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1 Le mouvement anarchiste et les guerres A. La Premitre Guerre mondiale. Résistance et union sacrée De la mobilisation & la conférence de Zimmerwald, 5-8 septembre 1915 Le 31 juillet 1914 Jaurés était assassiné et le 1° aodt était décrétée la mobilisation. Ce jour méme, le ministre de l’Intérieur enjoignait par télégramme aux préfets de ne pas faire jouer, sauf cas parti- culiers, le Carnet B, destiné & mettre hors d’état de nuire les éyen- tuels opposants. C'est que C.G.T. ct Parti socialiste avaient donné & entendre, par textes publiés, que l'Autriche portait « une lourde responsabilité devant Phistoire », tandis qu'on pouvait penser que les gouvernants frangais « travaillent sincérement pour la paix’ >. Mais les anarchistes ? « A quelques exceptions prés », ceux qui recurent leur livret de mobilisation rejoignirent leur corps et les deux centres de regrou- pement anarchiste de Paris, 4, rue Broca, V° arrondissement, pour le groupe des Temps nouveaux, 15, rue d’Orsel, XVII" arrondi: 1, Manifestes de la C.G.T. et do la C. RENE = ment, pour les amis du Libertaire furent désormais peu fréquentés : une dizaine de militants se retrouvaient le dimanche rue Broca*, un méme nombre au siége du Libertaire ott habitait Pierre Martin ®. On ne peut dire que ces militants prirent, face a la guerre, une attitude identique, union sacrée ou résistance. Dans un premier temps, ils pratiquérent avant tout la solidarité & l’égard des compagnons mobilisés, et ce n’est que peu a peu que s’esquisstrent des prises de position publiques. C'est d'ailleurs autour d'individualités et indé- pendamment des anciennes familles que des regroupements vont s‘opérer. . Sébastien Faure fut le premier anarchiste* 4 tenter ume action en décembre 1914, et il tira alors & 2500 exemplaires & « La Ruche », maison d'enfants qu'il dirigeait prés de Rambouillet*, un « Appel aux socialistes, syndicalistes, révolutionnaires et anar- chistes », intitulé Vers la paix®. Aprés avoir exposé la thése de Tunion sacrée, suite a l'attaque « préméditée et brutale de lAlle- magne », thése qui, « présentée de cette fagon », était « parfai- tement défendable », il rappelait toutefois les réserves de J. Grave, pourtant rallié, dans La Bataille syndicaliste du 16 décembre ; « Le tort de nombre de nos camarades, écrivait ce dernier, a été, pour justifier leur participation A la ‘guerre, de dépasser Ja mesure et de venir nous parler de la défense de nos droits, de notre liberté, de comparer la situation présente 4 celle de 1792, et de parler du souffle de liberté qui a dressé l'Europe contre 1’Allemagne. » Sébastien Faure s'interrogeait ensuite sur ce qu'il convenait de faire apres cinq mois de guerre. Ii affirmait que socialistes, syndi- calistes, révolutionnaires et anarchistes frangais ne pouvaient qu’exi- ger, comme Licbknecht refusant les crédits militaires, « une paix rapide et qui n’humilie personne, une paix sans conquétes » Et il concluait 4 l’appel au regroupement, au sein des pays en guerre, de tous les partisans de la paix, afin que les pays neutres puissent valablement tenir une conférence puis ¢ s’entremettre officieusement auprés des chancelleries belligérantes, en vue de provoquer chez celles-ci le désir de chercher en commun les moyens, honorables pour tous, d’engager la conversation >. 2. En définitive, nous restions huit & tenir le coup >, m'a écrit Marcel Hasfeld, rédigeant ses « Souvenirs » en 1972, Et il énumérait : Paul Fuchs, Jacques’ Mesnil, Serge Bernard, Siegfried, André Girard, Charles Benoit, Victor Delagarde, Dominique Mattéi; voir Dictionnaire, 1871-1914 et 1914-1939, 3. AN. F7/13061, rapport du 18 février 1915, 4, Et non Pierre Chardon, comme on I’a écrit parfois, qui ne publia qu’en octobre 1915 Les Anarchistes ef la guerre, Deux attitudes. $. Cf. t. 1, 3° partic, chap. 3 B, p. 357. 6. On le trouve encore fréquemment. Cf. par exemple Arch, P. Po B a/1545, pitces 2230 - 10. 10 Je mouvement anarchiste et les guerres La Ruche fut perquisitionnée dés le 9 janvier, tout nouveuu tirage rendu impossible et, le 28 janvier, S. Faure était convoqué chez Malvy, ministre de I'Intérieur. Celui-ci lui représenta que ses correspondants aux armées trouvés en possession du tract ctaient passibles du conseil de guerre et de I’exécution. S, Faure se rendit & ces arguments et, par une circulairc, Histoire d’une fronde, relata A ses amis son entrevue avec Malvy et les informa des raisons pour lesquelles « il renongait, & Theure actuelle, A sa campagne pour la paix’ » S. Faure n’abandonnait cependant pas I’action et, par un nouveau tract intitulé La Tréve des peuples, tiré & 6000 exemplaires en juin 1915 et adressé uniquement aux secrétaires des fédérations départementales du Parti socialiste et aux responsables des orga- nisations syndicales C.G.T., il demandait & tous les gouvernements des pays en guerre que le 1°" dimanche d’aofit 1915 soit envisagée une suspension d’armes de 24 heures‘... Un autre militant, Armand, de Ja branche individualiste, faisait connaitre sa position en avril 1915 par un manifeste et, tout en critiquant avec force ceux qui se sont ralliés 4 l'union sacrée, déclarait, fidtle & son individualisme : « Comme avant-guerre, nous restons adversaires résolus de toute tentative révolutionnaire ou insurrectionnelle ®. » A leur tour, Lecoin et Ruff, de la Maison centrale de Caen od ils purgeaient, depuis novembre 1912, une peine de cing années de prison pour sabotage de la mobilisation, rédigeaient en aotit 1915, polycopiés 4 une centaine d’exemplaires par des amis, dont sans doute P. Martin, Aux anarchistes, aux syndicalistes, aux hommes, appel & Vaction internationale des travailleurs qui prenait fin sur ces mots : « Réclamons la paix. Imposons la paix**! > Quant 2ux anarchistes francais réfugiés en’ Angleterre, quelques- uns, F. Boudot et H. Combes notamment, s’associaient en février 1915 & la protestation contre la guerre que publiaient des militants d’audience internationale : Emma Goldman, Malatesta, Domela Nieuwenhuis, etc. Ce manifeste, L’Internationale et la guerre”, 7. D'aprds F7/13061, rapport d’avril 1915, Sur cette affaire, consulter Syndi- calisme_réyolutionnaire et communisme, Les Archives de’ Pierre Monaite, 1914-1924, Paris, Maspero, 1968, p. 56-57; Matvy, Mon crime; A. RosMER, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, Paris, Librairie du travail, 1936, tT, p, 558-560. 8. AN. F7/13061. 9. AN, F7/13374, 10. AN, F7/13372. 11. CE, Hem Day, < Seize », Encyclopédie anarchiste, Les résistants anar- chistes francais A Ja guerre s'exprimérent surtout a l’étranger : dans i! Libertario (Italie), Tierra y Libertad (Espagne), Le Réveil (Suisse), Freedom (Angleterre). u disait essentiellement ; ¢ Il n’y a pas de distinction possible entre les guerres offensives ct les guerres défensives. > Constatant qu'il serait ¢ naif et puéril [...} de chercher & établir les responsabilités de tel ou tel gouvernement », ses auteurs affirmaient : « Nous devons profiter de tous les mouvements de révolte, de tous les mécontente- ments, pour fomenter l'insurrection, pour organiser la révolution, de laquelle nous attendons la fin de toutes les iniquités sociales, > ‘Telles étaient les positions des militants du Libertaire, de certains individualistes, de certaines individualités. Mais (autres compagnons avaicnt une attitude toute différente. Dans son appel Vers la paix, S. Faure avait souligné jes réticences de Jean Grave, cinq mois et demi aprés le déclenchement des hostilités, & se rallier sans réserves a Punion sacrée. Des militants, tout aussi connus, n’avaient jamais eu ces hésitations, et c'est Charles Malato qui, dés le 5 aofit 1914, écrivait : « Debout, pour la liberté universelle *! » Et c'est Charles Albert — Yopposant de Kropotkine en 1905 — qui affirmait le 8 aofit a ceux qui allaient combattre : « Partez sans amertume, partez sans regret, camarades ouvriers qu'on appelle aux frontitres pour défendre la terre frangaise [...], c'est bien pour la révolution que vous allez combattre**. » Et lon vit des militants comme Henri Gauche, dit Chaughi, auteur de L'Immoralité da mariage et rédacteur aux Temps nouveaux, fgé alors de quarante-quatre ans, s’engager dés les premiers jours de guerre“... De la conférence de Zimmerwald, 5-8 septembre 1915, & été 1917 L’été 1915 marqua un tournant dans les manifestations de Yop- position & la guerre qui ne fut plus seulement le fait d'individus, mais aussi, parfois, de collectivités. Le 15 aoft eut lieu la pre- miére conférence des bourses, unions et fédérations de la C.G.T., & Tissue de laquelle la résolution de la minorité, présentée par Mer- rheim au nom de la fédération des Métaux et par Bourderon au nom de celle du Tonneau, recueillit 27 voix contre 79 A celle de Léon Jouhaux. Ce sont ces deux leaders minoritaires qui contresignérent Ja déclaration franco-allemande de la conférence de Zimmerwald, déclaration qui disait essentiellement « cette guerre n'est pas notre 12. La Bataille syndicaliste, Dens une collaboration quotidienne, Malato ne cessera plus d'exalter le rdle des soldats alliés qui, « & la pointe de leurs baiomneties », apporteront Ja liberté « aux peuples éveillés ». (Cf. par exem- ple, n° du 15 aoat 1914.) 13. La Bataille syndicaliste, 8 aout 1914. 14. « Je mvengage pour la durée de Ja guerre » (La Bataille syndicaliste, 10 aot 1914), Le 20 iévrier 1916, il écrira & André Girard < s'étre trompé > (cf. Arch. P. Po B a/1559), 12 le mouvement anarchiste et les guerres guerre » et prenait fin sur le rappel du mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! > Les positions des anarchistes, qu'ils soient résistants ou « défen- sistes », n’allaient pas manquer de se durcir peu & peu, mais sans coordination entre les familles et de fagon trés variable. En septembre 1915, l'individualiste Armand rédigeait un nou- veau tract intitulé L’Authentique embusqué. Récusant toute tentative révolutionnaire, il se déclarait néanmoins « le sans-patrie, le sans-drapeau, le sans-frontiére, Je sans-religion, le sans-idéal * », mais envisageait de ne reprendre qu’aprés guerre « la besogne d’édu- cation individuelle ». Un jeune individualiste qui devait beaucoup T'aider durant cette période, Maurice Charron dit Pierre Chardon, svassociait A lui”. Un mois plus tard, P. Chardon éditait une brochure de 8 pages, Les Anarchistes et la guerre. Deux attitudes", dans laquelle il déclarait préférer se taire, « baillonnés que nous sommes par [état de siége et la censure démocratiques >, plutét que de reconnaitre la nécessité de la défense nationale. « Nous préférons, déclarait-il encore, garder intact notre idéal » pour, demain, pouvoir encore « parler séricusement d’esprit de révolte ou de lutte de classes ». Cependant, le 15 novembre 1915, Armand langait un périodique, Pendant la mélée, quallait suivre aprés quatre numéros Par-deld la mélée, 26 janvier 1916. De son cété, gréce A une petite imprimerie qu'il avait montée, P. Chardon tirait 4 quelques centaines d’exem- plaires Le Semeur, numéro unique, 30 mai 1916", puis La Guerre, brochure de 28 pages signée « Un sans-patrie », datée aofit 1916 et imprimée 4 Geneve — c'est du moins ce qui est indiqué en fin de brochure — dans laquelle il s’affirmait « antipatriote en toutes circonstances, c’est-i-dire ennemi irréductible du capital national, adversaire résolu de lérat-tyrannie ». Content, du Libertaire, tirait un tract le 8 septembre 1916 pour annoncer Ja mort de Pierre Martin et dire pourquoi la reparution du Libertaire était momentanément impossible. Le 22 septembre 1916, il_diffusait un nouveau tract, Notre attitude, tiré & La Ruche & 12.000 exemplaires, qui dénongait la guerre, répudiait « l'hypo- 15, A.N, F7/13374 et F7/13061, rapport dioctobre 1915 + le tract L’Embus- qué nest quiattribué & Armand. Ce tract aurait indiqué quelques moyens pour se soustraire aux obligations militaires. 4 16; voir Pierre Chardon, sa vie, san action, sa pensée, 32 p., sd, [septem- Fe . P. Chardon, né en 1892, mourut jeune, le 2 mai 1919. 17. Genéve, édition du Réveil, 8 p. 18. Cf. Pierre Chardon. Sa vie, son action, sa pensée, op. cit, p. 16. 19. Nous retenons, patmi les écrits anarchistes clandestins ainsi publis, ceux qui nous ont paru les plus essentiels, B crite distinguo des guerres offensives ou défensives > et dénongait la guerre « faite par les gouvernants, par les capitalistes ». Ceux qui Vapprouvérent « renigrent leur passé », ajoutait-il, et il réclamait « le droit pour Vindividu de disposer de lui-méme ». Lecoin et Ruff allaient, eux aussi, continuer 4 se manifester, Dés sa libération en novembre 1916 **, Lecoin retournait son ordre de mobilisation. Le 3 décembre, au cours d'une réunion tenue dans les bureaux de C.Q.F.D., journal de S. Faure-Mauricius, il critiqua, et Ruff avec lui, cette publication qui ne pouvait se permettre, selon lui, de dénoncer la guerre en raison de la censure, et S. Faure lui-méme qui ne s’attaquait pas aux socialistes et au gouvernement « en raison de ses attaches avec les partis non anarchistes et de ses accointances* ». Puis il fit tirer A 12000 exemplaires un tract intitulé Imposons la paix, tract daté 7 décembre et signé « Le Liber- taire », qui se terminait par ces mots : « Clamez votre amour de la paix, de la paix immédiate et imposez-la®. » Il en distribua des exem- plaires le 11 décembre a Belleville sur la voie publique et fut aussitét arrété, Il se retrouva en prison avec Ruff, arrété pour le méme motif rue du Faubourg-du-Temple. Aprés Zimmerwald, le groupe des Temps nouveaux s’était scindé en deux trongons : d’un cété Pierrot et Guérin, « défensistes >, alignés sur les positions de Grave-Kropotkine ; de autre Benoit- Girard, « résistants ». En janvier 1916, ces derniers firent paraitre une Premiére lettre aux amis et aux abonnés des « Temps nouveaux > qui reproduisait la déclaration d’adhésion du groupe au Comité pour la reprise des relations internationales (C.R.R.L) qui venait de se constituer**. Trés mécontent, Jean Grave demanda & Benoit, les 5 et 8 février 1916, de renoncer au local ot ils se réunissaient, local qui avait été le siége du journal. Le 20 février 1916, une douzaine de militants, au nombre desquels Benoit, Paul Fuchs, A. Mé&reaux, M. Hasfeld, A. Girard, A. Mignon, signaient une lettre collective 4 Jean Grave pour protester. Le différend fut aussit6t rendu public par Grave® qui demanda alors que les clefs du local soient remises & la femme de Guérin et que le titre du journal soit changé. C’était la rupture, définitive. 20. Je bénéficiais ¢ réglementairement dune année pour avoir accompli en prisons. eo nisltes le gros de mon emprisonnement > (LEcoIN, Le Cours d'une vie, p. 64), 21, A.N. F7/13061, rapport du 4 décembre 1916. S, Faure lui répliqua. 22. On trouve ce tract 4 A.N, F7/13372. 23. En novembre 1915, s'éiait formé un Comité d'action internationale contre Ja guerre (C.A.I), d’inspiration anarchiste, dont Lepetit était le secrétaire et Hasfeld le trésorier. Trois mois plus tard, en janvier-févricr 1916, s'opérait In fusion du CAT. avec la minorité socidliste zimmerwaldienno qui donnait Raissance an G.RARI. Ci. ci-dessous, chap. 2, p. 46. 24, La Bataille, 8 wars. 14 le mouvement anarchiste et les guerres Entre-temps avait paru le Manifeste des Seize, publié dans La Bataille du 14 mars*, D’esprit union sacrée, il affirmait notam- ment : « Avec ceux qui luttent, nous estimons que, 4 moins que la population allemande, revenant A de plus saines notions de Ja justice et du droit, renonce enfin A servir plus longtemps d'instrument aux projets de domination politique pangermaniste, il ne peut tre question de paix”, » Aux premiers signataires — qui n’étaient que quinze, Hussein Dey, localité algérienne, ayant été prise pour un nom de militant — s‘associérent bientét une bonne centaine danarchistes de divers pays’. Au nombre des quinze figuraient des Frangais connus comme Jean Grave, A. Laisant, Ch. Malato, Mare Pierrot, Paul Reclus, et des rédacteurs de toujours des Temps nouveaux, Christian Cornelissen, W. Tcherkesoff. Malatesta répliqua aussitét dans Freedom par un article intitulé, selon Hem Day, « Anarchistes partisans du gouvernement », qui parut en une brochure au titre plus agressif : Anarchistes de gouver- nement. Quant aux internationalistes parisiens, ils publitrent en mai une Deuxiéme lettre aux abonnés des « Temps nouveaux », portant en sous-titre Un désaccord. Nos explications. Cette lettre consistait dans la publication de la correspondance échangée avec Grave par Girard et Benoit, respectivement trésorier et secrétaire du groupe. Le conflit s'aggrava encore et une troisitme lettre, Projets d'avenir, parut en février 1917. Rappelant les déclarations antérieures des anarchistes aujourd’hui partisans de l’union sacrée, ses auteurs affirmaient < la rupture est donc bien compléte* ». Et, souhaitant reprendre une besogne éducative, ils annongaient la création d'un périodique au titre déja fixé : L’Avenir iniernational®, dont le premier point du programme serait T'internationalisme. Puis, « dans lordre politique », il préconiserait « l’abolition de I'Etat et une organisation générale basée sur la commune libre, la fédération des communes et des régions au gré des besoins et des intéréts », dans l’ordre économique |’ « abolition de la propriété individuelle » et l’ « organisation communiste de la société », grace notamment aux groupes corporatifs et coopératistes. Mais la manifestation anarchiste la plus marquante de l’époque, qui constituait aussi une réponse au Mantifeste des Seize, fut la 25, Le manifeste est daté du 28 février 1916. 26. Hem Day, « Seize », Encyclopédie anarchiste, p. 2841-2553. On pourra voir également Tarticle de Pierrot, p. 881-882. 27. Cf. La Libre Fédération de Lausanne, 14 avril 1916, 28. Cf. p. 15. 29. Le premicr numéro parut un an plus tard, janvier 1918. Il ne peut étre dit uniment anarchiste. 1s parution le 2 avril 1916 du premier numéro de C.0.F.D., journal fondé par S. Faure et Mauricius, ce dernier fournissant les fonds °. Dans un tract publié en septembre intitulé Aux lecteurs du « Libertaire », les anciens de ce journal demandaient qu’on se regrou- pat derriére C.O.F.D., ¢ journal d’union, d’union sacrée en vue de Ja libération de tous les asservis et de tous les exploités >. Le jour- nal n’était pas spécifiquement anarchiste et quelques socialistes, des syndicalistes révolutionnaires en vue, G. Dumoulin, Ch. Marck, les Bouet et les Mayoux, institutcurs résistants, y collaboraicnt. C.Q.F.D. fut non seulement un organe anti-union sacrée, il fut aussi une réponse aux « Scize ». La discussion amorcée par S. Faure en termes courtois prit trés vite um autre ton, Grave apparaissant protégé par « Dame Censure™ >, On en aura une idée lorsqu’on notera que c’est dans une rubrigue intitulée « la boite aux ordures » que seront publiés, 4 l'occasion, des extraits d’articles de Grave parus dans La Bataille ®, Queiques chiffres illustrent le succés du journal : celui du tirage qui atteint 12.000 exemplaires au lancement, 20000 en novembre, celui des abonnements : 1000 en mai, 3000 en décembre. Mais surtout, des groupes d’amis se constituérent, nombreux et actifs, Ds le 21 mai 1916, le mois donc qui suivit la parution du premier numéro, une sortie réunissait dans les bois de Saint-Cloud une trentaine de lecteurs de C.Q.F.D. auxquels Mauricius fit une causerie™. On dénombrait une cinquantaine de groupes en 1917, dont une vingtaine 4 Paris, concentrés dans Jes II’, X°, XI’, XIX? arrondissements et dans la banlieue ouest et une trentaine groupés autour des capitales provinciales : Lyon, Marseille, Tou- louse, Rochefort-Saintes, Nantes-Angers-Trélazé **, De été 1917 aux lendemains de la guerre Le succés de l’offensive pacifiste des années 1916-1917 s'expli- gue sans doute avant tout par la durée de la guerre ct les sacri- fices qu’elle exigeait se conjuguant avec une certaine faiblesse gou- 30. Cf, G.Q.F.D., numéro du 24 novembre 1917, 31. C.O.F.D,, 28 octobre 1916, article de S$. Faure. 32. C.O-F.D., 25 novembre 1916-13 janvier 1917. 33, D'autres sorlies champétres eurent lieu, celle du dimanche 30 juillet 1916 par exemple qui groupa 70 personnes le matin, auxquelles vinrent s'adjoindre une cinguantaine d’autres T'apres-midi (¢f, A.N. F7/13061, année 1916). 34. Cf, Pouter-Corpier, Le Mouvenient anarchiste frangais et la guerre, 1914-1939, (CE. Bibliographie, travaux universitaires.) 16 le mouvement anarchiste et les guerres vernementale A V’égard de laction antimilitariste. Les insuccts militaires, les débuts de la Révolution russe l'amplifigrent. D’ob, & Varritre, des gréves qui se multipligrent de janvier & juin 1917, d’ob, sur Je front, la crise d’avril-juillet 1917. Mais un changement radical s’opéra a l'été de 1917 et, durant une année 6té 1917-28 1918 — on assista 2 une retombée de Yaction pacifiste, déclin symbolisé par la disparition des groupes des amis de C.Q.F.D. et par la trs importante baisse du tirage du journal (il recommenga & paraitre en septembre 1917 aprés une suspension de trois mois) : 4000 exemplaires en décembre 1917 et il cessa alors sa parution. La Piébe, qu'animera Fernand Després, lui succédera bien le 17 mars 1918, mais elle disparaitra & son tour le 4 mai aprés quatre numéros, Une explication & deux niveaux permet sans doute de rendre compte du phénoméne. Au plan international, ’échec de la conférence socialiste interna- tionale de Stockholm en septembre 1917 ne favorisa évidemment propagaude pacifiste; par ailleurs, la demande de paix par Jes Russes suivie de l'armistice de Brest-Litovsk le 15 décembre 1917 furent présentés cn France comme une trahison et, sills enthousiasmérent la trés réduite minorité internationaliste, ils affaibli iT contre dans les masses les positions des partisans de la pi Mais surtout larrivée de Clemenceau au pouvoir Je 17 novembre 1917 marqua Je début d'une répression systématique contre les opposants & la guerre et les anarchistes, particulitcement visés, furent durement frappés, Citons a titre d’exemples : — procés de ceux qui étaient accusés d’avoir fait paraitre le 15 juin un numéro du Libertaire clandestin, procés qui se déroula du 4 au 11 octobre et qui valut 4 Lepetit deux ans de prison, & Barbé, Content et Ruff, quinze mois de la méme peine, 4 Le Meil- Jour, un an, 4 Grossin, quatre mois ; — procés, en novembre 1917, de Jahane : six mois pour trans- port de tracts; procts de Cochon : trois ans de travaux publics pour désertion ; — procés, en décembre 1917, de Lecoin qui, libéré le 12 sep- tembre, n’avait pas rejoint son corps; arrété quatre jours plus tard, il Gait condamné, le 18 décembre, A cing ans de prison auxquels vinrent s’ajouter dix-huit mois pour propos subversifs & I'audience ; — procés d’Armand, incarcéré depuis le 14 octobre 1917 et condamné, le 5 janvier 1918, & cing ans de prison par le conseil de guerre de Grenoble pour complicité de désertion ; — procés enfin de Stbastien Faure. Condamné par défaut en octobre 1917 A deux ans de prison pour outrages publics a la pudeur, l'animateur de C.0.F.D., arrété le 11 janvier 1918, compa- 17 raissait le 28 du méme mois devant les juges et se voyait alors condamné & six mois de prison. Ces condamnations réduisaient au silence pour plusieurs années les militants les plus actifs, Aussi la reprise de I'action anarchiste ne se fit-elle qu’aprés T’armistice, en ce qui concerne du moins les opposants & la guerre. Quant aux ¢ interventionnistes », ils connurent eux aussi des difficultés mais d’autre nature, Aprés L'armistice, Jes réunions publiques demeurérent interdites. La Fédération communiste anarchiste (F.C.A.), reconstituée, put cependant tenir un premier meeting, privé, le 21 décembre 1918. Quelques jours plus tét, Content avait signé un tract : Au peuple frangais®, par lequel il disait sa reconnaissance A la Révolution russe et demandait aux travailleurs de ne point déposer les armes afin que soit garantie la paix entre les peuples. Grace A Content toujours, un premier numéro du Libertaire pouvait reparaitre le 26 janvier 1919, mais ce n'est qu’une année plus tard que la F.C.A. tenait & Paris son premier congrés de Vaprés-guerre, les 14-15 novembre 1920. Que se passait-il du cété des anarchistes dits d'union sacrée? A partir de mai 1916, ils firent paraitre & intervalles irréguliers des Bulletins qui reprenaient le titre du journal que Jean Grave « diri- geait > avant-guerre : Les Temps nouveaux. Seize publications furent ainsi diffusées, la dernitre datée 1 juin 1919. Une nou- velle série — numéro 1, 15 juillet 1919 -- mensuelle, conserva le titre général Les Temps nouveaux et quelques variations inter- vinrent seulement dans le sous-titre™. Elle se maintint jusqu’au numéro 23-24 de juin-juillet 1921. Son déficit était alors de 9 300,05 F, ainsi qu’en témoigne Ja circulaire qui fut envoyée a cette époque aux abonnés’*. La revue était restée celle de l’équipe des « Seize » au sein de laquelle le Dr Pierrot jouait un réle déter- minant, mais Jean Grave, en désaccord avec le comité de rédac- tion pour des raisons purement personnelles, avait rompu défi- nitivement avec lui un an plus tét*. Il reprit presque aussitét la propagande mais pratiquement seul, avec ses Publications de la Révolie et des Temps nouveaux ™. 35, Arch, F. Po B a/1545, tract Au Peuple franeais : le rapport du 15 décem- bre 1918 en donne le texte « anproximatif », surtout incomplet, semble-t-il. 36. Cf, Bibliographie, 37. Cf. collection du journal. 38. Note parue dans Les Temps nouveaux, n° 13, 15 juillet 1920 : Ne Pouvant m’entendre avec ses membres (du comité de rédaction) je me sépare deux, écrivait-il, < complétement ». 39. Numéro i (1920) sous le titre : Groupe de propagande par écrit; & partir du n° 10 (1921) devient Publications de la Révolte et des Temps nou- veaux, Le numéro 99 et dernier est daté septembre 1936 (Grave n’avait recu, & celle époque, en deux mois, qu'une scule souscription). 18 le mouvement anarchiste et les guerres Quant au docteur Pierrot, avec la méme équipe que celle des Temps nouveaux de 1919-1921 et dans le méme esprit, il fonda le 15 mars 1925 la revue Plus loin, qui dura jusqu’é la Seconde Guerre mondiale. Que ce soit dans Les Temps nouveaux en 1919-1920 ou dans Plus Join en 1928, & deux reprises la discussion resurgit sur Yattitude des anarchistes en 1914 et au cours des années suivantes. Durant la guerre et limmédiate aprés-guerre, la polémique avait pris un tour extrémement dur et Charles Malato avait pu écrire a Grave le 7 mars 1918“: < Si une révolution sociale éclatait et que nous eussions un réle & y jouer, notre premier acte devrait étre de les coller au mur » (il s'agit d’Armand, Lorulot, Mauricius). Et, quatre mois plus tard, le 13 juillet : « Tout libertaire que je sois, le salut commun étant la supréme loi, si j'avais été a la place de Clemenceau, j'aurais fait coffrer Longuet, fusiller Rapoport [...] et supprimer ces journaux-poisons comme on a supprimé absinthe. > Puis le silence se fit, d'autant plus aisément que les animateurs de la tendance hostile 4 l'union sacrée, regroupée dans ou autour de la U.A., se tenaient dans un silence certes trés hostile mais surtout dédaigneux *. En juillet 1928, dans Plus loin, le docteur Pierrot et ses amis réaffirmérent le bien-fondé de leur position de guerre, soutenant ne voir aucune contradiction dans leurs attitudes : « Nous avons été antipatriotes et antimilitaristes, écrivait Pierrot, avant, pendant et apres la guerre® », et il se félicitait de s’étre opposé au militarisme prussien < dont le triomphe efit renforcé, dans Ja France vaincue >, le militarisme. Il ajoutait : « Notre adhésion a la défense commune ma jamais eu en vue ni exaltation du militarisme francais, ni impérialisme, ni domination, ni orgueil national, ni représailles & exercer, ni humiliation & imposer“. > Certains < résistants » & l’union sacrée réagirent avec violence et on put lire dans Le Libertaire des articles comme ceux de Loréal, 40. Les Temps nouveaux, n° 2, 18 aodt 1919, A n° 9, inclus, 15 mars 1920, avec'de nombreuses lettres’ de Kropotkine écrites durant la guerte; Plus join, n° 40, juillet 1928, & n° 44 inclus, novembre 1928, 41. Lettres adressées & Jean Grave (LF.H.S, Fonds Grave). De semblables extraits pourraient étre, dézagés des lettres des ter et 6 avril 1918. Voir égale- ment son article des Temps nouveaux cu 15 mars 1920. 42, Larticle leader du n° 1 du Libertaire, 26 janvier 1919, se contentait do déclarer sans avancer de noms : « Si nous ayons sujet de 'méditer, ce n'est pas sur la fragilité de nos doctrines, de notre idéal, mais bien sur le manque de conscience, sur la lacheté, sur aberration dont ont fait preuve certains individus qui ne peuvent prétendre eux seuls personnifier Yanarchie. > 43. Plus loin, n° 43, octobre 1928, . Ibid, 19 « Voix d'outre-tombe », ou de Le Meillour, « Les revenants remet- tent ca® >, Crest en novembre 1928, que M. Isidine, pseudonyme de Marie Goldsmith, amie de jeunesse de Pierrot et collaboratrice de Plus loin, fit paraitre un article qui, au dire de Pierrot, « clot défini- tivement le débat*” » en donnant finalement raison aux partisans de l'union sacrée ainsi que le montrent les extraits suivants : « Oui, il y a incontestablement une contradiction dans attitude des anarchistes qui, dans la Grande Guerre, se sont rangés du cété d'un des adversaires. Il ne faut pas fermer les yeux Ja-dessus. On ne peut nier que la participation A une guerre ne soit une violation des principes pacifistes et antimilitaristes, que le fait d’entrer dans une armée ct de se soumettre & fa discipline ne soit une impor- tante concession. Mais ce manque de logique n’est-il pas inhérent A la vie elle-méme? [...] Si Ja participation A Ja guerre viole les principes pacifistes et anti- militaristes, la non-résistance aux armées d'invasion constitue une violation au moins aussi grande du principe primordial de Ia résis- tance 4 oppression, un abandon au moins aussi grand de l’esprit de révolte [. Des deux principes en conflit, quel est le plus général, Ie plus profond, le plus précicux : le principe pacifiste et antimilitariste ou Je principe de la résistance A Voppression? Incontestablement ce dernier. L'antimilitarisme n'est qu'une forme particuliére de 'oppo- sition & Etat, comme Ja guerre n’est qu’une manifestation parti- culiére de Vorganisation capitaliste ct hiérarchique de la société. Au contraire, Pidée de la résistance, de la lutte contre un pouvoir fort, de la défense des droits et des libertés de chaque groupement social, de Ja lutte contre Ja réaction sous toutes ses formes, est l'idée fondamentale de l’anarchisme. > Lopposition demeurait done, irréductible, définitive. On s'est beaucoup interrogé sur le ralliement socialiste, syndicaliste et anarchiste 4 l'union sacrée survenu dans les premiers jours d@aofit 1914, Pour la famille anarchiste, comme pour les autres familles socialistes, la résistance & la guerre ne fut 4 l’origine que Je fait d'isolés et c'est l'ensemble, masses et militants, qui se rallia... 45. Le Libertaire, 28 septembre ct 26 octobre 1928. L'article de Loréal prend fin sur ces mots ; « Il faut laisser les cadavres se putréfier. » 46, D'origing russe, docieur és sciences, Marie Goldsmith se suicida Je er 1933, 47, Plus loin, n° 95, mars 1933. sik 20 le mouvement anarchiste et les guerres ‘ou se tut. Que cela s'explique, comme pour les autres également, par fa peur, par le désarroi devant un cataclysme dont on avait beaucoup parlé mais sans faire effort d'imagination nécessaire pour le concrétiser, cela ne fait, semble-t-il, pas de doute. Qu’il y ait eu, A larriére-plan du mot d’ordre de gréve générale insurrec- jionnelle, cette clause clairement exprimée ou, Je plus souvent, sous- entendue, clause allant de soi pour certains : c'est simultanément que gréve générale et insurrection doivent éclater dans les deux camps en lutte’, cela aussi ne fait aucun doute. Que cette attitude s‘explique enfin par un patriotisme dont les origines remontent au jacobinisme de 1792 et & la Grande Révolution émancipatrice des peuples, cela est vrai pour tout le mouvement ouvrier frangais sans exclure la famille anarchiste et il suffit de rappeler les déclarations patriotiques de Pellouticr en 1894, de Kropotkine en 1905, Mais, en ce qui concerne plus spécialement Jes anarchistes signa- taires du manifeste d'union sacrée, dit des Seize — la vérification est A faire pour les autres familles socalistes —, nous voudrions insis- ter, dans les lignes qui suivent, sur le réle jous par les souvenirs de ['Internationale bakouninienne « antiautoritaire » et la Commune de Paris dans leur comportement. Si Yon examine les deux camps, que constate-t-on? Au nombre des quinze premiers signataires du manifeste « union sacrée », daté 28 février 1916, nous trouvons neuf Francais : Jean Grave, Jacques Guérin, Laisant, Le Levé, Ch. Malato, Orfila, M. Pierrot, P. Reclus, Ph. Richard, deux étrangers, permanents collaborateurs des Temps nouveaux : Kropotkine et Tcherkesoff. Si l'on excepte Orfila et Ph. Richard dont la date de naissance nous est inconnue, les autres sont, en 1914, pour la plupart des « anciens » : deux ont plus de soixante-dix ans (Laisant, 73 ; Kropotkine, 72), deux ont soixante ans et plus (Grave, 60; Tcherkesoff, 67), deux ont plus de cinquante ans (P. Reclus, 56; Malato, 57), les trois dernicrs sont Pierrot (43 ans), Le Levé (32 ans), Guérin (30 ans). Quant aux « résistants », aux premiers « résistants >, ils sont en 1914, pour la plupart, beaucoup plus jeunes; Combes et Boudot, qui ont signé le manifesie londonien L’Internationale anarchiste et la guerre, sont respectivement Agés de 27 et 28 ans; Lecoin, 26 ans et Ruff, 37 ans sont en prison; les autres sont Benoit (36 ans) et Girard (54 ans) des Temps nouveaux ; les individualistes Armand (42 ans) et Chardon (22 ans), enfin S, Faure (56 ans). 48, Le congrés national extraordinaire de juillet 1914 du Parti socialiste ILO. avait affirmé qu'il considérait « comme particulitrement efficace 1a gtdve générale ouvritre simultanément et internationalement organisée dans les Pays intéressés ». 49. CE. t. 1, p. 305, note 122; 1. J, p. 377 ets. 50. Pour tous ces militants, cf. Dictionnaire, op. cit. 21 Sans vouloir solliciter abusivement les ages, on peut dire que les tenants de l’union sacrée étaient, dans leur ensemble, tant par leur Age que par leur filiation idéologique, plus proches de la Commune de Paris et de la Premiére Internationale « antiautoritaire » que les « résistants » la guerre. De ce double fait résultait une opposition de principe a l’égard de l'Allemagne réputée dictatoriale et marxiste. Des correspondances privées de Kropotkine certes, mais d’autres aussi, confirment cette thése. Tcherkesoff, par exemple, écrit 4 Grave Je 22 octobre 1914 : « Il faut que les Allemands soient battus, annihilés, humiliés*, » Deux anciens communards, membres de la Premiére Internationale « antiautoritaire », témoignent eux aussi. Jules Montels, colonel de Ja XII° Légion fédérée en 1871, dont Je fils est mobilisé dans une unité combattante, écrit 4 Grave le 12 aoat 1916 : ¢ Vous pouvez compier sur moi qui aurais signé des deux mains ce que Malatesta appelle Je “ Manifeste des Seize ’”. Vai plus que jamais horreur de l’esprit, de la science et de la race teutonnes. » Et Pindy, lex-gouverneur de I’'Hétel-de-Ville de Paris sous la Commune, qui vit en Suisse et dont le fils s'est engagé dans Parmée frangaise, écrit & Grave, & la méme époque, 10 octobre 1916 : « Pour moi, il n’y a aucun doute : il fallait prendre parti contre la menace d’envahissement de la domination allemande militarisée et conquérante sans vergogne. Peut-Gtre mon passé m’incitait-il & avoir cette opinion, mais ce n’est pas le désir de venger notre défaite de 1870 qui me I’a seul inspirée : je me suis rendu compte du danger que courait l'humanité si V’hégémonie de I'Allemagne arrivait & s'imposer®, » Enfin, en 1928, dans Plus loin®, Paul Reclus écrira & son tour : « J’ai connu la Commune. Combien nombreux étaient ceux que guidait un idéal social & cété de ceux qui avaient pris les armes par indignation patriotique contre le gouvernement de la “ Défense nationale ” ? Combien de Varlin pour combien de Rossel? > Telle est, me semble-t-il, une des raisons, peut-étre essentielle, du ralliement de certains anarchistes & la défense de la France en 1914, ralliement que symbolisa le manifeste dit des Seize et qui s‘inscrit dans le grand courant patriotique qui, toutes classes réunies, submergea le pays. pi Carreee onaaiics Grave déposée A l'LF.HS, . Ibid, 53. Plus loin, n° 40, juillet 1928, 22 le mouvement anarchiste et les guerres Quoi qu’il en soit, ce ralliement devait jouer un grand réle dans [histoire ultérieure du mouvement. « Chaque fois qu’on touche 4 ce point, écrivait M. Isidine, en novembre 1928 dans Plus loin, les coléres reprennent avec une nouvelle force » et, sans prétendre comme Descarsins * que « la cause essentielle de la régression du mouvement anarchiste, de la perte sensible d’influence de nos idées, réside dans la signature du manifeste », il faut bien reconnaitre que cela a joué son réle, qu’il y eut rupture dans le mouvement et rup- ture définitive. Par ailleurs, il est non moins certain — et cela est vrai pour toutes les familles socialistes — que le probléme de Vattitude A adopter devant la guerre ou les guerres ne devait plus se poser désormais dans les mémes termes... B. 1920-1970. Un demi-sitcle d’antimilitarisme anarchiste : de la révolte collective au refus individuel Soulignons tout d’abord combien il est difficile, une fois encore, de définir une ligne anarchiste « officielle » en tel ou tel domaine, méme lorsque les groupes sont fédérés en une seule organisation, ce qui n'est pas toujours le cas, il sen faut. Au lIendemain de Ja Premigre Guerre mondiale, les anarchistes « résistants » regroupés dans I’'U.A. se déterminérent, semble-t-il, consciemment ou non, en fonction de deux préoccupations contra- dictoires : d’une part demeurer fidéles 4 l'antimilitarisme d’avant- guerre et reprendre, pour bien se démarquer de ceux qui s’étaient ralliés 4 T'union sacrée, Je mot d'ordre traditionnel : contre la guerre, contre toutes les guerres, par la gréve générale insurrec- tionnelle ; d’autre part tenir compte de P’événement < att 1914 > qui vit toutes Ies familles socialistes et syndicalistes, masses et militants, favorables, dans leur ensemble, 4 la défense nationale et définir une nouvelle attitude face 4 la guerre. Le premier de ces facteurs explique le maintien, 4 premiére vue, du mot d’ordre de « grave insurrectionnelle » qu’on retrouve for- mulé & de nombreuses reprises, en 1935 par exemple : « Vive la gréve générale expropriatrice qui réalisera la paix mondiale », pro- clame lordre du jour qui clét un meeting le 17 décembre **. Peu dillusions sont toutefois entretenues sur les réclles possibi- lités dune telle action. « Espérer transformer la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire est un leurre, car la déclaration des hosti- 54. Plus loin, octobre 1928, 58. Le Libertaire, 20 décembre 1935. lités serait une premiere défaite du prolétariat®. » Aussi une résolution de la fédération parisienne de !'U.A. précisera-t-elle le 12 mars 1938 que la gréve générale insurrectionnelle devra étre préventive *". Dans la mesure od l'ancien mot @ordre de gréve générale insur- rectionnelle sera repris — et ce sera fréquemment le cas jusqu'en 1939 — une retouche essentielle est donc apportée : c’est préventi- vement a toute mobilisation que Jes travailleurs doivent appliquer le mot dordre de gréve générale, faute de quoi ils auront fait la preuve de leur immaturité et de leur faiblesse et la guerre passera. Tel nous semble étre Ie premier caractére de lantimili- tarisme anarchiste de l'aprés Premigre Guerre mondiale. Deux autres traits le définissent. A la lumi8re de ce qui s’est passé en 1914 et de la situation vécue depuis, les anarchistes se rendent compte, peu A peu, que J’espoir est vain d'une résistance collective efficace & une autre guerre. D’ott le repli de leur antimilitarisme vers les solutions individuelles. Enfin, il est une certitude libertaire traditionnelle qui demeure et dont Pimportance est grande : il n’est pas de guerres justes ou injustes, de guerres offensives ou défen- sives, il y a la guerre et un anarchiste est contre toutes les guerres. Pour la commodité de notre étude, nous distinguerons toutefois différents cas, moins peut-étre parce qu’ils ont entrainé une révision doctrinale pour lensenible du mouvement que parce qu’ils ont fait parfois probléme pour certains militants, et c’est ainsi que nous envisagerons séparément les guerres coloniales, les guerres antifas- cistes et la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale. Les guerres de type colonial Les anarchistes se sont refusés & prendre parti dans les guerres de type colonial. En voici quelques exemples qui concernent ou non la France, mais nous ont paru éclairants pour notre sujet. Si l'Union anatchiste finit par s'associer le 12 octobre 1925 a la gréve générale de vingt-quatre heures décidée par le P.C. et Ja C.G.T.U. contre la guezre du Maroc, gréve qui ne fut pas un succés, les anarchistes n’en ont pas moins pris dés le début leurs distances a ['égard d’Abd El Krim, dont les buts n’étaient pas jugés moins impérialistes que ceux du dictateur espagnol *. 56. Le Libertaire, 2 aoft 1935. 57. Le Libertaire, 13 mars 1938, « Gréve générale insurrectionnelle » en vue de. « Vexpropriation des moyens ‘de production et de répartition ». En cas éche » résistance clandestine pour « transformer [la guerre] en révolution sociale >. 58. L'U.A. se rotira d’ailicurs du Comité central d'action contre l'impérialisme et Ja guerre que dirigea Maurice Thorez partic d'avril 1925. 24 te mouvement anarchiste et les guerres Le 3 octobre 1935, Mussolini attaquait [Ethiopie qu’il déclara annexer le 9 mai suivant. Dans cette affaire, Jes anarchistes esti- mérent avec A. Prudhommeaux : « Entre ['Italie et I'Abyssinic, Cest-a-dire entre les exploiteurs des deux peuples, nous n’avons pas A choisir®’ », et ils se prononcérent contre les sanctions, car ¢ la prise de sanctions n'ira pas sans de graves dangers de généralisation de la guerre », « Avant tout, il faut boycotter la guerre », écrivait R, Frémont Aprés Ja Seconde Guerre mondiale, les expéditions coloniales frangaises ne manguérent pas et donnérent aux anarchistes l’occa- sion de définir A nouveau leur position qui rappelle d'ailleurs celle de Tente-deux-guerres. Nous nous en tiendrons pour l'essentiel a Pattitude de la F.A. dans la guerre d’Algéric. Si Yon vit le mouvement anarchiste se déclarer contre cette guerre, on le vit également, dans son ensemble, hostile 4 la guerre menée par les Algériens. « Je suis contre la guerre, contre toutes les guerres nationales, d’indépendance, civiles ou de Libération », écrivait Hem Day au nom de Ja non-violence *. Et Maurice Joyeux, responsable du groupe parisien Louise Michel, déclarait de son cété que le nationalisme algérien, ¢ pas plus que tout autre nationalisme, ne saurait ayoir l’agrément des libertaires® ». D’autres prises de position, différemment formulées, aboutissaient A un méme « neu- tralisme ». C'est ainsi que Gaston Leval affirmait en février 1960, dang ses Cahiers : « Quel que soit le cadre politique qui sera défi- nitivement choisi, la solution heureuse ne peut venir que par T’'asso- ciation des meilleurs éléments européens et musulmans qui [...] chercheront a réaliser une pratique de fraternité humaine. » Enfin un tract du groupe S. Faure de Bordeaux, groupe de la F.A., exaltait A la méme époque « la résistance des deux peuples aux exploiteurs communs™ >, les cadres de Vinsurrection algérienne étant au nombre des exploiteurs. 59. Terre libre, septembre 1935. 60. Le Libertaire, 18 octobre 1935, article de Lashortes. 61. Le Libertaire, 15 novembre 1933, Déja en 1930, alors que Gigi Damiani, anarchiste italien, écrivait, dans Le Libertaire du 31 mai, « il faut mobiliser et marcher contre le fascisme italien >, il lui était répondu : nous sommes © contre toutes les guerres, quel qu’en soit le prétexte initial >. 62. Bulletin intérieur de la F.A., février 1961. 63. Ibid. Voir également M, Joyeux, L’Anarchie et la révoite de la jeunesse, Paris, 1970, p. 70-71. Citant Le Monde libertaire, il écrit : Notre prise de position « contre la guerre d’Algérie ne peut €ire, en aucun cas, une appro- bation du F.L.N. En Algérie, les hommes ne Juttent pas pour leur libération mais pour se donner de nouveaux maitres ». 64, Bulletin intérieur de la F.A., f€vrier 1961. 3s Telle fut la position de Ia majorité de la F.A. dans Ja guerre Algérie. Hi doit étre toutefois noté que, dans Ja Fédération, un cou- rant minoritaire se dégagea, favorable au soulévement algérien, qui s’exprima notamment par un article de Devriendt et par un tract diffusé par ses amis et par lui-méme, En sympathie avec les révoltés algériens, il leur donnait seulement ce conseil : <¢ Vous devez veiller jalousement A ce qu’en aucun cas et 4 aucun moment votre destin cesse de vous appartenir », et terminait par ces mots: « Vive la révolution algérienne! Vive |’Internationale des travailleurs“! > Hors de Ja F.A., les G.A.A.R. (Groupes anarchistes d'action révo- lutionnaire), dans leur revue Noir et Rouge, en dépit des réserves qu'ils pouvaient formuler 4 l’égard de certains aspects de la Résis- tance algérienne, prirent position sans ambiguité en faveur du soulévement. Dans une sorte de manifeste signé G.A.A.R. et qui engageait donc l'ensemble des groupes", ils s’élevaient tout d’abord contre « une attitude équivoque de “ balance ” renvoyant dos a dos les deux parties et aboutissant & un soutien objectif de la “présence francaise ” en Algérie >. « Nous ne pouvons étre moralement, poursuivait le manifeste, qu’avec le peuple algérien combattant, avant son indépendance, pour sA viz purement et simplement », et il déclarait que les anarchistes « NE PEUVENT QU'ETRE PARTISANS CONVAINCUS DE LA DESTRUCTION DU COLONIA- LISME FRANCAIS EN ALGERIE », La guerre antifasciste Avec V’accession d’Hitler au pouvoir Je 30 janvier 1933, va se poser le probléme du fascisme et, éventuellement, d'une guerre antifasciste. 65, Bulletin intérieur, ter mai 1961, Durant la guerre d'Indochine la F.A. appela, dans un premier temps, a la tutte sur deux fronts. Robert Joulin, s'adressant & « tous nos fréres indo- chinois », se prononcait « pour leur libération totale contre tous les impéria- lismes déguisés ou non, contre toute tentative de régression sociale qui pour- rait tre Pauvre des dirigeants du Vict Minh aprés le départ des colonialistes » (Le Libertaire, 18 janvier 1952), ct, deux ans plus tard, un autre rédacteur met- tait encore plus clairement en garde « le prolétariat indochinois » contre une abdication « aprés la débacle totale des forces colonialistes et réactionnaires, en faveur du gouvernement d'Io Chi Minh », le résultat devant étre « V'instau- ration d’un nouvel esclavage et l'avénement d'une autre caste de privilégi¢s » (Le Libertaire, § novembre 1953), Entre ces deux dates, la F.A, condamnait par contre Pattitude de ceux qui « prétendent renvoyer dos & dos Fimpérialisme des grandes nations et Jes luties d’émancipation nationale des peuples coloniaux >, en précisant toutefois que « Ja guerre anticolonialiste, forme avjourd’hui_pri- mordiale de la guerre de classes, doit avoir comme but final le communisme libertaire » (Le Libertaire, 11 décembre 1952), Seule Ja F.C.L., qui succéda fin 1953 A la F.A. (cf. ci-dessous, p. 91 et 8.) se montra sans réserves anticolo- nialiste jusqu’a sa disparition en’ 1956. 66. Noir et Rouge, n° 10, sd, [aoit 1958), p. xm-xIv. 26 le mouvement anarchiste et les guerres Des le lendemain de la Premitre Guerre mondiale les anarchistes — ils ne furent pas les seuls — avaient dénoncé la ¢ paix d'impé- rialisme ” », le « traité de haine, de violence et de guerre » qu’était le traité de Versailles® et qualifié la $.D.N., née en 1919 de la conférence de Paris, d’assemblée de brigands. En France méme, I’émeute parisienne du 6 février 1934 va sensi- biliser Popinion au probléme du fascisme et déterminer des prises de position anarchistes qu'il est intéressant de fixer. LU.A., en la personne de ses dirigeants, Frémont, Anderson, Faucier, Lecoin, participa, le 7 février, & la réunion que tint & son sidge la direction de la C.G.T., puis A la gréve générale du 12 février. Au cours de Vété, ils s’associtrent au Centre de liaison et de coordination des forces antifascistes de la région parisienne, puis, en dépit de « leurs répugnances particulitres a certains contacts ® », ils jugérent que « pour le quart @heure, le plus impor- tant, le plus pressé, c’est de barrer la route au fascisme” », et ils prirent part A la grande manifestation du 14 juillet 1935. Toutefois, le préfet de police ayant refusé la présence du drapeau noir, les anarchistes n'y participtrent pas en tant que formation politique, mais avec leurs syndicats respectifs. Dés le mois suivant ce fut dailleurs la rupture, Le 2 mai 1935 avait été signé le pacte franco-soviétique « destiné, selon les anar- chistes, 4 maintenir ordre de Versailles par une alliance entre les impérialismes frangais et russe ™ » et le Front populaire leur apparut dis lors une « union sacrée avant la lettre ». Plus clairement encore Le Libertaire affirmera le 20 mars 1936 : « Le Front populaire, c’est Yunion sacrée, et union sacrée, c’est la guerre. » Sur le plan intérieur, Je Front populaire parut tout aussi condam- nable aux anarchistes, Il fut jugé réaliser « l'enchainement de la classe ouvriére A des formations politiques prétes A toutes les abdica- tions™ ». Passé de Ja rue au Parlement, du peuple aux chefs de partis, abandonnant I’action directe, il s’orientait « vers la conquéte du pouvoir par l'action parlementaire ». Dés cette époque, S. Faure écrivait : ¢ Le Front populaire est mort [...]. Tant mieux. De Pro- fundis™. » Sa faillite, un an et demi plus tard, fut jugée celle « du socialisme parlementaire et du libéralisme dans le cadre bour- 67. Le Libertaire, 25 mai 1919. 68, Le Libertaire, 11 mars 1921. 69. Le Libertaire, 5 juillet 1935. j qs Fave, « Liquidons d’abord le fascisme », Le Libertaire, 12 juil- jet 1935, ‘I, Le Libertaire, 10 mai 1935, ‘72. Le Libertaire, 6 décembre 1935, 73. Le Libertatre, 13 décembre 1935. 27 geois >. Les travailleurs eurent A payer « la timidité, la couardise et aussi la trahison des politiciens du Front populaire qui, en 1936, mirent tout en ceuvre pour freiner le mouvement gréviste et l’arré- ter dans son développement logique qui eft di aboutir 4 une ampu- tation massive du profit capitaliste simon 4 son expropriation totale™ ». Pour les anarchistes, et sur le plan intéricur, le Front populaire apparaissait comme « la plus grande duperic de [histoire ouvriére de l’aprés-guerre™ >. Sur Je plan extérieur, les premiéres manifestations annexionnistes de Hitler, cet « enfant du traité de Versailles” », ne furent pas interprétées par Jes anarchistes comme quelque chose de particulier et ils considérérent que « dans Je déchainement des appétits — ceux-ci comblés, ceux-la insatisfaits — limpérialisme allemand tient sa place, voila tout [...]. Dés lors, il importe peu que cet impérialisme soit ou non affecté du signe de la croix gammée™. > Le 12 mars 1938, l’Allemagne hitlérienne annexe 1’Autriche. Les anarchistes estiment que « cet Etat absurde, né de la derniére guerre, n’était pas viable™ >. A plusieurs reprises, ils reviendront sur ce sujet. L’Allemagne étouffait « dans le corset de fer des limites des traités de 1919 ® » et « la fusion de l’Autriche, province allemande, dans le Reich, est dans l’ordre des choses ». De toute fagon, « I’An- schluss ne Ia regarde pas® » (la classe ouvritre francaise), et cela sert de prétexte pour « entrainer Je peuple a I'acceptation totale de la guerre antifasciste * ». Aprés l’Autriche c'est, en septembre 1938, la Tchécoslovaquie et, Ie 29 septembre 1938, sont signés les accords de Munich. Les anarchistes considérent alors que « Je probléme tchécoslovaque n'est qu'un conflit impérialiste dont Ja classe ouvriére internationale fera les frais“ ». Aussi la rétrocession & YAllemagne des districts peuplés de plus de 50 % d’Allemands est-elle jugée un « compromis acceptable » qui « réalise — sur les bases toujours précaires du 74, Le Libertaire, 5 aotit 1937. 15, Le Libertaire, 14 avril 1938. 16. Le Libertaire, 20 janvier 1938. La F.AF., née en dott 1936 dune scission avec TULA. me se montra pas_plus tendre, bien au contraire, A l’égard du Front populaire. 17. Le Libertaire, 7 avril 1938, 78. Le Libertaire, 18 février 1937. 19. Le Liberiaire, 17 mars 1938. 80. Le Libertaire, 15 septembre 1938, 81. Le Libertaire, 17 février 1938. 82) Le Libertaire, 17 mars 1938, 83, Le Libertaire, 24 mars 1938. 84, Le Libertaire, 8 septembre 1938. 28 le mouvement anarchiste et les guerres systéme capitaliste — un peu plus de justice et de sécurité inter- nationales * ». « Osons dire, écrit Lashortes **, que le compromis de Munich est préférable a la guerre [...]. Plus que tous les autres, nous nous réjouis- sons que la guerre ait été évitée, » Toutefois, est-il souligné, il s'agit d'une simple « tréve qu'il faut utiliser » et Le Libertaire se refuse « & applaudir lccuvre de Chamberlain-Daladier® ». Prenant ses distances, un des militants de l'Union anarchiste, Doutreau, entreprend en fin d’année une tournée de conférences sur le théme : « Leur guerre n’est pas notre guerre, leur paix n'est pas notre paix. » Le Libertaire a @ailleurs précisé quelques mois plus tét : « La seule guerre du droit que puissent faire les travailleurs, c'est la guerre sociale, de classe™. » On ne peut faire l'économie de la révolution : fascisme et guerre sont « le chatiment des peuples qui veulent faire cette économie ». Cependant Ja guerre était 1, menagante, sans doute inéluctable aprés qu’en mars eut pris fin la tragédie espagnole qui avait constitué pour les anarchistes le plus délicat des problémes, fe plus dramatique pourrait-on dire, qu’ils aient eu a résoudre sur le plan antimilitariste. La guerre civile espagnole La guerre civile espagnole débuta le 17 juillet 1936 avec le sou- levement du général Franco. Il n’est pas question ici de traiter de Ja guerre d’Espagne sous tous ses aspects et dans toutes ses compo- santes. Ce vaste thtme a déja fait lobjet de nombreuses études, partiales souvent, mais qui ont cependant débroussaillé le chemin, bien que n’ayant pu bénéficier d'archives de toute nature qui demeu- rent, aujourd'hui encore, inaccessibles. Il n'est pas davantage ques- tion d’un essai sur les anarchistes espagnols aux prises avec cette guerre. Plus modestement, nous essaierons de préciser, autant que les données actuelles, la presse avant tout, le permettent, la position des anarchistes frangais face A cette guerre et A des problémes nou- veaux ou posés de facon nouvelle, surgis de la vie méme® et dont on ne trouvait pas la solution dans les livres des grands théoriciens libertaires. Ces problémes, au surplus, et compte tenu des circons- tances, se prétaient mal & débats publics. 85. Le Libertaire, 22 septembre 1938, 86. Le Libertaire, 6 octobre 1938. 87. Ibid, 88, Fbid. « Cette paix n'est pas notre paix », signé « Libertaire ». 89. Le Liberiaire, 4 aodt 1938. 90. Le Libertaire, 18 septembre 1938. 91. Le Libertaire, 27 novembre 1936. 29 Ces problémes? Disons plutét ce probléme, celui de la guerre, mais dans ses composantes qui remettaient en cause quelques-uns des principes fondamentaux de l’anarchisme : entrée dans l’armée ou constitution de milices, hiérarchie militaire ou autodiscipline au sein de colonnes sans chefs et sans grades, refus ou acceptation d'un contréle gouvernemental, participation ministérielle, maintien ou renonciation A une économie déja collectivisée ? Ces questions que les anarchistes espagnols eurent 4 résoudre dans le feu de action, les anarchistes frangais les ressentirent eux aussi, par soli- darité d’abord. Ils eurent également 4 contribuer 4 leur solution en se déterminant, et trés rapidement, sur intervention ou Ja non-inter- vention du gouvernement et de I'Etat frangais. Dés aofit 1936, a la demande de la C.N.T.-F.AL., se constitua en France un Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la libération du prolétariat espagnol, qui regroupait Jes deux organi- sations anarchistes frangaises concurrentes, 'U.A. et la F.A.F. ainsi que, sur le plan syndical, la C.G.T.-S.R. Une assemblée générale du comité se tint et I'U.A. s’étant déclarée en faveur d’un élargissement de l’organisation, ses militants et notamment Lecoin, Faucier, Odéon, Le Meillour, s’en retirérent et constituérent fin aofit, en accord avec C.N.T-F.A.1, le Comité pour ]’Espagne libre, émanation de l’'U.A. & exclusion de la F.A.F. et de la C.G.T-S.R. trés minoritaires. Dans un premier temps, ce Comité pour I’Espagne libre voulut alerter opinion francaise pour se donner des moyens financiers d'action. Il n’hésita pas a faire appel & des personnalités trés éloi- gnées de l’anarchisme et réussit quelques meetings spectaculaires au Vel’ d’Hiv’, qui réunirent des milliers de personnes (10000, 15.000 estima-t-on parfois) avec Jouhaux et Marceau Pivert en octobre, avec la participation de Cachin et donc du Parti commu- niste, le dimanche 6 décembre de la méme année™. A la demande de la C.N.T.-F.A.L. et des Jeunesses libertaires espagnoles, le Comité pour l'Espagne libre se transforma, lors du congrés de ['U.A. tenu a Paris les 30 octobre-1 novembre 1937, en section francaise de la Solidarité internationale antifasciste (S.I.A.) qui venait d’étre eréée au mois de juin en Espagne par la C.N.T. associée a TU.G.T. La section frangaise de la S.LA., dont le secrétaire était Lecoin et le trésorier Faucier, connut un grand développement. Installée 26, rue Crussol, XI° arrondissement, elle groupa jusqu’A 15 000 adhérents et son journal hebdomadaire qui portait le méme nom que le comité, S.J.4., comptait 5500 abonnés en février 1939. 92. esting. annoncé en 17° page du Libertaire du 4 décembre. Un article leader signé « Lib > précisait : « Nous avons lo devoir de surmonter, au moins pour un instant, le déplaisir que nous causent certains contacts. » 30 te mouvement anarchiste et les guerres Elle avait su grouper également au sein d'un comité de patronage un ensemble de personnalités de gauche, l'exception des commu- nistes. S'y cétoyaient le socialiste Marceau Pivert, les syndicalistes René Belin, Georges Dumoulin, Léon Jouhaux, le secrétaire général de la F.N.C.C. Gaston Prache, des littéraires et des scientifiques comme André Chamson, le professeur Rivet, Maurice Rostand, etc., sans oublier bien entendu des anarchistes comme Sébastien Faure, le DP Pierrot et autres. S.LA., section frangaise, atteignit ainsi son premier objectif : assurer aux républicains espagnols un soutien matériel d'une certaine importance : en dix-huit mois plus d'un million de francs furent collectés. De plus, chaque semaine, trois camions de vivres et de médicaments, chacun d’eux convoyé par deux militants, furent acheminés sur Barcelone. Dans le méme ordre didées, $.1.A. entretint, prés de Liansa 4 quelques kilométres de la frontiére frangaise, la colonie Ascaso-Durruti, qui accueillit 300 en- fants, évacués principalement de Madrid et de Barcelone et la plu- part orphelins de guerre. Ajoutons que chacun des camions qui assurait la liaison avec Barcelone transportait, dissimulées pour le principe, des armes pour les républicains. Sur Je probléme de Ja nature de la guerre, les anarchistes fran- gais n'ont pas hésité. Eux qui sont contre toutes les guerres, et qui ne reconnaissent que « la guerre sociale, de classe™ », affir- merent dés le déclenchement des hostilités : C’est bien la guerre « entre l’Espagne des privilégiés et celle des déshérités », une guerre ¢ LIBERATRICE ET SAINTE >», écrira S. Faure; Ja lutte que ménent les anarchistes espagnols est « la nétre® ». Toutefois, et dés les premiers jours de la guerre, se posa le probléme de l'aide du gouvernement du Front populaire frangais au gouvernement du Frente Popular espagnol, le probléme de l'in- tervention ou de Ia non-intervention gouvernementale. Fidéles & leur ligne de conduite pacifiste, craignant une transformation de la guerre civile espagnole én guerre internationale, ce que souhaitaient, disaient-ils, les communistes, les anarchistes de 1'U.A, demandérent que s’exergat 1a solidarité de la classe ouvritre francaise vis-A-vis de la classe ouvriére espagnole, mais non une solidarité de gou- yernement & gouvernement. Et ils jugérent que Blum, chef de 93. Frémont déja cité, Le Libertaire, 4 aottt 1938, 94. Le Libertaire, 31 juillet 1936 :'¢ Le choc dramatique est devenu fatal entre Espagne des palais et chateaux et celle des taudis et chaumitres, entre V'Espagne oisive et parasitaire et Espagne qui travaille et produit tout, entre V'Espagne des privilésiés et celle des déshérités, entre la misérable minorité qui est affamée de domination et d’autorité et immense multitude qui est assoif- fée de révolie et de liberté. > 95, Le Libertaire, 25 septembre 1936. 31 gouvernement, agissait « de fagon honorable ® » en se ralliant, dé- but aofit, a la non-intervention, tout en fermant les yeux sur la contrebande d'armes et en facilitant Vaide directe entre classes ouvrigres des deux pays, L’assemblée générale de la région pari- sienne de PU.A. du 22 aoft 1936 qui affirmait sa solidarité a YEspagne se préoccupait en méme temps de ne pas alimenter le danger de guerre et Le Libertaire mettait en garde contre linstinet de solidarité, génércux certes mais irréfléchi, et il conseillait Paction directe, de peuple & peuple, important étant d’éviter une généra- lisation de Ja guerre, Le congrés national, réuni un an plus tard a Paris, 30 octobre-1 novembre 1937, confirmait : « Toute guerre, méme si elle avait pour faux prétexte d'aider Je peuple espagnol a se libérer du fascisme, ne pourrait rien changer a sa position [du congrés] itréductiblement antiguerriére ™. » La solidarité anarchiste s’exerca done, sur le plan militaire, de classe ouvriére 4 classe ouvriére. Elle consista en premier lieu, nous Vavons vu, en envois d’armes, mais qu’on ne peut valablement comparer avec les transports ou I'acheminement, massifs, de tanks, d'avions et de munitions de toute nature opérés pat Hitler et Mus- solini... En second licu, fut encouragé le départ pour Espagne de volontaires qui servirent comme miliciens non comme soldats, selon la formule maintes fois répétée**. Is constituérent, en septembre 1936, la centurie Sébastien Faure, forte d’une centaine d’hommes. Agrégée A la colonne Durruti, elle opéra sur le front de Saragosse. Deux mois donc aprés le déclenchement de linsurrection franquiste, les problémes essentiels nés de la guerre avaient été posés et, peut-on dire, résolus A chaud : livraison d’armes, participation combattante 4 la guerre, et, c6té espagnol, acceptation, en septembre, de postes ministériels dans le gouvernement catalan™. Ils continuérent néan- moins & se poser jusqu’aux derniers jours de la résistance répu- blicaine, en mars 1939. Ces questions ne cesstrent évidemment d’étre en discussion dans les rangs anarchistes francais of deux courants se firent jour dés aoft 1936, courants que nous avons 96. Le Libertaire, 11 septembre 1936, Lashortes, militant connu et apprécié, intutulera méme un’ article « Bravo Blum », ce qui ne fut pas sans provoquer quelques remous. Et Anderson, alors responsable du Libertaire, nous a con- firmé : « Si y'avais été 14, cet article n'edt_pas paru, du moins avec ce titre ‘ou sous cette forme maladroite, » Et N. Faucier précisera — cf. Libertaire, 11 novembre 1937 — que cette expression marquait avant tout « une oppo- sition A la politique de guerre des communistes ». 97. Le Libertaire, 4 novembre 1937. 98. « Des miliciens, oui... Des soldats, non ! » 99. Par la swite, en novembre, quatre’ membres de la C.N.T, seront ministres dans le gouvernement Caballero. Aprés un gouvernement Negrin sans pré- sence C.N.T. en mai 1937, ce sera, cn avril 1938, une nouvelle participation ministérielle, 32 le mouvement anarchiste et les guerres vus se manifester au Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la libération du prolétariat espagnol. Leur opposition fut aggravée par l'acceptation de la C.N.T. d'intégrer & la Généralité, en septem- bre 1936, le Conseil économique de Catalogne, de supprimer, en octobre 1936, le Comité central des milices antifascistes constitué par les syndicats et contrdlé par eux, d’admettre la réorganisation des milices, premier pas vers leur militarisation, en un mot par fa reptise en main gouvernementale, avec accord de la C.N.T., des collectivités économiques et des forces armées, La presse nous a apporté des échos de leurs affrontements. Les tenants de l'U.A. évitérent de s'interroger publiquement sur Ia tactique suivie par les anarchistes espagnols de la C.N.T.-F.A1. et lon trouve témoignage de cette attitude dans la motion adoptée par 54 voix contre 18 (deux délégués absents) au congrés de Paris des 30 octobre-1°* novembre 1937 : ¢ Toute critique tendant & affaiblir cette solidarité [avec les anarchistes de la C.N.T.-F.A.L] est & bannir de nos rangs™™. » Les militants de l'autre courant, par contre, n’hésitérent pas a manifester leurs inquiétudes quant aux prises de position des anar~ chistes espagnols, estimant que c’était cenvrer ainsi pour Ja sauve- garde de l'idéologie libertaire et pour le succés de la guerre. Dis 1936, L'Espagne antifasciste s'était dailleurs prononcée contre T'in- tégration des milices dans Varmée réguliére et, d’une fagon générale, contre un contréle gouvernemental en quelque domaine que ce soit. André Prudhommeaux’™ fut, avec Voline™, un de ceux qui exptimérent avec le plus de force le courant contestataire au sein du mouvement anarchiste francais. En 1936, il se trouvait & Barcelone et, du 22 aofit au 3 septembre, fit paraitre six numéros de L’Espagne antifasciste. Cette publication étant saisie A la fron- ti8re frangaise, il revint en France en octobre et le journal parut 4 Paris jusqu’an 8 janvier 1937. On se souvient qu’en octobre 1936, deux mois aprés sa constitution, le Comité anarcho-syndicaliste pour Ia défense et la libération du prolétariat espagnol se scindait en deux : d'une part le Comité pour PEspagne libre, émanation de 'U.A. et appuyé par la C.N.T.-F.A.L, allait apporter aux Espa- gnols Je soutien que nous avons évoqué, d’autre part, les éléments reslants, peu nombreux, du Comité anarcho-syndicaliste, représen- taient un courant idéologiquement opposé au premier, celui de la C.G.T.-S.R. et de la F.A.F., née 4 Toulouse les 15-16 aoft 1936 100, Le Libertaire, 4 novembre 1937. 101. Théoricien et’ militant anarchiste, 15 novembre 1902-13 novembre 1968. 102. Vséyolod Mikhailovitch Eichenbaum, dit Voline. Théoricien et mili- faa eget russe, 11 sotit 1882-18 septembre 1945 (réfugié en France lepuis . 33 d'une scission de 1'U.A. Ce courant s’exprima tout d'abord dans L'Espagne antifasciste, puis dans L’Espagne nouvelle qui prit la suite Je 19 avril 1937 et le représenta jusqu’en juillet 1939 en alternance avec Terre libre, créée dés 1934, et devenue organe de la F.A.F, en février 1937. Ce dernier périodique fut avant tout organe de discussion et de recherches — reflétant parfois des positions opposées — sur les thémes anarchistes traditionnels. De 1937 a 1939, les divergences entre les deux courants s’appro- fondirent et firent place & une véritable hostilité, et c'est ainsi qu’en juin 1937 Le Liberiaire supprima tout service d’échange avec L’Es- pagne nouvelle. En décembre 1937, se tint 4 Paris un congrés international de 'A.J.T., mais on ne connut qu’en mars 1939 dans LEspagne nouvelle, le compte rendu qu’en avait rédigé Prudhom- meaux. Toutes les délégations y avaient fait des réserves sur la participation gouvernementale des anarchistes espagnols. « La révo- lution n’ayant pas détruit 1'Etat, "Etat détruit la révolution, c’est une lecon de Vhistoire », avait dit le délégué suédois. Le congrés affirmait toutefois laisser Ja C.N.T. poursuivre son expérience sous 8a propre responsabilité et, afin que cette expérience ne puisse étre entravée par les critiques d'autres sections, éviter que ces critiques soient rendues publiques. Peu aprés cependant, André Prudhom- meaux, Voline et les militants de la F.AF. en général, un peu plus tard Sébastien Faure de I'U.A., reprenaient leur liberté et ce dernier publiait dans Le Libertaire une série d’articles intitulés « La Pente fatale * » dans lesquels il contestait le bien-fondé des positions de la C.N.T.-F.AI. Si I'U.A. dans son ensemble se refusait a la critique, les militants de la FAP, renforcérent peu a peu leurs attaques, notamment aprés V'insurrection des 3-7 mai 1937 qui mit aux prises militants anarchistes et poumistes d’une part, communistes d’autre part, et qui vit tomber Durruti, Ascaso, Berneri et mille autres, dont le sang vint ¢ éclabousser les ministres et les dirigeants pourris qui [..] mont pas trouvé une parole de révolte et de désaveeu contre le gouvernement dont ils restent les membres, les otages, les sinis- tres pantins"” », et Terre libre de juin 1937 s’éleva ¢ contre tous les “ dirigeants ” de la C.N.T.-F.A.I. qui trahissent notre cause >. Selon les militants de la F.A.B., selon Voline et Prudhommeaux, plOssabe Stage aurait aticint, selon Je journal, 25000 exemplaires en octo- re 1936. 104. Le tirage de L’Espagne nouvelle, périodique tres doctrinal, ne dépassa as, semble-tul, 500 exemplaires (Mémoire de maitrise de J. Blaucheteau, cf. ‘Bibliographie). 105. L’Espagne nouvelle, 12 juin 1937. 106, Le Libertaire, 8, 15, 22 juillet 1937. 107. L'Espogne nouvelle, 22 mai 1937. 34 Je mouvement anarchiste et les guerres il aurait convenu, au lieu de pratiquer une politique de compromis- sion, de restituer au conflit espagnol sa signification sociale, de « marcher vers la liquidation totale de la politique, vers Padminis- tration des choses par les producteurs-consommateurs >. Mais les libertaires espagnols refusérent « de vaincre comme anarchistes » et acceptérent « de mourir comme gouvernementaux, comme défenseurs de la légitimité de Etat’ ». Un an plus tard, & propos de ceux qui, en Espagne, avaient sacrifié la doctrine 4 Tunion contre le fascisme, on évoqua méme T'attitude des partisans de union sacrée au cours de la Premiére Guerre mondiale qui s’étaient ralliés & fa défense nationale, au Manifeste des Seize, « page tarée dans l'histoire de l’'anarchie“° ». La Seconde Guerre mondiale L’achévement de la défaite espagnole en mars 1939 ne consacrait pas pour Prudhommeaux la faillite de l'idée anarchiste ; bien au contraire, cette défaite portait confirmation des théses libertaires sur la nécessité de détruire I'Etat si l'on veut que triomphe la révolution sociale. Quoi qu'il en soit, elle laissait désemparés les anarchistes fran- gais des deux tendances malgré l'effort tenté, en avril 1938, avec Ja constitution, sous l'impulsion d'anarchistes comme Faucier et Le- coin, d'un Centre syndical d'action contre la guerre. Ce centre se fondit en septembre dans le Comité de liaison contre la guerre et l'union sacrée, créé sur l’initiative de 1'U.A. et de la Solidarité internationale antifasciste ; se trouvérent alors regroupés 1'U.A., la F.A. de langue frangase, la Ligue internationale des combattants de la paix, le P.S.O.P, de Marceau Pivert, Jes Jeunes de Nocher et quelques autres organisations de méme nature. Du 23 février au 20 avril 1939, Le Libertaire mena une enquéte auprés de ses lecteurs sur le theme < Précisons notre pacifisme >. La question elle-méme était révélatrice d'un état d’esprit. Ll s‘agi it de pacifisme ct non d’antimilitarisme, les compagnons sachant quills n’étaient < qu’une poignée ™ » et réalisant qu’ils ne pouvaient prétendre s’opposer collectivement A la guerre. Des réponses la question, réponses souvent élaborées dans les groupes, il résultait que, refusant la guerre dite antifasciste camouflant une guerre de type impérialiste, ils envisageaient encore la gréve générale insur- 108, Terre libre, 10 novembre 1937. 109, L'Espagne ‘nouvelle, 31, juillet 1937. 110. Terre libre, 17 juin 1938. 111. Le Libertaire, 27 avril 1939. 35 rectionnelle mais préventive, bien peu croyant toutefois 4 cette possi- bilité. Ils se déclaraient préts, en second lieu, a reprendre l’agitation révolutionnaire dés que les circonstances le permettraient. Ils se refusaient enfin & confondre le pacifisme anarchiste qui est révo- lutionnaire avec un pacifisme absolu, et Le Libertaire du 9 mars attaquait sans ménagements le ¢ pacifisme 100 % » de La Patrie humaine, « poubelie de Ja résignation ». Le Libertaire du 27 avril précisait : « Personne n’a soutenu la théorie de la servitude au nom de la paix. » Mais « Ja guerre est li », constataient les militants anarchistes responsables ‘* et Ja situation était désespérée. Si, en 1914, anar- chistes, socialistes et syndicalistes avaient pu espérer jusqu’a Ja mobilisation que celle-ci serait le détonateur de Ja révolution, en 1939, les anarchistes, face A une classe ouvridre ralliée dans son ensemble A la défense nationale dans une guerre antifasciste, avaient conscience de leur solitude et de leur impuissance. Deux militants, Lecoin et Faucier, voulurent accomplir un dernier geste, moins avec l'espoir d'un quelconque succés que pour libérer leur conscience. Et ce fut le tract Paix immédiate que Lecoin reproduit et dont il conte histoire dans Le Cours d'une vie", Tl parut le dixisme jour de la guerre et valut A ses auteurs — déji condamnés par défaut le 31 juillet & deux ans de prison et 1000 F d’amende pout publications d'articles antimilitaristes dans S.A, — une détention qui, de prison en prison, conduira Lecoin en Algérie, d’ot il ne reviendra qu’en 1941. Quant a Faucier, condamné en outre 4 trois ans de prison pour insoumis- sion, puis maintenu administrativement en détention sa peine ter- minée, il fut réduit, aprés son évasion du camp de Neuville (Vienne) en décembre 1943, & la vie clandestine jusqu’A la Libé- ration. Selon la prédiction de Frémont un an plus tét, il ne restait plus < aux pacifistes que la solution individuelle pour se soustraire au crime collectif'"® ». Et il confirmera le 13 mars 1939 cette position a laquelle se rallieront les délégués au congrés de la fédé- ration parisienne de I'Union anarchiste : « En cas de guerre, les militants doivent sauver leur peau et réaliser une organisation clandestine leur permettant de rester en liaison entre eux, méme 112. Cf, R. Frémont, secrétaire de 1'U.A., dans Le Libertaire du 13 avril 1939. 113. Il convient de signaler en outre le geste de deux compagnons, l'un du groupe de Versailles, le second du groupe de Rennes, qui firent acte objection de conscience et refustrent de servic, S'il y en eut d'autres, ils furent trés peu nombreux. 114, Cf. Lecom, Le Cours d'une vie, p. 169-187. 115. Le Liberiaire, 8 septembre 1938, 36 le mouvement anarchiste et les guerres si toute propagande leur est impossible ; de cette facon, le moment venu, ils pourront agir avec cohésion et A bon escient **. » Un militant de Pautre tendance, André Prudhommeaux, écrira de méme A la méme €poque : « Le recul est trop général depuis juillet 1936 pour nous laisser une chance de pouvoir combattre effieacement pour notre propre cause. » « Quant A nous faire crever la peau pour le capitalise, trop des nétres sont déja tombés en Espagne et ailleurs". > Dans cet état d’esprit, on verra A. Prudhommeaux gagner la Suisse et René Frémont répondre a ordre de mobilisation dans Vattente d’un sursaut révolutionnaire & venir; il sera tué au cours de la retraite de I'armée francaise en juin 1940. Désemparé, le mouvement anarchiste frangais ne put réussir a se regrouper en tant qu’organisation que plusieurs années aprés la déclaration de guerre. Certes les relations personnelles ne s'inter- yompirent jamais et, au cours des étés 1941 et 1942, des balades champétres eurent lieu, mais « aucune discussion vraiment orga- nique n'y était soulevée ™* », et on n'y pratiquait que la solidarité. Cest le 19 juillet 1943 qu’eut lien 4 Toulouse une réunion qui regroupa quelques militants. Ils se retrouvérent ensuite le 15 janvier 1944 pour la mise au point d’une déclaration de principe et des statuts d'une nouvelle fédération. Faisant suite 4 un précongrés tenu A Agen les 29 et 30 octobre 1944, un premier congrés se réunit a Paris les 6 et 7 octobre 1945, qui tint une troisitme séance le 2 décembre. Quant aux militants, « un petit nombre d’entre eux fut germa- nophile, un autre gaulliste, le gros pratiqua le débrouillage individuel pour sauver sa peau >. L’objection de conscience Trente années nous séparent de 1a fin de la Seconde Guerre mon- diale. Il est certain que l’évolution constatée — avant tout l’impos- sibilité pour les anarchistes d’envisager le déclenchement, postérieu- rement ou antérieurement 4 la mobilisation, d’une gréve générale insurrectionnelle — est ressentie aujourd’hui comme hier. Aussi Vaccent est-il mis avant tout, et pas seulement en France, sur la résistance individuelle 4 la guerre “°. Si l’on examine les résolutions 116, Arch, P. Po, dossier U-A.C.R., carton 50, rapport du 20 mars 1939. 117, L’Espagne nouvelie, 15 avril 1939. 118, Le Lien, organe intérieur de la Fédération libertaire, n° 1, octobre 1944. 119. Le Trait d’union, Bulletin intérieur de Ja région parisienne, n° 6, compte rendu’ de T'Assemblée extraordinaire d'information de la 2° région (Paris et banliene), 16 octobre 1949. 120. Le congrés anarchiste international réuni & Paris en novembre 1949 déclarait & propos du point 12 de son ordre du jour relatif & Ja guerre : « Le 37 concernant guerre et militarisme adoptées au dernier congrés de la F.A. A Nantes en juin 1973, et qui dégagent les trois mots d’ordre suivants : défense de Vobjection de conscience, suppression du service militaire, désarmement général', on peut dire qu’elles surviennent aprés une longue évolution. Au lendemain de Ja Premiére Guerre mondiale, la répression continuait & s’exercer A l’égard de ceux qui avaient refusé l'armée entre 1914 et 1918, ainsi qu’A Yencontre des Jeunesses anarchistes, qui langaient volontiers en 1920-1921 des appels a l'insoumis- sion et a la désertion'”. Fin 1923, se constitua Ja Ligue pour la reconnaissance de Vobjection de conscience. Cependant, ni les anarchistes individualistes, ni les anarchistes communistes, qui parlaicnt plus volontiers de < cas de conscience », ne s'y montrérent favorables et seul un journal un peu marginal, Le Semeur de A. Barbé, atfirma sa sympathie. C’est ainsi qu’Armand* décla- rait : « Vouloir étre reconnu par l’Etat, c’est admettre le bien-fondé du contrat social » et P. Mualdés, principal rédacteur du Libertaire, affichait quelque mépris — voir les articles des 18 février et 20 mai 1924 — pour ces « réfractaires estampillés par le gouver- nement » et se moquait de cet « antimilitarisme de tout repos » qui ne risque pas d’empécher les guerres. Lors d'un congrés sur la paix organisé par la Jeunesse chrétienne qui se tint 4 Bierville du 17 au 22 aot 1926 et réunit plusieurs millicrs de délégués venus du monde entier, Lecoin intervint et se prononga pour le refus de servir, mais & condition qu’on ne quémande pas Ja reconnaissance de l’Etat pour ceux qui agissent A leurs risques et périls, et il prit nettement position contre ceux qui « songent & tirer du grand’ probléme social une méchante solution indi- viduelle ™* >. Trois aunées plus tard, Frémont, secrétaire de V'U.A., s’éle- vait encore contre cette manifestation individualiste de Tanar- chisme qui n’a aucune utilité sociale et réaffirmait la valeur du mot d’ordre : tout faire pour « transformer cette guerre capitaliste en guerre révolutiounaire** >, Congtés anarchiste international, tout en préconisant Ia résistance humaine et multiple contre la guerre [...] attire Pattention [...] sur Yintérét qu'il y aurait, Ges le temps de paix, & étudier le probléme de 1a non-participation & Ja guerre, et & prendre, tant 4 Véchelle de l'individu qu’a celle du groupe, des dispositions concrétes en vue d'une telle éventualité. » Les principales mesures envisagées taient Jes suivantes : « La grove générale, le sabotage, l’insoumission, certaines formes de l'objection de conscience. » 121. Cf. Le Monde libertaire, juillet-aodt 1973. 122. Le Libertaire, 15 tévrier 1920 et 17 juin 1921 : « Tu dois déserter. » 123. Ci, L’En Dehors, mi-cécembro 1923. 124. Le‘ Libertaire, 17 septembre 1926, 125. Le Libertaire, 12 octobre 1929, 38 le mouvement anarchiste et les guerres Une évolution cependant s'opérait. En décembre 1929, P. Odéon, appelé au titre de réserviste, refusa de se présenter; il fut arrété et poursuivi. Lecoin le défendit en ces termes dans Le Libertaire : « Odéon trés bien que le probléme social, 4 la solution duquel nous travaillons, ne sera résolu que par une révolution. Mais il ne pense pas qu’en attendant cette révolution il soit interdit d’agir individuellement, selon ses gotits, sa force de volonté et son courage, > Quelques mois plus tard, en avril 1930, au congrés de T'U.A.C.R. tenu A Paris, Yon vit s'opposer Frémont et Lecoin. Ce dernier Pemporta. L’action de objecteur fut reconnue par la propagande anarchiste. Quelques années plus tard, elle fut qualifi¢e par Meu- rant « une des variétés de la propagande par le geste et le fait *" ». En 1934, Le Semeur consacra un numéro spécial & « Dix ans objection de conscience » et de nombreux anarchistes y collabo- rérent, y compris Armand, mais sans que celui-ci fasse référence 2 la reconnaissance ou non par I'Etat. En vérité, durant ces années trente, il y avait moins changement complet que période de transition, et les anarchistes ne demandaient pas 4 proprement parler Ja reconnaissance par l'Etat de lobjection de conscience. S. Faure distinguait alors dans Le Semeur du 10 février 1934, comme il le faisait deux ans plus tét dans L’Encyclopédie anar- chiste™*, trois formes d’objection de conscience : — celle 4 base légale par la loi; —celle qui accepte une formule de remplacement et, dit S, Faure, ¢ c'est payer en monnaie civile ce qu’on refuse de payer en monnaie militaire, c’est, en fin de compte, reconnaitre et acquitter une dette » ; — enfin l’objection de conscience « sans plus » et, dit S. Faure, « cellela, seule, a mon entitre approbation ». Ainsi congue, elle est ¢ fondamentalement anarchiste ». Il semble bien que, compte tenu de lutopie constatée de 1a gréve générale insurrectionnelle, il y ait eu peu A peu repli de lopposition violente et collective A la guerre vers des solutions individuelles. Quelles qu’aient été les nuances apportées par les uns et par les autres, quels que soient méme les refus momentanés™, Tobjection 126, Le Libertaire, 21 décembre 1929. 127. Le Libertaire, 24 février 1933. 128. Cf, p. 1815-1817. 129, La Commission administrative de la J.A.C. se pronongait encore en 1937 — cf, Le Libertaire, 16 décembre — contre l'objection de conscience, contre Ia désertion et Vinsoumission, ainsi que contre Ja lutte a Ja caserne, toutes méthodes inefficaces, et en faveur du développement de T'esprit antimi~ litariste susceptible de donner des résultats en cas de déclaration de guerre ou d'insurrection. 39 de conscience était reconnue par Je mouvement anarchiste & fa veille de la Seconde Guerre mondiale comme moyen de lutte contre le militarisme de I'Etat. Elle n’en fut pas pour autant couramment pratiquée, et il faudra atiendre janvier 1958 pour que Lecoin lui donne une impulsion nationale dépassant assez largement les cadres du mou- vement, en créant, avec Liberté, le Secours aux objecteurs de conscience. Ft c'est par sa gréve de la faim de vingt-deux jours, 1-22 juin 1962, qu'il obtint un engagement public du gouver- nement au sujet d’un statut de l’objection de conscience *%. Puis Lecoin débuta un dernier combat que sa mort, le 23 juin 1971, ne lui permit pas de poursuivre, celui du « désarmement unilatéral, sans conditions de réciprocité », these qu'avait développée Sébas- tien Faure une trentaine d’années plus tot, Défense de l'objection de conscience dont Ie statut est toujours contesté dans ses modalités d’application, désarmement général, tels sont les mots d’ordre qui, joints 4 celui de Ja suppression du service militaire, sont mis en avant aujourd'hui par la Fédération anarchiste, Lantimilitarisme et la lutte contre la guerre, contre toutes les guerres, occupent done toujours une place privilégiée dans Jes préoccupations anarchistes. Mais en fonction de lexpérience hists- rique et de la représentativité du mouvement en valeur absolue ™ et relative — en 1914, Parti socialiste et C.G-T. joints au mouvement anarchiste pouvaient donner a penser qu'une force importante et unie cxistait, susceptible de s'opposer a la guerre, voire de la faire reculer — les anarchistes, aujourd'hui réduits 4 leurs seules forces, ont d@ substituer le refus individuel ou Ie sauve-qui-peut a la résistance collective eavisagée & la veille de 1914. wae La loi, votée un an et demi plus tard, fut promulguée Je 22 décembre 131. Encyclopédie anarchiste, p. 1918-1919 et Le Libertaire, 1931, tournée dune soixantaine de conférences, décembre 1930-aveil 1931 ayant pour théme : le désarmement unilatéral (en accord avec la L.LCP.) 132. Cf. ci-dessous, chap. 4: « Le Mouvement anarchiste et l'organisation. » 40 2 Le mouvement anarchiste francais et la Révolution russe O terre de Russie, 6 grande Ame inconnue, Debout 18-bas, [-.] Terre du vieil Herzen et du viewx Bakounine [...] Au seuil de ce printemps d’un nouvel an maudit, terre du réveil, nous sommes tous tes fils. Marcel MarTINET, 17 mars 1917 Les anarchistes francais auraient volontiers contresigné en 1917- 1918 ces vers du poéte Marcel Martinet mais, en quatre années, ils passeront de l'enthousiasme 4 une condamnation sur laquelle jamais ils ne reviendront. Pourquoi cet enthousiasme des années 1917-1918 qui se pro- longera, plus nuancé, en 1919-1920? La raison essentielle en est quiils virent dans la révolution de novembre 1917, leur révolution, celle dont ils révaient et qu’ils navaient pu jusqu'ici réussir, une révolution sans gouvernement, animée par ces conseils d’ouvriers, de paysans, de soldats réalisant une démocratie directe, les masses ne désignant pour Jes représenter que des « commissaires du peuple » a tout instant révocables. Et Sébastien Faure évoquera en 1921 « Vinfluence fascinatrice » quavait exercée la Révolution russe & ses débuts. Les boicheviks eux-mémes, les dirigeants de la Révolution russe, Lénine et Trotsky étaient alors admirés par certains anarchistes frangais et presque sans réserves, « Je déclare, écrivait Maurisius 41 dans C.0.F.D. quiil dirigeait avec S,.Faure, que Trotsky, que Lénine [...] me sont infiniment plus sympotiques, que je me sens beaucoup plus prés de leur action — malgré des différences de conception — et que je coopérerais plus volontiers avec eux qu’avec Ja horde de mufles, d’incohérents et de nullités aui ont la prétention @incarner l'anarchie +. Et Mauricius dénongait les compagnons pour qui, selon lui, < Vanarchie consiste & se contempler le nombril, & déménager a la cloche de bois et 4 pratiquer amour libre ». Cette sympathic agissante pour la Révolution russe comportait dautant moins de réticences qu’anarchistes et syndicalistes révolu- tionnaires étaient pour ainsi dire seuls a se {éliciter de la révolution bolchevique. Les socialistes frangais n’applaudissaient guére et, a titre d'exemple, notons que Yun d’eux, Jean Longuet, faisait des « réserves formelles sur la méthode mi-blanquiste, mi- -bakouniniste que Lénine considére comme le dernicr mot du marxisme* >. Aussi vit-on André Girard, ancien rédacteur des Temps nouveaux, dénoncer leur inaction face aux graves dangers qui menagaient la révolution : « Socialistes, syndicalistes, écrivait-il, quand donc aurez-vous honte de yous-mémes*? » Il faudra attendre le prin- temps 1919 pour que L’Humanité adopte une attitude plus unifor- mément favorable & la Russie soviétique. Les anarchistes individualistes du groupe Armand demeuraient toutefois, 4 cette époque, réservés, et Armand s’affirmait incrédule « A l’égard des révolutions considérées comme instruments de trans- formation individuelle* >. De ce fait, il ne marquait pour la Révolution russe ni sympathie ni antipathic, mais indifférence. Cette attitude des uns et des autres se prolongea durant toute Tannée 1918. Un tract anarchiste Au peuple francais, saisi dés sa sortie des presses en décembre 1918, et dont on peut prendre connaissance aux Archives de la Préfecture de police®, conseillait aux travail- leurs francais que l'on démobilisait de ne point déposer leurs armes et proclamait : « C'est d’abord a la Révolution russe que nous devons reconnaissance. > Quant aux individualistes, si Chardon, du groupe Armand, dans un article leader de La Mélée du 15 décembre 1918 intitulé « Sur la Révolution russe », tout en soulignant combien les événements apparaissaient encore obscurs et incertains, se montrait cependant 1, Mauricrvs, « La Bonne Tactique >, C.0.F.D., 17 novembre 1917. 2! Le Populaire de Paris, 22 décembre 1917. 3. C.OF.D, 8 décembre 1917. 4, Par-dela la mélée, n° 28, mi-mai 1917. 5. B A/1545, rapport du 15 décembre 1918. 42 le mouvement anarchiste francals et la révolution russe surtout critique, Lorulot, trés favorable A la Réyolution russe, affirmait dans L'Idée libre de novembre 1918 : <« En période de révolution une certaine dictature est nécessaire*. > Durant les deux années suivantes — 1919-1920 — certains anar- chistes confirmérent leurs sentiments, généralement confiants, & Végard de la Révolution russe et de ses dirigeants ; d’autres émirent des réserves’ et méme, courant 1920, d’expresses réserves. Sébastien Faure reconnaissait® qu’d ses débuts la Révolution russe avait présenté un essai d’organisation fédéraliste et que, dans cette mesure, elle éveillait les sympathies anarchistes. Marcel Vergeat, dans La Mélée®, déclarait : « Oui, je sais, la Révolution russe n’est pas anarchiste, mais elle est la Révolution sociale et c'est déja quelque chose », et il soulignait sa < tendance égalitaire et libertaire >. En dépit de bien des réticences, Je I Congrés de l'Union anarchiste, tenu A Paris les 14 et 15 novembre 1920", avait affirmé dans une résolution : malgré la dictature d’un parti, « la Révolution russe est un fait considérable »; « elle porte, au moins A son origine, la forte empreinte du communisme libertaire concrétisé par la formule éternelle : ouvrier, prends Ja machine, prends la terre, paysan ». Et G. Bastien, militant averti, avait pu lancer dans Germi- nal en aoit de cette méme année : « Vivent les Soviets. Vive la Russie". > Lactive défense par les anarchistes de la Révolution russe durant ces années s'explique non seulement parce qu’elle était 1a révolution sociale, mais encore parce que cette révolution était en danger, menacée d’intervention étrangére, et qu'il était impensable que les anarchistes fissent chorus avec ses pires ennemis. <« Contre l'interven- tion » est un des mots d’ordre les plus répandus dans les meetings anarchistes en 1919, dont les orateurs estimaient le plus souvent que la gravité de Pheure interdisait toute discussion sur l’opportunité ou la valeur du bolchevisme; on ne pouvait que choisir : ou étre avec ceux qui se révoltent contre loppression capitaliste, ou étre contre eux. Il en résulta que les positions nuancées n’avaient pas cours et que les anarchistes firent souvent silence sur des points qui leur tenaient cependant a coeur. 6. L'ldée libre, novembre 1918, p. 217. 7. Noir, a titre d'exemple, le leader de Content ot l'article de Rhillon dans Le Libertaire du 1** juin 1919, 8. Le Libertaire, 15 avril 1921. 9. La Mélée, n° 21-22, 1° mars 1919, 10, Le Libertaire, 28 novembre 1920. 11. Germinal, 14 aot 1920. 43 « Il est certain, écrivait Lepetit dans un article leader du Liber- taire™, que la Russie bolcheviste ne peut encore représenter pour nous l’idéal. Telle qu’elle est cependant, elle n’en est pas moins digne dintérét », car les travailleurs russes « ont esquissé la premiére ébauche de révolution sociale que le monde ait connue ». Et, dans le méme numéro du Libertaire, on admettait que la dictature du prolétariat peut s'imposer « comme une triste nécessité* >. Un autre facteur, celui des témoignages sur la Russie qui parve- naient 4 la France a cette époque, incitait les anarchistes 4 une neutralité bienveillante. Sans étre trés nombreux, des observateurs, militants révolutionnaires de toutes familles — et les anarchistes n’étaient pas exclus — se rendaient maintenant la-bas et les infor- mations qu’ils transmettaient parvenaient en France. Citons les lettres des militants syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes invités & Yoccasion du II? Congrés de |'Internationale communiste, juillet 1920, celles notamment de Lepetit qui parurent dans Le Libertaire en décembre 1920-janvier 1921. Elles sont certes critiques, mais témoignent encore d’une grande sympathie : <« Un progrés immense est accompli sous le rapport moral — écrivait Lepetit fin juillet 1920 — ce qui nous fait aimer quand méme la Révolution malgré ses fautes et ses erreurs“. » Bref, durant ces quatre années 1917-1920, les anarchistes applau- dirent la Révolution russe, 4 tout Je moins ils se turent et l'on peut ici faire état du témoignage particuligrement convaincant de Sébastien Faure qui précisera en 1921 lorsque, la situation ayant déja beaucoup évolué, la rupture était en train de se consommer : « En ce qui concerne la dictature, je m’étais personnellement promis de n’en rien dire, tant j'avais le désir de ne pas prononcer une parole, de ne pas écrire une ligne qui pit étre prise pour une désappro- bation *, » Et le méme estimera encore en cette méme année : < Ce n’était pas, il faut en convenir, la réalisation immédiate et compléte de Vidéal anarchiste, mais était-il possible de franchir d’un seul bond Yabime qui sépare la société bourgeoise de la société communiste libertaire *° ? > Cependant, au printemps 1920, la victoire sur Ja contre-révolution 12. Le Libertaire, 8 juin 1919. 13. Le Libertaire, 8 juin 1919. « La dictature du prolétariat s'impose done Pendant cette période difficile [de résistance des anciennes classes dirigeantes) comme une triste nécessité. » 14, Le Libertaire, 7 jonvicr 1921, lettre écrite le 28 juillet 1920. Lepetit, 1889-1920, ouvrier terrassicr, et Vergeat, 1891-1920, ouvrier mécanicien, dis paraitront en mer au large de Mourmansk lors de leur retour de Russie, 15, Le Lihertaire, 11 février 1921. 16, Le Libertaire, 15 avril 1921. 44 le mouvement anarchiste francais et la révolution russe étant acquise en Russie, certains anarchistes ne se sentirent plus tenus A la réserve quills s‘imposaient jusqu’alors. En 1919 déja, quelques- uns avaient rappelé le grand principe, essentiel, de !’anarchisme, & savoir que tout pouvoir doit émaner du peuple. Et c'est par exemple Casteu qui définit la révolution comme étant Ja marée populaire ; et C'est Rhillon qui oppose les masses ouvriéres et paysannes qui veulent « organisation par en bas » aux bolcheviks qui, en réponse, instituent par en haut « une lourde bureaucratic, centralisatrice 4 outrance ee Mais ce sont des militants d'audience internationale qui, en 1920, formulérent les mémes réserves de principe, mais de fagon beaucoup plus catégorique, annongant Ja rupture. Rudolf Rocker" intitula « Le Syst&me des soviets ou la dicta ture? » l'étude qu'il publia le 15 mai 1920 dans I’hebdomadaire rédigé en yiddish Freie Arbeiterstimme de New York, étude qui fut traduite dans Les Temps nouveaux des 15 aofit et 15 septembre 1920. Pour lui, soviets et dictature sont « deux notions bien diffé- rentes qui, loin de se compléter, s’excluent mutuellement >. Aussi le mot d’ordre des anarchistes doit-il demeurer <« Tout par les conseils! Aucun pouvoir au-dessus d’eux! et ce mot d'ordre sera en méme temps celui de la révolution sociale ». Quant & Kropotkine, revenu en Russie, et qui vivait alors & Dimitrov, il insistait dans ume lettre écrite en juin 1920" sur la méme notion essentielle des conseils ouvriers, et portait condamna- tion du régime instauré par les boleheviks : « L'idée des soviets, c'est-a-dire de conseils d’ouvriers et de paysans [...] contrélant la vie politique et économique du pays, est une grande idée. D’autant plus qu’elle conduit nécessairement A l'idée que ces conseils doivent étre composés de tous ceux qui prennent une part réelle A la production de la richesse nationale par leur propre effort personnel. Mais aussi Jongtemps qu’un pays est gouverné par la dictature d'un parti, les conseils @ouvriers et de paysans perdent évidemment toute leur signification. > « Nous apprenons a connaitre, en Russie, écrivait-il encore, comment le communisme ne doit pas étre introduit. » Les esprits vont continuer 4 évoluer, et de fagon décisive, dans les milicux anarchistes francais, mais avant de tenter une appréciation de leurs rapports avec la Révolution russe et donc avec le parti 17, Le Libertaire, n° 26, 13 juillet 1919. 18, R. Rocker, 1873-1958, ‘Théoricien anarchiste d'origine allemande, expulss do plusieurs pays ea raison de son action militante. 19, Lettre du 10 juin 1920, reproduite dans Les Temps nouveaux du 15 aod, 45 bolchevik, il est indispensable de caractériser certains mouvements qui, en France. se disent alors communistes ou soviétiques. Notons tout d’abord qu’ils n’ont rien a voir avec le Parti communiste, section frangaise de I'Internationale communiste, qui naitra en décembre 1920 au congrés de Tours d'une scission au sein du Parti socialiste S.F.LO. (section francaise de I'Internationale ouvritre). Ce Parti communiste est celui que nous connaissons aujourd’hui encore, méme. sil a ajouté la lettre F A son sigle (Parti communiste frangais) et sil n’est plus S.F.LC., l'Internationale communiste ayant été dissoute en 1943 au cours de la Seconde Guerre mondiale, Quant a ces organisations, parti ou fédération, elles témoignent d'un essai de synthése, pour le moins de coexistence entre les deux courants liber- taire et centraliste, au sein d’une méme organisation. Sans procéder a leur étude approfondie, voyons leur origine et esquissons leur histoire. Nous avons noté*? la création, en novembre 1915, d'un Comité d'action internationale (C.A.1.) contre la guerre, comité d'inspiration anarchiste et anarcho-syndicaliste, Lepetit étant son secrétaire, Hasfeld, son trésorier. Trois mois plus tard, en février 1916, les animateurs de ce comité se retrouvaient avec les socialistes zimmerwaldiens, peu nombreux eux aussi, pour constituer le Comité pour Ja reprise des relations internationales (C.R.R.1.). La cohabi- tation ne se réalisait pas sans poser quelques problémes, aussi voyait-on les membres de chacune des deux familles se regrouper, les uns dans une commission syndicale, les autres dans une commis- sion socialiste, Sous le nom de Comité de défense syndicaliste (C.D.S.), la premiére commission se détachait du C.R.R.I. — au- tomne 1916-printemps 1917 — et se fixait pour but la reconquéte de la C.G.T. Elle eut pour animateurs Veber, Rey, Boudoux qui témoignent de son orientation anarcho-syndicaliste. Péricat en fut le secrétaire 4 partir de mars 1917. Emprisonné peu aprés le congrés minoritaire de Saint-Etienne, 19-20 mai 1918, il fut libéré Je 18 no- vembre suivant et, toujours secrétaire du C.D.S., il langa le 15 février 1919 L'lnternationale, qui se proposait d’ « étre le trait d’union des éléments d'extréme gauche de la C.G.T., du P.S. et des groupe- ments libertaires ». Ses rédacteurs étaient effectivement des anarcho- syndicalistes comme Vergeat, des socialistes comme Loriot, des anar- chisants comme Pioch ou Méric. L’ternationale se déclarait pat ailleurs pour la création d'un parti communiste, section frangaise de l'Internationale communiste, qui fut effectivement créé — ses statuts furent publiés par L’Internationale le 7 juin 1919 — et Sigrand, cheminot, ex-membre du Parti socialiste, en fut le secrétaire. 20. Cf, t. Hl, 4° partic, chap. 1, p. 14, note 23, 46 te mouvement anarchiste frangais et la révolution russe Ses membres admettaient < la dictature momentanée du prolé- tariat* >. Il serait erroné de penser que Ja plupart des anarchistes s‘étaient retrouvés dans le Parti communiste, disons anarcho-syndicaliste. Cer- tes, en 1919, les compagnons n’avaient pas encore réussi & recons- tituer leur organisation et nous avons vu la sympathie, relative, quiils éprouvaient alors pour la Révolution russe et pour les bolcheviks. Toutefois jeur journal Le Libertaire reparalssalt depuis Je 26 janvier 1919 et constituait un péle d’attraction. Les réticences étaient grandes de certains compagnons A }’égard du courant repré- senté par L’internationale, d’ailleurs propriété personnelle de Péricat, et le fait que Le Libertaire organise une sortie champétre le jour choisi par L’Internationale pout tenir sa féte, 12 mai 1919, est révé- lateur de cet état esprit. Par ailleurs, la vie n’était pas exempte de conflits au sein du Parti communiste. L’Internationale, dont les débuts avaient && pro- metteuts avec une vente de 7500 exemplaires pour un tirage de 11000, disparaissait & son 29° numéro, le 11 septembre. Deux autres journaux vont lui succéder, Le Communiste, 25 octobre-14 de- cembre 1919, puis 4 juillet-8 aodt 1920, Le Soviet, 21 mars 1920- 1°" mai 1921. Si l'on ajoute que les anarchistes, qui déja disposent dun organe, Le Libertaire, vont tenir leur premier congrés de Paprés-guerre en novembre 1920, on peut tenter, dans une ‘certaine mesure, d’évaluer lintluence exercée en ces années par Ja Révolu- tion russe & ses débuts sur le mouvement anarchisie frangais. Pour ce faire, envisageons la question sur Je plan des idées et sur celui des hommes. Lors de son congrés des 25-28 décembre 1919, le Parti commu- niste se transforma en une Fédération communiste des soviets qui eut pour secrétaire Hanot et pour secrétaire adjoint Lebourg, un amarchiste. Ce changement de dénomination du parti, constitué désormais de soviets de base et de soviets régionaux coiffés d'un soviet central, méme si cela ne se concrétisait guére par un recrute- ment de masse, témoignait du moins d'une influence anarchiste accrue : la fédération s'opposant au parti, toujours suspect de cen- tralisation et d’autoritarisme, les soviets A tous niveaux témoignant une volonté de permanent contréle de la base sur les dirigeants, le journal lui-méme de la nouvelle organisation s'appelant Le Soviet. Sigrand, socialiste, ex- secrétaire, contraint de démissionner Ie 6 fé- vrier 1920, tenta de mettre sur pied un nouveau parti dont lorgane fut Le Communiste (deuxigme série), mais cclui-ci ne vécut qu'un . 21. Cf. Le Communiste, 25 octobre 1919, reproduction du Manifeste du Parti communiste. 22. Le I? Congrés de l'Union anarchiste aura lieu tes 14-15 novembre 1920. 47 mois, 4 juillet-8 aodt. Quant au Soviet, il ne totalisa sur deux années que treize numéros, ce qui traduit un faible rayonnement. Mais ses mots d'ordre furent nettement plus anarchistes que ceux du Communiste et il s'affirma pour le pouvoir de bas en haut. Repre- nant la déclaration de la Fédération communiste des soviets, il expliquait : « L’Etat, dans le régime de la dictature du prolétariat, c'est le prolétarat lui-méme, organisé soviétiquement. TOUT LE POUVOIR AUX SOVIETS. > Mais c'est peut-étre le ralliement et les déclarations de certains militants qui marquent le mieux l’attraction exercée par la Révolution Tusse sur d’authentiques anarchistes. Collaborent en effet au Com- muniste : Marie et Francois Mayoux *, Charles-Auguste Bontemps “4, Pierre Mualdés* ; collaborent au Soviet : Genold®, Justin Olive *” et bien entendu Lebourg, secrétaire adjoint de la fédération. Si ce dernier, qui parait avoir surtout fréquenté autrefois L’Anarchie™, napparait plus guére par la suite, les autres vont accomplir une lon gue carritve militante dans les milieux anarchistes dirigeants durant toute l’entre-deux-guerres et au-dela **, Leurs déclarations 4 I'¢poque témoignent du trouble idéologique de certains compagnons. Ceux dont nous avons donné les noms collaborent en effet au Lidertaire (Genold, Bontemps) en méme temps qu’au Communiste ou_au Soviet**, et participent A titre individuel (Bontemps) au I** Congrés de 1’Union anarchiste. A ce congrés, puis dans Le Liberiaire du 28 novembre, Bontemps, qui se 23, Lettre du 3. novembre 1919 publiée le 7 décembre 1919; article de Constant Bougon [Frangois Mayoux], 8 adit 1919. 24, 8 aotit 1920, 25. 25 juillet 1920, 26. 9 mai, 20 juin et 26 septembre 1920, 27, 30 mai et 20 juin 1920, 28, A, KRinsEL, Aux origines du communisme francais, op. cit, p. 294, On_niidentifiera’ pas, comme on pourrait étre tent ce’ Ie faire, Mauriskoff (Le Communisie) et Mauticius, alors en Russie, 1°* juillet 1920-17 mars 1921 gui publiera & son retour Aw pays des sovicis. Neuf mois daventures, s.d. [décembre 1921], 344 p. Qui était ce Mauriskoff? Un Russe travaillant’ pour Tinternationale communiste, comme certains anarchistes le pensent, Peu vraie semblable, compte tenu de la sympathie trés mesurée éprouvée par les commu- nistes russes pour les mouvements dont nous traitons ici, 29. Cf, leurs biographies dans le Dictionnaire : Beauchet dit Pierre Mualdés mort en 1966, Delong dit Genold, Justin Olive mort en 1962, Ch.-Aug. Bon- temps, théoricien et orateur anarchiste toujours alerte en 1973. 30. Genold écrit dans Note voir, 5 mers 1920, article reproduit dans Le Soviet, 9 mai ct 20 juin 1920 : « C'est par Yautorité qui vient d’en bas s'exer- gant par Ja dictature du protétariat, que Vélite qui vient, non_ seulement conservera les acquisitions de la connaissance humaine, mais établira sur les ruines du cofire-fort la souveraineté de T'esprit, > Et encore, dans Le Soviet du 26 septembre 1920, il s’affirmera pour un certain « robespierrisme >, la dictature ne devant tre toutefois « qu'un moyen et non une fin ». 48 le mouvement anarchiste frangais et la révolution russe déclare contre toute autorité, affirme en méme temps que la dic- tature, qui « est un mal, mais un mal nécessaire », peut seule « aider a installer un systtme communiste ». Il fut pris & partie, ainsi d’ailleurs que Muaidés, dans Le Libertaire du 12 décembre. Ce n'est pas seulement & Paris qu’au cours des années 1919-1920 de telles initiatives se firent jour, ct c'est ainsi que Lon vit najitre dans la Somme une association des « Amis de Germinal », journal de Tanarchiste Bastien d’Amiens qui avait recommencé A parai- tre le 29 aofit 1919 et dont l’influence était grande. Cette associa- tion envisageait en 1920 la constitution d’une Fédération commu- niste révolutionnaire de la région du Nord. Effectivement un congrés se tint le 17 septembre 1920 4 Amiens, mais il vit s’affron- ter d'une part des socialistes bolchevisants et des anarchistes par- tisans de T'union dans une méme organisation quitte 4 transiger sur certains principes « autoritaires », d’autre part des anarchists trés stricts sur le refus de tout centralisme dans Porganisation, de {oute dictature au lendemain de la révolution. La lutte fut serrée mais les seconds, conduits par Casteu et Bastien, triomphérent par 22 ou 23 voix sur 40, se prononcérent pour une Fédération commu- niste libertaire et G. Bastien se félicita de ce succés™, exprimant Vespoir que Texemple serait suivi. I en était besoin puisque, en dautres régions, certains s'étaient sentis attirés par le commu- nisme bolchevique, et Le Libertaire du 15 juillet 1921 fit état™ d’anarchistes de Saint-Etienne ayant adhéré au Parti communiste S.F.1.C. reconnu par l'Internationale communiste *. Automne 1920-printemps 1921 marquent, chronologiquement, le terme des hésitations, tant & Légard des formes que doit prendre Je mouvement anarchiste en France que des jugements 4 porter sur la Russie soviétique. 31, Le Libertaire, 3 octobre 1920, Germinal abandonna, A partir du 9 octobre, son Sous-titre de « Journal da peuple » pour celui d’« Organe du commu- nisme libertaire > 32, Annonce faite au congrés régional de Lyon qui avait temu ses assises le 26 juin 1921, 33. Le décompte des anarchistes qui adhérérent, méme britvement, au Parti communiste issu du congres de Tours, est & faire, Mais il semble que’ "ex-anar- chiste E Girault exagére lorsquill écrit en 1926 : « La scission de Tours ne sélectionna pas seulement les sociélistes ; elle sélectionna aussi les anarchistes. L'immense majorité des communistes-anarchistes adhéra 4 la 3° Internationa [..] Qu’on fasse un recensement et Ton verra! [..] Je connais mieux que a1 COnque le nombre des compagnons ” qui ont adhéré au Parti, > (E, Grravtr, Pourquoi les anarchisies-communistes frangais ont rallié la 3* Internationale, libraine de L’Humaniié, 1926, p. 57. 49 En France, dés 1919, certains anciens comme Le Meillour, ont pris nettement position, pour l'organisation certes, mais pour une organisation anarchiste :*« A cété des COMMUNISTES TOUT COURT, organisons les COMMUNISTES-ANARCHISTES 2, concluait-il un de ses articles dans Le Libertaire* et, l'année suivante, il dénongait « les néo-communistes anarchistes (?) partisans de 1a dictature® ». Content faisait de méme qui demandait aux anarchistes de « choi- sir entre le communisme d'Etat et le communisme anarchiste », d’ ¢ opter pour Ia dictature ou pour I'anarchie », de se prononcer contre le confusionnisme, pour l’organisation anarchiste. D’autres au contraire, nous l'avons vu, tentaient 4 cette Epoque, de jeter un pont entre ’anarchisme et le communisme bolchevique au prix de concessions & la dictature qui est « un mal, mais un mal nécessaire », selon l’expression de Bontemps. Ces prises de position opposées allaient bientét cesser. Avec la disparition du Soviet en mars 1921, les ¢ néo-communistes anarchistes », comme Jes nommait Le Meillour, qui avaient d’ leurs, pour Ia plupart, maintenu le contact en collaborant au Libertaire, allaient réintégrer ?Union anarchiste. Retenons toute- fois le souci des uns et des autres : l’organisation. Nous aurons Poccasion d’en reparler. Mais c’est le jugement porté par les anarchistes-communistes francais * sur Ja Russie bolchevique qui nous intéresse avant tout ici, or nous sommes A un tournant radical et définitif dont les raisons sont faciles 4 déterminer, Elles tiennent essentiellement aux mesures prises contre les anarchistes en Russie et, parallélement, au renforcement de la dictature. C’est A partir de fin 1920 que, régulitrement, les anarchistes russes lancent des appels que reproduit Le Libertaire *’. Celui du 21 janvier 1921 est révélateur de leur position qui condamne tout Etat, y com- 34. « Pas de confusion », Le Libertaire, 27 juillet 1919; voir également Rhillon, p. 45, note 17. 45. Le Lihertaire, 24 octobre 1920. 36. Les anarchistes italiens également. Cf, E. SaNTARELLt, « L’Anarchisme gn Malic », Le Mouvement social avr-juin 1973, p, 153 5 ¢ Tentre juillet 1920 Lud et mai 1921 [..] se clot détinitivement Ia période de bon voisinage ts relatié avec les socialistes et les communistes ct s'ouvre la période de la polémique ouverte. » 37. Rappelons encore une fois que chez Jes anarchistes n'existe aucune « Jigne » et coexistent toujours dans la presse expression d’opinions opposées. Crest ainsi que le 7 novembre 1920 parait dans Le Libertaire une lettre de V, Serge, datée 6 octobre 1920, qui défend la dictature du prolétariat, Cette leitre pubhée « A titre documentaire ct sans engager notte responsabilité > est présentée comme émanent d'un camarade « sérieusement documenté >, mais on regrette qu'une autre lettre annonce, relative aux anarchistes russes, ne soit point parvenue. 50 le mouvement anarchiste francais et la révolution russe pris PEtat dit prolétarien *, en mé@me temps qu'il appelle & soutenir Ja Russie et Ja révolution sociale. Le 14 janvier 1921 est également inaugurée dans Le Libertaire la chronique trés hostile de Wilkens qui a passé six mois en Russie. Enfin, A Yautomne 1921, paraitront de plus en plus fréquemment dans Le Libertaire des articles du type = « Dans les prisons russes. » Par ailleurs, deux faits historiques, aux répercussions immédiates et lointaines, vont se produire au printemps et A été 1921 : la révolte de Kronstadt, 22 février-18 mars, la défaite de linsurrection libertaire conduite par Makhno en aoit. La révolte de Kronstadt ne suscitera nul écho dans Le Libertaire avant le 27 mai puis ce sera le silence jusqu’au 30 décembre de cette méme année et l'on mesure 14 combien lentement, difficilement, arrivaient certaines informations. Quant A la défaite de Makhno, il n’en fut question pour la premitre fois dans Le Libertaire qu’en décembre 1920 et une étude parue dans La Revue anarchiste en mars 1922 montre A quel point les combats menés par Makhno et sa personnalité méme demeurérent curieusement méconnus de certains milieux anarchistes. Il s'agit de Ja traduction de V’anglais d'un article d’Alexandre Berkman, anarchiste de renommée interna- tionale, présent A Moscou au cours de T’été 1921 pour le I congrés de V'LS.R. et qui profita de ce séjour pour faire libérer ceux des anarchistes russes détenus qui avaient été transférés & la prison Taganka de Moscou et avaient commencé une gréve de la fair le 4 juillet. Boukharine ayant, selon Berkman, opposé l’anarchisme européen & lanarchisme russe, ¢ propagandisme li-bas, banditisme ici », et avancé le nom de Makhno A l'appui de sa thése, Sirolle lui répondit au nom de la délégation francaise au congrés. Présentée sans la moindre réserve ou note des responsables de La Revue anar- chiste, elle est accablante pour Makhno. La voici « Sirolle prit la parole au nom de la délégation frangaise. D’une voix digne, claire, puissante, il s'éleva contre I’attaque de Boukha- rine, L’anarchisme, dit-il, n’a gu’une doctrine et qu'une philosophie. Partout elle est la méme. En France comme en Angleterre, en Alle- magne comme en Russie. Confondre le mouvement anarchiste avec la Makhnovstchina, ainsi que Vavait fait Boukharine, était une maneuvre honteuse pour influencer les délégués étrangers qui n'étaient pas familiers avec la Révolution russe. Il porta T'attention de la salle sur le fait que jamais les anar- chistes n’avaient considéré les partisans de Makhno comme étant des leurs, Que méme la Fédération de groupes anarchistes de 38. « A BAS LA BOURGEOISIE ET L'ETAT, ¥ COMPRIS L’'ATAT PROLETARIEN » (Le Libertaire, 21 janvier 1921), 39, Le Libertaire, 26 décembre 1920, 51 V'Ukraine, qui cependant sont bien préts du mouvement Makhno, ne T'avait reconnu comme mouvement anarchiste et la résolution de la conférence de la Fédération Nabat, tenue en septembre 1920, en est une preuve suffisante. Au sujet de Armée révolutionnaire sous les ordres de Makhno, il est utile de spécifier que c'est une erreur de considérer son action comme faisant partie du mouvement anarchisie. Présenter des statistiques, ajouta Sirolle, dans lesquelles l'on étale l'euvre destructive de Makhno est de la pauvre démagogie. Faire un paralléle entre l'activité de Makhno et celle des anarchistes russes est une infame mésinterprétation. Avec une précision et une clarté sans égales, Sirolle détruisit tous les arguments de Boukharine *. » Pour ce qui est de Kronstadt, si Le Libertaire fait pratiquement silence durant toute l'année 1921, Les Temps nouveaux d’avril-mai, par contre, précisent, par la plume d’Isidine : « C'est un mouvement absolument spontané, sans préparation, sans complot, sans guides extérieurs ; il a été conduit uniquement par les marins de Kronstadt eux-mémes, qui savaient trés bien ce qu'il voulaient. Et ce qu’ils voulaient ce n’est nullement une contre-révolution, mais un change- ment qui permette, au contraire, & la révolution russe d’aller de avant, vers une vraie égalité et une vraie administration du peuple par lui-méme. Ils ont pris la défense des soviets — création des masses ouvriéres russes — contre un gouvernement qui les a, de fait, supprimés en leur substituant une dictature de fonctionnaires “. » Parallélement les anarchistes frangais allaient dénoncer ja dicta- ture qui se renforgait en Russie contre leurs camarades. Sébastien Faure, qui désormais estimait que ses amis et lui-méme étaient ‘¢ suffisamment informés » de ce qui se passait en Russie et en éprouvaient « une profonde tristesse et une cruelle déception® », dénongait le régime par la plume et par la parole. Du 15 avril au 20 mai 1921, il faisait paraitre dans Le Libertaire une série darticles : « Mon opinion sur la dictature », et participait avec Sirolle, Boudoux et autres A un meeting « contre Ja dictature », 40. Cf, La Revue anarchiste, n° 3, mars 1922, p. 48-49, Nous avons signalé ce que Berkman et son traducteur ont donné comme étant tes paroles de Sirolle. Un. autre anarchiste, Iui aussi d'audience internationale, tres enthousiaste de Makhno dés cette époque, a également parlé de Vincident Boukharine-Sirolle, mais sans citer tel ou tel passage de leurs interventions ; il a simplement noté : « L'immense majorité des anarchistes emprisonnés on Russie soviétique ne sont pas plus des partisans de Makhno qu’ils n’ont é€ pris les armes 4 la main. » (R. Rocker, La Faillite du communisme d'état, 1921; publié par Spartacus en mai-juin'1973 sous le titre Les Soviets trahis ‘par les Boicheviks, cf. p, 23.) 41. « La Vérité sur Kronstadt ? Une tentative de révolution soviétique liber- taire », Les Temps nouveaux, n° 22, aviil-mai 1921. 42. Le Libertaire, 28 janvier 1921. 52 le mouvement anarchiste frangais et la révolution russe tue de la Grange-aux-Belles & Paris le 16 janvier 1921. Si le 1" Congrés de l'Union anarchiste en novembre 1920 avait émis une opinion favorable sur la Révolution russe, le second tenu a Villeur- bunne ua an plus tard se montra unanime pour condamner la dictature du profétariat. « En se révoltant contre l’Etat bolcheviste, dira Colomer, les anatchistes sont logiques avec la pensée anar- chiste *. > Nous avons vu les individualistes, Lorulot mis & part, trés réser~ vés 4 Pégard de la Révolution russe, méme A ses débuts, On pouvait donc s’attendre, semble-t-il, & les voir prendre leurs distances de plus en plus nettement et manifester une hostilité déclarée a Pégard du systéme communiste russe. Or il n’en fut rien durant quelques années, de 1920 A 1923, tout au moins. Quelques extraits de presse en témoigneront en ce qui concerne certes Lorulot, mais d'autres individualistes comme Devaldés lui feront écho et Armand lui- méme, pourtant si réservé sur de telles questions, se montra, en 1920, moins réticent qu'il ne I'était en 1917 dans Par-dela la mélée. Il s'exprimait ainsi dans un article leader de Un en décembre 1920, article intitulé « A ceux qui attendent une humanité fu- ture » : « De prime abord, le * bolchevisme ” nous est sympa- {hique. Quelque répugnance que nous inspire le mot scul de “ dicta- ture ”, la lutte des “* soviétiques ” contre le capitalisme de ancien el des nouveaux continents ne saurait Jaisser insensible tout homme que n'a pas pourri notre bas arrivisme occidental. > Et s'il terminait son ample étude — sept colonnes de petits caractéres — par la réserve certes d'importance : ¢ Terrorisme blanc, terrorisme rouge, c'est toujours du terrorisme. Dictature du clergé, dictature de la bourgeoisie, ou dictature du prolétariat, c'est toujours de la dictature », il n’en éprouvait pas moins sympathie — nous avons vu — et admiration pour cette révolution de grande allure et qui a déja trois ans d'ige : « La Grande Guerre a donné haissance A un événement appelé A de colossales répercussions — je veux parler de la Révolution russe — et qui semble destiné A jouer dans I'histoire du monde le réle qu’y a tenu longtemps la Révolution francaise. Si jemploie le terme “ colossal ”” c'est 43. La question de la dictature du protétariat a été wanchée « sans discussion aucune », alors qu’au précédent congrés < quelques divergences » s‘étaient monifestés. « I aurait fallu étre aveugle pour ne point voir que Ja dictature, hon sculement est inutile & la sécurité d'une révolution, mais encore qu'elle cst néfaste A Pévolution de cette réyolution. » (Le Liberiaire, 2 décembre 1921.) 44. Cet article ¢ n’a pas é1é écrit sous la forme od il est présenté >, est-il précisé dans un nota bene, « Ia été compléié ct mis au point. Mais nous suvons que, tel qu'il est, il répond bien A Vopinion et traduit bien la pensée WE, Armand, » A notre connai Armand, alors détenu — et cela explique sans doute les réserves ci-dessus — n'a jamais désavoué ce texte. 53 que, dans ma pensée, ce qualificatif correspond bien aux consé- quences économiques et politiques que linstauration du régime des “ soviets ” aura sans doute sur la planéte. » Lorulot, quant A lui, maintenait en 1921 les propos qu'il tenait en 1918 sur ja « dictature de fer du prolétariat » qui sera <« une dictature des élites sur les brutes » et il poursuivait ; ¢ Individua- listes, nous sommes ennemis de toute dictature. Mais nous sommes des réalistes et non des illuminés et nous ne voyons pas la possibilité pour les hommes actucls de vivre sans lois et sans gendarmes (rouges ou noirs) [...]. /’éprouve pour les bolchevistes russes une certaine sympathie [...]. Ils furent les premiers, en effet, & se dresser contre la guerre mondiale. Comment ne pas préférer mille fois un Lénine 4 un Kropotkine ou A un Jean Grave, s’associant aux responsables de la tuerie mondiale *, > Et Devaldés dit Sanine, dans la méme revue, en 1922 et 1923, affirmait d'une part : « Il n'y a d'opprimés en Russie que des illuminés qui ont perdu tout contact, si jamais ils l'ont eu, avec Ja réalité“ » et dénongait finalement le « rdle effectivement contre- révolutionnaire que jouent [...] des organisations telles que l'Union anarchiste frangaise et similaires de lextérieur *” >. En résumé, & partir de 1921 donc, pour les anarchistes commu- nistes et individualistes — le cas de quelques-uns de ces derniers ci-dessus évoqués, assez inexplicable, étant mis & part — il y a en France antinomie absolue entre anarchisme et communisme @inspiration russe. Les anarchistes ont vu & lorigine de ce qu’ils appellent dégénérescence de la Révolution russe tous les rouages de l'Etat qu’ils combattent : armée, police, administration centra- lisée. Le parti est devenu A leurs yeux le fossoyeur de la révo- lution, de leur révolution. Aussi se proclameront-ils plus volontiers antibolcheviks qu’antistaliniens, et cela les distingue de la plupart des communistes oppositionnels. Lorsque certains des grands procés en U.RSS. vont défrayer la chronique en méme temps que se déchainera la dictature hitlérienne, les anarchistes mettront le signe égal entre les deux sysitmes : « Le régime hitlérien est un régime exécrable. Le régime stalinien est un régime au moins aussi exé- crable *, Jamais ils ne reviendront sur ce jugement. 45. Le Réveil de l'esclave, n° 8, 1° mars 1921. 46. Le Réveit de Pesclave, n® 27, 1°* novembre 1922, 47. Le Réveil de Pesclave, n° 35, 1°* octobre 1923, 48, Ersion (pseudonyme de P, Rurr), « La Guerre des dictateurs », Le Libertaire, 28 aodt 1936, 54 le mouvement anarchiste francais et la révolution russe Ainsi l'influence exercée par la Révolution russe sur Je mouvement anarchiste francais fut-elle limitée dans le temps et, somme toute, superficielle. Mais — et ceci est beaucoup plus important — elle 4 fait resurgir ce qu’on peut appeler le permanent probléme du mouvement anarchiste francais et international. Ce probléme capital est celui qui oppose centralisation — ou unité imposée d’en haut — et fédération — ou unité librement voulue par la base — tant sur le plan de organisation du mouvement que sur celui de lEtat iu Iendemain de la révolution ®, Les anarchistes ont toujours opté cest méme la raison d’étre de leur mouvement — pour la seconde forme d'organisation, mais il est arrivé de tout temps qwau nom de Vefficacité certains remettent en cause le principe non du fédéralisme mais d'une certaine conception du fédéralisme conduisant a l'impuissance. Comme nous le verrons ®, c’est la défaite essuyée par les anarchistes russes qui fit se reposer le probléme. 49. Pour ce qui est, sur un plan théorique, de ta révolution en général et de ses lendemains, on se reportera (ci-aprés, p. 163 ot s., p. 192 et s.) a la hotion de diclature du prolétariat et @ ua certain type de dictature imaging par Bakounine. 50, T. II, 4* partie, chap. 4. 55 3 Les anarchistes et le mouvement ouvrier Les rapports anarchisme-syndicalisme, pour Ja période antéricure & 1914 ont éé précisés dans deux chapitres'. Dans la mesure ob des dates peuvent étre avancées, ils se présentent en trois phases. De 1880 a 1895, les conquétes ouvritres, réduites A des augmen- tations de salaires et 4 des diminutions du temps de travail, furent considérées comme n’apportant rien A I'émancipation ouvritre. « Une gréve est une révolte ou une duperie » proclamait Le Révolté le 26 mars 1887. Aussi les seuls mouvements encouragés par les anarchistes, qui se tenaient alors volontiers hors des syndi- cats, étaient-ils les gréves que nous appellerions aujourd’hui « sau- vages », ou mieux, les mouvements de révolte, par exemple ceux de la Bande noire de Montceau-les-Mines en 1882-1884, la gréve de Decazeville en 1886 avec mise & mort de T'ingénieur Watrin, V’émeute du 1* mai 1890 4 Vienne. A partir de 1895, fin de I’tre des attentats, les anarchistes entré- rent dans les syndicats. Ils y entrérent, en masse pourrait-on dire, si leur mouvement n’était pas encore réduit A cette époque A un 1, 2 partic, chap. 2: « Le Réle des anarchistes dans Ies mouvements de protestation populaire » ; 3 partie, chap. 1: « Les Anarchistes et les syndicats » 56 les anarchistes et le mouvement ouvrier faible rayonnement. Des leaders incontestés, Kropotkine et surtout Pelloutier et Pouget, le leur recommandaient et, en une dizaine années, triomphant du courant guesdiste, ils firent, conjointement avec d'autres tendances, la conquéte de la C.G.T. qui se constituait alors et devenait le parti du travail. Les anarchistes firent-ils vrai- ment la conquéte de la C.G.T. ou est-ce la C.G.T. qui les conquit ? On peut en discuter et certains leaders anarchistes d'audience inter- nationale comme Malatesta reprochérent en 1907 & Monatte et autres anarchistes, entrés et absorbés par le syndicalisme, avoir pris le moyen pour une fin. Quoi quill en soit, c'est de 1907 a 1914 que nous situerons la troisisme étape du mouvement ouvrier francais congu dans ses rap- ports avec l’anarchisme, celle d'une « dominante » syndicaliste révolutionnaire ; mais le mouvement est loin de représenter, au-dela de la violence des mots d’ordre, une véritable force; on le vit bien en 1914. Quant au mouvement anarchiste proprement dit, il réussit, A la veille de la Premi&re Guerre mondiale, & s'organiser en fédération. Il joue alors un réle important dans le mouvement ouvrier, méme si l'on tient compte de la réserve ci-dessus. Mais aucun historien n'a encore tenté le difficile bilan quantifié des responsabilités assumées dans le mouvement ouvrier par des anar- chistes ou des syndicalistes issus de V’anarchisme et ne ayant pas renié. II y a tout licu de penser qu'il serait loin d’étre négligeable. A trés petite échelle, on peut remarquer que quatre des huit membres de la commission désignée A l'issue du premier congrés anarchiste national tenu A Paris les 15-17 aoft 1913 pour constituer définitivement la nouvelle fédération exergaient ou avaient exercé des responsabilités syndicales importantes *. Dans ce chapitre, notre objectif est de déterminer la place des anarchistes dans le mouvement ouvrier francais ou vis-a-vis de celui-ci depuis la Premigre Guerre mondiale. Nous le ferons en considérant trois tranches chronologiques qui nous paraissent cor- respondre & trois étapes importantes : 2. Quatre sur sept, puisque nous ne savons rien du buiti#me, Lacaze, C'étaient Rertho, secrétaire des Jeunesses syndicalistes du, Bétiment; Togny, secrétaire du syndicat des ouvriers coloristes de Paris, délégué au congrts de la C.G.T. en 1910, trésorier, en 1912, de la commission des gréves et de Jz gréve générale ; ‘A. Girard, membre du comité syndical des correcteurs de 1905 & 1908; P. Martin, trop connu pour ére embauché, avait encoun A celle époque neuf années de prison pour avoir, notamment, participé & Vienne 4 Pémeute dy 17 mai 1890, 37 — les anarchistes et la C.G.T., 1918-1922 ; — les anarchistes et la C.G.T.-S.R., 1922-1939 ; -— les anarchistes et le mouvement ouvrier depuis la Libération, A. A Ia reconquéte de la C.G.T.; une éphémire victoire, 1918-1922 Au lendemain de la guerre débute une Apre bataille pour la C.G.T. qui verra finalement éclater organisation syndicale en trois branches, l'une réformiste qui conserve le sigle C.G.T., les deux autres révolutionnaires : C.G.T.U. a prépondérance communiste, C.G.T.-S.R. anarcho-syndicaliste. Jouhaux et ses amis, ralliés & la politique de défense nationale, tiennent encore fermement la C.G.T. en 1918, d’autant plus que trois des principaux leaders de l'opposition de guerre, A. Merrheim, G. Dumoulin et F. Million ont, successivement, fait leur paix en 1918 avec le « général » et repris place au sein de la majorité. Reste Monatte, premier résistant syndicaliste 4 la guerre qui, aprés sa démobilisation, se trouve étre tout naturellement Ie principal leader de l’opposition syndicaliste révolutionnaire. Dés le congrés de Lyon, septembre 1919, la minorité représente environ deux cinquigmes de la majorité. Au lendemain du congrés, elle commence @ s’organiser au sein de comités syndicalistes révo- lutionnaires, les C.S.R., dont l'importance est décisive dans I’évo- lution de la confédération. Si la progression de la minorité est faible de septembre 1919 a septembre 1920, époque A laquelle se tient le congrés d’Orléans, elle se révéle considérable en juillet 1921 au congrds de Lille, puisque ses voix atteignent plus des quatre cinquitmes de celles de la majorité. On peut penser qu’au congrés suivant, elle l’aurait emporté. Mais il n’y eut pas de < congrés suivant », du moins pour ce qui est d’une C.G.T. unique. Et c’est au congrés constitutif de la C.G.T.U. qu’on assiste en juin 1922 4 Saint-Etienne, congrés od s'affrontent les tendances communiste, syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste, trés fluctuantes: encore, qui constituaient Yopposition dans la ¢ vieille » C.G.T. La tendance communiste ayant conquis la majorité 4 Saint-Etienne consolide ses positions en novembre 1923 au congrés de Bourges et sa suprématie n'est plus dés lors remise en question. Mais reprenons le fil des événements. Au lendemain done du congrés de Lyon, septembre 1919, des C.S.R. s’organisent regrou- 58 les anarchistes et le mouvement ouvrier pest les opposants et, le 3 octobre, au cours d’une assemblée, ces “f.R, se donnent un Comité central dont Monatte est élu secré- (aire général. De mai 1920 A mars 1921, celui-ci est emprisonné ainsi que d'autres révolutionnaires pour < complot » et remplacé ar Godonnéche, camarade de tendance. Monatte demeure secrétaire onéral jusqu’au 20 mai 1921 et est alors remplacé par Pierre Hosnard *. Cet homme, Pierre Besnard, l'accord secret — le Pacte — qui le lie i quelques-uns de ses amis et qui fut signé en février 1921, la date du 20 mai de cette méme année sont des éléments décisifs pour le probléme qui nous occupe : les rapports de l’anarchisme et ii mouvement ouvrier. Besnard est en effet anarcho-syndicaliste, le Pacte, une société secrtte de type bakouninien, la date du 20 mai 1021, celle de la prise en main par la tendance anarcho-syndi- viliste des C.S.R. qui représcntent alors une force quasi équiva- lente a celle de la majorité et peuvent donc légitimement espérer oll conquérir un an plus tard la C.G.T., soit, au_cas de leur exclusion par Jouhaux et ses amis, diriger la C.G.T. révolution- nulre ainsi créée malgré elle. Voyons de plus prés encore, car ios controverses ont eu lieu, continuent d’avoir lieu sur ces hommes et ces faits. Picrre Besnard, né en 1886, cheminot au chemin de fer de I'fitat depuis mars 1909, nommé facteur chef A la gare d’Auteuil le 15 décembre 1919, fut révoqué pour faits de gréve le 14 mai 1920. Secrétaire de la commission permanente du bureau mixte du syndicat parisien des cheminots, membre de la commission pxtcutive de la fédération nationale des employés des chemins de fer, il devient, nous l'avons vu, secrétaire général du Comité central des C.S.R., les deux autres secrétaires étant Fargue et Quinton. A notre connaissance, P. Besnard n’était pas adhérent de !'Union anarchiste ; il est anarcho-syndicaliste, adversaire des partis et tout spécialement du Parti communiste ; sa doctrine peut se résu- mer dans la formule : < Tout le pouvoir aux syndicats. » De fait, i] se trouvera maintes fois en désaccord avec les anarchistes propre- ment dits avec lesquels il ne se confond pas exactement. Mais surtout, tres doctrinaire, il n’admettait guére de composer dans 3. Ca pourrait se demander ce qu’était devenu un homme qui avait joué, sur an syndical, un grand réle dans Yopposition de guerre. Il s'agit de Péricat. int, en octobre 1919, au premier Comité central des C.S.R. puis, ayant plus foi en un possible redressement de la C.G.T,, il la quitta pour fonder & Marseille au couss de 1’été 1920, autour du syndicat local du Batiment 16 dans V'autonomie, la Confédération des travailicurs du monde dont Fra- chon aurait été Je trésorier. Cette confédération, dont l'influence ne s’étendit udre au-dela de Marseille, groupa quatre 4 cing cents adhérents; elle cessa dexister en avril 1922. 59 la direction de ample mouvement révolutionnaire dont il révait. Un militant syndicaliste qui I'a bien connu, Théo Argence‘, 1’a ainsi caractérisé : « Sa trop grande rigidité [...] le conduisait A Visole- ment, Ainsi peut s'expliquer, sans le justifier, son besoin de créer des groupements nouveaux qu'il voulait 4 son image*. » En juillet 1921, A la veille du congrés de Lille, Besnard refuse le renouvellement de son mandat de secrétaire général des C.S.R. et se contente d'un poste de secrétaire adjoint. C'est qu'il y a main- tenant, selon lui, parfaite identité de vues® 4 la direction des C.S.R. et qu’en conséquence il lui est possible de se libérer pour résoudre les problémes qui se posent nationalement et internatio- nalement. Nationalement, puisqu’on s'achemine vers la rupture, vers la scission. Internationalement puisqu’a la Fédération syndicale internationale (F.S.I.) reconstituée au congrés tenu & Amsterdam du 26 juillet au 2 aot 1919, s'oppose une Internationale de ten- dance communiste, I'.S.R., créée 4 Moscou du 3 au 19 juillet 1921. La France fut présente A Moscou, bien entendu celle de Yopposition, par une délégation qui comprenait : Gaudeaux, Gaye, Godonnéche, Michel Kneller ou Relenque’, Labonne, Claudine et Albert Lemoine, Sirolle et Tommasi. Cette délégation n’était certainement pas, dans son ensemble, A image des syndicalistes révolutionnaires de La Vie ouvriére du type Monatte ou Rosmer. Ce dernier, alors & Moscou ot il prit grande part aux divers congrés et réunions qui s'y tinrent, n’eut pas a s’en lover. Notons simple- ment que parmi eux se trouvaient trois signataires du Pacte, « le trio Sirolle, Michel, Godeau® >, écrivait Rosmer dans une jJettre & son ami Monatte en juillet 1921 : « Ils se sont conduits mon en amis des Russes mais en adversaires. » Notons encore, nous y reviendrons, qu'il n’y cut pas entente entre eux et que Sirolle et Godeau, par lettre du 11 aofit 1921, dénoncérent Michel Relenque A Maisot (ou Maison?) afin que soit mis au courant « le groupe et Griffuelhes en particulier® >. Nationalement donc, la scission est en marche et l'on discute aujourd’hui encore de ceux qui la désiraient et, consciemment, firent en sorte qu'elle se réalisit. Voyons les faits. Dés que les 4, Secrétaire de la fédération unitaire des Métaux en 1922-1923. 5, Notes rédigées & mon intention par Th. Argence. 6. Journal du peuple, 23 juillet, 1922. 7. Michel le Terrassier dit Kneller dit Relenque dont I'identité exacte demeure aujourd’hui encore inconnue, Il fut tres ié & L. Jouhaux entre 1932 et 1939. 8. On trouve écrit Godeau ou Godeaux ou J. Gaudeaur, 9. Syndicalisme révoluilonnaire et communisme. Les archives de Pierre Monatte, op. cit., p. 294-295 et, en général, le chapitre VII. Voir également C. Caanpetianp,’« Autour du 1 Congrés de ILS.R. », Le Mouvement social, avriljuin 1964. 60 les anarchistes et le mouvement ouvrier réformistes qui détenaient les leviers de commande de la C.G.T. sentirent se développer la menace que constituaient les C.S.R. groupés derrigre Jour Comité central, le C.C.N. décide le 9 février 1921 qu’ « en adhérant aux C.S.R. tout groupement se met en dehors de la C.G.T. ». Puis, les 19-20-21 septembre 1921, deux mois aprés le congrés de Lille qui a vu lopposition presque a égalité avec la majorité, le C.C.N, confirme que les organismes syndicaux ne peuvent adhérer aux C.S.R. et que ceux qui passeraient outre A cette décision se mettraient délibérément en dehors de T'unité ouvrigre, de la C.G.T. En réponse, six jours plus tard, le 27 sep- tembre, les trois secrétaires du Comité central des C.S.R., Besnard cet ses deux camarades de méme tendance, appellent A un congrés extraordinaire en vue de la constitution d’une C.G.T. révolution- naire affirmant que la scission < voulue, calculée et prémé par la majorité confédérale » est désormais « un fait accompli contre lequel la minorité, malgré la rectitude de sa conduite, est impuis- sante », et ils ajoutent que cette minorité, « douloureusement émue par la destruction de lunité ouvritre [..] ne peut qu'enregistrer la scission qui lui est imposée"® >. Au congrés de la minorité qui se tient & Paris du 22 au 24 dé- cembre 1921, aprés que deux courants se furent manifestés, l'un conduit par Besnard-Monmousseau favorable A la rupture immé- diate, le second dirigé par Monatte conseillant Ja prudence, une motion votée l'unanimité réclame la tenue d’un congrés extraordi- naire au cours du premier trimestre 1922, les convocations devant @tre lancées avant le 31 janvier. La C.G.T. ayant refusé, la scission est consommée. Qui I’'a voulue ? Question souvent débatiue et & laquelle nous apportons un essai de réponse en ce qui concerne les anarchistes et les anarcho-syndicalistes, mais il convient tout d’abord de poursuivre l’examen de Ja situation syndicale en France. Lorsque le 25 juin 1922 s'ouvre le congrés de Saint-Etienne, la scission est done un fait et ce congrés yoit la naissance officielle de la C.G-T.U., dont Besnard et ses amis peuvent penser prendre tout naturellement la direction, Mais l’opposition est loin d’étre unie et Saint-Etienne voit la défaite de ceux qui, anarcho-syndica- listes et anarchistes, en avaient pris la téte depuis le 20 mai 1921. C’est une motion Monmousseau, alors syndicaliste révolutionnaire et partisan de T'indépendance A Pégard des partis politiques qui, avec l'aide des délégués communistes, triomphe, par 848 voix contre 399, des anarcho-syndicalistes conduits par Besnard associés aux anarchistes groupés derrigre Lecoin et Colomer. Si l’on admet que dans la C.G.T. Yopposition égalait alors la majosité, on peut donc 10. Syndicalisme... Les archives de P. Monatie, op. cit. p. 281. 61 estimer qu’en juin 1922, les anarchistes et anarcho-syndicalistes repré- sentent un tiers des adhérents de la C.G.T.U., un sixitme du mouve- ment ouvrier frangais organisé. Un an plus tard, au congrés de Bourges, novembre 1923, les mémes se compteront sur une motion favorable a I'adhésion 4 I'A.1.T. créée A Berlin en décembre 1922. Ils n’obtiendront que 219 voix contre 962 (147 voix s’étant portées sur un texte intermédiaire). Ainsi se tronyait confirmée la suprématie des communistes ou des syndicalistes révolutionnaires en marche vers le Parti communiste. Les anarcho-syndicalistes ne vont pas tarder se retirer d’une telle C.G.T.U. et, dés cette méme année 1922, P. Besnard crée un Comité de défense syndicaliste dont il est le secrétaire. D’autres pas vont étre bient6t franchis. Avant de les étudier, nous voudrions examiner la question laissée en suspens, celle du Pacte et de l'importance qu'il convient de lui accorder, tant sur le plan francais que sur Je plan international. Qu’était done ce Pacte ? L’accord secret dont le texte a été redonné in extenso dans les archives de Pierre Monatte ™, fut signé en février 1921, rendu public le 15 juin 1922 dans La Bataille syndicaliste et commenté un mois plus tard par Besnard lJui-méme dans un article du Journal du peuple’ ayant pour titre ; « Pourquoi y eut-il le Pacte, son histoire? > Il est indispensable de reproduire ici deux des articles qui nous paraissent essentiels de ce texte signé de dix-huit noms en téte desquels on trouve ceux de Verdier et de Besnard : ¢ 1, — Ne révéler A personne l’existence de notre comité. » « 7. — Nous nous engageons 4 @uvrer par tous les moyens en notre pouvoir pour qu’a la téte et dans tous les rouages essentiels du CS.R., principalement a la téte de la C.G.T. quand elle sera en notre pouvoir et** sous notre contréle, nous assurions I’élec- tion, aux postes les plus en vue et responsables, tant au point de vue des conceptions théoriques qu’a celui de l'action pratique, des cama- rades purement syndicalistes révolutionnaires, autonomistes et fédé- Talistes. » Ainsi peut-on dire que le Pacte se caractérise avant tout par son caractére secret et par la volonté affirmée de conquérir C.S.R. et C.G.T. « par tous les moyens », ceci au nom de la révolution syndicaliste révolutionnaire. Que dit Besnard au sujet de cette entreprise *? Selon lui le syn- Ul. Op, cit, p, 277-278, 12, 23 juillet 1922. 13. « Ou » selon le texte de La Bataille syndicaliste. ¢ Ou » également dans Je Bulletin communiste du 16 aotit 1923. 14. « Pourquoi y eut-il le Pacte? Son histoire », Le Journal du peuple, 23 juillet 1922. 62 les anarchistes et le mouvement ouvrier dicallume était en danger dés mai 1920, époque ob, sous prétexte sudhésion, de solidarité pour venir en aide a la Réyolution russe, ‘ley hommes pensaient placer le syndicalisme sous la tutelle d'un parti influencé de plus en plus par Moscou. Hesnard et ses amis préparent alors une déclaration & paraitre ‘luna le premier numéro d'un journal qu’ils doivent lancer. « Grif- fuolhes était au courant **, » Hinalement le journal ne voit pas le jour, mais les C.S.R. consti- iis au lendemain du congrés de Lyon de septembre 1919 et dotés, le 4 octobre, d'un Comité central dont Monatte a été élu secré- lulre général, ces C.S.R. dont fait partie Besnard, inquiétent celui-ci : * Tant par leur formation organique que par leur orientation, [ils] Ctaient plutét destinés a faire dévier &@ nouveau le syndicalisme wud le redresser. » C'est & ce moment que Besnard et ses amis y entront « en force 2, décident de s’organiser et le « Pacte » prend nulwance. Préparé durant toute l'année 1920, il fonctionne ensuite «ix mois environ et, affirme Besnard ', cesse d’exister aprés le congrés de Lille de juillet 1921, lorsque le bureau du C.C. des C.S.R. eut rolrouvé « sa parfaite homogénéité ». Au risque de paraitre attacher A ce Pacte et A l’influence qu’il exerga dans le déroulement des événements une importance qu'il h'out pas, il importe néanmoins de Iui faire place, alors qu'il est jujourd’hui passé sous silence dans les histoires du mouvement ouyrie Mais tout d’abord voyons la liste des adhérents qui fut publiée en méme temps que le texte Iui-méme : Verdier, Besnard, Marie, Hische, M. Relenque, Churin, Machebeeuf, Scheiber, Pothion, Jouve, Ferrand, Daguerre, Maison, Gaudeaux, Sirolle, Varlot [pour Vallet], Totti, Fourcade. Il est difficile de préciser la biographie de ces militants parfois obscurs 7, mais il convient de noter Je réle joué par quelques-uns dentre eux durant ces dix-huit ou vingt mois exceptionnels qui virent la prise en charge par Besnard du C.C. des C.S.R., la créa- tlon de I'LS.R. et la tenue du dernier congrés de la C.G.T., celui de Lille, en juillet 1921. Selon le texte méme du Pacte, la société scertte avait pour but ~ article 7 — de s'emparer « par tous les moyens > des C.S.R. et de la C.G.T. Son but fut atteint en ce qui concerne Ie C.C. des ©.S.R. le 20 mai 1921 par I’élimination de Monatte, secrétaire général et son remplacement par Besnard assisté de Fargue et de Quinton. Restait la C.G.T., et c'est pour s’y consacrer, nous I’avons vu, que 15. Ibid, 16, Ibid. 17. Cf. Dictionnaire, 1914-1939 (en cours d'élaboration). 63 Besnard abandonne, a la veille du congrés de Lille, Ie poste de secrétaire général des C.S.R. pour se contenter de celui de secrétaire adjoint, le bureau des C.S.R. étant alors, a son dire, parfaitement homogéne et conforme a ses vues. Sur le plan international, au congrés de constitution de P’I.S.R., Moscou, juillet 1921, le Pacte est présent en la personne du « trio Sirolle, Michel, Godeau » dont parle Rosmer". Mais déja les dissensions entre ses membres éclatent publiquement ”. Pour terminer, notons, sans pouvoir le préciser, le rdle joué dans cette affaire par Griffuelhes, puisque les délégués & Moscou, Go- deau et Sirolle, adversaires de Relenque, écrivaient dans leur lettre du 11 aoiit 1921 4 Maisot, un des membres du groupe demeuré a Paris : « Ou tu ne la communiqueras qu’ Griffuelhes, ou tu en feras part A tous les camarades du groupe”. > Et le Pacte cessa de jouer. Besnard Je dit et on peut, semble-t-il, le croire. Pourquoi? Simplement parce que son existence était connue, ne serait-ce qu’en raison des affrontements au grand jour entre ses délégués 4 Moscou. Que penser maintenant de I'entreprise, de Besnard Iui-méme, de Griffuclhes ? Les archives — si elles existent — font toujours défaut et les quelques témoignages que Ton peut recueillir sont encore trop chargés de passion pour que l'on puisse émettre un jugement valable. C’est ainsi que Marie et Frangois Mayous, 4 qui Totti aurait présenté le Pacte pour signature et qui auraient refusé, y voyaient™ l’ceuvre des Russes et de leur agent Michel Relenque, qui leur aurait révélé son réle en 1922. Or ce que l'on sait comme ce que Yon ne sait pas, aujourd'hui encore, du personage, ne per- met guére de retenir son témoignage. Quant 4 Fourcade, un des signataires qui, au dire de Théo Argence, s’entretint avec lui du Pacte le 24 février 1970 : « Il a bien ri, surtout de l'importance qu’on semble donner a ce papier. » Et sans doute ne convient-il pas dexagérer cette importance. Le mouvement ouvrier a toujours vu se développer au sein des organisations, en période de crise surtout, des maneuvres plus ou moins scerétes, se créer des noyaux, des groupements internes, occultes ou non, dans Je but d’assurer a Teurs membres et dirigcants prédominance ou direction. La tenta- 18. Voir ci-dessus p. 60. 19, Ibid. Le Bulletin commuriste du 16 aoft 1923 indique en ce qui concerne Bisch Gans ¢) : « Le camarade Bisch démissionna et combat depuis dans les rangs de la majorité de Saint-Etienne, » 20, Syndicalisme... Les Archives de P. Monatie, op. cit, p. 295. La lettre de Godeau-Sirolle fait état des mancuvres de Relengue qui aurait’ cherché & se faire passer, aupiés de Trotsky, Zinoviev, Lozovsky, comme ¢ Ie pivot du mouvement minoritaire (C.S.R.) frangais >. 21, Témoignage écrit des Mayoux, 8 octobre 1958, archives personnelles, 64 les anarchistes et le mouvement ouvrier tive de Besnard n'a donc rien d’exceptionnel en un temps ob réformistes, communistes et anarchistes se disputaient lorganisation ouvriére. Le Pacte s'explique simplement par le besoin qu’eut toujours Resnard de diriger une organisation & son image. Il se défiait des GSR. & leur origine tant en raison de la personnalité de leur feerétaire général qu’en raison des conceptions de celui- un ayndicalisme révolutionnaire indépendant politiquement mais sus- ceptible d’agir en accord, non avec un parti communiste qui nexista pas, au moins nominalement, avant décembre 1920, mais tvec les hommes de la Révolution russe et les organismes interna- tionaux constitués ou en voie de constitution. Le Pacte lui permit de supplanter Monatte & la téte des C.S.R. Il ne lui permit pas de faire plus au sein de la C.G.T. puis de la C.G.T.U. et son doctrina- tisme le mit d’ailleurs souvent en conflit avec Jes militants du mou- yement anarchiste lui-méme *, Ft Griffuelhes? L’homme, secrétaire général de la C.G.T. jus- qu’en 1909, fut de premier plan et ne se satisfit jamais de ne plus létre. Dans l'ombre de Jouhaux avant et au début de la guerre, rova-t-il, aprés un voyage & Moscou début 1920, de jouer encore une fois les éminences grises? Au profit de qui? que l'on sait neulement c’est que la mort, en juillet 1922, mit fin au réve, si réve il y eut. Il n’en reste pas moins que le Pacte a joué un réle en un moment crucial de l'histoire du mouvement ouvrier frangais et que, surtout peut-étre, i] porte témoignage sur certaines mentalités mili- tantes. B. La CG. Au lendemain du congrés de Saint-Etienne, juin 1922, P. Besnard prépare une riposte de la minorité, de sa minorité, demandant aux militants qu’il influence de se regrouper aussitét dans un Comité de défense syndicaliste dont il est élu secrétaire, et langant dés juillet un cri d’alarme : « Le syndicalisme est en danger’. » Un mois plus tard, le comité, « organisation de vigilance syndicaliste >, publiait ses statuts et se déclarait ouvert & tous les syndiqués dont les orga- ations avaient voté, & Saint-Etienne, la motion Besnard **. Cependant des divisions ne tardent pas a se faire jour dans cette 22. Cf. ci-dessous, p. 69 et s, 23, Le’ Libertaire, 14 juillet 1922. 24, Le Libertaire, 18 aot 1922, 65 minorité anarcho-syndicaliste. A noter tout d’abord qu'un certain nombre d’anarchistes, parmi lesquels Relenque, Cadeau, Teulade, se refusent 4 entrer dans le comité, se bornant 4 demander I’abrogation de l'article 11 des statuts de 1'L.S.R%, alors que Besnard veut une refonte compléte desdits statuts. Par ailleurs, a peine constitué, Ie C.D.S. se divise sur Je probléme de lunité syndicale. Besnard demande que cette unité se reconstitue par la base, d’autres, et notamment les leaders anarchistes Colomer et Lecoin, sont pour Tunité dans la C.G.T.U. Ceux-ci démissionnent alors 4 l’automne 1922 de la commission exécutive du comité; six mois plus tard, pal juin, 1923**, Besnard abandonne a son tour le secrétariat du CDS. 7. Au congrés que tient la C.G.T.U. A Bourges, 12-17 novembre 1923, la minorité se présente donc divisée. Le vote qui a lieu sur l’adhésion 4 l'une ou & I’autre des Internationales syndicales, celle de Moscou ou celle de Berlin, donne une idée du rapport des forces au sein de la C.G.T.U. : communistes et « indépen- dants » contre anarchistes et anarcho-syndicalistes, 962 mandats pour les premiers, 219 pour les seconds. La question de la suprématie communiste au sein de la C.G.T.U. se trouva définitivement tran- chée A Bourges en novembre 1923, écrira dix ans plus tard P. Besnard **. Léchee des anarchistes et anarcho-syndicalistes au sein de la C.G.T.U. est donc matérialisé par les résultats du congrés de Bourges, novembre 1923, mais l’échec personnel de Besnard au sein de cette minorité est antérieur au congrés, puisque c'est le 1° juin qu'il abandonne le secrétariat des C.D.S. et il précise quelques mois plus tard dans une lettre & Th. Argence : « J’ai pris sur moi la décision et la responsabilité de cette disparition® [des C.D.SJ. » Et c'est fin 1923-début 1924 qu’il songe, semble-t-il, & tenter quelque chose en direction de la C.G.T. avant de travailler a Ja création d'une troisitme confédération. Dégu par Ja minorité qui « n’a jamais su avoir d’avis >, par les militants qui la dirigeaient < myopes et sourds de naissance et [dont] le plus grand nombre n’y voit, n'y comprend goutte », il imagine alors de « faire agir les “ chefs ” de cette minorité dans 25. Article demandant Vétablissement de ¢ Hens solides entre TLS.R. et la TIP Internationale communiste ». 9 i PgBEMAR, «A bas Je fonctionnerisme » [syndical], Le Libertaire, juin 1923. 27. Tl cessait également d’appartenir au Bureau exécutif de Internationale syndicaliste réyolutionnaire constituée A Berlin, 25 décembre 1922-2 janvier 1923, apres une conférence préparatoire tenue dans’ la méme ville les 16-18 juin 1933 (délégués pour la France : Totti, Lecoin, Besnard). 28. Encyclopédie anarchiste, p. 409 29, Letire du 3 février 1924, 66 les anarchistes et le mouvement ouvrier lin sens conyenable, sans qu’ils s’en doutent, par une action double, on leur faisant faire des propositions qu’ils seront dans obligation Waccepter >. « Pour ce faire, poursuit-il, j’agis dans le sein de 1a rue Lafayette {la C.G.T.] directement ou par Ventremise de membres influents et sympathiques. Crest ainsi que la C.G.T. n’a pas encore répondu & la demande formulée par le congrts — si on peut dire — de la minorité, & Ja lettre. — extrémement maladroite dailleurs — _ relative A Yunité [.. Maintenant je m’efforce — et j'y parviendrai, je pense — de faire ouvrir la porte & Yunité par la C.G.T. qui passerait ainsi, en raison des circonstances, par-dessus les décisions de son congrés de Paris. Je compte dans leur C.A. de nombreux amis. Ceux-1d gagneront Jes autres. Que la C.G.T. réponde par exemple — c'est ce que je lui demande — qu'elle est disposée & faire 'unité aux conditions sui- yantes : respect absolu de Ja charte d’Amiens, respect non moins absolu de la loi de la majorité et des droits des minorités. Qu’elle y ajoute si elle veut — et c'est probable — la répudiation de I'LS.R. et de ses méthodes, je fais “ avaler ” cela la minorité. Comme contre-propositions, je lui fais demander Vextension des pourparlers aux syndicats déj& autonomes. Bt le tour est joué. L'iso- lement des communistes — qui ne peuvent reprendre la charte d’Amiens — est réalisé. Pour permettre le départ des géneurs de la C.G.T. — Jouhaux et les autres — je demande que I'unité soit locale et industriclle d'abord et nous faisons le congrés d’unité aprés les élections qui éclaireront bien des situations et nous débarrasseront de bien des géneurs, de notre cété et du leur [...}. Pour cela je ne compte sur personne. Seul, Chaverot est au courant et je suis assuré de sa discrétion. Ce sera sfirement le seul qui m’aidera ici, en nous servant du vague sous-comité fédéral des cheminots que je n’ai constitué que pour agir moi-méme au Comité central des “ aveugles ” de la minorité [...]. Mets au courant, si tu Je veux, des hommes comme Fourcade — dont il faut remonter Ie courage et Monier. Dis-leur méme que je ten pric [...], recommande-leur 1a discrétion la plus absolue ct fais on sotte qu'ils soient préts & agir de leur cété le moment vemu. Ca ne va sans doute pas tarder. Voila mon cher ami, ce que je pense de la situation, ce que je yeux réaliser et comment je crois devoir opérer. > 30, Lettre du 3 février 1924 & Th, Argence, qui nous en a communiqué la photocopie, 67 Crest le 14 février que la C.A. de la C.G.T. donna réponse & la proposition que la minorité de la C.G.T. lui avait faite le 14 ja vier, et cette réponse fut transmise par R. Lenoir le lendemain 15 f€vrier. Adressée « 2 la minorité » elle était plus spécialement « confidentielle pour toi [Besnard], Fourcade et Monier, au moins pour quelques semaines ». Cette réponse était négative, la C.A. ne pouvant « que regretter que les propositions de la minorité ne se différencient en rien de celles, antéricures et inutilement posées par la C.G.T.U. > En effet, si la C.A. apprécie « toute importance de la position syndicale de la minorité », elle prend acte cependant qu'il est question d'un congrés « englobant Ics syndicats confédérés, unitaires ou neutres, sans que cette wnilé soit conditionnée par une affirmation du principe dindépendance du mouvement syn- dical ». Besnard, dans une lettre & Th. Argence datée 21 février, estimait néanmoins importante « par le fait de son existence » cette réponse de la C.A. de Ja C.G.T. « A nous de manceuvrer en consé- quence », poursuivait-il, et il esquissait de nouvelles propositions condensées en cing points dont voici les deux premiers : « 1. Autonomie et indépendance du syndicalisme vis- tous les groupements quels qu’ils soient. 2, Adhésion A une Internationale acceptant les principes ci- dessus énoncés. Rien ne devait s’opposer ensuite & la tenue d'un congrés d’unité sur le plan national, qui n’aurait plus qu’a ¢tendre au plan international « la reconnaissance définitive de lindépendance du syndicalisme ». « Ceci a pour conséquence immédiate, au dire de Besnard, de répudier Moscou sans méme parler de PLS.R. Les deux autres Internationales, Berlin et Amsterdam, restent en présence et le congrés décide. Nous serons certainement portés vers Amster- dam, puisque numériquement moins forts. > Pour finir, Besnard envisageait Ja réalisation de l'unité interna- tionale. « La ne se limite pas mon plan, écrivait-il. Je reprends ma vieille idée : 'unité internationale mais, cette fois, sur le dos de Moscou. De ce cété-li les choses marchent déji et je crois pouvoir compter sur certains concours. Schapiro et Borghi sont a peu prés de mon avis. Le temps, les circonstances, 1a encore, feront le reste. > Ainsi donc, retour 4 la C.G.T. sur le plan national, retour A Amsterdam sur le plan international, telles sont les yues de Besnard en_ce début d’année 1924. On comprend mieux son abandon des C.D.S. et son retrait de l'Internationale syndicaliste révolutionnaire nouvellement créée. -vis de 31, Lettre du 21 février 1924, 68 les anarchistes et le mouvement ouvrier Les nouveaux projets du leader anarcho-syndicaliste —rentrée dans la CGE. avec éviction de Jouhaux, perspectives non affirmées mais ovidentes du réle important qui lui serait dévolu, tant nationale- ment qu’internationalement — étaient peu réalistes et ils échouérent. il faut voir 1a, trés certainement, la raison essentielle qui le poussa & s’orienter alors vers la création en France d'une troisigme OG.T. Bile s'opéra en deux temps. Aprés le congrés de Bourges, des ayndicats se retirérent de la C.G.T.U., mais ils le firent sans plan d'cnsemble et demeurérent un temps dans l’autonomie. Il en fut de méme pour quelques unions départementales, notamment celle du Rhone ainsi que pour la fédération du Bitiment. Besnard s’efforga de les regrouper et, début novembre 1924, se constitua une Union {cdérative des syndicats autonomes de France dirigée par une com- inission exécutive dont Besnard fit partie. Il en devint le secrétaire général le 1°" juillet 1925 & la conférence tenuc A Saint-Ouen. L’année suivante, la constitution de la C.G.T.-S.R. est précédée par le lancement d'un journal, La Voix du travail®, et préparée par le congrés de Ja fédération autonome du Batiment qui tient ses assises A Lyon les 13 et 14 novembre 1926 dans la salle de Ja mairie du VU! arrondissement sous l’égide de l'Union des syndicats auto- homes dont Fourcade est le secrétaire. Par 52 voix contre 3 et 2 abstentions est votée une motion qui consacre la naissance d'une troisitme C.G.T. Aussitét, 15 et 16 novembre, a lieu son congrés constitutif et est votée son adbésion a !'Internationale syndicaliste révolutionnaire * de Berlin. La constitution de la C.G.T.-S.R. ne fut pas accueillie avec onthousiasme par les anarchistes et les anarcho-syndicalistes encore i la C.G,T.U. ou passés & l'autonomie. Cela tient certes 4 la per- sonne de Besnard, trop rigide et toujours insatisfait s‘il ne domine pas sans partage une organisation, mais aussi @ une raison de fond les militants qui ne pouvaient ou n’avaient pu supporter une direc- tion communiste de la C.G.T.U, n’étaient pas davantage préts & admettre la création d'une troisitme C.G.T. qui non seulement accentuerait la division du mouvement ouvrier, mais qui, politisée clle-méme en s’affirmant antiétatiste, s’aliénerait ainsi audience de couches ouvritres étendues. 32, La Voix du travail, n° 1, aot 1926; n° 15, octobre 1927, Bulletin mensuel de la C.G.T-S.R. a partir d’avril 1927. 33, Le terme ne doit pas induire en erreur ; il s'agit bien d'une Internationale inarcho-syndicaliste trés fortement influencée par l'anarchisme, 69 Deux phénoménes traduisent ce peu d’enthousiasme. La création, les 15-16 novembre 1926, de la C.G.T.-S.R. n’a droit qu’d la qua- triéme page du Libertaire“ et A une place chichement mesurée. En second lieu, la dissolution de l'Union fédérative des syndicats autonomes n’entraine pas l'unanimité de ses membres a adhérer & la nouvelle centrale et l'on yoit A Lyon des militants connus, Bastien des syndicats autonomes d’Amiens, Albert Guigui des Métaux de Paris, Le Pen du syndicat unique du Batiment, se prononcer contre sa constitution. On voit aussi dans quelques villes, 4 Limoges par exemple, les syndicats de la céramique, dela chaussure, de Tameublement, de Vhabillement, au sein desquels l'influence anarchiste est manifeste et prédominante, constituer une Union des syndicats autonomes et demeurer dans cette situation jusqu’a la réunification de 1936. Enfin, un certain nombre de militants auto- nomes, « beaucoup, dont j’étais » au témoignage de N. Faucier, rejoignent alors soit la C.G.T.U. soit la C.G.T. Cette attitude hostile, du moins trés réservée, de nombre d’anar- chistes 4 I'égard de la C.G.T.-S.R. naissante ne se démentit pas au cours des années suivantes, et c’est une trés faible minorité 2 voix pour 22 groupes représentés) qui, au congrés de Y'U.A. en 1930, se déclare favorable 4 la nouvelle confédération. L’année suivante, A Toulouse, une motion de sympathie 4 la C.G.T- recueille 4 voix des 21 délégués de groupes et déclare : « En l'état actuel du mouvement syndical francais, il peut étre aussi néces- saire pour les anarchistes de jutter dans les centrales syndicales encore sous I'influence des politiciens que d’adhérer A la C.G.T- S.R. > Méme attitude au congrés d’Orléans en 1933 et il nest done pas étonnant qu’en 1934-1936 I'U.A. se soit montrée favorable Tunité syndicale, Aprés le congrés d’unité tenu 4 Toulouse du 2. au 5 mars 1936, Le Libertaire® annonce en premiére page : < Les débats de Toulouse : esprit syndicaliste I'a emporté », tout en fixant, bien entendu, comme objectif & ses militants de soustraire les ouvriers de cette C.G.T. unifié A emprise des « politiciens > socialistes et surtout communistes. Pour ce faire, I'U.A. ou certains de ses militants, 4 l'exemple des cellules communistes et des ami- cales socialistes d'entreprises, constituent des groupes d’usines. Ces Sroupes se fixent un triple but : faire connaitre le point de vue libertaice, renforcer I’action directe, animer les milices révolution- naires tentées par les socialistes. Une dizaine de groupes sont 34. Cf. n des 26 novembre, 10 et 31 décembre. 35. 6 mars 1936, 36. Le Libertaire, 18 décembre 1936. Une rubrique est ouverte dans Le Libertaire le 23 octobre 1936 : « Dans Jes boites et sur les chantiers. » Elie disparait, semble-t-il, dés l'année suivante. 70 Jes anarchistes et le mouvement ouvrier ainsi formés dans les grandes entreprises de Paris et de la région : chantiers du Trocadéro, Sauter-Harlé dans le XV", Brandt, Renault, Citrogn, le Livre, Panhard-Levassor, S.K.F. (Ivry), Somua (Gaint- Quen), Gnéme et Rhone (Gennevilliers). L’expérience échoua, la majorité de la C.A. sortante s’étant prononcée pour la non- eprésentation des groupes d’usines au congrés des 30 octobre-1"* novembre 1937 sous prétexte de « ne pas laisser dévier l'orga- nisation sur le terrain professionnel *” ». Un référendum qui, confor- mément aux statuts, devait étre organisé sur cette question dans le délai d’un mois n’eut pas lieu ou, du moins, ses résultats ne furent jamais publiés. Les anarchistes furent évidemment favorables aux gréves de 1936 avec occupations d’usines et & certains des accords signés A 'époque. Les contrats collectifs furent en principe approuvés dans la mesure ol le contrat « ne doit pas se borner A réglementer dans la paix sociale les rapports entre patrons et ouvriers », mais « étre le moyen par lequel Pouvrier étend son contréle sur la marche de Ventre- prise >. L'institution des délégués d’atelier fut jugée « une pre- mitre atteinte A l’omnipotence patronale », le contréle ouvrier sur exploitation de Pentreprise devant < porter un coup mortel & Vexploitation arbitraire du capital ® ». Toutefois ils estimérent par Ja suite que « lopportunisme politi- que et des considérations de politique étrangére ont pesé lourdement sur le mouvement ouvrier au point d’en comprometire méme le succés relatif® +. La loi du 31 décembre 1936 sur Varbitrage obligatoire équiva- Jait & leurs yeux A interdiction du droit de gréve et la légalisation du 1° Mai en féte du travail n’eut pas leur faveur. Trés vite, ils jug’rent que la C.G.T. devait reprendre ¢ sa liberté et son indé- pendance aliénée dans le Front populaire* ». Si PU.A. se montra constamment réticente A T'égard de la C.G.T.-S.R.”, une organisation née en aofit 1936, la Fédération anarchiste de langue francaise (F.A.F.), trés décentralisatrice par opposition 4 T'U.A.*, sy montra favorable et conseilla l’adhésion. Terre libre, le journal qui devint son périodique, se refusa toujours A considérer T’unité syndicale comme une panacée, « la seule 37. Intervention de Vintrigner, IX* arrondissement, au congrts; cf. Le Liber- saire, 11 novembre 1937. 38. Le Liberiaire, 3 juillet 1936, article de N. Faucier. 39. Le Libertaire, 25° février 1937. 40. Le Libertaire, 26 juin 1926. 41, Le Libertaire, 26 aott 1937. 42. La C.G.T-S.R. groupant peu d’adhérents, certains anarchistes l'appe- Jaient par dérision 1a C.G.T.-Sans Rien (Arch. P. Po, rapport du 4 avril 1933, carton 49, classement provisoire). 43. Cf. 4 partic, chap. IV. nm unité susceptible d’intéresser les vrais révolutionnaires » étant « T'unité pour la lutte décisive contre le systéme capitaliste, pour sa destruction totale >». Or Funité dans la C.G.T. a été rendue possible, estimait-elle, par la renonciation du P.C. a Ja lutte des classes ; ceuvre des chefs, elle se réalise dans labdication d'une action autonome de Ia classe ouvridre et I'acceptation du régime. Aussi les militants de la F.A.F. se prononcent-ils certes en faveur du mouvement spontané des occupations d'usines, mais si la gréve conduit & quelques résultats appréciables, ceux-ci ne peuvent étre, selon eux, décisifs, les ouvriers ayant lutté pour des réformes et non dans un but révolutionnaire “. Cependant la F.A.F. étant, quantitativement, peu importante, elle ne fut pas d'un grand secours A la C.G.T-S.R. dont P. Besnard était, depuis 1929, le secrétaire général. Un journal réformiste mais non spécialement hostile avait cru pouvoir constater et prophétiser un an aprés sa naissance : ¢ Jusqu’é présent la C.G.T-S.R. n’a pas fait beaucoup parler d’elle. Tl est douteux qu’elle en fasse beaucoup parler a l'avenir. » Le rédacteur avait vu juste. A la veille de la Seconde Guerre mondiale la C.G-T-S.R. compte en France environ 4000 membres répartis dans une trentaine d’Unions régionales, dont un millier dans la Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, les centres provinciaux les plus importants étant Lyon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Bordeaux. Ils appartiennent aux corporations du Batiment avant tout mais aussi A Ja Métallurgie, aux Cuirs et Peaux, aux Transports. A la différence des militants de I'U.A., ils considérent le syndicat, organisation de classe, comme supérieur 4 tout rassemblement politique, fdt-il anarchiste, et donc 4 1'U.A. Le périodique de la C.G.T-S.R. était Le Combat syndicaliste fondé en 1928; le tirage de son dernier numéro, 28 juillet 1939, fut de 5300 exemplaires*”. C. Depuis la Libération Aprés la Libération, la premitre rencontre nationale des anar- chistes francais, qui se tint en deux temps : 6 et 7 octobre puis 2 décembre 1945, vit l'unanimité se faire pour inviter « les membres 44. Terre libre, décembre 1935. 45. Terre libre, juillet 1936. 46. L'Information ouvritre et sociale, 20 janvier 1927. ‘7, Arch, P, Po, rapport du 2 aoft 1941 et notes de J, Toublet, militant de la C.GT-SR. Un autre périodique C.G-T-S.R. parut également a cette époaue, Za Voix du travail, B.N. Jo 68728 Un mémoire de maitrise consacré & La C.G.T.-S.R. @ travers son journal, « Le Combat syndicaliste », 1926-1937, a été soutenu par S. Jospin en juin 1974 aris 1, CHS). R les anarchistes et le mouvement ouvrier wyndicables de Ia F.A. & adhérer & YA.LT. par le canal de la F.S.F. », J\dération syndicale frangaise, section de lorganisation internatio- iule, mais également et conjointement sans doute, les 1: « libres Wadhérer & la C.G.T. pour y accomplir leur tache d’anarchistes * >. Hepuis, les centrales nationales représentatives s’étant multipliées et, dung la pratique, Yorganisation purement anarcho-syndicaliste tant jiuintenue, au moins théoriquement, sous le sigle C.N.T., section frangaise®, les anarchistes eurent le choix, en dehors d'elle, entre mil. C.F.D. C.G.T.-F.O. Il est difficile de faire aujourd’hui Je point de la situation; du moins peut-on Ie tenter par quelques sondages et par l’examen des poriodiques anarcho-syndicalistes qui ont existé durant Ja trentaine Wannées qui nous séparent de Paprés-guerre ou qui paraissent aijourd’hui encore. Ces journaux sont, pour lessentiel, les suivants dans l'ordre chro- nologique de leur apparition : 1945. — L’Action syndicaliste, 1945-1946. Organe intérieur de Ii Fédération syndicale frangaise, il devient public & partir de mars 1946, Trois mois plus tard, en juin, il est l'organe de la C.N.T., sec- tion frangaise de TA.LT. I est remplacé & ce titre en avril 1947 pir Le Combat syndicaliste, Le Combat syndicaliste. Pétiodique imprimé. Il parait en 1945 (le n® 2 est d'avril) et devient en avril 1947 organe officiel le la C.N.T., section francaise de YA.LT, Il parait aujourd’hui encore, mais il est devenu bilingue : espagnol et frangais & partir ile 1956. Jusqu’A cette date, il parut assez irréguligrement comme en (Gmoigne la statistique*® : dix & trente numéros pat an entre 1949 et 1955. Depuis qu'il est organe commun des C.N.T. espa- poole et frangaise, il parait hebdomadairement de fagon réguliére, mais son financement, par la C.N.T. espagnole principalement, ae impossible toute conclusion en ce qui concerne le mouvement ranga 1947. — Le Rail enchainé, 1947-1967. Organe de I'Alliance sya~ dicale des cheminots anarchistes, organisés en association sur une voice paralléle & celle de l'Association ouvrigre anarchiste (A.0.A.) eréée en 1952, recréée en 1956, qui se veut une libre entente, un simple instrument de liaison entre individus et groupes autonomes et dont certains membres adhérent & la C.N.T. frangaise, 1961. — L’Anarcho-syndicaliste. Ronéoté, Publié par le groupe 4. Assises duu mouvement libertatre et congrés de Ia Fédération anarchiste, p. vest en 1946 que le sigle C.N.T. a remplacé, pour la France, le sigle f, Bibliographic, i. 11, # partie, chap. 4 et Bibliographic. 3 Pelloutier de Nantes, puis par I'Union des anarcho-syndicalistes & partir de septembre 1962 (n° 25), il est.aujourd’hui un « bulletin édité en tribune libre ». Sa parution se poursuit. Il dénonce les syndicats actuels bureaucratisés qui sont « consciemment ou non, des sontiens du régime {...] plus que des moyens d’émancipation ». I ne récuse pas pour autant organisation. 1970. — Pour nous ie combat continue. Périodique ronéoté édité par les anarcho-syndicalistes de C.G.T.-F.O. Sept numéros ont été publiés en 1970-1972. 1971. — Solidarité ouvriére. Périodique imprimé, organe de FAlliance syndicaliste qui aurait fusionné avec l'Union des anarcho- syndicalistes — voir L’Anarcho-syndicaliste. « Courant syndicaliste réyolutionnaire et anarcho-syndicaliste d’expression francaise. » N° 1, avril 1971. Dix-sept numéros ont été publiés en 1971-1972. La parution continue. Selon le Manifeste de Alliance syndicaliste, il « ne saurait étre une doublure des syndicats existants >. Sans remettre en cause l’appartenance syndicale actuelle des travailleurs ou Jeur non-appartenance, il se propost « dans la tradition de la Premigre Internationale, du syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914, de la révolution des conseils ouvriers et paysans russes, de lanarcho-syndicalisme espagnol » d'inciter les travailleurs & une « réunification par Ia base » et lutter tout A la fois « pour la réalisation d’améliorations immédiates et la préparation de l’éman- cipation intégrale des travailleurs * ». Depuis trente ans, seul Le Combat syndicaliste est, de facon continue, l’expression de la C.N.T. frangaise, Il est malheureusement impossible de mesurer A travers lui le rayonnement de cette centrale, compte tenu du fait qu’il parait en collaboration avec la C.N.T. espagnole, force importante comparativement a la sienne. Ce qui est certain c'est que, méme faible, la C.N.T. frangaise existe ; on le vit encore 4 Marseille le 6 mai 1973 au meeting commémoratif du 1* Mai 1886 organisé par I'A.LT. avec la collaboration de la C.N.T. frangaise ; un certain Ferré appartenant A cette organisation Je présida. Les anarchistes et anarcho-syndicalistes apparaissent donc aujour- hui dispersés dans les différentes centrales ouvriéres existantes et les périodiques nous en apportent Ja preuve en ce qui concerne C.G.T.-F.O, et C.N.T. Mais nous avons éé conduits en 1972 a faire des sondages sur l’appartenance syndicale des anarchistes du groupe d’Asnigres et des « dirigeants » de la F.A.°. Voici pour l’essentiel les résultats * : 52. Manifeste de Alliance syndicaliste, s.4., 12 p. 3. Le Mouvement social, avril-juin 1973, p. 39-4! 4 icf p. 4 et 11. 54, Caleulés en fonction des compagnons syndicables ov dont Vappartenance 74 Jes anarchistes et le mouvement ouvrier Asnitres (Seine) F.A. (irigeants) Total des adhérents 14 21 Syndicables 4 19 Non-syndiqués 6 42% 6 31% ONT. 0 0 CGT. 1 4 CF.D.T. 1 0 3 35 % ic 36 % oO 2 1 0 Une autre statistique a depuis été réalisée pour le groupe anar- chiste Marseille-Centre et qui porte sur les années 1963, 1965, 1967". La voici pour ce qui est des données syndicales : Marseille-Centre 1963 1965 1967 Total des adhérents 13 13 10 Syndicables 10 12 9 Non-syndiqués 3 30 % 3 25 % 4 44 % 2 @t 1 Ital) = 1. tal.) 1 (ital). 2 1 1 0 0 0 9 0 o 2 20 % 5 4% 2 33% Autonomes 1 1 1 La statistique Marseille-Centre apporte plusieurs confirmations aux conclusions données dans Le Mouvement social. En premier licu Limportant pourcentage des non-syndiqués : de 25 % & 44 % des compagnons syndicables. Ensuite la tres faible syndicalisation 4 la C.F.D.T., un peu plus importante 4 la C.G.T.; notons un élément non releyé précédemment et hautement significatif, I'ab- sence quasi totale d’anarchistes syndiqués 4 la C.N.T. : aucun dans la Seine, deux dont un Italien en 1963 A Marseille, un seul et Italien dans cette méme ville en 1965 et 1967. Deux résultats marseillais par contre différent et méme paraissent contredire la statistique parisienne et nationale : tout d’abord, pour 1965 avant syndicale est connue et non de Ia totalité des compagnons comme nous f’avions fait dans l'étude paruc dans Le Mouvement social. 55. Réalisation de René Bianco qui a bien voulu nous communiquer les résultats obtenus et nous autoriser i en faire état. 75 tout, le pourcentage relativement élevé, 4 Marseille, des syndiqués FEN.-UN.EF. II s'agit surtout d’instituteurs de tendance « Ecole émancipée » et peut s’expliquer par le fait que Marseille a toujours donné une représentation & cette tendance. Quant a l’absence de syndiqués C.G.T.-F.O., il convient d’en prendre acte mais une certitude demeure, basée tant sur des sources intérieures au mou- vement que sur Ja statistique portant sur les organes de « direc- tion > : la syndicalisation C.G.T.-F.O., en ce qui concerne du moins la F.A., est nettement majoritaire. Bref, les origines chrétiennes de la C.F.D.T. d'une part, la direc- tion communiste de la C.G-T. d’autre part paraissent des raisons suffisantes pour expliquer le peu d’empressement des anarchistes A adhérer a ces centrales, A la premiére surtout. Quant a l'adhésion A la C.G.T-F.O., réformiste et exempte de courants gauchistes, elle peut tenir 4 ce double caractére de cette centrale qui laisse aux anarchists un monopole révolutionnaire et leur permet de déve- lopper A loisir leurs conceptions. Reste la C.N.T. francaise. Abandonnée par les militants anar- chistes, elle ne survit qu’avec l'appui de Ia section espagnole, En 1972, Panarcho-syndicalisme se réduit en France A peu de chose, quantitativement parlant *. Du point de vue de Vidéologie, un des animateurs de la F. Maurice Joyeux, met V’accent depuis 1947 sur Ia « gréve gestion- naire ». Tl est possible de résumer ainsi son point de vue : seule Végalité économique supprime Jes classes au sein de lentreprise ; elle justifie donc la prise en main par les travailleurs des moyens de production et d’échange. Lorsqu’une gréve éclate dans une ou plusieurs grandes entreprises, voire & I’échelon régional ou national, les exemples historiques de 1936 et de 1968 permettent d'affirmer que cst seulement durant une courte période de deux & trois semaines que tout est possible, « C'est l'instant od, de gréve revendicative, de gréve de refus, la gréve doit devenir expropriatrice puis gestionnaire. C’est Vinstant ob les usines doivent se remettre A tourner sans leur direction et sous le contréle des organisations syndicales, des comités d'entreprises, des conseils ouvriers, la manigre importe peu. C'est Vinstant de Ja chance révolution- naire, > 56, On lit dans le Bulletin intérieur de la F.A. de mars 1964 : « Ea France lo syndicalisme libertaire, déchiré entre Ia C.N.T. et la minorité F.O., végtte miérablement depuis une vingtaine d'années. > oki Cl, Le Monde libertaire, 20 novembre 1947 (compte rendu du congrés ro ), février 1972, févtier, juillet-aodt 1973, articles signés Joyeux fi Monte [loyeux). Voir également M, Joyeux, L'Anarchte et la société wid rye, ion 1969, p, 198-201, WW, Le Mone Hiberiaire, {évrier 1972. " les anarchistes et le mouvement ouvrier Méme si le mouvement devait par la suite échouer en raison de la répression gouvernementale, des avantages offerts par le patronat, des adjurations des centrales ouvriéres intézessées 4 ce que tout rentre dans l’ordre, du moins, pense Joyeux, le mouvement lais- serait-il « des traces profondes d’un nouveau moyen de lutte né de Vinitiative populaire >. I] aurait enfin posé « non plus les problémes revendicatifs de salaires mais les problémes de ja direction et de la propriété de l’usine * ». Le congrés de la F.A. de 1973 a confirmé ce point de vue : en cas de gréve, leffort révolutionnaire doit aller plus loin que Voccupation de Lentreprise, < jusqu’A remettre en route les usines au profit des ouvriers. C’est la grave gestion- naire ». Telle est la conception de l'autogestion selon la F.A., une autogestion qui, pour étre « réelle », doit <« supprimer Ia différen- ciation de classe, les profits et priviléges », s’affirmer pour I’égalité économique, car « toute forme d’autogestion qui conserve les différences de salaires est un leurre™ », Trois époques ont ainsi été franchies par l'anarchisme depuis fa fin de la Premigre Guerre mondiale. La premiére, de quelques années, vit l’anarchisme, ou mieux son courant idéologique adapté au mouvement ouvrier, l’anarcho- syndicalisme animé par P. Besnard, se lancer 4 la conquéte de la C.G.T. et réussir un temps, 1921-1922, a diriger le courant oppo- sitionnel A Vintérieur de la C.G.T., courant composite qui était sur le point de devenir majoritaire 4 la veille de la scission. Le courant anarcho-syndicaliste fut dominé a partir de 1922 par Ie courant syndicaliste révolutionnaire en voie d'absorption par le communisme. On peut estimer qu'il rayonnait alors sur un sixitme du mouve- ment ouvrier organisé. Puis vint le temps de Ia C.G.T.-S.R. Que le mot ne fasse pas illusion, il s’agit d’une C.G.T. anarcho-syndicaliste 4 cdté des C.G.T. réformiste et communiste. Elle fut loin de regrouper tous Jes anarchistes, compte tenu de la réserve de la majorité d’entre eux qui youlaient étre 14 of sont les « masses ». A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la C.G.T.-S.R. rassemblait quelques mil- liers d’adhérents. Depuis la Libération, les anarchistes et anarcho-syndicalistes se retrouvent dans toutes les centrales, principalement dans la C.G. FO. La C.N.T., section frangaise de l’'A.L.T. anarcho-syndicaliste, 59. Le Monde libertaire, féyrier 1972. 60. Le Monde libertaire, 13 juin 1973. 61. Le Monde liberiaire, févtier 1973, 7 ne regroupe que peu d’adhérents. Lesprit libertaize en milieu ouvriet n’est pas aujourd'hui représenté par les seuls anarchistes organisés et il est plus vivant que ne le laisserait penser la faiblesse de leurs effectifs. Il se traduit souvent par une défiance & Végard des organisations syndicales et de leurs responsables, par Je constant appel & la spontanéité, A la démocratie directe, & Ja libre entente A Ja base dans le non-respect des traditions syndicales et par des tentatives pour prolonger I’action en des essais « autogestionnaires >». Il sagit @aillours moins desprit libertaire & proprement parler, et donc bakouninien, que d'esprit contestataire des organisations ouvriéres tout autant que Wesprit de révolte 4 l’égard du patronat privé et de l'Etat. ™ 4 Le mouvement anarchiste et Porganisation, ce permanent probléme Le mouvement anarchiste francais a commencé a se définir comme la plupart des autres courants socialistes frangais au cours des années de l'aprés-Commune dans le cadre idéologique de ce qui subsistait de I’A.LT. puis, plus concrétement, durant les années qui suivirent le congrés tenu 4 Marseille en octobre 1879 qui donna naissance au Parti des travailleurs socialistes de France. En mai 1881, un « parti » anarchiste se démarquait du tronc commun; il ménera jusqu’a nos jours une vie indépendante. Dés les origines, organisation fit probléme. Nous en avons traité pour ce qui est de la période antérieure & 1914 en deux chapitres *, et nous nous contenterons de rappeler V’essentiel des conclusions que Von en peut tirer. Deux périodes ont été envisagées, 1895 marquant Je terme d’une enfance du mouvement caractérisée par la maladie infantile de la propagande par le fait congue sous langle restrictif des attentats. Les anarchistes étaient alors hostiles & la permanence dans l’organisation, fit-ce au niveau du simple groupe. Cette hostilité, Jean Grave — mais ce n’est 14 qu’un exemple — I’a exprimée dans Le Révolté en 1885 : « Nous ne croyons pas [...] aux associations, fédérations, ete, a long terme. Pour nous un groupe ne doit s‘établir que sur un point, bien déterminé, d'une action immédiate; Paction accomplie, le groupement se reforme sur de nouvelles bases, soit entre les mémes éléments, soit avec de nouveaux. » J’ai pu écrire moi-méme en conclusion de cette période : « Il n’y a en France ni“ parti ” anarchiste national, ni fédérations régionales, il n’existe que des groupes locaux sans liens entre eux. » 1. T. 1, 2° partie, chap, 15 3° partie, chap. 6. 79 De 1895 & 1914, les anarchistes trouvérent dans les syndicats Vorganisation unifiée dont certains avaient déploré l'absence. Sur te plan proprement « politique » et non plus syndical, les essais tentés furent vains jusqu'aux dernitres années qui précédérent la guerre, C’est que Vhostilité & toute organisation, aussitdt assimilée & une forme d’autoritarisme, n’avait pas diminué. Jean Grave esti- mait toujours qu’en raison des différences de tempéraments, de caractéres, « il est absurde de vouloir amener les anarchistes A se concerter en yue d'un programme commun d'action? ». De plus, méme si cette objection ne tenait pas, « il n’est pas désirable que les anarchistes s'entendent pour établir un programme com- mun », cela ne pouvant se réaliser < qu’au détriment des initiatives et de la naissance d’idées originales* ». Bref, la condamnation était sans appel. Et le docteur Pierrot, qui voyait dans tout parti L « image de |'Etat en petit‘ », estimait 4 son tour que l’entente ne saurait se réaliser que s pour des actions précises et détermi- nées » et doit disparaitre « lorsque l’action ne correspond plus aux préoccupations du moment® ». Il faudra que les compagnons désireux de s’organiser pour agir Plus efficacement mais incapables de se mettre d’accord rongent Icur frein des années durant avant que ne s’impose, né des groupes puis des fédérations régionales, le congrés national qui tiendra ses assises & Paris du 15 au 17 aoft 1913, donnant naissance a la FE.C.R.A. (Fédération communiste réyolutionnaire anarchiste °). Ce congrés auquel assistaient les deux leaders de 1’époque, Sébastien Faure et Jean Grave, adopta, sans qu'il soit mis au vote, le manifeste rédigé par Sébastien Faure qui précisait que seraient respectées dans la Fédération « lindépendance des individus au sein du groupe et l’autonomie des groupes au sein de la Fédération ». Le lien créé entre anarchistes était donc trés JAche. On ne peut savoir quelle aurait été la destinée de l'organisation, car la guerre était 1a qui empécha de donner une suite & ce congrés. A. 1919-1939, Echec de vingt années de luttes pour le « plate~ formisme > Crest le 26 janvier 1919 que reparut en France Le Libertaire, mais il fallut attendre deux ans pour que se tienne, les 14-15 novembre 2 J, Gnave, L'Entente pour Vaction, 1911, p. 18. id. 4. Les Temps nouveaux, 5 mars 1910. 5. Ibid, 6, On trouve également F.C.A.R. 80 Vorganisation, ce permanent probleme 1920, le congrés constitutif d’un nouveau groupement national : 1'U.A., Union anarchiste. Le probléme de lorganisation fut posé dans le premier numéro du journal et demeura présent A lesprit des militants. ¢ Combien nous avons regretté ce défaut d’organisation » corivait Léonic-Lecoin, dans un article intitulé « Organisons-nous ” », évoquant l'inefficacité du mouvement en 1914 et soulignant l'impé- ricuse nécessité d'une < cohésion bien ordonnée ». Un autre militant d'audience nationale, G. Bastien, traitant du méme sujet sous un titre anajogue, « Les Anarchistes et l’organi- sation® », concluait encore vingt mois plus tard : « Nous n’obtien- drons notre maximum de rendement au point de vue propagande et action que par organisation. » Mais des résistances, les mémes que celles déja évoquées avant- guerre, s’étaient manifestées, dés reparution du Libertaire, au nom de l'autonomie absolue de Tindividu. Aussi l'unité réalisée au sein d'une méme organisation apparaissait-elle comme une juxtapo- sition d’adhérents, une cohabitation, plus qu'une vGritable union et G, Bastien, déja cité, s’en plaignait dans Le Libertaire en 1925*. « Il faut parler net », titrait-il son article et il qualifiait ainsi les éternels réticents ; ¢ Us ont tous peur de voir mutiler leur moi dans une organisation. C'est pourquoi ils la rejettent d’une fagon catégorique ou détournée en chicanant sur chaque minuscule détail. Tout leur étre répugne & l'association réguligre, » Cette discussion ininterrompue sur lorganisation allait prendre une nouvelle dimension avec les conclusions tirées des défaites russes, celles de Kronstadt et d'Ukraine que nous avons évoquées. Devenue torre d'asile pour les anarchistes européens exilés, ceux de Russie et d'Italie, mais aussi de Hongrie, de Bulgarie, etc, la France fut en permanence un petit congrés international dans lequel les Russes occupérent Ia tribune au cours des années 1925-1927. Sans retracer Mhistorique des débats, disons simplement que deux théses se trou- verent en présence ® que nous résumerons ainsi : la premiére qui 1, Le Libertaire, 8 février 1920, On demeurait toutefois fidtle aux principes réqilirmés un an plus tt dans le premier numéro du journal : Le « parti (doit (tre) organisé sur des bases fédéralistes, laissant une compltie autonomic aux groupes » Le Libertaire, 26 janvier 1919), 8, Le Lihertaire, 16 septembre 1921. 9, Le Libertaire, 2 octobre 1925. 10. Bibliographie sommaire : La Plate-forme organisationnelle des commu- nistes liberiaires, juin 1926; Supplément a Ia plate-forme organisation de V'Union générale des anarchists. Questions et réponses, brochure, 16 Da 2 novembre 1926; A propos du projet d'une ¢ plate-forme d'organisation » publié par le « Groupe d'anarchistes russes d Vétranger » (par Voline, Flé- 81 expliquait la défaite par la répression bolchevique avait pour premier défenseur Voline; la seconde, celle d’Archinov et de Makhno, considérait que li n’était pas Ia raison essenticlle et qu’une des causes principales de l’échec de la révolution libertaire en Russie fut plutét « limpuissance intérieure du mouvement anar- chiste Iui-méme™ ». Ces derniers se défendaient de remettre en cause les principes fondamentaux de lanarchisme et affirmaient, notamment en ce qui concerne les lendemains de Ja réyolution et la dictature du prolétariat : « L’idée de la période de transition [...] est antianarchiste par essence”. > Ils estimaient par contre que le fédéralisme, trop souvent défiguré par certains, comportait aussi des devoirs et qu’il devait concilier < l'indépendance et V’initiative de l’individu avec le service de la cause commune ™ >. Le premier exposé imprimé des théses d’Archinov, de Makhno et de leurs amis parut en juin 1926 sous le titre de La Plate-forme orga- nisationnelle des communistes libertaires, d'o le nom de ¢ plate- formistes » qui fut donné 4 tous ceux qui s’en réclamérent et s’en réclament encore aujourd'hui. En 1930, Makhno, s’adressant au congrés anarchiste francais réuni les 19-21 avril 1930, sut donner en quelques formules lessentiel de la pensée plateformiste ™. Les deux points suivants la résument : — le succés de la révolution exige des organisations anarchistes que la “ liberté illimitée ” des individus et des petits groupes dans le choix de la tactique [...] soit refoulée A l'arridre-plan >; — le succés de la révolution exige que dés maintenant soient jetés les fondements d’une « organisation anarchiste puissante et unie au point de vue idéologique et tactique ». Sur Ie plan international, c’est Malatesta qui, dans Anarchie et Creare, répondit aux plateformistes. Il est impossible, estimait de réunir tous Jes anarchistes « en une seule collectivité révolution- naire active * » et cela pour la raison que certains libertaires sont éducationnistes et croient 4 Yévolution, alors que d'autres sont révolutionnaires, Une organisation anarchiste ne saurait donc se constituer en une Union générale centralisée avec comité exécutif, chine et autres], avril 1927, 40 p.; Réponse aux confusionnistes de Vanar- chisme, 16 p. 18 aodt 1927; MALATESTA, Anarchie et organisation, 1928; S. Faure, La’ Synthese anarchisie, 1928; N, MaxHNo, Au congres des cama rades francais, Paris, 19-21 avril 1930. Cf, Le Mouvement social, avril- juin 1973, p. 62-64. IL, Réponse aux confusionnistes... op. cit. p. 3. 12. La Plateforme.., op. cit, p. 20. 13, La Plateforme... op. cil. P. 38. 14, Le texte de cet appel aux « camarades frangais » figure in extenso dans Le Mouvement social, avril-juin 1973 : « L'Anarchisme ici ct la, hier et aujourd'hui, » Il aurait ét¢ réécrit en francais Par Marie Goldsmith. 15, Mataresta, Anarchie et organisation, 1928. 82 Vorganisation, ce permanent probleme mais devrait reposer sur les bases suivantes : ¢ Pleine autonomie, pleine indépendance et, par conséquent, responsabilité des indi- vidus et des groupes, libre accord entre ceux qui croient utile de wunir pour coopérer A une ceuvre commune, devoir moral de main- tenir les engagements pris et de ne rien faire qui soit en contra- ion avec le programme accepté™, > in méme temps que Malatesta, Sébastien Faure prenait, sur le frangais, une position paralléle. Et ce fut La Synthése anar- chiste™’ qu'il est possible de résumer ainsi. Il existe trois courants anarchistes : Panarcho-syndicalisme, le communisme libertaire, Vindi- vidualisme anarchiste. Loin de s'opposer, ces courants sont « faits pour se combiner et former une sorte de synthése ». Faisons donc en sorte que cesse au plus tot « Ja guerre au couteau™ » que se livrent leurs adeptes et que tous les compagnons se retrouvent au sein d’une méme et grande famille. Ces prises de position, ces appels avaient des répercussions dans le mouvement anarchiste frangais proprement dit. Et, de méme que Ja question de V’organisation avait marqué, de fagon apparente ou en filigrane, toute la phase 1880-1914 du mouvement, de méme, et avec plus de force encore, elle allait constituer non un des pro- blémes mais le probléme de l'anarchisme de la Premitre Guerre mondiale 4 nos jours. Nous y reviendrons a la fin de cette étude, mais afin de souligner la permanence et l’actualité de cet affronte- ment plateformistes-synthésistes, on notera que, de 1969 a 1973, on a reproduit trois fois le texte de la Plate-forme tandis qu’Anarchie et organisation de Malatesta était réédité & Toulouse en 1967 et qu’en juin 1973 Le Monde libertaire redonnait La Synthese anar- chiste de 8. Faure. Le Manifeste qui cléture le congrés d’Orléans, 12 au 14 juillet 1926, constitua un essai des anarchistes pour resserrer leurs rangs avant que les affrontements plateformistes-synthésistes n’aient accru les menaces de scission qui déja s'esquissaient. Ce Manifeste, tout en reprenant les conceptions anarchistes tradi- tionnelles, s’efforgait de concilier les points de vue des communistes et des individualistes, des révolutionnaires et des éducationnistes. L'U.A. devenait U.A.C. et affirmait que « le communisme est la seule forme de société assurant 4 tous et 4 chacun leur part égale de bien-étre +, mais, en méme temps, elle proclamait que les anar- chistes sont individualistes puisque le communisme donne < a chacun 16. bic “17, Cf. Le Mouvement social, avril-juin 1973. 18. L’expression est de S. Faure. 83 les possibilités matérielles de développer dans tous les sens et a son gré son individualité > Réyolutionnaires, les militants de l'Union se youlaient également, selon le Manifeste, « éducationnistes », la révolution sociale devant aller d’autant plus loin dans la voie des réalisations anarchistes que la somme des évolutions individuelles serait plus élevée. En ce qui concerne [a question Ja plus briilante, celle de Yorgani- sation, Je Manifeste ne pouvait que décevoir ceux qui espéraient un renouveau, car il se bornait 4 un appel sentimental A « ceux qui, pour diverses raisons de convenance personnelle ou de doctrine, se sont éloignés de l'U.A.C, » et se bornait a affirmer : « L’adhésion donnée 4 1'U.A.C. constitue une sorte d’engagement moral. » Loin de resserrer Jes rangs anarchistes le Manifeste d'Orléans allait rendre plus sensible aux partisans d'une organisation structurée Vincompatibilité des positions. Avant la tenue du congrds suivant, Paris, 30 octobre-1*" novembre 1927, ceux-ci se livrérent contre les adeptes de la ¢ grande famille » 4 un assaut sans ménagements dont Le Libertaire nous apporte des échos. Citons a titre d’exemple Pattaque de Ranko contre « ce panier de crabes que l'on appelle VUnion sacrée anarchiste », la satisfaction de Le Meillour a la pers- pective d’un changement qui fait qu’ « on ne verra plus trois orateurs se réclamant de l'anarchisme traitant le méme sujet et disant le contraire les uns des autres >. Le congrés de Paris vit effectivement triompher les plateformistes, encore que ce triomphe fit relatif puisque Jes majoritaires au congrés, peu assurés de leur victoire, se bornérent 4 adopter comme charte le Manifeste d'Orléans, modifié uniquement en ce qui con- cerne Tindividualisme. Celui-ci, expliquaient-ils, « n’a rien de commun avec l’individualisme de ceux qui veulent légitimer des actes tels que la prostitution, l’exploitation de l'homme par l'homme, et toute théorie de “ débrouillage ” individuel** », bref avec V'indi- vidualisme des adeptes de L’Anarchie d’avant 1a Premiére Guerre mondiale*. Toutefois, dans l’esprit des < plateformistes », Je bilan de ces assises était beaucoup plus sérieux et il devait se traduire par l’existence de trois courants au sein de I'U.A.C. : « 1. Un courant majoritaire qui, rejetant lincohérence et la dispersion des efforts résultant de Vindividualisme irresponsable, estimait que l'action de ses groupes ou de membres isolés ne peut 19. Le Libertaire, 18 mars 1927 (Ranko) et 25 mars 1927 (Le Meillour). 20. Manifeste de !'U.A.C. 21. Cf. t. 1, 3* partie, chap. 5 : « L'Iliégalisme, » 84 Porganisation, ce permanent probléme &tre efficace qu’en se trouvant en concordance avec l'idéologie et la tactique générale de organisation. En conséquence, il réclamait Vapplication, au sein de Yorganisation, du principe de ta respon- sabilité individuelle et collective par lequel lorganisation devenait responsable de activité politique et sociale de chacun de ses adhérents et ceux-ci responsables de I'activité économique et sociale de lorganisation, Celle-ci prenait le titre d’'Union anarchiste com- muniste révolutionnaire — ainsi dénommée pour se différencier des autres tendances se réclamant de l’anarchisme — régie par des statuts prévoyant cartes d’adhésion et cotisations obligatoires. Ce fut cette these qui l’emporta. 2. Un courant minoritaire qui, quoique en désaccord sur la nou- velle organisation, violant, selon lui, les principes anarchistes, décidait de rester dans organisation pour les défendre contre leurs détrac- teurs. 3, Un courant scissionniste, d’accord avec les minoritaires pour la défense du traditionalisme anarchiste, mais refusant d’appartenir plus longtemps a une organisation qu’il assimilait 4 un parti”. » Le courant « scissionniste », avec S. Faure, fonda presque aussi- tét 'A.F.A., Association des fé listes anarchistes, qui se donna le 1” janvier 1928 un périodique, Le Trait d’union libertaire, auquel succéda au mois de mai suivant La Voix libertaire. Dés 1928, S, Faure précisait la doctrine du courant dans la Synihése anar- chiste que nous avons, pour l’essentiel, définie. En dehors de S. Faure, les principaux militants du mouvement furent Marchal et Louvet de Paris, Antignac de Bordeaux, Darsouze et Perrisaguet de Limoges qui, aprés Lentente, exercérent respectivement les fonctions de secrétaire et de trésorier et furent responsables des périodiques publiés qui tirérent & 2 000-3 000 exemplaires et comp- térent 1500 lecteurs environ™. Les adhésions & P'A.F.A., si elles furent relativement nombreuses au cours des années « platefor- mistes » de 1’U.A.C.R. (1927-1930) — encore que difficiles A chiffrer — se réduisirent par la suite. La Voix libertaire parut jusqu’en juillet 1939 et il est probable que I’'A.F.A. cessa pratique- ment d'exister aprés le congrés d’unité de Paris, mai 1934. Quant au courant majoritaire dans 1'U.A.C., devenue 'U.A.C.R., il se dota de statuts qui firent de I'Union une organisation répon- dant A ce que les plateformistes avaient préconisé : unité au point de vue idéologique et tactique sans révision des conceptions anar- chistes traditionnelles. Ces statuts comportaient douze articles, qui 22, N. Faucrer, « Souvemrs d’un permanent anarchiste (1927-1929) », Le Mouvement social, avril-juin 1973, p. 47-48, 23. Arch. P. Po, rapport du 27 décembre 1929, carton 49; rapport du 4 ayril 1933, carton 50 (classement provisoire). 85 prévoyaient une organisation centralisée avec adhésions enregistrées uniquement par le canal des groupes et fédérations régionales et accompagaées de cotisations. Une commission administrative compo- sée de deux membres par fédération désignait un bureau de trois membres, deux secrétaires et un trésorier non rééligibles. Hormis « les questions graves » pour lesquelles elle devait consulter les fédérations, la C.A. avait pouvoir de diriger Union entre deux congrés, Conformément aux résolutions votées, les décisions étaient prises & la majorité. Aucune proposition adoptée ne devait étre génée dans son application, aucune critique ne pouvait s'’exercer en dehors de l'organisation. Les théses adoptées par le congrés ne pouvaient étre remises en cause dans Le Libertaire, et c'est seule- ment trois mois avant la date du congrés suivant qu’il était prévu douvrir une tribune de discussion dans le journal. Cette discipline inhabituelle fut sans doute mal supportée, puis- que le congrés d’Amiens @aofit 1928 vota l’annulation des statuts et accorda une plus grande autonomic aux groupes. Le malaise n’en subsista pas moins et, en l’absence d’assises nationales en 1929, c’est au congrés de Paris d’avril 1930 qu’on en revint la situation antérieure 4 1927, Deux tendances s’étaient manifestées depuis 1929 : l'une avec Girardin, Lecoin, Lentente, Mualdés, synthésistes demeurés & l'Union, désireuse de reconstituer Punité du mouve- ment en ouvrant le congrés suivant 4 I’A.F.A., la seconde animée par Bastien, Boucher, Faucier, Frémont, Ribeyron, considérant que Tessenticl était de resserrer les rangs de I'U.A.C.R. Ce fut la premitre qui l’emporta, 14 groupes contre 7 (un groupe s’était abstenu) se prononcant pour le Manifeste d'Orléans ™. On en revenait donc & I’'autonomie en matitre d’organisation : « Chaque groupe se constituera, se régira et agira comme il l'entend [..J, tout en restant naturellement dans les limites de la doctrine anarchiste communiste et des lignes générales tracées librement dans ies congrés. > Quant & la Commission administrative, son réle « purement administratif et non directeur >, consistait A « faire entrer dans la pratique, suivant les possibilités, les décisions et résolutions des congrés >. Dans le cas ol surgirait une question nouvelle, « impor tante et d’ordre général », un rapport serait publié et transmis aux groupes, 4 charge pour eux d’envoyer « leur réponse motivée >. Des défections marquérent ce retour 4 la « synthése ». Boucher se retira, Estéve de la fédération du Languedoc, tout entitre acquise aux théses plateformistes, démissionna du secrétariat et les synthé- 24, Le Libertaire, 26 avril 1930. 86 organisation, ce permanent probléme tistes reprirent Padministration et la rédaction du Libertaire. La nouvelle minorité plateformiste publia un Bulletin qui vécut six numéros en 1930-1931 puis disparut « dans l'indifférence quasi générale » selon N. Faucier™. La période plateformiste avait vécu... On aurait pu croire que cette reprise en main de I'Union par les synthésistes partisans de la < grande famille », de l'union de tous les courants dans une seule organisation, allait marquer la fin de la crise. Il n’en fut rien et trois scissions se produisirent encore de 1930 a la guerre. Des octobre 1931, au congrés de Toulouse, la direction de 'U.A. wen prit A la £édération du Languedoc plateformiste, lui reprochant voir voté en son congrés de Lézignan le 16 aofit précédent, une résolution dans laquelle il était question d’une nécessaire « période dadaptation » au lendemain de la révolution, On assimila cette expression & « période transitoire », et l'on y vit un pas en direction du marxisme. En conséquence de quoi la fédération fut exclue en méme temps que le groupe de Livry-Gargan. Exclusion qui ne fut cependant pas de longue durée puisqu’une réintégration intervint dés le congrés de juillet 1933, 4 Orléans. Au cours des années suivantes, par suite des menaces fascistes intérieures et extérieures puis de la guerre civile espagnole, la dis- cussion se poursuivit avec moins d’acuité sans disparaitre pour utant. Au congrés de Paris de mai 1934, dit congrés de l'unité, de nombreuses mesures furent prises pour satisfaire les partisans dune plus grande autonomie. C'est ainsi qu'on renonga au sigle U.A.C.R. pour reprendre celui d’U.A., ce qui signifiait l'abandon des méthodes révolutionnaires et du communisme envisagé comme obligatoire au lendemain de Ja révolution, C’est ainsi qu’on affirma le caractére facultatif de la distribution de cartes aux adhérents, qu’on laissa aux groupes le « choix dans la modalité de leurs verse- ments », achat de timbres pour Ies uns, mandat pour les autres *. Et c'est & cette époque que S. Faure reprit sa collaboration au Libertaire comme i] en avait été sollicité apres le putsch du 6 février. Ces mesures entrainérent une scission et une nouvelle organi- sation surgit au plan national, Ja F.C.L., Fédération communiste libertaire, soucieuse de plus @homogénéité tactique et organisation- nelle. Elle reprendra place dans 7U.A. deux ans plus tard, avril 1936, tout en continuant a exister comme tendance. 25. Souvenirs de Nicolas Faucisr (documentation personnelle), 26. Le Libertaire, 1°* juin 1934, 87 La F.C.L, s’était séparée de 1’U.A. Ja trouvant trop synthésiste C’est pour la raison inverse que la F.A.F. (Fédération anarchiste de langue frangaise) se constitua en organisation nationale 4 la suite d'un congrés tenu 4 Toulouse les 15 et 16 aoiit 1936. Les divergences de la F.A.F. avec I'U.A. résultaient de ses conceptions trés indi- vidualistes : « Le Libertaire d'esprit sectaire, résolument et unique- ment communiste [...], ne peut intéresser, ni satisfaire les autres tendances®" », écrivait !'anarchiste Zisly, dans La Voix libertaire; et Ja F.A.F. qui apparait, dans une certaine mesure, comme une réplique de TA.F.A., reprochait en conséquence & I’'U.A. son centralisme, ses concessions A la gauche francaise, politique et syndicale. Des désaccords tras profonds surgirent enfin & propos de la guerre d’Espagne, la F.A.F. se pronongant contre la participation gouvernementale et, d’une fagon générale, contre la primauté a Taction antifasciste et a la militarisation au détriment de la lutte pour la révolution sociale*. Terre libre, créée en 1934, et dont les principaux rédacteurs furent Voline et A. Prudhommeaux, devint son organe A partir de février 1937. La F.A.F. tint deux autres congrés, 4 Clermont-Ferrand en aofit 1937, A Lyon en aofit 1938 et demeura hors de l'Union jusqu’s la guerre. En dehors de 'U.A. et des branches constituées & la suite de scissions, durables ou non : A.F.A., F.AF., F.C.L., on trouve en outre en France a cette époque des familles qui, sans cons- tituer une organisation nationale, vivent groupées autour d'un homme, d'un périodique. Tl en est ainsi des armandistes, du nom du propagandiste Armand, individualiste qui anima, sa vie durant, des périodiques qui parurent trés réguligrement**. Durant Pentre-deux-guerres, de mai 1922 a aofit 1939, Armand publia L’En Dehors dont les lecteurs les plus fidéles se réunissaient au nom- bre de quelques dizaines et constituaient un groupe d’amis, Les théses « armandistes », strictement individualistes, mettaient au premier plan Vautonomie de la personne, garantie essentiellement par la propriété du moyen de production et Ja libre disposition du produit *. Une autre famille était constituée par les anciens des Temps 21. La Voix Mbertaire, 6 juin 1936. 28. Cf. t, 1, 4* partie, chap. 1: « Le Mouvement anarchiste et les guerres. > 29. Cf. Bibliographie. 30. Sur Armand, se reporter, pour Ia période antérieure a 1914, & différens chapitres de cet ouyraze et notamment au chap. 2 de la 3*’pattie, Vou également E. Armand, sa vie, sa pensée, son wuvre, Paris, 1964; ainsi que fe mémoire de maftrise de M. Tarou sur L’En Dehors, 1971, Paris-l. 88 organisation, ce permanent probléme nouveaux ralliés & l'union sacrée au cours de la Premigre Guerre mondiale et que réunissait la revue Plus loin, mars 1925-sep- tembre 1939; ses animateurs formaicnt, autour du Dr Pierrot”, un groupe de recherches plus qu’un rassemblement de militants en vue de I'action. Un frugal banquet qu’accompagnait une causerie réunissait chaque mois quelques dizaincs de lecteurs et de colla- borateurs. De leur anarchisme d’antan, il restait une < fagon de sentir, de penser et de vivre » et M. Pierrot définissait ainsi sa nouvelle philosophie : « L’anarchie est avant tout une morale et clle se présente comme une tendance, quelquefois consciente, le plus souvent inconsciente, chez tous les individus *. » Ainsi, 4 la veille de la Seconde Guerre mondiale, deux groupe- ments nationaux représentaient I’essentiel du mouvement anarchiste frangais™. Ils correspondaient & deux tendances l'une et I'autre Wesprit synthésiste, la plus représentative, numériquement parlant, étant I'U.A. avec 2.000 adhérents environ, la seconde n’en groupant pas plus de 500*. Quant aux plateformistes, s'ils avaient perdu, au cours de l’entre-deux-guerres, la bataille de l’organisation et s’ils n’existaient plus en tant que groupement autonome, ils ne s’en main- tenaient pas moins aux postes responsables de I'U.A, (Frémont au secrétariat, Scheck & V’administration du Liberiaire, Faucier 4 la rédaction, Ridel & la propagande, etc.) ob leur influence demeurait notable. B. De 1945 a nos jours” Un semblant d’union Nous avons traité précédemment du mouvement anarchiste durant la guerre et l’occupation™ ; nous n’y reviendrons pas, nous conten- tant de rappeler Ja date du 15 janvier 1944 qui vit la mise au point 31. CEM, Prernor, Quelques études sociales, Paris, 1970, 236 p. 32\ J. Rectus, Plus ‘loin, septembre 1936. 33. Plus Join, ‘mai 1935, 34, Il conviendrait de noter encore la présence en France — mais nous sor- tirions de notre sujet — de nombreux anarchisics étrangers. En dehors des Russes, Polonais, Bulgares, citons avant tout les Italiens et les Espagnols, Ces derniers surtout furent nombreux et actifs avant et aprés la guerre civile. Un rapport du 31 juillet 1928 (Arch. P. Po, carton 49, classement provisoire) accor- dait 5000 lecteurs a leur principal organe Tiempos Nuevos que remplacera bientét, en raison des poursuites, Verba Nuevo édité 2 Bruxelles. 35. Données résultant de V'interrogatoire d'un détenu, M.C., par le commis- saire spécial d’Angers (rapport du 2 aoiit 1941, Arch. P. Po, carton 50, classc- ment provisoire). Les informations fournies par M.C. furent reconnues, aprés Vétification, « exactes dans leur ensemble >. 36, Ecrit’ en 1973. 37. Cf, t. um, # partie, chap. 1, p. 36-37. 89 d'une charte de la nouvelle Fédération. Cette charte fut approuvée lors de la rencontre d’'Agen des 29-30 octobre 1944, puis adoptée par Jes assises du mouvement libertaire et le congrés de la Fédération anarchiste qui se tinrent A Paris les 6 et 7 octobre puis le 2 décembre 1945*, La commission administrative de la Fédération rappelait dans une introduction au compte rendu imprimé du congrés qu'il existait avant-guerre deux organisations, 1'U.A. et la F.A.F, Dans les deux, précisait-elle, « la ligne générale était théoriquement défi- nie par les congrés, mais rien n’était fait pour réaliser et sauvegarder Tunité de vues indispensable A une propagande sérieuse. Il n’était nullement prévu que Vattitude prise publiquement par individu, le groupe ou la région ne pouvait — au nom de cette unité de vues — étre contraire aux positions définies par les congrés ». En dépit des accords réalisés par les militants en leur pré-congrés d’Agen, toute la journée du 6 octobre et la matinée du 7 furent consacrées A une discussion entre partisans d’une certaine orga- nisation et ceux qui, conduits par Louvet, estimaient qu’ « a défaut d'une unité organique impossible A réaliser et, au surplus peu souhaitable*® », c'est A une simple « entente » qu'il convenait daboutir. Finalement le congrés décida & l’unanimité, qu’ « afin de mettre un terme aux discussions sans issue sur l’unité organique », les mouvements représentés — F.A., mouvement de Louvet « Egalité > et son journal Ce qu'il faut dire, Jeunesses libertaires, Fédération syndicaliste frangaise (anarcho-syndicaliste) — constitueraient un comité de coordination. Puis commenga le véritable congrés, mais il ne restait plus qu’une demi-journée et, pour en finir avec l’ordre du jour, une conférence nationale dut étre prévue pour décembre. Quant au comité de coordination, il ne fonctionna pratiquement pas et, si la question de son existence fut soulevée au cours de la conférence nationale du 2 décembre, ce fut sans conclusion. Le 7 octobre aprés-midi, un compromis fut réalisé entre parti- sans, 4 des degrés divers, de l’organisation : on adopta cartes et timbres et le congrés décida que fédérations régionales et groupes me pourraient « aborder publiquement des problémes d’importance générale que dans Je cadre des conceptions de l’organisme national ou international et définies par les congrés* », Ainsi naquit Ja F.A.F., Fédération anarchiste frangaise et I'unité devint effective en février 1946 « & la suite de la dissolution de 38, Le compte rendu des débats fut édité sous le titre Assises du mouve- ment libertaire et congrés de la Fédération anarchiste, Paris, s.d., 28 P. 39, Ibid, p. 8. 40. Ibid., p. 11. 41, Ibid, p. 155; texte repris du projet d’Agen octobre 1944, 90 organisation, ce permanent probléme Yex-mouvement “ Hgalité ” dont les membres furent invités & adhérer individuellement & la nouvelle Fédération ou a rester indépendants® ». La commission administrative de la Fédération concluait un peu hfitivement son introduction au compte rendu du congrés de reconstitution qu’ « en faisant table rase des méthodes d’action qui sont d'un autre Age et dont la faillite est incontestable », les décisions prises Jaissaient « loin derriére elles tous les errements passés en matiére d’organisation libertaire >. Liéclatement : F.C.L., 4.0.4. F.A, Vunion ainsi réalisée ne devait cependant pas durer et, pour nous limiter & I’essentiel, disons qu’au cours des premicrs mois de 1950 se constitua au sein de la Fédération un groupe secret d’une vingtaine de militants, 1’0.P.B. (organisation-pensée-bataille) dont Vexistence fut longuement dénoncée et décrite par le groupe Kron- stadt aprés son exclusion en février 1954“. Ces informations furent reprises par A. Prudhommeaux dans le Bulletin intérieur de Ja F.A. et dans Contre-courant en octobre 1954. L’O.P.B. était dirigée par un secrétariat de trois membres, Fontenis étant secrétaire général. Celui-ci avait déja été Gu a Ja téte de la Fédération a Vissue du congrés de Dijon en septembre 1946 et était demeuré jusqu’au congrés de Lyon de novembre 1948. Non réélu alors & ce poste, il redevint secrétaire général au congrés de Paris de mai 1950. L’O.P.B. qui, avec ses cotisations propres, sa déclaration de prin- cipes, constituait une organisation au sein de la F.A., réussit peu A peu & contréler la région parisienne — moitié de organisation en nombre et plus encore en influence — et & imposer sa ligne au Liber- taire. Fontenis tenait dés lors bien en main V’organisation et, au con- grés de Bordeaux, 31 mai-2 juin 1952, il demanda qu’d l'avenir on votit par mandats, ce qui était contraire A toute la tradition anar- chiste. Il obtint cependant une majorité de 103 voix contre 45, mais les opposants déclarérent solennellement qu’ils ne tecon- naissaient aucune valeur 4 cette décision et une premitre scission en résulta en octobre; en outre des exclusions furent prononcées a Tencontre de Joyeux, Aristide et Paul Lapeyre, Fayolle, Arru, Vincey, ete. “. 42, Selon un rapport du 17 janvier 1947, Arch. P. Po, carton 50 (Classement provisoire) 43, CE Mémorandum du groupe Kronstadt, broch, ronéotée, s.d. [1954], 82 p. 44, D'autres exclusions eurent lieu par Ja suite, notamment, en février 1954, celle’ du groupe parisien Kronstadt, V* et VI* arrondissements. 91 A la veille du congrés de mai 1953, toujours sous linfluence directe de Fontenis, fut publié un Manifeste du communisme liber- taire * qu’adopta ensuite le congrés. Tout en condamnant la dicta- ture du prolétariat, il se pronongait pour Ie < pouvoir ouvrier direct » et sa dictature 4 l’encontre des courants et organisations « qui s’opposent, plus ou moins ouvertement, a la gestion ouvriére, 4 l’exercice du pouvoir par les organismes de masses. Et il peut s’agir ici aussi, et méme plus, de courants bureaucratiques, pseudo-socia- listes, que de courants bourgeois en déroute. » Synthése de l’anar- chisme et d'un certain léninisme, le Manifeste se situait dans une ligne plateformiste, mais allait au-dela des théses d’Archinov. En ee qui concerne Je nom a donner 4 l’organisation : Mouvement communiste libertaire ? Fédération anarchiste ? les participants au congrés ne purent se mettre d’accord et l’on décida un référendum. Finalement ce fut, en décembre 1953, une Fédération communiste libertaire (F.C.L.) qui remplaga la FA. La F.C.L. conservait évi- demment le journal ainsi que le local. Sur le plan international, la F.C.L. fut admise au bureau de Ja C.R.LA. (Commission des relations internationales anarchistes) créée en mai 1948. Mais elle tenta parallélement de constituer les 6 et 7 juin 1954, a Paris, une Internationale communiste libertaire avec des participants italiens et allemands. La tentative échoua mais mécontenta la C.RLA., dot la F.C.L. dut se retirer en fin dannée. Liexpérience F.C.L. dura trois années et fut margute par la participation aux élections législatives de janvier 1956. En Janvier-février_ 1955, certains songérent en effet & une pos- sible participation A des élections municipales ct l'organc inté- rieur de Ja Fédération, Le Lien de mars, fit état d’une motion du groupe F.C.L. de « Maisons-Alfortville » votée 4 unanimité le 23 février qui posait la question : « La bataille électorale étant devenue une forme de la lutte de classe, ne pourrions-nous pas envisager cette question comme une question de tactique liée aux circonstances et aux faits du combat social? » Effectivement, l'ordre du jour du congrés de printemps comportait « le probléme de 1a participation électorale » et, dans Le Lien d’avril, un article de neuf pages signé F. (Fontenis ?) intitulé « Pour le praticisme révo- lutionnaire » affirmait : < Nous pouvons participer aux luttes lectorales », ¢ nous occuperons alors non des postes de législateurs mais d'agitateurs. Nous voyons 14 une forme d’agitation qu’on ne 48. Manijeste de communisme lbertire. Probldmes estentiels, Pati, s. d. 48 Voir « La F.CL, et les élections du 2 janvier 1956 », Noir et Rouse, n° 9, spécial, s. 92 Porganisation, ce permanent probleme peut négliger >. La discussion s’engagea dans les groupes et le congrés des 28-30 mai accepta A une « assez forte majorité » une participation < conditionnelle > (lorsque existent des conditions réelles pour [élection de représentants ouvriers révolutionnaires). Dans la pratique une telle participation se réalisa 4 I’élection du 2 janvier 1956 et la F.C.L. présenta dix candidats dans le 1° sec- teur de Ia Seine (XIII*, XIV° XV°, V°, VI°, VII arrondissements). Le nombre de voix recueillies fut trés réduit — « prés de 3 000 » estima Le Libertaire du 12 janvier plutdt porté A grossir le résultat. Cette méme année, la F.C.L. prit contact avec André Marty qui venait d’étre exclu du Parti communiste. Entrer dans le jeu élec~ toral, se lier avec A. Marty, dénoncé comme principal artisan de la répression stalinienne en Espagne libertaire, aliénait 4 la F.C.L. toute sympathie en milieu anarchiste. Aussi Le Libertaire cessa- de paraitre en juillet 1956, ce qui traduisait concrétement la fin de Vexpérience. Dés juin 1952, au congrés de Bordeaux, un certain nombre de militants avaient pris leurs distances 4 l’égard de la F.A. dirigée par Fontenis qui s’engageait, disaient-ils, dans une voie autoritaire. Ces militants se retrouvérent Je 11 octobre suivant au Mans ott ils décidérent de constituer < L'Entente anarchiste » et publigrent un bulletin ronéoté portant ce nom“. L’Entente, dont les principaux animateurs étaient alors Fernand Robert, Raymond Beaulaton, Louis Louvet, André Prudhommeaux, Tessier (représentant L’Unique d’Armand), ete., affirmaient : « Etre anarchiste, c'est reconnaitre que l'individu est Ja base de la société *. » La F.A. ayant disparu pour faire place & la F.C.L. des militants tentérent de la reconstituer et L’Entente procéda le 25 décembre 1953 A sa dissolution pour participer & ce regroupement. Deux ans et demi plus tard, les anciens de |’Entente, estimant que la nouvelle F.A, offrait par son comportement une « idée étroite » de Vorga- nisation, favorisait de plus en plus les menées de Ia franc-magon- nerie et pratiquait Ja collusion avec le courant politique socialiste *, rompirent avec elle et, le 25 novembre 1956, & Bruxelles, partici- pérent 4 la constitution de 1’A.O.A., Alliance ouvriére anarchiste, expression de langue francaise du mouyement anarchiste interna- tional. Basée sur la libre entente, hostile aux statuts, réglements, cartes dadhésion, 1'A.O.A. considére les communistes libertaires comme < des égarés dans le mouvement anarchiste > (L’Anarchie, 47. N® 1, 30 octobre 1982, 48. Circulaire A.0.A, 49. Feuille ronéotée “aihaase par TA.O.A, s.d. 93 aoit 1966). Selon les conceptions de l’Alliance, < la lutte des classes [...] est A présent dépassée >; Ie mal & combattre « c’est Tautorité sous toutes ses formes et, actuellement, sa forme Ja plus virulente, c’est la hiérarchie® ». L’A.O.A. veut étre ¢« Vinstrument de liaison, d'information et de coordination » « des individualités et des groupes locaux, régio- naux et affinitaires qui gardent leur compléte liberté d’action et une autonomie compléte* ». Elle se refuse @ organiser; elle « a pour cellule l'individu » et « chaque anarchiste adopte pour lui- méme ses propres régles de conduite et détermine lui-méme ses obligations envers ses compagnons® >. Ceux de ses adbérents syn- dicables yoient dans l’anarcho-syndicalisme le complément du mouvement anarchiste auquel il « ajoute un programme social pour Vimmédiat* », ¢ une école préparatoire a l’anarchie ». Ils adherent 4 la C.N.T. ou demeurent dans l’autonomie, compte tenu des réser- ves qu’ils peuvent émettre 4 l’égard de cette centrale. L’A.0.A., qui publie un périodique ronéoté, L’Anarchie", tient des ¢ assemblées de travail > périodiques et a participé, les 21-22 juillet 1973, & une conférence mondiale & Chateau-du-Loir (Sarthe). Le Mouvement anarchiste international compterait dans le monde 78 correspondants et il existerait 166 groupes de I’A.O.A. d’expres- sion frangaise *, La F.A. avait done disparu peu aprés le congrés de Paris des 23-25 mai 1953 pour faire place a la F.C.L. Les militants qui refusaient de se reconnajtre dans le Manifeste du communisme liber- taire de Fontenis se fixérent aussit6t pour but la reconstitution de Yancienne F.A., mais ils avaient perdu leur sidge et leur journal et se trouvaient dépourvus de tous moyens financiers. Ils rénssirent assez rapidement & se regrouper en une fédération qui reprit son sigle de F.A. et tint congrés 4 Paris les 25-27 décembre de cette méme année 1953. Le lancement d’un périodique constitua une tache plus ardue et ce n’est qu’en octobre 1954 que parut le premier numéro du Monde libertaire. 50, Bruxelles, 25 novembre 1956, constitution de I'A.O.A, tract ronéoté intitulé Contrat d’association de 1'A.0.A. Si. Résumé historique, 1° novembre 1970, par un membre de PA.OG.A. (document personnel), 52, Tract Contrat @association de A.0.A., op. cit. 53. L’Anarchie, octobre 1971. 34, Sur le plan syndical, publication de méme inspiration, Le Rail enchatné. 55. Compte rendu (extraits) de la rencontre A.O.A., 20 mai 1972 A Nantes (Loire-Atlantique) et lettre de R. Beaulaton, secrétariat de 1A.0.A., & Pauteur, 10 novembre 1973. 94 Vorganisation, ce permanent probleme Rendus circonspects par ce qui venait de se passer, les militants précistrent & nouveau leurs conceptions et, surtout, prirent toutes Scautions utiles pour que Vorganisation soit 4 Vabri d’un éventuel angement de majorité. Ces theses et ces mesures figurent dans une brochure de douze pages, Principes de base *. En ce qui concerne les conceptions, on sc borna 4 demander A tout adhérent de se déclarer pour labolition de IEtat et du capitalisme, de se prononcer contre les dictatures et contre le ra- cisme, d'affirmer Ie droit de tout individu A exprimer ses opinions, de se prononcer pour Ia libre coopération de tous les hommes *”. Ce sont 1 prises de position libérales qui permettent une cohabi- {ation de tous les courants au sein de la Fédération. Non sculement la liberté de tendances est reconnue, mais l’existence de toutes les tendances libertaires y est considérée comme une « nécessité ». Sont reconnues en outre l'autonomie des groupes et la responsabilité per- sonnelle de chaque adhérent, qui peut d'ailleurs demeurer isolé sil le désire. Mais c'est en ce qui concerne l’organisation au stade national qu’on a youlu avant tout se prémunir. On I’a fait dans les mots ct dans les choses, et o’est un Comité de relations élu par le congrés annuel qui gire Ja Fédération. Il comprend un secrétaire général, trois secrétaires et deux trésoriers (général et adjoint), les trois secré- taires se répartissant les taches en trois domaines : l'un se consacre aux « relations intérieures » (rapports avec les groupes ou les individus adhérents), le second aux « relations extérieures » (rap- ports avec d'autres mouvements et avec la presse), le troisitme aux < relations internationales ». Une cotisation annuelle minimum est pergue auprés des groupes et des individus isolés. Chacun des secrétaires, de méme que Je trésorier, est responsable de son poste devant le congrés. Deux autres comités font vivre le journal mensuel de la Fédération, Le Monde libertaire. Ce sont le comité de ’admi- nistration et de Ja trésorerie du journal ct le comité de lecture. Leurs membres sont élus par le congrés, dans le premier cas tous Jes deux ans, dans le second cas tous les ans. Le titre de chacun de ces comités explique suffisamment leur réle. Pour parfaire ces dispositions et mettre le mouvement « a l'abri des ambitions personnelles de politiciens inavoués », pour ne pas le laisser <¢ & la merci d’éventuelles majorités de congrés, remettant en question ses objectifs et son fonctionnement », le congrés « a donné la propriété morale et Iégale du mouvement et de ses ceuvres & une “ Association pour Vétude et la diffusion des philosophies ratio- halistes ” dont les membres, en cas de décts ou de démission, sont 56. Fédération anarchiste, Principes de base, Paris, s.d., 12 p. 57, Ibid., p. 1-2. 95 remplacés par cooptation, sur décision unanime des militants com- Posant cette association ». Vingt-deux membres en font partie, dont la liste figure A la page 12 de la brochure Principes de base. Ainsi, aprés Ia création de Ja F.A. en 1945, deux autres groupe- ments nationaux se sont constitués & ses cétés quelques années plus tard et se sont maintenus jusqu’en 1956 ou au-deli. Sans tenter une évaluation de leurs représentativités respectives, au surplus variables dans le temps, il nous semble intéressant de remarquer qu'ils correspondent aux trois courants qui se sont fait jour au cours de l'entre-deux-guerres, et leur existence souligne la perma- nence du probléme de organisation en milieu anarchiste avec, peut-on dire, ses deux composantes principales 1 un type de grou- pement plus ou moins centralisé, uni au point de vue idéologique et tactique, représenté par la F.C.L. de Fontenis qui rappelle et prolonge jusqu’d ses ullimes conséquences la conception platefor- miste d’Archinov et de Makhno ; un second type, celui de la grande famille synthésiste dont Ja FA. reconstituée offre Timage. Et puis, en marge de cette F.A., trop autoritaire encore aux yeux de certains anarchistes individualistes, nous avons vu naitre l’A.O.A. qui, en 1956 et ultérieurement, peut étre considérée comme une réplique de la F.A.F. de 1936. L’émiettement : 1956... Depuis 1956, date de la disparition de la F.C.L. — et cela fait prés de vingt ans — on assiste a un tel émiecttement du mouvement anarchiste qu'il n'est pas deux militants ou commentateurs suscep- tibles de fixer au méme chiffre le nombre des groupements, on n’ose dire des organisations, constitués sur Je plan national ou aspirant a Vétre. Aprés d'autres, nous allons le tenter en précisant en un premier temps notre méthode. Nous procéderons ensuite A une énumération chronologique, exercice délicat également, car les groupements naissent et meurent faute de moyens et d’adhérents, non certes d'idées, pour renaitre Parfois. Méthode tout d'abord. Limitant notre quéte, nous écarterons les groupements d’exilés et, sur le plan francais, les sections anarcho- syndicalistes relevant, a la Libération, de la Fédération syndicaliste 96 organisation, ce permanent probléme frangaise, section de l’'A.L.T., et, peu aprés, simple changement de dénomination, de la C.N.T. francaise s’exprimant essentielle- ment par Le Combat syndicaliste. Nous essaierons par contre de répertorier les organisations — ou associations — nationales ou qui aspiraient 4 l’étre, constituées en vue de donner un certain style de vie, une certaine figure & Vanarchisme et, chemin faisant, nous retiendrons également Jes périodiques qui, sans prétendre donner naissance 4 une organisation nationale, ont animé ou animent encore aujourd’hui un ou des groupes dans la perspective d’un renouveau anarchiste **. ‘Nous négligerons pour finir les périodiques marginaux de l’anar- chisme ou spécialisés dans étude de tel on tel probl&me comme Défense de Vhomme, trés éclectique, fondé par Lecoin en octobre 1948, repris ensuite par Louis Dorlet, Liberté fondé par Lecoin dix années plus tard et qui s'est consacré principalement a la défense de Vobjection de conscience puis du pacifisme intégral, Conzre- courant, Cahiers d'études sociales, pacifistes et libertaires de Louvet lancés en 1950 et prolongeant Ce qu'il faut dire. Et voici maintenant notre énumération chronologique, de 1956 d nos jours, des groupements nationaux ou a visées nationales auxquels nous avons joint quelques périodiques préoccupés d’up renouveau de l’anarchisme*. Elle débute avec la disparition en juillet 1956 du Libertaire, organe de la F.C.L., sans que disparaisse pour autant la Fédération pour qui aucun acte de décés ne fut jamais dressé et qui semble s’étre survécue en 1957 et 1958 avec une revue « mensuelle » Le Partisan, puis, dix ans plus tard, avec le Mouvement communiste libertaire (M.C.L.) et dont on peut estimer qu’il vit encore aujourd'hui, en esprit et en militants, sinon en mouvement proprement dit. En ce qui concerne ’A.O.A. qui ne constitue pas une organisation mais une association — ses militants tiennent beaucoup 4 la distinction — elle ne peut donner naissance a scissions, son existence étant purement formelle. Op notera si l’on veut, non 4 ses cdtés, mais parallélement, la présence 58. Il n'est pas question de relever la centaine de périodiques, souvent éphémeres, qui ont vu Ie jour depuis la Libération, que Ton trouvera dans la Bibliographie ct qui n’intéressent pas ici notre sujet, 59. Quelques essais de ce genre ont déja eu lieu dans « Inventaire du mouvement libertaire francais en 1969 », CRIFA, n° 5, décembre 1969- janvier 1970 ; Anarchisme et non-violence, janvier-mars 1971; « Le Mouvement anarchiste communiste peut-il sortir de l'impasse? », Tribune anarchiste communiste, let trimestre 1972. 60. N° 1, décembre 1957; n° 2, janvier 1958, 97 des Amis d’Armand groupés autour de L’Unique* et qui disparai- tront, comme groupement et revue, en méme temps qu’Armand lui-méme *. Le groupe socialiste libertaire animé par G. Leval™ se constitua en Centre de sociologie libertaire et eut pour tribune les Cahiers du socialise libertaire*, n° 1, octobre 1955, devenus, courant 1963, les Cahiers de l'-humanisme libertaire. Compte tenu des bou- leversements survenus dans nos sociétés, le Centre s'est fixé les buts suivants : — procéder 4 Vinventaire des acquis doctrinaux libertaires ; — élaguer ou modifier ce qui est dépassé ; — compléter, développer, enrichir ce qui demeure valable par des études répondant aux réalités d’aujourd’bui et, dans Ja mesure du possible, de demain. Ainsi « des réalisations collectives concré- tes > influenceront-elles « au maximum J’€volution de la société dans un sens libertaire ». Pour ce faire, un réle particulier est dévolu 4 la coopération, « une des pierres angulaires de la société nouvelle >, au syndicalisme, aux communes, et G. Leval pense aux essais tentés en 1936-1939 en Aragon et en Nouyelle-Castille. En ce qui concerne le probléme de la liberté « c’est, écrit-il, en dehors de l’atelier, de 'usine, du laboratoire, que pourra se manifester la liberté humaine », et encore : « Ce n'est pas sur le terrain du travail que peut se manifester la liberté®, > IL y a 18, sur l’épineux probléme des lendemains de la révolution, un effort de réflexion qui, 4 ma connaissance, n’a été que rarement repris par d’autres courants anarchistes, ce qui parait justifier la remarque de G. Leval sur l’autosatisfaction qui, trop souvent, carac- térise le mouvement anarchiste et le sclérose *. En novembre 1955, divers groupes et militants ayant abandonné peu auparavant la F.C.L. dirigée par Fontenis créerent, au 61. N° 1, juin 1945. 62. Dés septembre 1956, la vie des Amis avait été ralentie étant donné Je grand Age d’Armand — 84 ans — et Je rattachement de L’Unique, sous forme d'un encart de quelques pages, A Défense de 'homme, 63. G, Leval a notamment exposé les théses auxquelles nous nous référons ici dans Manifeste du socialisme libertaire, sd. [1955], 38 p.; L’Indispensable Révolution. L’émancipation de l'homme par le socialise libertaire, Patis, 1948, 286 p.; feuille ronéotée de présentation du Centre de sociologie libertairo, 64. N° 1, octobre 1955. 65. G. Leval, L’Indispensable Révolution, op. cit., p. 210, 66. Cahiers de Vhumanisme libertaire, juin 1973, 98 Porganisation, ce permanent probleme congres constitutif de Macon, les Groupes anarchistes d'action révo- lutionnaire (G.A.A.R.), toujours partisans de « I'unité idéologique et tactique », hostiles & la F.A. reconstituée & Noél 1953 et demeu- yée, sclon eux, traditionaliste, conformiste, incapable d’ouverture sur la société moderne et inapte donc a formuler les solutions liber- tuires adéquates la transformation de cette société. Aussi abord’- yont-ils dans leur revue Noir et Rouge, fondée en avril 1956, des problémes qu’on ne voit pas souvent discuter dans Jes milieux ‘narchistes, ceux-ci estimant qu'ils ont été réglés une fois pour toutes par les anciens : le nationalisme, les élections, le Parlement, la franc-maconnerie (les G.A.A.R. étaient anti-francs-magons), etc., dey problémes contemporains aussi comme ceux de la révolution espagnole de 1936-1939, Ils tinrent leurs congrés annuels, eurent leur revue et méme un bulletin intérieur, Liaison. Pou a peu cependant, si la revue se développait, l'organisation G.A.A.R. ne wimplantait guére et une scission se produisit : en 1961, des mili- tants se réclamant de sept groupes, deux de la Seine (Kronstadt et Maisons-Alfort), les autres de province (Lille, Strasbourg, Macon, Grenoble...) ralligrent la F.A. lors de son congrés de Montlugon ” et constituérent en son sein une tendance, 1'U.G.A.C. (Union des groupes anarchistes communistes), Les G.A.A.R. disparurent alors en tant qu’organisation nationale ot ne demeurérent plus que groupe et revue < Noir et Rouge » qui vécurent jusqu’a leur autodissolution en juin 1970. Apres le départ de ceux qui, en 1961, constituérent 1'U.G.A.C. tendance de la F.A., « Noir et Rouge » subsista donc A la fois comme revue et comme groupe sans « aucune ambition de repré- sentativité ni de regroupement organisationnel * », La revue avait publié alors vingt numéros et allait poursuivre ses réflexions pen- dnt neuf années encore, par études publiées dans Ja revue mais ussi par brochures ronéotées ou imprimées ®. Nous n’avons pas ici & procéder 4 un inventaire de ces livraisons novatrices dans le domaine de la pensée anarchiste. Notons sim- 67. Cf, M, Joyeux, « Voir clair et parler net », Bulletin, mai 1964, Voir Gynlement, « Faire le ‘point », Noir et Rouge, n° 19, novembre 1961, 68, Noir et Rouge, n° 28, 1964. 69, Citons : C. Bernert, Kropotkine, sd. [jany. 1964], 18 p.; Collectivités anarchistes en Espagne républicaine, s.d. [mats 1964], 38 p.; L’Organisation, [mars 1965], 14 p.; Espagne rouge et noire (en collaboration avec VUGAC); Autogestion, Etat, Révolulic : : rae juillet’ 1968.’ Les deux dernidres brochures 10, Sur Vautogestion (brochure), sur le clivage réel n’est pas entze “ marxisme plement, 4 propos du probléme qui nous intéresse avant tout, qu’en juillet 1968 Noir ct Rouge publia Plate-forme dorganisation, bro- chure ronéotée de 54 pages regroupant un certain nombre de docu- ments mis en discussion dans le mouvement francais et international durant la période 1926-1931. La revue se pronongait tout a la fois « contre l’organisation type parti (exemple de Fontenis 1952-1956) » et contre l’organisation « type grande famille sentimentale (comme la F.A. actuelle) », s’affirmant pour ¢ le travail conscient et ordonné d'une minorité agissante qui sert de “ déionatem ” pour libérer T'énergie des masses, car il n’y a pas de volonté révolutionnaire constante dans les masses, il n’y a que des moments révolutionnaires dans lesquels les masses servent d’énorme levier pour leur propre libération ». En 1967, le groupe ¢ Noir et Rouge » s’accrut de plusieurs dizaines de militants qui, au cours du congrés tenu par la F.A. & Bordeaux les 13-15 mai, avaient quitté Porganisation ; par suite de cet apport, étudiant notamment, il tenta une nouvelle forme d’'organisation, le groupe-non- groupe < ot discussion, rotation des taches peu- yent et doivent étre envisagées, réglées collectivement > et qui trouva en quelque sorte son application pratique l'année suivante a Nanterre dans le ¢ Mouvement du 22 mars ». Paradoxalement, on peut affirmer que « Noir et Rouge », groupe ct revue, disparurent en juin 1970, victimes de leur succés. Cohn-Bendit appartenait & « Noir et Rouge » et, bien qu’en mai 68 il n’ait pas agi A ce titre, son audience nationale, voire internationale, se répercuta sur le groupe-revue qui ne put assumer une telle responsabilité théorique et pratique. Durant deux années les animateurs de « Noir et Rouge » furent A la recherche de nouvelles structures, tentérent un rappro- chement avec des militants de tendances voisines, s’épuisérent dans les tiches pratiques, finalement décidérent de s’autodétruire. On ne trouvera pas dans le dernier numéro de la revue, juin 1970, numéro qui « n’est plus lexpression publique du groupe “Noir et Rouge ”, celui-ci ayant également cessé d’exister sous Ja forme qui avait été la sienne jusqu’a présent », l’explication ™ cohé- rente de leur effacement mais simplement « le pourquoi » de la situation. L’on peut dire, semble-t-il, que groupe et revue éprou- vaient seulement Je besoin de prendre du recul afin de « réfléchir puis, plus tard, agir™ >. chisme, mais plutét entre esprit, conception fibertaire ct conception bureau- cratique Héniniste, bolchévique, ‘de T'organisation, » S'étant confrontés au marxisme, ils se refusaient, & ta différence de D, Guérin — Cf, Jeunesse du socialisme libertaire, Paris, 1959 —, & toute syathése des deux idéologies. 71. Ce ne sont’ pas les embarras financiers qui entraintrent cette fin, puisque la revue, qui avait débuté avec un tirage de 50 exemplaires, en était maintenant & 3500 et qu'elle comptait quelques centaincs d’abonnés, 72, Dernier numéro, juin 1970 ; « Ni pleurs, ni couronnes, > 100 Vorganisation, ce permanent probléme Vingt numéros de Noir et Rouge avaient été publiés lorsqu’en 1961 certains militants des G.A.A.R. regagnérent la P.A, pour y constituer la tendance U.G.A.C. L’année suivante, en mai, ils publigrent une Déclaration anarchiste-communiste dans laquelle ils bxposaient les principes généraux de leur conception du mouvement Jibertaire contemporain. En 1964, ils abandonnérent la F.A, et, deux années plus tard, ils se définirent A nouveau dans une brochure, Lelire au mouvement anarchiste international. « Plateformistes », ily affirmaient alors leur conviction de Vimpossibilité de grouper toutes les tendances libertaires en une seule organisation mais, par contre, leur souhait d’organiser et de fédérer tous les anarchistes- communistes et de s’insérer dans le mouvement réyolutionnaire. D’od ly présence de certains d’entre eux dans les réseaux de soutien au V.L.N., au Comité Vietnam national, dans le C.LM.R. (Comité d’ini- {lative pour un mouvement révolutionnaire) aprés mai 68. Depuis 1967, ils publiaient Perspectives anarchistes-communistes, six numé- ros, puis, en 1969, Tribune anarchiste communiste, se pronongant * contre un anarchisme figé dans ses schémas et contre un marxisme lige” ». LU.G.A.C. en tant qu’organisation a cessé pratiquement dexister depuis 1969 ; un certain nombre de ses anciens adhérents qui font paraitre 7.4.C.™ se retrouvent dans les C.1.C. (Centres initiative communiste) *, qui regroupent d’anciens commiunistes ct des anar- chistes en yue de la constitution de comités d’unité de lutte « pour un socialisme sous le controle des travailleurs” ». D’autres regroupements ont encore existé, nationaux ou a vocation nationale. LU.F.A. est Yun d’eux. L’Union fédérale anarchiste fut créée en 1967 par H. Bouyé, qui avait été secrétaire de la F.A. qu'il quitta en 1948. Emanation du groupe de Chateauroux, 1'U.F.A. voulut s'orga- niser par régions. En 1971, elle tenta un essai de fédération des groupes autonomes dispersés, & Nimes le 30 octobre, a Paris pour les groupes de la région parisienne le 12 décembre. Il ne semble pas que, finalement, ce regroupement ait réussi. L'U.F.A. 73. Tribune anarchiste communist, n° 6, septembre 1971. 74, « Les principaux animateurs de 1'U.G.A.C. sont les présents rédace teurs de ce bulletin » (7.A.C,, ter trimestre 1972, p. 25). 15. Tribune anarchiste communiste, n° 7, 1°* trimestre 1972, Les CLC, ont adhéré au P.S.U, en décembre 1973. 16. Tribune anarchisie communiste, n° 7, let trimestre 1972, B. 9 101 avait repris depuis 1968 la parution du Libertaire™, abandonné par la F.C.L. Mentionnons encore deux essais avant de traiter d’un troisitme, entrepris dans le cadre de la F.A., puis extérieur A elle. Lun, mort-né, fut celui de la Jeunesse anarchiste communiste en janvier 1968, Il convient de souligner toutefois l’intense activité que déploya la J.A.C. au Quartier latin pendant les premiers mois de 1968 (propagande murale) puis au cours du mois de mai. Le second, le Mouvement communiste libertaire (M.C.L.), qui se dota d'un organe, Guerre de classes, fut constitué par des militants anarchistes qui, comme certains de 'U.G.A.C., avaient adhéré aprés mai 68 @ un premier regroupement, le C.LM.R. (Comité @initiative Pour un mouvement révolutionnaire), puis avaient fondé leur propre organisation. Se réclamant de la Premidre Internationale et de la Commune de Paris ainsi que des mouvements révolutionnaires qui depuis cent ans ont jalonné Vhistoire ouvrigre dans le monde, que ce soit en 1918-1921 en Ukraine et 4 Kronstadt, en 1920 en Italie, en 1936-1939 en Espagne libertaire, en France en mai 68, etc, le M.C.L. se pronongait pour le pouvoir des conseils de travailleurs aboutissant A_une autogestion généralisée. Les théses soutenues, la présence de Fontenis font de ce mouvement une résurgence de la E.C.L. disparue dix années plus t6t. En 1971, il erut pouvoir envisa- ger une fusion avec l’O.R.A., dont il nous reste A parler. Les deux organisations entretinrent des rapports, s'ouvrirent mutueliement leurs périodiques, puis ce fut I’échec, moins peut-étre en raison de divergences doctrinales que par crainte réciproque d’étre absorbé. Quoi qu'il en soit, la fusion m’eut pas lieu et le M.C.L., grossi de quelques éléments de !’0.R.A., devint '0.C.L. (Organisation com- muniste libertaire), Avant cette transformation, if a fait paraitre une brochure de soixante pages consacrée & L’Insurrection de Kronstadt- la-Rouge, mars 1921, Le Pouvoir des soviets libres™ qui oppose & « la conception du socialisme par en haut, de la dictature du parti » celle « du pouvoir prolétarien réel, de l’orientation instinctive de classe vers le communisme libertaire ». Avec 1’0.R.A. nous avons une organisation d’identification aisée et parfaitement définie. En 1967, elle existait comme tendance 71, Le n° 10 est daté février-mars 1972, 78. MCL. Boite postale 20-37, Tours, Rives-du-Cher, 16r trimestre 1971, 64 p, « Kronstadt, point de non-retour de la révolution prolétarienne » (p. 12). 102 Vorganisation, ce permanent probleme de la F.A., et son principal animateur était Maurice Fayolle. Cette tendance s’exprima a partir de 1967 par le périodique mensuel L'/nsurgé, d’abord organe du groupe anarchiste du XIII’ ar- rondissement, puis de Paris-banlieue Sud, enfin de !'0.R.A.™. Front libertaire \ui succéda en octobre 1970, mais déja V'O.R.A. n’était plus une tendance de la F.A. mais une organisation autonome. M, Fayolle, qui n’était pas orateur, écrivait par contre facilement, et il a souvent et clairement exprimé ses conceptions en articles repris parfois en brochures *. Constatant qu’ « aujourd’hui, aprés plus d’un sitcle d’existence, l'anarchisme stagne, stagnation suivie, il faut bien le dire, d'une régression* », if em vit la cause principale dans « son inaptitude 4 Vorganisation" 2. Et l'on devine aussitét Jes conclusions qi pouvait en tirer et qu'il exprimait au scin de la F.A. depuis dix ns, puisque ce sont ces mémes constatations qu'il avait Ines au congrés de Vichy en mai 1956® et que reproduisait le Bulletin de septembre de cette méme année, Je les résume ainsi : parce que toute organisation structurée comporte un danger de centralisation autoritaire, certains ont réduit organisation & quelque chose de si liche qu'il n'y a plus d’organisation. Telle est Ja F.A. actuelle. Pour sauver I’anarchisme deux conditions sont indispensables : — Vactualiser en fonction des données économiques et sociales de notre temps qu'il faut étudier ; — créer une organisation en acceptant les risques et sacrifices que cette création implique. L'Insurgé redonna en décembre 1969 « La Plate-forme orga- nisationnelle des communistes libertaires * », précisant que PO.R.A. « sinscrit dans [optique de Ja plate-forme d’Archinov >. LO.R.A. qui avait été présente, seule organisation anarchiste 79. En outre, parut un bulletin intérieur : L’Organisation Ubertaire (n° 1, jnnvier 1968), 80, Actualité de l'anarchisme, réunion d'articles parus dans Le Monde liber. taire, sd. [1965], 72 p.; L'Organisation {édéraliste libertaire. BI. M. Fayoute, Réflexions sur Panarchisme, Paris, 1965, 72 D. 82. Ibid, Dans L’Organisation libertaire de juin 1969, il reprenait & son compte la thése des plateformistes russes : « Makhno et ses compagnons, bien organisés eux, furent finalement anéantis, trahis par l'inorganisation générale des anarchistes, partout décimés par la réaction ou les bolchéviks, » 83. Il participa encore au congrés de juin 1957 A Nantes, poursuivit lon- guement Ja discussion au cours des années suivantes dans le Bulletin intérieur de la Fédération, puis, devant Linutilité de ses interventions, refusa de parti- ciper au congrés de Macon de juin 1962, 84. La plate-forme donnée en septembre-octobre par le bulletin C.R.LF.A. Commission de relations internationales des fédérations anarchistes), aux mains d'un militant de TOR.A., sera reprise avec introduction et bibliographie dans un supplément & Front libertaire le 1°" mai 1972. 103 avec le groupe Louise Michel, en mai 68°, qui s’était vu confier par le congrés international de Carrare en septembre 1968 les postes de secrétaires en Ja personne de deux de ses militants — Pun d’eux avait déja eu la responsabilité, en 1966-1968, du Bulletin de la commission préparatoire —. faisait montre d'un réel dyna- misme et il était évident qu’elle n’allait pas tarder & aspirer A l'in- dépendance. Elle se sépara de la F.A. au cours du congrés que tint cette dernigre & Limoges les 29-30 mars 1970. Quatre mois plus tard, les 31 juillet-1" et 2 aoft, I'O.R.A. tenait & son tour un pré-congrés qui réunissait 40 déiégués représentant cinq groupes de la région parisienne, cinq du Sud-est et deux du Centre. Le fondateur, peut-on dire, de PO.R.A. n'y assistait pas : Maurice Fayolle décédait deux mois plus tard, fe 30 septembre. Pour cette dernigre période d'une quinzaine d’années, on peut encore tenter un essai de classification des tendances et il semble bien que deux groupes, toujours les mémes, se dégagent : les parti- sans de Ja grande famille ou synthésistes, groupés dans la F.A., auxquels nous joindrons les adeptes de 1’A.0.A., individualistes absolus et puristes de lanatchisme, tras hostiles certes & la F.A, mais qui, de par leurs conceptions organisationnelles ou mieux antiorganisationnelles, appartiennent incontestablement A cette méme famille, autonomiste jusqu’au niveau de Vindividu ®. En face, tous ceux qui, constatant le malaise actuel, en cherchent Ie reméde, qu’ils soient plateformistes ou non. Et la plupart d'ail- Jeurs le sont. Qu’ils appartiennent ou_aient appartenu 4 un des groupements : F.C.L., M.C.L., O.C.L, GAAR., U.GAC, OBA, ils mettent l'accent sur l'organisation, estimant que doter le mouve- ment d'une structure, d'une idéologie, d'une tactique, communes A tous, obligatoires pour tous, est bien la condition premiére et sine qua non d'un renouveau. Au terme de cette étude sur l’organisation dans le mouvement anarchiste, on admettra qu'il y a JA un probléme majeur; j'ai dit, pour ma part, /e probléme du mouvement. Un survol de 85. Cf. « La Sorbonne par elle-méme », Le Mouvement social, n° 64, juillet- septembre 1968, p, 10-11, 86. CRLEA., septembre-octobre 1970. 87. Cotte classification, que je considére comme représentative de Ja réalité, est contestée par TAO.A. « La B.A. que nous ne pouyons pas considérer comme anarchiste, m’écrivait R, Beaulaton, du secrétariat de TA.O.A, le 10 novembre 1973, est bien pour une ORGANISATION CENTRALISEE, elle est aussi pour la hiérarchie, » 104 Porganisation, ce permanent probleme cont années d'histoire nous rappellera les principales crises qui les ont jalonnées. Avant la Premiére Guerre mondiale, c'est durant trente-cing années que le mouvement tente en vain de se structurer, Lorsqi il y réussit en 1913, la F.C.R.A. ne représente qu'une organisation aynthésiste avant le mot, puisque sont garantis, selon le rapport de §, Faure, ¢ Tindépendance des individus au sein du groupe et autonome des groupes au sein de la Fédération >. Mais la guerre ost I qui met fin a Texpérience & peine commencée. Jai intitulé Phistoire de lentre-deux-guerres « Echeo de vingt années de luttes pour le plateformisme ». C'est & la suite des Wifaites libertaires de 1921 & Kronstadt et cn Ukraine que des hommes comme Archinoy et Makhno notamment voient dans une organisation centralisée, unie au point de vue idéologique et tacti- que, la solution aux problémes que connait Je mouvement anarchiste et le gage de futures victoires. Ils expriment cette conviction dans la premier document, la Plate-forme..., Gott le nom qui leur sera donné. Us suscitent des adeptes ici et 1a, en France surtout oi ils résident comme exilés. Le mouvement francais vit, de 1927 \) 1930, sa période « plateformiste », puis c’est le retour a la ayathése définie par S, Faure. Aprés la Libération, en 1945, la nouvelle F.A. unifia, conciliant Vinconciliable. Et Ton alla d’éclatement en émiettement, parmi lesquels nous avons cependant pu retrouver les permanentes lignes de force des deux courants plateformiste et synthésiste. Nous avons constaté JA un phénoméne trop important pour que nous ne posions pas le « pourquoi > que nous formulerons dans los deux interrogations suivantes : — Y a-til incompatibilité entre les hommes de l'anarchie ct Vorganisation ? Y a-t-il incompatibilité entre la doctrine anarchiste et lorga- jon? On s'est peu penché jusqu’ici sur les anarchistes en tant qu'indi- vidus depuis qu’Augustin Hamon a publié chez Stock en 1895 sa Psychologie de lanarchiste socialiste, encore s’agissait-il d'une étude, sérieuse certes, mais limitée au dépouillement de 170 répon- aes apportées A un questionnaire par des anarchistes francais et élrangers connus. i Reprenant les conclusions d’Hamon complétées par mes propres recherches, je tentai vers 1950 une nouvelle approche du militant anarchiste *, mais c'est surtout dans une étude du Mouvement social en avril-juin 1973 que je me suis efforcé de définir sociolo- 0) 88. Histoire du mouvement anarchiste en France, 1880-1914, p. 426-427 de In 2° Edition. 105 giquement I’anarchiste en m’appuyant sur cent années d’histoire ®, Pour nous limiter 4 Vessentiel, on laissera de cété les illégalistes qui n’ont représenté qu'une frange du mouvement anarchiste en un temps réduit chronologiquement — les dix années qui précéddrent la Premiére Guerre mondiale ; on laissera plus généralement de cété les individualistes qui se manifestérent surtout antérieurement 1914 avec leur journal hebdomadaire L’Anarchie, mais n'ont fait que se survivre ensuite, groupés autour de la forte personnalité d’Armand disparu en février 1962 ; et l’on notera pour finir que Jes anarchistes-communistes ont toujours représenté, et surtout depuis 1914, Vessentiel, quantitativement, du mouvement anarchiste. Sans reprendre la démonstration 4 laquelle je me suis liveé, je me contenterai de retenir ma conclusion principale ® que voici : en tout temps, hier et aujourd’hui, sans solution de continuité, l’anar- chiste communiste a été et demeure, dans une trés forte proportion, un travailleur, ouvrier du Cuir (cordonnier), du Textile, du Bati- ment, plus fréquemment du Livre ou de la Métallurgie et responsable syndical 4 l'occasion. Les condamnations qu'il doit subir sont celles qu’encourt tout militant politique ou syndical. Ces affirmations se nuancent toutefois sur deux points en ce qui concerne la période qui suit la Seconde Guerre mondiale. Si les statistiques utilisées et qui concernent exclusivement la F.A. ont valeur générale, quarante & soixante pour cent, peut-on dire, des anarchistes communistes appartiennent aux cadres moyens, mais n’est-ce pas 1A une tendance que l’on observerait dans tous les partis de gauche, l'ouvrier manuel, plus répandu hier, partageant aujourd’hui aire salariale avec des travailleurs divers et, parmi eux, ces cadres dont la présence se trouve ici soulignée. Un second trait mis en évidence, mais dont il conviendra de vérifier la permanence, est l'important fléchissement du taux de syndicalisation : quarante pour cent environ des militants n’appar- tiennent & aucune centrale ouvritre, et, pour ceux qui sont syndiqués, i] s'agit d’une appartenance majoritaire & la C.G.T.-F.O. Si Yon peut expliquer V'hostilité A l’égard de la C.G.T. en raison des sympathies affirmées de cette organisation pour le P.C.F., on s'attendait_ moins 4 une égale répugnance A une adhésion A la C.F.D.T. Les faits sont 14 et on peut avancer, semble-t-il, que la réserve manifestée 4 l’égard de la C.F.D.T. tient aux origines chré- tiennes de la centrale ainsi qu’au fait qu’elle entretient des rapports 89. « Un “ anar ", qu’est-ce que c'est? », Le Mouvement social, ayril- juin 1973, p, 23-45, Le CL. de Lausanne a tenté Jui aussi une recherche de cette nature au cours d'un rassemblement de deux jours organisé en novembre 1971, 90. Pour l'étude détaillée, on se reportera A V'article paru dans Le Mou- vement social. 106 organisation, ce permanent probleme suivis avec Ia C.G.T. A contrario, VYadhésion 4 la C.G.T.-F.0., réformiste et exempte de courants gauchistes, laisse aux anarchistes un monopole révolutionnaire qui leur permet de développer a loisir leurs conceptions. Ces nuances apportées, on ne peut que souligner le caractére ouyrier du mouvement anarchiste communiste des origines A nos jours, mouvement qui se distingue donc sans doute trés peu des autres courants politiques de gauche, socialiste ou communiste, en ce qui concerne la profession des adhérents ou militants. Mais ces hommes qui ne sont, comme on I’a trop souvent affirmé, ni des marginaux du lumpen-prolétariat®, ni plus que dautres, des artisans passéistes ou des intellectuels utopistes, mais des ouvriers, des employés, point tellement différents, semble-t-il, des autres membres de la famille socialiste, ces hommes seraient-ils rebelles & organisation et auraient-ils un comportement sur ce point différent des adhérents socialistes et communistes qui acceptent, & des degrés divers, les régles plus ou moins contraignantes, selon les partis et les époques, d’une organisation ? Toute réponse sera subjective et l'on devra en tenir compte. Selon Augustin Hamon T’anarchiste se caractérise en premier lieu par les traits suivants : il est un révolté, il est un passionné de liberté, il a le culte de lindividu. Si tel est bien le cas — et I’analyse me semble juste — nous sommes en présence de personnalités qui, vraisemblablement, se plicront mal a la discipline de groupe. Deux témoignages parmi d'autres confirmeront ce point de vue. Celui de R. Frémont, de tendance plateformiste, secrétaire de l'Union anarchiste dans l’entre-deux-guerres, qui a souligné, en le regrettant, I’ < esprit inorganisable » des anarchistes; en second lieu, celui du leader synthésiste Sébastien Faure qui déplorait en 1935, & l'issue d’une tournée de conférences, le manque de cohésion des groupes, la mésentente des militants qu’il attribuait moins & des raisons doctrinales qu’ des rivalités personnelles; c'est Ini qui, en juillet 1939 encore, dans une lettre A l’un de ses amis, Anderson, regrettait profondément les « chamailleries > qui affaiblissent le mouvement. J’ajouterai que le lecteur de la presse libertaire durant les cent années de son histoire, de méme que celui qui a pu prendre connaissance de correspondances de militants, ne peut quétre frappé par les désaccords tactiques, idéologiques, person- nels qui surgissent sans cesse, se développent, s’achévent sans 91. Et Bakounine a quelque responsabilité Acct égard. CE. t. 1, 2° partie, chap,.2, p. 1825 t. 1 3 pattie, chep. 1 A, p. 275; tt, 5° partie, chap. 1 16: p. 162. 92. Le Libertaire, 27 mars 1936, 93. Document personnel, 107 conclusion pour renaitre un peu plus tard. Et je crois pouvoir dire que plus la presse est de caraciére individualiste, plus les oppo- sitions se traduisent en violences inamicales ; la lecture de L’Anar- chie avant 1914, celle des manuscrits intéressant les conflits Loru- lot-Armand-V. Serge™ en apportent une preuve. Est-ce A dire que les anarchistes sont d’une autre pite que les autres socia- listes ? Non certes et s’ils ont de fortes personnalités, trés individua- listes, il convient de remarquer surtout que plus les liens organisa- tionnels deviennent laches, plus l'homme se laisse aller & ses impulsions, plus il devient inorganisable. Y a-t-il maintenant incompatibilité entre la doctrine et Vorga- nisation ? Cela revient 4 dire : Y a-t-il incompatibilité entre fédéra- lisme et organisation, puisque le fédéralisme est reconnu par toutes les écoles anarchistes comme « la seule forme d'organisation possi- ble* »? Toutes les écoles anarchistes sont également d’accord pour opposer centralisme & fédéralisme® et pour déclarer avec R. Rocker « tout centralisme dans le mouvement ouvrier [...] me- mace son existence méme™” >. Le centralisme étant le Mal, il est indispensable de définir Vorganisation fédéraliste si l'on veut répondre en connaissance de cause A la question posée. Or, suivant que Ton est synthésiste ou plateformiste, la définition varie, et varie & un point tel qu’on arrive & deux conceptions de lorganisation différentes et méme opposées. Lorganisation de type fédéraliste résulte pour Jes synthésistes de la solidarité morale pratiquée par groupes et individus auto- nomes. R, Rocker estime que le fédéralisme ainsi congu, ¢ loin [...] de s'opposer A une action unifiée, [...] est au contraire unité des forces, mais une unité issue de la conviction de chaque membre, qui s’appuie sur Paction volontaire et libre de chaque groupe par- ticulier, sur la solidarité vivante de leur communauté ™ ». Pour Ja plupart des plateformistes, au contraire, l’organisation fédérative doit comporter des obligations autres que morales. Si elle veut étre autre chose qu’ « une organisation inorganisée” +, si elle se veut efficace, elle ne peut étre que restrictive de quelques libertés. 94, Voir manuscrits et imprimés cités dans mon étude : « De Kibaltchiche & Victor Serge-Le Rétif (1909-1919) », Le Mouvement social, avril-juin 1964. 95. R, Rocker, « La Faillite du communisme d'Etat russe », Les Soviets trahis par les, bolchéviks, Spartacus, Paris, 1973, p. 89. 96. « Le fédéralisme est un mode d'organisation qui s'oppose au, centr lisme. » (M. FayouiE, Réflexions sur l'anarchisme, Paris, 1965, p. 44.) 97. R, Rocker, ¢ La Faillite... », op. cit, 98. Ibid. 99. M. Favo.te, Réflexions sur lanarchisme, op. eit, p. 21. 108 Vorganisation, ce permanent probleme Au nom de efficacité, les « plateformistes » auraient pu «ailleurs faire appel & la caution de Fernand Pelloutier qui s’expri- mait ainsi en 1895 : le secret de la force gouvernementale réside « dans la centralisation » et « si la centralisation est bonne pour Jy classe dirigeante, ne doit-elle pas I'étre pour la classe ouvriere ? et avons-nous le droit, tandis que l'Etat concentre ses moyens de défense, d’éparpiller les nétres? Sans doute nous sommes fédéra- listes ; sans doute nous ne devons cesser de revendiquer lautonomie communale, la division des pouvoirs, la diminution de l'autorité centrale ; mais ces revendications, devons-nous les appliquer & nous- mémes ? Evidemment non sous peine d’étre nos propres dupes ™ ». De nos jours, aprés les expériences vécues, notamment en Russie, les militants plateformistes se veulent trés conscients des dangers que toute centralisation peut comporter mais la situation he saurait étre ramenée au Bien représenté par la liberté absolue et au Mal représenté par organisation efficace mais contraignante, et il faut choisir, « dans l’éventail de structures qui vont du centra- lisme autoritaire au {6déralisme libertaire, celles @’une organisation libertaire qui concilie Ia liberté nécessaire de chacun avec la discipline indispensable de l'ensemble * >. Pour illustrer les deux types d’organisation fédéraliste envisagés et montrer leur totale opposition, nous disposons de deux textes traitant principalement des congrés et de leur rdle. L’un et Vautre sont dus A des militants incontestés de chacune des deux tendances. Marie Goldsmith, écrivant sur « Organisation et parti > aprés la « conquéte > en 1927 de l'Union anarchiste par les plate- formistes, s'exprimait ainsi : « Jusqu’A présent, les camarades se réunissant pour wn congrés ne devaient pas obligatoirement étre délégués par les groupes, ils pouvaient y participer individucllement. Contrairement A ce qui se fait dans les autres partis ob les délégués rapportent du congrés des résolutions auxquelles leurs mandants wont plus qu’A se soumettre, les délégués anarchistes apportent au congrés les résolutions, les opinions, les tendances de leurs groupe- ments respectifs. Le congrés peut exprimer 4 leur sujet sa fagon de voir et c’est tout. Le dénombrement des voix (si on juge utile de le faire) ne peut avoir qu’un caractére statistique : il peut Gtre intéressant de savoir combien de camarades ect appartenant A quel groupement se pronongaient dans tel ou tel sens. L'impor- tance des congrés n’en est pas moindre et leur travail n’en devient que plus séricux : au lieu de servir d’arénes pour des maneeuvres en vue de conquérir la majorité, ils peuvent s’occuper 100, Compte rendu du 4e Congrés des bourses du travail, 9-12 juin 1895, Nimes, 1896, p, 57. 101, M. FayouLe, Réflexions sur l'anarchisme, op. cit, p. 21. 109 de faire connajtre I’état du mouvement dans différentes localités, ses suceds, et ses échecs, ses différentes tendances [...]. Les résolutions me peuvent étre que des vaux, des expressions d'opinion dont les délégués doivent faire part A leurs groupes, lesquels peuvent les adopter ou les rejeter*™. » Quant 4 M. Fayolle, plateformiste, il voit l’organisation anar- chiste sous Vaspect d’un cercle. ¢ Dans ce cercle, la périphérie re- présente les adhérents, le centre, les congrés. Emanation directe des adhérents qui s'y trouvent représentés par leurs délégués, les congrés se réunissent, non pour se livrer 4 de simples confrontations, mais pour prendre toutes les décisions que commande la vie de lorga- nisation : ils sont donc souverains. Lorsque, le congrés terminé, les délégués refluent du centre vers la périphérie pour rejoindre leurs groupes respectifs, ils laissent en place, au centre, un orga- nisme dont la tache ne sera pas de décider, mais d’exécuter les décisions adoptées par le congrés, seul habilité A les prendre. Lorganisme central qui demeure en place n'est donc pas autre chose qu'un congrés miniature permanent, expression du congrés global aonuel, lui-méme expression des groupes qui constituent Yorganisation. On congoit qu’une telle organisation écarte tout danger de centralisme et d’autoritarisme. A condition, évidemment, que les congrés fassent réellement leur travail *™, » Si au cours d’un congrés se manifestent des points de vue diffé- rents, un vote dégage la majorité, La minorité, qui ¢ ne peut, en aucun cas [...], tre tenue d’appliquer les décisions prises par la ma- jorité », s'interdit par contre « de faire obstacle aux décisions prises majoritairement en congrés », tout en conservant le droit de « s’expri- mer dans toutes les instances et tous les organes du mouvement ». Une telle organisation, si elle est en outre dotée d’un programme cohérent et positif, « pourrait alors hardiment se tourner vers Favenir’™ >. ‘4 La réponse & la question posée est maintenant aisée A apporter, Il y a, nous semble-t-il, incompatibilité absolue entre l’organisation fédéraliste telle que la concoivent les synthésistes et l’organisation fédéraliste telle que la congoivent les plateformistes. Tl nest done pas étonnant qu'il y ait eu conflit insoluble sur cette question depuis des origines du mouvement, et on ne voit pas pourquoi la situation évoluerait, cela dit sans porter un quelconque jugement de valeur sur les théses en présence. Aux anarchistes de choisir entre deux types d'organisation, et vraisemblablement, deux types de société correspondant 4 deux idéologies opposées. 102. M, Gorpsmitu, « Organisation et parti », Plus loin, n° 37, avril 1928, 103. M, FayoLe, Réflexions sur lanarchisme, op. cit, p. 24-25. 104, Ibid, p, 26. 110 Annexe 1 {organisation anarchiste en France — au plan national — des origines 4 1939 CIRCONSTANCES Tae DATE ORGANISATIONS Congrés de Paris 15-17 aofit 1913 FCRA.! Premiere Guerre mondiale Congres 14-15 novembre de Paris 1920 AS Congrés + d'Orléans 12-14 juillet 1926 UAC. Congres 30 octobre - 1°° + de Paris novembre 1927 VACR. 8 janvier 1928 —— APRA! Congrés t de Paris 20-21 mai 1934 F.C.L.4<—— U.A.—— A.RA, retour de | | 8. Faure Congres a PULA. de Paris 12-13 avril 1936 F.C.L. ——> UA. retour a yUA. | Toulouse 15-16 aot 1936 ue at PAS Seconde Guerre mondiale : Fédération communiste révolutionnaire anarchiste, On trouve aussi 4 2, U.A. ; Union anarchiste; U.A.C, : Union anarchiste communiste ; UAGR.: Union anarchiste communiste révolutionnaire, Journal : Le Liber aire du 26 janvier 1920 & la Seconde Guerte mondiale, 3. A.A. : Association des fédéralistes anarchistes, née d'une, scission de PUAGR. "Journal : Le Trait d'union libertaire, 1" janvier 1928, puis La Voix libertaire du 1°* mai 1928 A la Seconde Guerre mondiale. 4, F.CL, : Fédération communiste libertaire, née d'une scission de PUA. Journal : La Clameur, gui parait depuis 1932, ouvre ses colonnes & la F.C.L. (octobre 1934, janvier’ et février 1935). EAL, : Fédération anarchiste de langue francaise, née d'une scission PULA. Journal : Terre libre, de mars 1937 & Ja Seconde Guerre mondiale (Terre libre paruissait depuis 1934). 111 Lrorganisation anarchiste en France — aw plan national — de 1945 a 1973 Lev DATE, ‘CIRCONSTANCES Assises_ et congrés Paris de 6-7 oct. et 2 déc. 1945 Le Mans AL oct. 1952 ancl Congrés de Paris 23-25 mai 1953 Congrés de Paris 25-27 déc, 1953 Dissolutil ‘oct, 1955 Groupe Leval® nov, 1955 Congrés de Bruxelles 25 nov. 1956 A.O.As fin 1957 début 1958 mai 1961 1964 1967 janvier 1968 LAC. mai 1968 1969 juin 1970 1971 1973 1, Groupés autour de L’'Unique, n° 1, juin 1945, Premiére réunion des Amis en juin 1945. Mort d’Armand 19 février 1962. 2. Sur Ja constitution de la F.A. ou F.A.F. voir p. 90. En dehors de la FA. existait le mouvement « Egalité » de Louvet, qui ne vécut pas au-dela de février 1946. Le Libertaire parut le 24 décembre 1944, Il devint Porgane de la FA. aprés sa constitution (20 octobre 1945); il devint ensuite, le 3 décembre 1953, lorgane de la F.C.L. 3. L'Entente anarchiste fit paraitre L’Entenie anarchiste, n° 1, 30 octobre 1952. 4. C'est en décembre 1953 que la F.A. se transforma en F.C.L. Journal = Le Libertaire, du 3 décembre 1953 au 14 juillet 1956, puis Le Partisan, n° 1, décembre 1957; n° 2, janvier 1958, 5. La nouvelle F.A. a pour organe Le Monde libertaire depuis octobre 1954. 6. Le groupe publie les Cahiers du socialisme libertaire (n° 1 : octobre 1955) deyenus, depuis juin 1963, les Cahiers de Phumanisme libertaire. 7, issus de la F.C.L,, réunis en congrés constitutif a Macon en novembre 1953, quelques Groupes anarchistes d'action réyolutionnaire (revue Noir et Rouge) feront retour 4 la FA. en mai 1961 et y formeront la tendance UGAC, ‘ORGANISATIONS Amis Armand? RA? RA. ———> FL.« Nouvelle F.A.? ———> GAAR’ Fin de la F.C, RA, <————_————— Fin des GAAR. Début groupe N. et R.* FA, UGA.” UEa.® MCL. FA. fin U.G.AC. Autodestruction de N. et Re LY oc. ¢ Union des groupes anarchistes communistes puis, en 1969 et depuis, Tribune anarchiste corumuniste, 8. L’Association ouvritre anarchiste_(A.0.A.) constituée avec d’anciens membres de 1Entente anarchiste public L’Anarchie dopuis janvier 1954, 9. La revue Noir et Rouge existe depuis avril 1956 mais le groupe-revue depuis mai 1961 seulement. Ul disparaitra de Ini-méme en juin 1970, 10. L'U.E.A. (Union des fédérations anarchistes) a repris en 1968 le journal Le Libertaire abandonné par la F.C.L. Le n° 10 est daté février- mars 1972, 11, Le M.C.L. (Mouvement communiste libertaire) a donné naissance & VO.C.L. aprés" un essai malheureux de fusion avec YO.RA. Lorgane du M.CL. puis de TO.CL. (Organisation communiste libertaire) est Guerre de classes. 12, Tendance au sein de Ja F.A. depuis 1967, YO.R.A. (Organisation révo- lutionnaire anarchiste) est devemue indépendante depuis juin 1970. Elle a publié L'insurgé en 1967, auquel a succédé A partir d'octobre 1970, Front libertaire des luttes de classes. Annexe 2 Les congrés anarchistes francais (plan national) DATE ex gvewrut-| VIELE | NOM DE | cours xexou] INDICATIONS LEMENT conoris | nisatron| DU CONGRES PARTICULIERES N° DU CoNGREs| Paris | F.C.R.A.| Les Temps} Seul congrés natio- 15-17 aott 1913 nouveaux et Le Libertaire nal tenu en France antérieurement a 1914. PREMIERE GUERRE MONDIALE 1° Congrés Paris UA. | Le Libertaire 14-15 nov. 28 nov. 1920 1920 2e Congrés Villeur- ” Le Libertaire 26-27 nov. banne 2 nov. et 9 déc.| 1921 3° Congrés Levallois . Le Libertaire 2-4 déc. 1922 8-15 déc, 1922 4° Congres Paris » | Le Libertaire 12-13 aoit 17-24. aotit 1923 1923 Congrés. 2 Congrés réuni pour extraord. sauver Le Liber- 24 fév. 1924 taire financitre- ment menacé; les congrés ne porte- ront plus de n°. 1-3 nov.1924 Paris vt 31 oct-2 nov. | Pantin = Le Libertaire 1925 6 nov. 1925 114 les congrés anarchistes frangais DATE. wr fventuet- | YEP | NOM DE |coMPTE RENDU| INDICATIONS LEMENT conorés} nisation | DU CONGRES PARTICULIERES W’ DU concREs (2-14 juillet | Orléans | U.AC. | Le Libertaire| adoption d'un Ma- 1926 17 juillet 1926 | nifeste. 10 octobre- Paris | UA.CR. Adoption de statuts. 1" nov. 1927 Scission : création de TARA, avec S, Faure le 8 janv. 1928. 12-15 aodt Amiens | U.A.C.R.| Le Libertaire| On renonce aux 1928 22 et 31 aofit| statuts et on en re~ 1928 vient au Manifeste @ Orléans, mais TAF.A. demeure. 19-21 avril Paris mu Le Libertaire 1930 26 avril et 4 mai 1930 17-18 oct. Toulouse Le Libertaire 1931 23 et 30 oct. 1931 14-16 juillet | Orléans ” | Le Libertaire 1933 28 juillet et 11 aoft 1933 20-21 mai Paris UA. | Le Libertaire| Constitution de fa 1934 1 juin 1934] F.C.L. 12-13 avril Paris w Le Libertaire | Les adhérents de la 1936 17-24 avril | F.C.L. _ platefor- 8 mai 1936| miste ‘ reprennent place dans PU.A., mais comme ten- dance; of. Le Li- bertaire, 15 mai 1936, 30 octobre- Paris is) Le Libertaire| Les 15-16 aoiit 1 nov. 1937 4-11 nov. 1936 s'est_ consti- 1937 tuée a Toulouse us ee DATE ET EVENTUEL~ LEMENT N° DU CONGRES| VILLE bu cONGRES NOM DE LORGA- NISATION ICOMPTE RENDU DU CONGRES INDICATIONS PARTICULIERES une F.AF, (Fédé- ration anarchiste de langue fran- gaise) qui. tiendra congré’s Aa Cler- mond-Ferrand les 14 et 15 aofit 1937, puis 4 Lyon en anit 1938. SECONDE GUERRE MONDIALE 6-7 octobre 2 déc. 1945 Paris FA. compte rendu imprimé de 28 p. sous le titre Assises du mouvement| libertaire et congrés de la Fédération anarchiste Un pré-congr’s eut Jiew & Agen les 29- 30 oct. 1944, 13-15 sept. 1946 Dijon FA. on trouve vapports et comptes ren- dus dans le bulletin inté- rieur Le Lien Cest pratiquement toute ‘l'année que rapports et comptes rendus paraissent dans les _ bulletins appelés indifférem- ment Bulletin ow Lien, identifiés par un n°, par une date ou par les deux. I est donc inutile de citer tel numéro plutét que tel autre. 9-11 nov. 1947 Angers Le Libertaire 20 nov. 1947 116 les congrés anarchistes francais DATE er évenrust- | VILEE | NOM DE |cOMPTE RENDU| INDICATIONS Re Pe a, conarés| nisatton| 2% cONGRES PARTICULIERES 11-14 nov. Lyon FA. | Le Libertaire 1948 19 et 26 nov. 27-29 mai Paris ” | Le Libertaire 1950 2 juin 1950 12-14 mai Lille 4 Le Libertaire 1951 25 mai 1951 31 mai-2 juin | Bordeaux > Le Libertaire | Fontenis fait adop- 1952 5 juin 1952 | ter par le congrés le Manifeste du communisme tiber- taire, Le if oct. 1952, constitution au Mans de Entente anarchiste en rup- ture avec la F.A. de Fontenis; fait paraitre L’Entente anarchiste, n° 1, 30 oct. 1952. 23-25 mai Paris | F.CL. | Le Libertaire| La F.C.L. a tenu 1953 28 mai 1953| plusieurs congrés, Le Lien | YO.R.A. également, juin 1953 | 'A.O.A. a partici- pé & des rencon- tres. Afin de ne pas alourdir le tableau, on le limitera aux congrés F.A, On se reportera, si besoin, au tableau < L’or- ganisation anar- chiste en France », p. 112-113. Noél Paris | FAR. Congrés de recons- 25-27 déc. titution de la F.A. 1953 décide parution du Monde libertaire ; 117 DATE er fventust-| VILLE | NOM DE |cowpre RENDU| —_ INDICATIONS LEMENT oO es | comet | DU CONGRES | PARTICULIERES N° pu concris| CONGRES | NISATION sera effective en oct, 1954 avec 481000 F, LEntente anar- chiste s*efface pour aider & Ia reconsti- tution de la FA. 28-30 mai Paris BAF. Le Monde | Pas de réel compte 1955 libertaire rendu ; simple ém juillet 1955 | mération des ta ches & venir. 19-21 mai Vichy ” Le Monde |Le 25 nov. 1956 1956 libertaire | & Bruxelles se_re- juin 1956 | constitue TA.O.A. éditorial (Alliance ouvriére anarchiste de lan- gue francaise) qui, a intervalles plus ou moins réguliers, tiendra congrés mais ce ne sont pas des congrés natio- naux, 8-10 juin ‘Nantes ” Le Monde 1957 libertaire juillet 1957 éditorial 24-26 mai Paris = Le Monde 1958 libertaire juin 1958 éditorial 16-18 mai Bordeaux, = Le Monde 1959 libertaire juin 1959 4-6 juin ‘Trélazé 2 Le Monde 1960 libertaire juillet aofit 1960 118 les congrés anarchistes francais DATE wr fventugt-| VTE | ee dn, [COMPTE RENDU] INDICATIONS LEMENT | coxgris | nisation | DY CONGRES PARTICULIBRES tv’ DU CONGRES ° 20-22 mai Mont- BAF. Le Monde 1961 Jugon Ubertaire juin 1961 9-11 juin Macon, 2 Le Monde 1962 libertaire juillet- septembre 1962 13 juin 1963 | Nantes bs Le Monde libertaire juillet 1963 1618 mai Paris D Le Monde 1964 libertaire juin 1964 5-7 juin 1965 } Toulouse 7 Le Monde | Simple mention de libertaire | la tenue du congrés juillet 1965 28-30 mai Paris e Le Monde 1966 libertaire juillet- aofit 1966 13-15 mai Bordeaux, - Le Monde 1967 libertaire juin 1967 1-3 nov, Marseille m Le Monde 1968 libertaire décembre 1968 Pentecéte Lorient i 1969 29-30 mars Limoges - Le Monde 1970 libertaire juin 1970 119 as DATE er Bvewrurt- | YOUR | KOM DP [compre RENDU sNoiearions LEMENT DU CONGRES PARTICULIERES: N° pu conoris| CONGRES | NISATION 29-31 mai Asnigres] FA. | Le Monde 1971 libertaire juillet-2odt 1971 20-22 mai | Le Havrel Le Monde 1972 libertaire juin-juillet- aoft 1972 juin 1973 Nantes : Le Monde libertaire juillet-aodt 1973 Des fédérations régionales ont existé & différentes époques et ont tema congrés. Par exemple au cours des années qui précédtrent la Premigre Guerre mondiale — voir 3* partie, chap. 6. Egalement de 1920 4 1928 environ — cf. mémoire de maitrise de Mlle Gorski, Bibliographie. Egalement enfin au lende- main de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui existent non des fédérations mais quelques unions de groupes avec, A Voccasion, des rencontres régionales tenues selon le désir des militants et leurs moyens financiers, 120 Porganisation, ce permanent probleme Annexe 3 Les congrés anarchistes et anarcho-syndicalistes internationaux L’Association internationale ¢ antiautoritaire > se voulut la véritable continuatrice de PA.LT. (Association internationale des travailleurs dite pur la suite Premitre Internationale) et, de ce fait, aprés avoir tenu Ses premifres assises & SaintImier le 15 septembre 1872, data comme suit ses congrds : on 1-6 septembre 1873 Gentve mn 7-12 septembre 1874 Bruxelles 8 26-29 octobre 1876 Berne o 6-8 septembre 1877 Verviers De 1877 & 1914, deux congrés eurent liew : 14 juillet 1881 Londres : congrés sans numéro @ordre mais qui se dit congrés de PALT. aoit 1907 Amsterdam : congrés anarchiste *, De 1920 & nos jours : a) congrés de VA.LT. reconstituée : yor s 25 déc, 1922-2 janv. 1923 Berlin 2 25 mars 1925 Amsterdam 3° 1928 Liége a” juin 1931 Madrid ic 1935 Paris o déc, 1937 Paris (congrés extraordinaire) r 1951 Toulouse 8° 1953 Puteaux Or 1956 Marseilile 10° 1958 Toulouse ny 1961 Bordeaux 12° 1963 Paris 13° 1967 Bordeaux 14a oct. 1971 Montpellier 1, Les cing premiers congrés ayant été : jer 3-8 septembre 1866 Gendve » septembre 1867 Lausanne 3s septembre 1868 Bruxelles 4 6-12 septembre 1869 Bile ot 2-7 septembre 1872 La Haye 2. Nous laissons de c6té Jes congrés socialistes internationaux de Paris (1889), Broxelles (1891), Ziirich (1893), Londres (1896), auxquels participtrent des anarchistes. 3. Précédé de conférences internationales : Berlin, 16-21 décembre 1920; Berlin, 16-18 juin 1922 (Cf A. Soucuy, « A.LT. », Encyclopédie anarchiste.) 121 b) congrés anarchistes internationaux* : 15-17 mai 1948 11 nov. 1949 6-7 juin 1954 25 juillet-1° aodt 1958 15-16 septembre 1962 1-2 mai 1964 24-29 juillet 1964 septembre 1968 1-4 aoft 1971 Paris, conférence anarchiste eu- ropéenne. Création du CR.LA. (Comité de relations internationa- les anarchistes). Compte rendu analytique dans Contre-courant, mai-juin et juillet-aoft 1959, Paris, congrés international, Pu- blication d'un Bulletin de’ jan- vier 1949 & avril 1957. Création d’une éphémére Interna- tionale communiste libertaire avec Fontenis. Londres. Un Bulletin de la C.LA. (Commission internationale anar- chiste) succéde & celui du C.R.LA. Etaient présents A Londres pour la France : la F.A. avec Fournier et Prudhommeaux, les G.A.A.R. avec Lagant et Schmak (pseudo- nyme), Genéve. Rencontre a l'occasion du 90° anniversaire des « assises > de Saint-Imier. ¥ assistaient : les fédérations bulgare, _espagnole, suisse, TA.O.A, le CLRA, des groupes italiens. Turin, Réunion internationale avec militants belges, frangais (A.0.A.), italiens, suisses, Biickenburg (Allemagne de YOuest). Conférence internatio- nale. Le secrétariat devra se mettre en rapport avec ce qui subsiste de celui de Londres. Echec, Carrare, Création de la CR.LF.A, (Commission de relations de I'In- ternationale des fédérations anar- chistes). Publication d'un Bulle. tin qui fut précédé d'un bulletin publié par la Commission prépa- ratoire (n° 1, septembre 1966). Paris. Deuxiéme congrés de PIn- ternationale des fédérations anar- chistes. 4, Les Internationales constituées ne se situent pas toujours dans la méme hgne politique, On classera notamment a part celles de 1954 et de 1964, L’increvable esprit de révolte Le titre que j'ai choisi pour clore cette histoire du mouvement anarchiste frangais, aujourd'hui centenaire, reprend, en I’adaptant Ace que je crois étre la réalité, celui de Luis Mercier Vega, L’Incre- vable Anarchisme’. Il convient de partir, me semble-t-il, de ce que chacun peut consta- (er, & savoir qu’aprés un sigcle d’existence le mouvement anarchiste francais connait une « stagnation suivie, il faut bien le dire, d'une régression? ». Les militants qui vivent le mouvement de J’intérieur comme les observateurs extérieurs mais attentifs savent que telle est la réalité, Mais il faut prouver et c’est une preuve que j'ai tenté d’apporter dang une étude de Ja presse anarchiste récemment publiée*; je la rappellerai ici, puis je présenterai une nouvelle statistique. Comment procéder en effet pour se prononcer sur l’audience du mouvement anarchiste & telle ou telle époque? Lorsqu’on veut le faire pour les mouvements socialiste et communiste on dispose par 1. Collection 10/18, 1970, 186 p. 2. Opinion formulée par M, Fayolle et déja citée, cf. t. 1, p. 103. 3. Cf J. Marron, A. Drocuer, « La Presse anarchiste ‘francaise des ori- gines & nos jours », Le Mouvement social, avril-juin 1973. Si le nombre des huméros parts chaque année présente pariois, dans mes nouvelles statistiques, quelques différences avec celui indiqué dans Le Mouvement social, cela, tient 1 ce que mes recherches omt, depuis, été reprises et complétées. 123 exemple du nombre de voix recueillics aux élections. Or,-Ies anar- chistes ne votent pas et lorsque, de loin en loin, quelqu’un d’eux se porte candidat, il convient de ne jamais oublier qu'il le fait comme candidat « abstentionniste » et que les voix recueillies par lui n'ont aucune signification en ce qui concerne Taudience anar- chiste dans la circonscription. Si l’on veut se prononcer, non plus sur les sympathies éveillées par les mouvements socialiste et communiste mais sur Je nombre d'adhérents qu’ils groupent, l'opération est plus délicate que celle qui consiste 4 dénombrer les voix recueillies dans une élection. Elle est cependant réalisable, par évaluation, grice & de multiples indices : nombre des cartes placées, des cartes et des timbres payés. Les anarchistes, eux, ont vécu sans timbres et sans cartes jusqu’a la veille de la Premiére Guerre mondiale ; postérieure- ment, et mise & part la bréve période « plateformisie > de 1927 A 1930, ils ont admis les modalités le plus variées pour Je financement du mouvement. Dans ces conditions, mesurer l'audience de celui-ci impliquait le choix d’une méthode rigoureuse. Nous avons pensé 1a trouver dans le dénombrement des numéros parus, périodique par périodique, et l'on se reportera, si besoin, & notre étude dont je me contente de dégager ici les conclusions. La presse anarchiste ne se distingue sans doute pas de la presse des autres partis ou mouvements militants; elle est une presse de propagande, de combat, et les militants anarchistes en ont Jar- gement usé pour répandre leurs conceptions. Mais — et il y a 14 un trait propre A maints anarchistes sinon a tous — la presse joue un réle privilégié dans la perspective d’un changement sociétaire, étant donné gue Ja révolution ne saurait se réaliser pleinement dans les choses que si, déja, elle s'est accomplie dans les hommes. Et Jean Grave a écrit : la besogne révolutionnaire consiste avant tout « a fourrer des idées dans Ia téte des individus * >. Enfin, et 14 est sans doute I'essentiel, la presse, depuis les origines du mouvement anarchiste et jusqu’d aujourd'hui, a, ie plus souvent, tenu lieu d’organisation, de parti. Le mouvement, quasi informel, ne se structure et n’existe pratiquement que grace A elle. Evaluer en titres et en numéros Ia presse anarchiste de ses origines A nos jours permet donc de le quantifier au cours de son évolution et de voir ce qu’il représente, Nous avons procédé & cette étude A des carrefours de Vhistoire du mouvement et avons considéré comme tels les années suivantes ; 1893. — Année qui précéde la crise répressive et la fin deg attentats ; 4, Les Temps nouveaux, 12-18 décembre 1896. 124 Pincrevable esprit de révolte 1913. — Fin d'une étape que termine la Premiére Guerre mon- dinle ; 1922, — Deux ans aprés la reparution du Libertaire et la recons lilution du mouvement ; 1924, — Année du Libertaire quotidien ; 1938. — Veille de la Seconde Guerre mondiale ; 1971. — Aujourd’hui. Il en est résulté le tableau suivant, conforme & celui publié dans Le Mouvement social @avril-juin 1973 : TOTAL NOMBRE oer nns| gM, |g MiMett | man PARUS: MADAIRES: 1893 192 16 5 2 1913 366 14 6 2 189 13 5 2 $12 16 4 1 et 1 quotidien 198 14 6 2 971 100 19 I 0 Quant & nos conclusions Ies plus générales, elles ont été au nombre de trois : Si l'on compare 1893 et 1913, et si l’on veut bien admettre que Ie hombre de numéros publiés chaque année traduit I'ampleur du mou- vement, on constate que l’anarchisme s’est développé en France et a presque doublé son rayonnement au cours des vingt années qui préctdent la Premigre Guerre mondiale. On constate en second lieu qu’en 1893, 1922 et 1938 le rayon- nement du mouvement anarchiste frangais est demeuré identique & luicméme depuis qu’en 1893 le mouvement avait atteint, peut-on estimer, sa maturité, Troisiéme et derni’re conclusion. Alors que le mouvement avait doublé son rayonnement de 1893 & 1913, ce rayonnement a diminué en 1971, de moitié par rapport A 1893, de prés des trois quarts par rapport & 1913, Constatations qui paraissent confirmées par les autres données du tableau. Si le nombre des mensuels se révéle & peu prés constant en cent ans, les variations du nombre des hebdomadaires 5, Nous faisons état du Libertaire quotidien, 4 décembre 1923-26 mars 1925, pour information, mais nous n'ayons pas cru devoir le retenir dans nos essais comparatifs. 125 (doublement en 1913 par rapport A 1893, maintien dans T’entre- deux-guerres comparativement a 1893, disparition aujourd'hui) confir- ment ce qui est dit ci-dessus, Mais voici une nouvelle statistique (p. 127). Elle résulte non plus des sondages mais exprime une série continue de cent années de pério- diques anarchistes et nous permet d’établir un graphique et un nou- veau tableau du nombre de numéros parus aux dates précédemment retenues, SEY See Nomare pe & core Nowmre DE Ter panos es Momenents [ih 8608) Pr le aeraniaeee atti) 1893 192 204 1891-1895: 204 1913 366 371 1911-1913: 333 1922 189 231° 1921-1923 : 237 1938 198 265° 1936-1938 : 254 1971 100 109 1971-1972: 107 eS 6. Plusieurs nouveaux journaux ont été pris cn compte : La Bataille syn- dicaliste, Croquis brefs, Le Syndicaliste révolutionnaire, De nouvelles recherches ont conduit A une révision du nombre de numéros de L'Espagne nouveile et a la prise en compte de La Nouvelle Espagne antifasciste, 8 Lannée 1894, année du procés des Trente et de la disparition de Ja Presse anarchiste, n'a pas été prise en considération. ‘9. Nous n’avons pas fait intervenir dans la statistique les années de guerre : 1914-1918 et 1939-1945, 10. Les années 1924-1925, années du Libertaire quotidien, n'ont pas été prises en considération, 126 (eyjanuue auuaxow) syrqnd soxgumu ap oxqmONy TLEI-O881 ‘SHSIHDEVNY SaNdIGONIgZa ZL6I OLE S96T O96T SSét OSE . OLST ECE OZ6T sET6T OL6T SO6T OO6E aS68t OBE 8st TLEL 9961 1961 9S6I IS6T 9¥61 9z6t TZ6T 6t6t TIGT 9O6T TO6T.968E T6BL 9881 RST START oF os OOF OST 00z jeles| ¥st ‘atetpaour ‘epepuom Tea ‘nrg (onpnuere me It guusfow) . ‘SOU soll BC SUEHON Si maintenant nous reprenons les trois conclusions que nous avons formulées, que constatons-nous ? 1. la _premitre est confirmée : si l'on compare 1893 et 1913, Yanarchisme a presque doublé son rayonnement ; 2. entre Ies deux guerres, le mouvement anarchiste progresse (25 % environ) par rapport 4 1893 mais il ne retrouve pas, il s’en faut, son niveau de 1913 ; 3. la troisigme conclusion est, pour l'essentiel, confirmée : nette régression du mouvement anarchiste, de moitié par rapport A 1893, de plus des deux tiers par rapport 4 1913. Et puis, négligeant les chiffres, on pourra se contenter d'un simple regard jeté sur le graphique et l’on aura une idée trés nette de la régression du mouvement depuis 1914, Il est regrettable, en ce qui concerne Ja presse, qu'on ne puisse songer A contréler nos conclusions par une étude des tirages et de la diffusion. Par contre, pour ce qui est du nombre des abonnés, des adhérents, des groupes, on peut parfois obtenir, a des moments que nous avons déja envisagés de l'histoire du mouve- ment anarchiste, des données sérieuses et susceptibles d’interpré- tation. Nous les présentons commentées et accompagnées des sources puis sous forme de tableau. Nous dégagerons ensuite nos conclusions. Les abonnés Les difficultés sont grandes pour en connaitre le nombre. Nous y avons réussi cependant, partiellement au moins, pour 1893, 1913 et aujourd’hui. Deux hebdomadaires paraissant réguligrement existent en 1893 : La Révolte de Jean Grave, Le Pére Peinard d’Emile Pouget. Un rapport de police (A.N. F7/12506) fait état de 1057 abonnés a La-Révolte, de 476 au Pére Peinard. En 1913, ce sont trois hebdomadaires nationaux qui paraissent régulitrement : Les Temps nouveaux, Le Libertaire, L’Anarchie. En outre, deux _hebdomadaires provinciaux : Germinal A Amiens et La Vrille 4 Epinal ont fait paraitre respectivement 45 et 47 numéros cette méme année. Nous savons que Les Temps nouveaux avaient 1100 abonnés environ, Le Libertaire, 470, soit, au total 1570 abonnés pour deux hebdomadaires sur cing. Si I’on ajoute que, cette méme année 1913, six autres journaux anarchistes — voir Bibliographie — firent paraitre entre 10 et 36 numéros, on peut estimer plausible le fait d’avancer le chiffre de 3000 abonnés & des journaux anarchistes en 1913, 128 Fincrevable esprit de révolie Pt aujourd'hui? Il ne nous est possible de nous prononcer que pour Le Monde libertaire, organe de la nouvelle F.A., qui succéda i) Libertaire aprés la crise de 1953. Alors que Le Libertaire était \obdomadaire, Le Monde libertaire est mensuel. On trouvera ala hole 24 du tableau ci-aprés les raisons qui me font fixer 4 650- 7) le nombre des abonnés, A jour ou non de versement, Et tes jhonnés aux autres périodiques, représentant des organisations jationales ou des mouvements de semblable nature, essenticllement Les Cahiers de G. Leval, L’Anarchie de VA.O.A., Front libertaire (ly (O.R.A. Guerre de classes de VO.C.L.? Tl mest impossible Wovancer des chiffres mais, compte tenu de la diffusion limitée de lous ces périodiques, on peut penser que fixer 1000 le total des Abonnés A Yensemble de la presse libertaire paraissant actuellement constitue une estimation sérieuse. Les adhérents On ne peut songer, vers 1893, & utiliser quelque rapport que ce soit qui prétend dénombrer les anarchistes frangais. Sur la base de quels critéres ? Tl n’y a alors ni organisation nationale ni fédéra- tion, et, dans les groupes, entre et sort qui veut sans décliner son jdentité. A la veille des deux guerres mondiales par contre, ct hujourd’hui méme, il est possible d’avancer des estimations beau- coup plus valables. Nous avons vu que les anarchistes francais tiennent leur premier congrds national en aodt 1913. Depuis juin 1911 s’étaient multipliés congrés pour Paris et la région parisienne ainsi qu’en province, inais cartes et timbres mensuels commencaient seulement a étre émis et délivrés. Aussi peut-on attribuer une certaine valeur aux chiffres avaneés par les services de police et nous retiendrons, encore quen un tel domaine les statistiques & Tunité prés inspirent toujours méfianee, celui de 2592 anarchistes frangais se décompo- sant en 2317 provinciaux et 275 Parisiens *. 3n 1938, veille de la Seconde Guerre mondiale, nous disposons de deux estimations qui se recoupent, celle de N. Faucier, ancien administrateur du Libertatre, qui accordait 3 000 adhérents 8 PU.A., colle dun rapport de police du 2 aofit 1941 4 qui avancait un chiffre Wadhérents compris, & la veille de la guerre, entre 2000 et 4000, Certes il existait & la méme époque une autre organisation anarchiste, la F.A.F., mais elle groupait peu d’adhérents et si l'on Warréte au chiffre global de 3000, on peut étre assuré de la qualité de estimation. 11. A.N. £7/13053, rapport du 3 avril 1912, 12. Arch. P.Po, rapport du 2 aot 1941, carton 50 (classement provisoire), 129 Et aujourd'hui? Compte tenu du nombre des organisations et groupes nationaux ou a prétentions telles, il convient de n’avancer des chiffres qu’avec prudence. Personne ne nous démentira cepen- dant si nous affirmons que, quantitativement, la F.A. est lorga- nisation la plus importante, qui ne groupe cependant que deux a trois cents membres. Le chiffre de six cents cotisants pour l'ensemble des organisations est certainement supérieur A la réalité. Les groupes I est certainement plus aisé d’avoir une idée relativement précise du nombre des groupes existant en France aux quatre dates choisies. Si, en 1893, il est illusoire, en l'absence de cartes d’adhésion, de prétendre dénombrer les anarchistes frangais, il n’est pas utopique par contre de penser pouvoir décompter les groupes existants, les services de police ayant intérét, en période d’attentats, 4 s’informer avec exactitude. Bref, selon cette source, le nombre des groupes se serait élevé A 50, dont 35 pour la province. En 1913, c’est la presse anarchiste qui nous renseigne sur les groupes représentés au congrés national tenu en aofit : 60, dont 36 provinciaux. I] ne fait aucun doute que certains, individualistes ou dont les finances étaient insuffisantes, ne furent pas représentés ou ne désignérent pas de délégués, et 60 représente done un mini- mum, le nombre exact devant se situer entre 60 et 70. Au congrés national de Paris, 30 octobre-1°* novembre 1937, c'est encore le nombre de groupes représentés que nous connais- sons : 74 dont 30 provinciaux. La méme remarque que ci-dessus doit étre faite, et l'on tiendra compte également de Vexistence A cette Epoque de quelques groupes de la F.A.F., organisation dissi- dente de PU.A.*. Etant donné I’émiettement actuel_du mouvement, le décompte des groupes n’a plus grand intérét. Du moins ne permet-il pas de mesurer l'importance du mouvement, qui peut étre en raison inverse du nombre de groupes si leur augmentation résulte de scissi Cela dit, voici quelques remarques préliminaires 4 toute appré tion en ce domaine : c'est un seul groupe parisien qu’anime G. Leval; P'A.O.A, est constituée moins de groupes que d'indi- vidualités, une cinquantaine au total, disséminées en toutes régions de France; PU.F.A. a tenté de fédérer, sans y_réussir, Jes quelques groupes autonomes existant en France; l’O.C.L. est plus représentée par son périodique Guerre de classes que par des groupes. 13, Voir tableau et notes, p. 131-132, 14, Voir tableau, p. 111, 130 Vincrevable esprit de révolte Restent la F.A. et PO.R.A. La F.A. indique chaque mois, dans ses annonces du Monde libertaire, les groupes qui existent en tant que tels, ceux qui sont en formation, les liaisons, etc., et c'est ainsi qu’en juin 1973 on dénombrait 39 « groupes » sur 62 cités. Par ailleurs, lorsque les animateurs de la F.A. dressent pour un congrés ou & toute autre occasion un bilan d@activité, ils ne man- quent pas de distinguer les groupes qui fonctionnent et cotisent de ceux qui n’existent que < sur le papier >, Durant les dix dernitres années, 20 A 35 groupes ont appartenu & la premiére catégoric. Quant aux groupes O.R.A., qui ne vivent d’une existence autonome que depuis quelques années, ils ne doivent pas dépasser les 15 unités, semble-t-il. On trouvera ci-apras Je tableau qui résume, aprés rappel des résultats concernant Ie nombre de numéros parus, les données ci-dessus pour ce qui est des adhérents, groupes et abonnés. Nowane DE N°" vii z PARUS: ADHERENTS: GROUPES ABONNES: ANNEES | (4971 (nombre) (nombre) (nombre) égalant 1) 1393 | 2 508 > 1500" 113 | 35 25925 > 60" | Sur 5 hebdoma- 153() | daires” paraissant régulitrement + Les Temps nou- veaur : 1100 Le Libertaire : 470" 1938 2825 | 2500-3000" p74 1971 1 FA.: 200 & 300] F.A.: 20 & |650-700 au Monde fdhérents 35. | libertaire™ autres autres: |1000(2) a fen- organisations: | 15(2)* [semble des jour- adhérents ¥ naux ? ee 15. AN. F7/13053, rapport du 3 avril 1912, Comparer, t. 1, p. 453, avec le rapport de mai 1914 (A.N. F7/13058) qui fait état de 613 adhérents. En 131 Quelles conclusions dégager de ce tableau? Dans quelle mesure les résultats obtenus confirment-ils ou infirment-ils ce que nous avions déja établi sur l'audience anarchiste au cours de cent années histoire ? Que l'on compare les données de 1971, en quelque domaine que 1912 il s'agit, plus vraisemblablement, de sympathisants, I’usage des cartes et timbres ne s‘étant pas généralisé. 16, Estimation N. Faucier, administratenr du Liberiaire de 1927 a 1929, et rapport du 2 aotit 1941, Arch. P. Po, carton 50 (classement provisoire), 17. 000 adhérents, tous groupemenis compris dont quelques centaines pour Ja BA. (cf. Bullecin’ intérieur, juillet 1960 et mai 1962; estimation G. LevaL, « La Crise permanente de Vanarchisme », Cahiers de Uhumanisme libertaire, aotit-septembre 1967; notons enfin que le tirage du Bulletin intériewr de la FA. destin€ aux adhérents est de 250 a 300 — Voir Bulletin de mai 1971). sols AN: F7/12504 et F7/12506 + 35 groupes en province et 15 dans Ia ine. 19, Nombre de groupes représentés au congrés d’aodt 1913 selon la presse anarchiste de I'époque : 60 dont 36 de province et 24 de Paris, Le nombre des, groupes exisiant était donc supérieur : 153? (A.N. F7/13058; cf t. 1, p. 453.) 20. Nombre de groupes représentés au congrés de Paris, 30 octobre- 1r* novembre 1937 : 74 dont 44 pour la région parisienne (selon Le Libertaire du 4-11 novembre 1937). Le nombre des groupes exisrant était donc supé- rieur. i. I convient de distineuer parmi les groupes ceux qui fonctionnent, coti- seit, et ceux qui n’existent que « sur le papier ». Durant les dix dernitres années (cf. notamment Bullerins de mai 1962, d’octobre 1965, d’avril 1970, de saai 1971) 142 35 groupes de la FA, ont’ appartenu & la ‘premitre caté= gorie, Qu’en est-il des groupes de l'O.R.A. ? 22. AN, F7/12506. En 1894 on comptait 1057 abonnés A La Révolie de J. Grave, 476 ubonnés au Pere Peinard dE. Pouget, les deux principaux jour- naux anarchistes de Tépoque. 23. J. Grave a donné dans Le Mouvement libertaire sous la Troisiéme République, Paris, 1930, p. 300, le montant (6599 F) des recettes provenant des abonnements aux Temps nouveaux en 1902; d'ot l'on peut inférer — le prix de l'abonnement annuel étant de 6 F — qué le nombre des abonnés était environ 1100. Comme Grave parle de stagnation jusqu’en 1914, on peut estimer que le nombre des abonnés a peu varié jusqu’é la guerre. Deux autres hebdomadaires connus existaient alors : Le Libertaire de S, Faure et L’Anarchie des individualistes, Le premier 470 abonnés en 1913 (cf. numéro du 14 février). L’Anarchie était certainement moins répandue; nous ignorons toutefois le nombre de ses abonnés. Nous ignorons également le nombre des abonnés des deux hebdomedaires provinciaux Germinal d’Amiens, La Vrille d'Epinal qui paraissaient réguli¢rement. 24. Au lendemain de Ja Libération, Le Libertaire, organe de la F.A., fut de parution & peu prés régulitrement hebdomadaire : 40 4 50 numéros annucllement. Aprés la crise de 1953, Le Monde libertaire qui lui succéda ne parut plus que mensuellement : 10 numéros par an. I compta 979 abonnés en 1958, 924 en 1959, 660 dont 390 A jour de versement en 1960 (cf. bulletin Le ‘Lien, ier mai 1961). Le bilan 1970 — cf. Le Lien, mai 1971 — avec 18448 F encaissés, donne & penser que le nombre des abonnés fut de 922, si l'on compte tous les abonnements 2 20 F, de 614, si l'on compte les abonnements, & 30 F en moyenne, te prix de l'abonnement a 12 numéros allant de 20 F 434 F (sous pli fermé), de 28 F a 38 F pour l’étranger. 132 Vincrevable esprit de révolte ce soit, A celles de 1938, 1913, ou 1893, la régression est évidente : moins dadhérents, moins de groupes, moins d’abonnés & 1a presse ‘narchiste ct cela dans de notables proportions, C’est 18 notre premiére constatation. Est-ce a dire que les résultats établis avec une rigueur scienti- fique en ce qui concerne le nombre de numéros parus en 1893, 1913, 1938, 1971, résultats considérés comme représentatifs de Vampleur du mouvement anarchiste et qui se résument dans la proportion 2; 3, 5; 2 a 2, 5; 1, est-ce 4 dire quiils se retrouvent selon les mémes proportions pour les adhérents, les groupes, les abonnements? Non ceries, car il s'agit 14 d’estimations, séricuses suns doute, mais souvent partielles. On peut dire cependant que les adhérents anarchistes sont aujourd’hui quatre 4 cinq fois moins hombreux qu'en 1938. On peut dire également que le nombre des groupes est en diminution de moitié par rapport & 1913 et 1938, hlors que, étant donné Ja multiplication des organisations, une cer- tuine progression, sans signification d’ailleurs, aurait di Gtre obser- yéc, Quant aux abonnés des périodiques anarchistes, ils ont diminué des deux tiers par rapport 4 1913, de moitié par rapport & 1893. Tout concorde en conséquence pour confirmer la régression de ‘audience du mouvement anarchiste frangais et notamment & notre époque, Pourquoi? Je ne m’étendrai pas sur les causes maintes fois évoquées ici ou 1A. Sans doute le mouvement anarchiste a-t-il été marqué par le rallie- ment de quelques-uns de ses leaders & l'umion sacrée en 1914. Remarquons aussitét quills n’ont pas été les seuls et que, par ailleurs, nombre d'autres, S. Faure notamment, ont été des « résis- tants » incontestés**, En second lieu, les anarchistes ont été per- dants avec la Révolution russe. Cette révolution, soviétique et donc libertaire & ses débuts, s’est peu 2 peu muée en une révolution socialiste de type centraliste. Le mouvement anarchiste russe en a pati, le mouvement anarchiste frangais également. En troisitme licu, la défaite de la Révolution espagnole, vaincue dans sa forme libertaire par les communistes avant de l’étre en totalité par Franco, a privé le mouvement anarchiste international de son principal bas- tion national, le mouvement anarchiste francais d'un exemple et d'un appui. Ces trois défaites ont certainement tenu place et grande place dans l’affaiblissement du mouvement, Mais certains en ont vu la ise essentielle dans l'impuissance & s’organiser et je n’y reviendrai pas, ayant consacré un chapitre & la question, On connait les théses en présence ; le choix n’est pas l’affaire des historiens mais 25. Cf. t. 1, 4* partic, chap. f : « Le Mouvement anarchiste et les guerres. » 133 des politiques, et c'est aussi l’affaire de ces derniers de se pro- noncer sur une possible inadaptation de la doctrine anarchiste A apporter réponse aux problémes de notre époque. Demeure toutefois 4 expliquer la contradiction d'importance, en apparence du moins, entre un mouvement que nous affirmons ¢tre, comme tel, en permanente régression depuis plus de cinquante années mais qui bénéficie, en tant qu'esprit, d’un prestige jamais atteint. Je dis « en apparence du moins », car tout le probléme est de savoir s'il s'agit bien en occurrence d'esprit libertaire. Depuis une dizaine d’années on qualifie aisément et volontiers tous ies mou- vements contestataires — ct ils n'ont pas manqué sur le plan étudiant comme sur le plan ouvrier — de mouvements d'esprit libertaire. Pour demeurer sur le plan frangais et nous limiter a un exemple, on a beaucoup parlé d’un Mai 68 libertaire alors que, jen ai apporté la preuve*, les organisations anarchistes ne furent pour rien dans la préparation du mouvement, qu’elles ne [ont pour ainsi dire pas vécu et qu’elles n'ont pas vu, pendant et A la suite de Mai, leurs groupes se multiplier et leurs effectifs grossir, comme c'efit été le cas si Bakounine avait inspiré ses participants et ses leaders, La confusion entre esprit libertaire et esprit de révolte, quelque parenté qu’on puisse déceler, ne date pas d'aujourd'hui. J'ai moi- méme intitulé le chapitre II de la premiére partie de ma thise — 1" et 2° éditions — « L’Esprit libertaire 4 travers les Ages > et, m’appuyant notamment sur des théoriciens comme Elisée Reclus et P. Kropotkine, accepté sans discussion qu’ils écrivent : « L’anarchie est aussi ancienne que 'humanité »; « 4 travers [histoire de notre civilisation, deux traditions, deux tendances opposées se sont trou- vées en présence, Ja tradition romaine et la tradition populaire, la tradition impériale et la tradition fédéraliste, la tradition autoritaire et la tradition libertaire *”. » Sans doute lesprit qui anime toutes les contestations modernes 26. Cf. J. Marron, ¢ La Pensée anarchiste traditionnelle et la révolte des jaunes 2, Anarchici ¢ Anarchia nel mondo contemporaneo, L. Einauth, Torino, 27. E. RecLus, Les Temps nouveaux, 18 mai 1895 ; P. Krororkise, La Science moderne et l'anarchie, Paris, 1913, p. 21. Tai & nouveau parlé c'esprit libertaire, A tort je le crois aujourd'hui, dans « La Pensée anarchiste traditionnelle et Ia révolte des jeunes >, op. cit. Voir enfin M. ReBérioux, « L’Anarchisme, ses sources ct sa résurgence », Polisique-hebdo, février 1970. 134 Vincrevable esprit de révolte présente-t-il des caractéres antiétatiques, spontanéistes, autoges- lionnaires, mais est-il pour autant libertaire ? L’esprit anarchiste est historiquement daté avec Proudhon, Bakounine et leurs successcurs. Je ne suis pas seul a le dire. Un militant libertaire qui s’est_penché sur cette question, M. Fayolle, dans un chapitre « De la révolte 4 la révolution » d'un ouvrage déja cité™* a lui aussi établi la distinc- tion entre la pensée anarchiste qui date de Proudhon et l’instinct de révolte qui n'est pas spécifique & l'anarchisme. Bref esprit de révolte, inhérent & l'homme, est de tous les temps. C'est lui, pius qu'un esprit & proprement parler libertaire, qui s‘exptime le plus souvent dans la contestation contemporaine. On peut le définir aujourd'hui, hier, demain, comme esprit de résistance A toute contrainte, matérielle ou morale; permanente manifestation de tout esprit libre, il irrite parfois mais il est Je sel de toute société, il est Ja Vie méme. Lavenir dira si lanarchisme, idéologie parmi d'autres, qui sut parfois, mieux que d'autres, traduire cet esprit de révolte, fut, de nos jours, Ja plus apte & le comprendre et & l'exprimer. 28. M. Fayoutx, Réflexions sur Tanarchisme, op. cit. Du méme, « De deux conceptions de Yanarchisme... », Bulletin intérieur do In F.A., novembre 1957. Vv La philosophie libertaire et le point de vue marxiste Le communisme anarchiste ou communisme libertaire A. Introduction Ainsi que Vindique le titre de ce travail, c'est Phistoire du mou- vement anaschiste frangais que nous nous sommes efforcés de retracer. La pensée libertaire nous est ainsi apparue de fagon chaotique iu hasard des éyénements et de I'action. Nous voudrions maintenant essayer de la préciser sous une forme cohérente. Liwuvre est difficile car — nous I'avons vu — s'il y eut des anarchistes, il n’y eut pas & proprement parler de doctrine anar- chiste, chacun se jugeant autorisé, sur tel ou tel point théorique ou tactique, A adopter une position personnelle fort différente de celle des autres compagnons. Il conviendrait donc, non pas méme Wétudier Jes différents courants — communiste, individualiste, illé- paliste, chrétien, etc. — de l’anarchisme, mais de suivre dans leur évolution les principaux théoriciens libertaires si l’on voulait se livrer & une étude minutieuse de la pensée anarchiste. Les pages qui vont suivre ont donc, en raison de leur caractére général, quelque chose d’artificiel et peuvent préter A critique. Nous pensons néanmoins qu’elles présenteront quelque intérét en {nisant connaitre Vessentiel de la pensée libertaire. 139 A partir des années 1879-18801, la plupart des compagnons se déclarent partisans du communisme anarchiste dans leguel ils voient < la synthse des deux buts poursuivis par "humanité a tra- vers les Ages : la liberté économique et la liberté politique? >. Leur lutte s'exprimera sons deux aspects, Pun négatif, autre positif, lutte contre l'autorité dans sa triple manifestation, Politique, écono- mique et morale, Tutte pour la liberté, « le dernier terme, le but supréme de tout développement humain® ». Avant @aborder cette étude, nous voudrions insister sur le ca- ractére donné par de nombreux anarchistes aux divergences qui oppostrent Bakounine & Marx, et qui n’a pas été sans marquer leur pensée dans certaines de ses conceptions. De nombreux théoriciens libertaires — et Bakounine le premier — envisagtrent I'antagonisme qui mit aux prises, au sein de la Premiére Internationale, « autoritaires > et « antiautoritaires » comme un conflit de civilisations et de races, « la contradiction, devenue déja historique, qui existe entre le communisme scientifique développé par ['école allemande et accepté en partie par ies socialistes américains et anglais, d’un cété, et le proudhonisme, large- ment dévcloppé et poussé jusqu’A ses derniéres conséquences, de Vautre, accepté par le prolétariat des pays latins + >. Un seul philosophe et historien anarchiste, Nettlau, s'éleva contre cette interprétation, donnée par Bakounine, de sa lutte contre Marx : « Les anarchistes alors [en 1871-1872] — écrit-il — étaient la Proie de certaines spéculations racistes faisant des Latins et des Slaves des anarchistes pour ainsi dire prédestinés, seuls capables. Wentendre cette conception ; et des Allemands, Anglais, Américains, Juifs et autres des races vouées 4 ’autoritarisme par une fatalité inexorable ®. » Nettlau était d'origine germanique et Yon comprend sa réaction, mais il a tort de croire que ses camarades ne penstrent ainsi qu’en 1871-1872. P. Kropotkine écrivait en effet A la fin du siécle : « Le LCF 4.1 1% partic, chap. 6 (ongrés de La Chauxde-Fonds, octobre 1879- octobre 1880 et réunion de Vevey, septembre 1880), 2. P. Kroporkine, La Conquéte du pain, op. cit, p. 38. 3M. Baxounine, @uvres, op. city t. I, p. 105. 4. BAxXOUNINE, Euvres, op. cit. t. WW, p. 252, 5.M, Nerriav, La Paix mondiale’ et les conditions de sa réalisation, La Brochure mensuelle, n° 102, juin 1931, p. 8. 140 le communisme anarchiste ou communisme libertaire conflit entre les marxistes et les bakouninistes ne fut pas seulement une affaire personnelle. Ce fut le conflit nécessaire entre les principes de fédéralisme et les principes de centralisation, entre la Commune libre et le gouvernement paternel de M'Etat [...], un conflit entre Pesprit latin et Pesprit allemand *... » Ayant fait d'un différend avant tout idéologique — les pages qui suivent le montreront — un conflit personnel, certains anar- chistes furent amenés, en raison de Yorigine juive de Marx, & faire preuve dantisémitisme dans quelques-uns de leurs écrits. Bakounine IA encore — fut le premier a s’engager dans cette voie : « Leur histoire [des Juifs], bien avant lére chrétienne, Jeur a imprimé une tendance essentiellement mercantile et bourgeoise, ce qui fait que, considérés comme nation, ils sont par excellence les exploiteurs du travail d’autrui, et ils ont une horreur et une crainte naturelles des masses populaires, qu’ils méprisent d’ailleurs, soit ostensiblement, soit en secret”. » Ft encore : « Outine, est-il besoin de le dire, est Juif de naissance, et, qui pis est, Juif russe. Il en a la figure, le tempérament, le carac- (dre, les manidres, toute la nature nerveuse & la fois insolente et liche, vaniteuse et mercantile *. > Cet antisémitisme qui n’ose pas s’avouer, puisque Bakounine se défend aussitét d’étre « Vennemi ni le détracteur des Juifs » et de tous les envelopper « dans une méme condamnation” », se retrou- vera cependant dans les écrits de certains compagnons*°. Certes nous ne voudrions pas en faire ce qu'il n’est pas, ce qu'il ne saurait 6. P. Kroporkmr, Autour dune vie, op. elt. p. 397. On peut citer encore : “Ch. Malato : ¢ Si les Allemands, systématiques & Vexc’s, offrent prise \ un communisme autoritaire, A un socialisme d’Etat, les Latins, eux, plus mobiles et plus Iégers, ont de grandes tendances vers l'anarchie. » (Philosophie de lanarchie, op. cit, p. 20.) Tandis que le marxisme, doctrine d’importation, s'adapte aux allures allemandes, Panarchisme, dans’ sa spontanéité, dans sa fougue, dans son idéal plus brillant, refléte Tesprit des modernes latins. » (Ibid., p. 23.) TCHERKESOFF, Les Temps nouveaux, 4-10 mars 1899 (Pages d'histoire soclaliste) : « Proudhon était trop Francais, trop paysan de bon sens, pour en irriver A des stupidités et des immoralités pareilles, » (A propos des lois Gnoncées par Marx et Engels.) 7. BakOunine, Euvres, op. cit, t. V, p. 243. 8. BAKOUNINE, CEuvres, op. cit, t, VI, p. 266. 9. BAKOUNINE, Euvres, op. cit, t. V, p. 243-244, 10. Drumont lantisémite fut, 2 certains moments du moins, en coquetterie avec les anarchistes. La Révolle vanta sa « droiture » (n° 22, 7-13 février 1891), Par ailleurs, il existe aux Archives départementales de Saint-Etienne (liasse 19 MS) cing lettres dE. Drumont @ Panarchiste Tennevin (mars 1891 & septembre 1892). Le ton de ces lettres est trés amical et, si l'on en croit un passage de Ia quatritme, 26 février 1892 (« ... comme vous me l'écrivez, séxi- 141 €tre, A savoir un aspect de la pensée anarchiste. Les compa- gnons, chaque fois qu’ils en eurent l'occasion, soulignérent sans ambiguité leur absence de préjugés en ce domaine ", mais nous avons simplement indiqué ce que nous estimons étre une consé- quence de la fausse interprétation donnée au conflit qui divisa la Premitre Internationale des sa fondation. B. Autorité politique Au point de vue politique, Pautorité se manifeste essentielle. ment par l'Etat que personnifie le gouvernement, ce gouvernement ou cet Etat n’étant dailleurs que « l'expression du régime écono» mique qui existe au sein de la société », Cette formule qu'un, marxiste ne renierait pas, Sébastien Faure l'exprime ainsi : ¢ De méme que 'iniquité économique se traduit en une simple expres- sion : “ la propriété individuelle ”, de méme Tiniquité politique peut se résumer en un mot ; gouvernement. » LEtat ou Ie gouvernement est donc, pour Sébastien Faure, Ja forme concréte que revét l'iniquité politique. Dailleurs tous les anarchistes sont d’accord sur Je réle de l'Etat. Parmi d’autres*, nous citerons un texte de Bakounine : « L’Etat garantit toujours ce quiil trouve : aux uns, leur richesse, aux autres, leur pauvreté ; aux uns la liberté fondée sur la propriété, aux autres Tesclavage, conséquence fatale de leur misére; et il force les misérables a tra~ vailler toujours et a se faire iuer au besoin pour augmenter et pour tisme, et capitalisme sont & peu prés la méme chose, le dernier est Ie fils du Promicr.. »), Jes sentiments antisémites de Tennevin n'étaient pas douteux. — On notera également le ton de certains articles d'E, Pouget (cf. t. 1, 3° pattie, chap. 2, p. 333). il. ¢ Nous avons bien été obligés de constater que quelques-uns des plus acharnés contre nous étaient des Juifs allemands et russes, qui semblaient se soutenir entre cux par esprit de corps — et nous avions cru devoir le dire, Mais nous n’avons jamais eu d’animosité contre aucune des races qui com. ae foumanite. » G. GuiLLaume, D'Iniernationale, op. cit, t, II, p. 157-158, note 1) Le groupe des E.S.R.I, a exposé dans une brochure Je point de vue anarchiste Sur cette question (Antisémitisme et sionisme, Paris, Editions de L’Humanité nouvelle, 1900) et pris nettement position contre Mantisémitisme, 12. KroporKine, Paroles d'un révolté, Paris, Marpon et Flammarion, p, 169, 13, 8, Faure, La Douleur universelle, op. city p. 182. 14, Cf, aussi : Baxounine, Buvres, op. cit, t. 1, p. 171, 225, 226, 227; Krororkie, Paroles d’un révolié, op. city p. 15. 142 le communisme anarchiste ou communisme libertaire sauvegarder cette richesse des riches, qui est la cause de leur mi- were et de leur esclavage. Telle est la vraie nature et la vraie mission de PEtat*, > Kropotkine, dans Paroles d’un révolié, apporte certaines préci- sions sur les rapports du citoyen et de !’Etat ; « Nous ne disons pas — écrit-i] — [...] que les droits politiques n’ont pour nous aucune valeur... Grace aux révolutions, grace au sang versé par le peuple, il [le travailleur francais] a acquis certains droits personnels, dont nous ne voulons pas amoindrir la valeur *. > Par contre, de nombreux droits « comme le suffrage universel, la liberté de la presse, etc., pour lesquels le peuple est toujours esté froid [...], ne sont qu’un instrument entre les mains des classes dominantes pour maintenir leur pouvoir sur le peuple’ ». Au fond, ces droits ne sont qu'un trompe-leeil, un mirage congu par le pouvoir pour maintenir les opprimés dans leur role d'esclaves et « liberté de la presse et de réunion, inviolabilité du domicile et de tout le reste, ne sont respectées que si le peuple n’en fait pas usage contre les classes privilégiées * >. En somme, les droits concédés, sous la pression des révoltes, par autorité politique aux opprimés ne sont considérés par les anar- chistes que comme des joujoux donnés 4 un enfant pour le calmer, mais auxquels on lui défend bien soigneusement de toucher. Le plus trompeur de ces droits est, sans conteste, le suffrage universel#®, Les anarchistes ont longuement traité ce probléme qui constitue, pour Bakounine, < le point principal et décisif qui sépare les socialistes réyolutionnaires non seulement des républi- cains radicaux, mais encore de toutes les écoles des socialistes doctrinaires et autoritaires*® ». Point crucial en effet, puisque « ce fut du reste sur cette question [les élections] que, en France, se scindérent les révolutionnaires, et que les anarchistes [...], Tépu- diant absolument le suffrage universel au congrés du Centre en 1879, s’affirmérent anarchistes*... +. Tout d’abord, position de principe : Yexercice du pouvoir cor- rompt, et tel qui y accéde en bon démocrate devient, ipso facto, un autocrate. « Si demain — dit Bakounine — on 6établissait un gou- 15. Baxounine, Euvres, op. cit., t. IIT, p. 160-161, 16, Krororkine, Paroles d'un révolié, op. city Pp. 33-34, 17. Ibid, p. 34. 18. Ibid, p. B ‘ 19. En ce qui concerne V'attitude des anarchistes au moment des élections — elle n'a pas varié — se reporter A la 2° partie, t. I, chap. 1, p. 148, note 151, 20. BaKOUNINE, CEuvres, op. cif, t. IIL, p. 169, en no' 21. J. Grave, L'dvarchie, son but, ses moyens, op. city P. 80. 143 vernement et un Conseil législatif, un parlement, exclusivement composé d’ouvriers, ces ouvriers, qui sont aujourd'hui de fermes démocrates socialistes, deviendraient aprés-demain des aristocrates déterminés, des adorateurs hardis ou timides du principe d’autorité, des oppresseurs et des exploiteurs®. > Les anarchistes auraient pu se borner 3 cette prise de position, mais ils ont voulu se livrer & une critique minutieuse du droit de suffrage et répondre ainsi aux arguments de leurs adversaires, « Voter, c'est abdiquer », dit Elisée Reclus*; en effet, dans cette aventure, quelqu’un laisse s’évanouir sa souveraineté : « Ou bien c’est l’élu qui se soumet a la volonté de Pélecteur L..], dans ce cas, il n'est plus libre et le voila A lentitre disposition du corps électoral devenu son maitre [...], ou bien [...] le Teprésentant ne se soucie que de ses propres intéréts [...] et alors ceux qui ont délégué cessent a leur tour d’étre libres. > Examinant le mécanisme des élections — méme les plus libres — les anarchistes constatent qu’un tel mode de représentation ne peut engendrer que « le régne des nullités et des médiocrités * >. En effet, quelles peuvent étre les réactions des éiecteurs? « Esclaves de leurs patrons au point de vue économique, ils sont, au point de vue politique, également des esclaves. Ils n'ont ni Vinstruction, ni Je loisir, ni Vindépendance nécessaires pour exercer librement, et avec pleine connaissance de cause, leurs droits de citoyens, » De plus, le principe du suffrage universel est 1a loi de la majorité! Or, ce seul critérium, Je nombre, « ne prouve ni Péquité, ni la raison, ni la capacité” ». Dés lors, le suffrage universel ne peut donner qu’ « une assem- blée représentant la moyenne des opinions », Bien plus, « qui décide entre le ministére et fopposition ? Ceux qu’on a nommés si justement “ les crapauds du marais ”. Ceux qui n'ont aucune opinion... Une cinquantaine d'indifférents faisant Ja loi au pays, voila A quoi se réduit, en premiére analyse, le régime parlementaire**, » 22. Baxountie, Euvres, op. eit, t. UW, p. 39. Cf. également : BaxoUNINE, Guvres, op. cit t. V, p. 329 + ¢ Ik suffita la plupart du temps A ces hommes du peuple d'entrer dans Je gouvernement pour devenir des bourgeois a leur tout, quelquefois méme plus détestables et plus dédaigneux du peuple dont ils sont sortis que Jes bourgeois de naissance eux-mémes. » 23. Lettre sur Vabstention du 26 septembre 1885, publiée en placard, puis dans Le Révolté, n° 13, 11-24 octobre. 1885. 24, S. Faure, La Douleur universelle, op. city p. 195. 25. J. Grave, La Société mourante et Vanarchie, op. cit, p. 81. 26. BaKOUNINE, Euvres, op. cit, t IV, p. 191. 27. E, Matatesta, Li Anarchie, op cit, p. 12. 28. Kroporxine, Paroles d'un Révolté, op. city p. 250. 29. Ibid, p. 206, 144 le conumunisme anarchiste ou communisme libertaire Enfin, ce suffrage universel, dont on nous dit qu'il assure la repeésentation de la totalité du pays, aboutit en fait & la délégation de pouvoirs d'une infime minorité. « Sur prés de 40 millions d'indi- yidus, 10 millions seulement sont consultés : sur 10 millions Wélecteurs, 4 millions au plus ont le représentant qui leur agrée ; sur ccs 4 millions, un bon tiers a pour députés des membres de la mminorité dont les propositions, pour peu qu’elles soient en oppo- sition avec celles de la majorité, sont impitoyablement repous- sées®*.., », et Sébastien Faure calculait qu’en ce qui concerne la Chambre élue en 1893, 2200000 électeurs avaient voté pour les députés de la majorité, soit, sur 38 843 192 habitants, 5,71 % seule- ment. En réalité, « le suffrage universel, tant quiil sera exercé dans une société o% le peuple, la masse des travailleurs, sera ECONO- MIQUEMENT doiminée par une minorité détentrice de la propriété ci du capital, quelque indépendant ou libre @ailleurs qu'il soit ou plutét qwil paraisse sous le rapport politique, ne pourra jamais produire que des élections illusoires, antidémocratiques et abso- lument opposées aux besoins, aux instincts et a la volonté réelle des popiilations* » ; il n’est que < Vexhibition a la fois la plus large et la plus raffinée du charlatanisme politique de I'Etat; un instrument dangereux, sans doute, et qui demande une grande habi- leté de la part de celui qui s’en sert, mais qui, si on suit bien s’en servir, est le moyen le plus sir de faire coopérer les masses & Pédification de leur propre prison® ». « Elaboré par la bourgeoi- sie pour tenir téte a la royauté, consacrer en méme temps et accroi- tre sa domination sur les travailleurs, le systéme parlementaire est la forme, par excellence, du régime bourgeois *. » Le suffrage universel n’est done, en derniére analyse, qu’un stra- tagéme inventé par les oppresseurs pour dériver et canaliser les révoltes des esclaves dans une voie inoffensive pour leurs privileges. Mais, qu’envisager alors? La loi des minorités, est-ce une loi plus sage? Constatons tout d’abord, répond Malatesta, que « le peuple n'est pas une units ayant des intéréts uniques >. Le mot « peuple » sert A désigner < un ensemble d’individus ayant chacun des idées, des passions et des intéréts variés, différents et méme opposés Pun a Tautre ». « De quelle fagon un gouvernement, un parlement, pourrait-il représenter et satisfaire des intéréts opposés? Comment un corps Glectoral, Iequel ne peut donner qu'une solution unique & chaque 30, S. Faure, La Douleur universelle, op. cit. p. 222. 31, Bako ic, Guvres, op. cit, t. I, p. 311, 32, BAKOUNINE, Euvres, op, cit., t. Ill, p, 168, en note. 33. KRoPoTKINE, La Conguéte du pair, op. cit, p. 214. 145 / question, pourrait-il satisfaire tous les individus qui le composent et qui sont différemment intéressés A Ia question? > « Le seul moyen de déterminer quelles sont les questions d'inté- rét_collectif et 4 quelle collectivité il appartient d’en décider, le seul moyen de détruire Jes antagonismes, de réaliser l'accord entre des intéréts opposés et de concilier Ja liberté de chacun avec la liberté de tous, est l'accord librement consenti entre ceux qui sentent Yutilité et la nécessité de cet accord [...]. Nous croyons que le seul moyen d’émancipation et de progrés est que tous aicnt la liberté et les moyens de propager et de mettre en pratique leurs idées ; c'est I'anarchie. Alors les minorités plus avancées persua- deront et remorqueront les plus arriérées par la force de Ja raison et de exemple. > Ainsi done, l'anarchie seule, c’est-d-dire le régime de liberté od chacun conclura accord selon ses besoins et en compléte indé- pendance, permettra a tout citoyen de participer directement, tota- lement et sans contrainte & la défense de ses intéréts, Avec la notion de « minorité », nous touchons A un point impor- tant de la doctrine libertaire. Nous ne pensons pas trahir la pensée des théoriciens de Panarchie en disant qu’ils jugent la masse veule et grégaire. Seule une minorité chez les opprimés a un sens aigu de l'esprit de révolte, et c’est sur cette minorité qu'il faut compter. « Les révolutions se font toujours, ne l’oublions pas, par des mino- rités [...]. C'est pourquoi une Assemblée, Teprésentant toujours /a moyenne du pays, ou plutdt restant au-dessous de la moyenne, fut de tout temps et sera toujours un frein de la révolution, mais ne deviendra jamais V’instrument de la révolution®, > Nous terminerons cette étude du suffrage universel par examen de la réponse 4 l'argument des < électoralistes > qui prétendent que ne pas voter c’est faire le jeu de la réaction. Pas du tout, répondent les libertaires. Voter & gauche ou voter a droite cela revient au méme et les députés rouge vif, rose pale ou blanc pur s’entendent comme larrons en foire pour duper leurs électeurs. Méme sincéres 4 Vorigine, ils sont vite corrompus par le milieu. L’abstention élec- torale consciente ne saurait d'ailleurs @tre assimilée 3 l'indifférence de ceux qui se désintéressent de 1a représentation populaire, Lors- que les travailleurs, en grand nombre, seront acquis aux idées liber- taires et que leur abstention électorale pourra favoriser I’élection de députés réactionnaires, leur action sur le lieu du travail et dans Jes manifestations de rues sera plus efficace qu’un bulletin de vote pour imposer une politique conforme a leurs intéréts *, 34. Errico Matatesra, Le Réveil, VI? année, n° 162, 10 mars 1906, 35. Krororkine, La Grande Révolution, 1789-1793, op. city p. 335, 46, « Lorsque le nombre des abstentions sera devent. assez’ fort pour faire 146 le communisme anarchiste ou communisme libertaire L’expression concréte de |’Etat est le gouvernement. A son tour le gouvernement s’exprime par les lois. Quelle fut leur origine ? « Toutes les lois, disons-nous, eurent une double origine, et c’est précisément ce qui les distingue des coutumes, établies par Pusage, qui représentent les principes de moralité existant dans telle société A telle époque. La loi confirme ces coutumes, elle les cris- tallise, mais en méme temps elle en profite pour introduire, généra- loment sous une forme dissimulée, quelque nouvelle institution, dans Vintérét de Ja minorité des gouvernants et des hommes armés*". » Il résulte de cela que la loi ne peut qu’étre mauvaise. D'une part elle cristallise les coutumes, ce qui va a Tencontre du progrés, d’autre part elle élabore des chaines pour les opprimés, elle fortifie Pautorité. Par exemple elle sanctifie l’autorité du ptre de famille, ou bien encore, sous prétexte de protéger le travail, elle introduit arbitrage obligatoire de ‘l'Etat, instrument des oppres- seurs. Bref, « les lois, considérées & tort comme la sauvegarde de Ja liberté, en sont au contraire les pires ennemies, puisqu’elles enchainent indéfiniment, non seulement les censés contractants, mais méme des générations a venir et que ces lois, fussent-elles au mo- ment de leur promulgation justes, merveilleuses, divines, deviennent forcément oppressives 4 une Epoque oi les hommes, Ics mezurs et les jdées auront changé, Ja mobilité incessante étant Ie propre de I’hu- manité™ ». La loi travaille donc « & immobiliser les coutumes avantageuses ’ la minorité dominatrice *® ». Mais, si la loi ne présentait que des prescriptions avantageuses aux dominateurs, elle aurait de la Ie jeu des réactionnaires, c'est que la situation sera changée et que Ie parti révolutionnaire sera assez fort pour suppléer & Taction parlementaire. > (. Grave, Réformes - Révolution, op. cit. p. 180.) ‘J, Guillaume sest dailleurs éievé dans une intervention au conerts de La Haye, septembre 1872, contre Pépithéte d’_« abstentionnistes » appliquée aux anarchistes. Cf. Bulletin de la Fédération jurassienne, n° double 17-18, 15 septembre-l"" octobre 1872 : « Guillaume déclare que ce terme, introduit par Proudhon dans le vocabulaire socialiste, prétait Péquivoque, et que ce que la minorité du congrés youlait, o’était, non Vindifférenusme politique, mais une politique spéciale, négatrice de la politique bourgecise, et que nous appelle- rons la politique du travail, La distinction entre Ja politique positive de la majo- rité et Ja politique négative de 1a minorité est du reste marquée clairoment par la définition du but que l'une et l'autre se proposent : la majorité veut la iad du pouvoir politique, la minorité veut la destruction du pouvoir politique. » 37. Kroporaine, La Science moderne et lanarchie, op. cit., p. 107. 38. Ch, Matto, Philosophie de anarchic, op. elt. p. 13, wit Sen La (pi et Fautorité, publication des Temps nouveaux, n° 65, , P. il, 147 peine & se faire accepter. Alors « le législateur confond dans un seul et méme code [...} les maximes qui représentent les. principes de moralité et de solidarité élaborés par la vie en commun et les ordres qui doivent 4 jamais consacrer linégalité ® >. On peut distinguer, d’aprés les buts qu’elles se proposent, trois catégorics de lois : — celles qui visent a la protection de la propriété ; leur but est « de maintenir cette appropriation, ce monopole, au profit de quel- ques-uns, contre I'humanité entitre » ; — celles qui visent a la protection du gouvernement ou lois constitutionnelles ; « en allumer un feu de joie » est le « seul usage que Von puisse [en] faire, car elles sont uniquement destinées a protéger les diverses. formes de gouvernement, gouvernement qui n'a lui-cméme d’autre mission que ¢ maintenir par la force les privileges des classes possédantes » ; — celles enfin qui ont pour but la protection des personnes ; celles-ci sont parfaitement inutiles et < le jour ot aucune punition ne serait infligée aux assassins, le nombre des assassinats n’aug- menterait pas d’un seul cas* >. Uy a plus grave: « Qui dit loi dit délinquant — qui dit délin- quant dit policier ou gendarme qui arréte, magistrat qui condamne, gardien de prison qui enferme et bourreau qui exécute. Tout len. semble ne fait qu’un®, > Mais les actes antisociaux ne constituent-ils pas une menace pour la vie des citoyens? Nous ne le nions pas, répondent les anarchistes, mais « les actes antisociaux sont déterminés par des 40. Ibid., p. 12. 4. Ibid, p. 19. 42. Thid., p. 20-21, 43. Ibid., p. 23. Kropotkine a développé Ie méme point de vue de facon sensiblement analogue dans Paroles d'un révolté, op. cit, p. 228, 231, 233, 238, 239. Voici par ailleurs Popinion de quelques théoriciens ‘anarchistes sur les lois en général : — Bakounine : « L'Etat et la loi qui s'exprime n’existent que pour éterniser Tesclavage $e Peuple au profit des bourgeois. » (BaKouNINE, Buvres, op. cit, 1 V, p. 329, 5.2: Faure + « Si la loi est résultante des sentiments et des idées unanimes, elle est inutile ; inutile est aussi la représentation nationale chargée de la lor, muler en textes précis; si au contraire elle n'est conforme qu’aux ides et aux sentiments d'une partie — grande ou petite, peu importe — de ceux qu'elle régil; les sentiments et les idées de tous les autres sont méconnus... > (S. FAURE, La Douleur universelle, op. city p. 200.) — J. Grave : « Chaque loi faite pour améliorer Ja situation des travailleurs comporte des désavantages qui sont loin de compenser les avantages promis. > G, Grave, Réjormes ~ Révolution, op. cil, p. 212-213.) 44. 8, Faure, La Douleur universelle, op. cit. p. 267, 148 le communisme anarchiste ou communisme libertaire causes plus fortes que les lois® », ils sont le fruit naturel de la mauvaise organisation sociale et « lorsque la propriété sera univer- salisée, commune, il n’y aura plus d’attaques a la propriété : on ne se vole pas soi-méme* » ; « lorsque les autres causes de conflits : hiérarchie, despotisme, exploitation, ignorance auront disparu, les attentats contre les personnes deviendront extrémement rares ». Les seuls criminels seront alors des malades et reléveront, en tant gue tels, plus du médecin que du juge ou du bourreau. La prison, « université du crime® », n’est pas, comme un vain peuple pense, destinée A la répression des actes antisociaux, mais bien acta répression de ces crimes qui ne sont pas considérés comme tels par le peuple et qui offensent seulement Jes priviléges des gouvernants et des propriétaires“® >. Dés lors, « plus de lois, plus de juges! la liberté, Pégalité et la pratique de la solidarité sont la seule digue efficace que nous puissions opposer aux instincts antisociables de certains d’entre nous* ». Le cercle est fermé, L’Etat, instrument d’oppression, dissimule au peuple la servitude of il le maintient en lui accordant une illusoire représentation. Mais il lui forge sans cesse de nouvelles chaines en élaborant de nouvelles lois et il entretient A grands frais des forces répressives pour briser les éventuelles révoltes des travailleurs qu'il asservit. C. Autorité économique « Tout appartient @ quelques-uns™! » Ainsi peuvent se résumer Jes yues anarchistes en ce qui concerne les manifestations de T'autoritarisme dans le domaine économique. Comme Proudhon I’avait noté déji**, comme T'ont noté égale- 45. Ch. Matato, Philosophie de Panarchie, op. clt, p. 108. 46, Ibid, p. 109, AT. Ibid, p. 109. 19f8: Kaghoraine, L’Anarchie, sa philosophic, son idéal, Paris, P.V, Stock, , B. 38, 49. E, Mataresta, L’Anarehie, op. cit., p. 48 50, Krororxine, Paroles dun’ révolté,'op. cit, p. 244. 51. S, Faure, La Douleur universelle, op. cit p. 180, 52. De Ia capacité politique.... op. cit, p. 235. < ... Encore un peu, et es classes moyennes, absorbées par la haute concur- rence ou ruinées, seront entrées dans la domesticité féodale ou rejetées dans le prolétariat. » Tl conyient d'ailleurs de signaler que les vues de Proudhon ont varié dans ce domaine et que dans les Confessions d'un révolutionnaire pat exemple il a envisagé Tuniversalisation de 1a classe moyenne, 149 ment toutes les écoles socialistes et, en particulier l’école marxiste, Véconomie capitaliste se caractérise par Ja concentration des riches- ses aux mains des possédants dont le nombre tend & se réduire de plus en plus, Les anarchistes ont, & leur tour, souligné ce phé noméne : <« On a constaté qu’A mesure que la tichesse nationale s’accroit, loin de se répandre sur un plus grand nombre de personnes, elle tend au contraire A se concentrer entre les mains de quelques. heureux, dont Ja richesse, déji excessive, augmente chaque jour, mais dont le nombre diminue presque en méme proportion. Ceci est un effet fatal de la concurrence, Les grands capitaux tuent les petits capitaux. Le grand commerce et la grande industrie étouffent le commerce et l'industrie des petites gens, et méme ceux des bour- geois & moyenne fortune, et rejettent les uns comme les autres dans Je prolétariat®. > Kropotkine, par contre, émet un jugement plus nuancé. Tout en constatant que « absorption des petites industries par les grandes entreprises est un fait indéniable », il estime qu’ « il est un autre phénoméne qui évolue parallélement au premier, et qui consiste en Ja création continue de nouvelles industries, dont les débuts sont généralement tr’s modestes™ >. Vexplication de ce double phénoméne, disparition de petites industries et création paralléle d'autres industries de médiocre importance, tient pour lui aux considérations suivantes. L’époque actuelle est caractérisée par les facilités de transport, la demande tonjours croissante et toujours plus variée, ainsi que par le bon marché de la force motrice prise en petite quantité. I en résulte que les petites industries peuvent lutter avec succés contre les grandes entreprises dans le domaine de la production, Par contre, c'est dans le domaine de la vente que le combat devient inégal, parce qu’alors « le capitaliste qui installe une grande usine s’mancipe des marchands cn gros et en détail de matidres premiéres, et surtout parce qu'il s’émancipe des revendeurs, en traitant directe- ment avec l’acheteur en gros et Yexportateur; ou bien encore il concentre dans un seul établissement les différentes phases de la fabrication d’un produit donné® », « En résumé, conclut-il, on peut considérer comme un fait fonda- mental de la vie économique de I’Europe, que Ia défaite d’un certain nombre de petits métiers et d’industries domestiques est due, non pas 4 une organisation inférieure de leur Production, mais 4 53. Baxounme, Euvres, op. city t. IV, p. 185, Ch. Malato dit de méme (Philosophie de Panarchte, op. cit, p. 68) : ¢ De plus en plus le nombre des possédants se Testreint. » 54. Knoromms, Champs, usines, atellers, op. cll p. 250, 55. Ibid. D. 313. 150 se mcanthnbaginin le communisme anarchiste ou communisme libertatre ce quis furent incapables @organiser Ia vente de leurs produits". » Bref — et sans porter de jugement’ sur le raisonnement de Kropotkine — Tessentiel pour nous est de constater que chacun, parmi les théoriciens de I'anarchie, s'accorde & reconnaitre le phénoméne de la concentration capitaliste, la seule restriction émise par Kropotkine consistant dans le fait que la disparition de certaines industries petites et moyennes s'accompagne de la création continue dindustries de méme importance. Or, ce phénomine de concentration capitaliste entraine des consé- quences qu'il convient de souligner. Au point de yue des produits et des producteurs d’abord. La concurrence bourgeoise — dit Bakounine — « tend nécessairement \ remplacer les bons produits par les produits médiocres, les tra~ yailleurs habiles par des travailleurs médiocres. Elle diminue en méme temps la quantité des produits et celle des producteurs™. » Une deuxime conséquence, non moins importante, est la division des hommes en deux grandes classes . exploités et exploiteurs. « Pappelle donc bourgeois — dit Bakounine — tout ce qui n'est point travailleur des fabriques, des ateliers ou de la terre; et peuple toute la masse des ouvriers proprement dits, aussi bien que des paysans qui cultivent soit leur terre propre, soit la terre d'autrui, de leurs bras **. > Derniére conséquence enfin de cette concentration capitaliste qui entraine inéluctablement dans les périodes de crise la prolétari- tation matérielle sinon idéologique des classes moyennes ; le grand capital va trouver chez ces petits bourgeois, refusant ’adhésion spirituelle au prolétariat alors qu’économiquement ils ont été rejetés dans son sein, une troupe de choc qu'il utilisera dans le combat contre les travailleurs révoltés. « Les boutiquicrs dans les _villes, aussi bien que les paysans dans les campagnes, constituent aujour- Whui l’'armée de la réaction. Les paysans pourront et devront tre convertis A la révolution, mais les boutiquiers jamais *. > Sans cesse accrue par le phénoméne de la concentration capita- liste, autorité, au point de vue économique, se présente ainsi sous 56. Ibid., p. 315. 57, BAKOUNINE, Euvres, op. cit., t. V, D. 346-347. 58. BaKOUNINE, Guvres, op. cil, t. IV, Pp. 286. Bakounine a traduit la méme idée sous une autre forme et opposé le izavail musculaire des ouvriers de T'usine et des champs au travail nerveux des bour- geois. (Ch. Euvres, op. cii., t. I, p. 32) 59. Bakounine, (Euvres, op. cit, t. V) P. 333. 151 une double forme : a Tusine, elle pese sur Vouvrier, aux champs, sur le paysan, Nous allons 'étudier sous ces deux aspects. A Vusine, dit Bakounine s’appuyant sur Turgot", J.-B. Say %™ et Proudhon®, Touvrier subit la loi d’airain des salaires énoncée par Lassalle. C’est « une loi économique parfaitement démontrée et acceptée comme certaine par tous les économistes consciencieux, que jamais le iaux du salaire de Vouvrier ne s*éléve beaucoup au- dessus, ni ne s'abaisse beaucoup au-dessous de ce que U'ouvrier doit journellement dépenser pour ne point mourir de faim® », Aussi Touvrier est-il le serf du capitaliste < méme avant la conclusion du marché [...], parce que cette menace terrible de la faim, qui est chaque jour suspendue sur lui et sur toute sa famille, le forcera d’accepter toutes les conditions qui lui seront imposées par les calculs lucratifs du capitaliste, du chef d’industrie, du patron® >, La situation des exploités de l'usine est donc misérable, si misé- rable que, « le plus souvent, ils sont forcés de condamner leurs pauvres petits enfants, A peine figés de huit ans, a travailler douze, quatorze, seize heures par jour pour quelques mis¢rables sous, Et ils le font non par cupidité mais par nécessité. Sans cela ils ne se raient point capables d’entretenir leurs familles® ». A la campagne, en dépit de certaines apparences trompeuses, le paysan, méme petit propriétaire, n’est plus libre. Charles Malato nous parle des ruraux, « masse enténébrée », « chair exploitable 4 merci par le hobereau, le fonctionnaire et le grand propriétaire », ¢ n’entrevoyant guére Etat que par le percep- teur et le conseil de recrutement >. Inutile d’ajouter que, dans ces conditions, le paysan « nourrit une sourde animosité contre cet Etat qui le gréve d’impositions et lui enléve ses fils” ». Kropotkine, dans La Conquéte du pain® et dans Paroles d'un révolté nous a présenté Je tableau de la paysannerie « dans les pays 60. « En tout genre de travail, il doit arriver et 1] arrive QUE LP SALATRE DE LVOUVRIER SE_BORNE A CE QUI LUI EST NECESSAIRE POUR LUI PROCURER SON EXISIENCE. » (TuRGOT, Ré/fexions sur la formation et la distribution des richesses ; cité par Baxounine, Guvres, op. cit, t. IM, p. 197.) 61. JB. Say : « Il est difficile que le prix du travail du simple mancuvre s'éléve ou s'abaisse au-dessous du taux nécessaire, pour maintenir In classe {des ouvriers} au nombre dont on a besoin, » (1B. Sav, Cours complet économie politique; cité pur BAKOUNIND, Euvres, op. cit, t. TH, p. 197-198), 62. Proudhon : ¢ La coneverence [J a pour effet nécessaire de ne donner en salaice a Pouvrier Qua Ce QUI L'eMPECHE TOUT JUSTE DE MOURIR DE PAIM, et mainticna la classe au nombre dont on a besoin. » (Proudhon, cité pat BAKOUNINE, Buvres, op. cit., t. Il, p. 198.) 63. Baxounine, Cuvres, op. city t. TV, p. 190, 64, BAKOUNINE, Guvres, op. cit, t. TH, p. 208, 65. Bakounte, Euvres, op. cit, t. V, p. 3263 écrit en mai 1871. 66. Ch. Matato, Philosophie de’Panarckié, op. ‘cit, p. 233, 67. Ibid., p. 235, 68, Krororkine, La Conquéte du pain, op. city p. 272. 152, Je communisme anarchiste ow communisme libertaire qui se flattent d’6tre civilisés, comme T’Angleterre, Allemagne, la France, et méme la Suisse ® >. Prenant comme exemple la France, iJ estime que 250 000 propriétaires, soit 1200000 personnes avec jour famille, posstdent 10 & 50 ha soit presque le quart de la surface arable de la France. A cété d’eux, prés de 4 millions de chefs de famille, soit environ 18 millions de personnes posstdent ha, 3 ha ou méme rien. ¢ L’Etat les écrase d'impéts et la commune hie les épargne pas non plus : char, cheval, batteuse, engrais, tout eat imposé [...]. Le paysan est redevenu la béte de somme de PBtat™. > Mais l'Etat n'est pas seul A Ja curée et les paysans connaissent (autres exploitations : « Les usuriers les ruinent, le billet & ordre Joy ravage ; Phypoth&que les écrase, le manufacturier de la ville les exploite, en faisant payer le moindre outil trois, quatre fois son prix de revient?. » Dans une brochure célébre, Ouvrier, prends la machine! Prends la terre, paysan! parue & Genéve en 1880, Elisée Reclus estime mdme que cette situation de petit paysan propriétaire, aussi misé- fable soit-elle, ira encore en s’aggravant. Le paysan, comme le citoyen des classes moyennes, se verra prolétarisé & la suite du développement de l'économie capitaliste. E. Reclus cite comme exemple une ferme américaine des plaines situé Ges 4 PQuest du lac Supérieur, avec ses 30 000 ha, ses 50 wagons de chemin de fer la reliant au port le plus voisin, ses 100 charrues, scs 100 semeuses, se) 100 moissonneuses, ses 20 batteuses, ses 400 chevaux... Une telle ferme géante ot l'on cultive le froment, le tréfle ct le foin, exige l'emploi de six cents ouvriers agricoles. Ces « paysans » n’ont ni femmes, ni enfants pour que rien ne vienne les distraire du travail de la terre. La récolte vendue, les voila chémeurs, dix d’entre eux seu- Joment passent I'hiver A la ferme et, au printemps suivant, ce sont Whutres travailleurs qui sont embauchés afin d'éviter « de leur donner & penser qu'une motte pourrait leur appartenir™ ». Rechus Ajoute : « Le paysan propriétaire d’un lopin de terre peut jouir de fon reste comme lartisan et le petit bourgeois. Le moment vient ot toute concurrence avec Vexploiteur méthodique du sol, servi pur les capitaux et par la machine, lui deviendra complétement impossible, et, ce jour-td, il ne lui restera plus qu’A se faire men- djant », & moins que ne sc réalise I'alliance ouvriére et paysanne pour Ia reconquéte de la propriété commune ™. 69, Keororkine, Paroles d'un révolté, op. cit, p. 151. 10, Ibid. p. 160, M1, Ibid. p. 160-161 72, EB, Rectus, Ouvrier, prends la machine ! Prends la terre, paysan! p. 6. 13. Lbid., p. 7-8. 153 Ainsi done, le capitaliste, industriel ou hobereau campagnard, est ja réplique sur le plan économique de Etat avec ses magistrats et ses policiers sur le plan politique. Les uns et les autres représen- tent la toute-puissante et malfaisante autorité. D. Autorité morale La minorité qui opprime politiquement et économiquement Ie peuple des villes et des campagnes n’est forte que de l’inconscience de ceux qu’elle domine. Aussi s'efforce-t-elle de perpétuer son régne en marquant du sceau de la servilité ceux qui doivent un jour lui étre soumis, Pour ce faire, I'école d’Etat s’empare de Venfant dés son jeune Age et Iui apprend Ie respect des hiérarchies sociales. A vingt ans, l'armée qui est « par excellence le noviciat de l’obéissance passive, l'école de la servitude aveugle » compléte cette pre- mitre éducation et ne rend A la vie civile que des étres dégradés et devenus inoffensifs *. L’école et l’armée ne sont pas, au dire des anarchistes, les deux. seules institutions qu’utilise Etat pour assurer son autorité mo- rale. L’état civil, le mariage, la famille, la religion concourent également A détruire toute personnalité chez I'individu réduit & Tétat de rouage sans danger cn vue de fins qui ne sont pas les siennes. Les anarchistes n’ont jamais pu admettre les registres d'état civil qui, d&s Ia naissance, immatriculent le nouveau-né et en font une ‘propriété de PEtat. « Briler les registres de état civil” » sera donc le premier devoir des révolutionnaires lorsque éclatera la guerre sociale, et c'est bien ce que firent Malatesta et ses compa- gnons dans la province de Bénévent en 1877”. 74. 8. Faurz, La Douleur universelle, op. elt p. 213. 75. Ces deux questions ont éé traitées plus Haut, Cf.” pour £ Uo parties chap. 3B, p. 349 et s. pour Marmés, t. 1, 3 parti . 368 et s. 16. Le Révolté, n° 18, 20 décembre 1885-2 janvier 1886, 77. Cf, t. 1, 1% partie, chap. 6, p. 75 et & Ze nom méme a pu paraitre a’ quelques anarchistes une étiquette insuppor= table : « A défaut du nom choisi par Vindividu luieméme, a sa convenance, Ie vai nom c'est le sobriquet approprié au caractére. [ul Lhomme no doit plus ctre baptisé ds sa naissance, au hasard, quand rien encore ne révéle ses penchants, nul n'a le droit de disposer ainsi de son avenir., Notre nom doit étre 'épigraphe de notre vio, nous représenter sous 154 le communisme anarchiste ou communisme libertare Le mariage qu’enregistre Etat, contribue, lui aussi, A enchainer plus étroitement l'individu. Par cette union, la femme alitne deux fois sa liberté, puisque non seulement, comme son époux, elle devient un matricule de I’état civil mais que, de plus, elle abdique tous pouvoirs aux mains de son mari, son maitre & qui elle s'engage 4 obéir en esclave fidéle. « Aux yeux de tous, aux yeux de ses propres enfants, la femme est un étré manifestement inférieur a son conjoint, cela en nos pays, plus heureux que les nombreuses contrées obi elle est esclave, équi- valent légal des pigces de bétail qu'on achéte ou qu’on vend". > Aussi les anarchistes se sont-ils déclarés les adversaires de cette forme moderne de Tesclavage que constitue pour la femme le ma- riage légal”, et se sont-ils prononcés en faveur de union libre, union sans prétre comme sans représentant de I'autorité politique ®. Si le mariage renforce les liens multiples tissés par T’autorité autour de Tindividu, la famille, issue du mariage, ne fait, 4 son tour, que les fortifier. Pour lenfant, la famille, « milieu étriqué, fermé, déprimant™ >, constitue un étouffoir. Aussi « le plus grand service qu'on pourrait rendre aux enfants, ce serait d'abolir la famille actuelle, parce que fous en sont victimes, les uns parce quiils n'ont pas de famille, les autres parce quiils en ont une™ ». A qui appartiendra l'enfant ? « L’enfant n’est pas une propriété, un produit qui puisse “‘ appar- tenir ” plus 4 ceux qui Vont procréé, comme le veulent les uns, notre aspect le plus général et Ic plus suisissant.., Notre nom doit varier sui- vant lage, le lieu, le temps et les événements, Il doit y avoir des noms d'en- fonce, de jeunesse, d’age mQr et de vieillesse, Il faut qu'on puisse en changer au- tant de fois que l’exigent la mobilité du naturel et des variations dans la maniére de vivre... » (« LEtat civil », Le Révolté, n° 18, 20 décembre 1885-2 janvier 1886.) 78. Elie Recus, Le Mariage tel qu'il est, fel qu'il fut, publications mensuelles de L'Idée libre, brochure n° 76, 1924, p. 17. 9, « Neuf fois sur dix, le maringe test, 1 proprement parler, qu'une forme apéciale et respectée de la’ prosttution >, dika S. FAURE, La Douleur untverselle, Op. Clty, p, 318. 80. Cf. allocution d'Elisée Reclus A ses deux filles et & ses gendres le jour ile leur mariage libre (annoncé par Le Révolié, n° 19, 11 novembre 1882) et reproduite par Les Arts de Ia vie, n° 19, juillet 1905. Ql, S, FAURE, Réponse aux paroles d'une croyante, op. cit, p. 21. #2. Ibid, p. 25. 155 qu’a la société, comme le prétendent les autres. La question se transforme donc en celle-ci : Qui donnera les soins a l'enfant? > Deux catégories de personnes peuvent prétendre A cette fonction. La mére d’abord, qui a « tous droits & conserver son enfant avec elle * ». Ensuite, et a défaut, < ceux et celles qui se livreront a l’édu- cation des enfants, le feront par godt, par affinité® >. Les petites familles ayant disparu, < alors naitra et se dévelop- pera, dans un irrésistible élan de fraternité et de mansuétude, I’hu- manité tout entiére qui assurera, par voie d’affinités naturelles et @impulsions sans calcul, le libre et fécond exercice de Ja loi d’attrac- tion des sexes entre eux... Alors, tous les enfants seront heureux par la famille étendue & V'humanité tout entiére définitivement rence dans Il'harmonisation des intéréts individuels et collec- tifs™ ». La religion, 4 son tour, contribue 4 détruire chez le peuple tout esprit de révolte. Aussi la plupart des anarchistes ont-ils accordé & la lutte contre I'Eglise et les religions une place de premier plan qu’E. Reclus justifie ainsi : « Historiquement, ia terreur de l’inconnu, origine de la religion, me parait avoir précédé le régime de la pro- prigté privée. Si Thomme a tant de peine A se révolter contre Vinjus- tice, c'est qu’il se sent toujours dominé par le mystére ®. > Quelle fut donc Porigine du sentiment religieux ? Bakounine intitule sa doctrine : l’antithéologisme *. Il ne voit pas dans la religion un mal absolu mais une défaillance, une erreur de humaine raison®, Lyhomme, « né comme tout animal dans la crainte de ce monde extérieur qui le produit et le nourrit, 83. J. Grave, La Société future, P.V. Stock, Bibliothéque sociologique, 2 Edition, 1895, p. 341. 84. Ibid, p. 347. 85. Ibid, p. 350. 86, S. FauRE, Réponse aux paroles d'une croyante, op. city p. 28. 87, E, Rectus, Correspondance, op. city t. Il, p, 215, letite 4 Jean Grave, Bakounine a adopté une attitude plus voisine de celle des marxistes, qui considérent « l'obscurantisme religieux » comme une résultante de l’oppression économique qui ne pourra disparaitre qu’avec elle. Il écrit en effet : l'Interna~ tionale est indulgente pour les idées conservatrices en religion, parce qu'elle compte « sur l'expérience collective qu'il [le travailleur) ne peut manquer dacquérir au sein de 1'Internationale, et surtout sur Je développement de Ia lutte collective des travailleurs contre les patrons, pour Yen délivrer 2, (Guvres, op. cit, t. V, p. 183) 88, © Nous vous demandons 1a permission de résumer toutes nos idées A ce sujet en wn scul mot, qui vous paraitra peut-dtre barbare : PANTITHEOLOGISME, » (Baxounine, Euvres, op. city t. I, p. 60.) 89. « Nous ne prétendons pas nier Ia nécessité historique de Ia religion, ri affirmer qu’elle ait été un mal absolu dans l'histoire. » Si ce fut un mal, i 156 le communisme anarchiste ou communisme libertaire il est vrai, mais qui, en méme temps, l’opprime, I’écrase et menace ie l'engloutir A toute heure, l'homme a di avoir nécessairement, pour premier objet de sa naissante réflexion, cette crainte méme™ ». La religion nait done chez l'homme de la crainte d'un monde exiéricur quill n’arrive pas A expliquer, et la premiére religion, le {ilichisme, « n'est autre chose que la religion de la peur >. Dds lors Phistoire des religions sera « celle de la grandeur et de In décadence des dieux qui se sont succédé [...], Phistoire du dévelop- pement de T'intelligence et de la conscience collective des hom- mes” >. Ft Bakounine résume ainsi lorigine et Je développement histo- rique de toutes les religions : « Voila le sens et le fondement histo- rique de toute doctrine théologique. Ne comprenant pas la nature et Jes causes matérielles de leurs propres pensées, ne se rendant méme pis compte des conditions ou lois naturelles qui leur sont spéciales, ils ho purent certainement pas soupgonner, ces premiers hommes en fociété, que leurs notions absolues n’étaient que le résultat de la {yculté de concevoir les idées abstraites. Voila pourquoi ils consi- derent ces idées, tirées de la nature, comme des objets réels devant lesquels la nature méme cessait d’étre quelque chose. Ils se prirent ensuite A adorer leurs fictions, leurs impossibles notions d’absolu, et j Jeur décerner tous les honneurs. Mais il fallait, d'une maniére quel- congue, figurer et rendre sensible Vidée abstraite du néant ou de Dieu, Dans ce but, ils enflérent la conception de la divinité et la douérent, par surcroit, de toutes les qualités et forces, bonnes et mauvaises, qu’ils rencontraient seulement dans la nature et dans la société. Telle fut Vorigine et le développement historique de toutes les religions, en commengant par le fétichisme et en finissant par le christianisme “. > Mais, trés rapidement, certains se rendirent compte du parti a tirer de cette ignorance et de cette crainte des hommes et les religions, nées de l'ignorance des foules, ont été « condensées, entre- tenues et exploitées par des charlatans “ >. fut « inévitable, comme le sont, dans le développement de toute humaine faculté les défaillances, les erreurs >, La religion, « cest le premier réveil do Thumaine raison sous la forme de In divine déraison, cest 1a premitre lueur de ’humaine vérité a travers le yoile divin da mensonge; la premitre manifestation de la morale humaine, de, la justice et du droit, 4 travers les iniquités historiques de ta grace divine ; c'est enfin, Vapprentissaze de Ja Liberté sous le joug humiljant ct pénible de la divinité », (Bakounine, Euvres, op. cit, t I, p. 133.) 90. Bakounine, Guvres, op. eit, t. 1, p. 99-100. 91. Baxounine, Cuvres, op. cit., t. II, p, 305, 92. Baxounine, Guvres, op. cit, t. 1,’p. 62. 93, Bakouxine, Eurres, op. cit, t. IV, ‘p, 269-270, 94. Ch. Matato, Philosophie de Vanarchie, op. cit, p. 37- 157 Aprés avoir ainsi donné les sources du sentiment religieux et esquissé un schéma de son développement, tes anarchistes ont essayé de définir les rapports entre VEglise et l’autorité, entre |'Eglise et Etat, Selon Bakounine, cette crainte des premiers hommes devant les mystéres qui les entouraient a provoqué Ia naissance des hiérarchies sociales et de l’autorité, « Les plus inspirés doivent étre écoutés et obéis par les moins inspirés ; et les moins inspirés par les pas du tout inspirés. Voild le principe de lautorité bien établi, et, avec lui, les deux autorités fondamentales de l'esclavage : I’Eglise et [Etat ™®, > Bakounine va plus loin et il identifie Eglise et Etat ; ¢ Pour Prouver cette identité de I'Eglise et de l’Etat, je prie bien le lecteur de vouloir constater ce fait, que l'une comme I’autre sont fondées essenticllement sur Vidée du sacrifice de la vie et du droit naturel, et qu'ils partent également du méme principe : celui de la méchanceté naturelle des hommes, qui ne peut ¢tre vaincue, selon l'Eglise, que par la grace divine et par la mort de l'homme naturel en Dieu, et, selon I’Etat, que par Ia loi et par l’immolation de Tindividu sur Pautel de PEtat. Lune et Pautre tendent a trans- former l'homme, I'un en saint, autre en un citoyen. Mais homme naturel doit mourir, car sa condamuation est unanimement prononcée Par Ja religion de I’Eglise et par celle de 'Etat ®. » En somme, & Vorigine, il y eut réunion dans une seule main du pouvoir religieux et du pouvoir politique, union du spirituel et du temporel, et c’est pourquoi on peut parler d'identité et dire que Tun des principaux attributs des dieux immortels étant d’étre des Iégislateurs de "humaine société ils furent par la méme « les fonda- teurs de I'Etat®” », LeEglise étant autoritaire ne pouvait manquer denseigner « la résignation, la patience et la soumission® >, Aussi ¢ tous les réactionnaires se liguent dans cette union reli- gieuse, qui leur offre la dernitre chance de salut, la ressource supréme de la victoire ; et dans cette ligue, les protestants et les Juifs ne sont pas les moins catholiques, les enfants les moins chérig du Souverain Pontife® >, 95. Bakounine, @uvres, op. cit, t. Il, p. 86. 96. BAXOUNINE, Guvres, op. cit, t, 1, p. 224, 97. Ibid, p. 134, 98. Bakounine, Euvres, op, cit, t. I, p. 297. 3. Elisée Rectus, L'Evolution, la révolution et Vidéal anarchique, op. elt, p. 215, 158 le communisme anarchiste ou communisme libertaire L'Eglise, toutefois, ne put conserver cette situation prééminente qui fut la sienne au cours des premiers sitcles et, « aprés avoir &é maitresse, devint la servante de Etat, un instrument de gouverne- ment entre les mains du monarque™ », Cette condition servile de I'Eglise prit naissance aprés la Réformation au xvi’ sidcle, Désor- mais les rdles étaient partagés : « L’Eglise eut pour mission de rete- nir le peuple dans un esclavage intellectuel. La mission de I'Btat fut de le retenir, demi-affamé, dans l’esclavage économique am > et Bakounine concluait : « L'Eglise et I'Etat sont mes deux bétes noires*. > Les anarchistes sont unanimes d&s lors 4 dénoncer la malfaisance de l’Eglise, de toutes les Bglises. Les uns, comme Malato qui voit dans l’Eglise un mal en soi, préconisent des moyens radicaux : « Les saints sacrements au ereuset ! Les Bons Dieux de platre au mortier! Les confessionnaux au chan- tier pour faire des fagots! Si c'est 1a étre iconoclaste, oui, les anarchistes le sont. Quant a la carcasse des églises, elle pourra servir décole ou de gtenier public™. » D’autres, comme Bakounine qui considére que influence de VEglise résulte de I’existence méme du régime oppression actuel, recommandent avant tout la lutte pour la révolution sociale : « Ce mest pas la propagande de Ja libre-pensée, mais la révolu- tion sociale seule qui pourra tuer la religion dans le peuple. La pro- pagande de la libre-pensée est certainement trés utile, elle est indis- pensable, comme un moyen excellent pour convertir les individus dé avancés ; mais elle ne fera pas bréche dans le peuple, parce que Ja religion n'est pas seulement une aberration, une déviation de la pensée, mais encore et spécialement une protestation du natu- rel vivant, puissant, des masses contre les étroitesses et les mistres de la vie réclle. Le peuple va A 'Eglise comme il va au cabaret, pour s’étourdir, pour oublier sa misére, pour se voir en imagination, pour quelques instants au moins, libre et heureux & V’égal de tous les autres. Donnez-lui une existence humaine, et il mira plus ni au cabaret, ni & P’église. Eh bien, cette existence humaine, la révolu- tion sociale devra et pourra seule la lui donner. > 100, Baxounme, Euvres, op. cit, t. V, pe 303. 101. P. Kropotxing, La Science moderne et Panarchie, op. cit, p. 123. 102, Baxounine, Euvres, op. cit, t, TH, p. 58. 103. Ch, Matato, Philosophie de Panarchie, op. cit, p. 142. 104. Bagong, Euvres, op, cit, t. V1, p. 398-399. 159 E. Méthodes d'action En retragant l'histoire du mouvement anarchiste, nous avons Gtudié les principales formes de lutte pratiquées par les compa: gnons, Nous nous bornerons donc 4 dégager les principes qui les ont déterminées et’a définir leurs caractéres généraux *, | Les anarchistes ont considéré, du moins avant la Premiére Guerre mondiale, que Vordre social basé sur Pautorité ne pouvait durer longtemps et que la révolution était imminente ?. Ils ont considéré que, le plus souvent, les réformes étaient illusoires, et notamment celles que l'ouvrier pouvait obtenir par le vote de lois sociales, la diminution du temps de travail ou I'augmentation des salaires ©". En ce qui concerne cette dernitre réforme par exemple, qu’ils s’appuient sur Proudhon ou sur Lassaile *°, les anarchistes ont estimé que Youvrier est voué A une sorte de fatalité tant que durera Je systme du salariat ", 105. Les différents moyens d'action employés par les anarchistes ont été étudiés aux chapitces suivants : = Propagande par le fait : t. I, 2° partie, chap. 5; = illégalisme + t. J, 2° partic, chap. 3 et '3* partic, chap. 5; = syndicalisme : t, I, 3° partie, chap. 13 t, H, 4* partie, chap. 3; — Gducation : t, 1, "3" partic, chap. 3° B; — coopération : 't."1, 3° partie, chap. 3 Cj = antimilitarisme + t. 1, 3° partie, chap. 3 D; t, IL, 4° partic, chap, 1; = création de milicux libres : .'I, 3° partie, chap’ 4, 106. Cf, t. I, 2" partie, chap. 2, p, 152, 107. Cf. t. I, 2* partic, chap. 2, p. 153-154; 3° partie, chap. 1 B, p. 304-305. 108. « Ce qui determine Je prix de ces detniéres [les marchandises] ce sont les salaires. » (Prounuion, De la capacité politique des classes ouvritres, op. cits P. 393.) ¢ L'augmentation des salaires et Ia réduction des henres de travail ne peuyent aboutir qu’a Venchérissement universel. » (Ibid, p. 396.) 109. Lasalle crut découvrir une loi dairain des salaires que l'on peut énoncer ainsi : le salaire ouvrier est calculé par le capitaliste pour que l'ouvrier Puisse se procurer le strict minimum nécessaire au renouvellement de ses forces en vue d'une production ultérieure, 110. « Lorsque les sociétés de consommation se sont développées pour faire diminuer d'une manigre constante, générale et sensible le prix des denrées de Dremitre nécessité, Jes salaires doivent s'abaisser... Lasalle, L'llustre socialiste révolutionnaire allemand... fondé principalement sur ce’ fait sa polémique Victoricuse. » (BAKOUNINE, Euvres, op. cit, t. VI, p. 407.) « Ce que Fouvrier arrache comme augmentation de salaires lui est raflé comme consommateur, Il Ini est méme raflé davantage, car si Taugmentation Teprésente deux ou trois centimes par objet, le commercant, en bon comptable, Taugmente d'un sou. » (J. Grave, Réjormes - Révolution, op. cit, P2739 « Le salaire est chose relativement secondaire, puisque les vivres, les véte~ ments, Jes loyers sont toujours augmentés en proportion des salaires. » (G. YVE= Tot, A. B.C. syndicaliste, op. cit, p. 8.) 160 le communisme anarchiste ou communisme libertaire Dune fagon générale, toute tentative en vue d’améliorer la condi- Jinn ouvritre se révéle < ou inefficace ou impraticable ™ » puisque | \y classe privilégiée qui détient te pouvoir fera tous ses efforts pour en empécher Papplication ou la faire tourner & son profit * ». I convient donc de se consacrer avant tout a T'cuvre révo- \\\\ionnaire, seule susceptible d’émanciper les exploités. les conceptions anarchistes de Torganisation ont été également iMierminanies pour Je choix de méthodcs d'action et nous avons vu Vhostilité des compagnons a toute organisation permanente **. Il en résulte que action menée par les anarchistes fut révolu- tionnaire et spontanée “+, individuelle et directe ™*. La société capitaliste, disait J. Grave, est < mouranie ». Un seul jele révolutionnaire doit étre capable de précipiter sa chute. Et vela explique que, selon les époques et les tempéraments, certains compagnons se soient livrés A la propagande par Ie fait ou a T'illé- julisme et que, d'une facon générale, ils aient donné 4 leurs actes un caractére de révolte totale contre l’autorité, En ce qui concerne Vuction syndicale par exemple, la gréve partielle ne fut jamais con- Guic que comme une gymnastique destinée & préparer la grove géné- fale, ¢ bataille napoléonienne qui écrase définitivement V’adver- faire"? >. Cette action révolutionnaire doit étre I’eeuvre d’individus ayant \ne claire vision du but a atteindre ou de minorités conscicntes cl agissantes que Yon oppose 4 la masse veule et grégaire. Le réle de ces minorités fut mis en valeur au congrés syndical de Bour- gos" de 1904 et E. Pouget, rendant compte des débats, s‘est exprimé en ces termes : « Disons d'abord que ces méthodes [d'action syndi- 111. J. Grave, L’Anarchie, son but, ses moyens, op. cit. p. 259. 112, J; Grave, La Société mourante et anarchie, op. cit. p. 240. 113. Cf. t. I, 2* partie, chap. 1; 3* partie, chap. 6; t. Il, 4* partie, chap. 4. 114, On retrouve cettc spontanéilé jugée indispensable dans l'action syndicale : «Ii faut aller de Vavant, se laisser porter par sa propre impulsion naturelle, ne se fier qu'd soi-méme. A trop réfiéchir, on n'entreprend jamais rien. » (V, Grireuetnes, « Les Caractéres du syndicalisme francais », Syndicalisme et socialisme, Paris, Riviere, Bibliothéque socialiste, I, 1908, Pp. 57.) 115, Sur la définition de Vaction directe, cf. t. I, 3° partie, chap, 1 B, p, 302. 116, G. Soret, Réflexions sur ia violence, Paris, Rivitre, 6° édition, 1925, p. 167. G. Sorel a parlé du mythe de 1a gréve générale. Les mythes — écrit-il — sont < des moyens d’agir sur le présent [...]. Alors méme que les révolution- naires se tromperaicnt du tout au tout en se faisant un tableau fantaisiste de la gréve générale, ce tableau pourrait avoir été, au cours de la préparation de la révolution, un élément de force de premier ordre, s'il a admis, d'une maniére parfaite, toutes les aspirations du socialisme et s'il a donné a I'en- semble des pensées révolutionnaires une précision et une raideur que n’auraient pu lui fournir d'autres manitres de penser. > (G. Soret, Réjlexions sur la violence, op. cit. p. 180.) 117. Ci. t. ¥, 3* partie, chap. 1 C, p. 313 et s. 161 caliste] ne s'inspirent pas de Iidée démocratique vulgaire. » Elles ne prétendent pas étre « expression du consentement d'une majo- rité, dégagée par le procédé du suffrage universel ». En effet < si le systéme démocratique était pratiqué dans les organisations ouvrid- res, Ie non-vouloir de Ia majorité inconsciente et non syndiquée para- lyserait toute action ». Aussi y a-t-il pour la minorité « obligation inexorable 4 agir sans tenir compte de la masse réfractaire — et ce, sous peine d’étre forcé d plier I'échine avec la méme souplesse que les inconscients ». Et Pouget conclut ; « Ainsi apparait l’énorme différence de méthode qui distingue le syndicalisme du démo- cratisme : celui-ci, par le mécanisme du suffrage universel, donne la direction aux inconscients, aux tardigrades (ou mieux, A Jeurs représentants) et étoutfe les minorités qui portent en elles l'avenir. La méthode syndicaliste, elle, donne un résultat diamétralement Opposé : il n'est pas tenu compte de la masse qui refuse de vouloir et seuls les conscients sont appelés A décider et A agir ™*, » U en fut de méme pour laction anarchiste dans tous les domai= nes. Les anarchistes ont considéré qu’il y avait développement iné- gal de la conscience révolutionnaire au sein de la masse exploitée, Aussi les changements sociaux ne peuvent-ils étre le fait que des minorités agissantes*". En avance sur la masse, elles doivent l’en- trainer dans la voie révolutionnaire ”, Les anarchistes eurent, un temps, une prédilection pour les « en dehors », pour ceux qui vivent en marge de la société, en qui ils voient les artisans de Ja révolution, Bakounine appela ainsi ¢ fleur du prolétariat », « cette grande masse, ces millions de non- civilisés, de déshérités, de misérables et d’analphabétes [...], cette chair 4 gouvernement éternelle, cette grande canaille Populaire, qui, étant A peu prés vierge de toute civilisation bourgeoise, porte en son sein, dans ses passions, dans ses instincts, dans ses aspirations, dans toutes les nécessités et les mistres de sa position collective, tous les germes du socialisme de l’avenir, et qui seule est assez puissante aujourd’hui pour inaugurer et pour faire triompher Ja 118. E. Poucsr, « Les Débats et les résolutions du congids [de Bourges] >, Le Mouvement socialiste, 1°* novembre 1904. Dans La C.G.P,, Rividre, Bibliotheque du Mouvement socialiste, 1, 1908, p. 35, Pouget traité de méme les inconscients de « zéros humains, r'ayant qué Ja valeur numérique d'un zéro ajouté & un nombre, s'il est placé A sa droite ». 119. Cf. J. Grave, Réformes - Révolution, op. cit., p, 86. 120. « Il est certain que, dans état actuel de ia société, of Ia grande majorité des hommes, écrasée par la misére et abrutie par Ia superstition, git dans, Pabjection, les ‘destinges humaines dépendent de T'action d'un nombre Telativament peu considerable d'individus. » (MALATESTA, L’Anarchie, op. cit, p. $8. 121, Nous avons eu Yoccasion d’en parler, Cf, t. 1, 2* partic, chap, 2, p. 1813 3° partie, chap. 1 A, p. 275. 162 le communisme anarchiste ou communisme libertaire févolution sociale ™ ». Et, en 1880 encore — dans un article inti- iwlé « L’Action » paru dans Le Révolté du 25 décembre — Kropot- Kine (ou Cafiero ?) a célébré « Ja révolution violente et anarchiste {.] la vraie révolution de la canaille et des va-nu-pieds ». Si Bakounine principalement doit étre considéré comme respon- unble de cette prédilection marquée des anarchistes pour I'action (los « en dehors » et pour le réle déterminant qui devait étre lo leur dans Ja révolution attendue, il convient de noter que cette prédilection n’eut qu'un temps. Les compagnons déchantérent ™ et il est relativement aisé de fixer une date : Ventrée des anarchistes duns les syndicats vers 1895 marqua un tournant décisif *™. A partir dle ces années, seules certains anarchistes individualistes persistérent, du moins jusqu’a la Premitre Guerre mondiale, A considérer les «en dehors » comme les meilleurs éléments révolutionnaires. La société future Dans la société actuelle, Ies anarchistes estiment qu’on pourrait (écelor bien des germes « libertaires ». La libre entente préside & jn formation de certains groupements : « L’union postale inter- nationale, les unions de chemin de fer, les sociétés savantes ™ > ; « lentente entre les centaines de compagnies auxquelles appartien- nent les chemins de fer de l'Europe s’est établie directement, sans intervention d'un gouvernement central faisant la loi aux diverses sociétés ; elle s’est maintenue au moyen des congrés, com- posés de délégués discutant entre cux et soumettant 4 leurs com- mettants des projets, non des lois *°. > On trouve également de trés nombreuses sociétés et entreprises ‘oll est mise en application la formule : A chacun selon ses besoins. 122. Bakounine, Euvres, op. cit., t. IV, p. 414. Bakounine ajoute en note : <« MM. Marx et Engels la désignent ordinairement par ce mot a la fois méprisant et pittoresque, lumpen-proletariat, le “ prolé- futiat déguenillé ”, les guenx, > Se reporter également au volume Michel Rakounine et, ses ‘relations avec Serge Netchaiev, 1870-1872 des Archives Bakownine présentées par Arthur Lehning (lettre du 2 juin 1870). 123, CE. Le Syndicalisme révolutionnaire. Paul Delesaile, op. cit, p. 83. En 1900, 'P. Delesalle, secrétaire général adjoint de la C.G.T., déclarait & propos dos & en dehors » : < Je souhaite sincérement que les camarades qui portent Tours efforts de ce cété y trouvent plus de satisfaction que j'en ai eu moi- méme. 2 124. Cf. t. I, 3° partie, chap. 1, p. 265 et 5 125. P. Kroroeine, La Conquéte du pain, op. cit, p. 44. (26, Ibid., p 174, I’évolution signalée par Kropotkine ne s'est pas poursuivie et aujourd'hui V'Etat intervient dans des domaines de plus en plus élendus. 163 Et les musées, les bibliothéques, les écoles gratuites, les pares, jar- dins publics, les immeubles avec distribution d'eau non contrélée pour chaque locataire sont « autant d’institutions fondées sur le principe : Prenez ce qu'il vous faut ®? >», Mais si les théoriciens anarchistes se sont plu & souligner ces tendances libertaires des sociétés autoritaires, ils ont souvent estimé quills se mettraient en contradiction avec eux-mémes, en pré- cisant comment s’édifiera la société future. Tout au plus ont-il accepté de définir les principes généraux qui présideront 4 son élax boration “, Vanarchisme étant considéré avant tout « comme une méthode " », Dailleurs, certains ont eu une conception providentialiste de la société future, I"harmonie devant résulter tout naturellement de Tabsence de contrainte : « Détruisez I'Btat et la propriété indivi- duelle — écrit Malatesta — [...] et tout ira bien : tous marcheront naturellement d'accord ; tous travailleront, parce que le travail est un besoin physiologique ; la production correspondra toujours et naturellement aux besoins de la consommation ; et il n'y aura besoin ni d'accord, ni de régles pour que [..] chacun en faisant ce qu'il veut aura fait, sans le savoir ni le vouloir, précisément ce que veulent les autres *°. > Crest 1a une des raisons pour lesquelles les anarchistes ont sou- vent négligé d'exposer ce que sera la société future, S, Faure par exemple, aprés avoir réfuté dans Réponse aux paroles d'une 127, P, Kroporkine, La Conquéte du pain, op. elt, p. 35. 128. « On ne lésifére pas l'avenir, dit Kropotkine, Tout ce que Yon peut, Crest _en deviner les tendances essentielles et leur déblayer le chemin = (P, Krororkine, La Science moderne et l'anarchie, op. cit, p. 129) « Nous ne sommes pas plus prophétes que les autres : si’ nous Prétendions: donner une solution officielle A tous les problémes qui ‘se présenieront dans la vie de Ja société future, nous entendrions abolition du gouvernement dans un sens vraiment étrange, » (MaLaTEsta, L’Anarchie, op. cit, p. 49.) 129. Maatesta, L’Anarchie, op. cit., ‘p, 51. 130. E, Matatesta, « L'Individualisme dans Vanarchisme », Le Réveil socia- liste anarchiste, Genéve, 12 mars 1904. Malatesta avait déja exptimé cette opinion en 1876 au 8 Congrds général de VALI, (Berne, 26-30 octobre) conipte rendu officiel (sans indication de lieu ni de date), op. cit., p. 98-99 ; « ... Comment s’organisera la société ? Nous ne Ie savons pas et nous ne pouvons pas le savoir, Nous aussi, sans doute fous Nous sommes occupés de projets de réorganisation sociale, mais nous ne Teur accordons qu'une importance trés relative. ls doivent étre’ nécessairement erronés, peut-étre méme completement fantastiques [...]; Par-dessus tout, nous devons détruire, détruire tous les obstacles qui sopposent aujourd'hui au bre développement ‘Wes lois sociales, et empécher que, sous mimporte quelle forme, ces obstacles ne puissent se reconstituer ou qu'll ne s'en erée de nou- yeaux, Ce sera au fonctionnement libre et fécond des lois naturelles de la sociéié & accomplir les destinges de Vhumanité. » 164 le communisme anarchiste ou communisme libertaire ‘yoyante* les arguments adverses, écrit & la 19° ligne de Ja der- lero page de cette brochure qui en compte 31: « Le reméde est (row c'est le communisme libertaire. » Dix-neuf lignes lui suffi- font ensuite pour expliquer comment le reméde guérira tous les aux. De plus, la société future ne saurait étre considérée comme une formation cryptogamique & poussée rapide apres lorage réyolution- jwire, et Kropotkine écrit : « C’est toute une période insurrection- jelle de trois, quatre, cing ans peut-étre, que nous devrons traverser pour accomplir notre révolution dans le regime de la propriété et le node de groupement de la société. Il a fallu cing ans d’insurrection en permanence, depuis 1788 jusqu’en 1793, pour abattre en France le régime féodal foncier et ’omnipotence de la royauté : il en faudra hien trois ou quatre pour abattre la fCodalité bourgeoise et Yomni- potence de la ploutocratic **, > Apres cette période insurrectionnelle que Malato, pour sa part, oilime pouvoir durer dix ou douze ans", il faudra ensuite prévoir (oux ou trois générations pour que s’instaure la véritable anar~ thie, Deux tendances trés nettes se sont toutefois manifestées lorsque les anarchistes ont voulu déterminer quelle serait orientation de Ja société au lendemain de la révolution. La premitre est celle des syndicalistes; elle refléte les senti- ments de ceux pour qui le syndicat est appelé jouer un réle de premier plan dans la reconstruction du monde sur de nouvelles bas Pouget, en collaboration avec Pataud, a écrit un roman, Com- ment nous avons fait Ia révolution®, dans lequel les organismes 131. Op. cit. 132, P, Krororkins, La Guerre ~ Les Minorités révoluttonnatres - L’Ordre, La Brochure mensuelle, n° 177, septembre 1937, p. 13-14. 133. « Au lendemain de la révolution sociale, révolution qui, avec des phases diverses, peut durer dix ou douze ans... » (MALATO, Philosophie de l'anarchie, op, cit., p. 24.) 134. "« L’anarchie qu'on peut entrevoir au bout de deux ou trois généra~ tions [aprés a révolution}. » (Ibid. p. 47.) ‘Quant a J. Grave, il pense que c'est apres un cycle de révolutions que Yon arrivera & Panarchie : « Je suis convaincu que Tétat social ne changera pas brusquement; que les révolutions qui se préparent, no seront que des étapes successives de ce que nous youlons réaliser. » (J. Gave, L’Anarckie, son but, ses moyens, op. cit. P, 127.) 135. Ce livre d’B. Pataud et E. Pouset, & Ia suite d'une erreur de Védi- teur (Yallandicr, Paris), a été intitulé Comment nous ferons la révolution. Il convient de remarquer toutefois que ce roman fut critique par certains 165 syndicaux, bourses du travail et confédération, cessant d’étre des instruments de combat, se muent en groupements de production et deviennent < le coeur et lime > du mouvement pour I'édification de la société nouvelle ™. Sébastien Faure a lui aussi vécu son réve en rédigeant son roman, Mon communisme*". Dans ce livre, il trace Pébauche dun milieu libertaire en France, quinze ans aprés la révolution. A Bordeaux — dit-il — c'est l'Union syndicale « qui, en se basant sur la pro- duction a obtenir dans chaque industrie, fixe le nombre des travail- leurs qu’exige cette production. Il appartient ensuite & chaque syn- dicat de fixer le nombre des ouvriers appelés A travailler dans chaque usine ™. > Plus loin, il fait dire & un des personnages du roman : « Toute notre organisation communiste repose sur le syst¢me £6déraliste. Elle part de la commune, passe par la région et aboutit A Ja nation, Commune, région, nation représentent trois fédérations dont les unités sont de plus en plus fortes et dont le cercle sélargit sans cesse ™, » Pierre Besnard, dans Le Monde nouveau ™®, s'est prononcé dans Je méme sens lorsqu’il écrivait sur la page de garde de son livre : « Toute l'économie aux syndicats! Toute fadministration sociale aux communes! » Dautres libertaires se sont élevés avec vigueur contre une telle conception. Dans Un monde nouveau qui ne différerait guore de Tautre, Grave s’en prend a P. Besnard; « en sa qualité de syn- dicaliste, il veut que ce soient les syndicats qui “ organisent ” toute la production, [...] ce qui nous ménerait 4 une centralisation qui ne tarderait pas 4 étre intolérable™ ». Il Ini reproche également, en cas de divergences de vues, de ne voir « d’autre solution que de se Tanger aux décisions de la majorité ou de discuter indéfiniment, ce qui ne se peut pas ™ >. Ceci nous améne & parler de la seconde tendance, hostile au syndicalisme post-révolutionnaire, disons, de la tendance Grave. Ce syndicalistes qui le jugtrent « pour Je moins inutile » et V. Griffuelhes crut Pouvoir affirmer : ¢ Il n’est pas — et Ieurs auteurs ne lont pas voulu — une Guvre constructive de révolution. » (La Vie ouvriére, n° 5, 5 décembre 1909.) 136 Pouce, ct Patavp, Comment nous avons fait la ‘révolution, op. cit., P. 102, 150, i fT. S. Faure, Mon communisme, Paris, édition de « La Fraternelle Ey 921. 140, Pierre Beswanp, Le Monde nouveau, édition de la C.G.T-S.R, 1934. 141. J, Grave, Un monde nouveau qui ne différerait guére de Pautre, Publications de Za Revolie et Temps nouveau, n° 90, décembre 1934, p. 2 id, p. 5. 166 le communisme anarchiste ou communisme libertaire théoricien, en effet, a lui aussi écrit un roman, intitulé Terre libre, Dans la préface, il nous dit pourquoi les syndicats ne suuraient @tre appelés A jouer un réle : « Quant aux syndicats, mon opinion A leur égard est que ce sont des moyens de lutte qui s'im- posent aux travailleurs dans la société actuelle, mais qui disparai- ivont avec elle. Je ne vois pas la société divisée par corporations. Je he crois pas aux groupements s’occupant exclusivement de produc- tion, Selon moi, ce sont les besoins de la consommation qui promou- vront les indiyidus et les feront se grouper en vue de se procurer ce dont ils auront besoin, soit en fabriquant eux-mémes, soit par un (change de services débarrassés de toute espéce de mesure de valeur, Echange de services et non de marchandises “4, » Pour éviter le probléme syndical, c'est sur une fle déserte que Grave a fait accoster ses pionniers de 1a société libertaire qui s’or- gunisent en partant simplement du principe de libre entente en vue Wun objectif défini et par échange de services. En dépit de ces divergences de vues, il est possible de se repré- senter comme suit la structure de la société libertaire. Premi&res mesures : < I] faut qu'elle [la révolution] apporte des réalisations immédiates et des soulagements aux meurt-de-faim, qu’ils s’emparent de tout ce dont ils auront besoin “*. > Pour cela, le premier acte des anarchistes « sera de faire main basse sur la richesse sociale, d’appeler Jes déshérités 4 s’emparer des magasins, de T'outillage, du sol; de s’installer dans les locaux salubres en détruisant les trous of on les force a pourrir aujour- Whui; les révoltés devront détruire les paperasses qui assurent le fonctionnement de la propriété : études d’huissiers, de notaires, cadastres, enregistrement, état civil devront étre visités et « net- toyés ™ >, Comme Grave, Kropotkine assigne comme premiére tfiche aux anarchistes de « prendre possession, au nom du peuple révolté, des dépéts de blé, des magasins qui regorgent de vétements, des maisons habitables “’... >». Tl donne leurs quelques exemples pratiques de ce qu'il faudra faire. Les compagnons diront aux malheureux : « Venez ce soir a 143, Terre libre, Paris, Aux Temps nouveaux, 1908. 144. J. Grave, Terre libre, op. cit, p. 19-20. 145, J. Grave, Z’Anarchie, son but, ses moyens, op, cit, p. 44, 146. J. Grave, La Société’ mourante et Vanarchie, op. cit. p. 25. 147. P, KROPOTKINE, La Conquéte du pain, op cit., p. 27. 167 tel endroit. Tout le quartier y sera, on se répartira Jes apparte- ments“, > Pour Jes vétements, i] en sera de méme : « La seule solution possible sera encore de s’emparer, au nom du peuple, de tous les magasins d'habits ct d’en ouvrir les portes & tous, afin que chacun puisse y prendre ce dont il a besoin. » Ce sera la mise en application immédiate de la formule : « A chacun selon ses besoins. > Aprés ces satisfactions accordées aux besoins populaires, le pre- mier probléme 4 résoudre sera d’organiser économie. Les anar- chistes considérent en effet que le régime idéal étant celui od régnera la plus grande liberté possible, les travailleurs doivent concentrer « avant tout leurs efforts sur cette grande question de leur émancipation économique, qui doit tre la mére de toutes leurs émancipations ™ », Pour ce faire, l'expropriation est indispensable. « L’expropria- tion voila donc le mot d’ordre qui s'impose 4 Ja prochaine révolu- tion, sous peine de manquer A sa mission historique. L’expropria- tion compléte de tous ceux qui ont le moyen d’exploiter des étres humains. Le retour 4 la communauté de la nation de tout ce qui peut servir entre les mains de n’importe qui 4 exploiter les autres **. > Méthodes violentes par conséquent, mais employées uniquement contre ceux qui exploitent autrui. En aucun cas on ne touchera « au lopin de terre [du paysan] ni & la bicoque [du manouvrier] ™ >, la force persuasive de I’exemple devant suffire un jour A convaincre les travailleurs d’adhérer librement 4 V’exploitation en commun de la terre ou de lusine. Comment s’organisera ensuite le travail collectif? Partisans de la liberté, les anarchistes comptent sur Ia spontanéité des individus. Fidéle & la pensée proudhonienne ™*, Bakounine écrit : « Je pense que l’égalité doit s’établir dans le monde par J’organisation sponta- née du travail et de la propriété collective des associations produc- tives librement organisées et fédéralisées dans les communes [...J, mais non par l’action supréme et tutélaire de Etat ™, > 148, Ibid, p. 105 149. Ibid", p, 113. 150. BaxOUNiNE, @uvres, op. city t. V, p. 168. Kropotkine a Gorit de’ son c6té ': & Nous savons fort bien qu'il est futile de parler do liberté tant que l'esclavage économique existe. » (L’Anarchie, $a Philosophie, son idéal, op. city P. 19.) 151. Kroporxixe, Paroles d'un’ révolté, op. cit, p. 319. 152. P. Krororkine, Paroles d'un révolié, op. cit. p. 339. , 153. « Lorganisation du travail ne doit ‘pas ‘partir du pouvoir; elle doit &tre spontanée. » (PROUDHON, Mélanges, op. cit., t. 1; Le Représentant du peuple, n° 34,5 mai 1848,) 154, BaKOUNINE, Euvres, ‘op. cit. t. IV, p. 250. 168 Je communisme anarchiste o« communisme lbertaire Un courant d’échanges va s'établir entre villes et campagnes. Les travailleurs des villes prendront les devants en fournissant aux paysans tous les produits qui leur font défaut, car « ce qu'il faut au paysan ce n’est pas du papier, mais la marchandise dont il a besoin immédiatement ** ». En retour, « le paysan gardera ce qu'il lui faut pour vivre, mais il enverra le reste aux travailleurs des villes, dans lesquels — pour la premiere fois dans le cours de (histoire — il verta des frores et non des exploiteurs*** ». Des difficultés toutefois ne manqueront pas de surgir. Les rap- ports avec P’étranger seront difficiles, les paysans vont moins tra- vailler... bref, « le plus sage [...] serait de tabler sur une diminution des apports, aussi bien de l'intérieur que de Vétranger "1 > Pour y remédier, « il faut que les grandes villes cultivent la terre, aussi bien que le font les campagnes... La terre? Elle ne manque pas. C'est surtout autour des grandes villes — de Paris surtout — que se groupent les parcs et pelouses des seigneurs, ces millions d’hee- {ares qui n’attendent que le labeur intelligent du cultivateur**... > et il suffira chaque année aux Parisiens de « vingt-cing journées de cing heures — simple ‘affaire de s'amuser un peu dans les champs — pour avoir ces trois produits principaux : pain, viande, lait mes. Pour certains anarchistes, comme le docteur Pierrot, qui publiera, octobre A décembre 1912, une série d’articles sur la société future dans Les Temps nouveaux, « Vadministration de la production est tout a fait inutile ». Elle exigerait en effet une administration centrale qui exercerait sur les hommes un contréle plus total que celui de ladministration politique dont nous souffrons déjA. L’en- tente pour la production sera organisée tout naturellement par les groupes producteurs eux-mémes, « sans intervention dune admi- nistration préétablie ** », et le docteur Pierrot croit seulement devoir ter sur le probléme de Ia proportion des entreprises. Il existe — pense-til — un point optimum pour Ie rendement de la produc- tion. Trop petite, une entreprise est grevée par les frais généraux, trop grande, elle est de plus en plus la proie du gaspillage et, méme si en valeur absolue les bénéfices augmentent, ils diminuent néanmoins relativement 4 Vimportance des transactions effectuées. « Le maximum du rendement est obtenu en s’approchant du point 155. P, Krororkine, La Conquéte du pain, op cit, p. 90 156. Ibid., p. 91 157. Ibid., p. 94. 158. Ibid., p, 95. 159. Ibid., p. 279 160. Les Temps nouveaux, n° 25, 19 octobre 1912. 161. Ibid, 169 od Ia centralisation commence“. » H vaudra donc toujours mieux scinder Tentreprise au moment od son extension nécessiterait la création d’une administration. En ce qui concerne la répartition des produits, le principe général sera le suivant : « Prise au tas de ce qu’on posséde en abondance! rationnement de ce qui doit étre mesuré, partagé**! > Sur Ja question de I’héritage, les anarchistes s’écartent de Prou- dhon*, + Tant que V’héritage existera, note Bakounine, il y aura inégalité économique héréditaire, non Yinégalité naturelle des in- dividus, mais linégalité artificielle des classes [...], source et [...] consécration de toutes les inégalités politiques et sociales“. > La question, souvent débattue, de la distinction entre travail ma- nuel et intellectuel, trouvera sa solution dans la société future. « Jusqu'ici — dit Kropotkine — l'économie politique a surtout insisté sur la division. Nous, nous réclamons l'intégration, et nous soutenons que Vidéal de la société — c’est-A-dire le but prochain vers lequel la société est déja en marche — est une société de travail intégré, une société of chaque individu est producteur & la fois de travail manuel et de travail intellectuel ™*. » Ainsi, expropriation des capitalistes, production collective dans Vagriculture et dans l'industrie, consommation selon les besoins résument assez fid&lement l'idéal anarchiste dans le domaine éco- nomique. Depuis Ja publication, en 1934, du Monde nouveau de P. Besnard, plusieurs expériences en pays étranger, et notamment les essais réalisés de 1936 4 1939 en Espagne libertaire, ont conduit certains compagnons 4 douter du caractére spontané de lharmonie devant se réaliser au lendemain d’une révolution. La réflexion n'est cepen- dant pas allée trés loin et, en ce qui concerne la France, on s’est jusqu’ici contenté d’évoquer par exemple une possible égalité économique par suppression totale des différences de salaires et de conditions de travail & la suite d'une gréve générale gestion- naire’. Quant aux pratiques d’autogestion, elles sont revendiquées par trop de familles, sans d’ailleurs que le contenu en soit bien défini, pour que lanarchisme puisse scul s’en réclamer. 162. Les Temps nouveaux, n° 26, 26 ctobre 1912, 163. P, Kroporxine, La Conquéte du pain, op. cit., p. 79. 164, « Sans Vhérédité, Ia prc ié nest qu'un mot. » (Systéme des contra- dictions économiques, Paris, Rit » 1923, 1 IL, p. 199. 165. Bakounins, Guvres, t. I, op. cit, p. 56-57, 166. P. Krororkine, Champs, usines, ateliers, op, city p. 7. 167. T. Hl, cf. 4 partic, chap. 3 C, p. 76. 170 le communisme anarchiste ou communisme libertaire D'autres compagnons™ voulant énumérer ¢ les principaux aé ments d'une économie et d'une société libertaires > ont notamment estimé que Pégalisation des revenus devrait se réaliser par aceroisse- ment constant, aux dépens de la rémunération du travail propre- ment dite, de la part du revenu social redistribué : allocations, sécurité sociale, pensions, et cela « conjointement a la multipli- cation des services collectifs gratuits >. G. Leval est sans doute celui qui, avec Je plus de constance ™, a dénoncé la paresseuse théorie de Ia spontanéité et souligné T'ur- gente nécessité de prendre en considération dans une société liber- taire les problémes de la production et de la distribution d’aprés les besoins de la consommation, Mis & part ces modestes apports, le mouvement anarchiste contemporain, divisé en chapelles concurrentes et instables, n’a pas jusquiici présenté de vues élaborées et cohérentes renouvelant, en ce domaine, la pensée des théoriciens d’hicr. Sur le plan politique on — mieux peut-étre — administratif, Vorganisation de la société se fera sur le modéle indiqué clairement et en quelques lignes, par Bakounine. « La future organisation sociale doit étre faite seulement de bas en haut, par la libre association et fédération des travailleurs, dans Jes associations d’abord, puis dans les communes, dans les régions, dans les nations, et, finalement, dans une grande fédération inter- nationale et universelle *. > Dans ses Idées sur Porganisation sociale”, J. Guillaume a tenté, lui aussi, de donner « une idée générale du régime que Ia révo- lution substituera a l’Etat politique actuel ** >. A 1a base, se trouve~ 168. Un groupe de Y'U.G.A.C. dans son manifeste de mai 1962, 169, Voir la plupart de ses ouvrages ct notamment ceux écrits postérieure- ment & la guerre civile espagnole, Voir également la collection des Cahiers de Vhumanisme libertaire et, pat exemple, dans le numéro 205 de février 1974, « ee planifiée '», Voir enfin, ici méme, t. I, 4° partie, chap. 4, P. 98-99, 170, BAKOUNINE, Euvres, op. clt., t. IV, p. 264, Ch, Malato envisage une organisation identique lorsqu'il écrit : « Autonomis de Phomme au sein de son groupe, autonomie des groupes au sein de la commune, cité ou village, autonomic des communes se fédérant par régions selon les nécessités de la production ct de la consommation, union des peuples qui, rapprochés d’abord par affinités naturelles, arriveront progressivement A se fondre dans I'unique patrie humaine : voilA T'idéal social des anarchistes. » (Ch, Mataro, Philosophie de Panarchie, op. cit, p. 92.) 171. 3, Guwtaume, idées sur Vorganisation sociale, La Chaux-de-Fonds, 1876. 172, ibid., p. 54. 171 ront les groupes de producteurs associés et la fédération locale des divers groupes qui constituera la Commune. A I’échelle régio- nale, d'une part l'union de tous les groupes appartenant A la méme branche de production, d’autre part la fédération des Communes « de maniére que les travailleurs, qui se sont déja solidarisés entre eux par catégories de production, se trouvent liés par un nouveau pacte de solidarité plus large et complétant le premier ™ >, Lorganisation envisagée par J. Guillaume est donc trés exacte- ment lorganisation syndicale avec ses fédérations d’industrie et ses bourses du travail. Mais l’important n’est pas dans la nature des groupes associés, il est dans le mode de groupement : le fédé- ralisme qui sera le gage de la liberté, parce qu’ll est « avant tout la négation de la nation et de l'Etat [...]. Les Communes jouissant de la plénitude de leur indépendance, if y a véritablement an-archie, absence d’autorité centrale ». Sur Je plan moral, le grand principe qui étayera la société future sera Je soutien mutuel, la solidarité, « Dans la pratique de Ventraide, qui remonte jusqu’aux plus lointains débuts de |’évolution — écrit Kropotkine —, nous trou- vons ainsi la source positive et certaine de nos conceptions éthi- ques; et nous pouvons affirmer que, pour le progrés moral de Thomme, le grand facteur fut Pentraide, ct non pas la Iutte, Et de nos jours encore, ¢’est dans une large extension de T'entraide que 173, Ibid, p. 54. 174. « Pour le fédéralisme, il n'y a plus de nation, plus d’unité nationale ou territoriale. II _n’y a qu'une agglomération de communes fédérées, agglo- mération qui n'a d'autre principe déterminant que les intéréts des contractants, et qui par conséquent n'a aucun égard aux questions de uationalisme ou de territoize, I _n’y a également plus d’Evat, plus de pouvoir central supérieur aux groupes et leur imposant son autorité : il n’y a que la force collective résultant de la fédération des sroupes, et cette force collective, qui s'exerce pour le maintien et la garantie du contrat fédéral — véritable contrat synallagmatique cette fois, stipulé individuellement par chacune des parties — cette force collective, disons-nous, ne peut jamais devenir quelque chose d'antéricur et de supé- tieur aux groupes fédérés, quelque chose d’analogue & ce que I'Etat est aujourd'hui & la ‘société et aux communes, L’Etat centralisé et national n’exise tant donc plus, et les communes jouissant de la plénitude de leur indépendance, ily a véritablement an-archie, absence d'autorité centrale, > (J. GUILLAUME, « Le Fédéralisme », La Solidarité, n° 2, nouvelle série, 12 avril 1871, article cité dans Z'Iniernationale, op, cit, t. U, p. 143.) J. Guillaume pense dailleurs que «sous peine de mort », la révotution devra « entrainer dans son mouvement, sinon univers tout entier, du moins une partie considérable des pays civilisés » aucun pays ne pouvant, aujour- dhui, se suffire A lui-méme. (idées sur Porganisation sociale, ‘Op. cit, Pp. 55.) 172 le communisme anarchiste ou communisme libertaire nous voyons la meilleure garantie d’une plus haute évolution de notre espece ™, » Mais, qui prouve que le peuple s‘orientera dans la voie annon- cée? Il faudrait pour cela que les hommes soient parfaits. < Non, mille fois non ! répond Kropotkine. Tout ce que nous demandons, cest qu'on ne rende pas les hommes pires qu’ils le sont, par de pareilles institutions ! [L'Etat et ses dérivés}"”. » Faisons confiance a « Tesprit_ organisateur du Grand méconnu, le peuple *” >. Il saura édifier « une société, dans laquelle les relations entre les membres sont réglées, non plus par des lois — héritage d'un passé @oppression et de barbarie — non plus par des autorités quelconques, gu’elles soient Glues ou qu’elles tiennent leur pouvoir par droit @héritage, mais par des engagements mutuels, librement consentis et toujours révocables, ainsi que par des coutumes et usages, aussi librement agréés"® ». Il saura éviter aussi que ces coutumes ne se pétrifient par Ia loi ou par la superstition; i yeillera A ce quelles soient « en développement continuel s’ajustant aux besoins nouveaux, au progrés du savoir et des inventions, et aux développements d’un idéal social, de plus en plus rationnel et de plus en plus élevé™ ». Une telle société assumera ainsi « le plus complet développement de V'individualité, combiné avec le plus haut développement de lassociation volontaire sous tous les aspects, & tous les degrés possibles, pour tous les buts imagi- nables**° >, Fédéraliste, communiste et donc libertaire, telle sera dans ses grandes Tignes la société de demain dans laquelle les anarchistes voient « une organisation vivante, mille fois supérieure A celle qui existe maintenant * », 175, P, Krororkise, L’Entraide, op. cit., p. 326. Malatesta écrit de 'méme : « La solidarité est donc la condition dans laquelle I'homme atteint le plus haut degré de sécurité ct de bien-ue : par conséquent I'égoisme méme {..] porte l'homme et la société humaine Vers la solidarité, » (L’Anarchie, op. cit, p. 27.) 176. P. Kroporkine, L’Anarchie, sa philosophie, son idéal, op. cit, p. 38. 177. P. Kroporxine, La Conquéte du pain, op. cit. p. 77. 178. P. Kroporsine, La Science moderne et lanarchie, op, cit. p. 55. 179. Ibid, p. 55 180. P. Kroporxine, L’Anarchie, sa philosophie, son idégal, op. cit, p. 17. 181. BAKOUNINE, Zuvres, op. cit, t. I, p, 113. 2 Anarchisme individualiste Anarchisme chrétien dividualiste Anarchisme Deux courants de Ja pensée anarchiste — secondaires si on en juge par leur rayonnement en France — méritent cependant, et par leur originalité et par Jes noms qui s’y rattachent, une étude particuliére. I] s'agit de l'anarchisme individualiste et de ‘anarchisme chrétien *, Tenter de définir l’anarchisme individualiste s’avére malaisé, car « On ne trouve guére deux anarchistes individualistes défendant les mémes théories, tant sur les principes fondamentaux de la philo- sophie que sur l’économie politique? ». Cependant, E. Armand, dans l'Encyclopédie anarchiste, en esquisse une définition ; < N’est pas individualiste anarchiste toute unité ou association qui veut imposer A un individu ou a une collectivité humaine une conception unilatérale de 1a vie, économique, intellec- tuelle, éthique ou autre; voila Ja pierre de touche de I’individua- lisme anarchiste*, » 1, Tl a €té parlé des anarchistes Foolyicualinies en France : — A propos du syndicalisme, cf, 1, 1, 3° partie, chap. 1 A, p. 275 ot 5 = Proper do Pileseiinne ot 18 paeee bhaee 2. C, Coantuissen, La Marche vers la société’ nouvelle, Paris, P, V. Stock, 1900, p. 257. 3B. « Anarchie - Anarchisme - Individualisme anarchiste », Encyclopédie pe sy op. elt. 174 anarchisme individualiste. anarchisme chrétien Cette définition, toute négative d’ailleurs, cadre imparfaitement ‘vec certaines déclarations d'un Tucker ou d'un Stirner, pour ne iter que ceux-l&, I] nous semble plus juste @insister sur le terme « individualiste ». L’anarchiste individualiste lutte contre I'autorité parce quelle Yopprime, ui, et non son voisin, Certains anar- chistes individualistes, animés d’un noble idéal, ont certes reven- iliqué Ja liberté pour tous, mais, alors que les anarchistes commu- nistes ont mis 'accent sur [étre social, c’est sur l’étre tout court, sur ['Unique, sur le Moi, qu’insisteront ceux qui s‘intitulent anar- chistes individualistes. Vanarchiste individualiste, comme l’anarchiste communiste, combat T'autorité, du moins dans la mesure oi cette autorité va A 'encontre de sa propre liberté, C.S, Stimer ‘4, B. R. Tucker *, John-Henry Mackay’, §.-T, Bying- 4, « Tout Etat est despotique, que le despote soit un, qu'il soit plusieurs, que (et cest ainsi qu'on peut se représenter une république), tous étant res, Yun soit le despote de Yautre, » (Stinner, L'Unigue et sa propriété, k, 1900, p. 233.) « Ce qu'on nomme Etat est un tissu, un entrelacement de dépendances et dattachements. » (Ibid, p. 267.) : « L'Etat laisse autant que possible los individus jouer librement pourvu qu'ils » Frome ae Jeur jeu au sérieux, et ne Je perdent pas de yue, lui, Etat. > (Ibid, p. 272) « LEtat ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchainer, assujettir Min vidu, ‘Je subordonner & une généralité quelconque. Il ne peut subsister_qu’a condition que Vindividu ne soit pas pour soi-méme tout dans tout ; il implique We toute nécessité la limitation du mo, ma mutilation et mon esclavage, > (Ibid, p, 272.) a Stimer (Caspar Schmidt) : Philosophe allemand né & Bayreuth en 1806, mort A Berlin en 1856, I gagna sa vie comme professeur puis, sans travail, mourut dans ia mistre. Son cxvre principale est Der Einzige und sein Eigentum (L'Unique et sa propriété), 1845, 5. Tucker, Instead of a book, By a man too busy to write one. A fragmentary exposition of philosophical anarchism, 1893. (A la place d'un livre, Par un homme trop occupé pour en écrire un, Exposé fragmentaire de J’anarchisme philosophique.) Les citations et références sont données d’apris le livre WELtzaacHex, L’Anarchisme, op. cit, « LEtat est Pincarnation de Yidée d'empittement dans la personne d'un seul Ou de plusieurs qui prétendent représenter et commander A toute Ia population d'un tertitoire, » (bid., p. 23.) i « Tout gouvernement est un mal; méme que ce soit la domination d'une majorité. » (Ibid. p. 169.) Benjamin R, Tucker, anarchiste individualiste de 'Amérique du Nord, 1854- 1939, 6. « L'Etat, c'est Ja violence organisée, Il a pour essence méme la violence et Te vol pour privilége, I s'appuie sur la spoliation de Tun en faveur de lautre, L'anarchiste considére 'Etat comme son grand, voire méme comme son 175 ton” considérent I'Etat et le gouvernement comme la forme politi- que sous laquelle se manifeste principalement cette autorité. Tous pourraient dire avec Stirner « je suis l’'adversaire inconciliable de TBtat® >». Toutefois, certains d’entre eux ont, sur des questions importantes, une opinion tres personnelle. C'est ainsi que Tucker et Stephen T. Byington estiment que si les institutions répressives d’un Etat fonctionnent d'un point de vue défensif leur action est légitime, et ‘Tucker va jusqu’a admettre la torture contre I'agresseur ® ! Mais Yanarchiste individualiste ne pense pas, comme son cama- rade communiste, que nos maux trouvent leur origine dans le régime du salariat et de Ja propriété privée. Il estime « qu’lls sont dus surtout & Ja mentalité défectueuse des hommes, pris en bloc”? », Il en résulte que, si les communistes sont révolutionnaires, les individualistes sont plus divers dans leurs conceptions ®, Les uns sont partisans de Ja violence. Is ne sont d’ailleurs pas des révolutionnaires, mais plutét des révoltés. Stirner voit dans la révolution une simple lutte pour un régime nouveau, pour des institutions nouvelles, la révolte représentant au contraire lacte émancipateur par excellence. Il n’a pas hésité & formuler en termes absolus Ics droits de J’individu a réaliser son étre. En voici quelques exemples ; seul ennemi, » (JH. Mackay, Les Anarchistes, P.V. Stock, Bibliothtque sociologique, n° 51904, p. 168,) J.H, Mackay (1864-1933), né 2 Greenock, prés de Glasgow, d'une miro allemande ct d'un pére écossais, Mort 2 Berlin, Article nécrologique dans L’En Dehors, n° 256-257, mi-juin 1933, 7. « Lianarchisme est une doctrine impliquant V'abolition du gouverne- ment. Chacun s'accorde sur ce point... > (S.T, BYINGTON, Les Différenis visages de Panarchisme, traduction de E, Armand, Paris et Orléans, éditions de L'En Dehors, 20at 1927, p. 5.) Stephen Byington, né en 1868 aux Btats-Unis A Benson-Vermont oii il vivait encore au Jendemain de la Scconde Guerre mondiale (L’Unique, n° 16, décembre 1946). 8. Srmever, L’Unique et sa propriété, op. cit, p. 309. 9. « Un grand nombre d'anarehistes approuvent ce mécanisme [police, trie bunaux, ‘gedles}, mais seulement avec le désir quill soit confiné 4 un usage defeat » (S. T, BYINGION, Les Différents Visages de Panarchisme, op. cil, Bi « La société en pronongant la peine capitale ne commet pas d’assassinat, Un assassinat est une action agressive ; une action défensive ne peut jamais Gire appelée ainsi, » (Lucker, Instead of a book, op. cit, p. 156-157,) « TI est meme admissible qu’on torture Pagresseur, mais on n'usera de ce Moyen que si la peine de mort et celle d’un emprisonnement tolérable n'ont abouti a rien. » (Ibid,, p. 60.) 10. E, ARMAND, Pelli manuel anarchiste-individualiste, juillet 1911; repro- uit dans le supplément § L’En Dehiors, mensuel, n° 273-274, mi-aodt -mi-sepiem- te 1934, p. 4. 11. Par commodité nous dirotis « communiste » et « individualiste > pour € anarchiste communiste > et « anarchiste individualiste >, 176 anarchisme individualiste. anarchisme chrétien « Je ne réclame aucun droit, et n’ai donc & en reconnaitre fucun. > « C’est A Moi de décider ce qui est pour moi le droit Hee « Ce que tu as la force d’étre, tu as aussi le droit de etre“. > « Crime signifie : emploi de sa force par l'individu ; ce n'est que par le crime que Vindividu peut détruire Ia puissance de TEtat, (juand it est d’ayis que c'est lui qui est au-dessus de Etat, et non I'Btat qui est au-dessus de lui. > « Le droit de vie et de mort que se sont réservé I'Eglise et I'Etat, jo déclare que lui aussi est & moi™. » Les iliggalistes ** furent, cet égard, des stirnériens. Leur activité fa 616 définie par E. Armand : « L’exercice de métiers hasardeux non inscrits aux registres des professions tolérées par la police. 2 Sans méconnaitre les dangers d'un tel genre de vie", il la légitimé hinsi : « Il west pas exageré de dire que tout anarchiste qui accepte déire exploité au compte d'un patton particulier ou du patron- Etat commet un acte de traitrise 4 I'égard des idées anarchists. En effet, dans tous les cas, il renforce la domination et l'exploita- tion, il contribue & maintenir T'archisme en existence. » Et encore : « Il mest pas exact de dire que Panarchiste “ qui travaille ”, qui se soumet au systéme de domination et d'exploitation en vigueur cst une victime. Il est uz complice tout autant qu’une victime *. » Lillégaliste sera donc considéré comme un camarade par les indi- vidualistes qui ne sauraient refuser au déserteur économique lestime qwils accordent au déserteur militaire *. D'autres individualistes préconisent la résistance passive & V'op- jon et n’admettent la violence que dans le cas de légitime défense. E. Armand, par exemple, dans son article « Anarchie-Anar- chisme - Individualisme anarchiste » de l'Encyclopédie™, se défend 12, Srinner, L’Unique et sa propriété, op. cit, p. 251. 13. fbid., p. 226 14, Ibid, p. 225-226, 15. Ibid, p. 235. 16. Ibid, p. 390. 17. Cf. 2 partie, chap. 3; 3* partic, chap. 5. 18, E, Armano, L'Initiation individualiste-anarchiste, Paris et Orléans, (ditions de L’En Dehors, 1*° édition, p. 137. 19, ¢ Les © illégalistes ” sérieux reconnaissent que la pratique des “* gestes illégaux ® est une affaire de tempérament, une expérience peu recommandable de 12 vie mdividualisic-anarchiste, et la plupart des individualistes n'y sont point aptes. En tout cas, jamais la pratique des “ gestes illégaux’ ” ne ieee intellectuellement ou moralement qui s’y livre, » (bid. p. 130, 2, B, ARMAND, L'illégaliste anarchist est-il notre camarade? Paris et Orleans, éditions, de LEn Dehors, p. 6. BCE, 177 @étre systématiquement révolutionnaire : il préconise plutét une propagande « éducative » ou, mieux, « la force contagieuse et irrésistible de Vexemple® », et considére comme individualistes- anarchistes les actes de révolte suivants : refus de participation a tout service public, refus de porter les armes ou de service mili- taire, abstention des actes de Tétat civil, non-envoi d’enfants aux écoles dépendantes de l'Etat ou de lEglise, abstention dans la cons- truction des banques, prisons, églises, casernes... Tucker n’est pas davantage partisan de l'emploi de 1a violence, dont il ne faut user qu’aprés avoir épuisé tous les moyens d'action pacifique : « Aussi longtemps que Ia liberté de la presse et de la parole existent, il ne faudrait pas avoir recours aux moyens violents pour combattre la tyrannie. Méme si la liberté de parole était violée dans un ou douze ou cent cas, ceci n’autorise pas encore A verser un déluge de sang. Ce n'est que lorsqu’on sera absolument garrotté qu’il faudra user du moyen extréme, de la violence** 3, car ¢ la résistance passive est l’arme la plus puissante que l'homme ait jamais maniée dans Ia lutte contre Ja tyrannie® ». Mais si tous les moyens pacifiques échouent, ce qu'il faudra envisager alors, ce sont des « actes de terrorisation et d’assassi- nats **'», des actes < exécutés par des individus isolés et en em- ployant la dynamite *’ 2, Essayons maintenant de définir la société future, telle que la congoivent les anarchistes individualistes qui, nous ayons pu déja Je noter, nient 1’étre social et affirment la primauté de Unique *. « Lanarchie c’est [...] a liberté », dit Mackay, et la liberté « est constituée par I'absence de toute violence agressive et de toute contrainte **, » Mais comment se réalisera ce régime de liberté ? E. Armand, dans l’Encyclopédie® répond : Par ¢ la faculté 23. L’En Dehors, hors sbrie, mi-aotit 1926, 24. TucxeR, Instead of a book, op. city p. 397. 25. Ibid, p. 415, Tucker précise : ¢ Combien importante, combien irré- sistible surtout serait 1a puissance d'une minorité énergique et éclairée — comprenant par exeraple Je cinguitme de la population — si elle refusait de payer Pimpot, » (bid, p. 412.) 26. TucxeR, Iristead of a book, op. cit, p. 428, 27. Ibid, p. 440 28. « Crest PEue humain qui est Vorigine, Je fondement de I'humanité La sociéte est le produit d'additions individuelles, » (E. ARMAND, L'Initia individualiste-cnarchiste, op. cit, P. 21.) 29. Mackay, Les Antarchistes,” op. city p. 168. 30 Arucle * Anarchie - Anarchisme - Individualisme anarchiste ». 178 anarchisme individualiste. anarchisme chrétien (association volontaire dans tous les domaines ot peut s’exercer ou rayonner une activité humaine ». S'associet ne constitue Cailleurs pas un idéal, mais force est bien Wen passer par Li, Les individualistes ne le feront done qu'avec prudence : « Si tu es individualiste, toute association ne peut étre pour toi qu'un pis-aller, puisqu’en t’associant tu perds tant soit peu de ton indépendance. Un pis-aller — pour un temps déterminé, avec des individus déterminés, pour une besogne déterminée — sans lequel la besogne qui te tient au ceeur ne pourrait étre accomplie™. » Tucker pense aussi qu’a la place de l'Etat s’édifiera « Tassocia- tion libre des individus qui veulent conclure un contrat », mais ses tendances sociétaires sont plus évidentes que celles de B. Ar- mand, puisqu'il précise que « abolition de la société, ce n’est pas | quoi tendent ni méme ce que désirent les anarchistes. Ils n'igno- rent point que la vie de société est inséparablement lige & celle de Vindividu et qu’on ne pourrait détruire l'une sans tuer lautre® >. Fin aucun cas cependant, vivre en société ne devra signifier disposer d'une minorité contre sa volonté “. Quant & Stimner, il envisage la question sous langle exclusif de son « Moi >. Il admet Passociation dans la mesure of elle est une multiplication de son individualité®, mais oppose ainsi associa- tion A société ; « Tu apportes dans T’association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais valoir. Dans la société, toi et ton activité étes utilisés [...]. Tu dois la société tout ce que tu as, tu es son obligé et tu es obsédé de “ devoirs sociaux ”; & Lassociation, tn ne dois rien : elle te sert, et tu la quittes sans scrupules dés que tu n’as plus d’avantages & en tirer [...]. Lassociation n’existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme son bien 31. E, ARMAND, L’Initiation individualiste-anarchiste, op. cit, p. 216. Les « individualistes & notre fagon » (groupe B, Armand) ont défini leur concep- tion du contrat ect de association dans une note reproduite dans le supplé- ment permanent n° 2 de L’Unique. 32, Tucker, Instead of a book, op. cit., p. 44, 33. Tucker, Instead of a book, op. city P. 33, 34, « Si une décision prise par une majorité est d'une importance telle que la minorité préfére agir & part de son cOté plutét_que de collaborer ‘avec Ies autres, cette dernivre pourra toujours se retirer. En tout cas, on ne pourra jamais disposer d'une minorité contre sa volonté, aussi peu nombreuse qu’elle soit. » (ibid, p. 56-57.) 35, « Je suis et je reste pour moi plus que PEtat, plus que I'Eglise, Dicu, etc, et par conséquent, infiniment plus aussi que V’association, » (STIRNER, L'Unique et sa propriété, op. cit, p. 378.) ¢ Sil [mon prochain] peut mYétre utile, je consens A m’entendre avec lui, & m'associer avec Tui pour que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus que Tune d'elles ne pourrait faire isolé- ment. Mais je ne vois dans cette réunion rien d’autre qu’une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma force multiplite. > (Ibid, p. 382.) 179 et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est fa propriété, la société se sert de toi et tu te sers de Passo- ciation * > En ce qui concerne le régime de la propriété, les individualistes ont précisé assez souvent leur position. D’une fagon générale, ils sont hostiles 4 la concentration, qu'elle soit capitaliste ou communiste et souhaitent que le travail « au lieu de s'accomplir dans les usines, dans les ateliers, en commun en un mot, tende toujours plus a s'individualiser, c’est-a-dire que Ja possession de l’instrument de production par le producteur soit le normal et non Texceptionnel, de méme que la création ou Ia distribution de la force motrice & domicile” ». E. Armand pense méme que l'individualiste préférera « plutét une hutte, un verre d'eau et une poignée de chataignes, que la besogne en commun avec qui ne lui plait pas® ». Pour les individualistes, comme pour Proudhon, la propriété indi- viduelle sera donc garante de la liberté®. Il s’agit toutefois d'une propriété privée ou chacun serait possesseur de ses moyens de production et deviendrait propriétaire du produit intégral de son travail. Cest bien ainsi qu’E. Armand *, Mackay “', Tucker ** envisagent la question. C'est bien ainsi que l'ont envisagée également les 36, Ibid, p. 383-384, B71, Anwar, LInisation individualste-anarchiste, op. eit, p. 62. . Tbid., p. it 39, Edward Carpenter (Brighton, aofit 1844 - juin 1929) se prononce méme pour le maintien d'un capitalisme ‘de forme libérale et démocratique : « Sous certains rapports, ume entente généreuse sur In question du paiement des salaires, sur une base parfaitement démocratique, suscitera plus de liberté qu'un anarchisne amorphe ob chacun “ prend selon ses besoins ”. » (Les Différenis Visages de Vanarchisme, op. cit, p. 19-20.) Confronter éealement la déclaration des anarchistes individualistes allemands du 12 aoat 1910 4 Berlin (Les Différenis Visaves de Vanarchisme, op. city, p. 55) : « Le capitalisme n'est pas H'eanemi ; considéré en soi, il n'est pas un ins wument dexploitation, il ne le devient que par les privileges que VEtat lui conctde, » 40. « L'anarchisme individualiste se différencie de Yanarchisme communiste en ce sens qu'il considere (en dehors de Ja propriété des objets de jouissance formant prolongement de Ja personnalité) la propriété du moyen de produc- tion et la libre disposition du produit comme la garantie essentielle de Yautonomie de la personne, > (E, ARMAND, Petit. manuel anarchiste-indivi~ dualiste, op. cit, p. 5-6.) 41. « La premire condition de la liberté c'est que chacun pnisse prétendre au produit intégral de son travail. Et, de fait, 'indépendance économique est Ia premitre, chose que réclame anarchiste,’ » (Mackay, Les Anarchistes, op. City D. 168.) 42. ¢ Lrunique forme de propriété qui satisfasse a, ces conditions [équi- libre “entre ta liberté de prendre et celle de garder} c'est la propriété basce sur le travail, » (Tucxer, Instead of a book, op. cit, p. 131.) 180 anarchisme individualiste, anarchisme chrétien anarchistes individualistes allemands dans Ja déclaration qu’ils ont présentée & une réunion individualiste tenue a Berlin en aoat 1910“. Quant & Stirner, son syst8me, toujours original, demande a étre étudié A part. Pour lui la force légitime Ie droit : « A mes yeux, ima propriété s'étend jusqu’od s’étend mon bras; je revendiquerat comme mien tout ce que je suis capable de conquérir, et je ne srrai A ma propriété d’autre limite réelle que ma force, unique source de mon droit. » En ce qui concerne Ja terre, ¢ elle appartient & celui qui sait la prendre ou qui ne se la laisse pas enlever. S'il s’en empare et la fait sicnne, il aura non seulement la terre, mais encore le droit & sa possession ». La propriété n'aura done pour limites que celles de la puissance, Si les hommes ne sont pas assez forts pour s’éman- ciper individuellement, ils s'uniront pour exploiter collectivement le sol dont ils se seront emparés, puis ils en partageront équitable- ment les produits *. Stirner ne se prononce done pas pour une forme déterminée de propriété. L’essentiel pour Pindividu sera d’étre fort pour préserver son bien individuel ou collectif “. 43. « Contrairement aux “ anarchistes communistes ”, les anarchistes indi- vidualistes ne considérent pas Ia propriété privée comme Ja cause de la mistre ct de Poppression, étant convenu que, par “ propriété privée ”, il faut entendro Jn possession des’ moyens de subsister, de la véture, des outils, des machines, du sol, sous-sol et de leurs dépendances, & condition qu’ils solent exploités par les individus ou associations d'individus qui les détiennent. Tis considerent comme sans objet une lutte contre Ja propriété privée. Bien plus, ils sont davis que la propriété est indispensable A ta Liberté et & Vindépendance de T'individu. Ils déclarent que coux qui attribuent a la pro- priété privée la méme part qu’a PEtat dans la servitude qui accable les hommes ne sont pas des anarchistes, bien qu'ils en prennent le titre, tels les inarchistes communistes. » (Déclaration de l'Association des anarchistes indi- vidualistes allemands & Ja réunion d’anarchistes individualistes, Berlin, 12 aout 1910; cits dans Les Différents Visages de lanarchisme, op. cit, p. $4.) 44, STIRNER, L’Unique et sa propriété, op. cit, p. 310, 45. Ibid, p. 228, 46. ¢ Si_nous voulons nous approprier le sol, au lieu d’en laisser T'aubaine aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but, et for- mons une société qui s'en rendra propriétaire. » (STIRNER, L’Unique et sa propriété, op. City p. 300.) « Ce A quoi fous veulent avoir part sera retiré A ce _mémo individu qui veut Favoir pour lui seul ct sera Grigé en bien commun, En tant que bien commun, chacun ena sa part, et cette part est sa propriéié. C'est ainsi que, Wapres notre vieux droit de succession, une maison qui appartient A cing héri- tiers est leur bien commun, indivis, tandis qu'un cinguieme seulement du revenu est la propriété de chacun. > (Ibid., p, 301.) 47. « $i les hommes parviennent a perdre le respect de la propriété, cha- cun mura une propriété, de méme que tous les esclaves deviennent hommes libres dés quiils cessent de respecter en leur maitre un maitre. Alors pourront se conclure des alliances entre individus, des associations égoistes, qui auront pour effet de multiplier les moyens d'action de chacun et d’affermir sa pro- 181 Certains individualistes — ceux du groupe E. Armand en parti- culier — ont attribué 4 Ia question sexuelle une trés grande impor- tance et y ont consacré de nombreux écrits. « L'amour libre — dit E. Armand —, la liberté en matiére de vie sexuelle a toujours été une des revendications essentielles des individualistes. Et « l'amour libre >» pour eux, c'est — faisant fi des morales exté- ricures, des conventions sociales, des préjugés de classe, de race, de situation, d’éducation — de se rechercher, de se découvrir, de se donner, de se reprendre, de se retrouver comme on y est poussé, pour Je temps qu’on se sent déterminé, instruit des conséquences pathologiques et des moyens d’y parer, sans avoir & rendre compte 4 qui que ce soit, individus ou collectivités, de ses expériences amoureuses *. » On ne peut dire qu'il s'agisse 14, 4 proprement parler, d’une conception particulitre de l'union libre dont tous les anarchistes sont partisans. Mais, alors que la question sexuelle n’apparait généralement chez les anarchistes qu’en fonction de I’égalité des sexes, E, Armand et ses amis en ont fait un des points essenticls de leur doctrine. Nous voudrions conclure. Mais, est-ce possible? Essayons du moins de nous résumer. Accord des individualistes avec les anarchistes communistes pour combattre l’autorité. Divergences en ce qui concerne les moyens & employer. Attachement de la majorité des individualistes & la pro- priété privée comme garantie de la liberté. Ainsi, accord sur la négation, avis partagé sur les moyens et désaccord sur I’affirma- tion, telle est la comparaison que l'on peut établir entre l'anarchisme communiste et l'anarchisme individualiste. Par ailleurs, et sans nier Valtruisme de certains individualistes, si nous devions dégager Je caracttre dominant de leur doctrine, nous choisirions un trait moral et nous dirions qu’elle est égoiste. Stirner n’a pas, sans raison, intitulé « Association d’égoistes > le groupement dont il croyait devoir faire partie pour accroitre la puissance de son Moi. rigs sans cose menacée. » (SriRNER, L'Unique et sa propriété, op. city, p. 31 48, E, Armanp, L'Initiation individualiste-anarchiste, op. cit. p. 240-241, E, Armand a notamment. précisé ses conceptions ‘relatives’ aux « relations amoureuses > dans le Supplément permanent n° 6 de L’Unique. 182, anarchisme individualiste. anarchisme chrétien « Ma devise, c'est : Moi, moi, moi... et les autres ensuite! > proclamait H. Croiset qui, au congrés anarchiste d’Amsterdam, repré- sentait la tendance individualiste ®. Tucker ne dit pas autre chose : « Tous [ligue, congr’s, individus] ont Je droit de tuer ou d’asservir (autres individus, de s'assujettir Punivers, pourvu qu’lls en aient Ja puissance ®. » Stirner déclare enfin : ¢ Rien n’est, pour Moi, au-dessus de Moi! > Méme lorsqu’il preod conscience du sentiment d’amour qu'il nourrit pour ses semblables, Vanarchiste individualiste prend conscience en méme temps du sentiment égoiste qui est a lorigine de son altruisme apparent et sa devise pourrait, au fond, se formuler ainsi : Pour la liberté ? Non, pour MA liberté. B. Anarchisme chrétien Les anarchistes chrétiens, qui dans certains pays comme Ja Russie jouérent un réle important", furent pour ainsi dire inexis- tants en France et leur influence fut nulle. 49. Congres anarchiste d’Amsterdam, aott 1907, compte rendu, op. cit. p. 4a. 50, Tucker, Instead of a book, op. cit, p. 24. 31. Stirner, L’Unique et sa propriété, op. cit. p. 4. ‘52, « Moi aussi, j'aime Jes hommes non seulement quelques-uns mals che- cun deux. Mais je les aime avec la conscience de mon égoisme je les aime parce que l'amour me rend heureux, j'aime parce qu'il m'est naturel et ae daimer, » (STIRNER, L’Unigue et sa propriété, op. cif, p. 354- 155.) 53, Léon Tolstoi, bien qu'il ne prenne pas Ic titre onarctilste pent étre considéré comme Ie principal représentant de lanaschisme chrétien 4 T'étranger, Les principaux ouvrages oD il exprime ea doctrine sont les suivants : Aux travailleurs, traduction de J.W. Bienstock et P. Birukov, Paris, P.V. Stock, 1903; L'Esprit chrétien et le patriotisme, Paris, Perrin et Cic, 1894; Paroles dun homme libre, traduction J. W. Bienstock, Paris, P. V. Stock, 3° édition, 1901 ; Les Rayons de l'aube, traduction de J. Bienstock, Paris, P. V. Stock, Biblioth&que sociologique, n° 30, 1901 ; Ma religion, Paris, Librairie Fischbacher, 1885; Le Salut est en vous, Paris, Perrin et C'*, 1893; Une seule chose est nécessaire, traduction J. 'W. Bienstock, Paris, Librairie universelle. Les anarchistes francais se sont montrés souvent réservés dans leurs appréciations sur L, Tolstoi et sa doctrine. Tout en célébrant_« la claire et triomphante logique de ses arguments [de Tolstoi] contre PEtat >, Flisée Reclus exprima sa « géne morale » en constatant que si Tolstol « proteste contre les lois et conseillo aux autres de leur désobéir, il s'y conforme Iui-méme », et lui reproche en somme d'avoir seulement préconisé les actes que d'autres accomplirent ¢ qui peinent dans Jes cachots ou que l'on a_tués, sous les verges! ». (F. Porcut, Portrait psycho- Torique de Tolsioi, Flammarion, 1935, p. 384-385; lettre d'Elisée Reclus a Madame M. Gerfault, 1898.) Par ailleurs, les rapporls du tolstoisme ot de Yanarchie furent Yobjet d'une 183 Un organe intitulé Le Christ anarchiste parut 4 Toulon en 1895. Tl vécut jusqu’en 1897 d'une vie irrégulitre“. Les anarchistes toulonnais s’en désolidarisérent * et il fut d’ailleurs plus occultiste que chrétien**. Le seul organe anarchiste chrétien fut L’Ere nou- velle qu’B. Armand fit paraitre en 1901-1902*. Il se proposait comme but de répandre I’ « Evangile intégral : spirituel, moral et social » mais, bient6t, il renonga A faire appel aux sentiments chrétiens pour réaliser son idéal d'une « Terre nouvelle od fa justice habitera ». Sa tentative ne fut pas reprise. étude présentée au Congres onvrier révolutionnaire international par le groupe des ESRI. de Paris en 1900 (Le Tolstoisme et lanarchie, Paris, éditions de UHumanité nouvelle, 1900). Reconnu tres utile dans sa’ partie’ critique, et pour les chrétiens qu'il pout, détacher des dogmes, ct pour les athées qu'll améne a rélléchir sur Pautorité (cf. p. 11), le tolstoisme est par contre considéré comme dangereux en ce qui concerne. les _moyens d’affranchissement qu'il préconise et Pidéal A atteindre (cf. p, 12). Le rapport conclut : Tostoi < est Peut-etre un excellent chrétion de la primitive Eolise, c'est certainement un grand écrivain et un grand penseur, mais ce n’est, en aucun cas, un anare chiste communiste et révolutionnaire » (p. 12). 54, Le Christ anarchiste, n° 1, juin 1895, n° 12, 15 janvier 1897 (« Revue universelliste, organe scientifique politique, philosophique, accultiste, jus ticier >), 55. Cf. Les Temps nouveaux, n° 15, 10-16 aot 1895; La Sociale, n® 12, 28 juillet-4 aoft 1895; Les Temps nouveaux déclarsrent de leur cOté qué ce journal était « rédigé sous Tinspiration d'une dame qui dit 1a bonne aven- ture aux imbéciles > (n° 15, 10-16 aot 1895), 56, En février 1896, Marie de Saint-Rémy, fondatrice de Ja revue, publia sur Vaillant un article qu'elle prétendit avoir’ Gorit ¢ sous sa dictée >, 37. « Tribune libre du prolétariat rédigée par des disciples du Christ. » Marxisme et anarchisme A. Premitres divergences Une étude de la pensée marxiste se situe hors du cadre de ce travail, mais i] nous a paru jntéressant de mettre en évidence les points fondamentaux sur lesquels s’opposent « antiautoritaires » et « qutoritaires », anarchistes et marxistes. Il convient tout d'abord de rejeter ces essais d'explication qui présentent Pantagonisme anarchisme-marxisme comme une oppo- sition individuelle, nationale ou raciale. Ce point de vue a déja été étudié qui rétrécit le probléme et Je fausse'. Certes, il y eut un antagonisme Marx-Bakounine, mais fut-il personnel, national, racial ou doctrinal 2 Personnel ? Certainement pas de 1844 A 1847, puisque les deux hommes commencérent par collaborer lorsque Bakounine séjourna Paris et y rencontra Marx. Certainement pas en 1849, puisque Marx célebre alors la part prise par Bekounine dans le soulévement de Dresde. Pas davantage enfin en 1864, quand Marx écrit A Engels le 4 novembre : ¢ Je I’ai revu hier [Bakounine] pour Ja premiére fois depuis seize ans. Je dois dire qu'il m’a bien plu et beaucoup miei qu’autrefois [...], En somme, c'est une des rares personnes que j'ai 1. Cf t, HI, 5¢ partie, chap. 1, p. 140-141. 185 rencontrées, qui, aprés seize ans, n‘ait pas fait une évolution en arrigre, mais en avant®. » Antagonisme national ou racial? Opposition d'un autoritarisme germain 4 un « libertarisme » latin ou Jatino-slave ? Personne aujourd'hui ne peut songer A une explication aussi simpliste. La Russie n’a pas été plus qu'un autre pays la terre d’élection de Yanarchisme, et Lénine s'est voulu disciple fidle de Marx; pas dayantage le monde n'apparait scindé en blocs libertaire-autoritaire suivant un tracé géographique. Il n'est pas question, bien entendu, de nier les oppositions personnelles, nationales, voire raciales dans la mesure ott le mot race n’est pas dépourvu de tout contenu scientifique, mais dire qu’elles constituent Je point crucial de différenciation des deux systtmes qui nous occupent, nous pensons que cela est inexact. Seules des divergences, mieux mame des Oppo- sitions doctrinales importantes ont pu faire que les deux théories, assez imparfaitement différenciées A l’origine pour que la cohabita- tion de leurs adeptes s'avérat possible au sein de la Premigre Inter- nationale, soient devenues rapidement inconciliables. Crest donc sous un autre angle qu'il convient d'examiner le probléme, Anarchistes et marxistes ont adressé A la société moderne les mémes critiques. Bakounine, pour ne citer que Ini, a parlé plus d'une fois en termes Glogieux du Capiral dans lequel Marx démonte le mécanisme de I'exploitation dans la société capitaliste*, Certes Jes anarchistes insistent parfois moins sur laspect économique de la question sociale que sur son aspect moral‘, et Bakounine a reproché A Marx de ne pas avoir fait place, A cété des conditions économiques comme facteur du devenir historique, a des éléments qui, comme les institutions, les caractéres raciaux ou nationaux 2, Cité par H, Lacanetty, Le Mouvement socialiste, XVI* année, n° 263- 264, mai-juin 1914, p, 300, 3, Aucun livre francais ne renferme « une analyse aussi profonde, aussi lumincuse, aussi scientifique, aussi décisive ») (BaKOUNINE, Guvres, op. cit, t. HL, p. 209, en note), Cf. également : Bakouning, Guvres, op. cit, t, IU, p. 397; BaKounme, Gurres, op. eit, t. WV, p. 63; 8. Faure, La "Douleur universelle, op. city P. 10, 4. La distinction bourgeoisie-prolétariat n'est pas toujours liée pour les anarchistes A Ja place qu'ocoupe chacune de ces classes dans Ja production, Crest ainsi que Bakounine a parlé < des ouvriers transformés par. leur ambition, leur vanité en bourgeois > (Euvres, op. cit, t. 1V, p. 404), Cela est encore plus évident pour les anarchistes individualistes. C2, en pare ticulier t, I, 3° partie, chap. 1 A, 186 marxisme et anarchisme réagissent A leur tour sur les forces économiques et les modifient. Sans parler donc d’identité, constatons du moins la conformité de vues des deux doctrines dans leurs critiques de la société. Anarchistes et marxistes poursuivent également le méme but : une société libertaire ob Etat aura disparu : < Sur la suppression de l'Etat, comme but — a écrit Lénine — nous sommes compléte- ment d’accord avec les anarchistes*. > D’accord pour fessentiel sur la critique, d'accord sur le but 2 atteindre, anarchistes et marxistes ne le sont plus sur les moyens d'action, sur les méthodes de lutte 4 employer pour renverser la société capitaliste, et encore moins en ce qui concerne Forganisation sociétaire au lendemain de Ja révolution. Deux problémes se posent tout d’abord : avec qui lutter et com- ment lutter pour arriver A ce que les uns et les autres appellent la révolution, c’est-A-dire le renversement violent de V’ordre €tabli. Nous avons eu l'occasion de qualifier d’ ¢ aristocratique » le point dle vue anarchiste A I’égard de la masse des travailleurs®, que les théoriciens libertaires ont souvent traitée avec un certain mépris. Bt c'est un des traits communs de l’anarchisme communiste et de l'anarchisme individualiste que cette exaltation du « moi », ou de Ja minorité militante du mouvement ouvrier’, méme si l'on fait abstraction de V'appel, qui n’eut qu'un temps, aux déclassés, aux en-dehors °, qui posséderaient 4 un plus haut degré I'instinct révolu- tionnaire. Marx et ses disciples se sont élevés contre une telle concep- tion — trop sentimentale a leur sens — du probléme révolutionnaire. 5, Léxine, L’Etat et la révolution, op. city D. 83. Mais les conceptions anarchiste et marxiste sont en complete opposition sur Je moment ol doit se produire cette liquidation de I'Btat, Ci 5* partic, chap. 3 B, p. 192 et s, 6. CE. t. I, 3* partic, chap. 1 C, congrés de Bourges, 1904, 7. Nous nous bornerons & ajouter quelques citations 2 celles déja, faites. Cf. notamment : t. 1, 3° partie, chap, 1 C, p. 313 et s.; 3° partic, chap. 5, p. 409 et s.; 4, HI, S* partie, chap. 1B, p. 160; 5* partie, chap. 2 A, p. 174 ets « Est-ce que vous en étes a croire qu'un homme qui marche en avant de. son sidcle puisse avoir raison ct demeurer populaire? Mais sachez Gone, cher ami, que ce quill y a de plus arriéré de plus rétrograde en tout pays, clest Jn masse, clest ce que vous appelez la démocratic. » (PROUDHON, Sreniondanee, A. Lacroix, 1875, t. XI; lettre du 12 octobre 1861, p. 221- « Le cerveau peu cultivé de la masse » (E, Matatesta, L’Anarchie, op. cit., p. 6). «La foule est ignorante, cela est indéniable » (J. Grave, L’Anarchie, son but, ses moyens, op. cit, p. 35) 8. CE. t, II, S* partic, chup. 1 E, p. 162-163. 187 Ils pensent que seul le prolétaire‘— celui qui vend sa force de travail au capitaliste — est désigné pour diriger la lutte contre loppression sociale, ils pensent que le prolétaire, dont le bourgeois dit ironiquement qu'il est < conscient et organisé », prend en effet conscience de son état d’infériorité antinaturelle et, par organisation, entrevoit Je chemin de son émancipation. Pro- duit de Torganisation capitaliste*, le prolétariat constitue l’avant- garde de ce grand mouvement de masse, mouvement de <« l’immense majorité dans [intérét de immense majorité*® » dont la mission est de mettre fin au régime capitaliste. Comment lutter maintenant? Alors que les anarchistes demeu- rent souvent hostiles & toute discipline, 4 tout embrigadement, & toute organisation — mise 4 part une organisation volontaire sans statuts et sans régles, dans un but bien défini et pour un temps limité — alors que les anarchistes misent sur la spontanéité, sur Tinstinct de révolte, sur I'émeute sans plan préconcgu et sans chefs, les marxistes pensent qu’une révolution se prépare, que, dans ce but, les prolétaires les plus éclairés se disciplinent librement, apprennent 4 obéir aux chefs qu’ils se sont donnés; ils pensent aussi que la révolution ne surgit pas au hasard d’un mouvement plus ou moins spontané, mais qu'elle se mfirit par la lutte quotidienne pour les revendications immédiates, ils pensent que les ouvriers les Plus conscients, organisés en parti politique, entraineront la masse par cette lutte méme, et que la révolution sera dés lors comme Vaccouchement scientifiquement prévu et préparé de la société bourgeoise grosse d'un monde nouveal Les méthodes de lutte de I'anarchisme peuvent se résumer ainsi : — dans le domaine politique : abstentionnisme ; — dans le domaine militaire : dans la mesure du possible, libre choix entre la désertion, la révolte individuelle au sein de I'armée et Vobjection de conscience ; 9. « Mais la bourgeoisie ne s'est pas contentée de forger les armes qui lui donneront la mort; c'est elle encore qui a produit les hommes qui se serviront de ces armes — Jes ouvriers modernes, les prolétaires, » (Manileste communiste, Op. Cit, p. 66.) 10. thid., p. 77. Quant au lumpen-prolétariat, Marx voyait en lui non une classe réyolution- naire, mais un agrégat d’individus sans conscience, préts 4 se vendre au plus offrant. Cf, dans le Manifeste communiste, op. cit. p. 75 : « Le prolétariat de la canaille [das Lumpen-proletariat), cette putréfaction passive des plus basses couches de l'ancienne société, est par-ci par-ld lancé dans le mouvement par une révolution prolétaricnne. De par toute sa situation, il sera plus disposé a se laisser acheter pour des menées réactionnaires. » 188 marxisme et anarchisme — dans le domaine économique : eréve partielle considérée comme gymnastique révolutionnaire, préparatoire a la gréve générale rovolutionnaire, synonyme de révolution ; gréve gestionnaire. Sur chacun de ces points, les positions marxistes sont en oppo- sition, « Toute lutte de classe est une lutte politique >, dit le Manifeste communiste™, et les marxistes préconisent la participation aux élections. Non a la vérité & la fagon de certains qui se sont complus & propager la théorie des 51% ", mais, disait Lénine, en lacticiens qui savent ¢ utiliser “‘ Pécurie ” du parlementarisme bourgeois », tout en se livrant & « une critique vraiment révolu- tionnaire et prolétarienne du parlementarisme ™ ». Selon cette criti- que, le suffrage universel est ¢ un, instrument de domination bourgeoise*® » et non un moyen d’émancipation pour le prolé- lariat, Selon cette critique également, jamais une classe au pouvoir n'a 66 assez magnanime pour mettre fin ou laisser mettre fin pacifiquement 4 sa domination. Gardons-nous 4 gauche, gardons-nous & droite pourraient dire les marxistes en reprenant un mot historique. Gardons-nous de la phraséologie révolutionnaire comme nous devons nous garder de loute illusion réformiste et Iégaliste. Dans le domaine militaire, la position des anarchistes a toujours consisté, avant tout, dans un refus : par la désertion, refus individuel de servir, par la révolte, refus individuel de se plier a la discipline militaire, L’armée, auxiliaire de l'autorité, até condamnée une fois pour toutes et en bloc et la guerre en soi a été dénoncée de la méme fagon'®. Les marxistes ont, sur cette question, une position beau- coup plus nuancée qui tient compte des éléments en Jute, du sens progressif ou rétrograde du conflit. Bien plus, leur position pourra changer au cours d'une méme guerre et c'est ainsi que Marx parle de la guerre défensive de Allemagne avant Sedan et de la guerre de conquéte de la Prusse aprés la proclamation, en 1870, de la République frangaise *. il. op, Cilny De Ta 12. Théorie qui prétend que I’on peut faire 'économic d'une révolution et quill suffit pour cela que 51 % des députés soient révolutionnaires, B Tass, L'Etat et la révolution, op. cit. p. 63. 15, Définition d’Engels, citée par LéNINE, L’Etat et la révolution, op. cit. p. 26. 16. Certains ont d’ailleurs révis¢ Ieur position lors de certaines guerres, Cf. 4° partie, chap. 1. 17. Cf. Adresses du 23 juillet et du 9 septembre 1870, K. Marx, La Guerre civile en France, op. cit, p. 91-99 et s. 189 Pour les marxistes, la formule « A bas la guerre » semble donc équivoque. Ils sont pour la lutte de ’exploité contre son exploiteur, pour les guerres des minorités opprimées contre leurs oppresseurs, pour les guerres de libération des peuples asservis. Par ailleurs, ils se refusent & une politique de révolte individuclle ou de désex- tion, politique de sacrifice qui ne fait pas progresser I’émancipa- tion des travailleurs et voue a l’anéantissement les individus les plus combatifs. Ils pensent que l’armée étant constituée, 4 cdté des soldats de métier, de la masse des jeunes ouvriers et paysans en uniforme, il faut garder un contact étroit avec cette masse, la défendre, ’éduquer pour empécher qu'un jour elle ne serve de force docile aux mains de Ja contre-révolution. Micux méme, cette masse doit constituer un atout puissant dans la Iutte révolutionnaire si ces jeunes soldats marchent, non pas contre, mais avec les masses insurgées **. Les anarchistes ont estimé un temps que nulle amélioration de Ja condition ouvriére n’est possible en société capitaliste et que les gréyes patticlles ne peuvent étre qu’une gymnastique préparatoire & Vinsurrection par la gréve générale”, € «. Tout mouvement de hausse dans les salaires ne peut avoir d'autre effet que celui d'une hausse sur le blé, le vin, Ja viande, Je sucre, le savon, la houille, etc., car qu’est-ce que le salaire? Crest le prix de revient du blé, du vin, de la viande, de Ja houille ; c’est le prix intégrant de toute chose *”, » Cette théorie de Proudhon conduit son auteur a affirmer : « Il est impossible, je le déclare, que les gréves suivies d’augmentation 18, Conférence sur Ia révolution russe de 1905, faite par Lénine le 22 jan- vier 1917 dans une réunion de Ie jeunesse ouvritre A Ziirich, Extrait’ du tome XIX des Euvres completes, édition russe. Reproduit dans Petite biblio- theque Lénine, n° 2: La Révolution russe de 1905, Paris, Bureau d'éditions, « ”.. Uihistoire de la Révolution russe, comme celle de la Commune de Paris de 1871, nous donne un enseignement irréfutable + elle nous apprend que le militarisme ne peut jamais, et en aucun cas, étre vaincu et aboli autrement que, par Ja lutte victorieuse d'une partie de Varmée contre une autre. Il ne suflit pas de déplorer, de maudire, de “ condamner ” Je militarisme, d’en montrer Ja nocivité avec les arguments de la critique; il est sot de refuser Paisiblement le service militaire... » (p. 71-72). 19. Cf, notamment 3° partie, “chap. I. Aprés leur entrée dans les syndicats vers 1895, les anarchistes, sans tevenir sur cette théorie, ont agi le plus souvent en militants soucieux des avantages, méme modestes, que les Inttes syndicales Pouvaient apporter aux travailleurs, 20. P.-J, PROUDHON, Systdme des contradictions économiques ou philosophie de la misére, op. cit, 1, p, 151. 190 marzisme et anarchisme de salaire n’aboutissent pas A un renchérissement général ; ccla est aussi certain que deux et deux font quatre”. > Dans Misére de la philosophie, Marx réplique ironiquement : « Nous nions toutes ces assertions, excepté que deux et deux font quatre.» Pourquoi nie-t-il? Pourquoi se refuse-t-il & accepter cet auto- matisme dans le rapport des salaires ct des prix? A la suite de Ricardo, qui avait déjA réfuté cette théorie dés 1817, dans ses Principes d’économie politique, Marx raisonne ainsi : la valeur de la force de travail que l'ouvrier vend au capitaliste est déterminée par la valeur des objets de premitre nécessité qu'il faut pour produire, développer, conserver et perpétuer cette force. Si fouvrier cn six heures produit I'équivalent de cette valeur et qu'il reste au travail huit heures par jour, ces deux heures de travail impayé constituent la plus-value ou profit qui sera partagée entre le propriétaire foncier (rente), le capitaliste financier (intérét) et Ventrepreneur capitaliste (profit industriel ou commercial)*. Dés lors « le maximum du profit n’est donc limité que par le minimum physiologique du salaire et le maximum physiologique de 1a jour- née de travail. Il y a place, entre ces deux limites du taux maximum du profit, pour toute une échelle de variations. Son degré réel n’est déterminé que par Ia lutte incessante entre le capital et le travail, le capitaliste essayant continuellement d’abaisser les salaires & leur minimum physiologique et de prolonger la journée de travail & son maximum physiologique, tandis que l'ouvrier exerce constamment une pression dans le sens opposé. La chose se réduit & la question des forces respectives des combattants * >. Il est dés lors évident pour Marx qu’une augmentation des salaires ou diminution de Ja longueur de la journée de travail peut @tre, au moins dans certains cas, sans effet sur le prix des produits. Les marxistes ont done été, de tout temps, pour Ja lutte quotidienne du salarié, pour ce qu’on a appelé les revendications immédiates. C'est dans cette lutte que le travailleur acquerra cette conscience de classe qui Pélavera politiquement et l'aménera a envisager le combat pour l'avénement d’une société socialiste, et c'est pourquoi, d&s le congrés de Genéve de l’Association internationale des travail- leurs en 1866, Marx, qui avait élaboré la résolution sur les syndicats, 21, Ibid, p. 152, Le Bulletin dela Fédération jurassienne dit de méme en 1874, n° 6, 8 février : « .. Plus Je prix des objets de consommation baissera, plus les salaires descendront. » 22, K, Marx, Mistre de Ia philosophie, op. cit, p. 130. 23. Cf, K. Manx, Salaires, prix et profits, Paris, Editions sociales, 1945. 24, Ibid., p. 24. 191 avait demandé aux congressistes de se pencher sur Je probléme des revendications des travailleurs les plus déshérités °°. B, Le grand probléme : YEtat < La question la plus actuelle, la plus brilante et, politiquement, Ja plus essentielle * » est celle « des rapports de Ia révolution et de TEtat, et la question de I'Etat en général* ». Ainsi s'exprime Lénine, et il est impossible de préciser les rapports de Vanarchisme et du marxisme si l'on néglige ce probléme capital. Qu’est-ce donc que Etat? Pour les marxistes, il ¢ est le produit et la manifestation de Yantagonisme inconciliable des classes*® »; VEtat capitaliste est aujourd'hui le produit de cet antagonisme entre prolétariat et bourgeoisie, qui n’est lui-méme que la manifestation de « Ja contra- diction entre production sociale et appropriation capitaliste®™ 2 il ¢ n'est autre chose qu'une machine 4 écraser une classe par une autre ® ». Dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat™, F, Engels a cherché A établir la genése de l’Etat et A dire & quelles nécessités il répond. Etat — écrit-il — n’a pas existé de toute éternité. « Il y a eu des sociétés qui se sont passées de lui, qui n’avaient aucune notion @Etat ni des pouvoirs de I'Etat. A un certain degré de Pévolution économique qui était nécessairement liée A fa scission de la société en classes, cette scission fit de Etat une nécessité®, » L’Etat est 25, « En dehors de leurs buts primitifs, il faut que les syndicats apprennent a agir dorénavant de maniére plus conséquente en tant que foyers d’organisation de la classe ouvritre dans l'intérét puissant de leur émancipation complete. Il faut qu'lls soutiennent tout mouvement social et politique qui tend A ce but, En se considérant eux-mémes et en agissant comme les pionniers et les repré: sentants de Ia classe ouvritre tout entiére, ils réussiront nécessairement & attirer A eux ceux qui se tiennent encore en dehors du syndicat, 1 faut quils s'occupent soigneusement des intéréis des couches ouvrires les plus mal payées, par exemple des ouvriers agricoles auxquels Jes circonstances particulitrement ‘défa- Vorables ont enlevé leur force de résistance... » (K. Marx, Salaires, prix et profits, op. cit, p. 30.) 26. Lénine, L'Btat et ta révolution, op. city p. 131, 21. ibid, p. 137, 28. Ibid, p. 17. 3. E. Exasis, M.E. Dithring bouleverse la science, Paris, Costes, 1933, t. HL, p, 31. 30, Lining, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, Paris, librairie de L’Humanité, 1925, p, 47. 31. F, Encets, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de PEtat, Paris, Costes, 1931. 32. Ibid., p. 229. 192 marxisme et anarchisme done « un produit de Ja société parvenue & un degré de développe- ment déterminé ; il est Yaveu que cette société s’embarrasse dans ine insoluble contradiction avec soi-méme, s’étant scindée en anta- yonismes irréconciliables qu’elle est impuissante 2 conjurer. Mais ‘fin que ces classes antagoniques, aux intéréts économiques oppo- 4és, ne se consument pas, elles et la société, en luttes stériles, il est devenu nécessaire qu'un pouvoir, placé en apparence au-dessus de Jn société, soit chargé d’amortir le conflit en le maintenant dans les limites de “* Pordre ” : ce pouvoir, issu de la société, mais qui veut ye placer au-dessus delle ct s’en dégage de plus en plus, c’est ['Etat® ». Mais ce pouvoir qui se caractérise d'abord par Ta répar- tition des citoyens d’aprés le territoire, ensuite par institution Wune force publique et Vétablissement d'imp6ts pergus par des fonctionnaires, ce pouvoir serait-il un_arbitre désintéressé ? Non pas. « Né du besoin de tenir en bride les antagonismes de classes, mais étant né en méme temps au milicu du conflit de ces classes, il est en régle générale Etat de Ja classe la plus puissante, de celle qui a la domination économique, laquelle, par son moyen, devient aussi classe politiquement dominante et ainsi acquiert de nou- veaux moyens d'assujcttir et d’exploiter la classe opprimée™. > Ce mest qu’exceptionnellement qu’ « il se produit des périodes ob Jes classes en lutte sont si pres de s'équilibrer que le pouvoir de V'Etat acquiert, comme médiateur en apparence, une certaine dépen- dance momentanée vis-a-vis de l'une et de lautre* >. Nous avons vu que les anarchistes professent une opinion ana- logue, Eux aussi reconnaissent dans Etat une force d’oppres- sion néfaste qu'il convient de combattre sans merci. Quelle attitude adopteront les uns et les autres au Jendemain de la ‘olution ? Marx s’efforga de profiter des événements dont il fut le contem- porain pour préciser peu & peu ses idées sur le sujet. En 1847, dans le Manifeste communiste, il pose la question mais de facon abstraite et générale : « La premiére étape de Ja révolution ouvriére, c’est la constitution du prolétariat en classe régnante, la conquéte du régime démocratique™. » 33, Ibid, p. 223, 34. Ibid., p. 226. 35. Ibid, p, 226-227. 36. CE. t, If, 5* partie, chap. 1 B, 37. Manijeste communiste, op. ci 142 et s. p. 94. 193 Eclairée par les événements qui ont bouleversé la France de 1848 4 1851, sa pensée se précise : toutes les révolutions — écrit-il —— se sont bornées 4 perfectionner la machine gouvernementale, Ce qu'il faut, ce que fera en premier licu une révolution proléta- Tienne, c'est l'abattre, la briser Vingt ans plus tard, dans une lettre A Kugelmann, le 12 avril 1871, Marx insistait : < Dans le dernier chapitre de mon 18 Bru- maire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la pro- chaine tentative de la révolution en France devra consister non plus 4 faire passer Ja machine bureaucratique militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusquici, mais A la détruire. C’est la condition premiére de toute révolution véritablement populaire sur le conti- nent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroiques camarades de Paris. » C'est en effet la Commune de Paris de 1871 qui devait permettre & Marx et A son ami Engels de définir plus clairement quels devaient étre les rapports du prolétariat et de I’Etat au lende- main de la révolution. Cette expérience se révéla & leurs yeux si décisive qu’ils jugérent indispensable de remanier le Manifeste communiste en fonction de ces événements, Dans une préface datée de Londres — 24 juin 1972 — K. Marx et F. Engels notaient : « ... Ce programme n’est plus a la page. La Commune, notamment, a fourni la preuve que “ Ia classe ouvritre ne peut pas simple- ment prendre possession du mécanisme politique existant et le mettre en marche pour Ja réalisation de ses propres buts ?“, > La nouvelle Commune, qui « brise le moderne pouvoir de YEtat“ », est ¢ la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il est possible de réaliser ’émancipation du travail” ». Elle se caractérise essenticllement par : 1, la suppression de l'armée permanente et de la police et leur remplacement par le peuple armé ; 2. Péligibilité et l'amovibilité en tout temps de tous les fonc- tionnaires y compris les magistrats et les juges ; 38. « La république parlementaire, enfin, se vit contrainte, dans sa Tutte contre la révolution, de renforcer par ses mesures de répression les moyens daction et, 1a centralisation du pouvoir gouvernemental, Toutes les. révolutions Politigues n'ont fail que perfectionner cette machine, au lieu de la briser. > (K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (écrit en 1852], Paris, Editions sociales, 1945, p. 90.) 39. K. Manx, Lettres d Kugelmann, op. cit, p, 162. 40. Manifeste communiste, op, cit. p. 40-41, La phrase entre guillemets est’ tirée de La Guerre civile en France, op. city p. 39 : « Mais la classe ouvridre ne peut se borner A mettre Ia main sur le mécanisme de Etat, puis A s'en servir & son profit. » 41. La Guerre civile en France, op, city p. 48. 42, Ibid., p. 50. Le texte porte : « était >. 194 marxisme et anarchisme 3. la rémunération des services publics par un salaire égal & celui d'un travailleur, et cela de haut en bas de la hiérarchie*. Désormais, il sera admis. par les marxistes qu’ ¢ entre la société oupitaliste et la société communiste se place la période de trans- formation révolutionnaire de la premiére en la seconde. A quoi correspond une période de transition politique ot Etat ne saurait (tre autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat™ >, dictature A l'image du gouvernement de la Commune“. Ni Marx ni Engels n’ont done congu la disparition de I'Etat, forme d'oppression d’une classe par une autre, comme devant se produire subitement au lendemain de la révolution. Pour eux, Te probléme de T’Etat est trés étroitement lié 4 celui de lexistence des classes sociales. Le prolétariat qui sempare du pouvoir, passe do l'état de classe dominée A celui de classe dominante. Il doit, wil veut subsister, procéder 4 P’écrasement et & la liquidation de ly classe capitaliste, jusque-a exploiteuse, et cela jusqu’a sa dispa- tition, Durant tout ce processus de liquidation, le prolétariat, qui représente les intéréts de l'immense majorité, relache peu A peu son étreinte oppressive. Enfin vient le jour o& < le gouvernement des personnes fait place & l’administration des choses ct & la direc- tion d’opérations de production. L’Etat n’est pas “ aboli "3 il meurt® ». Et c’est alors — mais alors seulement — que l'on pourra transporter < toute la machine de I'Etat 1a od sera doré- avant sa place : au musée des antiquités, & cété du rouet et de Ja hache de bronze“ ». 43, Cf. La Guerre civile en France, op. cit, p. 44-46 et introduction d'Engels de 1891, p. een Cf également Lénine, L'Etat et la révolution, op, cit., p. 145. 44, K. Marx, Critique du programme de Gotha, librairie de L'Humanité, Vages socialistes, VII, 1922, p. 53. Crest en 1852, dans une lettre A Joseph Weydemeyer, que Marx a, pour Ja premiere fois, employé Vexpression : « dictature du prolétariat », Aprés avoir Hole qu'il n’'avait découvert ni les classes ni les Lutes qu’elles soutiennent entre lles, i s'exprime ainsi + « Ce que je fis de nouveau, ce fut : 1. de démontrer que Pexistence des olasses west lige qu’a des phases de développement historique de la production ; 2 que Ja lutte des classes conduit nécessairement a la dictature du. prolétariat ; ), que cetie dictature elle-méme ne constitue que la transition & Pabolition de Woutes les classes et & une société sans classes. » (K, Manx, F, ENGELS, Etu- des philosophiques, B.S.1., Bibliotheque marxiste, n° 19, lettre de Marx a J, Weydemeyer, 5 mars 1852.) ¢ Regardez la Commune de Paris. Voila la dictature du prolétariat, » (La Guerre civile en France, op. cit., introduction de F. Engels, p. xt.) 46. E, Exoeis, M.B, Dithring bouleverse la science, op. cit. t, Ill, p. 47. 1B ENGELS, L’Origine dela famille, de la propriété privée et de lEtat, fy Be 229, 195 Lénine a accordé, lui aussi, toute son attention 4 cette question et, dans L’Etat et la révolution, écrit en aoft-septembre 1917, notamment, il a repensé le probléme dans un téte-d-téte avec Marx et Engels *. En premier lieu, Lénine insiste sur ce qu'il considére comme « l'idée fondamentale du marxisme ® » : « La révolution ne doit pas aboutir & ce que la classe nouvelle commande et gouverne a l'aide de la vieille machine d'Etat, mais & ce qu’aprés avoir détruit cette machine elle commande et gouverne 4 l'aide d'une machine nou- velle > ‘De quel type sera-t-elle ? C’est en partant des expériences de la Commune de Paris et de la révolution russe de 1905 que Lénine Ja définit : « Marx enseigne, sur la base de l'expérience de la Com- mune de Paris, que le prolétariat ne pet pas prendre a la bourgeoisie sa machine étatique et la mettre en marche telle qu'elle est, qu'il doit briser cette machine et la remplacer par une nouvelle [...]. Cette nou- velle machine étatique a été créée par la Commune de Paris, et cest un “ appareil étatique ” du méme genre que sont en Russie les soviets des députés ouvriers, soldats et paysans*’... » Les mesures que devra prendre le jeune Etat prolétarien sont, mot pour mot, celles préconisées par Marx et Engels : « Les ouvriers, mailres du pouvoir politique, briseront le vieil appareil bureaucratique, le démolissant de fond en comble, n’y laissant pas pierre sur pierre et le remplaceront par un nouvel appareil, compre- nant Jes ouvriers et les employés, et, pour empécher ceux-ci de devenir eux-mémes burcaucratcs, on prendra immédiatement les mesures proposées par Marx et Engels : 1. non seulement éligibilité, mais aussi amovibilité en tout temps ; 2. salaire égal au salaire d'un 48, Lénine se proposait d’ajouter un chapitre @ son livre L’Etat et Ia révo- lution, Co chapitre aurait, 68 intitulé + < Expériences des révolutions russes de 1905 et de 1917. » L'exercice du pouvoir puis la mort lempéchérent de réaliser ce projet. Si Lénine était d'accord avec Je Marx de 1872 pour estimer que point n’élait alors besoin de déttuire la machine de I’Etat dans cortains pays. sans militarisme ni bureaucratie comme V’Aneleterte ou Jes Etats-Unis, il était convaincu, quarante-cing ans plus tard, queen ces pays était devenue indispen- sable Ja destruction de cette machine « perfectionnée de 1914 & 1917 d’apres les priacipes de Timpérialisme européen ». Cf, L’Etat et la revolution, op. city p. 34. 49. Lénme, L’Etat et a révolution, op. cit. p. 153. 50. Ibid. Lénine dit ailleurs : « Briser'la machine bureaueratique et militaire, ces mots condensent 1a grande legon du marxisme en ce qui conceme Je réle du_prolétariat révolutionnaire A Végard de PEtat, » (Ibid, p. 53-54.) SI. LENIKE, Sur la route de Vinsurrection, Paris, libraitic de L’Humanité, 1924, p, 122. ‘La méme idée est exprimée de fagon anclogue dans « Les Objectif du prolétariat dans 1a révolution », Euvres completes, édition frangaise, E.S.L, t. XX; texte reproduit dans Petite Biblioth¢que Lénine, n° 1: La Commune de Paris, Paris, Bureau @’éditions, 1931, p. 69, 70, 71. 196 marxisme et anarchisme ouvtier ; 3. participation de tous au contréle et A la surveillance, de sorte que tous soient temporairement “* fonctionnaires ”, mais que personne ne puisse devenir ‘* burcaucrate ”*. > Ce probléme du passage de I'Etat au non-Etat est suffisamment important pour que nous nous y arrétions et signalions quelques confusions qui y furent introduites et dont certaines ne furent pas désintéressées. Dans le n° 38 du Bulletin de la Fédération jurassienne — 20 septembre 1874 — un article non signé, intitulé « Le Rapport bruxellois sur les services publics », commentait Vorganisation de ces services dans la société future telle qu'elle avait €té congue et présentée par la section bruxelloise au congrés de I’'lnternationale des 7-13 septembre 1874. L’auteur de l'article, polémiquant avec les Bruxellois, déclarait : « Vous étes dans l’erreur en disant que nous voulons abolition de Etat tout en reconnaissant la nécessité de le reconstituer sur des bases conformes aux idées nouvelles. Nous vou- Jons abolition de V’Etat, certainement, et nous entendons par 1a Vabolition du gouvernement et du régime politique — chose que vous voulez comme nous, vous l’avez dit — mais nous n’entendons pas le moins du monde reconstituer ensuite un Etat sur des bases nouvelles, L’Etat restera bel et bien aboli, le gouvernement ne renai- tra pas de ses cendres : la société nouvelle que nous voulons consti- tuer et non reconstituer n'aura plus rien de commun avec l'Etat, parce qu'elle n’aura plus de gouvernement, plus d’institutions poli- tiques. » James Guillaume, reproduisant cet article dans son livre L’Inter- nationale, annote ainsi ce passage*’ : « Sans m’en douter alors, je me trouvais d’accord avec le Karl Marx de 1847 ; car celui-ci avait écrit dans son livre frangais La Misére de Ja philosophie, que je ne lus que beaucoup plus tard : “* Est-ce & dire qu’aprés la chute de Tancienne société, il y aura une nouvelle domination de classe, se résumant dans un nouveau pouvoir politique ? Non. La classe labo- rieuse substituera A l’ancienne société civile une organisation qui exclura les classes et leur antagonisme, et il n'y aura plus de pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisé- ment le résumé officiel de ’antagonisme dans la société civile ” (p. 177), Engels, de son cété, devait nous donner raison dans son livre contre Dithring, publié en 1878, of il s'exprime ainsi : “ A Yinstant méme ot [Etat cesse d’étre le représentant d’une classe pour devenir celui de Ja société tout entiére, il est devenu superflu. Dés quil n'est plus nécessaire de maintenir dans Yoppression une classe de la société, [...] il n'y a plus rien a réprimer, rien qui rende 52. Lénmve, L’Etat et Ia révolution, op. cit. p. 145-146. 53, J, GUILLAUME, L'Infernationale, op. cit, t, Il, p. 229-232. 197 nécessaire Texistence d’un pouvoir répressif, de l’Etat [...]. L’Btat west pas aboli : il meurt, il disparait. L’expression de Volksstaat, d'Etat populaire a eu sa raison d’étre A un moment donné pour les besoins de la propagande : mais elle ne répond pas & une réalité, et il faut en reconnaitre l'insuffisance scientifique. ” > Or ces textes sont tronqués. Voici les textes originaux. « Est-ce a dire qu’aprés la chute de l’ancienne société il y aura une nouvelle domination de classe, se résumant dans un nouveau pouvoir politique? Non. La condition d’affranchissement de Ja classe laboricuse c'est Yabolition de toute classe, de méme que la condition d'affranchis- sement du tiers état, de l’ordre bourgeois, fut labolition de tous les Etats et de tous les ordres. La classe laborieuse substituera, dans le cours de son dévelop- pement, a l’ancienne société civile une association qui exclura Jes classes et leur antagonisme, et il n’y aura plus de pouvoir politique Proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de lantagonisme dans la société civile ®. > Quant au texte d’Engels, cité sans référence de page, le voici dans Védition Costes de 1933 : « ... Du fait quill devient enfin le représentant effectif de la société tout entiére, lui-méme [I’Etat] se tend superflu. Dés qu'il n’y a plus de classe sociale & maintenir dans Voppression [...], il n’y a plus rien A réprimer, rien de ce qui Tendait nécessaire un pouvoir spécial de répression, un Etat, Le premier acte par lequel "Etat se manifeste réellement comme repré- sentant de la société tout entire, la prise de possession des moyens de production au nom de la société, est en méme temps son dernier acte caractéristique d’Etat. L'ntervention d'un pouvoir d’Etat dans Jes rapports sociaux devient superflue dans un domaine aprés l'autre, et entre ensuite d’elle-méme en sommeil. Le gouvernement des per- sonnes fait place & l’administration des choses et & la direction @opérations de production, L’Etat n’est pas “ aboli ”; il meurt, Cela permet de juger ce que vaut la formule “Etat démocratique libre ” [en note Freier Volksstaat], tant Pour ce qui la justifie pro- visoirement pour la propagande que pour son insuffisance définitive au point de vue de la science ; ce que vaut également la revendica- tion des dénommés “ anarchistes ”, qui veulent que, du jour au Iendemain, !'Etat soit “ aboli ”. » 54. J, Guillaume, politique passionné, ne se montra Pas toujours, de ce fait, trés scrupuleux historien. CE, M. VuILLEUMIER, Cahiers Vilfredo Pareto, n° 1/8, Geneve; Le Mouvement social, n° $6, juillet-septembre 1956, p. 113, 55. K. Misére de la philosophie, Paris, Editions sociales, 1946, p. 135 (texte conforme' a celui publié dans Pédition de 1847, Paris, A. Franck, p. 177), 56, F. Encets, M,E, Dihring bouleverse Ia seience, op. cit, t. III, p, 47-48, 198 marxisme et anarchisme Cos textes sont conformes A Tesprit et & Ia lettre des théses qnurxistes définies plus haut. Marx, en effet, précise que le prolétariat wa pas Vintention de substituer de fagon durable sa domination de classe a la domination ilo Ja classe bourgeoise. Dans le cours de son développement, il Sta- blira un type de société nouveau od, les classes étant exclues, tout pouvoir deviendra superflu. Jc membre de phrase « dans le cours de son développement > \miplique qu’au lendemain de la prise du pouvoir une période de iuiGe indéterminée sera nécessaire pendant laquelle Je prolétariat exercera sa dictature qui doit étre, dans Tesprit de Marx et de Lénine, plus démocratique que la, plus démocratique des républi- ques bourgeoises ; ce n’est que peu & peu, au fur et A mesure de Jlextinction de la classe capitaliste ou de sa réintégration dans le cycle normal du travail, que le pouvoir prolétarien dépérira et mourra. Quant au texte d’Engels, qui différe beaucoup de celui cité par J, Guillaume, il signifie exactement et mot pour mot la méme chose, Il n’est pour s’en convaincre que de méditer la derniére phiase od Engels établit la ligne de démarcation entre les deux theses marxiste et anarchiste, cette dernigre voulant que, « du jour au lendemain », V'Etat soit aboli, alors que la rapidité de sa disparition est en raison directe du processus de disparition des elt elles-mémes. Lénine, dans ses polémiques avec des socialistes « révisionnistes », est revenu, Ini aussi, sur la question & propos d’un passage Engels yolatif 2’ « abolition >, Ala « mort » de PEtat. Engels s'exprime en ces termes : « Le prolétariat s‘empare de la puissance de Etat et transforme les moyens de production tout Wabord en propriété de PEtat, Mais, par la, il s'abolit lui-méme en (wnt que prolétariat ; par 1a, il abolit toutes les différences et tous Jos antagonismes de classes, et, par 1 aussi, Etat en tant qu'Etat *’, > Il ajoute peu aprés : « Dés quill n’y a plus de classe sociale & maintenir dans loppression ; dés qu’avec 1a domination de classe ot la lutte pour lexistence individuelle antéricurement, fondée sur Vanarchie de la production, disparaissent aussi les collisions et les exces qui en résultaient, il n'y a plus & réprimer rien de ce qui ren- dait nécessaire un pouvoir spécial de répression, un Etat. Le premier acte par lequel Etat se manifeste réellement comme représentant de J société tout entiare, la prise de possession des moyens de produc- tion au nom de la société, est en méme temps son dernier acte carac- téristique d’Btat [...]. L’Etat n’est pas “* aboli ”; il meurt ®, » 57, Ibid, p. 46. 58, ibid. p. 47. Mais il y a, en méme temps**, mort subite et mort lente de l’Etat. Mort subite de 1’Etat capitaliste, de cette machine policiére et burean- cratique qu'il convient de briser dés les premiéres heures de la prise du pouvoir et cela brutalement, irrévocablement. Mort lente du jeune Etat prolétarien qui s’éteint progressivement au fur et a mesure que Ja nouvelle classe dominante sidentifie peu A peu avec la nation tout entiére. Combien de temps durera ce passage de I’Etat au non-Etat? Lénine se refuse A préciser. ¢ On ne saurait assigner de date A cette extinction furure, d’au- tant qu'elle constitue un processus de longue durée °° », mais « lex- pression !’Etat se meurt est trés heureuse, car elle exprime A la fois la lenteur du processus et sa fatalité matérielle * ». Tel est le point de vue marxiste sur |"Etat. De Marx-Engels a Lénine, une filiation directe s’établit, et celui-ci disait de la préface @Engels & la Guerre civile : « Ce résumé [...] peut étre justement considéré comme le dernier mot du marxisme sur la question de PEtat®. » Aprés le probléme de I’Etat, et en liaison avec lui, le probléme de la liberté est un de ceux qui ont fait l'objet des discussions les plus {pres entre anarchistes et marxistes. Pour Marx, Engels et leurs disciples, il n'y a pas de liberté en soi. Ce grand principe affirmé avec éclat, en France notamment, a la fin du xvur sigcle cache en réalité la volonté égoiste d’une jeune bourgeoisie de pousser en force et de s’épanouir, dit-elle pour cela réduire en esclavage les armées des travailleurs industriels et agri- coles. La liberté en soi a servi de paravent commode A I’asservisse- ment économique et Marx, refusant de s’en laisser imposer par le mot abstrait de liberté, ne manque pas de demander : « Liberté de 59, « Engels parle de “ I'abolition ” de I'Etat bourgeois par Ja révolution, prolétarienne, tandis que Je mot sur la “ mort de 1'Etat *” concerne les résidus de PEtat prolétarien aprés la révolution socialiste, L’Etat, bourgeois, selon Engels, ne “ meurt ” pas; il est anéanti par le prolétariat dans la révolution, Ce qui meurt aprés cette révolution, c'est Etat prolétarien ou le demi-Etat. » (Lénine, L’Etat et la révolution, op. city p. i 31.) 60, LENINE, L’Evat et Ia révolution, AL. Cf. également, La ‘Révoluiion prolétariene et le’ renégat Kautsky, op. cit, p. 39: « Crest toute une époque historique que le passage du capitalisme au’ communism, 2 61. Léninz, L'Etat et la révolution, op. elt, p. 118, 62, Ibid. p. 100, 200 marxisme et anarchisme qui®? » et, dans le Manifeste communiste, il précise : « Par liberté, on entend, dans les conditions actuelles de la production bourgeoise, la liberté du commerce, la liberté d’acheter et de vendre, > Singulitre liberté ds lors que celle qui permettait 4 quelques capi- taines d'industrie, & quelques rois de l'acier ou du pétrole, de réaliser des fortunes colossales et de décider en se jouant de la vie des peuples, alors que Varmée de Jeurs esclaves travaillait douze, quinze ou dix-huit heures par jour, que des enfants de cing ans étaient employés dans les manufactures, que les esprits étaient asservis A Pégal des corps, et qu'il y avait plus de différence entre Youvrier de 1890 et son patron qu’entre le serf du Moyen Age et son scigneur. Liberté pour qui? Tout le probléme est 1a. La liberté est un produit de l’évolution historique. Qu’il s’agisse de la liberté psychologique, de ce qu’on a nommé le libre arbitre, de cette possibilité qui nous est donnée d’accomplir ou de ne pas accomplir un acte, ou qu'il s’agisse de 1a liberté sociale, c’est-A-dire de la liberté de individu en face de l’Etat, les marxistes pensent qu'elle ne consiste pas « dans le réve d’une action indépendante des lois de la nature », mais « dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité ainsi donnée de les faire agir systématiquement en vue de fins déterminées ® >. En ce qui concerne le libre arbitre, la pensée marxiste s'appa- rente A celle de Hegel, qui, dit Engels, « fut le premier qui exposa 2xactement le rapport entre liberté et nécessité. La nécessité n'est aveugle quwautant qu'elle n’est pas comprise™ >. Etre libre, psychologiquement parlant, ne consiste pas dans « un choix arbitraire entre un grand nombre de décisions possibles, diverses et contradictoires™ ». C’est 14 le contraire de la liberté, puisque Vindividu est dominé par Tobjet méme qu'il devrait domi- ner; c’est jouer sur les mots que dire que Ion est libre de nager jusqu’a New York ou de rester six mois sans prendre de nourriture. 63. Discours sur la protection, le libre-échange et les classes ouvriéres, Northern-Star, 9 octobre 1843; reproduit dans Morceaux choisis de K, Marx, Paris, Gallimard, N.R.F., 4° édition. ¢ Messicurs, ne vous laissez pas imposer par le mot abstrait de liberté, Liberté de quiz. » (Op. cit., p. 211.) Lénine écrit de méme : ¢ Ii est naturel qu'un libéral parle de “ démocratie ” en général, Un marxiste, lui, n’oubliera jamais de demander : “ Pour quelle classe ? : Cénme, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, op. city p. 14.) Sh. Manifeste communiite, op, al, pp 85. 6. F, ENasLs, ‘M.E. Diihring bouleverse la science, Paris, Costes, 1931, tLp, 170, 66. Ibid, p. 170. 67, Ibid, p. 171. 201 Nous sommes partie intégrante de Ja nature et Ja liberté consistera dans une « souveraineté sur nous-mémes et sur le monde exté- tieur, fondée sur la connaissance des lois nécessaires de la nature ** ». Qu’il s’agisse donc de homme placé en face de lui-méme ou de Yhomme placé en face du monde extérieur, sa liberté sera fonction de la connaissance qu'il prend de sa propre nature ou de la nature extérieure, Loriginalité de la pensée marxiste, comme Vindique R. Mau- blanc dans Le Marxisme et la liberté™, est @avoir appliqué cette conception de Ia liberté aux lois de la vie sociale. L’homme ne peut pas davantage modifier & sa fantaisie les rapports sociaux qu'il ne peut 4 sa fantaisie se modifier lui-méme ou modifier le monde extérieur. Le réle de homme est de découvrir les lois nécessaires de T’évolution des sociétés, La connaissance de ces lois lui rendra toute sa dignité et lui permettra, de découvrir les limites de son action. Au stade capitaliste de l’évolution des sociétés, l'homme est le jouet des forces économiques, qui ne semblent mystérieuses que parce qu’elles sont inconnues. II ressemble fort aux premiers humains face aux éléments naturels déchainés. L’ge capitaliste est celui de Ja production chaotique résultant de la contradiction entre une production collective et une appropriation individuelle. Ce mode de production engendre crises, mistre et guerres, et l'homme moderne courbe la téte, accablé par ces fléaux comme son ancttre lointain courbait le front devant Yorage et la foudre. Tenu dans Lignorance de la cause de ses maux, il ne peut les conjurer, et les forces économiques déchainées Vasservissent : il ne saurait étre libre. Mais vienne la révolution et « par la prise de possession sociale des moyens de production, la production marchande cesse et, par 1A méme, la domination du produit sur les producteurs. Lanarchie au sein de la production sociale est remplacée par une organisation consciente et systématique... C’est I'humanité passant dun saut du régne de Ja nécessité dans le régne de Ia liberté™. » 68. Ibid., p. 171. 69. R. Mavatanc, Le Marsisme et la liberté, Paris, Bditions sociles, 1945, P. 6. 70. F. Encets, M.E. Dithring bouleverse la science, op. city t. Hl, p. 51-52. « Par la prise’ de possession sociale des moyens de production, la production marchande cesse ct, par 1A méme, la domination du produit sur les producteurs, Lianarchie au sein de la production sociale est remplacée par une organisation consciente et systématique, La lutte pour Pexistence individuelle prend fin, Par 18, pour la premiére fois, homme sort, en un certain sens, définitivement du régne animal, passe de conditions animales d’existence A des conditions vri ment humsines, L’ensemble des conditions de vie, milieu qui, jusqu'ici, dominait V'homme, entre enfin sous la domination et le contrdle des hommes qui, Pout Ja premitre fois, deviennent les maitres conscients et véritables do la nature, 202 marxisme et anarchisme Afin de caractériser la dictature du prolétariat, il convient, sui- vant le conseil donné par Marx, de poser la question : Liberté pour qui? Selon les marxistes, 1a dictature du prolétariat est instituée : « pour briser la résistance de la bourgeoisie ; pour frapper de terreur les réactionnaires ; pour maintenir Vautorité du peuple armé contre la bourgeoisie ; pour que le prolétariat puisse abattre par la force ses adver- jaires ". > La liberté sociale est donc I’apanage de la nouvelle classe diri- goante, le prolétariat; parler de liberté en soi reste une phrase ereuse A ce stade de l’évolution sociétaire™. Mais les marxistes insistent sur le caractére progressif de cette dictature par rapport i une dictature fasciste, et méme par rapport 4 V'Etat capitaliste libéral. Alors qu’une minorité jouissait auparavant de toutes les libertés, ce sont désormais les intéréts de Vimmense majorité des nouf dixitmes de la nation, que représente Ia nouvelle classe sociale dirigeante, Dans ce sens, Lénine a pu parler dun demi-Etat, parce qu'en tant qu'ils deviennent les maitres de leur propre organisation en fociété, Les lois de leur propre action sociale, qui, jusqu’ici, se dressaient dovant eux en lois de la nature, étrangres A eux et les dominant, sont dés lors appliquées et dominées par les hommes en pleine connaissance de cause. L’or- yunisation propre de la société des hommes, qui, jusquiici, leur était comme éwangere et octroyée par Ja nature et histoire, devient un acto de leur propre ot libre initiative. Les forces objectives, étrangéres, qui, jusqu’alors, dominaient Vhistoire, passent sons le contrdéle des hommes eux-mémes. Ce n’est qu’d partic de ce moment que les hommes feront eux-mémes leur histoire en pleine conscience; ce mest qu’a partir de ce moment que les causes sociales, mises en mouvement par eux, auront, en majeure partie ct dans une mesure toujours croissante, tes effets Youlus par eux. C'est I'humanité passant d'un saut du rgne de Ja nécessité dans le régne de ta libert6. ‘Accomplir cet acte libérateur du monde, voila la mission historique du pro- llariat moderne. En étudier les conditions historiques et, par la méme, la nature, et donner ainsi A Ja classe aujourd'hui opprimée, qui est appelée & Yaction, la pleine conscience des conditions et de la nature de son action propre, pea, i teens du socialisme scientifique, expression théorique du mouvement prolétarien. » ‘It, Lémine, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, op. cit., p. 37. 72. « Tant que le prolétariat fait encore usage de V'Etat, il ne le fait pas dans Tintérét de la Liberté, mais bien pour ayoir raison de son, adversaire, et, dds que Yon pourra parler de liberté, 'Etat comme tel cessera dexister, > (Cri- tique du programme de Gotha, op. cit, P. 82, lettre de F. Engels & Bebel, Londres, 18-28 mars 1875.) 73, « Le soviet des députés ouyriers et soldats est Yembryon du gouvernement ouvriers il représente les intéréts de toutes les masses pauvres, c'est-a-dire des neuf dixigmes de la population... » (LENINe, Euvres choisies, Moscou, Edi- tions en langues étrangéres, 1946, tI, p. 902 : Lettres de loin, lettre premibre publiée en 1917 dans les n°* 14 et 15 de la Pravda, 3-4 avril [21-22 mars} 1917) 203 dont I’existence se traduit momentanément par un geste d'auto- défense a ’égard de ceux qui voudraient restaurer l’ordre ancien, mais qui au cours de son dépérissement verra disparaitre peu A peu Vappareil de coercition qu’il a di créer. Seule ia mort de l’Etat entrainera la liberté pour tous, la liberté en soi. La conception marxiste de la liberté peut donc étre qualifiée de « dynamique“ », pour reprendre le mot de R, Maublane qui tra- duit le devenir qui en est la marque. Pour les anarchistes comme pour les marxistes, Etat, force d’op- pression, doit étre détruit, mais les anarchistes se refusent & envi- sager une étape intermédiaire entre /’Etat et le non-Etat. Si une nouvelle constitution devait étre par eux promulguée — ce qui est exclu — elle ressemblerait assez 4 celle qu’élabora plaisam- ment Rochefort : Article 1. — Il n’y a plus rien. Article 2, — Personne n’est chargé de V’exécution du précédent article. " Les anarchists posent done le probléme ainsi : il est un principe mauyais ; celui de I’autorité représenté surtout par I’Etat. Abolissons. PEtat et ce sera le régne de la liberté. La société que prénent les marxistes au lendemain de la révolution, avec sa dictature du prolétariat, ne constituerait nullement un progrés sur la société capitaliste ; les pouvoirs de I’Etat seraient accrus et les citoyens- matricules de l'immense armée collectiviste seraient réduits 4 obéir aux ordres de quelques chefs incontrélables. Quant a Ja révolution dont sont partisans les anarchistes, elle consistera dans la libération des individus opprimés par les institutions ct Je salariat. La force est certes nécessaire pour briser les entraves, mais les hommes s'associeront ensuite comme ils l’entendront, suivant leurs gotits et leurs besoins “. La solution est-elle si simple? Il ne le semble pas, méme aux 14, Le Marxisme et la liberté, op. cit, p. 15. 15. « Nous youlons Vabolition de 1'Etat, certainement, et nous entendons par 18 Pabolition du gouvernement et du régime politique, '[...] mais nous n'enten- dons pas le moins du monde reconstituer ensuite cet Etat sur des bases nouvelles. L'Btat restera bel et bien aboli, le gouvernement ne renaitra plus de ses cendres : Ja société nouvelle que nous voulons constituer et non reconsti+ fuer n’aura plus tien de commun avec 1’Etat, parce qu'elle n’aura plus de gouvernement, plus d'institutions politiques, > (Bulletin de la Fédération juras- sienne, n° 38, 20 septembre 1874; article reproduit dans L'irternationale, op. cit, t. I, p. 229 et s,) 204 marxisme et anarchisme youx dun Bakounine, puisqu’il écrivait, il y a cent ans™, précisant joy conditions dans lesquelles devrait se dérouler une révolution et sorganiser une société de type libertaire : « Figurez-vous cn plein (riomphe dune révolution spontanée en Russie. L’Etat et avec lui tout Pordre social et politique ont été anéantis. Le peuple entier west soulevé, s’emparant de tout ce qui lui est nécessaire et chas- sunt tous ses ennemis. Il n’y a plus ni loi ni pouvoir [...]. Représentez-vous, au milieu de cette anarchie populaire, une organisation secréte ayant disséminé ses membres sur toute I'étendue de Empire, par petits groupes mais néanmoins fermement unis, mus par une méme idée et un méme but, quills poursuivent, cela va sans dire, en tenant compte des circonstances et en agissant partout selon Je méme plan [...]. Voild ce que jappelle la dictature collective de Yorganisation secrete . > Il s’agit d’ < aider le peuple @ décider Iui-méme de son sort sur la base d'une égalité absolue, d'une liberté humaine complete et universelle, sans la moindre immixtion de quelque gouvernement que ce soit, méme provisoire ou de transition, cest-d-dire sans Vin- termédiaire de tout systéme étatique >, car « nous sommes les ennemis déclarés de tout pouvoir officiel, méme si c'est un pouvoir ultra-révolutionnaire, de toute dictature reconnue publiquement™ >. « Mais si nous sommes des anarchistes, demanderez-vous, de quel droit voulons-nous agir sur le peuple et par quels moyens le forons-nous ? [...] Au moyen d'une force invisible qui n’aura aucun curactdre public et qui ne simposera a personne ; au moyen de la dictature collective de notre organisation qui sera d’autant plus puissante qu'elle restera invisible”, non déclarée et qu'elle sera privée de tout droit et de tout réle officiels®. » Il ne s‘agit que organiser ¢ I’état-major de la révolution », « tout au plus cin- quante ou soixantes [personnes], et c’est plus qu'il n’en faut™ >. « Une telle dictature n’est pas du tout contraire au libre déve- loppement et & autodétermination du peuple, ni A son organisation de bas en haut conformément A ses usages et & ses instincts, puis- 16. « Lettre du 2 juin 1870 », Michel Bakounine et ses relations avec Serge Netchaiev, 1870-1872 (in Archives Bakounine publiées par Arthur Lehning), texte original (fusse) : p. 103-134; trad, francaise ; p, 221-253. Publié ézalement par M. ConFINo, Violence dans la violence, Patis, Maspero, 1973, p, 106-149, 77, Ibid., p. 237-238. 78. Ibid, p. 237. 79. Bakounine avait déj2 exprimé semblable idée deux mois auparavant dans une iettre A A. Richard (Bibliothtque municipale de Lyon, ms 5406, piece 12). Voir aussi Ie texte de In « Confession », t, I, p. 47, note 19, 80. « Lettre du 2 juin 1870 », op. cif, p. 237. 81. Ibid., p. 240. 203 qu'elle agit sur Iui par la seule influence naturelle et personnelle de ses membres, qui sont démunis de tout pouvoir et disséminés, au moyen de leur invisible réseau, dans toutes les régions, districts et communes, et qui tichent, d’un commun accord et chacun dans son agglomération, de diriger le mouvement révolutionnaire spontané du peuple selon un plan commun arrété d'avance et bien défini®, » Est-il nécessaire de commenter? Nous avons exposé, et cela suffit, les points de vue marxiste et anarchiste sur la révolution et ses lendemains, Aujourd’hui plus qu’hier Ia question est dimpor- tance, puisque son intérét de théorique est devenu pratique et intéresse Ia vie de centaines de millions d’étres. Une seule certitude : le socialisme ne répondra aux espoirs qui ont ét& mis en lui que s'il associe justice sociale et Liberté. 82, Ibid, p. 238. VI Biliogtep hie du mouvement anarchiste en France 1880 - fin 1972 1. SOURCES MANUSCRITES 2, IMPRIMES A. Périodiques a) Ordre alphabétique b) Ordre chronologique r B. Livres et brochures a) Collections, Travaux universitaires b) Anonymes ©) Auteurs {) 3, ICONOGRAPHIE l Sources manuscrites Voici un quart de sitcle, Ja régle des cinquante ans refusait aux historiens toutes archives publiques postérieures & 1900. Depuis, et notamment au cours de ces derniéres années, des cartons de plus en plus nombreux se sont ouverts sur le plan départemental comme sur le plan national. Il serait fastidieux, et d’ailleurs impossible, de prétendre en offrir un répertoire exhaustif et nous nous contenterons de rappeler les principales directions de recherches. Archives publiqaes Aux Archives nationales, ce sont les séries judiciaires : BB 18, BB 24, BB 30, les séries F 12 et F 22 (industrie et travail) et, avant tout, la série F 7 (Police générale) qui permettent d’abondantes moissons. ‘Aux Archives de la Préfecture de police, rue Basse-des-Carmes, 75.005 Paris, la série B (documents postérieurs 4 1870) est d'une particuliére richesse. Enfin, la série M des départements, dans la mesure of elle n’a pas été détruite au cours de la derniére guerre comme ce fut le cas dans Aisne, les Ardennes, le Loiret... est celle qui, en priorité, nous intéresse. Mais il n’existe pas seulement des manuscrits dans les centres 209 archives, il en existe également dans les biblioth8ques, & la Biblio- théque nationale notamment, A titre d'exemple, on signalera les plus récentes acquisitions : Nadar : Fr. Nouv. Acq, 24272 : quatre-vingts lettres de Jean Grave & Nadar. Labori : Fr. Nouv. Acq. 24 399 et 24.400 : dossier de la plaidoirie de Maitre Labori pour Vaillant, J. Rictus : Fr. Nouv. Acq. 24552 : lettres d’André Colomer dans papiers Jehan Rictus (ff. 527-550). Archives privées Les archives privées concernant le mouvement anarchiste ne sont pas négligeables, Rappelons tout d’abord les collections de l'Institut international d'histoire sociale d’Amsterdam. Sans pouvoir lui étre comparé, le Centre international de recherches sur I'anarchisme (C.LR.A.) récemment installé 4 Genéve mérite également mention. A I'Institut frangais @histoire sociale créé en 1948 et que j'ai doté, entre autres, de ses fonds d'archives anarchistes, ceux du syndicaliste Paul Delesalle, ceux de T'individualiste E. Armand, les 1600 lettres regues par J. Grave et dont Mlle Chambelland fit Vinventaire, constituent, en velume et en qualité, d’importantes collections. Chaque jour, de nouvelles archives privées se découvrent qui alimentent le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en cours d’édition, des souvenirs sont publiés, comme ceux de N. Fau- cier, récemment parus dans Le Mouvement social (cf, n° 83, avril- juin_1973) sous le titre « Souvenirs d'un permanent anarchiste, 1927-1929 >... Nous nous sommes contenté de retracer ci-dessus les grandes voies de recherches ; il appartient 4 Vhistorien de faire en sorte que tien d’essentiel ne lui échappe. 2 Imprimés A. PERIODIQUES (CENT ANNEES DE PRESSE ANAR- CHISTE 1880-FIN 1972) Létablissement des listes alphabétiques et chronologiques des périodiques anarchistes de langue francaise publiés en France de 1880 & 1972 fut laborieuse. En voici les raisons : difficulté pour trouver les périodiques, difficulté pour faire le décompte, année par année, des numéros parus, difficulté enfin pour déterminer si un périodique devait ou non figurer sur notre liste. En premier lieu la découverte d’un périodique anarchiste dont on a pu vérifier I'existence et, plus encore, les dates précises de paru- tion, est souvent malaisée, En dépit du concours de deux auteurs de mémoires de maitrise, Mlle Gorski et M. Droguet, en dépit de Vide particuligrement précieuse apportée par MM. Jean Prinet, conservateur en chef et Patrice Caillot, conservateur du département des périodiques & Ja Biblioth’que nationale, quelques blancs souli- gnent notre ignorance, fl faut dire 4 notre décharge que nous nous 2i1 sommes efforcé de retenir toutes les feuilles ronéotées qui, aujour- @hui, plus encore qu’hier, foisonnent et ne s’astreignent pas toujours au dépt légal. Ces feuilles ne vivent souvent que T'espace sinon d'un matin, tout au plus de deux ou trois numéros puis disparais- sent sans qu'il soit toujours possible d’en retrouver la totalité des exemplaires, voire un seul d’entre eux, et donc de se prononcer sur la représentativité de la feuille en question. Lorsque nous donnons toutefois un titre, c'est que nous nous sommes assuré que le pério- dique a non seulement été annoncé mais a fait Yobjet d'une publica- tion, méme éphémére. Si, parfois, une cote n’a pu étre indiquée, cest que le périodique existe hors de la Bibliotheque nationale, par exemple dans une collection privée que, par discrétion, nous mavons pas citée, Par ailleurs, il nous a été impossible d'étendre notre quéte A tous les centres de la région parisienne. Une seconde difficulté résidait dans le décompte des numéros parus. Nous nous sommes efforcé de quantifier 4 un numéro prés les périodiques recensés. Or un autre chercheur arriverait 4 d'autres résultats, 4 quelques unités prés. C’est que, compte tenu des fan- taisies de numérotation, des disparitions de certains périodiques et de leur résurrection, des numéros doubles ou spéciaux, des suppléments divers, il est vain de prétendre définir un crittre de dénombrement. Enfin, et c'est 14 sans doute le probléme Je plus délicat 4 résoudre, il est hasardeux de prétendre affirmer que tel périodique est anar- chiste, alors que la présence de tel autre sur notre liste n’a pas été jugée souhaitable. Précisons donc, faute de mieux, les raisons qui nous ont guidé dans Ja fixation du périmétre de nos recherches, Notons tout d'abord que nous n’avons retenu que les seuls pério- diques majoritairement de langue francaise publiés en France. Conséquence : se trouvent exclus des revues comme Pensée et action du Belge Hem Day et surtout les journaux espagnols, nombreux en France depuis la défaite des républicains en 1939 — pour la période actuelle, les périodiques toulousains Cenit, Espoir, Confrontation anarchiste, Commune libre, etc. L’organe national de la C.N.T., sec- tion francaise, Le Combat syndicaliste, a vu disparaitre peu a peu, totalement aujourd'hui, toute rubrique en langue francaise ; pris en charge par le mouvement espagnol en 1956, il a cessé de figurer dans notre statistique 4 partir de cette date. Toute régle comporte des exceptions et nous avons conservé les quelques feuilles rédigées par des Frangais et par leurs sculs moyens durant un bref temps dexil, I'exemple le plus caractéristique étant celui du Pere Peinard londonien (huit numéros) d’Emile Pouget en 1894-1895, Toujours dans le domaine syndical, mais en se placant cette fois au point de vue idéologique, il importait également de se limiter. Aussi avons-nous distingué, ou tenté de distinguer, les publications anarcho-syndicalistes, présentes dans nos listes, des publications 212 imprimés syndicalistes révolutionnaires non retenues. Dans le temps, c'est la coupure @’Amiens de 1906 — cf. notre thése —- qui nous a paru essentielle. ‘Autre élimination ; les bulletins intérieurs non destinés & vente publique comme Le Lien, bulletin de Ja F.A. qui vit Je jour aprés la Libération et continue & paraitre, ou encore Je Bulletin préparatoire 1 congrés international des fédérations anarchistes (n° 1, novembre- décembre 1968) . Enfin, ont été écartés les ¢ marginaux > de Yanarchie ou ceux que nous avons jugés tels, et nous savons tout ce que peut comporter @arbitraire une telle distinction, En ce qui concerne par exemple la propagande néo-malthusienne, Régénération, 1900-1908, de Paul Robin, Génération consciente, 1908-1915, qui lui succéda. La Grande Réforme, 1931-1939. Nous avons négligé également certaines publi- cations pacifistes qui débordent le cadre de lanarchisme propre- ment dit. Le mouvement anarchiste frangais ayant pris naissance en Suisse jurassienne, il nous a paru au contraire indispensable de citer les journaux publiés dans cette région avant que le mouvement ne s’ins- falle en France vers 1880 ct auxquels collaborérent maints « anti- autoritaires » de la Premitre Internationale. Bref, nous avons voulu délimiter aussi précisément que possible notre domaine de recherches ct, surtout, ne regrouper que les seuls périodiques exprimant le mouvement francais et traduisant, sous forme mesurable, son rayonnement. Les critéres définis peuvent etre jugés arbitraires, Pour Tessentiel, nous pensons avoir représenté correctement cent années de presse anarchiste. Imparfaite sans doute, cette bibliographie devrait néanmoins constituer un utile instrument de travail. ABREVIATIONS AD. Archives départementales AN, Archives nationales B.D.LC. Bibliotheque de documentation internationale contempo- raine BN. Bibliothéque nationale CHS. Centre @histoire du syndicalisme (Paris I) CLR.A, Centre international de recherches sur V’anarchisme LA. Institut international Whistoire sociale (Amsterdam) LF.HS. Institut frangais @histoire sociale MS. Musée social P.Po. Archives de la Préfecture de police a) Ordre alphabétique imprimés NOMBRE, LIEU DE Annies DB DE PRE, PARUTION PARUTION | NUMEROS See PARUS L’Action Paris 1896 1M L'Action Marseille 1904-1905 5 BN, Jo 11034 antimilitariste L'Action d'art Paris 1913 1B BN. Jo 45517 (ine: : 14 2°) LEAS. 14 ASP 29 (compl. 18 n°) LAction dart Paris 1919-1920] 8 LEHS. 14 ASP. 29 BN, Jo 45517 (inc.) LAction directe | Toulouse (1) | 1903-1905 | 9 LA. L'Action directe Toulouse 1969 i CLRA. Hbertaire L’Action libertaire | Paris 1933 1 L'Aetion libertaire | Paris 1963-1965 6 B.N, Jo 13048 (manque n° 2) LiAetion libre Paris 1932-1935 | 33 BN Jo 69042 ine.) LAction Alger 1887 2 révolusionnaire L’Action Nimes 1887 2 BN. Jo 11098 révolutionnaire L’Action Lyon 1902 6 BN. Jo 11099 révolutionnaire Action sociale | Paris 1896 5 BN, Fol. Le? 8 L’Action syndicale | Lens 1904-1905 80 BN. Jo 40114 L’Action Paris 1945-1946 24 syndicaliste L’Action- Tours Tours 1970 8 L’Affamé Marseille 1884 6 BIN. Jo 11122 L’Agitateur Marseille- 1892-1897 20 BN, Jo 11139 Avignon L’Alarme Lyon 1884 8 BN. Jo 11165 Anarchia Marseille 1890 2 BN. Jo 11259 L'Anarchie Paris 1887 2 a Fol. Le2 6 a Oe ee nc 215 ah NOMBRE uieu pe | axwirs pe DE ae PARUTION PARUTION | NUMEROS Som: ‘PARUS D’Anarchie Paris 1890-1891 15 BLN, Fol. Le2 5122 (inc) L’Anarchie Paris 1905-1914 | 484 BIN. Fol, Le2 6246 (inc) L’Anarchie Paris 1926 4 B.N, Jo 15789 q (manque n° 1) L’Anarchie Paris, 1926-1929 52 LEHS. 14 @ ASP 396 B.N, Jo 20489 (n° du 12 fv, 1926) L’Anarchie Antony 1954-1972->| 98 CHS, et Jo 8020 Anarchisme et 1965-1972->) 30 BIN. 8° Jo 15052 non-violence LAnarchiste Paris 1907 2 LA. L’Anarchiste Saint-Etienne | 1964 ? Anarcho- Nantes 1972 3 BN. 4° Jo27161 syndicalisme L’Anarcho- 1961-1972->] 123 CHS, syndicaliste B.N.4° Jo 24541 (a? 85) L’Améchrist ‘Toulon 1897 3 BIN, Jo 11287 (ne 7 et 3) E’Anticlérical Paris 1898-1899 7 | collection Dommanget L’Antipatriote Paris 1891 2 LA. Arcanes Paris 1967 3 CLRA. Archinoir Grenoble | 1969-1970 3 | BN 4 Jo243e2 ae Argad Aix-en- 1969-1971 8 BN, 4° Jo 23578 Provence Marseille Aristophane Paris 1968 ? L’Arme Paris 1890-1892 10 @ | BN, Fol, Le2 (deux n°: 22 juin et 17 nov. 1890) L’Art social Paris 1891-1896 32 BIN, 8° Z. 13739 et Arsenal (déc. 1891) 216 imprimés ee iets NOMBRE uiev pe | anwérs pp | DE une PARUTION | PARUTION | NUMEROS oe PARUS LrAttaque Paris 1889-1890 a BN, Jo 40136 LAube nouvelle | Alais 1900-1901 3 LA, L’Aube nouvelle | Saint-Claude | 1903-1904 8 BN, Jo 11364 puis Grenoble L'Audace Paris 1885 3 N. Gr, Fol. Le2" 4745 (a 1 et 3) L'Autonomie Paris 1887-1888 9 La, individuelle .N. 8° R, 10963 (n° 6) L'Avant-Garde Paris 1905 11) L'Avant-Garde Paris 1887 8 BN. Gr. Fol. cosmopolite Led 5103 (7 ne") LA. (complete) LAvant-Garde 1905 2 BN. Jo 60106 socialiste (U1) Gane.) syndicaliste révolutionnaire L’Avorton Paris, 1969 1 CLRA. Le Balai social Mantes 1904-1906 | 25. | BIN, Jo 11888 Geine-et- Oise) Le Bandit Roubaix 1890 2 | Bibl, Mun, Lille du Nord IX 110 (a 1 et 2) BN, Jo 11890 (a? 1) La Batailte Paris 1922-1925 | 45 | BN, Gr. Fol. syndicaliste Jo 20362 Le Batailleur Lille 1900 14 | BN, Jo 11945 Bordeaux-Mistre | Bordeaux 1890 1 Brug (Bruyeres) | Bretagne 1913-1914 19 | BM Jo 80798 inc, Bulletin 1967 2 anarchiste Bulletin du Marseille |1966-1972, 9 | CLRA. Cira-Marseille Bulletin Vaux 1903-1905, 5 | LRHS. de a colonie (Aisne) « Le Miliew libre 217 LIEU DB PARUTION ANNEES DE PARUTION ‘NOMBRE NUMEROS PARUS core Bulletin du Comité de déjense sociale Bulletin du Congras| anarchiste international Bulletin d'études révolutionnaires Bulletin de la Fédération anarchiste communiste die Midi Bulletin de la Fédération révolutionnaire communist puis Bulletin de la Fédération communiste anarchiste Bulletin du Groupe anarchiste d'Alger Bulletin de Groupe des ESRL. de Paris Bulletin du Groupe S. Faure Bulletin des groupes anarchistes Bulletin d'information du Comité de défense de la révolution espagnole antifascist Bulletin de Vinternationale anarchiste Bulletin de l'Internationale libertaire Bulletin mensuel de la minorité de UAC. Paris Londres Paris Paris Alger Paris Bordeaux Paris Perpignan Londres Coursan (Aude) 1909-1912 1914 1944-1949 1927-4 1911-1912 1922 1899 1954 1881 1937 1908-1909 1906-1907 1930-1931 10 LA LA, BN, 4° Jo 6369 (inc.) CIRA B.N, Jo 81241 ine.) LA, (complete) BLN. Gr. Fol. Jo 3128 M.S. 16702 MS. 16497 Jo 64636 tL 218 imprimés —— NOMBRE imu pe | ANNéES DB DE 77s PARUTION PARUTION, NUMEROS SO PARUS Bulletin Paris 1890 2) | LA @? 1) de propagande antipatriotique Bulletin Rambouillet i914 10 BN. Jo 71307 de « La Ruche » Bulletins « Les Temps nouveaux > cf. Les Temps nouveaux, 1916-1919 Cahiers de Front | Paris 1967 1 CLRA. noir Cahiers de Phumanisme libertaire cf. ci-dessous Cahiers Paris 1955-1972->] 182 BN, Fol. du socialisme Jo 8924 libertaire Cahiers de Nimes- 1936-1938 5 | BDIC. Ss, « Terre libre > Paris Pidce 10043 Cahiers Toulon 1939 1 | BDLC. $ du trayailleur Pidce 10355 libertaire Ca ira Paris 1888-1889 | 10 BN. Gr. Fol. Led 5104 (jusqu’au n° 9 3 manque Je n° 5) Bibl, Arsenal Fol, Jo 4854 Gusqu’au n° 10; " manque n° 2) Ca ira Agen 1931-1932 9 BN, Jo 95280 Le Camarade Paris 1899 i@ Les Causeries 1932 3@ populaires Ce quill faut dire | Paris 1916-1917 | 83 BN, Jo, 25102 LPS. 14 ASP 235 (compléte) Ce quill faut dire | Paris 1944-1949 | 64 BN. Fol. Jo 25182 219 eS andi Somme LIEU DE spe | DE ae Paxution | Parution | nontros oe PARUS Le Cheminot Paris, 1960-1969 | 16 anarchiste La Chientit Marseille 1969-1971 1 CIRA. Le Christ Toulon- 1895-1897 | 17 BN, Jo 7485 anarchiste Paris (ne.) La Clameur Paris 1932-1936 | 18 (2) BN, Jo 41858 (ine, La Clameur Amiens 1896 al amiénoise Cie Paris 1949 50 Cloae Paris 1972 3 CLRA. Le Combat ou Roubaix. 1905-1911 | 208 (2) | BIN, Jo 12449, £e Combat de ‘Tourcoing Jo 12438, Roubaix-Tourcoing Jo 91896, ou Le Combat Jo 81899 du Nord et Complete saut du Pas-de-Calais en 1907) Le Combat Lille 1923-1924 | 13 BN, Jo 93854 Le Combat Limoges 1907 35 BIN. Jo 12471 social Le Combat Paris 1926-1939 | 375 (2) | B. N. Jo 30537 syndicalisie (ine) Le Combat Paris, 1947-> | 136 136 m8 = syndicaliste période francaise exclusivement Le Communiste | Aislemont 1908 2 BN. Jo 12488 (Ardennes) Le Communiste | Paris 1919-1920 | 22 (2) | BIN, Jo 25365 BDC, G. 601 > 22, Compte rendu Bordeaux 1964-1965 6 des activités du groupe Jeunes Iibertaires La Conquéte Boulogne- | 1934-1935 | 45 LFHS. 14 ASP du pain Billancourt 212 bis Le Conscrit Paris 1892 1 AD. Saint. Etienne 19 M4 Le Conserit Paris 1905 1 BLN. Fol. Le2 5970 Contre-courant Paris 1951-1968 | 155 BN, 4° Jo 9495 Le Contre-poison | Saint-Céré 1933 80) (Lov) Controverse Paris 1932-1934 | 12 BIN. Jo 84938 220 imprimés ec ‘TITRE La Coopération des idées Le Courrier social La Cravache La Cravache Le Cravacheur La Crécelle Le Gri du cheminot Le Cri du peuple Le Cri populaire Le Cri de révolte Le Cri de Sadne-et-Loire Le Cri du soldat Le Cri (ypographique Le Crt typographique Les Crimes de Dieu Croquis brefs Le Cubilot Le Déchard Défense de Vhomme’ La Défense sociale Le Déji Le Drapeau noir Le Drapeau noir Le Drapeau noir Le Drapeau noir LIEU DE PARUTION Paris Paris Roubaix Reims Roubaix Saint-Etienne Paris Nancy Paris Sadne-et- Loire Paris Paris Marseille Nimes Lyon Aiglemont, (Ardennes) Damery (Marne) Paris puis Golfe-Juan (Alpes- Maritimes) Dunkerque Lyon Lyon Marseille Lyon Paris ANNEES DE PARUTION 1895 1894 1997-1898 1906-1913 1898 1907 1947-1948 1970-1971 1904-1906 1898-1899 1908-1909 1912 1891-1892 1901 1897 1922-1923 1906-1907 1892 1948-1972 > 1913 1884 1983 1888 1966-1967 1968 NOMBRE, DE NUMEROS PARUS 20 it 113. @) 280 17 3@ core BN, Jo 12823 BN. Jo 12827, Jo 91972 (inc.) BN, Jo 12835 (a°* 1.47 inclus) LA. (complete) BN. Jo 12836 (manque le n° 4) BN. Fol. Lce2 3402 BN. Jo 12886 LA. BN, Jo 12867 AN. F7/13332 LA. BN. Jo 69420 LA, BIN. 8° G, 11003 BN, Jo 25065 (inc) BN. Jo 13124 BN. 8° Jo 8474 BN. Jo 13185 BN, Jo 4935 LA. CLRA. CLRA. 221 ee 2 NOMBRE qizv pe | années pe DE RE PARUIION | PARUTION | NuMEROS ae PARUS Le Drapeau rouge | Paris 1885 5 BN. Leo 4494 Gn Le Drapeau rouge | Lyon 1889 20 Le Droit anarchique| Lyon 1884 3 BN. Jo 6221 Le Droit social | Lyon 1882 24 BN. Jo 4324 Le Droit sociat | Marseille 1885 2 BN. Jo 6095 Echo libertaire Normandie | 1967-1968 9 CLRA. Echos libertaires | Marseille 1968-1972 | 12 BN. 8° Jo 17234 puis Ego @ partir du n° 2 de Ego) L'Echo de la misire 1889 3 AD. Nord M 154/92 BAN. Jo 5780 @ n%) L’Education Paris 1899-1901 | 10 (2) | BLN. 8°R. 18316 1 libertaire (un seul n°, mars-ayril 1900 : n® 4, 2° année) BIN.4° R. 1813 (un ‘seul “n°, nov. 1900 :'n° 4, 1° année) LEmancipation | Lyon 1906-1907 | 14 (2) | BN, Jo 14437 (le seul n° 14 : 1-31 janvier 1907) L'Emeute Lyon 1883-1884 7 BIN. Jo 4956 LEn Dekors Paris 1891-1893 | 91 BN. Gr. Fol. Le2 5184 (inc.) LEn Dehors Orléans 1922-1939 | 335 BIN, Jo 93206 (manque n° 1) i 4 L'En Dehors Eure 1967 4 CLRA. L'Enneml du peuple| Paris 1903-1904 | 28 BN, Lo2 6134 ine. LFS, (complete) L'Ennemi du peuple| Paris 1928 a LEntente anarchiste| 1952-1953 s Les Entretiens Paris 1892 6 () | BIN.8°Z, 13458 politiques et littéraires eee 222 imprimés NOMBRE xieu pe | années pe | De TR PARUTION | PARUTION | NuMBRos ome PARUS LEre nouvelle Paris 1901-911 | 56 BN, D2 422 inc,), 1217552 (inc) IFHS. (complite) Espagne Barcelone | 1936-1937 | 31 BN, Gr. Fol. ‘antifasciste puis Paris Jo 1573 LEspagne Bordeaux 1937 7 BN. Fol, Jo 1191 antifasciste LEspagne nouvelle | Nimes 1937-1939 | 69 BN. Gr. Fol. Jo 1572 “Ginc.} LEHS. 14 ASP 43 LEsprit de révolte | Paris 1885 2 LA. (on seul n°) L'Esprit de révolte | Paris 1888 LEsprit @initiative | Paris 1895 B LA, LEtat naturel Paris 95-1998 | 4 @) | BN, Lo? 5838 inc. LEtendard Lyon 1882 2 BN. Fol. 4393 révolutionnaire Etudes anarchistes | Paris 1948-1952 | 7 BN, Jo 7152 LEveil des Paris, 1925-1926 | 7 @) jeunes libertaires LBveil social Aulnay- 1932-1934 | 30 BN. Jo 95613 sous-Bois LExploité Paris 1938 1@ | BN. Fol. Jo 2612 Le Falot Cherbourg 1892 8 BN. Jo 6780 cherbourgeois Le Faubourg Paris 1891 3 La Feuille Paris 1897-1899 | 25 LA, La Feuille Lyon 1920-1938 | 27 ( | BAN, Jo 6441s inc. La Feuille Paris 1967-1972 | 18 BN. 4° anarchiste Le2'7094 Feuilies rouges Reims 1904 13 BN. Jo 8556 Le Flambeau Vienne 1901-1902 | 13 BN. Jo 14694 (Isérey Le Flambeau Alger 1923-1926 | 39 aN Ta $3863 inc: Le Flamberu Brest 1927-1934 | 80 BN. Jo 94175 223 NOMBRE Lieu pe | années pp De one PARUTION | PARUIION | NUMEROS om PARUS Le Forgat Paris 1891 2 BN. Gr. Fol. Le2 4965 Pitco (e n° spécimen seulement) Le Forcat Bordeaux 1885-1886 | 17 BN. Jo 14705 du travail Le Fouet Aisne 1909 12 BN, Jo 14724 (ine) Franchise Paris 1918 3 BIN. Jo 40657 Front libertaire | Paris 1970-1972->| 22 BN, Fol, des luttes de classes Le2 7237 Germinal Amiens 1904-1913 | 356 BN. Jo 85053, 85053 bis et ter Germinal Toulouse 1907-1908 | 16 BLN. Jo 85060 Germinal Amiens 1919-1938 | 732 BN, Jo 85053, bis et ter Le Glaneur Paris 1885 2 BIN. Le2 4420 anarchiste (un n°) Les Glaneurs Lyon i9i7-1918 | 19 BN, Jo 50913 La Grove générale } Paris 1893-1900 | 21 BN. Gr, Fol, Le2'5517 (inc) Groupe de propagande par Vécrit of. La Révolte ot Temps nouveaux Guerre de classes 1971-1972, 5 BN. Gr, Fol. Jo 9498 Le Gueux Paris 1891-1892 | 16 BIN, 8° Z. 659 Harmonie Marseille 1892-1893 | 16 BN 8° Z, 13681 ine! L'Homme libre Paris 1899 3 BN. Le2 5934 L'Homme libre | Saint-Etienne |1960-1972->| 53 BIN, 4° Jo 16338 Hors du troupeau | Orléans 1911-1912 6 B.N. D2 17552 L'Hydre anarchiste | Lyon 1884 6 BIN, Jo 85193 L'Hydre de Lerne | Toulouse 1967-1968 6 CLRA, puis Lyon 224 imprimés " NOMBRE, Liev DE | ANNEES DE DE ore PARUTION PARUTION | NUMEROS ous PARUS L'ldée anarchiste | Paris 1924 13 LEAS. 14 ASP 83 CHS. Lldée libre Agen 1896 4 BN, Jo 85205 Lldée libre Paris 1911-1913 | 23 () | BN. Jo 70793 L'idée libre Saint-Etienne | 1917-1919 | 25 BN. Jo 70793 LiIdée libre Conflans- 1920-1939 | 225 + | B.N. Jo 70793 Sainte- 1 suppl. Honorine puis Herblay L'ldée ouvritre Le Havre 1887-1888 | 41 B.N, Jo 85206 L'Incorruptible Paris 1897 1 P.Po BA/138 L'Increvable Agen 1972 2 Anarchisme L'Indépendant Commercy 1891 3 BN, Jo 6264 (Meuse) L'ndividt libre Paris 1882 1 LES. BN. Le2 4796 Informations Thionville 1966 (2) v libertaires L'lnsurgé Paris 1887-1891 | 21 (2) | BN. Jo 6585, Fol. Le2 5077 Lilnsurgé Lyon 1893 15 BIN. Jo 85645 LiInsurgé Limoges 1910-1911 | 63 BN, Jo 85643 Lilnsurgé Paris 1925 32 BN, Jo 30874 Gace.) L'Insurgé Paris 1967-1970 | 21 BN. Fol. Le2 7237 (ac.) L'International Londres 1890 8 LA. L'International- Marseille 1886 4 BN. Jo 85655 anarchiste Jean-Pierre 1901-1904 bs BN. 8° Z. 5703 (> n° 16, juin 1903) Jeunes libertaires Paris 1953-1967 St CLRA, La Jeunesse Paris 1921-1922 it AN. P7/13054 anarchiste de n° 10) BN. Jo 56692 Jeunesse anarchiste | Paris 1946-1947 2 BN. Fol. Jo 4205 B.D.LC. P 2072 _ 225 ‘TITRE La Jeunesse nouvelle Ee Journal du peuple Le Lampiste Lettres Prolétariennes Libération Liberoso Le Libertaire Le Libertaire Le Libertatre Le Libertaire Le Libertaire Liberté Ea Liberté dopinion La Liberté et l'anarchie Le Libre Le Libre Examen Lu dans la presse libertaire syndicaliste| espagnole La Lueur Lueurs NOMBRE LIEU DE ANNEES DE DE PARUTION PARUTION NUMEROS PARUS Lyon 1896-1897 3 Paris 1899 299 Le Mans 1953-1954 | aq.n° Paris 1895 1 Saint-Genis- | 1927-1928 2M Laval (Rhone) Auxerre 1924-1927 23 (2) Alger 1892 10 (2) Paris 1895-1914 | 926 Parig 1919-1939 | 1.402 Paris 1944-1956 | 491 Paris 1968-1972 10 Paris 1958-1971 | 180 Brest 1907 1 Paris 1884 a Paris 1897-1898 5 Paris (2) 1904 20 Falaise 1938 3 Tours 1924 5 Lyon 1924-1925 3 corE BN. 8°R, 15530 (ns 1 et 35 Je n° 2 est a A.D. Saint- Etienne, 19 M 16) BN. Gr. Fol. Le2 5811 LA. BN. Jo 73606 BN. Jo 82974 (inc.) BN. Gr, Fol, Le2 5757 Micr, D, 92 BN. Gr. Fol. Le2 5757 Mier, D, 92 BN. Gr, Fol, Le2 5757 B.N. Gr, Fol. Le2 5757 BN. Fol. Jo 10108 BN. Jo 86410 La, BN.4° Z, 1400 A.D. Calvados 13 T 11/8 (n° 3) BN. Jo 61156 (manque le n° 1) BN. 8° R, 33550, 8° R. 33412 (n° 4) HN 226 imprimés TITRE Lucifer La Lumitre La Lumiere La Lutte La Lutte pour la vie La Lutte sociale Lyfac Le Maillet La Marmite La Marmite sociale La Meche La Mélée La Mere Peinard La Misare La Misdre La Mistoufle Le Monde libertaire Le Monde nouveau Le Monde owvrier (ex Ouvrier des Deux Mondes) Le Mouvement anarchiste Le Naturien Le Néo-Naturien N'importe quot LIEU DB PARUTION Bordeaux Montpellier Saint-Etienne Lyon Paris Lyon Paris Paris Avignon Alger ‘Toulouse Déols (Indre) puis Paris Seine Paris ‘Besangon Dijon Paris Marseille Paris Paris ‘Deux-Stvres Montauban ANNEES DE. ‘PARUTION 1929-1931 puis 1934 1904 1923 1883 1893 1886, 1969 1893 1967 1893 1969-1970 1918-1920 1908 1898 1907 1893 1954-1972» 1946 1899 1912-1913 1898 1921-1925 puis 1927 1972 NOMBRE DE NUMEROS PARUS| ma aSon Susan B~ as 185 BN, Jo 41794 BN. Jo 8821 BN. Jo 93502 BN. Jo 5040 BN, Lo2 5132 n° 3) BN. Jo 86549 CLRA, BN. 4° Jo 21075 LA. CLIRA. B.N, Jo 92876 (nc) BN. Gr, Fol. Le2 5875 B.N. 8° Le 11/315 @6) (inc) BN. Gr.Fol. Jo 7365 BN. Fol. Jo 3966 B.N.4° R, 1408 BN, 8° R.27373,CIRA, BN. Jo, A 1415 BN, Jo 85984 Gnc.) CLRA. 227 eee NOMBRE imu pe | aNées pp | De manne Panution | Pagurion | NuMERoS ee PARUS Noir et Rouge Paris 1956-1970 | 46 Notre Voix 1920 () ? La Nouvelle Paris 1937-1938 | 60 BN, Gr. Fol, Espagne antifasciste 39,1396 (ne) RSP 08 La Nouvelle Paris 1895-1898 | 20 BAN, Fol. Z. 783 Hurnanité La Nouvelle Paris 1905 12) Humanité Les Nouvelles Paris 1949-1950 9 BN. Gr. Fol. Pacifistes Jo S715 1 Objectif solidariué | Paris 1972 1 CLRA. internationale Occitante libertaire | Paris 1970-1972 4 BN. 4° Jo 27546 & pari da BDuc. 4 P7548 L’Euvre sociale | Marseille 1895 6 BN. Fol. R243 Mun, Marseille 65523 LOrdre Limoges 1905-1907 | 36 (2) | BLN. Jo 87218 Gn seulement n° 8, 4-18 fev. '1906 n® 36, 3-17 mars '1907) LOrdre naturel | Paris 1920-1927 | 68 BIN. Jo 46290 puis Lyon @ nv seulement : 1922 et 1927) LOrdre sociat Nice 1950-1953 | 22 BN. 4° puis Jo 13520 ine.) 1958-1959 LOuvrier des Paris 1897-1898 | 23 BN.4° R, 1408 Deux Mondes a 228 imprimés de NOMBRE Lieu pa ES DE De REIS: Panution | Parurion | NUMERos Sane PARUS L’Ouvrler normand | Caudebec- | 1886-1887 | 18 BN, Jo 6312 les-Elbeut (Seine- Inféricure) LOuvrier révolté | Calais 1887 2 Par-dela la mélée | Paris- 1916-1918 | 42 BN, Jo 30287 Orléans (manquent les n° 39 et 42) Le Paria Paris 1892-1895 | 13 LA, Le Parti ouvrier | Saint-Jean 1892 2 BIN, Jo 6873 du-Var Le Partisan 1957 2 Passer outre Paris 1968 2 CLRA. Le Paysan révolté | Saint-Pierre. 1882 3 BIN, Jo 4719 Jes-Martigues (n° 2 et 3) (Bouches-du- LA, @? 3% Rhone) 15 sept, 1882) Bibl, Mun, Marseille (at 2 et 3) Pendant la mélée | Paris 1915-1916 BN. Jo 30287 cf, Par-deld la mélée) Orléans Le Pere Duchéne | Paris 1896 4 Le Pere Peinard, | Paris 1889-1894 | 264 BN. 8° Le? 4% série $377 (années 1889- 1890) Fol Le2 $377 (1891-1894) Le Pere Peinard, | Londres 1894-1895 8 LEAS. série londonienne Le Pere, Peinard, | Paris 1896-1899 | 130 BN, Fol. Le2 2" série 5377 Le Pere Peinard, | Patis 1900 15 BN. Fol. Le2 3 série 5377 Le Pere Peinard | Paris 6mars1902) 1 Gr, Fol. Leo 37 Perspectives Paris 1967 6 CIRA. anarchistes communistes Le Pétard Paris 1891 3 BN, Le? 5379 Le Pétard Paris 1904 1() | LEHS. eS 229 — eee an NOMBRE Lieu DE IES DE DE. ams PARUTION PARUTION NUMEROS: beds PARUS Le Petit Libertaire | Paris 1933 2 La Petite Feuille | Roubaix 1903 6 BN, 8° Le2 anarchiste 6226 Le Plagiaire Vienne 1923 9® La Plébe Paris 1918 4 Les Plébéiennes 1900 21 BN. Le2 6149 (manque le n° 1) Plus loin Paris 1925-1939 | 169 BN. Jo 52469 CHS. (complite) Poliche Reims 1907 1@ Le Pot a colle Bagnolet 1891-1892 | 19 (Seine) Le Pot a colle Paris 1898 9 BN, J. 58632 inc, Le Pot a colle Paris (2) 1901 1@) Pour nous Paris 1970-1972-> CHS. Je combat continue Le Producteur Le Havre 1890 1 Publications de « La Révolte » et «Temps nouveaux 2 cf. La Révolte et Temps nouveaux Le Quotidien Lyon 1901-1902 | 294 BN. Jo 88625 Rail-CN.T. Paris 1949 2 Le Rail enchainé | Paris 1944-1967 | 50 BN. Fol. Jo 7662 (inc.) La Raison Rouen 1933-1936 | 43 BN, Gr, Fol. Jo 462 dnc.) La Raison Toulouse 1943, 1 CLRA. : (@hotocopic) Recherches Paris- 1966-1972 9 CIRA. libertaires Strasbourg Rectitude Paris 1936-1937 | 13 BIN. Gr, Fol. Jo 453 Le Réjractaire Paris 1929 4@ BN. Jo 41157 (nc) _— See 230

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