Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Paludisme: Du Passé Militaro-Sanitaire À La Plus Fébrile Actualité
Paludisme: Du Passé Militaro-Sanitaire À La Plus Fébrile Actualité
seront incontestablement les premiers à intégrer la donnée "fièvre des marais", alors très
meurtrière à leur encontre, dans leur stratégie de "conquêtes résiduelles", à une époque où il
s’agissait alors de "nettoyer" les poches de résistance résiduelle, de la part des populations
indigènes, dans des régions forestières et/ou marécageuses difficilement accessibles.
Comment ? En détournant à des fins militaires la cinchonine, ou poudre des Jésuites, extraits
d’écorces de quinquina. Dont on obtiendra plus tard (1820) la quinine, principe actif. Dont
l’armée française fera un usage massif et intensif - il s’agit de son usage inaugural à cette fin -
durant la Campagne d’Algérie (1830). Pour le reste, c’est encore et toujours dans une Algérie
désormais "française", plus précisément dans un hôpital... militaire de Constantine, qu’un
médecin... militaire, Alphonse Laveran, découvrira en 1880 l’agent causal du paludisme, le
plasmodium, chez un... militaire français. Dans le sillage d’Alphonse Laveran, c’est un autre
médecin militaire (décidément...), l’américain William Welch, qui va "démasquer" en 1897
l’espèce plasmodiale la plus meurtrière, le falciparum, connu pour causer de sérieux dégâts en
Afrique sub-saharienne et en Asie du sud-est. Histoire de clôturer le XIXe siècle en beauté,
pour ne pas dire en apothéose, c’est un autre médecin militaire, britannique cette fois-ci,
Ronald Ross, alors au service de l’Armée Britannique des Indes, qui mettra en évidence le
plasmodium, non plus chez l’homme, mais chez le moustique, plus précisément en isolant des
parasites dans l’estomac de l’anophèle femelle...
Sur le front de la lutte contre le paludisme, le XXe siècle ne sera pas en reste, et loin
s’en faut. Car dès 1922, dans un hôpital militaire américain en territoire américain, sera isolée
la dernière des quatre espèces plasmodiales connues et reconnues comme étant pathogènes.
Cette espèce a un nom, plasmodium ovale, et on l’isolera chez un... militaire américain, de
retour au bercail, de retour des Philippines. Où il était peu de temps avant en poste dans une
base militaire américaine, comme il se doit. Mais aussi où, surtout, il avait contracté une
fièvre dont on avait toutes les peines du monde à identifier la cause. Ce qui sera chose faite
par John Stephens, en 1922.
Enfin, les derniers à avoir affiné leur stratégie de guerre sont les GIs américains :
c’était durant la Guerre du Vietnam, dans les années 1960-1970. Alors empêtrés dans la
chloroquinorésistance (résistance du plasmodium à la chloroquine) en plus de se heurter à la
farouche résistance des communistes nord-vietnamiens, l’armée américaine sera la première
armée de l’histoire à financer directement la recherche, notamment thérapeutique, contre le
paludisme. La tâche, "ultra-urgente", en sera confiée au WRAIR, autrement le Walter Reed
Army Institute of Research, qui réalisera la prouesse de synthétiser la mefloquine fin 1974, à
peine quelques mois avant la retentissante chute de Saïgon, le 30 avril 1975. On notera par
ailleurs que le même WRAIR, mais cette fois-ci à distance de la Guerre du Vietnam,
synthétisera l’halofantrine, autre antipaludéen, dix ans après la mefloquine.
En somme, la lutte contre le paludisme s’est toujours inscrite dans une perspective sécuritaire
3
au sens global du terme. Mais selon les époques et les enjeux du moment, la dimension
militaire a souvent prévalu sur la dimension sanitaire. Avant que, de nos jours, l’approche
médicale tende, à son tour, à éclipser la problématique environnementale indissociablement
liée à la maladie...
D’entrée de jeu, et c’est ce qui en fait le principal enjeu, le paludisme se révèle être,
bien plus qu’une simple maladie, un entrecroisement de problèmes et une convergence
d’effets qui, cumulés, culminent en méfaits lourdement dommageables à des millions
d’hommes, de femmes et d’enfants dans le monde. Ne serait-ce que de ce point de vue, le
"palu" est avant tout un défi sanitaire et sécuritaire. Ce par quoi il se révèle être une double
menace démographique et économique. En quoi la maladie ne devient rien d’autre qu’un
enjeu de développement durable et équitable, sur fond d’instabilité et d’insécurité
environnementales. Ce qui fait de la précarité qui en résulte, au minimum une préoccupation,
au mieux une priorité - osons dire - politiques...
A bien des égards, et c’est ce qui en fait la troublante singularité par rapport aux autres
maladies, le paludisme est une vitrine des relations Nord-Sud. Vitrine pas toujours
transparente au risque de paraître opaque par certains recoins. Vitrine pas toujours
transparente à force d’être comme "embuée" par un écran de fumée surchargé en non-dits.
Mais vitrine tout de même à travers laquelle - disons plutôt "derrière laquelle" - se déploient
et s’observent des enjeux géostratégiques, tant militaires que politiques, qui, placés dans une
continuité historique, ont souvent tenu lieu de moteur et de justification aux principales
avancées médicales, thérapeutiques notamment et dans une certaine mesure diagnostiques. De
4
ce point de vue, la production industrielle puis l’utilisation inaugurale à vaste échelle des
principaux antipaludéens s’inscrivent certes dans une perspective sécuritaire au sens large du
terme. Mais - et il faut bien l’admettre avec suffisamment de recul - il s’agit aussi et surtout
d’une perspective sécuritaire dont la dimension militaire a souvent prévalu, initialement du
moins, sur la dimension sanitaire proprement dite. Et tout ceci avant que le "culte du tout-
progrès médical" - c’est peu dire - n’occulte à son tour l’incontournable composante
environnementale. Pourtant, et de loin, la plus cruciale. Car aussi la plus déterminante.
Continuons...
De ce qui précède, il apparaît donc que le paludisme est une maladie de la pauvreté et
de l’insalubrité, disons plus prosaïquement de la... saleté, pour ne pas s’encombrer
d’euphémismes aussi inutiles qu’hypocrites. Et tant pis pour notre amour-propre - soit dit en
passant : il n’y a rien de plus sale que l’amour-propre - si le mot saleté apparaît comme une...
souillure indélébile. Le message ainsi transmis n’a rien de malveillant, et encore moins
d’injurieux. Mais il n’en reste pas moins une pilule amère : amère au point d’être difficile à
avaler, tant les problèmes suscités par le paludisme sont, si mal gérés, de nature à rester en
travers de la gorge... Est tout aussi difficile à avaler le fait que, et c’est encore "si intensément
vrai" pour le paludisme, que l’on n’est pas seulement malade d’une quelconque maladie
identifiable, mais que l’on est aussi, et surtout, malade : d’abord de l’environnement dans
lequel on vit, ensuite du mode de vie auquel on est conditionné par les circonstances
inhérentes à toute existence humaine, et l’on est enfin malade du niveau de vie auquel on est
soumis par les rapports de force sociaux, économiques, politiques...
5
Quoi qu’il en soit, il faut le rappeler quitte à le marteler, nous avons à coup sûr affaire
à une "lutte de tous les instants". A chacun, dès lors, de faire son choix, entre engagement,
intérêt et... indifférence, choix à opérer en toute liberté, mais aussi, et surtout, en toute
responsabilité... Tel est le prix à payer pour que l’ex "fièvre des marais", tout en restant un
enchevêtrement complexe par ses facteurs favorisants, cesse aussi d’être cette fatalité
"sélectivement et restrictivement préjudiciable" aux régions tropicales. Dont on sait depuis
longtemps qu’elles n’ont aucune légitimité géographique ni historique à se prévaloir d’un
quelconque monopole en matière de paludisme : la maladie est certes manifestement
prédominante sous les Tropiques pour des raisons environnementales évidentes, mais elle
n’en reste pas moins... cosmopolite. Pour preuve, elle a aussi existé par le passé en... Europe,
y compris dans des régions tempérées, où elle a été entre-temps éradiquée. Non par des
antipaludéens efficaces, mais plutôt par des mesures efficaces d’assainissement de
l’environnement : assèchement des marais (1), évacuation des ordures ménagères et des eaux
usées, etc. Et, de ce point de vue, aussi étrange que cela puisse paraître pour le lecteur de
Cotonou ou celui de Douala, des poètes européens ayant toujours vécu en Europe évoquent le
paludisme dans leurs oeuvres. Jugeons-en :
A méditer…
1. Paludisme dérive du latin palus, qui veut dire... « marais », d’où l’on a par la suite tiré le
mot Paludes, région marécageuse de... France, où le paludisme a longtemps sévi, avant d’en
être éradiquée... Par ailleurs, le Quai de Paludate, en bordure de la Garonne, au large de
Bordeaux, n’a pas une origine différente... A titre indicatif et pour mémoire, le "clin d’oeil
6
historique" étant adressé aux jeunes Africains, le Quai de Paludate, jadis zone marécageuse
(d’où son nom), se situe à quelques pas du Quai des Chartrons, ancien port... négrier de
Bordeaux. Fermons la double parenthèse historique...
2. La fièvre quarte est une forme clinique du paludisme, dont l’agent causal, plasmodium
malariae, a été identifié pour la première fois en... Italie : c’était en 1886...