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Pier Francesco La grande entreprise de lopéra au XVII siecle Dinko Fasris DANS LE “GRAND THEATRE DU MONDE” APPARAIT EN 1637 un nouveau type de représentation jusqu’alors jamais concu : pour la premiere fois a Venise Les portes s‘ouvrent a un public qui paie pour assister a un spectacle de theatre entirement chanté, C’était l'acte de naissance de lopéra public, que Von appela aussi “mercenaire” pour le distinguer de Topéra de cour orgat par de riches princes et mécénes pour leur propre glorification et pour exalter, a leurs frais et pour un petit nombre d'invités choisis., leur propre pouvoir et eur propre richesse. Ce qui se passe cette année-la au ‘Teatro San Cassiano sur Tinitiative de deux musiciens- acteurs, Francesco Mannelli et Benedetto Ferrari “dalla Tiorba” [au théorbe], Fut 'aboutissement d'un long, processus de transformation et de convergence dexpériences précédentes réalisées par les compagnies des acteurs-chanteurs de la Commedia dell'Arte qui avaient deja depuis longtemps ouvert leurs propres théatres payants appelés “stanze” a Venise et dans autres villes. Pie sa collaboration iano A peine dew naissance de Lopéra durant guiuié la ville de Ctema (0 il exait ne le 14 f D2) pow 1 suite du tra rapidem la chapelle de Vautorit ous la dir quel il sut mettre rapidement jumieee ses dons, entamant une brilante carritre qui le co mon de san al disparition de « quil put enfin assumer direction de la cha Cavalli avait déja a on actif pas moins de cing opéras et un au ux des nombrewe dopéra ouverts & Venise & ce époque. Le p' contrat de Ca siano, en 1639, le présente employé non instrumentiste anteuse Felicita Uga, Orazie Persiani et du rateur pour a vent lequel il i ent la chance de collaborer avec des personmalités dun ni artistique exceptionnel. L anier libretiste de G van Battista Busenello, qui avait écrit pour Monteverdi LIncorona- one dk Poppea, et qui €crivit au to tal 5 mélodrames pour Cavalli, ont Didone et La Statira. Bu était membre de l'Accademia ti Incogniti, Yun des clut nom ique par Cave ras pout le Teatro dei $8. Giovanni e Paolo, La décennie suivante vit Tapogée du succts européen du compositeut. Tandis quill cont rmusit a Venise de prodtuire trois ou quatre opéras par an pour les theatres qui Ten sollicitaient (@ panir de 1658, il trv veau également au San “arco Faustini, frére de anni), ly propagation toujours 2 ses opéras avait com healie et dans cer lonnées par les e Febi Armonici Apres Egisto de Faustini (164: es surtout Giasone, sar un text de Cicognini, qui, apres la pre 19 au San Cassiano, t lan (1649), Lucques et Florence ene (1651), Milan lerme Ferrare (1659) Ancdne (16 ANaples, Giasone fut Tous les opéras vénitiens étaient adaptés au gott napolitain par des musiciens autochtones 4 la solde des Armonici et mis en scéne de fagon fastueuse sous la direction du plus important chorégraphe de Tépoque, le vénitien Balbi. 6c) senté pas moins de 4 fois, en 1651, 1652, 1661 et 1672, Ce n'est qu'en 1650 que Yopéra public vénitien avait atteint Ttalie méridionale. mais parmi les trente premiers titres de mélodrames representés 2 Naples jusquien 1670, et qul etaient presque tous des reprises operas venitiens, un tiers étaient de Francesco Cavalli, qui jous done un réle fondamental dans la création du circuit opératique mé ridional. Il semblerait que les diffe renics troupes des Febi Armonici, cest-A-dire les comédiens spéciali- sé dans la mise en seénes d'opéras responsables des vingt premieres saisons napolitaines, aient eu avec Je compositeur un rapport privilé- gig, puisque les trois opéras inau- gurant lére opératique & Naples fu- rent de Cavalli, dans lordre La Di- done, Giasone et LEgisto, avant mé- me Lincoronazione de Monteverdi de 1651 (ceuvre présentant par ailleurs des signes évidents d'inter- ventions de Cavalli). Mais c'est surtout de 1652 a 1658 que le rythme des reprises operas de Cavalli, juste apres la premiére vénitienne correspon+ dante, augmente de facon signifi- cative : Veremonda, Le magie amo- rose (cest-a-dire La Rosinda), It Ci- ro, Xerse, Artemisia, Tous les opé- ras vénitiens étaient adaptés au godt napolitain par des musiciens autochtones & la solde des Armo- nici et mis en scéne de fagon fas- tueuse sous Ia direction du plus important chorégraphe de Lepoque, le venitien Balbi : avant les theatres publics, ils étaient en fait destinés 4 la cour du vice-roi Les trois demiéres partitions fu- rent réadaptées “a l'usage de Naples’ par un arrangeur d'excep- tion, ce Francesco Provenzale qui allait devenir le compositeur napo- litain le plus important du sitcle, et qui entretint probablement avec Cavalli un rapport d'étroite colla- boration, peut-ttre didactique, peut-etre aussi commerciale. In- versement, daprés ce que nous sa- vons, Il Ciro fut compos par Provenzale, et ce ni suite quill fut adapté pour la scene vénitienne, avec dimportants changements dans le livret original du napolitain Sorrentini, pour les quels “a composé la musique le sigur Francesco Cavalli, Apollon de I Harmonie”, Le livret vénitien du Ciro (janvier 1634) révele la distance qui sépare la conception du spectacle dl'opéra dans les deux villes, cependant si étroitement lies : “Ce drame a vu le jour a Naples, sous 'heureuse influence de servir pour les scenes de Yeni- se : mais lorsquill s'est retrouvé ici il sest avéré quill n’avait pas les or- ements dusage dans. cette ville La difference des coutumes Tavait élevé avec des manieres différentes du génie vénitien... et nous décla- rhs ... quil a changé, non pas pour s‘améliorer mais pour s'adap- ter aux coutumes”. Pendant la méme période sou- vrail un nouveau front de diffusion de lopéra vénitien dans le sud. En Sicile également, comme diailleurs Genes, cest Cavalli qui inaugura et domina la tradition opératique locale : Glasone fut le premier opé- ta représenté a Palerme (1655), suivi jusqu’en 1658 par Il Cro, Xer- se et Artemisia, La situation sicilien- ne est évidemment lige aux saisons nnapolitaines et l'on peut penser que Provenzale joua un role dans ce dé- La redécouverte moderne de Cavalli, au-dela de la survie de citations et de fragments dans les bibliographies musicales du XIX® siecle, est redevable a Vinitiative pionniére de Raymond Leppard, qui dirigea a Glyndebourne tout d’abord LOrmindo en 1967 puis en 1970 La Calisto. rd a revalorisation u théatre d’opéra u XVILIE siécle, | en particulier es chefs-d’ceuvre e Cavalli, ne eut se faire wavec une leine ollaboration ntre artistes et hercheurs. 021: ne et Calisto 1568 elo Taano stitches Museum, Vienne, rhe, 2B ne et Calis rePaul Rubens se du Prado, Madi, 404 ko egos Clo veloppement insulaire de la diffu- sion des opéras de Cavalli, iter- rompue pat la peste de 1656, Dans Jes annees suivantes, le regard de Cavalli se tourna dans une tout autre direction : entre 1660 et 1662, il se rent a Paris od i colla- bora avec Lully et fit mprésenter Ercole amante, son opera. commé- tnoratifen 'honneur du roi qui, si la mon de Mazarin ne stat pas produlie, auralt pu déterminer le cours de histoire musicale frangaie se. La demigre production palermi- taine, en 1661, fur LEtend, qui avait vu le jour & Verse en 1659, remae nige cette fols par Matc’Antonio Sportonto, Les deux demnigres pro- ductions napolitaines d'opéras de Cavalli se produisirent par contre avec un retard inhabituel et sans Vintervention directe de Vauteur : ‘Statira et Seipione 'Afrcano étalent probablement destinés a la reprise rapoliaine, ux soins de Provenza- e, juste aprés leur création 4 Veni- Se (1655-56), mais cla fut impose sible en taison dela peste. La nouvelle troupe d'Armonici rassemblée par le chanteurcom- positeur Francesco Cirillo & la fin de sa carriére ne reprit ces opéras & Naples quien 1666467, Mais les gots avant alors chang : la par- tition d'Eliogabala que Cavali avait composée pour le carnaval de Ve- nise dé 1668 avait été retinée car alle était considérée comme démo- dée (ou peut-ture pour des rais@s de censure) et remplacte par celle du Romain Botett, probablement celle qui serait representée a Naples et & Palerme en 1669 et 1678, méme si symboliquement le livret napoltain en attribuait enco- re la musique au compositeur vé- nritien. Ayant abandonné le theanre, Cavalli (mort en. janvier 1676) consaera les demniéres an- nnées de sa vie ila musique sacrée, ‘andis que dans le sud Francesco Provenzale, émancipé de son amattre idéal, faisait un debut triomphant comme compositeur azutonome, avec La Colomba feria, mélange inédit de drame sacré, de ‘sujet napolitain, d'arias 4 la véni- Cavalli, auedela de la survie de ci« tations et de fragments dans les bi- bliographles musicales du XIX? sitcle, est redevable 4 initiative pionnigre de Raymond Leppard. ui dirigea & Glyndebourne tout abord LOrmindo en 1967 puis en 1970 La Gallsto, pour un public Qui, comme l'a écrit Carlo Majer, Gait naturellement plus ‘habitue aux comédies de Shakespeare quan theatre dopéra baroque. On Peut aujourd'hui sourire de linge- ‘muité de Leppard, qui voulut pa- blir également les partitions mo- demes des opéras de Cavalli, mais cela ne fait aucun doute qu’ partir de ce moment commenca vn lene te mais irrésistible renaissance de Cavalli. En 1974 et 1983 furent produits 4 [Opéra de Sana Fe gisto et Orione, alors quien Euro- Pe, surtout grce a René Jacobs et son Concerto Vocal, prenaient vie Xerse (1985), Giasone(1988), La Calisto (1995) les entegisrements discographiques correspondants influtrent de fagon décisive sur la faveur croissante des mélomanes our un theatre musical du XVIII ‘sitcle qui se limitait jusqu'alors a la trilogie de Monteverdi et quelques rates autres exceptions, Parmi Tes quelques autres enre- gistrements dignes d’tire cités, rappelons LErcole amante entegis- tre par Michel Corboz pour Erato en 1980, eten 1998 La Didone, qui a fait Tobjet de deux reprises contemporaines : me par Chris- tophe Rousset au Festival d’Am- bronay et Tautre par Te Freiburg Barockorchester sous 1a direction de Thomas Hengelbrock pour Deutsche Harmonia Mundi, En consultant un moteur de re- cherche, lest aujourd'hui possible de retrouversur le Net plus de 40 titres de disques de musique de Cavalli, dont les opéras deja cites, ‘mais aussi beaucoup de musique sacrée (Vespri, Requiei, Messes et musique instrumental. Chrono- logiquement, les dernitres ceuvres récupénées, alors que Ton annonce tune reprise de La Calisto en Alle- ‘magne, ont été La Stair princpes- sa di Persia, par Antonio Florio avec la Cappella della PietA de"Tur- chini, enregisré pour Opus 111- Naive et mis en scbne avec un grand succes au Teatro San Carlo de Naples en fevrier 2004, et deux mois seulement plus tard, au Theatre de la Monnaie de Bruneles, la remarquable premitre absolue dEliogabalo, opéra qui ne fut jamais interprété du temps de Gaaalli, sous la direction de Reng Jacobs dans Tune des plus magn- fiques interprétations de sa carrié- te. Ces deux redécouvertes ont é1¢ accompagnées de congrés d'études internationaux auxquels ont parti- cipe les plus grands spécialistes mondiaux de Cavalli (es actes du Congres de Naples, organisé parle Centro di Musica Antica Pieta dei Turchini, sont actuellement sous press), signe évident que la reva- Torisation cu theatre d'opéra du. XVII sitcle, et en particulier des chels-dcuvre de Cavalli, ne peut fate quavec une plein collabo. ‘ation entre artistes et chercheurs, Laforce explosive de cette mu- sique pourra alors permettre de re- mettre Pier Fraticeseo Cavalli a la place qui lui reviem ~ et qui a ee Jusqu’d maintenant injustement ‘oubliée ~celle du plus grand coti- positeur d'opera de Ia generation positricure & Monteverdi, et ses ‘opéras a Talliche des théétres dau= jourdhui, ‘ir aus ance "opera venien au XVTesitle de Bran Rabin (GouD- en 20) ‘aduit par Dominique Lange

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