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Bernard Dionne1
Été 2017 : une quarantaine de jeunes Canadiens se sont joints aux forces kurdes pour
se battre contre Daesh (le soi-disant État Islamique) depuis un an. Le parallèle avec
les jeunes Canadiens qui se sont enrôlés dans les Brigades internationales en 1937
pour aller combattre Franco et le fascisme en Espagne est frappant et il n’a pas
échappé à la journaliste Isabelle Hachey dans La Presse+ du 8 octobre dernier2.
Qu’en est-il de cette participation canadienne à la guerre civile espagnole de 1936-
1939 ?
Espagne 1936-1939
1
Historien, l’auteur a publié son premier roman chez Fides le 1er mai 2017, Et l’avenir était radieux,
dont l’action se déroule essentiellement en Espagne lors de la guerre civile.
2
Isabelle HACHEY, « De Mascouche à Raqqa », La Presse+, 8 octobre 2017.
propres milices qui faisaient régner la terreur parmi les opposants de droite et dans les
rangs du clergé catholique.
Peu entraînés, mal équipés, les volontaires arrivaient en Espagne en transitant par la
France. On les envoyait se former à Albacete, au sud-ouest de Valence, où André
Marty, du Parti communiste français et Luigi Longo, du Parti communiste italien, les
haranguaient avant de les disperser sur les divers fronts. La formation qu’ils
recevaient comptait pour moitié en séances de propagande politique et pour l’autre
moitié en loufoques séances d’entraînement militaire sans fusils ni équipement digne
de ce nom. Plus de dix mille d’entre eux trouvèrent d’ailleurs la mort en Espagne. Les
survivants furent rapatriés au terme d’une dernière parade dans les rues de Barcelone,
le 18 octobre 1938, lorsque Dolores Ibarruri, la dirigeante communiste espagnole
surnommée la Pasionaria, leur déclara : « Vous êtes l’histoire, vous êtes la légende ».
Ils furent près de 1700 Canadiens à joindre le combat républicain selon l’historien
Michael Petrou3. Qui étaient-ils? Quelles étaient leurs motivations?
3
Michael PETROU, Renégats. Les Canadiens engagés dans la guerre civile espagnole, Montréal,
Lux, 2015.
l’Èbre au printemps. Plusieurs volontaires désertèrent ou demandèrent leur
rapatriement devant la férocité des combats dont ils ne s’étaient jamais douté. Les
conditions de vie dans les tranchées étaient, pour dire le moins, démoralisantes : outre
les bombardements incessants, les volontaires subissaient la faim, le froid, le manque
de cigarettes, l’absence d’équipement et d’armes, sans compter la rudesse des
commissaires politiques qui punissaient le moindre manquement à la discipline par
des séjours en prison ou dans des camps spéciaux, appelés « tchékas » parce que
contrôlés par la police politique soviétique.
Norman Bethune
Le Canadien le plus connu des volontaires fut sans contredit le médecin Norman
Bethune. Chef chirurgien au tout nouvel hôpital du Sacré-Cœur, tenu par les sœurs de
la Providence, Bethune adhéra au Parti communiste canadien en 1935, après un
séjour en URSS. Là, contrairement à la situation de ses patients canadiens-français
qui ne pouvaient défrayer le coût de leurs soins, il put constater les bienfaits d’une
médecine socialiste. Dès qu’il entendit parler de la guerre en Espagne il organisa une
levée de fonds à l’aide de quelques personnalités de la Cooperative Commonwealth
Federation (CCF) et du Parti communiste et il partit en octobre pour l’Angleterre, où
il fit l’achat d’une camionnette et de l’équipement requis pour mettre sur pied un
institut de transfusion sanguine à Madrid.
De retour au pays, Bethune apprit que le Japon avait envahi de nouveau la Chine. De
concert avec quelques Américains, il ramassa de l’argent, constitua une équipe
médicale et partit en janvier 1938 rejoindre la 8e armée de campagne de Mao Zedong
qui s’était réfugiée dans la région du Shanxi-Hobei. Là, il forma des centaines de
4
Bethune écrivit The Crime on the Road : Malaga to Almeria à la suite de cet épisode sanglant de la
guerre civile. Voir la biographie que lui ont consacré Roderick et Sharon Stewart, Phoenix : the Life of
Norman Bethune, en 2011.
médecins et d’infirmiers chinois et soigna de nombreux blessés avant de mourir d’une
infection le 12 novembre 1939, à l’âge de 49 ans.
Le bilan
Cette guerre civile opposa des Espagnols qui, campés dans des forces politiques
opposées, furent impitoyables les uns envers les autres : on estime que 600 000
soldats et civils perdirent la vie lors du conflit qui se termina en mars 1939, lorsque
Franco s’empara enfin de la capitale Madrid dans l’indifférence générale de l’Europe
démocratique, toute absorbée à éviter une guerre avec l’Allemagne nazie. La suite des
choses fut tout aussi dure : près d’un demi-million d’Espagnols furent internés dans
les 190 camps de concentration que le régime franquiste fit ériger pour y casser ses
opposants de gauche. Déjà, au début de l’année 1939, 500 000 Espagnols avaient fui
vers la France, où ils furent accueillis par des policiers et des soldats qui les
parquèrent, là aussi, dans des camps de concentration sur les plages, comme à
Argelès-sur-mer, où les conditions de vie étaient horribles.
Franco installa sa dictature, avec la Phalange comme parti unique, qui dura jusqu’à ce
qu’il cède le pouvoir au roi Juan Carlos en 1974.
Les volontaires canadiens ne furent pas inquiétés à leur retour au pays en raison du
Foreign Enlistment Act, arrêté-en-conseil d’avril 1937, qui rendait illégal pour des
Canadiens le fait de servir dans des services militaires étrangers. Mais plusieurs firent
l’objet d’une étroite surveillance de la part de la GRC et certains retournèrent dans
leur pays d’origine pour fuir cette répression.
12 octobre 2017