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Pierre MALONGO NKODI-ANKUTU

L’orphelin africain
Introduction à la psychologie de l’enfant
placé en institution

Préface de Masiala ma Solo


Du même auteur

(1) Orientation scolaire. Mythe ou réalité, C.R.P.A., Coll. Études et


Recherches, Kinshasa, 1985.
(2) Dossier « Affaire Libanga na Miguel » ou le problème des Étudiants
africains travailleurs en Europe, en collaboration avec Lumana
Matololo, H. Dinzenza di Mananga et M. Kimpunda Bakonda, C.R.P.,
Kinshasa, 1987.
(3) Guide pour l’initiation aux méthodes d’études à l’enseignement
supérieur et universitaire, en collaboration avec O. Bikayi, J. Hoornaert
et A. Miezi, E.S.U/ S.P.U., Kinshasa, 1988.
(4) Université Kongo. Genèse et Orientations, en collaboration avec J.
Nsonsa Vinda, P.U.K., Mbanza-Ngungu, 2010.

© L’Harmattan, 2021
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
EAN Epub : 978-2-336-93632-1
« Pour un enfant, un placement, même excellent, est toujours un
déplacement, souvent un arrachement »
(Fr. Schlemmer)
À mon épouse Zomba-Mbaki Marie
Préface

Le professeur Malongo Nkodi-Ankutu Pierre a entrepris une recherche


sur l’enfant orphelin entre 1973 et 2000. Aujourd’hui, ces travaux menés
respectivement au Centre de Formation Professionnelle Mama Mobutu
(CFPMM) dans la province de la Tshopo (ex-province orientale), à
l’Orphelinat de Yambuku dans la province de l’Équateur, à l’Établissement
de Garde et d’Éducation de l’État (EGEE) de Mbenseke-Futi dans la ville-
province de Kinshasa sont publiés sous le titre de L’Orphelin africain placé
en institution.
F. Schlemmer a publié, voici quelques années, un livre qui décrit le même
drame chez les enfants européens, particulièrement genevois, en Suisse.
Notons que les deux chercheurs sont protestants. Schlemmer est de l’Église
protestante de Genève en Suisse, ville du réformateur Jean Calvin. Malongo
est, lui, de la Communauté baptiste du Congo, Église protestante en
République Démocratique du Congo. Voilà donc deux humanistes chrétiens
intéressés et préoccupés par le sort de l’enfant et surtout de celui en
situation difficile, à savoir : être orphelin et placé en institution, et être élevé
par des fonctionnaires de l’État.
L’ouvrage de Malongo est difficile à situer, car il a été conçu bien avant
la convention relative aux Droits de l’Enfant, bien avant la promulgation de
l’ordonnance Loi n° 09/001 (du 10 janvier 2009) portant sur la protection
de l’enfant. Mais dans sa genèse et sa conception, ce livre préfigure deux
lois congolaises, à savoir le décret royal de juillet 1950 ainsi que
l’ordonnance-loi du 1er août 1987 portant Code de la famille et réglementant
le traitement des enfants et des jeunes.
Il confirme en tout cas le fait que l’enfant n’est pas un adulte en
miniature. Il est plutôt un être en développement, car il ne possède pas
totalement les ressorts de sa croissance et de son développement holistique.
Qu’il soit en conflit avec lui-même, avec sa famille jusqu’à l’abandon ou en
conflit avec la loi, il a besoin d’un adulte pour le planter et l’arroser. Celui
qui plante peut être le même que celui qui arrose. Dans la description de
Pierre Malongo, celui qui arrose l’orphelin placé en institution est bien
différent du géniteur. De ce fait, le traitement à lui offrir sera particulier et
spécifique. Il sera de trois ordres à savoir :
(1) Juridique : c’est-à-dire lui conférer une identité : un nom, des parents,
une nationalité et des possibilités décentes de croissance ou
d’éducation ;
(2) Judiciaire : s’il tombe dans le travers de la loi, il sera traité comme un
mineur devant des juridictions spéciales et la conclusion sera de lui
offrir les possibilités d’une éducation.
(3) De type « Reclassement social » : orphelinat, famille ou foyer
d’accueil ou une autre institution de socialisation ou de rééducation,
d’orthopédagogie et notamment les Établissements de Garde et
d’Éducation de l’État EGEE. Notre pays en comptait douze parmi
lesquels : Madimba (1954), Mbenseke-Futi (1966), EGEE pour les
filles à Kinshasa (1972), Kiputa (1967), Bikoro (1971), Kanda-Kanda
(1975), Kasapa (1959), Nyangazi (1972) et l’Orphelinat de Kisangani
(1968).
Outre qu’il précise l’application des textes réglementaires sur l’enfant en
situation difficile, l’ouvrage de Malongo interpelle toute organisation, toute
personne qui a le souci de sauvegarder, de protéger et d’assurer une bonne
éducation à l’enfant vulnérable, à ne point se départir totalement de la
cosmogonie africaine (kongo en particulier), c’est-à-dire des « mécanismes
et des valeurs (voir chapitre 2) qui ont constitué le ciment du système
traditionnel d’éducation et d’intégration de l’orphelin et qui, comme on le
sait, permettaient à nos ancêtres de gérer avec intelligence toute question
relative à la vie de l’orphelin ». Comme dit P. Erny : « l’éducation
coutumière fait partie des données de base, de ce qui est. C’est grâce à elles
que le passé continue à être relié au présent et au futur ».
Ainsi donc, pour une meilleure prise en charge de l’orphelin placé en
institution, le présent ouvrage invite administrateurs, formateurs et divers
intervenants d’institutions à s’approprier non seulement des apports de la
psychologie et de la pédagogie institutionnelles modernes, mais aussi des
mécanismes et des ressorts psycho-socio-pédagogiques de l’école de vie
traditionnelle africaine en général et kongo en particulier.
Voilà donc un ouvrage qui vient bien à propos et que je recommande
vivement aux psychologues, pédagogues, chercheurs, parents et acteurs
socio-éducatifs. Les uns et les autres y trouveront matière à réflexion et
idées utiles dans leurs domaines respectifs.
MASIALA ma SOLO
Avant-propos

La situation de l’enfant orphelin placé en institution a toujours préoccupé


les spécialistes de l’enfance (psychologues, psychopédagogues, etc.), de
même que de nombreux professionnels sociaux, ainsi que des organisations
qui se vouent à la protection et à l’éducation de l’enfant vulnérable ou en
situation difficile.
Des efforts ont été faits, surtout en Europe et aux USA, pour mettre en
évidence des traits qui caractérisent cet enfant ainsi que les facteurs positifs
et négatifs des institutions d’accueil. On peut relever en particulier les
travaux de D. Burlingham et A. Freud, R. Spitz, J. Bowlby, B. Bettelheim…
Il n’existe pas en Afrique d’écrits significatifs sur cette question. Or,
depuis les années soixante, la plupart des pays africains ont été ou sont
encore le théâtre de guerres atroces et meurtrières. Au cours de ces guerres
et même au lendemain de celles-ci, de nombreux enfants de régions
dévastées sont devenus des orphelins1 des plus déshérités et des plus
démunis, parce que n’ayant ni foyers ni une quelconque forme d’aide
parentale ou familiale.
Le cas de conscience posé par ces enfants, et le mouvement général de
générosité qu’ils ont fait soulever partout, ont conduit les pouvoirs publics,
des organismes privés ainsi que certaines personnalités à créer, pour eux,
des maisons d’accueil ou des institutions à vocation régionale ou nationale
et à caractère socio-éducatif.
Notre introduction à la psychologie orpheline s’inscrit pour ainsi dire
dans une perspective expérimentale et paraît indiquée pour contribuer à la
connaissance de la personnalité de l’orphelin africain placé en institution2.
Une telle connaissance s’avère nécessaire dans la mesure où elle constitue
le soubassement indispensable à toute forme d’action socio-éducative
réaliste en faveur de l’enfant élevé en institution.
Le présent ouvrage est la synthèse de nos travaux de recherche réalisés
respectivement en 1973 au Centre de formation professionnelle Mama
Mobutu (CFPMM) de Kisangani3 (ex-orphelinat) dans l’ex-province
orientale et, entre 1980 et 2000, à l’orphelinat de Yambuku dans la province
de l’Équateur et à l’Établissement de Garde et d’Éducation de l’État
(EGEE) de Mbenseke-Futi dans la ville-province de Kinshasa.
L’ouvrage aurait été publié il y a bien longtemps si nous avions eu assez
de moyens. Aujourd’hui, sa publication a été rendue possible grâce au
soutien de nos enfants (Roger, Jean-Claude, Serge, Annie et Ariane), de nos
beaux-fils (Olivier V. et Frederick D.) et de nos belles-filles (Odette B. et
Sandrine K.). Qu’ils en soient bénis !
L’ouvrage doit beaucoup à nos anciens assistants et étudiants en
orientation scolaire et professionnelle de l’Université Pédagogique
Nationale de Kinshasa. Nous pensons particulièrement aux Chefs de
travaux Ekwaki Mangela, Kadia Mbiye, Kalenga Tshiala et Kimbembe
Nyamba, ainsi qu’à nos diplômés, notamment Ngunga Tsibu et Waseka
Nzazi. Les uns et les autres ont pris une part très active à nos diverses
enquêtes sur l’orphelin.
Nous pensons également aux Professeurs Phocas Mayaka ma Kanda,
André Masiala ma Solo, Jean Nsonsa Vinda et Florentin Azia Dimbu pour
leurs lectures très attentives du manuscrit et pour leurs encouragements.
Enfin, nous saluons le dévouement et la patience de Messieurs Benoît
Mutudiwu Ngabala, Célestin Dielumvua Matinu et de Édouard Malambu
Mbala, pour le toilettage et la mise en page de notre manuscrit.
Que les uns et les autres trouvent ici l’expression de notre profonde
gratitude !
Pierre Malongo Nkodi-Ankutu

1 À ces orphelins de guerres fratricides (qui d’ailleurs continuent à ravager jusqu’à ce jour
l’Afrique), il faut ajouter ceux du Sida, cette pandémie du siècle qui – comme qui dira le malheur ne
vient jamais seul – place l’Afrique au premier rang parmi les continents les plus touchés par le
nombre de personnes séropositives, voire des morts, et par le nombre d’enfants orphelins qui en
résulte. Selon les statistiques de l’ONU-SIDA publiées en 2009, on dénombre 22 millions de
séropositifs en Afrique subsaharienne sur plus de 33 millions dans le monde.
2 L’institution dont il s’agit ici est celle où vivent pendant longtemps (20 ans ou plus) des orphelins,
enfants abandonnés, etc. coupés de leur milieu familial et n’entretenant plus naturellement de
relations quelconques avec leurs parents (père, mère, oncle, etc.).
3 L’étude des orphelins de Kisangani a fait l’objet de notre thèse doctorale soutenue à l’Université
Libre de Bruxelles en 1978. Cette thèse constitue dans le présent ouvrage la charpente fondamentale
qui toutefois a été remaniée, rénovée et enrichie par les résultats de la recherche complémentaire sur
les orphelins de Mbandaka et de Kinshasa.
Partie 1 :

Structures de sauvegarde, de protection et


d’éducation de l’orphelin en Afrique
Si au 19e, voire au XXe siècle comme le remarque J. AUBRY (1955), la
personnalité de l’enfant était considérée comme immuable et liée à son
hérédité et à sa constitution physique, aujourd’hui, sans exclure certes les
rôles des facteurs constitutionnels inhérents à tout organisme, il apparaît
clairement que l’influence du milieu est aussi déterminante pour son
développement.
Diverses théories psychologiques soulignent cette relation dialectique
entre le caractère de l’enfant et les composantes du milieu où il vit, de
même que les troubles de comportement éventuels que peut entraîner une
distorsion ou une interaction inappropriée.
Point n’est besoin d’insister sur le rôle primordial des parents : ceux-ci
assurent et apportent à l’enfant en devenir des éléments nécessaires qui,
intégrés aux constituants héréditaires, vont influer sur le dynamisme de son
développement.
La situation des enfants et jeunes orphelins africains en proie aujourd’hui
à l’expatriation ou au placement en institution ne paraît pas, loin s’en faut,
satisfaire à ces exigences à la fois théoriques et pratiques. Ces enfants et
jeunes orphelins se trouvent pour ainsi dire à la croisée des chemins.
Dans cette partie, nous voudrions d’abord, en guise d’introduction à notre
ouvrage, préciser, d’une part, le rôle et la fonction du milieu familial dans le
développement de la personnalité de l’enfant, et d’autre part, la situation de
l’orphelin en rapport avec les réalités sociales africaines (point de vue
traditionnel). Nous porterons ensuite notre regard sur la nature, les
caractéristiques et les effets des institutions d’accueil, de protection et
d’éducation modernes que l’on voit s’ériger un peu partout en Afrique et
qui constituent, dans une certaine mesure, des foyers de substitution
parentale pour enfants orphelins.
L’examen de ces trois éléments nous conduira tout naturellement à poser
la problématique du placement des orphelins en institution, ainsi que des
conséquences qui peuvent en résulter (cf. Partie 2).
Chapitre 1

Quelques considérations théoriques sur les


déterminants du développement et sur les
fonctions du milieu familial

Le présent chapitre examine brièvement quelques aspects du


développement de l’enfant, en rapport avec le milieu familial. Cependant,
cet examen ne constituera pas une analyse systématique de ces aspects. Il
s’agira en réalité d’une courte évocation des acquis de la psychologie,
relatifs à la fonction du milieu familial.
1.1.Les déterminants (facteurs) du développement humain
Le développement d’un organisme humain résulte d’un jeu complexe des
transformations dépendant les unes des autres et formant, pour ainsi dire, un
système qui se structure et se réorganise sous l’action conjuguée de facteurs
internes ou biologiques, de facteurs externes ou environnementaux et
contextuels, et de facteurs intra-individuels.
1.1.1
. Les déterminants internes ou biologiques
Ce sont des composantes de l’équipement héréditaire de l’individu.
Celui-ci comprend à la fois des caractères communs à chaque espèce
humaine (c’est ce qui rattache l’individu à l’homo sapiens) et des caractères
spécifiques propres à sa famille (c’est ce qui permet de distinguer
l’individu, sur le plan physique, intellectuel et affectif, des autres membres
de l’espèce). On sait, par exemple aujourd’hui que le sexe d’un individu, la
couleur de ses yeux, son aptitude à percevoir, tout comme le rythme de sa
croissance, etc. sont déterminés par les composantes héréditaires.
1.1.2
. Les déterminants externes ou du milieu
Le déterminisme du développement dicté par des facteurs internes ne
suffit pas pour qu’un organisme se développe d’une façon saine et normale.
L’action de facteurs externes ou de l’environnement est aussi déterminante.
La parabole du semeur (Évangile selon Math. 13, 4-8) que nous a
enseignée le Seigneur Jésus Christ est à ce point très instructive, parce
qu’elle nous donne non seulement les conditions, mais également la preuve
et toute la mesure d’un développement sain, normal et harmonieux. Les
facteurs externes sont de deux ordres : les facteurs physiques et les facteurs
socioculturels.
a) Les facteurs physiques
Les facteurs physiques et les facteurs socioculturels peuvent concerner
aussi bien les conditions matérielles nécessaires à la vie utérine que les
influences que subit, par exemple, un enfant élevé dans un taudis d’un
quartier populaire de Kinshasa comparé à celui qui a vécu dans une villa
d’un quartier chic, sans oublier bien entendu l’alimentation et des
événements importants comme les catastrophes, les guerres, etc. Donc un
organisme vivant a besoin d’une quantité suffisante d’air, d’eau, de lumière
et de nourriture, etc. Si cette quantité vient à manquer ou s’avère
insuffisante, il en résulte, comme le notent R. SCHELL et E. HALL (1980),
une détérioration biologique et un risque de mort de l’organisme. Par
exemple, si une femme enceinte souffre d’une carence en élément naturel
(calcium, protéine, etc.), la croissance du bébé (à naître) sera compromise.
b) Les facteurs socioculturels
Ces facteurs résultent, comme le soulignent R. SCHELL et E. HALL
(1980), des rapports interpersonnels de l’individu, notamment avec des
groupes sociaux (famille, pairs…), des institutions (école, église, etc.), des
valeurs, des idéaux, des règles et interdits divers de chaque culture ou sous-
culture, des médias (TV., Radio, journaux), des influences liées au contexte
historique.
1.1.3
. Les déterminants intra-individuels ou d’autoconstruction
S’il est vrai que tout organisme se développe grâce aux déterminants
biologiques et environnementaux, on admet aussi qu’il s’autoconstruit, au
fur et à mesure, à partir de ses réalisations et ses expériences. C’est ce
qu’on appelle l’équation personnelle du développement. Donc tout
organisme se développe en fonctionnant.
On notera aussi la place de l’alimentation. Celle-ci est à la fois un
élément du milieu et d’autoconstruction. Elle favorise sans conteste la
croissance et les actes sociaux de communication. Comme le soulignent R.
SCHELL et E. HALL (1980), « Si les premiers échanges mère-enfant sont
multisensoriels et passent par les contacts cutanés, par les regards et les
paroles, ces premiers échanges sociaux passent aussi par l’alimentation, qui
est un moment privilégié d’échange entre la mère et son enfant ».
1.2.Rôle et fonction du milieu familial dans le développement de
l’enfant
Le milieu familial désigne, comme le note P.A. OSTERRIETH (1970),
aussi bien le monde matériel (innombrables composantes allant de
matériaux potentiels d’activités et de facteurs climatiques et géographiques
jusqu’aux particularités les plus infimes et les plus spécifiques du cadre
matériel et humain) que les diverses influences qui émanent de la « culture
et de l’éducation ambiantes ».
De ce point de vue, il apparaît clairement que le milieu familial marque
de son sceau indélébile la vie de l’enfant, de même que son influence reste
déterminante dans la formation et la structuration des aptitudes de toutes
sortes et de la personnalité en général.
En effet, quel que soit le groupe social auquel elle appartient, la famille
apparaît pour l’enfant comme une pierre angulaire dans le processus de son
développement physique et mental. Elle constitue chronologiquement, selon
P.A. OSTERRIETH, le premier milieu où il se développe, celui-là même où
s’élabore au gré de premières rencontres et de premières relations le
fondement de l’organisation comportementale.
Aussi la famille est-elle investie, par l’ensemble d’êtres adultes qui la
composent, d’une multitude de fonctions qui interviennent dans la
structuration et l’élaboration de l’intelligence et du caractère de l’enfant.
P.A. OSTERRIETH groupe ces fonctions sous deux chefs principaux : la
fonction de protection et de soutien, et celle d’initiation aux aspects les plus
divers de l’existence. La première répond au caractère de dépendance, de
fragilité et de faiblesse du petit enfant ; la seconde à son incapacité, à son
immaturité et à son inexpérience.
De fait, et dans les conditions normales de naissance, le petit enfant,
quoique muni d’un équipement neurobiologique suffisant et complet, arrive
au monde dans les circonstances qui le placent en infériorité, par rapport à
d’autres petits de certaines espèces animales. Le poussin de la perdrix, par
exemple, voit et sait courir quelques heures, voire quelques minutes
seulement après son éclosion ; il faudra attendre plusieurs jours pour que le
nourrisson puisse suivre des yeux un objet que l’on déplace dans son champ
visuel, et plus ou moins un ou deux ans pour qu’il puisse marcher et courir.
Cette infériorité relative paraît imputable à l’inachèvement et à
l’immaturité biologique qui le caractérisent à ce stade de son
développement. Mais, si à la naissance l’enfant est totalement dépendant, il
n’est pas pour autant dépourvu de réactions : il est irritable, sensible,
demandeur de stimulations. Grâce à ses capacités sensorielles et sensori-
motrices (verbales, visuelles…) dont il fait usage dès sa naissance, l’enfant
fait preuve d’activités (qui lui permettent d’établir ses premiers contacts
avec le monde extérieur).
Néanmoins, cette activité ne s’actualise pas sans qu’intervienne ce que
P.A. OSTERRIETH (1970, p.155) appelle « les principales composantes de
la sécurité psychologique » qui permettent le développement
comportemental de l’enfant. D’après l’auteur, ce sont notamment :
(1) « La stabilité, la constance, la cohérence du cadre familial assurant
l’émergence de repères spatiaux et temporels, relativement fixes, et
permettant à l’enfant de constituer des habitudes, de reconnaître des
situations, de structurer peu à peu son univers et de s’y retrouver » ;
(2) « La stabilité des attitudes individuelles, la chaleur affective des
échanges et des liens, qui permettront à l’enfant de se sentir confirmé
dans son être, par ses relations avec ses proches, de s’appuyer sur
ceux-ci et de se référer à eux dans l’élaboration de sa propre
personne » ;
(3) « La présence de modèles et l’existence d’un cadre de directives et de
règles desquelles l’enfant apprend à organiser et à évaluer son propre
comportement et, par-là, à se conformer aux usages de son groupe, par
quoi il s’intègre à ce groupe et se sent participant » ;
(4) « Une marge de liberté d’action permettant à l’enfant toutes sortes
d’expériences dans lesquelles il peut s’éprouver comme capable
d’activité autonome et efficace, et dans lesquelles il trouve l’occasion
de se différencier d’autrui ».
Comme on le voit, c’est ici que se situent l’action et la fonction
charnières de la famille. Comme le note encore P. A. OSTERRIETH, non
seulement c’est au sein de la famille que se déroule généralement, sinon la
totalité, du moins la grande partie de ses premières années de vie, mais
aussi parce qu’« en tant qu’institution humaine émanant d’une culture
donnée, la famille reste la dépositaire d’un fond extrêmement riche
d’expériences et de traditions séculaires, d’un amalgame plus ou moins
cohérent de croyances, d’opinions, de connaissances, de clichés de toutes
sortes, constituant comme une espèce de théorie globale de l’existence
humaine ».
En outre, comme l’écrit G. MAUCO (1970, p.10), « l’influence des
autres enfants, l’organisation de la maison, du temps, du travail, les
distractions et sorties, la profession des parents, le logement, le niveau de
vie et aussi la structure sociale », tout cela va agir d’une manière décisive
sur l’enfant et conditionner tout son développement.
Par ailleurs, il est à noter qu’au sein de la famille, la mère demeure un des
fondements qui assure à l’enfant la force et la cohérence de son caractère.
Grâce aux divers soins (d’ordre matériel, affectif et moral) qu’elle apporte à
l’enfant, la mère reste son recours préférentiel, l’élément essentiel de sa
sécurité et le facteur primordial de l’équilibre de sa personnalité.
On a donc raison de dire que la personnalité de la mère ou de son
substitut et la stabilité du foyer familial en général conditionnent et assurent
de manière saine et normale, l’équilibre psychique et le développement
harmonieux de la personnalité de l’enfant.
1.3.Synthèse
L’examen de facteurs ou déterminants du développement humain montre,
de manière générale, que pour vivre et se développer, l’individu est soumis
aux lois biologiques et subit en même temps les influences du milieu auquel
il appartient.
S’agissant en particulier du milieu familial, on admet à l’heure actuelle
que ce milieu joue un grand rôle, parce qu’il assure et apporte à l’organisme
naissant et en structuration de l’enfant, des éléments nécessaires qui,
intégrés aux constituants héréditaires, vont influencer le dynamisme de son
développement. Diverses théories psychologiques soulignent cette relation
dialectique qui existe entre le caractère de l’enfant et les composantes du
milieu où il vit, de même que les troubles du comportement éventuels que
peut entraîner une distorsion ou une insuffisance de telles composantes.
Chapitre 2

Situation de l’enfant orphelin dans les réalités


sociales africaines (point de vue traditionnel)

D’aucuns pourront se demander pourquoi pour étudier le comportement


de l’orphelin d’aujourd’hui, il faut se référer à des coutumes et usages
traditionnels quelque peu décriés dans certains milieux.
P. ERNY réserve à cette interrogation une réponse on ne peut plus
pertinente et satisfaisante. Il écrit (1972, p. 11) : « Pour comprendre ce qui
se passe dans l’esprit et le cœur du jeune Africain d’aujourd’hui, il faut
donc de toute évidence tenir compte des influences qu’il a subies et ne pas
se refuser arbitrairement de prendre en considération celles qui relèvent de
l’univers coutumier. La culture traditionnelle s’exprime par l’éducation qui
façonne très précocement ceux qu’elle imprègne, de sorte que des apports
modernes tels que l’école représentent, non pas des semences jetées dans un
champ en friche, mais des branches greffées sur un arbre encore en pleine
vigueur. L’éducation coutumière fait partie de données de base, de ce qui
est. C’est grâce à elle que le passé continue à être relié au présent et au
futur ».
Notre propos, dans le présent chapitre, s’inscrit sans conteste dans cette
approche et consistera, d’une part, à préciser, eu égard à la cosmogonie
africaine, le concept d’orphelin, et d’autre part, à indiquer les valeurs qui
ont constitué le ciment du système d’éducation et d’intégration de
l’orphelin dans les sociétés traditionnelles et qui, comme on le sait,
permettaient de gérer avec intelligence toutes questions relatives à la vie des
orphelins.
2.1.L’Orphelin au sens africain du terme
Notons d’abord que le terme orphelin désigne en Occident (Europe,
USA) un enfant (généralement mineur) dont le père et la mère sont décédés
(orphelin absolu), et que pour un enfant qui est orphelin de père ou orphelin
de mère, on emploie le terme de semi-orphelin ou orphelin exclusif.
Notons aussi que l’expression « enfant orphelin » prête souvent à
confusion, en particulier dans le chef des personnels des organisations
caritatives chargées des opérations humanitaires et qui, lors des évacuations
des victimes de conflits armés ou de catastrophes naturelles, mettent dans
un même sac des enfants séparés d’avec leurs parents (parce que fuyant les
zones de combats ou dangereuses, parents et enfants prennent des directions
différentes) et des enfants orphelins dont les parents disparaissent
effectivement au cours de ces désastres.
Cette ambiguïté s’observe également dans certaines prises de position de
responsables politiques : lorsqu’en 1967, au cours d’une conférence de
presse, un ancien ministre congolais des affaires étrangères déclara, au sujet
des enfants qui avaient perdu leurs parents dans la rébellion, qu’au Congo il
n’existe pas et ne pourra jamais exister d’orphelins, beaucoup de ceux qui
l’ont écouté ont sans doute cru à une boutade diplomatique destinée, en
pareille circonstance, à couvrir les plaies de son gouvernement. Mais, si on
se place dans une perspective de psychologie et de sociologie africaine,
l’affirmation de l’ancien chef de la diplomatie congolaise ne manque pas de
quelque vérité.
En effet, s’il est vrai qu’un enfant qui perd, en Afrique noire, un de ses
parents (ou les deux) devient orphelin, il n’est pas moins vrai qu’il est,
malgré cela, l’enfant des autres membres de la famille qui restent en vie,
éprouvent envers lui les mêmes sentiments qu’envers leurs propres enfants,
et avec qui il est appelé à vivre comme dans le passé.
Tout récemment, à la suite de ce qu’on a appelé « l’Affaire de l’Arche de
Zoé » survenue au Tchad (octobre 2007), on a assisté à une prise de position
unanime de tous les Tchadiens (toutes catégories sociales confondues)
condamnant, avec fermeté, la tentative d’emmener frauduleusement et
clandestinement en France 103 enfants considérés par l’ONG française
comme « orphelins ». En Afrique, a-t-on entendu marteler, l’enfant
appartient certes à ses parents légitimes, mais aussi et tout autant à toute la
famille et à tout le clan. Rien donc de ce qui touche à la vie d’un enfant, fût-
il orphelin, ne peut laisser indifférent le groupe familial ou social auquel il
appartient.
Notre propre expérience incite à dire que le phénomène d’enfant orphelin
ne peut nullement être mis en doute. Mais, pour en savoir plus long et pour
mieux cerner quelques-uns de ses aspects fondamentaux, nous avons
interrogé les traditions et les usages coutumiers (légendes, proverbes,
interdits, etc.), en nous référant notamment aux traditions de certains
peuples africains.
Notre approche se limitera néanmoins à deux points essentiels : cerner,
d’une part, le terme en usage et le sens de ce concept chez les Africains et,
d’autre part, décrire quelques aspects relatifs aux structures et mécanismes
d’intégration de l’orphelin au groupe sociofamilial et clanique.
Qu’on nous permette, pour élucider ce concept, de nous référer d’abord
aux traditions ntandu (kongo4) que nous croyons mieux connaître. Dans les
traditions ntandu, le mot « orphelin » se traduit par « nsiona ».
Étymologiquement « nsiona » vient de ku-siona (ku-tanda), ce qui veut dire
devenir squelette, ou maigrir par suite d’une maladie, d’une angoisse, d’une
tristesse ou de la disparition d’un parent.
D’autre part, du mot « ku-siona » dérivent deux substantifs, à savoir :
« nsiona » et « kinsiona ». Dans nsiona, le n signifie muntu una mu… c’est-
à-dire celui qui est dans un état… de tristesse, d’angoisse, car devenu
orphelin suite à la perte d’un père, d’une mère, d’un « frère » de clan, etc.
Alors que dans « kinsiona », le « ki » exprime l’état ou le vécu qui
accompagne l’individu tout au long de son existence. Ainsi donc, un enfant
qui perd son père ou sa mère devient « n’siona » et vit dans le « kinsiona ».
Cependant, le terme n’siona connaît chez les Ntandu d’autres dimensions
sémantiques. En effet, s’il est vrai qu’est n’siona l’enfant qui a perdu son
père, sa mère ou les deux, le Muntandu se considère également comme
n’siona, lorsqu’il perd son « frère » de clan, son droit de propriété ; de
même que lorsqu’il se trouve privé d’assistance morale (mort d’un chef de
famille, départ ou séparation d’avec quelqu’un qu’on aime, etc.).
Quittons maintenant les Ntandu de Ne Kongo pour examiner ce concept
chez quelques-uns des autres peuples de la RD Congo et de l’Afrique (voir
tableau 1).
Tableau 1 : Terme africain en usage pour désigner et qualifier l’orphelin
N° Pays Peuple Terme en Signification
usage
1 RD. Congo Kongo N’siona Personne qui a perdu son père,
ANGOLA
sa mère ou un membre de
GABON
famille/clan (oncle, tante, etc.)
CONGO
ou sa terre.
2 RD. Congo Luba N’shiya Personne qui a perdu ses
parents (famille) ou qui est
privée d’une assistance
morale et familiale.
3 RD. Congo Sakata Ketike Personne qui est dans le
« froid » à la suite de la mort
d’un parent. Le terme évoque
le malheur, la tristesse, le
manque de quelque chose.
4 RD. Congo Mongo Etsike Personne qui est restée toute
seule, mais pour rester toute
seule, on doit avoir perdu tous
les membres de la famille ou
du clan.
5 RD. Congo Tshokwe Mufilua Personne qui a perdu un de
ses parents (famille).
6 RD. Congo Nande Engubi Quelqu’un qui a perdu ses
« parents biologiques » ou des
personnes considérées comme
ses meilleures protectrices.
7 GHANA Ashanti Ahiesai Enfant sans parents
8 RWANDA Tutsi Wutu Imfuvyi Personne qui a perdu son père,
sa mère ou des parents
proches
9 KENYA Kikuyu Yatima Enfant sans père ni mère.
10 CAMEROUN Ewondo Man nui Personne qui a perdu un de
ses parents ou les deux
11 NIGERIA Ubuo Emwene, Enfant sans parents (famille).
Emwena
12 ANGOLA Tshokwe Mpumpa Enfant sans père ni mère.
13 CÔTE-D’IVOIRE Baoulé Ayekaba Personne qui a perdu un de
ses parents ou les deux.
14 NAMIBIE Siwamba Ofiwa Enfant sans parents (famille).
15 TANZANIE Mungan Yatima Personne sans famille.

De ce bref examen du concept, il résulte trois remarques :


(1) Si au point de vue étymologique et phonétique on constate, dans les
termes utilisés par les différents peuples d’Afrique, des différences
indiscutables dues sans aucun doute à la différenciation linguistique,
l’unité sémantique du concept est manifeste et presque totale partout.
(2) La disparition ou la mort d’un parent n’est pas, chez les Africains, la
seule cause qui peut faire d’un enfant un n’siona (orphelin).
(3) Le sens de n’siona, de yatima, de imfuvyi, ofiwa, etc. est loin d’être
conforme au terme européen où, selon le Larousse, l’orphelin est
l’enfant qui a perdu son père, sa mère ou l’un d’eux. Comme dit F.
NGOMA (1963), « les termes africains ne sont pas toujours les
synonymes exacts du vocabulaire européen ; et les traductions
trahissent parfois les nuances et la saveur propre à chaque langue » et
chaque peuple.
2.2.Structures, mécanismes et facteurs d’intégration du « nsiona » au
groupe famille-clan
On s’est interrogé souvent sur les « forces » ou principes sous-jacents qui
jadis permettaient aux ancêtres d’assurer harmonieusement la protection, la
sauvegarde et l’éducation de l’orphelin. Certes, l’étude de nos milieux a fait
l’objet de descriptions nombreuses. Maints travaux, aussi bien
d’africanistes (Pierre ERNY, Thérèse KNAPEN, etc.) que d’Africains eux-
mêmes5), lui ont été consacrés. Mais afin de mieux situer le n’siona, par
rapport à son cadre sociofamilial, il est bon d’y revenir et d’en préciser
quelques-uns des traits essentiels.
2.2.1
. Le composé kinzo-kimpangi-kanda (famille-clan)
La famille traditionnelle africaine n’a rien de commun ni de comparable
avec celle que l’on rencontre ailleurs, par exemple en Europe. En effet, si
dans la société occidentale la famille est un groupe restreint qui se compose
de l’homme, de la femme et des enfants, avec une existence autonome et
indépendante, il n’en est pas ainsi dans le groupe traditionnel africain. Pour
l’Africain, la famille (ou le kinzo) c’est le père, la mère et les enfants, mais
aussi tous les “frères” de la famille étendue (le kimpangi) et du clan (le
kanda) y compris d’ailleurs tous les ancêtres vivants et morts.
Il est, au demeurant, deux principes qui sont à la base de ces
organisations familiales : le principe de l’ascendance patrilinéaire et celui
de l’ascendance matrilinéaire. Dans le régime patrilinéaire, les enfants
appartiennent au groupe social du père, non à celui de la mère ; et l’héritage
et la succession dans le rang du chef se font selon la lignée mâle, en passant
normalement d’un père à un fils ; enfin, l’autorité dans la famille appartient
au père et aux parents paternels. Alors que dans le régime matrilinéaire, les
enfants appartiennent au groupe social de la mère, de sorte que l’héritage et
la succession se font par les femmes, en passant d’un homme à son frère ou
au fils de sa sœur.
Mais il y a aussi, quel que soit le régime auquel on appartient, ce qu’on a
coutume d’appeler la famille étendue (kimpangi). Celle-ci est un
groupement d’individus ayant un lien de parenté patrilinéaire ou
matrilinéaire, selon que ce lien dérive du père ou de la mère. La famille
crée, il va sans dire, des relations interpersonnelles très complexes et
multiples, mais toujours bilatérales.
Le dernier élément du composé familial est le clan (kanda). Celui-ci est
une des structures les plus importantes des sociétés bantoues. Il est
constitué par des “individus qui se considèrent comme les descendants d’un
même ancêtre”. C’est, d’autre part, une organisation fondée sur une parenté
unilatérale et de sang. Ainsi, chez le Kongo par exemple,
quoiqu’appartenant parfois à des tribus6 différentes, les membres d’un
même clan se considèrent comme des « frères » (mpangi zi kanda), parce
qu’au point de vue biologique, un même sang circule dans leurs veines.
Celle-ci est non seulement caractérisée par le lien de sang (ancêtre
commun) et par la loi de l’exogamie (interdiction pour les membres de se
marier entre eux), mais se trouve également renforcée par le principe de
solidarité et de protection réciproques qui oblige tous les membres à
s’entraider et à se sentir responsables des actes des autres. Ajoutons que
l’influence du clan reste encore vivace de nos jours. Elle est d’autant plus
importante pour les Kongo, par exemple, que l’enfant a l’obligation de
connaître le nom et la lignée (luvila) de son clan, quel que soit le lieu où il
habite.
2.2.2
. Quelques caractéristiques du milieu social et familial de l’enfant
Il n’est pas possible d’aborder, dans le présent paragraphe, tous les
aspects de l’environnement de l’enfant africain. Nous estimons, cependant,
que trois d’entre eux méritent une attention toute particulière, parce qu’ils
jouent en Afrique noire un rôle déterminant dans la formation de la
personnalité de base de l’enfant. Il s’agit de la relation mère-enfant, des
contacts sociaux et des croyances.
a) La relation mère-enfant
« Dans la vie du nouveau-né, les parents apparaissent, note Pol GEORIS
(1962, p. 50), comme des obstacles capricieux, auxquels l’enfant réagit par
un comportement qui consiste essentiellement à percevoir la situation
comme un effet complémentaire de ses attitudes personnelles et, en
conséquence, à modifier ces attitudes d’une manière réactionnelle, en vue
de séduire ou de contraindre l’objet ». C’est donc, poursuit l’auteur, « de la
coopération avec les parents, dont le comportement demeure plus ou moins
indéterminé et capricieux, des attitudes réactionnelles de séduction ou de
contrainte que naît la psychogénisation ; dans cette psychogénisation, la
mère joue un rôle essentiel ».
En système familial africain, ce rôle est incommensurable. Car pour les
parents africains, l’enfant représente à la fois un trait d’union qui rattache
aux ancêtres, et un « trésor » qu’il faut protéger et traiter avec douceur.
Mais, cette protection est d’abord l’œuvre de la muntu-a-bena (la mère) ; en
effet, celle-ci entretient avec l’enfant des relations totales et exclusives.
Ainsi que le souligne A. MOUMOUNI (1964), tout au long de la
première enfance, c’est à la mère que revient la charge d’élever l’enfant.
Celui-ci fait matériellement partie intégrante du corps de sa mère, non
seulement parce que, comme toute mère africaine, elle sent avec une grande
intensité tout ce qui le touche, mais aussi parce qu’elle l’allaite au sein de
façon permanente, le dorlote, l’endort à côté d’elle, le porte partout sur le
dos, et plus tard elle surveillera ses premiers pas et déplacements. C’est
aussi auprès de sa mère que l’enfant prononcera ses premiers mots et
apprendra à nommer les choses qui l’entourent. Jusqu’à ce qu’il atteigne six
ou huit ans, l’enfant reste donc à l’ombre des femmes.
Visiblement, la mère n’adopte aucune attitude frustrante à l’égard de
l’enfant. Cette absence apparente de frustration, visant à protéger l’enfant à
tout prix, suscite chez l’observateur étranger de l’étonnement et souvent des
interprétations malveillantes. Même un observateur averti comme Th.
KNAPEN (1962) n’a pu s’empêcher de s’embourber sur ce terrain, qu’elle
a pourtant semblé quelque peu connaître.
P. GEORIS (1962) qui résume au mieux l’opinion d’un grand nombre de
psychologues européens, et en particulier celle de A. OMBREDANE, écrit
qu’une des caractéristiques de l’éducation de l’enfant noir, dès sa naissance
jusqu’au sevrage, est que « les frustrations lui sont évitées par un contact
physique permanent. Point d’abandons successifs comme c’est le cas pour
l’enfant européen ». En accord avec les principales conclusions d’A.
OMBREDANE, P. GEORIS écrit encore : « La longue période de succion
et de liaison constante avec la mère entraînerait une attitude de dépendance
à l’égard de la vie, comme si l’individu attendait que le flot du sein
maternel coule toujours pour lui à la manière d’autrefois7 ».
Cette série d’observations de psychologues européens apparaît comme
quelque peu partisane, l’explication se faisant essentiellement par référence
à leur système de pensée et d’idéologie. Mais, nous ne le répéterons jamais
assez, comme écrit G. MPIUTU (1971/1972, p. 15) : « L’Africain est inséré
dans un groupe très cohérent qu’est le clan (famille élargie). Mais, chacun
cultive une personnalité individuelle dans la multitude de ses pères et
mères, frères et sœurs, oncles et tantes, cousins et neveux… ».
A. OMBREDANE (1969) ne trahit-il pas d’ailleurs ses propres
observations, et ce faisant retrouve le bon sens que nous souhaitons
vivement à quiconque veut cerner, avec plus de sérieux, le psychisme de
l’Africain noir, quand il écrit : « personne ne saurait mettre en doute que
chaque indigène (entendez chaque Africain noir) possède une personnalité
distincte de celle de son voisin, et que cette distinction résulte d’un grand
nombre de différences évolutives dans la confrontation de sa constitution
biologique, avec les influences qu’exercent sur lui les personnages efficaces
de son milieu comportemental » ?
De plus, comme le souligne G. MPIUTU (1971/1972), des éducateurs
plus avertis tels que BOUDOU HAMA ont montré que la pédagogie
animiste confère à l’élève le sens de sa responsabilité envers lui-même et la
société. Elle le dote d’un pouvoir parfaitement incorporé dans l’essence de
l’individu, dont l’action est toujours, quel qu’en soit le motif, bon ou
mauvais, liée au besoin du clan, souvent de la société au niveau des cultes
tribaux.
Donc, pour l’Africain noir, la dépendance de l’enfant à l’égard de sa
mère, loin d’être un facteur inhibiteur de l’individualisation et de
l’épanouissement de sa personnalité, contribuerait au contraire à cultiver en
lui une « assurance de soi indéfectible » et serait une condition suffisante
pour la construction de l’attachement, c’est-à-dire du « Moi » social grâce
auquel l’enfant sera capable d’entretenir plus tard des relations multiples et
équilibrées avec tous les autres membres du clan.
b) Place et rôle des contacts sociaux dans le processus de socialisation
La dichotomie entre le monde adulte et celui de l’enfant est, comme on
l’observe, pratiquement inexistante en milieu africain traditionnel.
Effectivement, et dès son jeune âge, l’enfant est orienté vers la même réalité
sociale et matérielle que l’adulte, avec la conséquence probable que ses
intérêts, son univers mental, ses objectifs et ses systèmes de motivations se
développent dans la même direction que celle des adultes. D’abord sous la
forme primaire de « savoir se tenir », « être poli et reconnaissant », etc. ;
ensuite, et pendant la première enfance, par des actions et des rapports
concrets, mais souvent profonds et complexes avec et envers les autres
membres de la communauté au sein de laquelle il vit.
Déjà au cours du sevrage, moment crucial de la socialisation, les relations
entre l’enfant et la mère se détendent et se relâchent non parfois, et à juste
titre, sans heurts. P. GEORIS (1962) qualifie le sevrage de « syndrome de
dépossession » : l’enfant passant, selon lui, « des soins les plus assidus à
l’indifférence affective », et il en tire cette conclusion : « le sevrage est à ce
point traumatisant qu’il explique tout le comportement ultérieur du Noir
africain ». Cet auteur cherche visiblement, comme on le dit en kikongo
« mu koma nsa nkila ye vumbula ntoto nkunka » (littéralement : rallonger la
queue de l’antilope et tirer en hauteur la taille de la mangouste).
Mais en fait, quelle est chez nous la portée exacte de cet événement ?
Qu’on nous permette de nous arrêter un instant sur ce phénomène sur lequel
on a beaucoup épilogué également. G. MPIUTU (1970/71, p. 38-40) en
donne une meilleure description et une explication on ne peut plus
satisfaisante. Nous lui emboîtons le pas et lui empruntons volontiers son
propos : « le sevrage a lieu vers la première, deuxième ou vers la troisième
année de l’enfance, souvent au moment où précisément la maman s’aperçoit
qu’elle est enceinte, donc porteuse d’une vie délicate qu’elle doit
absolument sauvegarder. La sagesse bantoue apprend (en effet) aux mamans
qu’au moment de la portée, le lait devient mauvais, altéré et peut porter
préjudice à la santé de l’enfant. Il devient en conséquence impératif qu’il
cesse de téter. Mais, la maman n’abandonne pas pour autant son enfant. Au
contraire, elle le prépare à aborder progressivement, grâce à toute une série
de ressorts psychologiques et mécaniques, cette épreuve avec le moins de
mal possible :
(1) Déjà vers 4/5 mois, l’absorption d’une nourriture consistante (poto-
poto= bouillie de la farine de maïs ou de manioc) ;
(2) Appel à l’aide familiale : l’enfant passant de longues heures auprès de
sa mama n’leki (sa tante maternelle), ce qui l’accoutumera peu à peu à
l’absence de la chaleur maternelle ;
(3) Application sur les mamelons (au cas où l’enfant persiste à téter) de
« quelque onguent amer (quinine liquide) ou d’une décoction de
feuilles de goût indésirable pour l’enfant, ce qui fera répugner la
tétée… ;
(4) Recours à des méthodes psychologiques faisant appel à son amour-
propre… »
En réalité, l’enfant sevré n’est jamais abandonné. Il ne souffre pas non
plus de « manque de transition entre l’allaitement et l’absorption de
nourriture consistante ». Sa maman s’en préoccupe. Et l’enfant « bénéficie
largement de la solidarité familiale : on lui procure de la nourriture, on lui
donne des biniaku-niaku (patate douce, igname, banane) quand il pleure. Et
cet enfant ne cesse de câliner sa mère qui, à son tour, le prend sur ses
genoux, lui parle tendrement, en lui faisant remarquer qu’il devient
maintenant assez grand et que c’est gênant, c’est honteux pour lui de
continuer à téter ».
De plus, au cours de cette étape de développement, « l’enfant sevré va
élargir le cercle de ses relations avec les autres enfants plus âgés » ; et déjà
vers l’âge de trois à six ans, l’enfant s’intègre progressivement dans le
groupe des autres enfants de son âge, et même de ceux qui sont plus âgés
que lui, car il sert à ce moment d’intermédiaire entre la communauté des
adultes et celle de son âge.
Aussi est-il invité par ailleurs, dès son jeune âge, à l’apprentissage et à
l’initiation aux diverses tâches quotidiennes : puiser de l’eau, ramasser du
bois de chauffage (milieu rural), accompagner papa ou maman aux champs,
à la chasse, à la pêche ; faire des commissions au petit marché (« wenze »
en milieu urbain) ; et pour la fille en particulier, préparer le fufu, etc. La fille
est investie, d’autre part, plus précocement que le garçon, de responsabilités
sociales et familiales assez importantes. Dès l’âge de 8, 9 ou 10 ans, on lui
confiera, par exemple, la garde de ses petits frères, sœurs ou neveux,
lesquels reçoivent d’elle des soins maternels de toute sorte, à tel point qu’on
n’hésite pas à dire qu’à cet âge, la fille est capable de relayer sa mère dans
sa fonction de nurse. Sans doute, de telles attitudes maternelles avaient-
elles pour fonction de former et de renforcer chez l’enfant la conscience des
responsabilités sociales et familiales qui, à l’âge adulte, devaient
pratiquement devenir son lot quotidien.
c) La croyance aux ancêtres et à leurs forces de vie
Nos peuples croient fermement à l’influence des ancêtres (ceux-ci sont
immortels et veillent sur les vivants) et aux forces surnaturelles qui les
« habitent ».
P. GEORIS (1962, p. 69), reprenant les observations de P. TEMPELS,
écrit à ce sujet : « L’élément essentiel du comportement des Bantou est la
force vitale ; tous les êtres, vivants et inanimés, sont (d’ailleurs) doués de
cette énergie vitale ». Mais, « Nzambi Mpungu Tulendo uganga nzala ye
nlembo » (le Dieu tout-puissant qui a créé les êtres) possède cette force au
maximum. Il la procure à toutes les créatures, lui-même demeurant la
grande force. Viennent ensuite les mânes des ancêtres les plus lointains. En
tant que fondateurs des clans, ils la possèdent à un très haut degré. Les
autres défunts ne comptent que dans la mesure où ils ont augmenté et
perpétué leur force vitale dans leur progéniture. La puissance du premier
ancêtre (le Bena Mukulu des Bena Lulua ou le Ne Kongo des kongo par
exemple) est considérable. Elle lui a permis de fonder une tribu et d’en
assurer la pérennité. « N’a-t-il pas établi de ses forces une société, sa
coutume et ses lois ? »
En raison de sa participation et de sa présence illimitée et continue au
monde des adultes, l’enfant s’imprègne très tôt et se nourrit tout
naturellement de ces modes de croyances à la fois concrètes et
mystérieuses. Cela est d’autant plus vrai, comme le souligne J. C.
CAROTHERS (1965, p. 55), que dans l’éducation qu’on lui donne, on
insistera sur le respect de « l’édifice culturel par l’idée de participation à la
vie de la communauté. Cette idée n’est pas interrompue par la mort, car les
ancêtres dont le souvenir reste vivace sont censés continuer à jouer le rôle
qu’ils jouaient dans leur vie ».
On lui fera comprendre aussi, comme le souligne P. ERNY (1972, pp. 21,
54 et 168), qu’« en venant au monde, l’homme est d’abord l’enfant de
quelqu’un. La relation la plus immédiate dans laquelle il se trouve pris, est
celle qui, à travers sa mère et son père, le lie véritablement à des
descendants réels et mythiques et lui assigne une place dans une lignée, une
filière de générations successives remontant de maillon en maillon jusqu’au
principe de toute vie ». Enfin, ce faisant, on cherchera donc à « ancrer
l’individu dans la conviction qu’il existe une union vitale entre lui et sa
famille, un rapport de force entre ascendants et descendants, dont on ne
peut se dégager. Se couper de ses parents et par là même de ses ancêtres,
c’est tarir les sources de toute vie : la personne est toujours liée au groupe
familial, par un cordon ombilical de participation, et ce n’est pas de sa
propre vie qu’elle vit, mais de celle de la communauté ».
Dès lors, il n’est pas permis de briser le cordon communautaire, sans
courir les risques de s’attirer le courroux des ancêtres. Car, les liens
qu’assure ce cordon sont et restent à jamais sacrés. C’est pour cela qu’une
mère qui adopte8 ou plutôt « reprend » (c’est le terme qui conviendrait le
mieux) un n’siona, considère celui-ci comme son propre enfant, l’entoure
de toute son affection et lui assure une éducation adéquate, en conformité
avec les idéaux du clan et les « volontés des ancêtres ».
Il peut arriver certes qu’une mère manifeste des attitudes négatives : se
montrer indifférente à l’égard du n’siona, et par conséquent ne pas s’en
préoccuper outre mesure, lui faire faire des corvées, lui proférer des injures,
ou demander de s’en séparer lorsque l’enfant se montre têtu ou indocile.
Telle est en tout cas la leçon que l’on est en droit de tirer du
« Nkunga muana n’siona » (la berceuse de l’orphelin) que les ancêtres
kongo ont légué à leur postérité (MBELOLO YA MPIKU, 1972, p. 234).
Wa-a, wa-a, wa-a, muana wa nlongo e-e-e !
Vuena, Mbadio !
E, wuta kutominanga
Kala ye ngamba aku e-e !
Vuena, Mbadio !
Wa-a, wa-a, wa-a, muana wa nkenda e-e !
Lembua, Mbadio !
E, wuta kutominanga
Kala ye mpangi aku e-e !
Lembua, Mbadio.
Wa-a, wa-a, wa-a, muana ntantu e-e !
Leka, Mbadio !
E, wuta kutominanga,
Kala ye ndezi aku e-e !
Leka, Mbadio !
Traduction :
Wa-a, wa-a, wa-an oh enfant sacré !
Tète, Mbadio !
Ah, pour être une heureuse
mère Faut-il avoir une servante ?
Tète, Mbadio !
Wa-a, wa-a, wa-a, enfant qui m’afflige !
Calme-toi, Mbadio !
Ah, pour être une heureuse mère
Faut-il avoir une sœur ?
Calme-toi, Mbadio.
Wa-a, wa-a, wa-a, enfant de chagrin !
Dors, Mbadio !
Ah, pour être une heureuse mère,
Faut-il avoir son ndezi ?
Dors, Mbadio ! »
Cette chanson est un poème chanté fort répandu chez les kongo. À la
naissance d’un enfant, la jeune maman est aidée dans ses travaux
journaliers par un membre de la famille spécialement appointé pour elle.
Cette personne porte le nom de « ndezi » ou « nsansi ». Dans ce poème, il
semble que la jeune maman est orpheline. Elle n’a personne pour l’aider.
C’est pourquoi elle se lamente. En fait, cette chanson est une critique
adressée à la famille qui laisse cette jeune maman tout faire elle-même.
Il faut dire, cependant, que le cas est une exception qui confirme la règle
générale. En principe, la mère qui « reprend » un n’siona évite une pareille
attitude. Car elle sait qu’en cas de manquement grave à l’égard du n’siona,
elle risque de s’attirer le courroux des parents défunts, lesquels peuvent se
fâcher et revenir prendre leur enfant, comme l’illustre, ci-après, la légende
de Mama Nkenge.
Mama Nkenge était morte subitement, un jour qu’elle revenait de ses
champs. Elle laissa une petite fille d’environ un an. Sa sœur aînée reprit
l’orpheline. Mais elle la maltraitait souvent. Un jour, elle est allée avec ses
voisines à la ngiaba (pêche) dans une de leurs rivières. Après avoir fait le
nkama (digue), les femmes furent surprises d’entendre une voix chanter
dans l’eau. La chanson allait comme suit :
Beno bamama luyabanga ngola,
Taleno muana kobazangadi
Kiadi e, e !
Binkutu biani mbo luayanika ku muini
Kansi bilebele biani mbo lualundila
Muana wansiona…
Traduction libre :
Vous autres qui pêchez ici,
Ne voyez-vous pas notre n’siona ?
Ah, qu’elle est triste !
Ses habits, vous ne voulez mettre au soleil.
Mais vous aimez porter les bijoux
Qu’on a laissés pour elle.
Toutes les femmes comprirent de quoi il s’agissait, car elles avaient
parfaitement reconnu la voix de la défunte Nkenge. La sœur de Mama
Nkenge revint au village en pleurant. Tout le monde se réunit ; et la sœur de
Mama Nkenge avait dû demander pardon à l’orpheline. Comme l’écrit
BIRANGO DIOP, cité par MEINRAD P. HEBGA (1975, p. 132) :
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis,
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre ;
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans l’eau qui dort,
Ils sont dans la cave,
Ils sont dans la foule,
Les morts ne sont pas morts ».
Ainsi, Mama Nkenge, morte, a protesté contre le mauvais traitement
réservé à sa fille ; et sa sœur a dû suivre la coutume qui recommande de
traiter l’orphelin comme n’importe quel enfant. Et puis, la « cosmogonie
bantoue » n’enseigne-t-elle pas qu’une des fonctions de toute mère est non
seulement « d’enfanter » des êtres qui assureront la permanence et la
pérennité du clan, mais en même temps de les entretenir et d’en assurer le
plein épanouissement quelle qu’en soit leur nature, comme nous le rappelle
aussi le conte Nande (KAMBALE K., 1975, pp. 12 -13) ?
« Néryo wangabut’ekiréma, iwabya naky’utyâ. Néryo wangabut’omusiré,
iwabya nay’utyâ Isiwimay’oyuwuwene, abosi ni bana »
Traduction :
« Si tu mets au monde un infirme ou un fou, il faut le garder. Il ne faut
jamais prendre celui qui est beau et abandonner celui qui est difforme, car
tout être qui naît d’un homme est beau ».
Cependant, si l’action d’une mère ou des « mères » de clan est
déterminante pour la survie du n’siona, celle de toute la communauté est
aussi importante. Celle-ci est, selon la tradition, investie de devoirs et
d’obligations moraux et sociaux, à un niveau le plus élevé, dans
l’émancipation et l’initiation du n’siona aux tâches d’homme et d’individu
responsable.
2.3.Synthèse
L’examen des facteurs qui facilitaient jadis l’intégration du n’siona à sa
famille ou à son clan nous amène à ces deux constatations :
(1) L’Africain est fondamentalement social et familial. Sa raison d’être
reste donc, et avant tout, le kinzo-kimpangi-kanda. Et sa conscience
est, comme note Henri SALVAT (1971), le reflet de sa propre histoire
personnelle et en même temps le reflet de l’histoire du milieu
socioclanique auquel il appartient. C’est dire, pour paraphraser en
quelque sorte MARX (cité par H. SALVAT), que l’essence de
l’homme noir africain n’est pas une abstraction inhérente à l’individu
isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports socio-Famille-
Clan.
(2) D’une manière générale, on observe que non seulement les sociétés
traditionnelles africaines étaient fondées sur le territoire, sur le lien de
sang et de parenté, mais elles permettaient une intégration
extrêmement fonctionnelle et intime de tous ses membres. C’est que,
en d’autres termes, tous les membres étaient appelés à participer et à
contribuer au fonctionnement de l’ensemble, sans vouloir provoquer
un sentiment d’effort mal dirigé ; car la solidarité et le lien du groupe
unissaient chacune des activités et chacun des membres à un tout
collectif et dynamique, dont l’individu était loin d’être un isolé ou un
passif.
C’est ce qui explique, par exemple, que le n’siona n’était ni abandonné ni
condamné à vivre en marge du clan, par exemple dans une institution. Au
contraire, il était fondamentalement attaché aux siens, par le « cordon
ombilical de participation ».
Cependant, les traditions et les coutumes de nos peuples ne sont pas
restées immuables. Comme pour tout système social quelconque, leur
évolution est inéluctable. Aujourd’hui, cette évolution est plus perceptible
encore. En effet, outre les grands événements qui les ont bousculées et
bouleversées (colonisation, implantation du christianisme, rébellion,
mouvements sécessionnistes, etc.), les exigences du vingt et unième siècle
(société machine, société de consommation qui impliquent une
transformation et une modernisation des structures économiques, sociales,
voire mentales) ont contraint nos sociétés, et en particulier les structures
familiales de type communautaire, à s’orienter progressivement vers des
modèles familiaux « individualisants » et « importés ».
Malgré une telle évolution de choses, estime J. KASA-VUBU (1963, p.
454), « la coutume bantoue ne disparaîtra pas, mais fera des progrès ». Car
« la civilisation qui est elle-même une coutume n’a pas le pouvoir de faire
disparaître celles qu’elle rencontre sur la voie du progrès, ni de s’y
substituer, mais de les compléter tout en se complétant elle-même en
s’assimilant de nouvelles qualités qu’elle découvre chez les autres
peuples ».
De plus, nous croyons, comme dit A. MOUMOUNI (1964), qu’en dehors
de toute nostalgie du passé, de tout regret romantique et de toute
lamentation sentimentale, les traditions et les coutumes de nos peuples sont
une source féconde de renseignements, et un sujet de réflexion à quiconque
envisage aujourd’hui, avec un tant soit peu de sérieux, les problèmes de
protection et d’éducation de l’enfant vulnérable ou en situation difficile
(enfant abandonné, orphelin, etc.).

4 Les Ntandu sont une des principales tribus du peuple Kongo (ancien royaume du kongo). On peut
situer actuellement l’ancien royaume du Kongo sur une vaste zone située de part et d’autre du Fleuve
Congo depuis Brazzaville et Kinshasa jusqu’à Luanda (Angola) et l’Océan Atlantique.
5 Cf. Recherches zaïroises, Bulletin des Doctorants zaïrois à l’étranger, Bruxelles, avril 1976.
6 La tribu est une autre organisation sociale de nos sociétés. Elle se distingue nettement du clan, et
est primordialement un ensemble politique à base linguistique et culturelle et dont les limites
géographiques ne coïncident pas nécessairement avec celles du clan.
7 Notons que cette façon de considérer la conduite de maternage de la mère africaine s’observe
quelque peu aujourd’hui en Europe, en particulier en Suède où la mère allaite son bébé jusqu’à deux
ans. Et pour favoriser le contact physique de l’enfant avec sa mère, une nouvelle pratique venue de
l’Afrique s’installe en Europe : le sac « kangourou » qui permet à la mère de porter son enfant au
dos, sur le ventre, voire de côté, comme le fait depuis la nuit des temps la mère africaine, avec son
pagne.
8 L’adoption telle qu’on l’entend aujourd’hui était inconnue dans la société traditionnelle africaine.
À son défaut, la tutelle d’un enfant (droit coutumier congolais) est confiée à celui qui exerce en fait
sur lui, le droit de garde.
Chapitre 3

L’Institution d’accueil et d’éducation modern


pour enfants vulnérables ou en situation difficile

L’institution d’accueil était longtemps considérée – au début du XIXe


siècle tout au moins – comme un « parking » d’enfants. Mais, sa nature et
ses objectifs fonctionnels ont beaucoup évolué, depuis la Deuxième Guerre
mondiale, sous l’influence de recherches psychologiques sur la question.
Elle trouve son origine et son fondement dans le phénomène de l’enfance
indigente (handicapés physiques et sociaux), ainsi que dans la volonté de
certaines personnalités d’aider et de protéger l’enfant privé d’un milieu
familial normal. De ce point de vue, elle implique la mise en œuvre d’une
véritable action sociale, visant à satisfaire les besoins matériels, moraux,
éducatifs et socioculturels des enfants placés, en vue de les voir s’épanouir
et s’intégrer harmonieusement dans la société.
Aujourd’hui, l’idée la plus généralement admise consiste à investir
chaque institution du rôle des parents absents et d’en faire, d’une part, un
milieu capable d’allier la protection avec l’éducation, l’amour et la
compréhension avec la formation professionnelle, et d’autre part, un foyer
où les enfants se sentiraient heureux et aimés par des éducateurs pleins
d’humanité.
3.1.Formes d’institutions à régime d’internat
En Afrique noire, les diverses institutions d’accueil, de protection et
d’éducation pour les enfants en situation difficile connaissent, au point de
vue de leur organisation tout au moins, des formes et des styles fort variés,
liés sans doute aux conditions de développement économique et
socioculturel de chaque pays.
En R.D. Congo, par exemple, on distingue, en rapport avec les
organismes chargés d’en assurer la coordination, quatre principales
catégories d’institution à régime d’internat.
Tableau 2 : Institutions congolaises à régime d’internat
CATÉGORIES ORGANES DE TYPES
D’ENFANTS TUTELLE D’INSTITUTIONS
1) Orphelins, enfants Ministère des Affaires Maisons, et foyers à régime
sociales et Fondation Mama
abandonnés Mobutu d’internat (exemple, CFPMM de
Kisangani)
2) Enfants difficiles et Ministère de la Justice Centres d’observation et de
délinquants
rééducation (exemple, l’EGEE de
Mbenseke-Futi à Kinshasa)
3) Jeunesse désœuvrée Ministère de la Jeunesse et Centres de formation et de
des Sports préparation professionnelles (ex.
Brigades artisanales de Kinkole à
Kinshasa)
4) Handicapés physiques, Ministère de l’Enseignement Maisons et Centres d’éducation
moteurs sensoriels (aveugles, primaire et secondaire. spécialisée. (exemple, Centre
sourds, etc.) Kikesa de Livulu à Kinshasa).

En réalité, ces institutions comportent en général deux formes


d’organisation. D’une part, les maisons ou foyers à régime d’internat, c’est
le cas par exemple du CFPMM, de l’EGEE d’autre part, les centres à semi-
liberté, comme le Centre Kikesa9, l’IMMA10, etc.
La majorité des institutions à régime d’internat fonctionnent sur la base
d’un règlement intérieur établi en général par l’autorité de tutelle. Ce
règlement fixe et détermine les objectifs de l’institution, sa structure
d’organisation et son mode de fonctionnement. Par exemple, les conditions
d’admission, la durée de séjour et de placement, les horaires et les activités
des enfants.
3.2.Quelques considérations théoriques sur les effets de la séparation
de l’enfant d’avec la mère et/ou de son placement dans une
institution
La séparation de l’enfant d’avec sa mère ou son placement dans une
institution ne semble pas constituer un recours idéal pour la sauvegarde de
sa personne ou de sa personnalité en général. Fr. SCHLEMMER (1972, p.
31) tire la sonnette d’alarme, quand il écrit : « Pour un enfant, un
placement, même excellent, est toujours un déplacement, souvent un
arrachement ».
En outre, de nombreuses études réalisées au cours de 19e et XXe siècles
ont mis en évidence le rôle vital pour la santé mentale et le développement
de l’enfant en général, des soins qu’il reçoit de sa famille, en particulier de
ses parents. En effet, l’insuffisance ou l’absence des soins de sa famille peut
avoir des effets nuisibles sur le comportement immédiat de l’enfant et sur le
développement ultérieur de sa personnalité. Lorsque des enfants sont privés
de soins maternels, note John BOWLBY (1945), leur développement est
presque toujours retardé physiquement, intellectuellement et socialement, et
ils peuvent présenter des troubles physiques et mentaux. Cliniquement,
soutient l’auteur, ces enfants n’ont pas, par conséquent, d’amis dignes de ce
nom, même s’il leur arrive parfois de se montrer sociables,
superficiellement.
C’est pourquoi on admet que, comme le note PESTALOZZI (cité par Fr.
SCHLEMMER), « quelle qu’en soit la cause, là où la main d’une mère ou
le sourire de ses yeux manque à un enfant, le sourire et la grâce qui lui sont
naturels, dans un état de calme ne s’épanouiront pas non plus dans son
regard ni sur sa bouche ».
Pour René SPITZ (1974), le développement perturbé de l’enfant apparaît
comme lié à l’existence de relations insatisfaisantes, entre la mère et
l’enfant. Ces relations de type pathogène peuvent être divisées en deux
catégories : les relations mères-enfants inappropriées, et les relations mères-
enfants insuffisantes ; dans le premier cas, les relations objectales
perturbées sont la conséquence d’un facteur qualificatif, alors que dans le
deuxième cas, elles sont dues à un facteur quantitatif.
Il faut, cependant, remarquer que certains auteurs font une nette
distinction entre la notion de privation due à la séparation d’avec la mère, et
celle de carence de soins maternels. Pour les uns, la séparation implique la
perte de la mère et équivaudrait à un traumatisme qui produit un choc
comparable à une maladie aiguë, les symptômes pouvant disparaître, si
l’enfant séparé retrouve sa mère ou rencontre un substitut maternel adéquat,
et il ne resterait alors de la maladie qu’une sensibilisation à la séparation et
au changement. Tandis que pour les autres, la carence de soins maternels
suppose l’absence d’une figure maternelle permanente et serait par
conséquent une espèce de maladie chronique à évolution progressive, qui
peut aboutir à des lésions permanentes, voire irréversibles, l’enfant ne
pouvant plus espérer retrouver ou revivre le climat familial.
Il est évident que dans ces conditions, les troubles que l’on observe
peuvent revêtir un caractère « passager » ou « durable », selon que la
privation aura été « partielle » ou « totale ».
3.2.1
. Effets de séparation d’avec la mère (« privation partielle »)
J. BOWLBY et D. ROBERTSON (1962) qui ont observé des jeunes
enfants de 12 mois à 4 ans, lorsque ceux-ci sont éloignés des personnages
maternels auxquels ils sont attachés, et qu’ils sont soumis aux soins de
personnes étrangères, ont montré que leurs comportements peuvent se
diviser en trois phases principales : 1°) la phase de protestation ; 2°) la
phase de désespoir ; et 3°) la phase de détachement ou de négation.
La première phase serait caractérisée par l’angoisse de séparation, c’est-
à-dire par une réaction au danger de perdre l’objet, la mère en l’occurrence :
l’enfant pleurniche, s’agite et refuse tout contact avec d’autres adultes.
L’enfant paraît donc découragé. La seconde phase est celle du chagrin, de la
souffrance ou du deuil, celle d’une réaction à l’éloignement de l’objet
perdu. L’enfant oscille, au cours de cette phase, entre le désir de retrouver
sa mère et celui de traiter avec le nouvel entourage. Enfin, la phase du
détachement, où l’enfant se résigne à affronter l’angoisse et la souffrance,
où il se montre parfois indifférent à sa mère si celle-ci vient à lui rendre
visite. C’est donc la phase d’une adaptation précaire ou malaisée.
Un certain nombre de facteurs semblent jouer un rôle décisif dans les
troubles liés à la séparation : âge au moment de la séparation, durée et
période au cours desquels se produit la séparation, qualité des soins
maternels de substitution, nombre et nature de changements, de situations
traumatisantes subies par l’enfant ou survenues pendant la séparation,
insécurité due à la perte de la mère et à l’insatisfaction affective qui en
résulte.
D’autre part, certaines périodes au cours du développement affectif de
l’enfant semblent plus sensibles que d’autres à la séparation. On estime que
c’est aux alentours de 2, 3 – 5, 6 ans que les bases de la personnalité sont
définitivement jetées, à savoir : la constitution du « Moi » et l’apparition
des virtualités ou des traits fondamentaux comme l’optimisme,
l’agressivité, la sociabilité, le niveau général d’intelligence, etc. Les
influences que l’enfant subit plus tard agissent à la manière d’un catalyseur
ou d’un déclencheur vis-à-vis de la manière dont les virtualités vont se
constituer, se réorganiser et s’actualiser dans le comportement.
Mais en fin de compte, quel que soit l’âge d’un enfant, la séparation
définitive d’avec le milieu familial et la carence de soins maternels ont des
répercussions fâcheuses sur sa santé mentale et son intégration sociale.
3.2.2
. Effets du placement en institution (« hospitalisme »)
D. BURLINGHAM et A. FREUD (1943) qui se sont occupés, au cours
de la Deuxième Guerre mondiale, à déterminer les différences entre les
enfants vivant en milieu familial et en institution, sont arrivés à la
conclusion suivante : en ce qui concerne en particulier la vie affective, le
besoin de s’attacher précocement à une mère demeure insatisfait pour les
enfants du second groupe ; d’autre part ce besoin peut, soit s’émousser et
provoquer ainsi chez les enfants l’incapacité d’accéder à un amour
hautement organisé, soit conduire l’enfant non satisfait (c’est-à-dire déçu et
par conséquent mécontent) à l’exagération du désir de trouver une mère, ce
qui le porte à rechercher perpétuellement une nouvelle figure maternelle
dont il veut gagner l’affection.
Les observations de René SPITZ (1948, 1958, 1974) sur les nourrissons
(hospitalisme) sont devenues célèbres, pour avoir mis en évidence le
retentissement fâcheux de la carence affective chez les enfants séparés
d’avec leurs mères et placés en institution. Pour comprendre l’évolution et
les caractéristiques essentielles de ces troubles, nous nous proposons de
résumer ici le tableau clinique qu’en donne R. SPITZ (1974, p. 209), au
terme d’une étude longitudinale de 19 cas sur 123 nourrissons d’une
institution dite « Pouponnière », et où les symptômes apparaissent, mois par
mois, d’une manière plus définie :
Pendant le premier mois, les enfants deviennent pleurnichards, exigeants
et ont tendance à s’accrocher à l’observateur, lorsqu’il réussit à établir un
contact avec eux.
Deuxième mois : Pleurs se transformant en gémissements plaintifs. Arrêt
du quotient de développement.
Troisième mois : Refus du contact. Souvent couchés à plat ventre dans
leurs berceaux, les nourrissons manifestent de la pathognomonie et de
l’insomnie. Décroissement continu du poids. Tendance à contracter des
maladies intercurrentes ; généralisation du retard moteur, et commencement
de la rigidité faciale.
Au-delà du troisième mois, la rigidité faciale s’établit fermement ; puis
cessation de pleurs, souvent remplacés par des geignements. Aggravation
du retard de développement moteur avec léthargie. Enfin, décroissement du
quotient de développement : de 124 à la naissance, celui-ci atteint 72 à la
fin de la première année, et 45 seulement vers deux ans.
Les expériences faites par H.G. HARLOW (1963) sur les singes rhésus,
en état d’isolement total (le jeune singe ne perçoit ni l’expérimentateur ni
ses congénères) ou subtotal (placé dans des cages de toile métallique, le
jeune rhésus voit ses congénères, mais n’a aucun contact avec eux), nous
ont également fourni des renseignements précieux au point de vue
biologique et psychologique.
En effet, les jeunes rhésus ainsi isolés, pendant des laps de temps
variables, mais généralement prolongés, présentent, dans la première phase
de leur séparation d’avec la mère ou d’avec leurs congénères, une grande
agitation suivie d’une dépression aiguë, avec faciès de détresse ; une
posture affaissée, et de non-réponses aux excitations. L’introduction dans la
cage de la mère, après quelques jours, provoque une explosion affective, et
une régression du comportement en général : les jeunes isolés ont tendance
à rester plus longtemps auprès de leurs mères. Autres effets nuisibles de
l’isolement : comportement anormal, succion des doigts, de pouces,
d’orteils, de pénis, etc. (qui peut d’ailleurs aller jusqu’à deux ans) ;
d’immobilisme ou d’apathie sociale (qui empêche la personne isolée de
réagir aux excitations de ses congénères).
Par rapport à la durée de la privation maternelle, l’auteur a observé, chez
le jeune isolé, le comportement social suivant : trois mois d’isolement :
réadaptation possible ; six mois : effets plus graves, mais réadaptation
possible à long terme ; douze mois : perturbations irréversibles, par
conséquent, chances de réadaptation quasiment nulles ; les jeunes rhésus
sont même capables, selon HARLOW, d’actes meurtriers contre les adultes.
S’il apparaît bien difficile de transposer les résultats de ces
expérimentations sur les bébés humains, et surtout de soumettre ces derniers
à de telles expériences, non seulement à cause de problèmes
méthodologiques, mais aussi de questions d’éthique. Les observations de
HARLOW montrent en tout cas que la rupture des liens, et la carence de
soins maternels peuvent provoquer chez l’animal des troubles semblables
ou analogues à ceux que l’on observe chez l’enfant humain.
Il n’est pas superflu de revenir sur les recherches de J. BOWLBY, et
notamment sur ses conclusions concernant entre autres observations, celles
faites par GOLDFARB sur trente sujets de 10 à 14 ans. Le premier groupe
de ceux-ci comprenait 15 enfants qui avaient vécu en institution dès l’âge
d’environ 6 mois jusqu’à 3 ans et demi, tandis que les 15 autres n’avaient
pas connu cette expérience. Un certain nombre de variables de personnalité
ont été étudiées au cours de ces observations, au moyen de tests variés et de
différentes échelles d’évaluation. Nous résumons dans le tableau 3 les
principaux résultats de ces observations.
Tableau 3 : Fréquence des troubles chez des enfants ayant passé les trois
premières années de leur vie en institution et chez ceux d’un groupe-
contrôle… (Goldfarb/Bowlby)
TROUBLES RÉSULTATS
Institution (Gr.1) Groupe contrôle (Gr.2)
Impopularité parmi les autres enfants 6 1
Besoin intense d’affection 9 2
Crainte 8 1
Agitation, hyperactivité 9 1
Incapacité à se concentrer 10 0
Mauvais résultats scolaires 15 1
Nombre d’enfants total 15 15

Ce tableau montre, encore une fois, que la rupture prolongée du lien


affectif mère-enfant pendant les trois premières années de la vie a des effets
caractéristiques sur la personnalité de l’enfant.
Des différents et principaux travaux évoqués ci-dessus, il ressort, par
ailleurs, que deux facteurs importants se trouvent à la base du caractère
perturbateur de l’institution. D’une part, l’absence de la figure maternelle et
la séparation de l’enfant d’avec son milieu familier (qui entraîne
l’insatisfaction affective), et d’autre part, le fait que l’on ne trouve presque
jamais dans ce milieu impersonnel des gens bien distincts et déterminés
chargés de s’occuper individuellement de chaque enfant et susceptibles de
faire naître chez lui un sentiment de sécurité, de protection et d’amour.
Irène LEZIENE (1972) signale cependant que certains auteurs comme
REINGOLD, KLACKENBERG (Stockholm), O’COUMAR, ROSE et
SOUNIS ont observé de nombreux cas où les enfants placés dans les
institutions stimulantes n’ont présenté que de brefs troubles consécutifs à la
séparation.
Cette opinion, fondée sur les observations objectives, révèle qu’il est
nécessaire d’être prudent dans l’évaluation des effets du placement. Il ne
semble cependant pas qu’elle mette en cause les conclusions défavorables
auxquelles nous avons fait référence.
3.3.Synthèse
Au terme de cette étude descriptive de l’orphelin, et considérant les
données actuelles sur la relation mère-enfant et sur les effets du placement
en institution, nous pouvons conclure par les deux remarques suivantes :
(1) À l’heure actuelle, il est admis que le milieu familial joue un grand
rôle, parce qu’il assure et apporte à l’organisme naissant et en
structuration de l’enfant, des éléments nécessaires qui, intégrés aux
constituants héréditaires, vont influencer le dynamisme de son
développement. Diverses théories psychologiques soulignent cette
relation dialectique qui existe entre le caractère de l’enfant et les
composantes du milieu où il vit, de même que les troubles du
comportement éventuels que peut entraîner une distorsion ou une
insuffisance de telles composantes.
(2) S’agissant des effets du placement en institution, avons-nous raison de
croire à des analogies entre les comportements des orphelins
européens et ceux de l’Afrique, tel qu’il en ressort de la littérature
psychologique ? Certes, les mêmes causes (institution, absence de la
mère, séparation d’avec le milieu familial, etc.) produisent les mêmes
effets ; aussi peut-on admettre a priori l’hypothèse selon laquelle des
effets négatifs observés dans les institutions européennes se
rencontrent également au sein de celles d’enfants analogues
implantées dans les sociétés d’Afrique noire.
Mais, puisque ce qui précède démontre, d’une part, qu’en matière de
protection de l’orphelin la culture européenne est à l’antipode de celle de
l’Afrique noire et que, d’autre part, ce qui est bon pour des orphelins
européens ne l’est pas nécessairement pour ceux de l’Afrique, alors on peut
poser que s’il y a des éléments analogues, il y aura peut-être aussi des
éléments différents.
Si toutefois une telle hypothèse se vérifiait, on serait sans doute tenté de
se poser d’autres questions par exemple sur la nature de ces éléments, et
notamment, si de tels éléments seraient constitués de – et liés uniquement à
– des composantes socioculturelles du milieu africain ou au contraire le
reflet à la fois des éléments de « civilisation » importée et des événements
locaux comme la rébellion, ou de tout cela à fois.
En réalité, le problème est plus complexe. Aussi est-il prudent d’attendre
l’analyse des observations faites sur le terrain avant de formuler et de
répondre à de telles hypothèses.

9 Centre pour enfants handicapés physiques.


10 Institut Mama Mobutu pour enfants aveugles
Partie 2 :

Étude du comportement de l’orphelin placé en


institution
Les enquêtes sur les sociétés négro-africaines traditionnelles montrent
que la solidarité et le lien du groupe unissaient chacun des membres et
chacune des activités à un tout collectif dont l’individu était loin d’être un
isolé ou un passif.
C’est ainsi que l’orphelin, par exemple, n’était ni abandonné ni
condamné à vivre en marge de la famille. Au contraire. Car,
fondamentalement attaché aux siens par un « cordon ombilical de
participation », il était censé trouver théoriquement partout et en tout temps
des « pères » et des « mères », des « oncles » et des « tantes » toujours prêts
à remplacer le père ou la mère disparu(e).
Et, comme le note J. KENYATTA (1960), tout se tenait ici, l’homme à
l’homme, l’institution à l’institution ; toute séparation était mutilation, toute
liaison était essentielle : les solidarités premières subsistaient, celle de la
terre et du groupe humain qu’elle portait, celle du réseau de parenté et
d’alliance qu’elle perpétuait.
Certes, aujourd’hui les comportements et les coutumes africains
connaissent une évolution inéluctable. Certains ont déjà disparu ou sont en
voie de l’être. Ceux qui subsistent encore subissent continuellement les
assauts de la mondialisation et par conséquent perdent progressivement de
la rigueur et de l’importance qu’on leur reconnaissait hier.
Toutefois, comme le souligne encore P. ERNY (1972, p. 293) : « à côté
des centres d’un modernisme souvent criard, ou des régions agricoles et
minières dont la population a pu s’insérer dans le circuit de la vie
économique mondiale, s’étendent d’immenses contrées dont le mode de vie
et de subsistance est demeuré très largement conforme aux modèles
coutumiers ».
Telle n’est pas cependant la situation des orphelins11 qui ont fait l’objet
de la présente étude. Parce que, d’une part, nos enquêtes ont montré que
90 % de ces enfants gardent un souvenir très vague de leurs milieux
d’origine, et d’autre part, leur réalité groupale se caractérise par
l’hétérogénéité de ses membres. Puisque socialement parlant, aucune
relation ontologique ne lie les uns aux autres12. De plus, le placement en
institution de ces enfants et leur déracinement ne permettent pas non plus
l’établissement de relations de type ontologique : concrètement, les
orphelins n’entretiennent plus de contacts avec leurs familles d’origine.
Comme on le voit, le placement de l’orphelin africain pose des
problèmes, non seulement en rapport avec son milieu d’origine, mais aussi
par rapport aux conditions et conséquences de son placement en institution.
La partie 2 du présent ouvrage explicite ces problèmes, précise le cadre
opératoire de notre étude (population d’étude, méthodes et techniques mises
en œuvre) et présente les résultats que nous en avons obtenus.

11 Il s’agit des orphelins qui ont été placés par les Pouvoirs publics au Centre de Formation
Professionnelle Maman Mobutu (« CFPMM ») de Kisangani, à l’Orphelinat de Yambuku à
Mbandaka et à l’EGEE de Benseke-Futi de Kinshasa.
12 Sauf pour les 33 % d’orphelins (qui sont frères et sœurs) dont les contacts fraternels sont
d’ailleurs quasiment nuls.
Chapitre 4

Problématique et méthodologie de l’étude

4.1.Problématique
Le placement de l’orphelin dans une institution13 demeure une
expérience socio-éducative nouvelle en milieu traditionnel bantou. Celle-ci
relève non seulement d’une transposition, en ce milieu, d’un élément de
culture occidentale qui accorde priorité à l’individu, mais aussi elle
contraste singulièrement avec la conception sociophilosophique africaine de
la vie, où l’individu ne peut réaliser pleinement sa personnalité qu’au sein
du groupe social auquel il appartient et dans lequel il vit.
De plus, aujourd’hui, on sait que dans la vie d’un enfant, « les parents
apparaissent comme des obstacles capricieux auxquels l’enfant réagit par un
comportement qui consiste essentiellement à percevoir la situation comme
un effet complémentaire de ses attitudes personnelles et, en conséquence, à
modifier ces attitudes d’une manière réactionnelle en vue de séduire ou de
contraindre l’objet » C’est donc « de la coopération avec les parents dont le
comportement demeure plus ou moins indéterminé et capricieux, des
attitudes réactionnelles de séduction ou de contrainte que naît la
psychogénisation ; dans cette psychogénisation, la mère joue un rôle
essentiel » (P. GEORIS, 1962, p. 50). Comme on dit, si aucun milieu
familial n’agit par vertu magique de sa simple essence, ce qui détermine des
effets et incurve le destin d’un enfant, ce n’est peut-être que le détail des
comportements de personnes (en l’occurrence des parents) auxquelles se
ramène en fin de compte la réalité de tout milieu.
Dès lors et comme on l’a vu (chap. 2), étant donné, d’une part, que dans
les sociétés bantoues ou africaines l’équilibre de la personnalité d’un
individu et des relations humaines et interpersonnelles est fondé sur la
solidarité familiale et clanique, voire tribale, et que, d’autre part, le
sentiment de promiscuité et l’identification à son entourage constituent la
condition qui préside à l’établissement de toute relation gratifiante dans la
vie de l’individu, on est en droit de se demander si en soustrayant
brusquement les orphelins à leur milieu traditionnel, puis en les plaçant
dans une institution à caractère impersonnel et dont le principe même est
contraire aux fondements des structures de sociétés bantoues, les pouvoirs
publics et organisations sociales n’ont pas donc « couru le risque de sauver
la vie de ces orphelins au prix d’une atrophie de leur personnalité. » Nous
soulignons là une question extrêmement pertinente qui résume au mieux la
problématique posée par l’enfant placé en institution. Mais, nous avons
soulevé d’autres interrogations aussi importantes :
(1) Les guerres, les rébellions, etc. qui ont conduit à la création de la
plupart des institutions de protection et d’éducation africaines pour
orphelins ont-elles des résonances, si oui de quelle nature, sur le
développement des enfants qui les ont vécues ?
(2) Le développement mental et moral des orphelins placés dans ces
institutions se fait-il de manière semblable à celui des autres enfants
(orphelins et/ou non-orphelins) qui vivent en famille ?
(4) Les orphelins qui séjournent dans une institution sont-ils capables de
créer des liens d’amour et de loyauté avec d’autres personnes
appartenant ou non à leur milieu institutionnel ?
(4) Les conditions de vie moderne, dans lesquelles semblent vivre ces
enfants, ne favorisent-elles pas, malgré l’absence des parents, un
développement psychologique harmonieux ?
Pour élucider tous ces aspects de la personnalité des orphelins, nous
avons procédé à des enquêtes systématiques de trois institutions congolaises
situées à Kisangani (Province orientale), à Bamanya (Province de
l’Équateur) et à Mbenseke-Futi (ville-province de Kinshasa). Toutefois, la
Partie 2 de l’ouvrage rend surtout compte des observations réalisées à
l’orphelinat national de Kisangani14. Cependant, ces observations ont été
complétées par les études complémentaires de Bamanya et de Mbenseke-
Futi.
Le principal objectif de ces observations était d’identifier et de décrire, en
un moment précis de leur histoire personnelle, des traits de comportements
des orphelins placés en institution. Il s’est agi, en d’autres termes :
(1) de déterminer les caractéristiques de leurs réactions
comportementales, en rapport avec la « situation frustrante » due à la
mort des parents et à la dislocation et absence du foyer familial, ainsi
qu’avec des effets éventuels de l’institution de protection et
d’éducation.
(2) de voir dans quelle mesure de telles caractéristiques les différencient
des autres enfants qui, eux, connaissent des conditions normales de
vie familiale. Par l’étude de ces différences, nous cherchions à cerner
le degré d’adaptation des orphelins à la réalité factice de leur milieu
de protection et d’éducation (CFPMM, par exemple), les types
d’images qu’ils gardent de leurs familles et le mode de contacts
humains ou de relations qu’ils utilisent vis-à-vis de leur entourage.
4.2.Méthodologie
Avant d’exposer les résultats de nos enquêtes (chap. 5 & 6), il est
nécessaire de préciser le cadre opérationnel de celles-ci, et en particulier, les
types de population qui composent l’échantillonnage, et les instruments
d’investigation (ou méthodes de recueillement des informations).
4.2.1
. Population
À propos de la population d’étude, nous nous sommes intéressé à trois
groupes d’enfants et adolescents : le premier groupe (GR. « OI ») est celui
des orphelins « traumatisés et frustrés » par les guerres (rébellions) de 1963
et 1964, et placés depuis en institution au Centre de Formation
Professionnelle Mama Mobutu (CFPMM). Le second groupe (GR. « OF »)
comporte également des orphelins ayant souffert, pour la plupart, de la
guerre, mais qui par contre, ont été repris par d’autres familles, après la
mort ou la disparition de leurs parents ; quant au troisième groupe (GR.
« NO »), il concerne des enfants et adolescents non orphelins, vivant encore
tout naturellement au sein de leurs familles.
Pour constituer l’échantillon du Groupe « OI », nous avons dû d’abord
procéder à l’examen de 216 dossiers d’admission de pensionnaires, puis
appliquer quatre critères précis de sélection, étant entendu que ceux-ci ont
été confrontés préalablement aux données et aux réalités de la situation que
nous avions à observer :
Être scolarisé. Deux impératifs ont dicté ce critère : d’abord, le fait que
la quasi-totalité des orphelins fréquente l’école. Ensuite, à cause de la
nature des instruments d’investigation : l’échelle congolaise d’intelligence
verbale pour enfants « WISC-CONGO », le test des phrases à compléter
« TPC/C » et le « for make a picture story » (MAPS/C). Pour faire passer
ces trois épreuves dans les meilleures conditions et pour donner une chance
théorique égale de réussite à tous les sujets, il était nécessaire que ceux-ci
sachent lire et écrire correctement (neutralisant ainsi en quelque sorte le
facteur de non-apprentissage à la lecture). De plus, on a retenu uniquement
des orphelins d’un niveau scolaire égal ou supérieur à la 3e année primaire.
Être orphelin. Entre 1960 et 1964, presque les deux tiers du territoire
national congolais ont été le théâtre de guerres atroces ; beaucoup de
parents du plus grand nombre d’enfants du « CFPMM » ont perdu la vie au
cours de ces événements ; ces pensionnaires constituent, donc l’épine
dorsale ou l’objectif essentiel de la présente étude.
Être placé au « CFPMM » depuis 1968, 1969, 1970… Pour mesurer des
effets éventuels de l’institution, il était utile de ne prendre en compte que les
orphelins qui y ont passé au moins 5 à 6 ans. En effet, on peut penser que si
le « CFPMM » doit exercer une action déterminante sur les orphelins qui y
résident, celle-ci, qu’elle soit positive ou négative, doit avoir marqué avec
plus d’intensité et de rigueur ceux des orphelins qui y ont été soumis le plus
longtemps.
Nationalité. Nous avons tenu à ce que tous les sujets soient de nationalité
congolaise. C’est une condition nécessaire, pour assurer « l’homogénéité
culturelle » des sujets et pour permettre ultérieurement d’étendre les
conclusions à la population congolaise. Mais, il va de soi que seuls les
orphelins ayant satisfait aux quatre critères précités ont été retenus et ont,
par conséquent, fait l’objet d’observations systématiques.
La formation des échantillons des groupes « OF » et « NO » a été, en fait,
une répétition de l’approche appliquée au choix des sujets du groupe « OI ».
Mais, pour plus de clarté, il a été procédé séparément à la constitution de
ces deux échantillons :
(1) Échantillon du Groupe « OF » : Outre les critères déjà examinés (être
orphelin scolarisé et de nationalité congolaise), nous avons accordé
une attention toute particulière à la variable « habiter une famille
normale ». Il faut entendre par là toute cellule ou structure familiale
normalement constituée.
(2) Échantillon du Groupe « NO » : Nous sommes restés, ici comme
ailleurs, attachés au même mode de sélection. Et puisqu’on a
suffisamment eu à l’expliciter, il convient tout simplement de citer les
facteurs les plus déterminants, à savoir :
■ Ne pas être orphelin.
■ Habiter une famille normale.
■ Être scolarisé et de nationalité congolaise.
Les tableaux 4 à 10 ci-après explicitent les caractéristiques des sujets
ayant été retenus dans les trois échantillons. Il s’agit de sexe, du groupe
d’âge, du niveau scolaire, de l’âge approximatif au moment de la rébellion
et à l’entrée au CFPMM, de la nature d’orphelin et de la cause de la mort
des parents.
Tableau 4 : Sexe
Groupes G F Total
Groupes
Gr. (OI) 43 23 66
Gr. (OF) 43 6 49
Gr. (NO) 24 14 38
Total /sexe 110 43 153

Tableau 5 : Groupe d’âge


Groupes d’âge Gr. (0I) Gr.(0F) Gr. (N0) Total
Groupes
d’âge
9,6 – 12,6 12 1 11 24

12,7 – 15,6 34 27 18 79

15,7 – 19,6 18 18 9 45

19,7 – 22,6 2 3 0 5

Total/Groupe d’âge 66 49 18 153


Tableau 6 : Niveau scolaire
Groupes Enseignement Enseignement Total
secondaire primaire Groupes
Gr. (OI) 28 38 66
Gr. (OF) 32 17 49
Gr. (NO) 21 17 38
Total / Niveau scolaire 81 72 153

Tableau 7 : Âge approximatif au moment de la guerre (rébellion15)


Groupes 1 – 5 ans 6 – 10 ans 11 – 15, Total / Groupe
16 ans
Gr.(OI) 35 32 1 66
Gr. (OF) 16 32 1 49
Gr. (NO) 25 13 0 38
Total /Âge 76 75 2 153

Tableau 8 : Âge approximatif à l’entrée au « CFPMM »


Âge Effectifs (%)*
Entre 1 – 5 ans 2 3
Entre 6 – 10 ans 34 52
Entre 11 – 15 ans 30 45
Total/ Groupes 66 100

Tableau 9 : Cause de la mort des parents16


Causes Gr. (OI) Gr. (OF) Total / Groupes
Guerre [Rébellion] 30 36 65
Guerre [Rébellion], Maladie 18 8 26
Maladie 18 6 24
Total / Groupes 66 49 115

Tableau 10 : Nature de l’orphelin17


Catégories Gr. (OI) Gr. (OF) Total / Catégories
Orphelins de deux parents 60 14 74
Orphelin de père 6 32 38
Orphelin de mère 0 3 3
Total / Groupes 66 49 115
4.2.2
. Méthodes et techniques de recueillement de données
Au point de vue de la méthode, c’est celle dite transversale qui a été
retenue. Cette méthode a consisté à dépeindre les comportements des
orphelins à un moment précis, sans avoir, comme dit Fr. GEELEN
ROBAYE [1973-1974), à considérer ni son origine ni son avenir. Il s’est
agi, en fait, de prendre pour ainsi dire une sorte de « photoflash » ou
d’« instantané », comme si on avait arrêté « l’évolution de la personnalité
dans son devenir [et] comme si on avait immobilisé sur l’écran telle ou telle
image d’un film ».
D’autre part, la personnalité étant elle-même très complexe, il était exclu
d’aborder dans notre étude tous les aspects à la fois. C’est pourquoi nous
avons, dans notre effort de comprendre celle des orphelins, limité nos
observations à deux points précis : 1) l’examen des « aptitudes
intellectuelles » des sujets et 2) quelques aspects de leurs comportements
affectifs.
En réalité, nous avons cherché à obtenir des informations sur les
aspirations des enfants, leurs goûts et intérêts, leurs craintes et plaisirs, leur
mode de relations (sensibilité, identification, agressivité, optimisme, etc.) à
l’intérieur de l’institution (notamment avec le groupe des pairs et le
personnel administratif et éducatif) ainsi que sur leurs attitudes
socioculturelles (images parentales, réactions devant l’autorité, l’avenir…)
Quant aux modes d’approche, nous en avons retenu deux
principalement :
(3) La discussion de groupe. Une approche verbale dont le but était de
laisser parler les enfants en vue, non seulement de les saisir au niveau
du vécu verbal, mais de pénétrer à l’intérieur de leur univers, inconnu
pour nous, et peut-être énigmatique pour eux-mêmes ;
(4) Une approche classique comportant une batterie de trois tests
suivants :
■ L’échelle congolaise d’intelligence verbale pour enfants (WISC-
CONGO). Son but était d’observer le niveau général des « aptitudes
intellectuelles » des orphelins, c’est-à-dire et selon l’expression de
WECHSLER (1965, p. 3-4), leur « capacité globale d’agir dans un
but déterminé, de penser d’une manière rationnelle… ».
■ Deux tests projectifs à savoir, le test des phrases à compléter
(“TPC/C”) et le « make a picture story » (“MAPS/C”).
Une description assez complète de chacun de ces trois tests et un certain
nombre de variables retenues ont été repris et explicités dans le chapitre 5.
S’agissant en particulier de “TPC/C” et “MAPS/C”, on notera que ces
deux tests s’appuient, comme pour la plupart d’épreuves de ce genre, sur les
théories d’association d’idées et du mécanisme de la projection. Sigmund
FREUD, qui a introduit pour la première fois ce dernier concept en
psychologie, le définit comme une tendance dans certaines circonstances à
attribuer à d’autres personnes les caractéristiques, les structures
émotionnelles et les relations sociales, qui concernent aussi bien le sujet lui-
même que les autres personnes. Aujourd’hui encore, certains spécialistes de
psychologie projective admettent que la projection reste un des facteurs
déterminants du comportement humain. S’opérant toujours d’une manière
inconsciente, elle permet, selon Albert COLLETTE (1970), de mettre en
cause des désirs réels, mais refoulés de l’individu, ses pulsions et ses
sentiments qui paraissent dangereux pour son « Moi », ce qui dans certaines
limites lui assure l’équilibre psychique.
Comme on le voit, l’étude de la fonction projective constitue un élément
très important dans l’exploration de la connaissance de la nature humaine.
Néanmoins, outre cet aspect plus théorique, nous avons voulu par le choix
de ces deux tests, comme écrit Van LENNEP (1965, p. 185), « découvrir,
autant que faire se peut, l’attitude générale des sujets envers la vie, dans la
mesure où cette attitude générale était déterminée par la structure et la
dynamique de (leur) personnalité, et dans la mesure surtout où elle
intervient comme principe d’action dans les situations sociales ».
Notons, pour terminer, que toutes ces approches ainsi que les résultats
que nous en avons obtenus sont explicités aux chapitres 5 et 6.

13 L’institution s’entend ici, comme on l’a dit à l’avant-propos, de tout établissement public ou privé
agréé qui a pour caractère d’être social et durable, en vue de permettre le placement de l’enfant
vulnérable ou en situation difficile (orphelin, enfant abandonné, etc.).
14 Créé en 1968, sous l’appellation de « Foyer de Solidarité Nationale Mobutu » (FOSONAM),
l’histoire de ce Foyer se trouve liée aux guerres fratricides et meurtrières qu’a connues la R.D. Congo
au lendemain de son indépendance (1960). Ces guerres ont eu des conséquences très fâcheuses sur la
vie sociale, économique et politique du pays : destruction de biens de toute sorte, désorganisation et
disparition presque totale d’un grand nombre de figures et structures familiales rendant ainsi
orphelins de nombreux enfants, en particulier ceux qui ont été placés au « FOSONAM », dénommé
aujourd’hui « CFPMM » (Centre de Formation Professionnelle Mama Mobutu).
15 Uniquement pour le Groupe « OI »
16 Uniquement pour les Groupes « OI » et « OF ».
17 Uniquement pour les Groupes « OI » et « OF ».
Chapitre 5

Évaluation du comportement de l’orphelin placé


en institution

Au chapitre précédent, nous avons, d’une part, posé le problème de


l’orphelin vivant en institution, et d’autre part, indiqué les méthodes mises
en œuvre pour étudier son comportement.
Nous analysons et interprétons, dans le présent chapitre, les différentes
données recueillies notamment lors d’entretiens avec les orphelins et leurs
encadreurs18, et à l’aide de trois instruments suivants : l’échelle congolaise
d’intelligence globale pour enfants « WISC-CONGO », le test de phrases à
compléter ou « TPC/C » et le « for make a picture story » ou « MAPS/C ».
5.1.Évaluation des aptitudes intellectuelles : l’échelle congolaise
d’intelligence verbale pour enfants ou « WISC-CONGO »
5.1.1
. Motif du choix
Le WISC-CONGO est une adaptation du WISC, épreuve pour enfants de
5 à 15 ans élaborée par P. WECHSLER, à la suite du test pour adultes
connu sous le nom de WECHSLER-BELLEVUE (cf. P. WECHSLER
1967).
Le choix de cette épreuve tient essentiellement à deux éléments : d’abord,
le WISC-CONGO est, à ce qu’on sache le seul test d’intelligence qui ait été
adapté (réétalonné) au Congo. De ce fait, et pour répondre aux objectifs de
l’étude, son utilisation s’imposait. Ensuite, à cause de ses traits, en
particulier le concept global d’intelligence et celui de « dualité intelligence-
personnalité ». WECHSLER écrit (1965, p. 3-4) : « L’intelligence est la
capacité globale ou complexe de l’individu d’agir dans un but déterminé, de
penser d’une manière rationnelle et d’avoir des rapports utiles avec son
milieu. Elle est complexe parce qu’elle est composée d’éléments ou
d’aptitudes qui, sans être entièrement indépendants, sont qualitativement
différentiables ». Donc, d’après WECHSLER, l’intelligence est une partie
d’un tout plus large à savoir la personnalité elle-même. C’est pourquoi,
note-t-il, la théorie sous-jacente au WISC est que l’intelligence ne peut être
séparée du reste de la personnalité. Ainsi un effort délibéré a été fait pour
prendre en compte les autres facteurs qui contribuent à l’intelligence totale
efficace de l’individu (composition de l’échelle et poids égal attribué à tous
les subtests).
Le WISC-CONGO possède aussi d’autres avantages. Si, comme l’écrit
J.P. DELVAUX (1970, p. 9-10), « l’âge mental (AM) a souvent été
considéré comme représentant un niveau absolu d’aptitudes intellectuelles,
indépendamment de l’âge chronologique (AC) du sujet examiné », c’est-à-
dire un concept basé sur l’idée qu’a priori il est possible de mesurer le
niveau intellectuel d’un sujet, par son avance ou son retard par rapport à
d’autres sujets de référence, le WISC, par contre, « ne compare le sujet qu’à
une population d’individus de même âge et le QI qu’il détermine ne peut
donc s’évaluer et se comprendre en termes d’avance ou de retard ». C’est
pourquoi WECHSLER a introduit à la place du QI = AM/AC, le concept de
« quotient intellectuel de déviation (QI/D) ». Selon J.P. DELVAUX,
« Celui-ci n’est pas défini par le rapport entre l’âge mental et l’âge
chronologique d’un sujet (QI = AM/AC), mais bien par la déviation du
résultat-test de ce sujet, par rapport à la moyenne des résultats de son propre
groupe d’âge. Le QI indique alors essentiellement la position relative de
l’intelligence ». Selon l’auteur, « l’avantage principal de cette méthode
réside dans la constance de la variabilité du QI/D : quel que soit l’âge du
sujet, le QI/D a toujours la même signification, puisqu’il indique dans
quelle mesure un sujet s’écarte du résultat moyen de son groupe d’âge ».
5.1.2
. Objectifs statistiques
Ce qui était recherché ici c’était de savoir si le milieu institutionnel
introduit des variations importantes et significatives dans les résultats au
WISC-CONGO. En d’autres termes, existe-t-il une relation quelconque
entre la réussite ou l’échec au WISC-CONGO et le fait de résider dans une
institution ou en famille ? Pour élucider cette question, on a procédé à
l’analyse des résultats sous une double approche.
a) Examen des diagrammes de la distribution des scores
Son but est d’étudier, comme dit Ph. D. DAYLHAW (1969), le caractère
de cette distribution, c’est-à-dire d’observer dans quelle région se rangent le
plus fréquemment les notes et, en même temps, de juger du degré de
symétrie de celles-ci par rapport à la valeur moyenne. La figure 1 ci-après
rend compte du caractère de cette distribution. Cette figure comporte en
réalité six graphiques correspondant aux cinq subtests du WISC-CONGO19
ainsi qu’au quotient intellectuel de déviation (QI/D). Donc, nous avons,
dans le tracé des courbes et des histogrammes, porté l’attention non
seulement sur l’ensemble des résultats, mais aussi sur le caractère
spécifique de chaque subtest.

Figure 1 : Examen de la distribution des scores


b) Étude du comportement des trois groupes « OI », « OF » et « NO »
Elle sert à vérifier si ces groupes sont homogènes ou s’ils diffèrent entre
eux d’une manière significative. Pour tester cette hypothèse, on a appliqué
la technique d’analyse de la variance à un seul critère de classification. Les
degrés de signification des différences observées dans les moyennes de
chaque subtest, de même que le QI/D dans chaque groupe sont repris dans
le tableau 12, ci-après.
Tableau 11 : Examen des scores moyens
Moyennes (1) Valeur de F (2)
Subtests « OI » « OF » « NO » F Valeur de
signification
Information 3,89 3,61 5,06 6,13 P <.01
Compréhension 2,20 3,63 4,89 19,67 P <.01
Arithmétique 4,46 4,95 5,86 6,99 P <.01
Similitude 3,43 3,71 4,81 4,18 P <.05
Vocabulaire 2,96 3,85 4,94 11,2 P <.01
QI/D 82,43 91,43 100,02 12,51 P <.01
N (0I) = 64, N (OF) = 49 et N (NO) = 38.
Pour n1 dl = 2 et n2 dl = 148 : P.05 = 2,99 et P. 01= 4,60

5.1.3
. Interprétation
L’examen des histogrammes et des courbes (figure 1) permet de faire
trois observations :
(1) La courbe de distribution des « OI » a tendance à se situer partout à gauche. Cependant, son
allure, de même que celle des histogrammes, fait apparaître dans l’ensemble une certaine
homogénéité chez les sujets de ce groupe. Ces sujets évoluant en fait sous les mêmes
conditions auraient tendance à manifester des « réactions stéréotypées ».
(2) Lorsqu’on examine les courbes et les histogrammes en fonction des subtests, et que l’on
compare les courbes des « OI » à celles des deux autres groupes, on constate un décalage
sensible entre elles. Alors qu’il diminue lorsqu’on a affaire à des subtests à tâches scolaires
(ex. W3), ce décalage semble s’accentuer dans les subtests qui impliquent une adaptation
sociale (ex. W2). Quoique présentant des retards scolaires réels, les sujets du groupe « OI »
semblent accuser des progrès dans les tâches de type scolaire. La fréquentation des mêmes
écoles de la ville (d’où mêmes possibilités d’acquisition scolaire) doit donc avoir une action
bénéfique pour les enfants privés de famille. Cependant, les différences entre les groupes
« OI » et « NO », par exemple, peuvent être profondes ; mais elles seraient noyées par le fait
que dans le groupe « NO », on retrouve des sujets retardés non identifiés.
(3) Les courbes et les histogrammes du groupe « NO » ont en général une allure très irrégulière.
Cela relève sans doute du nombre peu élevé de sujets (38 au total) dans ce groupe, ainsi que
de la dispersion de leur origine (centre de sélection).
L’étude du comportement des groupes (tableau 11) montre que, excepté
pour le subtest de similitude, les valeurs de F (calculé) dépassent partout
celles de F (tablé), c’est-à-dire les valeurs permises par les fluctuations de
l’échantillonnage. On admet, de ce fait, qu’il existe des différences
significatives entre les moyennes, notamment en défaveur des « OI », ce qui
veut dire que le niveau intellectuel des « OI » placés en institution diffère
significativement de celui des enfants qui vivent en famille (« OF » et
« NO »).
Cela permet de retenir l’hypothèse selon laquelle le milieu institutionnel
défavorise la formation et le développement harmonieux des « aptitudes
intellectuelles » de l’enfant.
En d’autres termes, la causalité des différences observées entre les
groupes reflète l’influence de facteurs d’ordre institutionnel se combinant à
des éléments d’ordre historique et socioculturel. En effet, l’interruption
d’une vie normale (à cause de moments passés en brousse ou à la forêt en
vue de fuir la guerre), le traumatisme et l’insatisfaction affective (dus aussi
bien à la guerre qu’à la séparation d’avec le milieu coutumier), tout cela a
dû défavoriser l’épanouissement des « capacités intellectuelles » de
l’« OI ».
De plus, l’influence des facteurs inhérents à l’institution comme
l’absence de la famille, l’insuffisance d’encadrement (au sens le plus large
du terme : motivations, stimulations, aide morale de l’entourage, envie de
faire plaisir), etc. que l’on y observe a sans doute pu renforcer le caractère
nuisible de ces facteurs liés, comme on sait, à l’histoire personnelle des
individus.
5.1.4 Synthèse
L’évaluation des aptitudes intellectuelles des sujets révèle l’existence des
différences significatives en défaveur des « OI ». Devant ces différences,
nous avons néanmoins émis des hypothèses tendant à les maintenir dans
une limite d’acceptation raisonnable. Nous pensons, en effet, que de telles
différences ne signifient rien, si on ne les plaçait pas dans leurs contextes
situationnels : sociologie des sujets plus cadre et conditions d’observation.
De ce point de vue, comme le note SALVAD, on est tenté de dire que les
différences observées ne seraient pas, peut-être, des différences
d’intelligence, mais des « différenciations intellectuelles dues,
nécessairement et de manière contingente, aux modes d’appréciation des
différentes réalités socioculturelles et sociohistoriques ».
On peut noter, en définitive, que ces différences confirment
indéniablement nos hypothèses de départ : l’interruption d’une vie familiale
normale, le traumatisme et l’insatisfaction affective relatifs à la guerre et à
la séparation d’avec le milieu coutumier, tout cela devait nécessairement
défavoriser l’épanouissement des capacités intellectuelles de l’« OI ». De
plus, l’insuffisance d’encadrement (au sens le plus large du terme) que l’on
observe dans son milieu institutionnel ne pouvait que renforcer le caractère
nuisible de ces facteurs.
5.2.Évaluation du comportement affectif : le test des phrases à
compléter ou “TPC/C”
5.2.1
. Origine et domaine d’application
Le test des phrases à compléter est une épreuve projective, toujours faite
d’une liste de phrases incomplètes ou inachevées, auxquelles on donne le
nom d’« inducteurs » ou d’« éléments stimuli ». La tâche du sujet consiste à
réaliser librement des phrases complètes, à partir de ces éléments. Ceux-ci
sont souvent établis en fonction d’une situation bien déterminée. Par
exemple, la recherche ou la description des aspects psychologiques ou
ethnologiques d’une population donnée, les attitudes d’un sujet comme le
rôle du directeur dans une entreprise, etc.
L’épreuve vise, d’une part et en vertu du principe d’association libre, à
provoquer les réactions du sujet en rapport avec les thèmes implicites ou
explicites que sous-tendent les inducteurs et, d’autre part, à susciter et à
mettre en évidence, grâce aux mécanismes de la projection, les sentiments,
les attitudes et les réactions les plus divers. L’analyse et l’interprétation des
phrases réalisées par le sujet et considérées comme des réponses spontanées
et personnelles de celui-ci aux « éléments stimulus » permettent, comme le
souligne G. SERRAF (1963, pp. 370-377), d’étudier les traits de la
personnalité et la dynamique de ses problèmes, et en particulier : les zones
d’intérêt, de conflit et les mécanismes de défense de « Moi », les différentes
réactions et attitudes du sujet, en rapport avec les éléments et les
événements du passé ou de l’avenir, les désirs et les craintes que ces
réactions laissent apercevoir.
Le test que nous avons utilisé20 sous l’appellation de « test des phrases à
compléter » n’est en fait qu’un réaménagement de la version française du
« STEIN Sentence Completion Test » élaboré par STEIN and MORRIS
(1943). En vue de l’adapter à la situation particulière du lieu et des sujets
auxquels notre étude s’adressait, nous avons dû apporter des modifications
au travail de STEIN and MORRIS et élaboré une liste congolaise axée en
particulier sur les orphelins. Cette liste comporte 48 phrases inductrices
numérotées de P. 01 à P. 48. Celles-ci revêtent des formes variables : un seul
mot ou un pronom comme dans « Kisangani », ou dans « Je… » ; parfois
deux mots ou plus, exemple : « Mon père… », « La famille de Baruti… »,
etc. Ces phrases ont été diversifiées et choisies de telle manière qu’elles
soient capables non seulement d’induire des réactions appropriées des
sujets, mais d’explorer aussi différentes zones de conscience, comme la
situation personnelle du sujet (image de soi, image parentale), les intérêts
dominants, les réactions devant l’adulte ou en situation sociale de stress, les
objets ou les situations qui provoquent les craintes, etc.
5.2.2
. Dépouillement et analyse du corpus21
a) Analyse de contenu des phrases induites
Notons d’abord que dans cette analyse, nous ne recherchions pas, à l’aide
du « TPC/C » à réaliser une étude qualitative des « OI », c’est-à-dire à faire
une estimation individuelle de leur personnalité. Il s’est agi, au contraire,
d’explorer et de cerner des traits des comportements qui les caractérisent,
par rapport aux autres sujets (« OF » et « NO »). Pour ce faire, une analyse
des contenus de toutes les phrases induites s’imposait.
Mais, étant donné que l’analyse de contenu implique, comme dit M.
Christ. D’UNRUG (1974, p. 32), une réorganisation ou une sélection des
éléments d’un discours… et que pour le chercheur « l’interrogation doit
porter sur le type d’opération que l’on peut faire subir à ces éléments, sans
déformer ou perdre en cours de route l’essentiel de son sens », nous avons
cherché à classer les réponses en fonction de leur contenu sémantique, en
évitant de faire une systématisation, c’est-à-dire, de postuler d’avance qu’il
y avait une attitude déterminée, un besoin ou une motivation spécifique
quelconque. Nous avons donc surtout examiné chaque phrase dans toute la
population cible, en essayant de récolter ce qui ressortait le mieux dans la
réponse induite : une attitude, un sentiment ou une réaction, un thème…
Ensuite, nous avons cherché à voir si et en quoi les réponses induites des
« OI » se distinguent de celles des autres sujets, dans l’espoir d’en déduire
quelque chose concernant leur état psychologique.
Concrètement, l’analyse a été axée sur un dépouillement horizontal et
vertical, phrase par phrase. L’unité d’analyse est restée partout la même : la
phrase induite. Le dépouillement a donc consisté à catégoriser d’abord les
réponses et à les quantifier ensuite. Il est à noter toutefois qu’en
catégorisant les réponses, nous n’avons pas cherché, comme écrit A.
OMBREDANE (1969, p. 50), à « entrer dans la dynamique
comportementale et à définir la structure de la personnalité » des sujets. Il
s’est agi, au contraire, d’explorer et de cerner des traits de comportement
qui les caractérisent, en vue de faire des hypothèses sur leur modèle
culturel, c’est-à-dire de s’interroger sur leurs attitudes, vis-à-vis des objets
comme la maladie, la mort, le travail, les situations de responsabilité, la
liberté et le composé kinzo-kimpangi-kanda (famille-clan).
En fait, comme écrit encore OMBREDANE, « l’analyse s’attache
davantage aux objets du comportement et tend à négliger des définitions de
traits de personnalité individuelle, comme serait un trait de narcissisme…,
d’hystérie, etc., de même qu’elle tend à négliger les racines infantiles de tels
traits et les situations nucléaires à partir desquelles ils ont pu se constituer ».
Ces objets ont été codifiés et regroupés en modalités (M. 01 à M.40) dans
lesquelles interviennent des éléments de différentes natures (par exemple
des constatations objectives ou neutres : « la guerre… a eu lieu en 1964 »,
des attitudes et des réactions affectives de toutes sortes : négatives,
positives, etc. Ces modalités rassemblent, dans le tableau 12, ci-après, un
certain nombre de caractéristiques qui permettent de comparer les « OI »
aux « OF » et « NO ».
Tableau 12 : Description des modalités catégorielles22
Modalités Catégories Éléments [contenu] caractérisant la
catégorie
M. 02 Désir, recherche de relations Rester auprès de ses parents, de ses sœurs, de
d’intimité, de promiscuité sa famille ; être caressé par sa mère quand on
(besoin d’affection). est malade ; recevoir les nouvelles de sa mère,
boire le lait maternel ; être porté au dos ; être
lavé ; fonder un foyer (se marier et avoir sa
femme et ses enfants) ; être dans les bras de ses
parents
M. 07 Thème de voyage, d’évasion Voyager ; aller en vacances ; fuir la maison ;
aller à Kitona, à Lubumbashi, en Italie.
M. 09 Éléments d’intégration Aller à la fête de Noël ; aller prier à l’église ;
religieuse (surtout de religion être un bon chrétien ; écouter, entendre la
chrétienne) parole de Dieu ; être ou devenir prêtre.
M. 12 Expression émotionnelle Appeler au secours ; se défendre, chercher à se
positive [réaction de libérer, fuir la maison, à la forêt (p. 02) ;
dynamisme, de joie]. s’efforcer de se débrouiller, de faire son travail
(p. 20) ; aller à l’hôpital, au dispensaire pour se
faire soigner ; être très heureux, très contents ;
sauter de joie.
M. 13 Expression émotionnelle Pleurer, trembler de peur ; être mécontent,
négative (état affectif simple, fâché, découragé ; se sentir triste, malheureux ;
de passivité) ne rien faire
M. 14 Agression « passive » ou subie Se faire tabasser ; être blessé, battu,
(autoagression, emprisonné, mis au cachot, pendu comme un
autodestruction) animal ; avoir peur d’un ennemi qui cherche à
attaquer ; peur de voir des fabricants de
couteaux.
M. 15 Comportement non Vexation de gens de kinzo-kimpangi-kanda ;
conformiste (attitudes l’impolitesse, dérangement, la paresse,
négatives, c’est-à-dire l’ignorance, la méchanceté de supérieurs ; la
socialement répréhensibles). mère qui gronde ; rapports d’accusation ; voler,
désobéir, se conduire mal ; calomnie,
taquinerie, s’aliéner le « kandaïsme » ; faire le
voyou.
M. 16 Description objective C’est embêtant d’aller à l’école quand il fait
(définition) des conditions chaud, et toujours à pied ; d’être sous l’excès
matérielles de du travail manuel ; la rébellion a eu lieu à
l’environnement. Kisangani en 1964 : c’est le combat de
Basimba.
Mon père était directeur ; ma mère était
monitrice. Ma famille est nombreuse, se
compose de père, mère et enfants.
M. 17 Thème de souffrance. La souffrance qu’il supporte jour et nuit ; la
maladie, la mort des miens [père, mère,
« frère » du clan, etc. ; maux de dents ; le fait
d’être laissé dans le malheur ; ma famille a été
décimée à cause de la rébellion, de la mort de
ses membres ; papa n’est plus, moi je suis
triste.
M. 18 Conformisme (attitudes Saluer le maître, le directeur ; se montrer
positives, c.-à-d. socialement respectueux, discipliné, honnête, poli, obéissant
attendues) à l’adulte, au supérieur ; ne pas déranger les
autres ;
observer le « kandaïsme » ; force du caractère
M. 19 Jugement défavorable à La rébellion : nous a massacrés
implication affective (le sujet
se sent concerné). impitoyablement, m’a laissée sans père ni
mère…, c’est la cause de notre malheur.
M. 20 Jugement défavorable (avec La rébellion : c’est une mauvaise chose, a
réflexion à implication
cognitive). causé beaucoup de malheur en laissant derrière
elle des orphelins, a fait beaucoup de mal au
Congo, ce n’était pas la vie, mais la mort.
M. 21 Description valorisante (de C’était un vaurien, mais aujourd’hui c’est un
l’image d’autrui ou de soi). grand homme, un grand type ; il était beau,
bon, gentil, respectueux… ; c’est une des
meilleures familles de la ville ; il est bien, riche
parce que beaucoup d’argent ; je ne hais
personne ; je suis un homme fort.
M. 22 Description dévalorisante (de Il n’était pas intelligent ; il cassait les assiettes
l’image d’autrui ou de soi). et les verres, il était doux, mais aujourd’hui il
est turbulent, il ressemble à un animal ; il suçait
les doigts ; il pleurait, il faisait pipi au lit ; on
dit : que je ne ferai rien de bon dans la vie, que
je suis avare, vieux, non instruit, pauvre ; que
je serai malheureux ; que je n’aime pas la
classe et que je serai malheureux ; il est voyou ;
le diable de la forêt.
M. 24 Les résidus Toute réponse inexplicable parce que
l’examinateur ne la comprend pas.
Toute réponse de fuite, ou réponse de type :
« je ne comprends pas », « je ne connais pas ce
que c’est ».
M. 31 Objets d’admiration et Membre de la famille [père, mère, frère, etc.],
d’amour : camarade de classe ; ami ; directeur, maître
d’école, psychologue
1°) Une personne déterminée [Malongo] quelqu’un du milieu social, etc.
proche :
M. 32 2°) Une personne déterminée Président de la République ; Kakoko ; Mokili
éloignée.
Saio…
M. 34 Une personne indéterminée, Les « Léopards » ; les musiciens congolais ; les
éloignée acrobates ; les comédiens, les filles.
M. 35 Un comportement conformiste Sympathie, respect, compréhension ; être loyal,
(qualités morales et humaines
irréprochables et prégnantes) gentil, brave, riche, vérité, des paroles
encourageantes ; faire du bien ; être
raisonnable ; travaille ; réussir en classe et dans
le travail ; sauveur de notre vie.
M. 36 Éléments d’intégration C’est ma future épouse ; c’est l’ami de l’oncle,
sociale, de bon voisinage et le frère de mes parents ; c’est son ami, son
d’affection confident ; il m’aime aussi ; mon meilleur
ami…
M. 37 Source pour la satisfaction Me donne tout ; m’habille, m’achète… ; me
d’ordre matériel donne à manger, à boire (bref me nourrit)
M. 38 Expression émotionnelle Pleurer, être triste, désolé, malheureux,
normale (de chagrin, de découragé…
désolation)
M. 39 Expression (réaction) Affolement, bouleversement, avoir envie de se
émotionnelle « convulsive ». tuer, de se suicider, de se jeter sur la cendre ; se
montrer furieux, très mécontent, troublé…
M. 40 Réflexion à implication J’ai appris ce qu’est la mort, compris que moi
cognitive.
aussi je peux mourir.

b) Analyse statistique du poids des thèmes ou des modalités


catégorielles saillants
Nous avons d’abord analysé les réponses en fonction de chaque stimulus.
Le but était d’observer la nature et le caractère des réactions de groupe, par
rapport à l’élément inducteur (phrase). La signification de certaines
différences observées a été étudiée au moyen du test CHI DEUX. (cf.
tableaux 14 à 24).
Nous avons ensuite étudié le poids de chaque thème (catégorie) dans
plusieurs phrases. L’objectif était de voir s’il y avait des thèmes
préférentiels par rapport à chaque groupe. L’étude statistique de cette valeur
préférentielle a été faite à l’aide du test d’homogénéité des moyennes, dont
le niveau de signification des résultats a été repris dans le tableau 13.
Tableau 13 : Moyennes des attitudes les plus couramment manifestées
Modalités/ Catégories Moyennes (1) Valeur de F (2)
« OI » « OF » « NO » F Valeur de
signification
(M. 02) Intégration affective 0,86 1,47 1,02 3,61 P <.05
(M. 07) Thème de voyage, 0,23 0,33 0,70 7,81 P <.01
évasion
(M. 09) Éléments 0,32 0,06 0,21 3,60 P <.05
d’intégration Religieuse
(M. 14) Agression 1,17 0,87 0,64 3,06 P <.05
« passive »
(M. 15) Comportement non 2,07 2,81 2,13 4,47 P <.05
conformiste
(M. 16) Description 3,50 3,29 4,45 5,53 P <.01
objective
(M. 17) Thème de souffrance 1,91 2,16 1,13 6,93 P <.05
(M. 18) Comportement 2,03 2,20 2,59 3,27 P <.05
Conformisme
(M. 31) Personne proche 0,59 0,97 1,08 7,26 P <.01
(M. 32) Personne éloignée 0,48 0,25 0,16 5,38 P <.01
(1) N (0I) = 52 ; N (OF) = 48 ; N (NO) = 37
(2) Pour n1, d1 = 2 et n2 d1 = 134 ; P.05 = 2,99 et P. 01 = 4,64.

5.2.3
. Interprétation
Les tableaux 15 à 25 révèlent l’existence de différences significatives
indiscutables entre les attitudes des « OI » et celles des autres sujets.
L’examen de ces éléments différentiels nous a permis de mettre en évidence
cinq constats ou tendances comportementales que l’on peut qualifier dans
une certaine mesure de traits de personnalité :
a) Premier constat (C : 1) : malgré les conditions de vie moderne,
l’« OI » parait bien marqué du traumatisme de la guerre,
rébellion, etc., et souffre incontestablement des conséquences de
celles-ci :
(1) Lorsqu’on s’interroge sur ce qui gêne ou ennuie le plus les sujets, l’« OI » place en tête
l’élément « souffrance ». « Ce qui embête Bafende c’est… » « la souffrance qu’il supporte
jour et nuit » : 14 % contre 4 % seulement chez les autres. Cette souffrance est imputée en
grande partie à la maladie et à la rébellion et ses conséquences. Ce facteur fait apparaître
d’ailleurs des différences significatives au test de chi deux (chi2 P. 04/M.17 = 4,66 significatif
à.05). Par contre, pour les autres enfants, ce qui les ennuie le plus ce sont les attitudes
négatives des gens, c’est-à-dire les conduites socialement répréhensibles : 42 % contre 21 %
chez les « OI ». Cette caractéristique se vérifie également au niveau de certaines phrases
comme la P. 04 (chi2 P. 04/M.15 = 6,43 significatif à.05).
(2) Alors que les objets et les situations qui provoquent plus de peur (P.07) chez les « OF » et
« NO » sont d’ordre matériel comme la nuit23, la voûte du ciel, les animaux sauvages
(léopard…) et domestiques (chien…), etc. : 45 % contre 12 %, l’« OI » redoute quant à lui
des facteurs agressifs et insécurisants de l’environnement liés aux événements du passé
(guerre) : 38 % contre 12 % chez les autres. Il faut signaler que ces deux facteurs révèlent des
différences significatives (chi2 P. 07/M.16=16,24 significatif à.01) et (chi2 P. 07/M.14=18,62
significatif à.01). Curieusement, l’« OI » a peur de l’image du parent défunt dont il ressent
paradoxalement ailleurs le vide non comblé : j’ai peur : de « voir les cadavres et les gens qui
sont morts », de « mon père et de ma mère », de « manger avec papa et maman », etc.
Si l’on se réfère à la psychologie africaine, la peur de l’« OI » pour les
parents défunts paraît injustifiée. Car même mort, le parent veille
normalement sur sa progéniture ou sur son ascendant resté en vie. En fait,
une telle réaction traduit chez l’« OI » la manifestation de ce que les
psychanalystes appellent le « mécanisme de défense par identification ».
L’« OI » éprouve certainement le désir légitime de promiscuité, de
s’attacher à ses parents (morts) ; mais ce désir serait refoulé par l’idée de
souffrance. Le père ou la mère ont été assassinés par les rebelles ou par les
mercenaires, ou sont morts accidentellement. En s’identifiant à eux ne
risque-t-on pas de subir le même sort ? D’où cette attitude visant à récuser
le confort affectif du parent défunt en vue d’éviter la souffrance.
Par ailleurs, l’« OI » a tendance à considérer cette souffrance, au niveau
du vécu tout du moins, comme son lot quotidien. Ainsi, ce propos
significatif d’une pensionnaire enregistré au cours d’une discussion de
groupe organisée au CFPMM sur le thème : « Les pensionnaires et leur
formation professionnelle24 » : « Moi, je pense que Dieu est injuste.
Comment peut-il laisser souffrir longtemps des gens comme nous. Nous
sommes déjà grandes filles, nous allons avoir bientôt vingt ans, sans
connaître la vie » (entendez sans avoir appris de métier) ; et elle ajouta :
« … depuis la rébellion, on ne fait que souffrir. À l’école, on nous dit que
nous ne pouvons espérer terminer nos études, parce que nous sommes trop
âgées… Si je ne peux avoir un métier, je préfère me suicider ». Ces propos
de désespoir ne sont d’ailleurs pas seulement l’apanage des filles, car les
grands garçons raisonnent à peu près de la même manière.
b) Deuxième constat (C : 2) : Devant certaines situations comme la
maladie, la discipline ou devant un entourage qui présente un
danger, l’« OI » manifeste une attitude de « passivité affective » et
de soumission beaucoup plus grande :
Tableau 14 : Attitude devant la maladie (*)
Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Réactions positives : se faire soigner… (M. 12) 50 81 78

Réactions négatives : pleurer, rester à la 33 10 19


maison… (M. 13)
Thème de souffrance : on souffre beaucoup… 12 2 0
(M. 17)
Résidus (M. 24) 5 7 3
(*) P. 12 : Quand je suis malade…

(1) Le tableau 14 montre que les orphelins placés en institution se différencient nettement des
autres dans leurs attitudes plus passives à l’égard de la maladie (chi2P.12 / M. 12 = 13,45
significatif à.01) et (chi2P.12/M. 13 = 6,67 significatif à.01).
(2) Par contre, l’« OI » se montre moins indiscipliné, c’est-à-dire plus conformiste que les autres
en matière de discipline (tableau 15). Et l’analyse des résultats au test chi deux confirme cette
tendance (chi2P.08 / M.18 = 5,95 significatif à.05).
Ce comportement différentiel entre les groupes appelle quelques
remarques. Il est vraisemblable, en effet, que cette attitude ait été influencée
par les deux facteurs suivants : d’une part, l’utilisation du pronom on (P.08)
qui semble avoir provoqué le renversement de la tendance ; car lorsque
l’idée de la discipline est associée à un personnage proche comme le maître,
les autres sujets réagissent aussi positivement, et même plus positivement
que les « OI ». Il serait donc intéressant de voir ce qu’il en adviendrait, si
on remplace le pronom « on » par un nom propre. D’autre part, l’attitude
disciplinaire des « OI », au niveau restreint de la variable étudiée tout au
moins, traduit sans doute une réalité de fait d’un régime de discipline
institutionnelle collective et théoriquement « répressive » auquel les
pensionnaires restent soumis.
Tableau 15 : Réaction à la discipline (*)
Réactions exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Réactions négatives : pleurer, se fâcher… (M. 13) 15 8 8

Attitude non conformiste : refuse d’obéir… (M. 15) 15 73 70


Comportement conformiste (M. 18) 23 4 14
Résidus (M. 24) 12 15 8
(*) P. 08 : Quand on dit à Djelo de rester tranquille…

(3) Devant une situation qui représente un caractère agressif, l’« OI » a tendance à subir cette
situation. Parce que son comportement incline soit à une réaction « d’autoagression » ou
« d’autodestruction », soit en général à une attitude « d’agressivité passive » (F [M.14] = 3,06
significatif à.05).
(4) Un autre facteur, n’ayant apparemment aucun lien avec les précédents, souligne encore cette
tendance à la passivité des « OI ». Il s’agit de l’« intégration religieuse ». L’« OI » s’en
distingue en tout cas très nettement des autres (F [M.09] = 3,60 significatif à.05). On admet,
dans ces conditions, que la religion agit, dans la mesure où la présence de Dieu sécurise celui
qui la pratique à la manière de mafuta masangua ye mamvumina ye mungwa (l’huile de palme
mélangée au lait maternel), et est capable, sinon de réduire, du moins d’y dissoudre l’angoisse
née du traumatisme de la guerre et de la séparation.

c) Troisième constat (C : 3) : La rupture du « Cordon ombilical de


participation » entraîne chez l’« OI » un comportement divergent
devant certaines réalités socioculturelles
(1) L’orphelin placé en institution s’aliène le « kandaïsme » (clan), en ce sens que la notion de
participation obligeante à toute activité du groupe, par exemple, n’a presque plus d’impact
dans ses réalités socioculturelles.

Tableau 16 : Réaction à une situation de rejet (*)


Réactions exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Comportement conformiste (observe le 38 54 65
« kandalisme » : attitude positive) (M. 18)
Attitudes négatives (s’aliène le « kandalisme ») 38 19 21
(M. 15)
Résidus (M. 24) 29 27 14

(*) P. 16 : Quand il n’est pas invité25

Face à une situation de rejet qui ne procède pas de la culture bantoue,


l’orphelin placé réagit plus négativement par rapport aux autres : (chi2P.16
/M.18 = 8,78 significatif à.01) et (chi2P.16 / M. 15= 5,57 significatif à.05).
Si donc, à cause de l’évolution des structures de nos sociétés, les différentes
valeurs socioculturelles que celles-ci détenaient et véhiculaient subissent
incontestablement un déclin inéluctable, il apparaît, à la lumière du tableau
16 que ce processus paraît plus sensible encore chez l’enfant placé. Car
l’enfant qui vit en famille continue – comme on l’a vu – à manifester encore
des attitudes plus positives.
(2) On a observé, d’autre part, que l’institution perturbe quelque peu chez l’« OI » la notion de
solidarité clanique qui est le fondement même des sociétés africaines (cf. Tableau 13,
modalités M. 02). Cette modalité montre, en effet, que l’« OI » rechercherait moins des
relations d’intimité et de promiscuité, par rapport aux autres (F/M. 02 = 3,61 significatif
à.05). On peut donc penser, dans ces conditions, que la vie en institution tendrait à émousser
le sentiment de « dépendance » ou de confort affectif vis-à-vis de son entourage social.
(3) De plus, l’« OI » paraît avoir perdu aussi quelque peu cette sensibilité « épidermique » qui
caractérise tout Africain. Tel est, en tout cas, ce qui ressort de son attitude vis-à-vis de la
mort.

Tableau 17 : Attitude devant la mort (*)


a) Qui est mort ? Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Une personne proche (M. 31) 75 89 89
Une personne éloignée (M. 32) 12 2 3
Résidus (M. 24) 13 9 8

b) Attitudes exprimées
Expressions émotionnelles courantes (pleurer, 50 40 43
regretter, stupéfaction, etc.) (M. 38)
Expressions émotionnelles « convulsives » (se jeter 17 44 33
sur la cendre, se tordre) (M. 39)
Expressions émotionnelles anxieuses ou à 13 2 5
implication cognitive (j’ai appris ce qu’est la mort)
(M. 40)
Résidus (M. 24) 20 14 19
(*) P. 39 : Quand j’ai appris la mort de…

L’examen du Tableau 17 (a et b) démontre, une fois de plus, le caractère


différentiel indéniable entre les « OI » et les autres enfants devant le
phénomène de la mort, qu’il s’agisse de la personne qui est morte ou de
l’attitude à tenir devant cette réalité. On a noté, en effet, que (chi2 P.39/M.31
= 4,97 significatif à.05), (chi2 P.39/M.32 = 4,94 significatif à.05), (chi2
P.39/M.39 = 7,01 significatif à.01) et (chi2 P.39/M.40 = 4,70 significatif
à.05).
Cette attitude suscite néanmoins une double interrogation. Ou bien la
mort n’a qu’une signification théorique et ne représente pour l’« OI »
qu’une sorte de souvenir ou de rêve qui traumatise certes (cf. C : 1), mais
qui ne repose nullement sur un substrat social réel : « Mon père… est mort
depuis 1965, et je ne sais quoi raconter sur lui », dira un orphelin. Ou bien
la mort émeut tout naturellement plus l’enfant qui vit en famille, parce que
celui-ci côtoie les morts de sorte qu’il arrive à en exprimer une
« convulsivité » et une « sensibilité » plus aiguës.
Au demeurant, on sait que l’univers social où vit l’enfant africain
constitue un ensemble complexe de croyances, d’idéologies et d’êtres. C’est
un monde à la fois mystique et réel, où l’on discerne parfois mal les lignes
de démarcation entre les morts et les vivants, d’une part, et entre l’adulte et
l’enfant, d’autre part.
Dans ces conditions, on admet que le fait de vivre en famille permet non
seulement de faire vivre ses morts, mais aussi de renforcer son affectivité à
leur endroit. À ce sujet, nous avons demandé à une vingtaine de femmes
lors d’assemblées de deuil (yemba) si l’instinct maternel et la sensibilité
féminine étaient les principaux et seuls mobiles qui les amenaient à verser
autant de larmes, pour un mort auquel elles n’étaient souvent pas liées. Les
trois quarts d’entre elles répondirent que « toute mère qui voit mourir
quelqu’un subit un choc pénible parce qu’elle voit disparaître par là un être
dont elle est un des artisans, et personne au monde n’accepte de voir
détruire son œuvre. Voilà pourquoi nous pleurons beaucoup. En outre, par
nos pleurs, nous regrettons non seulement la perte d’un mpangi (frère), dont
la dépouille mortelle est là, devant nous, mais aussi tous les autres « frères »
et « sœurs » qui nous ont quittés pour rejoindre les bakulu (ancêtres) ».
Ainsi donc, le fait de revivre fréquemment et intensément des situations
ou des événements permet-il – comme c’est le cas dans le processus
d’apprentissage chez le jeune enfant – de mieux les intégrer dans ses
schèmes comportementaux, de les maintenir et d’en exprimer, le cas
échéant, le vrai ressentir.
(4) Un autre facteur souligne également le caractère différentiel notamment entre l’« OI » et
l’« OF ». Il s’agit du jugement que les sujets de ces deux groupes portent sur un événement,
la guerre (rébellion), qu’ils ont tous vécu (cf. tableau 18) :
Tableau 18 : Attitude devant la rébellion (*)
Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Description objective (définition) de l’événement 36 23 51
(M. 16)
Jugement défavorable à implication affective (M. 19 50 0
19)
Jugement défavorable accompagné d’une 29 25 35
réflexion « cognitive » (M. 20)
Résidus (M. 24) 17 2 14
(*) P. 19 : La rébellion (la guerre)…

Malgré son attachement aux événements du passé (cf. C : 1), l’orphelin


placé en institution juge ces événements avec plus de distance que ne le fait
celui qui vit en famille : (chi2 P. 19/ M.19 = 9,51 significatif à.01). En effet,
alors que celui-ci paraît plus impliqué dans la rébellion qu’ils ont tous vécu,
plus concerné26 en quelque sorte par cet événement, l’« OI » se contente
d’en juger à la manière d’un observateur neutre.
d) Quatrième constat (C : 4) : L’« OI » garde de la famille une image
globale plus objective qu’affective
(1) Malgré le caractère « identificatoire conflictuel » (cf. C : 1), l’image
parentale globale de l’« OI » conserve, comme chez les autres, le même
pouvoir d’aspiration et d’idéalisation. C’est, en effet, ce qui ressort de
l’examen des tableaux 19, 20 et 21 ci-après :
Tableau 19 : Image familiale globale (*)
Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Description objective (famille nombreuse, etc.) (M. 29 10 5
16)
Valorisation (bonne, riche, etc.) (M. 21) 35 25 38

Dévalorisation (paresseuse, pauvre) (M. 22) 19 27 14


Thème de souffrance (a été décimée) (M. 17) 4 25 11
Évasion (M. 07) 0 4 11
Résidus (M. 24) 13 9 19
(*) P. 22 : La famille de Baruti est…

Le tableau 20 montre que le sentiment familial de l’« OI » paraît bien


manquer de profondeur. En effet, son attitude consistant à percevoir la
famille d’une manière plus objective est largement significative (chi2
P.22/M. 16 = 10,5 significatif à.01).
Cependant, la réaction de l’« OI », en ce qui concerne l’image valorisante
ou dévalorisante du père ou de la mère, ainsi que le montrent les tableaux
20 et 21 ci-dessous, ne diffère en rien de celle des autres :
Tableau 20 : Image maternelle globale (*)
Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Description objective (fonction, profession) (M. 21 19 24
16)
Valorisation (M. 21) 23 19 24
Dévalorisation (M. 22) 10 6 16
Thème de souffrance (M. 17) 17 35 14
Résidus (M. 24) 29 21 22
(*) P. 24 : La mère de Totoli est…
Tableau 21 : Image paternelle globale (*)
Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Description objective (M. 16) 40 35 65
Valorisation (M. 21) 15 8 16
Dévalorisation (M. 22) 4 4 3
Thème de souffrance (M. 17) 25 38 13
Résidus (M. 24) 16 15 13
(*) P. 27 : Mon père…

(2) Par contre, ces deux tableaux présentent deux autres caractéristiques qu’il est bon de relever.
D’une part, on observe que tous les sujets dévalorisent très peu l’image globale du père, par
rapport à celle de la mère, 3 % (père) contre 10 % (mère). Et alors que, d’autre part, l’idée de
souffrance associée à un objet familial (cf. aussi P.09 et P.22) suscite chez l’« OF » un
pourcentage plus élevé de réponses de ce type, l’« OI » n’y accorde qu’une importance
relativement moindre.
Ceci confirme les conclusions dégagées précédemment (C : 3), et tend à
montrer par ailleurs que les parents (père, mère et par extension la famille)
sont chargés d’une valence toute particulière, en tout cas plus positive chez
l’« OF » que chez l’« OI ».
e) Cinquième constat (C : 5) : La vie de l’orphelin en institution
paraît non gratifiante. De plus, la substitution de ses parents n’est
pas assurée ni l’identification aux personnes de son entourage
L’étude des identifications permet, selon divers auteurs, une meilleure
compréhension de l’insertion familiale et sociale de l’enfant. L’un des
objectifs de toute institution de protection et d’éducation est justement,
comme on l’a vu (chap. 2), « d’assurer aux orphelins une éducation
adéquate pour leur permettre une entière intégration à la société ».
De ce point de vue, la recherche des objets auxquels les orphelins placés
s’attachent le plus, ainsi que les causes ou les circonstances d’un tel
attachement présentaient un intérêt indéniable pour notre étude. Pour ce
faire, nous avons été amenés à retenir comme hypothèse explicative que
l’absence de membres de kinzo-kimpangi-kanda conduit les « OI », dans
leur majorité, à rechercher la chaleur « kandaïque » auprès des personnes
proches du Foyer (institution), telles que le directeur et/ou les moniteurs
sociaux. L’analyse et l’examen des phrases P.10, P. 15 et P.35 ont permis de
prouver cette hypothèse :
Tableau 22 : Objets d’admiration (*)
Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Un objet ayant une valeur symbolique, sociale, 17 19 19
esthétique (Monument, équipe de foot) (M. 30)
Une personne proche (M. 31) 15 27 38
Une personne éloignée et déterminée (M. 32) 38 19 8
Une personne divine (M. 33) 6 2 3
Une personne éloignée et indéterminée (M. 34) 2 15 16
Résidus (M. 24) 22 18 16
(*) P. 10 : J’admire…

Tableau 23 : Objets d’attachement (d’amour) (*)


Attitudes exprimées Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Une personne proche (M. 31) 44 70 70
Une personne éloignée et déterminée (M. 9 6 9
32)
Une personne divine (M. 33) 4 6 3
Une personne éloignée et indéterminée (M. 37 6 3
34)
Résidus (M. 24) 6 12 15
(*) P. 15 : La personne que j’aime le plus, c’est…

(1) Lorsqu’on s’interroge sur les objets auxquels les sujets portent leur admiration ou leur amour
en général, on constate que, outre le caractère différentiel de leurs réponses à ces deux
phrases (P. 10 et P. 15), nettement significatif en ce qui concerne en particulier les modalités
M. 31, M. 32, M. 34 et surtout le (ch2 P.15/M. 34=6,26 significatif à.05), les « OI » ne
mentionnent nulle part le nom d’un quelconque membre du personnel de l’institution
(CFPMM par exemple), excepté le directeur qui a été cité une fois seulement, ce qui est très
insignifiant.
Les personnes adultes du CFPMM, par exemple, seraient-elles
dépourvues de toute forme de valence appétitive, à tel point que les
orphelins n’éprouvent à leur égard aucun sentiment de promiscuité ou
d’affection ?
En tout cas, l’absence d’affects relationnels, c’est-à-dire de liens affectifs
projetés positifs entre les éducateurs et les orphelins, par exemple, infirme
l’hypothèse explicative de la section 5.2.3.e. En effet, les orphelins
répugnent à s’attacher aux personnes de leur milieu ; au contraire, ils
recherchent cet attachement à l’extérieur, notamment dans les objets du
milieu scolaire (le maître, le camarade de classe, etc.), et surtout dans les
parents défunts (« J’aime papa et maman »), ou dans les personnes
indéterminées qui sont censées détenir des valeurs morales : la personne
que j’aime le plus (P.15), c’est « quelqu’un qui est poli », ou « qui m’aime »
ou « qui fait du bien »…
Ces résultats confirment, au niveau des affects verbalisés, le rejet des
éducateurs par les orphelins : « les éducateurs sont jaloux… ils sont contre
nous ; c’est pourquoi ils se montrent très indifférents, incompréhensifs et
agressifs27 ».
De fait, les éducateurs sociaux semblent entretenir avec les pensionnaires
des rapports à caractère administratif. Et comme l’a si bien observé
EKWAKI MANGELA (1972/1973), les relations « paternelles » qui
auraient pu unir les orphelins et les éducateurs et favoriser la confiance
mutuelle font malheureusement défaut parmi eux. Il se forme ainsi deux
mondes distincts : celui des pensionnaires de plus en plus méfiants, d’une
part, et d’autre part, celui des éducateurs considérés par les premiers comme
des « agents de l’ordre, dont le rôle se réduit à établir de mauvais rapports »
pour le compte des autorités du « CFPMM ».
(2) Aussi, est-ce peut-être la raison pour laquelle les « OI » manifestent également une attitude
peu affiliative à l’égard d’une institution comme le « CFPMM » (cf. tableau 24).

Tableau 24 : Attitudes vis-à-vis de l’institution (CFPMM)*


Catégories/modalités Pourcentages
« OI » « OF » « NO »
Attitude intégrative (j’aime le CFPMM) (M. 2) 19 8 0
Description objective (définitions) (M. 16) 44 46 49
Thème de souffrance : CFPMM =source de malheur 6 0 0
(M. 17)
Résidus (M. 24) 31 46 51
(*) P. 45 : Le « CFPMM » (FOSONAM)…

L’examen de ce tableau montre que l’attitude de l’« OI » vis-à-vis de


l’institution n’apparaît pas d’emblée très déterminante : 19 % seulement des
sujets se prononcent assez clairement en faveur de cette institution28 qu’ils
croient capable d’améliorer leurs études et de protéger les enfants dont les
parents ne sont plus en vie. Par contre, la majorité des « OI » se contentent
d’une définition simplement objective : 44 %, presque autant que les autres
(« OF » et « NO ») qui, eux, ne sont pas concernés. D’autre part, 6 %
d’« OI » considèrent le CFPMM comme un lieu des « enfants malheureux »
(attitude répulsive) et 2 % d’entre eux en gardent une image ambivalente :
« Nous sommes bien ici, mais j’aime aussi mon village ».
Cette tendance de non-affiliation, c’est-à-dire de non-recours aux
modèles comportementaux du milieu, fournit « l’hypothèse explicative » au
caractère divergent du comportement des « OI » (cf. C : 2 et C : 3). En effet,
la recherche à l’extérieur des objets d’identification répondrait chez les
« OI » à des motivations, ayant leur origine aussi bien dans le vécu
quotidien non gratifiant de ces enfants que dans la profondeur de leur âme
et en particulier :
(1) Au mécanisme de « l’identification de défense par laquelle le « Moi » du sujet cherche à
échapper à l’angoisse d’une situation psychique traumatisante » (L. CORMAN, 1972, p.
733). Ainsi, l’« OI » s’identifie-t-il à quelqu’un qui fait du bien, pour éviter l’angoisse de
l’incompréhension et de punition de l’institution (éducateurs) ; il s’identifie également aux
objets indéterminés et éloignés pour échapper d’une manière générale à l’angoisse de sa
situation superficielle et impersonnelle d’orphelin ou d’enfant placé.
Par ailleurs, cette tendance procède de la psychologie de l’homme
africain ; en effet, il est de coutume dans la mentalité négro-africaine de ne
pas se fier spontanément à des gens qu’on connaît très peu ou point du tout.
L’âme noire ne s’ouvre vraiment, et encore, qu’à des « frères » du clan. Or,
les éducateurs, par exemple, ne sont pas issus de familles des « OI » ; ils ne
sont pas non plus de leurs clans respectifs. Dès lors, ils ne peuvent établir
théoriquement avec les « OI » que des relations socioadministratives, et, par
conséquent, dépourvues de tout substrat historique et familial.
D’ailleurs, cette façon de percevoir autrui (le proche) serait pensable
aussi bien pour l’éducateur vis-à-vis de l’« OI », que pour ce dernier à
l’égard du premier. En effet, il existe entre l’Africain et sa famille une union
vitale, un rapport de force de vie dont il ne saurait ni se dégager ni se
couper sans jamais tarir la source de cette vie. C’est sans doute pour
préserver cette force que l’« OI » recherche à s’identifier à des personnes
extérieures à son environnement social, c’est-à-dire et probablement à des
substituts de ses ancêtres.
(2) Quant aux facteurs ou causes d’attachement, nous en avons observé trois principalement (cf.
la phrase P.35) : « il aimait beaucoup cette personne parce que… ». Il s’agit : 1°) des éléments
liés aux qualités morales et humaines, c’est-à-dire irréprochables de gens (modalité M.35) ;
2°) des éléments d’intégration sociale, de bon voisinage et d’affection (modalité M.36), et 3°)
des facteurs liés à la satisfaction d’ordre matériel (modalité M.37). Cependant, seul ce dernier
facteur discrimine les groupes (ch2 P.35/ M.37= 4,34 significatifs à.05). Et comme on peut le
remarquer, ces trois facteurs se retrouvent un peu partout, c’est-à-dire dans les principaux
« constats » que nous avons déjà développés plus haut. Il n’y a donc pas lieu d’y revenir.

5.2.4
. Synthèse
Il apparaît à la lumière de l’ensemble d’inducteurs qui viennent d’être
examinés, que l’« agir » et le « sentir » de l’« OI » se situeraient
incontestablement en deçà des comportements usuels. Cela incite à
considérer comme vraisemblable l’hypothèse du caractère divergent du
comportement de cet enfant, par rapport à celui qui vit en milieu familial
normal.
Nous avons, en effet, observé que l’« OI » a bien été marqué par
l’expérience traumatisante de la guerre, de la rébellion (cf. C : 1). Son
placement dans une institution à structure moderne ne semble pas avoir
modifié cet état de choses. L’« OI » continue à penser que le fait de souffrir
pendant et depuis la rébellion est devenu quelque peu son lot quotidien ;
cela le conduit incontestablement à s’enliser dans – et à cultiver quelque
peu – un état de pessimisme et de passivité (cf. C : 2), qui risque de
constituer pour cet enfant un obstacle pour l’épanouissement de sa
personnalité.
De plus, son placement en institution semble avoir accentué la coupure et
la rupture de l’« OI » avec les réalités socioculturelles africaines. (cf. C : 3).
De ce fait, la substitution de parents ne semble pas avoir été assurée :
l’« OI » étant délaissé, refuse de s’identifier aux modèles socioculturels de
son milieu, et se tourne (régression) vers les objets du milieu extérieur. De
là à établir que le comportement divergent que nous avons noté chez lui (C :
5) proviendrait de cette absence d’identification à son milieu, ne serait
qu’un pas que nous n’osons certes pas franchir. Cependant, l’hypothèse
reste plausible.
Enfin, un point lumineux tout de même sur ce tableau aussi sombre :
même si l’« OI » semble garder, vis-à-vis de la famille, une image globale
plus objective qu’affective, il a été constaté que celui-ci cherche comme les
autres non seulement à se réaliser (cf. M.01), mais aussi à être estimé
(valorisation de soi : cf. M.21) et à estimer autrui, bien que, cet autrui, il le
recherche malheureusement loin de sa sphère sociale actuelle (entourage).
5.3.Évaluation du comportement affectif : le « make a picture story »
ou « MAPS/C »
5.3.1
. Origine et domaine d’application
Le MAPS est une technique projective d’origine américaine, introduite
en psychologie en 1947 par E. S. SHNEIDMAN (1952). Cette épreuve
ressemble beaucoup à d’autres tests projectifs à production thématique ou
dramatique, comme le TAT Elle s’en distingue, cependant, du fait qu’elle
implique de la part du sujet deux types d’actions :
(1) Une activité associative au cours de laquelle le sujet est invité à imaginer des situations de
signification et de structure variables, à raconter des histoires, lesquelles sont non seulement
imprégnées du style et du cachet psychologique propres à l’individu, mais supposent pour
être réalisées que le sujet fasse appel à des souvenirs conscients et inconscients, à son
imagination créatrice, à des processus perceptifs complexes et, d’une manière générale, à son
intelligence.
(2) Une action constructive, puisque les personnages étant séparés du décor, on demande au sujet
de les choisir et de les placer d’une certaine manière dans les décors (le sujet doit parfois
inventer lui-même ce décor).
Ce faisant, le sujet crée et interprète, à partir des matériaux élémentaires,
des scènes et des situations très complexes, ayant un contenu réel ou
imaginaire, lié à ses expériences et à des situations sociales et familiales de
son milieu.
Comme le note M. BESSING (1963, p. 311), le MAPS est considéré
normalement comme un outil d’examen clinique et de recherche
psychologique, pour l’exploration de la dynamique et des structures de la
personnalité. C’est aussi, ajoute l’auteur, un excellent instrument non
seulement de thérapeutique individuelle et collective pour enfants et adultes
(grâce aux aspects dramatiques qu’il comporte), mais parfois de diagnostic
en ce sens qu’il permet à l’examinateur de « découvrir l’existence
d’angoisses ou de détériorations mentales, de rattacher des individus à des
séries nosologiques, de mesurer l’amélioration au cours du traitement
psychiatrique… »
E.S. SHNEIDMAN a observé que le test ne connaît guère de limitation
dans son application, c’est-à-dire qu’il peut être utilisé aussi bien pour les
hommes que pour les femmes, pour les personnes normales comme pour les
anormales (névrosés, psychotiques, etc.), pour les enfants comme pour les
adultes. SHNEIDMAN indique, par ailleurs, que le « MAPS » a été
employé pour tester des enfants américains à partir de 6 ans, et que les
résultats ont été dans l’ensemble satisfaisants.
5.3.2
. Description du matériel
Le test original de SHNEIDMAN comporte les matériaux suivants : les
« Arrière-plans » ou « décors » (on en compte au total 21), les « Figurines »
ou « Personnages » (au nombre de 67), la « Feuille de localisation », la
« Carte d’identification de personnages » et « la boîte-théâtre ».
En ce qui nous concerne, il n’était évidemment pas question d’utiliser le
matériel original. Parce que notre préoccupation première était et restait, de
toute évidence, celle d’user de matériaux qui soient les plus simples, les
plus adéquats et les plus proches possible des réalités psychosociologiques
de notre population d’étude.
Dans ces conditions, une forme abrégée et adaptée29, c’est-à-dire
comportant un nombre très réduit de planches et ayant une configuration et
une structure typiquement congolaises, nous a paru la plus indiquée. Pour
ce faire, les principaux matériels du test (décors et personnages) ont été
dessinés et fabriqués sur nos indications, par un professeur de dessin
congolais30. Voici ces différents matériels ainsi que leurs caractéristiques
essentielles :
a) Les « arrière-plans » ou « décors »
Le test qui a été administré aux orphelins et non-orphelins (cf. annexe 2)
comporte huit planches-décors31 dessinés en noir et blanc, sur du carton et
mesurant chacun 27,5 x 21,5 cm. Ce sont dans leur ordre de passation : D1 :
Le « Repas en famille » ; D2 : La « Rue » ; D3 : Le « Rêve » ; D4 : Le
« Pont » ; D5 : Le « Blanc » ; D6 : La « Forêt » ; D7 : Le « Coin de la
classe » ; D8 : Le « Cimetière ».
b) Les structures et thèmes des décors
Les premier, deuxième, quatrième et huitième arrière-plans sont des
décors dits structurés, parce qu’ils présentent des structures très nettes. Le
sixième est à demi structuré ; tandis que le troisième et le cinquième ne sont
pas structurés. Pour ces derniers, le sujet doit imaginer lui-même à la fois le
décor et la structure.
Toutes les planches-décors, sauf celle du « Rêve », ne présentent aucune
trace de figure humaine. Mais, leur configuration ou leur contenu latent sont
faits de telle sorte qu’elles soient capables de susciter, chez le sujet, un
assez grand nombre de réactions psychologiques.
Quel est le contenu ou le thème spécifique dont est porteuse chaque
planche ? Il est difficile de les déterminer d’une manière absolue. Mais
voici, à titre purement indicatif et hypothétique, quelques-uns des thèmes
que la constellation et la structure de chaque décor suggèrent plus ou moins
implicitement :
Le « Repas en famille » évoquerait par exemple le thème de village
« natal » ou de famille nourricière ; le « pont » : le thème de départ
(évasion), de guerre ou de vengeance. La « forêt » : le thème de protection
ou d’insécurité et de peur ; le « coin de la classe » : le thème de gratification
(valorisation) ou d’accomplissement, d’exclusion ou d’autopunition, etc…
c) Les personnages ou figurines
Les personnages au nombre de 41 au total (cf. annexe 2) ont été, comme
les décors, dessinés en noir et blanc et découpés dans du carton. Certains
personnages sont debout, d’autres assis. Mais, comme on le verra (annexe
2), les uns et les autres sont proportionnés de manière à être placés dans le
décor sans beaucoup de difficultés. Leurs visages montrent, par ailleurs, des
expressions et des attitudes fort variées.
d) La feuille d’observation
C’est un feuillet simple, qui reproduit en miniature les huit décors du test,
et sur lequel on note :
(1) Les différentes situations et scènes que chaque sujet a réalisées ;
(2) Le temps de réaction du sujet (entre la présentation du décor et le moment où il a placé le
premier personnage, ainsi que celui où il a commencé à raconter l’histoire) ;
(3) Les personnages qui ont été choisis ou rejetés ;
(4) Les patterns d’activité dominants : gestes, paroles, mimiques, exclamations, etc. ainsi que les
histoires et les réponses du sujet à l’enquête.

5.3.3
. Administration, consignes et enquête
L’administration du « MAPS/C » nécessite la disposition suivante : le
sujet doit être placé dans un local suffisamment éclairé, et assis devant une
table ou un pupitre. L’examinateur se place un peu en arrière et à côté du
sujet, auprès de qui il mettra également tout le matériel dont il a été
question ci-dessus.
Les consignes sont basées en partie sur celle de W. MORRIS (1965, p.
557) et sont formulées de manière suivante : « Je vais vous montrer des
images comme celle-ci » (l’examinateur présente le premier décor
représentant le « Repas en famille ». Vous aurez les figures comme celles-ci
(l’examinateur place les personnages, en désordre, devant le sujet) et votre
travail consiste à « prendre une ou plusieurs figures et à les mettre dans le
décor, tel qu’elles peuvent être dans la vie réelle ». « Commençons par trier
les personnages ; je vous demande maintenant de les disperser de façon à
les voir tous ».
Puis, l’examinateur s’adresse de nouveau au sujet et lui dit :
« Maintenant, je vous demande de choisir une ou plusieurs figures, de les
placer sur le décor et de raconter l’histoire que vous avez créée… En
racontant l’histoire, dites-moi qui sont les personnages, ce qu’ils font, ce
qu’ils pensent, et enfin, comment l’histoire se termine. Allez-y ».
L’enquête : à la fin de chaque histoire et avant de passer au décor
suivant, on procède à une petite enquête, au cours de laquelle deux
questions sont obligatoirement posées : « Pouvez-vous ajouter d’autres
choses ? Quel titre pourriez-vous donner à votre histoire ? » L’enquête peut
porter également sur l’âge, le sexe des personnages, et en particulier sur
celui ou ceux avec qui le sujet semble s’identifier, sur la manière dont
l’histoire se termine, et sur des aspects ou des parties de l’histoire qui ne
sont pas suffisamment clairs ou qui présentent de l’intérêt pour
l’examinateur.
5.3.4
. Mode de dépouillement et objectifs statistiques
Pour des raisons d’économie, le dépouillement a porté essentiellement
sur les quatre premiers décors. Celui de chaque décor a été axé sur les
comportements gestuels et verbaux des sujets (la feuille d’observation) ainsi
que sur le contenu des récits.
Deux types de variables ont été examinées : les « variables
réactionnelles » et les « variables de contenu ». Celles-ci ont été analysées
dans une perspective différentielle. De ce fait, elles se distinguent de celles
que recommandent E.S. SHNEIDMAN et H. MURRAY32. En effet,
l’approche de SHNEIDMAN et MURRAY est non seulement basée sur une
analyse clinique des données et sur la notion de besoin (qui reste très
équivoque), mais implique, pour interpréter les résultats, une connaissance
approfondie du milieu socioculturel et de l’histoire personnelle des sujets.
Ne disposant pas d’assez d’éléments de ce genre, nous avons jugé une telle
approche inopportune.
5.3.5
. Interprétation
a) Analyse des « variables réactionnelles »
Sur la base des données de la feuille d’observation et indépendamment
des récits, nous avons examiné les trois éléments suivants : le choix de
personnages, le temps de réaction et le « style d’adaptation » des sujets.
i) Les personnages choisis et rejetés
Il s’est agi essentiellement d’un dénombrement à caractère empirique, qui
avait pour but de déterminer les personnages qui sont les plus fréquemment
choisis et acceptés33, ou ceux qui sont le plus couramment rejetés. On a
examiné, d’une part, le nombre moyen de figurines choisies, en se référant
aux principales catégories de ces figurines34, et d’autre part, la spécificité
de celles-ci, en se limitant arbitrairement aux personnages de chaque
catégorie, dont le choix préférentiel dépasse 60 % ou dont le rejet atteint au
moins 25 %.
Tableau 25 : Nombre moyen de personnages choisis
Types de personnages Moyennes (1) Valeur de F (2)
« OI » « OF » « NO » F Valeur de signification
PAM 7,20 7,14 7,10 0,08 n. s.
PAF 4,34 3,37 4,37 2,81 n. s.
PEN 3,74 2,96 4,81 4,66 P < 0.5
PFP 1,81 1,66 2,25 0,92 n. s.
PSV 0,83 0,48 1,00 2,24 n. s

(1) N (0I) = 49 ; N (OF) = 27 ; N (NO) =.16


(2) Pour n1 d1 = 2 et n2 d1 = 89, P. 05 ≈ 3,15 et P. 01 ≈ 4,98.

(1) Concernant le choix de personnages, on peut noter d’abord que les trois groupes (« OI »,
« OF », « NO ») portent le plus leur choix sur les « PAM », puis sur les « PAF » et, enfin, sur
les « PEN » et les « PFP ». Les « PSV » sont les moins choisis.
(2) Quant au choix préférentiel, on constate qu’il n’y a pas de différences entre les trois groupes,
sauf pour les « PEN », sur lesquels nous reviendrons plus loin. Donc, dans l’ensemble, le
choix préférentiel ne semble pas avoir été fait en fonction du groupe ou de la nature des
personnages. Aussi, les « OI » ainsi que les autres sujets s’adressent-ils, pour construire des
scènes, aux mêmes personnages, à figuration moderne comme H2, H12, etc. ou traditionnelle
comme H6, H10, etc.
(3) Par contre, le choix de « PEN » fait apparaître des différences significatives sur le total des
résultats (F « PEN » = 4,66 significatif à 0.5). Ce sont en particulier les « NO » qui orientent
plus leur choix préférentiel vers ce type de personnage. Les « OI » et les « OF » paraissent
peu s’ouvrir à cette catégorie. Faut-il en conclure que l’OI et l’OF refusent dans une certaine
mesure d’intégrer leurs pairs (autres enfants), qui pourtant, constituent pour les premiers les
compagnons habituels de leur environnement humain ? Apparemment, il est difficile de
répondre. On peut, cependant, émettre quelques hypothèses :
S’agissant de l’« OI », on pourrait penser que son attitude « négative » à
l’égard des autres enfants soit liée au caractère quelque peu artificiel que
l’on observe dans les liens et les modes de contact qui s’établissent entre
orphelins, et au phénomène de la privation des soins maternels. On a pu
observer, en effet, que les « OI » ont tendance à se considérer comme des
« meso ma mbolongo ga longa tuyisi monana35 » (nous sommes des graines
de l’aubergine, nous venons de gousses différentes et notre rencontre dans
une même assiette n’enlève en rien à notre caractère d’« étrangères » les
unes des autres).
Ce comportement corrobore les observations de BOWLBY (1954, p. 11-
43) : « Lorsque les enfants sont privés de soins maternels, écrit-il, ces
enfants se montrent affectivement renfermés et solitaires, et ne parviennent
pas à nouer des liens libidinaux avec les autres enfants… » Et l’auteur
d’ajouter : « Il leur arrive parfois de se montrer sociables superficiellement,
mais une étude approfondie de leurs attitudes nous contraint à leur refuser
tout sentiment réel, toute profondeur dans leur attachement ».
On pourrait également appliquer à l’« OF » le proverbe kongo, quitte
alors à substituer, par exemple aux autres meso ma mbolongo, les autres
« frères » et « sœurs » du clan qu’ils ont sans doute rencontrés dans ce que
l’on peut appeler le deuxième milieu familial. En tout état de cause, bien
que l’« OF » soit en famille, il serait sensible au fait qu’il n’est pas dans sa
vraie famille, qu’il vit difficilement avec d’autres enfants, ce qui pourrait
faire penser que le système traditionnel de solidarité familiale connaît par-là
et paradoxalement des limites. Il est possible également qu’ayant passé par
une phase de privation et de traumatisme affectifs, les sentiments de
jalousie, de rivalité, etc. qui sinon n’existeraient pas ou du moins seraient
vécus avec moins de heurts dans leurs propres familles connaissent chez les
« OF » plus d’intensité dans leurs nouveaux milieux.
En résumé, et sans vouloir mettre en cause l’interprétation de la variable
(choix de personnages) dans son ensemble, il y a lieu de se montrer prudent,
étant donné le caractère empirique de cette variable et le peu de résultats
dont on dispose aujourd’hui.
ii) Le temps de réaction
On entend par temps de réaction, une variable de durée (exprimée en
minutes) qui concerne le temps qui s’écoule entre la présentation d’un décor
par l’examinateur et le placement du premier personnage par le sujet (T1),
de même que le temps passé par le sujet, depuis le moment où il place la
première figure jusqu’à celui où il débute l’histoire (T2).
Le but de cette mesure n’est pas d’établir un rapport vitesse/qualité d’une
scène ou d’un récit, mais de voir le temps mis par le sujet devant la tâche
d’activité qu’on lui propose. Il s’agit de savoir, en effet, si cette tâche est
sentie comme facile, si elle éveille des inhibitions, si le temps mis pour
exécuter la tâche varie, selon la nature du décor (D1≠ D2 ≠ D3 ≠ D4…) et en
fonction du sujet ou du groupe.
Les tableaux 26 et 27 ci-après permettent de rendre compte des temps T1
et T2 observés et les réactions des sujets, en fonction de chaque décor et de
leurs groupes respectifs.
Tableau 26 : Évaluation du T1 moyen
Décors Temps moyen (1) Valeur de F (2
« OI » « OF » « NO » F Valeur de signification

D1 0’, 70 0’, 46 0’, 45 1,04 n.s.

D2 0’, 55 0’, 07 0’, 07 7,84 P < 0.1

D3 0’, 81 0’, 14 0’, 13 3,42 P < 0.5

D4 0’, 40 0’, 18 0’, 08 1,86 n. s

Temps total 2’, 46 0’, 85 0’, 73 - -


moyen
Tableau 27 : Évaluation du T2 moyen
Décors Temps moyen (3) Valeur de F (4)
« OI » « OF » « NO » F Valeur de signification

D1 3’, 60 3’, 42 3’, 63 0,08 n.s.

D2 3’, 34 2’, 84 2’, 78 1,09 n. s.

D3 2’, 92 2’, 80 2’, 18 1,04 n. s.

D4 2’, 93 3’, 36 2’, 58 1,24 n. s

Temps total 12’, 89 11’, 42 11’, 17 - -


moyen
(1), (3) D1 : N (0I) = 49 ; N (OF) = 26 ; N (NO) = 11
D2 : N (OI) = 48 ; N (OF) = 26 ; N (NO) = 11
D3 : N (OI) = 48 ; N (OF) = 21 ; N (NO) = 16
D4 : N (OI) = 48 ; N (OF) = 22 ; N (NO) = 12
(2), (4) Pour n1 d1 = 2 et n2 d1 = respectivement 83, 85 et 79
(p. 05 ≈ 3,15 et P.01=4,98).

Au total, le T1 moyen a tendance à être plus long chez l’« OI ». Deux


décors paraissent plus désadaptants. Il s’agit du D2 (F D2 = 7,84 significatif
à.01) et du D3 (F D3 = 3,42 significatif à.05). Cela peut faire penser à une
espèce de blocage, d’inhibition chez l’« OI », à « l’incertitude ou doute de
soi », à « l’insouciance » et même au « mécanisme de défense du « Moi ».
En définitive, le temps moyen total est supérieur chez l’« OI » ; celui-ci
paraît moins adapté, moins armé, pour aborder la tâche qu’on lui présente.
Mais, même si l’on songe au poids des problèmes affectifs, on ne doit pas
perdre de vue le moins bon niveau intellectuel36 que présente l’« OI ». Cela
peut être un facteur de lenteur.
iii) Le « style d’adaptation »
On entend par « style d’adaptation », le comportement des sujets au cours
de l’épreuve. Cet aspect du comportement a été examiné, en se référant aux
trois modalités catégorielles suivantes :
(1) Comportement verbal parallèle (murmure, soupire, etc.) ;
(2) Mimique gestuelle et mimique du visage (se gratte la tête, etc.)
(3) Recours à l’examinateur, pour exécuter la tâche (« que je complète ceci, cela… »).
En effet, un geste, un mouvement, une intonation non seulement
soutiennent la parole, l’accompagnent, mais trahissent également la pensée.
À ce titre, on s’est donc demandé si le fait de vivre en institution conduit les
orphelins à perdre les structures du comportement gestuel et mimique des
milieux africains. Le tableau 28 ci-après tente d’y apporter quelques
réponses.
Tableau 28 : Comportement observé au cours de l’épreuve
MOD. /CATÉGORIES Moyennes (1) Valeur de F (2)
« OI » « OF » « NO » F Valeur de signification
Expression verbale 1,08 0,59 0,68 2,38 n.s.
parallèle
Mimique gestuelle et 1,34 1,25 1,31 0,06 n.s.
mimique du visage
Recours à l’examinateur 0,91 0,14 0,12 11,70 P <.01
Moyennes totales 3,3 2,0 2,1 - -
/Catégories
(1) D1 : N (0I) = 49 ; N (OF)= 27 ; N (NO) = 16
(2) Pour n1 d1 = 2 et n2 d1 = 89 : P.05 ≈ 3,15 et P.01 ≈ 4,98.

(1) Quantitativement l’apparition d’« expressions réactionnelles », c’est-à-dire du comportement


en gestes et paroles manifesté par les sujets, au cours de l’épreuve, est proportionnellement
plus fréquente chez l’« OI » que chez les autres.
(2) En outre, devant une tâche donnée, l’« OI » donne l’impression de manque d’autonomie,
d’assurance de soi, puisqu’il recourt constamment à l’examinateur (F M.02 = 11, 70
significatif à.01). Si donc il pose des questions, c’est peut-être par souci de comprendre la
tâche, en vue de mieux l’exécuter. Mais, peut-être aussi qu’il doute, en fait, de lui-même ou
qu’il exprime inconsciemment par là son insatisfaction affective ou son besoin de contact.
En effet, il a été relevé37 que l’« OI » ne retrouve pas, auprès de ses
parents de substitution (éducateurs sociaux) ni même dans l’institution en
général, de substitut affectif et compréhensif, pourtant ardemment
recherché. De sorte que son recours fréquent à l’examinateur prouverait
cette insatisfaction affective.
Or, l’examinateur (c’est le psychologue) est d’abord distinct des
éducateurs. De plus, il adopte des attitudes d’attention et d’intérêt, de
compréhension et de communication envers l’« OI ». Dès lors, le besoin
inassouvi d’affection et de communication compréhensive ne trouve-t-il pas
là l’occasion propice, sinon de se satisfaire, du moins de se manifester ?
Il faut ajouter que l’organisation de la vie quotidienne en général (assez
artificielle) n’est pas faite pour permettre que se développe chez l’« OI »
cette espèce d’autonomie sociale.
Ainsi, comme le dit E. BREUSE (1975, p. 16), « conditionné par les
exigences de ce milieu artificiel », il est possible qu’au lieu d’acquérir cette
autonomie sociale souhaitée, l’« OI » régresse et trouve tout naturel d’être
constamment guidé dans ses activités.
b) Analyses des variables de continu des histoires
Partant des histoires38 ou récits des sujets, l’analyse s’est attachée à
déterminer, pour chacun des récits, la nature, le dénouement ou l’issue et le
comportement du héros. On notera que le comportement du héros, de même
que l’issue ont été analysés uniquement dans le cas d’un récit conflictuel et
où le héros est déterminable.
i) Nature du récit
Les questions qui se posent ici sont : quel est le type ou la nature de
l’histoire que fournit le sujet ? S’agit-il d’un récit simplement descriptif
neutre (RDN), énumératif et impersonnel, c’est-à-dire dépourvu de toute
expression affective, de tout sentiment ? Ou bien s’agit-il d’un récit
descriptif comportant les expressions de sentiment (RDS) ? A-t-on affaire
au contraire à un récit narratif cohérent, c’est-à-dire où il y a une histoire
qui se déroule, un drame qui se noue, se développe et se résout ? Cette
narration est-elle conflictuelle, c’est-à-dire impliquant l’idée de bagarre, de
lutte, de difficultés de toute sorte (RNC) ? Ou bien non conflictuelle,
intégrative, c’est-à-dire un récit narratif où il n’y a pas d’expression de
conflit (RNI) ?
La nature des récits recueillis montre que l’« OI » semble raconter les
mêmes types d’histoires que les autres sujets. Statistiquement, en effet,
aucune différence significative ne se dégage dans aucune des quatre
variables (RDN, RDS, RNC et RNI).
Cependant, il est possible qu’il existe quand même des différences. Peut-
être notre approche normative et formelle ne permet-elle pas de les mettre
en évidence. Il serait donc intéressant d’étudier d’autres éléments comme,
par exemple, les thèmes des récits, et de voir si les résultats se distinguent
ou non, selon les groupes.
ii) Le comportement du héros39
Comment le héros réagit-il en fonction du drame qui se déroule dans un
récit ? Quel rôle assure-t-il ? Lorsqu’il est aux prises avec un conflit,
quelles sont ses capacités, ses possibilités d’adaptation ? Comment
mobilise-t-il ses énergies pour réaliser ses objectifs (par exemple tirer
satisfaction d’une situation), pour vaincre les difficultés, etc. ? En d’autres
termes, se montre-t-il sthénique (actif, mobile : met des éléments favorables
de son côté) ou soumis (il subit la situation et manifeste un comportement
apathique, d’autodestruction et d’autopunition) ? Il convient d’indiquer que
l’observation du comportement du héros a porté sur les quatre variables
suivantes :
(1) Le héros ne fait rien (il est apathique (HER. 1).
(2) Il demande de l’aide, mais n’agit pas, ne participe pas directement à l’action (HER. 2).
(3) Il est sthénique, actif et habile ; il fait appel aux autres et il agit (HER. 3).
(4) Autre cas : changement d’attitude du héros au cours du récit (un héros méchant ou actif qui
devient conciliant ou apathique par exemple et vice-versa (HER. 4).

Tableau 29 : Comportement du héros


Comportements du Moyennes (1) Valeur de F (2)
Héros
« OI » « OF » « NO » F Valeur de signification
HER. 1 0,27 0,11 0,13 1,50 n. s.
HER. 2 0,02 0,11 0,19 1,70 n. s.
HER. 3 0,37 0,63 0,75 2,10 n. s.
HER. 4 0,39 0,22 0,44 1,26 n. s.

(1) N (0I) = 49 ; N (OF) = 26 ; N (NO) = 11


(2) Pour n1 d1 = 2 et n2 d1 = 89, P. 05 ≈ 3,15 et P. 01 ≈ 4,98.

(5) En considérant chacune des variables HER. 1, HER. 2, HER. 3 et HER. 4, on constate
qu’aucune d’entre elles ne permet de discriminer suffisamment les groupes. L’analyse
statistique ne montre pas, en effet, de différence d’attitudes significative.
(6) Mais, si on suppose que le comportement (HER. 2) constitue en partie une attitude acceptable
dans la culture africaine40 et que l’on considère les deux attitudes, HER. 2 et HER. 3, comme
analogues, on peut dire que les HER. 2 et HER. 3 réunies41 confirment en partie l’hypothèse
selon laquelle, devant certaines situations de stress ou un entourage qui présente un danger,
l’« OI » semble manifester des attitudes de passivité et de soumission beaucoup plus grandes.
(7) Une autre considération semble renforcer encore cette hypothèse. Il a été observé, en effet,
que dans les récits conflictuels qui mettent aux prises, d’un côté, les diables (démons), les
sorciers, etc., et de l’autre, les hommes, ces derniers ont, chez les « OI », tendance à se
comporter plus en victimes et à se montrer presque toujours impuissants, en ce sens qu’ils
n’osent pas opposer de résistance aux visées maléfiques de ces instances de mal, soit par
l’affirmation de soi (se montrer sthénique), soit en recourant aux ressorts thérapeutiques
ancestraux ou spirituels42. Dès lors, un tel style de conduite projeté permet de penser que les
orphelins placés se situent probablement en marge du système de régulation sociale africaine.
iii) L’issue ou le dénouement
Comme le note A. OMBREDANE au sujet du Congo T.A.T. (1969), un
récit de MAPS/C est un « épisode dramatique, où l’on voit (souvent), d’une
part, l’individu aux prises avec une situation à laquelle il réagit par une
conduite particulière et, d’autre part, le complexe individu-situation se
résoudre d’une manière favorable ou défavorable à l’individu », positive ou
neutre, par rapport à la morale sociale. D’autre part, dans la perspective du
héros, l’issue est-elle favorable ou heureuse (IS.1), défavorable ou
malheureuse (IS.2). Par ailleurs, du point de vue des valeurs morales
africaines, trois cas peuvent se présenter : ou bien l’histoire ne débouche sur
aucune issue à perspective sociale (IS. 3), ou bien l’issue à une perspective
sociale positive, c’est-à-dire que la règle de la morale sociale est sauve (IS.
4), ou bien, enfin, l’issue est négative, parce que la règle de la morale est
bafouée, non respectée (IS. 5).
Tableau 30 : Caractère de l’issue par rapport au héros et à la morale sociale
Issues Moyennes (1) Valeur de F (2)
« OI » « OF » « NO » F Valeur de signification
ISSUE 1 0,39 0,52 0,68 1,35 n.s.
ISSUE 2 0,65 0,56 0,81 1,56 n.s.
ISSUE 3 0,22 0,15 0,50 3,35 P <.05
ISSUE 4 0,39 0,78 0,88 3,94 P <.05
ISSUE 5 0,43 0,15 0,13 2,57 n.s.*

(1) N (0I) = 49 ; N (OF) = 27 ; N (NO) = 16


(2) Pour n1 d1 = 2 et n2 d1 = 89, P. 05 ≈ 3,15 et P. 01 ≈ 4,98.
N.B. Le rapport IS.4/ IS.5 soit 0,9 (chez « OI »), 5, 3 (chez « OF ») et 7 (chez « NO ») tourne à
l’avantage des « OF » et « NO ».

• Caractère du dénouement par rapport au héros


La question principale qu’on était en droit de se poser était : un « sujet-
héros » étant aux prises avec une situation conflictuelle, dans quel sens cette
situation allait-elle se résoudre. Les résultats traités montrent que l’« OI »
témoigne d’une attitude presque analogue à celles des autres. Et dans les
limites qu’autorisent ces résultats, cette attitude semble se maintenir au
niveau du comportement attendu.
• Caractère du dénouement par rapport à la morale sociale
La conscience morale tend à s’émousser chez l’« OI », puisque dans le
dénouement de la plupart de ses récits conflictuels, la règle de la morale
sociale semble moins positive, moins respectée (F IS.4 = 3,94 significatif
à.05). D’autre part, lorsqu’on examine la relation entre le dénouement
positif (IS. 4) et le dénouement négatif (IS.5) des récits, par rapport à la
morale sociale, on constate que leur rapport (cf. tableau 30) chez l’« OI »
est inférieur à l’unité, alors que celui de l’« OF » et de « NO » non
seulement dépasse l’unité, mais est 6 et 8 fois respectivement plus élevé que
celui de l’« OI ». L’absence de parents ou de substituts parentaux adéquats
(et donc de modèles) et la non-intégration au milieu social pourraient être à
la base d’une telle conduite.
En effet, la genèse de la règle morale se trouve, selon PIAGET (1957),
dans la situation du petit enfant, vis-à-vis de ses parents. Georges MAUCO
(1970, p.161) soutient, par ailleurs, comme beaucoup d’autres auteurs, que
le « surmoi moral » de l’enfant se calque en fait sur « l’image des parents
ou des éducateurs, auxquels il s’est attaché par des liens affectifs très
forts », de sorte que, ajoute-t-il, « le respect unilatéral de l’enfant pour ses
parents amène inévitablement l’aspect contraignant de la règle imposée en
bloc ». C’est donc, conclut MAUCO, « la pression des parents sur l’enfant
qui explique le respect de la règle, le surmoi se construisant alors comme
une instance morale intériorisée par identification au père craint et
admiré », et – pour les Africains – aux ancêtres (vivants ou morts)
respectés.
Cela permet de comprendre quelque peu la conduite morale projetée et
moins adaptée des « OI » au « MAPS/C ». On sait, en effet, que l’« OI » a,
non seulement, perdu son père, mais également le complexe kinzo-
kimpangi-kanda, d’où la perte de possibilité d’identification au surmoi du
père et de kanda. En outre, la substitution du père défunt n’ayant
pratiquement pas été assurée, car l’« OI » rejette le substitut potentiel
éventuel (l’éducateur43), il y a là sans doute une nouvelle difficulté dans
l’intériorisation de l’instance de la morale sociale qu’est censé détenir cet
adulte (représentant potentiel de l’instance sociale). Aussi, ne peut-on donc
pas s’étonner, dans ces conditions, que la conduite morale projetée des
« OI » (et pourquoi pas les possibilités d’intégration sociale) s’en trouve
nécessairement « atrophiée » (par exemple, I.S.5 est plus fréquent chez
l’« OI » bien que non significatif).
5.3.6
. Synthèse
La psychologie moderne a démontré, note ANDERSON (1965), qu’une
évaluation de la personnalité est plus significative, si elle atteint les
réactions profondes et inconscientes.
Les productions au « MAPS/C » sont basées sur les conditions dans
lesquelles les réactions non conscientes peuvent être suscitées et
extériorisées. Son application aux « OI » a confirmé l’intérêt de l’épreuve.
En effet, certains traits de personnalité, spécifiques à cette enfance
défavorisée, ont été mis en évidence : d’une manière générale, l’« OI »
paraît moins adapté devant une tâche qu’on lui propose ; il semble vivre sur
un mode de contact flou et artificiel avec son entourage, privilégiant ainsi
des conduites de type solitaire, au détriment des liens communautaires ; sur
le plan social, il semble moins intégré à son milieu : les règles de conduite
morale paraissent par exemple moins intériorisées44.
Il subsiste encore, malgré ces résultats intéressants, quelques problèmes
réels (en ce qui concerne les normes de cotation, de fidélité et de validité
des réponses) qu’il faudra sans doute résoudre, et auxquels le psychologue
congolais devra apporter des adaptations nécessaires.

18 N.B. Leurs propos ont été analysés selon une approche qualitative, et ont servi à étayer et
commenter les résultats obtenus aux trois tests classiques.
19 W1 = information ; W2 = compréhension ; W3 = arithmétique ; W4 = similitude ; W5 =
vocabulaire ; QI/D = quotient intellectuel de déviation
20 Voir annexe 1
21 On entend par corpus, l’ensemble des phrases induites
22 L’analyse a concerné 40 modalités catégorielles.
23 La peur de la nuit ou des lieux sombres est une attitude que l’on rencontre chez tous les enfants
en général. Cependant chez l’Africain, ce phénomène connaît d’autres dimensions : la nuit est, en
effet, un moment propice pour les matebo (esprits) ; c’est l’instant que choisissent les ancêtres pour
sortir de ndiamu (de leurs « maisons » tombales) pour aller voir les vivants. D’autre part, les bandoki
mpe mpimpa bakinanga (c’est le moment où les sorciers font leurs danses d’ensorcellement). Alors,
en sortant la nuit, il existe toujours un risque non seulement de rencontrer les esprits (eux nous voient
toujours alors que nous non, à moins d’avoir quatre yeux), mais aussi, et surtout les bandoki qui se
montrent particulièrement dangereux. Voilà donc pourquoi on a aussi peur de la nuit.
24 Le groupe de discussion comprenait une douzaine de filles de 1re et 2e C.O. et de 6e primaire.
25 Le terme d’invitation était jadis absent dans le milieu africain.
26 On observe dans ce cas l’utilisation de pronoms me et nous. « La rébellion… nous a massacrés
impitoyablement ; … m’a causé des malheurs, de grandes pertes irréparables.
27 Propos recueillis au cours d’une discussion de groupe avec les plus grands enfants (3e, 4e et 5e
secondaires) et portant sur le thème « Les problèmes du Foyer ou de l’institution ».
28 Exemple : « le CFPMM… », « c’est un joli Foyer », « c’est le Foyer qui nous protège »
29 Baptisée « MAPS/C »= version congolaise
30 Il s’agit de M. KIBULU-MAZEBO KAMBIMBI que nous avons le devoir de remercier très
sincèrement à cette occasion.
31 Cependant chaque sujet a passé cinq planches seulement : 4 obligatoirement et une cinquième
choisie librement par le sujet parmi les quatre derniers décors.
32 Cf. MURRAY, H., (1950), Manuel du « Thematic aperception test », trad. MEUNIER, G., Paris
éd. Du Centre de psychologie appliquée.
33 On entend par personnage accepté celui que le sujet choisit et place sur le décor avant ou pendant
qu’il raconte l’histoire ; et par personnage, rejeté celui qu’il choisit, mais qu’il rejette aussitôt, ou
celui qu’il place éventuellement, mais qu’il remplace par un autre avant de raconter l’histoire.
34 Nous en distinguons cinq : les personnages adultes masculins (« PAM »), les personnages adultes
féminins (« PAF »), les personnages enfants (« PEN »), les personnages faisant peur (« PFP ») et les
personnages sans visage (« PSV ») ; (cf. La liste d’identification de personnages en annexe 2.4).
35 Proverbe Kongo
36 Cf. MALONGO NKODI-ANKUTU, L’étude de la personnalité de l’enfant zaïrois privé d’un
milieu familial normal, in Ethnopsychologie, vol. 1, Paris, 1979, 43-88.
37 MALONGO NKODI-ANKUTU, op. cit. p. 77.
38 Il a été analysé 368 histoires au total.
39 Le héros est le personnage qui semble jouer le rôle principal dans l’action (qui se développe dans
un récit), qui « apparaît souvent dès le début et se trouve essentiellement impliqué dans le
dénouement » (MURRAY, 1950, p. 8-10). C’est en fait et habituellement, le personnage auquel le
sujet narrateur semble s’identifier, celui qui lui ressemble le plus et paraît partager certains de ses
sentiments…
40 C’est le principe de solidarité et de protection réciproque qui oblige tous les membres d’une
famille (clan) à s’entraider et à se sentir responsables des actes des autres.
41 Cela porte respectivement à 94 % et 74 % l’attitude positive des « NO » et « OF » contre 39 %
seulement chez les « OI ». De plus, l’attitude de l’« OI » est significativement différente par rapport à
celle des autres (Chi2 HER2 + HER5 = 17,15 significatif à.01).
42 Notamment au « Nganga ngombo » (guérisseur), à Na « Mfumu ou ma Ndona » (spirites), aux
« magogila ma kanda » (palabres de kinzo-kimpangi-Kanda) et à la pastorale du prêtre ou pasteur qui
permettent de mettre en cause et de rendre inopérant, ne serait-ce que pendant un certain temps tout
au moins, ce pouvoir maléfique.²
43 Cf. MALONGO NKODI-ANKUTU, op. cit. p. 77
44 Cependant, il n’y a pas de raison d’être alarmiste en ce qui concerne cet enfant ; car, s’il paraît
handicapé sur certains points, sur d’autres il n’est pas anormal.
Chapitre 6

Bilan psychologique sur le comportement de


l’orphelin placé en institution

Au chapitre quatre, nous avons explicité la problématique de notre étude


et décrit les instruments d’investigation ; et, au chapitre cinq, nous avons,
en analysant les résultats, noté les tendances (traits) significatives ou
pertinentes du comportement de l’orphelin. Dans le présent chapitre, nous
tenterons de construire une sorte de bilan psychologique portant sur l’état
intellectuel, affectif et moral de cet enfant, en vue d’établir pour ainsi dire
son « portrait social ».
6.1.Remarque préliminaire
Pour situer globalement l’orphelin placé en institution par rapport à
l’orphelin vivant en famille et à l’enfant non orphelin, nous avons relevé les
variables pour lesquelles apparaît une différence statistiquement
significative entre les trois groupes. Et en examinant les indices moyens de
ces variables (tableau 31), nous avons pu supputer, chaque fois, lequel des
trois groupes se différencie le plus de deux autres. Ce qui peut se résumer
comme suit :
Tableau 31 : Indices moyens des variables
Groupes Variable Variable Variable Total %
« WISC » « TPC » « MAPS/C »
OI ≠ OF ≠ NO 1 3 1 5 21, 7
OI ≠ OF = NO 4 5 4 13 56,8
OI = OF ≠ NO 1 1 2 4 17,3
OI = NO ≠ OF 0 0 1 1 4,3
Total 6 9 8 23 100

Il apparaît d’emblée que le cas le plus fréquent est celui où les « OI » se


différencient des « OF » et des « NO », (ces derniers se ressemblent). Pour
les dix-huit variables pour lesquelles un groupe se différencie des deux
autres (les trois dernières lignes du tableau 31, on constate que l’on a :
(1) OI = NO pour 1 variable
(2) OI = OF pour 4 variables
(3) OF≠ NO pour 5 variables
(4) OF = NO pour 13 variables
(5) OI # OF pour 14 variables
(6) OI # NO pour 17 variables
En termes de nombre de variables impliquées, on constate que les « OI »
se différencient très sensiblement des « NO » et un peu moins des « OF ».
Les « OF » se différencient nettement moins que des « NO » par rapport au
« OI ». Or, les « OI » et les « OF » ont en commun d’avoir subi les
traumatismes liés à la guerre (rébellion) et à la séparation d’avec les figures
parentales, alors que les « OF » et les « NO » ont en commun de vivre en
famille, dans des conditions plus ou moins normales. Les « OI » se
distinguent des « OF » par le fait que les premiers sont placés et les seconds
vivent en famille « d’adoption » (une prise en charge naturelle).
Si dans les limites qu’autorise cette schématisation, on compare les
« OI » aux « NO », on est porté à penser que beaucoup de traits
différenciateurs caractérisant les « OI » sont imputables à la vie en
institution. En effet, les « OI » ne partagent que quatre traits, sur dix-huit,
avec les « OF » qui ont vécu, comme eux, les mêmes événements
traumatisants. Quant aux « OF », outre ces traits qu’ils ont en commun avec
les « OI », ils ne se distinguent en outre des « NO » que par cinq traits qui
doivent être dus au fait qu’ils ont été pris en charge par une famille qui n’est
pas la leur propre. Le fait de vivre en famille explique, sans doute, qu’ils se
rapprochent beaucoup plus des « NO » et donc, de la « normalité ».
En outre, le fait que les « OI » et les « OF » aient été également
traumatisés par les événements vécus lors de la guerre (rébellion) montre
que l’insertion des « OF » dans une vie familiale normale leur a permis de
mieux surmonter les effets du traumatisme et de se rééquilibrer, ce qui ne
semble pas avoir été le cas pour les « OI », dont le séjour en institution a dû
non seulement avoir interdit la récupération, mais aussi avoir aggravé leur
état à mesure que se prolongeait ce séjour.
6.2.Traits principaux de différenciation entre « OI », « OF » et « No »
Tel qu’il apparaît à travers les résultats aux tests, le comportement des
orphelins placés se caractérise par deux types principaux de traits : les traits
par lesquels ils se rapprochent des sujets de deux autres groupes et ceux par
lesquels ils s’en distinguent.
En effet, dans bon nombre d’observations, les « OI » ne montrent pas de
différences notables ni avec les « OF », ni avec les « NO ». Quand on
étudie, par exemple, la distribution des scores au WISC-CONGO, ils
accusent des résultats normaux dans les tâches de type scolaire. Certaines
de leurs réactions effectives les rapprochent également des autres sujets :
mêmes aspirations en ce qui concerne notamment l’attachement à l’image
adulte en général (cf. choix de personnages, Chap. 5.3.5.i),
l’accomplissement, c’est-à-dire le désir de réaliser quelque chose dans la
vie (valorisation ou dévalorisation de soi), les goûts et intérêts primaires.
Mais, dans bien des cas et des situations (et non des moindres), les « OI »
se distinguent très nettement et souvent significativement des autres :
(1) Dans l’ensemble, leur niveau général d’intelligence est plus bas que celui des deux autres
groupes.
(2) Par rapport aux « OF », ils paraissent beaucoup plus marqués par le traumatisme de la guerre,
et souffrent incontestablement davantage des conséquences de celle-ci : disparition ou mort
des parents et séparation d’avec leur milieu socioculturel et traditionnel (cf. C : 1) ; ce qui les
incline à cultiver un état de pessimisme et d’anxiété presque permanent quant à leur avenir.
(3) Devant certaines situations de stress comme la maladie (cf. C : 2) ou comme le danger
extérieur qui menace l’individu, les « OI » adoptent beaucoup plus fréquemment des attitudes
de « passivité » et de « soumission », voire d’« autodestruction ».
(4) Nous avons également observé chez les « OI » des tendances à la « régression » du
comportement en général : refus de s’identifier aux personnes de leur milieu (cf. C : 5).
(5) Enfin, les « OI » gardent de la famille une image globale plus objective qu’affective ; et bien
qu’ils conservent encore, vis-à-vis des parents, le même courant d’aspiration et
d’identification que les autres enfants, leur image parentale globale revêt tout de même un
caractère « identificatoire conflictuel » (cf. C : 4).

6.3.Le comportement social de l’orphelin placé


Après l’examen des traits qui différencient les orphelins placés des autres
sujets (« OF » et « NO »), le moment est venu de nous interroger sur la
signification psychologique de ces différences, c’est-à-dire de voir si celles-
ci peuvent, en recourant aux théories de la psychologie générale, nous
apprendre quelque chose sur le comportement social de l’orphelin placé.
Ce problème ne peut être étudié qu’à partir de deux facteurs dits
d’ajustement de la personnalité. Il s’agit du degré d’adaptation de l’orphelin
et de son mode de contact humain ou de relations avec l’entourage.
6.3.1
. Le degré d’adaptation de l’orphelin
Selon R. LAFON (2001), le terme d’adaptation se réfère en général à
l’adaptation à l’environnement, c’est-à-dire à l’accommodation pour un
organisme à « tout ou partie d’un milieu externe ou interne et aux variations
de ce milieu ». Dans le présent ouvrage, il faut entendre par l’adaptation,
l’aptitude pour un individu à agir non seulement efficacement en face d’une
perception externe (stimulation) ou interne (fantasme), mais d’être
efficacement en conformité avec les normes, les règles socioculturelles de
son groupe.
Selon Ruth Benedict (Linton, 1968, p. XXI – XXV) : « tout individu
apporte en naissant des potentialités diverses ; le milieu sélectionne
certaines d’entre elles, notamment en présentant à l’individu des modèles,
des patrons (patterns) qu’il doit suivre pour lui permettre de s’adapter à la
culture et à la vie du groupe et d’y trouver l’équilibre ».
S’agissant de l’« OI », nous avons observé chez lui une tendance assez
marquée à l’« inadaptation », notamment en ce qui concerne le niveau
d’intelligence générale, les réactions affectives devant la maladie, la mort et
dans une situation de stress ou de rejet qui ne procèdent pas de la culture
bantoue, la non-intégration de valeurs morales sociales de kinzo-kimpangi-
kanda (cf. C : 3).
S’il est bien difficile de déterminer, avec précision, les causes et les
contours psychologiques d’un tel comportement divergent (parce que non
conforme au comportement attendu), il est à croire que les conditions
chaotiques qui entourèrent le placement de l’« OI » en institution, certaines
modalités du fonctionnement de cette institution, le phénomène de
privation, tel qu’il ressort des théories psychologiques et psychanalytiques
sur les carences affectives45 et éducatives, tout cela est déterminant, même
s’il reste, il est vrai, que la façon dont les divers facteurs interagissent et
influent sur le comportement de l’« OI » ne soit facile ni à saisir ni à
élucider dans le seul cadre de notre recherche.
Nous prendrons, cependant, le risque, pour tenter une explication, de
nous appuyer sur le schéma théorique et classique de type ci-après.

Les termes clés de ce schéma sont ainsi définis :


(1) Carence = absence d’affection ou de chaleur « kandaïque » de personnage social à valeur
positive : celle de l’« OI » serait sans doute liée à la rupture de la relation avec ses parents et à
l’insuffisance (qualitative et quantitative) d’interaction, entre lui et l’éducateur, censé jouer le
rôle des parents défunts ;
(2) Déviance = tendance à s’engager dans des schèmes comportementaux divergents, c’est-à-
dire, non conformes à la réalité et aux attentes sociales ;
(3) Développement inhibé = le non-fonctionnement et/ou le fonctionnement insuffisant d’un
schème comportemental ;
(4) Comportement divergent = comportement non conforme à l’usage, moins marqué ou en
retrait par rapport à la norme sociale.
Le premier terme du schéma constitue incontestablement un de ces
moments de l’inadaptation que décrit J. CORDIER (1975, p.19), et en ce
sens, l’« OI » peut être considéré comme le « produit d’une carence
d’amour reçu de l’autre », avec pour conséquence : la « difficulté de
s’identifier, d’être à la fois « Moi » et « personnage », dans la relation avec
l’autre et le groupe, de rester identique et s’épanouir dans le flux de la vie et
malgré elle, par la certitude du savoir et sa mise en question et par la
conformité aux lois… », ou comme, selon encore le terme de CORDIER,
l’« exclu » de la société, parce qu’« incapable d’incarner l’épanouissement
de l’homme dans l’univers clos de son « Moi », à cause du fait qu’au départ
il n’aura pas reçu, dans une relation d’amour le mot ; le mot qui fait qu’il
serait capable de comprendre le monde et son existence ».
6.3.2
. Mode de contact humain ou de la relation de l’orphelin avec son
entourage
Selon L.V. THOMAS (1963), le contact social implique une
appréhension directe de l’autre et une prise en considération de la réalité : la
vie en groupe qui suppose elle-même une certaine intelligence sociale.
D’autre part, si pour se construire et se développer l’enfant use des
constances de son équipement « phénotypique » et « génotypique »
(l’héritage de ses parents et de sa race), l’on admet aussi que celui-ci a
constamment recours aux autres membres de son entourage, tout au moins
pendant son enfance, pour sa protection et sa sécurité et pour la satisfaction
de ses divers besoins d’ordre affectif, moral et social. Comme le souligne
Ch. CHAZAUD (1971, p.14), c’est parce qu’il veut mettre en ces autres
« son espoir de réaliser ses buts, de se voir satisfait qu’il viendra
naturellement à se considérer avec les yeux de l’autre et même à se juger
comme un autre… (que finalement) il acquerra la conscience de soi, selon
un véritable dédoublement le conduisant normalement aux facultés d’auto
observation, de réflexion, de morale ou à un développement pathologique,
néoplasique… »
Tel est donc le processus d’identification qui permet à l’enfant d’intégrer
dans sa conduite des modèles familiaux, des normes sociales et des affects
de toute sorte de son milieu. Selon D. BURLINGHAM et A. FREUD
(1949, p.123), l’identification à ces modèles n’est possible et ne s’opère
qu’à une seule condition : « L’enfant doit s’attacher à des personnes (en
l’occurrence à ses parents ou à ses substituts) capables de constituer, pour
lui, la représentation vivante et réelle des exigences de toute société…
celle-ci imposant aux tendances instinctuelles primitives une limitation et
une transformation… »
Alors qu’en est-il du mode de contact de l’« OI » avec son entourage ?
D’abord, comme on l’a déjà dit, la réalité groupale de l’« OI » se caractérise
par l’hétérogénéité de ses membres, et par l’absence de relation et de
contact de type ontologique. D’autre part, entre l’« OI » et l’éducateur de
l’institution considéré à juste titre comme le substitut virtuel de ses parents
(absents), il n’existe, en réalité, ni dyades de compréhension ni dyades
affectueuses. Mais seulement des contacts pour des fins utilitaires, vécus
d’ailleurs sur un mode de relations mécaniques et conflictuelles46 (cf. C :
5).
C’est pourquoi si le besoin de se valoriser existe bien chez l’« OI », on
n’observe malheureusement pas de transfert positif sur les personnages de
l’entourage. Aussi, le refus d’identification à la personne du moniteur social
ou de l’éducateur et l’absence d’attrait pour l’institution démontrent
l’existence, chez l’« OI », d’un problème de « contact psychologique ».
Encore une fois, les caractéristiques psychologiques nuisibles de
l’institution (pauvreté en modèles, patterns socioculturels, plus le caractère
artificiel de la vie en groupe) et le comportement de l’éducateur social,
teinté de négativisme affectif, peuvent faire que ni l’un ni l’autre ne soient
l’objet d’attachement. À cela s’ajoute le problème des repas qui se
déroulent sans la présence d’adultes, c’est-à-dire qui se prennent, comme le
note P.A. OSTERRIETH (1970, p. 229), « en dehors d’un ensemble de
sollicitations et de réponses qui composent une relation vivante », et qui
sont, en plus, organisés de telle manière qu’aucune place ne soit laissée à
« l’improvisation, à ce minimum de désordre nécessaire pour faciliter les
relations réciproques de l’enfant et des personnes adultes47 ».
Dans une étude sur la représentation de la famille par des adolescents
français privés de leurs familles, H. GIRARD (1975, p. 269) a observé que
« cette image ou représentation est d’autant plus favorable que la relation
avec (leur) substitut est vécue comme positive ou satisfaisante », et à
l’inverse, note l’auteur, des relations médiocres avec son substitut altèrent
« la confiance de base du jeune, induisant par là une attitude méfiante
dépourvue d’espoir ou d’un infantilisme plus ou moins marqué, l’un comme
l’autre empêchant l’adolescent de se percevoir en tant qu’individu
autonome, digne de la confiance d’autrui ». La seconde partie des
observations de GIRARD confirme les résultats de notre étude en ce qui
concerne les « OI » placés.
Dès lors, étant donné que le sentiment de promiscuité constitue, tout
comme l’identification, la condition qui préside à l’établissement de toute
relation interpersonnelle gratifiante, et que de bonnes relations avec son
entourage, quel qu’en soit le mode, favorisent l’adaptation ultérieure d’un
enfant, il est à craindre que la mauvaise qualité relationnelle entre l’« OI »
et son entourage ne compromette plus tard, chez lui, l’édification d’un
amour suffisamment organisé qui – comme on le sait – constitue un prélude
à toute relation confiante et réciproque.

45 Celles de l’orphelin sont sans doute liées à la rupture de la relation avec ses parents (morts) et à
l’insuffisance (quantitative et qualitative) d’interaction entre lui et l’éducateur social (censé jouer le
rôle des parents).
46 L’« OI » entretient en effet avec l’éducateur une relation défavorable (presque de haine) qui
exclut tout sentiment de promiscuité et d’intimité.
47 omme on l’observe sur le terrain.
Partie 3 :

L’Afrique et l’orphelin placé en institution :


exigences à respecter
Les résultats de notre étude, outre le fait qu’ils apportent la signification
que dans les cultures différentes, les différences dues à l’isolement et au
placement en institution s’avèrent différentes, confirment en partie des
observations psychologiques antérieures48, induisant que l’enfant placé est
durement atteint dans sa personnalité.
Alors, faut-il croire que tout projet visant à affirmer positivement la
personnalité des orphelins africains placés reste un espoir sans lendemain ?
Ces enfants, « pourront-ils, comme écrit H. GIRARD, empêcher la
généalogie pathogène marquée d’une sorte de fatalité », d’une difficulté de
projets dans tous les sens qui semblent être le lot des enfants dits
vulnérables ou cas sociaux ?
Au fond, la personnalité de l’orphelin placé est, comme note A.
OMBREDANE (1953), essentiellement dynamique et évolutive, c’est-à-
dire en relation fonctionnelle intime avec les systèmes des conditions
physiques, socio-économiques, politiques, culturelles et techniques que
constituent les « demandes et contraintes » du milieu parental où l’orphelin
a pris ses plis de croissance et celles du milieu institutionnel où il est appelé
à vivre.
Il y a là, assurément, comme une sorte d’affrontement de deux ordres de
milieu comportemental créant, pour ainsi dire, un creuset de « problèmes
existentiels ». La tâche des institutions de protection et d’éducation
modernes n’est donc pas de les ignorer, ni de les minimiser, encore moins
de les aggraver au risque de détruire l’âme de l’orphelin, sous prétexte de le
mieux protéger (physiquement) et de l’affranchir des conditions matérielles
lamentables (guerres, catastrophe, disparition inopinée des parents, etc.).
La présente partie entend donc indiquer et expliciter certains facteurs que
nous considérons comme le fondement d’un placement positif et réaliste, et
qu’il est, par conséquent, nécessaire à mettre en œuvre dans toute action de
prise en charge des orphelins ou des enfants vulnérables en général.

48 Cf. les travaux de J. BOWLBY, R. SPITZ, D. BURLINGHAM et A. FREUD auxquels nous


avons consacré de larges commentaires au chapitre 3.
Chapitre 7

Déterminants permettant un placement réaliste ou


confiant

Nous entendons par placement réaliste, celui qui assure à l’orphelin placé
la formation d’une personnalité équilibrée et harmonieuse. Certes, il n’y a
pas de solutions toutes faites pour réaliser un tel objectif, compte tenu de
changements importants que l’on observe aujourd’hui en Afrique sur tous
les plans : environnemental, matériel, social, technique, voire
technologique…
Néanmoins, il est des faits qu’il est bon d’indiquer dans ce chapitre, et à
partir desquels devra nécessairement se fonder et se construire toute
entreprise efficiente en faveur de l’orphelin placé. Ces faits, d’ailleurs peu
nombreux, résultent à la fois de nos propres observations, de théories de
l’adaptation ainsi que des pratiques et expériences quotidiennes en
psychothérapie et psychopédagogie institutionnelles.
7.1.Respecter le substrat ontologique des « sociétés africaines »
Le placement en institution est, et restera toujours – faut-il le rappeler –
un déracinement qui, non seulement « avilit l’individu en le frustrant des
fiertés et des moyens de valorisation du « Moi » fournis par l’appartenance
à une collectivité vivace, historiquement différenciée par ses héros et ses
coutumes » (OMBREDANE, 1968, p. 8), mais qui laisse aussi des traces
caractéristiques sur la personnalité de l’enfant placé.
C’est pourquoi, dans toute tentative de prise en charge des orphelins, des
enfants abandonnés, etc., la plus grande prudence est requise. Il faut donc
savoir aider les enfants à réinterpréter, comme dit Herskovits, les croyances
et les rites de « Kinzo-kimpangi-kanda » (famille et clan) et à les infléchir
vers des formes symboliques utilisables dans la situation nouvelle, plutôt
que de renverser et d’enterrer les modes d’éducation traditionnels et les
valeurs d’intégration sociales léguées par les ancêtres.
Si la plupart des institutions africaines traditionnelles pour enfants sont
en voie de disparition, ce serait commettre une grave erreur que de vouloir
les remplacer par d’autres formes construites, à partir des modèles purement
occidentaux ou mondialistes. Car « chaque société est déterminée dans sa
constitution tant juridique que sociale par l’ontologie particulière, qui
fournit son explication de l’univers ; et pour qu’une notion soit assimilée
par une société et constitue une greffe enrichissante, il faut qu’elle puisse
s’incorporer au substrat ontologique de cette société » (L. DEKOSTER,
1953, p. 20).
Point n’est besoin de dire que les fondements et principes qui régissent
les sociétés négro-africaines, en matière de sauvegarde et de protection de
l’enfant et de l’individu en général, se trouvent quelque peu à l’antipode de
ceux des sociétés occidentales.
En Afrique, comme l’a si bien remarqué P. ERNY (1972, p.55 et 120),
« l’individu ne peut se concevoir comme un élément autonome. Il est, par
son être, dépendant et solidaire des autres » et l’enfant, en particulier, ne
peut se penser ni se percevoir que comme « membre à part entière du
groupe, et non comme un élément surnuméraire et marginal ». C’est pour
cela qu’« il n’est guère d’écran qui s’interpose entre lui et la société dans
laquelle il est appelé à vivre ni ne passe pour cela par l’intermédiaire d’un
milieu réduit à des fins pédagogiques ». Aussi, conclut ERNY, « on n’entre
pas dans le monde au terme d’un temps de ségrégation, mais on y arrive en
maturité par une véritable symbiose avec le milieu ». Est-il besoin de
rappeler ici l’« Affaire de l’Arche de Zoé » survenue au Tchad en 2007 (cf.
chap. 2.1) et qui souligne naturellement cette dyade symbiotique entre
l’enfant africain et son milieu ?
Or, nos enquêtes montrent que la plupart des institutions africaines de
protection et d’éducation modernes témoignent d’une insuffisance
d’interactions socioculturelles qui procèdent de la société. Pour sortir
l’orphelin placé de cette situation, et pour éviter de le voir souffrir plus tard
de problèmes d’identité, nous recommandons de le faire participer
davantage et dans la mesure du possible à la vie culturelle, religieuse, socio-
économique de son milieu, bref, de le voir vivre les rites de nos sociétés49.
Seule une telle relation interactive ouvre, à notre avis et sans doute, la
voie à une émergence sociosymbiotique. Celle-ci peut se réaliser :
– Au sein de l’institution, par l’organisation des activités
socioculturelles diverses et régulières, notamment des causeries
animées par des conteurs (« grillots ») de talent, dont les thèmes
doivent non seulement être puisés dans la sagesse ancestrale et les
coutumes de milieux d’origine des orphelins, mais aussi rappeler et
faire revivre chez les enfants la relation interactive vivace entre eux et
leurs ancêtres vivants et morts. À ce sujet, nous recommandons aussi
que le conteur puisse (en faisant parler, pourquoi pas, les enfants),
évoquer avec doigté leurs souvenirs du passé, en vue, d’une part, de
donner corps à quelques moments précieux d’enfance (entrée à
l’école, mariage d’une tante, etc.), et d’instaurer ainsi chez eux l’idée
de continuité de la vie, et d’autre part, de leur faire prendre conscience
– comme le note P. BOURDET (2014), et à l’instar de beaucoup
d’Américains noirs – qu’ils ont, malgré tout, des racines, qu’ils
viennent forcément de quelque part, même s’ils ne savent plus d’où.
– En dehors de l’institution, par des programmes de visites et de brefs
séjours des orphelins (pendant les week-ends et les fêtes de Noël,
Pâques, etc.) dans des familles d’adoption. En effet, si les orphelins
ont l’occasion de bénéficier des séjours plus ou moins longs dans des
familles normalement constituées et dignes, ils peuvent revivre de
façon concrète et intensive la vie interactive ainsi que la chaleur
« kandaïque » qu’ils recherchent constamment.
7.2.Recréer à l’intérieur de chaque institution un climat social plus
proche des conditions de vie d’une famille normale
Les orphelins placés en institution doivent, pour se développer
harmonieusement, jouir d’un cadre socioaffectif dont bénéficie, dans la
généralité des cas, tout enfant élevé en famille.
Comme nous l’avons déjà souligné, deux facteurs importants sont à
l’origine du caractère perturbateur de l’institution, à savoir : la séparation de
l’enfant d’avec ses parents (qui entraine l’insatisfaction affective), et le fait
que l’on trouve difficilement dans l’institution des personnes bien distinctes
et déterminées à s’occuper individuellement de chaque enfant placé, et
susceptibles de faire naître chez lui un sentiment de sécurité, de protection
et d’amour.
Dès lors, l’absence au quotidien de substitut paternel et maternel, vers qui
les orphelins peuvent recourir quand ils ont besoin de réponses à leurs
questions, les empêcheraient, d’une part, non seulement d’intérioriser
l’image parentale, mais aussi d’appréhender plus tard – devenus parents
eux-mêmes – le modèle paternel et maternel (bon ou mauvais) utilisable
pour leurs propres enfants, et d’autre part, de relever, comme le souligne T.
WESEMANN (2002), deux défis majeurs pour ces futurs parents : 1°
assumer leur rôle de père et de mère, alors qu’ils en ont été privés eux-
mêmes, 2° faire face aux fardeaux qui les écrasaient, en évitant de les
déposer sur les enfants au moment où ils chercheront à être les meilleurs
pères et mères possibles.
C’est pourquoi l’institution, en tant que milieu de substitution, doit donc
permettre à l’orphelin d’y rencontrer ou trouver :
– L’école : cette structure d’apprentissage cognitif et professionnel qui
fera de lui plus tard un agent de développement ;
– Une communauté sociale fondée sur des normes véritables permettant
d’exercer les responsabilités d’ordre matériel et moral en rapport avec
son âge ;
– Une famille de substitution que l’orphelin peut aimer et à laquelle il
peut aussi s’attacher et s’identifier. En effet, l’orphelin a besoin
d’expérimenter et de vivre au quotidien cet amour et cet attachement,
afin de lui inculquer cette notion d’amour et de lui permettre de
construire l’attachement (= Moi social) aux personnages de son
entourage et, plus tard devenu grand ou affranchi des conditions de
vie institutionnelle, aux personnes d’autres groupes sociaux avec
lesquelles il sera capable d’entretenir des relations multiples et
équilibrées. Pour ce faire :
■ Il apparaît nécessaire de constituer, au sein de l’institution, des
cellules familiales de substitution autonomes de 4 à 8 ou de 12 à 15
orphelins qui seraient sous la conduite d’un couple d’éducateurs
sociaux, personnels et permanents. Celui-ci reconstituerait la
famille nucléaire et remplirait le rôle de substituts parentaux, en vue
d’essayer non seulement de réduire chez les enfants les carences
affectives liées à la fois au milieu institutionnel et à la rupture de la
relation mère-enfant (séparatisme), mais aussi de leur assurer
chaque jour et spontanément un encadrement éducatif adéquat : par
l’apport des satisfactions jugées nécessaires (autorité, apprentissage,
discipline, tendresse, « kandaïsme50 »).
■ Si, toutefois, la mise en œuvre d’une structure de « couple » pose
des problèmes d’ordre financier, voire de personnel requis et formé
à cet effet, et surtout si, l’institution héberge un nombre très élevé
d’enfants (150 et plus…), alors on peut recourir à la pratique qui
consiste à prévoir une « mère home » (avec une adjointe appelé
« Tante ») à la tête de chaque home (ou dortoir…). Cette mère
jouerait le rôle de S.O.S. chaque fois qu’il sera nécessaire.
D’autre part, il paraît utile d’organiser, au sein de chaque institution, une
structure d’« adoption » (au sens littéral51) et d’accueil ou de retour en
famille d’origine : il s’agit pour les responsables et dirigeants d’institution,
d’une part, de rechercher des familles52 (normalement constituées et dignes)
désireuses d’élever (au même titre que leurs propres enfants) des orphelins
placés en institution, et cela, conformément au prescrit de la loi, et d’autre
part, d’identifier des familles d’origine des orphelins, à partir des
informations fiables sur l’arbre généalogique et sur les liens ontologiques,
entre ces familles et les orphelins placés à faire « adopter » ou à
« tuteurer ».
En outre, et pour permettre à chaque orphelin – quelle que soit la formule
choisie – de constituer avec ces substituts des relations positives et
durables, il est nécessaire de lui donner la possibilité de choisir la mère de
home, l’éducateur ou le couple familial substitutif, dont il souhaite recevoir
les satisfactions.
En effet, comme le souligne B. BETELHEM (1971, p. 21), « si combler
chaque orphelin de toutes les satisfactions peut finalement le conduire à
construire les liens identiques à ceux qu’il aurait pu former originellement
avec un bon parent, l’orphelin placé ne se montrera prêt à nouer ces liens
avec une mère ou une image parentale de substitution qu’au cas où
justement cette image aura été choisie par lui, en fonction de ses propres
inclinaisons et parmi un grand nombre de choix possibles ».
7.3.Confier l’éducation et l’encadrement des orphelins à des
éducateurs formés et dévoués
Il nous paraît nécessaire, encore une fois, de rappeler, ici, les deux
facteurs importants qui sont à la base du caractère nuisible de l’institution :
d’une part, l’absence de la figure maternelle et la séparation de l’enfant
avec son milieu familial (qui entraîne l’insatisfaction affective), et d’autre
part, le fait que l’on ne trouve presque jamais, dans ce milieu impersonnel,
des gens très distincts et déterminés, chargés de s’occuper individuellement
de chaque enfant, afin de faire naître chez lui un sentiment de sécurité, de
protection et d’amour.
Donc, les besoins affectifs de tout enfant représentent, comme note
ADLER (1978), une demande constante et exigeante adressée à l’adulte qui
est responsable de lui.
Or, nos observations montrent (cf. chap. 5.2.4./C : 5) qu’il y a absence
d’affects relationnels, c’est-à-dire des liens affectifs projetés positifs entre
les orphelins et les éducateurs sociaux.
C’est pourquoi pour remplir efficacement sa mission, l’institution se doit
de faire appel non seulement à des éducateurs formés et dévoués, mais aussi
totalement désintéressés, c’est-à-dire préoccupés non pas par leurs intérêts
immédiats (salaires, avantages sociaux, etc.), mais surtout par l’« éducation
humaine de l’orphelin » et qui se considèrent comme des architectes
d’hommes libres et optimistes, ou comme des témoins vivants de la société
par leur vie et leur confiance.
En effet, « l’échange de gestes, de mimiques, puis des mots avec une
personne aimée, qui vous aime, qui est présente au moindre appel, qui sert
d’intermédiaire entre le monde et soi dans une atmosphère rassurante et en
même temps stimulante, dans une relation stable poursuivie intimement
pendant plusieurs années, les premières », c’est tout cela, écrit J.
CORDIER, (1975, p. 23), qu’il faut que l’éducateur apporte à tout orphelin
placé en institution.
Comme quoi, ce qui compte n’est pas le geste, l’action dans sa
matérialité, mais les sentiments et les attitudes qui accompagnent ce geste
ou cette action. Il faut, pour cela, refuser tout placement à caractère
associatif, c’est-à-dire celui qui institue une sorte d’association temporaire
de l’éducateur avec l’orphelin ; parce qu’il est générateur, comme notre
étude l’a montré, de rancœurs parfois tenaces.
Il est donc primordial de recruter des éducateurs formés. C’est
certainement un objectif à long terme, compte tenu du retard que connaît
l’Afrique dans ce domaine. En attendant, on peut améliorer, par des
sessions de recyclage, les niveaux de connaissance et de compétence de
ceux qui sont déjà en fonction.
Cependant, qu’il s’agisse de recrutement de nouveaux éducateurs ou de
perfectionnement des anciens, on devra donner priorité à des agents
capables d’encadrer efficacement les orphelins, aussi bien au plan scolaire
que du point de vue affectif.
En effet, si le placement en institution de jeunes orphelins doit toujours
tenir compte de leurs intérêts, elle doit tout autant être entourée de très
sérieuses garanties concernant le choix de leurs éducateurs. Ceux-ci doivent
posséder toutes les qualités que l’on est en droit d’attendre des substituts
parentaux : des personnes informées, intègres, disciplinées, affectueuses,
dévouées et enracinées, certes, dans la culture des orphelins et ouvertes
aussi au monde.
7.4.Doter les institutions de protection et d’éducation des orphelins
d’une assise juridique et des dispositions légales véritables
En analysant, par exemple, les structures organisationnelles des
institutions congolaises pour enfants orphelins et vulnérables, nous avons
relevé que dans leur grande majorité ces institutions ne possèdent ni statuts
ni personnalité juridique. Elles fonctionnent, à vrai dire, sur la base des
règlements intérieurs qui, souvent et de surcroît, manquent de souplesse et
paraissent inadéquats et inadaptés sur bien des points. Par exemple, ils
n’indiquent pas comment ni par quelle voix un orphelin devenu grand
(marié ou travailleur) ou aux prises avec les difficultés de la vie (manque
d’emploi, conflit familial, etc.) peut espérer renouer avec l’institution
d’origine pour y retrouver conseil…
Lorsqu’on crée une institution pour orphelins ou enfants vulnérables, il y
a donc nécessité de la doter d’une assise juridique sérieuse et véritable,
c’est-à-dire d’une loi organique qui fixe non seulement les règles de base
pour son organisation et son fonctionnement, mais aussi les normes et les
procédures de contrôle. Cela permet, il va sans dire, de maintenir, dans des
limites raisonnables, l’autorité des responsables locaux ou étrangers et de
promouvoir ainsi entre les différents groupes qui œuvrent en son sein
(administratifs, psychologues, sociologues, assistants sociaux, etc.) des
relations amicales et fraternelles, sans lesquelles toute action éducative
satisfaisante peut paraître comme une pure utopie.
7.5.Assurer à l’orphelin affranchi une réinsertion sociale
satisfaisante
La société mondialiste et matérielle d’aujourd’hui, écrit P. BOURDET
(2014, p. 18), accable souvent l’enfant et le jeune, en disant : « Si l’on n’a
pas la bonne origine, la bonne éducation et le bon diplôme, l’on ne pourra
jamais s’accomplir ni trouver sa place dans la société ».
De ce point de vue, devenir orphelin est, sans doute, un risque social qui
peut modifier le cours de la vie ou le dessein d’un enfant. Par conséquent,
son placement dans une institution ne doit pas être considéré comme un
« aboutissement » ou une « fin en soi », mais plutôt comme un
« commencement », c’est-à-dire le point de départ d’un long processus
d’apprentissage et d’éducation. Afin de lui donner des chances sérieuses
dans son développement, les organisateurs doivent poursuivre des efforts
permanents et persévérants dans tous les aspects et domaines de la vie.
Il faut donc préparer chez l’orphelin des conditions d’une future et
nécessaire ouverture sociale intégrale, notamment par des moyens aussi
divers que la lecture, le cinéma, le voyage, les stimulations traditionnelles
(causeries, contes et légendes coutumiers), le travail manuel, les séjours
plus ou moins prolongés dans des familles, de préférence sinon de même
tribu (cette réalité culturelle vivante et vivace de nos sociétés), du moins de
même orientation culturelle, et par une préparation professionnelle. Celle-ci
nécessite l’élaboration et l’examen des projets concrets qui tiennent compte
à la fois de la conjoncture de l’emploi et de possibilités financières de
l’institution.
Quoi qu’il arrive, et pour éviter qu’il baigne dans la misère et l’angoisse
(qui, comme on dit, « confisquent à la vie sa saveur », il s’avère nécessaire
que l’orphelin qui quitte l’institution ait une matière en mains, avec laquelle
il peut vivre, travailler et gagner son pain.
Certes, comme le note encore J. ADLER (1978), l’orphelin gagnera
toujours s’il s’initie et s’adapte davantage à la culture nouvelle, qui est celle
de l’institution et qui devra lui assurer sans doute une ouverture vers
d’autres cultures, sous une perspective de complément ; mais sans toutefois
être coupé définitivement de sa culture d’origine qui constitue, d’après
notre étude, une identité fantasmatique qu’il recherche constamment,
montrant par là qu’il faut être d’abord soi, pleinement, afin de comprendre
les autres. Après tout, « il n’est qu’un âne pour renier sa famille53 ».

49 L’absence de rites – comme on l’observe aujourd’hui dans la société occidentale – émousse chez
l’individu le sens et le rôle de « kinzo-kimpangi-kanda » (famille) et le conduit à une vie très
personnelle.
50 Affection, solidarité, attachement, etc.
51 Il s’agit de tuteurage
52 Au sens africain et civil du terme.
53 Vieux proverbe syrien.
Conclusion

L’étude dont nous venons d’exposer les résultats montre que :


(1) Les événements (guerre, rébellion) qui ont conduit à la création
d’orphelinats (tels que le Centre de Formation professionnelle Maman
Mobutu (CFPMM) ont eu, sur le plan psychologique, des résonances
négatives sur les enfants qui en ont été victimes ou qui les ont vécus.
(2) Le développement mental et moral des orphelins placés en institution
ne se fait pas d’une manière semblable à celui des autres enfants54.
Les premiers présentent, en effet, un certain nombre de handicaps, par
rapport à ceux qui vivent en famille. Le comportement des orphelins
qui mènent une vie familiale normale, par exemple, est fréquemment
plus proche de celui des enfants non orphelins.
(3) Les enfants placés en institution (par exemple le « CFPMM ») sont
handicapés dans leur capacité de créer des liens d’amour et de loyauté
avec d’autres personnes de leur entourage (non-identification à cet
entourage, mode de contact et de relation caractérisé par une
sensibilité à valence négative, agressivité « passive » et « subie », un
pessimisme exaspérant dans l’évaluation de leur identité).
(4) Les conditions de vie modernes dans lesquelles vivent les orphelins
placés ne semblent avoir favorisé ni la substitution des parents ni le
développement harmonieux de leur état affectif et de leurs aptitudes
intellectuelles, ni non plus leurs possibilités d’intégration sociale.
Cependant, il n’y a pas de raison d’être alarmiste, ni de se montrer trop
inquiet en ce qui concerne ces enfants. Car, s’ils semblent handicapés sur
certains points, sur d’autres ils ne sont pas des anormaux.
Quoi qu’il en soit et face à l’ensemble de la situation que nous venons
d’examiner, nous pensons que toute institution de protection et d’éducation
d’orphelins doit, d’une part, viser à satisfaire les besoins matériels, moraux
et sociaux des enfants placés, en vue de les voir s’épanouir et s’intégrer
harmonieusement dans la société, et d’autre part, avoir pour philosophie
non pas d’accentuer et de renforcer la coupure des enfants d’avec leurs
ancêtres ou avec le monde extérieur en général, ni de pourvoir simplement
ces enfants d’une assistance matérielle, mais bien plus de leur assurer,
comme disait un orphelin55, la tendresse d’une mère, la sagesse d’un père et
l’affection d’une famille qu’ils n’ont plus, c’est-à-dire et comme le souligne
le rapport de l’ONU56 :
(1) De donner à chaque enfant ce dont il a besoin : alimentation,
habillement, protection, sympathie compréhensive ;
(2) de rendre normaux son développement physique, sa personnalité et
ses dons ;
(3) de l’aider à acquérir, en grandissant, l’équilibre et la maturité qui lui
permettront, quand il sera adulte, de nouer avec autrui des relations
normales, d’assumer les responsabilités qui lui incombent en tant que
membre de la communauté à laquelle il appartient et d’accomplir plus
tard sa tâche de père ou de mère ;
(4) de lui transmettre, enfin, la culture et les valeurs spirituelles de sa
communauté locale et nationale.
Nous soulignons sans doute par là un ensemble d’objectifs de protection,
de formation et d’éducation qui, non seulement corroborent et même
renforcent les déterminants indiqués au chapitre septième, mais également
et certainement préfigurent des actions nécessaires et indispensables à
mettre en œuvre, pour le bien-être et la santé physique et mentale des
orphelins placés.
À cet effet, notre ouvrage vient bien à propos et soutient que les vraies
assises, fondamentales et solides d’une institution pour orphelins (et même
pour tout enfant vulnérable en général) sont psycho-sociopédagogiques.

54 Orphelins vivant en famille (OF) et enfants non orphelins (NO)


55 « Le docteur sans dispensaire, mais affairé », lettre d’un orphelin à Monsieur MALONGO,
Kisangani, janvier 1974.
56 ONU, Doc. E/CN : 5/271, p.4.
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Annexes
Annexe 1 :

Le test des phrases à compléter (TPC/C)

A1.1 Renseignements sur le sujet et sur l’examinateur


Nom : …………… Postnom :…………… Âge …… ans.
Établissement ou école : …………… Classe :………
Lieu et date de l’épreuve……………………………
Temps de passation : 35 minutes.
Examinateur :………………………………………
Commentaire de l’examinateur……………………

A1.2. Consigne et liste de phrases à compléter


A1.2.1 Consigne : Complétez chaque phrase en écrivant la première idée (ou chose) qui vous vient à
l’esprit.

A1.2.2 Liste de phrases :

(1) Baku était très heureux lorsque…………………………


(2) Il préfère à tout autre chose……………………………
(3) Lorsque Samura fut pris par l’ennemi……………………
(4) Ce qui embête souvent Bafende, c’est……………………
(5) Mon plus grand plaisir, c’est………………………………
(6) Quand Bitulu a vu venir son maître ………………………
(7) J’ai toujours peur de………………………………………
(8) Quand on dit à Djebo de rester tranquille…………………
(9) Ce que je regrette le plus, c’est……………………………
(10) J’admire…………………………………………………
(11) Ce qui rend Mpiensamba très furieux, c’est ……………
(12) Quand je suis malade ……………………………………
(13) L’année prochaine………………………………………
(14) Lorsque je vois le directeur………………………………
(15) La personne que j’aime le plus, c’est ……………………
(16) Quand il n’est pas invité…………………………………
(17) Quand il était enfant………………………………………
(18) Je fais un effort pour………………………………………
(19) La rébellion (la guerre)……………………………………
(20) Ne trouvant personne qui peut l’aider, Toto………………
(21) Ce qui me tourmentait le plus, c’était……………………
(22) La famille de Baruti est…………………………………
(23) Je me sens gêné…………………………………………
(24) La mère de Totoli………………………………………
(25) Je désirais toujours………………………………………
(26) Lorsqu’il est libre, il aime…………………………………
(27) Mon père…………………………………………………
(28) Ce qui me fatigue le plus, c’est …………………………
(29) Lorsque j’ai un travail à faire, je tâche……………………
(30) L’an passé…………………………………………………
(31) Kadji dit qu’il souffre beaucoup à cause de ………………
(32) L’oncle voulait que………………………………………
(33) Kisangani…………………………………………………
(34) Je ferai tout pour…………………………………………
(35) Il aimait beaucoup cette personne, parce que……………
(36) Les gens pensent de moi que ……………………………
(37) Les Basimba (rebelles)…………………………………
(38) On se moquait de Tulanda à cause de …………………
(39) Quand j’ai appris la mort de ……………………………
(40) Il se présente toujours comme…………………………
(41) Je suis triste……………………………………………
(42) Quand j’ai besoin d’argent………………………………
(43) Mata peut mieux travailler si……………………………
(44) Le métier que je préfère………………………………
(45) Le « CFPMM » (FOSONAM)…………………………
(46) Quelques-uns de mes camarades………………………
(47) Il y a des moments où …………………………………
(48) Je ………………………………………………………

A1.3. Quelques exemples de phrases induites et leur mode d’analyse


A1.3.1 Analyse horizontale
But : voir les différentes catégories (thèmes) que suscite chaque stimulus (phrase inductrice)
(1) Les données : quelques exemples de réponses pour la phrase P.12 (quand je suis malade…)

Tableau 32 : Attitudes devant la maladie (Cf. tableau 15)


Modalités/attitudes exprimées « OI » « OF » « NO »
F % F % F %
(M. 12) Réactions positives (se faire soigner) 26 50 39 81 29 78
(M. 13) Réactions négatives (pleurer, rester à la 17 33 5 10 7 19
maison)
(M. 17) Thème de souffrance (on souffre beaucoup) 6 12 1 2 0 0
(M. 02) Éléments d’intégration affective 1 2 0 0 1 3
(M. 10) Éléments de religion traditionnelle 1 2 0 0 0 0
(M. 23) Anxiété, culpabilité 0 0 2 4 0 0
(M. 24) Résidus 1 2 1 2 0 0
Total 52 100 48 100 37 100

(2) Analyse statistique (calcul de chi deux)


1°) Réactions positives/(P.12/M.12)
Groupes M.12 M/12 Total/L
« OI » 26 26 52

« OF/NO » 68 17 85
Total/C 94 43 137

X2= 13, significatif à.01 (1)

2°) Réactions négatives (P12/M.13)


Groupes M.13 M/13 Total/L
OI 17 35 52
OF/NO 12 73 85
Total/C 29 108 137
X2= 6,67 significatif à.01 (2)
N.B. : (1) (2) Pour dl=1, P.05=3,84 et P. 05=6,64.

A1.3.2 Analyse verticale


But : voir le poids d’un thème indépendamment du stimulus (cf. Tableau 13).
(1) Les données : l’exemple de la modalité M.02 (Intégration affective, cf. Tableau 13) est présenté
dans le tableau 34.
Tableau 33 : Exemple de modalité M. 02 : Integration affective
Groupe OI
Groupe OF
Groupe NO

(2) Analyse statistique

Tableau 34 : Examen des scores moyens


Annexe 2 :

Le « make a picture story » (« MAPS/C »)

A2.1. Remarque préliminaire


Le « MAPS/C » a la particularité de placer le sujet qui passe le test dans
une situation permissive. En effet, il peut choisir et manipuler les
personnages à sa guise, leur faire dire (en racontant l’histoire) tout ce que
son imagination lui dicte, leur faire jouer les rôles maléfiques ou
bénéfiques, leur faire exprimer ses aspirations profondes, son « idéal du
Moi », tout comme sa « conscience réaliste ».
Étant donné les possibilités qu’offre cet instrument mettant en jeu autant
de facettes de la personnalité, notre but était, en l’utilisant, de voir les
tendances psychologiques, les traits dominants de la personnalité et les
stratégies du comportement qui se manifestaient le plus volontiers chez les
sujets, singulièrement chez les « OI ».
Il faut signaler que, pour des raisons d’économie, l’analyse du
« MAPS/C » a porté essentiellement, d’une part, sur les quatre premiers
décors (« Repas en famille », « Rue », « Rêve » et « Pont »), et d’autre part,
sur la feuille d’observation (en particulier sur les comportements en gestes
et en paroles manifestés au cours du testing) ainsi que sur le contenu des
récits. Nous avons examiné deux types de variables. Il s’agit de variables
réactionnelles (choix de personnages, temps de réaction et éléments du
comportement) et de variables de contenu (nature des récits, comportement
du héros et dénouement).
D’aucuns se demanderaient pourquoi nous avons préféré ces variables et
pas d’autres, comme celles que recommande SHEIDEMAN, ou même
celles qui sont utilisées dans l’analyse du T.A.T.
Outre les raisons d’économie du temps, il convient de rappeler que notre
recherche ne visait pas à étudier les structures individuelles des « OI » dans
une perspective clinique, mais bien, dans une perspective comparative, à
rechercher les caractéristiques par lesquelles les « OI » se différencient, en
tant que groupe, des deux autres groupes (les « OF » et les « NO »). Cette
comparaison allait être faite en recherchant le niveau de signification
statistique des différences observées entre les groupes.
De plus, l’approche de SHNEIDEMAN, comme celle de MURRAY, est
non seulement basée sur une analyse clinique des données et sur la notion
de besoin (qui reste très équivoque), mais implique, pour interpréter les
résultats, une connaissance approfondie du milieu socioculturel et de
l’histoire personnelle des sujets. Or, nous ne disposions pas, en ce qui
concerne les « OI » en particulier, d’assez d’éléments de ce genre.
A2.2. LES ARRIÈRES PLANS OU DÉCORS

D1 : Le repas en famille
D2 : La rue

D3 : Le rêve
D4 : Le pont

D5 : Le blanc
D6 : La forêt

D7 : Le coin de la classe
D8 : Le cimetière

A2.3. Les personnages ou figurines

A2.4. Liste d’identification des personnages


Cette liste permet de schématiser, au moment du dépouillement, la
position des personnages. Elle regroupe, et selon leurs catégories
respectives (six au total), avec leur description exacte, tous les personnages
du test. Cependant, chaque personnage est identifié au moyen d’une lettre et
d’un chiffre.
Par exemple : H-1=soldat en position fixe (tenue d’officier) ; F-7 = une
jeune femme en position défensive ; E-1= une jeune fille, mains croisées
derrière le dos.
A2.4.1 Homme adulte
Code :
H-1. Soldat en position fixe (tenue d’officier).
H-2. Un para commando en tenue de combat, avec un fusil.
H-3. Un mercenaire (blanc), avec mitraillette en main.
H-4. Homme, avec un bâton dans la main droite.
H-5. Homme avec machette à la main droite
H-6. Homme tenant un arc et une flèche dans la main (sur le point de les utiliser).
H-7. Vieil homme assis, avec barbe (et se couvrant à demi d’une couverture).
H-8. Homme avec les deux mains sur les joues.
H-9. Vue de derrière d’un homme « accroupi » et presque assis.
H-10. Homme assis sur une chaise longue et fumant une pipe.
H-11. Infirme, homme avec béquilles.
H-12. Homme (jeune) avec la main droite dans la poche (tenue : pantalon + abacos)
H-13. Homme (jeune) détendu, main gauche dans la poche.

A2.4.2 Femme adulte


Code :
F-1. Femme avec les deux mains couvrant la figure (vue de face)
F-2. Femme marchant et portant un enfant au dos (vue de profil)
F-3. Femme assise et allaitant un enfant (vue de face)
F-4. Femme agenouillée, les yeux largement ouverts et levant les deux bras
F-5. Femme marchant, la tête tournée en arrière, comme pour regarder quelque chose.
F-6. Femme assise, main droite un peu tendue, et tenant un objet qui ressemble confusément à un
« pot cuite »
F-7. Une jeune femme en position défensive
F-8. Vieille femme marchant péniblement
F-9. Femme qui rit en tenant son pagne
A2.4.3 Enfant
Code :
E-1. Fille, mains croisées derrière le dos.
E-2. Fille, mains croisées sur la robe (devant).
E-3. Fille, vue de derrière, courant.
E-4. Fille debout, main gauche le long du corps.
E-5. Fille assise, les yeux baissés.
E-6. Garçon, vu de derrière, marchant.
E-7. Garçon avec main gauche sur l’œil.
E-8. Garçon, les deux mains étendues (en position défensive).
E-9. Garçon, les deux mains sur la poitrine, regardant en haut.
E-10. Garçon avec mains sur les genoux.

A2.4.4 Personnage dont on a souvent peur


Code :
P-1. Nganga nkisi (féticheur, guérisseur).
P-2. Dongula miso (crêveur d’yeux).
P-3. Satana ou « Diabulu » (le diable).
P-4. Ndoki (sorcier).

A2.4.5 Silhouettes et visages blancs


Code :
S-1. Homme avec visage en blanc.
S-2. Femme avec visage en blanc.
S-3. Fille avec visage en blanc.

A2.4.6 Personnage indéterminé du point de vue sexe


Code :
I-1. Vue de derrière d’une personne assise, la tête reposant sur la main gauche.

A2.5 La feuille d’observation


C’est un feuillet simple qui reproduit en miniature les huit décors du test,
et sur lequel on note :
— les différentes situations et scènes que chaque sujet a réalisées ;
– le temps de réaction du sujet (entre la présentation du décor et le
moment où il a placé le premier personnage, ainsi que celui où il a
commencé à raconter l’histoire) ;
– les personnages qui ont été choisis ou rejetés ;
– les patterns d’activité dominants : gestes, paroles, mimiques,
exclamations, etc. ainsi que les histoires et les réponses du sujet à l’enquête.
A2.6 Administration, consignes et enquête
A2.6.1 L’administration
L’administration du « MAPS/C » nécessite la disposition suivante : le
sujet doit être placé dans un local suffisamment éclairé, et assis devant une
table ou un pupitre suffisamment éclairé. L’examinateur se place un peu en
arrière et à côté du sujet, auprès de qui il mettra également tout le matériel
dont il a été question ci-dessus.
A2.6.2 Les consignes
Les consignes sont basées en partie sur celles de W. MORRIS (1965, p.
557), et sont formulées de manière suivante : « Je vais vous montrer des
images comme celles-ci » (l’examinateur présente le premier décor
représentant le « Repas en famille »). « Vous aurez les figures comme
celles-ci (l’examinateur place les personnages, en désordre, devant le sujet)
et votre travail consiste à prendre une ou plusieurs figures et à les mettre
dans le décor, tel qu’elles peuvent être dans la vie réelle. Commençons par
trier les personnages, je vous demande maintenant de les disposer de façon
à les voir tous ».
Puis, l’examinateur s’adresse de nouveau au sujet et lui dit :
« Maintenant, je vous demande de choisir une ou plusieurs figures, de les
placer sur le décor et de raconter l’histoire que vous avez créée… En
racontant l’histoire, dites-moi qui sont les personnages, ce qu’ils font, ce
qu’ils pensent, et enfin, comment l’histoire se termine. Allez-y. »
A2.6.3 L’enquête
À la fin de chaque histoire et avant de passer au décor suivant, on
procède à une petite enquête au cours de laquelle deux questions sont
obligatoirement posées : « Pouvez-vous ajouter d’autres choses ? Quel titre
pourriez-vous donner à votre histoire ? »
L’enquête peut porter également sur l’âge, le sexe des personnages, et en
particulier sur celui ou ceux avec qui le sujet semble s’identifier, sur la
manière dont l’histoire se termine et sur des aspects ou des parties de
l’histoire qui n’ont pas été suffisamment claires, ou qui présentent un intérêt
pour l’examinateur.
A2.7 Quelques exemples d’analyse des variables réactionnelles et de
contenu des histoires
A2.7.1 Analyse des variables « réactionnelles » : les personnages choisis
et rejetés
Tableau 35 : Fréquences et pourcentages des personnages adultes masculins les plus fréquemment
choisis (PAM +)

(1), (2) et (3) : N (OI)=49, N (OF)=27 et N (NO)=16


Tableau 36 : Fréquences et pourcentages des personnages adultes masculins les plus fréquemment
rejetés (PAM-)

(1), (2) et (3) : N (OI)=49, N (OF)=27 et N (NO)=16.

A2.7.2 Analyse du contenu des histoires (récits)


Il n’est pas possible de donner ici toutes les histoires recueillies (368 au
total). À titre d’exemple, nous donnons ci-après deux protocoles du
« MAPS/C » respectivement d’un sujet « OI » et d’un sujet « NO ».
A2.7.2.1 Protocole G/033 (« OI »)
Décor 1 :
Cet homme (H6) est le chasseur du village. Celui-là (H5) est cultivateur :
il travaille la terre. Alors que cet autre (H10) est le vieux du village qui
passe ses journées à la maison. Dès que cet homme termine (H5) de
« débroussailler », sa femme le remplace (au champ) pour planter. Et le soir
venu, ils retournent au village où ils retrouvent ce papa assis devant sa
maison. Dans ce village, chacun va à son travail, mais tout le monde est
solidaire (on se partage à manger).
Thème : activités quotidiennes et esprit de solidarité des villageois.
Nature : récit descriptif neutre (RDN)
Décor 2 :
C’était dans une ville. Ce papa, sa femme et leur fille (E2) y habitaient.
Ce jour-là, leur fille s’est réveillée très tôt pour aller à l’école. Après
l’école, sa mère lui demande d’aller puiser de l’eau. La fille a obéi, et elle
est partie à la rivière. Quand elle est revenue avec de l’eau, sa mère lui a
donné à manger. La fille était contente et elle a bien mangé.
Thème : Une fille obéissante (aidant sa mère)
Nature : récit narratif intégratif (RNI)
Décor 3 :
Cet enfant (I-1) dormait. Mais, dans son sommeil surgissaient divers
souvenirs : il se rappelait des moments de jeux passés en classe ; il a vu
passer un diable ; il a pensé à son père, à qui il a demandé de lui acheter des
choses, et à sa maman bien-aimée.
Q. Quelles sortes de petites choses demandait-il ?
R. De petites belles choses
Q. Comment son rêve se termine-t-il ?
R. Il s’est réveillé.
Thème : Un enfant rêve de sa classe et de ses parents.
Nature : récit descriptif, avec sentiment (RDS) Décor 4 :
Un jour, ce chasseur (H3) est parti chasser à la forêt. Mais, là le chasseur
rencontra un diable qui lui dit :
Q. Pourquoi viens-tu chasser dans mon domaine ?
R. Cette forêt est pour nous tous, répondit le chasseur.
Fâché, le diable prit le chasseur et l’avala vivant. Au village on a pleuré
sa disparition.
Q. La famille n’a pas trouvé les traces du chasseur ?
R. Non, parce que le diable l’a avalé vivant.
Q. Et le village n’a pas cherché à venger le chasseur ?
R. Non, puisqu’il a été avalé par le diable.
Thème : Un chasseur malchanceux est avalé par le diable.
Nature : récit narratif conflictuel (RNC)
Le héros : Le chasseur (HER4)
Comportement du héros : héros actif (sthénique) au départ, mais finissant
par devenir apathique (il se laisse avaler sans opposer aucune résistance, et
pourtant il est porteur d’un fusil).
Issue :
(1) Défavorable (IS 2) par rapport au héros. Celui-ci est victime ; il se
laisse détruire (« auto-destruction » ?), sans même laisser de traces.
(2) Négative (IS. 5) par rapport à la morale sociale. Malgré qu’ils font
montre d’une expression émotionnelle positive (pleurer le disparu),
les villageois sacrifient la solidarité sociale, puisqu’ils n’osent ni ne
tentent d’organiser aucune action punitive, ou de protestation contre le
diable (assassin présumé de leur voisin) ; ils se sont donc résignés.
A2.7.2.2 Protocole F/139 (« NO »)
Décor 1 :
Ces gens sont en famille. Ils sont heureux parce que cette femme vient
d’accoucher. Ce papa (H5) veut aller ramasser le bois. Celui-ci (P4), lui,
prépare à manger. Alors que cet homme-là (H6) part à la forêt, pour lui
chercher (chasser) du gibier.
Thème : l’accouchement et la solidarité familiale.
Nature : Récit descriptif avec sentiment (RDS).
Décor 2 :
Tous ces gens vivaient tranquillement dans leur village. Un jour, on voit
des gendarmes pénétrer (arriver) précipitamment dans le village, afin
d’arrêter cet homme (H12). Sa sœur commence à pleurer ; elle supplie les
gendarmes, pour relâcher son frère. Mais, comme cet homme est un bandit
et qu’il avait tué quelqu’un, les gendarmes l’arrêtent et l’amènent en prison.
Et après jugement, cet homme a été condamné à la peine capitale, et a été
exécuté parce qu’il avait, lui aussi, tué quelqu’un.
Q. Pourquoi a-t-il tué quelqu’un ?
R. Peut-être voulait-il lui voler ses biens.
Q. Mais est-ce bien de le tuer pour cela ?
R. C’est la loi ; lui aussi avait tué quelqu’un.
Thème : châtiment exemplaire d’un bandit.
Nature : Récit narratif conflictuel (RCN)
Héros : le bandit (HER 4) actif (sthénique) apathique (puisque arrêté
sans la moindre opposition ni protestation).
Issue :
(1) Défavorable (IS2) par rapport au héros ; celui-ci est condamné à la
peine capitale ; il n’aura donc pas la vie sauve.
(2) Positive (IS.4) par rapport à la morale sociale ; le comportement du
héros (banditisme sanglant) est répréhensible socialement ; il a été mis
fin à une telle conduite, même si la punition paraît extrême.
Décor 3
Cet homme (H10) est mort ; il a été renversé par un camion. Cette
maman (I1) et son fils (E7) pleurent. Ceux-là (H8 et E2) viennent voir ce
qui se passe. Comme ils ont fini de pleurer, ils sont allés l’enterrer.
Q. Qui a renversé cet homme ?
R. Un chauffeur de camion.
Q. Pourquoi ?
R. Je ne sais pas. Peut-être était-il imprudent.
Thème : Un homme a été renversé mortellement.
Nature : Récit descriptif avec sentiment (RDS). Décor 4 :
Celui-ci (P2) est un singe ; en grimpant jusqu’au bout de l’escalier, il a
trouvé un autre singe. Cet enfant s’est perdu dans la forêt.
Q. Pourquoi cet enfant s’était-il perdu ?
R. Il n’a pas vu le chemin.
Q. Est-ce qu’il l’a finalement retrouvé ?
R. Oui, il est revenu au village.
Thème : (?).
Nature : Récit descriptif neutre (RDN).
A2.7.3 Analyse statistique (application du test F)
Nous avons suivi ici la même procédure qui a été appliquée pour
l’analyse verticale du “TPI/C” (cf. annexe 1.3.2). Donc même type de
dépouillement de D1 à D4 et même type d’analyse statistique à l’aide du
test F, pour la recherche de la valeur du seuil de signification (cf. tableaux
26 à 30)
Liste des abréviations et symboles

D.1 – D.8 : décors 1 à 8 (cf. Chap. 5.3.2)


G. : garçon
F. : fille
Gr. : groupe
HER.1 : héros apathique
HER.2 : le héros fait appel, mais n’agit pas
HER.3 : héros sthénique
HER.4 : autre cas : le héros change d’attitude
IMMA : Institut Mama Mobutu pour Aveugles
IS. 1 : issue favorable au héros (cf. chap. 5.3)
IS. 2 : issue défavorable au héros (cf. chap. 5.3)
IS. 3 : issue=0 par rapport à la morale sociale (cf. chap. 5.3)
IS. 4 : issue positive par rapport à la morale sociale (cf. chap. 5.3)
IS. 5 : issue négative par rapport à la morale sociale (cf. ch. 5.3)
M. : mère
MAPS/C : Le « make a picture story »
MD. : mort des suites d’une maladie
M.01-M.40 : modalités catégorielles (cf. chap. 5.2)
MpR. : mort pendant la rébellion
MpSK. : mort pendant la sécession du Katanga
MTT. : mort pendant le tremblement de terre (Kivu)
MV. : mère encore en vie
NI. : Non identifié (cas incertain)
NO : enfant non orphelin et vivant en famille
OF : enfant orphelin vivant en famille
OI : enfant orphelin vivant en institution (par ex. CFPMM)
P: père
2P : père et mère ou les deux parents
PAM : personnage adulte masculin
PAF : personnage adulte féminin
PEN : personnage enfant
PFP : personnage faisant peur
PSV : personnage sans visage
PV : père en vie
P.01-P.48 : numéros des phrases (cf. chap. 5.2)
QI/D : quotient intellectuel de développement
RDN : récit descriptif neutre
RDS : récit descriptif avec sentiment
RNC : récit narratif conflictuel
RNI : récit narratif intégratif
R.O.I. : règlement d’ordre intérieur du « CFPMM »
S. /R. : sous-région
T.1. et T.2. : Premier temps et deuxième temps de réaction (cf. chap. 5.3
b/2°)
T.B. : tué par les brigands
T.M. : tué par les militaires
TMN : tué par les mercenaires
TPC/C : le test des phrases à compléter
TR : tué par les rebelles ou tué au cours de la rébellion
VICRE : victime de la rébellion (guerre)
WISC- échelle congolaise d’intelligence verbale pour enfants
Congo :
W.1-W.5 : WISC-Congo (subtest 1 à 5, cf. chap. 5.1)
Liste des tableaux

Tableau 1 : Terme africain en usage pour désigner et qualifier l’orphelin


Tableau 2 : Institutions congolaises à régime d’internat
Tableau 3 : Fréquence des troubles chez des enfants ayant passé les trois
premières années de leur vie en institution et chez ceux d’un
groupe-contrôle… (Goldfarb/Bowlby)
Tableau 4 : Sexe
Tableau 5 : Groupe d’âge
Tableau 6 : Niveau scolaire
Tableau 7 : Âge approximatif au moment de la guerre (rébellion)
Tableau 8 : Âge approximatif à l’entrée au « CFPMM »
Tableau 9 : Cause de la mort des parents
Tableau 10 : Nature de l’orphelin
Tableau 11 : Examen des scores moyens
Tableau 12 : Description des modalités catégorielles
Tableau 13 : Moyennes des attitudes les plus couramment manifestées
Tableau 14 : Attitude devant la maladie (*)
Tableau 15 : Réaction à la discipline (*)
Tableau 16 : Réaction à une situation de rejet (*)
Tableau 17 : Attitude devant la mort (*)
Tableau 18 : Attitude devant la rébellion (*)
Tableau 19 : Image familiale globale (*)
Tableau 20 : Image maternelle globale (*)
Tableau 21 : Image paternelle globale (*)
Tableau 22 : Objets d’admiration (*)
Tableau 23 : Objets d’attachement (d’amour) (*)
Tableau 24 : Attitudes vis-à-vis de l’institution (CFPMM)*
Tableau 25 : Nombre moyen de personnages choisis
Tableau 26 : Évaluation du T1 moyen
Tableau 27 : Évaluation du T2 moyen
Tableau 28 : Comportement observé au cours de l’épreuve
Tableau 29 : Comportement du héros
Tableau 30 : Caractère de l’issue par rapport au héros et à la morale sociale
Tableau 31 : Indices moyens des variables
Tableau 32 : Attitudes devant la maladie (Cf. tableau 15)
Tableau 33 : Exemple de modalité M. 02 : Integration affective
Tableau 34 : Examen des scores moyens
Tableau 35 : Fréquences et pourcentages des personnages adultes
masculins les plus fréquemment choisis (PAM +)
Tableau 36 : Fréquences et pourcentages des personnages adultes
masculins les plus fréquemment rejetés (PAM-)
Table des matières

Préface
Avant-propos
Partie 1 : Structures de sauvegarde, de protection et d’éducation de
l’orphelin en Afrique
Chapitre 1 - Quelques considérations théoriques sur les déterminants du
développement et sur les fonctions du milieu familial
1.1. Les déterminants (facteurs) du développement humain
1.1.1. Les déterminants internes ou biologiques
1.1.2. Les déterminants externes ou du milieu
1.1.3. Les déterminants intra-individuels ou d’autoconstruction
1.2. Rôle et fonction du milieu familial dans le développement de
l’enfant
1.3. Synthèse
Chapitre 2 - Situation de l’enfant orphelin dans les réalités sociales
africaines (point de vue traditionnel)
2.1. L’Orphelin au sens africain du terme
2.2. Structures, mécanismes et facteurs d’intégration du « nsiona » au
groupe famille-clan
2.2.1. Le composé kinzo-kimpangi-kanda (famille-clan)
2.2.2. Quelques caractéristiques du milieu social et familial de l’enfant
2.3. Synthèse
Chapitre 3 - L’Institution d’accueil et d’éducation modern pour enfants
vulnérables ou en situation difficile
3.1. Formes d’institutions à régime d’internat
3.2. Quelques considérations théoriques sur les effets de la séparation de
l’enfant d’avec la mère et/ou de son placement dans une institution
3.2.1. Effets de séparation d’avec la mère (« privation partielle »)
3.2.2. Effets du placement en institution (« hospitalisme »)
3.3. Synthèse
Partie 2 : Étude du comportement de l’orphelin placé en institution
Chapitre 4 - Problématique et méthodologie de l’étude
4.1. Problématique
4.2. Méthodologie
4.2.1. Population
4.2.2. Méthodes et techniques de recueillement de données
Chapitre 5 - Évaluation du comportement de l’orphelin placé en institution
5.1. Évaluation des aptitudes intellectuelles : l’échelle congolaise
d’intelligence verbale pour enfants ou « WISC-CONGO »
5.1.1. Motif du choix
5.1.2. Objectifs statistiques
5.1.3. Interprétation
5.1.4 Synthèse
5.2. Évaluation du comportement affectif : le test des phrases à compléter
ou “TPC/C”
5.2.1. Origine et domaine d’application
5.2.2. Dépouillement et analyse du corpus21
5.2.3. Interprétation
5.2.4. Synthèse
5.3. Évaluation du comportement affectif : le « make a picture story » ou
« MAPS/C »
5.3.1. Origine et domaine d’application
5.3.2. Description du matériel
5.3.3. Administration, consignes et enquête
5.3.4. Mode de dépouillement et objectifs statistiques
5.3.5. Interprétation
5.3.6. Synthèse
Chapitre 6 - Bilan psychologique sur le comportement de l’orphelin placé
en institution
6.1. Remarque préliminaire
6.2. Traits principaux de différenciation entre « OI », « OF » et « No »
6.3. Le comportement social de l’orphelin placé
6.3.1. Le degré d’adaptation de l’orphelin
6.3.2. Mode de contact humain ou de la relation de l’orphelin avec son
entourage
Partie 3 : L’Afrique et l’orphelin placé en institution : exigences à respecter
Chapitre 7 - Déterminants permettant un placement réaliste ou confiant
7.1. Respecter le substrat ontologique des « sociétés africaines »
7.2. Recréer à l’intérieur de chaque institution un climat social plus
proche des conditions de vie d’une famille normale
7.3. Confier l’éducation et l’encadrement des orphelins à des éducateurs
formés et dévoués
7.4. Doter les institutions de protection et d’éducation des orphelins
d’une assise juridique et des dispositions légales véritables
7.5. Assurer à l’orphelin affranchi une réinsertion sociale satisfaisante
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 : Le test des phrases à compléter (TPC/C)
Annexe 2 : Le « make a picture story » (« MAPS/C »)
Liste des abréviations et symboles
Liste des tableaux

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