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ITINERATIRE ne vie, une pensée SOMMAIRE 5 be ta noblesse a r'anarchisme La vie de Kropotkine fut celle d'un militant dévoue a la cause anar- chiste. Ne reniant aucune de ses idée, il donna a la pensée liber- taire de nouvelles bases sur lesquelles nous nous appuyons aujourd'hui encore. Di 4 Edito Roy 11 cements bibtiographiques 13 Autour d’une vie La vie de Kropotkine, son ceuvre et son époque au travers d’un tableau chronologique. 14 tes chemins de rengagement Ces pages, extraites de son livre autobiographique Autour d'une vie, nous montrent ses premiers pas sur le chemin de I'anar- chisme, 16 1789-1793, la Grande révolution L’apport de Kropotkine a la connaissance de la Révolution francaise est essentialle. Il était déja connu pour ses travaux lors du centenaire. Son travail est plus que jamais d'actualté. Yves Blavier 19 Kropotkine, un géographe novateur ‘Avec Kropotkine, la vielle géographie scolaire en prend un coup, et on ne peut s'empécher de sourire en lisant les critiques qu'il ui porte, prés d'un siécle avant celles des géographes héritiers de Mai 68. Philippe Pelletier 23 ve rentraide & rEthique ‘Quel est I'6lément qui, chez 'homme, est la base et la source prin- cipale de la morale ? C’est son instinct social naturel, avec tous ses dérivés qui forment le contenu de toute morale : sympathie our ses semblables, solidarité, entraide, générosité. Kropotkine 6difie sa morale sur l'individu, sur sa nature, physique et psychi- que, en répudiant aussi bien les principes religieux que les entites meéthaphysiques, il est amené par la méme 4 renier de la morale toute origine supra-humaine. ‘Martine (Liaison Bas-Rhin de la Fédération anarchiste) 28 La Conquéte du pain Bien que réservé sur certains points de la pensée kropotkinienne, il n’en demeure pas moins que les concepts du communisme anarchiste développés par Kropotkine représentent un apport fon- damental pour I'anarchie. Philippe Boubet 31 Kropotkine et la guerre rises de positions antagonistes des anarchistes a I'approche de la Premiere guerre mondiale. Malatesta s'oppose @ Kropotkine au sujet de I'attitude appropriée envers cet événement, Georges Host 35 ve rautocratie tsariste 8 la dictature bolchevique AA partir de, 1905, les mouvements sociaux prennent de plus en plus d’ampleur en Russie, jusqu’au jour ou la vague révolution- naire emporte le tréne. Un gouvernement provisoire est constitue Les bolcheviks profitent de cette période d'instabiité pour s'empa- rer du powoir par un coup de force. Kropotkine observe la situa tion Aurore Kermadec 39 Lenterrement de Pierre Kropotkine: demiere manifestation de masse Une place importante est faite au récit de la mort de Kropotkine. ‘Ses obséques donnérent l'occasion & tous ceux qui refusaient de Se soumettre a la dictature des Commissaires, de manifester leur ‘opposition, Textes unis par Yves Perault = SophioKropotine 43 Linfluence kropotkinienne en Asie orientale ITINERAIRE N°3_ Juin 1988 Kropotkine est certainement le plus connu des théoriciens anar- ‘Jbis,rue Emilie 77500 CHELLES chistes a I'échelle du monde. Sa notoriété franchit les aires classi- Directeur de la publication : Didier Roy. ques de I'anarchisme jusqu’en Asie orientale. Administration : José Soluter Philippe Pelletier Dee RUNES Eee ean parane eci A A repreuve du temps Nee ans ae Ala lumiére des changements sociaux intervenus 67 ans aprés sa Impress inp Sermo #23663 ‘mort, i est utile de relre Kropotkine et ds consisérer son couvre dans toute son actuate EEE ae ‘Marc Dehrenne Ts numéro 4 d’Jtinéraire sera consacré a Rudolf Rocker, militant anarchiste allemand restant méconnu en France, né en 1873 et mort en 1958. Il nous permettra d’avoir une approche du mouvement anarchiste juif 4 Londres au début du siécle, un apercu de TAllemagne révolutionnaire de 1918 4 1933, la naissance de Panarcho-syndicalisme organisé avec la création de A.LT. en 1922, et une étude sur oeuvre fondamentale de Rudolf Rocker: Nationalisme et Culture, A paraitre en décembre 1988 EDITO Le temps nest pas aux discours énonciateurs 'idées. La forme prend le pas sur le fond, le vernis sur la pensée. L'année 1988, dominée par I'actualité élactorale, aura illustré ce propos. Dans un contexte dénué de tout débat de fond, I'air du temps est au vide idéologique, mieux & Vidéologie du vide. Vide ou sont préts a s'engouttrer tan- t6t les discours hyper-libéraux et racistes de l'extréme droite montante, tantét le renoncement généralisé & identité socialiste sous couvert de réalisme. L'absence de perspectives, d'une alternative socio-économique. nourrit Ia béte autant que les rivages de cet électoralisme Ccreux ou viennent s'échouer les gesticulations tactiques. des discours politiciens répatitits. L'époque est toute de résignation, de laisser faire et penser les professionnels du spectacle consensuel, Dans ce présent assez nauséabond, il faut bien I'avouer, nous avons trouvé en Kropotkine un grand bol d'air frais. Sa relecture est viviiante et tonique a plus d'un titre. Dans ce numéro 3 d’tinéraire, le lecteur intéressé suivra, Kropotkine dans sa vie et sa démarche. Sa vie d'abord, parce qu'elle slinscrit 4 contre-courant du surdétermi- hisme de classe. Destine a la noblesse par sa naissance, il choisira son camp, contre ses intéréts immédiats. A l'heure ou 'appat du gain nous est resservi comme moteur de I'effort, Vintégrite du « Prince de I’Anarchie » est a méditer.. Pourquoi offrir un apercu des spécificités de I'ceuvre de Kropotkine en 1988 ? Méconnu, y compris dans les milieux libertaires 04 les intellectuels s'autorisent eux- mémes ot trouvent du neuf plus qu’ n’en cherchent ail- leurs que dans leur espace politique, Kropotkine est abordé par sa contribution a son époque, la seconde moitie du XIX® siécle. Si certaines de ses theses sem- blent avoir vieilli, sa démarche et 'essentiel de ses con- clusions n’en demeurent pas moins d'une robustesse a 'épreuve du temps. L'analyse hautement scientifique — dans le sens expérimental du terme — des facteurs de développement des sociétés humaines, une recherche des implications éthiques — retour sur I'individu des lois Qui permettent sa survie — et enfin une proposition sociétaire originale, synthese dépassant le collectivisme bakouninion et le fédéralisme proudhonien dans le com- munisme anarchiste forment rossature de sa pensée. Il est remarquable, en ce 20+ anniversaire de Mai 68, que plus aucun des « loaders » (de Régis a Daniel) ne se réclame des idées de révolution. Sans doute, chez eux, révolution s'est toujours conjuguée avec marxisme et, partant de i, telle est la failite du bolchevisme que plus personne n'6se faire référence ce courant de pensée Comme porteur d'avenir. Fautil pour autant jeter aux Oublisttes de I'Histore le concept de révolution sociale ? Dictature, bain de sang, régression seraient seuls synonymes de révolution? Comme si aucun courant révolutionnaire, comme si aucun révolutionnaire n’avait théorisé et pratiqué une éthique de la révolution. Kropot- Kine, et c'est sa force, est de ceux-la. II répond haut et fort aux déserteurs de la Sociale. C'est pour cela, aussi, ‘que nous lui consacrons ce numéro d'itinéraire. Delanoblesse al’anarchisme Liintérét de faire un article retragant les principales étapes de la vie de Kro- potkine est de faire ressortir les faibles- ses_mais aussi les qualités de cet homme. De montrer aux lecteurs que ce prince devenu anarchiste n'est qu'un homme, mais quel homme, « La caractéristique de Kropotkine était, selon moi, ia bonté ; elle débor- dait de ses yeux, vous enveloppait, vous réchauffait @ Vinsiant. D'autres diront que intelligence surtout pétil- lait derriére ses lunettes. Possible, peut-étre cela dépendai-il de qui ow {qui se présentait @ son regard. En tous cas, semble-til, c'est la combinaison de ces qualités qui I'a mis sur fa voie de VEntraide, conception que ’on ne peut dire neuve puisque Espinasse avait crit Les Sociétés animales, mais que Kropotkine a étendu, @ la fois vulea- risé dans le grand public etjait presque admetire par la science officielle, qui, ‘en Angleterre du moins, connaissait jusqialors seulement la tutte pour la vie d coups de bees et d coups dongles. JTestime ainsi que ses faculiés er son ccaraciére le rendaient particuliérement apte @ traiter de Uéthique »\)) Cette citation de Paul Reclus résume bien cet etre a la destinge exception- nelle, Il yest question de son caractére, la bonté, mais également de ses facul- 1és et de son intelligence. Kropotkine, savant reconnu, possédait une instruc tion encyclopédique et une ambition : Ja partager avec les gens du peuple pour quills puissent accéder au «savoir » qui devait les alder a s‘emanciper. « La vie de Kropotkine etait aussi simple qu'elle était belle Travailleur acharné, fratemel avec ses amis, accueillant pour tous, sauf pour les interviewers dont il se défiait avec raison, il ne cessa jamais de mettre sa vie intime, comme sa vie militante, en complet accord avec ses idées. Savant d'une érudition eneyclopédique, il avait appris la typographie et nétablis- Sait aucune frontiére entre Uactivité ‘manuelle et activité intellectuelle. () Eat Gun aricle de Paul Rocks paru ens le numéro spécial des Temps Nouveau ‘de mars 1821 consacré Plere Kropotkine, “We do- Kropotine «do Fernend Planch Bien au contraire, il ett voulu que tout étre humain piu étre d la fois owvrier, artiste et penseur »@), Kropotkine était done résolument du c6cé du peuple. Il avait prs le parti des pauvres contres les riches, des ‘opprimés contre les oppresseurs, et cela durant toute sa vie, quelqu'en aient &té les conséquences. Ses origi- nies, pourtant, ne le prédestinaient guére a cette vie, Le petit prince Pierre Kropotkine est issu de l'une des plus vieilles familles de la noblesse russe. Dans son livre autobiographi- que, Autour d'une vie, il nous indique que son pére possédait un parchemin stipulant que leur famille descendait d'un petit fils de Rostislav Mstislavitch le hardi, grand prince de Kiev, et que leurs ancétres avaient été grands pri ces de Smolensk. En 1842, date de la naissance de Pierre, cette lignée ne Joue plus un réle important dans les affaires de Etat. Néanmoins, les Kro- potkine passent pour étre une famille riche. Le pere posséde environ 1 200 ames). Militaire, et bien que ses fils auraient da, tout comme lui, embrasser cette carriére, il n'eut pas d'influence sur eux. Sa mére est une femme douce et aimée de tous pour sa grande bonté. Elle est trés estimée des Kropothi a'a'ans. (2) Numéro spécia des Temps Newveau, op ot p.7, extra un aricie de C. Malate (2) Ame signiat seri de sexe masculin, Les {emmes, malo Feblgation de sorv, retain as complabiloées. serviteurs et, indéniablement, elle fut lun modéle pour ses fils en ce qui con- ceme la tolérance, le respect d’autrui et intérét pour les choses intellectuelles, Pierre ne I'a pourtant pas connu long- temps car elle mourut avant qu'il n'ait quatre ans. Il en garda cependant un tendre souvenir : « Toujours vive et souvent insouciante, elle aimait bea- coup la danse, et les paysannes de notre village nous racontaient qu'elle contemplait souvent d'un balcon leurs rondes d'une lenteur pleine de grice et qu’ la fin elle descendait y prendre part. Elle avait une nature artiste 01), Deux ans aprés la mort de Catherine Nicolaievna Soulima‘), ‘eur hiérarchique, le général Timofeiev. Ce mariage de raison va bouleverser univers des enfants. Tout ‘ce qui rappelle leur mére est enlevé, les bonnes russe et allemande sont remer- cides. la place, un précepteur fran- sais, M. Poulain, ancien officier de Farmée napoléonienne, est_nommé ainsi qu'un étudiant russe, Pierre et ‘Alexandre qui n’ont qu’un an de difté- rence deviennent inséparables : « deux té1es sous le méme bonnet ». Cette expression de M. Poulain\ montre en quelle complicté et quelle affec- tion ils se portaient I'un a l'autre, ‘A\l'age de huit ans, Pierre est remar- qué par Mempereur’ Nicolas I®* lors d'un bal donné en son honneur. Son inscription au Corps des Pages est ainsi décidée. De I'age de 15 ans, et durant ‘cing ans, il sera Phote de cette école hors pair. Il s'y distingua autant par ses aptitudes a apprendre que par son caractére autonome et révolté. Il ne supporte pas, entre autres, les injusti- ees et les brimades que subissent les plus jeunes. Cette éole jouera un réle important sur le devenir de Pierre. « Co fut effectivement pendant ceue période passée au Corps des Pages (9) Pere Kropotkine, Autor d'une we, Edtions Stock, Pais, 1071, p.11 (8) Nom do a mere-de Kropotkine. (6) Gt par Avakoumvich et Woodkok, in Le ‘prince ‘anarchist, Edlione “CalmarrnLevy, Paris, 1953, p30. 5 qu'il acquit ia connaissance élémen- {aire d'un certain nombre de sujets sur Tesquels if devait composer plus tard des ouvrages d'une vaste érudition. (-) De méme, Ventrainement militaire pratique ne fut pas sans valeur effec- tive pour le développement de son ineligence et de ses diverses aptitu- des 9, Ces années d études correspondent & une période d'effervescence dans la vie intllectuele russe malgré la censure « Les années 1857 @ 1861 furent des plus importantes dans Uhistoire de Pévolution intllectuelle de la Russie. Tout ce qu’avait dit tout bas, dans intimité des réunions d'amis, la géné- ration représentée dans la liérature russe par Tourguénev, Tolstol, Her Tolstot. zen, Bakounine, Ogarev, Kavéline, Dostolevsky, Grigorovitch, Ostrovsky et Nekrasov, commencait alors @ per- cer dans la presse »'), N’ayant pas de relations & Saint- Pétersboure, Kropotkine reste en dehors du mouvement radical de cette Epoque. Il passe alors ses dimanches et ses jours de congé chez une tante ol se retrouve le gratin de la société. C'est pourtant dans cette maison qu'il pour la premiére fois L étoile polaire, revue londonienne de Herzen. Les débuts révolutionnaires En 1860, Pierre édite sa premiére publication révolutionnaire. Celle-ci ‘est manuscrite et destinge & trois de ses camarades, pages comme lui, suscepti- bles d'eire imtéressés. « A cet dge, que pouvais.je re, sice n’est constitution- nel ? — et mon journal montrait ta nécessité d'une constitution pour la Russie. »), (Le prince anerchiste, op. ct, p. 92. (@)Autour duno ve, ope. p 128 (9) Autour dune vie, ep cit, p.131 6 rd de Emp cere tar Deux des trois pages y répondent. Il deviendront amis et formeront un cer- fle oi tous les grands. événements seront discutés, la suppression du ser- vage éant la question la plus impor- {ante du moment. Sur instance une partie de sa famille", Alexan- Gre Tl, le nouveau tsar, effectue un premier pas en vue de son abolition. I espére que la noblesse demandera elle- méme cette réforme mais, trop dési- reuse de conserver ses prerogatives, elle ne répond pas aux souhaits du souve- rain, L'idée pourtant ne cesse de pren- ddre de V'ampleur : « Tout le Péters- bourne intellectuel était avec Herzen, et surtout avec Tehernychévsky. Tout Pétersbourg, les salons comme la rue, avait si bien pris position qu’ était impossible de reculer. Les serfs devaient: étre affranchis »("), Le 17 mars 1861, le décretsurl'érmancipa- tion des serfs voit enfin le jour. Pour- tant la joie retombe vite car les condi tions sont draconiennes. L'impot de rachat des terres, des maisons et des animaux est exorbitant. Il n’empéche ‘que afin du servage est un pas impor- tant dans la voie de la liberté. Bon nombre de gens instruits profitent de cette bréche et se tourment vers le peu- ple pour Tinstruire. En effet, la ‘majeure partie des paysans étant illet- trée, comment espérer dans ces condi- tions qu’ils puissent influer durable- ment sur leurs destinges. L’alphabéti- sation doit leur en donner la possibi lite A cette époque, Pierre est toujours au Corps des Pages. Etant le premier, il devient sergent, place enviée pour les privileges qu'elle accorde mais surtout parce que le sergent devenait le page de chambre personnel de l'empereur Cette place laissat prévoir une ascens- sion rapide et sre au sein de la cour. Kropotkine vécu done aux cdtes Alexandre Il et put se faire une idée précise de ce qui se passait dans son entourage. Cela ne fit que confirmer ses impressions et le dégodta a jamais de la vie de courtisan, Fin 1861, le mécontentement des étudiants de Saint-Pétersbourg, Mos- cou et Kazan est réprimé avec une grande sévérité. Crest le début de la période dictatoriale du régne @Alexandre Hl, En juin 1862, Pierre Kropotkine ayant fini ses études est nomimé officier. C'est une nouvelle ‘occasion pour lui dese faire remarquer lors du choix de son affectation. 1 est le seul a choisir un régiment peu connu (10) Ben entendu, influence de Ia tamile ne {ut pas seule détermnarte. Davies facteurs As mportarts, sinon pls, ont pose sur cate Sécision. Dopuls 1850, les insurrections de fers saiont do plus on plus cifices & réprk ‘mar. De pls, la jeunesse était parisane ce Fabotiton, ainsi que bon nombre dintalectuels. (11) Auteur une wo, op. ct, p. 134, et loin de la capitale, les cosaques mon- {és de l’Amour. Le 24 juin, il part donc pour la Sibé- rie. A son arrivée, il est regu par le général Korsakof qui se déclare satis- fait d'avoir autour de lui des hommes aux opinions libérales. Le vent de la réaction n’a pas encore atteint cette lointaine contrée, Il est d'abord affecté ‘comme aide de camp du général Kou- kel a Tchita en Transbaikalie. Cet homme, aux idées radicales, avait dans sa bibliothéque les meilleures revues ruses et les collections complétes des publications révolutionnaires londo- niennes de Herzen. En outre, il avait conn Bakounine pendant son exil et put raconter & Kropotkine bon nombre sur sa vie. Kropotkine ct “Ti e+ Lemp du dere sar Koukel devinrent amis. Le travail ne Jeur manquait pas: ils devaient élabo- rer des plans de réformes pour Tadii- nistration des provinces et des munici- palités, pour, organisation de la police, des tribunaux, des prisons et des déportations. Kropotkine devient ainsi le secrétaire de deux comités dont Tun soceupe de la réforme des pri- sons. Tout ce travail ne servit rien car Vautocratie écrasa toute velléité de réformes. En 1863, la Pologne se sou- leve contre le pouvoir russe et c'est Ie pprétexte au renforcement de la réac- tion. Les Potonais sont massacrés et <éportés en grand nombre. L’explorateur Face a ces événements les convic- tions de Kropotkine se renforcent mais, n’étant pas encore anarchist, i spite toujours un changement radical dans la politique menée par le tsar. Lheure d’entrer en confit ouvert avec les autorités n’est pas encore arrivée. ‘Avant cela il va se plonger dans ses recherches scientifiques en parcourant MExtréme-Orient. Sa premiére expédition importante est Ia traversée de la Mandchourie, & la recherche d'une route reliant la Trans- baikalie aux colonies russes sur VAmour. N'ayant pas Pautorisation des autorités chinoises, il doit se dégui- ser en marchand(2). « On m’offrit la direction d'une caravane marchande (.). Nul Européen n’avait jamais visité cette région, et un topographe russe, qui avait suivi cette route quel- ‘ques années auparavant, avait &é tué, Seuls deux jésuites, venus du sud au temps de Vempereur Kar-si, s’étaient avancés jusqu’a Merghen et en avaient déterminé la latitude. (3) Aprés quel- ques difficultés, Ia caravane arrive & destination et Kropotkine peut effec- twer des études qui lui serviront pour ses travaux ultérieurs, Parallélement ces découvertes, il explore le Sayan occidental, Ilse rend compte de la structure des hautes terres sibériennes et il découvre une impor- tante région volcanique sur la frontiére chinoise. L'année suivante il entre prend un long voyage pour trouver un accés de communication directe entre les mines d'or de la province de Yakoutsk et la Transbaikalie. « Quant 4 moi, ce voyage me fut d'un grand ssecours pour découvrir la clef de ta structure des montagnes et des pla teaux de Sibérie. xi Cette décou- verte, dont Kropotkine n’hésite pas & dire qu'elle est sa principale contribu- tion scientifique, est bient6t suivie par la théorie de la glaciation et dela desi cation(!9, Cette théorie qui, selon lui, «était alors une grave hérésie »00 nn’en demeure pas moins une nouvelle prewve de l"importance de l’apport de Kropotkine dans le domaine des scien- Alors que ses travaux le poussent inéluctablement hors de I'armée, un événement précipite les choses et les décide, Iui et son frére, a abandonner la carriére militaire. En’1866, les Polo- nais déportés en Sibérie s'insurgent et essayent de passer en Chine (un offi- ccier russe est tué lors d'un affronte- ment). Il n'y a guére d’espoir pour ces hommes affaiblis par les conditions inhumaines de la déporiation et la révolte est matée (quelque cinquante insurgés sont jugés par un conseil de guerre, cing d'entre eux seront con- damnés & mort et exécutés). Kropot- kine assiste aux audiences et rédige un (12) Le tralté sito russe accordat a Russie la [oss do commmercoravao mpi chins ®t la Mongol. La Mandsnoure n'stst pas Imentionnée. De pls, i etait question que de commerce et les autortés chinoises auraent refuse tentée d'un offer. (19) Autour dune ve, op ci, 219. (14) Autaur dune we, op. ot. p. 229 (15) Dessication ou aobchement Pou plus de Fenseignements ire Augourd'une ve parte, ‘chepive premier. 9p. 244 et suivants (19) Autour d'une we, op. ct, p 248 ‘compte rendu qui parait intégralement dans un journal de Saint-Pétersbourg our Iequel il écrivait ordinairement, C'est par cet article que l'on a connu les brutalités commises contre les Polo- nis, aussi bien en Russie qu’a I’étran- ger. Voyage en Europe De retour a Saint-Pétersbourg & Vautomne 1867, Kropotkine entre a université, son réve de toujours, Pen- dant cing ans, son temps est entigre- ment absorbé par les études et les recherches scientifiques. La vie dans cette ville a bien changé. Alors que les, années 50 étaient marquées par des hommes préts a de grands sacrifices, cceux-ci quelques années plus tard ont &€ abattus par la répression ou sont devenus prudents. « Les meilleurs écri- vains — Tchernychevsky, Mikhailov, Lavrov — étaient en exit, ou étaient enfermés, comme Pisarev, dans la for- terese de Saint-Pierre et Saint- Paul, D'autres, voyant la situation sous de sombres couleurs, avaient changé d'opinion et inclinaient @ une Sorte d'absolutisme paternel ; tandis ‘que le plus grand nombre, tout en res- fant encore fidéles & leurs idées, mer- taient tant de prudence & les exprimer que leur circonspection ressemblait presque @ une trakison, »\"? Tehernychevsky. Devant la désaffection de leurs ainés, une frange de la jeunesse reprend le flambeau et se lance dans le mouvement « V Narod » (vers le peu- ple). « Le populisme, qui était la mar- que essentielle des narodniks, amenait au sein de ce mouvement une grande variété de groupes, des anarchistes aux lerrorisies, depuis des penseurs tels que Bakounine jusqu’a Lavrof, avec méme (17) Autour une vi, op. cit, p. 254, Dostoievsky et quelques slavophiles assez rapprochés de la droite »\8), Pourtant, jusqu’en 1872, Kropotkine n’a pas de contact avec ces cercles « narodniks », du fait de la difference "Age avec les autres étudiants(!9, ‘Ne pouvant se rendre utile dans cette effervescence, il décide de se rendre en Europe occidentale, Son pére vient en cffet de mourir et il se trouve en pos- session de fonds suffisants pour ce voyage. Vera Figner en 1904, L*Association intemationale des tra vailleurs (A.1.T.), dont il avait déja entendu parler, I'attire. Il décide done de se rendre en Suisse, centre des sec- tions les plus actives. De plus, ce pays ‘est trés ouvert aux étrangers ; rien qu'a Zurich, d’aprés Vera Figner0) demeurent plus de 300 ctudiants d’ori wine slave. Arrivé & Zurich, il adhére @ une sec- tion de I'internationale et, avec I'ai de sa belle-sceur et d'autres émigrés russes, il se lance dans l’étude de la lit- {érature socialiste. Aprés Zurich, of il ne reste que quelques jours, il se tend & Geneve. La scission entre libertaires et autoritaires n'est pas encore consom- mee, elle n’interviendra qu’en septem- bre 1872 au congrés de La Haye. Kro- potkine prend done contact avec la plus importante section genevoise. Colle-ci est tenue par les marxistes dont le principal leader s'appelle Outine. Kropotkine y reste cing semaines puis, @ cause d'un différent important(2), contacte Ia section libertaire. Nicolas Joukovsky lui conselle alors de se ren- ddre dans te Jura ob activité libertaire est plus intense, (18) Le Prince anarchist, op. cit, p. 67. (19) y @ un fosse entre ies generation, les Jeunes reprochont a leurs ands leur compote. ment face a ia pression. De plus, ces carlos sont tré fers et Kropotkine n'a aucun am uly parpe. (20) Vera Figner fut une des principales res. Ponsables du cerce La Liberté du peuple (arednaia Volgi). See: mitants, de 1870 4 1890, commrent do nombreux attontat e, en mars 1881, assassingrent Ie far Alexandre I 7 Ise rend & Neuchatel ot il rencontre James Guillaume qui deviendra par la suite Pun de ses meilleurs amis. 1 fait Ja connaissance également de Benoit Malon, ancien communard, qui lui raconte l'histoire de 1a Commune de Paris qui vient juste d’étre éerasée. A. Sonvilliers, il fat la connaissance et se lie d'amitié avec Adhémar Schwitzgue- bel. Ces différents contacts le marque- ont ainsi que le comportement des ouvriers jurassiens pour lesquels il a tune grande admiration, Retour en Russie et prison Pen de temps aprés son arrivée, Kropotkine donne sa démission du ser~ ‘vil qu'il avait rejoint aprés avoir té Varmée. Son désir le plus pro- qn fond est de participer a Pecuvre révolu- tionnaire, Il sera satisfait lorsque, par intermédiaire de son ami Dimitri Kle- mens, il rentre dans le cercle Tchal- kovsky. C'est le plus important du Tehaikovsky. mouvement radical et, sia ses débuts du moins, il n’a rien de révolution- naire, les jeunes formés en son sein seront les révolutionnaires de La Liberté du peuple22, Kropotkine devient_un propagandiste infatigable et, durant deux ans, il parcourt les quartiers populaires de Saint- Pétersbourg déguisé en paysan afin de rencontrer les ouvriers avec lesquels il passe des heures a discuter. Cette propagande, qu'il fat sous le nom de Borodine® dure jusqu’a son arrestation en 1874. Presque tous les ‘membres du cercle sont sous les ver= rous ou en fuite quand Kropotkine (21) Lo Journal de Genive afemait que tes uwers cu batiment valent decide la arbve ‘generale. Or, pour ne pas compromee les ‘hanoes d'flecion de Favocat Amberry (pole tien accept & AIT dans la section markt), (Outine toma lors une reunion de faire acco {er une résolution carte cele dBcison. (22) Ct note 20. (23) Ne pas confondte avec un autre Borodine, ‘apa onvye on Chin pa Sine comms conser, 8 décide de quitter Saint-Pétersbourg, Avant cela, il soutient sa théorie sur la ‘glaciation de la Finlande et dela Russi devant Ia Société de géographie. La discussion de sa thése est repoussée d'une semaine, juste le temps néces- saire pour la police d’avoir la preuve que Kropotkine et Borodine sont le ‘méme homme. Dénoncé par un tisserand, il est arrété et conduit la si tristement célé- bre forteresse Pierre et Paul. Son frére, installé & Zurich, revient pour le soute nir. I réussit a lui faire parvenir de ‘quoi écrite et la permission de poursui- vvre son travail scientifique. Il est lui méme arrété peu de temps apres, au début de 1875, et sans jugement exilé cn Sibérie, Paradoxalement, alors que la répression bat son plein, des jeunes ‘gens et des jeunes femmes, au mépris de tout danger, intensifient le mouve- ment « vers le’ peuple ». Les arresta- tions et les déportations augmentent en consequence. Ces deux éléments influérent sur 'état de santé de Kro- potkine qui commence & souffrir du scorbut. Sa soeur ainée, Héléne, réussit a le faire transférer dans une petite prison annexe de l'hopital militaire de Saint Péersbourg, C'est de cette prison qu’ réussit s'enfuir, grace & l'aide de plu- sieurs de ses amis, Cette évasion rocambolesque est_merveilleusement racontée dans son livre Aurour d'une Lagitateur Sfenfuyant de Russie sous le nom «Alexis Levachof, il va tout droit en Angleterre, terre d'asle & cette époque des révolutionnaires en cavale. A Lon- res, il collabore & Nature, oi il ren- contre James Scott Keltie, rédacteur en second du journal, avec lequel il se liera. I fait également la connaissance de Lavrofi@4 qui anime alors Vpered WAveni). Par son intermédiaire, il rencontre de nombreux jeunes russes parmi lesquels Tcherkessof2) qui, | aussi, s'est évadé de Russie Le désir d’agir sur les événements pousse Kropotkine a retourner en. Suisse, En décembre 1876, il séjourne & Neuchatel of il rencontre Malatesta et Cafiero qui_projettent pour année suivante une insurrection en Italie. Son activité en Russie, connue de James Guillaume et des ouvriers suisses, Pa rapproché des « Jurassiens ». Ses rap- ports avec eux et avec Paul Brousse qui, & cette Epoque, est encore anar- lent & s'établir dans le (24) Lavrof t Bakounine étalon le revluton- ‘aires es plus en vue 6u mouvement russe on ‘001. Kropotkine ralla pas voir Lavo des son lartivee on Angleterre en parte parce qu'il con Serat que cel-cl avait pas fat Un aricle ecrologique.sufisant fs de 2 mont Ce Bakounine en juilet 1876. Laveot Commence pour tui une période activites imtenses. Il se rend partout ol c'est névesssaire, & Verviers en Bel- gique), & Geneve, & Vevey of il rencon- tre Elyste Reclus. Il ne connait que de réputation ce célébre géographe, ami intime de Bakounine, qui vit en exl en Suisse, a la suite de Sa participation & la Commune de Paris. A la Chaux-de~ Fonds, il rencontre Spichiger, Puidy (Qui aussi ancien communard) et bar racin qui repar’ pour Espagne en 1877 afin de prendre part aux combats insurrectionnels?9. En juin 1877, Kropotkine et Paul Brousse fondent un journal internatio nal@ en vue d’effectuer une propa- gande vers la France, oi le socialisme ne reprendra vraiment que vers 1880, aprés la signature de lamnistie des communards. A l'automne 1877, il participe & deux congrés. L’un, tenu a Verviers, sera le dernier congrés inter- national de la tendance bakouninienne de la Premiére Internationale. Le deuxieme auquel il assiste s'intitule Congrés socialise international. Les sociaux-démocrates allemands espé- rent & ce congrés mettre sous la coupe de V'ex-conseil général de Londres le mouvement ouvrier international Pourtant, malgré le peu de militants anarchistes présents, ils n'y parvien- @ront pas. Contraint de quitter en catastrophe la Belgique car il risque etre arréé, Kropotkine se rend a (25)Ce prince géorgien, avant de dovenir ana hte, partspe vee Karavazol rtammant & tn groupe terorito au debut ov annges €0. Un Site mouemant mpertant enintisme, 56 produist vers la. meme epoque. Bien Evinfvenes par ce mouvement cme toas Its progressives de catemps. Kopatine eu fas rapport ree) avec hi. Nous navons Gone pas eu bon daborer le suet. (25) La set fs ou Kropothie fll proper {fun combetrévolsionnare dove uta oc Son dune conerence dela Federation jae Sionne on aod 1877, & Santer. La police ‘apouria seconde il ice port au re peatrouge. Bion oid & passer Ute os Imanstans armés at pres 2 defence leur Srapoau toussrent fore Ye passage sans quity at efuson de sang EEriilsegt do 'Avanrgarde qu par jusqu'en ‘Seem 1877 Londres. I commence alors a étudier la Révolution francaise au Britsh Museum, II part ensuite pour Paris ol le socia- lisme renait péniblement. Un groupe est reconstitué a Paris entre les anar- chistes, dont MItalien Costa, et les guesdistes (Guesdes étant & l'gpoque antiparlementaire). La répression ne tarde pas et Kropotkine ne peut s'échapper que de justesse, son ami Costa aura moins dé chance et passera plus d'un an en prison. Pendant son séjour & Paris, il fait la connaissance de Tourgueniev, par intermédiaire de Jeur ami commun Lavroff. Tourgueniey. Aprés un bref séjour a Geneve, il part pour I'Espagne, et sera émerveillé par implantation’ de l'anarchisme dans ce pays. C'est au retour de ce voyage qu'il fait la connaissance de Sophie Ananief, avec laquelle il pas- sera le restant de ses jours. En 1879, Paul Brousse est expulsé de Suisse,’ et James Guillaume est oblige de partir en France pour trouver ddu travail. Ine reste plus que Kropot- kine pour éditer un journal pour la Fédération. C'est ainsi que nait fe Révolté qui prendra en 1887 le nom de ‘a Révolte et, pour finr, s‘imitulera les Temps Nouveaux en 1895 aprés un an de non-parution. Jusqu’a cette année 1879, aucun attentat n'a &é commis contre le tsar. Mais, & cause de la vio- lence de la répression, l'empereur est pris pour cible, Déja des fonctionnai- Fes, dont un cousin de Kropotkine, et des mouchards ont été assassinés, Ce sera le tour d’Alexandre Il en 1881. En 1880, Kropotkine se rend a Cla- rens pour rejoindre Elysée Reclus qui lui demande de collaborer, pour la partie russe, a son gigantesqe ouvrage sur la géographie mondiale, C'est [a aussi qu’il écrit la célébre ‘brochure Aux jeunes gens. En juillet 1881, Kro- potkine assiste & Londres a un congrés anarchiste. De retour, il est expulsé de Suisse, le conseil fédéral n’ayant pas eu Paudace de résister aux pressions inter nationales qui s’amplifigrent aprés la mort du tsar. Apres étre resté deux mois a Thonon pour que Sophie ait Ie temps de passer son examen de bachelier és sciences, le couple repart pour Londres. Il y reste tun an. Dans cette ville, Kropotkine rencontre son vieil ami ‘Tchaikovsky et, comme le mouvement socialiste anglais vegéte, ils décident, avec l'aide de quelques militants rencontrés au ccongrés de 1881, de faire de la propa- sgande dans les milieux ouvriers, Pendant Mété 1882, il effectue des conférences_ a Durham, Newcastle, Glasgow et Edimbourg. A I'automne, il se rend en France oi le mouvement anarchiste a pris un certain essor entre 1881 et 1882. Le Révolté est bien accueil et Kropotkine tient des réu- nions a Saint-Etienne, Vienne et Lyon ot régne une grande effervescence, notamment chez les tisserands et dans les mines. Vers la fin de l'année 1882, soixante anarchistes dont Kropotkine sont arrétés(8), En janvier 1883, Kropotkine et trois de ses compagnons sont condamnés 5 ans de prison, les autres inculpés de 1 4 ans. Un an plus tard, presque tous sont en liberté a l'exception des quatre plus lourdement condamnés qui ne seront libérés qu’en janvier 1886. is sortiront en_méme temps que Pouget et Louise Michel grace & une amnistie. Cette amnistie avait &é récla- mée depuis bien longtemps par « un grand nombre de savants anglais, qui, aussitét apres. ma condamnation, avaient adressé une pétition au prési- dent de la République pour demander ‘ma liberation. Plusieurs collaborateurs de Encyclopédie britannique, ainsi que Herbert Spencer et Swinburne, (28) Des. cariouches de dynamite avaient até dans un café et un bureau de recut ment, et lo bru exculat quo les anaronites oulalnt fir sautr la Verge do la coline de Fourvere. C'est pour ces attentats que les anarchises iuent anéuts mais, sachont quis ‘evraent passer devant une cour c'ascises et Seraient_ vaisemblabloment acquttes, on ‘ésolu de les poursure comme membres Je WALT is pasedreot ainsi evant un trbunal de ‘imple police et, bin que Faccusation fut des pus fantaisstes, los condemnations ‘seront Fources. (25) Louise Michel avait sie condamnée pour vol En mars 1883, & lan dune maniletation ‘umibre, des pains avaet &¢ volbs dans deux Boulangories. Ele on at accusee et sora core sdemnée en avi 1883, avaient signé, et Victor Hugo avait Joint ¢ sa signature quelques mots éo- ‘quents. L‘opinion publique en France avait accueilli tres défavorablement notre condamnation »(3), Vie en Angleterre Pendant ces trois années denferme- ‘ment, Kropotkine donne a ses compa- gnons des cours de cosmographie, de géométrie, de physique, etc., et pres- ue tous apprennent une langue étran- ere. Certains cultivent un petit lopin, de terre qui leur donne une assez grande quantité de légumes. C'est 62a lement pendant son emprisonnement (plus precisément en 1885) que Reclus dite les articles de Kropotkine, publigs dans Le Révolté entre 1880 et 1883, sous forme d’un livre portant comme titre Paroles d'un révolté. Des sa sortie de prison, il écrit un livre sur les pri sons russes et frangaises, fruit de ses expériences en tant que déienu mais aussi des études qu'il avait entrepris lorsqu’il se trouvaii en Sibérie en 1862, Ne pouvant rester en France, le cou- ple décide de séjourner & Londres, mais avant ils s'arréient chez Elie Reclus, anthropologue de renom, frére d'Elisée et, comme lui, ancien commu- nard. Ils ne savent pas alors qu'il reste ont en Angleterre pendant trente ans. A peine installés, ils apprennent la mort du frére de Kropotkine, Alexan- dre, qui s'est donné la mort. « Un nuage de sombre tristesse enveloppa ‘noire maison pendant de longs mois — Jusqu’a ce qu'un rayon de bumiere vint le percer. Au printemps suivant, un petit étre, une fillete, qui porte le nom de mon frére, vunt au monde et ses cris: innocents firent vibrer dans mon eceur une corde nouvelle, inconnue Jusqu'alors »@), Le mouvement socialiste anglais, que Kropotkine avait laissé en 1882, a changé de physionomie. « La Fédéni tion démocratique, fondée comme élé- ‘ment radical en 1881, avait passé au Socialisme en 1884 et était devenue la Fédération sociale-démocratique. Elle était drigée par un ami le Kropotkine, HM. Hyndman, mais. sa politique etait entiérement marxiste. La méme année, avait éé formée la Société Fabienne. Ce groupement réformiste, qui, plus tard, soutint le socialisme d’Etat, comprenait a ses débuts un cer- tain nombre de membres partageant les idées libertaires. Et, Uannée sui- vante, les membres les plus révolution- naires de la Fédération sociale- démocratique se séparérent de ‘Hyndman et formérent la Ligue socia- liste airigée par William Morris »(22), (0) Autour une vo, op. ct, . 475. (G1) Auteur une wo. op. cp. 508. (2) Le prince anarchist, 9p: Gh, p. 147. Parallélement, le mouvement anar- chiste n'a cessé de prendre de Pampleur. « Un puissant courant ‘anarchiste existait dans la Ligue socia- liste, sous la direction de Mainwairing, de Kitz et de Lane. Ces dewx demiers ‘avaient pris part au congrés socialiste révolutionnaire de 1881, et Lane, homme assez aeé qui se rappelait la cl6ture des communes au début du sié= cele, publia en 1887 son Maniteste anti iatiste, collectiviste et révolutionnaire, premier pamphlet anarchiste anglais, depuis Godwin et ses disciples immé- diats »@3), Mme Charlotte Wilson, membre fondatrice de la Société “Fabienne, influencée par le procés de Lyon, vient peu & peu une disciple de Kro- potkine. Elle public dans Justice, Torgane de Ia Fédération sociale démocratique, deux articles sur le com- munisme anarchiste et la quatriéme brochure de la Société Fabienne parait avec un contenu analogue. En 1885, Henry Seymour, gagné aux idées de Paméricain Benjamin Tucker, lance le journal individualiste The Anarchist. Dans I’East End, Londres, les juifs anarchistes, la composante la plus importante du mouvement libertaire, font paraitre 2 la méme époque un journal en yiddish (L'ami des travail- Teurs). Le groupe Freedom, tout nou- vellement créé, composé de Kropot- ie et de sa femme, de Mme Wilson, du docteur Burns Gibson et de un ou deux autres compagnons, écrit des arti- cles dans le journal ‘de Seymour jusqu’en octobre 1886, date de paru- tion du premier numéro de Freedom), Crest également a cette époque que Kropotkine recommence une série de conférences dans toutes les grandes villes d' Angleterre et d’Ecosse. La fin de l’année 1887 est marquée par le jugement de Vaffaire de Hay- marketO9., Cing militants anarchistes sont condamnés & mort, l'un se suicide ct les quatre autres sont pendus. Les protestation, venues du monde entier, ne changent rien au jugement. A Lon- dres, une grande assemblée se tient oi prennent la parole entre autres William Morris, Bernard Shaw, Stepniak et Kropotkine, De 1887 1892, Kropot- Kine altemne les périodes d'activités millitantes et les travaux scientifiques. Il fait la connaissance pendant ces années de nombreux hommes de scien- ces, d’écrivains et d’artistes, En 1889 et 1890, il effectue a nou- veau des tournées de conférences dans le pays sur des sujets trés varies. La ‘morale anarchiste parait en 1890, suivi deux ans plus tard par La conguéte du pain, composé d’articles éerits dans Le Révolté et La Révolte dont Jean Grave est devenu, depuis I'emprisonnement de Kropotkine, le gérant. L’année 1889 fest marquée par la gréve des dockers qui s'étend & tout le pays, constituant ‘un moment fort pour le mouvement socialiste, Kropotkine va sur les docks encourager les grévistes et c'est la qu'il rencontre Tom Mann et Ben Tillet(), ‘Cette méme année il reprend ses tra- vvaux sur la Révolution frangaise avec des articles pour La Révolte et le Nine- teenth Century, qui paraitront en 1909 sous la forme d'un important volume. I continue également & travailler sur Paide mutuelle comme facteur d’évo- lution et propose a la revue Nineteenth Century une série d'articles. « Lorsque Huxley publia, en 1888, son manifeste de lure pour la vie (Struggle for Exis- tence and its Bearing upon Man), qui, 4 mon avis, donnait une interprétation tres incorrecte des faits de la nature, {els que nous les voyons dans la brousse et dans la forét, je me mis en (5) En 1896, lore d'un rassombloment du Mouvement anarchisio contre les. brutates polcleres pendant une gréve, une. Bombe xplose, Ltpoioe tee surafoule. Hurt policies ‘te nombreux cs sone tues. Cat 6veneme fas a fergie Ou TM (6) Ben Tile et Tom Mann étaient des di ‘eens socialites. Tilt chositla vole pttique, {andis que Mann sans douteinfiencé par Kro- potkine et es anareetos fonda la Ligue synd slate d education. G7) Keopotkine, im Lense, un factour do Vevotton 1 '2, Eeion de 'Entaige, 1979. (Nie en 7844, lle ex condamnes en 1878 2 5 ans oe bagne, ole s'évade de Sioéie au bout de 2 ans Aretée de nouveau, ele fat 4 fans de begne. Apres sa liberation ole rejoin. {e mowement reveluionnare. Elle entre 2 Parl socialist révoluionnale dé sa cra tion ot sora rapidomontélue au Comte conta ‘Apres [a prica de powoir des boichavks ele ‘exile et mou a 84 ans en Tehécasivaque rapport avee le directeur de la revue Nineteenth Century, lui demandant s'il voudrait publier une réfutation métho- dique des opinions d'un des plus émi- nents darwinistes ». Des Etats-Unis ala Russie A partir de 1892, Kropotkine offre image d’un sage retiré A qui l'on rend visite pour demander conseil. I! parti- cipe pourtant a Pexpédition d’écrits de propagande vers la Russie ot le mou- vement anarchiste, aprés avoir stagné, reprend de ’ampleur. Le dimanche est le jour réservé aux amis et beaucoup de compagnons font le voyage pour le voir: Malatesta, les fréres Reclus, Alexandre Atabekian, ainsi que celle qui sera surnommée la « grand-mére de la révolution », Ekaterina Brech- kovskaiia®), Il part au Canada en 1897 Ekaterina Brochkovskaia pour effectuer des conférences sur les dépéts glaciaires en Finlande et sur sa théorie de la structure de ’Asie. Aprés avoir parcouru ce pays, il se rend aux Etats-Unis of il fait des meetings & propos de anarchisme & Chicago, Philadelphie, Boston et New York. Grace & argent collecté au cours de deux meetings a New York, John Edelman peut faire paraitre aux Etats- Unis le premier journal anarchiste ‘communiste en langue anglaise. Pen- dant son séjour, Kropotkine rencontre Johann Most aver lequel il a quelques différents, ainsi que Benjamin Tucker {qui avait fortement critiqué les concep tions de Kropotkine & travers son jour- nal Liberty. En 1898, il rit dans L'Adantic Monily, journal américain, une série d'essais mensuels qui deviendront Memoirs of revolutionist (Autour d'une vie) en 1899.11 ne retournera aux Eats-Unis qu’en 1901 pour effectuer tune nouvelle série de conférences. Ce devait étre la derniére fois qwil y met- tait les pieds car, peu aprés son retour, un Polonais du nom de Czolgosz(39) attentait a la vie du président Mac Kin- ley. Cet assassinat déchaina la répres- sion et une loi interdisant aux anarchis- tes de pénétrer sur le territoire sera votée. fl se rend & Bruxelles, en juin 1904, pour rendre visite & son ami Eli- sée Reclus qu'il trouve en trés mau- vaise santé. Celui-ci meurt un an aprés, en juillet 1905. Kropotkine perd avec lui un de ses plus chers amis, En septembre 1905, il va en Breta- ane oi il rencontre James Guillaume, sans connaitre de difficultés de la part de la police, La premiére revolution en Russie enthousiasme Kropotkine et il Participe & Londres & deux réunions organisées sur ce sujet. Son désir de retoumer en Russie pour combattre ne peut se réaliser, le 12 novembre il écrit @ James Guillaume qu'il s'appréte & partir mais, en décembre, la répression des émeutes de Moscou i’en empéche. « S'aimerais tant retourner maintenant cen Russie, mais cela n’aurait d'auire résultat que de me faire arréter dés la premiére semaine. Ah ! sij’étais seule- ‘ment un peu plus jeune ! Dans ce cas- {a je pourrais vivre dans la clandesti- nité 9), Pendant les années qui suivent, Kro- Potkine passe la moitié de son temps en Angleterre, l'autre a Paris, Locarno (Suisse), ou Rapallo en Italie (ls hivers anglais sont trop rigoureux pour lui, & son age). En 1907, il ne participe pas au Congrés anarchiste international car sa position de soutien aux forces de VEntente si une guerre venait a éclater(, le sépare de la plupart de ses congrés, Alfred Marsh, “re do «Freedom Hund Vous © Allred Marsh, (09) Ceolgose se déctara anarchist lors son roots, bien que nayant aucun conact avec Ie (40) Le prince anarhiste, op. ct. p. 278. (4) Ct atc de Georges Host dans co méme. sumer. ac, Ed. Latfon, que soca, anciens compagnons qui ne le suivent pas. Il prefére donc ne pas assister & ce Pendant Vhiver 1909, il regoit a Rapallo la visite du rédacteur en chef est cette année égale- ‘ment que sa fille se marie avec Boris Lebedef42), socialite révolutionnaire. En 1911, il Grit pour le nouveau journal des exilés russes Rabotni:Mir ui deviendra en 1913 organe de la Fédération communiste anarchiste et cessera de paraitre en 1914, visite & Bertoni) au mois de ‘mai (42) A ne pas confondre avec Nicelas Labedet ui fut un mitant anarchist cacpl kine. Boris Lebedet, mitart soclisie reve onnaire tut coopts au Comte. central i PSR. en 1808. lect Souvenir d'un revo tionnaire. russe. dans (19141916), Pars, 1917. A oe suet, re Les Socialstoe révoluionnaias de Jacques Bay- (43) Lug! Bertoni pubsia on talon Paros o'un ‘rév0hé et La grantce revolution dert le trade teur était autre que Bente Musson, epo 1913. Lors de leur entrevue, ils parlent Jonguement de Ia guerre’ prévisible, Durant les années 1915 et 1916, Kro- potkine est gravement malade et doit tre opéré par deux fois des voies respi- ratoires. En 1916, Jean Grave lui rend visite et les deux hommes discutent de leur position commune propos de la guerre Ils décident de rédiger un texte qui prendra le nom de Manifeste des Seize du fait d'une erreur d'interpréta- tion. On prit le nom d'une localité algérienne pour celui d'un signataire. Cet appel sera signé en fait par quinze anarchistes conus, dont bien stir Kro- potkine et Grave, mais également Malato, Cornelissen, Paul Reclus, Toherkessof, etc. En mai 191714, Kropotkine prend la décision de revenir en Russie. L'appel de la révolution est trop fort pour quill se soucie de sa santé. II stembarque donc et, partout of i passe, malgré ses précautions pour voyager incognito, il est chaleureuse- ‘ment accueilli. Malgré la persistance de sa position militariste jusqu’a la fin de la guerre, il conserve néanmoins intac- tes ses convictions. Il refuse, outré, le rministéte que lui propose Kerensky et, quand Lénine est maitre de la situa tion, il rétére son refus de participer & out gouvernement. Il_ne cesse de dénoncer la dictature qui s'instaure et, cen but a des tracasseries de la part des ‘Kropot- —_bolcheviks, il meurt a Dmitrov entouré de ses plus fidéles amis, rend ‘ambo. francaise a Didier Roy ($4) 01. a ce suet rariclo Aurore Kermadec ‘dans ce numéro, initulé« Da Tautooe tsa rise & la cltature Bolonevque » Elements bibliographiques Nous avons recensé ci-dessous quelques informations bibliographiques trés incompletes, issues en particulior d'un dossier spécial paru dans le Monde Libertaire n° 303 du 1* mars 1979 et du numéro spécial des Temps Nouveaux paru en mars 1921, un mois apras la isparition de Pierre Kropotkine (ces derniers éléments ont été rassemblés par Max Nettiau), La rédaction Premiers éerits et pabiations gegraphiques et de science naturelle « Le Prolétariatouvier en Angleterre en France» (premier article pars dang Ia revue rsse"Kaijy Viesik" 4 Peersbourg, 6 186). Sie de Corrspondances de Sib dans les jour russes, 1862-1863, Promiére Expostion agricole en Transbakate, une broche en TUS, era, 862 «Deux Voyages en Mandchourie en 1864 », dans les Mécires de la Sovité seowraphique nse, VIL Tramblement de terre de 1862 dans les environs du lac Batkel (en Frans), dans Rendisont . Acad, Napol 186s. Reise im Olekminsk- Witnischan Gebiete, Serer 1866, pp prov soire dans Petermann’s Geograph. Miuallungen, Gotha, 16h, n° 5 & une rate préiminare mse sur te meme suet Strede 7 articles de scenes naturelles dans le joural russe Biren Vie omost, 1857 1968, ‘ Geognosischesiber den Kreis Meschewsk im Gouvernement Kaluga», dans le But de ta Soe des naturales, Movcou, 187, ‘Rapport de Is Commission nommée par I Sosté de géowrapie pour "organisation d'une expditon dans es mers polires (en collaboration avec pluseurs savant rss w Lates Gries a cours du voyage aéologique de Kropothine en Fin= londe e& Subde dans kes Nowe dele Sovité de peographie, 1871 Kaldlog der barometrsch bestinmien Hoshen in Ossbirien, dans Geo raph Miteltungen, 1472, 4 Rapport sur Vexption 4 Olckminsk-Witim 4a Soc. de pographie rise, Il, 1673, dans les Mémoires de u \Orographie de la Sibéie », dans le méme pérodique, V, 1875 (2 ati) sad, Fangs, Brunles, Universite Nouvelle. 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Colaboraion&I'Encjolopoedia Bntannica pour It geographie de a Rus sie et articles de adographi dans Chambers Enevctopeedia ‘Collaboration a TEneclopétie Géographique de Seebohin, crits politiques, économiques, sclentiiques, historique et itérires ‘Pian ane organisation dele propagande révoltionnaire en Rass, St en 1873 ou 1874 sas, ned La Révoltion sera tell collective ? (Londtes, 1913, 8 pp.) Le Principe Anarchist (i, 1913, 8 pp) {ia Soence moderne et "Anarchie (i, 1913, Xl, 391 pp.) lve pride une dition anglaise moins Garge: Moderne Scioner and “Anarchs (Condsss, Freedom Pres, 1912, 112 pp.) et d'une edition rsse anterieure encore (Londres, 101, 64 pp.) dont Madern Science and Anarchism (Pil {phia, 1903, 94 pp.) est une traduction anglaise Colsboration inensve 4 Freedom (Londres, mensul, octobre 1886, interrompue en ectobre 1914), Les brochures anglaises son des raductions ‘aren versions des brochures Fangaiss, mals en parti aussi res dt ‘le Grits pour Freedom, comme: Socialism and Politics» (Londres, 193, 15 pp), « The Coming Revival of Socialism » (b., 1904, 24 pp.) Collaboration sunie 8 Lith « CMb i Voli » (Paine Liber, journal lanazchiste russe (Londres, 30. octobre 1906-8 jul 1907). Parscai Komouna (Londres, 197,32 pp) en es tre ‘A partir de 1880, sino avant. Keopotkine frit sur fn révolution ruse dans le Newcastle Daly Chronicle (ou son ition ebdomadai) fs Times, le Ninetoonh Conturs, dé 1908 & Voccasion dans The Specker, The ‘North American Review, The Forum, The Outlook {New York), The Terror in Russa (Londres, 21 juillet 1903, 75 pp.) ton Trang. La Terreur en Russie (Pais, VIL, 115 pp.) Memoirs af a Revolutions Londres, 1899, XIV, 288, 40 pp.) extras de Atlantic Monthy (New Vor), tad. trang. Auour dare vie (Pars, \Colaboration a ulti dele Fétarion jrasione de VIntermationale 1802, XXI, $36 pp) (LaChans de Fonds) Arbiter Zetia (anarchise, Bere), <2 1877-1878, Ades and Reales in Russian Literaure (Londres, 1905, XM, 341 pb) ea Rérolbion ‘Borat -olle. Collectiviste ? u BROCHURE Mi MENSUELLE erated, iy ss PRISONS | Fondation et collaboration jatensive au Révolté (22 {8 1879, Gondve + Paris, 1 avril 1885), sui de La Revolte (17 sept 187) et des Temps Now eet (4 a 1895). Brochures extrates du Révoleé “Le Pros de Solovieff (a vie Wun socialise russe, Geneve, 1879, 24 pp. {és onarchste porn de vue de a realisation prangue. Concsons Jes par Te comp. Levachotl.. 12 cco 1879 (Db. 4 pp. 4) “Aux jeunes gens (Geneve, 1881, 32 pp.) la brochure la plus répandue et ‘radi dans le pus grand nombre de langues. "La Verité sur les Executions en Ruse, suiie d'une Exquise bioeaphique sur Sophie Perovskai (i, 1881, 29 ‘Esprit de Revol (i, 181, 34 pp). La Lo et PAuiorté (ib, 1883, 31 Pp). (Ces atts et autres (ul plus tard et das autres langues fret éeale- sant pls en brochures) forment: Paroles d'un Révote prefce par El ee Recls (Clrens, 1% ct 1885), Paris, sa. [1885], X, 43 pp, 18° ‘Le Gowernementrésotatonnare a Commune dé Part (Paris, 1880). Declarations des Amarchises au proves de Lyon, 11 Javier 1883 (pblié 6.4, Londres, en 1883, en feuiles, Up. 40. L'Anarchie dans "Evolution sociaste (Pais, 1887, 31 pp.) ‘Les Proons (iD, 188, 59 pp). {In Risin and French Preons (Londres, 1887, 1, 387 pp.) ‘Le Saloriat Parts, 189, 3 pp) Deane cull artes : La Conquét cu Pin (Paris, 1892, 297 pp). ‘La Morale Anarchist (Pars, 1891, 16 Pp) L'Agrieuture i. 1893, 32 pp. On Site arene (1858, 52 pp). {La Grance Revolution .. 1883.38 5D), Les Temps Nouveaus (i. 189, 96 PP) TAnarchi, sa Philosophie, son Fat. 1895, 59 pp). Organisation dela Vind appeee Justice (Pais, 1901, 16 pp.) Communism et Anarchio (ib 193,18 Pp) Ett, son rte hictoriqu 1906, 46), &'sbord publi en anglais The State (Freedom Pamphlet I), Londres, 190, 42 pp. {La Guerre, POrdre, les Minors revotutionnaires (Pas, 1912), 2 ‘Anisis de théorc anarchist et ce qui s'yrttache, dans The Nineteenth century The Scenic Bass of Anarchy (ev. 1887); The Coming Anarchy aod 7), formant ba Brochure = Anarchist Communism * is bas and pine les (Freedom Pamphet, Londres, 1891, 35 Dp.) The Breakdown of our mdusrialssiem, The coming Reign af Plenty ‘The Indust lage ofthe ature, Brain Work and Manual Work, & The ‘Somall Industries of Brain (N.C. aril 18882 aot 1900); en te: Fea, Factores and Workshops (Londies, 1901, 1X, 250 pp.) tras fran. ‘Champs, Uses et Ares (Pars, XVI, 486 pp) texte revise augment action anarchist dans le revolution (Paris, 1914). ‘Mutual Aid, sei aries (N.C. sept. 1800 & juin 1896; en live ‘Mutua Aid (Londres, 904, XIX, 348 pp); trad. fang. ; L"Enraie, un ‘Facrear de Vevoluion (Pars, 1908, XVII, 390 9p) ‘Acesujetse ratachent: The Theory f Evolution and Mural Aid (Nine- teenth Century, javier 1910): The Direct Acton of Environment on Plants Calle 1910); The Response of the Animals to de Environment, et Inert ance of ecqired characters (mats 1912). ‘Su "Ethigue : The Ethical Needs of the Present Day (Ninicenth Cen- tur, aoit 1908) ; The Moraity of Natur (i. macs 1908) “hike (1922), publéen rangle en 1927 sous le ie ZEvhiqu. {La Grande Révoluson, 1788-173 (Paris, 1908, VIL 79 pp); la radue- sion taliene (Geneve, 911) conten de changements aux pages 534-538 e en pneral une patie des ions en ve, traduction, et, donne es texts vist, augments, etc. Traduction ruse rewe et augnetie, 1914, ‘Ace cen sur Panachisme (stir e és) dans Beveled Br ‘annie, suppésnen (Londres, vers 1912). Lydd eates Crests Rodi: che Gl icc ick ath «de Kropotkine san a participation ou ave un minimum de cell. Ce ui {st repoduit dans cet liste et produit avec son ade par un grand nombre Ale groupes, de journai et 'eeurs dont les prneipaun sont a uvanis, Cimprimere rassenne, Le Revol. (Geneve) + Les Temps Nowreaue (Pars): Freedom Group (Londres), groupe russe Chie i Vola revue Nine teonik Century, Liberté, Rabovehi air (Le Monde Ouvriet), etc, PV Stock deur, (Pars) et divers autres éiteus & Londiese & Paris Autour d’une vie Stare, sear nassarce 2 voscu - = TT — | rstion ois Gonraicions wonomigues te PI Pouston = e0a aollons en Eunge “se | tinged | ose = | est Te de Gog aS Vararos 3 nasi (Guede Cond 4055 Redacion dl vo ewe Ia Mo Nicuas 1 arora ABST Ente av Comps oes Pages a Pega ai su ation dy Seago BBD | Decauvere oe eure ce Herzen. Pare Kropotine deverd emstuonralste. I ale son promer und Glande 761 | ABottan as senage. Baton - - 2 wakaunte de Sse | Fin oes cues seconcares. Nonnaion comm efcar de soaques en | Mower nhiste nfs | 1863" Approwsonnement des cobries de pevslemert du tawe Amour [ irsurecton poonase Creation a AT Tab | Rel corner Souga. Oseower de PJ. roudon (Contad ‘re eeprmguss Es [aes - Moi oe Fl Prous 086 | pion unas meiagaun Vim —— Aeris cone le i 4067 | Pee Koptkine San ie Aexanre que Varmée- Pere srs 8 Funersié et pos Ses ude ob font OBB | scouverte oe le stucure grape ob Rs oe = 1070 ‘hare Ferceprseane sar | fapicion Forde = Tite commune oe Pars 172) Voyage on Suse conc aac TAL. Fae patie waar | Cons La Way S058 ene blooms A mani tstvoven anarhe : ABTS | Pubicaon oes cates ce Vaso arene ABTA | Acheson au acl cecuoonateTehakorsy tense avi Gar ase, Aretton. [7s Tissoin de TAIT, " [tet | on soci Pa ta lan Anger. Voyagasen Suse on Bag, Wrage ve So Tere akeunine, ‘Anat de Vere Zassoulich cone e var he rinse Treow. Paces ct ds «183 STEP cptine Sevier un dos arnateurs Ga labaionrabserne | Guar rssrulque ABB | Eston 6 onal Le Abn 981 | Exsin eSuse, Pubiaton Ge Ax ares gens Aeon par | Ara uN! corre Abana I oles targa nore [ee | Poces de on of enprsomanen 9 Cana I sae = Toca es seats on Face 1806] Arnie. salto dt on Anger, Claberation raed] Evenmerts de Hayat Natu eau Ties” Mort esate Alar ES Hur crates pura Freecom (102 ans en 19881 $408 | iasanco co sa ile Aosand 1 492] Puvlesion ob La const ov oa - ‘Vague Canis aaron 1698 7 Proc oes Tene 1895 ngs e Lore, Season dante e tr sau domes et Snr [tgs | Yourte oe contrences ane Bats Un = as 999 | poston 3 ques ds Bots S000 | Pappas sv congisararciste ae Pats ted arf pice 1901 Parton dune reo Les Tonpe Newieau en Chine 4902 | Tournde an faisuns_ Aubieson & Vena = = TONE] Ala Aes (.Kropotne et chs core mame fun uy show | Guar rss apneic aur pnu cider ae a cubabé¢ un eeu ple, ite ars sent sol-demaa) [0s rails oun ress 906 —| Puticsion de 1 at on ie tore ANT] Pvvicaion oe (a grande réatuton. | omar anarchist matona) @-Amsecam = $900 | Meeting pou Fanciso Fre, T = M10 Pubicsion ce Champs. usines er aie Crier 6 ONT. apap 7 = sat a Alvouton mexcae_Remiuion Gnas at 1914 Dicenenes a Prem quer mona 4 es A Maniesie oes Seize - Vropothine appule Apanse de Males Aye nailed Ge gomaraenear ater Fete, Dawe vation ruse, - | 1818 Rercoves avec Voine wt Naina sei $920 | Laver Leni = = Ase | decks & Omivv, en Tv. Crain as musts Kroptine& Mas | Inaurecn de Crrsad_ staan de @ WEP (rowole Ronen peavey) Na cu : 2 sance 6s sista on ale 422 Poison te UEiPaue : Feimelure eu muses Krpating "Le communism ibe wstacope comme tnalté au congrés Gea CWT 2 Sa ss (al vO SSD (ae) B Les chemins de l'engagement Pierre Kropotkine a lutméme décrit son itinéraite idéologique vers V'anarchie dans son autobiographie Autour d'une vie. On trouve dans trois cchapitres les étapes de cotta prise de conscience. Nous les avons reproduits succintement tout en conservant I'essentiel dans ce texte En Sibérie Ayant été élevé dans une famille de proprieiaires de serfs, jfentrai dans la vvie, comme tous les jeunes gens de ‘mon temps, avec une confiance trés arrétée dans la nécessité de comman- der, d’ordonner, de tracer et de punir. Mais lorsque, de tres bonne heure ailleurs, Jeus & diriger de sérieuses entreprises et que j'eus affaire aux hommes, lorsque toute faute aurait entrainé aprés elle de graves consé- quences, je commencai & apprécier la diffrence entre ce qu'on obtient par le commandement et Ia discipline et ce qu’on obtient par Pentente entre tous les intéressés. Le premier procédé réus- sit trés bien dans une parade militaire, mais il ne vaut rien dans la vie réelle, lorsque le but ne peut étre atteint que par effort sérieux d’un grand nombre de volontés convergentes. (...). ‘Entre dix-huit et vingt-cing ans j’eus 4 laborer importants projets de réforme, jeus affaire a des centaines d’hommes dans la région de I’Amour, je dus préparer et exécuter d’audacieu- ‘es expéditions avec des moyens ridicu- les ; et si toutes ces choses se terminé- rent aver succes, je l’attribue au seul fait que j'eus bient6t compris le peu importance du commandement et de la discipline dans une ceuvre sérieuse. Il faut partout des hommes d'initia- tive ; mais une fois l’impulsion don- née, on doit mener entreprise, surtout ‘en Russie, non pas militairement, mais, dune maniére communiste, par Ventente entre tous. Je voudrais que ‘tous ceux qui charpentent des plans organisation sociale pussent passer par I'école de la vie réelle avant de ‘commencer construire leurs utopies nous entendrions alors beaucoup moins souvent parler de ces projets pyramidaux d'organisation militaire de la sociét 4 i i i i Bien qu’alors je n’aie pas formulé ‘mes observations en termes empruntés aux luttes des partis, je puis dire aujourd’hui que je perdis en Sibérie ma foi en cette discipline d’Btat. J'éais ainsi tout préparé a devenir anarchiste (.... A Petrograd A Y'automne de 1871, comme je tra- vaillais en Finlande, avangant ‘lente- ‘ment & pied, dans la direction de la cbte, le long de la nouvelle voie ferrée, et cherchant attentivement ot appara traient les premieres traces indubi bles de l'ancienne mer post-glaciale, je regus un élégramme de la Société de Géographie : « Le Conseil vous prie daccepter la charge de secrétaire de la Société ». En meme temps, le secré- taire sortant me priait instamment d'accepter la proposition. Mes réves étaient réalisés. Mais depuis quelque temps d’autres pensées et d'autres désirs s'étaient emparés de mon esprit, Je réfléchis sérieusement & la réponse a faire, et je téléeraphiai « Remerciements les plus sincéres, ‘mais ne puis accepter. » (..). Mais, & cette époque, pendant mon voyage en Finlande, j’avais des loisirs Ge ‘Au milieu de mes travaux géologi ‘ques, certainement fort intéressants, je poursuivais une idée qui parlait plus fortement & mon cceur que la géologic, et qui obsédait mon esprit. Je voyais quelle somme immense de travail fournissait le paysan finlandais pour défricher le sol et briser les dures motes dargile, ct je me disais : « 'écrirai, je suppose, la géographie physique de cette partie de la Russie, et Findiquerai au paysan la meilleure maniére de cultiver ce sol. Ici, un exti pateur américain serait inappréciable ; a, certaines méthodes de fumure seraient indiquées par la science, Mais & quoi bon parler & ce paysan de machines américaines, quand il a a peine assez de pain pour végéter d’une moisson 4 l'autre, quand le fermage qu'il a a payer pour cette terre argi- leuse devient de plus en plus élevé a Paysans Russes. mesure qu'il réussit & améliorer le sol ? 1 ronge son biscuit de farine de seigle, dur comme pierre, qu’il cuit deux fois Van. Avec ce pain il mange un mor- eau de morue terriblement salée et boit du lait écrémé. Comment oserais- ie lui parler de machines américaines ‘quand tout ce qu'il peut produire, il Ie vend pour payer sa ferme et ses impots ? Ce dont il a besoin, c'est que ie vive avec lui, pour Maider’a devenir Te propriétaire ou le libre possesseur de cette terre, Alors il lira des livres avec profit, mais non maintenant. » (...) La science est une excellente chose. Je connaissais les joies qu'elle procure et je les appréciais peut-tire plus que ne le faisaient beaucoup de mes collé- gues. (..) Mais quel droit avais-je & ces nobles jouissances, lorsque, tout autour de ‘moi, je ne voyais que la misére, que la |utte pour un morceau de pain moisi Tout ce que je dépenserais pour pot voir m'attarder dans ce monde de dél cates émotions, serait infailliblement pris dans la bouche méme de ceux qui faisaient venir le blé et n’avaient pas assez de pain pour leurs enfants. Cela devait tre pris sur le nécessaire de quelgu’un, parce que la production totale de ’humanité est encore trop peu élevée, Le savoir est une puissance énorme. Il faut que l'homme sache. Mais nous savons déja_beaucoup de choses ! Qu'adviendrait-il si ces connaissances — et rien que ces connaissances deve- naient le bien commun de tous ? La science ne progresserait-elle pas alors par bonds, et l'humanité n’avancerait- elle pas a pas de géant dans le domaine de la production, de 'invention et dela création sociale, ‘avec une rapidité que Le Batage du bi chez les Tchowvachos de la Moyenne Volga. i | ! nous pouvons a peine imaginer aujourd'hui ? Les masses ont besoin dapprendre ; elles veulent apprendre ; elles peuvent apprendre. (...) Mais permettez-le leur, mais donnez-leur les moyens d’avoir des loi- sirs ! Voila la direction dans laquelle je dois agir, voila les hommes pour qui je dois travailler. Tous ces discours sono- res ol il est question de faire progres- ser I'humanité, tandis que les auteurs de ces progrés se tiennent & distance de ceux quills prétendent pousser en avant, toutes ces phrases sont de purs sophismes faits par des esprits désireux d’échapper une irritante contradic- tion. Et voila comment jtenvoyai a la Société de Géographie une réponse négative. (...) En Suisse De Neuchatel j'allais & Sonvillers Dans un vallon des monts du Jura se trouve une série de petites villes et de villages dont la population de langue frangaise s'occupait a cette époque exclusivement Phorlogerie : des famil- les entiéres travaillaient dans d’étroits ateliers. Dans Pun d’eux, je trouvais lun autre homme influent’ du parti, Adhémar Schwitzguébel, avec lequel je ‘me liai, par la suite, d'une étroite ami- tig. Il Gtait assis au milieu de jeunes ‘gens qui gravaient des boites de montre ‘en or et en argent. On m'invita & pren- dre place sur un banc ow une table et bient6t nous fiéimes tous engages dans tune conversation animée sur le socia- lisme, le gouvernement ou Ia suppres- sion de tout gouvernement et sur les ‘congrés en perspective. Lesoir, se déchaina une violente tem- péte de neige qui nous aveuglait et gla- ait le sang dans nos veines, tandis que nous nous rendions au prochain vil- lage. Mais malgré la tempéte, une cinquantaine d’horlogers, des’ gens 4gés pour la plupart, arrivérent des bourgs et des. villages voisins — quelques-uns éloignés de plus de dix kilometres, pour assister & une petite réunion extraordinaire qui avait &é fixée pour ce soir-a, L’organisation méme de l'industrie horlogére, qui permet aux hommes de se connaitre parfaitement l'un l'autre, et de travailler dans leurs propres mai sons, oii ils ont la liberté de parler, de cette population est plus élevé que celui des ouvriers qui passent toute leur vie, et cela dés T'enfance, dans les fabriques. Il y a plus d’indépendance et plus d'originalité chez les ouvriers des. petites industries. En outre, absence de distinctions entre chefs et membres dans la Fédération Juras- Tel do = Koptine» de Fernand Panche. ‘Adhemar Schwitzguebel sienne faisait aussi que chaque membre de la federation s’efforgait de se for- mer sur toutes les questions une opi nnion personnelle et indépendante. Je vis la que les ouvriers n’étaient pas une ‘masse menée par une minorité dont ils servaient les buts politiques ; leurs leaders étaient simplements des cama- rades plus entreprenants — des teurs plutst que des chefs. La netteté de vue, la rectitude de jugement, la faculé’ de résoudre des questions sociales complexes, que je constatais chez ces ouvriers, principalement chez ‘ceux qui étaient entre deux Ages, ficent sur moi une impression profonde ; et 4 suis fermement convaincu que si la Fédération Jurassienne a joué un réle sérieux dans le développement du socialisme, ce n'est pas seulement a cause de l'importance des idées anti- gouvernementales et fédéralistes dont elle était le champion, mais c'est aussi A cause de l’expression que le bon sens des horlogers du Jura avait donne & ces, idées. Sans eux, ces conceptions seraient restées longtemps encore & état de simples abstractions, L'exposé théorique de I'anarchie tel qu'il était présenté alors par la Fédéra- tion Jurassienne, et surtout par Bakou- nine ; la critique du socialisme d’Etat — la crainte d'un despotisme écono- migue, beaucoup plus dangereux que le simple despotisme politique — que jfentendis formuler la, et le caractére révolutionnaire de agitation, sollici- taient fortement mon attention. Mais les principes égalitaires que je rencon- trais dans les montages du Jura, l'indé- pendance de pensée et de langage que Je voyais se développer chez les ‘ouvriers, et leur dévouement absolu & la cause du parti, tout cela exereait sur ‘mes sentiments une influence de plus en plus forte ; et quand je quittai ces ‘montagnes, apres un séjour de quel- {ques jours au milieu des horlogers, mes opinions sur le socialisme étaient fixées. J*étais anarchist. (...) Pierre Kropot 1s 1789-1793 La Grande révolution On a peine & évaluer lappor de Kropotkine la connaissance de la Grande Révolution. Comment un spé- cialiste de sciences naturelles et de gé0- saphie, militant politique par ailleurs, et russe de sureroit aurait trouvé Ie temps et la capacitéd’éxudier la princi pale révolution frangaise ? Pourtant les faits sont Ii, La Grande Révolution est un ouvrage essentiel, salué a sa sor- tic en 1909 et qui reste langement vala- ble. Kropotkine était déja reconnu pour ses travaux lors du centenaire de la Révolution frangaise et des historiens officels, comme Avlard, ne man- ‘quaient pas de lui rendre hommage tour comme & James Guillaume (auteur du livre Etudes révotutionnai- res, plus €vénementil) Sans sattarder Tod de «Hele mand des sciahres ‘James Guillaume en 1900. sur la correspondance, on peut se faire une idée du travail minutieux de Kro- potkine par la lecture de ses brochures, Dans L esprit de révolte, paru en 1881, il écrit par exemple « Quant aux ins- surrections qui précédérent la révolu- tion et se succédérent pendant la pre- imiere année, le peu que j'ai pu en dire dans cet espace resireint est le résultat d'un travail d’ensemble que j'avais poursuivi en 1877 et 1878 au British Museum et d la Bibliotheque natio- 16 nate, travail que je n'ai pas encore ter ‘miné, et ou je me proposais d’exposer les origines dela révolution et d’autres ‘mouvements en Europe »().. Kropot- kine donne fréquemment des biblio- graphics sur la Révolution mais con- sellle d’aller aux sources. «Ml n'y a qu'un moyen, celui de s’adresser aux archives ou, ‘malgré extermination des papiers féodaux, ordonnde par la Convention, on finira certainement par trouver des faits tres importants »(), Dis le début, Kropotkine se place parmi « ceux qui cherchent les fats et non les conclusions formulées d’avance »@), En 1893 parait une bro: chure de 39 pages, La Grande Révolu- tin qui est une ébauche du futur live. Celui-ci est publié en 1909 chez Stock (749 pages). Notons que Kropotkine ne cessera de parsemer ses essais théo- riques de réflexions sur 1789 comme dans Laction anarchiste dans la rév0- ution et ne considérera jamais son tra vail achevé. Au soir de sa vie, en 1918, il écrit encore de Russie : «J'ai les yeux trés fatigués par la correction des epreuves de Mémoires un révolu- tionnaire ef de La Grande Revolu- tion ». Le résultat est a la hauteur de la tiche, le livre a été salue par les révolu- tionnaires les plus divers. Aujourd”hui ‘encore, il est tout a fait solide sur le plan scientifique, dans les limites ot T'Histoire peut étre une science. Nous n'avons pas ['intention de faire ici la paraphrase de La Grande Révolution, ‘ou méme de le résumer. Il nous semble plus intéressant de tenter den dégager les grands axes de réflexion et de les comparer avec les recherches plus récentes sur la Révolution. Les raisons de Pintérét de Kropot- we sont évidentes : le mouvement ouvrier de la seconde moitié du XIXt siécle est encore imprégné par le souvenir de 1789 (et de 1793). Que ’on songe, par exemple, aux multiples réfé- rences que fait la Commune de 1871 (out en affichant aussi des idées plus novatrices). Kropotkine n’hésite pas & (1) Legon de révote.n Paroles fun rbvoté, Pars. Pemmaron, 1978, p: 208 (2) Paroles Fun vo, op. ck, p. 210 ox tind, souligner les protongements de 1789 dans la Premiere Internationale : « ILy affiliation direcie depuis les Enrages de 1753 et le Babeuf de 1795 jusqu'a Vinternationale Le théoricien anarchiste va plus loin. Sila Révolution francaise n'a pas vra- ment aiteint le radicalisme souhaité, dans la pratique ele s'est rapprochée & certains moments de nos idées. « On Voit que les principes anarchistes quexprima quelques années plus tard Godwin, en Angleterre, datent deja de 1789, et qu'ils ont leur origine, non dans des spéculations théoriques, mais dans les faits de la Grande Révolu- tion »(, Cette tendance a annexer des Evénements qui ont eu lew avant la naissance du mouvement anarchiste (9 se retrouve chez Jean Grave ou Prou- dhon. On peut la discuter car ne risque-ton pas ainsi de manquer de recul et de ne pas tenir compte du con- texte de I'époque ? L'historien moder- niste F. Furet ne manque pas d’expé- dier Kroporkine en une simple note de L'Action Anarchiste ‘Brochure de Kropotkine. {8).La Grande Révoluton, Paris, Stock, 1909, prs (@) La Grande Revolution, op. ci. p. 298. (6) Gowin,& supposer aul sole wal fonda {eur de Tanarchisme comme le pense Kropot- kine, ert en Angleterre en 1799 et rest qu un précursour. bas de page : « La référence “mater- nelle” est courante au XIX* siécle, on 1a trouve notamment chez Michelet et Kropotkine »(9,, Sans s'attarder sur ce ‘que cette place donnée a Kropotkine a de condescendant, il faut combattre ce genre d'argument. Contrairement a toute une tradition républicaine chez les historiens qui considérent la Révo- lution comme un « bloc » (le mot est de Clemenceau), Kropotkine ne traite [pas ccux qui critiquent 1789 0u 1793 de parti-pris anti-national ou de contre révolutionnaires. Bien au contraire, il ne cesse de critiquer les horreurs de la dictature jacobine tout comme la poli- tique des notables. Ainsi, & propos de la Vendée qui semble étre aujourd’hui la panacée de la polémique historique, Kropotkine écrivait deja en 1914! « Les jacobins... donnaient le coup de grace ‘a la possession communale du Sol, ils faisaient des lois draconiennes contre ies Vendéens par millers phutdt que de se donner la peine de compren- dre leurs instiwutions populaires». Kropotkine ne cherche pas non plus trancher entre Danton et Robespierre ow tout autre tribun, il préfére une analyse en profondeur. Son but, il Trexplique tréselairement : « L’histoire parlementaire de la Révolution, ses ‘guerres, sa politique et sa diplomatie ont é1é étudiées ef raconiées dans tous les détails. Mais histoire populare de 1a Révolution reste encore a faire. Le role du peuple des campagnes et des villes dans ce mouvement n'a jamais &té raconté ni étudié dans son (© Penser la Révoluton tancaise, Paris, Gall- ‘mord. 1908, 9.118, ()L'aaton ‘erareniste dans a révotston, in auras, Pars, Maspéro, 1976, p. 273, entier »(@, L’intention de Kropotkine est de faire progresser la connaissance historique, dans une perspective révo- lutionnaire. I souligne le rle trop négligé & son avis de la paysanneric, Pendant la Revolution anglaise, les paysans n’eurent pas l'audace de leurs succes- seurs frangais. C’est pourquoi Angle- terre se limita & admettre les libertés individuelles, tout en réduisant les pay- sans & la misére par le consensus é0- nomique entre noblesse et bourgeoisie. Ten alla tout autrement en France «Le soulévement des paysans pour abolition des droits féodaux et la reprise des terres communales, enle- vées aucx communes vilageoises depuis Je XVIII siécle par les seigneurs lai ques et ecclésiastiques, c'est Pessence méme, c'est le fond de la Grande Revolution, La-dessus vient se greffer 4a lutte de la bourgeoisie pour ses droits politiques. Sans cela, la révolu- tion nett jamais ew la profondeur qu'elle ateignit en France »®) Un processus de grignotement des terres communales (c'est-dire possé- dées par la communauté) avait com- mencé sous la monarchie, soit par endetiement des communautés, soit par expropriation. La révolution bour- ge0ise voulut leur donner le coup de arice. Le I aott 1791, Assemblée autorisa la mise en vente de ces terres qui furent souvent raflées par les nota- bies mais cela entraina des luttes, celle des paysans pauvres contre les riches et ‘meme celle de villages contre les ache- teurs venus des villes. Certaines études sont venues confirmer la thése de Kro- potkine. Nous nous permettons de pré ciser que ce mécontentement social 2 certainement joué dans le développe- ment de la contre-révolution chouanne cou auvergnate dirigée contre les vlles. Si les paysans luttérent pour défendre leurs solidarités, ils contribuérent aussi & détruire les “droits féodaux. Car, comme le montre Panalyse des Cahiers de doléances, la noblesse était préte a sacrifier ses privileges de rang devenus archafques mais pas ceux touchant & la terre(!0. Il fallut Virruption des pay- sans dans le curs révolutionnaire. Cet aspect a été longtemps négligé par les historiens pour qui le combat rural ne ouvait étre que « dépassé », non ins- crit dans le « sens de l'histoire ». Il est vrai que I'ostracisme que subit Kropot- eau XX* sidele chez les universta res — ses contemporains étaient plus ouverts — a contribué a ce retard. On attribue, par exemple, la découverte de (@) La Grande Révoluton, op. ct, p.§. (9). Grance Révoluton, op. cp. 124 {10} Lhistoren mocemiste G. Chaussinand Nogaret est cblgo de le reconnaive dans Le ‘noblesse au XVI seco, Bruxales, Compiexe, 1884, p. 225, malyé son exhalation du Con- ensue S008 la «voie _paysanne » au marxiste Georges Lefebvre entre 1924 et 1933 (On connait le théme essentiel de Feewvre de G. Lefebre en matitre histoire agraire : existence, dans le ‘cadre de la Revolution francaise, d'une révolution paysanne autonome par ses Origines et ses procédés, par ses crises et ses résultats»), alors que Kropotkine ne disait pas autre chose ddes années auparavant ! Sans se faire des défenseurs achamés du droit d'auteur, il serait bon que le penseur anarchist retroue lt place qui ui est Test certain que le r6le des commu- nautés villageoises doit étre nuance selon les régions. Kropotkine, lui- méme, ne fait pas de généralisation « Tout cela, bien entendu, avec l’inft- nie variété des situations dans les diver- ses parties de la France », Le prolon- sgement de la recherche de Kropotkine serait d’établir une géographie com- pléte des situations paysannes dans la révolution, Dans les villes, il y eut également un mouvement populaire moins radical peut-tre, selon Kropotkine, mais qui s'est incarné dans la « révolution com- munaliste ». Evidemment il ne faut pas généraliser, Kropotkine cite sur- tout Paris et Pest de la France. Le 13 juillet, Paris s*éiait donné sa com- smiuine. Les assemblées locales d’élec- teurs prirent Vinitiative de s’organiser sans attendre une loi municipale de la Convention. Les districts, complétés ppar les sections, se mirent'& gérer une partie de la ville. « Les districts devaient disparaitre. Mais ils restérent et s‘organiserent ewx-mémes, de leur ropre initiative, comme organes per- pale, en s‘appropriant diverses fone- tions et attributions qui appartenaient ‘auparavant @ la police, ou a la justice, ou bien encore a différents ministéres de VAncien Régime »(12), Crest_ ainsi que la Commune nommait les juges, répartissait l'impot. Ce fut elle ’ame du 10 aoat_ 1792 qui renversa la monarchie. Cependant, il faut nuancer analyse un peu optimiste de Kropot- kkine qui fait de la Commune « le vrai Soyer et la vraie force de la révolution, (11), Soboul, Gamprendre la Révolution, Paris, Maspéro, 1981 5.310. (12)La Grande Aévotsion, op. ct, 9.234 7

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