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MARIA CHAPDELAINE (EXTRAIT) Louis Hémon, Maria Chapdelaine rsque quelques instants plas tard, Frangois monta fechelle avec les gargons, Maria en ressensit un phaisie nu, I Tui parassat venir ainsi un peu plus prés delle, er entrer dans le cercle des affections légitimes. Lelendemain far une journée bleue, une de ees journées oitle ciel éclatantjette un peu de sa couleur claire sur la tere. Le jeune foin, le bIé en herbe étaient dun vert infiniment tendre, émouvant, et méme le bois sombre semblait se teinter un peu d’szur. Feangois Paradis redescendlit Rchelle au matin, méta- morphosé, en des vétements propres empruntés a D2 Bé er 4 Esdras, et quand il ent fit sa toilette et se fat rasé, la mére Chapdelaine le complimenta sur sa bonne mine. Une fois le dejeuner dit matin pris, tous réciterent ensemble un chapelet & Theure de la messe, et aprés cela Ie long loisir merveilleux du dimanche sétendit devant eux. Mais le programme de la joumeée état dea arrété. Eutrope Gagnon artiva comme ils finissaient le diner, qui avait été servi de bonne heure;et aussitot aprésils partirent tous, munis d'une multitude dispa rate de seaue de plats et de gobelets detain, = Il n'y en a pas gutre cette année, dit Frangois. Ce sont les gelées de printemps qui les ont fait mous, Mapportait ala cueillette son expérience de coureur des bois, Dans les creus ot entse les aunesy la neige sera restée plus longtemps et les aura gardés des premitres gelécs, Ils cherchérent et firent quelques trouvailles heureuses: de lacges talles e'arbustes chargées de baies grasses, qui égrenérent industricusement dans leurs scaux. (Couxci furent pleins en une heure; alors ils se rele ‘érenter susscent,sur un arbre tombé, pour se reposes. Diinnombrables moustiques et maringouins tourbil- lonnaicnt dans Paic brGlant de Paprés-midi. A chaque instant il fallait les éearter Wun geste; ils décrivaient tune courbe affolée et evenaient de suite, impitoyables, Inconscients, uniquement anxicux de trouver un pouce carré de peau pour leur piqite; & leur musique surai- sué se mélait le bourdonnement des tertibles mouches noices, et le tout emplissat le bois comme un grand ci sans fin, Les arbres verts étaient rares: de jeunes bouleasx, quelques trembles, des tails d'aunes agitaient Jear fevillage au milieu de fa colonnade des troncs depouillés et noircs. Les blenets étaient bien mis, Dans les rile violet de leurs grappes et le vert de leurs feuilles noyaient maintenant ke rose éteint des demitres fleurs de beis de charme. Les enfants se mirent& les cuillir de suite avee des cris de joie; mais les grandes personnes se dispersérent dans le bois, cherchant les grosses tales au milieu desquelles on peut Saceroupir et remplir un seau en une heure. Le beuit des pas sur les broussilles ‘dans les tillis aunes; les cris de Télesphore ct «'Alma-Rose qui Sappelaient fun Pauite, tous ces sons séloignérent peu 4 peu et autour de chaque eueillette il ne reata plus que la clameue des mouches ivees de soleil et le bruit du vent dans les branches des jeunes hhoulesux et des trembles ~Ily aune belle tall icitte, appela une voix ‘Maria se redressa, le cacur en émoi, et alla rejoindse Frangois Paradis qui s'agenouillait derritxe des aulnes, Cote cate ils ramassérent des bleucts quelque temps avec diligence, puis senfoncérent ensemble dans le boisjenjambant les arbres tombés, cherchant du segard atatour deux les taches violettes des baies mires. simplicité franche de ses gestes rare et de ses attitudes, tune grande faim delle lui venait eten méme temps un actendrissement émerveille parce ql avait vécu presque ‘toute sa vie rien qufavec d'autres hommes, durement, dans les grands bois sauvages ou les plaines de neige. Ul sentait quelle etait de ces femmes qui, lorsqutlles se donnent, donnent tout sans compter: Yamour de leur corps et de leur ecrur,la force de leurs bras dans la besogne de chaque jour, la devotion complete d'un, ‘sprit sans détours. Bt le tout lui paraissat si précieu «quil avait penr de le demander —Jevais descende a Grand Mere la semaine prochaine, dit ila mi-vois, pour travaller sur fécluse & bois. Mais, je ne prendrai pas un coup, Maria, pas un seul! IT. hésita un peu et demanda abruptement, les yeux a terre: —Pear-ttre...vousart-on dit quelque chose contre moi? -Non. Frangois Paradis regarda autour de lui comme pour sorienter. — Les autres ne doivent pas étre loin, dit-il. — Non, répordit Maria a voix basse. Mais ni Pun ai Tautre ne poussa un cri d’appel. Un écurcuil descendit du trone d’un bouleau mort ct les guetta quelques instants de ses yeux vifs avant de se risquer a terre. Au milicu de la clameut ivre des mouches, les sauterelles pondeuses passaient avec un crépitement sec; un souffle de vent apporta & travers les aunes le grondement lointain des chutes. Fransois Paradis regarda Maria a la dérobée, puis détouria de nouveau les yeux en setrant trés fort ses mains une contre Pautre. Quielle était done plaisante A contempler! Détre assis auprés delle, dentrevoir sa poitrine forte, son beau visage honnéte ct patient, la ~ C'est vrai que favais coutume de prendre un coup pas mal, quand je revenais des chantiers et dela draves ais cest fini, Voyez-vous, quand un gacyon a passé six mois dans le bois a travaller fort et & avoir de la risére et jamais de plaisir, quil arrive 4 la Tague ow & Jonguitves avee toute la paye de Phiver dans sa poche, cest quasiment toujours que fa téte Tui tourne tun peu: il fait de la dépense et il se met chaud, des fois... Mais cest fini, E+ cest wai aussi que je sacrais un pew. A vivre tout le temps avee des hommes «rough» dans le bois ou sur les rivieres, on s'accoutume 4 sa. Iy a eu un temps que je sacrais pas mal, et M. le curé Tremblay ava dlsputé une fois parce que j'avais dit devant lui que Je sfavais pas peur du diabie, Mais c'est fini, Maria JJe vais travailler tout lété & deux piastres et demie par jour et je metirai de Pangent de edté, certain, Et 4 automne je suis sie de trowver une «job» comme foreman dans un chanticy avce de grosses gages. Au printemps prochain jaurai plus de cing cents piastres de souvées clare et je eviendral. hesita encore, la question quilallait poser changea sur ses levres, — Vous serez encore icitte.. au printemps prochain? = Oui, Exaprés cere simple question et sa plas simple réponse, ile se turent et restérent longtemps ainsi, muets ct solennels, parce qu'ilsavaient échangé leurs serments. Lacuilette de blevets,

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