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PRESENCE DES ESSAIS* Jean-Yves Pouilloux. fen accompagnant a lecture de Lectures de d'art de conftrer> de Montolene, ownage Bedi, DIA, Paris, Belin, 1980, 191 p. de A. Compagnon, Nous, Michel de Moncelgne, 5» Seull, TOKO, 286 pet de C. Rosiet, Le rée et som double, Ersal sur TMhston, Galimard, 1976, 130 p. Le réef traité de Fditie, Paris, Ed, de Minuit, 1977, Ba L abjer nguler, ibid, 1978, 110 p.) F Les pages qui suivent ont été écrites au cours de I'hiver 1980-81. Elles tla marque de leur temps, doublement, et les années passées me les pparaitre inactuelles. I! aurait fallu, pour leur restituer un peu de vie, les re entidrement. Cela n'est malheureusement pas possible, étant donné une publication si longtemps différée. Je le regrette, et souhaite demeure, au moins, V'allégresse toujours renouvelée de lire le texte des se hasarde souvent des boutades de mon esprit, desquelles je me effi, (c) et certaines finesses verbales, dequoy je secoue les oreil- les;(b) mais e les laisse courir & 'aventure» (Ill, V1, 943). eParmy tant d'emprunts je suis bien aise d’en pouvoir destober quel- qu'un, les desguisant et difformant & nouveau service. Au hazard que je laisse dire que c'est par faute d'avoir entendu leur nature! usage, je luy donne quelque particuliere adresse de ma main & ce quills en ‘soient d'autant moins purement estrangerse (III, X/1,1056, c). D'un méme texte, mais est-ce encore le méme texte? il est, comme on , divers emplois. Emplois plutdt que lectures, car & bien le prendre, du temps on use du texte, et on use le texte, plus qu'on ne Ie lt. la fondation officielle de instruction publique en France, les Essis servi de réservoirinépuisable & maximes pour exprimer et conforter la faique, comme Victor Hugo et La Fontaine ont servi & offrir aux ts des Coles un répertoice de récitations. Cette fonction pédapogique ane pas s%étonner que périodiquement paraissent des ouvrages destinés ex les éldves dans leurs études. Tel est le cas du livre publié dans la on «Oeuvres et thémesy et qui a pour objet de lire Vessai II, VIZ, Part de conférer. es Era sont cités dans "ition Viley, PU, 1965. z24& Critiques VIII, 1-2 (1983) Montaigne 186 ‘cea & Crlqus Resence des Essie 187 (HI, 7%, 995): «Lay mesmes tout poétique, et ta vieille theologie poésie, disent les scavants, et [2 premiore philosophie, C'est T'originel langage des Diewxn). Le question du sens regoit 18 un éclairage nouveau, et conforme une autre formule ctée ici en exergue, sur les boutades de Fesprit dont fon se défi, et sur les finesses verbeles dont on secoue les oreiles, énoncé eres problématique, mais qui indique au moins une piste pour décrire les Relations du mot et du sens, et Je degré de maltrse du Joeuteur sur son dis- cours. Composé de init articles critiques et d'une mise au point sur la langue de Montaigne, ce recueil me parait donner une bonne idée, et encouragearr te, de Pévolution des lectures, Le parti-pris de la collection (en partie dictée par les concours de reerutement aux grandes écoles scientifiques) qui lie unt ‘uve et un théme, e lit trés clairement dés la table des matiéres, puisque le terme ironie figure dans six titres sur neuf, et non sans fruit, semble-til Pi tot que d’analyser chacun des articles, je présenterai quelques. remarques dTensemble, Les auteurs enseignent les lettres, mais deux d’entre eux sont de forms tion philosophique, et plusieurs autres, sans faire fonds sur une culture phi losophique spécialisée, se référent explicitement & un corpus que négligeait voire ignorait, la tradition critique de temps plus anciens. Montaigne semble, en quelque sorte,au moins un peu, dégagé de la gangue qui enveloppait naguére ¥ Un dernier mot sur ce recueil: alors que la tradition, généralement, sou- Hignait la gravité du propos, le scepticiame du moraiste, sa préoccupation de ta mort, comme si ce mot était nécesssire pour donner plus de poids, ic, 1 ton d’ensemble est beaucoup plus allégre. Assurément fe motif commun, Prone, porte une notable responsabité, oblgeant peu ou prow les auteurs ‘encore sa pense, et Iu donnait une figure de sage qui sat vivre plutét que Pat se prendre trop au sérieux sous peine de trahison ou de ridicule. de philosophe qui salt réfléchic. On ne craint plus de placer son nom dans is eussi par une jointure plus intime, et qui tient & la nature méme de la la méme phrase que ceux de Descartes (it est vrai que pour cet assemblage, Fiifexion, & Texercice méme de la pensée, comme lexprime souvent Jan- 1a paire est ancienne), Hegel, Kierkegaard, Nietzsche ou Heidegger. Une telle tch pour qui l'ironie, avec ses pointes et piquiires, éveille la pensée! accession & un domaine bien délimitée, la «philosophiey, bien sir n'est pa croitait du Montaigne, «les contradictions done des jugemens ne mvof: ‘sans dangers, mais elle réagit justement contre la réduction séculaire & une ent ny m’alterent; elles m’esveillent seulement et m’exercent» (IIL,V II, Inocuté idéologique dont une préface de 1965 donne un saisissant exemple: ‘pour me citer que ce passage. Ul semble ainsl qu'une attitude de pen: clivee de vertu» dit cet auteur, splus encore que de grandeur (,..). Non sai 4% fit modifide, comme sla eroyance dans Ia stabilité des éléments thé- un art éprowé 4’étze mal-pensanty. Assurément la connexion entre art de tiques s'était quelque peu atténuée et quion avait entendu, enfin, le s3- conférer et ironie appelat un retour ® la tradition philosophique, de Socrate rappel de Montaigne: «Autant peut faire le sot celuy qui dict vra 8 Jankélevitch en passant par Kierkegaard, il n'empéche qu’on assiste & une celuy qui dict faux: car nous sommes sur la maniere, non sur la matiere Evolution a mon sens tout & fait positive et qui retitue A Montaigne un ste ‘ire. Mon humeur est de regarder autant & la forme qu'a la substance tut qu'il n’aurait jamais da perdre tant 2 Vadvocat qu’a la cause, comme Alcibiades ordonnait qu'on fits a steenanettt ca taeeesai as , VHT, 928, b). Si ce n’est une vérité générale, et cela ne prétend nulle lt te ene, lor ue tone: on ert AMM crs ange tc me a ‘git discrétement devant le «concept» dont i était support, on remarqu dans ce recueil une générale attention aux signifiants qui constituent le texte et & curs relations, & leur dépendance. (Une telle attention & la langue» remarque en particulier dans l'étude de P. Mathiot et dans celle de H. Labroy se). Cela entraine deux conséquences dont Ia portée dépasse de foin la pba gogie & laquelle ce recueil, avec modestic, se voue; la premiere: on préte ay tention dans le texte des Bssais aux registies de la voix, aux intonations,b au jeu des échos et des contradictions que Vinterprétation classique, depui Charron, eluéait ou effacait. Cela laisse espérer qu'on ne mutilera plus o 4quion mutilera moins le texte des développements ett les réduisant & apophlegmes. La seconde: les mots retrouvant ainsi leur épaisseur, is vent en méme temps une opscité qui modifie la philosophie méme. disait Avicenne eanimal nihil nisi animal tanturn», et est aller dans le sea méme de Montaigne qui décrit le pote selon Platon — ct selon luizném koute et qu’on Papplique au particulier qui l'énonee, ou l'énonga. Ce re- > Par lequel est dévaluée une position dogmatique, pour qui les essences offrraient & la connaissance humaine Macoés & des vérités substantie! est trés clairement analysé par P. Mathiot (& qui a été dévolue, en outre, Bi responsabilité d'introduire rensemble du recueil). Quelles que soient les réserves qu'on peut faire sur tel ou tel point, voire tel développement dont on saisit mal le rapport qu'il entretient avec les ce recuell provoque une réaction chaleureuse: voici Montaigne moins conn, moins trahi, devant linstitution qui 'a si fort dénaturé: cole. 188 cues & Critiques Avec une tout autre ambition, Antoine Compagnon a publié un ouvrage au tite A la fois évocateur et ambigu, Nous, Michel de Montaigne, Travall remarquable, par sa précision et par la justesse de son abord, ce livre pourra rebuter tel ou tel, qui par V'aridité du propos tout entier consacré & débattre de Ia position (ou des positions) de Montaigne dans la querelle des univer- saux, qui per le tour minutieux et souvent répétitif d'une avancée & petits pas (auteur luiméme évoque la figure de la spirale), qui encore par les acro- baties verbales un tantinet cascadeuses ~ surtout dans les titres des chapttres dTailleurs — ou par les résumés qui précédent les développements proprement dits et qui peuvent icrter. Tout cola existe, ilest vrai. It serait dommage qu'on S'y arrétat et le livre vaut mieux que ces vétilles. Car objet méme qui eft cxaminé est le langage, son lien aux choses, ses attaches aux étres; et nom le Langage en général, mais précisément le nom. A. Compagnon part d'une petite phrase de Pessei «De Ia gloire» (Il, XVZ, 626) «... je n’ay point de nom qui soit assez mien, ..», et remontant Iécheveau des citations cherche & dli- comer comment les Esscis se débrouillent du paradoxe qui noue 1a logique la langue dans toute 1a philosophie occidentale, et qui entraine det con- séquences graves dans la théologie, fa politique et la vie méme. Montaigne ailleurs, commence son chapitre par une définition quast scolaire: «ll y a le ntom et la chose: le nom, c'est une voix qui remarque et signfie la chose; le nom, ce n’est pas une partie de la chose ny de la substance, c'est une piece estrangere joincte A la chose, et hors ¢'ellew. Puis, & Je ligne, et sans autre transition, «Dieu, qui est en soy toute plenitude et te comble de toute per fection, il ne peot s‘augmenter et accroistre au dedans; mais son niom se peut augmenter et accroistre par la benediction et louange que nous donnons ses ouvrages exterieursy (618, a). Sans entrer ici dans un commentaire de ces épineuses difficultés théologiques sur les rapports de Ia substance et des attributs en général, et quand il s'agit de Dieu en particulier (si 'on om dire), on reléve que, trés clairement, Montaigne lie le langage & I'étre de Dieu. Cette ouverture suffirait & elle seule A cautionner la démarche de Compa- ‘gion, qui lit deux essais, «De la gloirey (II, XV/) et «Des nomsy (1, XLV Ala lumiére de la question nominaliste Sans tomber dans le pédantisme (mais sans éviter toujours une certaine fourdeur qui sonne comme un écho de travaux universitaires de l'ge clas que), Compagnon délimite le probleme; F. de Toledo, Porphyre, Boéce Is | rménent rapidement a exposer les théses de Guillaume d’Ockham: les univer saux sont des mots et souls existent les individus. Ces deux propositions con- tinuent a régir Tévolution de la linguistique, mais aussi de Ia philosophie. Biles servent ici & situer Ia position de Montaigne, dont notre auteur n'a au- cun mal & trouver des passages concordants, ainsi «Nostre contestation est verbale. Je demande que c'est que nature, volupté, cercle ot substitution. La question est de paroles et paye de mesmes (IH, X/, 1069). ubence des Esais 189 On notera que cette stquence vient juste aprés ime phrase désabusée sur es doutes de Luther qui transformérent une question de mots en guerres eilles: fe déplacement de aprésence réellen du Christ & xprésence symboli- quer de Christ suffi 8 donner de Eucharistic une version inacceptable pour Tglise, — et méme hérétique. Un pew plus foin, Compagnon commente avec Acuité la formule liturgique «Hoc est corpus meum» p. 43; quant & fa nature des individus séparés, inassimilable A quelque généralité que ce soit, les for- ‘mules abondent, notte critique choisit, encore dans cet essai terminal, le développement inaugural et entre autres Ia phrase «La ressemblance ne faict [pas tant un comme a difference faict autre. (c) Nature s'est obligee 8 ne ten faire autre qui ne fust dssemblable» (1065). Mais il est relové que cette fentence touche & Vaporte de «la doctrine des universaux: la relation et son moddle, le génération, Veut et ta poule, ou chez Ockham, la patemnitéy (p. 28). Le mot proféré est aussit6t placé comme une pierre d’attente pour la fate du ve, pee dechoppement dv sominaone de Montsge: pete fat ls paternité On voit ainsi apparaitre sous un jour apparemment abstr [de contestation scolastique, une question aussi intime que la filiation, et on nent 2s ce moment comme un enchelnement inéluctable dériver (se dévi- er) toute une tresse Je noms: apére, pierre, Piere, fils, Michel, Eyquem, [Montaigne, montagne, pére sans fils, terre et livre ou terre ov live. ..» La toécanique des associations de mots sembie ici guider, en effet, et c'est hev- Hreux, le commentaire, C'est alors que commence un développement dans He cours duquel, tel un illusionniste qui aurait lu Prévert, Compagnon nous passer en revue fan (I'Un?) puis un et Fautre, les xquatre prédicables aristotclicionsy, les acing voixe médiévales, le multiple, le sans fin. .. L’ha- Fbueté un pew trop lsible de la construction donne, et c'est dommage, T'im- Fprasion dartifice, alors qu'un peu moins de brillant eft sans doute mieux 1adé. Dommage, car, effectivement, ce passage en revue retrace celui il Montaigne luiméme se livre, celuita justement qui pose a la logique dienne des questions embarrassantes et qui contraint & la suspension “dx jugement dans Texercice critique du doute. Cixconscrivant pour T'ssen: son étude & trois chapitres (outre fes deux mentionnés plus haut, «A Ipologie de R. Sebon»), Compagnon suit ta quéte de Montaigne, passe des propres aux noms communs, revient aux propres, & celui du pers, et, fous les figures de Narcisse et Echo, il accompagne le passage équivoque du au renom. Chemin faisant, il rencontre Vessentiel des questions que pose Montaigne sur Ia connaissance, sur Tidentité, sur V'étre, et angle son abord lui permet de décrire avec une grande exactitude, dépourvue [ae Fessentialisme qui giéve si souvent Jes études critiques, et la démarche et les théses du philosophe. Reptis dans cette perspective, 'edage inscrit au fronton du temple @’Apol- (sConnais-toi toi-mémer est glosé de fagon trés particuliére p. 149) d ait Taporie logique que cee cet essai: ela signification Aépend done de la 190 (ceuvres& Ceitiques Mibsence des Bscs 19) ful. La survivance réelle du nom du pére, étemnité de Fespéce & travers des Individus variés appara comme une pierre de touche (notamment en II, VET et Ml, XXXVI): soudain, comme Sail sur le chemin de Damas, le nomi. aliste se retourne en réaliste: il est un nom (au moins un, celui du pére) ‘qui a une subsistance propre et pourtant englobe plus d'un individu (au moins Ie pére et le fis); ontologie de la semence, dit A. Compagnon. vérité, ou, pour savoir si un prédicat d'un sujet correspond a Yun des cing prédicables, et pour porter un jugement sur 1a proposition, pour décidet de sa vérité, et, partant, de Ia signification des termes qui y fgurent, i faut des renseignements sur tout le reste de Punivers. Les termes de la propos tion «Cock est Michel de Montaigne ne signifient rien sila proposition n'est pas vraic, et pour juger si je dis vrai lorsque j'énonce «Voici Montaignes, il me faut tout savoiry (p. 95). Telle est bien en effet la butée de la régres sion a Uinfini des raisons enchainées les unes aux autres, tel est le point d’apo- rie auquel aboutit !'Apologie: «Pour juger des apparences que nous recevons des subjets nous faudrait un instrument judicatoire; pour verifier cet instr ment, il y faut de la demonstration; pour verifier la demonstration, un int trument; nous voild au rouet» (XII, X11, 600-601). Or cette recherche de Videntité, cela justement que revendique avec persistance Montaigne, exige tune «separation bien claire» (le masque et la peau, V'apparence et essence tell, le Maire et Montaigne, tranger et le propre, comme on dirat la sub+ stance et l'accident), et cette séparation est rendue impossible dans Ja pert pective d'un nominalisme exacerbé, comme celut que le philosophe utilise pour crtiquer tes certitudes acquises et les illogismes de Uidéologie. Aint parems a Textréme de la confusion par Timpossibilité de fonder 1a vésité d'un discernable, Montaigne ne peut que retourner & la question qui le hante d'une survie de son nom (mais en méme temps d'une dérision du renom) sans pourtant qu puisse se résoudre & accepter V'inconsistance de tout nom. On voit fci lis indissolublement (et Compagnon le marque trés justement) un. probléme logique, une question ontologique et Vattitude devant Ja vie et la mor telle qu'elle est non encore pensée mais d&ja vécue et éprouvée. De 18, par un retour qui n’est pas tout & fait inattendu puisque des échot ont annoncé, on revient a cette pierce de fondation, & savoir le nom par excellence, qui, sil n'est de Dieu (lequel on sen souvient n'est pas pronon- 6 devant Moise. et méme interdit par une formule oi est répudiée durement fa possibilit€ d'une nomination («Je suis ce que je suise ditl en hébrea) ne peut étre que celui du pére. Curieux ensemble nominal que ce «nom du pérey, dont on se souvient que Lacan, naguére, fait neeud. On sattache dés lors & exhumer de Ia langue fe mot & partir de quoi pour raient se batir les éléments d’une connaissance. Ce mot, miraculeusement Epargné par les theses rigoureuses d'Ockham, exaspérées par la nerveuse an. Xiéié de Montaigne, le voici: ce nom, le sien, falsification exemplaire, race et tige signifies dans fa terre, Eyquem fait Montaigne, et Pierre fait Michel. En quelques belles pages les équivalences abstraites du début rencontrent leur incarnation: nom et renom disent & la fois la fidlité du fils au pére (a dédicace de la Théologie naturelle) et Ia trahison (Vincapacité & gécer Tet biens), mais la fideité pourtant (Je patrimoine intact); la paternité sol cite heurcusement Compagnon, seule loi naturelle selon Montaigne tu par F i est done convenable de prendre garde au patrimoine comme au seul propre & assurer une proposition de sa vérité. Par un systéme de relations redouble le nom et le renom, Compagiion évoque celles du pére au fils du pére sans fils (mais pourvu d'une file), celles du pére & la terre et du au livre, comme aux signifiants qui les représentent au regard de Vinvi- He témoin que fut, un temps du moins, Etienne de La Bostie. D'un fils tun auteur, le nom chercherait, & travers écrit, une assise pour arréter, fatce qu'un instant, le plissement d'une transmission de toutes fagons ible, puisque, selon expression de Iépoque, Montaigne comme stom iliaire est, en ia personne de Léonor, fa seule héritiére, tombé en que- reste, bien sir, & la place du nom de pére un nom d'auteur, qui, selon 10, justifie le fils de son incomplétude par rapport au vaeu exprimé inistrer les biens et de les accroitre, tout en Tui laissant la gravee atta- au corps physique, marque de Pierre dans Michel, comme pour lui ren Grellé fe souvenir, fidéle 1a mémoire, et, si on me passe expression, ist de piser de la copie Dans son ensemble, cette étude tient bien, Fidéle aux Essas, sans doute algré tout, elle laisse une sorte de géne. Comme si une sorte de silence elle sentendait malgré tout ce qui est dit. C’est que essai de Compagnon, tant, et fertile jespére, tait avec insistance toute allusion & son propre et slabstient de mentionner ce qui I'a amené & penser ce qu’ ldées ne se volent pas, chacun vit d’emprunt, Montaigne le di it, et il 'y connaissait, S Vetre & Ia langue, fa langue & la tion; plus encore, sans doute, les effets décisifs et pas toujours agréa- que provoque la marque du nom propre sur checun de méme, la que semblent rencontrer les hommes & s'aménager un espace de vérité tienne compte du signifiant par excellence, celui dont il n'y a rien & dire quil est («dit premier» qui décréte, légifére, dont on ne joue pas sans et avec qui aucune ruse ne vaut); il ne serait guére difficile de trou- dans les Ferits de Lacan des passages tout & fait décisifs; et & plos d'une , un kecteur peut s%étonner de voir apparaitre (parfois sous le nom ) des formules que Iactualité a pris "habitude d'attribuer & Laca qui témoigne de Ia permanence du débat nominaliste dans la pensée oc: tale. 192 ceuet& Crtigns Prener des Ess 193 feulletait de temps en temps, pour enteetenir Vallégresse de son esprit. Oui ee Essis sont bien le lire du bonheur, et méme du bonheur de Fexpresion, on par pur plaisir de jouer avec les mots, mais parce que telle est la voie Fque nous offre notre condition tre parlant pour nous rapporter au mon- On pense aussi, souvent, & un autre auteur, Jean-Claude Milner, qui for mula naguére quelques propositions tout & fait remarquables sur Ta langue; ‘les n’eurent pas I'écho auquel on edt pu s'sttendre; tout au contrite ells provoguérent un silence aussi étonnant que regrettable. Son ouvrage, L'amour Ge ta langue (Seuil, 1978), trop lisse pour donner prise et trop modeste sans doute, a tracé nettement des limites & la lingustique, et notamment teat du discernable, du Tout et du sujet, de Vétre et de la langue, en référenct constante & Lacan, et en des termes dont s'approchent beaucoup les form Jes appliquées par A. Compagnon au texte de Monteigne, Ii est difficile de ne pas évoquer Son nom ic. On touche par ce biais, ou par cet abord, & une question dont les philo- vont pas cessé de se préoccuper, au besoin pour la conjurer dans le plotement de leurs raisons. Oui fe monde nous beigne dans se présence, nous le méconnaissons obstinément dans l'entassement de nos discours, ns nous refusons A I'entendre. M. Merleau-Ponty ouvre {& une approche eraine, que malheureusement la mort a interrompue. Depuis, une entre diseréte, et méme au regard de l'écume brassée par les débats d’idées ta mode, inapergue, s'avance doucement. Souvent rugueuse, mais presque ours salubrement tonique, une voix goguenarde se fait entendre; et c'est surprise qu’on trouve Clément Rosset donner, de ¢& de Ia, la parole Exsais. Une rencontre qui n'a rien d°étonnant si Von s'avise que pour t aussi, le faute majeure semble In tristesse, avec son cortollaie ine: Bitable, le betise; ainsi poset} inlassablement Ia méme question: que pou: ious dice, qui soit net de présomption, de vanité, ou pour le dire en ames moins vieux jeu de grandiloquence? Rosset parait reprendre et pour- sa facon, Le cheminement tétu, drolatique parfois, bonhomme sou- fet abrupt aussi, vif et poignant, quiavait autcefois inauguré en frangais igne (par exemple dans le texte intitulé Le Réel, malicieusement sous- aTraité de Tidiotien, et notamment dans fa partie intitulée «D'un réel & venir»), Ce sont des notions dont nous venons d’€voquer fa puis bee et la mainmise sur notre vie: allgresse et le réel, les tares du langage, t Tinsignifiance, la joie; Rosset en parle dans des termes od je per- , A cBtE d'un écho de Nietzsche, la malice de Montaigne. Et jusqu’aux is divers, 4 la fagon dont Paulhan en joua naguére, qui viennent border de ins pids de nez, de leurs sarcasmes, de leurs signes saugrenus la démarche sophique. Ainsi Montaigne ne cesse de prendre en compte les détails plus minces de Fexistence quotidienne «tout argument m’est egallement Je les press sur une mouche; et Dieu veuille que celuy que j'ay icy Ces quelques convergences font constater T'incroyable actualité des Be sais. Audel& de ce que reléve Compagnon, et qui anime le travail philow phique aujourd'hui, on peut remarquer que le texte de Montaigne prolife sans qu'on le dise, et peut-tre parfots sans qu'on le sache. A qui I'a fu avec amour. prenant plaisir & sa langue ot se laissant réjouir par la vvacité de ws sambades, il est peu de pensées actuelles qui surprenne; pas méme la mécot- naissance dont, & T'abri des monuments officiels, il reste I'indéfectible objet. Lacan non plus ne le cite guére, aprés tout; dans son anthologie figure tout tun panthéon, mais pas Montaigne. Est-ce la trace d'une incompatibilte? Qui ssit? Pourtant sil est un philosophe qui ait marqué dans homme lim portance primordiale de Ia parole, c'est bien Montaigne, pour qui lle seule lie es hommes entre eux, elle seule les fait véritablement humains, et let tient. Ainsi tes livres stentassont Les uns sur les autres, «nos opinions «’entent les unes sur les autres. La premiere sert de tige a ta seconde, la seconde & lt tierce. Nous eschelons ainsi de degré en degré. Et advient de 18 que le plus haut monté a souvent plus d'honneur que de metite; car il n'est monté que d'un grain sur les epaules du penultimer (I, X71, 1069). La seule question qui vaile vraiment la peine, me semble-til, est celleci: que cet échafaudage ne donne pes au sérieux, & Venu, plus que sa part, et que la rigueur de a pensée ne se fige pas en raideur doctorale; question de style, en somme. Cet si Montaigne est iu encore, et repris, et répété, n'est-ce pas justement pa la grice d'une slacrite gimbadeuse (on se reppelle «a seuts et & gambaden ‘ou egallardes escapades, et tant d'autres), cette alacrité qui tient en ével sans cesse. «Nul esprit», écrit egenereux ne s'arreste en soy: il pretend tous} jours et va outre ses forces; ila des eslans au-deld de ses effects; sil ne se vance et ne se presse et ne s'accule et ne se chogue, il n’est vif qu’a dem (b) ses poursuites sont sans terme, et sans forme; son aliment c'est (c) ad ration, chasse, (b) ambiguité> (IIL, X17, 1068). f me fallait un bien fort souci de certitude et des clléressolidement posit vistes pour me moquer eutrefois du passage de son Journal od Gide racom tait quill marchait dans le Luxembourg, un petit Montaigne & la main, quil Dion humus si fertile, tant d’herbes sont sorties que la moisson ne s'arré- fait pas si on cherchait toutes les racines. Il faut interrompre la liste. Reste gre, On a dit naguére — jadis que les lives ne s'écrivaient que sur livres (Kentreglover» Ill, X71, 1069); rendons & Yun des maitres de Ia ct qui lui revient et qui fait sa force vive: de nous faire penser. Et puis- nous le faire aussi gaiement que Montaigne! 194 Crunes & Crtinne Nores 1 Ce mest pos, of de fin le seul cho du texte de Montagne dans Varure de Sankéle Sitch, Pour ie prendre que a trilgie recemment publice, Le Je ne sais quo ef e Presque rien, (Sui), tout le deuxiéme chapive du tome 2 intitulé La méconnsissonce, frtheule autour du theme capparence et séalités — theme classique de la philoso: phic occidentale sil on fut jamais — et cOtoyant ML, X, nais ee réfrant explicit rent 3 des Tensées de Pascal qui reformulent es phrases de. Montaigne (come souvent, et comme souvent on omet de fe lise). I mest pas en revanche étonnast ‘que ce soit 8 propos du jour de wérilé quepparasse Ie tente des Essais (t, XVI U'Suteurs curieusement cite, Eten un autre Hew, fowjours sur le théme du masque, us! obsélant pour fe penseur contemporain que pour le philosopte du seize Sigel on wort cités Machlavel, Gracian et Pasal (en particuler des pensées comme Vil. 434, dont fa version premiere est Wh encore des Busvt); comme si, malgré de {théses procher et dee formuler slentques, Montaigne el Jankélevitch appertensent Adeax mondes différents, La rencontre entre ewx sembie sans cense imminente et UN TEST DE STYLE Tom Conley sans couse retard, Oeurres et critiques: le titre de la cemue semble dicter Vordce do Vanalyce. Ly a des ceuvees et puis des critiques. L’ceuvre pré-existe a la critique et fournit 4 Vinterpréte le mode d'une interprétation. Faisant suite & Veuvre, ls critique informerait, explorerait ou rehausserait celie-8. Estill possible de dire, cependant, qu'une ceuvre soit aussi critique? Pourrait-on orienter le lecture de (elle sorte que l'interpsétation fasse oeuvre? Qu'une ceuvre ar- Hatique ou littéraire puisse étte une xceuvren malgré sa fonction critique? }Oet questions sont aussi viellles que les premiares éditions d’Angelier des pBsscis de Monttigne. C'est ce demier qui nous invite aujourd'hui & nous re- au sein de son écriture, et 8 mimer cele-i afin de Nexpliquer. A Vencontre de bien des textes qui figurent dans les programmes univer- itaires contemporains, celui de Montaigne ne va pas se taire devant le bruit Ia critique. Sa langue est top drue; elle exige des lectures patientes et lantes; elle nous enteaine & palper le style, & regarder leseripture. Dans paragraphes qui suivent, nous allons porter notre attention sur le coté que de Montaigne. Nous essayerons de cemer le style au niveau de sa falité et de ses combinaisons graphiques et sonores; nous coneluons . par le processus d'inscription, les Essais mettent en question toute pos- HE de cognition. Notre tiche est délicate et simple. Il faut que nous nous A Lécoute des tensions — c'estdire, des accords, des brisures, des des syncopes et des déchirures de tons — qui constituent le hiérogiyphe fessais. Le higroglyphe fonctionne dans un texte toujours divisé oii la du sens provient d'un rapport @ la fois de différence et didentité entre iption figurale d'une phrase ou d'une série de mots et de Jeur forme . Lécriture, dans sa matérialité, ne céde pas la place & la voix du sens. ‘constitue plut6t une condition du jeu de ses significations.! Or le dyna- ie figural du texte procéde des combinaisons de fa voix et de Vimage mots. Hiroglyphe évoque T'étendue d'une écriture qui se lit d'au moins fagons simulanément: 1) fe réseau sonore se lit en termes de 2) son le écrit qui Vincompote tout en lui restant identique et hétérogéne. 5 & rniques WIN, 1~2 (1983) Montaigne

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