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CHAPITRE 2

Les conséquences des conflits

Les conflits violents font des victimes, mais Conséquences sociales


il est souvent difficile de savoir exactement
combien. Leurs conséquences dans les
pays touchés sont nombreuses et diverses. Taux de mortalité
Les conflits violents tuent de plusieurs La littérature différencie les « morts des com-
manières : les combats font des victimes bats » – les militaires et les civils qui périssent
parmi les civils et les militaires, les maladies dans des opérations militaires – et le
sont plus fréquentes et la criminalité vio- « nombre total de morts causés par la guerre »
lente s’accroît. Les guerres entraînent des qui englobe les morts des combats et les
migrations massives. Les pays qui sortent décès dus à la recrudescence de la violence
d’un conflit sont confrontés à un risque unilatérale, des maladies, de la famine, de la
aggravé de résurgence des hostilités. malnutrition et de la criminalité.
Les conflits ont aussi des conséquences Morts des combats
économiques. Ils conduisent à une montée
Entre 1960 et 2005, les conflits armés inter-
du chômage et à une perte de revenu, car
étatiques ont fait environ 6,6 millions de
ils perturbent l’activité économique, détrui-
morts dans le monde. Le graphique 2.1 ven-
sent l’infrastructure, génèrent de l’incerti-
tile ce total par région. Sur cette période,
tude, font augmenter les coûts de transac-
l’Afrique a enregistré environ 1,6 million de
tion et favorisent la fuite des capitaux. Les
morts des combats, soit près de 24 pour
dépenses sociales sont souvent comprimées
cent du total mondial, et l’Asie environ
afin de permettre une hausse des dépenses 3,6 millions, soit 54 pour cent du total.
militaires. L’économie subit des change- Au-delà de ces chiffres globaux, la ques-
ments structurels. Il importe de traiter les tion se pose de savoir qui sont les per-
conséquences d’un conflit violent, non seu- sonnes tuées lors d’opérations militaires.
lement pour des raisons humanitaires, mais Murray et al. (2002) examinent la distri-
aussi pour réduire la probabilité de récur- bution par âge et par sexe des morts
rence du conflit. des combats. D’après leurs données, les
Ce chapitre examine les conséquences hommes de 15-29 ans sont les plus suscep-
sociales et économiques des conflits. tibles d’être tués, mais les femmes représen-
tent près d’un quart des victimes. Leurs
estimations indiquent également que les
combats tuent quasiment autant de civils
que de militaires.
14 Rapport sur le développement en Afrique 2008/2009

Graphique 2.1 : Morts des combats, 1960-2005


4 000 000

3 500 000

3 000 000

2 500 000

2 000 000

1 500 000

1 000 000

500 000

0
Europe Moyen-Orient Asie Afrique Amériques

Source : Base de données sur les conflits armés UCDP/PRIO.

Nombre total de morts causés Il est difficile d’estimer le nombre total


par la guerre de morts causés par la guerre. Un certain
Le tableau 2.1 présente les chiffres des nombre d’études épidémiologiques ont
morts des combats et le nombre total de tenté de le faire à l’aide d’enquêtes auprès
morts causés par la guerre pour certains des ménages. Il est difficile, voire impos-
conflits en Afrique. Le pourcentage de sible, de réaliser ce type d’enquête dans les
morts des combats dans le total est géné- zones de conflit. En général, ces micro-
ralement faible : de 3 à 30 pour cent enquêtes sont menées lorsqu’un conflit est
environ. Même si cette fourchette est large, sur le point de se terminer ou qu’il est
ces chiffres montrent que le nombre de tués terminé. Elles s’appuient sur des données
lors d’opérations militaires représente en faisant appel au souvenir. C’est le cas des
général une petite proportion du total des travaux de Coghlan et al. (2006), qui cher-
morts causés par la guerre. Les estimations chent à estimer le nombre de décès dus à la
de ce total comportent une large marge guerre en République démocratique du
d’erreur et il n’existe à ce jour aucun Congo sur 1998-2004. Le nombre total de
ensemble de données complet. morts estimé avoisine 3,9 millions, ce qui en
Les conséquences des conflits 15

Tableau 2.1 : Morts des combats et nombre total de morts causés par la guerre
dans plusieurs pays d’Afrique

Pays Période Morts des combats Total

Algérie 1991-2002 90 200 -


Angola 1975-2002 160 500 1,5 million
Burundi 1990-2002 6 750 200 000
Congo, Rép. 1993-2002 9 791 -
Congo, Rép. dém. 1998-2008 - 5,4 millions*
Égypte 1992-98 1 347 -
Guinée-Bissau 1998-99 - 1 850
Liberia 1989-96 23 500 150 000 – 200 000
Maroc 1975-89 13 000 -
Mozambique 1967-92 145 400 0,5 – 1 million
Nigeria 1967-70 75 000 500 000 – 2 millions
Ouganda 1981-91 107 700 -
Sierra Leone 1991-2000 12 997 -
* Ce chiffre n’englobe pas les morts des combats.
Sources : Lacina et Gleditsch (2005) ; Coghlan et al. (2006) ; base de données sur les conflits armés
UCDP/PRIO ; Human Security Brief (2007).

fait le conflit plus meurtrier depuis la fin de nation du sang par le virus (via une aiguille
la deuxième guerre mondiale (Coghlan et par exemple). Buvé, Bishikwabo-Nsarhaza
al., 2006). Selon les dernières estimations (à et Mutangadura (2002) donnent une vue
la mi-2008), ce chiffre serait plutôt de l’ordre d’ensemble de la propagation et des consé-
de 5,4 millions (morts des combats non quences de l’infection par le VIH-1 en
compris). Afrique subsaharienne. À la fin de 2001, le
taux de prévalence du VIH-1 chez les adultes
Conséquences durables de la région était estimé à 8,4 pour cent
Les conflits continuent d’affecter la vie des contre 2,2 pour cent seulement pour les
individus bien après la fin des hostilités. Non Caraïbes et moins de 1 pour cent pour toutes
seulement ils tuent, mais ils provoquent les autres régions du monde. L’Afrique serait
aussi des handicaps, qui subsistent après une plus sévèrement touchée que les autres
blessure ou une maladie. L’une des affec- régions en raison de deux facteurs : la guerre
tions qui touchent le plus l’Afrique est le et la pauvreté. Les conflits conduisent à une
VIH/SIDA. Cette maladie peut se contracter propagation rapide du VIH. Les soldats, qui
par des relations sexuelles ou par la contami- risquent leur vie à la guerre, ne craignent pas
16 Rapport sur le développement en Afrique 2008/2009

de contracter le virus. Les civils sont souvent Après un conflit, l’État n’a pas assez de
victimes de violations des droits de l’homme, moyens à consacrer à ce secteur, dans
et notamment de violences sexuelles. Cer- lequel la demande est considérable. Et,
taines femmes vivent dans une telle misère dans le même temps, les donateurs sont
qu’elles doivent se prostituer pour survivre. réticents à financer des améliorations dans
En général, les déplacements de populations ce secteur tant qu’ils ne sont pas sûrs que la
pendant les conflits fragilisent la cohésion et paix sera durable.
les relations sociales, ce qui peut conduire à
la promiscuité. Comme indiqué, les forts Conséquences des maladies
taux de prévalence s’expliquent aussi par la
pauvreté, qui semble également creuser les La plupart des victimes de la guerre décè-
disparités entre hommes et femmes. Bien dent des suites d’une maladie contagieuse
que les femmes soient plus exposées au et non à cause des violences. Pendant les
risque de contracter le virus, il semble guerres civiles, les programmes de santé
qu’elles ne peuvent pas demander à leurs publique destinés à prévenir et à lutter
partenaires d’utiliser des préservatifs. Buvé, contre les maladies ne peuvent pas être mis
Bishikwabo-Nsarhaza et Mutangadura (2002) en œuvre. Les conséquences ne se limitent
concluent que, dans de nombreuses parties pas aux habitants du pays en guerre, elles
de l’Afrique, les populations se retrouvent s’étendent par delà les frontières. Ainsi,
prises dans un cercle vicieux VIH-pauvreté. l’Ouganda n’a pas signalé de cas de polio-
Après un conflit, les individus sont trau- myélite depuis 1996 mais doit poursuivre
matisés. La plupart des victimes de la guerre son programme de vaccination de masse
civile sont des civils, qui subissent des évé- dans ses régions frontalières avec le Soudan
nements traumatisants ou qui en sont et la République démocratique du Congo
témoins : fusillades, massacres, viols, tor- (Wendo, 2002).
tures et meurtre de membres de leur Le cas de la draconculose (ou ver de
famille. Une enquête aléatoire menée en Guinée) est un exemple largement docu-
1999 auprès de résidents et de personnes menté montrant que la guerre civile cons-
déplacées à Freetown, la capitale de la titue un obstacle majeur à l’éradication de
Sierra Leone, montre que presque toutes les maladies endémiques. La campagne d’éra-
personnes interrogées ont été exposées au dication mondiale de cette maladie a com-
conflit. Quelque 50 pour cent des répon- mencé en 1980 dans les centres américains
dants ont perdu un proche, et 41 pour cent de contrôle et de prévention des maladies
d’entre eux ont assisté à sa mort, 54 pour (CDC). À l’époque, on estimait que le
cent à des scènes de torture, 41 pour cent à nombre de cas s’établissait à 3,5 millions
des exécutions, 32 pour cent à des amputa- dans plus de 20 pays d’Afrique. Grâce au
tions et 14 pour cent à des viols publics. programme régional d’éradication l’inci-
Vivre ce type d’événements peut conduire à dence de cette maladie a été réduite de
un grave stress psychologique. 98 pour cent. L’essentiel des malades se
Une guerre détruit l’économie d’un trouvant dans le Sud du Soudan, la cam-
pays, y compris son secteur de la santé. pagne d’éradication ne pouvait pas être
Les conséquences des conflits 17

menée à bien tant que la guerre civile conti-


Tableau 2.2 : Réfugiés africains
nuait au sud. par pays d’origine, 2006
En 1995, pendant les quelques « jour-
nées de tranquillité » acceptées par les Pays/territoire Réfugiés
forces en conflit afin de permettre la lutte
Soudan 686 311
contre le ver de Guinée, les agents de santé
Somalie 464 253
ont pu distribuer des filtres à eau en tissu
Congo, Rép. dém. 401 914
aux habitants des villages dans le cadre du
Burundi 396 541
programme régional d’éradication. La distri- Angola 206 501
bution de plus de 200 000 filtres a été consi- Érythrée 193 745
dérée comme un immense succès. Elle s’est Liberia 160 548
poursuivie après le cessez-le-feu. On estime Rwanda 92 966
qu’une fois la guerre terminée, il faudra de Sahara occidental 90 614
trois à cinq ans pour éradiquer complète- Éthiopie 74 026
ment la draconculose. D’ici là, la maladie
coûtera très cher au Soudan et à ses voi- Source : HCR (2006)
sins : environ 2 millions de dollars par an
pour le programme d’éradication au Soudan
et pour financer les mécanismes de sur-
veillance visant à repérer les cas originaires lions d’autres (demandeurs d’asile, réfugiés
du Sud du pays et qui se sont propagés aux de retour/PDI et apatrides).
autres régions du Soudan et aux pays voi- Depuis 2000, le nombre de réfugiés est
sins. Ces dépenses auraient pu être évitées passé de 12,1 millions à 9,9 millions dans
si le programme d’éradication n’avait pas le monde. Cependant, le nombre total de
été retardé par la guerre civile. PDI et d’autres personnes déplacées a forte-
ment augmenté depuis 2002 : de 10,3 mil-
lions à cette date à 23 millions en 2006.
Conséquences des déplacements de Comment se situe l’Afrique par rapport au
populations reste du monde ? Ce continent abrite
Contrairement au nombre de morts, il est environ 12 pour cent de la population mon-
facile d’obtenir des données comparables diale, mais 31 pour cent des réfugiés du
au plan international pour les personnes monde entier sont originaires d’Afrique. La
déplacées. Le Haut Commissariat des plupart des réfugiés africains viennent du
Nations Unies pour les réfugiés (HCR) col- Soudan, de la Somalie, de la République
lecte et publie des données mondiales. En démocratique du Congo, du Burundi, de
2006, il a répertorié 33 millions de per- l’Angola, de l’Érythrée, du Liberia, du
sonnes déplacées à travers le monde. Ces Rwanda, du Sahara occidental et de
personnes sont définies selon trois grandes l’Éthiopie. Le tableau 2.2 donne le nombre
catégories : environ 10 millions de réfugiés, de réfugiés de chacun de ces pays, qui
13 millions de personnes déplacées à l’inté- représentent environ 28 pour cent de
rieur de leur pays (PDI) et environ 10 mil- l’ensemble des réfugiés du monde.
18 Rapport sur le développement en Afrique 2008/2009

Tableau 2.3 : Réfugiés africains Tableau 2.4 : Africains déplacés


par pays d’asile, 2006 à l’intérieur de leur pays, 2006

Pays Réfugiés Pays PDI

Tanzanie 485 295 Ouganda 1 586 174


Tchad 286 743 Soudan 1 325 235
Kenya 272 531 Congo, Rép. dém. 1 075 297
Ouganda 272 007 Côte d’Ivoire 709 228
Congo, Rép. dém. 208 371 Somalie 400 000
Soudan 196 200 République centrafricaine 147 000
Zambie 120 253 Tchad 112 686
Éthiopie 96 980 Burundi 13 850
Algérie 94 180 Congo, Rép. 3 492
Congo, Rép. 55 788
Source : HCR (2006)
Source : HCR (2006)

contagieuses. Selon une enquête menée en


Vers où ces réfugiés fuient-ils ? La plu- République démocratique du Congo, de
part traversent les frontières de leur pays novembre 1999 à janvier 2000, le taux de
pour s’installer dans un pays voisin : ils ne mortalité était supérieur à 5 pour 10 000, et
quittent donc pas le continent. Les princi- la malnutrition la principale cause de morta-
paux pays d’accueil sont la Tanzanie, le lité parmi ces personnes. Dans un camp
Tchad, le Kenya, l’Ouganda, la République situé à Brazzaville, un tiers des enfants souf-
démocratique du Congo, le Soudan, la fraient de malnutrition aiguë généralisée.
Zambie, l’Éthiopie, l’Algérie et la Répu- L’ONG Médecins Sans Frontières a traité
blique du Congo. Le tableau 2.3 donne le plus de 10 000 cas de malnutrition aiguë
nombre de réfugiés par pays d’asile. (Salignon et al., 2000).
Qu’en est-il des PDI, l’autre grand
groupe de personnes déplacées ? Il est frap-
Enfants, filles et femmes
pant de constater que pas moins de 42 pour
cent du total mondial se trouvent dans neuf Les conflits violents ont des conséquences
pays africains : Ouganda, Soudan, Répu- diverses sur les enfants selon que ce sont des
blique démocratique du Congo, Côte garçons ou des filles et les femmes. Les
d’Ivoire, Somalie, République centrafri- enfants soldats font souvent partie de la stra-
caine, Tchad, Burundi et République du tégie de guerre. Ils sont recrutés par la force
Congo. Le tableau 2.4 recense les PDI en ou bien ils s’enrôlent parce qu’ils recher-
Afrique. Les déplacements de populations chent une protection ou par désir de ven-
ont souvent des conséquences dramatiques. geance. Au Mozambique, le mouvement
Les PDI sont fortement exposées à la vio- rebelle de la Renamo (Résistance nationale
lence, à la malnutrition et aux maladies du Mozambique) a fait appel à au moins
Les conséquences des conflits 19

Encadré 2.1 : Violence, déplacements de populations et mortalité dans l’Ouest du


Darfour, Soudan

Le conflit violent qui sévit actuellement au Darfour a réellement débuté en février 2003. Il a poussé
quelque 190 000 personnes à se réfugier au Tchad et causé le déplacement d’environ 1 million de
personnes à l’intérieur du pays. Entre avril et juin 2004, Médecins sans Frontières (MSF) a mené
une enquête sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDI) au Darfour afin d’apporter
une aide adaptée. Les PDI ont été interrogées dans le cadre d’une enquête auprès des ménages,
conduite en deux phases et reposant sur des clusters. Premièrement, quatre sites ont été retenus
dans l’Ouest du Darfour. Deuxièmement, dans ces quatre sites, un certain nombre de ménages
choisis de façon aléatoire ont été interrogés. Ces personnes vivaient dans des camps clairement
identifiables ou s’étaient mêlées à la population locale. On a demandé à chaque chef de famille de
se souvenir des décès intervenus depuis 2003. L’âge et le sexe de la personne décédée ont été
notés, ainsi que la cause (violence, raison médicale ou autre) et le lieu du décès (village, lors de la
fuite ou dans le camp). Des taux bruts de mortalité ont été estimés à partir des données de
l’enquête. Ces taux étaient extrêmement élevés pour la période « village et fuite » et la mortalité
due à la violence était responsable de l’essentiel des décès sur cette période. Pour le HCR,
lorsque le taux brut de mortalité est supérieur à un décès pour 10 000 personnes par jour, il s’agit
d’une situation d’urgence. Dans les différents sites étudiés, le taux de mortalité était compris entre
1,5 et 9,5. Le taux correspondant à une situation de non-urgence pour la population subsaharienne
est de 0,5. Pendant la « période du camp », la mortalité est tombée à 1,2-5,6 pour cent. En
d’autres termes, le taux restait nettement supérieur au niveau d’urgence. Les hommes étaient
exposés à un risque nettement plus grand d’être tués, les séparations et les disparitions étaient
également courantes et touchaient surtout les hommes. Le taux de mortalité élevé et les
séparations familiales constituent une catastrophe démographique. La pyramide des âges et des
sexes pour ces quatre sites est asymétrique car des hommes ont été portés disparus ou sont
décédés. Le cas du Darfour semble se situer à part en raison du pourcentage élevé de morts
violentes. Cependant, comme dans d’autres conflits violents, les victimes sont essentiellement des
civils, et les déplacements de personnes entraînent non seulement une forte mortalité et la perte
des moyens de subsistance, mais aussi une dépendance à long terme vis-à-vis de l’aide.

Source : Depoortere et al., 2004

10 000 enfants soldats, certains âgés de six culturelles locales : les guérisseurs tradition-
ou sept ans à peine. Vingt-sept pour cent des nels, les chefs et la famille s’adonnent sou-
soldats qui ont été démobilisés avaient vent à des rituels de purification afin de
moins de 18 ans (Homvana, 2006). En soigner les enfants soldats de retour dans
Angola, une proportion considérable leur village. Ces rituels doivent non seule-
d’enfants a pris part aux combats. Environ ment aider l’enfant à guérir et à réintégrer la
7 pour cent des enfants de ce pays ont déjà communauté, mais aussi favoriser la réconci-
tiré sur quelqu’un (Homvana, 2006). Les liation au sein de cette communauté. Cette
enfants sont donc à la fois victimes et auteurs approche contraste avec la psychothérapie
d’actes de violence. À propos de la réintégra- occidentale, qui met l’accent sur l’individu.
tion des enfants soldats, Homvana décrit Les garçons et les filles rencontrent dif-
l’utilisation des croyances et des pratiques férents problèmes de réintégration. Les filles
20 Rapport sur le développement en Afrique 2008/2009

ont souvent des enfants, d’où des difficultés sans le conflit. Comprendre ce processus de
à rattraper leur retard de scolarité ou de contraction économique aide à concevoir
formation professionnelle. On observe aussi des mesures correctives pour l’après-
une forte prévalence de maladies sexuelle- conflit.
ment transmissibles qui nécessitent un trai-
tement. De plus, en raison des expériences Infrastructure
sexuelles qu’elles ont connues pendant la L’héritage le plus visible d’un conflit est la
guerre, les filles sont souvent considérées destruction de l’infrastructure publique.
comme « avilies », ce qui les expose à Cependant, la dégradation de l’infra-
d’autres abus, car il est alors plus difficile structure à la suite d’un conflit n’est pas
pour elles de trouver un mari et de mener uniquement provoquée par des dégâts
une vie de famille normale. directs. Dès lors qu’il relève son budget
Les décès des hommes pendant les militaire, l’État comprime les investisse-
conflits augmentent la proportion de ments et les dépenses publiques qui étaient
femmes à la tête d’un ménage. Dans les destinés à l’entretien de l’infrastructure. Les
sociétés post-conflit, les femmes semblent fonds publics font cruellement défaut.
ainsi assumer une charge bien plus lourde
Dépenses militaires
pour s’occuper du ménage. De plus, elles
sont confrontées à des difficultés plus Pendant la guerre civile, les dépenses mili-
grandes que les hommes pour s’intégrer sur taires augmentent inévitablement car l’État
le marché du travail même dans des cir- cherche à étoffer sa capacité de résistance
constances normales. En période post- face aux rebelles. Il est difficile de sus-
conflit, la réduction des opportunités de pendre ces fortes dépenses militaires pen-
travail entraîne une concurrence accrue dant un conflit. En général, pendant les
pour les emplois et rend l’accès des 10 années qui suivent un conflit, les
femmes au marché du travail encore plus dépenses militaires sont maintenues et les
difficile. dividendes de la paix sont faibles. C’est le
corollaire d’un risque élevé de reprise des
hostilités : l’État réagit au risque en augmen-
Conséquences économiques tant ses dépenses militaires. Il existe une
des conflits autre raison, plus terre-à-terre : les forces
rebelles doivent souvent être intégrées dans
Une guerre civile prolongée induit l’inverse l’armée régulière, de manière à étoffer
du développement (Collier et al., 2003). En celle-ci. Même si des hommes sont démobi-
voici un certain nombre de conséquences : lisés, les coûts à court terme sont substan-
tiels. Un phénomène est encore plus inquié-
Déclin économique tant : à la fin d’une guerre civile, l’armée est
L’économie ralentit généralement par rap- importante et influente, elle risque de faire
port au rythme qu’elle affichait en temps de pression pour que les dépenses militaires
paix. Elle se trouve considérablement soient maintenues, ce qui renforce l’inertie
réduite par rapport à ce qu’elle aurait été naturelle des allocations budgétaires. En
Les conséquences des conflits 21

effet, dans la pratique, le budget se fonde le comportement économique des agents


souvent sur l’allocation de l’année précé- privés. Face aux incertitudes liées à la
dente. guerre civile, il est plus difficile d’anticiper
Les données comparatives entre les l’avenir, ce qui entraîne une multiplication
pays font apparaître une corrélation posi- des comportements opportunistes. Norma-
tive entre les dépenses militaires post- lement, les individus veillent à ne pas avoir
conflit et le risque de reprise des hostilités une réputation d’opportuniste, car on risque
(Collier et Hoeffler, 2006). Cette situation de leur faire moins confiance. Cependant, à
est propre au contexte de l’après-conflit. mesure que l’avenir devient de plus en plus
Des constats opposés apparaissent en effet incertain, ils sont davantage incités à saisir
dans d’autres contextes. L’effet post-conflit les opportunités qui se présentent. C’est
peut notamment s’expliquer de la façon pourquoi on observe une recrudescence
suivante : le niveau de dépenses militaires des comportements opportunistes, ce qui
retenu exprime indirectement les intentions réduit la productivité dans toutes les acti-
du gouvernement. Une réduction radicale vités qui dépendent normalement d’un
des dépenses, comme l’a fait le Mozam- facteur de confiance. Par exemple, les opé-
bique au sortir du conflit, peut être inter- rations de crédit peuvent se révéler particu-
prétée par les opposants potentiels comme lièrement difficiles.
la preuve que l’État a l’intention de se mon-
trer inclusif et non fortement répressif. Réci- Fuite des capitaux
proquement, le maintien d’un niveau élevé
Pendant un conflit, la peur et l’absence
de dépenses militaires peut être interprété
comme une intention d’employer la force et d’opportunités incitent les individus à cher-
provoquer une vive opposition de manière cher refuge à l’étranger, tant pour eux-
préventive. Une forte réduction du budget mêmes que pour leurs actifs. Les mieux
de l’armée peut directement renforcer la placés pour s’expatrier sont ceux qui dispo-
paix et libérer des moyens financiers pour sent de qualifications : ils peuvent plus faci-
la reconstruction. lement financer leur émigration et sont
mieux accueillis dans le pays hôte. Par
Horizons temporels conséquent, le pays d’origine perd ses tra-
Pendant le conflit, la victoire militaire, ou du vailleurs qualifiés : l’hémorragie des qualifi-
moins l’évitement de la défaite, devient une cations s’accompagne d’une fuite des capi-
priorité absolue pour l’État, qui oriente ses taux. Les individus déplacent leurs actifs à
dépenses vers des stratégies axées sur le l’étranger, pour les mettre en sécurité et
court terme, au détriment de celles à plus parce que le retour sur investissement dans
long terme. Économiquement parlant, on leur pays diminue à mesure que sa situation
peut considérer qu’il s’agit là d’un rétrécis- économique se dégrade. Il en résulte une
sement des horizons temporels ou d’une grave pénurie de compétences, une dias-
augmentation du taux d’actualisation. pora importante, un effondrement de
Ce raccourcissement des horizons tem- l’investissement privé et une accumulation
porels est susceptible de se retrouver dans de richesse privée à l’étranger.
22 Rapport sur le développement en Afrique 2008/2009

Changements structurels Ces changements structurels entraînent


Les activités les plus vulnérables à la fuite une nouvelle fuite des cerveaux. Pour que
des individus qualifiés et à l’augmentation des compétences restent acquises, il est
des attitudes opportunistes sont la fonction nécessaire de les utiliser régulièrement et de
publique, la justice, la comptabilité et la les transmettre. Par conséquent, une
médecine. Par définition, tous les métiers contraction durable de la production dans
nécessitent des compétences, mais aussi de un secteur épuise le stock de compétences.
l’honnêteté. Les fonctionnaires effectuent L’absence de pratique conduit à l’oubli, un
des tâches difficiles à surveiller. C’est l’une processus qui s’apparente à l’inverse de
des raisons pour lesquelles leurs activités l’apprentissage par la pratique, lequel cons-
relèvent du secteur public. De même, parce titue habituellement un moteur essentiel de
que les métiers sont définis par de nom- la croissance de la productivité.
breuses informations spécialisées, les
L’héritage politique
normes de conduite sont normalement
contrôlées par les pairs plutôt que par un Pendant la guerre, l’État est aux abois et la
examen extérieur. L’accroissement des com- politique publique et la gouvernance se
portements opportunistes est donc particu- dégradent. La nécessaire hausse des
lièrement dommageable. La fuite des cer- dépenses militaires se heurte à un recul des
veaux et l’augmentation de l’opportunisme recettes fiscales, sous l’effet de la contrac-
ont pour conséquence une dégradation des tion de l’économie privée organisée. En
performances dans le secteur public comme outre, l’aide se raréfie car l’État se retrouve
dans le secteur privé. exclu des marchés du crédit internationaux
La composition sectorielle de l’éco- et le marché intérieur s’assèche. En réaction,
nomie se modifie pendant une guerre civile, l’État met à profit l’impôt prélevé par l’infla-
notamment parce que les activités n’ont pas tion. L’économie qui se relève d’un conflit
toutes le même degré de vulnérabilité. Si les se retrouve donc avec une inflation forte et
combattants raflent des biens meubles, une monnaie dans laquelle on a peu
comme le bétail, ou volent des cultures de confiance (Adam, Collier et Davies, 2008).
valeur, les ménages ruraux risquent d’opter Cette stratégie est celle qui s’impose avec le
pour des activités de subsistance moins vul- plus d’évidence parmi diverses politiques
nérables. Un conflit prolongé est suscep- intenables qui sacrifient l’avenir au bénéfice
tible d’éloigner l’économie rurale des acti- du présent. Les politiques à courte vue
vités commerciales. adoptées pendant la guerre commenceront
Le changement structurel provient égale- à engendrer des coûts au moment de la
ment de l’évolution de la demande. L’effon- paix. Il est donc nécessaire de mettre rapi-
drement de l’investissement pendant un long dement en œuvre une réforme écono-
conflit réduit la demande dans les secteurs mique. En outre, la situation budgétaire
qui produisent des biens d’équipement, en après un conflit risque de ne pas être
particulier dans le BTP. Après un conflit, ce tenable et la réforme peut se révéler néces-
secteur se contracte invariablement. saire pour éviter l’effondrement.
Les conséquences des conflits 23

Conclusion mettre en œuvre des campagnes de vacci-


nation et d’autres mesures de lutte contre
Les conflits violents durent plus longtemps
les maladies ont réussi à réduire les consé-
et sont plus meurtriers en Afrique que dans
quences de la guerre dans cette région. En
les autres régions du monde, d’où des coûts
Afrique, les conflits violents provoquent
sociaux et économiques élevés. Ils se pro-
également des déplacements de popula-
pagent bien au-delà des frontières du pays
tions à grande échelle. Les Africains repré-
concerné et persistent longtemps après la
fin des opérations militaires. Si les hommes sentent une forte proportion du total mon-
jeunes constituent l’essentiel des morts des dial de réfugiés et de personnes déplacées
combats, ce sont essentiellement les dans leur propre pays.
femmes et les enfants qui sont les victimes Les coûts économiques du conflit sont
des maladies. Les conflits violents conti- également élevés, même s’ils sont difficiles à
nuent de tuer bien après l’arrêt des com- estimer. Ils incluent la perte de revenu et
bats. Dans les pays qui se relèvent d’un d’actifs, les dégâts causés à l’infrastructure,
conflit, le secteur de la santé est dévasté et la réduction des dépenses sociales,
incapable de répondre à la demande consi- l’accroissement de l’opportunisme dans les
dérable de soins. Les moyens disponibles transactions économiques, la fuite de capi-
pour traiter le traumatisme sont générale- taux et la persistance de mauvaises politi-
ment faibles. Les guerres ont également des ques publiques. Les coûts économiques
conséquences sanitaires sur les pays voi- perdurent longtemps après la fin des hosti-
sins. Les programmes régionaux de lutte lités. Les capitaux continuent de fuir le pays
contre les maladies sont interrompus et des et les politiques publiques médiocres ris-
maladies contagieuses évitables continuent quent d’être difficiles à modifier. Pour se
de faire des victimes en Afrique. Cependant, rétablir, le pays doit impérativement com-
les cessez-le-feu temporaires permettant de prendre et traiter ces coûts.

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