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BASES BIOMÉCANIQUES
DE LA RÉÉDUCATION DES TENDINOPATHIES
DE LA COIFFE DES ROTATEURS
Thierry MARC1, Thierry GAUDIN2, Jacques TEISSIER3
RÉSUMÉ SUMMARY

La prise en charge kinésithérapique des tendinopa- Physiotherapy of tendinopathies of the rotator cuff
thies de la coiffe des rotateurs repose actuelle- is currently based on precise pathomechanical and


ment sur des connaissances pathomécaniques et biomechanical knowledge.
La base du programme biomécaniques précises. In addition to the classic principles, the authors
de rééducation musculaire En plus des principes classiques, nous préconisons recommend the following specific principles :
les principes spécifiques suivants : - isometric muscular work ;
est le renforcement – un travail musculaire isométrique ; - reinforcement of the lateral rotators ;
– un renforcement des rotateurs latéraux ; - stretching of the medial rotators ;
des rotateurs latéraux. – un étirement des rotateurs médiaux ; - early stretching of the posterior capsule.
Les rotateurs médiaux – un étirement précoce de la capsule postérieure. Moreover, the combined hand-back movement will
doivent, au contraire, Par ailleurs, le mouvement combiné main-dos sera be avoided in order to avoid stretching the rotator
évité pour ne pas distendre l’intervalle des rotateurs. interval.
être étirés

” MOTS CLÉS
Biomécanique - Capsule articulaire - Coiffe des rotateurs - Tendinopathie
KEYWORDS
Biomechanics - Articular capsule - Rotator cuff - Tendinopathy
A coiffe des rotateurs est un ensemble rents tendons. Cette disposition originale per-
L fonctionnel de 4 muscles insérés sur la sca- met la transmission des tensions aux tendons
pula. Leurs tendons se rejoignent pour former adjacents lors de la contraction d’un muscle.
une nappe tendineuse qui s’insère sur les
D’un point de vue microscopique, ces auteurs
tubercules huméraux. Le sub-scapulaire parti-
décrivent une structure à cinq couches à l’ap-
cipe à la rotation médiale, le supra-épineux
proche de l’insertion sur le tubercule majeur. La
participe à l’abduction et l’infra-épineux et le
couche superficielle est constituée par les fibres
petit rond sont les seuls rotateurs latéraux.
superficielles du ligament coraco-huméral.
Cette fonction motrice bien connue et large-
La deuxième couche est constituée par de
ment enseignée n’est pas la plus importante
large faisceaux de fibres parallèles allant des
car, en cas de non-fonction d’un muscle, des
corps musculaires du supra-épineux et de l’in-
suppléances sont possibles.
fra épineux jusqu’au site d’insertion.
En fait, la fonction fondamentale de la coiffe La couche sous-jacente (troisième couche) est
est de stabiliser et de centrer la tête humérale aussi épaisse que la précédente mais ses fais-
sur la glène. Cette fonction est rendue possible ceaux sont plus petits et d’orientation moins
par une structure anatomique particulière. uniforme que la précédente.
La quatrième couche est beaucoup moins
épaisse. Le tissu de soutien est constitué d’é-
STRUCTURE ANATOMIQUE
paisses bandes de collagène orientées perpen-
DE LA COIFFE
1
Kinésithérapeute cadre de Santé
diculairement à l’axe des tendons de la coiffe.
Président de la SFRE Les tendons de la coiffe des rotateurs présen- Cette couche contient également des couches
Centre de rééducation de la main tent la particularité de constituer une nappe profondes du ligament coraco-huméral.
et du membre supérieur
Centre de rééducation Orthosport tendineuse commune qui va s’insérer sur les Enfin, la cinquième couche est en fait consti-
2 tuée de la capsule qui s’étend de la glène à
Médecin du sport tubercules huméraux. Clark et Harryman [1] ont
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Chirurgien orthopédique observé un échange de fibres entre les diffé- l’humérus.
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BASES BIOMÉCANIQUES DE LA RÉÉDUCATION DES TENDINOPATHIES DE LA COIFFE DES ROTATEURS

BIOMÉCANIQUE
DU TENDON SUPRA-ÉPINEUX
Les propriétés mécaniques des différentes zones (anté-
rieure, moyenne et supérieure) du supra-épineux ont été
étudiées par Itoï [4]. La partie antérieure est la plus résis-
tante et le module d’élasticité varie du simple au triple.

Il existe également des variations importantes de ce


module entre les couches superficielles et articulaires des
tendons. Lors des mouvements, en particulier de rotation
(fig. 1), il se produit des forces de cisaillement entre les
zones d’élasticité différentes. Ces frictions entre les diffé-
rents faisceaux et couches de la coiffe sont vraisembla-
blement un des facteurs participant à la genèse des rup-
tures intra-tendineuses. Lors des exercices visant à
renforcer l’infra-épineux, il faudra privilégier le travail iso-
métrique de façon à minimiser ces forces de frottement.
© D.R.

▲ Figure 1 DYNAMIQUE
Force de cisaillement (flèche noire) apparaissant au sein du tendon, DE L’ARTICULATION GLÉNO-HUMÉRALE
en particulier lors des mouvements de rotation
Lors d’une rotation médiale, la partie antéro-supérieure se déplace en dedans, La stabilité de l’articulation gléno-humérale n’est pas
alors que la partie postéro-supérieure se déplace en dehors, créant ainsi une force assurée par les surfaces articulaires mais par les muscles
de cisaillement
de la coiffe, qui en plus de leur rôle moteur, vont devoir
assurer un rôle de stabilisateur.
Gohlke et collaborateurs [2] ont détaillé l’orientation des
Pour bien comprendre l’équilibre dynamique gléno-humé-
fibres de la couche capsulaire et de la zone d’insertion.
ral, il faut répartir les muscles en deux groupes : les coap-
Les fibres se croisent avec un angle de 45° permettant de
tateurs et les muscles générant des forces de translation.
transmettre les forces générées par un muscle aux autres
Les muscles coaptateurs sont ceux de la coiffe des rota-
tendons de la coiffe.
teurs (sub-scapulaire, supra-épineux, infra-épineux et
Cette structure complexe (en cinq couches) dont les prin- petit rond). Le deuxième groupe comprend la longue por-
cipaux faisceaux sont orientés selon la direction des fibres tion du triceps, la courte portion du biceps, le coraco-bra-
musculaires, mais où d’autres faisceaux ou couches sont chial, le deltoïde, et le grand pectoral.
orientés à 45 et 90° permet d’expliquer les mécanismes
La coiffe des rotateurs s’oppose aux forces de translation
de compensation observés lors de certaines ruptures.
ascensionnelles générées par le deuxième groupe de
Une zone de fragilité existe à la jonction du sub-scapulaire deux façons :
et du supra-épineux : c’est l’intervalle des rotateurs. Le – la première en augmentant la compression de la tête
mouvement d’extension associé à la rotation médiale dis- humérale dans la concavité glénoïdienne ;
tend de façon considérable cette zone [3]. Ce mouvement – la deuxième en activant préférentiellement l’infra-
devra donc être proscrit en rééducation et évité lors des épineux, le petit rond et le sub-scapulaire dont les fais-
activités de la vie quotidienne pendant la phase de réédu- ceaux inférieurs exercent une force verticale descen-
cation. dante capable de contrer les forces ascensionnelles. Ces
muscles sont appelés par les anglo-saxons “Head
L’étude des propriétés mécaniques du tendon du supra-
depressors” (dépresseurs de la tête).
épineux permet d’apporter un éclairage à la genèse de
certaines ruptures.
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– Sharkey et Marder [5] ont montré que l’action de la


coiffe permet de diminuer le recrutement du deltoïde de
26 à 36 %. De plus, la contraction de la coiffe dès le
début du mouvement s’oppose aux forces de translation
supérieure égales à 42 % du poids du corps [6]. Ces for-

© D.R.
ces de translation provoquent la compression des ten-
dons sous la voûte acromio-coracoïdienne.
– Wuelker [7] à étudié les pressions dans l’espace sous- Figure 2 ▲
Excentration antéro-supérieure de la tête humérale ▲
acromial en fonction des actions musculaires. Lors de provoquée par un manque d’extensibilité ▲
l’élévation du bras, l’absence de contraction du sub-sca- de la capsule postéro-inférieure ▲
pulaire, infra-épineux et petit rond (coiffe basse)
entraîne une augmentation de 61 % de la pression sous-
acromiale. La contraction du supra-épineux n’entraîne médiaux (sub-scapulaire, grand rond, grand dorsal et
pas de variation significative. La contraction du deltoïde, grand pectoral) face aux rotateurs latéraux (infra-épineux
par contre, entraîne une augmentation de 35 % de la et petit rond). Dès le début de la rééducation des tendino-
pression. Les auteurs concluent à l’importance du rôle pathies, il faut s’attacher à lutter contre ce déséquilibre en
de la coiffe basse pour s’opposer à la force d’impinge- renforçant les rotateurs latéraux.
ment du deltoïde. Ce travail confirme le concept de Saha
émis dès 1971 [8]. RÔLE DE LA CAPSULE ARTICULAIRE
– Il est intéressant de noter dans l’étude de Wuelker [7] GLÉNO-HUMÉRALE
qu’une acromioplastie ne modifie pas les pressions
enregistrées. La voûte acromiale joue un rôle important. La capsule articulaire assure un double rôle dans la
Un contact bien réparti (effet tampon) entre la coiffe et pathologie de la coiffe des rotateurs. Sa première fonction
l’acromion participe à la stabilisation de la tête humé- est informationnelle. En effet, de par sa richesse en cap-
rale sur un plan purement mécanique, mais surtout d’un teur, elle participe à l’organisation proprioceptive (sens
point de vue informationnel. Les récepteurs contenus kinesthésique et positionnel). L’arc réflexe qu’elle établit
dans la bourse participent à l’organisation motrice de la avec les muscles périarticulaires [9] participe à l’organisa-
gléno-humérale. tion motrice et semble être également responsable des
– L’importance de l’intégrité de la voûte et de la bourse contractures périarticulaires dont se plaignent les
est démontrée par l’impotence fonctionnelle que l’on patients dans le cas de dysfonctionnements.
peut observer dans les premières semaines qui suivent
Sa deuxième fonction est purement mécanique. De par
une acromioplastie avec résection du ligament acromio-
une laxité homogènement répartie, elle va permettre un
coracoïdien-bursectomie. Alors qu’aucun muscle ni ten-
mouvement gléno-huméral satisfaisant. Par contre, dans
don n’est touché, le patient ne peut mobiliser normale-
le cas d’une rétraction d’une zone (en général partie pos-
ment son membre supérieur alors que la coiffe a été
térieure), la capsule va provoquer un décentrage du côté
décomprimée ! Il s’agit d’une véritable désorganisation
opposé (antéro-supérieur) (fig. 2), comme l’a montré
motrice par perturbation des influx afférents.
Harryman [10].
– Un des buts de la rééducation sera de reprogrammer les
muscles infra-épineux et sub-scapulaire, et de ne pas La fonction informationnelle de la coiffe permet d’expliquer
laisser s’installer une prédominance du deltoïde qui en la disparition des contractures quasi instantanément après
provoquant une ascension de la tête humérale, provo- utilisation des techniques de correction des décentrages
querait une compression des structures sous-acromiales articulaires (spin et antéro-supérieur). En ce qui concerne la
(coiffe et bourse). fonction mécanique, il faut étirer le plan postérieur de l’ar-
ticulation, dès que le centrage de l’articulation dans le plan
L’étude de l’équilibre musculaire dans le plan horizontal,
horizontal le permet. C’est-à-dire lorsque le centre de rota-
met en évidence une nette prépondérance des rotateurs
tion n’est plus sur le labrum. Le critère est d’avoir obtenu
une adduction horizontale gléno-humérale d’environ 110°.
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BASES BIOMÉCANIQUES DE LA RÉÉDUCATION DES TENDINOPATHIES DE LA COIFFE DES ROTATEURS

DYNAMIQUE DE L’ARTICULATION
SCAPULO-THORACIQUE

Les mouvements de l’articulation scapulo-thoracique et le


rythme scapulo-huméral sont systématiquement pertur-
bés chez les patients présentant une tendinopathie de la
coiffe.

La bascule postérieure est limitée [11]. Deux facteurs peu-


vent en être responsables : une raideur acromio-clavicu-
laire ou un déficit d’extensibilité du petit pectoral.

Sur un plan dynamique, Cools [12] a retrouvé un déficit de


recrutement du trapèze inférieur. Ce déficit de bascule
postérieure provoque lors de l’élévation une augmenta-
tion plus précoce de la pression sous-acromiale. Il est
© D.R.

essentiel de contrôler ces différents éléments en rééduca-


▲ Figure 3 tion : déblocage de l’articulation acromio-claviculaire, éti-
Rythme scapulo-huméral normal (appelé mode balistique par Gagey) rement du petit pectoral et reprogrammation du trapèze
utilisé lors d’une élévation sans charge sur une épaule saine inférieur.

Il faut ensuite décider si on va utiliser un rythme scapulo-


huméral normal (mode balistique de Gagey [13] (fig.3) ou
un rythme inversé (mode dynamique) (fig. 4). Lors de l’uti-
lisation du rythme normal, le trapèze et le dentelé anté-
rieur travaillent en concentrique, alors que le petit pecto-
ral, l’élévateur de la scapula et les rhomboïdes sont
allongés.

Dans le cas du mode dynamique ou rythme inversé (bas-


cule médiale de la scapula dans un premier temps, suivi
d’une bascule latérale) le petit pectoral, l’élévateur de la
scapula et les rhomboïdes travaillent en concentrique lors
de la première phase alors que le trapèze et le dentelé
antérieur sont étirés. Lors de la deuxième phase, le schéma
du mode balistique est reproduit.
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La réalisation satisfaisante de ces deux rythmes dépend


▲ Figure 4 bien évidemment du bon fonctionnement gléno-huméral
Rythme scapulo-huméral inversé (basculae médiale de la scapula
et acromio-claviculaire. La bonne compréhension de ces
dans un premier temps, suivi d’une bascule latérale), appelé mode dynamique
par Gagey deux rythmes doit permettre de faire travailler les “bons
Ce rythme est utilisé souvent spontanément par les patients présentant muscles”, les mono-articulaires de la scapula qui assu-
une pathologie de la coiffe rent les mouvements de sonnette médiale et latérale. En
aucun cas, les muscles abaisseurs (grand pectoral, grand
rond et grand dorsal) ne sont travaillés. Ils doivent, au
contraire, être bien relâchés pour permettre l’ouverture de
l’angle scapulo-huméral qui se produit lors de l’abduc-
tion, quel que soit le rythme utilisé.

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CONCLUSION
Bibliographie
La rééducation des tendinopathies de la coiffe des rota- 1. Clarck JM, Harryman DT II. Tendons, ligaments and capsule of the rotator cuff. J
Bone Joint Surg 1992;74A:713-25.
teurs repose aujourd’hui sur des bases biomécaniques 2. Gohlke F, Essigkrug B, Schmitz F. The pattern of te collagen fiber bundels of the
capsule of the glenohumeral joint. J Shoulder Elbow Surg 1994;3:111-28.
bien établies. Les exercices de rééducation doivent privi- 3. Cole BJ, Rodeo SA, O’Brien SJ, Altchek D, Lee D, Dicarlo EF, Potter H. The anatomy
and histology of the rotator interval capsule of the shoulder. Clin Orthop Rel Res
légier le travail isométrique de façon à protéger les struc- 2001;390:129-37.
tures tendineuses. Le mouvement combiné main-dos doit 4. Itoi E, Berglund Lj, Grabowski JJ et al. Tensile properties of the supraspinatus ten-
don. J Orthop Res 1995;13:578-84.
être proscrit pour ne pas distendre l’intervalle des rota- 5. Sharkey NA, Marder RA. The rotator cuff opposes superior translation of the hume-
ral head. Am J Sports Med 1995;23;n°3:270-5.
teurs. Par contre, la capsule postérieure doit être étirée 6. Itoi E, Hsu H, An K. Biomechanical investigation of the glenohumeral joint. J
Shoulder Elbow Surg 1996;5:407-24.
dès que cela est possible. 7. Wuelker N, Roetman B, Roessing S. Coracoacromial pressure recordings in a cada-
veric model. J Shoulder Elbow Surg 1995;4:462-7.
8. Saha AK. Dynamic stability of the gleno humeral joint. Acta Orthop Scand 1971;42:
La base du programme de rééducation musculaire est le 491-505.
9. Guanche C, Knatt T, Solomonow M, Baratta R. The Synergistic action of the capsule
renforcement des rotateurs latéraux. Les rotateurs médiaux and the shoulder muscles. Am J Sports Med 1995;23;n°3:301-6.
doivent, au contraire, être étirés. Lorsque l’on rééduque le 10. Harryman DT, Sidles JA, Clarck JM et al. Translation of the humeral head on the gle-
noid with passive gleno-humeral motion. J Bone Joint Surg (Am) 1990;72A:1334-43.
rythme scapulo-thoracique, il faut travailler sur les muscles 11. Cole A, McClure P, Pratt N. Scapular kinematics during arm evolution in healthy
subjects and patients with shoulder impingement syndrome. J Orthop Sports Phys
mono-articulaires et ne pas parasiter le mouvement par la Ther 1996;23:68.
12. Cools AM, Witvrouv EE, Declercq GA, Danneels LA, Cambier DC. Scapular muscle
mise en jeu des abaisseurs polyarticulaires. ■ recruiment patterns: trapezius muscle latency with and without impingement
symptoms. Am J Sports Med 2003;31:542-9.
13. Gagey O, Bonfait H, Gillot C, Mazas F. Anatomie fonctionnelle et mécanique de l’é-
lévation du bras. In: Revue de Chirurgie Orthopédique. Paris : Masson, 1988 : 74:
209-17.

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