici deux extrêmes qui s'excluent
mutuellement. Leur thèse principale, selon Pascal, n'est pas qu'ils sont faux,
mais qu'ils n'adhèrent même pas au principe de duplication. En d'autres
termes, ils prennent pour un ce qui est en réalité deux : ils ne voient pas
que la nature humaine est double, selon qu'on la considère dans son état à
la création ou après la chute, et qu'il y a deux volontés impliquées dans
l'œuvre de salut ou de damnation, la divine et l'humaine, et non une seule.
Par conséquent, les deux points de vue opposés sont tous deux vrais, mais
seulement partiellement vrais, et s'excluent mutuellement. " C'est du
manque de distinction entre ces deux états [c'est-à-dire à la création et
après la chute] que naissent les erreurs dans les deux cas " (Í, 112),
souligne Pascal. " Et ne pensons pas qu'il suffit d'éliminer l'une de ces
deux erreurs pour arriver à la vérité " (M, III, 722), écrit-il dans
l'Argument.
La vérité, selon Pascal, est toujours au milieu : l'enseignement de Saint
Augustin est au milieu entre les opinions extrêmes des calvinistes et des
molinistes. Le milieu, en tant que lieu de la vérité, se trouve déjà dans les
écrits physiques (l'espace, par exemple, est au milieu entre l'étendue
matérielle et le néant), mais dans le Traité, il prend un sens plus profond,
car il est contextualisé théologiquement.
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Pascal est l'ordre du cœur. En effet, le cœur, en tant que faculté spirituelle,
ne remplit pas seulement une fonction éthique liée à la volonté, mais
possède également une faculté cognitive. Cela devient plus évident dans le
fragment 142/282, où Pascal appelle la capacité du cœur à reconnaître les
vérités axiomatiques :
"Le cœur sent que l'espace a trois dimensions, et que la série des nombres
est infinie " (142/282). Les deux fonctions du cœur - éthique et cognitive -
sont en harmonie avec les effets éthiques et cognitifs de la grâce. La grâce
affecte en premier lieu le cœur : alors, d'une part, l'amour de soi est
remplacé dans le cœur par le rôle de Dieu, et, d'autre part, le cœur est
capable de voir les dualités, c'est-à-dire de reconnaître de nouvelles
vérités axiomatiques qui lui étaient auparavant cachées.
Déjà dans l'Epître et le Traité, Pascal souligne que la source du principe
de duplication comme méthode de compréhension des vérités
théologiques, et même la source de toute la religion chrétienne, est Jésus-
Christ. Voilà donc l'origine de toutes les contradictions apparentes que
l'Incarnation du Verbe, qui a uni Dieu à l'homme, la puissance à
l'impuissance, a mises dans les œuvres de la grâce" (Í, 146). Dans ce
passage, Pascal ne parle pas de la compréhension des contradictions, mais
de leur origine : le fondateur de la religion chrétienne a lui-même créé des
contradictions en sa personne, puisqu'il a uni en lui les natures humaine
et divine. Dans le Tractatus, Pascal souligne que l'histoire de l'Église a
toujours été caractérisée par des opinions extrêmes et contradictoires.
L'exemple le plus fondamental en est le fait que certains ne voyaient en
Jésus-Christ que l'homme, d'autres que Dieu (Í, 110). Aucune de ces
positions ne reconnaissait que la nature de Jésus-Christ était double : Dieu
et homme en une seule personne. Le Christ incarné contient donc la
contradiction qui est au cœur des textes sacrés qui témoignent de lui, et
qui a conduit aux erreurs concernant sa personne, son œuvre et les textes
sacrés. En même temps qu'il a établi les contradictions, il a également
fourni la clé de leur résolution et de leur harmonie : la clé de la
reconnaissance de la dualité de phénomènes apparemment identiques,
qui constitue la base d'une vision et d'une compréhension nouvelles. Ce
concept est encore balbutiant dans les Écritures, où la notion de figuration,
que Pascal reliera dans l'Apologie au principe herméneutique de la dualité,
n'est pas encore présente. En fait, la vision et la compréhension figuratives
dans les Réflexions constituent la base de toute l'herméneutique de Pascal, qui
est théologiquement ancrée.
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IV.Section
APOLOGIE
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"Je ne parlerai pas ici des vérités divines, et loin de moi, écrit-il, de les
renvoyer à l'art de persuader, puisqu'elles sont infiniment au-dessus de la
nature : Dieu seul peut placer ces vérités dans l'âme d'une manière qui lui
soit agréable" (Í, 60). Pascal répète ici une conviction qu'il avait déjà
connue, à savoir que seule la grâce peut révéler à l'individu les vérités
fondamentales de la foi. Par conséquent, l'apologie, qui est l'art de la
persuasion, ne peut en aucun cas entreprendre de persuader directement
des vérités de la foi. Pour l'apologiste, il ne reste que l'art de la persuasion
humaine. Quel en est le signe ?
" Chacun sait que les opinions entrent dans l'âme par deux portes qui
sont aussi les deux principales facultés de l'âme : la porte de la raison et la
porte de la volonté " (ibid.), écrit Pascal, suivant apparemment une
doctrine cartésienne. Selon Descartes, deux facultés de l'âme sont
impliquées dans le jugement de la vérité ou de la fausseté des propositions,
c'est-à-dire dans leur acceptation ou leur rejet : la volonté et l'intellect. Nos
erreurs proviennent du fait que la volonté s'étend au-delà de la portée de la
raison et accepte comme vraies des choses que la raison n'a pas examinées
attentivement. Pascal voit les choses de la même manière : " Parmi ces
voies, celle de la raison est la plus naturelle, puisque nous ne devons
accepter que des vérités prouvées ; mais la voie de la raison, bien que
contraire à la nature, est plus générale, puisque la force persuasive des
arguments humains n'est presque jamais due à leur force probante, mais
plutôt à leur commodité [...] c'est par le caprice imprévisible de la volonté
que les hommes acceptent des vérités sans le consentement de la raison "
(Í, 60-61). Pascal, cependant, n'est pas d'accord avec Descartes pour dire
que la seule façon correcte de persuader est d'exiger la subordination de
la volonté à la raison. Comme ces deux facultés sont relativement
indépendantes dans l'acceptation des vérités, il existe des méthodes de
persuasion distinctes, selon que l'on veut les accepter par la raison ou par la
raison.
Pour appliquer efficacement ces méthodes, il est nécessaire de bien
comprendre les principes des deux facultés spirituelles. Les principes de
la raison sont les vérités fondamentales ou axiomes universellement
acceptés. Si l'on peut montrer qu'une affirmation en question découle
nécessairement de ces axiomes, le sujet l'acceptera comme vraie
involontairement, et dans ce cas, la persuasion aboutira à un résultat
immédiat. Les principes de la volonté sont définis par Pascal comme des
désirs naturels, tels que le désir de plaisir, de délectation ou de bonheur,
conformément à la tradition théologique de la théologie agnostique. Il
découle de ce principe que la volonté accepte comme vraies les choses qui
correspondent au désir de plaisir, de délectation ou de bonheur. La
persuasion parfaite serait possible si la vérité à persuader était à la fois
vraie pour l'intellect et bonne pour la volonté. Mais c'est rarement le cas ;
et dans le cas des vérités religieuses, c'est l'inverse qui se produit.
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(ou axiomes), mais les utilise pour définir tous les autres termes et
prouver toutes les autres vérités. Selon Pascal, c'est grâce à ce procédé
que la géométrie contient la vérité la plus parfaite dont l'homme dispose, ce
qui conduit au plus haut degré de certitude pour l'homme.
La méthode géométrique est donc la plus proche de la méthode
parfaite, la seule différence étant que la méthode géométrique s'appuie sur
des vérités dites premières, c'est-à-dire des axiomes, sur lesquels reposent
les preuves. Selon Pascal, ces vérités premières découlent de la nature. La
question se pose de savoir ce que l'on entend exactement par nature. Dans
le texte, l'expression "lumière naturelle", que Descartes utilise également
pour décrire la rapidité avec laquelle l'esprit reconnaît les vérités
élémentaires et axiomatiques, est utilisée à plusieurs reprises en relation
avec la reconnaissance des concepts et des vérités fondamentales. Dans
ses Règles pour la conduite de la raison, il l'appelle intuition, ce qui, en
utilisant le latin intuire, signifie un type particulier de vision mentale. Dès que
l'intellect aperçoit des vérités élémentaires, il les voit immédiatement à
travers sa clarté naturelle. Pour voir des vérités complexes, cependant, il
faut une preuve (déduction). Pour Descartes, la clarté naturelle est donc la
clarté naturelle de la raison, et l'intuition est la capacité élémentaire de la
raison à reconnaître la vérité. Si Pascal emprunte manifestement à
Descartes le terme de " clarté naturelle ", il ne l'applique jamais à la raison.
Tout au long du texte, il attribue cette clarté à la nature, et non à la raison.
99 Il s
'agit d'une décision très consciente de la part de Pascal, qui joue un rôle
majeur dans sa pensée apologétique. Le concept de nature comme source
de connaissance était déjà apparu dans la Préface à l'étude de l'espace, bien
qu'il y soit lié à la connaissance animale, ou plus précisément à la science,
plutôt qu'à la connaissance humaine. Pascal interprète la connaissance
instinctive des animaux, comme la capacité des abeilles à construire des
ruches, comme une science "fragile" qui découle de la nature. Elle n'est
disponible pour les animaux que lorsqu'ils en ont besoin, et est ensuite
immédiatement perdue. Cela explique pourquoi les animaux,
contrairement aux humains, ne sont pas en mesure de développer leurs
connaissances : c'est la nature qui les maintient au niveau de perfection
qui leur est destiné (voir I, 31). La nature a ici un sens complexe : il s'agit
de la nature dans son ensemble en général, et de la nature animale en
particulier, qui, par l'instinct, permet aux animaux d'accomplir un certain
nombre d'actions. Le parallèle analogique entre la nature dans la Préface et
la nature dans la Pensée géométrique est évident. Dans ce dernier cas, la
nature se réfère spécifiquement à la nature humaine, qui fournit à
l'intellect des connaissances de source instinctive. Nous verrons plus loin
que la nature, comme dans le cas des animaux, joue un rôle important non
seulement en fournissant la cognition mais aussi en la limitant, dans le but
de maintenir l'homme dans l'état dégradé de perfection auquel il est
destiné après la Chute. La nature,
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Plus tôt, Pascal a déclaré que les axiomes ne sont pas prouvables parce
que nous ne pouvons pas trouver de vérités plus simples à partir desquelles
les déduire. Tout le monde les accepte comme étant vraies. Toutefois, la
situation est différente dans le cas de l'incrémentalité et de la divisibilité
infinies, car certains doutent de la véracité de ce principe. Pascal fait ici
implicitement référence au Chevalier de Mére qui, dans une lettre qui lui est
adressée, nie la possibilité d'une divisibilité infinie de l'espace (voir M, III,
348-360). Il est donc nécessaire de justifier ce principe. Étant donné que
la nature axiomatique du principe en question et son inconcevabilité
rendent sa preuve directe impossible, seule la méthode de la preuve
indirecte peut être utilisée à cette fin. Cela consiste à supposer le contraire
de l'affirmation à prouver et à montrer qu'il entraîne des conséquences
absurdes et est donc faux, de sorte que (en vertu du principe de non-
contradiction) l'affirmation initiale doit être tenue pour vraie.
L'incrémentabilité infinie ne posant pas autant de problèmes que la
divisibilité infinie, Pascal se préoccupe surtout de cette dernière, et
préfère prouver la divisibilité infinie de l'espace. Son principal argument
est le suivant : supposons que le démembrement d'un espace fini conduise
à une partie finie de cet espace qui n'est plus divisible. En vertu de son
indivisibilité, il ne peut avoir aucune partie et ne peut donc avoir aucune
extension. Cette hypothèse est satisfaite par le point, qui, selon
l'hypothèse, doit être considéré comme un constituant de l'espace. Mais
cela est impossible, puisqu'il est impossible de construire l'espace à partir
de points indivisibles sans extension. C'est facile à voir : deux points sans
extension ne peuvent jamais devenir une extension, puisqu'ils ne peuvent
pas être en contact l'un avec l'autre. Comme ils n'ont aucune partie à
toucher, les points placés les uns à côté des autres ne se touchent pas ou
tombent ensemble. Ainsi, deux points, ou un nombre quelconque de
points, forment un point sans extension, tout comme un seul point. Il
s'ensuit qu'un point ne peut être un constituant de l'espace et ne peut être
considéré comme une partie de l'espace.
Dans son argumentation, Pascal applique la même connaissance sur
laquelle se base la méthode des indivisibles dans la solution mathématique
des problèmes de l'arc de cercle, et que nous avons déjà analysée en détail
dans les lettres d'Amos Dettonville.101 L'essence de celle-ci est que le point et
l'extension ne sont pas des quantités comparables, puisque le point ne
peut pas dépasser une extension finie de n'importe quelle taille même par
une multiplication arbitraire. Comme l'hypothèse selon laquelle le point
peut être atteint en disséquant une partie finie de l'espace impliquait des
conséquences absurdes, il faut accepter comme vrai le principe de
divisibilité finie. Pascal étend cette conclusion aux cas du temps, du
mouvement et du nombre : de même que le point ne fait pas partie de
l'espace et n'est pas comparable avec lui, un instant ne fait pas partie du
temps, le repos ne fait pas partie du mouvement, et zéro n'est pas
comparable avec le nombre. Le point, l'instant, l'immobilité et le zéro ne
sont rien en termes d'espace, de temps, de mouvement et de nombre. "Ces
choses se correspondent parfaitement, puisque toutes ces grandeurs sont
divisibles à l'infini sans atteindre par là leurs propres indivisibilités, et se
situent donc à mi-chemin entre l'infini et le néant" (Í, 57).
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lui fournit des principes, et d'autre part, par sa nature infinie, elle lui
impose des limites et des contraintes. Ainsi, si les sciences géométriques
ignorent l'infini dans leur recherche des objets qui unifient le produit
(espace, nombre, mouvement, temps), elles passent à côté de leur objet
réel, puisqu'elles les traitent comme finis, alors que leur essence est
l'infini. La version de la pensée géométrique décrite par Pascal, à cet égard,
est précisément un test de la mesure dans laquelle la nature infinie peut
être connue par la raison humaine. Cette investigation conduit à la
reconnaissance de la propriété commune inhérente à tous les objets, dont
la conséquence est l'admiration. "Voyez l'admirable relation que la nature
a établie entre ces choses, et ces deux merveilleux infinis qu'elle a placés
devant l'homme, non pour être compris, mais pour être admirés" (ibid.).
L'admiration survient lorsque, en entrevoyant la propriété commune
cachée de toutes les choses, nous sortons de notre vision finie d'elles et,
atteignant les limites de la connaissance humaine possible, nous
comprenons que la nature ne sera jamais épuisée et comprise par notre
cognition.
Vous pouvez voir comment Pascal pousse la réflexion aux limites de la
compréhension d'une manière rigoureusement systématique. Dans les
premières lignes du texte, il a déjà indiqué qu'il considère l'investigation
des possibilités et des limites de la pensée géométrique comme
équivalente à une investigation de la faculté cognitive rationnelle de
l'esprit humain, et que les résultats peuvent donc être appliqués à
l'homme lui-même. Cela conduit à la conclusion ultime : "Ceux qui [...]
voient clairement ces vérités pourront admirer la grandeur et la puissance
de la nature dans ce double infini qui nous entoure de toutes parts, et
cette merveilleuse observation leur apprendra à se connaître eux-mêmes,
comme étant placés entre l'infini et le néant, entre l'infini et le néant en
extension, entre l'infini et le néant en nombre, entre l'infini et le néant en
mouvement, entre l'infini et le néant en temps". Par ce moyen, nous
pouvons apprendre à nous admettre tels que nous sommes vraiment
dignes, et ainsi développer en nous une conscience qui vaut plus que
toutes les parties restantes de la géométrie" (Í, 59). Ici, la recherche
curieuse d'une compréhension positive de la nature se transforme en
admiration, et ce sentiment d'admiration est une véritable expérience
limite de la pensée, puisque l'esprit, face à l'infini, fait l'expérience de sa
propre finitude et limitation. L'exploration géométrique de l'infini conduit
à un acte de connaissance de soi, dans lequel on acquiert une connaissance
très importante de soi-même. La pensée géométrique, correctement
comprise, mène au-delà de la géométrie et aboutit à une conscience "qui vaut
plus que tout le reste de la géométrie".
La pensée géométrique seule ne conduit pas à des vérités
surnaturelles. Pourtant, elle a une valeur apologique, dans la mesure où à
un moment donné - précisément lorsqu'elle est confrontée à l'infini - elle a
des conséquences existentielles. On peut aussi dire que la pensée
géométrique, en explorant ses propres possibilités, conduit au-delà d'elle-
même et, confrontée à l'infini, s'ouvre au merveilleux de la nature.
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avec des épines qui sortent de lui-même" (I, 88), dont "les raisonnements
ne jaillissent pas des sources de l'humilité et de la piété" (I, 89), qui a mis
son esprit sous l'emprise du diable, et dont les enseignements sont comme
des viandes délicieuses mais empoisonnées servies sur des plateaux de
luxe. Tout en se basant sur Saint Augustin, dont il est la référence
fondamentale, et dont les enseignements sont porteurs de vérité,
contrairement aux erreurs des philosophes séculiers.
Pascal, cependant, n'est pas facilement convaincu que les
enseignements d'Épictète et de Montaigne sont du diable. Malgré les
remarques de son directeur spirituel, il commence à soutenir que la
lecture de ces deux auteurs n'est pas totalement dénuée de pertinence
pour les vérités chrétiennes. Pour le comprendre, il faut toutefois les
considérer à un niveau supérieur. Pascal s'est borné jusqu'ici à les présenter
indépendamment l'une de l'autre, mais désormais il confronte ces deux
doctrines. Tout d'abord, il note qu'Épictète et Montaigne sont les deux
seules écoles philosophiques dont les doctrines éthiques sont pleinement
en accord avec la raison. Si la question est de savoir quel type de morale la
raison peut déterminer sur une base naturelle, c'est un choix entre ces
deux voies : " ou bien nous choisissons qu'il y a un Dieu, et alors le bien le
plus élevé est atteignable par ce moyen, ou bien que son existence est
incertaine, auquel cas le bien le plus élevé doit aussi être incertain,
puisqu'il est impossible de l'atteindre " (Í, 93). Deux morales parfaitement
rationnelles et fondées sur la raison s'opposent donc l'une à l'autre, mais
elles sont complètement opposées et s'excluent mutuellement. La
première est dogmatique, car elle affirme que l'homme est capable de
connaître les principes moraux par des moyens naturels et de les
observer, tandis que la seconde est sceptique, car elle nie que l'homme
soit capable de connaître ces principes et, par conséquent, ne puisse
tenter de les observer.
En réduisant l'éthique stoïcienne d'Épictète et la vertu sceptique de
Montaigne à ces deux problèmes (c'est-à-dire à la cognitivité théorique et
à la réalisation pratique des principes éthiques), Pascal met en place la
même contradiction que dans le cas des doctrines jésuite et calviniste de
la prédestination. Dans les deux cas, la perfection morale est en cause.
Alors que les jésuites faisaient dépendre l'intégrité morale et le salut de la
seule volonté humaine, en dotant la nature humaine de la capacité de le
faire, les calvinistes tiraient tout cela entièrement de la volonté de Dieu,
considérant la volonté humaine comme totalement impuissante dans
l'œuvre du salut. De même, alors qu'Épictète considère que l'atteinte de la
perfection morale est entièrement dans la capacité de l'homme,
Montaigne dénie cette capacité à la nature humaine. Dans les deux cas, on
oppose deux vérités qui ne sont que des vérités partielles. Dans les deux
cas, une qualité réelle de la nature humaine est mise en avant au
détriment d'une autre qualité réelle, opposée. Par conséquent, les deux
vérités sont incompatibles. La solution de Pascal dans le Discours est
exactement la même que dans le Traité : "toutes les erreurs de ces deux
sectes sont nées de ce qu'elles n'ont rien à faire avec la vérité".
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Nous devons souligner qu'il ne s'agit pas d'un artifice rhétorique pour
Pascal de prétendre que la théologie est le centre de toute vérité. Ce qu'il
entend par là est expliqué très clairement dans le Discours. La théologie,
dans son sens premier, est un discours sur la nature divine. Le centre de la
théologie est donc Is- ten lui-même. Dire que la théologie est le centre de
toute vérité, c'est dire que les vérités naturelles contradictoires se
réconcilient en Dieu. Pour Pascal, cela découle de la personne et de la
nature de Jésus-Christ. Dans notre analyse du Traité sur la prédestination,
nous avons déjà souligné que la personne de Jésus-Christ est la même
contradiction que la nature humaine, puisqu'en lui sont unies deux
natures opposées : la divine et l'humaine. Selon le texte du Discours, la
double nature de l'homme est une image de " l'unité inexprimable " des
deux natures, divine et humaine, en Jésus-Christ. La manière dont l'unité
de ces deux natures contradictoires se réalise dans le Christ est
incompréhensible, et pourtant c'est la clé pour comprendre la nature
humaine. Mais il ne faut pas penser ici à une opération logique, puisque
Jésus-Christ est la clé de la compréhension par la grâce. Quiconque est
touché par la grâce vient à connaître Jésus-Christ, et par cette
connaissance, ses yeux s'ouvrent aux dualités et la double nature de
l'homme lui est révélée. En son absence, l'essence de la nature humaine,
avec ses déterminants psychologiques et moraux, est enveloppée
d'incompréhensibilité.
Mais Saki n'a pas été convaincu par tous les arguments qu'il a entendus
jusqu'à présent. Dans son commentaire final, il compare Pascal à un
médecin qui mélange du poison à la médecine, mais il est convaincu que
personne d'autre que lui ne devrait lire les philosophes en question avec un
quelconque bénéfice pour la foi. Le fils du philosophe, dit-il, est un grand
tas d'ordures d'où s'élève une fumée noire qui empoisonne la foi de tous
ceux qui ne sont pas encore suffisamment résistants et qui pourraient
facilement devenir "la proie des démons et la nourriture des vers" (Í, 96).
Pascal ne démord toujours pas de sa position et, en réponse à cette
objection, il expose ce qu'il considère comme l'utilité apologétique de ces
deux penseurs. La vertu apologique des deux auteurs est de confondre.
Épictète confond ceux qui cherchent le but de leur vie dans les choses
extérieures plutôt qu'en Dieu, et Montaigne confond ceux qui font trop
confiance au pouvoir cognitif de la raison naturelle et qui utilisent leur
raison pour forger des arguments anti-religieux. Puisque la pensée des
deux conduit à de graves erreurs morales, les deux sont dangereux en soi.
On ne peut les rendre utiles qu'en les plaçant côte à côte, c'est-à-dire en
lisant ces deux auteurs en parallèle, puisqu'ils se font également face et
critiquent leurs erreurs respectives. "Mais même ainsi, on ne peut pas dire
qu'ils conduisent à la vertu, mais seulement qu'ils confondent la vie du
péché : l'âme, fouettée par ces forces contraires, dont l'une s'attaque à
l'orgueil et l'autre à la paresse, ne peut trouver de réconfort dans l'un ou
l'autre de ces péchés, ni échapper à l'un ou à l'autre" (Í, 97). La valeur
apologique de la philosophie peut se définir dans cette double aporie : deux
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dit : "Notre premier travail a été de les copier tels qu'ils étaient, dans le
même état de désordre dans lequel nous les avons trouvés". 105 Grâce à cela,
deux copies contemporaines ont survécu. Le problème du bon ordre de
publication de l'Apologie était déjà une difficulté majeure pour les
préparateurs de la première édition. Toute une équipe a travaillé à la
première édition des Réflexions : Étienne Périer, déjà cité, les amis
personnels de Pascal, le duc de Roannez et Filleau de la Chaise, et les deux
éminents théologiens jansénistes Arnauld et Nicole. La première édition a
été achevée en 1670. Il était incomplet car de nombreux fragments ont été
omis, en partie pour des raisons formelles et en partie pour des raisons
politiques. C'est ce qu'on appelle l'édition de Port-Royal, dont Étienne
Périer a écrit la préface. Déjà lors de la préparation de la première édition,
il est apparu que les manuscrits laissés en héritage comprenaient des textes
qui n'appartenaient pas à l'Apologie. Par exemple, des notes et des
réflexions sur les Feuilles rurales, ou des extraits de l'ouvrage sur les
miracles, précédemment rejeté. Comme ils ont également été jugés dignes
d'être publiés, la première édition a été intitulée Réflexions de M. Pascal
sur la religion et quelques autres sujets. Les Réflexions sur l'Apologie et
celles sur des sujets non apologiques ont depuis été publiées ensemble
sous le titre Réflexions.
L'édition de Port-Royal reposait sur un principe qui est resté le fil
conducteur de la publication des Réflexions pendant près de deux siècles et
demi par la suite. Comme les fragments n'étaient pas destinés à être
publiés dans l'ordre dans lequel ils avaient été trouvés, qui semblait trop
chaotique, ils ont été disposés arbitrairement en unités thématiques qui
ont servi de chapitres pour l'édition. 106 Ce principe de publication était
basé sur l'hypothèse que Pascal n'avait pas établi d'ordre entre les
fragments ou, s'il en existait un, qu'il était perdu et impossible à
reconstruire. Par conséquent, les éditeurs ont été libres d'établir l'ordre
des fragments pendant longtemps, et il y a eu autant de versions des
fragments que d'éditeurs des Reflets. À cet égard, l'édition la plus réussie
est celle de Léon Brunschvicg, qui a organisé les fragments en 14 unités
thématiques. Cette édition est la seule édition hongroise complète du
Gondolatok à avoir été publiée. 107 L'édition de Brunschvicg, qui a été
incluse dans les trois derniers volumes de la première édition complète
moderne en 14 volumes de Pascal, publiée en 1904,108 a été très populaire
et sa numérotation a servi de base de référence au Gondolatok pendant de
nombreuses années. Peu après, cependant, les éditeurs ont
progressivement rompu avec la procédure d'édition arbitraire basée sur la
classification et ont commencé à explorer à nouveau la possibilité de
reconstruire l'ordre des œuvres tel que Pascal l'avait prévu. Bien que le
témoin le plus autorisé, Étienne Périer, ait affirmé que les fragments ont été
trouvés dans un désordre total, nous disposons encore de certains
documents qui peuvent nous aider à comprendre l'ordre. La première est
constituée par les Réflexions elles-mêmes, puisque dans plusieurs
fragments nous trouvons des références spécifiques à la structure prévue
de l'œuvre, et la seconde est un document contemporain résumant une
conférence que Pascal a donnée sur l'Apologie à ses amis à Port-Royal.
Jacques
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et qui ont été créés pendant le processus d'épissage. Il s'ensuit que Pascal
a organisé les fragments sur les papiers en chapitres, et que les liasses
correspondaient à un chapitre.
Les unités créées par les liasses de papier ont été physiquement
détruites au cours de l'histoire. Au début du XVIIIe siècle, Louis Périer (fils
d'Étienne Périer) a soigneusement assemblé les manuscrits des Réflexions ;
il a découpé les papiers surdimensionnés et les a ensuite collés ensemble
dans un grand livret de sorte que les deux côtés des feuilles de papier
restent visibles. Grâce à ce travail minutieux, les manuscrits ont été
préservés, mais leur ordre original a été perdu. Après avoir déchiffré la
signification de la liasse, les chercheurs ont commencé à se demander si
l'ordre original défini par les liasses n'avait pas en quelque sorte survécu.
C'est alors qu'ils s'intéressent aux deux copies réalisées par Étienne Périer
immédiatement après la mort de Pascal, toujours "telles quelles, dans le
même état de désordre où elles ont été trouvées". Il ressort de cette
remarque que les copies ont conservé l'ordre original des chapitres dans
les Liassés. Les deux copies n'ont manifestement pas été réalisées l'une à
partir de l'autre et sont donc indépendantes l'une de l'autre, mais l'ordre
des fragments est en revanche identique, à quelques différences mineures
près. Toutefois, les deux exemplaires sont réalisés selon des principes
différents : le premier est constitué de cahiers, contenant chacun un
chapitre ; le second est un exemplaire unique, alors que les chapitres s'y
trouvent également, séparés les uns des autres. En examinant les deux
copies, on a remarqué que les premiers des quelque 380 fragments (soit
un tiers du total) sont dans le même ordre dans les deux copies et sont
divisés en chapitres : 27 chapitres en tout. Au tout début des deux copies,
cependant, il y a une table des matières avec 27 titres, mais le manuscrit
original de cette table n'a pas survécu. L'hypothèse la plus probable est
que ces titres figuraient sur de petits feuillets de papier joints à une seule
liasse, et qu'ils ont été perdus lors du découpage des liasses.
Il est donc presque certain que c'est au cours de ces recherches que
Lafuma a retrouvé l'ordre des liaisons établi par Pascal. Il est également
très probable que Pascal ait effectué cette classification en juin 1658, dans
le but de classer les fragments qu'il avait écrits jusqu'à cette date. Les
fragments écrits plus tard auraient probablement été classés dans ces
chapitres. Il y a donc 27 chapitres que Pascal a arrangés et auxquels il a
donné des titres. Les fragments de ces chapitres se rapportent tous à
l'Apologie, et les titres des chapitres tracent la courbe de la pensée de
l'Apologie. La découverte de Lafuma en 1948 a donné un nouvel élan à la
publication et à l'interprétation des Réflexions. Son édition de 1951 et sa
version populaire de 1963 sont basées sur ce principe, en suivant la première
copie. 111 Depuis les années 1950, les chercheurs ont presque unanimement
accepté que
les 27 premiers chapitres des copies, ainsi que leurs titres, sont le résultat
du travail de classification de Pascal. 112 Cependant, les autres chapitres, qui
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L'ordre des deux copies diffère sensiblement, et les avis sont partagés.
Lafuma a divisé tous les fragments des Réflexions en deux grandes parties
: les fragments classés par Pascal et les fragments non classés, bien qu'il soit
d'avis que Pascal n'a classé que les 27 chapitres en ligatures, et non les
autres, car sa maladie l'en empêchait. Jean Mesnard et Phillippe Sellier, en
revanche, étaient convaincus que Pascal avait rangé tous les fragments
dans l'ordre, sans exception, et qu'aucun d'entre eux n'avait "erré" dans sa
chambre. C'est juste que les fragments en dehors des 27 premiers
chapitres n'avaient pas encore trouvé leur place dans le fil conducteur de
la pensée, ou n'y avaient pas leur place. Mais Pascal les a néanmoins placés
dans des chapitres séparés et les a reliés par un lien. L'enjeu de ce débat est
de savoir laquelle de ces copies peut être considérée comme la plus
authentique à des fins de classification et laquelle doit servir de base à
l'édition la plus autorisée : la première, qui confirme l'opinion de Lafuma,
ou la seconde, qui s'appuie sur l'opinion de Mesnard et Sellier. La
première copie était considérée comme plus importante non seulement
par Lafuma, mais aussi par l'éditeur d'une autre édition faisant autorité,
Michel Le Guern.113 En revanche, Philippe Sellier a produit une édition des
Réflexions basée sur la seconde copie.114 A mon avis, cette dernière fournit la
version la plus précise du texte et la structure la plus transparente des
Réflexions. Sur la base de la deuxième copie, Sellier a identifié cinq sections
principales dans les Réflexions : (1) le projet de 1658, qui contient les
fragments sérialisés de l'Apologie en 27 chapitres, (2) les chapitres mis de
côté en 1658, qui contiennent des notes sur les miracles pour un traité
polémique sur les miracles qui avait été commencé plus tôt puis
abandonné, (3) les chapitres contenant des réflexions mixtes écrits entre
1658 et 1662, dont la relation avec l'Apologie est incertaine, (4) des
chapitres écrits entre 1658 et 1662 qui font partie de l'Apologie et que
Pascal avait probablement l'intention d'incorporer plus tard dans
l'Apologie, et enfin (5) des fragments qui ne sont pas inclus dans la
seconde copie. C'est cette édition que nous utiliserons pour notre analyse
dans ce qui suit.
Il faut également noter qu'après le communiqué de Lafuma, il y a eu
des communiqués qui ne suivent pas le principe généralement admis.
C'est le cas de l'édition de Françis Kaplan, qui rejette l'hypothèse de
Lafuma selon laquelle les copies ont conservé la classification de Pascal.
Au lieu de cela, Kaplan a tenté de reconstruire l'ordre originel sur la base
des fragments des Réflexions, sur la base des fragments qui contiennent des
références explicites à la structure de l'Apollo- gia (marques de section,
fragments de préface, titres de chapitres, etc.).115 Cette approche n'est pas
très convaincante car, comme Kaplan le reconnaît lui-même, les
indications survivantes sont souvent très contradictoires et permettent
donc de déterminer plusieurs ordres possibles. Un autre résultat notable
est plutôt une expérience. Emmanuel Martineau a tenté de reconstituer les
Réflexions comme un texte continu, en se basant sur l'hypothèse originale
d'Étienne Périer selon laquelle les fragments n'étaient qu'un rappel des
idées de Pascal lui-même.
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Dans ce qui suit, j'aborderai les Pensées selon deux approches. D'abord,
par ordre thématique et ensuite, par ordre argumentatif. Dans un premier
temps, je tracerai l'arc de pensée que dessinent les chapitres définis par 27
Liasse, en résumant un par un les principaux thèmes de chaque chapitre.
Ils constituent le projet de l'Apologie de 1658. J'examinerai ensuite les
thèmes des chapitres qui n'appartiennent pas aux Liaisons du point de vue
de leur relation avec le projet de 1658, avec une analyse particulière du
fragment dit de réception. Cela donnera une idée de la structure prévue de
l'Apologie. Vient ensuite une deuxième approche de l'ordre argumentatif
des Réflexions.
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Je suis passé par là. Ce n'est que de cette manière que l'on peut dégager la
procédure apologétique-argumentative particulière que Pascal a
développée pour faire face au problème de la discontinuité entre les
vérités naturelles et surnaturelles.
A.P.R.
Commandez
Commencez à
S'incliner devant la raison et
Appelez
l'utiliser Excellence
Transition
Tristesse
La nature s'est détériorée
L'ennui Le mensonge des autres
religions Rendre la
religion aimable
(Opinion saine de la
population) Principes de base
La base des causes La loi figurative
Tradition rabbinique
Grandeur
Persistance
Les preuves de Moïse
Opposants
La preuve de Jésus-Christ
Prophéties
Divertissement
Chiffres
Moralité
Philosophes
chrétienne
Conclusion
Le bien principal
Les titres doivent être lus colonne par colonne, de haut en bas. Ils
forment vraisemblablement deux colonnes car, dans l'étude de Pascal, les
liases étaient suspendues à deux cordes déployées. Cela n'a aucune autre
signification. Le titre entre parenthèses ("Les opinions saines du peuple")
est une version antérieure du titre "Le fondement des causes". " Le titre "
La nature est corrompue " ne comprend pas les fragments,
vraisemblablement destinés par Pascal à être écrits plus tard. Ainsi, un
total de 27
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chapitre. Avant de les passer en revue un par un, je tiens à préciser que
mon objectif, dans l'aperçu qui suit, n'est pas d'analyser les fragments en
profondeur. L'espace dont je dispose ne me le permet pas. Je me
concentrerai uniquement sur la manière dont les fragments de chaque
chapitre sont organisés par thème, et je ne donnerai qu'un bref résumé
des principaux processus de pensée des fragments. Cette discussion
thématique montrera à quel stade spécifique de la pensée et de
l'argumentation apologétique appartiennent les fragments. Car le sens
d'un fragment ne dépend pas seulement de sa signification autonome,
mais aussi de son contexte, qui est déterminé par deux choses : d'une part,
le thème du chapitre auquel il appartient et, d'autre part, les autres
fragments qui l'entourent.
1. Ordre (Order)117
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2. Foi (Vanité)118
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la littérature de la Bible à Kölcsey. Mais ce n'est pas le cas avec Pascal. Car
le message principal des fragments du chapitre "La foi" est que toute vie
humaine est basée sur l'illusion. C'est peut-être le terme "illusion" qui
traduit le mieux le sens de la "vanité" de Pascal, puisque, selon lui, la
fidélité de l'homme se manifeste le plus clairement lorsqu'il se laisse aller
à des illusions dans les domaines les plus divers de la vie. Dans ce
chapitre, il analyse tout d'abord les domaines dans lesquels l'illusion
apparaît, sa source et le rapport de l'homme à cette illusion. L'illusion
imprègne presque tous les aspects de l'existence humaine, ce qui signifie
que l'homme comprend mal les phénomènes fondamentaux de sa propre
vie. Il croit les comprendre et les connaître alors qu'ils ne sont pas du tout
ce qu'ils semblent être. La croyance, donc, n'est rien d'autre que l'illusion
que l'illusion est la réalité. Cette déception de soi est à la fois la
conséquence et le signe principal de la foi. Que signifie précisément Pascal
? Le fragment central de ce chapitre, intitulé "Imagination" (78/82), est
l'un des textes les plus célèbres des Réflexions. Pascal y analyse la relation
entre l'imagination et la raison, en soutenant que l'imagination est une
puissance trompeuse qui, dans la plupart des cas, domine la raison : elle la
trompe, la contrôle et la guide. La domination de l'imagination sur
l'intellect crée l'illusion dont l'homme est la proie dans les sphères les plus
variées de la vie. Pascal donne de nombreux exemples pour illustrer
comment nous obéissons à notre imagination plutôt qu'à notre raison.
L'exemple le plus visible est la sphère publique socio-politique. En un
sens, la hiérarchie sociale et le prestige social de certaines professions
sont le fruit de l'imagination plutôt que de valeurs réelles : "si les
médecins ne portaient pas des blouses et des prêtres, et si les avocats
n'avaient pas des chapeaux carrés et de longues robes quatre pièces, ils
n'auraient jamais pu persuader les gens qui ne peuvent résister à une
apparence aussi authentique. S'ils étaient en possession de la vraie justice,
et si les médecins connaissaient le véritable art de guérir, ils ne seraient
pas obligés de porter des chapeaux carrés." L'imagination donne
l'impression qu'il existe un véritable savoir derrière certaines fonctions
sociales. Ainsi, sur la base de la foi, certains phénomènes sociaux sont
considérés comme fondés, même si leur fondement n'est qu'apparent.
L'illusion de l'ancrage est dominante dans plusieurs domaines. Pascal
souligne que nous manquons autant de mesure dans la cognition naturelle
que dans la justice et la moralité (55/381, 62/436). Il est donc illusoire de
penser que notre cognition est authentique ou que nos jugements de
justice et de moralité reposent sur des valeurs solides. La morale, par
contre, est relative, la manière dont nous jugeons le sens moral d'une
action dépend parfois de la situation d'un objet naturel (rivière, chaîne de
montagnes) (54/292, 84/293), et le fondement de la justice n'est rien
d'autre que la coutume, dans laquelle il n'y a rien de rationnel. Le
fondement de nos actions est tout aussi illogique. L'homme se considère
comme un être rationnel et agit rationnellement, alors qu'il est souvent
motivé par des futilités ridicules.
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"Si le nez de Cléopâtre avait été plus court, la face de la terre aurait été
différente" (79/163, 32/162).119 Être appelé, c'est donc s'ignorer soi-
même et ignorer les caractéristiques essentielles de sa vie. La fidélité
conduit à une sorte d'aveuglement, puisque l'essence de l'illusion est
d'ignorer que l'on est victime de l'illusion : " Celui qui ne voit pas la fidélité
du monde est lui-même d'une nature très fidèle " (70/164). 70 (7064) En
révélant la fidélité du monde, Pascal n'entend pas remplacer l'illusoire par
une interprétation réaliste de la réalité, mais souligner un trait fondamental
de la nature humaine : l'homme se croit rationnel, pense que le cadre de sa
vie est bien établi, alors que c'est une illusion. L'homme ne vit pas
rationnellement, la vie humaine est dépourvue de principes rationnels.
3. Chagrin (Misère)120
245
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4. Insomnie (ennui)121
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tandis que la base renvoie à une source plus profonde à laquelle la chose
en question peut être rattachée. Cette distinction ne se réfère pas à la
causalité physique mais aux phénomènes humains, sociaux. Selon ce point
de vue, voir la cause d'une chose ne signifie pas nécessairement en
connaître la base profonde. La base d'un phénomène (opinion,
comportement, etc.) est toujours cachée et nécessite une réflexion
sophistiquée et profonde pour être reconnue. La causalité est avant tout
une méthode permettant de découvrir les déterminants profonds des
phénomènes humains. Dans ce chapitre, nous examinerons deux exemples
: la hiérarchie sociale et le divertissement. Dans le cas de la première, la
question est la suivante : quel est le fondement de la hiérarchie sociale et,
par conséquent, quelle est la bonne attitude à son égard : l'accepter ou la
rejeter ? Pascal pense ici à la société de son temps. La différence
hiérarchique entre les personnes qui détermine l'ordre social est-elle
juste et donc digne de respect ? Nous pouvons donner des réponses
différentes à cette question, en fonction de ce sur quoi nous fondons notre
opinion. Il existe une gradation entre les différentes réponses possibles,
en fonction du degré de clarté qui caractérise l'opinion en question. Il
convient de citer intégralement le fragment qui exprime le plus clairement
cette gradation :
247
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elle ne vient pas de Dieu. Enfin, il y a surtout les opinions des vrais
chrétiens, qui croient que l'ordre social doit être respecté, même s'il ne
vient pas de Dieu, et qui tirent leur jugement d'une lumière encore plus
élevée. Les réponses à la question de savoir si l'ordre social mérite d'être
respecté présentent donc, à différents niveaux, une alternance dialectique :
oui, non, oui, non, oui. Cela montre que la "base de causalité" implique
deux choses : d'une part, une méthode interprétative pour une
exploration plus profonde des phénomènes humains, et d'autre part,
l'ordre structurel qui est révélé par les opinions à différents niveaux. Dans
cette structure, toutes les opinions sont vraies, puisque les causes
immédiates qui donnent lieu à chaque opinion sont fondées. En même
temps, chaque opinion n'est que partiellement vraie, ou on pourrait dire
seulement vraie à son propre niveau, et est donc au moins aussi fausse
que vraie, parce qu'elle se révèle non fondée et fausse lorsqu'on la
considère à un niveau supérieur. Cela nécessite de monter dans la
hiérarchie des opinions. La base de causalité indique donc une méthode
capable d'évaluer les divers degrés de vérité des différentes opinions et de les
combiner dans un ordre hiérarchique. Comme cette procédure est
importante pour l'ensemble de l'argumentation apologétique, nous y
reviendrons dans l'analyse de l'ordre argumentatif. À ce stade de l'arc
thématique de l'Apologie, la base de l'argumentation a une fonction
importante : elle représente un pas supplémentaire dans le démasquage
des illusions, mais elle ne révèle plus seulement la misère humaine, elle
met aussi en évidence la grandeur humaine. Ce faisant, elle place toutes les
opinions sous un double éclairage, les montrant à la fois vraies et fausses,
fondées et illusoires. Car à son propre niveau, toutes les opinions sont
fondées, et ce n'est qu'à partir d'un niveau supérieur que leur fausseté est
révélée. C'est pourquoi Pascal affirme dans plusieurs fragments que les
opinions des masses, méprisées par beaucoup, peuvent être considérées
comme saines et vraies sous un certain rapport (117/327, 125/336). De
cette manière, nous pouvons argumenter pour la misère de l'homme aussi
bien que pour sa grandeur.
6. Grandeur124
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7. Contrasts (Contrariétés)125
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8. Divertissement (Entertainment)126
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les activités, les jeux, la chasse, les diverses formes de vie sociale, ainsi que
le travail de bureau ou les formes d'emploi qui ne sont pas destinées à la
subsistance. Presque toute activité qui détourne l'attention de soi et la
porte vers le monde extérieur est considérée comme un divertissement.
En conséquence, l'homme est déplacé dans le monde, ne se concentrant
pas sur lui-même, son état naturel, mais l'oubliant et se donnant à l'objet
de son activité. Le contraire de l'amusement est donc l'oisiveté solitaire, "
s'asseoir tranquillement dans une chambre " (168/139), lorsque, sans être
un objet d'amusement, l'attention humaine est focalisée, involontairement
ou volontairement, sur elle-même, c'est-à-dire sur la nature humaine. Le
divertissement, en tant que description de la manière d'être de l'homme
au quotidien, continue de servir à révéler les illusions qui imprègnent la
vie humaine. Le caractère illusoire du divertissement provient du fait que
son objectif est le bonheur, mais qu'il ne conduit jamais au bonheur ; au
contraire, il accroît la misère humaine. En ce sens, il s'agit d'une stratégie
d'action plutôt irrationnelle. Mais si l'on soumet le divertissement à la
critique de l'irrationalité, on ne regarde, selon Pascal, que sa cause
immédiate, sans voir le fondement plus profond du divertissement comme
cause. Pour comprendre pourquoi l'homme se tourne vers le
divertissement, nous devons interroger la nature humaine. La cause du
divertissement est un besoin constant d'activité, dont la base profonde est
révélée par la dualité de la nature humaine. Dans son état inné, l'homme
est caractérisé par un désir fondamental et inextinguible de bonheur, qui
s'accompagne de la connaissance que le bonheur se trouve dans la
tranquillité. Cependant, l'une des principales caractéristiques de la nature
actuelle de l'homme est la finitude, la mortalité, accompagnée de la
connaissance de l'inévitabilité de la mort : tout cela est la source de la
misère humaine. Ces deux natures donnent naissance à deux instincts
opposés : l'un qui incite à l'immobilité, parce qu'il suggère que le bonheur
se trouve dans le calme, et l'autre qui incite à l'activité, afin d'échapper au
sentiment de misère qui, en l'absence d'activité, face à la mort, nous
remplit. C'est l'effet combiné de ces deux instincts, cachés au fond de
l'âme, qui donne naissance au divertissement : pour échapper à leur
propre sentiment de misère, les gens se détournent d'eux-mêmes et se
tournent vers l'activité pour trouver le bonheur, la paix ultime de l'esprit.
Cette analyse montre déjà à quel point cela conduit à l'illusion : les gens ne
se regardent pas et cherchent la paix dans le mouvement de l'activité.
L'activité de divertissement ne conduit pas au bonheur, mais ne fait
qu'accroître la misère, car l'activité constante d'acquisition d'objets
extérieurs (reconnaissance, pouvoir, richesse) rend l'homme vulnérable à
des circonstances indépendantes de lui qui peuvent à tout moment
empêcher la satisfaction du désir qui sous-tend l'activité ou le priver du
plaisir (165/170). Pascal cite le cas du roi comme exemple de la mesure
dans laquelle les biens que l'on peut obtenir ne nous donnent pas ce que nous
en attendons. Le qui...
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9. Philosophes (Philosophes)127
Les deux chapitres suivants sont étroitement liés. Après avoir examiné
les problèmes fondamentaux inhérents à la nature humaine, Pascal se
demande comment les enseignements de la rationalité naturelle auraient
pu répondre aux questions qui en découlent. Le chapitre neuf examine les
enseignements anthropologiques et éthiques des différentes philosophies.
La grande majorité des fragments traite des stoïciens, reprenant les
critiques formulées à leur égard dans l'Entretien : les stoïciens
reconnaissaient à juste titre que la volonté de Dieu doit être suivie dans la
vie, mais ils avaient tort de penser que cela pouvait être réalisé par le seul
effort humain. Leur principale erreur est que, ne connaissant pas la nature
humaine, ils n'ont pas vu que sa corruption empêchait l'homme d'aimer,
d'adorer et de suivre Dieu. En critiquant la doctrine stoïcienne, Pascal
critique également une situation apo- logique fondamentale : celle d'une
personne d'une position supérieure qui déclare qu'il faut connaître Dieu
et suivre sa volonté dans la vie. Un tel enseignement est défectueux
précisément parce qu'il ne tient pas compte de la faiblesse de l'homme
pour accomplir la volonté divine : l'homme est incapable de rompre avec
la parole et de se détourner des choses extérieures pour regarder vers
l'intérieur. On ne peut s'attendre à cela que de la part d'un homme qui ne
connaît pas la véritable signification de l'amusement, comme indiqué dans
le chapitre précédent : "Les philosophes". Nous sommes pleins de choses
qui nous poussent à l'extérieur. Notre instinct intérieur nous dit que nous
devons chercher notre bonheur à l'extérieur. Nos passions nous poussent
vers l'extérieur, même lorsqu'elles n'ont pas d'objet pour les fouetter. Les
objets extérieurs en eux-mêmes nous attirent, même lorsque nous n'y
pensons pas. C'est donc en vain que les philosophes disent : retournez à
vous-mêmes, là vous trouverez votre plus grand bien. Le plus grand
défaut de l'éthique philosophique (c'est-à-dire de l'éthique stoïcienne) est
donc qu'elle ne montre aucune compréhension de la faiblesse de la nature
humaine. Pascal dit qu'ils ont raison à un certain égard, mais seulement à
un certain égard. Si nous considérons la question de l'éthique à un niveau
plus élevé, leur erreur est déjà apparente : ils ne reconnaissent pas la
dualité de la nature humaine et ne voient donc pas avec exactitude la
véritable détermination de l'homme. Ce chapitre met en évidence la
position que Pascal, en tant qu'apologiste, refuse de prendre. Il rejette la
position de l'orateur, où un apologiste ou un prédicateur, parlant depuis
une instance supérieure, critique ceux qui errent, ne connaissent pas et ne
suivent pas la vérité.
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se battre quand il le faut, s'incliner quand il le faut. Celui qui ne le fait pas
ne comprend pas le pouvoir de la raison. Il y a ceux qui s'opposent à ces
trois principes, soit en soumettant tout au doute, sans être versés dans la
preuve, soit en doutant, sans savoir où s'incliner, soit en s'inclinant partout,
sans savoir où juger " (201/268). Seule la pensée appelée " cross-fact "
peut exercer correctement le doute, la preuve et l'inclinaison. Il en ressort
que, pour Pascal, le fait croisé n'est pas une déférence aveugle à l'autorité,
où il y a une rupture ouverte avec la raison, mais une forme de pensée qui
connaît précisément les limites et les pouvoirs de la raison, qui est capable
de suspendre le jugement aussi bien que de porter des jugements
corrects, et qui est capable de renoncer à d'autres connaissances là où le
savoir humain s'avère inadéquat, en s'abandonnant à l'admiration pour la
réalité de la nature au-delà d'elle-même. Cette pensée caractérise la vraie
religion : "Si nous soumettons tout à la raison, il n'y aura rien de
surnaturel ou de mystérieux dans notre religion. Si nous violons les
principes de la raison, notre religion deviendra absurde et ridicule."
(204/273).
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nous avons les prophéties, qui sont des arguments solides et tangibles.
Puisque ces prophéties se sont réalisées et ont été prouvées par
l'événement, elles sont un signe de la certitude de ces vérités et sont une
preuve de la divinité de Jésus-Christ. Prouver Dieu par Jésus-Christ
signifie non seulement utiliser des arguments historiques plutôt que des
arguments métaphysiques abstraits, comme dans les apologies
traditionnelles, mais aussi tenir compte de la nature humaine et garder à
l'esprit la caractéristique selon laquelle les arguments purement
rationnels ne sont pas convaincants pour les vérités surnaturelles. C'est la
fragilité, la faiblesse et la dépravation de la nature humaine. " La
connaissance de Dieu sans notre misère nous rend arrogants. Reconnaître
notre misère sans connaître Dieu conduit au désespoir. La connaissance
de Jésus-Christ est le centre, car en lui nous trouvons Dieu et notre propre
misère" (225/527). Les analyses de la nature humaine effectuées jusqu'ici
ont donc servi, indirectement mais pas entièrement, à prouver Jésus-
Christ. Car l'exploration de la misère ne conduit pas seulement à une
cognition abstraite, mais présente aussi des caractéristiques existentielles.
En d'autres termes, elle sert non seulement à convaincre l'intellect, mais
aussi la volonté.
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que les religions ne pouvaient pas égaler. A une exception près : la religion
chrétienne. Dans ce chapitre, Pascal confronte en fait le christianisme non
pas à plusieurs religions, mais à une seule : la religion musulmane. S'il n'y
a qu'une seule vraie religion, alors il existe des arguments en faveur de
l'excellence de la religion chrétienne : comme l'autorité de la tradition, les
prophéties accomplies et les témoignages (235/595, 236/592). Si nous
comparons les Écritures avec le Coran, nous y trouvons à la fois des
obscurités et des clartés. Puisque les choses obscures de l'un et de l'autre
semblent également obscures, nous devons comparer les choses claires,
celles qui peuvent être comprises par la cognition naturelle. À cet égard,
les enseignements clairs que l'on trouve dans le Coran sont faibles au
niveau du raisonnement, tandis que ceux que l'on trouve dans la Bible
sont admirables et contiennent des prophéties accomplies. Les parties
vagues de la Bible sont donc aptes à expliquer les parties obscures, alors
que les parties claires du Coran ne le sont pas (251/598).
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est caché, aucune religion n'est vraie qui ne dit pas que Dieu est caché, et
aucune religion n'est édifiante qui ne dit pas pourquoi Dieu est caché. Le
nôtre fait tout cela. Vere tu es Deus absconditus" (275/585). Pascal
applique cet argument non seulement aux autres religions mais aussi aux
croyants : étant donné qu'un élément important de la doctrine chrétienne
est l'accent mis sur le caractère caché de Dieu, on ne peut pas lui
reprocher de manquer de clarté (260/751). L'argument en faveur de la
vérité de la religion se fonde donc sur un compte rendu de l'obscurité des
vérités religieuses, c'est-à-dire le fait que ces vérités ne peuvent être
prouvées par des moyens naturels.
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Après avoir clarifié les bases du discours sur la vraie religion (obscurité,
dissimulation, figuration), Pascal passe aux arguments historiques. Il s'agit,
d'une part, de la permanence de la religion chrétienne, de l'authenticité
fragmentaire des Écritures de l'Ancien et du Nouveau Testament, et de
l'accomplissement des prophéties. Dans le chapitre sur "l'érudition
rabbinique", seuls deux fragments traitent de l'interprétation rabbinique
de la Bible. Le premier contient certaines des notes personnelles de Pascal
sur les traditions talmudiques, et le second retrace l'interprétation du
péché originel dans la tradition rabbinique. Selon certains passages du
Talmud et du Midrash, le cœur humain est mauvais à dessein, et le mal du
cœur est souvent exprimé par la métaphore du mauvais levain. Bien que la
fonction de ce chapitre dans l'argumentation apologique ne soit pas tout à
fait claire, nous pouvons déduire du deuxième fragment que Pascal
essayait d'établir la continuité de l'enseignement théologique sur la
transmission du péché, qui était important pour lui, en montrant que non
seulement les théologiens chrétiens mais aussi les interprètes rabbiniques
lui avaient déjà attribué une signification importante. Cela nous amène à
l'argument du chapitre suivant.
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Moïse a préparé sa venue avec les lois (du moins leur signification
spirituelle), et les prophètes ont spécifiquement prédit sa venue. Tout cela
a été accompli par l'incarnation de Jésus-Christ, qui a accompli des
miracles et dont l'enseignement a conduit à la conversion des nations
païennes. La foi qui existait dès le début et l'accomplissement des
prophéties prouvent donc définitivement la messianité de Jésus-Christ
(314/616). Par cette constance, Pascal voit le christianisme dans la religion
juive. Les Juifs de la chair ne reconnaissaient même pas le caractère
figuratif de l'Ancienne Loi et l'interprétaient littéralement ; les Juifs de
l'esprit, les saints de la religion juive, en revanche, connaissaient le
véritable sens de l'Ancienne Loi et pouvaient donc être considérés comme
des chrétiens de l'Ancienne Loi. De même, dans le christianisme, il y a des
chrétiens charnels et spirituels. Par le terme de chrétiens charnels, Pascal
désigne les jésuites, qui, en suspendant la validité de la loi nouvelle, la loi
de la semence, " donnent une exemption de l'amour de Dieu "140 (318/609,
321/608). La foi des vrais juifs est cependant la même que celle des vrais
chrétiens, en ce qu'ils ont toujours attendu le Messie, dont ils espéraient
voir naître l'amour de Dieu dans leur cœur (319/607).
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D'autre part, parce que proclamer la résurrection de quelqu'un est une idée
absurde, dont, si elle avait été inventée, il aurait été difficile pour
quiconque d'en convaincre les gens (341/801, 353/802). D'autres
arguments importants en faveur de Jésus-Christ sont les miracles qu'il a
accomplis, qui prouvent qu'aucun simple mortel n'aurait pu faire ce qu'il a
fait (352/600), et les prophéties (346/752, 350/699), qui nous mènent au
chapitre suivant.
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comme un vaste infini, et fait ainsi une distinction claire entre l'infini et
Dieu. Il s'éloigne ainsi manifestement de Descartes, qui est le seul à
qualifier Dieu d'infini, non pas au sens d'extension mais au sens de
complétude, et dont l'argument en faveur de Dieu repose également sur
cet attribut de Dieu. Au contraire, comme nous l'avons dit plus haut, c'est
en fait la nature infinie de la nature qui nous empêche d'obtenir une
certitude sur Dieu, puisque la nature finie est coincée entre la cognition
humaine finie et Dieu, et donc que ni l'existence de Dieu ni la nature de
Dieu ne peuvent être connues naturellement. Pascal en conclut, sur la base
de la clarté naturelle : " Si Dieu existe, il est infiniment incompréhensible,
parce que, n'ayant ni parties ni parties, il n'a aucun rapport commun avec
nous ". Nous sommes donc incapables de savoir s'il existe ou non." Il
convient de noter que l'inconcevabilité de l'infini rend impossible non
seulement d'affirmer avec certitude l'existence de Dieu, mais aussi de la
nier. La raison se trouve ici dans une impasse, où elle doit reconnaître sa
propre finitude et son impuissance. "Dieu est ou Dieu n'est pas. Vers
lequel penche-t-on ? La raison ne peut offrir aucun indice. Un chaos infini
nous sépare de la réponse." Sur la base de l'infini, Pascal conduit l'intellect
fini à un point de non-retour, où il doit renoncer à la possibilité de
connaître.
Mais à ce stade, l'argument prend une tournure dramatique. Pascal
traduit de manière inattendue le problème en une situation de jeu : "Au
bord de ce paysage infini, on joue à un jeu de hasard dont le résultat est
pile ou face. Lequel choisirez-vous ?" Parallèlement à ce virage,
l'argumentation devient dialogique. Le destinataire est un athée dont la
pensée est caractérisée par une modestie constante, et le destinataire est
l'apologiste qui soutient que la foi des croyants chrétiens n'est pas du tout
contraire à la raison. Plus précisément, si les croyants à ce jeu de hasard
ont parié sur l'existence de Dieu, leur choix n'est ni moins ni plus
rationnel que celui de ceux qui nient l'existence de Dieu, puisque la raison
ne peut fournir aucune preuve pour ou contre. L'interlocuteur rationaliste
et incroyant soutient au contraire que les croyants ne sont pas contre la
raison en pariant sur Dieu, mais en pariant tout court. Si la raison ne peut
pas trancher cette question, alors la décision appropriée pour elle serait
de suspendre son jugement, ce qui équivaut à ne pas parier du tout. C'est
ici que l'on peut conclure le fil de la pensée de la première partie, qui
montre, dans l'ensemble, que l'intellect naturel ne peut pas trancher la
question de l'existence de Dieu, et que, par conséquent, la seule voie
appropriée pour lui serait de suspendre son jugement sur cette question.
Dans la deuxième partie, la justification mathématique de la rationalité
du pari est présentée. Ses deux premières phrases répondent à l'objection
ci-dessus, par laquelle l'interlocuteur rejette le pari. "Oui, mais vous devez
parier. Ce n'est pas volontaire, vous êtes embarqué."
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- répond l'apologiste. Pascal soutient ici qu'un pari pour ou contre Dieu
n'est pas arbitraire, c'est-à-dire qu'on est obligé de parier même si on ne
veut pas parier. C'est un élément très important dans l'argumentation qui
suit, puisque le calcul mathématique de la rationalité du pari repose en
partie sur cette nécessité, comme le texte le souligne à plusieurs reprises.
Néanmoins, Pascal n'est pas en mesure de justifier cette nécessité. Pour le
dire simplement, un pari pour ou contre Dieu est un acte existentiel,
puisque l'homme parie sa vie sur ce pari, et donc le rejet du pari est aussi
un pari contre Dieu. C'est également vrai, mais Pascal aurait pu
argumenter de manière plus précise la nécessité d'un pari. Dans la lettre
qui nous exhorte à chercher Dieu, nous lisons ces lignes : " Toutes nos
actions et toutes nos pensées doivent suivre des voies si différentes, selon
que nous espérons ou non les biens éternels, qu'il est impossible de faire
un seul pas en tant qu'être de jugement et de raison sans adapter ces
facultés à l'aspect qui doit être notre objet ultime " (681/194). Ces lignes
expliquent pourquoi l'homme est obligé de parier. Car la volonté humaine est
déterminée par le désir du bonheur : l'homme ne peut s'empêcher de vouloir être
heureux (181/425), et puisque la volonté humaine est orientée vers un but,
toute la conduite de la vie est déterminée par ce que nous attendons du
bonheur. La nature humaine, cependant, est telle qu'elle ne sait pas ce qui
la rendra complètement heureuse. Si nous acceptons qu'il y a un Dieu et
que nos âmes sont immortelles, alors nous attendons le bonheur de
quelque chose de très différent de la croyance qu'il n'y a pas de Dieu et
que nos âmes périront avec nos corps. Dans le premier cas, le lieu du
bonheur se trouve dans l'au-delà, ce qui doit être gagné en vivant ici, et
dans le second, il ne peut être ailleurs que dans la vie sur terre, ce qui rend
raisonnable un mode de vie hédoniste. Que nous le voulions ou non, nous
devons et nous décidons de la nature du bonheur, malgré notre ignorance
de celui-ci, puisque nos actions quotidiennes vont dans le sens d'un
bonheur déterminé consciemment ou inconsciemment. Cela explique
donc la compulsion à parier.
L'apologue souligne immédiatement que par la réception nous décidons
non seulement du juste mais aussi du bien, c'est-à-dire que la réception
engage non seulement l'intellect mais aussi la volonté. Mais la raison,
comme on l'a montré dans la première partie de l'argument, est
indifférente au pari, puisqu'elle ne peut argumenter ni contre Dieu ni pour
Dieu. Si nous considérons ce qui rend possible, voire nécessaire, la
poursuite de l'argumentation après que l'inertie de la raison a été admise,
nous voyons que ce n'est autre que le principe fondamental de la volonté :
le désir de bonheur. Dans la suite de l'argumentation, la question du
bonheur par la volonté se trouve ainsi au centre. L'homme étant incapable
de ne pas rechercher le bonheur, mais en même temps incapable
d'acquérir rationnellement la certitude de ce qui constitue pour lui le vrai
bonheur, il est contraint de l'accepter. La question n'est donc pas de savoir
si Is- ten existe ou non, mais de quelle possibilité nous pouvons attendre
le plus de bonheur.
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mais aussi son corps : intérieur et extérieur. C'est pourquoi le corps doit
être préparé à la conversion, et pas seulement l'âme. Il y a trois manières
de croire : la raison, l'habitude et la suggestion [...] il faut ouvrir sa raison
aux évidences, s'y fortifier par l'habitude, mais par l'humilité s'ouvrir aux
suggestions, car elles seules obtiendront l'effet véritable et salvateur "
(655/245). Pascal donne ainsi lui-même une définition du sens de " abntir ".
Si l'intellect est convaincu du caractère raisonnable de la foi, mais que la
volonté y reste opposée, il faut habituer la volonté à la soumission par la
volonté du corps, et ce en adaptant ses actions corporelles à la réception,
en plus de son intellect. Cela peut être un moyen efficace de modérer les
passions qui s'opposent au pari. S'obséder ou se mécaniser, c'est donc
mettre le corps lui-même au service du pari.
Lorsque l'interlocuteur continue à émettre des réserves sur le pari,
l'apologiste présente un dernier argument pour défendre le pari. Ce que
l'on a appelé la possibilité de perdre une vie finie n'est pas vraiment une
perte. Car en pariant sur Dieu, on gagne même dans cette vie. Il ne suivra
pas la voie de l'hédonisme, mais sera caractérisé par l'excellence morale :
"Il sera fidèle, honnête, modeste, reconnaissant, bienveillant, sincère et un
véritable ami. Ne s'adonnera-t-il pas en effet à des plaisirs souillés, à des
gloires et des plaisirs mondains, mais n'aura-t-il pas d'autres plaisirs ? ".
S'il est donc vrai que dans un pari sur Dieu, il n'y a pas de perte réelle,
mais seulement apparente, du côté de la perte par rapport au gain infini,
le caractère raisonnable de ce choix est finalement justifié.
Puisque le pari est en fait une métaphore, il vaut la peine de résumer
ce que l'argument apologique à son sujet soutient. Dans les paris, on met en
jeu sa propre vie. Lorsqu'il se rend compte que sa vie est caractérisée par
une situation existentielle de type "ou bien", pour reprendre le terme de
Kierkegaard, il doit choisir entre deux options : il lie le bonheur ultime qui
détermine sa stratégie de vie soit à une vie mondaine, soit à une vie après la
mort. Le jeu n'est décidé, sans aucun doute, qu'au moment de la mort, et le
pari, dans lequel toute la vie humaine est en jeu, est donc ouvert à la mort.
Il ressort de tout cela que le pari n'est pas un argument en faveur de Dieu,
puisqu'il n'implique aucune certitude de Dieu. La personne qui parie sur
Dieu vit de l'acte de parier comme si Dieu existait, sans avoir aucune
certitude quant à l'existence réelle ou non de Dieu. Le pari est donc le
fondement rationnel d'un mode de vie qui aspire à la perfection morale.
Mais bien sûr, il n'y a pas que cela. Comme nous l'avons vu, Pascal se
préoccupe avant tout de savoir comment convaincre l'ennemi principal
dans une argumentation apologétique, à savoir les passions et la volonté. Il
admet finalement que ce n'est pas possible, mais il s'efforce néanmoins de
cibler la dépravation du cœur, car c'est la source de la principale
résistance de l'homme à accepter la vérité de la religion.
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Après avoir parcouru les chapitres du projet de 1658, et les parties des
Gon- dolates en dehors de ce projet, nous avons les principales étapes de
l'Apologie de Pascal et les principales étapes de l'argumentation.
L'argument part d'un point de départ naturel. À partir d'un examen de la
nature humaine et d'une analyse de la position naturelle de l'homme dans
le monde, le raisonnement conduit à la nécessité de prendre en compte les
vérités théologiques. Il procède ensuite à une tentative de prouver la vérité
de la religion, d'une part au moyen du contexte historique et d'autre part au
moyen de l'herméneutique de l'interprétation de l'Écriture. Cet arc peut
être comparé à la pensée des apologies traditionnelles, qui défendaient les
vérités religieuses sur des bases naturelles. En reconstruisant l'ordre
thématique, on retrouve un certain nombre d'arguments qui étaient
également utilisés par les apologies traditionnelles (arguments
historiques, arguments fondés sur la prophétie, la morale religieuse, etc.),
mais aussi des arguments développés spécifiquement par Pascal (la nature
contradictoire de la nature humaine, l'angoisse de la mort et de l'infini,
l'argument de la réception, etc.)Une telle reconstruction de l'ordre
thématique court néanmoins le risque de ne pas accorder une attention
suffisante au défi majeur du raisonnement apologétique, qui est, selon
Pascal, la séparation des vérités naturelles et des vérités de foi, écart
insurmontable pour le raisonnement rationnel. En effet, l'arc relativement
ininterrompu de l'ordre théiste donne l'impression que le raisonnement
peut atteindre sans entrave les vérités de la foi. D'où la nécessité de
poursuivre l'examen des moyens par lesquels Pascal a cherché à résoudre
le problème de l'impénétrabilité des vérités naturelles et surnaturelles.
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n'est pas l'opposé de l'ordre naturel, mais le dépasse. Dans ce qui suit,
nous devons répondre à la question de savoir en quoi consiste l'ordre
véritable, c'est-à-dire ce qui caractérise le concept particulier d'ordre qui
est le trait le plus intrinsèque de l'argument apologétique pascalien.
Comme nous le verrons, le problème du fossé entre les vérités naturelles
et les vérités surnaturelles est le problème que ce concept d'ordre est
censé représenter et rendre gérable. Sur cette base, nous interpréterons les
méthodes les plus importantes du raisonnement apo-logique : la
traduction continue des arguments en contre-arguments, le fondement de
la causalité, les principes herméneutiques du dédoublement et de la
figuration. Tout cela conduit à une compréhension de l'ordre du cœur, qui
est le but ultime du discours apologétique.
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que les Écritures n'ont pas d'ordre. Le cœur a son propre ordre, l'esprit a
son propre ordre, basé sur des principes et des preuves. L'ordre du cœur
est différent. On ne prouve pas que l'on doit être aimé en énumérant dans
l'ordre les raisons d'aimer. Ce serait ridicule." Pascal oppose ici deux ordres :
celui de l'esprit et celui du cœur. Les deux ordres, dans ce cas, sont des
modes de pensée qui trouvent leur expression dans le discours de l'ordre en
question. L'ordre de l'esprit est basé sur des principes et des démonstrations.
De cette définition, il est clair que Pascal se réfère à l'ordre de la géométrie
qu'il a défini de manière si approfondie dans la Pensée géométrique. L'ordre
de l'esprit désigne donc une manière de comprendre, une manière de
penser et une manière de parler, et, en relation avec celles-ci, une manière de
lire et une manière d'interpréter. Cet ordre a sa propre gamme
d'utilisations, mais ne s'étend pas à l'amour. Même si nous argumentons
de manière rigoureuse et cohérente, le cœur est laissé froid par ces
arguments. Car le cœur a un ordre très différent. Ce n'est pas l'ordre de
l'esprit, sinon l'ordre du cœur, qui organise le texte de l'Écriture.
L'ordre du cœur est décrit par Pascal : " L'ordre de Jésus-Christ et de
saint Paul est l'ordre de l'amour, non de l'esprit, car ils voulaient chauffer,
non enseigner. C'est l'ordre de Saint Augustin. L'essence de cet ordre est
qu'il fait une digression à chaque point qui se rapporte à la fin, afin de
continuer à pointer." La digression est un terme rhétorique : elle désigne
une interruption dans le fil de la pensée d'un discours, une digression, un
écart par rapport au fil logique de la discussion. Dans le cas présent, le
texte de l'Écriture est caractérisé par de nombreuses digressions de ce
genre : le discours n'est pas logique, il est plein de contradictions,
d'incohérences et de répétitions. En conclusion, il ne semble pas y avoir
d'ordre dans ce discours apparemment illogique. Mais cela ne semble être
le cas que si l'on considère l'ordre de l'esprit. Les Écritures contiennent un
ordre parfait qui n'est révélé qu'à ceux qui sont capables de voir dans
l'ordre du cœur. Car la place des digressions n'est pas aléatoire, mais
déterminée selon un principe : chacune pointe vers un point commun, la
fin. Et cette fin est Dieu lui-même : Jésus-Christ. Quiconque le voit est
capable de comprendre l'ordre des digressions, c'est-à-dire d'expliquer
pourquoi il y a une contradiction dans le texte à un endroit donné et
comment on peut la résoudre. Ainsi, l'ordre du texte est rassemblé en un
tout cohérent. Pascal explique également pourquoi il y a une rupture entre
les deux ordres et pourquoi l'Écriture est écrite dans l'ordre du cœur.
Jésus-Christ et saint Paul ne voulaient pas "enseigner" mais "inciter", c'est-
à-dire qu'ils ne voulaient pas influencer l'intellect, ils ne voulaient pas
convaincre l'intellect, sachant qu'il ne suffisait pas de la foi, mais de la
volonté et du cœur. Les digressions déroutent l'intellect, qui est incapable
de trouver un sens cohérent dans le texte, et indiquent ainsi que le
véritable sens est à trouver dans un autre ordre.
En raison de la distinction entre l'ordre de l'esprit et l'ordre du cœur,
le texte de l'Écriture pourrait être comparé à une suite de chiffres qui, à
première vue, semble aléatoire, puisque nous ne connaissons pas son
algorithme. En attendant,
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Tant que nous ne l'aurons pas trouvé, nous ne pourrons pas dire si nous
avons affaire à une suite aléatoire de chiffres ou à une série. Cependant,
une fois que nous reconnaissons le principe d'ordonnancement,
l'algorithme, le désordre devient soudainement de l'ordre, car nous
comprenons pourquoi le nombre donné se trouve à la place donnée dans
la séquence. La différence entre une séquence arithmétique compliquée
dont l'algorithme est inconnu et les Écritures est que dans ce dernier cas,
le principe d'ordonnancement ne peut en aucun cas être reconnu
rationnellement, alors que dans le premier cas, il le peut. L'algorithme, ou
centre et principe de l'ordre du cœur, est Jésus-Christ, qui ne peut être
reconnu par le cœur que par la grâce et le rôle du cœur. C'est ici que
s'applique le principe, souvent souligné par Pascal, selon lequel la vérité
ne peut être connue que par l'amour, ou, comme il l'écrit dans L'art de
raisonner, "ce n'est que par l'amour que nous pouvons entrer dans la
vérité" (Í, 61). C'est par l'amour que le cœur reconnaît le principe par
lequel le désordre établi par l'ordre de l'esprit se révèle comme ordre,
ordre véritable, dans l'ordre du cœur.
Après avoir clarifié tout cela, nous pouvons revenir au fragment dans
lequel Pascal explique sa propre écriture : "J'écrirai ici mes pensées avec
ordre, et non peut-être dans une confusion sans but. C'est l'ordre véritable,
qui marquera toujours mon sujet par son désordre. Je ferais trop
d'honneur à mon sujet si je le traitais dans l'ordre, car je veux montrer
qu'il n'y est pas soumis " (457/373). Le sens de ces lignes est maintenant
assez clair d'après ce qui précède : tout comme l'Écriture, la pensée de
Pascal n'est pas marquée par un ordre rationnellement cohérent.
L'Apologie n'est pas structurée géométriquement, pas dans l'ordre de
l'esprit. Elle ne cherche pas à créer un système, les arguments ne
s'emboîtent pas de façon transparente, la vérité à prouver ne peut être
déduite de principes naturels. Il y a souvent un semblant d'ordre parmi les
fragments (même parmi ceux que Pascal a organisés en chapitres). Mais il
ne s'agit pas d'une confusion sans but, ni d'un désordre chaotique, ni d'une
succession aléatoire d'idées, mais d'un ordre véritable. L'ordre de
l'Apologie de Pascal est le même que celui de l'Écriture ou de saint
Augustin. De même que les digressions de l'Ecriture ne mènent qu'à une
seule fin, le désordre apparent de Pascal mène à l'objet ultime : Jésus-
Christ. C'est en lui que l'Apologie acquiert son sens et sa signification. En
résumé, nous pouvons donc dire que dans l'Apologie, Pascal a essayé
d'atteindre le même ordre que celui qui, selon son interprétation, est
caractéristique des textes sacrés, avec la différence que dans ce cas, cet
ordre sert des fins apologiques. Pascal s'y référait donc avec sa remarque
apparemment énigmatique selon laquelle la nouveauté de son œuvre ne
réside pas dans sa matière, c'est-à-dire non pas dans le contenu des idées
mises par écrit, mais dans l'ordre des idées et du discours (696/22).
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Puisque, selon Pascal, la vérité d'une chose dépend toujours de l'ordre dans
lequel on la regarde, l'Apologie repose sur une conception perspectiviste de
la vérité. Les vérités que l'on peut connaître dans une perspective donnée
sont partielles, mais la hiérarchie des perspectives les hiérarchise,
notamment par rapport à la vérité ultime. Cette structure de la vérité
comprise en perspective est à la base de nombreuses techniques
argumentatives de l'Apologie.
Une phrase d'un fragment du chapitre " Les fondements des causes "
fait référence à une telle technique d'argumentation : " le renversement
continuel du pour au contre " (127/328). Une des ambitions souvent
soulignées par Pascal dans la première partie de l'Apologie est de ne
laisser aucun répit au destinataire du discours. En termes
d'argumentation, cela signifie que quelle que soit la position du débatteur
sur les questions fondamentales de la vie, l'argument apologétique
cherche toujours à ébranler son opinion :
"S'il te loue, je l'humilierai. S'il s'humilie, je l'élèverai. Et je le contredis
tout le temps, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre
incompréhensible" (163/420). Ce procédé apparaît le plus clairement
dans les jugements sur la dignité et la grandeur de la nature humaine, les
valeurs morales, l'ordre social, le phénomène du divertissement, etc.
Qu'est-ce que cela signifie de transformer sans cesse des arguments en
leur contraire ? Pascal proclamerait-il, comme les sophistes, qu'il peut
argumenter pour et contre toute chose sur des bases purement
rhétoriques ? Si cette méthode est interprétée dans une perspective
fondée sur les ordres, le soupçon de sophisme est levé. Dans chaque
perspective, l'observateur se voit présenter la vérité, qui n'est qu'une
partie de la vérité totale. L'argument en faveur d'une chose est toujours
fondé sur la vérité de cette perspective, et le contre-argument sur la vérité
qui appartient toujours à la chose, mais qui n'est pas visible depuis cette
perspective et qui est contraire à sa vérité. Le fragment 579/9 résume
l'essence de cette méthode argumentative : "Quand nous voulons
répondre utilement en montrant à l'autre qu'il a tort, nous devons
observer de quel côté il regarde la chose. Car de ce côté-là, il a surtout
raison, et il faut admettre qu'il a raison, mais il faut aussi lui révéler le côté
d'où il se trompe. De cette façon, il sera satisfait, car il verra qu'il n'a pas
tort, mais qu'il n'a pas examiné la question sous tous ses angles." Le but de
transformer un argument en contre-argument est d'ébranler le calme et la
confiance de la personne à qui l'on s'adresse, et aussi de lui faire
comprendre qu'elle n'a fondé son opinion que sur une perspective
partielle, alors qu'il existe d'autres perspectives. En d'autres termes, il est
possible d'interpréter quelque chose à partir d'un autre ordre, plus élevé.
La conversion continue des arguments en contre-arguments est donc
basée sur un changement de perspective ou d'ordre dans le cours de
l'argumentation. Le fait que cela n'aboutisse pas à un sophisme est garanti
par la vérité la plus fondamentale (essentielle), qui est la base de
l'argumentation en permanence.
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les égarés. Il considère qu'il est plus important de montrer que le respect
habituel des privilégiés, le divertissement ou la prise de risque pour un
bien-être futur incertain, toutes formes d'action que les penseurs ont
tendance à rejeter parce qu'elles sont irrationnelles, sont des stratégies
d'action très raisonnables. Pour le reconnaître, il faut cependant se placer
dans la perspective de l'ordre en question, à partir de laquelle la rationalité
de ces actions devient apparente (134/324). Dans cet inter-ordre, Pascal
évite la confrontation rigide des prédicateurs avec les croyants : il préfère
faire preuve de compréhension pour leurs positions et montrer de leur
point de vue les lacunes du fondement de leurs opinions. Le changement
d'ordre dans l'argumentation se fait dans deux directions. D'une part, il y a
une "descente" vers un ordre inférieur, puis une "remontée" soudaine
vers un ordre supérieur. Il s'agit, d'une part, de montrer que la
perspective de l'ordre en question est incomplète et qu'il existe des ordres
supérieurs et, d'autre part, d'attirer l'attention sur le fait qu'il n'y a pas de
transition directe entre les ordres, mais qu'ils sont séparés par une
rupture.
Les deux méthodes ci-dessus, fondées sur la distinction des ordres, sont
mises en avant dans la première partie de l'Apologie, où l'argumentation
est principalement anthropologique. Dans la deuxième partie de
l'Apologie, où il s'agit de défendre la vérité de la religion, Pascal introduit
de nouvelles méthodes, toujours fondées sur la distinction des rangs. Ces
méthodes sont les principes du doublage et de la figuration.
Il a déjà été souligné dans le chapitre "Droit figuratif" que le principe
logique et herméneutique du dédoublement est étroitement lié à la méthode
figurative d'interprétation. L'essence du principe de doublement est de
révéler que plusieurs affirmations vraies contradictoires peuvent être
faites sur une chose donnée, mais que ces vérités sont incompatibles car
elles s'excluent mutuellement. Il existe en fait plusieurs perspectives
possibles, chacune d'entre elles révélant une vérité sur une chose donnée.
D'un point de vue supérieur, cependant, la véritable nature de la chose est
révélée, puisqu'il est démontré que la chose en question n'est pas simple
mais complexe. Puisqu'il est clair que les vérités opposées se réfèrent à
des domaines différents, elles peuvent facilement être réconciliées. Le
principe du dédoublement reflète donc également la différence de
perspectives et d'ordres. Pascal perfectionne cette méthode
argumentative et ce principe herméneutique en développant le principe
de figuration.
Les figures, comme nous l'avons déjà mentionné, sont des objets des
Écritures dont la signification va au-delà d'eux-mêmes. Il peut s'agir de
figures, d'événements, de prescriptions, de prophéties, etc. Dans leur
essence, les figures sont
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des symboles dont la fonction symbolique n'est pas évidente mais reste
cachée. En raison de cette dissimulation, ils peuvent être interprétés de
deux manières différentes : ils peuvent être considérés en eux-mêmes,
c'est-à-dire dans leur sens premier, littéral, et ils peuvent être compris
dans leur complexité, c'est-à-dire en tant que symboles. Pour
l'interprétation naturelle, elles ne sont valables que dans leur sens
premier, puisque rien n'indique que les figures sont des symboles.
Cependant, le texte ne peut être interprété à la lumière de leur sens
premier, car les figures cachées signifient que le texte de l'Écriture est plein
de digressions (contradictions, incohérences, incohérences) qui font
dérailler l'interprétation dans l'ordre de la raison. Les digressions
provoquées par les figures sont néanmoins des signes importants : elles
indiquent que nous avons bien affaire à une figure, c'est-à-dire à un
symbole à double sens. Si le texte est interprété depuis un ordre supérieur,
la nature symbolique et le double sens des figures sont révélés à la vision
de cet ordre. Cela permet de réconcilier les contradictions qui leur sont
associées, puisqu'il devient clair que certaines des déclarations
contradictoires les concernant se réfèrent aux aspects primaires (littéral,
concret) et d'autres aux aspects secondaires (symbolique, spirituel) de la
figure. L'interprétation de l'Écriture sur le modèle des figures fonctionne
donc de manière similaire à celle du principe de duplication dans le cas de
choses de nature complexe.
Selon Pascal, la cryptographie des Écritures est due au fait que les
figures sont indiscernables à la vision naturelle des objets qui, n'étant pas
des symboles, n'ont qu'un seul sens. Les figures sont en fait des
préfigurations de l'Ancien Testament dont le sens véritable apparaît dans le
Nouveau Testament : la loi mosaïque, les holocaustes, les prophéties de la
venue du Messie, etc. Cependant, la véritable signification des chiffres ne
se révèle pas naturellement, même dans le Nouveau Testament. La
signification secrète et spirituelle des chiffres a été révélée par Jésus-
Christ lui-même. Il a expliqué que l'essence de la loi mosaïque n'est pas
l'observation méticuleuse de milliers de règles, mais l'action de l'amour,
que la pureté du sacrifice ne dépend pas de la pureté des animaux
sacrifiés, mais de la pureté du cœur, etc. Les contradictions de l'Ancien
Testament sont réconciliées en Jésus-Christ par la révélation des chiffres.
Puisque, selon Pascal, le vrai sens d'un texte est celui dans lequel toutes les
contradictions du texte trouvent un accord harmonieux, Jésus-Christ doit
être pris comme le vrai sens de l'Écriture : " Le vrai sens n'est pas celui des
Juifs, mais en Jésus-Christ toutes les contradictions trouvent un accord
harmonieux " (289/684).
Ainsi, Jésus-Christ a une double relation avec le sens de l'Écriture : il
est le sens ultime de l'Écriture, et il est la clé du texte de l'Écriture. Cette
double relation montre que, dans l'interprétation de Pascal, l'Écriture
comprise comme un texte chiffré n'est pas comparable à tout autre texte
codé. Pour comprendre le texte de l'Écriture, il faut connaître la clé ; pour
comprendre le texte de l'Écriture, il faut connaître la clé.
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deket. Ce n'est qu'après la mort, dans l'état de salut, que l'homme accède à
l'état de gloire.
L'ordre le plus élevé dont dispose l'homme, selon Pascal, est l'ordre du
cœur, et c'est donc cet ordre qui est au cœur de l'Apologie. C'est à partir de
cet ordre que l'Apologie est écrite, et c'est le but ultime de toute
argumentation apologétique. Cet ordre garantit que l'argumentation ne
perd pas de vue le fossé infranchissable entre les vérités naturelles et les
vérités de foi, ni la vérité ultime vers laquelle l'argumentation apologétique
est dirigée. C'est donc cet ordre que nous devons finalement examiner en
précisant ce que Pascal entend par le concept de cœur.
Dans son sens premier, le cœur désigne une faculté spirituelle. Les
facultés spirituelles sont les différentes facultés de l'âme, telles que, selon
Descartes, l'intellect, la volonté, l'imagination, la sensualité. L'âme agit par
l'intellect, par la volonté elle s'influence elle-même et influence le corps,
par l'imagination elle se présente des images à elle-même, et par les sens
elle est influencée par le monde extérieur. Chez Descartes, cependant, le
cœur n'est pas inclus parmi les facultés spirituelles. Ce statut lui est
attribué par Pascal dans ses Réflexions, et il est doté d'une fonction très
variée. Le cœur est principalement associé aux émotions, aux sentiments
et aux affections. Sa caractéristique la plus importante est sa capacité à
ressentir et à aimer (sentiment) : l'âme ressent et aime à travers le cœur.
En plus des sentiments, le cœur joue un double rôle dans la psychologie
pascalienne : un rôle cognitif d'une part et un rôle éthique d'autre part.
Ces deux rôles doivent d'abord être compris de manière isolée, afin que
leur unité puisse ensuite devenir claire en ce qui concerne la distinction
des ordres et l'Apologie dans son ensemble.
Dans la dix-huitième épître aux Terres, Pascal distingue trois sortes de
certitude (certitude) : la certitude de la perception, la certitude de la raison
et la certitude de la foi :
"Les deux premières certitudes appartiennent au domaine de la
connaissance naturelle : la certitude des sens est fournie par l'expérience
des sens, et celle de la raison par des déductions, c'est-à-dire par des
preuves systématiques. La certitude de la foi, par contre, est la propriété
de la connaissance surnaturelle : elle ne peut être produite que par le
pouvoir révélateur de la grâce. La pensée conserve la séparation de ces
domaines, mais la description du processus de cognition devient plus
nuancée. La pensée géométrique avait déjà ouvert la voie, dans la mesure
où elle attribuait la connaissance évidente des principes (axiomes) de
l'ordre de la géométrie à la nature plutôt qu'à la raison. Dans les pensées, le
concept de nature a été remplacé par le concept de cœur. A
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142/282 "Nous connaissons la vérité non seulement avec notre esprit, mais
aussi avec notre cœur. C'est de cette dernière manière que nous arrivons à
connaître les premiers principes [...] Le cœur sent que l'espace a trois
dimensions et que l'espace des nombres est infini." Les principes sont
donc connus non pas par l'intuition de l'intellect, mais par le sentiment du
cœur. Ainsi, le sentiment du cœur a une fonction cognitive chez Pascal. Le
même fragment souligne également que l'homme est créé par nature pour
tout connaître de cette manière directe.
" Il a plu à Dieu que nous sachions tout [...] par instinct et par sentiment.
Mais la nature nous a privés de ce don, et nous a donné très peu de
connaissances de ce genre." Au début, l'homme avait la connaissance de la
vérité par le sentiment du cœur, mais la chute de l'homme a limité la
connaissance qui peut être acquise directement par le sentiment du cœur.
Par conséquent, le nombre de principes qui peuvent être directement
connus par le sentiment du cœur est fini. La corruption s'étend donc à la
cognition, et établit une distinction entre la connaissance naturelle et la
connaissance surnaturelle. Selon Pascal, Dieu n'est pas connaissable par la
raison parce que sa connaissance doit être fondée non pas sur une
certitude indirecte par déduction mais sur une certitude directe par le
sentiment du cœur (voir 222/543), c'est-à-dire que nous ne pouvons
connaître Dieu avec certitude que si nous le connaissons par des principes
et non par des vérités déduites. Ce n'est que par la grâce que le cœur peut
sortir du cercle de corruption qui limite sa connaissance immédiate, et qui
lui donne un sens nouveau : le sens de Dieu. Comme en témoigne le
Mémorial, la conversion s'accompagne d'un sentiment d'évidence de
l'existence de Dieu : "Certitude, certitude, sentiment, joie, paix" (Í, 21). La
certitude fondée sur un nouveau sentiment du cœur est la pseudo-
puissance de la foi : "Dieu est ressenti par le cœur, non par l'intellect. C'est
la foi et rien d'autre : Dieu est ressenti par le cœur et non par l'intellect "
(680/278). Ce principe surnaturel, inaccessible aux sens naturels du
cœur, est le centre de toute vérité et le principe régulateur de l'ordre du
cœur. Grâce à sa perspicacité, les contradictions sont résolues, les
incohérences sont organisées en un tout cohérent, et les phénomènes
apparemment désordonnés sont mis en ordre. En termes cognitifs, l'ordre
du cœur est donc pleinement analogue à l'ordre géométrique de l'esprit,
puisque cet ordre est également fondé sur le principe ressenti par le cœur
et l'utilisation cohérente de la raison.
L'autre fonction du cœur est l'éthique, qui est étroitement liée au
fonctionnement de la volonté. Nous avons vu que dans les Lettres de la
campagne et dans ses écrits sur la grâce, Pascal attache une grande
importance au problème de la volonté. Dans les Gondolae, outre la
connaissance des principes, le fonctionnement de la volonté peut être
ramené au cœur, à travers le concept de désir. Puisque le cœur devient la
source du sentiment dans les Réflexions, c'est du cœur que peuvent provenir les
différents désirs et la volonté. Les désirs, en dominant la volonté, entraînent
la corruption de la nature humaine et servent de base à la différenciation
des ordres en fonction des valeurs. Dans les ordres naturels, le désir de base
domine : soit
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La nouveauté des Pensées n'est pas dans le contenu des pensées, mais
dans l'ordre de celles-ci, dit Pascal. L'ordre thématique conservé par les
deux copies, et l'ordre argumentatif développé par Pascal, ont montré la
nouveauté de cette œuvre. La distinction entre ces trois ordres est
nécessaire parce qu'ils mettent en évidence la différence radicale entre les
vérités naturelles de la raison et les vérités surnaturelles de la foi. Les
méthodes argumentatives qui se fondent sur la distinction des ordres sont
par nature attentives à cette différence. En appliquant des méthodes
argumentatives fondées sur les trois ordres, une rationalité unifiée émerge
des Réflexions, qui sont constituées de plusieurs ordres rationnels
intrinsèquement cohérents, mais reliés de manière hétérogène. Ces ordres
sont fragmentés les uns par rapport aux autres, mais vus d'une perspective
donnée, ils sont parfaitement cohérents. Le centre de l'Apologie de Pascal
est le point à partir duquel cette perspective se déploie. Toute
argumentation part de ce point, s'organise à partir de ce point, et c'est son
objectif final. L'ordre qui constitue la nouveauté et l'originalité des
Réflexions ne se révèle également que depuis ce centre. Cet ordre est à la
fois l'ordre du cœur lui-même et l'ordre unifié et hiérarchique des trois
ordres hétérogènes.
301
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CONCLUSION
303
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304
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NOTES
1
L'utilisation de l'expression "science naturelle" doit être expliquée
pour deux raisons. D'une part, parce que le terme n'existait pas au XVIIe
siècle et n'est apparu que deux siècles plus tard, et d'autre part, parce que
je l'utilise comme un terme fourre-tout pour les mathématiques et la
physique, alors que les mathématiques ne sont pas une science naturelle.
Néanmoins, il est nécessaire de l'utiliser car, chez Pascal, les
mathématiques et la physique doivent être séparées de la théologie. Le
terme "science" ne convient pas en soi à cette fin, même si la théologie est
aussi une science. Mais en même temps, Pascal comprend aussi les
mathématiques comme une science de l'étude de la nature, grâce au sens
très large dans lequel Pascal utilise le terme nature. Pour lui, les concepts
fondamentaux de la géométrie (nombre, espace, temps, mouvement) font
partie de la nature (voir l'analyse de ce point dans l'article sur la pensée
géométrique).
2
Pascal : Réflexions, Budapest, Gondolat, 1978, trans. László Pődör.
3
Pascal : Lettres de la campagne, Budapest, Palatinus, 2002, trans. Dr. Péter Rácz.
4
Pascal : Écrits sur la passion amoureuse, la pensée géométrique et la grâce,
Budapest, Osiris, 1999, trans. Osiris, traduit par Andrea Tímár, Tamás
Pavlovits.
5
Pascal : Une comparaison entre les premiers chrétiens et les chrétiens
d'aujourd'hui, Felsőörs, Aeternitas, 2005, trans. Tamás Csabai, János
Reizinger, Eni- stone Bede-Fazekas.
6
Jacques Attali : Blaise Pascal ou l'esprit français, Budapest, Europa,
2003, trans. Zoltán Vargyas, Zsuzsanna N. Kiss.
7
Leszek Kolakowski : Dieu ne nous doit rien, Budapest, Europa, 2000,
trans. Endre Liska.
8
Pavlovits Tamás : Le rationalisme de Pascal, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2007.
9
Pascal : CEuvres complètes, Paris, Desclée de Brouwer, 4 volumes :
1964, 1970, 1991, 1997, éd. J. Mesnard.
10
Montaigne : De l'éducation des enfants, Dans les Essais, I, Pécs,
Jelenkor, 1999, dans l'ordre : 197, 200, 217.
11
Ibid., 196.
12
Ibid. 197-198.
13
Jean Mesnard : Pascal, Paris, Hatier, 1967, 17.
14
La traduction a été légèrement modifiée.
15
Titre complet : Brouillon projet d'une atteinte aux événements des
rencontres du cône avec un plan. Edition moderne de Desargues : L'oeuvre
mathé- matique, Paris, PUF, 1951, éd. R. Taton.
305
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16
A. Baillet : Vie de Monsieur Descartes, Paris, La Table Ronde, 1946, 144-145.
17
Voir la lettre de Leibniz à Étienne Périer, neveu de Pascal, datée du 30
août 1676, Paris.
18
Jacqueline a demandé la clémence de son père dans une épigramme
qu'elle a écrite elle-même.
19
Voir à ce sujet P. Rossi, The Philosophers and the Machines, Budapest, Kossuth,
1975.
20 L'
Augustine de C. Jansen a été publiée pour la première fois à Louvain
en 1640, mais un an plus tard, elle était également publiée à Paris.
21 L
'ouvrage a été publié en trois volumes en 1637, 1641 et 1645.
22
Sur ce point, voir Henri Gouhier : Pascal et les humanistes chrétiens,
l'affaire Saint-Ange, Paris, Vrin, 1974.
23 Pour
en savoir plus sur cette question, voir Dániel Schmal, Natural Law
and Providence, A Physical-Theological Debate in the Early Enlightenment,
Budapest, L'Harmattan, 2006.
24
Le terme "divertissement" est une référence évidente aux fragments
de Reflections on Entertainment.
25
Voir Baillet, op. cit., 242.
26
Lettre à Carcavy, 17 août 1649.
27 Pour
plus de détails sur ce débat, voir M, II, 655-658.
28
Selon une anecdote d'une authenticité douteuse, alors que Pascal
traversait le pont de la Seine à Neuilly, les chevaux de son attelage ont failli.
Les deux chevaux de tête sont tombés dans l'eau, mais la voiture s'est
accrochée au bord du pont et Pascal s'en est sorti sans aucune blessure.
Selon les archives de Clermont, cet incident a conduit Pascal à renoncer à
sa vie sociale. Cependant, le texte ne fait pas le lien entre l'accident et la
conversion, et ne précise pas à quel moment de la vie de Pascal l'accident
s'est produit.
29 Pour les
photocopies des textes originaux, voir Í, 22-23.
30
Cf. Exode 3, 1-6.
31
Cum occasione bulla, 1653.
32 Dans les
deux cas, il s'agit de la possibilité d'observer les commandements
religieux.
33
Pour cette raison, ces écrits sont traditionnellement publiés avec les
Lettres rurales. Malheureusement, l'édition hongroise (ni l'originale ni la
version rééditée) ne suit pas cette coutume.
34
Ce passage ne figure pas dans la version du texte sur laquelle se base
la traduction hongroise : M, I, 584.
35
Filleau de la Chaise : Discours sur les Pensées de M. Pascal, Paris,
Édition Bossard, 1922.
36
Id. à 31.
37
Étienne Périer : Préface de l'édition de Port-Royal, In : Pascal : CEuvres
complètes, Paris, Seuil/L'Intégrale, 1963, éd. Louis Lafuma, 495.
38
Sur les problèmes de publication du texte, voir la sous-section VII.1.
306
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39
La traduction a été légèrement modifiée.
40
Le nom mathématique moderne du passage de roue est cyclois, mais
au 17e siècle, l'usage du mot était encore en évolution. Pascal a surtout
utilisé le terme français (roulette) plutôt que le latin (cycloïde). Par
conséquent, nous utilisons la traduction plus expressive de l'arrondi.
41
Michel Serres : Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques,
Paris, PUF, 1982, 665. Le même point de vue est exprimé par Pierre
Magnard : Nature et histoire dans l'apologétique de Pascal, Besançon,
Jacques et Demontrond, 1972, Dominique Descotes : L'argumentation chez
Pascal, Paris, PUF, 1993, et Jean Mesnard dans son ouvrage d'introduction
aux œuvres de Pascal.
42
Alexandre Koyré, "Pascal savant", in Études d'histoire de la pensée
scientifique, Paris, Gallimard, 1973, 334-362.
43
Voir L. Brunschvicg : Blaise Pascal, Paris, Vrin, 1953.
44
Règles pour la conduite de la raison, Règle IV, In : Descartes : Œuvres
choisies, Budapest, Akadémiai Kiadó, 1980., 104, trans. Académie des
sciences, Budapest, éd. et trans. par Samu Szemere.
45
Une étude sur la réforme de la raison, dans Spinoza : œuvres de
jeunesse, Buda- pest, Academic Publishers, 1981, 99-137.
46
Leibniz : Dissertatio de arte combinatoria (1666). Voir à ce sujet
Couturat : La logique de Leibniz, Paris, Félix Alcan, 1901. et Gábor Boros :
La philosophie de la pratique de Leibniz, Gödöllő, Attraktor, 2009., 20-24.
47 Dans
la traduction hongroise, au lieu de "pensée sophistiquée", nous
trouvons "pensée intuitive" comme explication de "esprit de finesse", ce qui
est très trompeur. D'autant plus que Descartes utilise l'intuition comme
un terme important, que Pascal évite délibérément d'utiliser dans ses
œuvres. Sur ce point, voir notre analyse de la Pensée Géométrique dans la
sous-section VII.2.
48 Une
version unique mais plus illustrative de ce cas est celle où le plan
est également parallèle à l'axe du cône.
49
Voir Koyré : "Bonaventura Cavalieri et la géométrie des continus", In :
Id. à 334.
50
Cf. la lettre de Mersenne à Théodore Haak, 18 novembre 1640 (M, II,
239).
51 Pour
plus de détails à ce sujet, voir J-L. Gardies, Pascal entre Eudoxe et
Cantor, Paris, Vrin, 1984, 57 skk.
52
Voir M. Serres, op. cit. 665-667 ; P. Magnard, op. cit. 77-95.
53
Les œuvres mathématiques de Desargues, Paris, PUF, 1951, 99, éd. R.
Ta- ton.
54
Selon Koyré, cette critique était fondée sur une incompréhension
fondamentale de Cavalieri. Voir Koyré : "Bonaventura Cavalieri et la
géométrie des continus", in : op. cit., 334.
55
Cette opinion est partagée par J. Mesnard et D. Descotes. Cependant,
László Vekerdi a une interprétation différente dans son article
"Infinitesimal methods in Pascal's mathematics", In.
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89
Actes 2, 14-36 ; 3, 11-26 et 7, 1-53.
90
Voir Les apologistes grecs du deuxième siècle, Budapest, Szent István
Társulat, 1984, éd. László Vanyó.
91
Voir par exemple l'Apologie d'Aristide, ibid. 15.
92
Voir Saint Anselme : Œuvres philosophiques et théologiques, I,
Budapest, Osiris, 2001, 175-177.
93
Voir plus en détail Pavlovits Tamás : "Pascal et Montaigne : deux
apologistes modernes", In : French Philosophy in the Seventeenth Century,
Berlin, Weidler, 2002, ed. Ziad Elmarsafy, 161-183.
94
Montaigne : Essais, Pécs, Jelenkor, 2001, Volume I, 127-340.
95
Voir plus en détail Pavlovits, Tamás : " La place du scepticisme dans la
pensée de Montaigne et de Descartes ", in Világosság, XLIX évf. 2008/11-12,
59-73. Dans Descartes, Kant, Husserl, Heidegger, Budapest, Atlantisz, 2002, éd.
par Dániel Schmal, 259-271. 97 Descartes, Elmélkedések az ersten
philozófiáról, Budapest, Atlantisz, 1994...,
7-13.
98
Malheureusement, je dois corriger ma traduction de ce passage des
Écritures. Le texte hongrois dit : "Je n'ai choisi cette science comme moyen
de parvenir à cette autre méthode que parce que cette science seule
connaît les vraies règles du raisonnement" (Í, 39). Cette traduction
implique que la science et la méthode de la géométrie sont un moyen de
parvenir à la méthode dite parfaite, alors que, comme nous l'avons vu,
c'est l'inverse qui est vrai : comprendre l'idée de la méthode parfaite nous
aide à comprendre la méthode géométrique. A cet endroit, le texte original
est fragmentaire, et la reconstruction de Lafuma (Pascal : CEuvres complètes,
Paris, Seuil, 1963, 349), dont la traduction est tirée, est très trompeuse.
Mesnard, cependant, indique le caractère fragmentaire du texte (M, III,
391) et n'empêche donc pas un contresens similaire, qui est également
impliqué par le sens interne du texte. De même, je dois corriger
l'interprétation de ce passage en question dans ma postface au volume
(voir Í, 290).
99
Malheureusement, je dois ici aussi corriger une erreur de traduction.
A deux endroits, pour des raisons stylistiques, j'ai traduit l'expression
lumière naturelle par 'lumière naturelle de la raison', alors que dans le
texte le terme raison n'est pas utilisé avec cette conjonction (voir Í, 47).
100
Bien que la théorie pascalienne de la cognition ne soit pas
suffisamment développée à cet égard, il n'est pas impossible de faire
remonter le sentiment du cœur à une cognition d'origine corporelle
rendue possible par une compréhension spécifiquement pascalienne de la
relation entre le corps et l'âme. Sur ce point, voir Tamás Pavlovits, "Corps
et connaissance chez Pascal", dans Les significations du "corps" dans la
philosophie classique, éd. Chantal Jaquet et Tamás Pavlovits, Paris,
L'Harmattan, 2004, 107-125.
101
Voir le chapitre Mathématiques II.5. L'arc de cercle et le calcul infinitésimal.
sous-chapitre.
310
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102
Sur ce point, voir en détail l'Introduction philologique aux Petits
Écrits de Pascal : Í, 12-13, et aussi P. Courcelle : L'Entretien de Pascal et de
Saci. Ses sources et ses énigmes, Paris, Vrin, 1960.
103 Il
est important de le souligner car certains intellectuels
contemporains ont repris l'opinion, défendue par Victor Cousin à la fin du
XIXe siècle, selon laquelle Pascal est essentiellement un penseur
sceptique. Voir Antony McKenna, De Pascal à Voltaire. Le rôle des Pensées
de Pascal dans l'histoire des idées entre 1670 et 1734, Oxford, The Voltaire
Fondation, 1990. 104 Voir Lafuma : Histoire des Pensées de Pascal, Paris,
Éditions du Luxembourg.
bourg, 1954.
105
Avant-propos de l'édition de Port-Royal. Dans Pascal : CEuvres
complètes, Paris, Seuil, 1963, éd. L. Lafuma, 498.
106
Dans l'édition de Port-Royal, ce sont I. Contre l'athéisme des athées,
II. Les marques de la vraie religion, III. La preuve de la vraie religion par
les contradictions de l'homme et le péché originel, IV. Il n'est pas
inconcevable que Dieu soit uni à nous, V. L'inclinaison de la raison, VI. La
foi sans la raison, VII. Il vaut mieux croire que de ne pas croire ce que la
vraie religion prouve, VIII. L'exemple d'un homme qui, par sa raison seule,
s'ennuie à chercher Dieu, et qui commence à lire les Écritures, IX.
L'injustice et la dépravation de l'homme, X. Hébreux, XI. Figures, XIII. Sur
le sens figuré de la loi, XIV. Sur le fait que les vrais chrétiens et les vrais
juifs ont la même religion, XX. La grandeur de l'homme, XXIV. la fidélité de
l'homme, XXV. la faiblesse de l'homme, XXVI. la misère de l'homme, XXVII.
réflexions sur les miracles, XXVIII. réflexions morales, XXIX. réflexions
morales, XXX. lettre de M. Pascal à M. et Mme Périer à l'occasion de la mort
de son père, XXXI. réflexions diverses,
XXXII Prière à Dieu pour le bon usage de la maladie.
107
Pascal : Réflexions, Budapest, Gondolat, 1978, trans. László Pődör.
Puisque l'édition hongroise (pour des raisons peu claires) omet les titres
des sections qui servent à les indiquer thématiquement, il est utile de les
énumérer : I. Réflexions sur l'esprit et le style, II. La misère de l'homme
sans Is- ten, III. La nécessité de la réception, IV. L'origine de la vérité et des
effets, VI. Les philosophes, VII,
VIII. les fondements de la religion chrétienne, IX. la continuité, X. les
figurations, XI. les prophéties, XII. les preuves de Jésus-Christ, XIII. les
miracles, XIV. les témoignages.
311
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108
CEuvres de Blaise Pascal, Paris, Hachette, 1904, éd. Léon Brunchvicg,
14 volumes.
109
Pascal : Pensées sur la vérité de la religion chrétienne, Paris, Lecoffre,
1925., éd. Jacques Chevalier.
110
Filleau de la Chaise : Discours dur les Pensées de M. Pascal, Paris, Bossard,
1922.
111
Blaise Pascal : Pensées sur la Religion et sur quelques autres sujets,
Paris, Éditions du Luxembourg, 1951, éd. Louis Lafuma, 3 volumes ; Pascal :
CEuvres complètes, Paris, Seuil, L'Intégral, 1963, éd. Louis Lafuma.
112 Il e s t
donc difficile d'expliquer pourquoi László Pődör a utilisé l'édition
Brunschvicg de 1904 comme base pour la première traduction moderne
complète.La traduction de László Pődör a été publiée en 1978, presque 30
ans après la découverte de Lafuma ! Il est difficile d'y voir une décision
consciente, car dans la postface de cette édition, Zádor Tordai écrit : "
L'ordre original des textes, la succession de l'écriture, a été perdu - il ne
peut être restauré " (ibid., 392). Cependant, dans les années 1960, l'édition
Lafuma n'était pas inconnue en Hongrie, puisque certains historiens des
sciences hongrois s'y réfèrent dans leurs études (voir l'étude de László
Vekerdi citée plus haut).
113
Pascal : CEuvres complètes, Paris, Gallimard, 1998, Bibliothèques de
la Pléiade, éd. Michel Le Guern ; Pascal : Pensées, Paris, Gallimard, 1977,
éd. Michel Le Guern.
114
Pascal : Pensées, Paris, Mercure de France, 1976, éd. Philippe Sellier ;
Pascal : Pensées, Paris, Classiques Garnier, 1999, éd. Philippe Sellier.
115
Les Pensées de Pascal, sous la direction de Françis Kaplan, Paris, Cerf, 1982.
116
Pascal : Discours sur la religion et sur quelques autres sujets, Paris, Fa-
yard, A. Collin, 1992, éd. Emmanuel Martineau.
117
Je donne également ci-dessous les numéros Brunschvicg des
fragments correspondants pour chaque liasse, qui peuvent ainsi être
retrouvés dans l'édition hongroise. Les numéros de chapitre sont 596,
227, 244, 184, 247, 60, 248, 602, 291, 167,
246, 187.
118
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 133, 338, 410,
161, 113, 955, 318, 292, 381, 367, 67, 127, 308, 330, 354, 436, 156, 320, 149,
317, 374, 376, 117, 164, 158, 71, 141, 134, 69, 207, 136, 82, 163, 172, 366,
132, 305, 293, 388.
119
Il existe plusieurs versions du célèbre fragment faisant référence au
nez de Cléopâtre dispersées dans les Gon- dolates. L'emplacement final le
plus probable est le chapitre sur la "foi".
120
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 429, 112, 111,
181, 379, 332, 296, 294, 309, 177, 151, 295, 115, 326, 879, 205, 174, 165,
405, 66, 110, 454, 389, (73). Le dernier fragment, 111/73, Pascal a finalement
supprimé de ce chapitre.
121
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 152, 126, 128.
312
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122
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 317, 299, 271,
79, 878, 297, 307, 302, 315, 337, 336, 335, 328, 313, 316, 329, 334, 80, 536,
467, 324, 759, 298, 322.
123 C f .
: " Ayant trouvé la cause immédiate de tout notre malheur, j'ai
voulu, en réfléchissant, en découvrir la base plus profonde " (168/139).
124
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 342, 403, 343,
339, 392, 282, 339, 344, 348, 397, 349, 398, 409, 402.
125
Les fragments de ce chapitre portent les numéros Brunschvicg : 423, 148, 418,
416, 157, 125, 92, 93, 415, 396, 116, 420, 434.
126
Les fragments de ce chapitre sont des numéros Brunschvicg : 170, 168, 169,
469, 139, 142, 166, 143.
127
Les fragments de ce chapitre portent les numéros Brunschvicg : 466, 509, 463,
464, 360, 461, 350.
128
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 361, 425.
129 Il
n'y a qu'un seul fragment dans ce chapitre, le numéro 182/430.
130
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 226, 211, 213,
238, 237, 281, 190, 225, 236, 204, 257, 221, 189, 200, 218, 210, 183.
131
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 269, 224, 812,
268, 696, 185, 273, 270, 563, 261, 384, 747, 256, 838, 255, 272, 253, 811,
265, 947, 254, 267.
132
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 547, 543, 549,
527.
133
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 98, 208, 37, 86,
163b, 693, 72, 347, 206, 517.
134
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 595, 592, 489,
235, 597, 435, 599, 451, 453, 528, 551, 491, 433, 493, 650, 598, 251, 468.
135
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 774, 747.
136
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 570, 816, 789,
523, 223, 751, 444, 430b, 511, 566, 796, 581, 771, 578, 795, 645, 510, 705,
765, 585, 601, 228.
137
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 647, 657, 674,
653, 681, 667, 900, 648, 679, 649, 758, 662, 684, 728, 685, 678, 757, 762,
686, 746, 677, 719, 680, 683, 692, 670, 545, 687, 745, 642, 643, 691.
138
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 635, 446.
139
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 690, 614, 613,
616, 655, 605, 867, 609, 607, 689, 608.
140
Voir à ce sujet la dixième Lettre rurale.
141
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 626, 587, 624,
204, 703, 629, 625, 702.
142
Voir à ce sujet Sellier 741 et les fragments de Lafuma II (Pensées
inédites) (pas dans l'édition hongroise).
143
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 283, 742, 786,
772, 809, 799, 743, 638, 763, 764, 793, 797, 801, 640, 697, 569, 639, 752,
800, 701, 755, 699, 178, 600, 802.
313
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144
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 773, 730, 733,
694, 770, 732, 734, 725, 748, 710, 708, 716, 706, 709, 753, 724, 738, 720,
723, 637, 695, 756, 727, 729, 735, 718,
145
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 652, 623.
146
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 537, 526, 529,
524, 767, 539, 541, 538, 481, 482, 209, 472, 914, 249, 496, 747, 672, 474,
611, 480, 473, 483, 476, 475, 503, 484.
147
Les fragments de ce chapitre sont les numéros Brunschvicg 280, 470, 825,
284, 286, 287.
148
Voir en détail Tetsuya Shiokawa : Pascal et les miracles, Paris, Nizet,
1977.
149
Dans l'édition de Sellier, ce texte se trouve dans un seul fragment
(690) et forme un argument cohérent. L'édition Lafuma le décompose en
13 fragments, mais ceux-ci sont numérotés consécutivement et peuvent
donc être lus comme un argument cohérent. L'édition Brunschvicg divise
également le texte en 13 fragments, mais ceux-ci apparaissent dans des
parties très différentes de l'édition : 848, 565, 559b, 201, 560b, 863, 557,
558, 586, 769, 559, 556, 494.
150
Voir, par exemple, Jeff Jordan : Pascal's Wager. Pragmatic Arguments
and Belief in God, Oxford, Clarendon Press, 2006.
151
G. Cantor voit dans tout cela non pas un passage logique du concept
de l'infini potentiel au concept de l'infini actuel, mais une compréhension
de l'infini transfini. Cf. G. Cantor, "Infinity in mathematics and philosophy",
Philosophical Observer, 4, 1988/4, 56-87 ; également J-L. Gardies, Pascal
entre Eudoxe et Cantor, Paris, Vrin, 1984.
152
Cf. Descartes, Réflexions sur la première philosophie, troisième traité.
153 La
raison pour laquelle Pascal ne considère pas que les chances sont
égales s'explique peut-être par le principe théologique janséniste selon
lequel le salut de l'homme dépend de la seule grâce de Dieu. En d'autres
termes, il n'est pas impossible qu'une personne puisse parier sur Dieu et
ne pas être sauvée pour autant. Par conséquent, les chances de gagner et
de perdre ne peuvent être égales, puisqu'il est impossible de parier contre
Dieu et d'être pourtant sauvé.
154
Étienne Gilson : "Le sens du terme "abe^tir" chez Blaise Pascal", In :
Revue d'Histoire et de Philosophie religieuse, 1921, n° 4, juillet-août, 338-344.
155
Voir en détail le sous-chapitre V.3. Le problème de la volonté dans la
doctrine de la grâce.
156
Voir à ce sujet l'excellente analyse de J-L. Marion, Le prisme méta-
physique de Descartes, Paris, PUF, 1984, 325-343.
157 L '
importance de la vision dans la relation entre les ordres a été
soulignée pour la première fois par J-L. Marion dans son analyse des trois
ordres. Voir J-L. Marion, op. cit. 334.
314
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158
Cette analogie entre les ordres et les cônes a été mise en évidence par
Pierre Magnard dans l'ouvrage cité plus haut.
159
Sur ce point, voir la sous-section II.2. Tranches de cône et géométrie
projective en mathématiques.
160
Voir aussi la seizième Lettre rurale (XVI, 291-292).
315
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316
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APERÇU BIBLIOGRAPHIE
3. SCIENCE
317
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4. THÉOLOGIE
5. EXCUSES ET RÉFLEXIONS
318
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319
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CONTACT
Pour les textes qui n'ont pas encore été publiés en hongrois dans les
Je me réfère à l'édition critique de J. Mesnard. Quatre volumes ont été
publiés jusqu'à présent. J. Mesnard. Cette édition est citée dans la
référence à l'édition.
"M", avec le numéro du volume en chiffres romains et le numéro de la
page en chiffres arabes.
Je fais référence aux textes publiés dans Pascal : Ecrits sur la passion
amoureuse, la pensée géométrique et la grâce (Budapest, Osiris, 1999, traduit
par Andrea Tímár, Tamás Pavlovits) avec le signe "Í" et le numéro de page.
Les détails de la biographie de Gilbert Pascal sur son frère sont cités
dans l'édition de Tamás Csabai de Pascal : Comparaison des premiers
chrétiens avec les chrétiens d'aujourd'hui (Felsőőrs, Aeternitas, 2005, trans.
Beda-Fazekas Enikő, Csabai Tamás, Reizinger János) avec le signe "KK" et
le numéro de page.
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320
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DONNÉES BIOGRAPHIQUES
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322
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CONTENU
Introduction 7
I. Section
LIVE
I. VIE DE PASCAL 13
1. Enfance (1623-1631) 14
2. Éducation (1631-1638) 15
3. Jeunesse, Paris (1638-1640) 19
4. Jeunesse, Rouen (1640-1647) 22
5. Période séculaire I (1647-1651) 30
6. Période séculaire II (1651-1654) 37
7. La seconde conversion et le Mémorial (1654) 43
8. Avant les lettres de campagne (1655) 51
9. La période des lettres de campagne (1656-1657) 53
10. L'âge de la pensée (1658-1659) 60
11. Les dernières années (1660-1662) 66
II. Section
SCIENCES NATURELLES
II. MATHÉMATIQUES 75
1. Méthode et procédés 78
2. Les tranches de cône et la géométrie projective 83
3. Partage des jeux et calcul des probabilités 88
4. Le triangle arithmétique 95
5. L'arc de cercle et le calcul infinitésimal 99
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III. Section
TEOLOGIE
IV. Section
APOLOGIE
CONCLUSION 303
Notes 305