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1111Numérisées par Fabienne.

Dissertations

Si j’ai choisi de numériser ces quelques dissertations, c’est parce qu’elles ont été rédigées en
1999/2000 par une amie à moi qui a toujours eu des super notes aux disserts sur table pendant l’année, et
qui a eu un 17/20 au capes (bien sûr, elle a eu le concours du premier coup, et bien sûr, elle tente l’agreg
cette année). Comme elle a eu la gentillesse de me prêter ses copies, je vous en fais profiter.
A chaque fois, j’inscris le sujet, les commentaires du prof et la note qu’elle a eue.

Poésie.

Sujet:
Dans La poésie moderne et la structure d’horizon (p.6), Michel Collot écrit: “L’écriture poétique,
loin de se replier sur elle-même, vise constamment un dehors”.
Expliquez et discutez cette affirmation en fondant votre réflexion sur des exemples précis et
d’époques diverses.

Note: 15/20
Commentaires du prof:
“On ne peut qu’apprécier un tel devoir qui, dans une belle écriture, une composition juste, illustre
avec pertinence le sujet proposé, et témoigne d’une culture très bien dominée. Quelques remarques:
“L’écriture poétique” est plus restreinte que “poésie”; votre troisième partie, passionnante, explore le
chemin du dehors au dedans, mais est-ce qu’on ne peut pas dire qu’à l’inverse, plus on est dedans (Il pleure
dans mon coeur --> un arbre), plus on est dehors? On attendait aussi Rimbaud...”

Plan détaillé:
1) Théorie de Collot sur l’impossibilité de l’enfermement de la poésie.
- “dehors” = lecteur
- “dehors“ = société.
- “dehors” = réel.
2) Tentatives d’enfermement dans l’histoire lit.
- la conception formaliste de “l’art pour l’art”
- la recherche de l’hermétisme
- l’élaboration du poème comme système autotélique.
3) Non seulement visée d’un dehors, mais aussi d’un dedans individuel (l’auteur) et général (humanité).
- monde intérieur du poète.
- monde intérieur du lecteur.
- monde intérieur de l’homme.

Dissertation:

INTRODUCTION:
A partir des travaux et des recherches des théoriciens formalistes, des réflexions des linguistes
comme celles de Jakobson, le poème a pu être envisagé comme une concrétion de mots, de phrases, de
rythmes, de sons, comme un système formel clos sur lui-même, comme une structure privilégiant la
fonction poétique, c’est-à-dire le message pour lui-même, aux dépens de la fonction référentielle. Toutefois,
un certain nombre de critiques et d’auteurs ont par réaction refusé de cautionner cette vision cloisonnée de
l’art poétique en montrant, comme Michèle Aquien, que la poésie n’était pas que “linguistique”. Ainsi
Michel Collot a souligné le lien irréductible qu’exige la poésie entre trois instances, celles du sujet, du
langage et du monde. Dans La poésie moderne et la structure d’horizon, il affirme également que “l’écriture
poétique, loin de se replier sur elle-même, vise constamment un dehors”. Il souhaite de cette façon prendre
ses distances avec une conception autotélique du poème, en mettant en avant la notion de “visée” et
d’”horizon”, en opposant l’image du repli, d’enfermement, à une image d’ouverture intentionnelle, en
privilégiant un mouvement centrifuge extatique à un mouvement centripète, ou à un monolithisme vain. La
poésie n’est jamais, selon lui, enfermée sur elle-même. Or, à diverses époques, des poètes ont prôné ce
“repli”, ce retour, cette suffisance du poème à lui-même, dans un mouvement formaliste ou élitiste. Il est
ainsi intéressant d’analyser la conception de l’écriture poétique de Michel Collot en montrant en quoi la
fonction référentielle ne peut être totalement niée dans l’opération poétique, puis d’étudier certaines
tentatives poétiques qui ont au contraire choisi cette voie du “repli”, pour enfin montrer que la poésie peut
non seulement s’envisager comme “visée” d’un dehors, mais aussi comme exploration d’un dedans, celui
de l’auteur (le sujet lyrique), voire de l’âme humaine en général.

*
* *
Soulignant l’impasse des recherches formalistes, qui aboutissent à l’enfermement du poème sur
lui-même, quelques critiques et poètes ont mis en relief l’ouverture de l'œuvre poétique en faisant intervenir
notamment le rôle du lecteur dans la réception du livre, qui n’est pas seulement un ensemble, mais aussi,
selon les mots d’Umberto Eco, une “œuvre ouverte”. Pour Michel Collot, cette ouverture apparaît sous les
termes de “dehors” et d’”horizon”. La poésie “vise constamment un dehors” écrit-il. Mais de quel “dehors”
s’agit-il? Sur quel objet l'œuvre poétique porte-t-elle son attention? En fait, ce dehors peut être à la fois le
premier destinataire du poème, c’est-à-dire le lecteur, un ensemble plus vaste représenté par la société ou
encore le réel, le monde extérieur pris dans sa globalité.

Dans la poésie épique d’Homère, la poésie chantée des troubadours ou la poésie récitée des salons
précieux ou mondains, l’aspect oral de l'œuvre poétique met en avant sa fonction d’échange, de
communication et de destination. Même pour Jacques Roubaud, “compositeur de mathématique et de
poésie”, la poésie doit être “dite”. Le poème ne peut vivre sans lecteur, sans auditeur, il est destiné à être lu,
à haute voix ou en toute intimité, mais il semble en tout cas s’adresser à quelqu’un, à un destinataire qui
peut représenter ce “dehors” visé par l’écriture poétique dont parle Michel Collot, s’apparenter en d’autres
termes à la conscience du lecteur. dans son épitaphe, Villon s’adresse ainsi aux “Frères humains” de la
postérité. Dans ses sonnets, Ronsard s’adresse à Hélène ou à Cassandre. Le poème se veut séduction dans
tous les sens du terme, et notamment dans son sens étymologique et apologétique “se ducere”, d’amener à
soi. La femme désirée est à la fois l’origine du poème et sa “visée”. Dans ses Fables, La Fontaine s’adresse
également plus ou moins directement à des êtres humains, au roi ou à la cour, à travers ses morales. La
poésie officielle du XVIIème siècle, comme celle de Malherbe, auteur de “l’Ode à la reine”, ou la poésie
satirique “vise”, évoque ou interpelle des individus ou des lecteurs en particulier. Dans Les Fleurs du Mal,
Baudelaire choisit comme destinataire “l’hypocrite lecteur”, son “semblable” et son “frère”. Le poème n’est
pas considéré qu’en lui-même, mais comme une œuvre qui va être parcourue, comme des instants qui vont
être partagés. Sartre dira ainsi qu’il n’y a d’art que “pour et par autrui”. Le lecteur pourrait de cette façon
être ce “dehors” visé dès l’écriture poétique, dès l’élaboration du poème ou du recueil par l’auteur lui-
même.
Mais “l’horizon” envisagé par Michel Collot pourrait également s’apparenter à un ensemble plus
vaste, à la société entière. La poésie engagée semble en effet revendiquer la transmission d’un message
destiné à la civilisation, aux hommes et à leur société. Elle se définit comme une action, une force
agissante, comme une révolte contre toute forme de soumission ou d’acquiescement. Elle “vise” la
tyrannie, la barbarie, la discrimination. Qu’il s’agisse des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné qui “vise” les
guerres de religion qui “afflig[ent]” la France, des Châtiments de Victor Hugo qui “vise” et ridiculise
Napoléon III, de La Diane Française d’Aragon, ou des “Feuillets d’Hypnos” de René Char, les mots
deviennent des armes. Forger des phrases, c’est alors prendre les armes pour un corps-à-corps textuel, pour
une lutte qui “vise constamment un dehors” monstrueux et injuste. Les poèmes sont des “chants égorgés”
selon la formule d’Aragon dans “Elégie à Pablo Neruda”, ou des “voeu[x] en révolte” selon René Char. Le
“dehors” peut s’apparenter au nazisme, à la guerre, à la torture, à la cruauté du monde extérieur. La voix
poétique, la “voix qui monte des fers” comme l’écrit Aragon dans “La ballade de celui qui chanta sous les
supplices”, s’élève et prend à partie cette insupportable et inadmissible ignominie. C’est un cri poussé, c’est
une insurrection permanente contre l’horreur, mais aussi contre “les ennuis et les vastes chagrins / qui
chargent de leur poids l’existence brumeuse”, nous dit Baudelaire dans “Elévation”.

Cependant, la visée poétique peut s’élargir encore davantage et embrasser le monde entier, le réel
pris dans sa diversité et dans sa globalité. Refusant toute idée de repli, d’enfermement, toute attitude
monolithique, certains poètes ont choisi de tendre vers un “horizon” terrestre ou céleste, de prendre la route
en ne regardant que devant soi. Ces poètes nomades, tels que Blaise Cendrars, Apollinaire ou Saint-John
Perse privilégient le mouvement. En marchant dans Paris, Apollinaire voyage parmi un kaléidoscope de
visages, une foule d’êtres humains. Il dépasse la “zone”, le cercle en parcourant même les contrées de sa
mémoire. dans la poésie persienne, les figures de conquérants, parcourant les plaines et franchissant les
montagnes dans “Anabase” et dans “Vents”, reflètent la volonté du poète d’embrasser le monde entier,
d’aller plus loin et plus haut pour dépasser ses limites. L’écriture poétique se veut mouvement, se veut
quête ontologique et cosmique, confirmant la définition de Heidegger de la poésie comme “topographie de
l’Etre”. Ce monde du dehors est parcouru et célébré également par d’autres poètes au début du XXème
siècle, appartenant au mouvement du naturisme, tels que Francis Jammes ou Saint-Georges de Bouhélier.
Tous ces différents poètes, en prenant des voies esthétiques et poétiques variées, ont tous en point de mire
la nature et le réel dans sa beauté, dans sa diversité et dans sa simple présence. La poésie deviendrait alors
un mouvement extatique, une tentative d’approche et de conquête de ce monde extérieur, ou comme l’écrit
Adonis dans Autre Sud, l’écriture d’un “isthme” entre le monde et le poète.

L’opération poétique, en célébrant l’univers ou en le transformant, par une alchimie verbale ou par
l’imagination, garderait ainsi le dehors comme l’objet premier de son attention et de son projet esthétique.
Par conséquent, la place de la fonction référentielle tendrait à confirmer l’approche de Michel Collot de la
poésie, non comme repli, mais comme ouverture sur un horizon qu’il soit “fabuleux” ou réel.

*
* *

Pourtant, le refus de l’engagement politique ou de l’épanchement, la volonté de restreindre le


public récepteur, ont engendré chez certains poètes un mouvement de repli. Ces tentatives apparaissent à
des dates diverses, la conception formaliste de “l’art pour l’art”, la recherche de l’hermétisme et
l’élaboration du poème comme système autotélique peuvent être ainsi perçues comme des attitudes de
“repli” sur l’objet poétique pris pour lui-même.

Tout d’abord, dans une perspective différente, les Grands Rhétoriqueurs qui privilégient le travail
sur la matière verbale, l’ingéniosité, l’inventivité, et les précieux qui concourent pour faire les plus beaux
poèmes, pour rechercher la perfection formelle, l’harmonie verbale, ont manifesté la volonté de mettre
l’accent non sur le dehors, mais sur le verbe poétique. Au XIXème siècle, rejetant l’épanchement du
romantisme sentimental, Théophile Gautier prépare lui aussi un retour au formalisme de “l’art pour l’art”.
Dans Emaux et camées, il demande au poète de “sculpte[r]”, de “lime[r]”, de “cisele[r]”. Il faut que celui-ci
taille dans un “marbre sans défaut”. Les courts poèmes deviennent des bijoux d’orfèvre. On retrouve cette
même approche dans les œuvres de Théodore de Banville, qui remet en valeur les règles prosodiques dans
Petit traité de versification française. Les poètes Parnassiens comme Leconte de Lisle, Sully Prudhomme
ou Hérédia, refusant de traiter l’actualité politique ou d’étaler les souffrances et les affres de leur monde
intérieur, privilégient la forme, et se coupent du “dehors” contemporain. Hérédia se perfectionne dans l’art
du sonnet dans Les Trophées, et travaille notamment le dernier vers dans un souci de beauté formelle.
Ainsi, dans “Soleil couchant”: “Et le soleil couchant[...] / Ferme ses branches d’or de son rouge éventail”.
Théodore Banville, le jongleur verbal de L’Ode funambulesque, a également mis en avant l’intérêt et la
valeur de la rime, ce que Verlaine rejettera au bénéfice de l’assonance. Ce souci de perfection verbale et
esthétique, cette recherche de la beauté pour elle-même, est ainsi une expérience poétique qui s’apparente à
une attitude de repli.

La recherche de l’hermétisme, de l’obscurité et de l’élitisme en matière de poésie est une autre


démarche qui envisage l’écriture poétique comme autosuffisante. L’expérience de Mallarmé est en cela
remarquable. Dans une “crise exquise et fondamentale”, il appelle “la disparition élocutoire du poète”, il est
“impersonnel et non plus Stéphane”, mais une attitude qui recherche non à peindre la chose, c’est-à-dire
finalement le “dehors” dont parle Michel Collot, mais l’Idée, non la fleur en elle-même, mais “l’idée même
et suave, l’absente de tous bouquets”. Il cède l’initiative aux mots, c’est-à-dire qu’il leur donne la primauté,
mais tout en luttant contre le hasard. Il refuse ainsi le désordre et le contingent du monde réel pour
construire un autre monde parallèle, celui de la poésie, opération et “complément supérieur” qui corrige les
défauts du monde et des langues. Ce n’est plus le dehors qui est visé, mais bien la Beauté. Le poème
devient un système autotélique, se suffisant à lui-même, le vers, le poème devenant un “mot total” et neuf.
Ainsi, “Aboli bibelot d’inanité sonore” ou “Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui” deviennent des vers,
des unités de mots, de sons en rupture avec la fonction référentielle et la fonction utilitaire du langage. Le
poète donne “un sens plus pur aux mots de la tribu”, écrit-il dans “Le Tombeau d’Edgar Poe”, quitte à
choisir la “voie de l’hermétisme”, selon l’expression de Michel Collot, voire celle de l’élitisme, la beauté
poétique n’étant accessible qu’aux initiés.

Cette conception de l’écriture poétique comme autotélique a été enfin théorisée par les formalistes
et les structuralistes dans les années soixante et soixante-dix. En effet, les travaux de Lévi-Strauss, de Léo
Spitzer sur les poèmes de Baudelaire, les études de style, de forme et de structure, ont participé d’un “repli”
sur le texte poétique pris en lui-même. Les analyses linguistiques et sémiologiques ont pu collaborer à cette
perception formaliste. Chaque poème est considéré comme un système, un tout où chaque partie n’a
d’existence et de sens que par rapport aux autres parties. D’autres expériences comme celles de “Tel quel”,
de l’Oulipo ou du lettrisme ont de manières diverses mis l’accent sur les mots, sur la richesse infinie du
langage, au détriment de la fonction référentielle. Ainsi les lipogrammes ou les tautogrammes, les jeux de
variations, les exercices de style de Lescure, de Raymond Queneau, contribuent à cette éviction du dehors,
au retour sur les mots et le verbe poétique. Valéry, qui admirait le travail formel des prédications de Bossuet
ou celui des poésies de Malherbe, a souligné également l’importance de la forme, cette “arche [qui]
demeure”. Toutes ces différentes expériences poétiques ont finalement concentré leur attention non pas sur
l’auteur ou sur le monde, mais sur l’objet poétique et verbal, développant parfois un métalangage et une
démarche réflexive dans leur propre œuvre.

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* *

Ainsi ces écritures poétiques hermétiques ou formalistes ont marqué un “repli” sur elles-mêmes,
sur le monde du texte et du verbe seulement. Cependant, la poésie n’est pas une expérience artistique,
formelle ou linguistique, elle est aussi une expérience vitale, qui a pour visée non seulement le “dehors”,
mais également le “dedans”. En effet, “l’écriture poétique” que définit Michel Collot semble tendre vers un
approfondissement du monde intérieur, avec ou sans le biais du dehors, celui du poète, du lecteur ou encore
de l’homme.

La recherche formelle et la maîtrise technique ne sont pas le seul intérêt de l'œuvre poétique, que
celle-ci soit en vers ou en prose. On peut également y trouver la voie pour pénétrer une intériorité, celle du
Moi créateur, du sujet lyrique. Ainsi, si Charles d’Orléans utilisait les formes fixes telles que les ballades ou
les rondeaux avec virtuosité,, sa poésie touche les lecteurs, et à travers toute une géographie allégorique,
par sa mélancolie, par la révélation d’un “clair-obscur intérieur”, selon l’expression de Daniel Poirion dans
Le Poète et le prince. On parcourt ainsi en poésie “l’espace du dedans”, nous dit Henri Michaux, comme
l’espace du dehors. On entreprend une odyssée à travers les méandres intérieurs, à travers les expressions
de l’inconscient. Le poème nous “donne à voir” les richesses ou les faiblesses, les désirs ou les craintes
cachées, les secrets d’une âme. Hugo définit de la même façon Les Contemplations comme les confessions
d’émotions à la mort d’un être cher, de conceptions poétiques, de réflexion sur l’homme ou sur la nature,
d’un poète “au bord de l’infini”, au bord de l’abîme du monde et de l’âme.

Cette exploration par l’écriture poétique des replis intérieurs du coeur peut s’effectuer par le
truchement du dehors. Ainsi dans Petits poèmes en prose, et plus particulièrement dans “Les Fenêtres”,
Baudelaire évoque la lumière affaiblie d’une chandelle, qui est pour lui plus éclairante que toutes les autres
lumières, qui, placée près d’une fenêtre, devient chez lui le prétexte à toute une recréation de ces vies
cachées derrière les fenêtres. A partir de cette lumière, il recrée une légende, et si on met en doute la vérité
de cette création, il répond que ce n’est pas ce qui importe, car cette “réalité placée hors de [lui], [lui] à
servi à vivre, à sentir [qu’il est] et ce [qu’il est]”. On remarque de cette manière que la déambulation dans
les rues de la ville, dans le labyrinthe des maisons, est aussi un chemin pour trouver sa propre identité, pour
creuser toute sa géologie intérieure. Dans Alcools apparaît une démarche poétique à peu près similaire,
puisque Guillaume Apollinaire ne se construit qu’à travers d’autres individus ou d’autres figures
mythiques, ses propres doubles qui sont Merlin, Icare, le Christ ou le phénix. Il voit défiler devant lui des
cortèges entiers d’êtres qui lui apportent un à un “les morceaux de [lui]-même“. Le sujet lyrique se
construit ainsi au travers de l’expérience du monde et l’expérience de la poésie.

Enfin, cette “visée” du dedans ne se réduit pas à l’analyse d’une âme particulière, mais s’ouvre à
l’âme de l’homme en général. “Ah! insensé qui crois que je ne suis pas toi”, s’écrie Victor Hugo. Creuser
des sillons, découvrir les failles et les blessures du sujet lyrique, connaître le monde du dehors est aussi
pour le lecteur une porte ouvrant sur son propre monde, une autre manière de se connaître et de
s’appréhender. Dans son Discours de Stockholm, Saint-John Perse montre ainsi que la poésie, comme la
science, est un mode “d’investigation”, un moyen d’éclaircir l’âme humaine. Par conséquent, le poète, au
lieu de se replier, se déploie dans une ampleur qui recouvre le monde afin de l’appréhender dans toute son
unité et de le mettre en lumière. Le lecteur découvre une autre facette de lui-même. Comme l’a écrit Jean
Cocteau dan Le Secret professionnel, la poésie “dévoile”, elle montre nues, “sous une lumière qui secoue la
torpeur”, les choses qui nous environnent. L’émerveillement et la surprise que provoque l’écriture poétique
permettent de dévoiler les profondeurs de l’âme autant que la richesse du monde.

*
* *
Ainsi, l’activité poétique n’a pas “constamment” comme l’affirme Michel Collot “vis[é] un
dehors”, elle a parfois été tentée de se replier sur elle-même dans un souci de beauté esthétique ou de jeu
purement verbal. Cependant certains poètes ont refusé de réduire leur poésie à un travail de l’esprit sur la
forme. Ils ont revendiqué un lien étroit avec le dehors, que ce soit dans la perspective de le célébrer ou de le
transformer en en dénonçant les aspects les plus terribles. Cette tentative de dévoilement et de mise en
lumière s’est accompagnée ainsi d’une découverte du monde intérieur de “l’arrière-pays”, selon
l’expression d’Yves Bonnefoy, faisant finalement de l’homme à la fois le centre et l’horizon de la poésie.

Poésie.

Sujet:
Selon Jean Cocteau, la poésie “dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une
lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient
machinalement”
Vous vous demanderez comment s’exerce dans Alcools cette fonction de dévoilement de la poésie.
(Il s’agit d’une dissertation de partiel de licence, adaptée à Alcools d’Apollinaire, mais que notre
prof nous avait donné optionnellement à faire à la maison en début d’année de Capes)
Note: 16/20
Commentaires du prof:
Excellente synthèse. Des connaissances, de la rigueur, de la finesse...

Plan détaillé:
1) Dévoilement du réel en poésie.
- la lumière - importance du feu pour Apollinaire.
- le regard du poète chez Apollinaire.
- importance de l’errance, qui participe d’une meilleure vision du monde.
- dévoilement unificateur du réel.
- Création d’une autre réalité.
2) Dévoilement du réel dans Alcools: le rôle de l‘émerveillement.
- esthétique apollinarienne de la surprise.
- regard poétique de l’ivresse.
- émerveillement de la magie et des mythes.
3) Pas seulement révélation de l’environnement, mais aussi de l’Etre chez Apollinaire.
- va-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur.
- dévoilement de ses sentiments sur l’amour et la femme.
- dévoilement de ses souffrances et angoisses.

Dissertation:

INTRODUCTION:
“L’art ne restitue pas le visible, il rend visible”, a dit Paul Klee. L’acuité du regard de l’artiste est
effectivement telle qu’elle lui permet de faire apparaître, de révéler ce qui, ordinairement, nous échappe.
Cette idée est soulignée également par Jean Cocteau lorsqu’il affirme dans Le Secret professionnel, en
parlant plus particulièrement de la poésie, que celle-ci “dévoile dans toute la force du terme. Elle montre
nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens
enregistraient machinalement”. Selon lui, le poète, grâce à son génie et à sa sensibilité, enlève le voile qui
semble peser sur les choses, offre un éclairage nouveau, et donne à voir ce qui nous entoure sous un angle
différent. Dans Alcools, Apollinaire, dont la devise est “j’émerveille”, semble répondre à cette esthétique du
dévoilement, de la révélation et de la surprise. Il veut permettre à l’objet d’apparaître dans sa nudité, dans
sa beauté propre et même dans son étrangeté. Mais comment fonctionne ce dévoilement apollinarien?
Quelles sont les “choses” dévoilées par le poète? Il semble intéressant d’étudier les rapports entre la réalité
et la poésie, l’extérieur et l’intérieur, les choses et les mots. On peut ainsi tout d’abord analyser ce
dévoilement du réel, puis montrer comment il s’opère dans Alcools, en prenant en compte la spécificité de
ce poète, c’est-à-dire le rôle de l’émerveillement et, enfin, montrer qu’Apollinaire ne se contente pas de
dévoiler les choses “qui nous environnent”, mais également de l’être même, ses quêtes et ses douleurs.

*
* *

Pour Jean Cocteau “il s’agit de montrer [au lecteur] ce sur quoi son coeur, son œil, glissent chaque
jour sous un angle et avec une vitesse tels qu’il paraît le voir et s’en émouvoir pour la première fois”. Ce
regard particulier posé sur les “choses”, ce dévoilement du réel doit, semble-t-il, être étudié en analysant de
plus près la “lumière” et le regard du poète, qui permet ensuite un dévoilement unificateur du réel, mais
qui, ne voulant pas en être la simple copie, aboutit finalement à la création d’une autre réalité.

Ce sont la “lumière” et le regard du poète qui permettent dans Alcools le contact avec “les choses
surprenantes qui nous environnent”. La lumière et la sensibilité du poète se rencontrent dans une
contemplation de l’errance et de la rêverie. Tout d’abord la poésie d’Apollinaire se place partie sous le
signe du soleil et de la lumière. Comme le suggérait déjà son pseudonyme, Apollinaire affirme ses liens
avec la lumière. Dans “Merlin et la vieille femme”, il dit ainsi: “La lumière est ma mère”. “Voie lactée ô
soeur lumineuse”, reprend le premier refrain de “La chanson du Mal-Aimé”. Il a lui aussi “le regard
lumineux des sirènes”, dont il parle dans “Vendémiaire”, ou ses yeux sont des “flammes” comme ceux de
“La Loreley”. il voue une adoration au feu: “J’ai jeté dans le noble feu / Que je transporte et que j’adore /
De vives mains et même feu / Ce passé ces têtes de mort / Flamme je fais ce que tu veux”, dit-il alors dans
“Le brasier”, où la place du mot “feu” à la rime et répété deux fois, et la place au début du vers de
“flamme” traduisent leur importance pour le poète. Il a même les attributs du feu: “Templiers flamboyants
je brûle parmi vous”, “je suis / Le désirable feu qui pour vous se dévoue”, “Et porteur de soleils, je brûle”,
écrit-il dans “Les fiançailles”. Il est le poète-phénix, le phare éclairant, le précurseur éclairé. Même sa
poésie devient lumière: “Tous les mots que j’avais à dire se sont changés en étoile”. Que la lumière
provienne du soleil, des étoiles, d’une chandelle, des becs de gaz ou de l’électricité, elle éclaire le monde
qui nous entoure d’une manière toute particulière, qui permet le dévoilement dont parle Jean Cocteau.

A cette lumière se joint la sensibilité exacerbée du poète afin de “dévoiler” le réel, de percevoir ces
“choses surprenantes”. Dans “Cortège”, les vers “Moi qui connais les autres / Je les connais par les cinq
sens et quelques autres” confirment cette idée. En reprenant en anaphore la structure “il me suffit”, il y
affirme son pouvoir de reconstitution grâce à la puissance de ses sens: “Il me suffit de voir leur pieds pour
pouvoir refaire ces gens à milliers”, “Il me suffit d’entendre le bruit de leur pas”. Il est ouvert au bruit: “le
bruit de [sa] chaise enchaînée”, “les bruits de la ville”, “le bruit des fiacres”, le bruit des cors du chasse, du
vent, des cloches et des chants. Les verbes “écouter” et “entendre” reviennent plusieurs fois: “Et j’écoutai
longtemps tous ces chants et ces cris”, “J’entendis une voix / qui chantait”, écrit-il dans “Vendémiaire”. Les
harmonies imitatives présentes dans les poèmes soulignent cette écoute. On a le vers “Les poules dans la
cours caquettent” dans “Aubade chantée à Laetare un an passé”, ou les sonorités fricatives en “s”, “z” et “f”
traduisent le souffle puissant du vent sur les plantes du rivage, dans “Mai”: “Le vent du Rhin secoue sur le
bord les osiers / Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes”. Il sollicite l’imagination sonore du
lecteur. Mais c’est par le regard qu’il établit davantage le contact avec le réel. Michel Décaudin dit que “le
poème s’offre dès lors au lecteur comme un écran sur lequel il voit, selon la finesse et la richesse de son
regard, plusieurs niveaux d’images”. Le verbe “regarder” revient plus d’une vingtaine de fois, et “voir”
plus d’une quinzaine de fois. Ainsi a-t-on par exemple des expressions telles que “tu vas le regarder de
près”, “Je les ai vus souvent” dans “Zone”, “je vois le soir les couples” dans “L’ermite”, , ou encore “Je le
revis” répété trois fois dans “Poème lu au mariage d’André Salmon”. Dans “Le brasier”, l’expression “Et
voici le spectacle” montre que le réel devient un spectacle, un tableau observé par le poète. “Ce n’est pas la
bizarrerie qui me plaît”, écrit-il à Henri Martineau, “c’est la vie et quand on sait voir autour de soi, on voit
les choses les plus curieuses et les plus attachantes [...] si je suis lettré [...] c’est plutôt par un goût naturel
qui me fait bien sentir l’intensité de la vie [...] c’est plutôt par une sorte d’intuition, dis-je, que par l’étude”.
Il sait comment regarder, sentir le réel pour le “dévoil[er] dans toute la force du terme”.

Ce regard et cette lumière poétiques entraînent le poète dans une contemplation du monde qui
nous entoure, dans une contemplation de l’errance et de la rêverie. En effet, Apollinaire explore le monde
en marchant. A travers une poésie déambulatoire, il découvre d’autres facettes des “choses qui nous
environnent”: “Maintenant tu marches dans Paris”, “Tu marches vers Auteuil” dit-il dans “Zone”, “Un soir
un passant le long des quais déserts et sombres” dans “Vendémiaire”. Comme l’écrit Marie-Jeanne Durry
dans Guillaume Apollinaire, Alcools, “Apollinaire était la mobilité même”. Il suit un voyou dans les rues de
Londres dans “La chanson du Mal-Aimé”. Les images de marches, de pas, de routes, de chemins
reviennent régulièrement. “L’ermite” “marche et fuit“. Le fils de Merlin “marchera tout seul en regardant le
ciel”. Cette marche, cette errance, permet au poète un contact plus rapproché avec “ces choses [...]”. La
rêverie le permet également. Comme le dit Bachelard dans Poétique de la rêverie, “dans la rêverie, les sens
restent en éveil, [...] le contact du rêveur avec le monde réel est constamment maintenu [...]. Chez les grand
poètes, la création est portée par la rêverie qui la ramène toujours au réel”. Ainsi dans “Palais”, le poète
parle de ses “rêveuses pensées”, ou encore “de rêveuses pensées en marche à l’Orient”, de ses “beaux rêves
mort-nés”. Le regard onirique du poète, dans sa déambulation contemplative, à travers différents lieux,
dévoile à sa façon le réel, révèle les “choses” sous différents angles.

Le regard et la “lumière” du poète dans cette errance permettent, en outre, l’union, l’embrassement
du monde entier. Le poète entreprend un dévoilement unificateur du réel en jouant sur l’alliage de l’ancien
et du nouveau sur la simultanéité. La démarche d’Apollinaire est effectivement une démarche unifiante. Il
s’intéresse aux éléments anciens et modernes, au monde entier, à tous les gens. Morhange-Bégué écrit
qu’”une humanité cosmopolite, un kaléidoscope de visages et d’attitudes traverse ainsi, d’une manière
originale, les poèmes d’Alcools: fruit d’une observation attentive et amusée”. Le champ de la poésie
s’élargit avec lui. Il se fait visionnaire du quotidien. Il tente “d’habiter poétiquement le monde”, selon
l’expression d’Hölderlin. Il veut un “lyrisme neuf et humaniste à la fois”. Dans “Zone”, “l’esprit nouveau”
d’Apollinaire se révèle. Se refusant à une rupture totale avec le “monde ancien”, son esthétique se tourne
quand même vers une esthétique moderniste, comme le montre le champ lexical du quotidien, les termes
techniques et les néologismes: “Tour Eiffel”, “les prospectus des catalogues, les affiches”, “les livraisons à
25 centimes”, “Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes”, “cette rue industrielle”. Dans
son article “Autour du futurisme”, Laurence Campa affirme qu’Apollinaire s’enthousiasme pour les
machines modernes, mais il n’y a pas chez lui de “modernolatria” (le terme est de Marinetti). La présence
des “hangars de Port-Aviation”, des “automobiles” dans “Zone”, des “tramways“, des “rails leur folie des
machines” dans “La chanson du Mal-Aimé”, des “sonneries électriques des gares chant des
moissonneuses” dans “Le voyageur” le prouve. Son regard s’arrête sur des lieux, des objets, des gens que
l’on n’avait peut-être pas considéré comme poétiques, mais dont il nous dévoile la beauté, la poésie: “Les
prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut / Voilà la poésie ce matin”. La modernité côtoie
la religion, les images du Christ par exemple. Le dévoilement du réel se fait dans sa globalité, avec les
éléments les plus divers.
Cette volonté d’unifier le réel par son regard se retrouve dans son esthétique de la simultanéité. Il
souhaite embrasser l’ensemble du réel dans sa diversité, sa multiplicité et son unité. Il juxtapose les tons,
les points de vue. Les poèmes “Les femmes” et “Vendémiaire” rendent compte de cette simultanéité. Didier
Alexandre, dans guillaume Apollinaire, Alcools, dit que “Vendémiaire” “actualise cette simultanéité dans
une structure qui semble empruntée aux textes théâtraux”. Annonçant les poèmes conversation, “Les
femmes”, par le passage du présent au passé, la “démultiplication des points de vue par la polysémie” joue
sur des effets de simultanéité. On peut rapprocher cette simultanéité de la peinture cubiste. Même si
Apollinaire refuse l’appellation de “cubisme littéraire”, Peter Read, dans son article “La révolution
cubiste”, dit qu’”il n’empêche qu’une conception simultanéiste sous-tend à la fois l’esthétique cubiste et la
poétique apollinarienne”. Ne dit-il pas à la fin de “Cortège”: “Près du passé luisant demain est incolore / Il
est informe aussi près que ce qui est parfait / Présente tout ensemble et l’effort et l’effet”. Il “présente tout
ensemble”, d’où la superstition et le télescopage des images et les nombreuses correspondances et
synesthésies. On passe du visuel à l’auditif: “les catalogues les affiches qui chantent tout haut”, “la jolie rue
[...] du soleil elle était le clairon” dans “Zone”. Ces effets de correspondance et de simultanéité rendent
compte de la démarche unifiante et du dévoilement unificateur que tente d’opérer le poète.

Mais, peu à peu, ce dévoilement du réel, des “choses qui nous environnent” s’éloigne du réel
immédiat et aboutit, grâce au pouvoir des mots et aux symboles et sens apportés par le poète, à la création
d’une autre réalité. En effet, les mots du poète procèdent à une véritable alchimie du réel. Dans La Poésie,
Georges Jean dit que le poète “ne copie pas”, “il dénude pour recréer. Il retrouve l’étymologie de “poiesis”,
de création pure. Il substitue sa réalité à la réalité immédiate. Il a des pouvoirs de démiurge. Dans “Poème
lu au mariage d’André Salmon”, sa puissance créatrice est affirmée car les seuls qui “renouvellent” le
monde sont “ceux qui sont fondés en poésie”, et car “fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles
qui forment et défont l’Univers” dit le poète. Dans Les Peintres cubistes - Méditations esthétiques, il écrit
aussi que “les grands poètes et les grands artistes ont pour fonction sociale de renouveler sans cesse
l’apparence que revêt la nature aux yeux des hommes”, il faut “ordonner le chaos”. Il ne veut pas d’un “art
d’imitation, mais un art de conception qui tend à s’élever jusqu’à la création”. Il est comme Merlin qui
“guett[e] la vie et l’éternelle cause / Qui fait mourir et puis renaître l’univers”. Dans Lecture d’Apollinaire,
Philippe Renaud parle de “la mort du monde”, du “crépuscule de la réalité” et de “la naissance du souffle
poétique”. La création du poète s’apparente à la création divine. A l’instar d’un Picasso, il décompose le
monde pour mieux le recréer. Selon Philippe Renaud, “le poète est pareil à l’alchimiste qui doit, pour
régénérer le monde et célébrer les noces des éléments opposés, connaître à fond la nature et ses lois, et
posséder le grand secret du Feu qui bouleversera ces mêmes lois”. La réalité immédiate, éphémère, est
dépassée, métamorphosée pour créer un monde de mots et d’images, poétique et éternel.
Et Apollinaire s’éloigne du réel, le dévoile et crée une autre réalité en lui donnant notamment sens.
Il arrache certains éléments, certaines “choses qui nous environnent et que nos sens enregistraient
machinalement” au néant et à l’insignifiance. Le décor, le réel est interprété comme un réseau de signes.
Dans Alcools, tous les éléments sont signifiants. Ils ont un sens, celui que le poète a su voir, dévoiler et
déchiffrer. Le poète sacralise les objets. Ils passent de leur dimension utilitaire à la dimension esthétique, et
c’est de cette façon que le poète les dévoile et crée une autre réalité. C’est “un monde de signes et de
symboles” écrit Philippe Renaud. Il ajoute qu’Apollinaire “est moins préoccupé d’inventer que de rapporter
une expérience, vraie ou imaginaire, à ce qui, déjà existant, peut aider à la déchiffrer, la décrypter”. Le
langage poétique devient symbolique. Le feu, dans Alcools, devient le symbole du souffle et de la flamme
poétique, le fleuve celui du passage et de la fuite du temps, et le pont celui de la permanence. Les voyages,
les déambulations peuvent symboliser le parcours initiatique du poète vers la connaissance. En tout cas, la
force symbolique qui imprègne certains poèmes et le sens que prennent les objets dans la poésie d’Alcools,
montre que le poète, en dévoilant le réel, en le montrant dans sa nudité, le charge de signification et aboutit
à la création d’une autre réalité.

*
* *

Apollinaire dévoile donc le réel. Mais comment opère-t-il plus précisément dans Alcools? Cocteau
parle d’une “lumière qui secoue la torpeur”, et de “choses surprenantes”. L’esthétique de l’émerveillement,
spécificité d’Apollinaire, pourrait alors intervenir ici dans ce processus de dévoilement et de création. Le
réel transfiguré, métamorphosé, déchiffré, révélé et dévoilé, serait appréhendé par le poète, selon son
esthétique de la surprise, par le regard poétique de l’ivresse et par l’émerveillement de la magie et des
mythes.

Tout d’abord, l’esthétique de la surprise est privilégiée par Apollinaire. Surprise du texte poétique
et surprise des images, l’émerveillement joue un rôle primordial dans le dévoilement, et permet de révéler
le réel “sous une lumière qui secoue la torpeur”. En effet, le texte poétique lui-même surprend le lecteur et
offre une autre vision du monde. Ainsi la suppression de la ponctuation dans Alcools invite le lecteur à
participer à la création, à interpréter, tout en le surprenant par les ambiguïtés qu’elle entraîne. Pour rendre la
nervosité du monde, le poète supprime la ponctuation, exagère les contrastes, cherche un rythme impulsif,
et ne recule pas devant l’équivoque. Dans “Le Pont Mirabeau”, l’absence de ponctuation entraîne une
double lecture possible, une double interprétation au sujet des vers: “Sous le pont Mirabeau coule la Seine /
Et nos amours / Faut-il qu’il m’en souvienne”. Dans “La Chanson du Mal-Aimé”, on retrouve ce même
phénomène pour les vers “Un voyou qui ressemblait à / Mon amour vint à ma rencontre. Dans une réponse
à une enquête à La Vie, Apollinaire écrit: “Point d’idéal: mais tout ce qui existe: moi-même, mes sens, mon
imagination; les choses, leurs aspects, leurs propriétés; les surprises, les êtres qu’elles engendrent et ceux
qu’elles modifient”, “Point d’idéal: la surprise, l’invention, c’est-à-dire le bon sens toujours surprenant,
toujours imprévu, c’est-à-dire la vérité”. Ce qui peut également surprendre, c’est la disposition
typographique de poèmes comme “Le Pont Mirabeau”, “Zone”, “Cortège”, “Vendémiaire”, “La maison des
morts” ou “Le voyageur”, ou encore l’impression de discontinu du texte, impression confirmée dans
“Zone” par le passage entre les différents lieux et le passage du “je” au “tu”. Grâce à ces effets de surprise,
le poète semble moins vouloir choquer le lecteur que “l’émerveiller”, c’est-à-dire lui révéler le monde de
façon frappante, pour retenir son attention.
La surprise provient également des images choisies par le poète. Il procède par analogies, par
associations d’idées imprévisibles. “Zone” en offre des exemples frappants. De “la rue industrielle”,
“Neuve et propre”, on passe à la “jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant”. L’idée de nouveauté de la
première rue lui rappelle la jeunesse de la seconde et de son enfance. Ce processus d’associations d’idées et
de mots se retrouve dans “Pupille Christ de l’oeil / Vingtième pupille des siècles”, et “Bergère ô tour Eiffel
le troupeau des ponts bêle ce matin”, ou encore dans le double sens du “Palais”, le bâtiment et palais de la
bouche. D’autres images surprenantes ponctuent les poème: “Les souvenirs sont cors de chasse / Dont
meurt le bruit parmi le vent, dans “Cors de chasse”, “Les sapins [...] comme des astrologues” dans “Les
sapins”, “Comme un poupon chéri mon sexe est innocent” dans “L’ermite” ou des “forêts de crucifix” dans
“Vendémiaire”. La variété des tons du recueil peut aussi surprendre. Dans “La Chanson du Mal-Aimé”, le
ton et les images des intermèdes contrastent avec le reste de la “Chanson”: ton heureux dans “Aubade
chantée à Laetare un an passé”, ton révolté, violent dans “Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de
Constantinople” avec des expressions grossières telles que “pet foireux“, “colique”, “Groin de cochon cul
de jument”, grossièreté que l’on retrouve dans “Scinderhannes”. La surprise vient aussi des calembours
dans certaines images, ainsi dans “L’Ermite”, “L’amour jeu de nombrils ou jeu de la grande oie / La mourre
jeu du nombre illusoire des doigts”, où le poète joue sur les homophonies et l’équivoque. Par conséquent,
grâce à des images surprenantes, Apollinaire révèle et dévoile le réel, en “émerveillant” son lecteur.
En outre, le dévoilement émerveillé du réel s’effectue aussi à travers le regard poétique de
l'ivresse, cette ivresse qui possède une toute-puissance dionysiaque, et qui parvient à changer l’univers en
vin. La puissance dionysiaque est effectivement une puissance qui transfigure le réel et le dévoile.
L’alliance d’éléments disparates et l’apparente incohérence des images sont peut-être ainsi dues à cette
ivresse créatrice. Car la poésie permet la fusion d’éléments opposés comme l’alcool unit l’eau et le feu. Les
références à l’alcool sont nombreuses: “Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie / Ta vie que tu bois
comme une eau-de-vie” dans “Zone”, “Dans une onde mauvaise à boire”, “Soirs de Paris
ivres de gin” dans “La Chanson du Mal-Aimé”, “le vin de Mai” dans “Schinderhannes”. L’ivresse poétique
transfigure le réel et le dévoile. La réalité devient tremblante: “dans des soirs tremblants”, dans “La
Chanson du Mal-Aimé”, “Laisserez-vous trembler longtemps toutes les lampes”, “Et tout ce qui tremblait
dans les yeux de mes songes / Qu’un seul homme buvait”, dans “Un soir”, “L’air tremble de flammes et de
prières” dans “Rhénane d’automne, “un vin trembleur comme une flamme”, “Tout l’or des nuits tombe en
tremblant s’y refléter”, dans “Nuit Rhénane”, et “L’amour est mort j’en suis tremblant”, dans “Aubade
chantée à Laetare un an passé”. L’ivresse propose une autre vision du réel. En outre, le rire dionysiaque a
aussi cette puissance de transfigurer le réel. Le nom de “rire” revient à peu près quatre fois, et le verbe plus
de dix-sept fois dans le recueil; ainsi dans “L’ermite”, “j’ai ri” est répété quatre fois: “J’ai ri des damnés”,
“Et j’ai ri du vieil ange”, “j’ai ri de l’aile grise”, “Cité j’ai ri de tes palais”; dans “Nuit Rhénane”, on a la
comparaison “Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire”. Finalement, le poète semble être poète parce
qu’il sait rire: dans “Poème lu au mariage d’André Salmon”, “Et nous apprîmes à rire”, “nous savons rire”,
écrit-il. A travers l’ivresse et le rire, la toute-puissance créatrice de Dyonisos s’exprime.
Cette puissance est telle qu’elle parvient dans ce dévoilement, cette transfiguration, à
métamorphoser l’univers en vin. Dans “Vendémiaire”, cette impression est évidente, car le poète écrit: “tout
cela changé en ce vin pur / Dont Paris avait soif”. Le poète boit alors tout l’univers: “Mondes qui vous
rassemblez et qui nous ressemblez / Je vous ai bus et ne fus pas désaltéré”, “Je suis ivre d’avoir bu tout
l’univers”, “Et je boirai encore s’il me plaît l’univers”. Ses poèmes deviennent des “chants d’universelle
ivrognerie”. “La poésie est un festin où le poète avale le monde passé et présent”, comme l’écrit Philippe
Renaud. L’ivresse est au service d’Apollinaire. Elle est “d’une lucidité aiguisée”, dit Georges Jean.
Baudelaire insistait déjà, dans Oeuvres, sur cet état nécessaire d’ivresse: “Il faut être toujours ivre. Tout est
là: c’est l’unique question pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps [...], il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de Poésie ou de vertu. A votre gré. Mais enivrez-vous...” Tout l’univers sous le
regard émerveillé de l’ivresse devient liquide: “J’ai soif villes de France d’Europe et du monde / Venez
toutes couler dans ma gorge profonde”, “Et les villes du Nord dirent gaiement / Ô Paris nous voici boissons
vivantes”. L’ivresse permet le “dérèglement des sens“ et fait du poète un “voyant”, selon les mots de
Rimbaud dans la Lettre du voyant. Les pouvoirs de l’ivresse offrent de nouvelles voies au poète pour
émerveiller le lecteur, pour “dévoiler” le réel.

Mais l’émerveillement qui opère le dévoilement des “choses surprenantes qui nous environnent”
est fondé aussi particulièrement sur la magie et sur les mythes. En effet, le regard du poète qui dévoile le
réel est un regard magique. C’est un regard animiste, qui éveille les objets inertes, qui personnifie les objets
inanimés. Ainsi, dans “Zone”, “le troupeau des chants bêlent”, “les affiches” “chantent tout”, la rue est “un
clairon”. Dans “Les cloches”, les “cloches” voient les amoureux “Et le disent à tout le monde”. Dans “Les
sapins”, les sapins chantent des noëls anciens”. Dans “Vendémiaire”, ce sont des villes qui prennent la
parole: “Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes”, “Et Lyon répondit”, “Les villes répondaient
maintenant par centaines”. Tout s’anime par magie, tout chante. Sous le regard magique du poète, tout
prend vie. En enchantant le réel à la manière de Merlin, il émerveille le lecteur. Sa poésie prend parfois les
accents d’une incantation, d’une série de formules magiques destinées à modifier le monde. L’anaphore du
présentatif et litanique “c’est” dans “Zone” a ainsi un aspect incantatoire. Le poète détient la magie du
Verbe. Il a un pouvoir sur le monde. Il nous demande de l’écouter: “Ecoutez-moi”, “Ecoute mes chants”,
dans “Vendémiaire”. Grâce à ses pouvoirs enchanteurs, Apollinaire nous montre différentes facettes du
monde, il allie le naturel au surnaturel, et émerveille toujours le lecteur.
L’émerveillement joue également un rôle non négligeable dans ce processus de dévoilement
apollinarien, à travers les références mythiques et légendaires, car, par cet apport du merveilleux, ces
allusions aux mythes de Dédale, d’Icare, d’Ixion et surtout d’Orphée, Apollinaire fait ancrer les objets qui
nous entourent dans une autre dimension, celle de l’éternité et de l’universalité. Le poète a le regard
d’Orphée, le “dernier regard d’Orphée” dans “Poème lu au mariage d’André Salmon”. Comme Orphée,
Apollinaire a un pouvoir sur le monde. La figure christique, par l’idée d’éternité et de pouvoir sur le monde
qu’elle suggère, peut appuyer cette idée. Dans l’image de “Zone”, “C’est le Christ qui monte au ciel mieux
que les aviateurs / Il détient le record du monde pour la hauteur”; on ressent le désir du poète de s’élever.
Le mouvement ascensionnel et vertical est frappant dans ce poème. Selon Philippe Renaud, “l’ascension du
héros est une volonté de posséder les choses par le regard”. Pour lui, “le merveilleux apollinarien est lui
aussi la solution et le dépassement d’une contradiction: celle qui naît de ce que l’homme est mortel et
éternel”. A travers les mythes et les légendes, dont l’étymologie “legenda” signifie “les choses à lire”,
Apollinaire tend vers l’éternité et l’universalité. Dans “Merlin et la vieille femme”, on peut lire “qu’il
monte de la fange ou soit une ombre enfin solide / Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel”, éternel.
Les références mythiques ou légendaires, telles que la Loreley, les sirènes, Rosemonde, confèrent au texte
poétique et aux objets choisis par le poète cette dimension universelle et éternelle. Le surnaturel côtoie le
naturel, le mythique se joint au réel, pour mieux le dévoiler.

*
* *

Grâce à son esthétique de l’émerveillement, Apollinaire “dévoile” ainsi le réel, “les choses
surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement”, comme le dit Jean
Cocteau. Mais, dans Alcools, Apollinaire ne dévoile-t-il pas autre chose que le réel, que les objets? Il
semble, en effet, qu’il dévoile aussi son être profond dans un va-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur, en
dévoilant aussi ses sentiments sur l’amour et la femme, et ses souffrances et angoisses.

Tout d’abord, on peut analyser les rapports que ce dévoilement soulève entre l’extérieur et
l’intérieur, entre dehors et dedans, et montrer que ce dévoilement de l’être est aussi une quête de soi-même.
On observe effectivement, dans Alcools, un va-et-vient incessant entre le monde extérieur et l’intériorité du
poète. “La plupart des composantes de la nature, saisons fruits et fleurs”, affirme Morhange-Bégué, “ont le
plus souvent une valeur symbolique anthropocentrique, tournée vers l’homme, ou plus exactement parallèle
à l’expression des sentiments du poète”. Les sentiments du poète se confondent ainsi avec les éléments
naturels dans le premier quatrain de “Clotilde”: “L’anémone et l’ancolie / Ont poussé dans le jardin / Où
dort la mélancolie / Entre l’amour et le dédain”. De la même façon, “le paquebot orphelin” dans “Le
voyageur”, pourrait aussi symboliser le sentiment d’abandon du poète. Dans “Rhénane d'automne”, l’image
de mutilation et le rapprochement entre le naturel et l’humain, dans les vers “L’automne est plein de mains
coupées / Non non ce sont des feuilles mortes / Ce sont les mains des chères mortes” pourraient aussi
traduire l’impression de mutilation, de séparation chez le poète. Grâce aux images et aux nombreuses
métaphores des poèmes, on observe donc bien un mouvement de va-et-vient entre le réel, la nature et l’être,
l’intériorité du poète.
Ce mouvement traduit aussi que ce dévoilement se révèle, pour Apollinaire, une véritable quête de
lui-même. “Co-naissance au monde et de soi-même” écrit Claudel à la même époque. Apollinaire veut se
connaître et se construire à partir de l’observation de l’extérieur. Il tend vers la quête de lui-même, c’est-à-
dire la quête d’un sens à son aventure qu’il va s’efforcer de distinguer à travers la multiplicité des images
que lui offre le monde. Ses voyages dans le monde sont des itinéraires spirituels: “tu as fait de douloureux
et joyeux voyages”, écrit-il dans “Zone”. L’extérieur lui permet de se construire, ainsi le “Cortège” le “bâtit
peu à peu comme on élève une tour”. “Tous ceux qui survenaient et n’étaient pas moi-même / Amenaient
un à un des morceaux de moi-même, “et je parus moi-même / Qu’ont formé tous les coups et les choses
humaines” dit-il. Il se cherche: “Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes”. C’est par le contact
avec le monde qu’il se connaît, si bien qu’en prison, à l’écart du monde, il ne se reconnaît plus: “Guillaume
qu’es-tu devenu”, “Non je ne em sens plus là / Moi-même”. La connaissance de lui-même se fait par un
regard introspectif et rétrospectif sur ses propres souvenirs passés. Dans “Les fiançailles”, on a les vers
“J’ai eu le courage de regarder en arrière / Les cadavres de mes jours”. Le terme de “mémoire” revient à
peu près six fois dans Alcools, et le verbe “se souvenir” à peu près 18 fois. On a aussi l’expression “Je m’en
souviens je m’en souviens encore” dans “Le voyageur”. “Dans le jardin de [sa] mémoire”, le poète
entreprend un grand voyage vers la connaissance de lui-même. “Mon beau navire ô ma mémoire / Avons-
nous assez navigué”, demande-t-il dans “La Chanson du Mal-Aimé”. Cette recherche de soi-même entraîne
alors la séparation entre le “je” et le “tu”, le dédoublement du poète. Ce passage entre le “je” et le “tu” est
frappant dans “Zone”. Le dévoilement du réel et du passé peut ainsi contribuer à la quête de lui-même.

Apollinaire dévoile également ses sentiments, ses douleurs concernant l’amour et les femmes.
Dans le domaine de l’amour, il retient l’idée d’impossibilité et d’échec. Il est le “Mal-Aimé” qui ressent le
“déclin d l’amour”: “C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté” écrit-il dans
“Zone”. Pour lui, l’amour est associé à l’idée de honte: “L’amour dont je souffre est une maladie honteuse”.
Il est associé aussi à l’idée de fausseté. Il parle ainsi, à la strophe 8 de “La Chanson du Mal-Aimé” du “faux
amour”, et à la strophe 5, de “la fausseté de l’amour même”. L’amour est pour lui impossible. Dans “La
Maison de morts”, la jeune morte et l’étudiant ne peuvent s’aimer: “la bague [étant] brisée”, et le mort et la
vivante ne peuvent non plus s’aimer car la femme est déjà mariée. Dans “Mai”, la rencontre et l’amour sont
impossibles; les dames “sont jolies mais la barque s’éloigne”. Le dévoilement du réel et de l’amour se fait
parfois en même temps. Par un jeu subtil de comparaisons, le dévoilement de l’intérieur s’effectue à l’aide
de l’extérieur. Il s’opère ainsi une identification entre l’amour et la nature: “L’amour s’en va comme cette
eau courante” écrit-il dans “Le Pont Mirabeau”. Dans ce poème, l’image de l’amour intègre le paysage
dans l’expression du “pont de nos bras”. L’amour est aussi lié à l’idée de mort. On a ainsi l’amour
vénéneux dans la comparaison avec “les colchiques”, la mort dans “La Loreley”, et dans “Les cloches”, le
vers “J’en mourrai peut-être”. L’aspect accompli du passé composé dans les expressions “celle que j’ai tant
aimé” dans “Mai”, et “toi que j’ai tant aimé” dans “La Chanson du Mal-Aimé”, inscrit l’amour dans le
passé révolu.
En outre, Apollinaire nous livre ses sentiments sur les femmes. Là encore, le dévoilement de
l’intérieur se fait par des rapprochements, des comparaisons avec le réel et la nature. Dans “Rhénane
d’automne”, on a ainsi les vers “L’automne est plein de mains coupées [...] / Ce sont tes mains coupées”.
Dans “Mai”, le rapprochement entre le naturel et l’humain se retrouve dans les vers “Les pétales tombés
des cerisiers de Mai / Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée / Les pétales flétris sont comme ses
paupières”. Le même phénomène apparaît dans “Les colchiques”: “tes yeux sont comme cette fleur-là /
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne / Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne”, ou
encore dans “La Chanson du Mal-Aimé”: “Ma colombe ma blanche rade / Ô marguerite exfoliée / Mon île
au loin ma Désirade / Ma rose mon giroflier”. Apollinaire inscrit son histoire d’amour dans la nature et le
cycle des saisons; il “rattache son destin d’amant à l’universel de la nature” selon Morhange-Bégué. Mais,
à travers ces images, la femme n’est pas toujours vue de manière positive: “femmes ensanglantées”,
prostituées, femme au “regard d’inhumaine”, infidèles.

Enfin, le poète nous fait également part de certaines angoisses, sans grande effusion intime et
toujours avec des rapprochements avec le réel. Robert Couffignal, dans Zone d’Apollinaire, structures et
confrontations, dit pour “Zone”, qu’en même temps qu’il exprime une vision globale de l’univers, et qu’il
dresse le bilan d’une vie jugée sous le regard du Dieu chrétien, le poète “exorcise l’angoisse dont il est
empli”. La tristesse et la mélancolie du poète dans les poèmes élégiaques ou dans d’autres poèmes
expriment cette angoisse. L’adjectif “triste” revient plus de huit fois, et le verbe “pleurer” plus de onze fois.
La mélancolie est soulignée par les sonorités. Ainsi, dans “A la Santé”, elle est traduite par l’assonance en
“en” et les nasales qui, avec les répétitions, créent des effets de langueur, dans les vers “Que lentement
passent les heures / Comme passe un enterrement”. La fuite du temps et la pérennité de ses douleurs sont
aussi des sujets éveillant le lyrisme mélancolique du poète. Cette idée est traduite par le rapprochement
avec le fleuve, comme dans “Mai”: “Le fleuve est pareil à ma peine / Il s’écoule et ne tarit pas”.
L’écoulement du temps, symbolisé par l’écoulement de la Seine, apparaît aussi dans “Le Pont Mirabeau”.
Lié au sentiment que l’existence s’écoule, le thème obsédant de la mort apparaît également comme une des
angoisses du poète. “L’automne est morte” écrit-il dans “L’Adieu”. Cette omniprésence de la mort montre
que le poète révèle ses angoisses, ses peurs, ses sentiments. Par conséquent, Apollinaire ne dévoile pas que
le réel mais aussi, en s’aidant pourtant souvent des rapprochements avec la nature, dévoile son être même,
nous délivrant des sentiments qui sont universels.

*
* *

CONCLUSION:
Finalement, comme le dit Cocteau, le poète “dévoile” le réel en ce sens où il porte sur lui un
regard qui révèle sa beauté et l’englobe dans sa diversité. Mais ce regard est un regard créateur. En tant
qu’artiste et poète, Apollinaire ne souhaite pas faire la stricte représentation de la réalité. Il la transpose, la
transfigure, la métamorphose. Il sait nous surprendre, nous “émerveiller” en nous montrant des “choses
surprenantes”. Pour Philippe Renaud, “l’organisation d’Alcools serait motivée par les exigences d’un
véritable parcours initiatique dont l’enjeu est la connaissance”. Apollinaire tend à révéler le monde et à se
connaître. Il nous invite à voir le monde dans une autre perspective et nous initie à ce nouveau regard. Il
dévoile les “choses”, son être profond et des sentiments qui sont communs à tous. Enfin, il sait faire
participer le lecteur à cette aventure interprétative du réel et à sa création poétique. Initié, Apollinaire est un
initiateur qui apporte au lecteur de nouvelles connaissances.

Théâtre.

Sujet:
Comparant les oeuvres autobiographiques et le théâtre, Claudel écrit: “On se fausse en se
regardant: on fabrique une espèce d’individu artificiel qui remplace la personne naïve et agissante. Le
véritable soi-même est révélé par les circonstances, et c’est pourquoi le drame a une vérité bien supérieure
à celle du roman, parce qu’il met l’action à la première place - les personnages n’étant plus que les
fonctions de cette action qui les suscite”.
Quelles réflexions vous inspire ce jugement?*

Note: 13/20
Commentaires du prof:
Un effort - peut-être un peu laborieux - mais un effort très sérieux et convaincant pour bien traiter
le sujet. Beaucoup de passages très pertinents. Bon élargissement du sujet dans votre dernière partie.

Plan détaillé:
1) Pourquoi le théâtre est plus proche du Moi que l’autobiographie.
- l’impossibilité d’une objectivation authentique du Moi dans l’autobiographie.
- liens entre la vérité profonde de l’auteur et du drame.
- le primat et le rôle révélateur de l’action.
* pour les personnages.
* pour l’auteur.
2) Statut du personnage par rapport à l’action dramatique.
- déshumanisation du personnage.
- le personnage comme fonction ou comme être? (pb du monologue).
- de quelle vérité s’agit-il? Celle de la vérité universelle de l’homme plutôt que du
“véritable soi-même”
3) Le Moi révélé par le théâtre.
- dépassement de l’anecdotique pour tendre vers l’universel.
- révélation du Moi primitif, de la véritable nature de l’homme.

Dissertation:

INTRODUCTION:
Dans Pourquoi la nouvelle critique, Serge Doubrovsky parle du théâtre comme d’un “processus
d’objectivation du Moi qui se projette dans les Autres”. L’acteur s’oublie durant l’événement scénique pour
devenir un autre, et l’auteur dramatique se projette dans une certaine mesure au sein de ses personnages.
Cette “objectivation du Moi” est souvent traitée et recherchée par un autre genre que le théâtre, celui de
l’autobiographie. Mais, en comparant les oeuvres autobiographiques et le théâtre, Claudel montre que le
drame porte un regard plus vrai sur nous-mêmes que les romans ou les oeuvres dont pourtant l’un des
objectifs premiers est d’être au plus près du Moi auctorial. Il affirme ainsi que l’”on se fausse en se
regardant: on fabrique une espèce d’individu artificiel qui remplace la personne naïve et agissante. Le
véritable soi-même est révélé par les circonstances, et c’est pourquoi le drame a une vérité bien supérieure
à celle du roman, parce qu’il met l’action à la première place - les personnages n’étant plus que les
fonctions de cette action qui les suscite”. Cette affirmation de la supériorité du drame par rapport à l'œuvre
romanesque et autobiographique soulève plusieurs paradoxes: comment en effet le théâtre peut-il être dans
une approche du Moi plus authentique que l’autobiographie, comment le drame, dont l’étymologie “drama”
signifie “action”, peut-il davantage révéler l’être, et comment le Moi peut-il s’exprimer à travers l’Autre,
c’est-à-dire le personnage, l’acteur ou l’événement dramatique pris dans son ensemble? Ainsi, Claudel nous
amène à nous interroger sur la vérité dramatique, sur les rapports entre le Moi et le théâtre. Il semble
intéressant d’analyser tout d’abord en quoi le théâtre, par la primauté qu’il donne à l’action, semble plus
proche de la vérité du moi que ne l’est l’oeuvre autobiographique, puis d’interroger le statut même du
personnage par rapport à l’action dramatique, pour enfin appréhender la vérité essentielle et universelle du
Moi révélé par le théâtre.

*
* *

Ce que met en avant Paul Claudel, la vérité du théâtre et la fausseté de l’autobiographie, est de
l’ordre du paradoxe, puisqu’il inverse la nature même de ces deux genres, le premier s’appuyant souvent
sur l’illusion et le second sur un pacte de vérité ou du moins de sincérité, pour reprendre les termes de
Philippe Lejeune. Mais ce paradoxe souligne plusieurs faits défendus par le dramaturge, d’une part
l’impossibilité d’une objectivation authentique du Moi dans l’autobiographie, d’autre part les liens entre la
vérité profonde de l’auteur et du drame. Il met également en relief le primat et le rôle révélateur de l’action.
Dans son affirmation, Claudel commence par remettre en cause la possibilité pour un auteur, un
sujet, de s’analyser en tant qu’objet: “on se fausse en se regardant”. L’expérience autobiographique aboutit,
même dans sa volonté la plus grande et la plus sincère, à un résultat altéré et faussé. La rétrospection et
l’introspection ne pourraient rendre compte du véritable Moi, car elles sont avant tout créations. Claudel
oppose ainsi l’isotopie du faux, de l’artifice, que représente l’autobiographie, et l’isotopie de l’action et de
la vérité que représente le drame. D’un côté, on est en présence d’une “fabrication”, de l’autre côté, on se
retrouve en face d’une “révélation”. Alors que l’oeuvre autobiographique vise à une certaine restitution
authentique du Moi, elle invente, crée, corrige, estompe ou accentue certains traits. Cette altération naît
selon Claudel de l’éviction de l’action au profit de la création d’une “espèce d’individu artificiel”, qui n’est
plus la personne réelle, “naïve et agissante“. Autrement dit le travail volontaire de se dire, de se raconter et
de s’écrire dans une autobiographie ou un roman va à l’encontre de la vérité de la personne, du véritable
“soi-même”, qui n’est révélé que par les “circonstances” et par l’action. L’artifice théâtral engendre la
vérité, le souci autobiographique de l’authenticité ne rend compte que d’un moi artificiel.
Cette perspective claudélienne souligne également les liens étroits entre le Moi de l’écrivain, de
l’auteur et la pièce écrite et jouée. L’on sait ainsi que Claudel a écrit Le Partage de midi en s’inspirant plus
ou moins de sa relation avec Rose Vetch. Il s’y impliqua si personnellement que la pièce ne fut publiée
qu’en un nombre restreint d’exemplaires. A travers l’histoire de Mesa et d’Ysé, ce serait dans une certaine
mesure un épisode important de la vie de l’auteur qui serait transposé. Un auteur, au début du XXème
siècle, François de Curel, écrivait dans la préface de Théâtre complet, que “depuis l’âge de trente ans, [sa]
vie [avait été] une longue rêverie”, dont certains de ses personnages étaient la “confession”. Sans doute
Phèdre n’est-elle pas non plus sans rapport avec les relations de Racine et de La Champmeslé. Lorenzaccio,
de la même manière, est probablement lié à la situation de Musset qui a cristallisé toute sa déception, sa
souffrance d’amant trompé, et tout son désespoir d’”enfant du siècle” meurtri. On remarque ainsi que
l’oeuvre théâtrale s’inspire d’évènements personnels, de sensations ou de sentiments particuliers ressentis
par l’auteur. Dans Notes et contre-notes, Ionesco écrit ainsi que le théâtre pur lui est “la projection sur
scène du monde du dedans”: “c’est dans mes rêves, mes angoisses, mes désirs obscurs et mes
contradictions intérieures que, pour ma part, je me réserve le droit de prendre cette matière théâtrale”,
affirme-t-il. Il ne s’agit pas de création artificielle, mais de l’expression d’une vérité intérieure.
Cependant, pour Claudel, cette vérité n’est pas exprimée uniquement par les personnages, mais
devient manifeste également et surtout par l’action proprement dite de la pièce. Il rejette l’autobiographie
qui prône l’effacement de l’action au profit d’intérêts et d’interprétations psychologiques qui faussent en fin
de compte la vérité de la personne, et met en avant le primat de l’action comme véritable révélateur et
miroir de l’être. Cette idée pourrait, sans que l’on confonde les deux perspectives théâtrales, se retrouver
dans l’opposition sartrienne entre l’”exis” et la “praxis”, opposition établie dans Théâtre de situation. Selon
Sartre, l’action révèle en effet la personne. C’est dans sa volonté, dans ses hésitations pour accomplir le
meurtre de Hoederer, qu’Hugo se révèle à lui-même dans Les Mains sales, c’est face à la possibilité de
devenir roi que Macbeth se révèle, c’est devant son destin et l’amour entre Aricie et Hippolyte que Phèdre
fait connaître sa “fureur“. L’action est la pierre d’achoppement où toute la vérité du personnage se dévoile.
L’action qui entraîne, précipite les personnages dans un tourbillon endiablé, les pousse dans leurs
retranchements, presque au-delà de leur limite, et révèle ainsi le “véritable soi-même” dont parle Claudel.
Face à la contagion grandissante de la morale ”rhinocérite”, Béranger est le seul à lutter, le seul “être
humain” qui refuse de capituler. Cette résistance manifeste ainsi peut-être la volonté de Ionesco de lutter
contre l’absurdité que le fascisme ou le nazisme peuvent représenter. C’est aussi dans l’action, dans la
situation d’un Huis-Clos infernal que Garcin, Inès et Estelle finissent par apparaître tels qu’ils sont. Par
conséquent, l’action et “les circonstances” peuvent révéler la vérité de certains personnages.
Elles peuvent aussi révéler l’auteur si l’on considère que celui-ci prend par exemple la voix de
l’autre pur dire ce qui lui tient à coeur, ou que sa pièce reflète dans une certaine mesure sa propre vérité.
Ainsi, les aventures folles du Mariage de Figaro, de la “bizarre destinée” de ce valet, pourraient rendre
compte de la vie, de la vivacité de Beaumarchais. Cependant, l’oeuvre, qu’elle soit romanesque ou
théâtrale, ne rend pas compte avec exactitude de la vie te de la vérité d’un auteur, elle entraîne une
stylisation ou du moins une transposition. Si, comme le souligne Claudel, l’action dramatique révèle le
“véritable soi-même”, elle ne révèle pas toute la vérité de la personne. Le théâtre n’a pas pour ambition de
rendre compte de toute la vie de l’auteur, mais tend peut-être à l’épiphanie de l’être.

*
* *

Cette primauté donnée au drame et à l’action par Claudel amène également à analyser le statut du
personnage théâtral par rapport à l’action. En effet, Claudel affirme que les personnages sont suscités par
l’action elle-même, qu’ils ne sont que des fonctions. On s’interrogera également sur cette vérité qui est
révélée par l’action dramatique.
L’affirmation de Claudel peut effectivement poser la question suivante: le personnage crée-t-il
l’action ou est-il engendré par celle-ci? se réduit-il à n’être qu’une fonction? En effet, dans certaines pièces,
certains personnages sont dépourvus de psychologie ou ne sont dotés que d’une psychologie primaire,
comme les zanni de la Commedia dell’arte, comme les personnages stéréotypés de la farce ou de certains
vaudevilles. Le XXème siècle a remis en cause le statut du personnage. Robert Abirached parle d’une
“crise du personnage”, d’un personnage “écartelé entre le mot et la chose, d’un personnage réel dans la
fiction” mais “fictif dans la réalité“, d‘un personnage “en creux“. Le personnage n’est-il qu’un artifice? a-t-
il une réalité? La déshumanisation recherchée par l’emploi du masque, la surmarionnette de Gordon Graig,
les fantoches que l’on retrouve chez Apollinaire, Jarry ou Yvan Goll tend elle aussi à enlever toute
psychologie au personnage, à le maintenir uniquement dans son rôle d’actant.
Le personnage est appréhendé dans une perspective sémiologique, comme par exemple chez
Ubersfeld, comme un lieu de fonction, un actant appartenant à un plus vaste système, un nœud dans le
schéma actanciel de la pièce. Il n’a d’existence que par rapport aux autres personnages et actants, le
destinataire, le destinateur, les adjuvants et les opposants. Cette analyse se rapproche de la conception
claudélienne du personnage comme fonction. Dans Hernani, la duègne, outre l’aspect comique qu’elle
révèle, est présente essentiellement pour permettre l’action, pour cacher don Carlos. Dans Les Caprices de
Marianne, Octave n’existe que par rapport à Célio. La mort de l’un signe l’anéantissement pourrait-on dire
de l’autre. Certains personnages ne sont que des faire-valoir, cependant d’autres ont davantage d’épaisseur
et semblent dépasser ce rôle utilitaire. On peut analyser ici le problème du monologue. En effet, il y a
plusieurs façons de l’interpréter: soit il naît de l’action même de la pièce, ou prépare l’action qui va venir,
soit on le considère comme une pause, une rupture par rapport à l’action, révélant une facette du
personnage, qui n’agissant plus s’affranchit, se libère de son simple rôle de fonction. Ainsi, le monologue
d’Hamlet, celui de Figaro ou ceux de Lorenzaccio peuvent s’interpréter semble-t-il de la même façon. D’un
côté, ils n’ont d’intérêt que par rapport à l’action, celle de confondre un meurtrier et un usurpateur de trône,
de confondre une femme considérée comme trompeuse, de préparer un assassinat; d’un autre côté, ils
révèlent la profondeur d’un personnage, toute sa complexité, ses tourments, ses contradictions. Ainsi n’est-
il pas possible de réduire certains personnages à de simples fonctions.
En outre, selon Claudel, le drame en tant qu’action a plus de vérité que l’oeuvre autobiographique.
Mais de quel “véritable soi-même” parle-t-il ici? Car si l’autobiographie est une création, le drame en est
également une. Alfred de Vigny dans La Lettre à Lord *** sur la soirée du 24 octobre 1829 parle ainsi dans
le drame romantique de la création d’un “individu” et d’un “créateur”, qui trouvera assez de têtes dans ses
personnages pour “répandre toutes ses idées”. Genet affirme également que “dans tous ses livres”, il n’est
pas “mis à nu”, mais qu’il s’est “travesti” par des “mots”, par des “choix”, par des “attitudes”, et “par
féerie”. La tendance autobiographique de son oeuvre, la fascination pour le crime que l’on rencontre dans
Les Bonnes ou Les Nègres, sont régies avant tout par la puissance de l’imagerie dont parle l’Evêque dans
Le Balcon. Le théâtre reste la “maison de l’illusion”, mariant l’image et le reflet. Une fois joué, le drame
prend son indépendance vis-à-vis de l’auteur. Ainsi Montherlant affirme qu’il n’est aucun de ses
personnages et chacun d’eux en même temps. Si l’on reprend l’image de Beaumarchais dans la préface du
Barbier de Séville, les pièces sont des “enfants”, mais qui s’affranchissent peu à peu de la tutelle de leur
auteur. La représentation, l’interprétation et la réception de l’oeuvre théâtrale échappe peut-être ainsi à la
première vérité que l’auteur a voulu lui assigner, échappe à la révélation d’un “véritable soi-même”, pour
gagner une portée plus large, celle de la révélation de la vérité essentielle et universelle de l’homme.

*
* *

En effet, le drame dont parle Claudel, qu’il s’agisse de l’action ou des personnages, dépasse la
vérité autobiographique, anecdotique, pour atteindre une autre vérité, pour révéler un autre Moi que le Moi
autobiographique, un Moi plus profond et commun à tous les hommes.
Ainsi, dans le théâtre de Duras, on assiste bien à un dépassement de l’anecdotique et de
l’autobiographique. Si La Musica traite d’un problème que Duras a elle-même subi, à savoir celui du
divorce, l’anecdote est dépassée. Les personnages sont semble-t-il moins un homme et une femme
particuliers que l’homme et la femme en général. Les personnages perdent ainsi leur nom et n’existent que
par leurs interrogations. L’action perd de son importance, comme dans L’Amante anglaise, où le meurtre
passe au second plan, pour laisser la première place aux doutes, à la parole évanescente, aux questions de
plus en plus profondes. De même que Lorrenzaccio, “ce lendemain d’orgie ambulant”, “glisse comme une
anguille”, il échappe aux étiquettes. Hamlet raillé, héros angoissé, fieffé poltron ou “honnête opposant à la
tyrannie, est tout et n’est rien. Alceste, cet “atrabilaire amoureux”, est-il grotesque ou grandiose? Don Juan
est-il un profiteur, un libertin, un conquérant? Certains personnages par leur complexité, par les questions
qu’ils posent dépassent l’ordre de l’anecdotique et deviennent mythiques.
De plus, le Moi qui est révélé par le théâtre est aussi le Moi primitif, le Moi profond qui
n’appartient pas à tel individu, mais à toute l’humanité. Dans Notes et contre-notes, Ionesco écrit: “Comme
je ne suis pas seul au monde, comme chacun de nous, au plus profond de son être, est en même temps les
Autres, mes rêves, mes désirs, mes angoisses, mes obsessions ne m’appartiennent pas en propre; cela fait
partie d’un héritage ancestral, d’un très ancien dépôt, constituant le domaine profond de toute l’humanité”.
Le théâtre est ce qui réunit les hommes, le “langage universel”. Que ce soit dans la tragédie racinienne, la
comédie moliéresque, le drame shakespearien, le théâtre révèle une vérité essentielle, une vérité de
l’humain. Ainsi dans Le théâtre et son double, Antonin Artaud souhaitait que le théâtre comme la peste
révèle ce qu’il y a de plus profond en nous-mêmes, cette cruauté latente, cette violence qui était selon lui
l’essence de l’homme. Dans une autre démarche, héritée d’une certaine façon de la théorie d’Artaud,
l’expérience du Living theater, consistait aussi à revenir à ce qu’il y a de plus essentiel en nous, à notre Moi
primitif.

*
* *

CONCLUSION:
En fait, à travers les différentes époques et les différentes pièces, que ce soit la comédie ou la
tragédie, il s’agit plus ou moins toujours de l’homme. A travers des personnages comiques ou sombres, le
particulier sert de truchement à l’expression de l’universel. Le vide et l’absence dans les pièces de Beckett,
le comique absurde dans les pièces de Ionesco touchent à une vérité qui dépasse les personnages, l’action
ou l’absence d’action, qui est celle de la condition humaine. “Entre deux marges de silence”, pour
reprendre la formule de Jacques Copeau, la pièce révèle, à son auteur comme au public, une vérité hors du
temps, un symbole d’ordre verbal ou extra-verbal, une sorte d’épiphanie ontologique qui s’apparente
finalement à une confidence sur la nature universelle des hommes.

Critique.

Sujet:
Réfléchissant à la relation entre le texte et son lecteur, R. Chambers affirme (Problèmes actuels de
la lecture, Colloque de Cerisy, Paris, 1982, p.83): “Le texte est une autorité sans sujet, et le lecteur un sujet
sans autorité“.
Que pensez-vous d’un tel jugement?

Note: 15/20
Commentaires du prof:
Travail nourri d’une excellente connaissance des références critiques sur le sujet. Le devoir est
tout à fait pertinent, structuré. Le corpus d’exemples reste parfois trop canonique. Veillez à développer un
peu plus vos exemples et à respecter l’ordre chronologique quand vous les listez. Excellent travail.
P-S: Je pense que vous ferez une excellente candidate à l’agrégation.

Plan détaillé:
1) Théorie de Chambers.
- “la mort de l’auteur”, la disparition du sujet créateur (Réaction anti-romantique).
- l’intronisation du texte comme seule autorité, comme seul porteur de sens CAR l‘objet mène la lecture.
- le lecteur comme simple réceptacle CAR texte souverain, et pluralité possible des lectures rend caduque
cette instance et son autorité.
2) Antithèse: le lecteur est important.
- importance du lecteur dans l’élaboration du sens, il comble les blancs du texte.
- le lecteur “surveillé”: il apporte sa propre signification à l’oeuvre, mais dans certaines limites que définit
le texte.
- autorité de certaines lectures.
3) Importance de l’auteur, que Chambers écarte totalement.
- l’auteur assigne une visée et un contexte à son oeuvre, souvent dans le péri-texte (préfaces, etc...) qui
accompagne l’oeuvre même après qu’elle lui ait échappé.
- autorité de l’auteur sur son texte (incursions dans le texte) et sur son lecteur (effets de surprise).
- coopération des trois instances pour faire un univers magique de communication différée.

Dissertation:

INTRODUCTION:
“La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur” a écrit Roland Barthes. Cette célèbre
formule souligne l’avènement du lecteur sur la scène des recherches universitaires et dans la critique
moderne. En égard aux écueils du subjectivisme de Sainte-Beuve, de l’historicisme de Lanson et du
structuralisme, les théories de la lecture ont mis en avant le rôle essentiel du lecteur. “Lecteur implicite”
d’Iser, “Archilecteur” ou “Lector in fabula” d’Umberto Eco, le lecteur est placé au centre de la
communication différée qu’est la littérature. Cependant certains critiques ont souligné la fragilité de la
représentation hypostasiée du lecteur. Dans un colloque sur “les problèmes actuels de la lecture”, R.
Chambers, réfléchissant sur les relations entre le texte et son lecteur, affirme que “Le texte est une autorité
sans sujet, et le lecteur un sujet sans autorité“. L’inversion et l’antanaclase de la formule ne masquent pas
son caractère polémique. Affirmer que le texte est “une autorité sans sujet”, c’est sous-entendre la
disparition élocutoire” de l’auteur, et dire du lecteur qu’il est “un sujet sans autorité”, c’est dès l’abord
souligner l’aspect défectif de la ou des lectures. Le caractère polysémique de l’expression “sans autorité”
pose problème. R. Chambers veut-il signifier de cette façon le libre arbitre de chaque lecteur, ou son
manque de poids, d’importance dans la réception de l’oeuvre? L’un découlant peut-être de l’autre, puisque
la pluralité des lectures peut fragiliser l’autorité même du lecteur. Il est intéressant de s’interroger sur ce qui
fait finalement “autorité” en littérature, en se demandant si l’instance auctorielle peut aussi facilement être
évincée du champ littéraire au profit du texte et du lecteur. On examinera, pour y répondre, le primat du
texte dans la perspective de R. Chambers, puis l’autorité du lecteur et enfin celle de l’auteur dans une
possible conciliation entre ces trois instances: l’instance productrice et créatrice, l’instance textuelle et
l’instance coopératrice et réceptive du lecteur.

*
* *

“Le texte est une autorité sans sujet” rejoint effectivement dans sa formulation les conclusions des
recherches et des théories systématisées des structuralistes et des formalistes. R. Chambers reprend à son
compte cette perspective qui énonce “la mort de l’auteur”, la disparition du sujet créateur et l’intronisation
du texte comme seule autorité, comme seul porteur de sens. Mais R. Chambers adopte aussi une position
particulière par rapport au lecteur, dont il affirme la non-autorité, le réduisant à un simple “sujet”,
l’envisageant davantage comme un simple réceptacle.
A la fin du XIXème siècle, certains écrivains, s’inscrivant en faux contre l’épanchement du moi
romantique et contre l’explication de l’oeuvre par la vie de son auteur, ont choisi de mettre en avant leur
texte, et uniquement leur texte. Cette “crise exquise et fondamentale” est annoncée par Mallarmé qui dit
“n’être plus Stéphane”. La “disparition élocutoire” du poète, d’un sujet lyrique envahissant, entraîne ce que
Barthes a exprimé de façon radicale, “la mort de l’auteur”. Valéry reprend cette idée en écrivant dans
Variétés qu’”il n’y a pas de vrai sens d’un texte”. Mallarmé, qui prône pourtant la lutte contre le hasard et le
contingent, désire “céder l’initiative aux mots”, leur donner la primauté dans l’acte créateur. Les analyses
formalistes et structuralistes vont achever cette conception et porter le coup fatal à cette notion d’auteur, en
faisant de l’oeuvre et du texte un tout, une globalité, un système autotélique devant être analysé selon sa
composition, ses structures, ses effets d’analepses et de prolepses. Le vrai sens de l’oeuvre se trouverait non
dans la vie de l’auteur ou dans le hors-texte, mais bien à l’intérieur de ce “tissage” organisé du texte, la
forme faisant sens. Cette conception immanentiste est sous-jacente dans l’affirmation de R. Chambers “le
texte est une autorité sans sujet”. L’auteur n’aurait plus d’autorité sur son œuvre, une fois que celle-ci est
écrite et publiée. Elle échappe à son pouvoir. Ainsi, lorsque Les mystères de Paris paraissaient en feuilleton,
pour divertir un certain lectorat par la peinture des bas-fonds parisiens, les lecteurs y voyaient au contraire
une dénonciation de leurs propres conditions et un appel à la révolte, alors que Eugène Sue, prenant
conscience de ce phénomène, prônait lui la voie réformiste et la soumission aux forces dirigeantes. Cela n’a
point empêché que l’on retrouve certains de ces lecteurs sur les barricades lors de la révolution de juin
1848. L’oeuvre a ainsi dépassé l’intention de l’auteur. Cet exemple souligne d’une certaine façon la
disparition de l’écrivain.
Toutefois, R. Chambers parle de l’évincement de son “sujet”. De quelle autorité peut-il s’agir,
lorsqu’on voit que le sens du texte peut être détourné? En fait, il semble que l’oeuvre soit la seule instance
douée d’autorité selon R. Chambers, par sa présence en tant que texte et objet, parce que le texte ne se
donne pas à lire comme le lecteur le souhaite, mais bien comme le texte le veut. On peut souligner ici la
force illocutoire de la parole écrite, du roman, du poème ou d’une pièce de théâtre. Malgré la
décontextualisation de l’oeuvre qui traverse le temps et l’espace, le co-texte a une puissance pour diriger et
orienter la lecture. C’est ce qu’ont montré les pragmatistes et certains critiques comme Michel Charles dans
Rhétorique de la lecture. Le texte garde son autorité notamment grâce à sa force argumentative. Dans son
parcours cursif de l’oeuvre, le lecteur est entraîné par le texte, il est dirigé par lui. Ainsi, L’Espoir de
Malraux amène le lecteur à approuver la cause républicaine espagnole; ainsi “Barbara” ou “Familiale” de
Prévert font ressentir l’absurdité de la guerre; ainsi Les Femmes savantes amènent le lecteur ou le
spectateur à envisager d’une autre manière l’érudition, le décalage entre le savoir livresque et la vie, et à
réfléchir sur la place de la femme. Le lecteur, qui visite les contrées fictives du livre, qui se mêle aux
personnages, est fasciné et conduit par les mots, par l’enchaînement des phrases qui s’imposent à sa vue. Sa
course ou sa promenade reste plus ou moins tenue par la corde du texte, par un fil d’Arianne qui fait toute
l’autorité du texte.
Si le texte garde cette autorité, on peut comprendre la seconde partie de l’affirmation de R.
Chambers “le lecteur est un sujet sans autorité” comme une réduction des pouvoirs de cette instance qui
reçoit l’oeuvre et l’actualise. Mais cette formule privative est problématique, dans la mesure où “sans
autorité” peut signifier que le lecteur n’est gouverné par aucune instance souveraine, qu’il est libre
d’envisager le texte à sa manière, ou que le lecteur subissant l’autorité du texte n’a pas en lui-même
d’autorité suffisante, qu’il n’est qu’un pion, qu’un serf par rapport à la domination du texte, un esclave de
l’oeuvre. C’est cette seconde conception que semble privilégier R. Chambers, reléguant le lecteur à un rang
inférieur, comme le souligne la construction de son affirmation avec l’emploi hyperbatique “et le lecteur un
sujet sans autorité”, et la formulation chiasmatique “autorité sans sujet”, “sujet sans autorité”. Pourquoi, dès
lors, le lecteur se trouverait dépourvu d’autorité? En fait, l'assujettissement du lectorat à l’oeuvre
n’expliquerait pas à lui seul ce manque d’autorité. La pluralité des lecteurs et des lectures serait peut-être
une pierre d’achoppement à son autorité. M. Otten a montré que toute lecture, et donc toute interprétation,
fait violence au texte, reprenant ainsi une analyse heideggerienne de l’herméneutique textuelle. Chaque
lecture particulière intègre le texte dans un ensemble marqué axiologiquement, ce qui aboutit plus ou moins
à un détournement de l’oeuvre. Lire Gargantua comme un récit picaresque, un hymne humaniste ou comme
un roman burlesque et satirique, c’est déjà sélectionner un axe de lecture qui réduit la richesse “sélénique”
du livre. On remarque ainsi qu’une lecture ne peut se confondre avec le texte. Les lectures de R. Barthes ou
de R. Picard des oeuvres raciniennes ne sauraient rendre compte de l’infinie richesse sémantique et
esthétique du texte même. En outre, en quoi tel lecteur aurait plus d’autorité qu’un autre à juger et à
interpréter une œuvre? Cette pluralité fragiliserait ainsi l’autorité lectorale.

Cependant cette perspective et cette conception du narrataire semble quelque peu réductrice, car si
le lecteur idéal n’existe pas, chaque lecteur est en revanche indispensable au processus d’actualisation et
d’achèvement du texte. Aussi peut-on envisager le lecteur comme un sujet, mais un sujet actif, qui, “en
liberté surveillée”, coopère à l’élaboration du sens, et qui, de cette façon, peut acquérir une certaine
autorité.

*
* *

La seconde moitié du XXème siècle a confirmé la place essentielle du lecteur dans la création
artistique même. Dans un processus neurophysiologique et cognitif, la lecture permet ainsi d’actualiser le
texte et de l’achever. Dans Qu’est-ce que la littérature?, Sartre a montré que le texte, comme une “toupie”,
avait besoin du lecteur pour se mettre en route, pour se déclencher. Pour reprendre l’image des “paroles
gelées” de Rabelais, le texte ne prend vie que si les yeux du lecteur le “réchauffent”, c’est-à-dire le
parcourent, le construit en le lisant, en anticipant, en se représentant, en imaginant ce qui écrit. Genette,
dans Figures I, écrit ainsi que “le temps des oeuvres n’est pas le temps fini de l’écriture, mais le temps
indéfini de la lecture et de la mémoire”. L’activité du lecteur réside notamment, nous dit Umberto Eco, dans
“une coopération d’interprétation”, dans une “plus-value de sens” au “mécanisme paresseux”, que sont le
texte et “l’oeuvre ouverte”. Le lecteur peut ainsi combler les blancs, les lacunes du texte grâce à son
imagination. Cet apport du lecteur à la création se situe dans ce que M. Otten appelle “les lieux
d’incertitude”, là où les points d’ancrage ou les repères disparaissent. Ainsi, dans Les Possédés de
Dostoïevski, le héros Stavroguine, obsédé par un événement bouleversant, se confie à l’évêque Tikhone
sous la forme de feuillets que celui-ci lit à haute voix. Après la lecture du premier feuillet, où le lecteur
apprend que Stavroguine a donné un baiser passionné à une petite fille, Tikhone souhaite lire le deuxième.
Or celui-ci est “censuré” pour le moment par Stavroguine. Le troisième feuillet est lu, racontant la peur de
la petite fille à l’arrivée de Stavroguine, et le fait qu’elle se soit pendue peu de temps après. La clé de cette
mort résidait dans ce deuxième feuillet inconnu. Le lecteur est donc laissé à son imagination. Les blancs,
les ellipses, les incomplétudes engendrent un travail créateur de la part du lecteur. C’est lui qui donne un
sens au texte. Ainsi Michel Picard peut envisager la “lecture comme jeu”, comme “playing” ou comme
“game”, ou Umberto Eco peut reprendre l’image du jeu d’échecs. Le lecteur a une part active dans
l’élaboration du sens.
Mais cette liberté herméneutique du lecteur est limitée, comme l’a également souligné Umberto
Eco, qui distingue “l’utilisation” du texte et “l’interprétation” du texte, l’utilisation céderait à tous les
fantasmes et toutes les libertés de lecture, alors que l’interprétation reste recevable et limitée dans le sens
voulu par le texte. A. Riffaterre parle également de cette “lecture surveillée”. On ne peut pas tout dire d’un
texte. Umberto Eco a montré sous un mode amusant les limites de l’interprétation en prenant l’exemple de
la comptine: “Une poule sur un mur / Picotait du pain dur / Picoti, picota / Prends tes cliques et puis t’en
vas”, et ses différentes lectures, telles que l’interprétation génétique (sources présupposées en référence au
“Mur” sartrien), l’interprétation marxiste (départ du paysan du domaine foncier florissant), l’interprétation
thématique (Starobinski voyant dans ce mur l’obstacle dont seule vient à bout la transparence de Picoti
Picota...). Toutes les lectures ne sont pas acceptables. Mais le lecteur, selon ses connaissances, ses propres
références, ses propres désirs, sa propre situation, donne un sens particulier au livre qu’il lit. La lecture
reste avant tout un plaisir, un charme qui envoûte le lecteur réel, mais cette fascination, cette identification
du lecteur, ne va pas parfois sans une forme de distanciation qui permet au lecteur de prendre du recul et de
donner un sens à l’oeuvre. Ainsi l’ironie du narrateur de Mme Bovary ou de celui de Le Rouge et le Noir,
empêche l’identification complète à Emma ou à Julien, et permet au lecteur de prendre de la distance. Le
lecteur garde assez d’autorité dans ce cas pour apporter sa propre signification à l’oeuvre.
La perspective de R. Chambers remettrait en cause en outre l’autorité de certains lecteurs, celles
par exemple des critiques, des professeurs ou des spécialistes de tel ou tel auteur. En effet, lorsqu’il parle du
lecteur et du “sujet sans autorité”, quel lecteur évoque-t-il? Le lecteur que l’on pourrait appeler “littéraire”
n’a-t-il point d’autorité par rapport au texte? Même si personne ne détient LE sens d’un texte, doit-on
mettre sur le même rang toutes les lectures et les interprétations d’un même texte? Ces interrogations
soulignent le caractère polémique de l’affirmation de R. Chambers. L’apport de certaines lectures est
pourtant reconnu dans la connaissance des oeuvres. On ne lit plus de la même manière Montaigne après la
lecture de Pascal, ni Œdipe depuis Freud. Si chaque lecture n’a pas une entière et absolue autorité, il n’en
demeure pas moins que certaines lectures apportent un éclaircissement, un enrichissement dans la
compréhension du texte. Pour analyser telle ou telle œuvre, l’on convoque ainsi d’autres regards dont
l’acuité et la pertinence ont une certaine autorité. Ce phénomène ne se produit pas seulement face à un texte
littéraire. On observe ainsi que les textes sacrés, comme La Bible ou Le Coran, sont interprétés par des
instances supérieures, dites habilitées à leur conférer un sens, à les interpréter de la façon la plus
authentique. En outre, on pourrait trouver dans chaque auteur, un lecteur qui a donné du sens à une autre
œuvre que la sienne, et qui se nourrit par un phénomène d’intertextualité de cette même lecture. Ainsi,
d’une façon différente, A Rebours de Huysmans est une lecture particulière des oeuvres naturalistes de
Zola, comme Le Roman comique de Scarron l’est d’une des oeuvres de Melle de Scudéry, c’est-à-dire une
charge parodique, et, ainsi Le Livre brisé de Serge Doubrovski est lié à la lecture de Sartre. Les différentes
approches d’un texte ne sont pas dénuées d’intérêt ni d’autorité.

*
* *

Enfin, que R. Chambers donne toute autorité au texte ou qu’il la retire au lecteur, il semble omettre
de façon définitive l’autorité auctoriale. Or, si celle-ci a été remise en question par l’analyse structuraliste,
on ne peut, semble-t-il, en faire totalement l’impasse. L’auteur reste en effet à l’origine du texte et, de façon
peut-être dissymétrique, garde une certaine autorité sur son oeuvre et donc sur ses lecteurs.
En donnant toute autorité au texte seul, les théoriciens formalistes et structuralistes ont effacé la
spécificité et l’originalité de chaque auteur. Or, si la vérité de l’ouvre ne tient pas uniquement à la vie de
l’écrivain, elle ne se ferme pas à une vision unique et peut-être dès lors sclérosante. L’oeuvre ne naît pas
ex-nihilo, elle est rarement gratuite. Au contraire, elle contient le projet ou l’intention d’un auteur, instance
productrice qui est à son origine. Cette autorité peut se lire dans le péri-texte. Le nom de l’auteur pourrait
s’apparenter dans une certaine mesure à un signe auctorial, à un signe de parenté, à un signe de
revendication. Mais ce sont surtout les indications pré et postfacielles, les avis de l’auteur au lecteur qui
sont le plus remarquables dans cette manifestation de l’autorité de l’écrivain. Dans “L’avis de l’auteur” aux
Mémoires d’un homme de qualité, l’Abbé Prévost écrit ainsi que son livre doit se lire comme “un traité de
morale”. Dans la préface de Phèdre, Racine précise qu’elle n’est “ni tout à fait coupable, ni tout à fait
innocente”, et explique ses choix créatifs. Dans la préface des Contemplations, Hugo précise également que
son recueil représente les “mémoires d’une âme”. La préface de Germinie Lacerteux des Goncourt explique
que les lecteurs ne trouveront pas ce livres selon leur propre goûts, car les auteurs ont voulu écrire un
roman vrai sur le peuple, cette “grande muette”. Toutes ces diverses remarques, toutes ces mises en garde
sont autant d'invitations à lire l’oeuvre d’une certaine manière. Elles précisent l’intention, la visée et le sens
qu’a voulu mettre l’auteur dans son oeuvre. L’autorité de l’auteur n’est donc pas absolument absente de
l’oeuvre, même si celle-ci quitte son propre contexte de référence.
A la dérive structuraliste et immanentiste, on pourrait aussi opposer la présence et la puissance de
l’acte de création. En effet, l’auteur n’est pas si absent dans son texte, car c’est justement lui qui fait que le
texte soit texte, c’est lui qui opère les liens et la composition qui élaborent l’oeuvre. La création a un
créateur qui se manifeste parfois dans son oeuvre elle-même. Dans L’Ecriture comique, Jean Sariel parlait
de l’auteur comme d’un “démiurge à clins d'œil”. Ainsi Scarron, à travers ses différentes remarques
narratologiques, à travers ses titres comme “Qui n’a pas besoin de titre”, “Qui sert d’introduction [...]” dans
Le Roman comique, est souvent présent à l’intérieur de son récit. De la même façon, Diderot dans Jacques
le fataliste, en dénonçant les rouages de la narration comme dans la phrase “Vous voyez, lecteur, que je suis
en bon chemin, et qu’il ne tiendrait qu’à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans le récit des
amours de Jacques”, manifeste son pouvoir et son autorité sur le texte, et donc sur la lecture. C’est l’auteur
qui décide du cheminement de la lecture, qui peut se jouer du lecteur. Cette dimension ludique est un des
charmes qui séduit justement le lecteur. Dans La Vraie Vie de Sebastian Knight de Nabokov, le narrateur
veut écrire la biographie de son demi-frère, écrivain dont la vie s’est brisée notamment à cause d’une
passion éprouvée pour Hélène Von Graun. Le narrateur décide d’aller chez elle, et là, il rencontre Mme
Lecerf. Le lecteur se demande à ce moment-là s’il va rencontrer ou non Hélène Von Graun, mais il se
doute, sachant que le roman contemporain cherche à ne pas répondre à l’attente traditionnelle du lecteur,
que Nabokov ne le satisfera pas. Pourtant, à la fin, après une longue conversation entre le narrateur et Mme
Le cerf, il apprend que cette dernière n’est autre que Hélène Von Graun. Le lecteur est donc surpris. C’est
dans ce jeu, cet émerveillement et cette surprise toujours renouvelée que l’auteur mène le jeu et finalement
attire le lecteur, que ce soit dans les romans policiers, les récits d’aventure ou les romans psychologiques.
Par conséquent, on remarque que l’auteur conserve une certaine autorité en “menant la danse” du
texte, en lui donnant son rythme, sa cadence, et en guidant son lecteur. C’est pourquoi on pourrait parler
finalement de coopération entre ces trois instances: l’auteur, le texte et le lecteur, qui sont chacune
indispensable à la littérature. C’est ce qu’a pu souligner Michel Collot pour la poésie, en mettant en
évidence le lien irréductible entre le sujet, le monde et le langage. La coopération conciliatrice entre le Moi
créateur, la création et le public semble nécessaire à l’avènement de l’Oeuvre. Le lecteur n’est pas un
simple réceptacle, le texte est porteur de sens, et l’auteur ne peut être totalement effacé. Pour exister,
l’oeuvre a besoin d’un créateur, d’une origine, d’un véhicule, d’une présence, c’est-à-dire un livre, un
poème ou une pièce qui lui donne vie et sens. L’alliance de ces trois instances aboutit à la communication
différée de la littérature, à la création magique qu’est l’art. Dans En lisant, en écrivant, Julien Gracq
souligne cet aspect magique de la lecture, lorsqu’il lit un livre de Stendhal: “chaque soir je rouvrais le
volume magique et je reprenais place sur le tapis volant”. Ouvrir un livre, c’était rentrer en “stendhalie”, en
d’autres termes c’était découvrir mentalement un monde différent, celui de l’auteur, par le truchement et la
beauté suggestive du texte. Cette expérience particulière de lecture montre bien ainsi la coalescence
nécessaire entre l’auteur, le texte et le lecteur pour parfaire et accomplir le phénomène magique et fascinant
de la lecture.

CONCLUSION:
En définitive, on observe que le “tout texte” ou le “tout lecteur” sont des voies réductrices, que
l’autorité se partage finalement entre l’auteur, le texte et le lecteur, que le texte n’est pas sans sujet comme
l’affirme R. Chambers. La lecture peut s’envisager, comme l’indique Umberto Eco, comme une
“coopération interprétative”. Un texte sans auteur ou un texte sans lecteur s’avère impossible ou voué à
l’échec. L’auteur ne peut oublier le lecteur, son “semblable“, son “frère” selon les termes de Baudelaire.
Evincer l’une de ces trois instances ne semble donc que rompre et déstabiliser la communication littéraire,
qui comme toute communication exige un énonciateur, un conducteur pour véhiculer le message et un
récepteur. Nécessaires, ces trois “autorités” le sont aussi parce qu’elles portent le sens et la magie de la
littérature.
Roman.

Sujet:
“De l’homme ondoyant et divers de Montaigne, nous faisons une créature bien construite que nous
démontons pièce par pièce [...] Le monde des héros vit, si j’ose dire, dans une autre étoile, l’étoile où les
êtres humains s’expliquent, se confient, s’analysent la plume à la main, recherchent les scènes au lieu de les
éviter, cernent leurs sentiments confus et indistincts d’un trait appuyé, les isolent de l’immense contexte
vivant et les observent au microscope”.
Commentez et discutez cette citation de Mauriac (Le romancier et ses personnages, Pléiade, Pages
858-859), en illustrant votre réflexion d’exemples tirés de romans d’époques diverses.

Note: 13/20
Commentaires du prof:
Bon devoir. Une réflexion illustrée d’exemples variés et empruntés à des époques diverses. Des
connaissances critiques. Une tendance parfois à juxtaposer plus qu’à problématiser. Clivage trop tranché
entre période moderne et le reste de la littérature.

Plan détaillé:
1) Thèse de Mauriac: conception traditionnelle de la créature romanesque.
- le personnage de roman s’apparente à un être humain.
- dans le roman psychologique, le personnage s’analyse.
- même chose dans la littérature du Moi.
2) Remise en cause de cette conception.
- le personnage n’est pas un véritable Moi (apport de la psychanalyse, disparition du Nom.)
- remises en question de la psychologie des personnages.
- le personnage comme simple construction textuelle.
3) Une analyse psychologique basée sur autre chose que le personnage, ni “être de papier” ni personne.
- analyse d’une psychologie anonyme.
- autres moyens d’analyse psychologique.

Dissertation:

INTRODUCTION:
Longtemps considéré comme un être autonome, comme une personne à part entière, le personnage
romanesque a subi au XXème siècle une véritable crise. Les réflexions des sciences humaines, notamment
les études freudiennes, les recherches formalistes, structurales et linguistiques, ont contribué à une remise
en cause du personnage traditionnel. “La querelle du personnage”, selon l’expression de Michel Zéraffa,
s’exprime à travers les écrits d’auteurs divers comme Virginia Woolf, James Joya ou Nathalie Sarraute dans
L’Ere du soupçon. Le héros de roman apparaît alors, selon les travaux de Propp, de Greimas, comme un
actant, une construction du texte, un être de papier, dépourvu de véritable psychologie. Cependant quelques
romanciers, éprouvant une certaine nostalgie du “Personnage”, croyant à l’unité du Moi analysable,
s’oppose au démantèlement et à cette mort du personnage. Dans l’avant-propos de Thérèse Desqueyroux,
François Mauriac s’adresse ainsi à son personnage comme à une personne. Dans Le Romancier et ses
personnages, il écrit également: “De l’homme ondoyant et divers de Montaigne, nous faisons une créature
bien construite que nous démontons pièce par pièce [...] Le monde des héros vit, si j’ose dire, dans une
autre étoile, l’étoile où les êtres humains s’expliquent, se confient, s’analysent la plume à la main,
recherchent les scènes au lieu de les éviter, cernent leurs sentiments confus et indistincts d’un trait appuyé,
les isolent de l’immense contexte vivant et les observent au microscope”. L’image de l’univers romanesque
comme un astre distant, un système à part, l’approche des héros comme des êtres humains et l’énumération
des verbes d’action et des verbes pronominaux soulignent l’autonomie des personnages selon le romancier.
Le héros y apparaît comme une conscience capable de s’analyser de manière presque scientifique. Mais un
personnage peut-il se confondre avec une personne? N’est-il pas, selon les termes de Nathalie Sarraute, un
“trompe-l’oeil”, et une création textuelle du romancier? Il semble intéressant d’analyser le statut du
personnage romanesque, notamment dans le roman psychologique, en étudiant dans un premier temps la
conception traditionnelle de la créature romanesque adoptée semble-t-il par Mauriac, puis montrer en quoi
celle-ci a été remise en cause, pour enfin chercher à comprendre comment l’analyse des sentiments,
l’approche psychologique est encore possible.

*
* *

Tout d’abord François Mauriac parle de la psychologie d’”êtres humains” qui s’observent,
s’analysent. Il fait des personnages des individus libres, autonomes, dotés de sentiments et de raison. Il
reprend ainsi dans ses grandes lignes la figure du héros romanesque traditionnel, c’est-à-dire un
“personnage-personne” selon la terminologie de Vincent Jouve dans L’Effet personnage dans le roman. Il
est possible de voir en quoi le héros traditionnel a pu s’apparenter à une personne autonome, notamment
dans le roman d’analyse et dans la littérature du Moi.
Qu’il s’agisse de la Princesse de Clèves, de Julien Sorel, du père Goriot, de Charles Bovary ou de
Gervaise, les personnages romanesques sont pour la plupart pourvus d’attributs, de corps, de noms, de
caractères qui sont semblables aux êtres vivants, des traits décrits dans des portraits, des prosopographies,
des éthopées qui les singularisent, qui les mettent davantage en relief et leur donnent une certaine
consistance, voire une “richesse psychologique”. Dans les romans balzaciens, les héros font concurrence au
véritable état civil. Ils sont décrits en bloc au début des oeuvres. Généralement, les héros de roman
s’inscrivent également dans un entourage, une famille ou un milieu. On connaît ainsi le milieu de La
Princesse de Clèves, sa relation avec sa mère, le père et les frères de Julien Sorel, les filles du père Goriot
ou l’arbre généalogique des Rougon-Macquart. Leur physique nous est décrit par d’autres personnages ou
par le narrateur; le lecteur apprend dans le roman que Gervaise boîte, ou que la Princesse de Clèves est
d’une beauté rare. Vincent Jouve analyse le personnage en mettant en valeur trois caractéristiques
appréhendées par le lecteur: le vouloir, le savoir et le pouvoir du personnage. En effet, le personnage sait un
certain nombre de choses que d’autres personnages ignorent, il a une puissance d’action et surtout il a un
certain nombre de désirs, de volontés et de souhaits que le lecteur découvre. Ainsi Julien Sorel désire-t-il
accomplir son ascension sociale aux dépens de Mme de Rênal ou de Mathilde de La Môle. Tous ces traits et
ces caractéristiques font du héros un être apparemment autonome, capable de réfléchir sur ses propres actes
et sur ses propres pensées.
Dans le roman d’analyse, le roman psychologique où l’on considère traditionnellement que le
héros a une âme, le personnage est non seulement le support de l’action mais surtout le support de l’analyse
psychologique. Son apparente indépendance lui permettrait d’analyser ses propres sensations, de connaître
et d’étudier ses réactions et ses désirs. Dans le roman psychologique, les héros, selon Mauriac,
“s’expliquent, se confient, s’analysent la plume à la main, recherchent les scènes au lieu de les éviter,
cernent leurs sentiments confus et indistincts d’un trait appuyé, les isolent de l’immense contexte vivant et
les observent au microscope”. Dans Thérèse Desqueyroux, on voit ainsi l’héroïne exprimer ses sentiments,
chercher à comprendre sa tentative de meurtre sur son époux. Dans La Princesse de Clèves, le lecteur lit les
analyses que le personnage porte sur sa passion, sur ses réactions. A la différence des autres personnages
comme M. de Clèves ou M. de Nemours, la princesse semble être davantage mise en relief par cette analyse
psychologique. Elle s’analyse, comme le dit Mauriac, essaie de comprendre ses sentiments qui sont
nouveaux pour elle, essaie de maîtriser sa flamme au nom de la vertu, essaie de comprendre sa jalousie, en
d’autres termes ses “sentiments confus et indistincts”, avec une certaine clarté d’analyse, mais qui n’élude
pas le mystère et l’opacité des sentiments passionnels. Ainsi à travers des psycho récits, des monologues
narrativisés ou rapportés, il est possible dans une oeuvre romanesque de lire les analyses et les confessions
des personnages à propos de leur “monde intérieur”.
Dans la littérature du Moi, c’est-à-dire les récits à la première personne, les autobiographies, les
romans autobiographiques, l’analyse du personnage qui dit “je” est souvent placée au premier plan. Il s’agit
parfois non pas tant de raconter rétrospectivement sa vie que de dévoiler son “Moi” intime, son monde
intérieur, de tenter d’expliquer ce que l’on est. Ainsi La Vie d’Henri Brulard est une manière pour Stendhal
de se construire, de se comprendre et de trouver sa propre identité. A la Recherche du Temps perdu permet
aussi à Proust de rencontrer son véritable Moi, d’essayer de retrouver le temps perdu de son enfance, le
“gisement profond de son sol mental”, d’expliquer les mécanismes de la mémoire “car aux troubles des la
mémoire sont liées les intermittences du coeur”. Selon Michel Zéraffa, le Narrateur apparaît comme le
“vide plein”. Mauriac s’inscrit en outre dans l’héritage légué à la fois par le christianisme et le
cartésianisme, où le moi et la personne pensent et existent comme un tout analysable. Dans les Confessions
des Saint-Augustin où l’homme analyse ses sentiments et tente de s’expliquer “a me ipso de me ipso”, ou
dans Les Confessions de Rousseau, oeuvre profane qui est une tentative d’explication sur les actions, les
sentiments, et la “destinée” de l’auteur, on retrouve cette idée selon laquelle il est possible d’analyser sa
propre âme. Dans le roman autobiographique d’Eugène Fromentin Dominique, on peut lire aussi la
confession d’un homme amoureux d’une femme mariée, Madeleine. Le narrateur s’éclipse pour laisser un
récit à la première personne exprimé par Dominique sur son passé, sur ses émotions, sur ses relations avec
d’autres personnages comme Augustin, Olivier Orsel ou Madeleine. En focalisation interne, le lecteur ne
connaît ainsi que les troubles profonds qui tenaillent dans une émotion à la fois contenue et passionnelle le
héros. Comme le dit François Mauriac, Dominique “s’expliqu[e], se confi[e], s'analyse la plume à la main”,
en écrivant ce récit confession, “recherch[e] les scènes au lieu de les éviter” en mettant en relief certaines
scènes come celle du salon où il devine le mariage proche de M. de Nièvres avec Madeleine, “cerne les
sentiments confus et indistincts d’un trait appuyé”, et procède à une observation minutieuse d’états d’âme
et de réactions.
Ainsi, dans une perspective traditionnelle, héritée d’une conception chrétienne et cartésienne d’un
Moi et d’une personne consciente d’elle-même, capable de s’analyser, le personnage, notamment dans le
roman psychologique, a pu être envisagé comme une personne dont la richesse psychologique permettait
des introspections, des réflexions, des observations fines sur elle-même. A la fin du XIXème siècle et au
XXème siècle, la remise en cause du personnage romanesque entraîne en même temps une critique du
roman psychologique traditionnel. Des auteurs et des critiques vont s’élever contre la perception du
personnage comme personne. Certains écrivains le désarticulent alors que des théoriciens formalistes
l’envisagent comme “un être de papier”, un “vivant sans entrailles”, ou un simple “participant”, critiquant
de cette façon la soi-disant psychologie des créatures romanesques.

*
* *

L’apport de la psychanalyse est un point primordial dans cette évolution conceptuelle du


personnage de roman. Dans L’Ere du soupçon, Nathalie Sarraute montre que le lecteur moderne, ayant
connaissance de ce que recouvre la psychologie, il ne peut concevoir les personnages comme des “trompe-
l’oeil”, des “figurines de cire”, des illusions. Le personnage ne peut rendre compte d’une véritable
psychologie, donc d‘une véritable autonomie. Nathalie Sarraute affirme que le romancier d’aujourd’hui ne
peut que rougir en entendant parler de psychologie”. Cette conception entraîne une modification du statut
de personnage, celui-ci est disloqué, à la différence du bloc balzacien, ce n’est plus un “moi” uni, constant,
indivis, mais plutôt quelqu’un qui se cherche. Ainsi il apparaît évanescent. La disparition du Nom est
révélatrice de ce changement. L'Innommable de Beckett est un “je” sans nom, les personnages de L’Amant
de Marguerite Duras ne sont qu’un homme et une femme, on ne les désigne que par une lettre “K” chez
Kafka, “O” dans la troisième partie de La Bataille de Pharsale chez Claude Simon; parfois un même nom
est employé pour deux personnages chez Faulkner. Les repères habituels sont brisés. Le lecteur passif, le
lecteur récepteur qui suivait les réflexions et la vie du héros devient actif et contribue à la création et à la
contribution du sens du personnage. Il peut même devenir dans une certaine mesure le héros comme dans
La Modification de Butor, où le pronom personnel “vous” est employé. Il ne s’agit pas non plus de
confondre le personnage et la personne comme a pu le faire Ernest Pinard lors du procès de Flaubert en
accusant Emma Bovary d’avoir trompé son mari. Il ne s’agit pas non plus de l’envisager comme ayant un
“Moi” uni, et déjà Montaigne, dans ses Essais et son esthétique “à sauts et à gambades”, avait montré
l’aspect fluctuant et divers du Moi. Le personnage ne peut plus être “une planche d'anatomie morale”
comme le disait Paul Bourget. Virginia Woolf préfère ainsi “des myriades d’expressions” au personnage
traditionnel qu’elle critique ouvertement comme le fait Gide dans Les Faux-Monnayeurs, qui “plie bagage”
devant le personnage ou le héros romanesque classique.
Si la psychanalyse et les réflexions de Virginia Woolf ou de Nathalie Sarraute ont participé à la
mort du personnage,, les formalistes ont eux voulu porter un coup fatal à l’apparente psychologie du héros.
A partir des travaux de Propp sur le personnage du conte, Greimas a analysé le personnage romanesque
comme un actant. Il a mis en place un schéma actanciel reposant sur trois grands axes sémantiques (le désir,
la communication, l’opposition) en confrontant le sujet, l’objet, le destinataire, l’adjuvant et l’opposant. Le
personnage n’est qu’un “participant”. Paul Valéry a lui aussi remis en cause l’existence et la psychologie
des personnages, ces “vivants sans entrailles”, en mettant en avant la condition verbale de la littérature.
L’approche structuraliste, formaliste et sémiologique des années soixante ont fini par faire du personnage
un “être de papier”, une construction textuelle. Philippe Hamon, qui a étudié “le personnel du roman” dans
l’oeuvre de Zola, prône “un statut sémiologique du personnage”. Le personnage n’est plus un “être
humain” comme le sous-entend François Mauriac, un être de chair et d’os, une âme ou une personne en tant
que telle, mais l’élaboration d’une image à partir du texte. C’est ce que montre Vincent Jouve dans L’Effet-
personnage dans le roman où il tente, à la différence de la prédilection immanentiste des structuralistes pour
la fonction illocutoire et pour le texte seulement, de montrer “l’image-personnage” que construit le lecteur,
c’est-à-dire la fonction perlocutoire et la réception du personnage, qui naît de la rencontre entre le texte et
le lecteur.
En outre, lorsque François Mauriac parle de “l’étoile” où évoluent les personnages, et de ces êtres
humains aptes par eux-mêmes à s’expliquer et à s’analyser, il semble mettre à distance le romancier. Les
personnages semblent vivre dans une bulle, dans un système où ils détiennent toutes les ficelles. La
question de la liberté opposera François Mauriac à Jean-Paul Sartre, dasn son article François Mauriac et la
liberté, où le philosophe exprime sa conception du roman et de la liberté, en opposition à celle de Mauriac.
Cette conception mauracienne du personnage ramène à poser les questions suivantes: dans le roman
psychologique, qui parle? qui mène l’analyse psychologique? l’auteur ou ses personnages? Comment
envisager le romancier par rapport à ses personnages? Certains théoriciens ont montré, Vincent Jouve le
rappelle dans son livre, que l’auteur, pour construire un personnage, s’identifiait dans un premier temps à
lui, puis se détachait progressivement de ses créatures fictives. La question de la liberté, de l’autonomie du
personnage, est ainsi au centre de cette possible ou impossible réflexion psychologique du personnage sur
lui-même. On ne peut pourtant pas oublier qu’avant tout ces figures romanesques sont les fruits de
l’imaginaire de l’écrivain, que s’il leur donne une certaine singularité, il la crée à partir de l’agencement de
mots, et à partir de phrases constituant un texte, et qu’il reste maître de ses créations, étant celui qui écrit.
C’est Stendhal qui décide la tentative de meurtre de Julien Sorel sur Mme de Rênal; c’est Albert Camus qui
décide de faire de Meursault un personnage taciturne qui, parce qu’il ne pleure pas à l’enterrement de sa
mère, sera jugé coupable; c’est Flaubert qui décide qu’Emma ira au bal. Le phénomène appelé
“bovarysme”, cette inadéquation entre le rêve et la réalité, naît d’abord des mots écrits par le romancier. Ce
n’est que lorsque le texte, ce “mécanisme paresseux” selon Umberto Eco, est lu par le lecteur que le
personnage peut faire illusion de liberté, mais il reste malgré tout une construction textuelle.

*
* *

Les personnages sont par conséquent plus que des “êtres de papier” dans l’esprit du lecteur, mais
moins que de véritables personnes. Comment dès lors une analyse psychologique peut-elle s’élaborer, si
elle peut avoir lieu? En effet, sans le support traditionnel du personnage, une analyse psychologique peut-
elle être menée? Nathalie Sarraute montre que c’est sur une psychologie anonyme que la recherche doit
porter. En outre, la disparition du “personnage-personne” n’empêche pas la réflexion psychologique au
moyen d’autres truchements.
Le roman contemporain ou le Nouveau Roman, refusant la conception psychologisante du héros,
niant parfois même l’existence du personnage, n’a pourtant pas rejeté toute recherche sur l’analyse des
“sentiments confus et indistincts” selon l’expression de Mauriac. Au contraire, certains ont fait de l’oeuvre
entière une recherche, une tentative pour comprendre, saisir ces sentiments ou ces choses indistinctes,
floues, qui semblent nous échapper, ou qui sont à la limite de la conscience. Ainsi Nathalie Sarraute a
travaillé, a essayé d’analyser ce qu’elle a appelé les “tropismes”, ces mouvements préconscients qui sont à
l’origine de nos actes. Ses personnages sont évanescents comme dans Portrait d’un inconnu. Il ne s’agit
plus de cerner la psychologie particulière d’un personnage, mais d’analyser une psychologie anonyme. Le
lecteur ne saisit pas d’un seul tenant la psychologie toute faite et cohérente d’un individu auquel il peut
s’identifier, mais dans une quête et conquête de sous-entendus, de mouvements imperceptibles mais
présents. Cette qu^te s’exprime à travers les mots et non plus à travers la conscience d’un personnage, c’est
pourquoi elle affirme que ses “personnages, ce sont [ses] mots”. Elle s’exprime également à travers les
silences, les points de suspension, tremplins pour glisser dans l’insaisissable, l’indistinct, l’ineffable, le flou
essentiel, porte à demi ouverte donnant sur l’intérieur et sur la réflexion. Le texte entier permet ainsi
d’approfondir la psychologie, de creuser l’âme, de soulever ses replis internes. Cette analyse ne s’accomplit
pas sur le mode de la confession mais de la recherche. Cependant, dans une certaine mesure, l’écrivain
observe, pour reprendre l’image de Mauriac, “au microscope”” ces mouvements presque imperceptibles,
mais cet appareil n’est plus détenu par un personnage en particulier.
Enfin, il semble qu’une analyse psychologique peut aussi se mener sans qu’elle soit dirigée par un
personnage défini et construit comme un bloc uni et imposant. Déjà dans Du côté de chez Swann, le
personnage de Swann est appréhendé comme un personnage disloqué qui est vu de différents points de vue.
Mais à travers ces diverses visions fragmentées, toute une analyse sur la jalousie, sur l’amour, sur l’orgueil
et la faiblesse, est finalement menée. Alain Robbe-Grillet a quant à lui une autre façon d’approfondir ce
phénomène psychologique qu’est la jalousie dans le roman du même nom: La Jalousie, où le titre désigne à
la fois la fenêtre, le poste du voyeur et d l’espion, et le sentiment du mari par rapport à sa femme et à Frank.
Ce roman est construit sur la répétition de trois ou quatre mêmes épisodes qui reviennent avec quelques
variations. Or, c’est non dans la psychologie d’un personnage ou d’un narrateur donné et décrit avec
minutie que la jalousie s’exprime, mais bien à travers ce rythme itératif, cette répétition et cet emboîtement
qui exprime l’obsession même de la jalousie. Jean Rousset montre ainsi que la jalousie s’exprime sans le
biais d’un personnage, seulement un narrateur “vide. Ainsi on remarque qu’une analyse de sentiments, de
réactions, de pensées profondes, apparaît davantage et semble menée avec plus d’intensité dans des oeuvres
ou chez des personnages “vides”, comme par exemple Emma Bovary, qui à la différence du pharmacien
Homais, facilement représentable, “arête coupante” selon Zéraffa, permet une analyse approfondie de cette
frustration entre le rêve, l’idéal romanesque et le quotidien décevant. Paradoxalement, le creux, le vide,
l’indéfini, privilégieraient la profondeur, tandis que le défini, le fini, le donné, tendraient vers le cliché, le
stéréotype.

*
* *

Par conséquent, les personnages dans le roman psychologique traditionnel, considérés à la manière
de François Mauriac comme des êtres humains qui “s’expliquent, se confient [...] cernent leurs sentiments
confus et indistincts d’un trait appuyé”, ont été rejetés par certains auteurs au profit d’une expression et
d’une recherche psychologique anonyme, gagnant un aspect plus universel, cherchant à mettre en lumière
non pas l’âme d’un personnage mais les côtés obscurs de la personne en général. Finalement, Danièle
Sallenave, dans Le Don des morts, a montré que sans revenir à une “psychologie vieillotte”, le personnage
n’était pas qu’une “figure de papier”, il est aussi une illusion pourvue d’une “existence fictive” qui
permettrait de nous connaître, de découvrir une autre facette de nous-mêmes. Ainsi, par le biais d’un
personnage ou par le simple truchement des mots, c’est bien la connaissance éclairée et intime de l’homme
qui est visée.
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